Aller au contenu
RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 5 - Témoignages du 15 novembre 2005


OTTAWA, le mardi 15 novembre 2005

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour examiner un serment d'allégeance au Canada.

Le sénateur David P. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous sommes ici ce matin pour discuter de la motion présentée à l'origine par le sénateur Lavigne, voulant que le Règlement du Sénat soit modifié par l'ajout, après le règlement 135, de ce qui suit : « Chaque sénateur doit, après son entrée en fonction, prêter et souscrire un serment d'allégeance au Canada ci-après, », et cetera. Depuis le dépôt de cette motion, nous avons eu deux modifications, l'une émanant du sénateur Day pour remplacer « doit » par « peut » et une autre du sénateur Joyal. Je crois que notre témoin, ce matin, connaît probablement le sujet. Je vais dire quelques mots, puis j'inviterai le sénateur Joyal à présenter le témoin, puisqu'ils se connaissent bien.

Le père Jacques Monet est président du collège Regis à Toronto et aussi un éminent historien du Canada. J'habite à quelque trois coins de rues du collège Regis, alors mes promenades m'y amènent de temps à autre. Je devrai désormais traverser du côté baptiste. Le père Monet a écrit de nombreux articles savants, tant en anglais qu'en français, et il a contribué d'entrées dans le Dictionnaire biographique du Canada et la Encyclopedia Britannica. Parmi ses œuvres, je citerai The Last Cannon Shot : a Study of French Canadian Nationalism, The Canadian Crown et La première Révolution tranquille. Il a aussi été narrateur à l'écran dans plusieurs émissions de la SRC, et il a produit et été l'auteur de 16 exposés sur la vie de premiers ministres du Canada, diffusés sur les ondes de la radio française de Radio-Canada en 1982. Nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité. Nous apprécions votre venue. Nous avons invité plusieurs témoins et peu d'entre eux, d'éminentes autorités en matière constitutionnelle, ont estimé avoir de bons conseils à nous donner, mais nous avons aussi mon homonyme, le professeur David Smith, qui doit venir. Je pense que, entre vous et le professeur Smith, nous pourrons nous faire une idée équilibrée de la situation.

Sénateur Joyal, avez-vous des commentaires à faire pour notre témoin?

Le sénateur Joyal : Je dois vous aviser de mon intérêt personnel pour le sujet, parce que lorsque j'étais secrétaire d'État, il y a de nombreuses années, j'ai eu l'occasion de faire appel au père Monet pour qu'il conseille le secrétaire d'État au sujet du protocole, alors je connais M. Monet depuis longtemps.

La seule chose que j'aimerais ajouter, c'est que le père Monet est un spécialiste de l'histoire du Canada du milieu du XIXe siècle particulièrement, qui est la période du fameux duel La Fontaine-Baldwin. Il a écrit le principal ouvrage de référence sur l'évolution du Canada d'un gouvernement colonial à un gouvernement responsable. Nous avons eu d'autres débats sur la question, alors je tenais à l'ajouter, en plus du fait que M. Monet siège au conseil d'administration de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada depuis de nombreuses années.

Le président : Rien de ce que vous venez de dire ne constitue un conflit d'intérêt, alors vous pouvez encore prendre part à la discussion.

Le sénateur Joyal : Merci, monsieur le président.

Le président : Père Monet, la parole est à vous. Nous sommes impatients d'entendre vos commentaires. Nous aurons, c'est certain, des questions à vous poser ensuite. Veuillez commencer.

Le père Jacques Monet, SJ : Merci, monsieur le président. Au cas où on veuille m'accuser d'être ici sous de faux prétextes, je dois préciser que je ne suis plus le président du collège Regis. Je l'étais il y a quelque temps, sans aucun doute au moment où les documents de référence que vous avez ont été imprimés, mais je ne le suis plus depuis déjà quelques années. Cependant, je vous remercie d'en avoir parlé. Quand vous passerez par là, venez faire un tour, j'y suis encore.

[Français]

C'est un grand honneur pour moi d'être ici ce matin. Je vous remercie de m'avoir invité. J'espère que les quelques remarques que j'ai à faire pourront vous être utiles dans la tâche épineuse que vous avez devant vous.

[Traduction]

Si je peux me permettre un commentaire personnel, la dernière fois que j'ai rencontré un comité sénatorial, son président était le sénateur John Connolly et c'était en 1975, pour discuter des thèmes qui pourraient être illustrés dans la galerie de la Chambre du Sénat. Nous avons alors eu un débat animé et des plus intéressants sur ces thèmes et sur ce qui pourrait être reproduit dans ces fenêtres. Nous voilà trente ans plus tard, et les fenêtres n'ont toujours pas changé. J'espère que la discussion que nous allons avoir aujourd'hui aura des résultats plus immédiats que celle de 1975. Ce fut néanmoins une merveilleuse expérience pour moi que d'y participer.

Le mieux à faire, ce matin, est de plonger directement dans le sujet. J'ai quelques brèves observations à faire, pour que nous puissions avoir un échange de questions et de réponses, ou du moins de tentatives de réponses. J'aimerais dire quelque chose en ma qualité d'expert de l'histoire constitutionnelle de même que de l'histoire politique, à propos de l'allégeance à la reine, du rôle de la Couronne dans la structure constitutionnelle du Canada et de ce que je considère comme la singularité de l'État canadien.

Je vois, et j'ai lu que vous avez discuté de la notion d'allégeance, c'est-à-dire le devoir et l'obligation de loyauté. Vous avez parlé de la Loi sur les serments d'allégeance et de la Loi sur la citoyenneté et vous vous êtes penchés sur ce qui se fait dans d'autres pays en matière de serments d'allégeance. La réaction de l'historien que je suis est de souligner que depuis que les premiers colons européens ont posé le pied dans cette partie du monde, et par conséquent à chaque instant de l'histoire du Canada, l'allégeance canadienne a toujours été à une personne, que ce soit le roi de France ou le roi d'Angleterre ou de Grande-Bretagne. Nos ancêtres n'ont pas connu d'autre forme d'allégeance. Il est certain que, quand ils en avaient le choix, ils défendaient avec loyauté et détermination leur allégeance.

Dans une monarchie, que ce soit une monarchie constitutionnelle ou non, et nous avons toujours été une monarchie, l'allégeance est au souverain. L'allégeance au souverain est une obligation réciproque. C'est l'allégeance à une personne. La reine elle-même, dans une allocution prononcée à Toronto il y a quelques années, l'a définie comme « le lien personnel et vivant entre vous et moi ». En raison de notre allégeance, nous avons des devoirs et obligations civils et, par le serment du couronnement, en recevant cette allégeance, la reine endosse des obligations envers nous. Plus encore que son serment du couronnement, son serment d'accession, le tout premier jour où le souverain devient roi ou reine, énumère les devoirs du souverain à l'égard de son peuple.

