Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 18, Témoignages du 6 juin 2005 - Séance du matin
VANCOUVER, le lundi 6 juin 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour examiner la santé mentale et la maladie mentale.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous allons poursuivre notre étude des questions liées à la santé mentale, à la maladie mentale et à la toxicomanie.
Aujourd'hui, nous entendrons sur le sujet Francesca Allan, Rob Wipond et Ruth Johnson. Chers collègues, vous avez sous les yeux les exposés de chacun de nos trois témoins.
En règle générale, nous demandons aux témoins de lire leur exposé, après quoi nous passons à une période de discussions et de questions.
M. Rob Wipond, écrivain, à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis chercheur et auteur dans le domaine social depuis 20 ans. Je suis spécialisé dans la santé mentale.
La piètre qualité des soins offerts en santé mentale pourrait être nettement améliorée. Vos rapports font ressortir les préjugés du Comité, ce qui me porte à croire que vous contribuerez à empirer les choses et non le contraire.
Le Comité a tout à fait raison de souligner l'importance du soutien communautaire, mais il m'inquiète quand il préconise la prestation de traitements et de soins obligatoires en psychiatrie. Vos rapports errent trop souvent sur le plan factuel, ou ils omettent des données essentielles — c'est le cas des trois rapports, sans aucun doute.
Quand vous abordez la question des traitements obligatoires dans votre premier rapport, vous affirmez que toutes les lois doivent être conformes à la Charte canadienne des droits et libertés. Or, tous les avocats versés dans le domaine sont d'avis que les lois en matière de santé mentale violent la Charte. Actuellement, divers groupes juridiques contestent la Mental Health Act de la Colombie-Britannique.
Plus récemment, en Ontario, une affaire s'est rendue jusqu'à la Cour suprême, et le patient a obtenu gain de cause. Pourquoi passe-t-on sous silence des faits aussi importants? Et encore plus grave, le rapport s'en prend aux provinces qui permettent aux gens de refuser des traitements.
Si les traitements psychiatriques étaient efficaces et parvenaient à soulager la souffrance, notre système de santé ne serait pas dans la situation de crise qu'on lui connaît actuellement. Les gens adoreraient leurs médecins. Nous en sommes venus à imposer les traitements psychiatriques parce que les patients, trop souvent, ne se sentent pas mieux, ou parce qu'ils en viennent à détester les médicaments et leurs terribles effets secondaires.
Encore plus préjudiciable, le paragraphe suivant ne voit aucun problème à ce qu'un ressort interdise de refuser un traitement, malgré la gravité des problèmes et leur caractère épidémique. Il suffit d'un seul traitement imposé qui ne donne aucun résultat pour perdre la confiance d'une patiente, pour ancrer à jamais ses craintes, amplifiées. C'est une question cruciale pour la grande majorité des patients et des anciens patients que j'ai interrogés. Beaucoup ont été terrifiés par le système de santé. Pourquoi jouer à l'autruche? Pourquoi ne cherchons-nous pas des solutions à ce problème?
Le rapport poursuit avec cette citation :
Les traitements obligatoires, en règle générale, redonnent sa liberté de penser au patient délivré de sa maladie qui contrôle son esprit.
C'est une façon de penser digne d'Orwell, très tordue. Toute la section fait totalement abstraction des enjeux réels et extrêmement litigieux qui entourent les relations de pouvoir dans notre système de santé mentale.
En Colombie-Britannique, les patients sont à toutes fins utiles privés de droits. Je ne pense pas qu'ils associeraient hospitalisation et médication à liberté. Les psychiatres, très jaloux de leurs pouvoirs, ont eu une influence très manifeste sur votre rapport. Il est déplorable que vous les ayez laissés vous empêcher de traiter de questions d'une urgente actualité dans votre troisième rapport.
Si on ne fait rien pour remédier au déséquilibre des forces, une situation extrêmement dangereuse, le poison sera mortel pour notre système.
Les traitements psychiatriques obligatoires ont été autorisés parce qu'on a tenu pour acquis que la science avait le pouvoir d'identifier les maladies mentales et de les traiter de façon appropriée. Malheureusement, l'hypothèse de départ est totalement erronée. Il n'existe aucune norme juridique ou scientifique établie pour mener un examen psychiatrique permettant de diagnostiquer une maladie mentale.
Nous entendons à tous vents la théorie des déséquilibres biochimiques. Nous sommes dorénavant convaincus que les psychiatres étudient la chimie du cerveau des patients dans les hôpitaux. C'est un fantasme. Voici la conclusion à cet égard du directeur du service de santé publique des États-Unis :
Il n'existe pas de lésion irréversible, de test de laboratoire ou d'anomalie des tissus cérébraux qui peuvent mener à un diagnostic sûr de maladie mentale.
Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux « normaux » concède que les causes des maladies mentales demeurent inconnues. Les psychiatres font l'examen à leur gré. Le plus souvent, ils parlent avec le patient et observent son comportement. C'est tout. Ce qui ressemble le plus à un examen normalisé, et que l'on utilise à l'occasion, ce sont les tests psychologiques généraux. Ces tests de dépistage des symptômes de dépression comportent des questions du type :
Quel énoncé décrit le mieux comment vous vous sentez : je ne me sens pas triste; je me sens triste la plupart du temps; je suis tellement triste que c'est insupportable.
Si je vous posais la question suivante, là, sur-le-champ : « Comment vous sentez-vous? Fébrile ou vraiment fébrile? », comment pourrions qualifier l'échange? Toutes sortes d'épithètes pourraient s'appliquer, mais certainement pas l'épithète « scientifique. » Pourtant, c'est ce type d'échanges et d'observations outrancièrement subjectifs et sujets à l'erreur qui constituent le fondement de tous les diagnostics de maladie mentale posés au Canada et qui sont à l'origine des traitements imposés.
L'oubli de ces faits dans votre rapport a toutes sortes d'incidences. En effet, si un diagnostic de maladie mentale n'est pas fondé sur des critères scientifiques, sur quoi donc est-il fondé?
Je vais vous entraîner dans une observation dynamique. Vous dites dans le rapport :
Les avantages d'une intervention précoce se constatent dans le cas de nombreuses maladies et pour tous les groupes d'âge.
Malheureusement, aucune preuve scientifique ne soutient des prétentions aussi prometteuses. Dans l'article « Early Intervention for Psychosis » (Cochrane Review), qui a fait date, il est affirmé qu'on n'a pas fait suffisamment d'essais pour tirer des conclusions finales. Les rares essais menés n'ont révélé aucune différence entre les groupes ayant subi des interventions et les groupes témoins.
L'hypothèse des avantages de l'intervention précoce est très controversée. Comment peut-on être si catégoriques alors que nous ne disposons d'aucune méthode sûre pour examiner les personnes souffrant de maladie mentale? Selon une étude de l'ACSM sur l'intervention précoce, près de la moitié des participants avaient reçu un diagnostic erroné.
Nul besoin d'être fort en calcul pour conclure que si les psychiatres posent un diagnostic erroné dans la moitié des cas, il est fort à parier que les « correctifs » proposés sont tout aussi erronés dans la moitié des cas. C'est pourquoi cette étude présume que le taux d'erreur est de 75 p. 100 dans les décisions d'intervention précoce — on pourrait lancer les dés et obtenir le même taux de précision.
Qui a inspiré ces assertions outrancièrement exagérées dans votre rapport?
Il faut bien voir à quel point elles sont dangereuses. Prenons le cas de deux garçons : l'un est distrait et léthargique, l'autre est concentré et énergique. J'affirme que le garçon distrait et léthargique souffre d'un déséquilibre biochimique au cerveau, et qu'il faut le forcer à boire douze tasses de café, à avaler des stimulants et à fumer du crack tous les jours pour égaler le niveau de réussite de l'autre garçon. Vous poufferiez de rire, n'est-ce pas? Au pire, vous insisteriez pour que je vous explique comment nous arrivons à la conclusion que la léthargie ou la fébrilité est une maladie. « Ces garçons sont évalués sur la base d'une norme sociale arbitraire », me diriez-vous. Qui plus est, comment peut-on affirmer que la transformation d'un enfant en un toxicomane constitue un traitement judicieux des problèmes psychologiques, quels qu'ils soient? « Soyons sérieux! me diriez-vous. L'abus de drogues entraîne des risques à long terme, il ne faut pas l'oublier. »
Le Ritalin est une amphétamine dommageable et toxicomanogène, tout comme la cocaïne et les stimulants. C'est d'ailleurs pourquoi il est maintenant vendu dans la rue. Il y a quatre mois de cela, Santé Canada a interdit la vente du Adderall, une substance amphétamine prescrite pour les déficiences de l'attention qui a causé la mort d'un enfant de quatorze ans.
Nombre d'études ont montré que l'exposition aux psychiatres mène à un plus grand nombre de diagnostics de maladies psychiatriques. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le MDS, classe les carences affectives et la dépendance à l'informatique parmi les maladies mentales. C'est à cela que vous condamnez les enfants quand vous défendez l'intervention précoce : stigmatisation; toxicomanie; lésions au cerveau et, éventuellement, la mort. La défense de cette position doit être assise sur des preuves scientifiques inattaquables, ce qui est loin d'être le cas.
Vos rapports appuient sans limite l'accès accru aux traitements psychiatriques, sans approfondir l'examen des traitements les plus courants. Une telle approche fait ressortir les causes profondes de l'état de crise de notre système de santé mentale. Les psychiatres préfèrent s'en remettre aux descriptions telles que « antipsychotiques » et « régulateurs de l'humeur ». Plus simplement, les médicaments les plus courants sont des calmants, des sédatifs à fort potentiel d'accoutumance, des amphétamines et toutes sortes de médicaments dont la pharmacologie clinique nous annonce que « le mode d'action est inconnu ». La plupart peuvent avoir des effets délétères très graves.
Les études sur ces médicaments ont porté sur de petits groupes, pendant de courtes périodes. La plupart abandonnent et connaissent une amélioration substantielle de leur état. Le pire est que la plupart des études sont financées par des fabricants de médicaments intéressés. Les principaux bulletins médicaux ont tenté pendant de nombreuses années de faire adopter de nouveaux règlements qui garantiraient l'intégrité et la fiabilité de ces études.
L'électroconvulsothérapie est un autre traitement de choix — les patients reçoivent des électrochocs au cerveau. Dans les premiers rapports documentaires, les psychiatres reconnaissaient que cette thérapie causant des lésions au cerveau faisait oublier leurs problèmes aux patients. De nos jours, les psychiatres avouent ne pas connaître l'effet thérapeutique de la TEC, mais que ses effets secondaires comptent les pertes de mémoire.
En recommandant les traitements obligatoires et des interventions plus précoces des psychiatres, vous condamnez les intéressés à la dépendance aux sédatifs et aux amphétamines, aux électrochocs au cerveau et à des expériences mal comprises sur la chimie du cerveau.
Le Comité sénatorial, à l'instar de l'ensemble de la population en général, est sous l'emprise d'une image déformée de l'efficacité et de la sécurité des traitements psychiatriques. Nous avons investi les psychiatres d'un pouvoir suprême. Notre foi repose sur la pensée magique, elle est tissée de conflits d'intérêts et de la plus grande importance accordée à la maîtrise du comportement au détriment d'une véritable guérison.
Supposons que le gouvernement de la Colombie-Britannique ait récemment décidé de faire fi des effets environnementaux et qu'il ait autorisé un accroissement des élevages piscicoles. Supposons, de façon tout à fait hypothétique, que tous les politiciens de la province travaillent pour l'industrie piscicole et acceptent des cadeaux personnels des entreprises du secteur. Auriez-vous le réflexe de dire : « Ce n'est pas important, nous pouvons faire confiance aux politiciens pour prendre une décision fondée scientifiquement concernant l'expansion de l'industrie piscicole. »? C'est pourtant ce que nous faisons en donnant plein pouvoir aux psychiatres et à l'industrie pharmaceutique.
Des études indépendantes de l'Organisation mondiale de la Santé ont tour à tour démontré que le traitement des personnes ayant reçu un diagnostic de maladie mentale est de loin plus efficace en Inde, au Nigeria et dans d'autres pays très pauvres qu'ils ne le sont dans des pays mieux nantis où le traitement de première ligne est la médication. Voici ce qu'en conclut l'une de ces études :
Le fait de vivre dans un pays développé était assorti d'un risque très élevé de guérison incomplète d'une maladie mentale.
Votre rapport escamote cette réalité et il dénote d'autres préjugés culturels. Il déplore que « les collectivités autochtones connaissent des taux de maladies mentales [...] nettement plus élevés ».
La personne ressource pour les Autochtones de l'hôpital psychiatrique de Victoria a donné une toute autre interprétation de la réalité lorsque je l'ai interrogée :
Peut-être les Autochtones ont-ils des perspectives culturelles qui les rendent plus susceptibles de recevoir un diagnostic de maladie mentale?
La question ne paraît nulle part dans votre rapport. Pourtant, d'innombrables travaux de recherche ont conclu que les différences au chapitre de la culture, du mode de vie et de la spiritualité représentent des facteurs fondamentaux dans les diagnostics posés et les traitements imposés. Si vous vous mettez à voir des dieux et des démons, et si vous croyez que vous êtes sur le point de connaître un éveil mystique, il serait fort surprenant qu'un psychiatre vous accompagne dans votre exploration. Il vous qualifiera de sujet « délirant », sans doute de « schizophrène », et il vous tranquillisera.
Votre rapport déplore que le Canada compte seulement quatre psychiatres autochtones, mais il ne s'inquiète pas du manque de guérisseurs autochtones traditionnels dans nos hôpitaux psychiatriques. C'était l'une des principales préoccupations de la personne ressource pour les Autochtones que nous avons rencontrée, et ce problème a d'autres ramifications. Où sont les psychologues jungiens, les psychothérapeutes transpersonnels, les maîtres de yoga hindous et les professeurs de méditation bouddhistes?
Si vous levez les yeux au ciel en entendant ces propos, ou si vous êtes tentés de le faire, comme l'on fait beaucoup de psychiatres que j'ai interrogés, alors vous reprenez à votre compte les préjugés fortement ancrés qui empoisonnent notre système de santé mentale.
C'est un exemple très net de fossé des croyances, sur lequel votre rapport est plutôt discret mais qui pourtant est l'une des principales causes de la crise dans notre système de santé mentale pour de nombreux patients.
Votre rapport souligne le « manque criant de mécanismes de reddition de comptes ». Les médecins s'autosurveillent. Je crois qu'un seul hôpital psychiatrique moderne a fait l'objet d'une enquête indépendante au Canada. L'enquête a révélé des violations « systémiques » des droits des patients, mais peu de recommandations ont été mises en oeuvre.
Comment ceux qui tiennent les rênes dans notre système de santé mentale pourraient-ils nous prouver que leurs actes sont vraiment utiles à notre société?
Où sont leurs preuves statistiques à grande échelle que la santé mentale s'améliore au Canada? Où sont ces preuves?
Ils n'en ont pas parce que tout indique que nous allons vers une détérioration. Et plus les choses se corsent, plus les psychiatres exigent des lois plus musclées en matière de santé mentale, qui imposerait des interventions plus précoces, leur donneraient plus de pouvoirs pour s'immiscer dans la population, des ordonnances de traitement en milieu communautaire, et que sais-je encore. Ils traitent les enfants à coups d'antidépresseurs. Un enfant sur cinq est médicamenté. C'est énorme! Les électrochocs deviennent monnaie courante. On procède à des lobotomies, ici, à Vancouver.
Où le train s'arrêtera-t-il et quand nous résoudrons-nous à élaborer un modèle de soins de santé mentale qui n'est pas fondé sur la médication et les traitements obligatoires?
Le président : Merci beaucoup.
Mme Francesca Allan, à titre individuel : Honorables sénateurs, je suis une patiente et une ancienne patiente. J'ai passé environ quatre ans, pas toujours à l'hôpital, parfois sous tutelle — pendant toutes ces années, je devais subir des traitements, mais je pouvais résider à l'extérieur de l'hôpital.
Je sais donc de quoi je parle quand je décris les séquelles de l'étiquette de psychiatrisée qui me colle à la peau. Je vais donc me débarrasser tout de suite du poids que je porte sur le coeur : je ne crois pas à la psychiatrie. Je ne crois pas à ses solutions.
Je ne vois même pas comment on peut amener une personne en pleine détresse émotive et la forcer à faire ce qu'elle ne veut pas faire. Souvent, on force les patients à faire des choses très dangereuses. La psychiatrie n'est pas intéressée à ce que les patients se sentent en pleine possession de leurs moyens. Pour se sentir bien, une personne doit avoir le sentiment d'avoir un certain contrôle sur ce qui lui arrive, ce que la psychiatrie ne fait pas.
J'ai intenté une poursuite contre mon ancien psychiatre, ce qui m'a obligée à demander mon dossier médical et à le lire. L'un des éléments qui ressort le plus clairement de tous ces rapports, probablement rédigés par le personnel infirmier en psychiatrie, sont les « sentiments d'impuissance » que j'exprimais. « Nous lui avons expliqué que l'électroconvulsothérapie augmenterait sa force intérieure, et qu'elle se sentirait mieux. » Dans le dossier, il n'est pas dit que la thérapie était « imposée », mais plutôt qu'elle avait été administrée « sans consentement ». Je ne me souviens plus des mots exacts, mais c'était le sens. Je ne vois vraiment pas comment le fait de me traîner dans une unité de soins intensifs, me débattant et hurlant, pour me faire subir un traitement aussi invasif aurait pu me renforcer. C'est très agressant!
On ne devrait pas imposer de traitements, jamais, à quiconque. Bien entendu, si mon ami est dans un état de crise aiguë, je donnerais probablement mon consentement à ce qu'il soit hospitalisé si je sens qu'il est en danger à l'extérieur. C'est tout à fait autre chose que de dire qu'il devrait être confiné, retiré de sa situation sociale. C'est tout à fait autre chose que de dire à quelqu'un : « Nous allons te trafiquer le cerveau. »
Ce que je reproche le plus à la psychiatrie est d'avoir fait tant d'erreurs affreuses. J'ai toutes sortes d'étiquettes : schizophrénie; trouble schizo-affectif; dépression clinique et trouble de la personnalité limite. Ce ne sont pas seulement des étiquettes : chacune dissimule entre six mois et une année de traitements intensifs. Dans l'hôpital dont Rob a parlé, on ne parlait pas de violence systématique contre les patients, mais de violence réelle contre les patients. Je ne sais pas quel est le pourcentage au juste, mais je crois que plus de la moitié des femmes hospitalisées à Riverview ont subi de la violence sexuelle ou physique. Est-ce que vous le savez?
M. Wipond : Je n'ai pas les statistiques exactes.
Mme Allan : Désolée. La situation est tout simplement horrible. Dans le document que je vous ai remis — je pourrais parler des journées entières de ce qui ne va pas dans le système, mais j'ai simplement fait ressortir les quelques problèmes les plus criants à mes yeux, dont l'un est le critère juridique utilisé pour justifier la délivrance d'un certificat de traitement obligatoire. Les législateurs à l'origine de la Mental Health Act de la Colombie-Britannique avaient le coeur à la bonne place, mais l'application n'a tout simplement pas suivi.
J'étais une patiente volontaire. Quand j'ai demandé à quitter, on a délivré un certificat à mon endroit sur cette base, sans même qu'ils... Une fois, ils ont tenté de procéder par téléphone. Une infirmière a demandé à parler au médecin et lui a dit : « Elle veut quitter, vaudrait mieux émettre un certificat. » Ce n'est pas ce que la Loi sous-entend quand elle parle d'obtenir l'avis d'un deuxième médecin.
Le fait est que la plupart des patients sont volontaires — dans 80 p. 100 des cas, ils reçoivent les traitements de façon volontaire, ce qui pose un immense problème puisqu'ils cessent d'être volontaires quand on les menace de leur faire subir des traitements comme s'ils étaient des patients en placement non volontaire.
On m'a offert le choix d'une électroconvulsothérapie en échange d'une libération précoce pour me forcer à signer le formulaire de consentement. À mes yeux, ce n'est pas un consentement, c'est de la coercition. Beaucoup d'aspects sont « volontaires », mais il arrive souvent que nous donnions notre consentement de façon involontaire. C'est comme si on m'avait mis un fusil sur la tempe pour me faire signer une cession de biens. On ne pourrait pas dire que j'ai donné mon consentement — c'est pourtant ce que font les médecins avec les patients.
Selon la loi, le médecin doit obtenir un consentement éclairé, mais cette disposition n'est pas appliquée. Le psychiatre que je poursuis ne se cachait pas pour dire qu'il ne croyait pas au consentement éclairé. Selon lui, c'était trop dérangeant pour les patients, ce n'était pas bon pour eux. Selon moi, cette décision ne devrait pas appartenir au psychiatre. Les médecins nous administrent des médicaments sans connaître les effets secondaires.
L'autre problème grave vient de ce que les hôpitaux cherchent à simplifier l'administration. C'est plus facile si les patients sont médicamentés, parce qu'ils ne dérangent plus. Ils restent là à plonger leur regard vide dans le mur ou la télé. C'est sans doute mieux pour le personnel. Mais nous ne devrions pas nous demander ce qui est le mieux pour le personnel. Nous devrions nous demander comment ces patients prendront du mieux afin de pouvoir retourner à leur vie normale.
Je ne sais pas... C'est peut-être pour vous un amas de mots lancés en l'air, sans but... À vrai dire, je veux vous faire comprendre qu'il y a des problèmes sérieux, dont l'algorithme TMAP n'est qu'un exemple. M. Bush a demandé que tous les élèves soient évalués dès la deuxième année. On pourrait penser que c'est une mauvaise blague, mais non, il est très sérieux. Pfizer, Eli Lilly et d'autres sociétés feront les tests. Ce ne sont pas des parties désintéressées. C'est tout simplement fou. Certains membres de l'establishment psychiatrique moussent la vente des médicaments psychiatriques.
Les mots me manquent pour vous faire comprendre l'impact profond d'une étiquette psychiatrique sur la vie d'une personne. J'ai perdu mon emploi et j'ai perdu tout moyen d'en trouver un autre parce que j'ai été hospitalisée.
