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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT des 
affaires sociales, des sciences et de la technologie

TÉMOIGNAGES


TORONTO, le mardi 15 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui à 9 heures en vue de se pencher sous les enjeux touchant la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Tout d’abord, je tiens à souhaiter la bienvenue à tout le monde, à l’occasion de cette première journée de la série d’audiences publiques que nous tiendrons dans chaque province et territoire d’ici la fin du mois de juin. Nous commençons ici, à Toronto, nous irons ensuite à Montréal, et nous irons vers l’Est et vers l’Ouest par la suite.

J’aimerais dire aux gens qui sont ici — ainsi qu’aux gens des médias, car je sais qu’il y en a —, que notre comité se réjouit de l’intérêt suscité par les rapports que nous avons déposés en novembre dernier, et nous sommes particulièrement heureux de la participation des survivants, des consommateurs et de leur famille.

Comme vous le savez peut-être, au moment du dépôt des rapports, en novembre dernier, nous avions versé sur notre site Web un bref questionnaire, sept questions, pour tenter de donner aux consommateurs et à leur famille l’occasion de nous raconter leurs expériences de vie, car nous étions conscients du fait que cela est très difficile à faire sur une tribune publique. Et c’est le visage humain de la maladie mentale et de la toxicomanie qui nous a vraiment poussés à entreprendre ces travaux.

Comme certains d’entre vous le savent sûrement, car j’ai souvent souligné ce fait dans des discours, de nombreux membres du comité ont été confrontés à la souffrance d’un membre de leur famille immédiate aux prises avec un problème de santé mentale, de sorte que nous avons pu nous rendre compte de visu à quel point le système est, franchement, médiocre, et, en réalité, l’un des dangers dans le domaine des soins de santé. Lorsque nous lisons des comptes rendus sur les rencontres des premiers ministres et qu’on parle des milliards de dollars en jeu, et ainsi de suite, nous sommes toujours frappés par le fait que ni la couverture médiatique ni les déclarations des dirigeants politiques — ou, du moins, une très petite part — ne mentionnent les patients. On ne fait aucune mention de l’impact humain du système de soins de santé.

La raison pour laquelle le rapport que nous avons déposé en novembre dernier s’assortissait d’une Partie I intitulée « Le visage humain de la maladie mentale » était bien simple : nous tentions de faire comprendre aux gens qui liraient ce rapport qu’il ne s’agit pas uniquement de dollars, d’organisations, de structures et d’autres choses du genre. Nous parlons de services réels pour des personnes réelles, et c’est pour cette raison que notre premier groupe de témoins ce matin, en ce premier jour d’audiences pancanadiennes, met l’accent sur les gens qui ont été victimes de maladie mentale, ainsi que sur leur famille et d’autres membres de leur entourage.

Je me réjouis du fait que, au cours des deux séances de ce matin, nous accueillerons des personnes qui ont eu la générosité d’accepter de prendre la parole et de relater leurs histoires personnelles, car je crois qu’il est essentiel que le comité ne perde pas de vue qu’il s’agit d’une histoire humaine, d’un drame humain, et nous comptons bien améliorer les choses.

Histoire de mettre la situation en contexte — je ferai photocopier ceci plus tard — samedi dernier, on a publié dans le Chronicle Herald de Halifax un dessin qui, je crois, interpellera toute personne ayant fait l’expérience du système de soins de santé mentale. Le dessin montre un petit bureau avec un médecin et une infirmière et une pancarte « Services de santé mentale », et toutes les personnes en attente de services sont de l’autre côté d’un abîme aussi large que le Grand Canyon; et l’infirmière dit au docteur : « Bien sûr, le système présente certaines failles. » Je crois que cela décrit très bien le système actuel.

Dans notre séance d’ouverture de ce matin, nous accueillons Pat Capponi, Darrell Powell, Diana Capponi et Helen Hook, qui est coordonnatrice du Consumer/Survivor Information Resource Centre, ici même à Toronto. Je les invite donc, à commencer par Mme Diana Capponi, à formuler une brève déclaration, et, par la suite, nous aimerions vous poser des questions.

Je tiens à vous remercier tous les quatre d’être venus ce matin. En passant, j’aimerais signaler officiellement à mes collègues que plus de 500 personnes ont répondu à notre questionnaire, alors que la plupart d’entre nous en attendaient moins de 100. Nous ne pensions tout simplement pas que cela fonctionnerait. Ces témoignages comptent parmi les choses les plus touchantes que j’aie jamais vues, et ils nous seront énormément utiles, car nous pourrons assortir notre rapport final d’extraits de témoignages. Je veux remercier publiquement toutes les personnes qui ont pris le temps de remplir notre questionnaire.

Diana Capponi, je vous demanderais seulement, avant que vous preniez la parole, d’appuyer sur le bouton afin qu’un voyant rouge s’allume sur votre micro. Merci.

Mme Diana Capponi, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de fournir des renseignements pertinents sur les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, et les dilemmes économiques et professionnels connexes. Bien sûr, je compte également réagir à votre troisième rapport préliminaire.

Je ne suis pas étonnée de constater que le chapitre du rapport qui porte sur l’emploi compte parmi les plus courts. Cela n’est pas inhabituel, puisque la notion d’accès de notre collectivité à l’éducation, à l’emploi et aux débouchés économiques est relativement nouvelle. Jusqu’à il y a une dizaine d’années, environ, on nous disait de nous compter chanceux de toucher un chèque de prestations d’invalidité, d’avoir une carte de médicaments, bien sûr, et, généralement, de vivre dans un logement insalubre que la plupart des Canadiens considéreraient comme inacceptable. Nous avons appris à être reconnaissants au prétendu personnel de soutien pour les conditions de logement souvent médiocres qu’il nous procurait.

Notre Charte des droits et libertés confère une gamme complète de droits aux citoyens canadiens. Toutefois, on nous refuse un grand nombre de ces droits, que les autres tiennent pour acquis. Pour commencer, j’expliquerai le rôle que je joue ici en Ontario à l’égard de la situation économique et professionnelle des gens qui ont bénéficié de notre système de soins en santé mentale et en toxicomanie.

J’ai quitté le système il y a 24 ans, après avoir bénéficié de services liés à des problèmes de santé mentale et de toxicomanie au cours des 28 premières années de ma vie. Je n’ai pas réintégré le système à titre de cliente depuis cette époque, car, après toutes ces années passées à l’intérieur et à l’extérieur du système, j’ai enfin compris que je ne peux compter que sur moi-même pour apporter du changement. Le fait de dépendre des autres, d’accepter leurs idées arrêtées concernant mon potentiel, m’a fait plus de mal que de bien.

Le président : Pourriez-vous parler un peu plus lentement? Le traducteur éprouve de la difficulté à vous suivre. Merci.

Mme Diana Capponi : D’accord. Le fait de dépendre des autres, d’accepter leurs idées arrêtées concernant mon potentiel, m’a fait plus de mal que de bien. Heureusement pour moi, je suis le genre de personne qui ne renonce pas facilement. Depuis que j’en suis venue à cette conclusion, j’ai acquis la conviction que mon rôle est de commencer à fournir de l’espoir et du changement aux personnes en proie à une pauvreté de l’âme, propre aux membres de ma collectivité — aucun espoir pour l’avenir, entourés de personnes qui nous qualifient constamment de « brisés », qui nous taxent de « psychiatrisés », qui nous tolèrent au lieu de nous accueillir.

Votre rapport s’assortit d’un chapitre sur la discrimination. La discrimination est omniprésente dans notre pays. Que le gouvernement fédéral prenne si peu de mesures pour lutter contre la discrimination liée à la santé mentale est scandaleux. Je crois fermement que l’intégration complète des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie contribuera largement à l’évolution des attitudes et des croyances.

La pleine intégration commence, bien sûr, par l’obtention d’un emploi rémunérateur. Selon moi, les progrès modestes réalisés au cours des dix dernières années sont attribuables au travail de ces personnes ayant surmonté des problèmes de santé mentale qui contribuent à la création de groupes d’entraide et, en particulier, celles qui ont lancé et qui exploitent des entreprises parallèles.

Les entreprises parallèles sont gérées et contrôlées entièrement par des personnes ayant des antécédents en matière de santé mentale et de toxicomanie. Pour une raison qui m’échappe, elles n’existent qu’ici, en Ontario. Certains d’entre vous connaissez peut-être le service de messagerie express A-WAY ou le restaurant Raging Spoon. Ces entreprises, qui existent depuis environ 25 ans, se distinguent de l’approche classique des ateliers protégés ou des entreprises appliquant des mesures en faveur de groupes désavantagés, lesquelles appartiennent à des organismes sans but lucratif, et sont gérées par eux. Même si le rapport À l’unisson publié par votre gouvernement en 2001 qualifie ces entreprises de « pratiques efficaces », vous semblez savoir bien peu de choses à leur égard.

La demande en information sur la mise en valeur des entreprises parallèles à l’échelle internationale est élevée, et j’étais plutôt déçue que votre rapport n’en fasse pas mention. De fait, il semblerait que la majeure partie du contenu du chapitre 3 porte sur les personnes qui participent actuellement au marché du travail, et qu’on s’attache très peu aux personnes qui n’en ont jamais eu l’occasion, ou qu’on a découragées de chercher à améliorer leur sort. On m’a déjà dit d’accepter ma situation et de renoncer à l’idée d’aller à l’école et d’avoir une carrière. Dieu merci, je ne les ai pas écoutés, car je ne serais pas ici aujourd’hui. Je compterais parmi les milliers de personnes vivant une existence médiocre, marquée par la médication, la folie et la pauvreté abjecte.

J’ai consacré les 20 dernières années de ma vie à la promotion de l’emploi et à la création d’entreprise. Dans le cadre de mes fonctions à titre de directrice générale de Fresh Start Cleaning and Maintenance, j’ai rapidement compris que les gens peuvent se montrer à la hauteur de vos attentes ou se cantonner dans la catégorie diagnostique que les travailleurs utilisent pour déterminer leurs efforts.

L’Ontario Council of Alternative Businesses a pris naissance rapidement et, contre toute attente, a réussi à lancer cinq autres entreprises, ici à Toronto.

Vous trouverez dans la documentation que je vous ai fournie un film qui s’intitule Working Like Crazy. Cette production, le fruit d’un partenariat entre l’Office national du film et le conseil, a été présentée en Amérique du Nord et au Royaume-Uni, à un public qui, malheureusement, ne comprenait que trop bien la situation des personnes qui ont été dans le système.

La raison pour laquelle ces entreprises fonctionnent si bien, c’est qu’elles sont conçues pour satisfaire aux besoins particuliers de groupes qui veulent avoir accès à des débouchés économiques. Aujourd’hui, après un peu plus de 10 ans, nombre d’entre nous en Ontario exigeons un emploi, exigeons d’être payés pour ce que nous faisons, et manifestons un intérêt croissant à faire des études. Tout cela, bien sûr, dans un contexte où les autres ne croient pas en nous. Depuis bien trop longtemps, on nous dit de ne pas essayer de nous intégrer, de ne pas essayer de travailler, de ne pas essayer de guérir, parce que nos maladies perçues ne s’estomperaient jamais et que, bien sûr — toujours la même histoire — « ce serait trop stressant pour vous. »

On ne prête absolument aucune attention aux facteurs sociaux qui influent sur la santé des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

Enfin, notre communauté voit l’impact du travail et des attentes, et elle en veut plus. Nous devons veiller à ce que votre comité examine les besoins de ces personnes qui sont exclues du marché du travail depuis si longtemps, auxquelles on a fait croire qu’il n’avait rien de mieux à faire que d’attendre leur prochain chèque. Le bien-être passe par la participation, l’autodétermination et l’estime de soi.

Nous affichons un taux de chômage de 85 p. 100, situation intolérable pour toute communauté, qu’elle se définisse par des critères géographiques ou sociaux. Le gouvernement fédéral se doit de réagir à cette statistique alarmante, et voici certaines de mes idées à cet égard.

Le gouvernement fédéral a récemment décidé de ne plus recourir à la sous-traitance pour la prestation de services d’aide à l’emploi, mais a lancé un appel d’offres. Cette démarche découle, bien sûr, d’un rapport préparé par IBM, à la demande de notre gouvernement. Ainsi, ces organismes ayant déjà fait leurs preuves devaient maintenant présenter une soumission pour obtenir du financement. Cela soulève tout un tollé aujourd’hui, car, au bout du compte, ce sont les entreprises de formation professionnelle du secteur privé qui l’emportent. On a rejeté la candidature des groupes les plus efficaces, sans fournir de justification.

J’ai assisté tout récemment à une tribune communautaire où l’on dénonçait avec virulence l’absence d’information et la disparition de certains services. Par exemple, Link Up Employment Services, l’un des organismes les plus efficaces pour ma communauté, et jouissant d’une bonne réputation auprès du secteur privé, a fermé ses portes le 31 janvier, sans aucune forme d’explication. Il s’agissait d’un service dispensé entièrement par des personnes handicapées.

Après avoir entendu le dernier Discours du Trône, nous avions bon espoir que le Premier ministre reconnaîtrait et valoriserait le travail des entreprises à vocation sociale. Pourtant, Industrie Canada, principal responsable d’aider et de soutenir ces initiatives, ne semblait ni saisir ni comprendre toute la beauté des entreprises parallèles, qui sont florissantes ici en Ontario.

Des partenariats merveilleux ont été créés et, fait plus important encore, des gens maintiennent leurs emplois et leurs entreprises avec un peu d’aide de réseaux et de coalitions comme le Toronto Enterprise Fund. C’est l’une des initiatives les plus enthousiasmantes dans notre pays, et elle procure des emplois et des débouchés économiques à des centaines de personnes. Pourtant, Industrie Canada la connaît très peu, ou pas du tout.

Il y a des groupes comme Parkdale Green Thumb Enterprises, lequel s’engage auprès d’associations locales d’amélioration des entreprises à veiller à ce que les terrains soient propres et à ce que les fleurs poussent; c’est une idée novatrice qui convient aux deux groupes concernés, mais elle n’a jamais été reproduite ailleurs au pays. Si nous voulons nous attaquer à la discrimination, ces groupes sont des experts en la matière. Nous devons tirer avantage de leurs compétences et de leur expertise au lieu de tenter de réaliser les idées des autres.

L’Organisation mondiale de la santé envisage l’invalidité non pas au moyen d’un modèle fondé sur la maladie, mais bien d’une approche plus globale, y compris les obstacles créés par la société. Ce n’est pas l’invalidité qui empêche les gens de travailler. Ce sont les obstacles, pour la plupart créés par les attitudes.

J’aimerais maintenant aborder les enjeux que vous soulevez dans votre rapport. Premièrement, je me demande pourquoi il n’y a aucune définition nationale du terme « invalidité ». Il y a une définition dans le Code national des droits de la personne et dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi, mais pourquoi les provinces peuvent-elles en faire fi et adopter leur propre définition? De fait, cela permet aux provinces de continuer à discriminer contre les personnes ayant certains handicaps — en particulier, les personnes aux prises avec un problème de toxicomanie. Ici en Ontario, un problème de toxicomanie n’est pas considéré comme un handicap, même si c’est le cas dans la définition du gouvernement national. De plus, on prévoit que la définition fédérale s’appliquera lorsque la situation est ambiguë. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné ici en Ontario?

Pour ce qui est des gens qui participent déjà au marché du travail, voici un document intitulé Navigating Workplace Disability Insurance : Helping People with Mental Illness Find the Way. Comment est-il possible qu’aujourd’hui, au Canada, un groupe de personnes aux prises avec un handicap ou des problèmes de santé mentale et de toxicomanie ait besoin d’un guide pour recevoir les avantages fondamentaux que les autres Canadiens tiennent pour acquis?

Le Régime de pensions du Canada, l’Assurance-emploi et les assureurs privés semblent conspirer pour rendre de plus en plus difficile l’acquisition de ces prestations payées. Ce n’est qu’un des problèmes auxquels sont confrontées les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Le RPC, bien qu’il ait été récemment passé en revue, adopte une approche naïve et plutôt ignorante en matière de santé mentale, se contentant d’appliquer un modèle de diagnostic médical, même si le modèle médical est actuellement remis en question.

Bien trop souvent, les gens qui ont affaire aux assureurs et aux provinces ne peuvent supporter le stress ou le fardeau financier qu’on leur impose au moment même où ils ne sont pas en mesure de travailler. Nombre d’entre nous croyons fermement que les assureurs privés, lesquels, je crois, relèvent d’une réglementation fédérale, devraient être tenus responsables de la façon dont ils traitent les gens ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

Que fait le gouvernement fédéral pour veiller à ce que des méthodes et des procédures appropriées soient appliquées aux personnes ayant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie? Pourquoi les assureurs privés ne sont-ils pas encouragés à élaborer des programmes appropriés de retour au travail au lieu de programmes punitifs? Le gouvernement fédéral croit-il vraiment qu’il traite les membres de notre collectivité de la même façon qu’une personne bénéficiant d’une chimiothérapie? Si c’est le cas, vous vous trompez fort.

J’avancerais que, malheureusement, la plupart des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie savent qu’ils devraient taire leur maladie ou leurs problèmes au travail, ce qui n’est pas un choix sain. La mesure de l’invalidité à long et à court termes ne permettra pas de déterminer si le milieu de travail est sain. On doit établir une culture de respect et de compréhension à l’égard de tous les employés. C’est là une mesure véritable de la santé mentale en milieu de travail. Certes, les programmes d’aide aux employés doivent apprendre à mieux composer avec les problèmes de santé mentale. Pour de nombreuses personnes, trois ou quatre visites ne suffisent pas, et, naturellement, tout cela est encore lié au mieux-être en milieu de travail.

En quoi soutient-on les employeurs canadiens? Le gouvernement fédéral déclare que les employeurs canadiens doivent se plier aux exigences de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, mais on leur offre très peu de soutien à cet égard. Où les employeurs peuvent-ils aller pour trouver de l’information et des ressources relatives aux enjeux touchant le code des droits de la personne, le retour au travail et l’obligation de tenir compte de la situation de quelqu’un? À l’heure actuelle, même si la majorité des employeurs canadiens comptent moins de 100 employés, il n’existe aucun service leur permettant d’accéder à ces ressources, à moins qu’ils n’acceptent de payer des frais d’utilisation. Qu’est-il advenu du service CanJana? C’est un service du gouvernement fédéral qui permettait aux employeurs d’accéder aux ressources nécessaires pour veiller au recrutement et au maintien en poste de personnes handicapées. Depuis la fermeture de ce service, rien n’a été créé pour le remplacer.

Le RPC doit revoir de fond en comble ses pratiques visant les personnes ayant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Comme c’est le cas au sein de notre société en général, il y a des exemples flagrants de procédures et de méthodes discriminatoires. Les gens qui évoluent au sein de ces systèmes doivent totalement revoir leur façon d’envisager les programmes de formation professionnelle et d’emploi du régime, dont un grand nombre sont discriminatoires et punitifs de nature, car on refuse l’accès aux personnes étiquetées de certains diagnostics. C’est monnaie courante au RPC.

Que fait le gouvernement fédéral pour soutenir l’échange de connaissances entre les médecins et les employeurs? Les médecins possèdent très peu de connaissances en ce qui concerne les enjeux touchant le retour au travail ou, d’ailleurs, l’emploi et son incidence sur les personnes handicapées. Or, qui détermine à quel moment une personne retourne au travail? Bien souvent, c’est le médecin. On a mené beaucoup de recherches prometteuses sur les enjeux touchant le retour au travail, sur la réduction du délai d’absence des employés, et sur le coût assumé par les employeurs canadiens à l’égard de l’invalidité à long terme. Pourtant, le gouvernement permet à l’une des tables rondes les plus efficaces et importantes de disparaître, au lieu de promouvoir l’adoption de pratiques favorisant un milieu de travail sain qui contribueraient largement à favoriser le maintien en poste d’employés ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

J’ai appris avec enthousiasme que le ministre fédéral de la Santé avait chargé Michael Wilson et Bill Wilkerson de se pencher sur les enjeux touchant la santé mentale et le milieu de travail au sein du gouvernement fédéral. Il est le premier employeur en importance au Canada, et j’avancerais que des changements s’imposent. J’oserais espérer que ces changements comprendront le recrutement ciblé de personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, et que le gouvernement fédéral ira bien au-delà des efforts déployés par notre secteur bancaire, de façon à ce que les personnes aux prises avec un problème de santé mentale ou de toxicomanie aient accès à tous les postes, quel que soit le niveau ou la classification. Vous pourriez ainsi montrer au public canadien et à vos employés que vous « prêchez par l’exemple ».