Dans notre régime, et dans ce régime de monarchie constitutionnelle, il n'y a qu'une seule allégeance. C'est la nature du concept d'allégeance de ce régime qui veut qu'il n'y en ait qu'une. Nous ne pouvons servir deux maître, si je peux m'exprimer ainsi. Par conséquent, la Couronne joue un rôle constitutionnel crucial — je dirais même essentiel — dans ce que nous appelons maintenant le modèle de Westminster de démocratie parlementaire. Ce modèle est la structure constitutionnelle que nos prédécesseurs ont intégrée à la réalité canadienne que nous connaissons aujourd'hui, dans laquelle le souverain est l'incarnation de la nation, et d'elle émane tout le pouvoir du droit et de l'ordre, de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement. C'est la structure parlementaire et la réalité canadienne que nous connaissons aujourd'hui. La reine, la Couronne, est le principe unificateur, la source et l'origine des trois organes du Parlement. Les principes qui sous-tendent le modèle de Westminster découlent de ce concept.

D'autres modèles constitutionnels, par exemple, le modèle américain, le modèle français et ceux d'autres pays, sont assortis d'autres principes. Le concept et le principe de la séparation des pouvoirs, que les Américains voient comme leur principal rempart contre l'autocratie et contre le pouvoir arbitraire, n'est pas un principe qui fait partie du modèle de Westminster. Les pouvoirs de l'État, dans notre modèle, sont unifiés et non pas distincts. Ils sont unifiés parce qu'ils découlent tous d'une seule couronne. Nous avons un principe, le principe du gouvernement responsable, que les Américains, par exemple, ne saisissent absolument pas et ne peuvent pas comprendre.

Si vous voulez bien me permettre une anecdote personnelle, quand j'ai parlé d'histoire politique et constitutionnelle du Canada aux États-Unis, les étudiants ont éprouvé de grandes difficultés à saisir le concept d'un gouvernement responsable — que le premier ministre siège à l'assemblée législative et soit le chef de l'organe législatif — parce que c'est tellement différent de leur système. Quand j'ai été invité, quelques années plus tard, à faire des exposés magistraux et à donner des cours en France, j'ai pensé voilà tous des étrangers qui ne comprendront pas le concept du gouvernement responsable, alors j'ai intérêt à y consacrer un peu de temps. Je me suis donc préparé à le faire. Ils ont un gouvernement responsable exactement comme celui-là parce que, bien sûr, ils font une distinction entre le chef d'État et le chef de gouvernement, et ils ne se posent pas la moindre question là-dessus. Par contre, ils ne pouvaient pas comprendre le système fédéral. « Vous voulez dire que vous avez deux gouvernements en même temps qui se chevauchent? Comment pouvez-vous y arriver? » Ils ne savent rien d'une fédération. Les Américains n'ont aucun problème avec la fédération parce qu'ils forment une union fédérale.

Nous sommes le tout premier pays à combiner le régime monarchique avec le modèle de Westminster en un gouvernement fédéral, et c'est ce qui fait la grande différence entre la Couronne au Canada et la Couronne en Grande- Bretagne, par exemple, et d'autres États de la Couronne. Les principes qui découlent de la structure constitutionnelle prennent leur sens et leur expression dans la manière dont la structure et l'histoire ont évolué et formé la Constitution pour nous.

Nous avons un régime constitutionnel. Nous avons des pouvoirs unifiés et coordonnés. Nous avons un gouvernement responsable. Nous connaissons le régime qui distingue la direction de l'État de la direction du gouvernement.

Dans ce modèle, la Couronne joue un rôle essentiel. Au Parlement, la Couronne représente le peuple. Le gouvernement représente la majorité à la Chambre des communes, et parfois la majorité dans l'ensemble de la population. Dans tous les cas, le gouvernement représente la majorité. La Couronne représente non seulement la majorité, mais aussi toutes les minorités.

Lorsque la Couronne, ou les représentants de la Couronne, donnent la sanction royale à une loi adoptée par la majorité, ils disent que toutes les minorités d'un pays qui respectent la règle de droit réalisent que la majorité l'emporte. Elles acceptent cette loi émanant de la majorité en espérant que, peut-être, un jour, elles formeront la majorité et l'abrogeront si elle ne leur plaît pas. Cependant, elles acceptent la règle de droit. Ce que signifie la sanction royale, c'est que tout le monde consent à cette mesure du gouvernement.

Dans l'assemblée législative, la Couronne joue ce rôle unificateur, qui est aussi un rôle consistant à unifier, bien évidemment, le Sénat et la Chambre des communes.

Comme nous le savons tous, dans l'organe l'exécutif, c'est la prérogative de la Couronne qui fait la force du cabinet du premier ministre. Dans l'organe judiciaire, où la Couronne est la fontaine de justice, les juges sont désignés au nom de la reine pour décider des projets de loi que la sanction royale a fait lois, et les interpréter.

Dans ce contexte, non seulement les juges mais l'exécutif, le premier ministre et le cabinet, tous les membres des deux chambres de la législature, prêtent le même serment d'allégeance. Ils sont unis sous la Couronne par le même serment d'allégeance.

Je le répète, la Couronne est le principe unificateur de toutes les ramifications du gouvernement. Je suppose que le serment d'allégeance, dans ce contexte, signifie « J'ai foi dans la coordination des trois pouvoirs du gouvernement dévoués au service du pays ».

Je sais que vous avez discuté de la signification du serment d'allégeance, qui est beaucoup plus profonde que seulement le sens des mots qui le composent, « Je jure que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à la reine Elizabeth II », et cetera. Il y a un sens derrière ces mots. Dans ce contexte, je suppose que leur sens est, « nous croyons dans la coordination des pouvoirs. Nous croyons aussi dans le dévouement de tous ces gens qui jurent de servir le pays », ce à quoi s'est engagée la reine, « et à servir tous les habitants du pays, pas seulement la majorité ».

Tous ces gens, qu'ils soient juges, législateurs ou membres de l'exécutif, prennent leurs fonctions en prêtant un serment d'allégeance. C'est l'un des rôles de la Couronne.

Un autre rôle est ce rôle unificateur de la Couronne, qui unit les trois pouvoirs du gouvernement. Nous avons cela en commun avec d'autres pays dont la démocratie et la structure constitutionnelle sont calquées, comme chez nous, sur le modèle de Westminster. Il y en a un autre dont j'ai parlé il y a un instant, qui fait la singularité de l'État canadien. Je parle du fait que notre État est l'agent unificateur de la fédération. Il y a un État et la souveraineté de cet État est exercée par différentes personnes, relativement à différents sujets.

L'Acte de l'Amérique du Nord britannique, ou la Loi constitutionnelle de 1867, énumère les sujets dont s'occupera le gouvernement fédéral. Elle énumère aussi les sujets dont se chargeront les gouvernements provinciaux. Elle énumère les sujets communs, et cetera.