Les malades mentaux réfractaires au traitement, même à l'extérieur d'un hôpital, sont au plus bas de l'échelle. Un truand condamné porte moins de stigmates que nous. J'ai été malade il y a 15 ans environ, puis j'ai pris du mieux et, pendant 12 ans, je n'ai reçu aucun soin. J'étais plus jeune à l'époque. J'avais 20 ans et j'étais si égoïste, si contente de m'être sortie du système. Je me disais : « C'est chacun pour soi. Je suis sortie, c'est terminé. » Puis mes problèmes ont recommencé 15 années après. Rien n'avait changé, et même que certaines choses s'étaient empirées. Je ne pouvais plus me réjouir d'être sortie en pensant que c'était terminé. Je n'ai plus le choix de constater que j'ai très peu de moyens pour changer la façon dont notre société traite ceux qui sont simplement différents.
Beaucoup doit être changé.
Je suis associée à un groupe de libertés civiles de Victoria, la Civil Liberties Association. Il s'agit d'une ramification de la B.C. Civil Liberties. J'ai en quelque sorte piraté leurs réunions pendant quelques mois, pour les forcer à débattre de la question. De ces réunions est sorti le document Statement of Principles re Mental Health Treatment, qui a été déposé auprès de B.C. Civil Liberties, qui devrait produire un exposé de position ou prendre part à l'une des interventions de l'association de Victoria.
Quand je me suis présentée à ce très petit groupe, dont je connaissais déjà certains membres, tout s'est déroulé de façon très informelle. Je leur ai dit : « Je veux que la Mental Health Act soit abolie. » Ils m'ont dit que c'était impossible, et nous avons alors commencé à parler des améliorations possibles. Je m'en remets à leur jugement parce que ce sont tous des gens intelligents, qui militent dans le milieu des libertés civiles depuis une trentaine d'années pour la plupart. Le rapport qu'ils ont préparé vaut le détour. S'il était appliqué à la lettre, conjointement à la Mental Health Act telle qu'elle est libellée, je ne serais pas aussi contente que si elle était abolie, mais je dormirais mieux. Je serais satisfaite.
Le président : Merci.
Mme Ruth Johnson, à titre individuel : J'aimerais aborder la question des logements à accès prioritaire, pas à titre de porte-parole officielle, mais parce que c'est un sujet qui me tient à coeur.
Je suis une consommatrice de services de santé mentale — autrement dit, je suis une patiente, une cliente... J'ai toutes sortes d'étiquettes. Je suis membre de l'équipe de soutien par les pairs de l'ACSM, ce qui m'amène à faire du bénévolat trois jours par semaine dans une unité psychiatrique. Je vous ai glissé un dépliant bleu dans les documents que j'ai remis.
J'ai siégé à un comité des personnes difficiles à loger pendant dix ans, et j'ai participé à la planification de cinq conférences à l'intention des consommateurs. Je suis actuellement représentante des consommateurs au sein du Advisory Council for Mental Health.
J'ai entendu de nombreux témoignages de clients ayant de la difficulté à se loger. L'offre de logements subventionnés abordables est l'un des principaux besoins des personnes souffrant de problèmes de santé mentale une fois qu'elles sont stabilisées. Les pratiques recommandées par la Colombie-Britannique en matière de santé mentale vont dans ce sens, dans l'optique de l'offre de soins individualisés à long terme. C'est selon moi l'une des plus intéressantes directives gouvernementales de prestation de soins aux patients et de responsabilisation.
Les répercussions des stigmates et de la pauvreté sont les plus difficiles à porter. Ici, l'allocation pour le logement se limite à 325 $ par mois. Or, il n'existe à peu près pas d'appartements dans cette brochette de prix, et les colocataires peuvent être sources de stress supplémentaire. Le gouvernement doit augmenter les budgets pour l'allocation au logement.
Les contraintes liées au logement ont une incidence directe sur les admissions et les sorties des unités de psychiatrie. Nous avons besoin de toutes sortes de logements dans le continuum des soins, pour les clients en soins tertiaires, des pensions de familles, des foyers de groupe, des appartements pour vie autonome. Nous avons besoin d'aide du fédéral et du provincial pour financer ces logements.
Pour résumer, je vais vous livrer une observation personnelle : selon mon expérience, les consommateurs et moi- même devenons malades quand, en plus de la maladie mentale, nous devons subir le stress supplémentaire de ne pas pouvoir trouver de logement abordable et convenable.
Pourriez-vous vérifier pourquoi il reste 800 millions de dollars non réclamés sur le milliard et demi de dollars prévus pour l'entente sur le logement abordable à l'intérieur du budget fédéral 2005, tel que promis par le ministre Fontana il y a un mois?
Je vous ai donné un portrait des logements disponibles à Nanaimo et sur l'île de Vancouver. Sur le graphique que je vous ai remis, dans la partie verte, vous trouvez les données sur les places en soins tertiaires, destinées aux clients les plus gravement atteints. L'unité psychiatrique de notre hôpital compte 24 lits, et on prévoit en ajouter 8 autres. Il y aura donc en tout 32 lits dans l'unité psychiatrique.
On trouve 20 autres lits de soins permanents à Nanaimo. Dans la partie en jaune figurent les familles d'accueil ou les pensions de famille, deux lits réservés pour l'intervention précoce auprès des patients en crise psychotique, un lit pour les soins de relève et quatorze lits pour les soins courants. Dans la partie orange, vous trouvez les logements avec service d'aide à l'autonomie offerts à Nanaimo. On compte 38 places en logement abordable à Nanaimo, avec personnel. La Schizophrenia Society de la Colombie-Britannique en compte 18. On trouve quatre autres places à Rosehill et dix dans des coopératives d'habitation. Nous avons neuf logements pour vie semi-autonome pour l'instant, qui sont situés un peu partout sur le territoire. La liste d'attente s'étire maintenant à une trentaine de personnes.
La population de Nanaimo est de 76 600 personnes, et nous avons seulement 216 places. Il existe un refuge pour femmes battues et un autre pour celles qui tentent de se sortir de la rue et de se désintoxiquer. Un autre refuge, la Samaritan House, accueille les sans-abri et l'Armée du Salut construit un nouveau refuge avec 16 appartements pour les personnes souffrant de maladie mentale, et 6 pour les personnes en crise.
L'énoncé de position de la Vancouver Island Health Authority fait état des meilleurs modèles de logements de réadaptation psychosociale pour les services de soins de santé mentale. Nous avons besoin d'un continuum de logements adaptés aux divers niveaux et aux besoins de soutien pendant la phase aigue de la maladie, ainsi que de logements permanents pour accommoder ceux qui sont prêts à vivre de façon autonome.
La réadaptation psychosociale passe nécessairement par une offre de logements pour personnes souffrant de maladie mentale et de services de soutien selon les niveaux requis. Il faut offrir aux clients des logements sûrs et abordables, qui conviennent aux besoins de chacun. La plupart des consommateurs interrogés ont une nette préférence pour les logements à loyer subventionné, assortis de services provisoires de soutien externe. Des documents et des rapports qui illustrent ce besoin ont été directement adressés au sénateur Kirby — trois études détaillées ont été produites. Certains clients peuvent avoir besoin de ce type de logements sur une base permanente, et beaucoup resteront dans un logement subventionné pour une période parfois assez longue.
Voici à quoi ressemble un logement adéquat pour une personne atteinte de maladie mentale : un appartement propre, sans moisissure, sans coquerelle, sans rat, calme, sûr, à proximité des commodités et des services d'aide. Nous devons pouvoir choisir parmi divers quartiers. Nous devons avoir accès à des meubles, à des appareils ménagers et à des articles ménagers. Nous devons également pouvoir maintenir nos conditions de logement, sans égard aux changements de notre santé mentale. Nous avons besoin que l'entretien des édifices soit prévu dans un budget permanent. Nous avons besoin d'argent pour démarrer de nouveaux projets.
Le graphique illustre les résultats d'une étude de cinq ans auprès de clients de toutes conditions. L'étude a permis de déterminer les secteurs qui ont le plus besoin de financement dans notre région, ainsi que le parc de logements disponibles, comme je vous l'ai montré. La liste énonce des buts, des normes et des stratégies axés sur la responsabilité en matière de prestation de services, la participation des consommateurs, les services personnalisés et la guérison.
Personnellement, je suis d'avis qu'on ne se remet jamais complètement d'une maladie mentale — on peut cependant apprendre à vivre avec. Les meilleures pratiques devraient viser la responsabilisation en matière de services, ainsi que des mécanismes d'appel.
L'étude sur la Ville de Nanaimo conclut que la collectivité est au coeur de la survie dans une ville et que l'offre de logements abordables, sûrs et permanents est le fondement de la vie en collectivité. L'étude encourage les paliers supérieurs de gouvernement à renouveler leur engagement à soutenir l'offre de logements sans but lucratif. L'étude a révélé que les listes d'attente pour ces logements ne cessent de s'allonger. La ville de Nanaimo compte son lot de sans- abri qui souffrent de maladie mentale, même s'ils n'ont pas tous été diagnostiqués comme tel.
L'étude insiste sur l'importance de l'offre des logements abordables comme solution au problème de l'itinérance à Nanaimo. Pour établir l'allocation au logement que devrait prévoir le programme d'aide au revenu, les auteurs de l'étude ont tenu compte de la part réelle de marché occupée par les logements locatifs accessibles aux ménages à faible revenu, aux personnes handicapées, aux personnes âgées et aux adultes vivant seuls.
Voici qui conclut mon exposé. Je serai ravie de répondre à vos questions sur ma maladie, mon bien-être et les expériences d'autres consommateurs.
Le président : Merci, Ruth.
Je vais commencer par poser quelques questions aux témoins, puis je donnerai la parole au Sénateur Trenholme Counsell, au sénateur Cordy ainsi qu'au sénateur Cook.
Ruth, vous n'êtes pas sans savoir que le financement des logements est un problème pancanadien, qui remonte à l'année où le fédéral s'est retiré du dossier, en 1994.
Vous êtes la première à nous faire un compte rendu aussi détaillé du problème du logement. Votre mémoire, le « Draft #2 », contient des détails et des descriptions qui font très nettement ressortir à quel point le problème est criant partout au pays.
Francesca, puis-je vous poser une question au sujet de l'énoncé de principes?
Mme Allan : Oui.
Le président : Je compte bien lire les documents en détail mais, pour l'instant, je voudrais que vous me confirmiez qu'il se trouve actuellement entre les mains de la Civil Liberties Association de Victoria?
Mme Allan : Oui — de la B.C. Civil Liberties, un organisme beaucoup plus important.
Le président : Je n'ai jamais eu l'occasion de lire la Mental Health Act de la Colombie-Britannique — chaque province a la sienne et les dispositions varient de l'une à l'autre. Je suis également très au fait de l'affaire dont la Cour suprême a été saisie récemment, mais je ne connais pas le contenu de la loi de la Colombie-Britannique.
Si j'ai bien compris, la Civil Liberties Association tente de faire modifier le libellé ou de faire modifier la Mental Health Act de la Colombie-Britannique. Il est fort probable que d'autres provinces intégreront à leur tour les modifications adoptées. Est-ce bien l'objet des démarches?
Mme Allan : La principale modification demandée a trait à la supervision par des civils et par des pairs, par d'anciens utilisateurs du système. À cet effet, l'association préconise la création d'un bureau de défense des droits des bénéficiaires de soins psychiatriques, à la disposition de tous ceux qui ont des problèmes. Par exemple, le bureau offrira des services d'accompagnement devant un comité de révision en cas de contestation d'un certificat. On ne sait pas encore si l'accompagnateur sera un avocat ou un travailleur social, mais il y aura quelqu'un avec le patient.
Le président : C'est en quelque sorte un ombudsman.
Mme Allan : Le gouvernement a aboli le poste d'ombudsman. Il n'y a plus d'ombudsman ici. Il y a en un? Désolée. Oubliez ce que je viens de dire.
Le président : Il nous reste à comprendre le rôle exact de ce bureau mais, à première vue, l'idée m'apparaît intéressante.
Mme Allan : L'idée est simple : s'assurer que quelqu'un est là pour vérifier que le comité entend bien ce que le patient veut dire.
Le président : D'accord. C'est dans le même ordre d'idées que de s'assurer que les patients peuvent compter sur un gestionnaire de cas ou sur un représentant qui travaillent pour eux, au lieu de leur imposer un gestionnaire de cas qui travaille pour le système.
Mme Allan : C'est tout à fait cela — c'est le nouveau titre qui a été trouvé.
Le président : Ce n'est pas le bon titre, mais le concept est le même.
Monsieur Wipond, nous allons discuter tout à l'heure de certaines de vos affirmations mais, auparavant, j'aimerais revenir sur les intentions que vous prêtez au Comité.
Nos rapports dressent le bilan des problèmes en matière de santé mentale auxquels notre pays est confronté, ainsi que des solutions possibles. Nos positions figureront dans le rapport final, qui contiendra également nos recommandations.
Je prends acte de vos commentaires, mais je tiens à préciser que rien de ce qui est dit dans notre rapport au sujet des problèmes et des solutions ne constitue une prise de position définitive de notre part. Ce n'est pas du tout le cas.
Vous avez évoqué quelques études, dont l'une provenait de la SCHL, si je me souviens bien. Nous aimerions obtenir un exemplaire des rapports, si cela vous est possible.
M. Wipond : Oui. J'ai un exemplaire du sommaire, que je remettrai à la greffière.
Le président : À la fin de la séance, pourriez-vous nous soumettre ce rapport? Nous aimerions le lire.
Je comprends vos craintes au sujet des psychiatres. Je tiens à préciser, en passant, que beaucoup des membres du Comité ont dans leurs familles des personnes qui ont souffert de maladies similaires.
Je vous dis cela parce que je veux que vous sachiez que nous entendons bien ce que vous dites. Beaucoup d'entre nous tiendraient les mêmes propos que vous au sujet des psychiatres. Comprenez-moi bien : je ne dis pas que tous les psychiatres sont mauvais, mais que nous comprenons bien les limites de la profession. Vous nous avons donné un portrait très clair du problème et des solutions possibles.
Est-ce que la Colombie-Britannique ou les autres provinces cherchent à faire les changements nécessaires? J'imagine qu'étant reporter, vous en savez plus sur ces choses?
M. Wipond : Les progrès se font de façon disparate ici et là. Par exemple, sur le plan de la reddition de comptes, je crois qu'un comté de l'Oregon ou de l'État de Washington a adopté une loi exigeant une surveillance plus assidue des patients après leur départ de l'hôpital, afin de voir s'ils sont guéris de leur maladie mentale ou s'ils sont tout simplement galvaudés d'une place à l'autre, selon les traitements administrés.
Il faut trouver une façon de mesurer la réussite ou l'échec des traitements de façon indépendant, et cette législation établit un précédent en ce sens.
Le président : C'est la procédure normale pour les patients traités pour le coeur ou le cancer — c'est un exemple, pour mettre les choses en contexte.
M. Wipond : Si les normes établies pour les affections physiques étaient appliquées, à maints égards — la reddition de comptes, la rigueur scientifique, et cetera. —, la situation serait complètement différente.
Nous assistons à l'émergence d'un mouvement de prise en charge à l'échelon social. À l'occasion, des solutions et des initiatives voient le jour en matière de logement ou dans d'autres domaines particuliers, sous la gouverne de personnes particulièrement charismatiques qui réussissent à entraîner la police et les psychiatres dans leur sillage.
Actuellement, à Victoria, un groupe se penche sur la question de l'intervention d'urgence. Cette étude fait suite au décès de quelques personnes, qui a été attribué aux problèmes liés à l'intervention d'urgence.
Lors d'une réunion à l'hôpital, nous avons visionné un film canadien sur ce problème. On y voyait comment les policiers deviennent des travailleurs de rue.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à vos questions concernant les solutions possibles. L'Europe et l'Inde ont une toute autre approche de la maladie mentale.
Le président : Est-ce que Riverview est fermé?
M. Wipond : Oui, c'est fermé.
Le président : C'était le plus important établissement psychiatrique de la province.
M. Wipond : Exact. Aucune raison particulière n'a mené à cette fermeture, si ce n'est les compressions. Tous les services ont été transférés au General Hospital de Vancouver. Cela n'avait rien à voir avec des problèmes de qualité ou autres — c'était un hôpital tout à fait semblable aux autres établissements du pays.
Le président : Il avait plus de 100 ans.
M. Wipond : Oui, l'établissement avait plus de 100 ans, vous avez raison.
Le président : Existe-t-il des études sur ce qui est advenu des patients de Riverview après leur départ?
Mme Johnson : Oui. La plupart des malades qui sont sortis de Riverview sont retournés dans leur collectivité d'origine, où rien n'avait été prévu pour les accueillir. C'est la raison pour laquelle il y a tant de sans-abri. Le processus de désinstitutionalisation a débuté en 1985 environ.
Il y avait un immense besoin de services d'aide à la vie autonome, afin de leur fournir la structure essentielle pour assurer leur bien-être. Sans ces services, ils se retrouvent dans une porte tournante entre l'hôpital et le monde extérieur et deviennent de plus en plus malades. Irrémédiablement, il faut les hospitaliser de nouveau.
Le président : La même chose s'est produite en Ontario, quand ils ont fermé des lits psychiatriques sans fournir de lieux de remplacement aux patients.
M. Wipond : Une étude de la University of Pennsylvania porte sur les liens entre itinérance et maladie mentale à New York. L'étude, qui s'est étendue sur neuf ans, est très exhaustive. L'une des conclusions est qu'il revient moins cher de fournir des logements avec des services de soutien personnalisés que de laisser les sans-abri dans la rue. Les itinérants sont plus susceptibles d'aboutir aux urgences, en prison, ils ont besoin de beaucoup plus de médicaments. Dans un logement avec services de soutien, leur vie est beaucoup plus stable.
Le président : J'aimerais que vous nous donniez cette référence, qui semble confirmer ce que nous avions nous-même observé : nous avons fait de la rue et de la prison les asiles de notre siècle. C'est là où nous en sommes.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ruth, votre document sur la situation du logement est très fouillée. Elle nous sera fort utile.
J'ai fait de la politique au provincial. Je sais qu'il n'est pas facile d'appliquer les ententes de partage des coûts entre le fédéral et le provincial. Malgré toute la bonne volonté du monde, des deux côtés, les choses bougent lentement.
Mme Johnson : Il est très difficile de démarrer des projets dans la collectivité sans le soutien financier des gouvernements.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est tout à fait juste. J'ajoute que la collectivité doit avoir une idée et un plan de ce qu'elle veut faire.
Pourriez-vous élaborer sur le thème des traitements psychiatriques obligatoires? Votre document, Rob, est assez clair sur la question. Pour ce qui est de vos notes, Francesca, j'y ai relevé une contradiction. À la page 1, vous affirmez que vous êtes intimement convaincue que :
Les traitements imposés, de quelque nature, constituent une grave atteinte aux droits humains.
Puis, dans l'énoncé des principes afférents au système de soins de santé mentale, au paragraphe 2, vous dites au sujet de la détention en cure involontaire comme dernier recours :
Il s'agit d'une pratique légitime si une personne représente un danger pour la société ou pour elle-même.
Selon ce que j'en comprends, la détention, ou le traitement, peu importe, peut être imposé seulement si plus d'un médecin considère que la personne est dangereuse. Dans certains cas, deux médecins doivent signer pour que des traitements soient administrés. Je ne connais pas toutes les règles en place dans chacune des provinces, mais je comprends que la personne doit représenter une menace pour elle-même ou pour autrui.
Mme Allan : Vous avez raison, il semble que ces deux énoncés soient un peu contradictoires, mais je ne suis pas tout à fait sur la même longueur d'ondes que les défenseurs des libertés civiles. Nous en sommes arrivés à une position de compromis. Ils n'étaient pas d'accord pour dénoncer cette pratique comme violant les droits humains.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous ne souscrivez pas à ces principes.
Mme Allan : Non, j'y souscris.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ils ne corroborent pas vos propos de la page 1.
Mme Allan : À mon avis, il faudrait imposer des contraintes très strictes en matière de détention en cure obligatoire, qui devrait être permis uniquement s'il y a menace pour la société ou si une personne n'est pas apte à prendre des décisions pour elle-même.
Votre affirmation concernant la signature de deux médecins illustre un bel idéal, mais ce n'est pas ce qui se passe dans les faits. C'est ce que prescrit la loi. Un psychiatre m'a déjà appelée chez moi pour me dire que je devais suivre ses indications, c'est-à-dire ajouter une pilule à mon cocktail médicamenteux déjà bien garni — je prenais quatre médicaments différents à fortes doses. Il m'a dit que si je refusais de me conformer, il m'enverrait la police, qui me traînerait à l'hôpital menottes aux poignets. C'est exactement ce qu'il m'a dit. Je me portais tout à fait bien à ce moment. Ce n'est pas ce que la loi prévoit. J'espère que je me suis bien fait comprendre : ce serait merveilleux si la Mental Health Act était suivie à la lettre.
Le sénateur Trenholme Counsell : Quelqu'un qui vivait avec vous a certainement appelé pour dire que vous aviez besoin de plus de médicaments.
Mme Allan : C'est impossible puisque je vis seule.
Le sénateur Trenholme Counsell : Croyez-vous vraiment que tout traitement obligatoire, peu importe leur nature, porte atteinte aux droits humains?
Mme Allan : Oui. Je crois même que dans les cas les plus graves d'atteinte aux droits humains, d'autres considérations plus importantes font que la société ferme les yeux.
Le sénateur Trenholme Counsell : Votre énoncé ne parle pas de cas exceptionnels. C'est une affirmation.
M. Wipond : Tout d'abord, le critère de la menace pour soi-même ou pour autrui n'apparaît nulle part dans la Mental Health Act de la Colombie-Britannique, ni dans d'autres lois en vigueur au Canada. Cette notion n'apparaît pas dans ces lois, du moins pas pour l'instant — ou plutôt, la notion y est présente, mais à titre théorique. Le critère véritable pour forcer la détention et la prestation de traitements imposés est le danger potentiel de détérioration mentale ou physique.
Une phrase comme « si la personne représente une menace pour elle-même ou pour autrui » peut figurer dans les textes législatifs, mais c'est le critère beaucoup plus vague, passe-partout, comme disent les avocats, de la détérioration mentale et physique qui est appliqué. Qu'est-ce que cela signifie? N'importe qui peut être victime de détérioration mentale ou physique.