Enfin, un examen des programmes d’aide aux employés, des assureurs privés et du RPC et l’adoption d’une définition uniforme du terme « invalidité » permettraient de réaliser des progrès importants en vue d’aider les employés aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Tant que les organisations et les employeurs adopteront des attitudes discriminatoires, il y aura des obstacles à l’emploi et à la pleine jouissance des droits conférés par la citoyenneté canadienne. Nous devons répondre aux besoins économiques et aux besoins d’emploi de ceux qui sont exclus de la population active du Canada, de ces personnes qui ont tant besoin d’être intégrées. Vous devez examiner des initiatives comme les entreprises parallèles. Il faut que la définition du terme « entreprise à vocation sociale » englobe ces initiatives qui se sont révélées fructueuses pour les personnes ayant des antécédents en matière de maladie mentale et toxicomanie.

N’acceptez pas des approches limitées et des points de vue subjectifs en ce qui concerne la capacité des gens de travailler. Je vous prie de continuer de prendre connaissance de la réussite de personnes comme moi-même et des personnes qui travaillent dans le système, et de faire en sorte que tous les Canadiens puissent jouir des avantages de la citoyenneté.

Merci.

Le président : Merci, Diana.

Pat, vous avez maintenant la parole.

Mme Pat Capponi, à titre personnel : Merci, et merci aux membres du comité de m’accueillir de nouveau. Je vous suis reconnaissante. Je parlerai d’une lacune du rapport.

Sénateur Kirby, il y a un autre dessin humoristique qu’on voyait pendant les années 80. On y voyait un grand hôpital morne, au sommet d’un promontoire, et les gens qui quittaient l’hôpital tombaient en bas de la falaise, chose qui, malheureusement, est toujours d’actualité.

Pour une personne de la classe moyenne, un diagnostic de maladie mentale grave crée un monde de douleur et une existence semée d’embûches. Vous entendrez sans doute des personnes vous dire aujourd’hui à quel point leur vie peut être difficile. Pour ceux qui portent l’étiquette de « malade chronique », toutefois, ces défis augmentent de façon exponentielle, car cela signifie que les aidants ont abandonné.

Les premières expériences d’un grand nombre de patients psychiatriques chroniques sont définies par la pauvreté, car elles sont souvent nées au sein de familles dont la situation était déjà difficile. Le traitement supposait l’internement et des soins en milieu surveillé dans l’arrière-salle d’établissements provinciaux, parfois pendant des décennies, où on inculquait sans relâche aux patients chroniques qu’ils étaient absolument dépendants à tous les égards de leur existence pathétique, et que toute résistance à l’autorité serait sévèrement punie.

Infantilisés, surmédicamentés, soumis à des électrochocs, lobotomisés et contrôlés, nous en étions réduits à une existence qui se limitaient à des parties de cartes interminables, à regarder la télévision tout l’après-midi, et à fumer constamment des balles de tabac, seule récompense pour notre bonne conduite. Il n’y avait aucune attente à notre égard, nous n’avions aucune décision à prendre. Le monde se débrouillait plutôt bien sans nous jusqu’à la désinstitutionnalisation, c’est-à-dire jusqu’à l’expulsion en masse des malades des hôpitaux provinciaux, sans aucune mesure pour les aider à s’adapter à cette nouvelle liberté.

Nous étions brisés, énormément vulnérables, inconscients de nos droits et obligations, et, bien souvent, analphabètes, sans aucune compétence professionnelle, sans amis, et avec bien peu de contacts avec notre famille. De plus, nous avions l’air étrange avec notre démarche très lente — propre aux personnes qui consomment de la thorazine — nos corps bouffis par des années de nourriture d'établissement, et cette toux profonde, occasionnée par la consommation effrénée de cigarettes bon marché sans filtre, notre seul plaisir.

Nous étions vulnérables à l’exploitation, aux agressions physiques et sexuelles, et au désir de nous soustraire temporairement à notre situation grâce à la drogue. Nous n’avions aucune défense. Dans notre nouveau monde, nous étions toujours isolés par notre peur, notre pauvreté et la réaction de colère du quartier à l’égard de notre présence. Épuisés par les médicaments qui nous paralysaient, nous passions nos jours et nos nuits à dormir dans des chambres surpeuplés. Notre vie s’arrêtait à cela, et les rares professionnels qui se chargeaient de préparer nos ordonnances ou de nous aider à passer d'un centre d’accueil insalubre à l’autre estimaient que c’était tout ce dont nous étions capables.

Les années ont passé. Certains se sont suicidés ou sont morts d’une maladie physique. D’autres ont poursuivi cette demi-existence pendant que l’amélioration des soins bénéficiait à ceux que l’on jugeait plus méritants.

Pire encore, nous constations que les patients plus âgés qui disparaissaient étaient remplacés par des femmes et des hommes nouvellement étiquetés, qui provenaient de la même strate sociale et qui apprenaient rapidement un grand nombre des leçons communes d’impuissance et de défaite. L’institutionnalisation se poursuivait au sein de la collectivité, définie par l’absence de soins et l’indifférence devant nos malheurs.

Certains d’entre nous, un très petit nombre au début, qui n’avaient pas été enfermés aussi longtemps que les autres, qui avaient réussi à vivre un peu entre les hospitalisations, avons reconnu le mal qui avait été fait à notre communauté. Nous avons commencé à remettre en question les idées reçues en ce qui concerne notre identité et nos capacités. Nous avons amorcé, au début des années 80, une lutte qui a duré un quart de siècle avant de mener à des gains et des changements réels, et nous avons essentiellement fait cela sans aide ni soutien des personnes chargées de nous dispenser des soins, à une exception près : Mme Reva Gerstein, qui témoignera devant le comité plus tard aujourd'hui.

Nous commencions à comprendre que notre apparence et la façon dont nous nous sentions, que la façon dont on nous forçait à vivre, notre isolement, notre exclusion et notre désespoir, l’insoutenable pauvreté, avaient bien peu à voir avec le diagnostic attribué, quel qu’il soit. Nous avons regardé ceux qui sont seulement pauvres, et constaté que le stress et la difficulté de tenter de se loger et de se nourrir créent des émotions négatives analogues aux symptômes de la maladie mentale. Nous étions misérables parce que nous étions plongés dans la misère.

En 1995, l’Ontario Council of Alternative Businesses a exercé des pressions en vue de pouvoir établir des entreprises de survivants dans la province, démarche qui se détache radicalement de l’approche classique en matière de réadaptation professionnelle, et a obtenu du financement à cette fin. Nous avions des modèles là où il n’y en avait pas auparavant. Nous accomplissions des choses, nous brisions les mythes et les idées préconçues nous concernant et nous formions une communauté.

Les patients psychiatriques chroniques se sont montrés déterminés à se présenter au travail à l’heure, à acquérir de nouvelles compétences et à nouer des amitiés durables, et les gens saisissaient chaque occasion d’apprendre de l’expérience des autres. Nous arrivions à vaincre nos démons intérieurs — sans l’aide du système de soins de santé mentale, où des millions de dollars consacrés à de vastes campagnes publicitaires avaient échoué.

Néanmoins, pour chaque progrès réalisé, il y a des reculs. Aux yeux d’un grand nombre de personnes, un patient psychiatrique chronique n’est qu’un malade mental. On ne donne pas aux personnes portant cette étiquette le droit d’être une personne à part entière, on ne s’attend pas à ce qu’une telle personne ait une personnalité qui reflète celle de l’ensemble de la population — bon, méchant et tout ce qu’il y a entre les deux. Un schizophrène est un schizophrène, et tout ce qu’il fait est attribuable non pas à la nature sous-jacente de cette personne, mais bien à sa maladie. Une personne amère et en colère, ou qui a une dépendance à l’égard du crack ou d’autres drogues, commet un acte terrible, et on s’unit pour décrier toutes les personnes qui portent la même étiquette. On mine nos droits civils en adoptant des lois pour protéger la société contre les malades mentaux.

Par conséquent, nous avons des équipes de traitement communautaire dynamique, ou TCD, dont la fonction consiste essentiellement à s’assurer que le client prend son médicament. Même si leur mandat est censé être plus large — et il l’est, théoriquement — il existe peu d’endroits convenables où les équipes peuvent envoyer leurs clients, et encore moins d’occasions d’emploi. L’employé qui soulève ce point met son poste en danger; celui qui signale que les logements sont horribles met son poste en danger. Les seules ressources que nous ayons en abondance sont, encore une fois, de coûteux psychiatres, des ergothérapeutes, des infirmières et des travailleurs sociaux qui en sont réduits à distribuer des pilules et des seringues, de façon à garder les malades sortants dans une camisole de force chimique, pour rassurer le reste de la collectivité.

Si un client est déprimé et en colère en raison des contraintes qu’on lui impose, on augmente sa dose de médicaments. S’il a peur de son propriétaire ou s’il est incapable de dormir dans une pièce surpeuplée, on augmente sa dose de médicaments. S’il est affamé et agité par la pauvreté, on augmente sa dose de médicaments, et s’il lui reste suffisamment d’énergie pour se mettre en colère, la posologie veillera à ce que cette colère s’estompe.

Nous avons démontré que ces « malades chroniques » qui travaillent au sein d’entreprises exploitées par des survivants exigent moins de médicaments et passent moins de temps à l’hôpital. Nous avons démontré que la pire chose à faire — et on nous le fait encore aujourd'hui —, c’était de nous dire que nous pouvions rien accomplir, qu’on ne pouvait rien attendre de nous sans risquer une rechute dans la psychose. On nous a ainsi dérobé nos vies et nos espoirs, et nos ambitions, si petites soient-elles. Le fait de remplacer tout cela par des soins de protection à l’intérieur et à l'extérieur des établissements est un crime continu contre notre communauté, et déshonore notre pays.

Nous réussissons à nous transformer malgré les préjugés, la contrainte, la pauvreté et les contrecoups de nos témoignages. C’est un long processus, exacerbé par un système qui refuse d’examiner ses propres préjugés et sa propre contribution à l'exclusion de ceux qui sont affligés de ce double diagnostic de pauvreté et de maladie mentale.

Les ressources actuellement utilisées pour garder les malades mentaux graves au lit, dans une torpeur médicamenteuse, doivent être réaffectées afin qu’on puisse libérer tout le potentiel humain qu’on a privé d’espoir et d’occasions pendant si longtemps. Nous devons investir de l’argent et de l’énergie en vue de contribuer à ce développement humain et communautaire permanent, en créant des occasions d’apprentissage, de croissance personnelle et d’emploi. Il faut qu’une partie de l’argent actuellement utilisé pour faire la morale au public sur les conséquences de l’exclusion soit utilisée pour éliminer au sein du système les préjugés qui affligent les personnes qui sont le moins capables de se défendre. D’abord et avant tout, nous devons enlever au système le pouvoir d’imposer à quelqu’un l’étiquette d’irrécupérable car il semble qu’on l’exerce de façon disproportionnée contre les pauvres et les abandonnés.

Merci.

Le président : Merci, Pat, de votre témoignage très touchant.

Accueillons maintenant Darrell Powell, qui est parti de Vancouver pour nous rencontrer aujourd'hui.

M. Darrell C. Powell, à titre personnel : Sénateur Kirby, honorables membres du Comité, je n’ai rien préparé pour cette audience, mais je vais vous raconter une histoire sur mon expérience, et vous expliquer en quoi j’estime qu'elle est pertinente à vos travaux.

Il y a un aspect de la discrimination et de l’exclusion qui est beaucoup plus sinistre que vous voudriez bien le croire. À mon avis, le gouvernement et le milieu médical sont les plus grandes sources de cette discrimination, pour des raisons très intéressées.

Je suis né en Ontario. J’ai quitté la maison assez jeune, et je me suis installé à Vancouver au début des années 70, où j’ai travaillé sur les chantiers navals. J’ai un solide sens du devoir, puisque je viens d’un milieu assez pauvre — un petit gars qui a grandi dans les rues de Yorkville. J’ai découvert que j’aimais travailler près des bateaux et des chantiers navals. J’y excellais. Tout allait très bien.

En 1990-1991, je me suis blessé aux genoux, et j’ai dû communiquer avec la commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique. À l’époque, on avait tendance à confier les demandes d’indemnisation à la commission d’appel, à générer des décisions mal fondées et à laisser quelqu’un d’autre déterminer si la demande était valide ou non.

Cela s’est reproduit encore et encore, et je suis certain que tout le monde ici est au courant d’histoires d’abus de la part des commissions des accidents du travail. Le problème, selon moi, concerne la discrimination et l’exclusion qui peuvent effectivement faire d’une personne un criminel dans ce pays où l’on n’a pas la possibilité de surmonter sa maladie ou toute dépression antérieure. Si vous avez déjà consulté un psychologue ou un psychiatre au cours de votre vie, on utilisera cette information pour miner la demande d’indemnisation ou l’étendue de la demande au moment d’établir un diagnostic de SSPT ou de syndrome de la douleur chronique, comme dans mon cas.

Cet abus est si grave, et si lourd, que j’en suis venu à la conclusion qu’il n’y a aucune façon de se défendre — lorsque l’abus est intentionnel — sans recourir à la Charte des droits et libertés. Nous n’avons individuellement aucune capacité de faire respecter les droits que nous confère la Charte. Nous n’avons aucun pouvoir.

À l'heure actuelle, je suis touché par quelque chose qui a eu des répercussions financières continuelles. J’ai subi 16 ans de litiges. Cela a miné ma santé, physique et mentale, de sorte que maintenant, j’ai vraiment un problème qui figure dans le DSM-IV.

Il fallait que j’obtienne gain de cause à certains échelons, et je l’ai fait. Chaque fois qu’on tranchait en ma faveur, ils semblaient recourir à des méthodes toujours plus sales, à un point tel que plusieurs personnes se sont intéressés à mon cas, y compris un ombudsman et des députés provinciaux, en raison de ce qui se passait, et j’ai gagné mon appel en 1996.

Quand j’étais plus jeune, j’ai eu des problèmes. J’ai consulté, et je ne me rappelle pas précisément pour quelle raison, c’était peut-être pour une dépression ou quelque chose comme cela. Toutefois, on n’a jamais conclu à un problème biologique ou biochimique ou à un trouble de la personnalité, sauf qu’on a déterminé que j’en avais une. J’ai également utilisé ma personnalité passionnée pour expliquer mes succès sur les chantiers navals.

Les choses se sont poursuivies, jusqu’au point où la commission des accidents du travail présentait mon cas de manière inexacte pour ne pas avoir à m’indemniser, où elle déclarait avoir élaboré un programme de réadaptation, ce qui n’était pas le cas, et j’ai porté cela à l’attention de personnes à l’extérieur de l’organisation ainsi qu’à l’ombudsman interne.

Cela a duré encore quatre ans, jusqu’à ce qu’une directrice de la commission des accidents du travail dénonce la situation. Elle m’a avoué qu’elle ne pouvait pas, en toute bonne conscience, supporter la façon dont on avait traité ma demande, et le préjudice qu’on m’avait causé. Depuis, je crois qu’elle est partie en congé de maladie, et qu’elle a pris sa retraite par la suite.

Cela a mené, vers 2000, à une intervention dans mon dossier, la deuxième dans l’histoire de la commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique, au cours de laquelle le PDG de l’époque a utilisé un mandat spécial pour mettre un terme à la destruction de ma santé mentale et physique et — puisqu’on ne m’a pas offert de recyclage — pour établir la pension, et il a rétabli la situation. J’ai reçu de nombreuses lettres d’excuses, et je touche actuellement une pension. Je suis certain qu’ils s’affairent probablement à trouver un moyen de me la retirer.

Depuis ce temps, le vice-président à qui l’on a confié mon dossier ainsi que les responsables de la planification organisationnelle tentent d’élaborer pour moi un plan de formation professionnelle pour que je puisse m’attacher à quelque chose d’autre dans la vie, et recommencer à vivre ma vie sans avoir affaire à la commission des accidents du travail, dont les agents étaient devenus les principales personnes dans ma vie.

Quand vous avez des liens avec la commission des accidents du travail, les effets, bien sûr, touchent le système médical. J’ai subi huit interventions. La conclusion relative à la douleur chronique a été tirée en 2000. Par conséquent, mon dossier a fait l’objet d’un processus que d’aucuns qualifient de « partie de pêche aux éléments préjudiciables », au cours duquel on fouille dans votre passé pour trouver ce qu’ils appellent des facteurs antérieurs à l’état morbide. Et s’ils trouvent quelque chose, que Dieu vous garde.

Ils embauchent un psychologue externe et le chargent de procéder à une évaluation approfondie de tous les aspects de votre vie; cela peut prendre jusqu’à huit ou dix heures. Ils vont chercher de l'information partout.

Je tiens à vous signaler, entre parenthèses, que jusqu’en 2000, on laissait continuellement traîner de l’information sur mon dossier. Je suppose qu’ils s’attendaient peut-être à ce que je présente une demande d’indemnisation pour détresse émotive, alors ils ont extrait toute l'information et l'ont laissée sur le dessus de mon dossier pendant plus de six ans — sans trancher — pour que chaque agent de traitement des demandes, pour que quiconque prend mon dossier, voie l'information.

L’isolement qui accompagne la discrimination est beaucoup plus grave, et le coût assumé par la personne est extrêmement élevé. Je ne peux faire respecter les droits que me confère la Charte. J’essaie de le faire, mais il me faudrait 300 000 $ et une équipe de juristes. La commission dispose d’une équipe juridique complète, et ils financent la défense de leurs actions fautives à même la caisse des accidents, chose que j’expliquerai dans un instant.

Lorsqu’on procède à l’évaluation de la douleur chronique, comme je l’ai déjà mentionné, on passe votre passé psychologique au peigne fin. J’avais consulté un psychiatre, et c’était mon choix, et je n’y voyais rien de mal, rien de différent du fait de parler à des amis, à des parents ou à quelqu’un d’autre. J’estimais que c’était une bonne idée de demander à une personne neutre d’examiner la situation. Rien de tout cela n’a jamais influé sur ma capacité de trouver du travail, de conserver un emploi ou autre chose du genre, comme en témoignent clairement mon dossier et mes antécédents.

Il y a donc eu beaucoup de pressions pour que l’on procède à cette évaluation. Le directeur qui a dénoncé l'attitude de la commission à mon égard m’a dit comment on m’appelait à l’occasion de réunions privées, et je ne peux probablement pas répéter ces mots ici. C’était probablement la pire situation imaginable : savoir que ces gens ont le pouvoir de vous enlever votre revenu et de vous mettre à la rue.

Ils ont enfin obtenu leur évaluation de la douleur chronique, et le résultat ne correspondait pas à leurs attentes. On n’a cerné aucun facteur antérieur à l’état morbide. De fait, pour citer presque textuellement le rapport : « Aucun élément du passé de Darrell n’influe sur son état psychologique à la suite des blessures qu’il a subies et de ses démarches auprès de la commission. »

Comme je l’ai déjà dit, j’ai reçu des excuses. Le jour même où je me faisais opérer aux genoux, le vice-président de la commission des accidents du travail affirmait à un député provincial que je souffrais d’une maladie mentale incurable et que je souffrirais toujours du stress, omettant de mentionner le rapport que la commission avait demandé à un intervenant à l’externe de produire, un rapport qui disait le contraire.