Cela illustre la division entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces, leurs responsabilités et leur autonomie. En même temps, ils prêtent tous serment d'allégeance dans les mêmes termes. Vous savez bien que le texte du serment est dans la Loi constitutionnelle. Tous les gouvernements, tous les membres de l'exécutif, toutes les assemblées législatives des dix provinces, ainsi que le gouvernement fédéral prêtent le même serment d'allégeance. Encore une fois, la Couronne est le lien constitutionnel entre le gouvernement fédéral et les provinces. C'est pourquoi, en 1982, il a été décidé qu'il faudrait un consentement unanime pour modifier quoi que ce soit qui touche les fonctions de la reine, du Gouverneur général ou des lieutenants-gouverneurs. La situation du Canada est unique en soi. Nous avons été les premiers du monde à avoir une monarchie fédérale. Plus tard, l'Australie et l'Afrique du Sud nous ont imités. Ce n'est pas exactement pareil, mais ils se sont inspirés de ce qui s'est fait au Canada.

Au Canada, la Couronne est représentée par douze personnes. Ce sont la reine, le Gouverneur général et dix lieutenants-gouverneurs. C'est une équipe qui représente la souveraineté de la Couronne dans ce pays.

Vous avez parlé de symboles. Pour bien des gens, ces symboles sont des rites désuets, ou même vides. Je sais que cela s'est dit ici, parce que j'ai lu les comptes rendus de certains de vos débats. En fait, les symboles sont très puissants. Ils expriment de précieuses réalités, souvent des réalités sacrées. Le drapeau que des Canadiens ont porté sur la crête de Vimy, le soldat inconnu, les cadeaux de Noël et les bagues de fiançailles sont des symboles. Ils reflètent néanmoins et expriment des réalités tangibles et concrètes. L'hymne nationale est un symbole. Nous avons, pour diriger notre pays, une équipe de personnes. À mes yeux, le Canada a une bien trop vaste expérience et est bien trop complexe au plan constitutionnel pour n'être représenté que par un seul symbole.

Un bon exemple de cela, c'est lorsque le drapeau canadien a été adopté, en 1965. En moins de deux ans, huit provinces qui n'avaient pas de drapeau jusque là ont décidé d'en adopter un. Parce qu'un seul drapeau canadien ne suffisait pas à exprimer leur réalité, il leur fallait le flanquer d'un drapeau provincial. Ce n'est qu'un exemple. Il y en a encore bien d'autre du genre pour illustrer qu'il faut une multitude de symboles pour exprimer la réalité canadienne.

La Couronne au Canada affiche une singularité dans la manière dont elle est représentée et dans la manière, surtout où, constitutionnellement parlant, c'est ce qui unit dans la Constitution le gouvernement fédéral et les provinces. Là encore, le serment d'allégeance que prêtent tous les gens participant à ce régime signifie qu'il favorisera l'intégrité et l'unité du pays.

Nous prêtons tous exactement, mot pour mot, le même serment d'allégeance, même s'il existe toutes sortes d'autonomies différentes dans la manière dont notre allégeance s'exprime.

C'est quelque chose à quoi nous devons réfléchir quand il est question de modifier le serment d'allégeance. C'est aux avocats de décider, si ce n'est à la Cour suprême, s'il est dans les prérogatives de chacune des chambres, le Sénat ou la Chambre des communes, de modifier son serment à titre de pratique interne. L'autre aspect auquel il faut réfléchir, c'est que c'est, en réalité, quelque chose qui concerne la Couronne et qui a un lien fondamental avec le rôle de la Couronne dans ce pays et, par conséquent, la fonction de la reine, du Gouverneur général et des lieutenants- gouverneurs. Vous pouvez voir d'après ce que je viens de dire le côté où je penche, relativement à cette question, mais c'est quelque chose qu'il faut examiner en profondeur.

En bref, on pourrait soutenir que depuis 1982, quand il y a eu une formule de modification, et avec le rapatriement de la Constitution, il y a un document qui décrit noir sur blanc des procédures, etc., relativement au rôle de la Couronne, ce document constitutionnel est ce qui lie les provinces entre elles, plutôt que la souveraineté de la Couronne exercée de façons différentes par ces divers représentants. Cependant, je serais prêt à soutenir, et ce serait un long plaidoyer ici ce matin, que le document ne lie pas les provinces entre elles. C'est encore la Couronne qui les cimente parce que, comme l'a décrété la Cour suprême à ce moment-là, il n'a pas fallu l'unanimité des provinces pour rapatrier la Constitution; il a fallu une importante majorité, qui s'est trouvée à être plus de sept provinces, si mes souvenirs sont bons.

Je le répète, ce n'est pas sur la base des autonomies provinciales que le rapatriement s'est fait, la plupart d'entre nous s'en souviennent.

Je pense qu'on peut encore, sans se tromper, dire que la souveraineté de la Couronne cimente les provinces ensemble pour former ce pays avec le gouvernement fédéral.

Quand on parle du serment d'allégeance, il faut faire attention. Ce peut être un symbole dans l'esprit de bien des gens, et c'est effectivement un symbole, mais la réalité qu'il symbolise a coûté cher. C'est une réalité pour laquelle des milliers de nos ancêtres se sont sacrifiés et sont morts. C'est la liberté et l'intégrité de ce pays, et c'est ce qui nous unit.

Je ne suis pas encore aveugle ni sourd, et je ne suis pas insensible aux milliers, voire aux millions de Canadiens qui ne comprennent pas les structures et les principes de nos institutions et de notre Constitution. Ils sont nombreux à ne pas comprendre, et pour beaucoup, la reine est la reine d'Angleterre, un titre qui est, soit dit en passant, éteint depuis 1801. Quoi qu'il en soit, il leur est difficile de considérer la reine comme la reine du Canada, ou encore ils restent dans l'ignorance.

Comme je suis du milieu universitaire, je dois dire que les ouvrages scolaires et universitaires font preuve d'une lamentable irresponsabilité, si ce n'est de l'ignorance, dans leur traitement de l'histoire constitutionnelle du Canada, et des données civiles et autres qui s'y rapportent. Je sais le besoin criant d'affirmation du Canada, et de clamer notre loyauté et notre amour pour l'intégrité du pays, ce cadeau que nous avons reçu de nos ancêtres. Ma propre conviction, en ce qui concerne notre monarchie constitutionnelle, c'est que nous ne la célébrons pas assez. Surtout, nous ne prenons pas assez au sérieux le rôle du souverain au sein de l'équipe qui est à la tête de notre pays et qui représente la Couronne au Canada, une Couronne unique.

En ne célébrant pas assez l'élément héréditaire du souverain dans l'équipe, nous privons l'institution qui dirige notre pays d'un aspect qui s'inscrit dans nos plus grandes valeurs. Il faut pour cela, comme je le disais au début, une allégeance à une personne réelle qui nous rappelle que nos traditions et nos idéaux ne sont pas des principes désincarnés, une philosophie ou une série de principes politiques abstraits, mais bien que nos traditions et nos idéaux sont le fruit du travail et du sacrifice de gens réels qui sont nés, qui ont vécu et qui sont morts, et qui nous ont légué des choses. Parce que la reine occupe sa place en vertu d'un droit héréditaire, le souverain exprime la continuité et crée la communauté. Parce qu'elle a des ancêtre et des descendants, elle concrétise la reconnaissance de nos ancêtres et affirme nos descendants.