Nous sommes en tête du virage et de plus en plus de gouvernements nous emboîtent le pas. Quand j'ai demandé à l'administrateur d'une clinique psychiatrique de la Colombie-Britannique pourquoi notre loi provinciale sur la santé mentale avait pris cette tangente, il m'a répondu qu'elle était le résultat des pressions des psychiatres et des familles, qui veulent resserrer leur emprise. Elle donne plus de pouvoirs discrétionnaires aux psychiatres, qui ont toute latitude pour faire à leur guise. Cette tangente a été prise dans la foulée de l'enquête sur le meurtre de la femme d'un politicien connu par leur propre fils. Après l'enquête, un mouvement populaire a surgi qui demandait un contrôle plus serré des malades.
Voici un compromis possible : on pourrait autoriser la détention en cure obligatoire quand une personne présente une menace imminente. Il ne faut pas oublier cependant que le problème vient de ce que le mot « menace » n'est défini nulle part. Présentez-vous une menace pour vous-même parce que vous fumez? D'un point de vue technique, c'est évident, et vous pourriez donc être détenu contre votre gré parce que vous fumez, ou pour une autre des nombreuses raisons qui font que vous posez une menace pour vous-même.
Nous devons tenir compte des incidences juridiques de la signification de certains termes que nous employons, même si nous adoptons une disposition fondée sur la notion de menace. L'association B.C. Civil Liberties défend une position de compromis, qui serait d'autoriser la détention mais non le traitement obligatoire. La détention permettrait de garder la personne hors d'état de nuire jusqu'à ce qu'elle reprenne du mieux. Cette avenue nous semble plus appropriée qu'un chèque en blanc pour jouer dans le cerveau et la tête des gens, qui deviennent des cobayes. Même les tueurs en série n'ont pas à subir cet affront. Les plus dangereux individus du pays ne sont même pas visés par une loi qui autorise les psychiatres à leur traficoter le cerveau et à leur imposer une lobotomie chimique, ou quoi que ce soit d'autre. Il faut tout d'abord démontrer qu'ils sont atteints de maladie mentale avant de leur faire subir ces saloperies. Une personne qui souffre de maladie mentale a moins de droits que les tueurs — il est permis de les placer en détention et de les traiter contre leur gré.
Le sénateur Trenholme Counsell : Madame Allen, sur quoi vous fondez-vous pour dire que la théorie du déséquilibre biochimique est oiseuse?
Mme Allan : Je me fonde sur le fait qu'ils ne connaissent pas bien les réactions chimiques, la nature des déséquilibres, et qu'ils ne peuvent pas démontrer à partir d'un cerveau sain ce qu'ils cherchent à faire.
Le sénateur Trenholme Counsell : Et qui sont ces « ils »?
Mme Allan : Par « ils », j'entends les psychiatres et les ouvrages médicaux.
Le sénateur Trenholme Counsell : On a écrit des centaines de milliers d'articles sur la biochimie du cerveau. Sont-ils tous à côté de la plaque?
Mme Allan : Non, je ne dis pas qu'ils sont tous à côté de la plaque. Je sais qu'il existe de bons médecins. Ce que je dis, c'est que je ne crois pas au caractère scientifique de cette médecine.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous ne croyez à aucune théorie biochimique?
Mme Allan : Je crois qu'il est possible de corriger le déséquilibre biochimique chez certaines personnes, mais c'est l'exception. Tant qu'ils n'auront pas les réponses exactes sur ce que sont ces réactions chimiques et sur ce qu'ils tentent de faire, je resterai sceptique devant la théorie.
M. Wipond : L'organisme MindFreedom International et la American Psychiatric Association ont croisé le fer à ce propos. Des membres de MindFreedom ont fait une grève de la faim pour forcer la American Psychiatric Association à prouver qu'un déséquilibre biochimique était toujours à l'origine des maladies mentales. Le débat a pris la forme d'un échange de correspondance, et MindFreedom avait chargé un comité de scientifiques indépendant d'évaluer les réponses de la American Psychiatric Association. L'APA tenait toujours le même et unique discours : « Des centaines de milliers d'études cliniques peuvent le prouver », mais elle a fourni seulement deux extraits d'ouvrages, qui n'avaient pas été évalués par des pairs, va sans dire.
Le sénateur Cook : J'aimerais revenir aux différences entre les diverses lois provinciales en matière de santé mentale. Êtes-vous en train de nous dire que ces lois contreviennent toutes à l'esprit de la Charte canadienne des droits?
Mme Allan : Oui, elles contreviennent à la Charte.
M. Wipond : Cela ne fait aucun doute, et à peu près tous les avocats avec qui j'en ai parlé pensent de même. Les législateurs tentent de donner plus de pouvoirs aux médecins dans le système. Il faut beaucoup d'argent pour amener une cause devant la Cour suprême, et la cause elle-même doit remplir des critères bien précis. Il est extrêmement difficile pour les patients et leurs familles de contester une loi.
Notre loi sur la santé a été modifiée à 3 ou 4 reprises au cours des 20 dernières années, ce qui complique encore plus la préparation du dossier en vue de l'instruction, et qui plus est si le client principal est très instable.
Le sénateur Cook : J'aimerais comprendre où sont les lacunes.
Comment arriverons-nous à formuler une recommandation qui est fidèle à la Charte des droits et libertés, dans un contexte où chaque province ou territoire du pays a déjà sa loi sur la santé mentale qui, à son avis, répond à ses propres besoins? C'est un vaste programme! Comment y arriverons-nous?
M. Wipond : Par exemple, le Mental Health Law Program chapeaute la Community Legal Assistance Society, ou CLAS, qui se spécialise dans ce domaine.
Parmi leurs nombreuses prises de position, l'une a trait au consentement — parce que même si le consentement est exigé, on ne peut pas parler de consentement dans la réalité. Si une personne indique qu'elle refuse un traitement, tout de suite on conclut que c'est la preuve qu'elle a besoin de traitement. C'est l'usage qu'en font les médecins.
Des dispositions législatives visent les soins à domicile dispensés aux personnes âgées. Diverses options sont prévues en cas de démence, et les personnes peuvent signer un mandat à l'avance, quand il est déterminé que leur état le permet. On suggère aux gens d'indiquer à l'avance à leurs proches ce qu'ils veulent faire avec leur argent, leurs biens, et cetera., dans un document juridique qui a force exécutoire. C'est une option.
Une autre option consiste à désigner un tuteur légal. Cette une autre piste intéressante. C'est le genre de mesures qui régleraient tous les problèmes évoqués par Francesca. Elle pourrait indiquer ses volontés de façon anticipée, quand elle se sent bien.
Cette façon de faire permet au patient d'indiquer clairement ses intentions en matière de traitement, de médication, s'il consent à une électroconvulsothérapie, et cetera.
Mme Allan : La Representation Agreement Act de la province prévoit ce genre de planification anticipée dans les pires scénarios. Malheureusement, la Mental Health Act interdit aux patients d'être partie à une entente de représentation. Tous les autres documents législatifs afférents font de même. C'est une loi extrêmement puissante, extrêmement dangereuse, qu'il faut appliquer avec circonspection.
Le sénateur Cook : Si je comprends bien, le problème ne vient pas tant des diverses lois provinciales sur la santé mentale ni des violations des droits humains, mais bien de l'application qu'en font les gens, en qui vous avez perdu toute confiance?
Mme Allan : Je ne saurais dire quelle est la situation dans les autres provinces.
Le sénateur Cook : Alors tenez-vous-en à votre province de résidence.
Mme Allan : Je connais très bien la Mental Health Act de la Colombie-Britannique. À mon avis, elle est fondée sur une bonne intention, et ses dispositions sont tout à fait raisonnables. Comme je l'ai dit tout à l'heure, si la loi était appliquée à la lettre, nous serions très avancés dans la résolution des problèmes.
M. Wipond : Je pense quant à moi que le problème vient précisément des lois, qui sont beaucoup trop vagues. La loi de la Colombie-Britannique donne trop de latitude aux médecins, ce qui donne lieu à une multiplication des poursuites. La loi ne précise pas le champ de compétence des médecins ni les droits des patients. Il faut réviser la loi, en y intégrant une définition de la maladie mentale, les conditions dans lesquelles une personne peut être gardée en détention et si un patient peut désigner un représentant chargé d'administrer ses affaires.
Mme Allan : Même si elle est vague, la loi existe, elle est en vigueur. Le moins qu'on puisse faire est d'exiger qu'elle soit appliquée.
Le sénateur Cordy : Ruth, je m'adresserai à vous en premier. Je tiens tout d'abord à vous remercier pour l'information infiniment précieuse que vous nous avez fournie sur la situation du logement.
Nous avons entendu tant et plus que le logement représentait l'un des principaux besoins et que, au début de la vague de désinstitutionalisation il y a bien des années, on a omis de donner aux collectivités l'argent nécessaire pour qu'elles prévoient des logements appropriés.
Vous avez parlé du stress associé à la recherche d'un logement et du fait que des patients sont condamnés à rester à l'hôpital parce qu'ils ne peuvent trouver un domicile.
Comment les patients font-ils pour chercher un logement quand ils ne reçoivent pas d'aide de leur famille?
Mme Johnson : Notre hôpital offre les services d'un travailleur social. Par ailleurs, une partie des lits de soins tertiaires sont utilisés pour des patients du programme de diminution progressive des soins, qui ont reçu leur congé et qui fréquentent un établissement de soins permanents. Notre hôpital offre des services d'aide à cet égard. Je fais moi- même partie de l'équipe de soutien aux pairs. Il y a donc de l'espoir, mais il manque de places et le système est engorgé. Les nouveaux malades ne peuvent intégrer le système à cause du manque de places.
Je rêve d'un système global, qui nous permettrait de choisir la cure qui nous convient, les médicaments qui nous conviennent, l'agencement idéal pour nous, et de choisir parmi les options que nous offrirait le médecin. J'ai donc un point de vue un peu différent sur la question.
Le sénateur Cordy : Étant donné la pénurie de logements, est-ce que vous êtes obligés d'accepter de vivre dans un logement dans une autre collectivité que la vôtre?
Mme Johnson : Oui, de toute évidence. Des personnes qui viennent de petites collectivités n'ont pas le choix de venir vivre à Nanaimo ou à Victoria. Il arrive parfois qu'une personne doive accepter de vivre dans une coopérative d'habitation, avec quatre colocataires. Or, la vie en commun est un facteur de stress supplémentaire, n'importe qui vous le confirmera.
Le sénateur Cordy : C'est évident.
Le président : Encore plus si c'est un conjoint.
Le sénateur Cordy : Parle-t-on d'un séjour à court terme, dans l'attente d'un autre logement... Au fait, y a-t-il des logements offerts dans les régions rurales?
Mme Johnson : Comme je l'ai mentionné, il existe 90 places avec services d'aide à l'autonomie, mais déjà 30 personnes sont sur la liste d'attente. D'autres places ont été ajoutées il y a un an environ, au moment où nous entamions l'élaboration du prochain plan quinquennal. Nous venons de terminer un segment de 5 ans, et nous sommes présentement dans le deuxième segment de 5 ans, et déjà la liste compte 30 personnes en attente d'une place.
Le sénateur Cordy : C'est peu encourageant pour tous ceux qui sont en attente.
J'ai enseigné au primaire pendant 30 ans, et j'ai toujours défendu l'intervention précoce, pour toutes sortes de problèmes. Je ne parle pas du Ritalin parce que je n'ai jamais été en faveur. J'ai toujours été choquée de voir des parents qui allaient d'un médecin à l'autre pour en trouver un qui allait prescrire du Ritalin à leur enfant. Pour eux, il était beaucoup plus simple de dire qu'un enfant est hyperactif au lieu d'admettre leurs problèmes en tant que parents. Je ne parle pas de Ritalin quand je préconise une intervention précoce afin d'aider les enfants et leur famille en période de crise.
Pourtant, quand je vous écoute, j'ai l'impression que vous ne trouvez rien de bon à l'intervention précoce, que c'est inutile. Je ne peux pas me rallier à ce point de vue.
M. Wipond : Faites-vous allusion à un type d'intervention précoce dans le cas d'un enfant qui a de mauvaises notes et pour lequel on engage un tuteur qui l'aide?
Le sénateur Cordy : Non. Je pense à des enfants en difficulté. L'enseignant rencontre des milliers d'enfants en 30 ans de carrière. Si un parent demande à le voir parce que son enfant ne socialise pas ou affiche des comportements très agressifs, l'enseignant devrait-il laisser le parent se débrouiller seul?
M. Wipond : L'intervention précoce donne d'excellents résultats en cas de cancer du sein et de pauvreté. Là où je m'insurge, c'est à l'égard des interventions psychologiques sans fondement scientifique réel. Je remets en question le rôle de l'école dans le diagnostic et le traitement de la maladie mentale. C'est le genre d'intervention qui mène à des hypothèses de syndrome X ou Y.
Je peux voir l'aspect positif, et je peux admettre que vous avez pu jouer un important rôle dans cette situation, mais j'ai vu tellement d'enseignants impuissants. J'ai vu des classes entières échapper au contrôle de l'enseignant à cause tout simplement du nombre d'enfants. J'ai vu également des enseignants qui avaient perdu les pédales et qui accusaient des enfants alors que le problème venait de l'enseignant lui-même. Dans certains cas, des enfants handicapés sont intégrés à une classe nombreuse, et c'est le chaos. Ce sont des situations très courantes aux États-Unis.
La U.S. Drug Enforcement Agency a entendu des témoignages de psychiatres qui affirmaient que 20 p. 100 des enfants prenant du Ritalin n'en avaient nullement besoin.
En surface, tout semble parfait mais, si on creuse un peu, il faut se méfier de la psychiatrie, parce que c'est un terrain miné. Une réflexion s'impose, surtout parce qu'il est impossible de poser un diagnostic sûr.
Le sénateur Cordy : Que faut-il faire?
M. Wipond : Il faut aider.
Le sénateur Cordy : Vous aidez, mais à mon avis, c'est une intervention précoce. Nos définitions diffèrent peut-être.
Mme Allan : Ce sont les mots que nous utilisons. Je sais ce que vous voulez dire par « intervention précoce », et je suis d'accord avec vous. Vous venez vous-même de l'utiliser, et ce n'est pas la première fois que je l'entends, mais il reste que cette expression me semble très menaçante. Cela ressemble à de l'étiquetage, et une fois qu'on a une étiquette, on ne peut plus s'en défaire.
M. Wipond : Les psychologues et les psychiatres utilisent ce terme surtout pour définir des troubles émotionnels. Si l'intervention précoce ne signifie pas psychologie et psychiatrie, c'est très bien, mais je crois que vous voulez dire psychologie et psychiatrie, n'est-ce pas?
Le sénateur Cordy : Dites-moi, lorsque des parents demandent ce qu'il faut faire et s'il faut évaluer leur enfant, dois- je dire que l'enfant est trop jeune?
M. Wipond : Dans bien des cas, on obtient les meilleurs résultats lorsque toute la famille est traitée.
Le sénateur Cordy : Je suis d'accord avec vous; lorsqu'un enfant a un problème, ce problème ne survient pas isolément. Nous avons noté que la pauvreté et le logement peuvent être des causes de maladie mentale.
M. Wipond : Nous n'avons pas de preuve concrète, et je crois que nous devons être prudents dans l'évaluation de la situation.
Le sénateur Cordy : Vous le dites comme cela mais j'ai l'impression que vous êtes opposé à toute forme d'intervention précoce.
M. Wipond : Non, pas toutes les formes mais je me méfie de la psychologie et de la psychiatrie. Je suis contre l'intervention précoce en psychiatrie. J'ai vu de bonnes choses en psychologie, alors je suis plus ouvert à cette idée, mais la psychiatrie est je crois beaucoup trop dangereuse, et physiquement dommageable.
Je connais une psychologue qui est très critique à l'égard du système, elle-même trouve que la psychologie est très dangereuse, mais personnellement je recommanderais la psychologie plutôt que la psychiatrie.
Le sénateur Pépin : Alors que faut-il faire?
M. Wipond : Décrivez d'abord une situation, si vous demandez ce qu'il faut faire.
Le sénateur Pépin : Des témoins nous ont déclaré que l'intervention précoce pourrait aider deux tiers des enfants atteints d'une maladie mentale.
Vous dites que vous êtes contre la psychiatrie et la psychologie et il semble que vous êtes contre la médication. Que doit faire le parent?
M. Wipond : J'essaie simplement de vous montrer à quel point la situation est dangereuse. Il y a à Victoria un psychiatre bien connu qui se spécialise dans le traitement nutritionnel des troubles psychologiques. Il s'agit d'une tout autre approche ; elle est très peu invasive en ce sens. Cette approche ne marchera peut-être pas pour tout le monde mais elle marche pour certaines personnes. De toute façon, il faut analyser le régime alimentaire de l'enfant très attentivement et concevoir un programme alimentaire adapté à son corps.
Notre société souffre de troubles nutritionnels très profonds et généralisés, en particulier les jeunes. Le sucre est une des substances les plus controversées qu'ils inhalent — je veux dire qu'ils ingèrent, mais bon, c'est tout comme.
Le président : C'est du chocolat que nous inhalons.
M. Wipond : De nombreuses études ont montré que ce phénomène a une grande incidence sur l'état psychologique de l'enfant, et toute personne qui a gavé son enfant de sucre sait que c'est vrai.
Je ne dirais pas qu'il faut écarter toute idée d'intervention précoce mais plutôt qu'il faut se montrer très prudent car l'intervention précoce ne tient pas compte de la nutrition, des questions sociales, de la pauvreté, des pressions familiales, et cetera.
Mme Allan : Mon traitement a commencé lorsque j'étais adulte alors ce n'est pas exactement la même chose mais ils n'adoptent tout simplement pas une approche très sensée. Ils n'ont pas demandé : Êtes-vous heureuse à la maison? Dormez-vous bien? Avez-vous un régime alimentaire équilibré? Avez-vous assez d'argent pour subvenir à vos besoins de base?
Si le médecin ne pose pas ces questions, il ne peut poser un diagnostic. Vous voyez, on ne tient pas compte de tous les facteurs, et je crois que c'est la même chose dans le cas des enfants. Il faut savoir comment et où les enfants vivent, ce qu'ils mangent et ce qu'ils font de leurs temps libres.
C'est qu'il y a tout un éventail de facteurs à prendre en compte quand on parle d'intervention. Si l'on parle d'intervention psychiatrique, il faut savoir qu'aucun de ces facteurs n'est pris en compte et pourtant, ils sont essentiels à la compréhension de l'enfant ou de l'adulte qui souffre.
M. Wipond : Il y a à cet égard un livre fascinant sur les principes et les pratiques dans le traitement psychiatrique d'urgence. On y cite un certain nombre d'études qui montrent que de 30 p. 100 à 50 p. 100 des troubles psychiatriques d'urgence sont en fait de nature physique. Alors ça, c'est intéressant. Les maladies cardiovasculaires, les parasites, le déséquilibre nutritionnel et certaines carences en nutriments peuvent causer des troubles psychologiques extrêmes, mais les études montrent que seulement 10 p. 100 des psychiatres font un examen physique ordinaire. Je ne parle pas d'un examen très approfondi mais un simple examen physique permettrait de déceler ce trouble.
Mme Allan : Certains de ces examens sont trop simples. Les personnes chez qui on a diagnostiqué une dépression devraient subir un examen de la glande thyroïde parce qu'une glande thyroïde peu active provoque des symptômes semblables à ceux de la dépression. Or, les médecins écartent souvent ces approches sensées.
Le sénateur Pépin : De nombreux témoins disent qu'un plus grand nombre de centres communautaires pourrait aider beaucoup. En outre, de nombreux témoins nous ont dit qu'ils ne voulaient pas voir trop de personnes avec un handicap mental vivre ensemble dans le même complexe résidentiel.
Mme Johnson : C'est pourquoi les appartements semi-autonomes sont autour de la ville. L'ACSM nous fournit un pavillon où les membres vont tous les jours. Les membres ont une activité quotidienne et un repas et ils ont des projets de travail, ce qui leur donne un quelque chose de significatif à faire lorsqu'ils vont bien.
Le sénateur Pépin : Il y a aussi un programme appelé Consumer Survivor Business, qui je crois est en Ontario. Ce programme prépare les gens à retourner sur le marché du travail.
Avez-vous un programme semblable pour aider les gens à démarrer ou à retourner au travail?
Mme Johnson : Les choses les plus difficiles à supporter sont la pauvreté et la honte. L'ACSM a bien un programme d'emploi et aide les gens mais il y a une telle honte lorsqu'on a une maladie mentale qu'on en perd sa crédibilité. J'ai été conseillère, j'ai été enseignante suppléante, j'ai été éducatrice en garderie, j'ai travaillé dans un foyer pour femmes, mais une fois étiquetée « malade mentale », j'ai perdu toute crédibilité.
J'ai déménagé et j'ai recouvré ma crédibilité à titre de consommatrice, et c'est pourquoi je fais de l'entraide, parce que je crois que je comprends les besoins des consommateurs. Je peux les aider à traverser le labyrinthe et les aider à s'y retrouver dans le système. Je peux les aider à trouver un défenseur de leurs droits, à se débrouiller dans le système judiciaire, à faire valoir leurs droits. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Mme Allan : Je crois que c'est tellement positif, une expérience négative qui est devenue une expérience positive. Les personnes qui m'ont le plus aidée au cours des dernières années sont des non-spécialistes. Ces gens m'ont accompagnée et m'ont aidée à me débrouiller dans le système et à me remettre sur pied. Ils se souviennent de leurs expériences et sont très compatissants envers les autres.
M. Wipond : Nous parlions de modèles. Il y a un hôpital au États-Unis où il y a deux conseils d'administration : un conseil ordinaire formé de professionnels de la santé et un autre formé de consommateurs survivants. Le directeur général relève des deux conseils, et les deux ont le pouvoir de le congédier. C'est un modèle formidable; il fonctionne étonnamment bien. J'ai entendu cet homme faire un exposé et il était vraiment passionnant.
Le sénateur Pépin : Francesca, vous avez dit que toute personne souffrant d'un handicap mental devrait avoir de l'aide pour prendre des décisions.