Ce qui nous amène à la question suivante : que reste-t-il à faire? J’ai ensuite compris — j’avais cerné des indices au cours des quatre ou cinq dernières années — ce qui s’était passé. Je n’ai compris cela que tout récemment, en 2002, en raison de l’attitude condescendante de la commission. J’ai commencé à comprendre qu’ils me parlaient d’une certaine façon afin que j’accepte qu’on récrive l’histoire — oh, certaines personnes semblent éprouver plus de difficulté que les autres avec le processus — et ils ont commencé, je dirais, à me tendre un piège. J’étais déjà méfiant, et, à ce moment-là, le président qui était intervenu ne se mêlait plus de l'affaire, ou presque, et ni le vice-président, ni le chef de la planification organisationnelle ne l’ont mis au courant de ce qui se passait.

En 2000, la commission m’a donné ma pension. On a classé mon dossier dans les « dossiers délicats », avec les victimes de viol et autres dossiers du genre, car, effectivement, j’étais victime de la commission elle-même. C'est embarrassant pour eux. Ils ont préféré retirer mon dossier de cette section pour ne pas avoir à expliquer pourquoi il y était.

En 2000, le gouvernement Campbell éviscérait la commission des accidents du travail et apportait des changements assez fondamentaux à la loi, et l’un de ces changements concernait le recouvrement des prestations du RPC à même les prestations d’invalidité de travailleurs accidentés.

Dans le pire des cas, si vous touchez 600 $ de prestations d’invalidité du RPC jusqu’à l’âge de 65 ans, et vous recevez 300 $ de la commission des accidents du travail, ils prennent la moitié de ce que vous verse le RPC, de sorte que, d’une certaine façon, ils ne vous versent aucune indemnisation. C’est le RPC qui le fait.

En 2002, ils m’ont envoyé une lettre de consentement pour l’obtention de renseignements auprès d’un tiers, et j’ai refusé de la signer. À ce moment-là, j’ai compris qu’il n’existait aucun protocole interne pour orienter le traitement de ma demande — et on leur a ordonné d’en créer un — afin que je n’aie pas à le justifier continuellement auprès de chaque personne qui tombe sur ce dossier. Par conséquent, quelqu’un l’a pris en charge et m’a envoyé une de ces lettres afin d’autoriser l’échange d’information entre le RPC et la CAT, mais la lettre demandait également que j’autorise l’échange d’information avec un tiers. Quand j’ai téléphoné au RPC à Ottawa pour m’informer, on m’a répondu que le RPC ne faisait pas cela. C’est quelque chose que la CAT faisait elle-même. Elle se charge elle-même de trouver des renseignements.

Cela décrit la conjoncture politique dans laquelle évolue la CAT dans la province de la Colombie-Britannique.

Le président : Darrell?

M. Powell : J’ai refusé de signer…

Le président : Je veux veiller à ce que nous ayons suffisamment de temps pour entendre Helen Hook et vous poser des questions; pourriez-vous terminer en nous disant où vous en êtes maintenant?

M. Powell : D’accord. Je vais conclure rapidement.

En 2000, un membre de la CAT a menacé de lancer une vendetta contre moi. Cela m’a incité à tenter de donner suite au protocole et à pousser la commission à accoucher du protocole sur papier, car cela n’avait pas été fait à l’interne. Au moment d’établir ce protocole, de veiller à ce que le vice-président en rédige un, on a soulevé la question de la santé mentale. J’ai tenté de convaincre la commission d’écrire, noir sur blanc, une fois pour toutes, qu’il n’y avait pas de facteurs antérieurs à l’état morbide, et elle refusait de le faire.

Ainsi, je me retrouve dans un état de santé extrêmement médiocre, avec un problème cardiaque, et j’ai grincé des dents jusqu’à ne plus en avoir — chose que la commission a reconnue et indemnisée —, mais lorsque quelqu’un, à l’interne ou n’importe qui d’autre à l’extérieur de la CAT, posait des questions, la commission entre en « mode préventif ».

« Si quelqu’un à l’extérieur de la CAT ou à l’interne vous pose des questions, dites qu’il y avait des facteurs antérieurs à l’état morbide. » La Commission expliquait à ses agents pourquoi ils faisaient certaines choses d’une certaine façon. Par conséquent, ils n’avaient pas à admettre qu’ils avaient commis une erreur. Cela fonctionne très bien. Ils ont assez de pouvoir pour se le permettre.

Par conséquent, je me suis mis à la disposition de votre comité, et je compte rester quelque temps, et je comprends que mon histoire est complexe. Je vous ai apporté un affidavit du député provincial concerné, et je considère mon témoignage d’aujourd'hui comme une déclaration sous serment. Je suis également disposé à fournir l'accès à tous mes renseignements personnels détenus par le gouvernement de la Colombie-Britannique ou la commission des accidents du travail.

Je ne m’attends pas à obtenir gain de cause. Ils ont de l'argent, et j’ai 60 000 $, un trou dans le cœur et un gros anévrisme, et je me suis presque coupé la langue avec mes dents il y a un mois, alors je ne m’attends pas à survivre à tout cela. Je ne m’attends pas à traverser cette épreuve. Ce n’est pas une question d’argent.

Pour finir, je crois qu’il faut décriminaliser la maladie mentale, et prêter une attention beaucoup plus marquée aux erreurs de diagnostic ou aux diagnostics erronés. Je crois qu’on devrait éliminer de la Charte la disposition prévoyant qu’on ne peut intenter des poursuites pour discrimination contre une compagnie d’assurance ou un fournisseur de prestations.

Le gouvernement, en particulier celui de la Colombie-Britannique, ne fera pas cela de bonne foi. Il s’accrochera à son pouvoir dans la province. De fait, il tente de se distancer davantage d’Ottawa, mais j’ai constaté, dans la loi, que le gouvernement est tenu de se conformer aux initiatives fédérales. C’est prévu dans la loi.

C’est donc ça, la solution. Il faudra une initiative fédérale pour changer les choses ici, car la province ne le fera pas. La province de la Colombie-Britannique ne va d’aucune façon changer la façon dont elle traite les questions de santé mentale dans le cadre de la commission des accidents du travail ou du système d’aide sociale de la province. Il n’est pas question qu’elle fasse cela. Ce n'est pas la bonne foi qui va l’emporter.

Le président : Merci, Darrell. Je vous remercie beaucoup d'être venu nous raconter votre histoire.

J’aurais deux choses à dire à mes collègues : j’ai pris connaissance de l’histoire de Darrell dans une longue lettre qu’il m’a fait parvenir; et deuxièmement, mon bureau a par la suite reçu un certain nombre de lettres, de mémoires et d’appels téléphoniques de personnes qui ont été victimes d’une forme de discrimination de la part de la commission des accidents du travail de diverses provinces. Par conséquent, à l’occasion de l’une de nos audiences en avril, nous accueillerons un groupe constitué de présidents de trois CAT provinciales différentes.

La deuxième question soulevée par Darrell en est une qui me trouble depuis longtemps à l’égard des programmes sociaux en général, c'est-à-dire la tendance des gouvernements provinciaux à récupérer les sommes que fournit le gouvernement fédéral. On peut raisonnablement s’attendre à ce que cette question soit abordée directement dans notre rapport, et je crois également qu’il est important pour nous d’examiner le point soulevé par Darrell, selon lequel, au bout du compte, il faut résoudre les problèmes de discrimination au moyen de dispositions législatives fédérales au lieu de laisser chaque province s’en occuper.

Merci beaucoup d’avoir fait tout ce chemin pour témoigner, Darrell. Enfin, nous accueillons ce matin Helen Hook, coordonnatrice du Consumer/Survivor Information Resource Centre, ici même à Toronto.

Mme Helen Hook, coordonnatrice, Consumer/Survivor Information Resource Centre : Merci, monsieur le président. Comme son nom l’indique, le Consumer/Survivor Information Resource Centre est un centre d'information, un centre de ressources. Nous avons lancé nos activités en 1992. Nos activités sont axées sur les pairs, sur le consommateur. L’ensemble du personnel, des bénévoles et des clients sont des gens qui sont passés par le système de soins de santé mentale ou par le système de soins aux toxicomanes.

À nos débuts, en 1992, nous étions au PARC, c'est-à-dire le Parkdale Activity Recreation Centre, qui était un important carrefour d'activités communautaires, et il l’est toujours. Nous bénéficions d’un financement du ministère de la Santé et des Soins de longue durée. Nous nous sommes déplacés un peu après 1992, mais nous sommes au même endroit depuis 1999, c'est-à-dire au troisième étage d’une maison située au 252, rue College. Nous sommes là grâce au généreux soutien de l’Unité de recherche et de soutien communautaire du CTSM, c'est-à-dire le Centre de toxicomanie et de santé mentale.

Cette générosité nous permet d'économiser les 1 100 $ par mois de loyer que nous devions payer auparavant, mais cela signifie aussi que nous sommes aussi au troisième étage, et que nous ne sommes pas aussi accessibles qu’auparavant. Nous ne sommes pas dotés d’un local accessible, qui donne sur la rue. Les gens qui ne sont pas en mesure de gravir trois étages d’escaliers ne peuvent se rendre à nous. Nous devons descendre et les rencontrer à l’hôpital, situé juste à côté.

Nous fournissons des services d’entraide, d’approche et d’information, ainsi qu’un centre de ressources. Nous avons des films, des livres et des dépliants. Nous recueillons et diffusons de l’information. Nous publions deux fois par mois le bulletin d'information que voici, et je me plais à croire que nous vous avons aidés à recevoir plus de 500 réponses, car, dans notre bulletin du 1er décembre, nous avons publié le communiqué de presse selon lequel la commission Kirby faisait appel aux commentaires du public. Les gens nous téléphonaient pour dire : « Comment puis-je obtenir le questionnaire? Comment puis-je obtenir le questionnaire? Je ne suis pas branchée à Internet. Comment puis-je l’obtenir? » Nous l’avons publié dans le bulletin d'information du 15 décembre. Nous lui avons réservé deux pages — notre bulletin en compte 10 — et nous avons dit : « Si vous ne pouvez l’obtenir sur Internet, le voici. » Et le plus récent bulletin, celui du 15 février, contient le calendrier.

Le président : Merci.

Mme Hook : Voici notre petit dépliant.

Je crains que vous me compterez parmi ces témoins embêtants qui vous répètent des choses que vous avez déjà entendues. Je sais que le propos est important et qu’il mérite d'être répété, et je sais que vous me pardonnerez, car à la lumière des rapports que vous avez publiés en novembre, je sais également qu’une grande part de mon propos vous tient à cœur.

Je n’étais pas là à l’occasion de votre première série d'audiences. J’étais à la maison. J’ai passé trois ans et demi à la maison, en proie à une dépression. Je ne quittais ma maison que pour voir des médecins et des psychiatres. J’étais à la maison avec aucun revenu, vivant uniquement de l’aide de mon conjoint de longue date. C’était un cas classique, conforme à ceux dont vous faites état dans vos rapports. J’étais déprimée, je suis devenue triste, je me suis mise en colère et j’ai quitté mon emploi — pas d’assurance-emploi.

Cela m’était déjà arrivé, en 1994, et j’ai interjeté appel auprès de l'AE. Cela ne m’a mené nulle part. On a même téléphoné à l’endroit où je travaillais, on a parlé à mon ex-exployeur, et on lui a dit : « Elle dit qu’elle était déprimée. Est-ce vrai? » « Elle ne nous a rien dit à ce sujet. » Alors, mon appel a été rejeté.

Par conséquent, je n’ai pas travaillé pendant trois ans et demi. Je travaille maintenant. Je travaille depuis octobre 2004, c'est-à-dire depuis tout juste quatre mois, et je veux seulement vous rappeler, pour revenir à vos rapports, que, dans la section 6.1 se trouve une citation de l’Ontario Medical Association selon laquelle une personne qui se retrouve sans travail et touche des prestations d’invalidité pendant six mois retourne au travail dans 50 p. 100 des cas; après un an, le retour au travail s’effectue dans 20 p. 100 des cas; et après deux ans, dans 10 p. 100 des cas. J’ai été sans travail pendant de longues périodes et de courtes périodes, et c’est le cas d’un grand nombre de personnes qui se présentent au centre ou qui téléphonent.

J’aimerais vous parler un peu de l’importance de l’entraide dans le cadre d’un programme de retour au travail; j’ai tendance à miser non pas sur des statistiques, mais bien sur des anecdotes, tout comme certains des collègues que vous entendrez aujourd'hui ou que vous avez déjà entendus. Je raconte de petites histoires.

Je savais que je ne pouvais retourner au travail par moi-même. Cela m’était déjà arrivé à trois reprises : je me suis ressaisie, je me suis relevée, j’ai regardé dans le journal, j’ai trouvé un emploi et je suis retournée au travail, mais je savais que cela ne fonctionnerait pas cette fois. Je me suis lancée à la recherche d’un programme, et on m’a placée dans un programme d’adaptation en vue de mon retour au travail. Cela a plus ou moins fonctionné au début, et ensuite cela ne fonctionnait plus, et, de fait, je commençais à me sentir pire, car j’étais là depuis longtemps et je ne faisais rien de plus important à la fin qu’au début. Il n’y avait pas de perfectionnement.

J’étais au CTSM, c'est-à-dire le Centre de toxicomanie et de santé mentale, depuis un peu moins d’un an quand Diana Capponi est devenue coordonnatrice à l’emploi des clients. J’étais en vacances à Hawaï quand elle a commencé, alors je l'ai rencontrée en mai, après un peu moins d’un an de participation au programme, à raison de trois demi-journées par semaine. Cette rencontre avec elle, au lieu de ma conseillère en orientation habituelle, a commencé à changer ma vie.

Elle m’a immédiatement inscrite dans un groupe d’entraide, le groupe d’aide à l’emploi des clients de l’hôpital, un groupe d’environ 25 personnes surtout constituées de professionnels et de quelques clients, dont le principal objectif est d’aider les clients à trouver du travail. Elle croyait que j’étais assez importante pour en faire partie, et que j’avais quelque chose à apporter au groupe, et je me suis vraiment sentie valorisée.

Ce groupe de soutien aux chercheurs d'emploi qu’elle a lancé se réunit chaque mois, et on peut y parler librement. On peut soulever un point et entendre les commentaires de sources multiples, les participants, et il est convenu que nous sommes des pairs; nous pouvons accepter ou rejeter le point de vue de nos collègues, car nous sommes égaux.

Cela fait contraste avec une situation que j’ai connue avec un professionnel de la santé, ma conseillère en orientation dans le cadre du programme d’adaptation pour le retour au travail. J’ai occupé le même poste bénévole, comme je l’ai déjà dit, pendant plus d’un an, à raison de trois demi-journées par semaine, et, initialement, j’étais satisfaite de ma position, j’en tirais beaucoup, et le service jouissait de mon aide précieuse. Plus tard, j’ai commencé à éprouver du ressentiment, parce qu’on ne me donnait rien à faire.

La situation était d’autant plus compliquée qu’il y a un syndicat à l’hôpital, et que j’étais aux affaires publiques, et qu’on ne pouvait m’attribuer des tâches réservées aux syndiqués. J’étais frustrée, et j’ai fait part de ma frustration à ma conseillère en orientation, et j’avais l’impression qu’on me donnait du travail seulement pour me tenir occupée, que je n’avais pas l’occasion d’acquérir des compétences. J’avais déjà été directrice générale d’une petite agence, j’avais été directrice du marketing d’une revue, et j’étais frustrée du niveau de travail qu’on m’attribuait, et ma conseillère m’a répondu que c’était probablement la négativité imputable à mon état psychiatrique qui parlait. Je ne me suis sentie ni écoutée ni soutenue, et j’avais l'impression que tout était imputé à ma maladie et à mon diagnostic.

Il est très difficile de faire fi de ce type de commentaire ou de se dire que c’est l’opinion d’une seule personne lorsqu’il s’agit de professionnels de la santé, et il est vraiment difficile de se tenir debout devant l’autorité et de dire : « J’en veux plus », en particulier lorsque c’est une femme, en particulier lorsqu’on est un malade mental, et que, par définition, la dépression s’accompagne d’une faible estime de soi, on ne se sent pas digne, etc. Ce n’est qu’un exemple des nombreuses raisons qui expliquent pourquoi les programmes d’entraide sont si importants.

Premièrement, le programme d’entraide et de soutien du retour au travail n’aurait probablement pas placé des gens au sein de la même agence ou du même service pendant de si longues périodes, mais c’est mon cas, car je suis devenue coordonnatrice du centre d’information, et je rencontre de nombreuses personnes qui travaillent au même endroit depuis des années. Ce programme est censé aider les gens à retourner au travail. Deuxièmement, un membre du groupe d’entraide m’aurait soutenue lorsque j’aurais demandé un nouveau poste, un travail plus stimulant, ou un travail différent; et troisièmement, les commentaires négatifs n’auraient pas eu un effet aussi dévastateur, car ils auraient été prononcés par un égal.

De plus, l'occasion de nouer des relations que procure un groupe d’entraide, ainsi que les modèles de comportement qu’on y trouve, sont importants. Environ 20 personnes prennent part aux réunions que tient Diana, et deux ou trois d’entre nous nous y rendons même si nous avons un emploi, car nous pouvons aider les autres.

Une personne qui assistait à la dernière réunion parlait de l'importance d’indiquer toutes ses compétences dans son curriculum vitae, et elle a ajouté, en toute désinvolture, qu’elle avait décroché un emploi simplement parce qu’elle avait indiqué sur son curriculum vitae qu’elle connaissait le logiciel Maximizer. On lui a dit : « Vous avez décroché cet emploi parce que vous êtes la seule, et que nous utilisons ce logiciel. » Eh bien, comme par hasard, il y a deux semaines, une personne m’a téléphoné et m’a dit : « J’ai besoin d'une personne qui connaît Maximizer et qui pourrait montrer à mon personnel comment l’utiliser. » Je les ai mis en contact, et maintenant elle travaille à contrat, elle aide à former le personnel de cette petite agence sur l'utilisation de Maximizer, et je voulais vous rappeler que l'entraide devrait être intégrée à tout. Je tiens également à vous rappeler le thème de la campagne internationale : « Rien sur nous sans nous ».

Le soutien à la préparation à l’emploi doit être conçu à la lumière des commentaires des consommateurs, et je veux vous parler d’un programme, et je ne veux pas utiliser le nom — même si j’en ai vraiment envie, mais c’est à Etobicoke. C’est un programme de formation en milieu de travail offert à Etobicoke. Nous n’avons pas de billets d’autobus pour nous rendre à Etobicoke. Nous ne voulons pas nous rendre à Etobicoke. S’il n’en tenait qu’aux consommateurs/survivants, le programme ne serait pas dispensé à Etobicoke, à proximité de Sherway Gardens. Il serait offert au centre-ville, là où nous sommes.

Les activités ont lieu de 8 heures à 15 heures. Nombre d’entre nous avons des problèmes avec les médicaments. Nous souffrons d'insomnie ou nous prenons des médicaments qui nous laissent un peu sonnés le matin. Nous ne nous levons pas. Je ne veux pas généraliser. Certains d’entre nous se lèvent — moi je me lève —, mais beaucoup d’entre nous éprouvons des difficultés avec les médicaments, et le matin n’est pas un moment propice. Si nous avions conçu ce programme, il commencerait plus tard et finirait plus tard, mais les membres du personnel de ce programme ne vivent pas en ville, et ils veulent partir tôt, avant l’heure de pointe. Le programme est conçu en fonction des besoins non pas des clients, mais bien du personnel.