[Français]

« C'est dans la continuité que se forment les grands peuples. »

[Traduction]

C'est ce qu'a dit Ernest Renard. Cette continuité est ce qui est exprimé par ce membre de l'équipe. Elle n'est pas symbolisée de la même manière au Bureau du Gouverneur général ou des lieutenants-gouverneurs parce que ce ne sont que des personnages éphémères. Ils ne sont pas là en raison de leurs ancêtres ni de l'assurance de leur descendance. Cet élément du régime monarchique que nous avons dans la monarchie parlementaire et la monarchie constitutionnelle est négligé quand nous négligeons le rôle de la reine dans l'équipe. Parce qu'elle reste au fil des années, elle peut faire appel, sur une certaine période, aux idéaux de l'honneur, du devoir, de la compassion et de la générosité qui font tous partie intégrante de son serment d'entrée en fonction et de la dignité immortelle de l'être humain. Parce qu'elle vit hors du pays, ce qui pose un problème à bien des gens, elle nous rappelle que nos institutions ont leurs racines en dehors du pays et remontent très très loin dans le temps. En ce sens, elle exprime une transcendance dans notre pays, qui fait que nos valeurs débordent de nos frontières ou, si vous voulez, qu'il y a quelque chose de spirituel et de transcendant dans la formation d'une communauté civile.

Je pense à ce qu'a dit la reine elle-même au Québec en 1964.

[Français]

« Le rôle de la monarchie constitutionnelle est de personnifier l'État de droit. »

[Traduction]

C'est encore quelque chose qui pourrait revenir dans une discussion quand nous débattons de la possibilité que les gens prêtent serment d'allégeance à la reine tout en prônant la scission du pays, elle dit aussi, au Québec en 1964, ce qui suit :

[Français]

« Je ne veux pas qu'aucun de mes peuples ne subisse la contrainte. »

[Traduction]

C'est encore un aspect de cette vision générale et transcendante de la réalité politique et constitutionnelle qu'il faut nous rappeler, ce que seul le souverain peut faire.

Lorsque nous jurons allégeance à la reine, nous sommes témoins de cette réalité aussi. C'est pourquoi je dis que c'est quelque chose que nous devrions faire avec prudence et minutie, quand nous en discutons. C'est le bon moment pour moi de mettre un point final.

Le président : J'ai l'impression que nous avons là une approche puriste. De mon côté, j'aborde la question avec l'esprit ouvert. Je me décrirais comme quelqu'un qui croit dans la monarchie et l'appuie, sans être fanatique. Je n'ai jamais adhéré à la Ligue monarchiste. Mon instinct me dit que lorsque la titulaire actuelle quittera le trône, il y aura un débat animé. Je ne sais pas vraiment ce qui ressortira de ce débat. Remarquez, si elle vit aussi longtemps que sa mère, ce n'est pas pour demain, et je pense que ce serait une excellente chose.

Bien des Canadiens ne peuvent pas reconnaître un non-Canadien comme chef d'État. C'est moi qui ai fait passer le projet de loi, un vendredi après-midi, pour remplacer la Fête du Dominion par la Fête du Canada, au grand dam d'Erik Nielsen. Je sais ce qui fait que nous devons avoir un Dominion d'un océan à l'autre. J'étais intrigué par le fait que personne ne puisse servir deux maîtres. « Décidez de ce jour qui vous allez servir », ou quelque chose d'approchant, je pense que c'était la version du roi James. J'aurais intérêt à vérifier la version catholique. Vous avez parlé de toucher, et je me rappelle d'un autre verset de l'époque du catéchisme, qui dit « Ne touchez pas à qui m'est consacré ».

Est-ce que c'est tout ou rien? Y aurait-il un juste milieu? Je suis vraiment ouvert sur cette question. Est-ce que ce qu'a suggéré le sénateur Lavigne, et les modifications que proposent les sénateurs Day et Joyal, est incompatible avec votre description de l'inviolabilité et de la monarchie comme étant tout ou rien? Peut-on faire certains gestes?

Une des raisons pour lesquelles je tenais tellement à remplacer la Fête du Dominion par la Fête du Canada, c'est qu'il y avait bien des Canadiens qui n'étaient pas d'origine britannique comme moi, qui ne s'identifiaient pas à la Grande-Bretagne. Et pourtant, ils peuvent s'identifier à la Fête du Canada. Y a-t-il quelque similitude, ici, dans les nuances derrière ces délicates questions?

Père Monet : Les Canadiens ont bien su adapter ces institutions et y trouver des solutions canadiennes, comme nous l'avons fait dans le système fédéral. Nous nous sommes fondés sur la monarchie comme étant le principe qui cimente les provinces.

La question qui se pose à vous est la suivante : comment pouvons-nous exprimer quelque chose qui est clairement, dans l'esprit des gens, un concept canadien de loyauté au Canada avec le texte actuel du serment d'allégeance? Il y a une façon par laquelle nous nous inclinons devant une certaine ignorance parce que la reine est la reine du Canada. L'État de la Couronne qu'est le Canada est un État différent de l'État de la Couronne qu'est la Grande-Bretagne; cela ne fait pas le moindre doute.

Ce qui est important c'est que, en faisant des changements, nous respectons non seulement l'ordre constitutionnel, mais aussi les principes de la structure constitutionnelle que nous avons, plutôt que de créer un organe ou une forme, dans ce cas, que ne soit pas compatible avec le reste du système.

J'ai lu les transcriptions de délibérations qu'a eues le comité depuis quelques mois. On a suggéré un deuxième serment, qui pourrait être comme un serment d'entrée en fonction que les gens pourraient prêter pour défendre l'intégrité du Canada et promouvoir les intérêts du Canada. Le libellé du deuxième serment devrait exclure le terme « allégeance ». L'allégeance, dans notre système, est à une personne. Le rôle du souverain au sein de l'équipe qui dirige notre État est de mettre en valeur ce rapport personnel, cette réalité personnelle dans notre Constitution. J'hésiterais à le changer.

Le président : Le terme « allégeance » est incontournable, pour vous. Comme vous le savez, le Sénat ne peut, à lui seul, modifier la Constitution.

Père Monet : C'est un autre aspect pratique à la question. Si les tribunaux, par exemple, décidaient que c'est une modification constitutionnelle qui exige le consentement unanime, rien ne se fera.

Le président : Non, nous en sommes conscients.

Père Monet : Il vaut mieux trouver un autre moyen de proclamer notre attachement au Canada et notre détermination à défendre son intégrité.

Une autre suggestion était que lorsque les sénateurs ou les membres de la Chambre des communes prêtent serment d'allégeance, le Président ou le greffier leur lise une explication de la signification du serment, ou les accueille avec cette explication. L'accent serait mis sur la loyauté au Canada et l'importance de défendre le pays et son intégrité. Graduellement, les gens finiront par l'assimiler, s'ils l'entendent assez souvent. Je ne veux pas vous vexer, honorables sénateurs, mais je veux dire que le public finira par comprendre le sens du serment et que ce n'est pas un serment à un monarque étranger. Ce genre de chose peut se faire.