Que faut-il faire du patient dans la rue, de la personne très perturbée?
Souvent, ces gens ne connaissent personne et n'ont pas de famille. Comment pouvons-nous les aider à adhérer à un programme, les hospitaliser ou leur faire prendre des médicaments?
Mme Allan : Oui, ces gens sont dans la situation la plus difficile qui soit dans la société et c'est pourquoi nous avons proposé la création d'un poste de protecteur des droits ou ombudsman de la psychiatrie. J'ai de la chance, j'ai des gens autour de moi, je peux déléguer mes pouvoirs et je connais des avocats qui peuvent faire cela très rapidement pour moi.
Le sénateur Pépin : La majorité des patients n'ont pas cette chance.
Mme Allan : Je ne sais pas combien l'ont ou ne l'ont pas, mais ce serait là une des fonctions du bureau de l'ombudsman. D'ailleurs, tout le monde ne peut pas se payer un avocat et pourtant nous sommes censés avoir accès à l'aide juridique.
Le sénateur Callbeck : Ruth, vous avez dit qu'une des choses les plus difficiles à supporter, c'est la honte liée à la maladie mentale.
À Regina, nous avons entendu parler d'un groupe qui rend visite aux élèves de huitième année dans les écoles. Il voit aussi d'autres groupes d'enfants.
Avez-vous des programmes semblables à Vancouver?
Mme Johnson : C'est certainement le cas à Nanaimo, je l'ai fait moi-même. Je trouve qu'il est plus difficile de parler aux élèves du secondaire qu'à ceux du collégial. Les élèves du secondaire veulent être invincibles et croient qu'eux et leurs amis sont à l'abri de la maladie mentale.
Je crois qu'il en faut davantage et vous visez juste en mentionnant ce genre de programme. Je crois que cela fait partie de l'intervention précoce et de la sensibilisation du public. Certaines publicités à la télé visent à éliminer la honte chez les malades mentaux. L'une de ces publicités montre un homme atteint d'une maladie mentale qui tient un bébé; on peut voir qu'il ne présente aucun risque et qu'il aime le bébé.
Le président : C'est sans doute une publicité présentée uniquement en C.-B. parce qu'aucun d'entre nous ne l'a vue.
Mme Allan : C'est tout à fait fabuleux. J'ignore qui en est l'auteur mais on y voit un homme avec un bébé et ensuite on voit son étiquette de malade mental et la légende, qui dit à peu près ceci : « les préjugés, j'en suis malade ». C'est une publicité très efficace.
Le président : Connaissez-vous le commanditaire?
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de tournées dans les écoles secondaires, avez-vous visité les niveaux inférieurs, la huitième par exemple?
Mme Johnson : Non, nous n'y allons pas, mais j'étais éducatrice de garderie et j'ai appris à reconnaître le comportement d'une personne dont la maturation est normale par rapport à un comportement légèrement déviant. Je ne saurais pas ce qu'il faudrait faire mais on peut le reconnaître.
Lorsque je travaillais au foyer pour femmes, j'ai vu beaucoup d'enfants qui avaient été témoins de graves abus et je leur ai appris à utiliser des mots de sentiment pour communiquer leurs sentiments. Je crois que la communication peut aider le médecin à savoir dans quel état est l'enfant, l'adulte, l'usager, le patient.
J'ai de bons rapports avec mon médecin de famille et il me laisse choisir mon traitement. Je crois que si les parents, les enfants, les thérapeutes et les médecins travaillaient tous ensemble, nous aurions un bien meilleur système. J'ignore comment, vous les sénateurs, pouvez faire en sorte que cela se produise, mais ce sont là des choses que je voulais dire aujourd'hui lorsque vous m'avez posé des questions.
Le sénateur Callbeck : Francesca, dans votre Statement of Principles re Mental Health Treatment, vous dites
3. Il s'ensuit aussi qu'il ne devrait jamais y avoir de traitement obligatoire.
Mme Allan : Oui Sénatrice, il ne devrait y avoir aucun traitement obligatoire.
Le sénateur Callbeck : Je crois savoir qu'un juge peut ordonner un traitement d'une durée pouvant atteindre 60 jours afin de permettre à une personne de subir un procès. Vous ne seriez pas d'accord avec cela?
Mme Allan : Ouais, je suis contre tout traitement non volontaire.
Le sénateur Gill : Je crois que je suis d'accord avec un bon nombre de vos points sur la nouvelle façon d'aborder la santé mentale. Je ne sais pas pourquoi de nombreuses personne pensent de cette façon et je crois qu'il sera difficile de changer la façon dont la société voit les personnes atteintes de maladie mentale. Le sénateur Kirby a mentionné que ce n'est pas un rapport final parce que le rapport final sera différent. J'espère qu'il sera différent.
Mme Allan : J'admets que je suis beaucoup sur la défensive et que je suis à l'affût de tout ce qui ressemble à un préjugé. J'ai de bonnes raisons d'être ainsi, par exemple, je n'ai pas lu les trois rapports, je les ai parcourus. Rob les a lus et je me méfie lorsque j'entends parler d'un titre qui dit « Accès au traitement », et sous ce titre il est question de traitement forcé. Je suis à l'affût de cela tout le temps.
Le sénateur Gill : Je ne me plains pas de la façon dont vous avez fait cela.
Mme Allan : Eh bien, je l'ai déjà entendu.
Le sénateur Gill : Parfois il faut être assez fort pour être écouté.
M. Wipond : Je suis encouragé par ce que vous dites mais je veux souligner que vous devriez regarder votre troisième rapport, qui a laissé tomber toute référence à la psychiatrie forcée et la déclaration au sujet des Autochtones et la déclaration au sujet de l'intervention précoce. Je suis heureux que vous soyez disposés à considérer ces choses.
Certaines formulations sont très subtiles, par exemple dans la définition de « maladie mentale ». Si l'on veut parler de honte, il faut poser la question. Dès que je vous regarde et que je dis que cette personne est mentalement malade, et incapable, cette personne est stigmatisée. Il faut vraiment s'attaquer à ce problème sur le plan social et dire que c'est peut-être là la racine du problème parce que nous n'en savons pas vraiment assez sur la maladie mentale.
Le sénateur Gill : Je voudrais seulement ajouter que notre comité et d'autres tentent de représenter, le mieux possible, une minorité dans ce pays. Nous sommes suffisamment intéressés pour écouter les témoins et tenter d'aider à résoudre les problèmes.
Je n'ai pas assisté à toute la réunion mais je sais que les Autochtones sont particulièrement touchés. Bien des gens sont en prison au lieu d'être ailleurs parce qu'ils ne se conforment pas au règles de la société.
Croyez-vous que de nombreuses personnes pensent comme vous en C.-B.?
M. Wipond : Absolument. La très grande majorité des patients à qui je parle pensent ainsi.
Le sénateur Gill : Je parle de la société en général.
M. Wipond : Nous recevons des commentaires divergents de la part des professionnels de la santé qui travaillent dans le système. Certains psychiatres écrivent des lettres extrêmement dures pour dire qu'il y a des centaines de milliers d'études cliniques qui montrent que tel type n'est qu'un dingue, et nous recevons des lettres de la part de psychologues et de travailleurs sociaux qui disent que le type est très bien. De nombreux intervenants s'inquiètent du pouvoir qu'ont les médecins de forcer un malade mental à suivre une thérapie.
Un psychiatre en particulier m'a écrit au sujet de ses patients. Il m'a dit que dans le contexte de son programme de psychologie jungien il a admis une consommatrice à l'hôpital pour la stabiliser alors qu'elle était en crise. Le médecin l'a en fait incitée à aller à l'hôpital simplement pour tenter de la stabiliser. Le médecin a tenté de la voir pendant qu'elle se trouvait à l'hôpital, mais les médecins de l'hôpital ont refusé. Son état a empiré à l'hôpital mais le médecin ne pouvait la faire libérer; elle était sous la responsabilité d'un autre médecin. Le pouvoir que détiennent certains médecins inquiète certaines personnes.
Mme Johnson : Il est intéressant de noter que les statistiques montrent que 40 p. 100 des personnes emprisonnées souffrent d'une maladie mentale non diagnostiquée et qu'un fort pourcentage des personnes en prison sont des Autochtones. Cela me semble injuste.
Le président : Je suis d'accord avec vous et c'est ce qui m'a fait dire que nous utilisons les rues et les prisons comme les asiles du XXIe siècle.
Mme Allan : Je voudrais revenir sur les personnes qui sont avec nous. Je crois que si plus de gens savaient ce qui se passe, nous en aurions davantage de notre côté. Les gens ne me croient pas lorsque je leur parle des électrochocs; ils croient qu'il n'y en a plus depuis les années 50. J'ai eu un traitement aux électrochocs l'an dernier. Comment les gens peuvent-ils être scandalisés s'ils ne connaissent pas le problème?
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai quelques précisions à apporter et la première concerne l'intervention précoce. Selon mon expérience, le phénomène a commencé avec des bébés, de jeunes enfants, à détecter les faiblesses et tenter d'intervenir de façon précoce. Nous avons utilisé le terme « intervention précoce » dans le cas de jeunes enfants. Il s'agit d'une philosophie selon laquelle plus une chose est traitée précocement, qu'il s'agisse d'un trouble social ou quoi que ce soit, toutes ces centaines de choses qui exigent une intervention, alors cela ne vise pas les personnes qui souffrent d'une maladie mentale.
Vous avez dit que vous aimeriez avoir un exemple. J'ai très récemment assisté à une réunion annuelle de la Société canadienne de schizophrénie. Je n'oublierai jamais le conférencier invité parce qu'il a raconté l'histoire de sa vie et il était vraiment reconnaissant envers la médecine psychiatrique moderne. Il est reconnaissant pour les médicaments qui l'aident à fonctionner et à travailler. Il est marié et a des enfants, et grâce aux méthodes de la médecine moderne, il a pu prononcer son discours.
Je me souviendrai de vous et de ce que vous avez dit parce que vous représentez un très grand nombre de personnes qui n'ont pas eu de chance d'une façon ou d'une autre avec le système. Je crois que vous racontez l'histoire très importante de nombreuses personnes qui se sentent gravement flouées par le système. Nous devons vous écouter pour voir comment nous pourrons intégrer le tout dans notre rapport.
Vous soulevez de très importantes questions, aussi je dois vous demander si vous croyez qu'une personne souffrant de schizophrénie ou qui est dans la phase maniaque du trouble bipolaire ne devrait pas recevoir de traitement ou de médicaments.
Mme Allan : Je vais en venir à cette question, mais j'ai aussi entendu des gens raconter leur histoire, des histoires très touchantes et beaucoup sont reconnaissants envers leur psychiatre, mais il est question de personnes qui désirent continuer leur médication.
Je n'ai aucune objection en ce qui concerne le traitement vraiment volontaire; le problème est ailleurs. Je m'inquiète pour ceux qui ne veulent pas qu'on leur fasse toutes ces choses et que nous traitons de force.
Vous avez demandé si des personnes dans la phase maniaque du trouble bipolaire devraient prendre des médicaments.
Le sénateur Trenholme Counsell : Que feriez-vous pour elles? Que leur offririez-vous?
Mme Allan : Cela dépend de la façon dont elles ont abordé le système. Il me faudrait connaître le comportement qui a causé tant de peur avant de prendre une décision.
Le sénateur Trenholme Counsell : Et si la personne est en phase maniaque ou délirante?
Mme Allan : Et qu'est-ce que c'est la manie? Des gens me disent qu'ils croient qu'ils feront partie de l'équipe olympique, je crois que c'est un peu bizarre, mais ce n'est pas un problème. Pour beaucoup, la phase maniaque ne constitue pas un problème; pour beaucoup aussi, le délire ne pose pas de problème.
M. Wipond : Eh bien, c'est un bon point.
Mme Allan : Vous pouvez demander à bien des gens qui croient en Dieu s'ils pensent vraiment qu'il y a quelqu'un là- haut qui surveille tout. Ce pourrait être un délire psychotique; tout dépend de ce que la société accepte.
Le sénateur Cook : Ruth, êtes-vous très engagée dans les ONG de votre collectivité? Je parle d'organisations non gouvernementales comme les églises et les groupes Rotary, parce que l'administration du logement doit être complexe.
Je viens de Terre-Neuve et nous avons des projets semblables en partenariat avec l'Église unie du Canada qui assume les risques liés au retard et au non-paiement des loyers, et cetera. Avez-vous de telles activités à Nanaimo?
Mme Johnson : Eh bien, c'est pourquoi j'ai mentionné que le New Hope Centre allait fournir bien des choses pour les sans-abri. Il y aura 16 locaux pour la santé mentale et six lits d'urgence. C'est arrivé dans le sillage des travaux d'un comité appelé SKIPPY, je ne me souviens plus de ce que l'acronyme signifie, mais c'est pourquoi j'ai inclus l'enquête de la ville de Nanaimo, parce qu'ils font cela et la Nanaimo Affordable Housing est une association à but non lucratif qui a mis à la disposition des gens de la collectivité deux immeubles résidentiels.
Les responsables de notre ville se préoccupent vraiment des gens dans notre situation et ils reconnaissent nos besoins. Je crois que nous avons vraiment beaucoup de chance, à bien des égards, et nous pourrions aller loin car pas mal de petites collectivités doivent vraiment s'en passer. Une bonne partie de l'aide financière accordée à l'île va directement à Victoria et est ensuite répartie entre de plus petits secteurs. Les petites régions reçoivent bien entendu de plus petites parts de financement, et le plus gros de l'argent doit aller aux patients les plus gravement atteints.
Le comité doit réaliser que bon nombre d'entre nous connaissons de longues périodes de bien-être pendant lesquelles nous pouvons prendre nos propres décisions, surtout avec de l'aide, et c'est justement l'aide à la vie autonome qui me tient tant à cœur qui m'a fait demeurer au sein d'un comité pendant dix ans.
Le sénateur Cook : Dans ma province, nous avons un établissement sous les mêmes auspices entièrement administré par les usagers qui y vivent. Les résidents ont accès au conseil afin d'assurer un lien. Avez-vous ce genre d'établissement à Nanaimo?
Mme Johnson : Il y a à Victoria un certain nombre de quadruplex où les personnes peuvent en quelque sorte investir dans leur propre condominium. Nanaimo n'a rien de la sorte en ce moment.
Le sénateur Cook : Francesca, il y a un passage que je comprends mal dans votre mémoire. Au point 5 des énoncés de principes, vous proposez une meilleure supervision du système, la création d'une fonction de défenseur des droits en psychiatrie, un programme pour les psychopharmacologues et ensuite, celui qui me laisse perplexe,
La nomination de civils aux comités de surveillance dans les organismes de réglementation concernés.
Voulez-vous dire un usager ou un bénévole de la collectivité?
Mme Allan : Je crois que ce pourrait être l'un ou l'autre mais ce qui importe, c'est que ce ne soit pas un psychiatre.
Le sénateur Cook : Un non-professionnel.
Mme Allan : Oui, absolument.
Le sénateur Cook : Nous pourrions peut-être vous demander de nous fournir davantage de précisions sur la façon de réaliser cela.
Mme Allan : Je serais heureuse de vous faire parvenir tout ce que B.C. Civil Liberties peut trouver; ils ont cela maintenant; ils vont sans doute vouloir le réaliser.
Mme Johnson : Je crois que le comité pourrait être intéressé à ce que je fasse partie d'un comité d'embauche des travailleurs communautaires qui se rendent dans les logements des gens. L'infirmière à l'hôpital qui dirige le service de psychiatrie était surprise de constater qu'aucun usager, aucun patient en santé mentale, ne faisait partie du comité d'embauche. C'est une chose à laquelle nous nous attendons.
Le sénateur Cook : C'est l'autre point que j'ai soulevé; cela viserait surtout le milieu familial, les personnes qui vivent dans une famille d'accueil.
Mme Johnson : Oui.
Le sénateur Cook : Il y aurait donc une certaine sensibilisation ou une certaine compréhension de ce dossier.
Mme Johnson : Oui, et nous nous réunissons une fois par mois.
Le sénateur Cook : En fin de compte, Rob, nous sommes des gens très ordinaires qui essayons de faire un travail extraordinaire. Pour faire notre travail nous devons écouter tout le monde et nous devons faire la part des choses.
Je ne tente pas de justifier ce que nous avons accompli jusqu'à maintenant, mais il ne faut pas oublier que ce sont des suggestions et des recommandations.
J'aimerais que vous m'aidiez à comprendre votre déclaration préliminaire qui disait :
Vos rapports montrent que le comité du Sénat est guidé par un fort préjugé, et ce préjugé fera en sorte que la situation ne fera que s'aggraver plutôt que de s'améliorer.
Aidez-moi à comprendre cette déclaration afin que nous puissions la revoir et faire la part des choses, en particulier du point de vue des psychiatres.
Si je lis bien et si je vous comprends, on assiste à un déplacement des pouvoirs, et ce déplacement se fait au profit de la psychiatrie plutôt que des droits et des soins à dispenser.
M. Wipond : Je crois que c'est une excellente idée parce que d'après moi, le pouvoir s'est déplacé trop loin dans la direction opposée. Il est cependant ironique que le pouvoir soit maintenant entre les mains des médecins en raison des échecs accumulés à la suite des enquêtes, parce que ce sont les professionnels de la santé mentale qui gagnent les batailles. Ils s'expriment mieux, ils sont généralement plus puissants, et ils ont généralement de meilleures recherches à citer que les consommateurs survivants, qui doivent souvent régler leurs propres problèmes internes en même temps qu'ils présentent un dossier. J'ai été témoin de ces batailles un million de fois.
Je suis heureux de constater que vous cherchez à atteindre un équilibre et je suis terrifié à la perspective de voir une personne recevoir un traitement contre son gré. Cette incroyable déformation orwellienne des mots me fait peur. Traiter les gens contre leur gré est vu comme une libération, on leur affirme qu'on « les libère » parce qu'ils ne seront pas incarcérés après avoir été traités. C'est pourquoi je dis que le pendule est allé trop loin et que nous sommes très loin de l'équilibre.
Nous devons redéfinir la « maladie mentale » parce qu'il n'y a pas de consensus sur ce qu'elle est, comment la diagnostiquer ou comment la traiter.
Nous devons commencer par cela, et réaliser que certaines personnes répondent bien à ces médicaments, qu'elles les apprécient et qu'elles continuent volontairement à les prendre et que pour elles ils donnent de bons résultats. D'autres en revanche refusent qu'on leur impose un traitement ou des médicaments. Je cherche cet équilibre et je ne le trouve pas.
Je suis persuadé que vous commencez à entrevoir cela. Je tiens à souligner que j'ai fait des recherches sur un million de questions sociales et que celle-ci est le dossier le plus politique et le plus émotif que j'ai jamais eu à aborder.
Ce qui me dérange le plus, c'est que lorsque je parle à des psychiatres et à des professionnels de la santé mentale, ils nient carrément qu'il s'agit d'un sujet controversé. Ils refusent d'admettre quoi que ce soit. S'ils admettaient qu'il s'agit d'un domaine controversé, je les respecterais. Ils répètent sans cesse que la science est claire, que les études sont claires, comme un médecin qui vous dit péremptoirement « Je sais, croyez-moi ». Ils adoptent cette position et c'est ce qui m'inquiète le plus parce qu'ils refusent tout débat. La situation est si extrême que dans le cas de mes articles à Victoria, ils n'ont jamais écrit au rédacteur en chef pour contester ce que j'ai dit à leur sujet. Cependant, le journal a reçu une lettre qui disait que si jamais on me publiait encore ils poursuivraient le journal. Ils refusaient de permettre aux employés régionaux de la santé d'accorder des entrevues, et ce, à cause de moi et de mes articles.
Nous avons fini par nous asseoir ensemble, nous nous sommes réunis, et quel était le principal enjeu? Ils voulaient que la réunion soit confidentielle, alors je vous dis maintenant quelque chose que je ne devrais pas vous dire, mais je crois que c'est important. Ce qu'ils voulaient par-dessus tout, c'est que je n'interviewe pas de patients. Ils disaient des usagers qu'ils étaient « psychotiques » et qu'on ne pouvait leur faire confiance.
J'essaie de faire preuve de la prudence nécessaire, mais pourquoi ne pas engager le dialogue. Ils ne voulaient pas, même si nous leur offrions l'occasion de faire valoir leur point de vue, ils refusaient que leurs arguments soient mis en parallèle avec ceux des patients, ils ne voulaient pas de ce débat et c'est là à mon avis le nœud du problème. Ils tentent de nier l'existence de cette controverse et de ces problèmes. Ce comité les met en lumière, et je trouve que c'est formidable.
C'est un aspect traumatisant de notre société. Nous devons discuter de la maladie mentale, en profondeur, être vraiment honnête au sujet de la recherche et ensuite nous pourrons atteindre l'équilibre. Tant de manipulations secrètes ont paralysé les usagers et les survivants.
Mme Johnson : En conclusion, la dernière chose que je voudrais dire, parce je me rends compte que nous avons déjà dépassé le temps, c'est que j'aimerais qu'on parle de « problèmes de santé mentale » et du fait que nous avons des périodes de « bien-être » au cours desquelles nous pouvons prendre nos propres décisions. Je n'aime pas le terme « maladie mentale » parce qu'il laisse entendre que je suis toujours une patiente.
Le président : Permettez-moi de vous demander, à tous les trois, ce que vous pensez du terme « consommateur », que nous avons utilisé dans nos rapports. Personnellement, je n'aime pas le terme « consommateur », mais nous n'aimons pas le terme « patient » non plus parce qu'il est manifestement un terme médical.
Parmi les personnes comme vous et les groupes d'entraide, le terme « consommateur » est-il celui que vous privilégiez pour décrire une personne qui a souffert d'une maladie mentale ou d'un trouble psychique?
Mme Allan : Pas si elle a été traitée contre son gré. J'ai horreur du terme « consommateur ».
Le président : Quel serait le meilleur terme?
Mme Allan : C'est une étiquette psychiatrique.
M. Wipond : J'utilise le terme « personne chez qui une maladie mentale a été diagnostiquée ». Il indique que quelqu'un a posé un diagnostic, et on peut être d'accord ou pas.
Le président : Vous comprenez notre problème. D'un autre côté, nous devrons peut-être trouver un terme plus concis, car dans un long rapport on ne veut pas avoir à le répéter un million de fois mais il est toujours possible d'inclure un glossaire ou une liste de définitions.