L’attitude de certains travailleurs en santé mentale nous empêche de progresser — ils ont peu d’attentes. On nous dit constamment de trouver un emploi peu exigeant. Ma conseillère en orientation m’a dit : « Helen, trouve-toi un petit emploi qui ne sera pas trop stressant. »

L’adjointe à temps partiel au centre d'information est en congé de maternité, et j’essayais d’embaucher quelqu’un pour la remplacer. D’autres programmes de formation professionnelle nous ont acheminé le curriculum vitae d’un directeur national des ventes et d’un génie de l’informatique pour faire du travail administratif à temps partiel, dans un petit bureau pouvant accueillir une personne et demie.

Le même genre de choses a déjà été dit des travailleurs en santé mentale, cette attitude qu’ont certains d’entre eux à faire la distinction entre « nous » et les « autres » — même les gens qui sont censés être dans notre camp. Trois d’entre nous étions ensemble à une conférence, et il y avait un grand nombre de travailleurs syndiqués qui, pour servir les intérêts de leur syndicat, tentaient de brosser un portrait encore plus négatif des malades mentaux. Ils veulent plus d’argent, des primes de danger accrues, alors ils tentent de nous présenter sous un jour défavorable, surtout les malades hospitalisés, en vue d’obtenir plus d’argent, plus de personnel sur chaque quart de travail, des quarts de travail plus courts et des pauses plus longues, etc. C’est un problème.

À l’occasion de cette conférence, trois d’entre nous étions en train de converser au sujet des stéréotypes négatifs comme : « Si vous embauchez un consommateur/survivant, il sera toujours absent, car tout le monde sait que ces gens tomberont malades et ne travailleront pas. » Nous parlions du fait que ce n’est pas vrai, que lorsqu’on nous donne enfin la chance de travailler, nous nous démenons et travaillons si dur. Cette personne qui est censée nous aider dit : « Ils n’attrapent même pas la grippe comme nous », et ils le disent en présence de la personne visée. Ils n’attrapent pas la grippe!

La même chose se produit lorsque nous parlons des clients en milieu de travail. Le client téléphone et dit : « Je dois m’assurer, lorsque je trouverai un emploi, que les fonctions sont compatibles avec mon invalidité, et qu’il s’agit d’un travail qui ne me rendra pas malade. »

Je vois la stigmatisation et la discrimination, alors je recommanderais que la campagne nationale sur l’intégration dont vous avez parlé soit menée également au sein du système de soins de santé mentale, du système de soins de santé en général. Vous avez parlé d’une campagne sur l’intégration que le gouvernement fédéral pourrait promouvoir, et j’en profite pour mettre mon grain de sel. L’emploi et la petite entreprise sont des compétences fédérales, alors vous pourriez avoir un impact important à cet égard. Vous pourriez offrir des indicatifs aux entreprises, tout comme le fait l'OCAB, et aux entreprises parallèles. Industrie Canada et RHDCC sont des ministères fédéraux. Vous avez le pouvoir de faire cela.

Les malades mentaux sont parmi vous, vous savez. Nous sommes vous. Cela ressemble, je crois, à la situation des gais et lesbiennes, il y a quelques années. Nous sommes partout, mais les gens ne s’en aperçoivent pas nécessairement. C’est analogue à la « sortie du placard », dans certains cas; il y a 10 ou 20 ans, les gens ne savaient même pas qu’ils connaissaient une lesbienne ou un homosexuel. « Eh bien, je n’en connais aucun. Je suis certain que ce sont de bonnes personnes, mais je n’en connais aucun. » C'est la même chose au travail, à la maison, avec vos voisins, vos nièces, vos neveux et vos enfants — vous savez. Vous en connaissez tous, nous en connaissons tous, et lorsque ce sera moins dangereux de se révéler, vous serez étonnés d’en connaître un si grand nombre.

Le président : Merci, madame Hook, et merci à vous tous de vos commentaires. Nous avons le temps de poser quelques questions, mais laissez-moi seulement formuler un commentaire.

Je crois que, quand nous avons commencé ces travaux — je ne parle que pour moi — certainement, quand j’ai commencé ces travaux, même si j’étais pleinement conscient de l’ampleur de la stigmatisation et de la discrimination dans l’ensemble de la collectivité, je tenais pour acquis, naïvement, que les gens au gouvernement, que ce soit au sein d’un organisme qui verse de l'argent ou qui dispense des services, et que les gens en général, s’ils travaillaient pour un organisme à but lucratif ou sans lucratif fournissant des services aux personnes souffrant de troubles psychiques, n’affichaient pas les mêmes attitudes discriminatoires qui, selon moi, étaient plutôt courantes au sein du grand public. Ce qui m’a le plus frappé de vos quatre témoignages ce matin, c’est que — et je constate ceci avec beaucoup de regret — la discrimination se porte très bien au sein de ce groupe de personnes qui dispensent des services, et c’est probablement, pour vous, la situation la plus décourageante que l’on puisse imaginer. Je tiens à vous remercier tous de nous avoir fourni cette information.

Le sénateur Keon : Premièrement, laissez-moi seulement vous féliciter tous de ce fantastique exposé; vous avez abordé une foule d’enjeux, y compris l’intégration complète, comme l’a signalé Diana, ou les entreprises parallèles. Vous avez parlé du milieu de travail fédéral et des problèmes qu’on y trouve, du fait qu’aucun suivi n’est assuré lorsque vous quittez un établissement et que vous tombez dans le vide. Vous avez parlé de la stigmatisation, des traumatismes, et du besoin d’établir des groupes d’entraide et des programmes qui répondent aux besoins non pas du personnel, mais bien des clients.

Je ne peux poser des questions sur tout cela — nous en aurions pour toute la journée —, alors je m’adresse à vous, Diana, car vous étiez la première. Ce n’est pas de la discrimination, d’accord? J’ai été vivement intéressé lorsque vous avez soulevé la notion d’intégration complète, avec laquelle, en passant, nous nous débattons en vue de trouver un moyen de décrire un tel programme.

Le problème, c’est qu’il manque tellement de composantes à l’heure actuelle, mais que, certes, le secteur des établissements ne peut dispenser les soins dont les gens ont besoin. Les gens ont besoin de soins dispensés localement, comme l’a dit Mme Hook, pas à 30 ou 40 milles à l’extérieur; et les gens ont besoin, d’après ce que je comprends, autant de ressources communautaires que de ressources professionnelles en matière de santé, et d’une certaine intégration de ces ressources.

Diana, vous pourriez peut-être nous dire, si vous étiez reine du monde, de quoi aurait l’air un système qui intègre le secteur des établissements, le secteur communautaire, le secteur des soins de santé primaires et toutes les autres composantes imaginables. Pourriez-vous nous fournir des précisions là-dessus?

Mme Diana Capponi : Beaucoup de gens m’appellent « la reine ».

Je réitère certains éléments fondamentaux : l’intégration complète favorise le respect, la compréhension et la considération, et je crois que certaines attitudes de notre société sont si bien ancrées — après tant d'années à cacher la maladie mentale —, que le personnel de l’établissement et les malades hospitalisés souffrent tous d’une certaine forme d’institutionnalisation.

La santé mentale n’est pas une priorité, et on n’en parle pas. Cela demeure un sujet tabou, et j’estime que, pour assurer une intégration complète dans notre société, nous devons tous reconnaître nos propres « malaises » d’ordre mental, pour ainsi dire.

Dans le système correctionnel, par exemple, on parle beaucoup du syndrome de la porte tournante. Laissez-moi vous dire qu’aucune porte ne tourne plus souvent ou plus vite que celles du système de soins de santé mentale. On ne sort jamais de ce système, et je crois que cela met en relief la nécessité d’examiner les facteurs sociaux qui influent sur la santé, qui jouent un rôle crucial pour tout le monde. Les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, ou tout autre problème, c’est vous et moi. On parle d’une personne sur quatre, ou une sur cinq, ou d’une sur 12. Comptez le nombre de personnes dans cette pièce, et cela vous donnera une idée du nombre de personnes qui sont dans cette situation.

Toutefois, lorsqu’une personne divulgue le fait qu’elle a éprouvé des problèmes de santé mentale, qu’elle ait affaire à un employeur, à l’exploitation d'une petite entreprise ou à une personne dans la rue, les attentes de ces personnes tombent immédiatement à zéro, et je n’exagère pas lorsque je dis cela. En réalité, on craint, franchement, que vous soyez violent. C’est la principale crainte, et on continue de la nourrir.

Mme Pat Capponi : Nous étions si impressionnés de constater que vous ne portiez pas de veste de Kevlar aujourd'hui — vraiment.

Mme Diana Capponi : Le gouvernement du Canada misait autrefois sur ParticipACTION et tous ces autres programmes pour sensibiliser les gens aux avantages d’une bonne santé — et patati et patata. Nous n’avons jamais parlé de la santé mentale et de la façon de maintenir une bonne santé mentale. Il semble que la santé mentale ne soit abordée que lorsqu’il est question de personnes considérées comme malades mentalement, et je crois qu’on voit dans notre société moderne un nombre croissant de personnes qui tombent entre les mailles du filet, qui deviennent malades; et, malheureusement, il n’y a pas d’endroit où l’on peut aborder ces questions sans crainte.

Je passe mes journées à tenter de trouver du travail dans le secteur des établissements pour des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, par l’entremise du Centre de toxicomanie et de santé mentale, et je salue leur décision de financer mon poste et de tenter de changer les choses. Par contre, je sais que l’initiative ne sera couronnée de succès que lorsque les gens du centre pourront respecter, comprendre et célébrer les différences des gens, au lieu de les étiqueter.

En tant que reine, je crois qu’il n’y aura pas beaucoup de changement, tant que les gens ne seront pas mieux informés, tant que les gens ne comprendront pas bien les enjeux, tant que les sociétés pharmaceutiques, par exemple, continueront de faire des millions de dollars de profit sur le dos des gens. Merci.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je tiens à remercier du fond du cœur nos invités très spéciaux de ce matin. C’était un groupe de témoins important, et j’ai certes appris beaucoup de choses. Bien sûr, j’ai été touchée par ce que vous avez dit.

Il y a deux points que j’aimerais soulever. Le premier concerne l’utilisation du mot « chronique ». Dans le domaine médical, on utilise les termes « aigu » et « chronique ». Le terme « chronique » s’applique au diabète, à l’arthrose, et à mille autres choses, et il n’y a pas lieu d’en faire un critère d’exclusion.

Nous devons vraiment réfléchir à cela. On utilisera le terme « aigu » si on a un rhume ou une infection urinaire ou si on se coupe un doigt ou autre chose du genre, mais vous nous avez poussés à réfléchir à cela, et je peux voir en quoi le terme a une plus grande incidence lorsqu’il est question de maladie mentale.

J’ai travaillé au sein du gouvernement pendant assez longtemps, et, dans ma province, c'est-à-dire au Nouveau-Brunswick, nous commencions à délaisser les ateliers protégés. Maintenant, je ne suis pas aussi informée de la situation actuelle que je devrais l'être, mais je crois que l’on continue de déployer des efforts en vue de trouver des emplois, lorsque cela est possible, de chercher à en trouver, à en créer, à les favoriser, etc., en milieu de travail. Je dirai non pas le « milieu de travail régulier », mais bien le « milieu de travail » tout court, qu’il s’agisse de Wal-Mart, d’un bureau gouvernemental ou d’une entreprise privée.

J’aimerais obtenir un peu plus de détails à cet égard, surtout en ce qui concerne les programmes exécutés par les pairs. Cela m’a vraiment impressionné, madame Hook, et j’ai dressé une liste de choses que ces programmes peuvent faire. Je le vois presque comme une occasion d’apprentissage. Le réseautage, l’accès à des modèles de comportement et la préparation de curriculum vitae, c’est très bien tout cela, mais pourriez-vous nous fournir un peu plus de détails en ce qui concerne le milieu de travail?

Mme Hook : C'est Diana, l’experte en la matière.

Mme Diana Capponi : Ce n’est pas vrai. De fait, je suis au courant de certaines initiatives au Nouveau-Brunswick. Quand j’évoluais au sein de l’Ontario Council of Alternative Businesses, nous avons travaillé en étroite collaboration avec un groupe de fournisseurs de Moncton, je crois, qui tentaient de lancer une entreprise de traiteurs en vue de créer des débouchés pour les gens.

Pour ce qui est du mot « chronique », il désigne, en réalité, une personne difficile, désobéissante ou irrécupérable. Voilà comment on définit ce mot dans le système de soins de santé mentale. Alors, si vous croyez qu’une personne est irrécupérable et difficile et désobéissante, seriez-vous d'avis qu’elle a du potentiel?

Il est très difficile d’utiliser en même temps les mots « chronique » et « potentiel ». C’est presque impossible à faire. J’ai passé des années à aider des gens à chercher un emploi, et je suis constamment ahurie par la faiblesse des attentes, ou par les limites que nous imposons aux autres. Je suis si fière de personnes comme Helen Hook, de ces gens du Nouveau-Brunswick qui ont lancé leur propre entreprise de traiteurs, des quelque 1 100 personnes qui travaillent dans notre province chaque jour, qui montrent que, même s’ils sont fous à lier, ils peuvent dispenser un service que le public sera disposé à payer, et je vois un tel potentiel chez ces gens.

Cependant, nombre des services conçus pour aider les gens à trouver un emploi — dans un grand nombre de cas, un premier emploi rémunéré — ne reconnaissent pas ce potentiel. Ils ne reconnaissent pas que nous réagissons également à la carotte. Nous aimons toucher un chèque de paye, nous aimons avoir une identité autre que celle de malade mental, de schizophrène ou de toute autre étiquette en vogue.

Les entreprises parallèles n’existent nulle part ailleurs dans le monde. Elles n’existent qu’ici en Ontario, et je dois vous dire que cela tient au fait que l’Ontario est doté d'un mouvement très fort de rescapés psychiatriques. Ils ont commencé par dire : « Nous voulons avoir un mot à dire. Écoutez-nous. » Et ensuite : « Nous voulons une part du gâteau économique. »

Cela s'est fait au cours des 25 dernières années, et il y a encore beaucoup de travail à faire, mais je supplie votre comité d’examiner la question de l’emploi. C'est la seule façon dont la communauté peut s’aider elle-même. Tant que nous serons pauvres, nous serons dépendants.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez encore parlé d’entreprise « parallèle ». Convenez-vous que le but ultime est l'emploi dans le même genre d’endroits que tous les autres citoyens?

Mme Diana Capponi : Tout à fait.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne sais pas comment articuler cette idée.

Mme Diana Capponi : Vous noterez, cependant, que ce terme désigne les entreprises dirigées par les gens qui y travaillent, et pour eux, et que, pour une personne qui a été en établissement, qui n’a aucun antécédent de travail, ou qui a peut-être travaillé dans un atelier protégé, où l’on vous apprend ce que vous êtes incapable de faire, les entreprises parallèles fonctionnent très bien, car elles favorisent l’acquisition de compétences en milieu de travail, procurant un revenu et, d’abord et avant tout, elles procurent un sentiment de fierté.

Mme Hook : Les types d’entreprises qui appartiennent à l’OCAB sont limitées par un manque de fonds, de sorte que — prenons, par exemple, les restaurants : il y a Crazy Cooks Catering, entreprise de traiteurs de Peterborough; il y a un restaurant torontois, qui s’appelle Raging Spoon; il y a le Ten Friends Diner, à Windsor; et le Out of This World Café à Toronto. Ce dernier est un cas exemplaire, car il s’agit d’un programme de réadaptation professionnelle dont l’hôpital s’est départi. Désormais dirigé par des survivants, l’établissement exerce toujours ses activités dans l’hôpital. Il y a également un buffet roulant qui parcourt les couloirs, comme cela se faisait pendant les années 40, 50 et 60. Il y a deux entreprises de jardinage, et une entreprise de nettoyage.

Des gens viennent me voir et me disent : « Pourquoi ne pourrions-nous pas ouvrir un lave-auto, ou quelque chose comme cela? » Eh bien, c’est parce qu’il faut un million de dollars d’équipement. Ainsi, c’est peut-être un autre aspect à l’égard duquel le gouvernement fédéral pourrait contribuer, par l'entremise d’un programme de capitalisation.

Le président : En passant, j’aurais dû signaler ce point intéressant : notre Comité mise sur une expertise médicale assez importante. Comme nombre d'entre vous le savez, le sénateur Keon était chirurgien cardiologue, le sénateur Trenholme Counsell a exercé les fonctions d’omnipraticienne dans les régions rurales du Nouveau-Brunswick pendant de nombreuses années, et le sénateur Pépin est infirmière — et je n’ai aucune connaissance dans le domaine de la santé.

Le sénateur Pépin : Bonjour. Je dois admettre que j’ai été très impressionnée et très touchée par votre exposé. Comme l’a mentionné le sénateur Kirby, certains d’entre nous ont dans leur famille des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale, et c’est mon cas.

À la lumière de vos commentaires sur la discrimination, je crois que l’un des principaux obstacles auxquels vous êtes confrontés est la stigmatisation, et que l’une des premières choses que nous devrions faire, c’est d’examiner la question de la discrimination.

Croyez-vous qu’il serait souhaitable d’élaborer un plan national, ou serait-il plus indiqué d’établir une stratégie adaptée aux diverses formes de problèmes de santé mentale? Selon vous, devrions-nous d’abord nous attaquer à la discrimination, ou serait-il préférable de commencer par une stratégie adaptée pour lutter contre les divers problèmes liés à la santé mentale? Quel serait le meilleur point de départ?

Mme Pat Capponi : Si je peux me permettre. L’Ontario a financé un programme de développement du leadership pendant quatre ans, mais nous avons constaté que, en raison de la discrimination qui sévit au sein du système, nous avons dû travailler avec le personnel, parallèlement au programme, en vue de le sensibiliser aux enjeux qui nous concernent, d’éliminer certaines de ses attitudes discriminatoires, et de le pousser à regarder ce qu’une personne a en dedans. C’est difficile quand le système s’attache aux apparences plutôt qu’à l’essentiel.

Vous pourriez faire d’une pierre d'un coup et charger des survivants de contribuer à l’élaboration d’une stratégie nationale pour lutter contre la discrimination systémique. On a souvent dit que la meilleure campagne de lutte contre la stigmatisation, c’est quand un messager de A-Way entre dans un édifice de la rue Bay pour livrer un colis. Nous gaspillons des millions de dollars à financer des agences de publicité, alors que nous pourrions faire des choses comme ça, et ce sont des choses que nous avons déjà faites, et que nous faisons bien.

Le sénateur Pépin : Monsieur Powell, vous avec parlé d’un « syndrome de la prévention », et vous avez déclaré — je veux m’assurer d’avoir bien compris —, que si vous travaillez et qu’on découvre que vous avez déjà consulté un psychiatre ou un psychologue, et que vous avez peut-être fait une dépression, on ne vous accordera pas votre pension? Expliquez-moi cela.

M. Powell : D’accord. Cela fonctionne de la façon suivante : il y a environ 30 000 pensionnés qui sont — comme moi — frappés d’une incapacité permanente en Colombie-Britannique — et ce nombre est probablement comparable, voire supérieur, en Ontario. Or, ces personnes entrent souvent en contact avec le gouvernement et les services médicaux dans la collectivité, et la décision en ce qui concerne l’existence d'une douleur chronique est un élément de votre pension. C’est ce qui suppose une évaluation.

J’ai constaté que ces évaluations soulèvent une certaine controverse, et, comme je l’ai déjà mentionné, je crois que les Forces canadiennes ont effectué de telles évaluations à l’égard de soldats revenant d’Europe, et que l’évaluation destinée au dépistage du SPPT causait, en réalité, plus de mal que de bien. Et, bien sûr, les personnes qui ont subi l’évaluation n’ont pas été indemnisées.

Le sénateur Pépin : Non.