Le président : La suggestion du sénateur Joyal, qui évite l'emploi du terme « allégeance », vous mettrait plus à l'aise. Je ne demande pas le plein confort, mais vous seriez plus à l'aise. Est-ce que je me trompe?

Père Monet : Ce serait presque pour moi le plein confort.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez présenté le contexte historique du sujet comme il est enseigné dans les écoles. J'ai été choqué par les conversations que nous avons eues autour de cette table, dont il ressortait que le contexte historique semble absent de la plus grande partie de notre débat.

Par exemple, on m'a répété encore et encore que notre reine est la reine du Canada et non la reine d'Angleterre. J'ai eu aussi des professeurs qui sont même allés un peu plus loin et qui ont dit : « Dieu merci, nous ne jurons allégeance à aucun Canadien, par exemple, comme un président des États-Unis, parce que la Couronne est neutre, tandis que si nous faisions comme en France ou aux États-Unis, ce serait politisé. » C'était le contexte de leur point de vue, qui allait plus loin. Quoi qu'il en soit, c'est ce qu'on m'a enseigné.

Après avoir entendu certains sénateurs ici, je suis retourné dans ma province pour voir si c'est encore ce qu'on nous enseigne. Je n'en suis pas sûre; c'est le problème. Je regrette que tant d'historiens disent que nous n'enseignons plus notre histoire, et je les comprends tout à fait.

Il règne une impression moderne, à propos du Canada, qui semble être plus de l'ordre des relations publiques du jour. Mon problème, c'est de savoir si nous séparons l'élément d'allégeance et faisons un autre serment dans ce contexte commercial où nous évoluons. Qu'est-ce que le Canada quand nous faisons quelque chose au Canada comparativement aux symboles qu'il y a dans notre Constitution? Est-ce que nous ne nous laissons pas convaincre qu'il y a un Canada distinct auquel nous n'avons jamais prêté allégeance, et que nous sommes encore liés par un ancien régime quelconque? Je ne sais pas si je me fais comprendre.

J'ai un problème quand on prête un serment d'allégeance, puis que le Président de la Chambre ou quelqu'un d'autre se met à parler du Canada. Cela semble rétrécir notre Constitution. Nous faisons derrière un écran ce que nous disons qu'il ne faut pas faire devant.

Je ne sais pas si vous pouvez répondre à cela.

Père Monet : J'essaie de saisir votre question, sénateur.

Dans l'histoire et le droit, il n'y a pas de distinction entre la reine du Canada et le Canada. Cependant, dans l'esprit de la population, il y en a une. Comme je l'ai dit, l'éducation est lamentablement déficiente, ces dernières années.

Un deuxième serment, ou une explication qui serait réitérée et répétée à certains intervalles, ferait beaucoup pour clarifier la signification du serment d'allégeance.

Si je comprends bien votre question, vous dites que c'est une solution de second choix ou que ce serait comme un divorce — est-ce que je vous comprends bien? Ce serait comme séparer la reine du Canada et ce ne serait pas une bonne chose.

Le sénateur Andreychuk : Non, je pense que c'est encore plus fondamental que cela. Si nous disons qu'il y a cette notion commune que, d'une certaine façon, le Canada est en quelque sorte divorcé de toutes nos structures, ce que je crains c'est que nous prêtions tous serment d'allégeance et que si, tout de suite après, quelqu'un se met à parler du Canada, cela le diminue et confond le public. Autrement dit, si vous dites quelque chose après au sujet du Canada, est- ce que vous n'appuyez pas implicitement le mythe populaire?

Père Monet : Il y a division, oui.

Le sénateur Andreychuk : Il me semble qu'en prévoyant quelque chose pendant la cérémonie avant le serment, pour expliquer que c'est ainsi que nous jurons allégeance au Canada, ce serait mieux que de prêtre deux serments.

Père Monet : Vous l'exprimez très bien, à mon avis.

Les détails de la cérémonie doivent être précisés. Ce serait peut-être mieux d'avoir une explication avant plutôt qu'après. Peut-être vaudrait-il mieux donner une espèce de symbole aux sénateurs, dans ce cas, quand ils prêtent leur serment d'allégeance, qui soit nettement un symbole canadien.

Je n'en sais rien. Je sais que les membres de la Chambre des communes portent une épinglette ronde illustré d'une masse. Est-ce que les sénateurs la portent aussi?

Le président : Nous en avons de rouges, oui.

Père Monet : Vous avez donc déjà un symbole. Peut-être que ce pourrait être quelque chose de ce genre. Il faudrait nous réunir pour un remue-méninges. Il pourrait y avoir un symbole. J'improvise, en ce moment. Il n'y a pas très longtemps, lors de l'installation de la Gouverneure générale, les couleurs des différents ordres du Canada lui ont été présentées. Le grand sceau du Canada, dont elle est la gardienne, lui a été remis. Là encore, ce sont tous des symboles, mais ils représentent une riche réalité. Ils canadianisent la fonction. Il pourrait y avoir quelque chose du genre qui canadianiserait le serment et lui donnerait une signification canadienne.

Le sénateur Andreychuk : Je prends mes fonctions au Sénat très à cœur, comme, j'en suis sûre, tous les honorables sénateurs. J'ai déjà prononcé mon serment d'allégeance. Maintenant, nous allons dire aux nouveaux sénateurs : « Voici ce que vous devez faire. Il y a un serment d'allégeance, et un autre serment à prêter. » Cela fait surgir la question : Devons-nous tous prêter le deuxième serment? Si je le fais, j'admets qu'il manquait quelque chose à mon allégeance au Canada, ce qui n'est pas le cas, selon moi. Je pense que c'est une admission de quelque chose qui me trouble.

Père Monet : Je ne prône pas un deuxième serment. Peut-être un deuxième serment règlerait-il les choses, mais peut- être qu'il vaudrait mieux avoir une autre affirmation de nos devoirs à l'égard de l'intégrité du pays, qui peut être représentée lors de l'initiation des sénateurs. Ce pourrait être un bon modèle pour d'autres organes aussi. Il faudrait un groupe de réflexion sur la question.

Le sénateur Andreychuk : J'aime bien ce que nous faisions, en désignant des Canadiens à la fonction de Gouverneur général. J'ai entrepris une profonde réflexion sur la manière dont nous modifions toutes nos capacités sans rien changer de leurs valeurs intrinsèques. C'est ce que je rechercherais, si nous adoptions la voie de la canadianisation de l'allégeance.

Père Monet : Ces mesures sont toutes conformes au génie de notre Constitution. Ce ne sont pas des choses empruntées d'un autre système et agrafées au nôtre.