Mme Johnson : J'utilise le terme « consommateur » parce qu'il est générique, mais dans la vie de tous les jours, lorsque je parle de ma maladie mentale, je dis que j'ai « souffert de symptômes de la dépression » et je ne l'explique pas davantage à la plupart des gens parce que je crois que cela ne les concerne pas.
M. Wipond : Une personne qui a fait l'historique du mouvement des survivants ou « réchappés » en psychiatrie au Canada s'est vraiment opposée à la façon dont le terme « survivant » est utilisé dans votre rapport. En effet, on y suggère que la personne a survécu à une maladie mentale. En fait, l'historique de ce terme, et elle a contribué à en populariser l'usage au Canada, renvoie à une personne qui a survécu au traitement psychiatrique.
Le président : Nous n'utiliserons pas le terme « survivant ».
Le sénateur Cook : Samedi, j'étais dans un autobus d'Ottawa, et j'ai vu une grande affiche sur laquelle on pouvait lire que la maladie mentale est un voyage pénible. J'ignore qui a mis l'affiche.
C'est un problème complexe. Je crois que bien des gens peuvent rendre la vie meilleure mais qu'aucun segment à lui seul ne possède toutes les réponses. Je crois qu'il nous faut trouver une façon de satisfaire les besoins de cette personne. C'est la raison pour laquelle je suis ici ce matin. L'étiquetage m'inquiète. Ma fille a été anorexique pendant trois longues années à la suite du décès de son père. Je n'ai jamais entendu qui que ce soit dans notre collectivité, vous savez, des amis ou qui que ce soit d'autre, dire que Jean était, ou est, anorexique. Elle n'a pas été étiquetée. Elle souffrait d'une maladie mentale, je crois que c'en était une, et elle est arrivée à s'en sortir après une longue période de réadaptation.
Mme Johnson : C'est souvent parce que l'anorexie est visible; ma maladie mentale n'est pas visible.
Le sénateur Cook : D'accord. Merci. Je me suis souvent demandé pourquoi cela ne s'appliquait pas et je suppose que sa maladie était à la fois mentale et physique.
Le sénateur Trenholme Counsell : Francesca, vous avez dit que vous détestiez le terme « consommateur ». Acceptez- vous le terme « patient »?
Mme Allan : Je crois qu'il est préférable au terme « consommateur ». Je crois qu'il est plus près de la vérité.
Le sénateur Trenholme Counsell : Alors vous pourriez peut-être nous parler de cela, s'il vous plaît.
Mme Allan : Du terme « consommateur »?
Le sénateur Trenholme Counsell : Eh bien, du terme « patient ».
Mme Allan : Je ne peux pas vraiment dire pourquoi je préfère le terme « patient », c'est simplement que nous sommes des personnes atteintes de maladie mentale, et par conséquent, des patients. C'est tout simplement plus logique. Pour ce qui est de « consommateur », je suis une consommatrice chez A & B Sound parce que je choisis d'aller dans ce magasin et pas ailleurs. Le terme « consommateur » me fait vraiment dresser les cheveux sur la tête.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je suis d'accord avec vous. Trouvez-vous que le terme « patient » est plus humain, plus charitable?
Mme Allan : Eh bien, je ne demande pas qu'il soit plus charitable, mais je tiens à ce qu'il soit plus honnête, et il l'est.
Le sénateur Pépin : Alors en bonne franco, puis-je dire « personne souffrant d'un handicap mental »?
Mme Allan : Eh bien, à qui cherchons-nous à faire plaisir ici, parce que si vous parlez à la plupart des personnes avec lesquelles je discute de ces choses, elles se disent « dingues rescapées ». Je veux dire que ce n'est pas du tout une question de rectitude politique.
M. Wipond : L'historique du mouvement des survivants de la psychiatrie au Canada est relaté dans un livre intitulé Call Me Crazy : Stories from the Mad Movement. Bien des gens utilisent le terme « fou » parce qu'il évoque quelque chose de drôle et de créatif.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je crois que le terme « survivant » est tout à fait approprié lorsqu'on parle de cancer, mais je crois qu'il dénote une certaine insensibilité lorsqu'on parle de la maladie mentale.
Mme Allan : On en abuse tellement, les gens parlent de survivre à une mauvaise note à leur examen de science politique.
M. Wipond : Oui, et il dénote une insensibilité à l'égard des psychiatres.
Le président : Permettez-moi de vous remercier tous les trois d'être venus. Nous réalisons que nous vous avons retenus beaucoup plus longtemps que prévu. Nous ferons quand même une courte pause-café et le groupe suivant aura également droit à plus de temps. Merci beaucoup d'être venus.
Mme Bonita Allen, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invitée ici aujourd'hui. Je dois dire que je ne suis ni une professionnelle, ni une experte; je ne suis qu'une mère qui a vécu l'expérience de la maladie mentale pendant de nombreuses années.
Mon fils, Gary, a connu son premier épisode de trouble bipolaire dès l'âge de 16 ans et au cours des 26 années qui ont suivi, Gary a été hospitalisé plusieurs fois. Le printemps dernier il a connu un grave épisode de trouble bipolaire au cours duquel il a affiché un comportement bizarre, agité et agressif. Il a été conduit sans son consentement à l'hôpital où l'on a certifié, avec raison, qu'il souffrait d'un trouble mental. Alors qu'il était aux soins intensifs il a été mêlé à un malheureux affrontement au cours duquel des membres du personnel ont subi des blessures, et des accusations ont été portées au criminel. Les événements qui ont suivi m'ont convaincue que le système de justice pénale ne se prête pas aux complexités des cas où la personne souffre de déficience psychique.
La plupart des crimes commis par les personnes atteintes de maladie mentale sont le résultat direct de leur psychose, de leurs hallucinations ou de leur paranoïa. Leur esprit leur joue des tours et ils n'y peuvent à peu près rien. Leurs crimes se résument généralement à des situations de nuisance ou de désordre public, à des méfaits et parfois à un comportement agressif ou violent. Est-il vraiment utile de punir ces gens? La honte d'avoir un casier judiciaire améliorera-t-elle leur vie déjà si pénible?
Je suis persuadée que si les personnes souffrant de maladie mentale étaient admises plus facilement dans les hôpitaux lorsqu'elles en ont besoin, et que si une fois stabilisées et libérées elles avaient droit à un logement approprié, à une forme d'aide communautaire et à une prise en charge, on constaterait une réduction importante du nombre d'actes criminels et autres cas d'urgence en santé mentale. Il faut donc se poser la question : après la désinstitutionnalisation des soins au malades mentaux, notre société a-t-elle consacré les ressources nécessaires à la prestation de services adéquats de santé mentale dans la collectivité pour les personnes à risque d'internement ou pour celles qui obtiennent leur congé de l'hôpital ou de la prison?
Je me demande s'il est juste ou légal de faire comparaître en cour des personnes qui souffrent de manie, de délire, de paranoïa, d'hallucinations ou de toute combinaison de ces affections. Dans un tel état, la personne est incapable de juger de la gravité de sa situation et d'agir dans son meilleur intérêt. Et ce qui aggrave les choses, les policiers, le personnel judiciaire et les avocats n'ont pas toujours les connaissances nécessaires pour comprendre les accusés qui souffrent d'une maladie mentale.
J'ai observé que la pratique cruelle qui consiste à incarcérer les personnes souffrant de maladie mentale dans des prisons est inhumaine, injuste et inefficace. Les prisons ne disposent pas des installations appropriées ni des ressources médicales nécessaires pour accueillir les personnes atteintes de maladie metnale. Le personnel manque souvent de compétence et est incapable de composer avec les difficultés de la maladie mentale.
Les personnes atteintes ont des pensées illogiques, des délires, des hallucinations auditives, elles souffrent de paranoïa et ont de graves sautes d'humeur; elles ne comprennent pas toujours les règles des prisons. Elles sont très vulnérables et sont susceptibles d'avoir un comportement bizarre avec lequel le personnel de la prison doit composer et que les codétenus doivent tolérer. Ce genre de comportement a souvent des conséquences tragiques, dont par exemple des agressions physiques de toutes natures — lacérations, raclées, viols. Ils sont également exposés à diverses maladies et à la toxicomanie.
Pour favoriser leur guérison, les personnes atteintes de maladie mentale ont désespérément besoin du soutien et de la protection de leur famille et de leurs amis, ce qui est difficile à obtenir en prison.
Le stress de la vie en prison ne peut qu'aggraver l'état déjà fragile de la personne atteinte et prolonger sa maladie. Il est évident que leur séjour dans le système de justice pénale est très néfaste et entraîne d'importants coûts pour ce système.
Je ne suis pas une experte et je ne peux donc offrir de solutions mais je peux soumettre quelques suggestions à votre attention.
D'abord, il faudrait peut-être chercher un modèle qui permettrait d'éviter le système de justice pénale. Le système de tribunaux en santé mentale utilisé dans l'État de Washington et ailleurs aux États-Unis, et peut-être aussi en Ontario, bien qu'il soit imparfait, constitue un pas dans cette direction. L'objectif de la cour en santé mentale est d'empêcher que des personnes atteintes de maladie mentale soient condamnées et emprisonnées ou de les libérer et de leur fournir de l'aide et des soins appropriés dans la collectivité. La sécurité du public est une priorité dans l'organisation des soins et du suivi dans la collectivité. Divers organismes, dont la National Mental Health Association, font le suivi des risques liés aux tribunaux en santé mentale et s'assurent que ces tribunaux ne constituent qu'une partie d'un effort collectif coordonné.
Je suggère que nous cessions de soumettre les malades mentaux à des comparutions inutiles et peu rentables en cour jusqu'à ce qu'ils soient dans un état stable et en mesure de comprendre la raison de leur comparution et les choix dont ils disposent.
Je suggère que nous nommions un défenseur de leurs droits qui les aidera à prendre des décisions éclairées. Nous devons faire en sorte que la personne reçoive le traitement et les services dont elle a besoin, et ce, en temps opportun et de façon appropriée.
Troisièmement, je suggère que nous logions les patients agressifs et violents dans un milieu plus sécuritaire, semblable à ce que nous avons à Colony Farm, de préférence avant qu'ils ne causent des dommages ou des blessures et qu'il faille les accuser ou les condamner pour un acte criminel.
La réforme des soins et des ressources communautaires promise lors de la désinstitutionnalisation du système de santé mentale semble avoir omis les personnes qui ont des démêlés avec la justice et celles qui peuvent présenter temporairement un risque pour la société. D'après ce que je vois, la pratique actuelle semble simplement consister à faire passer ces personnes d'un système à un autre. Ainsi, nous ne faisons que transformer les prisons en asiles. Cette façon de faire ne permet pas de traiter la maladie mentale, ne respecte pas les droits des personnes et risque de faire du tort à d'innocents spectateurs.
Je demande donc que la politique nationale en santé mentale exige que nous prenions les mesures nécessaires afin que cesse cette pratique qui consiste à faire des malades mentaux des criminels.
Le président : Voulez-vous lire votre dernier paragraphe, que je trouve formidable.
Mme Allen : Oh, à propos de mon fils? Mon fils est actuellement en période de probation et récupère de ses démêlés avec le système de justice pénale.
Je dois reconnaître les mérites du système de justice pénale car il lui a certainement offert un hébergement décent; il est suivi et pris en charge et il reçoit des soins médicaux.
Je dois dire que le système de soins de santé mentale l'a laissé tomber, à cause de l'incident à l'hôpital; ils ne veulent rien savoir de lui. Il va très bien en ce moment, son premier recueil de poèmes est en voie d'être publié et, encore une fois, les soins en réadaptation qu'il a reçus en prison représentent l'un des avantages du système de justice pénale.
Le président : J'aimerais faire une observation, parce que votre dernière phrase m'a frappé. Je vais simplement faire un commentaire, vous dites :
Le seul avantage à plaider coupable d'un acte criminel pourrait bien être une meilleure aide à la réadaptation.
Nous en reparlerons plus tard mais je ne peux tout simplement pas m'empêcher de faire cette observation. L'Ontario a un système de tribunaux en santé mentale semblable à celui que vous avez décrit et le juge en chef de cette cour a fait une déclaration qui nous a tout simplement stupéfaits. Il a dit que si l'on veut être certain d'avoir le meilleur traitement en santé mentale au Canada, il suffit de commettre un crime et de se faire déclarer criminel aliéné. Le juge en chef a dit que c'est en prison qu'une personne recevra le meilleur traitement en santé mentale.
Votre commentaire reprend ce que le juge en chef a dit au sujet du système.
Merci beaucoup. Nous reviendrons avec d'autres commentaires mais je cède maintenant la parole à Doris Ray.
Mme Doris Ray, à titre personnel : Merci de m'avoir invitée ici. Je suis très heureuse de l'intérêt que vous manifestez à l'égard des préoccupations des membres des familles.
En septembre 1984, la propriétaire de mon fils à Toronto m'a appelée pour m'aviser qu'il avait été hospitalisé à l'aile psychiatrique après avoir tenté de sauter par la fenêtre de son appartement. J'étais convaincue que c'était le pire jour de ma vie, mais je me trompais. Ce n'était que le début d'une affreuse série noire qui allait culminer neuf ans plus tard, lorsqu'il a été déclaré non coupable d'homicide involontaire pour cause de troubles mentaux. Cette maladie mentale dont lui-même, sa famille, ses amis, ses soignants et le personnel médical tentaient depuis longtemps d'atténuer les symptômes, c'était la schizophrénie paranoïde.
Pour mon fils, le problème à l'époque n'était pas tant qu'il ne prenait pas ses médicaments mais plutôt que ces médicaments ne faisaient pas effet ou avaient cessé de faire effet.
Plus tôt, au cours de cette horrible journée, il avait eu très peur et après avoir décrit ses symptômes, qui ne cessaient d'empirer, il s'est rendu à l'hôpital. Aucun lit n'était libre et le médecin de garde n'a pas reconnu la gravité de ses symptômes, il est donc retourné dans un foyer de groupe.
Mon fils, qui n'est pas et n'a jamais été violent, a été submergé par ses hallucinations et ses délires paranoïdes et a poignardé à mort un résident de 21 ans. Plus tard, quand je lui ai rendu visite, il m'a confié qu'il était dans la pire situation possible. Après avoir appris ce qu'il avait fait, il s'est jeté contre les murs de sa cellule pendant trois jours, rongé par d'intenses remords. Pendant ce temps et pendant les quatre ans et demi qu'il a passés au Forensic Psychiatric Institute à Port Coquitlam, il n'a jamais eu de consultation psychologique, à l'exception de quelques séances de groupe animées par le très gentil pasteur de l'établissement.
Ma première recommandation, c'est d'offrir davantage de séances de consultation aux personnes souffrant d'une maladie mentale, et ce, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des prisons et des établissements.
Lorsqu'une personne aux prises avec une maladie mentale devient stable et qu'elle doit affronter le monde extérieur, elle peut facilement devenir suicidaire. À mon avis, personne n'a davantage besoin de consultation psychologique que les personnes souffrant d'une maladie mentale, et dans un monde parfait, où l'argent ne manquerait pas, il devrait aussi y avoir des consultations pour les proches des malades.
J'habite dans un très petit village dans le nord de la Colombie-Britannique, à l'ouest de Prince George. Lorsque mon fils est tombé malade, le seul qui pouvait nous expliquer ce qui se passait, c'était notre médecin de famille. Mais le pauvre homme était très occupé. Lorsque je suis finalement entrée en contact, par l'entremise de la Société de schizophrénie de C.-B., avec d'autres familles dans ma situation, c'était comme si une porte s'était ouverte tout grand. Un agent de la GRC avait été invité comme conférencier. L'agent a raconté qu'il avait pris connaissance des symptômes de la schizophrénie par son beau-frère qui en souffrait. Sa formation dans la GRC, le plus souvent le premier recours pour les familles en situation de crise, surtout dans les petits villages, comprenait très peu de formation sur la façon de reconnaître et de traiter les symptômes de psychose. J'ai récemment demandé à un jeune officier s'il avait reçu plus de formation à ce sujet, et il m'a répondu qu'on en donne encore moins qu'auparavant.
Mon fils va maintenant plutôt bien et prend des médicaments qui donnent de bons résultats. Il est heureux d'avoir reçu son absolution inconditionnelle du Forensic Institute, mais l'été dernier, lorsqu'il est venu nous rendre visite dans le nord de la Colombie-Britannique, il a soudainement été pris d'une crise d'anxiété. Quand cela se produisait au foyer, à Vancouver, il demandait de l'aide et on l'emmenait rapidement à l'hôpital en ambulance. Ce fut une révélation pour moi ce jour-là d'apprendre qu'il n'y avait aucun lit pour lui à l'Hôpital Prince George, ni même ailleurs en Colombie- Britannique ou à Edmonton. Je n'ai aucune idée si cela se produit souvent mais je ne me rappelle pas que ce soit arrivé à l'époque.
J'ai été atterrée de voir l'agent de la GRC fouiller mon fils et le traiter comme un criminel endurci avant de le faire monter dans l'auto-patrouille pour le conduire dans une cellule de détention provisoire à l'urgence de l'Hôpital Prince George. Ce serait bien qu'on apprenne aux policiers à traiter les personnes souffrant d'une maladie mentale avec un minimum de respect.
Mon autre recommandation, je la tire de l'agent de la GRC qui était venu à notre rencontre de la Société de schizophrénie il y a environ 10 ans. Ce n'était peut-être qu'une pratique locale où il y avait une importante population autochtone, mais je trouve l'idée bonne. Le beau-frère de l'agent recevait chaque mois la visite d'un travailleur en santé mentale qui évaluait son état tout en se liant d'amitié avec lui et en le mettant en confiance. Cette histoire m'a rappelé l'infirmière qui me rendait visite peu après la naissance de mon premier enfant. Elle m'informait et me rassurait, moi la jeune maman. J'aurais tellement aimé qu'un travailleur en santé mentale nous rende visite, à mon fils et à moi-même, lorsqu'il était beaucoup plus âgé qu'il était terrassé par la schizophrénie.
Le président : Merci, Doris.
Mme Joan Nazif, présidente, Comité consultatif des familles des Services de santé mentale de Vancouver : Je dois dire que j'ai accumulé l'expérience de presque toute une vie en matière de maladie mentale en ce sens que mon père a souffert de schizophrénie lorsque j'étais encore toute jeune et j'ai une fille de 37 ans qui souffre également de la maladie. Vous devez donc avoir un exemplaire de mon rapport qui porte l'inscription Vancouver Coastal Health sur la couverture.
Je suis présidente du Comité consultatif des familles des Services de santé mentale de Vancouver. Le rôle du comité consiste à superviser la mise en oeuvre d'un plan de soutien et de participation des familles afin de régler les problèmes actuels et futurs dans ce domaine. La haute direction des Services de santé mentale de Vancouver, et en particulier Kim Calsaferri, gestionnaire régionale de Rehabilitation & Recovery, a approuvé et endossé notre plan. Sans leur engagement, nous n'aurions jamais pu accomplir ce que nous avons fait.
Lors de la mise sur pied de ce comité, les membres des familles ont assisté à des groupes de discussion où les besoins et les problèmes des familles étaient priorisés. Ces problèmes sont abordés dans notre plan de soutien et de participation des familles pour le programme de santé mentale pour adultes à Vancouver, et un exemplaire semblable à celui-ci, sauf bien sûr qu'il n'est pas jaune, a été envoyé par courriel au Comité sénatorial il y a quelques semaines.
Des représentants des familles, parents, frères, sœurs et enfants adultes, racontent leurs expériences et expriment leurs points de vue devant le comité. Le comité comprend également un psychiatre, un travailleur expérimenté en santé mentale, des usagers et des représentants d'organismes communautaires.
Notre principale recommandation au comité du Sénat, c'est de préconiser le soutien et la participation des familles.
La mise sur pied de comités consultatifs des familles peut servir de modèle pour les services de santé mentale partout au pays. L'avantage d'un comité consultatif des familles, c'est qu'il favorise la collaboration entre les familles et les professionnels de la santé mentale et qu'il permet d'améliorer les services de soutien aux familles et les soins aux personnes souffrant d'une maladie mentale.
Ma présentation aujourd'hui portera sur huit importantes priorités pour les familles et comportera quelques suggestions : l'importance de la participation de la famille; le besoin de services de soutien aux familles, avec un accent sur les personnes gravement atteintes d'une maladie mentale; la formation des professionnels de la santé mentale; les questions de confidentialité; la guérison et la réadaptation; la toxicomanie et les personnes souffrant d'une maladie mentale; et la réglementation. J'aborderai chaque point brièvement. De plus amples renseignements sont disponibles pour les honorables sénateurs.
La première priorité pour les familles, c'est la participation. Nous sommes d'avis que les familles doivent participer à deux niveaux : dans le traitement et la guérison de la personne, et sur le plan administratif en ce qui touche la planification stratégique, la prestation des services, la prise de décisions et l'évaluation des services de santé mentale.
Il est indiscutable que lorsque la famille participe, les résultats sont meilleurs pour les clients; il y a moins de rechutes, moins d'hospitalisations et moins de crises. Les familles sont d'avis qu'elles devraient être contactées, systématiquement et non par exception, informées, invitées à assister aux réunions, à collaborer à l'élaboration du dossier, et qu'elles devraient être tenues au courant du traitement et de l'évolution de la maladie.
La deuxième priorité, ce sont les services de soutien aux familles. Les recherches montrent que la façon la plus efficace de mettre en oeuvre des services de soutien aux familles, c'est de créer un poste financé. C'est exactement ce que nous avons demandé à la haute direction à Vancouver et Otto Lim, un travailleur social d'expérience en psychiatrie, a été nommé au poste de chef de projet à temps plein en septembre 2004.
Otto est responsable de la planification, de l'élaboration et de la coordination des services de soutien aux familles, ce qui comprend la collaboration entre le personnel et les familles, l'élaboration de démarches familiales conséquentes et la participation à l'élaboration de politiques qui favorisent l'implantation du soutien et de la participation des familles dans les Services de santé mentale de Vancouver.
Les séances de consultation sont un des importants services aux familles, car elles permettent à celles-ci de composer avec la difficile maladie d'un proche et de s'adapter aux nouvelles réalités.