M. Powell : Je crois que cela aide un peu.

Le sénateur Pépin : D’accord, je voulais m’assurer d’avoir bien compris que si une personne déclare, par exemple, qu’elle a consulté un psychiatre, qu’elle a connu des problèmes psychologiques à une certaine époque, elle éprouvera plus de difficulté à toucher sa pension de retraite qu’une autre personne.

M. Powell : Oh, certainement.

Mme Diana Capponi : Ils peuvent également faire valoir qu’il s’agissait d’une affection préexistente. « Vous avez consulté un psy il y a vingt ans. Vous étiez déjà déprimé. Cela ne s’est pas passé dans notre milieu de travail. »

M. Powell : C’est une façon d’éliminer ou de limiter les demandes d’indemnisation, et cela peut avoir un effet important sur la vie d’une personne, lorsqu’il est question d’une invalidité découlant d'une blessure.

Le sénateur Pépin : Une affection préexistante.

M. Powell : Oui.

Mme Diana Capponi : J’aimerais seulement ajouter quelque chose : j’ai un document, rédigé à la suite d’une enquête du coroner en Colombie-Britannique, au sujet d’un homme qui a été abattu par la police, dans un hôpital, après avoir lutté contre les commissions d’assurance pendant trois ans. C’est de là que provient ce rapport.

Le sénateur Pépin : Madame Hook, j’ai bien aimé votre déclaration selon laquelle un programme devrait s’attacher aux besoins non pas du personnel, mais bien des clients. Je crois que c’est plutôt intéressant et que cela nous sera très utile. Merci beaucoup.

Le président : Merci à tous d’être venus. Merci d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd'hui.

Mme Hook : Les clients qui vous ont fait parvenir un questionnaire de sondage sont aux anges lorsque vous leur envoyez un réponse écrite.

Le président : Merci. Nous avons effectivement tenté de répondre, lorsqu’il y avait une adresse de courriel ou d’autres coordonnées.

Nos deux prochains témoins, qui comparaissent tous deux à titre personnel en vue de raconter leur histoire, sont Norrah Whitney et Carolyn Mayeur. Elles nous relateront l’expérience de leur famille respective avec le système de soins de santé mentale, et nous leur poserons ensuite des questions.

Merci d’être venues.

Mme Norrah Whitney, à titre personnel : Merci. J’ai préparé une déclaration, et je vais en lire une partie. C’est plus facile pour moi.

Je m’appelle Norrah Whitney, et je suis directrice générale de Families for Early Autism Treatment of Ontario. Je suis également mère d’un enfant autiste. FEAT of Ontario a établi un partenariat avec certains des meilleurs organismes de recherche du monde et, des représentants de Santé Canada sont membres de notre conseil consultatif, y compris le Dr Ofner, qui a récemment agi à titre de maître d'œuvre pendant la crise du SRAS. Nous ne bénéficions d’aucun financement gouvernemental, de sorte que je peux témoigner sans aucune contrainte aujourd'hui.

L’autisme est un état pathologique grave qui n'a pas de foyer. Effectivement, aucun régime provincial de soins de santé ne prévoit de traitement éprouvé. Il s’agit du seul trouble de santé fondamental à l’égard duquel les Canadiens ne peuvent recevoir un traitement efficace en vertu d’un régime d’assurance-maladie. Nul ne saurait nier, lorsqu’il s'agit d’autisme, que le temps est venu de cesser de faire l’autruche et d’espérer que la crise disparaîtra d’elle-même. Si, comme société responsable, nous continuons d’appliquer la politique de l’autruche, toute forme future de limitation des dégâts sera futile.

Je reprends ici les paroles de David Suzuki :

D’une façon ou d’une autre, nous devons trouver l'argent nécessaire pour aider les enfants atteints d’autisme… Si nous ne le faisons pas, le coût que nous assumerons tous en vue de prendre soin d’un adulte qui n’a pas été traité sera beaucoup plus grand, et s’élèvera à des millions de dollars. On ne saurait calculer le coût, lorsqu’il s’agit de souffrance humaine.

Sans traitement efficace, l’autisme est un trouble permanent qui mène au placement de plus de 90 p. 100 des enfants non traités dans des centres d’accueil et des établissements de logement. Seulement un enfant sur 64 réussira à s’améliorer sans bénéficier de traitement. L’autisme est désormais plus répandu que la leucémie infantile, le VIH, la fibrose kystique, la paralysie cérébrale et le syndrome de Down, et pourtant, il demeure l’un des troubles médicaux les moins financés, exclu du système de soins de santé, un nomade qui a des conséquences catastrophiques sur des enfants innocents, dont la seule erreur est d'avoir hérité de cette maladie.

Il existe des lois à cette fin, alors qu’est-ce qui s’est passé? En dernier recours, en vue d’obtenir un accès équitable au traitement efficace de leurs besoins fondamentaux en matière de soins de santé, les enfants atteints d’autisme ont dû se tourner vers les tribunaux de partout au pays. Comment peut-on justifier de leur refuser le seul traitement efficace pour l’une des maladies neurologiques les plus graves connues par l'homme, quand on satisfait à tous les besoins d’une personne en proie à une légère dépression? De telles décisions scandaleuses sont rarement compatibles avec la justice fondamentale.

Le droit régissant les droits de la personne et les divers codes des droits de la personne, ainsi que la législation fédérale, comme la Convention relative aux droits de l’enfant, cet instrument ratifié par le Canada, dont on a tant vanté les mérites, n’ont pas, à ce jour, réalisé leur intention de protéger les éléments les plus vulnérables de notre société.

La fourniture d’un traitement efficace pour l’autisme est tout à fait conforme aux principes de la Loi canadienne sur la santé — de promouvoir le bien-être des Canadiens, et de les aider à se rétablir. Le rapport de l’OMS sur la maladie mentale se fait l’écho des principes et dispositions de la LCS, y compris le droit à des services de réadaptation et de traitement qui rehaussent le degré d’autonomie. On peut y lire ce qui suit :

La présente déclaration reconnaît le droit de chaque personne de bénéficier des soins médicaux, de la thérapie, de l’éducation et de la formation dont elle a besoin pour perfectionner ses capacités et optimiser son potentiel, ainsi que des soins et des traitements soumis aux mêmes normes que d’autres personnes malades…

La Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le Canada, s’assortit de dispositions spécifiques relatives à la protection et au bien-être des enfants et, en particulier, des enfants handicapés. Trudeau a légué à notre pays la Charte canadienne des droits et libertés, qui sert de modèle de législation relative aux droits de la personne pour d’autres pays. Dans l’ensemble, elle m’apparaît assez musclée pour protéger l’égalité des droits.

Dans sa réponse au Discours du Trône, Paul Martin a déclaré ce qui suit :

Nos libertés fondamentales sont enchâssées dans notre Charte des droits et libertés — entendons-nous pour dire qu’en tant que nation constituée de minorités, nous ne devons jamais permettre que ces droits fondamentaux soient compromis si nous voulons conserver notre caractère national et notre liberté individuelle.

Pourtant, malgré la législation mentionnée plus haut et les paroles inspirantes du Premier ministre, la fourniture des avantages offerts aux autres Canadiens, le système de soins de santé publique, continue d’échapper aux autistes. Comment cela a-t-il bien pu se produire?

La discrimination psychologique — a-t-elle pris racine au gouvernement? Paul Martin a dit :

On ne peut choisir quels droits minoritaires ou fondamentaux on veut défendre. On doit défendre tous les droits. Je défends la Charte.

Choisir et discriminer, c'est exactement ce que M. Martin et le ministre de la Justice Irwin Cotler ont fait l’an dernier, quand le gouvernement fédéral est intervenu contre les enfants handicapés dans l’affaire Auton devant la Cour suprême du Canada, dans le cadre de laquelle plusieurs familles cherchaient à ce que les besoins fondamentaux en matière de soins de santé de leurs enfants autistes soient satisfaits en vertu du régime canadien de soins de santé.

Même si les familles ont eu gain de cause devant les tribunaux inférieurs, l’État l’a emporté devant la Cour suprême en novembre, et on a, au bout du compte, fait fi des droits prévus dans la Charte. Depuis, le ministre Dosanjh n’a déployé absolument aucun effort pour étendre l’assurance-maladie aux enfants autistes. Cette façon d’agir est en flagrante contradiction avec la proclamation du gouvernement, dans le discours prononcé par le Premier ministre en réponse au Discours du Trône, au cours duquel il pose la question : « Que voulons-nous? » Il a dit :

Un Canada où aucun individu, aucune collectivité ou région ne se voit refuser la possibilité de participer pleinement à l'édification d’une nation encore plus grande. Ce programme est ambitieux. Mais les Canadiens n’attendent rien de moins d’eux-mêmes et ne devraient pas s’attendre à moins de leurs gouvernements.

Et plus tard, il ajoute :

Nous avons pris un engagement irrévocable à l’égard des principes qui sous-tendent la Loi canadienne sur la santé. Ces principes sont inhérents à qui nous sommes; ils sont une prise de position morale sur ce qui est fondamentalement équitable — l’idée que tous les Canadiens sont égaux sous notre régime de soins de santé.

Comme l’a déclaré madame la juge Allen dans l’affaire Auton :

Le trouble ou la maladie qui doit être traité, c’est l’autisme. Il est tout à fait inutile de rassurer une personne souffrant d’une maladie débilitante en lui disant que, même si l’État ne traitera pas cette maladie, si elle se casse une jambe ou fait une pneumonie, elle recevra un traitement à l'égard de ces affections.

L’un de vos collègues, le sénateur Jim Munson, a bien décrit l’expérience horrible des enfants autistes et de leur famille. Il a parlé de la similitude du traitement pour l’autisme et de celui des gens qui sont victimes de traumatisme crânien. Il a dit que c’est un traitement efficace, mais très coûteux. Il a dit que, de fait, le traitement est si coûteux qu’il échappe à la portée de la majorité des familles.

Et je vous dis que nous souffrons. Je suis une mère monoparentale, et j’ai réuni un quart de millions de dollars pour le traitement de mon fils. Le sénateur Munson a dit :

Est-ce bien là le visage du régime universel de santé du Canada? Honorables sénateurs, je le crains. Pourtant, il coûte beaucoup plus cher de ne pas traiter les autistes. Les enfants qui ne reçoivent pas de traitement sont souvent totalement à la charge de l’État, et on estime que cela coûte deux millions de dollars pendant toute l’existence du malade.

Fait plus important encore, il a ajouté :

Vous le constatez, le refus de traitement n’est pas seulement immoral. C’est une fausse économie. La question qui se pose est celle de l’universalité, et les personnes touchées sont nos concitoyens les plus vulnérables. On leur refuse un traitement qui s’est avéré efficace. Il nous faut une vision nationale. Il faut mobiliser une volonté nationale et offrir un programme national de traitement de l’autisme.

Je suis ici aujourd'hui pour signifier mon accord total avec le point de vue du sénateur Munson, mais qui se chargera de façonner cette vision nationale, quand les gouvernements, de façon illogique et immorale, font fi des principes régissant les droits de la personne tout en affirmant qu’ils font partie intégrante de notre identité nationale?

Le sénateur Pearson, qui surveille l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant visant à prévenir justement la catastrophe dont vous êtes saisi aujourd'hui, n’a pas su intervenir au nom de ces enfants sans voix. UNICEF Canada, malgré son mandat, refusait de défendre les intérêts de ces enfants. Vous devez parler en leur nom, défendre leurs intérêts, et c’est grâce à la loi dont je vous parlerai à l’instant que nous pourrons réaliser la vision du sénateur Munson.

Nous devons adopter une stratégie nationale pour assurer l’égalité des droits des Canadiens handicapés. La décision rendue par la Cour suprême du Canada en novembre dans l’affaire Auton constitue un recul en matière de droits des personnes handicapées au Canada. Cela s’applique non seulement aux enfants autistes, dont le droit aux soins de santé fondamentaux sous le régime d’assurance-maladie n’a pas été reconnu par le tribunal de grande instance, mais aussi à toutes les personnes handicapées au pays. Leurs droits ont également été abrogés par l’arrêt Auton.

Mary Eberts, avocate torontoise qui a contribué à définir et à rédiger la Charte des droits et libertés, a dit :

Cet arrêt de la Cour suprême du Canada a ouvert la porte à tous les abus. Je crois qu’on vient d’enlever sa force à la Charte canadienne des droits et libertés.

Ce mémoire décrit ce qu’il faut faire pour que le Canada devienne un chef de fil des droits des handicapés et un pays offrant une protection juridique valable aux personnes handicapées.

Nous devons faire du Canada un pays où on valorise réellement les personnes handicapées, au lieu de simplement les tolérer. Nous avons besoin de trois lois.

La première est une loi canadienne sur les personnes handicapées, une LCPH; nous devons également adopter une loi sur la parité en santé mentale, et une loi fédérale sur l’éducation des personnes handicapées. C’est grâce à des lois fédérales comme celles-là que les personnes handicapées vivent considérablement mieux aux États-Unis qu’au Canada. Aux États-Unis, l’égalité des services, des emplois et du logement pour les personnes autistes et les autres personnes handicapées n’est pas facultative. C’est la loi.

La première loi suggérée, la LCPH, est une loi générale portant sur les droits des personnes handicapées et visant à protéger toutes les personnes handicapées. Une telle loi serait relativement facile à adopter au Canada, car elle s’appliquerait à toutes les personnes handicapées, et jouirait probablement de l’appui d’une coalition de personnes handicapées de partout au pays. Certes, la LCPH servirait les intérêts supérieurs de toutes les personnes vivant avec un handicap.

La deuxième loi concerne la parité en santé mentale. Bien que plus étroite dans sa portée, elle jouerait un rôle très important au Canada. La LPSM interdirait aux compagnies d’assurance-maladie de faire de la discrimination en refusant de couvrir les traitements liés à une maladie mentale ou à un handicap mental. Aux États-Unis, plus de 26 LPSM ont été promulguées. En 1996, le congrès américain a édicté une Mental Health Parity Act fédérale. Ce genre de loi, d’une importance vitale pour l’égalité des autistes, pourrait être confrontée à une forte résistance au Canada, car les assureurs qui seraient touchés par une telle loi sont des organismes des gouvernements provinciaux. Autrement dit, de par sa nature, l’assurance-maladie est un monopole que chaque gouvernement provincial contrôle et qui lutte avec ténacité pour exclure les enfants autistes de notre système de soins de santé. Néanmoins, c’est une démarche qui mérite d’être amorcée.

La dernière loi américaine dont je veux vous parler est l’Individuals with Disabilities Education Act. Cette loi concerne les enfants qui sont dans le système d’éducation. En vertu de cette importante loi relative aux personnes handicapées, les programmes médicalement nécessaires aux autistes ont été payés par le système d'éducation pour les milliers d’enfants autistes lorsqu’ils atteignaient l'âge scolaire; même si l’éducation est une compétence provinciale au Canada, il est absolument nécessaire d’adopter une loi fédérale permettant de veiller à ce que les enfants autistes puissent recevoir leur traitement tout en fréquentant l’école publique, tout comme le font les enfants atteints d'autres handicaps.

Nous devons également établir, dans chaque province, des chaires de recherche sur le traitement médicalement nécessaire pour l’autisme. Nous avons des chaires de recherche, mais aucune d’elles ne contribue réellement à inciter d’autres professionnels à entrer dans le domaine.

Nous devons mener une enquête indépendante à l’égard du processus judiciaire. Même si l’affaire Auton est terminée, et qu’on ne peut officiellement rien faire pour inverser ce grave déni de justice, nous devons examiner la décision. Il y a 22 erreurs techniques dans la décision du tribunal de grande instance, et nous allons bientôt les rendre publiques. Même si ce type d’enquête n’aidera peut-être pas directement les enfants autistes, il permettra de faire toute la lumière nécessaire sur la possibilité de pratiques gouvernementales irrégulières dans l’affaire Auton, d’ingérence politique et de non-observation des règles qui auraient influé sur l'issue d’un processus judiciaire censé être indépendant, élément crucial d’une société libre et démocratique.

En quoi les dirigeants politiques ont-ils avantage à adopter une telle position à l’égard de l’autisme et des droits des personnes handicapées? Pourquoi devrions-nous prêter attention à cette question aujourd'hui? Laissez-nous vous dire pourquoi.

Quand la Cour suprême a tranché, nous avons demandé à Ipsos-Reid de mener un sondage pour nous. On a posé la question suivante aux Canadiens : « Malgré la décision de la Cour suprême, croyez-vous que les enfants autistes devraient être couverts par le régime d’assurance-maladie? » Eh bien, 89 p. 100 des répondants, une majorité de Canadiens — 91 p. 100 en Ontario, sénateur Keon — ont répondu oui. C’est la volonté de la population canadienne. Il s’agit des contribuables qui ne veulent pas assumer le coût du placement en établissement de ces enfants et qui ne veulent pas voir le Canada, l’un des pays les plus riches au monde, tourner le dos à des enfants innocents.

La chambre de second examen modéré et réfléchi est le dernier espoir des enfants autistes : on dit que le mandat du Sénat consiste à agir comme une chambre de second examen modéré et réfléchi. Je suis tout à fait convaincue que la seule chance qu’il reste aux enfants autistes est assise devant moi aujourd'hui. L’idée que la vie d’un enfant puisse être gaspillée, détruite, par une simple discrimination psychologique systémique profondément enracinée au cœur même du gouvernement et de ses politiques, est une réalité qui, certes, donne à réfléchir. Ces citoyens n’ont aucun autre recours, aucune loi pour les protéger, aucun organisme humanitaire pour les défendre. Auprès de qui peuvent-ils demander de l’aide, si ce n’est de vous, notre chambre de second examen modéré et réfléchi?

Notre gouvernement a dit que le Parlement doit toujours se donner pour but de veiller à ce que les générations futures de Canadiens aient de bonnes raisons de percevoir leur pays comme nous le faisons, de ressentir cette intense fierté, cette poussée de confiance, ce sentiment intangible et irrésistible selon lequel nous faisons tous partie de quelque chose d’exceptionnel. Les enfants autistes ne font pas partie de quelque chose d’exceptionnel. La façon dont on les traite ne peut être comparée qu’au sort réservé aux Canadiens japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’on les a regroupés et confinés dans des camps d’internement ou des établissements, si vous préférez.

Si nous acceptons tout bonnement de laisser le gouvernement et la société traiter les enfants autistes comme des citoyens de seconde zone, nous massacrons par le fait même cette vision du Canada, cet héritage qui nous a été légué par l’un de nos plus grands chefs, Pierre Elliott Trudeau. Sa vision du Canada s’est éteinte le jour où ces jeunes enfants handicapés se sont présentés devant la Cour suprême du Canada, seulement pour se faire détruire par des armées juridiques provinciales et fédérales déterminées à les priver de leurs droits à l’égalité.

La société devrait être jugée en fonction de la façon dont elle traite ceux qui ont besoin d’aide; or, à ce chapitre, je regrette de devoir dire que le Canada échoue lamentablement. Vous devez, de la façon modérée et réfléchie qui vous caractérise, proposer de nouvelles lois afin que le tissu social de notre pays ne soit plus jamais entaché de cette façon. Vous avez le pouvoir de sauver ces vies.

Le rapport Kirby témoigne fermement de votre volonté et de votre détermination; c’est un premier pas important pour la protection des personnes handicapées. Je vous demande maintenant d’en faire un deuxième : retournez à Ottawa, et veillez à ce que les enfants autistes appartiennent à la vision du Canada qui nous a été léguée par Trudeau, afin qu’ils puissent également être fiers d’être membres à part entière de notre pays. Une fois la législation fédérale nécessaire en place, nous pourrons parler de solutions en ce qui concerne la réglementation du traitement de l’autisme, d’une manière efficace et prudente.