Ce que j'essaie de faire comprendre ce matin, c'est qu'il nous faut respecter les principes de la structure constitutionnelle. L'allégeance au souverain et à une personne y est ce qui est important.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool : J'aimerais m'adresser à l'historien. Puisque je suis Acadienne, quand on me parle de serment d'allégeance, je retourne dans le passé. Les Acadiens à l'époque avaient refusé de prêter serment d'allégeance, ce qui a entraîné des conséquences très graves et influencé toute leur vie et leur histoire. Si on revient à aujourd'hui, peut-il y donc y avoir des conséquences, par exemple, pour quelqu'un qui a déjà prêté un autre serment d'allégeance? Les Acadiens n'avaient pas le choix que de refuser à ce moment-là, car il n'y avait pas de charte ou de constitution.

Que pensez-vous de ce choix qu'ont fait les Acadiens, eux qui sont à présent à discuter réparation pour les torts qu'ils ont subis, et que pensez-vous de la possibilité de choisir entre plusieurs serments d'allégeance? Cela ne risque-t-il pas de créer deux sortes de sénateurs, ceux qui restent avec le serment actuel et ceux qui demanderaient le nouveau serment?

M. Monet : Il est plus facile de répondre à votre deuxième question. Cela ne serait pas une bonne chose d'avoir deux catégories de sénateurs. Pour ce qui est de la question des Acadiens, si ma mémoire m'est fìdèle, les Acadiens refusaient de prendre le serment d'allégeance, car cela impliquait de prendre les armes contres les Français, et ils étaient Français. D'une certaine manière, ils étaient fidèles à leur premier serment d'allégeance fait au roi de France.

Malheureusement pour les Acadiens, on n'avait pas l'imagination ou la volonté politique requises pour distinguer le serment d'allégeance au roi de la responsabilité de prendre les armes ou du devoir de prendre les armes, sans quoi je crois que les Acadiens auraient facilement prêté leur serment d'allégeance après le Traité d'Utrecht de 1774, comme l'ont fait les Canadiens français après 1760.

À cette époque, Mgr Brillant avait proclamé un Te Deum en l'honneur du roi Georges III et les Canadiens français ont célébré le mariage du nouveau roi avant même le traité de Paris. Cet événement souleva au Québec un réel débat et ils ont fait la distinction entre le serment d'allégeance et leur devoir de prendre les armes. Toutefois, cela ne s'est pas fait 30 ans plus tôt en Acadie.

Il s'agit donc d'un évènement historique que tout le monde déplore aujourd'hui, mais qui montre bien, cependant, l'importance d'un serment d'allégeance et l'importance de pouvoir décider de prêter ou non le serment d'allégeance. Il ne s'agit pas simplement d'un symbole ou d'un rituel vide — et l'histoire des Acadiens le prouve bien.

Le sénateur Losier-Cool : Je comprends très bien l'importance du serment d'allégeance et le refus de prendre les armes. Selon la question, un sénateur doit prêter un serment d'allégeance. Toutefois, quelles seraient les conséquences si un sénateur refusait de prêter ce serment d'allégeance?

Père Monet : Présentement, un sénateur est obligé, en vertu de la Constitution, de prêter serment d'allégeance pour pouvoir siéger au Sénat.

Le sénateur Joyal : Monsieur Monet, vous avez défini de manière très substantielle ce qu'était un serment d'allégeance, en insistant sur le contenu de ce que le concept d'allégeance véhicule. Cependant, à mon avis, pour répondre à la question du sénateur Andreychuk, je dirai ce qui suit :

[Traduction]

Je ne vois pas d'incompatibilité entre un serment d'entrée en fonction et le serment d'allégeance. D'ailleurs, quand les ministres de la Couronne sont assermentés comme ministres de la Couronne, ils prêtent le serment d'allégeance, qui est prévu dans la Loi sur le serment d'allégeance, et ils sont invités à prononcer un serment d'entrée en fonction, qui est un engagement à assumer leurs nouvelles responsabilités au mieux de leurs connaissances et de leur capacité. Cela ne diminue en rien le serment d'allégeance parce que cela n'a rien à voir avec l'allégeance. C'est un engagement à s'acquitter d'une fonction au mieux de ses capacités, de ses connaissances, etc. Autrement dit, je ne vois pas d'incompatibilité entre un serment d'allégeance et un serment d'entrée en fonction comme complément à l'engagement de la personne à servir l'intégrité du pouvoir constitutionnel du pays tel qu'il est constitué, qui est représenté par la personne de la reine. Un serment d'entrée en fonction engagerait la personne qui prononce le serment à s'acquitter au mieux de ses connaissances des fonctions qu'elle prend en charge.

Je pense que nous pourrions, dans une certaine mesure, tenir compte de l'argument que soulevait le sénateur Andreychuk. À mon avis, il est valable. On ne peut confondre le concept en ayant deux serments côte à côte, et sembler mettre l'accent sur l'un d'eux. Je ne dirais pas que c'est aux dépens de l'autre, mais cela semble mettre le premier de côté à cause d'un mythe, d'une interprétation ou d'un manque de connaissance de l'histoire qui veut que « c'est du passé. Maintenant, nous sommes le Canada et nous n'avons rien à voir avec la Couronne ».

Je suis tout à fait d'accord avec cela. D'un autre côté, selon moi, il y a moyen d'avoir un serment d'entrée en fonction avec le serment d'allégeance, qui pourrait être ajouté sous une forme appropriée.

Père Monet : Oui, je suis d'accord, absolument. Lorsque j'ai dit que je suis aussi d'accord avec le fait que si l'autre serment n'était qu'à l'égard du Canada ou de l'intégrité du Canada, cela pourrait donner l'impression qu'il y a deux réalités, alors qu'en fait, il n'y a pas deux réalités dans notre système. Certainement, les serments d'entrée en fonction sont fréquents, et les membres du Conseil privé en font un. Les maires des villes en font un. Il n'y a pas d'incompatibilité comme ça.

Ce serment d'entrée en fonction, ou quel que soit le nom qu'on lui donne, que les sénateurs ferait, porterait certainement sur le Canada, mais il pourrait aussi rappeler à tous les Canadiens ce à quoi sert le Sénat, comment le Sénat a été constitué et les responsabilités des sénateurs de représenter les régions, les minorités et les débats historiques entourant la Confédération pour créer un Sénat. Encore une fois, le professeur en moi dira que la Conférence de Québec qui a créé ce qui est devenu la Loi sur l'Amérique du Nord britannique a duré quatre jours. Presque trois de ces quatre jours ont été consacrés à des discussions sur le Sénat. Le reste, le gouvernement fédéral, la Confédération, l'achat des territoires de la baie d'Hudson, tous ces autres énormes sujets ont été passés rapidement. La discussion sur le Sénat a été ce qui a ouvert la voie à la Conférence de Québec : s'il allait représenter les provinces ou les régions, s'il serait élu ou désigné, et cetera, et cetera.