L'information des familles est essentielle dans bien des domaines. Les familles ont besoin de connaître le système de santé mentale, notamment, car il est très différent du réseau global de la santé. Elles ont besoin de se documenter sur la nature de la maladie mentale pour comprendre les signes de rechute. Elles ont besoin de savoir comment obtenir des services lorsque survient la rechute. L'information permet aux membres de la famille d'accepter la maladie mentale.
Les soins de relève donnent un répit aux familles qui sont débordées par le fardeau que représentent les exigences liées à la maladie mentale. L'entraide est également un moyen légitime de venir en aide aux familles. En effet, les groupes d'entraide mis sur pied par les familles ont pour objectif de répondre aux besoins des membres des familles touchées, visent à prendre soin d'eux et à les soutenir tout en améliorant leurs compétences.
La stigmatisation et la discrimination continuent d'être un problème majeur dans la société, et les familles sont persuadées que l'éducation du public revêt une importance primordiale.
Je n'ai pas l'intention de lire tout mon mémoire, si c'est ça qui vous préoccupe.
Le président : Je commençais à m'inquiéter un peu.
Mme Nazif : Nous sommes persuadés que l'éducation du public est d'une importance primordiale, et nous souhaitons ardemment que l'information sur la maladie mentale fasse partie du programme scolaire parce que nous croyons que pour sensibiliser la population il faut commencer avec les jeunes.
Il faut prendre en considération le fardeau financier que la maladie mentale impose aux familles. Les prestations d'invalidité accordées aux personnes atteintes de maladies mentales sont ridicules et la plupart des familles doivent y aller de leur poche pour combler des besoins de base comme de nouvelles chaussures, des soins dentaires, des articles liés aux soins de santé et de l'argent de poche.
Pensez aux familles monoparentales, aux personnes atteintes de maladies mentales qui sont des parents et ont des enfants; elles n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Toutes les familles bénéficieraient d'une diminution du fardeau fiscal, par exemple.
Il est impératif que notre plan national pour la santé mentale se concentre sur les personnes les plus gravement atteintes. Même si la maladie mentale souffre de façon générale d'un financement insuffisant, les familles sont convaincues que les ressources accordées aux personnes atteintes de maladies mentales graves et persistantes sont insuffisantes. Si les personnes atteintes de schizophrénie et d'autres troubles mentaux incapacitants continuent d'être classées dans la vaste catégorie des maladies mentales, elles vont toujours se retrouver bonnes dernières.
Il faut donner la priorité aux personnes qui sont atteintes de maladies mentales chroniques, graves et persistantes pour ce qui est des soins, de la planification et de l'évaluation des résultats, de l'amélioration de la qualité et de l'accessibilité au traitement.
Il faut augmenter le personnel et les ressources si l'on veut être en mesure d'offrir des soins adéquats. Le nombre de cas dont s'occupent les gestionnaires de soins à Vancouver varie de 42 à 75, et je peux vous garantir que le nombre le plus élevé se situe dans la région de Vancouver où se trouvent leurs patients les plus difficiles. Même le chiffre le moins élevé des deux ne permet pas d'offrir des soins de qualité.
La quatrième priorité est de la formation pour les professionnels en santé mentale. Les familles s'inquiètent au sujet des attitudes dépassées adoptées par certains professionnels de la santé mentale. Beaucoup ont fait leurs études à une époque où la famille était vue comme faisant partie du problème, plutôt que de la solution.
Les professionnels de la santé mentale ont besoin de plus de formation afin de posséder les compétences requises pour travailler efficacement avec les familles. Les programmes d'enseignement professionnel d'un bout à l'autre du pays devraient aussi être évalués sur le plan du contenu et du choix des manuels. En effet, les universités canadiennes utilisent toujours des livres véhiculant l'idée que la dynamique familiale est à l'origine de la maladie mentale.
Les pratiques fondées sur l'expérience clinique devraient être la norme dans tous nos établissements d'enseignement en ce qui concerne le counselling et la thérapie. Des programmes comme la psychologie de l'orientation, le travail social, le nursing et la psychologie doivent fournir à leurs étudiants des renseignements exacts.
Les familles sont grandement préoccupées par l'accès à l'information relative à un de leurs membres qui est atteint d'une maladie mentale. Les membres de la famille ne veulent pas connaître le contenu des conversations entre le thérapeute et son patient, en revanche, ils ont besoin de connaître le diagnostic, le plan de traitement, les questions liées à la sécurité, afin d'être en mesure d'offrir le meilleur soutien possible.
Comment la famille peut-elle réagir adéquatement devant les difficultés à résoudre, les crises et les problèmes si elle ignore en quoi consiste le plan de traitement?
Comment peut-elle offrir son soutien au membre de la famille qui est atteint d'une maladie si elle ne reçoit aucune information concernant les progrès réalisés et les changements de médication? Un comité consultatif des familles peut influencer la politique clinique pour qu'elle comprenne davantage de communication avec les familles.
Il se peut que la Colombie-Britannique possède la meilleure législation en matière de santé mentale au pays. En effet, la British Columbia Mental Health Act fait état du langage et des règlements les plus larges et les moins restrictifs. À l'instar de nombreuses autres provinces, nous avons notre propre loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, la FOIPPA, mais contrairement à d'autres provinces, nous avons la chance que cette loi soit assortie de lignes directrices. Ces lignes directrices, rédigées par le ministère de la Santé de notre province, stipulent qu'un intervenant en matière de santé peut décider de communiquer de l'information à la famille ou à une autre tierce partie.
Ce document pourrait être utile à d'autres ressorts en ce qui a trait à confidentialité et à la vie privée, aussi je vous en ai distribué un exemplaire.
Le plan national en matière de santé mentale du Canada doit se concentrer sur le rétablissement et la réadaptation, et plus particulièrement en ce qui concerne ceux qui sont atteints d'une maladie mentale grave et persistante. Le gouvernement fédéral doit établir et imposer des normes minimales dans ces domaines à l'échelle du pays afin d'améliorer la qualité des soins. Les objectifs de rétablissement devraient être établis lors du contact initial avec le système de santé mentale et revus régulièrement, à la fois avec le client et la famille. Non seulement chaque client a besoin d'un plan de traitement individuel, mais aussi les personnes atteintes d'un trouble mental grave comme la schizophrénie doivent avoir un gestionnaire de soins.
Toutes les personnes atteintes d'une maladie mentale ont la capacité de se rétablir, elles peuvent apprendre, accomplir de nouvelles tâches et acquérir des habiletés nouvelles, et ce faisant, elles se doteront d'une meilleure qualité de vie.
Le logement subventionné est l'un des piliers du rétablissement, et il doit répondre aux besoins individuels.
Il faut accorder une attention particulière aux jeunes atteints de maladies graves comme la schizophrénie. Ceux-là ont besoin d'une aide particulière pour réussir à achever leurs études secondaires. Les jeunes atteints de troubles psychotiques bénéficient de programmes scolaires alternatifs ou réguliers où enseignants et conseillers possèdent la formation et les connaissances en matière de santé mentale qui sont essentielles pour pouvoir offrir le soutien approprié.
Nous recommandons l'adoption de politiques à l'échelle du district qui permettront aux étudiants de suivre des programmes de cours allégés et des programmes de psycho-éducation destinés à éduquer les étudiants en matière de santé mentale et qui offrriront un soutien permanent en favorisant le contact avec d'autres étudiants dans la même situation.
Les individus atteints d'une maladie mentale sont davantage exposés à la toxicomanie que la population en général. Ici à Vancouver, il est impossible de déambuler dans les rues du centre-ville sans tomber sur des malades mentaux toxicomanes. Nous avons désespérément besoin d'une stratégie nationale en matière de toxicomanie. Je m'adresse à vous, à titre personnel, parce que ma propre fille, qui est atteinte de schizophrénie, prend du crack. Le crack est une drogue relativement bon marché, qui s'attaque aux centres du plaisir, et qui donne une sensation de plaisir impossible à atteindre par d'autres moyens.
Comment attendre d'une personne atteinte d'une maladie mentale grave dont les facultés cognitives sont affectées, qui ne possède pour ainsi dire aucune motivation ou vision, et qui vit au jour le jour, de seulement envisager la désintoxication?
Les interventions, de même que les ressources et les établissements de traitement sont désespérément insuffisants. L'attitude générale consiste à attendre jusqu'à ce que les personnes soient prêtes à cesser de consommer. Eh bien, elles ne veulent pas cesser de consommer.
Moralement, notre société est 100 p. 100 responsable de son échec à venir en aide à ces personnes. Nous avons en effet l'obligation morale de protéger les défavorisés dans la société, de voir à leur bien-être et de faire preuve de respect et de dignité à leur égard.
En raison de notre inaction et du manque de ressources, nous les condamnons à trois types de comportements : un comportement illicite, parce qu'il est illégal de consommer de la drogue; un comportement dégradant, comme la commission d'actes sexuels et la mendicité sur la rue; et enfin, un comportement dangereux qui les expose à des maladies comme l'hépatite et le sida.
La société devrait protéger ces personnes vulnérables. C'est notre responsabilité. Comment un régime de soins de santé qui se respecte peut-il permettre que les personnes atteintes de maladies mentales graves deviennent toxicomanes? Comment pouvons-nous les laisser mettre en péril leur santé et leur sécurité jour après jour parce qu'elles sont incapables de cesser de consommer de la drogue?
Nous devrions envisager d'adopter des mesures pour que le traitement de désintoxication devienne obligatoire pour les personnes atteintes d'une maladie mentale grave ou à tout le moins, nous devrions adopter un programme de sensibilisation proactif qui fonctionnerait sans relâche dans un effort pour leur faire abandonner leurs habitudes de consommation.
Une composante essentielle dans la lutte contre la drogue est l'intégration des services en matière de santé mentale et de toxicomanie, ces services devraient en effet être réunis afin de réduire la fragmentation. On constate également un manque flagrant de services de toxicomanie conçus spécialement pour les personnes atteintes de maladie mentale, étant donné qu'elles sont souvent incapables de participer d'une manière significative aux programmes de désintoxication et de rétablissement.
Mon huitième sujet est celui de la législation. D'autres membres des familles ont abordé ce sujet, et je vais me contenter d'ajouter que le traitement offert dans le contexte judiciaire est extrêmement coûteux. Les personnes atteintes de maladies mentales n'ont rien à voir avec le système de justice criminelle; ce n'est pas une solution viable à long terme.
J'aimerais parler du congé de longue durée. Je fais référence aux ordonnances de traitement en milieu communautaire; en Colombie-Britannique, nous les appelons les congés de longue durée. Ils sont très bénéfiques aux personnes ayant besoin d'hospitalisation de manière répétée en raison de leur incapacité à suivre les plans d'intervention. Ces ordonnances prévoient que le patient obtienne son congé de l'hôpital en vue de suivre un traitement dans la collectivité avant l'expiration de l'ordonnance existante. L'individu comprend que s'il ne se conforme pas au traitement, il risque d'être réadmis à l'hôpital sans avoir à subir les formalités d'une nouvelle ordonnance. C'est extrêmement important pour les personnes souffrant de schizophrénie qui, même une fois qu'elles sont stabilisées grâce à la médication, continuent de ne pas avoir conscience de l'importance qu'il y a à poursuivre le traitement.
Bref, sur ce plan, il nous faudrait une législation uniforme d'un bout à l'autre du pays qui garantirait que les personnes atteintes de maladies mentales graves reçoivent le traitement approprié. Les professionnels ont les mains liées en l'absence d'une bonne législation.
En conclusion, les familles jouent un rôle essentiel en ce qui concerne les soins et le rétablissement de leurs membres. C'est possible, si les familles participent au traitement de leurs proches et si elles bénéficient de ressources pour les appuyer.
Nous devons écouter les voix des familles parce qu'elles s'expriment au nom des personnes qui souffrent de maladies mentales graves incapables de le faire elles-mêmes. Nous devons permettre aux familles de participer à la prise de décisions et à l'évaluation des régimes et des services de santé mentale.
Nous devons nous concentrer sur les personnes souffrant de maladies mentales graves dans ce pays, et nous assurer que les professionnels de la santé reçoivent la formation appropriée en santé mentale. La loi doit refléter les préoccupations des familles en ce qui concerne les enjeux liés à la confidentialité, à la toxicomanie et à la criminalisation des personnes souffrant de maladies mentales.
Le modèle du comité consultatif des familles peut jouer un rôle important dans la promotion d'un système de santé mentale amélioré au Canada. Pour atteindre ses objectifs, le comité consultatif des familles doit pouvoir compter sur l'appui déterminé de l'équipe de cadres supérieurs et sur la création d'un poste de coordonnateur à temps plein du soutien aux familles.
Nous avons besoin de plus de financement pour que les soins et le traitement des maladies mentales se retrouvent sur un pied d'égalité avec les autres maladies; cependant, toute augmentation du financement devra bénéficier de mesures de protection. Ces fonds doivent être affectés conformément aux normes établies par le plan national de santé mentale. Les meilleures pratiques et la médecine fondée sur des données probantes doivent être utilisées pour formuler les normes et pour garantir la responsabilisation. Il faut engager plus de personnel à tous les niveaux pour assurer la prestation des soins. Nous avons besoin de ressources et d'une aide financière pour les familles, pour la psycho- éducation, pour les soins de relève, pour le counselling ainsi que pour les groupes d'entraide. Nous savons qu'en soutenant les familles, tout le monde pourra en bénéficier.
Les actions immédiates doivent commencer là où les besoins sont les plus criants. Nous devons fournir de l'aide et un financement ciblé pour les personnes souffrant des maladies mentales les plus graves et pour leurs familles.
Je tiens à dire au Comité à quel point je lui suis reconnaissante pour tous les rapports qu'il a produits. J'ai été à la fois impressionnée et ravie de constater que vous aviez si bien cerné les enjeux cruciaux que nous devons affronter et je tiens vraiment à vous féliciter et à vous remercier de m'avoir donné la possibilité de m'adresser à vous.
Le président : Merci, Joan, pour ces bonnes paroles et merci à chacune d'entre vous.
Doris et Bonita, vos expériences avec le système de justice criminelle nous montrent à quel point les personnes souffrant de maladies mentales sont traitées différemment. Dans votre cas, Doris, j'ai cru comprendre que les choses avaient relativement bien tourné, aussi bien qu'elles le peuvent dans les circonstances, dans le sens que votre fils semble aller mieux.
Dans le cas de Bonita, en revanche, la situation semble plus grave parce qu'il n'a pas reçu de traitement et que, même si la situation semble sous contrôle aujourd'hui, il reste que, d'une certaine manière, c'est un peu en dépit du système de justice criminelle plutôt que grâce à lui.
Est-ce seulement dû au hasard que, dans le cas de Doris, son enfant soit tombé sur un juge compréhensif, je veux dire, qu'il ait bénéficié d'un examen judiciaire plus réceptif.
Quelle est, à votre avis, la différence entre vos deux cas?
Que devrions-nous faire pour obtenir le résultat souhaité?
Mme Ray : Eh bien, mon fils était déjà dans le système de santé mentale, et ce, depuis des années, alors cela a sans doute facilité les choses. Il était déjà reconnu dans le système, ce qui lui a permis d'obtenir plus facilement le traitement requis.
Tout à l'heure, vous avez mentionné que la meilleure chose qui puisse arriver, lorsque l'on est atteint d'un trouble mental, c'est de se faire incarcérer, eh bien, c'est exactement ce que m'avait déclaré l'avocat de mon fils, à Nanaimo. Il m'avait dit : « Maintenant, il va enfin obtenir l'aide dont il a besoin », et cette aide est venue du Forensic Psychiatric Institute à Port Coquitlam. Dans le cas de Bruce, il suffisait de trouver la bonne médication. Dans celui de Bonita, il semble qu'il ait dû aller en prison.
J'ai eu connaissance d'un cas où cela s'est produit, et où rien n'a changé. Il arrive très souvent que les hommes ne reconnaissent pas qu'ils sont atteints d'une maladie mentale, et on dirait qu'ils préfèrent aller en prison. Mon fils avait le sentiment de mériter une certaine forme de punition, mais il a eu la chance de la recevoir dans un contexte médical.
Le président : Aimeriez-vous ajouter quelque chose, Bonita?
Mme Allen : Eh bien, on avait officiellement déclaré que mon fils était atteint de maladie mentale. Il se trouvait dans un hôpital psychiatrique, et même aux soins intensifs à l'époque, et il faisait preuve d'un comportement agressif violent. Lorsque l'incident est survenu, l'hôpital a voulu s'en débarrasser, et on l'a envoyé en prison. Il a comparu devant un tribunal quelques jours plus tard, et le juge a décidé qu'il devait faire l'objet d'une évaluation. Vous savez qu'il n'y a pas de lits dans un hôpital médico-légal, aussi on l'a envoyé à la prison de Wilkinson Road à Victoria et je suis sûre qu'il y aurait moisi durant un bon trente jours si je n'étais pas intervenue en criant et tempêtant, en bombardant les autorités de coups de téléphone et de lettres. On a fini par lui trouver un lit dans un établissement plus approprié à Port Coquitlam. Il a subi son évaluation, et on l'a ramené en cour, même s'il était très instable. On l'a libéré sur caution, et il s'est mis à traîner dans les environs en faisant des bêtises durant les dix jours suivants, jusqu'à ce qu'on le reprenne de nouveau. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'étaient les conditions de la liberté sous caution, ou encore qu'il fallait qu'il se présente aux autorités, et il faisait des choses bizarres. Il est retourné à la prison de Wilkinson Road jusqu'à ce qu'on lui trouve de nouveau un lit à l'institut. À l'institut, les choses ont commencé à bouger.
Le président : Voilà qui répond à ma question, si on parvient à être admis dans une unité médico-légale, même si c'est par l'entremise du système de justice criminelle, cela ressemble un peu plus au milieu hospitalier.
Mme Allen : Oui, effectivement, on y dispense des traitements. Je ne sais pas si vous trouveriez qu'il s'agit d'un bon traitement, parce qu'en prison, on se contente de leur administrer une médication, et d'espérer qu'ils vont la prendre.
Mme Nazif : Je comprends que c'est extrêmement coûteux que d'admettre des personnes dans le système médico- légal. Si on formait les policiers pour qu'ils conduisent les personnes à la clinique d'urgence des hôpitaux plutôt qu'en prison, nous éviterions ces coûts pour le système. Les tribunaux doivent comprendre que ces personnes ont besoin de traitement et de soins hospitaliers, et qu'elles devraient être soignées plutôt que traînées devant les tribunaux. En effet, ces gens devraient être admis dans les hôpitaux; il devrait y avoir des lits réservés pour le traitement des troubles mentaux.
La violence et tout le reste ne sont que des symptômes du comportement psychotique; il ne s'agit pas réellement de criminels qui sont prêts à commettre des mauvaises actions.
Mme Allen : Le problème, toutefois, c'est que ces personnes peuvent représenter un danger.
Le président : De toute évidence, il faut des établissements pour accueillir ceux qui sont dangereux, mais je pense que l'argument que fait valoir Joan c'est que, dans bien des cas, ces personnes se retrouvent en prison parce que personne n'a la moindre idée de ce que l'on pourrait faire d'autre pour régler le problème.
Joan, votre opinion va à l'encontre de celle de Rob. Vous êtes en faveur de la loi sur la santé mentale de la Colombie-Britannique, alors qu'il la rejette. Avez-vous entendu ses commentaires?
Mme Nazif : J'étais arrivée et j'ai pu en entendre une partie, mais j'avais du mal à le suivre. Je suis persuadée que nous avons une très bonne loi sur la santé mentale, et je suis convaincue aussi que nous devons nous occuper des personnes atteintes de troubles mentaux.
Le président : Vous avez mentionné le rôle joué par le gestionnaire de soins, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que seraient ses responsabilités? Je pose la question parce que Francesca a fait référence à la suggestion d'un groupe de consommateurs qui comporte notamment la notion de protecteur du patient ou du consommateur.
Je m'efforce de comprendre si cette suggestion, ou du moins l'interprétation que je me fais de son idée, cadre avec le rôle du gestionnaire de soins.
Mme Nazif : Il y a des équipes en santé mentale qui regroupent des travailleurs sociaux, des infirmières, des psychologues et des thérapeutes. L'équipe voit ma fille, et l'un des membres de cette équipe est le gestionnaire de soins.
Que le gestionnaire de soins soit travailleur social, infirmière ou psychologue n'a aucune importance, parce que le gestionnaire en question est responsable de l'organisation et de la planification du plan de traitement. Le gestionnaire de soins fait en sorte que ma fille ait accès aux services et aux ressources dont elle a besoin. Nous nous adressons au gestionnaire de soins si elle a besoin d'un logement plutôt que d'essayer d'en trouver par nous-même.
Le président : C'est le modèle du guichet unique.
Mme Nazif : Exactement.
Le président : Nous nous sommes penchés sur le problème du respect des droits à la vie privée des consommateurs, et de la nécessité pour les prestataires de soins, dans bien des cas les membres de la famille, de comprendre au moins un peu ce qui se passe. Cette tension existe un peu partout au pays, et l'opinion qui prédomine est que les droits à la vie privée l'emportent sur ceux de l'intervenant en matière de santé, et vous semblez en faveur de l'autre option. Comment pensez-vous que nous pourrions en arriver à une solution définitive sur cette question?
Mme Nazif : J'ignore comment on pourrait en arriver à une conclusion, mais c'est tout simplement illogique. Il semblait tout naturel pour mon médecin de discuter avec moi de la maladie d'Alzheimer dont est atteinte ma mère, et il se trouve que la maladie d'Alzheimer est une maladie mentale. Son cerveau ne fonctionnait pas normalement. Le cerveau de ma fille ne fonctionne pas normalement lui non plus. Le cerveau est un organe au même titre que le cœur ou le rein, et lorsque votre cerveau ne fonctionne pas normalement, vous n'êtes pas en mesure de penser très clairement.
Si le médecin peut me parler de la maladie d'Alzheimer dont souffre ma mère, ainsi que du plan de traitement et des soins à lui prodiguer, pourquoi ce même médecin ne peut-il pas parler à la famille ou à moi au sujet de la maladie mentale de ma fille?