La vision de Sir John Leo Whitney, père de l’Assurance-santé de l’Ontario, s’est également éteinte. Sa vision consistait à créer un régime de soins de santé durable, fondé non pas sur la capacité de payer, mais bien sur le besoin. Je vous supplie, pour l’avenir de mon fils Lucas, faites renaître l’héritage qu’a légué mon grand-père à cette province grâce à une nouvelle loi fédérale et de solides assises morales, afin que mon fils et les autres autistes n’en soient pas exclus. Merci.

Le président : Merci, Norrah. Ensuite, nous avons un exposé de Carolyn Mayeur. Vous avez un texte avec vous.

Mme Carolyn Mayeur, à titre personnel : Oui, vous en avez un, mais je tiens à vous avertir que je ne m’en tiens pas au texte. J’ai apporté quelques photos — que je vous prierais de faire circuler — , car ma fille voulait raconter son histoire et mettre un visage humain sur cette maladie, dont on ne s’occupe pas, laquelle est vraiment l’équivalent de la lèpre parmi nos maladies mentales, l’une des rares situations où l’on continue de blâmer la victime de son mal physique et mental.

Je vous remercie de me laisser comparaître de nouveau devant votre comité. C’est la plus vive lueur d’espoir que j’ai vue depuis plus de 12 ans. Je prends la parole à titre de mère d’une jeune femme qui, après huit ans aux prises avec un grave problème d’anorexie-boulimie, est décédée dans un système médical qui, essentiellement, ne se préoccupe pas de cette maladie mentale des plus mortelles.

Si vous êtes une jeune femme au Canada, vous êtes 12 fois plus susceptibles de mourir d’un trouble alimentaire que de toutes les autres maladies combinées. Nous avons 65 000 patients atteints du sida en Ontario. On estime qu’entre les personnes qui demandent de l’aide et celles qui restent cachées chez elles, il pourrait y avoir jusqu’à 140 000 personnes aux prises avec un trouble alimentaire en Ontario, et j’ai l’occasion de parler à beaucoup d’entre elles dans le cadre de mes activités de revendication; il s’agit parfois de personnes qui se sont débattues avec ce problème jusqu’à l’âge de 90 ans, tout juste au-dessus du seuil des décès — 65 ans.

Pour celles qui ne sont pas traitées, c’est-à-dire au moins 33 p. 100, ce trouble devient une maladie chronique. Parmi celles qui survivent, 33 p. 100 apprennent comment gérer leur situation et vivre leur vie, et 20 p. 100 des anorexiques succombent à la maladie.

Je mentionne ces chiffres, car, dans notre province, nous affectons au total 7,7 millions de dollars à plus de 20 centres, partout en Ontario. Après les coûts liés à l’administration et au fonctionnement, et les autres coûts, on peut imaginer ce qui reste pour prendre soin de nos gens.

Dans notre région du Centre-Ouest, qui comprend Kitchener, Cambridge, Guelph, tout Halton, tout Peel, tout Dufferin et Brampton, notre budget total pour le traitement des troubles alimentaires est de 1,3 million de dollars pour six centres. Nous ne pouvons offrir aucun programme de jour. Nous ne pouvons offrir aucun service d’hospitalisation; et à Homewood, localité située dans la région, on offre désormais des services d’hospitalisation privés. L’hôpital général de Toronto fait des compressions, et à Hamilton, où une partie de nos gens de Burlington tentent d’obtenir de l’aide, le financement est tout aussi précaire.

C’est une épidémie qui ne fait l’objet d’aucune mesure. Elle devrait faire l’objet d’une stratégie multipartite. Il s’agit de nos jeunes. C’est là que la maladie se manifeste. Nous voyons des enfants de sept ans, des garçons, aux prises avec de graves problèmes d’anorexie.

Une partie du problème tient au fait que ce trouble n’est pas encore considéré comme une maladie, alors qu’il s’agit effectivement d’une maladie mentale et physique. Les médecins éprouvent de la difficulté à déterminer si ce trouble est d’origine mentale ou physique, de sorte que personne ne fait grand-chose à l’égard d’un aspect ou de l’autre. Pourtant, la recherche, y compris l’étude internationale sur la génétique des frères et sœurs, à laquelle ma famille a pris part, attribue de plus en plus un rôle important à la génétique à l’égard de cette maladie. Il y a trois gènes courts qui indiquent une prédisposition à la perte d’appétit, de l’estime de soi, du sommeil et de la soif — quelques-uns des indicateurs de cette maladie. Elle montre aussi le rôle que joue un déséquilibre chimique à l’égard duquel on sait bien peu de chose, bien sûr, car, malgré le nombre de personnes touchées par cette maladie, on mène peu de recherche, alors je lance un appel à l’équité de la recherche pour ce qui est de ces domaines négligés. Il s’agit de nos jeunes, après tout.

Les hôpitaux n’ont pas affecté de place aux soins intensifs pour les personnes atteintes de cette maladie, alors ils se donnent beaucoup de mal pour ne pas accepter de cas. Danielle s’est présentée à l’hôpital à trois reprises — à 69 livres, à 76 livres — et le médecin chargé de l’admission a demandé une analyse sanguine. Il a conclu que le niveau de potassium dans le sang de Danielle était convenable — autrement dit, que son cœur ne s’arrêterait pas au cours des cinq prochaines minutes — , qu’elle allait bien, et qu’il n’y a avait aucune raison de l’hospitaliser. Je suis là, devant lui, et je me dis : « oui, bien sûr, et tout son corps s’atrophie, chaque organe, chaque muscle, ses os, son cerveau — tout. Le cerveau est constitué à 60 p. 100 de matière grasse. Comme vous pouvez l’imaginer, si vous hypothéquez votre corps de cette façon, vous endommagez également votre cerveau.

C’est une maladie qui peut être mortelle. L’un des problèmes que nous avons dans le Centre-Ouest, c’est que nous ne pouvons pas convaincre des médecins de venir faire des examens médicaux dans nos six cliniques. Nous n’arrivons pas à les faire venir dans les hôpitaux locaux. J’ignore si cela tient à l’échelle de rémunération ou à autre chose, mais quand on a un enfant gravement malade et qu’on ne peut même pas lui faire subir un examen médical, c’est très frustrant.

Au sein du système de soins de santé, Danielle a souvent été confrontée à l’attitude hostile des fournisseurs de traitements médicaux. On l’a traitait comme si son état découlait d’un désir d’adolescente de perdre du poids, d’une sorte de caprice. C’est faux. Le cerveau est pris en otage par quelque chose qui ressemble à un virus informatique qui transmet le même message, toujours plus puissant, et il s’ensuit une énorme lutte interne pour tenter d’imposer un message plus sain. Chaque bouchée, chaque pas étaient une véritable lutte pour elle.

De plus, elle n’a reçu aucun soin à l’égard de toute chose n’étant pas considérée comme liée au problème. Ses os étaient dans un état déplorable, mais elle n’était pas admissible aux médicaments pour les os, car ils étaient réservés aux 65 ans et plus. Que son corps soit déjà vieux, mourant et usé était sans importance : elle n’était pas admissible. On ne lui a permis d’utiliser un lit fluidisé que lorsqu’on en a apporté un dans sa chambre d’hôpital, une heure avant qu’elle meure, pour soulager la douleur occasionnée par le dépérissement de ses os et de ses muscles, qui lui enlevaient toute amplitude de mouvement.

Danielle s’était fait inscrire immédiatement sur la liste d’attente, car, lorsqu’un patient présente une demande, il peut s’attendre à attendre un mois pour l’évaluation et un autre mois pour le traitement, dans le meilleur des cas. Elle est demeurée sur la liste d’attente pendant trois ans — ce virus a eu trois ans pour s’immiscer dans tout son champ de mémorisation, pour s’approprier toute expérience courante, pour s’enraciner toujours davantage.

Il devrait y avoir des unités de soins pour ces maladies. Ces personnes ont besoin d’être traitées différemment. Elles ont vraiment besoin de soutien pour demeurer motivées, être courageuses et reformuler leurs processus cognitifs, et, dans le cas de Danielle, pour composer avec le fait qu’elle avait été violée dans ce centre d’accueil. C’est pour cette raison qu’elle ne pouvait se résoudre à manger, et qu’elle s’est effondrée si rapidement. Toutefois, il n’y avait pas de traitement pour le syndrome du stress.

Nous avons fini par payer 2 400 $ pour un thérapeute, après que Danielle nous a raconté, deux ans et demi plus tard, cet événement traumatisant qui avait détruit son âme. Pendant qu’on y est, j’aimerais seulement dire que, pour les 50 p. 100 de personnes aux prises avec une anorexie grave qui sont victimes d’inceste ou d’agression sexuelle ou de violence à la maison, changez les lois touchant les crimes sexuels, si vous le pouvez. Il ne s’agit pas d’un simple écart de conduite. C’est la destruction d’une personnalité et d’une âme, et les gens qui commettent ces actes ne devraient pas avoir la possibilité de récidiver trois mois ou trois ans plus tard. C’est la même chose qu’un meurtre, et les lois et sanctions devraient refléter cela.

En tout cas, Danielle avait besoin d’un traitement complet. Quand on l’a enfin admise au programme, on lui a dit : « vous souffrez d’un syndrome de stress post-traumatique, vous souffrez d’un trouble obsessif-compulsif grave, vous souffrez… » et on lui a fourni une liste de problèmes qui auraient pu être traités trois ans auparavant, mais on n’offrait qu’un programme de trois mois, le même programme pour tout le monde.

Chaque victime d’un trouble alimentaire vit une situation complexe qui met en jeu divers facteurs agissant simultanément, et le traitement doit être personnalisé. Est-ce qu’on laisserait un cancer se répandre pendant trois ans, pour ensuite dire au patient : « d’accord, maintenant, tout le monde reçoit exactement le même traitement de chimiothérapie pendant trois mois, et on vous renvoie ensuite à la maison; si vous faites une rechute, c’est que vous n’aviez pas la bonne attitude »? C’est ça qui se produit. C’est ce qui est arrivé à Danielle.

Bien souvent, les boulimiques se tirent d’affaire beaucoup mieux dans le cadre d’un traitement en groupe, mais les anorexiques, les cas d’anorexie graves, exigent un plan de traitement intensif et personnalisé. Dans certains cas, cette maladie compliquée exige de nombreux mois de soins compliqués, et le système devrait prévoir le personnel nécessaire pour dispenser ces soins.

Chaque dossier devrait être confié à un agent particulier, jusqu’à ce qu’il y ait une certaine continuité dans le système. J’ai passé des centaines d’heures au téléphone, à me faire mettre en attente, à me faire raccrocher au nez, à me faire mettre de nouveau en attente, à enfin parler à quelqu’un, à téléphoner à chaque ministère pour m’informer des services disponibles. Il n’y en avait aucun.

J’espère qu’il y en a maintenant, mais, avec les compressions budgétaires qui frappent l’hôpital général de Toronto, ils ont eu le culot de dire que se serait la collectivité qui prendrait le relais. Je regrette, mais il n’y a pas de services de soutien dans notre collectivité. La Santé publique n’intervient pas, et notre centre de soutien aux personnes souffrant de troubles alimentaires arrive à peine à garder ses thérapeutes et à maintenir son programme de consultation externe. J’en étais bouche bée.

Je dirais que la discrimination, le refus de traiter cette maladie de la même façon que les autres maladies, tient partiellement au fait que c’est une affaire de femme, ou que ça l’était. Nous découvrons maintenant beaucoup plus de victimes de sexe masculin. Cela tient partiellement au fait que les troubles alimentaires sont toujours assimilés à un comportement névrosé, ce qui est erroné, et qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire, même au sein de la profession psychiatrique, pour ce qui est de comprendre cette maladie. Quand on a offert au groupe de psys locaux l’occasion de toucher un financement global, ils ont répondu que les troubles alimentaires étaient au bas de la liste des priorités pour l’affectation de fonds. Il n’y a pas d’argent.

Je commence à croire qu’on devrait affecter un financement global pour la santé mentale, un budget distinct de celui qui vise les autres formes de soins de santé, tout simplement parce que la santé mentale a toujours tendance à échapper aux priorités des décideurs. Si on attribuait un financement global pour la santé mentale, je veillerais d’abord à ce qu’on établisse l’équilibre entre les domaines négligés et les autres. Sinon, on ne fait que perpétuer l’iniquité.

Il faut vraiment revoir les critères fondés sur les résultats qu’on utilise actuellement pour financer les programmes communautaires. Nous savons que, dans le cas du cancer et d’autres domaines, les programmes de soutien favorisent le rétablissement, et nous savons, grâce à l’étude des programmes de Sheena’s Place réalisée par le ministère, laquelle a coûté 150 000 $, qu’il y a eu une amélioration marquée au chapitre des relations, de la capacité d’adaptation et de nombreux autres facteurs; or, sans ces améliorations, ces victimes ne vivent qu’à moitié, parfois pendant des décennies.

Les services de soutien dispensés par Sheena's Place ne sont pas superflus. Ils constituent un élément nécessaire au rétablissement. Les anorexiques ne sont vraiment pas à l’écoute de leur corps, et 90 p. 100 du temps de réflexion est consacré à une succession d’idées touchant la nourriture, le poids, les calories et la perte de poids. Danielle s’est brûlée sur une chaufferette, et elle n’a jamais guéri, car son corps était trop occupé à essayer de tenir le coup pour faire des choses comme guérir, mais elle n’en était pas consciente. Cela fait penser à la méthode de Lamaze, où l’on se concentre sur autre chose pour oublier sa douleur. Quand on est à ce point centré sur quelque chose, comme c’est le cas pour les anorexiques, on ne s’aperçoit même pas qu’on est mourant, et c’est ce qui est arrivé à Danielle.

Le programme de jour de trois mois destiné à s’appliquer à tout le monde a permis à Danielle de prendre du poids. Mais elle ne cessait de revenir à la maison et de dire : « mais maman, personne ne m’aide à composer avec ces voix dans ma tête et ces pensées dans mon esprit. » Pourquoi? Elle avait besoin d’une thérapie cognitivo-comportementale intensive.

Une infirmière s’est mise à railler : « eh bien, qu’est-ce que vous attendez de nous, exactement? » Et je lui ai répondu : « j’aimerais trouver une thérapie cognitivo-comportementale pour Danielle, ainsi qu’un psychiatre qui pourrait utiliser divers médicaments jusqu’à ce qu’il trouve celui qui permettra à Danielle de composer avec les graves pensées suicidaires qui la rongent cinq jours par mois. » L’infirmière m’a regardé, et a dit : « vous rêvez en couleur. » C’est de cela que Danielle avait besoin.

Dire, dans le cas de ma fille, et de ces autres filles — puisque je rencontre des parents qui ont perdu leur fille récemment — qu’il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que le traitement dont l’efficacité est éprouvée soit disponible montre à quel point le problème est énorme.

De plus, il ne faut pas héberger ces patients dans des unités psychiatriques peu accueillantes et mixtes. La thérapeute qui a aidé Danielle à composer avec le viol — je vous ai dit que nous avions payé 2 400 $ pour ses services, car cela n’est pas fourni — nous a dit qu’elle a passé la moitié de son temps avec Danielle à s’attacher au traumatisme vécu par Danielle à l’occasion des deux séjours de deux semaines qu’elle a passé dans deux unités psychiatriques de notre région. Je n’ai jamais interrogé Danielle quant à la nature de ce traumatisme, mais ces jeunes devraient être dans un lieu sûr.

L’unité psychiatrique était un endroit peu accueillant, où les infirmières se réfugiaient derrière des murs vitrés. Il y avait très peu d’interaction avec les patients, sauf lorsque venait le temps de donner des médicaments, et on n’offrait aucune thérapie. Elle n’a bénéficié d’aucune thérapie lorsqu’elle était dans l’unité psychiatrique, rien qui ne puisse l’aider à composer avec ses problèmes.

Je dirais que, pour le quart du prix d’une hospitalisation dans une unité psychiatrique, on pourrait dispenser à ces patients des soins au sein de la collectivité, et cela pourrait peut-être atténuer le dégoût de soi qui est propre à cette maladie, ainsi que l’angoisse ressentie, à juste titre, dans les unités psychiatriques.

D’ailleurs, je crois que nous devrions revoir entièrement la notion d’unités psychiatriques. Comment évaluons-nous ces unités? En fonction du nombre de personnes qu’elles traitent? En fonction du nombre d’évaluations qu’elles font? Danielle a fait l’objet de dizaines d’évaluations. Quel gaspillage de fonds public. Il aurait mieux valu dépenser cet argent sur un traitement.

J’aimerais que les unités dans ce domaine soient tenues d’administrer un sondage anonyme auprès des clients qui obtiennent leur congé, et qu’on tienne également compte de ce sondage au moment d’évaluer le rendement de l’unité. On pourrait poser des questions très simples : est-ce qu’on vous a traité avec respect? Est-ce qu’on vous a traité avec compassion? Avez-vous été en contact avec le personnel? Avez-vous bénéficié d’une thérapie? Ce serait très révélateur. On a refusé à deux reprises d’admettre Danielle à l’unité psychiatrique parce que, selon l’infirmière, ce n’était pas un bon moment. L’unité était trop dangereuse. Pourquoi est-ce la seule option qui s’offre à elle?

Alors, lorsque vous parlerez au représentant du ministère cet après-midi, j’aimerais que vous lui demandiez combien on a dépensé pour envoyer 30 enfants subir un traitement en établissement aux États-Unis, l’an dernier. On ne prévoit que 7,7 millions de dollars pour traiter les gens en Ontario; nous sommes la pointe de l’iceberg. Vous seriez étonnés d’apprendre combien de millions de dollars ont été dépensés pour ces 30 personnes, de l’argent qui pourrait mieux servir des centaines de personnes dans notre province. Ils disent : « eh bien, cela vient d’un budget différent ». Je regrette, mais cela vient toujours des poches des contribuables. C’est peut-être politique, mais ce n’est pas gentil.

Les écoles peuvent également jouer un rôle. Le rapport Robins suggère qu’on affecte un professionnel de la santé mentale dans chaque école. Rien n’a été fait. De fait, sous le régime des plans de financement actuels, on compte très peu de conseillers d’orientation. Il y a des bureaux. Nous pouvons installer des thérapeutes internes dans les écoles secondaires où le bureau du conseiller d’orientation est inutilisé. Il serait donc plus facile pour les jeunes d’y avoir accès. Je crois qu’on devrait effectuer régulièrement des évaluations psychologiques dans toutes les classes. Danielle souffrait d’un déséquilibre chimique qui est apparu lorsqu’elle était très jeune, mais il n’y avait aucun mécanisme de dépistage. Nous aurions peut-être pu éviter beaucoup de choses si nous l’avions repéré plus tôt.

De plus, il serait plus facile pour les jeunes d’obtenir de l’aide. Ils doivent concilier le travail, les activités communautaires permettant d’obtenir les crédits nécessaires et une lourde charge de travaux scolaires dans le cadre du programme d’enseignement comprimé, de sorte qu’il serait très avantageux de mettre des thérapeutes à la disposition des étudiants, dans les écoles secondaires.

De plus, les programmes secondaires sont discriminatoires. On devrait permettre la modification d’un programme en fonction de personnes souffrant de troubles de l’humeur. Mon fils était brillant — en mathématiques, en informatique — mais, souffrant de dépression, il était incapable de présenter des exposés « devant tout le monde », lesquels comptent pour 20 p. 100 des crédits du CPO. Parce qu’il a été incapable de présenter deux heures d’exposé, il n’a pas pu obtenir des notes suffisamment élevées pour être admissible à l’université. Pourtant, en ma qualité d’enseignante au secondaire, j’ai adapté les programmes en fonction des besoins d’athlètes d’élite, d’étudiants qui partaient en tournage aux États-Unis, mais on ne permet aucune modification pour une personne malade.

Alors, qu’est-ce que tout cela veut dire? Il touche la moitié du salaire de ses amis, malgré son solide sens de l’éthique au travail. Ces amis achètent des maisons. Il n’a même pas les moyens de louer un appartement, et cela va lui coller à la peau toute sa vie. C’est un prix énorme à payer, surtout lorsqu’il découle de l’incapacité du système d’éducation de reconnaître qu’il y a des moments où on ne peut pas tout faire de la même façon.