Enfin, le Sénat est un organe unique. Aucun autre pays n'en a un comme celui-là. Il y a la Chambre des lords et un Sénat en Australie, mais le Sénat du Canada est le fruit d'une longue réflexion des Pères de la Confédération. Une allusion à ces arguments qui ont été soulevés en créant le genre de Sénat que nous avons, et les responsabilités des sénateurs, et tout le reste, ferait un merveilleux serment. Ce serait instructif pour la plupart des Canadiens, sur l'importance du rôle de sénateur, et sur ses fonctions. Ce serait, ainsi, un serment de fonction. À mon avis ce serait une solution très valable. Il y en a d'autres, j'en suis sûr.

Le sénateur Andreychuk : Pour continuer sur ce que disait le sénateur Joyal, lorsque vous avez proposé la question, avez-vous tenu compte du fait que nous sommes appelés par mandat, mais que nous ne pouvons prendre notre siège au Sénat qu'après avoir prêté serment? C'est ce que j'ai toujours considéré comme mes devoirs, les fonctions. En fait, j'aime que ce processus soit différent de celui des membres du Conseil privé et de l'organe exécutif. Comptez-vous changer ce type d'éducation? Quand je vais dans les écoles secondaires, j'explique aux étudiants que tant que je n'ai pas prononcé le serment, je n'ai pas le droit de prendre place au Sénat et de traiter des affaires du Sénat. En teniez-vous compte quand vous avez suggéré un deuxième serment relativement à nos fonctions?

Le sénateur Joyal : Non, la lettre de la Constitution est claire, et j'en ai cité le commandement à maintes reprises. Nous avons l'obligation constitutionnelle d'être présents une fois que nous avons prononcé le serment. La Constitution renferme une disposition, à l'article 36, selon laquelle si on n'est pas là, on est disqualifié. Je citerai l'article 31 de la Constitution comme motif premier de disqualification :

Le siège d'un sénateur deviendra vacant dans l'un ou l'autre des cas suivants :

1. S'il manque d'assister aux séances du Sénat durant deux sessions consécutives du Parlement;

L'obligation du commandement est que le sénateur soit présent. C'est la nature de notre obligation et nous ne pouvons assumer la responsabilité législative à moins d'avoir prêté serment d'allégeance. Ce serment est le lien constitutionnel de l'obligation d'un sénateur tel que confirmé par le premier motif de disqualification d'un sénateur. Si nous avions un serment d'entrée en fonction, ce serait un serment d'engagement à exploiter tout notre savoir et notre expertise pour exprimer les points de vues et le consentement qu'on nous demande de donner. Notre obligation est d'exprimer l'avis et le consentement, comme le dit la Constitution. Les lois ne peuvent être promulguées sans l'avis et le consentement du Sénat.

Mon obligation est double : tout laisser derrière moi pour être présent, sinon je pourrais être disqualifié; et donner mon avis et mon consentement relativement aux lois proposées. C'est en gros le devoir constitutionnel. Le reste est accessoire, mais pas essentiel à la définition du rôle du Sénat. En exprimant mon consentement et mon avis, je m'engage à user au mieux de mes connaissances et de mes compétences. Je pourrais envisager qu'un tel engagement puisse se prendre après, mais pas avant. Une séquence à l'ordre constitutionnel doit être respectée, parce que comme vous le savez mieux que moi, la Constitution est une structure rationnelle. Il n'y a aucune contradiction dans la Constitution. Tous les éléments sont le complément de la structure architecturale de l'exercice du pouvoir dont est investi l'État, que ce soit le pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire. Je ne vois pas en quoi un serment d'entrée en fonction irait à l'encontre du devoir des sénateurs de s'acquitter de leurs fonctions au mieux de leurs compétences, de leurs connaissances et de leur expertise. Cela engage les sénateurs encore plus à l'exercice de leur responsabilité. C'est ainsi que je vois les choses, bien que je puisse me tromper. C'est ma définition d'un serment d'entrée en fonction relativement au devoir constitutionnel d'avis et de consentement. Le Conseil privé donne son avis et son consentement à l'exécutif du gouvernement, tandis qu'un législateur donne son avis et son consentement à la Chambre. La Chambre, dans son ensemble, exprime des points de vues à la Couronne pour que la Couronne puisse promulguer les lois. C'est une approche par étapes.

J'ai une autre question au sujet de vos observations préliminaires. Vous avez dit que l'allégeance est une obligation réciproque, ce qui est difficile à comprendre dans le monde d'aujourd'hui. Pourriez-vous être plus précis au sujet du concept d'obligation réciproque de la Couronne comparativement aux citoyens — on ne parle plus des « sujets » comme un concept dans notre loi constitutionnelle — et la réalité du rôle de la Couronne aujourd'hui, au plan de l'obligation.

Père Monet : Oui, l'obligation d'allégeance de la part des citoyens est d'être fidèle au lord ou au monarque. Cependant, le monarque a des devoirs à l'égard du peuple. Traditionnellement, les principaux devoirs étaient de défendre l'intégrité du pays; de veiller à la prospérité du peuple, celui qui avait juré allégeance; de le défendre; et d'assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement du pays, tels qu'institué dans la Loi sur l'Amérique du Nord britannique. Au plan historique, des guerres ont eu lieu parce qu'un pays déclarait que des peuples étaient pris en otages par un autre pays ou y étaient annexés, alors ils se battaient pour revenir à leur véritable patrie. Un monarque a des devoirs bien définis, et c'est ce que j'entendais par « relation réciproque ».

À l'occasion, tout au long de l'histoire de la Grande-Bretagne, pendant la révolution de 1688, on s'est demandés si le roi James II s'acquittait de ses obligations à l'égard de son peuple. Ceux qui le jugeaient négligent voulaient qu'il fasse place aux suivants, Marie et Guillaume d'Orange, sur le trône. Pendant les deux premières années de la Révolution française, lorsque le peuple s'efforçait de rajuster la monarchie sans l'abolir, certains ont affirmé que le roi Louis XVI ne s'était pas acquitté de ses devoirs envers son peuple et qu'il devrait y avoir des changements. Ce concept de responsabilité mutuelle, à l'égard l'un de l'autre, existe dans toute la notion d'allégeance.

Le sénateur Joyal : Monsieur le président, puis-je poser une autre question?

Le président : Oui, allez-y.

Le sénateur Joyal : La Loi sur les titres royaux a été adoptée en 1953, et le souverain y est décrit comme étant :

Sa Très Gracieuse Majesté Elizabeth II, par la grâce de Dieu reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth et défenseur de la foi.

[Français]

En français, on dit : « Elizabeth II, par la grâce de Dieu, reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi. »

[Traduction]

Pourriez-vous expliquer pourquoi en 1953, le concept de la monarchie était défini en termes de titres et de domaine? Pourquoi à cette époque retenait-on ces éléments? Dans la Constitution, le serment d'allégeance n'est qu'à Elizabeth II. Quel lien faites-vous entre le serment et les titres du monarque dans la loi, la Loi sur la désignation et les titres royaux de 1953?