Je ne veux pas savoir tout ce dont ils discutent et qui est confidentiel; ça ne m'intéresse pas. Et de fait, j'en sais un peu trop sur sa vie, si vous voyez ce que je veux dire. Je n'ai nul besoin de connaître les détails de sa vie intime, de sa vie privée. En revanche, nous devons connaître le diagnostic et ce qui l'attend pour le reste de sa vie. Nous devons savoir à quoi nous attendre; le rôle de la médication; le type de traitements de réhabilitation sociale; le type de médicaments qu'elle prend et le pronostic. Ce ne sont pas des secrets. J'ai lu dans l'un des rapports du comité qu'un groupe autochtone avait déclaré que le respect de la vie privée ne faisait qu'entretenir le secret au sujet d'une maladie. Après tout, nous sommes une famille.
Maintenant, il y a des situations, j'en suis sûre, où les familles ne jouent pas un rôle thérapeutique pour l'individu. Nous sommes les membres d'une famille qui aime chacun de ses membres, et nous offrons notre appui à ma fille 24 heures par jour. Ce que je veux dire, c'est que je serai là pour elle tant que je vivrai.
Le président : Je suis d'accord avec vous; je connais certains cas où l'intervention de la famille ne ferait qu'empirer les choses pour le patient, et particulièrement dans les cas d'abus.
Par conséquent, vous êtes en faveur de laisser au gestionnaire de soins ou au médecin la décision, à la lumière des interventions déjà menées auprès du patient.
Mme Nazif : J'ose espérer que ma participation commencerait dès le diagnostic, et j'espère aussi que les professionnels comprendraient que je suis une personne affectueuse et compatissante qui prend à cœur le bien-être de sa fille. Je suis ici pour venir en aide à ma fille, et pour ce faire, il faut que je sache en quoi consiste le plan de traitement. J'ai besoin d'orientation.
Je pense que ce dépliant de quatre pages vous intéressera beaucoup, parce que le ministère de la Santé a rédigé ces lignes directrices découlant de la loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée que nous avons adoptée ici, en Colombie-Britannique. Ces lignes directrices décrivent notamment des situations où la famille d'une personne atteinte de maladie mentale souhaite obtenir de l'information au sujet de cette dernière, et elles permettent au médecin traitant de divulguer cette information pour les besoins de la continuité des soins, s'il le juge approprié.
Le président : Votre position est la plus claire que nous ayons entendue, mais comme vous vous en doutez bien, les positions allant dans le sens opposé sont nombreuses aussi.
Le sénateur Trenholme Counsell : Mesdames, merci pour vos merveilleux exposés. Dans ma province, les enfants âgés de 16 ans peuvent quitter la maison. Par ailleurs, si un enfant est atteint d'une maladie mentale, les parents disposent de peu de moyens pour le découvrir ou pour s'informer à ce sujet ou encore pour participer au traitement et au rétablissement de leur enfant.
Je pense qu'au Nouveau-Brunswick l'enfant doit donner son consentement pour que ses parents participent au traitement. Que stipule la loi ici?
Mme Nazif : Je ne suis pas sûre de comprendre toutes les subtilités de la loi, mais on accorde beaucoup d'importance à l'autonomie des jeunes. Toutefois, lorsqu'une personne est atteinte d'une maladie mentale, je pense que les choses sont très différentes.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce qu'il y a des dispositions dans la loi stipulant que le professionnel peut faire appel à un membre de la famille?
Mme Nazif : Ce feuillet d'information explique que le professionnel peut divulguer de l'information. Ce sont les lignes directrices découlant de notre loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée. C'est la loi en Colombie-Britannique. Dans ces trois pages, on trouve quelques exemples qui expliquent un peu en quoi consistent la schizophrénie et les troubles mentaux.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci beaucoup. Je pense que ce feuillet mérite qu'on l'étudie de près.
Mme Nazif : Je tiens à ajouter que ces lignes directrices ne sont pas toujours respectées par les professionnels de la santé mentale et beaucoup ignorent même leur existence. Il nous arrive parfois, nous les membres des familles, de nous rendre dans les bureaux des professionnels ou de leur télécopier ce feuillet afin de leur faire comprendre qu'il existe et, qu'ils peuvent nous parler.
Le sénateur Trenholme Counsell : Si le premier point de contact est le médecin qui se retrouve brusquement dans la situation, vous devez faire valoir que la loi vous donne le droit de communiquer avec quelqu'un afin d'apprendre ce qui se passe.
Que se passe-t-il en Colombie-Britannique si un patient est violent pendant son séjour à l'hôpital? Que se passe-t-il pendant que la personne se trouve à la salle d'urgence? Est-ce que cette personne doit aller passer la nuit en prison, même si elle est atteinte d'une maladie mentale?
Mme Nazif : Franchement, j'ignore ce qui je passe ailleurs dans la province, en revanche, j'ai participé à l'élaboration de meilleures pratiques, ici-même en Colombie-Britannique. Nous recommandons que tous les hôpitaux communautaires disposent d'une pièce « capitonnée » où il est impossible de se faire du mal. Ces personnes ont besoin d'être soignées, pas emprisonnées, mais elles ne peuvent rester dans une pièce ordinaire parce qu'elles sont violentes. Les meilleures pratiques sont très intéressantes et devraient être prises en considération lors de vos recommandations à l'échelle du pays.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je pense que tous les hôpitaux peuvent appeler un gardien de sécurité pour la nuit, mais je me demande si une protection en cas d'urgence existe dans les petits hôpitaux.
Mme Nazif : Je ne pourrais pas vous le garantir, mais je suis au courant de la recommandation concernant les pièces capitonnées.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il est préférable de garder la personne en milieu hospitalier.
Mme Nazif : Oui.
Le président : Doris, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Ray : Eh bien, j'ai appris l'été dernier que tous les patients de l'aile psychiatrique doivent se trouver dans une zone ou une pièce sécuritaire. Mon fils ne représentait pas un danger pour lui-même ou pour les autres, mais il s'inquiétait à l'idée qu'une crise d'anxiété lui fasse perdre la maîtrise de lui-même.
Je pense que s'il avait été dans le système de santé mentale, violent ou non, il aurait dû se trouver dans une zone sécuritaire. Nous habitons à mi-chemin entre Vanderhoof et Burns Lake; les deux collectivités ont de petits hôpitaux, mais aucun lit dans une zone sécuritaire, aussi il ne pouvait pas rester dans l'un ou l'autre hôpital.
Le sénateur Trenholme Counsell : Sans vouloir contredire ce rapport, je ne pense pas que les hôpitaux situés dans les petites collectivités devraient offrir ce service. À mon avis, la personne devrait se rendre dans un plus grand hôpital.
On ne pourrait pas faire cela dans les hôpitaux communautaires. Êtes-vous en train de dire que trop souvent, ces patients doivent passer une nuit ou deux en prison avant que l'on ne trouve l'établissement qui convient?
Mme Ray : Oui, c'est possible, en effet, et si c'est la première fois que ça se produit, ils vont automatiquement en prison, c'est exact.
Le sénateur Trenholme Counsell : Dans une société moderne et juste, ces choses-là ne devraient pas arriver, ce n'est pas normal. Merci.
Mme Allen : Mon fils n'avait jamais eu de comportement violent, aussi le personnel de l'hôpital a-t-il été surpris et dépassé. Il n'avait jamais eu de comportement semblable auparavant, aussi lorsque ça s'est produit, il n'y avait pas de gardiens de sécurité sur l'étage. On a dû faire appel à un gardien de sécurité qui se trouvait deux étages plus bas. S'il y avait eu quelqu'un, dans cette unité de soins intensifs, peut-être que rien ne serait arrivé. Mon fils a passé deux jours dans une chambre d'hôpital avec des barreaux avant qu'on ne le conduise en prison.
Le sénateur Cook : Votre témoignage est renversant. Je suis sous le choc.
Joan, dans vos huit priorités, vous mentionnez la famille et les services de soutien à la famille, ainsi que la formation à l'intention des professionnels de la santé mentale. J'aimerais aborder la formation des professionnels de la santé mentale.
Dans ma province, à Terre-Neuve et Labrador, nous avons des infirmières praticiennes et des infirmières qui assurent la prestation des services dans les établissements de soins primaires en santé mentale.
Pensez-vous que l'on a besoin d'infirmières praticiennes, étant donné la pénurie de psychiatres dans ce pays, pour travailler avec les services de consultation familiale?
Nous entendons parler de divers problèmes, et je m'efforce de trouver des solutions qui existent déjà. Je réalise que ce n'est pas chose facile, mais si on tient compte de la disponibilité réelle des professionnels de la santé, alors je crois que nous devons innover et offrir ce genre de consultation.
Lorsque vous abordez les questions liées à la législation, vous devez comprendre tous les trois que nous sommes un groupe du gouvernement fédéral qui tente de faire face aux lois provinciales en matière de santé mentale, et s'il existe des lacunes dans le système, il doit bien y avoir moyen de mettre sur pied une stratégie favorisant l'interaction parce que sinon, nous risquons d'échouer. Sans un continuum de lois appropriées, nous allons nous retrouver encore une fois cloisonnés dans des silos.
J'aimerais revenir en arrière et vous expliquer ce qui s'est produit dans ma province. Lorsque le budget a été déposé, en février, le Waterford Hospital, qui est notre hôpital psychiatrique, a inauguré une unité de soins psychiatriques de courte durée.
Je réalise que je vis dans un milieu urbain, mais que je me trouve également dans une petite province. Je pense qu'une telle option aurait pu alléger la situation et soulager l'anxiété de Doris, mais je trouve incroyable, Bonita, qu'une personne, sans égard à la maladie, tombe sous le coup d'accusations après avoir eu un comportement violent dans une unité de soins intensifs. À mon avis, l'hôpital devrait assumer une part de responsabilité pour l'incident qui s'est produit, et l'on n'aurait pas dû le condamner à une sentence de neuf ans dans le système judiciaire.
Ce système n'était pas équipé pour venir à bout des problèmes, et plus nous entendons de témoins, plus nous sommes à même de constater qu'il y a d'énormes lacunes dans les prisons de ce pays. Si quelqu'un commet un crime et est emprisonné, c'est déjà assez difficile, je suppose; vous ne pouvez sans doute pas vous empêcher de ressentir un certain remords, peu importe à quel point vous êtes endurci, mais si vous souffrez d'une maladie mentale non diagnostiquée, ou même diagnostiquée, ça ne fait que rendre les choses encore plus compliquées.
Je m'inquiète beaucoup au sujet de ce que je lis au sujet de Karla Homolka. Il ne m'incombe pas de déterminer si elle a besoin ou non de soins assidus, je l'ignore.
Quelqu'un voudrait faire des commentaires à ce sujet?
Votre comité consultatif des familles est assurément une bonne idée. Pensez-vous que vous arriverez jamais au point où l'on ira plus loin que la famille et l'on offrira des services de soutien de type familial pour ceux et celles qui n'en ont pas?
Mme Nazif : Un service de soutien familial pour ceux qui n'ont pas de famille serait, à mon avis, un objectif très louable. Nous avons tendance à penser, cependant, que la plupart des personnes atteintes de maladies mentales ont une famille, il faut tout simplement réussir à la trouver. Souvent, la famille rejette la personne souffrant d'une maladie mentale parce qu'elle n'y connaît rien, et qu'elle a été laissée à elle-même pour comprendre les comportements étranges du membre malade de la famille. Nous partons du principe que la famille a abandonné son enfant pour ces raisons. Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Cook : Oui, vous continuez d'insister sur la formation continue et sur la communication efficace.
Mme Nazif : Oui, il faut de l'éducation à tous les niveaux. Au Canada, le grand public ne connaît pas grand-chose sur la maladie mentale. Il est ridicule que le gouvernement fédéral n'ait pas mis sur pied une vaste campagne d'information afin d'éduquer la population à tous les échelons. Nous avons, en Colombie-Britannique, un programme de marionnettes mis sur pied par la Société de schizophrénie de la province qui circule dans les écoles élémentaires. Les consommateurs manipulent eux-mêmes les marionnettes et parlent de la maladie mentale avec les élèves de quatrième et de cinquième année.
Je réalise que l'éducation est la responsabilité de chaque province, mais nous devons imposer dans les programmes scolaires le sujet de la maladie mentale. Nous aurons beau avoir toutes les ressources imaginables, si le programme n'est pas obligatoire, il n'aura pas d'incidence sur la classe. J'étais un professeur-bibliothécaire. Les professeurs ont tellement de choses à enseigner qu'ils n'aborderont pas la question de la maladie mentale à moins d'y être forcés. Ce n'est pas par manque de bonne volonté, c'est tout simplement qu'ils ont trop à faire.
Il faut éduquer cette génération afin que toute la société puisse en bénéficier.
Le sénateur Gill : Il faut admettre qu'il y a de plus en plus d'itinérants dans les rues des grandes villes comme Vancouver, Toronto et Montréal.
Vous avez mentionné qu'il s'agissait peut-être d'une question d'éducation, mais beaucoup ont abandonné toute responsabilité. Je veux parler des parents ayant abandonné leurs enfants. Ça ne relève pas de l'éducation. J'aimerais entendre ce que vous avez à dire à ce sujet, parce que des personnes se retrouvent dans la rue ou en prison, dans la rue, puis en prison, et ainsi de suite.
Mme Nazif : Je reconnais que l'éducation n'est pas la solution à tous les problèmes, et qu'elle n'est certainement pas à l'origine de tous ces problèmes, mais il reste que nous avons un énorme problème de sans-abri dans ce pays. Comment faire pour venir en aide à ces itinérants?
Le logement destiné aux personnes souffrant de maladie mentale doit vraiment répondre à leurs besoins. Il se peut que certains ne soient pas en mesure de s'accommoder d'un appartement en milieu semi-autonome, et qu'ils se débrouilleraient bien dans un centre où on leur donnerait une chambre individuelle. Dans ces centres, des repas sont servis aux personnes atteintes de maladie mentale et elles ont accès à des douches. C'est un contexte susceptible de leur convenir parce que de toute façon elles vivent dans la rue et ne sont pas prêtes à se tirer d'affaire avec les choses que vous et moi trouvons toutes naturelles dans la société. Il faut leur fournir des choses qu'elles sont prêtes à utiliser. Cela signifie aussi que nous devons trouver du financement pour engager des personnes chargées de les apprivoiser en quelque sorte. On ne peut pas se contenter d'attendre que ces personnes malades viennent vous consulter après avoir pris rendez-vous. Pour commencer, elles ignorent quel jour on est, parce qu'elles n'ont pas de calendrier, et elles ignorent l'heure qu'il est, parce qu'elles n'ont pas de montre. Il faut prévoir que du personnel sera mandaté pour aller vers elles et les aider à combler leurs besoins. J'ai le sentiment profond que nous laissons tomber ces personnes malades. Je trouve absolument révoltant que l'on se conduise ainsi dans notre pays.
Mme Ray : Mon fils était arrivé à l'âge adulte, il avait 21 ans lorsqu'on a découvert qu'il était atteint de schizophrénie; je ne devrais pas chercher à trouver des justifications, parce qu'il y a beaucoup beaucoup de personnes atteintes de schizophrénie qui vivent dans des foyers de groupe dans des villes disséminées un peu partout en Colombie- Britannique.
Mon fils vit dorénavant dans un foyer de groupe supervisé, et depuis, les choses marchent comme sur des roulettes, mais avant ce terrible événement, il a vécu à Nanaimo dans une série de foyers de groupe. Après le terrible événement, j'ai parlé à quelques parents de ces foyers de groupe. Ces parents étaient avec lui 24 heures par jour, ils étaient sa famille. Le système n'a pas écouté ce que ces parents ont dit au sujet de mon fils. Ils étaient sa famille et ils l'aimaient beaucoup, et je pense que l'on pourrait les inclure dans le processus.
Le sénateur Cook : Donc, il y a la famille nucléaire, et l'autre famille à laquelle Joan vient de faire référence, mais aussi il y a une connotation différente, étant donné que c'est là que ces personnes ont abouti.
Mme Ray : Nous restons en contact par téléphone, et nous nous visitons réciproquement, mais le parent de foyer de groupe a un rôle à jouer, vous savez, il s'assure de la prise de médicaments, et cetera. Le parent de foyer de groupe a dû faire une scène pour que mon fils soit admis plus tôt dans l'année.
J'ignorais que sa situation s'était aggravée à ce point, mais le parent de foyer de groupe avait eu beaucoup de mal à faire admettre mon fils. À Nanaimo, les choses se sont beaucoup améliorées à cause de ces terribles incidents. Cette ville a connu l'épreuve du feu, et depuis, les choses se sont beaucoup améliorées. Cette ville est en passe de devenir un bon exemple à suivre.
Le sénateur Cook : Bonita, à la page 3 de votre mémoire, vous dites,
La réforme des soins et des ressources communautaires, promise après la désinstitutionnalisation du système de santé mentale, semble avoir été effectuée au détriment des personnes ayant des démêlés avec la justice et de celles qui présentent temporairement un danger pour la société.
Nous avons échoué, et je pense qu'il y a du rattrapage à faire parce que nous avons expulsé des personnes d'un endroit où elles se trouvaient en sécurité, alors que leurs capacités de s'en sortir n'étaient peut-être pas adéquates, et nous les avons tout simplement jetées dehors, sans leur offrir le soutien d'une famille.
Je pense que nous n'aurons pas le choix de revenir en arrière. J'ai moi-même travaillé dans une halte-accueil de services sociaux. Au début, ce n'était qu'un endroit où venir se réchauffer, et petit à petit, on a commencé à y dispenser un programme restreint. Nous n'avions pas d'argent, mais nous avons réussi à trouver des étudiantes en nursing qui devaient choisir leur stage, nous avons organisé des collectes de fonds, et puis nous avons mis la main sur de vieux ordinateurs, et nous avons fini par construire quelque chose.
Laissez-moi vous dire que cette halte-accueil reçoit régulièrement entre 95 et 100 personnes. Lorsque nous pensons à une « famille », il faut faire preuve d'un peu d'imagination.
Mme Nazif : J'aimerais revenir à la protection de la vie privée. Je sais qu'il y a, dans cette pièce, des gens dont l'adolescent souffre d'une trouble psychotique dont les manifestations ont commencé dès l'âge de 15 ou 16 ans, et que leur médecin de famille a refusé de voir les membres de la famille à ce sujet.
C'est tellement absurde, et à mon avis, que la personne soit âgée de 15 ans ou de 35 ans ne change rien à l'affaire, le fait que le médecin refuse de parler à la famille ne fait qu'accroître la discrimination et la stigmatisation liées à la maladie mentale. C'est affreux. Et c'est tellement absurde. Ce n'est pas la bonne façon de faire, et j'espère sincèrement que vous allez apporter des changements en ce qui concerne la communication des renseignements.
Mme Nazif : Je me rappelle que le témoin qui vient de parler a abordé la question du traitement non volontaire. Laisseriez-vous un de vos proches atteint de la maladie d'Alzheimer errer dans les rues? Laisseriez-vous un enfant handicapé par un retard de développement déambuler dans la rue sans chaussures? Laisseriez-vous un enfant handicapé par un retard de développement se débrouiller tout seul, sans soins de santé ou sans traitement?
Il me semble que lorsque l'on décide d'accorder à ces gens des droits civils, on leur donne en même temps le droit d'être psychotique et le droit de mourir. C'est tout. Ces personnes ont besoin d'être soignées.
Le sénateur Callbeck : Pour poursuivre sur la protection de la vie privée, on dit que l'intervenant en matière de santé peut décider de divulguer l'information. L'intervenant en matière de santé est-il le médecin ou peut-il s'agir d'une infirmière?
Mme Nazif : Oui, le gestionnaire de cas peut prendre la décision après consultation du psychiatre qui est chargé du cas du patient aussi. Oui, l'infirmière ou le travailleur social peut prendre la décision.
Le sénateur Callbeck : Une seule personne est à même de prendre cette décision.
Mme Nazif : Oh, je ne pourrais pas l'affirmer. Je pense que la décision sera probablement prise en commun, qu'elle sera prise par l'équipe qui s'occupe du client.
Le sénateur Callbeck : Joan, vous avez mentionné la stigmatisation et la discrimination comme étant des problèmes majeurs, et je suis persuadée que tous les trois vous approuvez cette affirmation.
Vous avez dit aussi que des cours sur la maladie mentale devraient faire partie du programme scolaire obligatoire. J'ai remarqué que dans votre mémoire vous faisiez référence à un programme appelé « Porter secours » qui fonctionne bien, mais que vous aimeriez voir devenir obligatoire.
Mme Nazif : J'étais professeur-bibliothécaire. J'assumais la responsabilité pour toutes les ressources de l'école, et nous obtenions des trousses extrêmement intéressantes. Je les présentais aux autres professeurs lors de réunions, mais il reste qu'ils n'avaient pas nécessairement le temps de s'occuper de ces choses.
« Porter secours » est une excellente ressource produite par la Société de schizophrénie de la Colombie-Britannique. Cette trousse est très bien acceptée par les adolescents parce qu'elle met en scène trois ou quatre acteurs à l'adolescence, et cinq jeunes gens atteints de schizophrénie dans le vidéo. Ces jeunes ont une discussion fort intéressante sur la schizophrénie.
Tous les plans de leçon sont fournis, tout est là, même un professeur qui ignorerait tout de la maladie mentale pourrait très bien enseigner ce programme en l'espace de deux ou trois leçons.
Oui, je pense que nous devons faire l'éducation du public et que cette éducation s'adresse à tout le monde dans ce pays, mais il faut commencer avec les jeunes, après tout, ce sont nos futurs citoyens, ce sont eux qui devront faire usage de ces connaissances plus tard.
Le sénateur Callbeck : À partir de quelle année jugez-vous que nous devrions commencer à donner ces cours?
Mme Nazif : Eh bien, l'éducation en santé mentale devrait commencer au tout début de l'école primaire. Cette documentation en particulier s'adresse aux étudiants de l'école secondaire de deuxième cycle. Lorsque nous l'avons essayée auprès d'élèves plus jeunes, comme ceux de la huitième année, ils se sont mis à rigoler, ils n'étaient pas assez matures pour prendre le sujet au sérieux, mais ceux de la dixième à la douzième année ont très bien réagi, et ils ont appris quelque chose parce que nous les avons évalués par la suite.