On a refusé à trois reprises d’admettre Danielle en salle d’urgence lorsqu’elle s’y est présentée, de peur de céder à ses idées suicidaires, parce qu’elle voulait vivre. Ce n’était pas pour avoir de l’attention. Ils ont ri de ses plans. Ils ne l’ont pas prise au sérieux, car elle était timide et peu agitée, et on l’a renvoyée à trois reprises. Un jour, cinq jours après avoir été renvoyée, elle a trouvé un plan efficace : la surdose. C’est moi qui l’ai trouvée.

Au cours des deux années qu’elle a passées à Toronto, à attendre son tour qui n’est jamais venu, dans une chambre louée à nos frais, elle se rendait à la salle d’urgence de l’hôpital et se tenait entre les portes, car, là, elle pouvait attendre, en toute sécurité, que ses idées suicidaires passent. Elle savait qu’elles passeraient, mais elle devait s’en assurer avant de partir.

La plupart du temps, elle m’appelait et me gardait au téléphone pendant deux heures, sans me dire de quoi il s’agissait. Je lui disais : « j’ai des travaux à noter » elle répondait : « oh, mais maman », et elle changeait de sujet, mais lorsqu’elle ne pouvait pas me téléphoner, elle se rendait à l’urgence. Il devrait y avoir un lieu sûr où les gens aux prises avec des idées suicidaires pourraient se rendre.

On élabore actuellement une stratégie de prévention du suicide à Halton, car nous avons eu 96 cas en quatre ans, mais le comité n’a même pas songé aux troubles alimentaires, même s’ils sont responsables d’un plus grand nombre de suicides que toute autre maladie mentale. Ces attitudes à l’égard des troubles alimentaires sont bien enracinées.

Un jour, elle a été victime d’une surdose lorsqu’elle a consommé la quantité de médicaments prescrite, en raison de sa circulation sanguine et de sa taille réduites. Personne n’assurait de suivi régulier de sa concentration sanguine. Tout établissement central de soins de santé mentale au sein d’une collectivité devrait avoir la possibilité d’assurer un tel suivi auprès de toutes les personnes sous médication, afin que de tels accidents ne se reproduisent pas.

De plus, les médecins légistes ne font pas état de décès liés aux troubles alimentaires. Il sera plutôt question d’une insuffisance hépatique ou cardiaque, ou d’un suicide, et on ne fera aucune mention de la maladie sous-jacente. Je vous en prie, si vous connaissez un moyen d’obliger les médecins légistes à faire état de la maladie sous-jacente et à rendre publiques leurs conclusions, faites-le. Quand je parle de prévention à des groupes, ce que je fais, et quand j’obtiens des articles de journal visant à sensibiliser la population à cette question, cela me procure des statistiques frappantes et réelles.

Effectivement, il faudrait changer les lois fédérales relatives à l’invalidité. Danielle n’était pas admissible. Elle était encore capable de lacer ses souliers et de se nourrir, et elle ne satisfaisait pas à certains des critères limités utilisés à l’époque pour définir l’invalidité sous le Régime de pensions du Canada. Elle n’avait même pas les moyens de répondre à des besoins sans grande portée, comme les soins dentaires, comme une paire de gants pour ses mains, si sèches et craquelées et ensanglantées, et qui saignaient souvent au cours des trois dernières années.

Le gouvernement fédéral pourrait peut-être procurer les médicaments nécessaires aux personnes à faible revenu qui sont atteintes de ces maladies, sans pour autant limiter l’admissibilité aux assistés sociaux. Je connais des gens qui ne peuvent renoncer à l’aide sociale de l’Ontario, car ils n’auraient pas les moyens d’assumer leurs coûts médicaux, même s’ils pouvaient travailler. Il y a quelque chose qui cloche dans tout ça. Les résultats cliniques montraient que son problème d’ostéoporose était très grave, et elle était incapable d’obtenir les médicaments pour se traiter.

Il faut également se pencher sur la question des pensions. Dans notre famille, les trois d’entre nous qui restent avons commencé à souffrir de maladies chroniques en raison des huit ans de stress subi à vivre avec une personne qui, à la fin de sa vie, avait l’air de s’être échappée d’un camp de concentration, et du stress énorme et improductif que supposait le fait de tenter d’obtenir des soins médicaux et de nous faire dire que nous exagérons.

Je me rappelle, à l’occasion de l’une de nos nombreuses visites à l’unité psychiatrique, d’avoir demandé au psychiatre : « ne pourrions-nous pas l’envoyer à l’Institut Clarke pour qu’on l’évalue et qu’on lui donne les médicaments dont elle a besoin? » Il m’a ri à la figure. Il a dit : « qu’est-ce que vous pensez que l’Institut Clarke fera pour vous? » Eh bien, cela nous a coupé le sifflet, mais, six ans et demi après le début de sa maladie, elle a trouvé un merveilleux thérapeute qui avait des relations à l’Institut Clarke et qui a pu l’y faire admettre. Ils ont mis à l’essai un régime de médicaments et, pendant un an et demi, elle ne s’est sentie ni déprimée, ni suicidaire. Son corps mourrait, mais elle se donnait des buts et appréciait beaucoup plus la vie.

J’ai souffert d’une grave fibromyalgie, et j’ai fini par devoir quitter le travail plus tôt et accepter une pension réduite. Je m’en réjouis maintenant, d’une certaine façon, car cela m’a permis de passer les trois dernières années avec Danielle, et nous devions connaître de nombreux moments de joie au cours de ces années, malgré sa maladie.

Somme toute, pour toutes ces familles susceptibles de préserver l’avenir de leur enfant souffrant d’un trouble alimentaire, j’espère que tout plan d’action éventuel examinera la discrimination systémique interne dirigée contre cette maladie, la seule maladie mentale à l’égard de laquelle la victime et la famille sont toujours blâmées, et où les besoins réels en matière de traitement et la souffrance des patients est passée sous silence.

Le président : Merci, madame Mayeur. Enfin, nous avons Betty Miller, coordonnatrice d’un conseil familial qui a été établi en vue de donner une voix aux membres des familles.

Mme Betty Miller, coordonnatrice, The Family Council : Empowerment for Families in Addictions and Mental Health : J’aimerais commencer par remercier mesdames Mayeur et Whitney d’avoir raconté leur histoire. Je sais que ce n’est pas facile de raconter son histoire, et je vous suis reconnaissante d’être ici aujourd’hui. C’est un grand pas.

Je dois avouer que je n’ai préparé mon exposé qu’hier, et, puisque j’ai constaté qu’il dure 14 minutes, je devrai m’activer et l’écourter un peu.

Je crois que nous devons effectivement établir une stratégie nationale, et j’ignore quelle serait sa forme exacte, mais je suppose qu’elle s’assortirait de normes minimales pour la pratique partout au pays, et favoriserait la réalisation d’une vision, le leadership, et ce genre de choses. Je laisse aux personnes qui s’y connaissent plus que moi le soin d’en arrêter les détails.

Je passe directement à la page 2 de mon exposé, et j’espère ne pas aller au-delà de sept minutes. Je vais commencer par parler un peu des consommateurs/survivants.

Je suis une consommatrice/survivante. Je souffre d’un trouble alimentaire, la boulimie. Je fais partie d’une famille aux prises avec une foule de problèmes de toxicomanie et de santé mentale. J’ai fait l’objet de sept ou huit diagnostics, et pris des centaines de médicaments différents. Je suis travailleuse sociale depuis 27 ans.

Je crois que, grâce aux paiements de transfert que verse le gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux, vous pouvez assurer un leadership véritable, et c’est l’une des choses que les familles aimeraient voir se réaliser, du moins les familles que j’ai consultées par l’entremise du conseil familial.

Financez des organismes de consommateurs/survivants, et laissez-les concevoir des projets de lutte contre la discrimination. Ils savent où ça fait mal, et où il faut agir. Ils feront de l’excellent travail s’ils dirigent l’initiative et se chargent de l’embauche. Il y a tellement de potentiel d’excellence au sein des collectivités de consommateurs/survivants. Donnez-leur une chance et des ressources. Cessez de vous accrocher à un modèle médical qui ne dispense pas de soins et qui est, essentiellement, un échec.

Les consommateurs sont en mesure de se charger eux-mêmes de la fourniture de soins de santé, et ils devraient pouvoir le faire. Laissez-les embaucher leurs propres médecins et infirmières, leur propre personnel d’entraide et équipes mobiles, dentistes, avocats, travailleurs sociaux, ludothérapeutes, instructeurs de méditation de pleine conscience, praticiens de la thérapie dialecto-comportementale et experts pharmaceutiques. Transférez de l’argent aux provinces en vue de la conception de quelques projets pilotes de réseaux de santé familiale ou d’un centre de santé communautaire géré par les clients. Déterminez si cela donne de bons résultats, voire de meilleurs résultats. Lancez quelques projets pilotes, sans fournir d’engagement ni de garantie. Intégrez vos propres responsabilités fédérales à ces projets. Ce n’est qu’une autre étude. Faites-en une priorité. Pourquoi pas?

De fait, votre commission a découvert, tout comme le gouvernement provincial de l'Ontario, que les soins de santé liés à la santé mentale et à la toxicomanie sont généralement une priorité pour les citoyens, et les deux ordres de gouvernement se font constamment dire que les clients et les familles doivent faire partie du processus, qu’ils doivent être au centre de ce processus. Ce ne sont pas que des paroles. C’est bien vrai. Le gouvernement fédéral est en mesure de façonner la réforme des soins de santé au moyen de paiements de transfert destinés à des initiatives de réforme des soins de santé. Mettez les clients au centre de ces initiatives. Payez-les. Tout le monde dit cela. Faites-le, s’il vous plaît.

Lorsque nous passerons à un paradigme qui accorde un rôle central réel aux clients, je vous prie de ne pas perdre de vue qui a dispensé le gros des soins liés à la santé mentale et à la toxicomanie. C’est nous, les familles et les amis, à raison de milliards d’heures de soins « informels » chaque année, ce qui permet au système de réaliser des milliards de dollars d’économie. Ce que vous devez comprendre de cela, c’est que les familles n’ont ni soutien ni argent, ni attention. Les familles, ou, comme vous dites dans le rapport, les aidants naturels, dispensent beaucoup plus de services liés à la santé mentale et à la toxicomanie que le système ne l’a jamais fait, ou ne le fera jamais. Pourtant, vous ne nous consacrez qu’une demi-page de réflexions dans votre document intitulé Problèmes et options. C'est à la page 33.

Le conseil familial a réagi au rapport de la commission Kirby en juillet, et notre réaction est annexée au mémoire, à titre de référence. Nous croyons, comme nous l’avons déclaré, que les trois mesures suivantes devraient être prioritaires : premièrement, assurer l’accès aux soins; deuxièmement, investir en vue de fournir un continuum de soins dans la collectivité; et troisièmement, investir dans des formes complémentaires de thérapie et de counselling. Je n’insisterai pas sur ces points. Vous pouvez prendre connaissance de notre position si vous le voulez; comme je l’ai dit, elle est annexée au mémoire.

Toutefois, j’insiste sur le point suivant : les familles sont épuisées. Nous avons besoin d’aide. Nous vieillissons, et nous avons peur que nos proches soient laissés à eux-mêmes, dans la rue; et la rue existe dans les collectivités tant rurales qu’urbaines.

Les familles ont leurs propres peurs légitimes et besoins distincts. Par exemple, lorsque nous téléphonons à la police parce que nous ne bénéficions pas du soutien nécessaire pour maîtriser une situation, nos proches finissent en prison, et ensuite dans le système de psychiatrie médico-légale. Ensuite, nous n’arrivons pas à les en sortir; on les bourre de médicaments, et on les met en contention et en isolement. Leur problème s’aggrave. Ensuite, on leur donne leur congé et on les envoie à la maison —— aucun suivi, aucun soin à domicile, rien. Nous exerçons des pressions afin que des ordonnances de traitement communautaire plus rigoureuses soient rendues, car nous avons besoin d’aide, et il n’y a aucune ressource. Avec cette formule, nous courrons au désastre familial. Nous perdons contact avec nos proches et, parfois, nous perdons nos familles. Pourquoi est-ce qu’on s’accroche à ce système?

Peut-être avons-nous seulement besoin qu’une personne prenne une heure de son temps pour nous aider à évaluer les choix qui s’offrent à nous. Il faut comprendre que nous sommes un peu fatigués, nous avons besoin de nous reposer. Quelqu’un pourrait peut-être prendre le relais pour quelque temps, nous donner une chance de respirer. Peut-être même qu’un consommateur pourrait venir et nous aider directement. Il nous faut d’autres Centres Gerstein, davantage de soins à domicile. Il doit s’agir de services réels pour les familles, et les gens qui les dispensent doivent être payés, et il est question ici de soins à domicile destinés aux toxicomanes et aux personnes aux prises avec un problème de santé mentale. N’allez pas croire qu’il y a une grande différence entre la toxicomanie et la santé mentale, en ce qui concerne l’impact sur nos foyers et nos vies. C’est seulement que nous choisissons de faire fi de l’un ou de l’autre, pour des raisons liées aux ressources dont nous disposons, et à la discrimination.

Demandez aux familles ce qu’elles veulent, et elles vous le diront. Invitez-nous à participer à la création d’un système de prestations de services. Nous le ferons. Nous connaissons le système, et nous savons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Nous avons des idées merveilleuses. Je dirais même ceci : si les familles ne sont pas au cœur même de la conception des services destinés aux familles, cela ne fonctionnera pas. Nous sommes plutôt fatigués de fournir les services, de faire le travail et d’être négligés.

Les familles peuvent également apporter leur aide au chapitre des politiques et de l'infrastructure. Il y a longtemps que nous nous démenons pour comprendre tous les aspects, et le gouvernement aurait avantage à nous engager pour l’aider à mettre ces secteurs en valeur.

À l'occasion des consultations ontariennes sur les services en santé mentale et en toxicomanie, cette idée figurait encore parmi les deux grandes priorités dégagées : mettre les clients et les familles au cœur de l'initiative. La deuxième priorité consiste à intégrer la toxicomanie à la santé mentale. C’est ce que nous devrions faire. C'est ce que vous devriez faire.

Je termine bientôt, mais j’aimerais brièvement comparer les soins de santé liés à la toxicomanie et à la santé mentale aux soins de santé primaires. Nous faisons figure de parents pauvres, certes, et cela découle de l'ignorance et de la peur. J’ose espérer que cela ne découle pas d’une stratégie. Les services liés à la toxicomanie et à la santé mentale doivent être mieux intégrés aux réseaux de santé communautaires primaires. Ces services sont plus efficaces dans un environnement décentralisé et local. Les services sont dispensés localement, mais sont convenablement liés aux hôpitaux et aux médecins de famille, et quand les hôpitaux et les médecins de famille nous laissent tomber —— et ils le font —, ce sont les familles et les collectivités qui se démènent et souffrent, comme vous l'avez entendu aujourd'hui.

Toutefois, cessez d’enlever des ressources aux hôpitaux. Ils n’arrivent même pas à dispenser des soins convenables à l’heure actuelle. Ils manquent de personnel, le personnel est surmené, et les hôpitaux arrivent à peine à maintenir les services liés à la santé mentale et à la toxicomanie. On refuse d’admettre certains clients parce que leur crise n’est pas assez grave, et on les renvoie à la maison. Ensuite, la crise éclate, et tout le monde souffre. On se retrouve donc à payer 500 $ par jour d’hospitalisation, ou plus, en milieu psychiatrique, alors que, en réalité, tout le monde veut être à la maison.

Je travaille actuellement avec des familles qui veulent s’organiser en vue de résoudre le problème des listes d’attente. Elles sont venues me voir, et m’ont dit que, deux ans d’attente pour que leur enfant adulte bénéficie d’une thérapie, c'est trop long. Qui est responsable de prendre des mesures pour aider nos citoyens qui tentent de se suicider parce qu’ils ne sont pas capables d’attendre des années pour avoir de l’aide? Ensuite, on élimine les listes d’attente à cause des suicides. Nous éliminons nos listes d’attente afin de nous soustraire à nos responsabilités et à notre conscience. Voilà comment nous fermons les yeux sur ce problème.

Qui a décidé que la vie de ces personnes ne vaut pas la peine d'être sauvée? Comment en sommes-nous arrivés à cette conclusion? La notion de liste d’attente nous fait penser aux examens IRM, et au cancer, cela se comprend, mais pourquoi ne pense-t-on jamais à la santé mentale, à la toxicomanie, au suicide? Est-ce qu’on tient au moins des statistiques sur les membres de nos familles, de vos familles, qui s’enlèvent la vie en pâtissant de l’attente interminable, en réclamant de l'aide? Nous ne leur laissons même pas la dignité d'être une statistique.

Notre société n’a pas le droit —— économique, moral, ou autre —— de refuser aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale et de toxicomanie les soins dont ils ont besoin. Pourtant, on nous les refuse. Les services liés à la santé mentale et à la toxicomanie sont des soins de santé primaires. Demandez-le à une personne inscrite sur nos longues listes d’attente.

Au nom du conseil d’administration et des membres de mon organisme, je vous remercie de m’avoir écoutée aujourd'hui.

Le président : Merci de vos commentaires. Je me demande si je pourrais poser une question à Mme Whitney.

Quand nous avons présenté notre rapport, mon bureau a reçu deux ou trois appels téléphoniques de parents d’enfants autistiques qui nous reprochaient essentiellement d’avoir eu le culot de mentionner l’autisme dans un rapport sur la santé mentale, parce que l’autisme n’est pas une maladie mentale. Puisque vous représentez un organisme qui s’intéresse à l’autisme et êtes mère d’un enfant autiste, voulez-vous nous aider à déterminer si nous devrions mentionner l’autisme ou non?

Mme Whitney : Eh bien, selon moi, toute maladie est, en réalité, une maladie physique, de sorte qu’il serait plutôt redondant de couper les cheveux en quatre en vue de déterminer si l’autisme est une maladie mentale, une maladie biologique ou une maladie physique. N’oubliez pas que la maladie mentale concerne le cerveau, et que le cerveau fait partie du corps. Il s’agit donc, en réalité, d'une maladie physique. Nous coupons les cheveux en quatre.

Je crois que les gens qui ont peur que l’on qualifie l’autisme de maladie mentale tiennent à ce qu’on respecte ces personnes, ces voix qui ne peuvent pas vraiment se défendre. Sont-ils gravement malades, ou sont-ils atteints d’une maladie? L’autisme figure dans la classification des maladies établie par l’OMS citée comme source de référence dans le rapport à votre intention. Divers organismes décrivent l’autisme de diverses façons, mais une chose est certaine : votre rapport doit en parler, car tous les autres intervenants au pays tournent le dos à cette maladie. Je crois qu’il est acceptable d’en parler dans votre rapport.

Le président : C’est, franchement, ce qui nous a poussés à en parler, et je dois admettre que j’étais plutôt surpris —— pas offensé —— par ces appels. Je croyais que nous abordions la question justement parce que personne d'autre n’en parlait.

Mme Whitney : Je crois que c’était une très sage décision.

Mme Mayeur : À vrai dire, je n’aime pas vraiment le terme « maladie mentale ». Je me dis que, puisque tous les autres organes ont leur maladie, celles dont nous parlons sont les maladies du cerveau, tout comme la sclérose en plaques, la maladie de Lou Gehrig, l’autisme et les troubles de l’humeur. Tout ce qui mine les processus cognitifs et émotifs du cerveau est une maladie du cerveau.

Le président : D’accord.

Mme Mayeur : Nous devrions peut-être abandonner tout simplement le mot « mentale ».