Père Monet : Vous me demandez un avis. Si je devais vous donner des preuves, je suis bien prêt à faire des recherches et à vous communiquer mes conclusions.

D'après moi, la Loi sur la désignation et les titres royaux définit le rôle de la reine au Canada. C'est le titre canadien de la reine, et elle est la reine du Canada. Le Canada aurait alors été mentionné dans le serment d'allégeance, si le texte du serment d'allégeance avait été modifié à l'époque, pour dire « Je jure allégeance à Elizabeth II, reine du Canada », en énumérant même les titres, et alors il aurait été clair que c'est la reine du Canada et non la reine de Grande- Bretagne.

À mon avis — il faudrait que je vérifie s'il y a des documents pour le prouver — ils ont négligé de le faire. Le texte était dans la Loi sur l'Amérique du Nord britannique. Personne n'a pensé à l'ajuster au nouveau règne, à part en mettant le nom de la reine au lieu de celui de la reine Victoria, qui était dans l'original. S'ils l'avaient fait, cela nous aurait épargné un débat maintenant, ou même avant. Cependant, ce n'y est pas, et ils ne l'ont pas fait. En un sens, nous sommes pris avec ce qu'il y a là. Cela ne changera pas, parce qu'on ne fera pas de modification constitutionnelle pour cela.

Nous en sommes là. C'est pourquoi je pense que vous avez ce comité pour voir si ont peut faire ressortir la réalité canadienne de la Couronne, en dépit du fait que la terminologie de la Constitution remonte aux années 1860. Je le regrette, mais c'est ainsi.

À mon avis, il aurait mieux valu ajuster le texte à l'époque. La Loi sur la citoyenneté et les autres serments d'allégeance, pas ceux qui sont prescrits dans la Constitution, désignent la reine du Canada. Elles parlent aussi des héritiers et successeurs, une dimension qui me semble importante pour la continuité, que le symbole de la Couronne exprime l'histoire et l'avenir parce que c'est une famille qui est là. Puisqu'on parle des devoirs du souverain, l'un d'eux est d'avoir des héritiers, précisément pour assurer la continuité de l'État.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, sénateur Joyal, mais je pense que le serment serait plus clair si les titres de 1953 y étaient plutôt que l'ancien.

Le sénateur Joyal : Pouvons-nous supposer que la Loi sur la désignation et les titres royaux est un complément de la définition constitutionnelle de la Couronne telle qu'elle figure dans le serment d'allégeance et les autres parties de la Loi constitutionnelle?

Père Monet : Je le pense. Je n'ai pas devant moi le texte de l'intervention de M. St. Laurent à la Chambre, et je ne l'ai pas lu dernièrement. J'ai lu d'autres parties, mais pas celle-là. Quand il a présenté le projet de loi, si ma mémoire est bonne, il a fait allusion au fait qu'au début de ce nouveau règne — et il y avait eu une Conférence du Commonwealth, aussi, au sujet du titre, « Chef du Commonwealth », qui était le nouveau titre ajouté, avec Canada — qu'il était nécessaire de mettre à jour les titres de monarque du souverain, et c'était une mise à jour de ce qu'il y avait là avant.

Quand le Roi George VI a hérité du trône, il a été proclamé roi au Canada, mais ils ont conservé la même nomenclature qu'avec George V, et Edward VIII entre-temps. Ils n'ont pas fait de changement à la Loi sur la désignation et les titres royaux depuis Edward VII.

En 1953, c'était une mise à jour. On interpréterait, si c'est votre question, le serment d'allégeance que renferme la Loi constitutionnelle à la lumière de la Loi sur la désignation et les titres royaux.

Le sénateur Andreychuk : Il me semble me rappeler qu'il y avait question de dates relativement à la résidence du Gouverneur général et au protocole, et cetera, et que vous employez tous ses titres pour correctement l'identifier.

Père Monet : La personne, oui.

Le sénateur Andreychuk : C'est pourquoi nous avons tous ces autres noms. Il n'avait pas été question d'employer tous ces noms au Canada. C'est ainsi qu'on identifiait la personne, et c'est pourquoi je pense que cela a été mis dans la loi de 1953. C'est ainsi qu'on me l'a expliqué, au Bureau du protocole. C'est ainsi qu'on la désigne, et par conséquent, on a tout simplement laissé tomber la partie utilisée au Canada. Elle a un titre qui va au-delà de ce qui est canadien, mais il identifie ses responsabilités canadiennes et son titre canadien. C'est ce qu'on m'a dit.

Le président : Nous avons réglé cela. Avez-vous terminé, sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Nous avons demandé à d'autres témoins, s'il devait y avoir un nouveau monarque et à ce moment là, si les députés ou les sénateurs devraient prêter un nouveau serment d'allégeance. Que répondez-vous à cela?

Père Monet : Je connais la décision, et il est reconnu par les tribunaux que les titulaires de fonctions n'ont pas à prêter un nouveau serment d'entrée en fonction comme cela se faisait au XIXe siècle. Je pense que cette décision illustre ce dont nous avons parlé, soit que c'est aux titres de 1953 que nous jurons allégeance dans le texte de la Constitution parce que c'est aussi aux héritiers et successeurs et, par conséquent, nous n'avons pas à prêter à nouveau serment.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, nous pouvons continuer avec le même serment que nous avons prêté au moment de notre entrée en fonction au Sénat?

Père Monet : Vous faites implicitement un serment aux héritiers de la reine et à ses successeurs.

Le sénateur Joyal : À l'intégrité du régime, implicitement.

Le président : Nous avons terminé le débat dans les temps prévus. Cela a été utile. Je pense qu'il a été utile de nous concentrer sur l'allégeance — le sénateur Joyal s'est aussi concentré là-dessus. Pour ma part, je suis de ceux qui sont satisfaits du régime monarchique actuel mais qui, en même temps sont disposés à l'adapter pour que plus de Canadiens puissent se reconnaître dans le serment sans mettre d'eau dans leur vin, pour ainsi dire, c'est ce à quoi je suis ouvert.

Nous ne voulons jamais mettre d'eau dans le vin, mais nous aimons bien adapter.

Le sénateur Joyal : Nous voulons mettre du vin dans l'eau.

Le président : Nous nous retrouverons mardi prochain et le professeur Smith a confirmé qu'il viendra. Cette séance prendra probablement le temps prévu. Il se peut même que nous entrions dans le sujet.

Une petite question à régler. Pouvons-nous confirmer maintenant que nous pouvons avoir une réunion du sous- comité mercredi, au sujet de l'emploi des langues autochtones et de l'interprétation avec un préavis approprié?

Nous avons parlé à tous ces sénateurs qui pourraient souhaiter à l'occasion en tirer parti. Je pense que nous pouvons prévoir cela pour mercredi.

Nous pourrions inviter les membres qui ont déclaré pouvoir, à l'occasion, souhaiter employer une langue autochtone canadienne à la Chambre.

Je ne sais pas si vous êtes au courant, professeur, mais nous pouvons vous expliquer cela si vous êtes intrigué.

La séance est levée.


Haut de page