L'un des plus grands mythes entourant la schizophrénie est que les personnes qui en sont atteintes ont des doubles personnalités, par exemple. C'est faux. Il y a tellement de mythes entourant la maladie mentale qu'il faut déloger, les gens ont besoin de connaître les faits, et personne ne leur donne de l'information factuelle. Tout ce qui est véhiculé par les médias sent le sensationnalisme. On n'entend jamais parler des autres aspects.
Le sénateur Callbeck : Nous étions à Regina la semaine dernière, et on a trouvé que les étudiants de huitième année réagissaient très bien à ce genre d'enseignement.
Mme Nazif : Peut-être que le programme en cause était mieux adapté à des étudiants de huitième année. Évidemment, il existe de nombreux programmes.
Le sénateur Trenholme Counsell : Finalement, on en revient à la diversité dans la population, qu'il s'agisse de la santé, de la couleur ou de la langue. Il me semble qu'il faudrait commencer dès la maternelle à parler aux enfants de la différence, parce que je sais que les enfants auxquels on a attribué un diagnostic d'hyperactivité avec déficit de l'attention, qu'ils soient traités ou non, se sentent étiquetés.
Il faut commencer cette sensibilisation dès la maternelle, et nous devons leur faire comprendre en quoi consiste la diversité, l'égalité et qu'il faut accepter tout le monde.
Donc, je ne sais pas ce que vous en pensez, je suis censé être celui qui écoute.
Mme Nazif : Non, je pense que vous avez tout à fait raison. Il y a beaucoup de diversité dans notre societé et peut- être qu'ici, à Vancouver, nous sommes particulièrement bien placés pour le sentir parce que nous sommes en contact avec divers groupes ethniques, par exemple. Il est très important d'enseigner la diversité et l'acceptation des autres, malgré leurs différences.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il faut commencer très tôt.
Mme Nazif : En effet, très très tôt.
Le sénateur Trenholme Counsell : Et maintenant, si nous décidons d'aborder l'orientation sexuelle, comme ça semble devoir être le cas dans les écoles secondaires, alors il faut préparer les gens à accepter toutes les différences.
Mme Nazif : Je crois qu'il faut commencer encore plus tôt qu'on ne le pense; les jeunes nous devancent. Ils sont peut- être davantage prêts pour ce genre de choses que nous le pensons.
Le président : Il faut regarder les choses en face, les gens de notre génération éprouvent beaucoup plus de difficulté à modifier leur opinion que les jeunes. C'est une conséquence de la vieillesse. Je suis renversé que la preuve la plus éclatante de cette affirmation se trouve dans les résultats, par exemple, d'un sondage sur le mariage entre conjoints de même sexe. Nos enfants se sont demandés quel était le problème.
Le sénateur Pépin : La question qui se pose est la suivante : à quel âge faut-il commencer à enseigner cela. Ma petite- fille a six ans, et elle est en première année. Il y a tellement de cultures différentes dans sa classe déjà, qu'elles ne les voient même pas. Nos enfants vivent et apprennent dans ce milieu. J'ai déjà fait l'erreur moi-même en m'exclamant, oh, Carolina est si jolie et si gentille, quelle jolie petite fille noire. Elle m'a répondu, « Voyons donc, elle n'est pas noire, c'est mon amie. »
Je pense qu'en commençant tôt, ils considèreront la situation comme normale et seront davantage portés à jouer un rôle protecteur envers eux qu'à les rejeter.
Le sénateur Gill : Je pense que l'on vient tout juste de dire que pour les jeunes, il n'y a pas tellement de différence, pas tellement de difficultés, mais il faut que les gens acceptent qu'il existe des différences et qu'il faut les respecter. Il faut apprendre à respecter la différence.
Je pense qu'il faut se faire à l'idée qu'il existe des différences nombreuses, mais que ces différences peuvent enrichir nos existences. Nous ne sommes pas pour autant inférieurs ou supérieurs, nous sommes différents, et il faut respecter cela. C'est un grave problème dans notre société, à l'heure actuelle.
Mme Ray : Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d'homogénéiser toutes ces choses, parce que la maladie mentale, la schizophrénie entre autres, correspond à un changement abrupt dans la personne. C'est une maladie, une maladie qui affecte le cerveau, et elle fait de tels ravages qu'un copain d'école qui en est atteint peut devenir une personne très différente de celle que vous connaissiez.
Dans le cas de la maladie mentale grave, il faut insister sur le fait qu'il s'agit bien d'une maladie, tandis que les autres choses, comme les maladies psychologiques et l'homosexualité sont des différences plus courantes. Ce que je veux dire, c'est qu'une personne atteinte de l'une de ces maladies mentales peut changer du jour au lendemain. Les jeunes, les vieux, personne ne comprend vraiment ce qui se passe, tant qu'ils n'ont pas réalisé que c'est une maladie au même titre qu'une crise cardiaque ou un cancer. C'est ma façon de voir les choses.
Je suis d'accord avec Joan, que l'on doit éduquer nos enfants à l'école, parce que cette situation peut toucher certains de leurs amis, si ce n'est eux-mêmes, très rapidement, soit à l'école secondaire ou à l'université.
Le sénateur Cordy : Des parents sont venus nous raconter leur histoire. Je me souviens entre autres d'une mère venue nous raconter ce qui était arrivé à son fils, et je n'avais pas pu m'empêcher de pleurer. Son fils était un étudiant d'un rendement supérieur et un athlète d'élite, et tout d'un coup, la maladie mentale l'a frappé. Pas un seul de ses amis ne lui a téléphoné. La mère expliquait que s'il s'était cassé la jambe, il aurait reçu des coups de fil, des cadeaux, des petites cartes et des lettres. C'était un peu comme si cet enfant avait disparu de la face de la terre, et ce fut déchirant pour ce parent.
J'aimerais parler du programme « Porter secours ». Vous avez raison, même avec les meilleures trousses d'information du monde, si ces trousses restent sur les rayons de la bibliothèque ou de la classe, elles ne serviront pas à grand-chose.
Est-ce que ce programme parle de la stigmatisation qui est tellement répandue dans la société ou encore est-ce qu'il explique comment les choses se passent pour un enfant qui vit dans un milieu familial où l'un des membres est atteint d'une maladie mentale, ou encore est-ce que ce programme vise en particulier les enfants eux-mêmes, ou toutes ces réponses?
Mme Nazif : Est-ce que vous voulez parler de cette ressource en particulier?
Le sénateur Cordy : Oui, j'aimerais en apprendre davantage au sujet de cette ressource en particulier.
Mme Nazif : Eh bien, elle explique aux étudiants du secondaire quels sont les symptômes d'une psychose ou d'une maladie mentale, et elle insiste surtout sur le fait que s'ils s'aperçoivent qu'un ami est en train de changer ou de devenir quelqu'un de très différent, qu'ils doivent chercher à obtenir de l'aide.
Nous savons tous que les jeunes n'aiment pas se dénoncer les uns les autres, aussi on insiste beaucoup sur le fait que si on s'aperçoit qu'un ami a un comportement très différent depuis les six derniers mois, qu'il n'est plus comme avant, il faut chercher à obtenir de l'aide. On recommande de s'adresser au conseiller scolaire, ou encore au professeur ou au directeur de l'école ou même au parent de l'adolescent. On ne leur demande pas de prendre la responsabilité, parce qu'ils ne devraient pas le faire, mais on les encourage à chercher de l'aide.
Le programme décrit les symptômes et ces symptômes sont très variés parce qu'ils varient en fonction du trouble mental. Le programme montre cinq jeunes gens atteints de schizophrénie qui parlent de leur maladie avec beaucoup de franchise. Une petite dramatisation illustre les changements survenus chez un jeune homme. Il a l'air débraillé, mais son amie décide qu'elle doit faire quelque chose pour lui, et elle cherche de l'aide. Le programme encourage les jeunes à reconnaître les symptômes.
Le sénateur Cordy : La subvention de Santé Canada ne visait qu'à faire la distribution du programme.
Mme Nazif : En fait, c'est la Société de schizophrénie de la Colombie-Britannique qui l'a mis au point. J'ai participé à son élaboration, et nous avons effectivement reçu de l'argent pour pouvoir le distribuer aux quatre coins du Canada. La Société de schizophrénie du Canada a présenté la demande en vue d'obtenir une subvention, et Santé Canada a accordé plus de 200 000 $ pour couvrir les frais de distribution.
Nous avons communiqué avec toutes les écoles secondaires du pays, et nous avons expédié la trousse d'information à toutes celles qui se montraient intéressées. Les gens peuvent reproduire la bande vidéo, s'ils le désirent. Nous n'avons aucune intention de faire de l'argent avec ce projet, nous voulons seulement que l'information soit diffusée.
Le sénateur Cordy : Est-ce que des ministères de l'Éducation se sont montrés intéressés?
Mme Nazif : Je pense que l'éducation est extrêmement importante. Beaucoup de conseillers scolaires ne savent absolument rien au sujet de la maladie mentale. Ils ont appris des tas de choses au sujet des relations, mais ils ignorent tout de la maladie mentale.
Comme je l'explique dans mon mémoire, je pense que ce programme devrait servir de modèle pour l'élaboration de tous les programmes du même genre, parce que tout le monde devrait être en mesure de reconnaître les symptômes d'une maladie mentale grave. Les conseillers voient des jeunes gens tous les jours; ils sont sur la ligne de front. Nous pourrions venir en aide à tellement d'enfants si seulement nous pouvions éduquer les professeurs et les étudiants. Ce programme devrait être intégré au programme régulier des professeurs, tout autant que de celui des étudiants.
Cette ressource vise à former les professeurs et les groupes de parents, tous ceux qui s'efforcent de comprendre la maladie de leur enfant, et elle est efficace auprès des jeunes gens en rétablissement. Elle les aide à voir ce que d'autres personnes ont réussi à faire, et comment elles ont réussi à gérer leur maladie mentale.
Le sénateur Cordy : Votre centre pour la famille est assez impressionnant. Comment les familles s'y prennent-elles pour savoir que vous existez?
Mme Nazif : Je ne travaille dans aucun centre, mais j'ai fait partie du groupe de la Société de schizophrénie ayant mis au point cette ressource.
Le sénateur Cordy : Je voulais parler du Comité consultatif des familles.
Mme Nazif : Ah, désolée. Nous avons travaillé durant dix années pour faire entendre notre voix dans le système de la santé mentale, et nous sommes arrivés parfois à obtenir un certain appui. Nous nous réunissions régulièrement avec un psychiatre, mais rien ne se passait. Année après année, c'était toujours la même histoire, les mêmes problèmes à résoudre et les mêmes questions. Les familles ne faisaient pas partie de l'équipe de traitement. Lorsque les cadres supérieurs ont pris un engagement, les choses ont commencé à bouger.
Kim Calsaferri, qui est chef de la Réhabilitation et du rétablissement, nous a accordé son appui. Nous nous sommes adressés à la haute direction et avons expliqué ce que nous voulions, et à quel point nous avions besoin de participer au processus. Nous ne nous attendions pas à prendre toutes les décisions, nous voulions seulement participer à la prise de décisions, au même titre qu'un consommateur.
Il a fallu attendre 10 ans avant qu'un travailleur social à temps plein assume la coordination des services et du soutien à la famille. Je crois que ce service devrait servir de modèle dans tout le reste du pays, parce que lorsque les familles reçoivent du soutien, l'état du bénéficiaire s'améliore.
Le sénateur Cordy : Joan, vous êtes très claire en ce qui concerne la prise de médicaments.
Je me demande, Bonita et Doris, en tant que mères de fils atteints de maladie mentale, ce que vous en pensez. Un peu plus tôt aujourd'hui, d'autres témoins sont venus nous dire que personne ne devrait être forcé de prendre des médicaments. Je me demande quelle est votre opinion à ce sujet.
Mme Ray : Les anciens médicaments avaient des effets secondaires graves, parfois pires que la maladie, mais les nouveaux médicaments n'ont pas autant d'effets secondaires, et dans le cas de mon fils, ils ont donné de bons résultats durant un certain temps, puis ont cessé d'agir.
Lorsque l'incident est survenu à Nanaimo, il prenait de nombreux médicaments, et donc j'ai été à même de constater qu'ils ne donnaient pas de si bons résultats, mais actuellement sa médication fonctionne bien. Il faut surveiller les personnes atteintes de maladie mentale et les écouter. C'était ça le gros problème, avec mon fils. J'ai parlé à d'autres parents aussi, et ils m'ont confié que leurs enfants se plaignaient de la même chose. Ils savent très bien lorsque les médicaments ne font pas effet, mais il y a tellement de médicaments sur le marché, et celui que prend mon fils, que l'on appelle le médicament du dernier recours, s'appelle la Clozapine; ce médicament semble très bien fonctionner dans son cas.
Mme Allen : Oui. Comme vous le disiez, mon fils a pris dans le passé des médicaments qui avaient de terribles effets secondaires, mais finalement on a découvert que le lithium lui convenait très bien. Il a enchaîné de longues périodes pendant lesquelles ce médicament a eu du succès, jusqu'à sept ans sans problème. J'espère que cela n'arrivera plus jamais, mais avant son dernier épisode, il avait été victime d'une intoxication au lithium, et ça l'avait rendu très malade physiquement. Aussi, on a dû lui retirer le médicament, et c'est comme ça, selon moi, qu'il s'est engagé sur la pente descendante vers une autre crise, parce qu'il faut un certain temps avant que le médicament ne s'accumule de nouveau. Il est revenu au lithium encore une fois, et tout semble bien se passer. Il doit faire des analyses sanguines chaque mois afin de s'assurer que l' « intoxication » n'est pas encore en train de s'installer. Mais sans cela, mon fils ne serait plus de ce monde aujourd'hui.
Mme Nazif : J'aimerais vous raconter une histoire, je ne pense pas que la principale intéressée m'en voudrait de raconter son histoire. Elle s'appelle Loyanne, elle souffre d'une maladie mentale, elle parle de sa vie librement et sans arrêt. Loyanne était une abonnée de notre grand hôpital psychiatrique où elle est entrée une dizaine de fois probablement; elle y faisait des allers et retours. Elle était internée, soumise à un traitement durant quelques mois, on lui donnait une médication, et dès sa sortie, elle jetait ses médicaments dans la première poubelle venue et c'était reparti de plus belle, le cycle recommençait jusqu'à ce qu'elle soit internée de nouveau. En fin de compte, Loyanne a bénéficié d'un congé prolongé. Il est nécessaire d'obtenir la coopération de la personne pour ce type de traitement, et elle avait accepté. Lorsqu'elle a quitté l'hôpital, elle avait compris que si elle ne respectait pas son engagement, si elle ne prenait pas ses médicaments et si elle ne venait pas à ses rendez-vous avec l'équipe de santé mentale, elle risquait de se voir internée de nouveau.
Les personnes atteintes de maladie mentale n'aiment pas être à l'hôpital. Aussi Loyanne est sortie, on lui a trouvé un logement et elle y est restée durant six mois, se contentant de rester là, étendue sur son lit, et de prendre sa médication, et elle n'avait pas le choix, parce que sinon elle risquait de retourner à l'hôpital. Après environ six mois, elle a finalement retrouvé ses esprits, et aujourd'hui elle a une vie. Elle est la mère de trois filles.
Elle nous a demandé comment on avait pu la laisser vivre dans la rue. Elle a raconté qu'elle dormait dans la rue, dans des conteneurs de carton et qu'elle se nourrissait dans les poubelles. Elle a dit, « Comment avez-vous pu me manquer de respect au point de me laisser quitter l'hôpital et ne pas prendre ma médication? » C'est de cela que parle Loyanne. La médication lui a sauvé la vie, lui a redonné sa dignité et la possibilité de devenir quelqu'un.
Le sénateur Pépin : Le Comité pense que s'il existe un moyen d'obliger le gouvernement et tous les Canadiens à reconnaître les inégalités et les injustices commises à l'égard des personnes souffrant de maladie mentale, ce sera par l'entremise de la Charte des droits et libertés qui pourrait être adaptée en fonction des besoins des consommateurs en santé mentale. Grâce à la Charte, les personnes atteintes de handicap mental pourront avoir accès aux services et bénéficier d'un traitement sans discrimination. Elles pourront aussi bénéficier d'un dépistage précoce, d'un diagnostic et d'un traitement approprié. Elles bénéficieront de services adaptés à leur culture et à leur langue.
D'aucuns sont d'avis que la Charte ne fera que renforcer la stigmatisation parce que ces personnes auront des droits différents.
Qu'en pensez-vous et comment voyez-vous les choses? Peut-être ne me suis-je pas bien exprimée en anglais.
Mme Ray : Eh bien, mon fils a obtenu une absolution conditionnelle de l'institut où il a reçu ses consultations et sa thérapie. Il a rencontré des gens qui lui ont dit que ses médicaments allaient causer du tort à son cerveau, aussi à deux ou trois reprises, il a cessé de les prendre, et a dû être hospitalisé.
Les choses ont commencé à prendre un tour différent lorsqu'il a finalement été suivi en counselling par un type qui a réussi à le faire changer complètement d'attitude. À l'institut, il avait développé cette attitude de rivalité. Mais le changement d'attitude qu'il a opéré avec l'aide de son conseiller, et qui entraîné un revirement de la situation, consistait plutôt à sentir qu'il faisait partie de l'équipe chargée de l'aider à aller mieux. Il a fini par se présenter devant la commission d'examen parce que ce type avait réussi à le convaincre, et qu'il a réussi à convaincre à son tour la commission qu'il était en bonne voie de devenir un membre utile de la société, et qu'il y avait de l'espoir.
Mme Nazif : Il ne faut pas oublier que lorsque le cerveau est malade, il ne peut pas avoir un très bon jugement sur ce qu'il faut faire pour que le reste du corps soit en bonne santé. Si on trouve une personne inconsciente sur la chaussée, on se dépêche de la transporter en ambulance, on n'attend pas qu'elle se réveille pour lui demander si elle veut qu'on la soigne. On lui prodigue un traitement, qu'elle ait été victime d'un accident ou d'une crise cardiaque, et à mon avis, avec les personnes atteintes de maladie mentale, il faut respecter le fait qu'elles sont incapables de décider pour elles-mêmes. Elles ne réalisent pas qu'elles sont malades.
Comme société, nous devons respecter leur dignité et les traiter, parce que sinon, ces personnes n'ont que le désespoir en partage, elles seront psychotiques pour le reste de leurs jours. C'est un peu comme pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer; on ne les laisse pas se débrouiller toutes seules et errer dans la rue.
Je pense que nous respectons leurs droits en leur donnant le droit de recevoir un traitement. Tous les Canadiens ont le droit d'avoir une bonne santé. Pourquoi les psychotiques n'auraient-ils pas droit à de bons soins de santé?
Le sénateur Pépin : Devrions-nous laisser les choses dans l'état actuel, ou poursuivre la discussion en vue de rédiger une charte spéciale des droits à leur intention?
Mme Nazif : Eh bien, je pense que nous devons étudier les diverses lois sur la santé mentale qui existent dans ce pays.
Le sénateur Pépin : Dans d'autres villes, des gens qui nous ont expliqué que si une personne était victime d'une crise cardiaque, on appelait l'ambulance, mais que si on était témoin d'un incident mettant en cause une personne atteinte d'un handicap mental, on avait tendance à appeler la police pour qu'elle vienne chercher la personne. Une fois à l'hôpital, la personne attend des heures avec les policiers, elle vient en dernier dans la liste des priorités pour obtenir un traitement.
Des personnes qui travaillent dans les services correctionnels sont venues nous confirmer ce que vous dites. Elles reconnaissent que les personnes atteintes de maladie mentale attendent très longtemps lorsqu'elles se présentent à l'hôpital. Les policiers nous ont invités à visiter les hôpitaux afin de nous rendre compte par nous-même et de suggérer des moyens d'améliorer le système.
Mme Nazif : Nos principales salles d'urgence et les hôpitaux des grandes villes devraient toujours avoir du personnel compétent capable de traiter les troubles psychotiques afin que les patients n'aient pas à attendre durant des heures. J'ai même entendu parler d'un cas où des parents avaient emmené leur enfant atteint de schizophrénie à l'hôpital, mais que l'enfant avait fini par s'en aller parce qu'il avait attendu trop longtemps.
Il s'agit d'une situation de crise, ce n'est pas parce que la crise touche une personne différente que cette crise est moins grave. Il faut que nos salles d'urgence soient dotées d'un personnel compétent sur le plan psychiatrique.
Mme Allen : En ce qui concerne les salles d'urgence, nous nous sommes aperçus que le personnel médical qui s'y trouve ne veut pas examiner les personnes souffrant de maladie mentale à moins qu'elles aient commis un acte quelconque. Autrement, comme vous le dites, elles se retrouvent dans le fond de la salle d'urgence. Il arrive souvent que le personnel refuse de leur donner un traitement parce que les personnes atteintes leur disent qu'elles « sentent » qu'elles ont besoin d'aide. Ce sont leurs médecins qui leur conseillent de se rendre à l'hôpital dès qu'elles sentent un épisode venir. Toutefois, elles n'obtiennent pas une grande coopération dans les salles d'urgence.
Je reconnais que le personnel des salles d'urgence est très occupé et que peut-être il faudrait prévoir une zone différente pour les urgences de type psychiatrique.
J'ai déjà conduit mon fils à l'urgence alors qu'il se trouvait dans une phase maniaque, et croyez-moi, c'est une expérience affreuse. Il se promène partout en traitant les gens de sorciers, il leur arrache les magazines des mains et il les effraie. Moi, je reste assise là à me ronger les sens en me demandant ce qu'il va bien pouvoir inventer. J'ai dû discuter ferme avec le médecin pour expliquer ce qui se passait. On a essayé de me dire qu'il avait pris de la drogue, ou qu'il était ceci ou cela. Je leur ai dit, écoutez je sais très bien ce qu'il a. Il a une maladie mentale. Il a un dossier médical, ne pouvez-vous pas sortir son dossier? Non, c'était trop compliqué. Il faut vraiment faire tout un plat pour qu'on s'occupe de vous. Il faut vraiment que les choses changent dans les hôpitaux, ça c'est sûr.
Le président : J'aimerais remercier chacun d'entre vous d'avoir pris la peine de venir ce matin.
La séance est levée.