Le président : Merci. En passant, le sénateur Cordy, de la Nouvelle-Écosse, a pendant longtemps été enseignante à l’école primaire, et ensuite directrice d’école, avant de se joindre au Sénat. On aime toujours savoir des choses au sujet des autres.

Le sénateur Cordy : Je vous remercie toutes les trois d’avoir partagé vos expériences avec nous ce matin. Comme je l’ai dit à Mme Hook, qui a témoigné plus tôt ce matin, toutes ces histoires tragiques donnent envie de pleurer, mais cela ne sert à rien, alors nous continuerons de travailler sur notre rapport et défendre les intérêts des personnes qui racontent leur histoire.

Madame Miller, vous avez parlé du rôle que vous jouez à titre de porte-parole des familles, et je crois que c'est très louable. Un membre de ma famille souffre d’une maladie mentale, et mon mari et moi avons dû défendre ses intérêts et lui fournir de l’aide. Pour nous, le système est extrêmement frustrant, car, en tentant d’aider un membre de la famille, on se retrouve dans une impasse : on ne nous fournit pas d’information, on ne nous tient pas informés. Je suis sénateur et mon mari est un professionnel, alors imaginez ce que ce doit être pour une personne qui n’est pas dans notre situation.

J’ai parlé à un couple de la Nouvelle-Écosse qui a deux enfants autistes, et ils m’ont dit que, non seulement ils doivent composer avec deux enfants autistes, mais en plus le mari a sombré dans une dépression. Il a dit : « Soudainement, on se retrouve avec deux enfants; c’est un engagement à vie; on se demande comment on va prendre soin d'eux; on songe au fait qu’ils vivront probablement plus longtemps que nous; et il faut composer avec toutes ces émotions. » Il fait une dépression, de sorte que la famille doit maintenant composer avec deux problèmes.

Les gens qui s’occupent d’un proche souffrant d’une maladie mentale —— c’est le terme qui nous utilisons dans le cadre de nos travaux —— devraient-ils avoir accès à un intervenant qui les aidera à se débrouiller dans le système et à éviter que le dédale du système ne mène à la dépression?

Mme Miller : Ils doivent avoir accès à quatre ou cinq intervenants —— sérieusement. Je suis intervenante, et je suis blanche, instruite, j’occupe un poste de direction et j’ai des liens avec le CTSM, et j’échoue la plupart du temps. J’évolue dans le domaine de la défense des droits depuis 20 ans. J’échoue la plupart du temps.

Le sénateur Cordy : Est-ce un problème de financement? Faudrait-il qu’il y ait davantage d’organismes comme le vôtre pour permettre aux gens d’obtenir de l’aide et d'atteindre un degré d’aisance?

Mme Miller : Je crois que, depuis de nombreuses années déjà, nos revendications s’articulent essentiellement autour du fait que les familles et les clients doivent être au cœur des efforts, ils doivent pouvoir prendre des décisions. Je suis membre d’une famille, je suis travailleuse sociale, et je suis une cliente, ce qui me procure une perspective assez large, mais je ne dirais pas : « Voici ce dont nous avons besoin. » Nous devons placer les familles au cœur des enjeux qui les concernent; et nous devons placer les clients au cœur des enjeux qui les concernent; et nous devons réunir ces groupes lorsqu’ils sont tous deux visés par les enjeux. Si le système demeurait exactement tel qu’il est à l’heure actuelle, et que cinq millions d’intervenants supplémentaires s’ajoutaient au Canada, il nous en manquerait encore cinq millions.

Le sénateur Cordy : Ainsi, le système doit également changer. Madame Mayeur?

Mme Mayeur : J’aurais aimé que le défenseur des droits des patients de l’hôpital soit visé par une politique relative à la santé mentale prévoyant que la famille et le patient doivent être consultés avant qu’on donne congé au patient. Afin de libérer les places, on a souvent donné son congé à Danielle à des moments inappropriés. Ensuite, il devrait y avoir quelqu’un dont le mandat consiste à examiner toutes les avenues pour découvrir ce qui est disponible.

Je crois qu’il serait valable de financer des recherches sur la conception de sites Web gouvernementaux portant sur des troubles particuliers, qui fourniraient tous les renseignements dont les gens auraient besoin, mais aussi, par exemple, de l'information sur les thérapies, les thérapies psychiatriques, offertes au sein de la collectivité, par le secteur privé.

J’avais une amie avec deux filles. Elle a réussi à leur obtenir des soins, car il se trouvait qu’elle connaissait cette dame. J’essayais partout, je ne trouvais pas de thérapeutes, et, quand j’en ai trouvé enfin une, je n’y avais pas accès, parce qu’elle pratiquait à Ancaster. Il y a tant de honte et de préjugés à l’égard de ce trouble que l’information n’était pas diffusée; pourtant, il me semble qu’un chercheur pourrait interroger les travailleurs sociaux et les psychologues cliniciens afin de découvrir qui offre tel traitement dans telle région de la province, et diffuser cette information, à titre non pas de recommandation, mais bien d'options à envisager.

Le sénateur Cordy : Comment allons-nous attirer l’attention sur l’anorexie? Vous avez déclaré que la famille et le client sont, de fait, victimisés, et je crois que vous avez mentionné l’hostilité que vous témoignent les fournisseurs de services. Les gens ont tendance à penser que ce n'est qu’un mauvais moment à passer : « Oh, cela fait partie de l’adolescence. » J’ai enseigné à l’école primaire, et vous avez raison : autrefois, c’était les étudiants du cycle supérieur du secondaire, ensuite c’était ceux du premier cycle. Maintenant, le phénomène commence à se manifester en cinquième et sixième années.

Mme Mayeur : Eh bien, cela fait désormais partie de mes fonctions à temps plein. Beaucoup de gens travaillent sur cette question. Nous touchons une subvention de 90 000 $ relative aux soins de santé primaires pour la tenue de séminaires de formation destinés aux médecins et aux fournisseurs de services de première ligne, animés par des pairs, sur la façon d’agir avec ces patients.

De concert avec la fédération des enseignants de l’élémentaire, nous avons élaboré un programme d’enseignement pour les écoles élémentaires, mais on le met en œuvre de façon graduelle, car il faut dispenser une formation aux enseignants. Il faut favoriser l’établissement d’une contre-culture qui s’oppose à la culture dominante en ce qui concerne l’image corporelle, notamment, et les régimes.

Je parle aux enseignants et aux étudiants de niveau universitaire, et je leur apporte le meilleur matériel de prévention, mais, puisque nous parlons de prévention, ce serait bien de voir nos ministères de l’Éducation s’intéresser à la prévention et en faire une priorité.

Nous avons un vidéo destiné aux parents seulement, pas aux enfants —— ils sont trop jeunes pour que l’on puisse parler de troubles alimentaires —— à tous les parents de l’école, de sorte qu’il y a une génération entière de parents, de la maternelle jusqu’à la huitième année, qui seront sensibilisés à cette partie du problème.

Nous avons présenté un exposé aux députés provinciaux de l'Ontario avant Noël, et nous leur avons raconté ce qui se passe. Trois d’entre eux militent désormais en notre faveur, et ils recrutent d'autres jeunes députés. Ce sera un long processus.

Le sénateur Cordy : Merci. Madame Whitney, je sais que vous avez suggéré trois nouvelles lois que nous devrions adopter, mais j’aimerais m’attarder aux aspects pratiques du système d’éducation. Même si nous constituons une entité fédérale, nous ne nous sommes jamais vraiment arrêtés à nous demander qui a la compétence. Nous allons nous prononcer sur les solutions que nous considérons comme les meilleures.

Au début des années 1980, on commençait à intégrer au système scolaire des enfants susceptibles d’avoir besoin d’un soutien supplémentaire, et, à l’époque, on nous disait que cela ferait baisser les moyennes de classe —— et patati et patata.

J’ai déjà enseigné à l’école primaire, et au cours de ma dernière année, j’ai eu dans ma classe un enfant souffrant d’un trouble du spectre autistique. J’avais une assistante à l’enseignement, et c’était merveilleux pour cet élève, mais j’avais également 32 élèves dans ma classe. C’est ça la réalité. Est-ce que l’intégration se révèle bénéfique pour les enfants autistes?

Mme Whitney : Certainement pas. En Ontario, de fait, les enfants autistes n’ont pas le droit d’être accompagnés d’un thérapeute expert de l’intervention comportementale intensive en classe. Ce n’est pas une question de syndicat. Les syndicats ont laissé savoir que cela ne leur pose aucun problème, car les assistants à l’enseignement ne sont pas qualifiés pour dispenser ce traitement médical hautement spécialisé.

Bien souvent, les enfants autistes sont exclus du système d’éducation, y compris mon propre fils, lequel n’a jamais mis le pied dans une école publique, car on ne lui permet pas de recevoir son traitement médical pendant les heures d’école. Nous savons que, dans le passé, l’éducation spécialisée a eu un effet nuisible sur certains enfants autistes. Nous sommes en possession d’études, approuvées par des pairs, qui montrent cela.

Nous disons qu’il faut permettre aux enfants de bénéficier du traitement dont ils ont besoin, par l'entremise du régime d'assurance-maladie. Ensuite, nous pourrons examiner nos politiques provinciales respectives en matière de soins de santé. Sénateur Keon, vous connaissez peut-être la politique 81 en Ontario, laquelle permet d’administrer un traitement pendant les heures d’école. C’est une politique très uniforme qui s’applique aux trois ministères.

De fait, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario examine actuellement cette question. Je suis partie à ce processus, et je sais de façon très précise ce que nous avons à faire. Toutefois, malheureusement, l’autisme n’est pas reconnu par le système de soins de santé, et, par conséquent, on croit qu’il n’y a pas lieu de faire quoi que ce soit pour ces enfants, sauf leur apprendre à lire, à écrire et à compter, et, comme vous le savez bien, l’autisme est un trouble du spectre. Certains enfants affichent une déficience profonde, alors que d’autres se tirent très bien d’affaire.

Je tiens à signaler que, quand mon fils avait quatre ans et cinq ans, il se frappait la tête sur la table, mangeait ses excréments, ignorait que j’étais sa mère, il ne pouvait pas parler. Il a maintenant neuf ans. Il sait lire et écrire, au même niveau que les enfants de son âge, il parle, il est poli, il ne mange pas ses excréments, il se lave lui-même, il a des amis —— toutes ces choses que nous tenons pour acquises. Il veut aller à l’école publique, et il ne comprend pas pourquoi il ne peut pas.

Il souffre encore de symptômes d’autisme qui doivent être gérés non pas par un éducateur, mais bien par un professionnel de la santé. On ne demande pas aux éducateurs de gérer le diabète ou de se charger du drainage ou de la cathétérisation, ou de tout autre trouble médical pendant les heures d’école. C’est ridicule. C’est négligent.

Oui, l’accès à l’éducation pour les enfants autistes de la province est un gros problème, mais nous pouvons le résoudre. Il y a des solutions, et le gouvernement de l'Ontario a été mis au courant de ces solutions, mais il refuse de les mettre en œuvre. Le financement est là, dans le budget de l’éducation, 63 000 $ par enfant qu’on pourrait aiguiller vers un traitement médical permettant aux enfants autistes âgés de six ans et plus d’accéder au traitement que reçoivent actuellement les enfants âgés de moins de six ans dans cette province. Il y a des solutions.

Le sénateur Cordy : Par conséquent, nous devons éliminer le cloisonnement et travailler ensemble pour le mieux-être des enfants.

Mme Whitney : C’est ça.

Le sénateur Cordy : Merci.

Le président : Vous constaterez, sans doute, en passant, que le sénateur Cochrane est terre-neuvienne. Vous reconnaîtrez l’accent. Elle a également été enseignante.

Le sénateur Cochrane : J’ai une question supplémentaire pour Mme Miller. Vous affirmez avoir échoué. En quoi avez-vous échoué? Vous possédez tant de connaissances, ainsi que des antécédents dans le domaine. Vous avez vécu toutes les expériences possibles à titre d’aidante et de source de soutien pour toutes ces gens. Que voulez-vous dire quand vous affirmez avoir échoué?

Mme Miller : Si une famille venait me voir, normalement parce qu’un être cher ne reçoit pas de traitement ou est en prison à cause de problèmes de santé mentale —— et si elle m’approche, c’est qu’elle ne sait plus à quel saint se vouer —, je miserais sur mes relations. Je parlerai à une foule de gens pour tenter de sortir le jeune du système de psychiatrie légale, par exemple, ou pour qu’on tienne une nouvelle audience de la commission d’examen, ou pour qu’on tente de faire admettre une personne dans le système, selon la situation. Hier, j’ai parlé à une personne qui devait conduire son frère en Alberta, et qui ne savait que faire de son fils de 19 ans, schizophrène. Y a-t-il un service de relève pour elle, pour le bien de son garçon? Du problème le plus simple au problème le plus complexe, lorsqu’un membre de la famille me dit : « Voici ce dont j’ai besoin », normalement, je suis incapable de l’aider.

Le sénateur Cochrane : Le système échoue.

Mme Miller : Le système échoue.

Le sénateur Cochrane : Ne dites pas « Je ». Vous n’avez pas échoué. Nous devons tous, à un moment ou à un autre, nous donner à nous-même une tape dans le dos.

Mme Miller : Oui, d’accord.

Le sénateur Cochrane : Il vaudrait mieux que vous le fassiez, car vous êtes dans une position difficile, et vous avez besoin de nombreuses tapes dans le dos.

Mme Miller : Oui. Merci.

Le sénateur Cochrane : Parlons maintenant d'autisme. J’ai une voisine qui a un enfant autiste, mais elle a de l’espoir. Elle travaille, et elle reçoit du soutien. Grâce à un organisme de la province, une personne vient chez elle et aide l’enfant pendant un certain nombre d’heures de la journée. C’est un cas d’autisme très lourd. Il n’est pas conscient de ses actes, il se frappe la tête sur le plancher de bois franc, et il ne peut communiquer. Ils doivent lui faire manger des choses particulières, et le nourrir comme un bébé. N’y a-t-il pas des services de soutien comme cela?

Mme Whitney : Je crois que vous parlez du programme d’intervention comportementale intensive de Terre-Neuve, lequel offre jusqu’à 20 heures d’intervention, et cette intervention comprendrait un régime alimentaire.

C'est intéressant… j’ignore si vous êtes au courant de ceci, mais, dans votre province, les parents ont soumis la question des listes d’attente à l’égard de ce type de traitement à votre commission des droits de la personne. De fait, votre voisine est très privilégiée, laissez-moi vous le dire, car la majorité des enfants autistes ne bénéficient pas de ce genre de traitement. Ils grandiront dans l’attente d’un traitement, et ils ne le recevront jamais.

Votre commission a conclu que ces listes d’attente allaient à l’encontre du Code des droits de la personne de votre province. Le gouvernement en a appelé de la décision, et l’appel a été rejeté. J’ignore ce qui se passe actuellement devant les tribunaux de votre province, mais je crois que vous parlez du traitement que j’ai mentionné aujourd'hui, c'est-à-dire l’intervention comportementale intensive. Il s'agit du seul traitement efficace pour l’autisme, et votre voisine est très privilégiée. La plupart des familles que je connais dans ma province connaissent des souffrances qui vont au-delà de ce que vous pourriez imaginer. Ils vendent leur maison, s’ils en ont une à vendre.

Je parlerai de ma propre situation. Je n’ai rien. Je serai pauvre toute ma vie. Mon grand-père a conçu le régime d’assurance-maladie de la province, et mon fils en est exclu. Je ne serai jamais propriétaire d’une maison, d’une voiture digne de ce nom. Je ne serai peut-être même jamais capable de conserver un emploi décent, en raison du handicap de mon fils. Il s’améliore, mais j’ai tout sacrifié pour sauver la vie de mon fils —— et vous savez quoi? Si c’était à refaire, je le ferais encore. J’y ai laissé ma santé, mon mari et, à l'occasion, mon pays. J’ai dû quitter le Canada en vue de trouver un traitement qu’on ne voulait pas offrir ici, et les familles souffrent. Dans notre pays, il y a des parents qui songent à s’enlever la vie et à tuer leurs enfants. C’est horrible. Votre voisine est certainement l’une des Canadiennes les plus privilégiées.

Le sénateur Cochrane : Elle en est consciente, bien sûr, mais maintenant nous avons ces enfants dans nos écoles. Ma fille est éducatrice spécialisée. J’utilise ce terme, car c'est celui qu’on utilisait à l’époque où j’enseignais, mais cela porte un autre nom maintenant. Il y a un enfant autiste dans sa classe, et elle me raconte des choses lorsqu’elle me rend visite. Il s’agit d’anecdotes sympathiques, tendres. C’est merveilleux. Les autres membres de la classe reconnaissent ces enfants, et, vous savez quoi? Les enfants ont des sentiments, et ils peuvent communiquer avec ces enfants mieux que quiconque.

Mme Whitney : Je vais vous dire quelque chose. Je crois que la discrimination et la haine sont des comportements acquis, et que presque 50 p. 100 des enfants autistes qui sont traités avant leur admission à l'école, idéalement, à l’âge de deux ans, s’assimilent complètement à leurs pairs, au point de ne plus pouvoir être différenciés. En d’autres mots, avec ce traitement, il y a un taux de rétablissement de 47 p. 100. Maintenant, je sais que de nombreuses personnes ne croient pas au rétablissement lorsqu’il est question d’autisme, mais j’ai vu ces enfants de mes yeux, et, si je ne l’avais pas su, je n’aurais jamais pu cerner une trace d’autisme dans les mouvements de leur petit corps.

Le sénateur Cochrane : C’est merveilleux.

Mme Whitney : Le taux de rétablissement est de 47 p. 100. Les autres s’améliorent de façon remarquable, et nous ne fournissons même pas ce traitement? Nous devrions avoir honte. Oui, ils vont à l’école, et oui, ils contribuent à la vie communautaire, et laissez-moi vous dire que les chiffres sont passés de 1 sur 10 000 il y a sept ans à 1 sur 166 aujourd'hui. Qu’est-ce qui se passe?

Dans cinq ans, la probabilité sera de 1 sur 100, et si cela ne vous fait pas peur, laissez-moi vous dire une chose : nous avons parlé à des économistes, nous avons effectué des analyses de rentabilisation du traitement, et si vous ne l’offrez pas, d’ici 15 à 20 ans, l’autisme mènera à l’effondrement de l’économie interne canadienne. Cela va se passer, si la tendance actuelle se maintient. Nous devons faire quelque chose.

Le sénateur Cochrane : J’ai une question supplémentaire pour Mme Mayeur. Je me demande, quand vous avez dit que vous ne pouviez obtenir d’examen médical pour votre fille…

Mme Mayeur : Non, j’étais incapable de faire admettre ma fille lorsqu’elle faisait environ 69 ou 70 livres, mais, dans la région du Centre-Ouest, dans le domaine des troubles alimentaires, nous éprouvons de la difficulté à obtenir des évaluations médicales pour les enfants qui se présentent, puisque les médecins qui sont de garde ne sont pas disposés à le faire. J’ignore si cela est lié au barème des honoraires ou à autres choses, mais c’est l’un des grands souhaits de nos six centres, d’obtenir des évaluations pédiatriques. Bien sur, c’est d’autant plus crucial lorsque ces enfants présentent un trouble alimentaire en si jeune âge, en pleine croissance.

Le sénateur Cochrane : Je vous pose la question. Croyez-vous que ce serait plus facile si on avait un système à deux vitesses?

Mme Mayeur : Non, parce que nous n’avons pas affecté de ressources en vue de former des psychologues et des psychiatres dans ce domaine et de les payer en conséquence, de sorte que, dans un système à deux vitesses, ceux qui auraient les moyens accapareraient tout le personnel qualifié, et les gens ordinaires comme nous se retrouveraient encore plus démunis.

Le sénateur Cochrane : Mais vous avez dû attendre trois ans.

Mme Mayeur : Je sais. J’ai attendu pendant trois ans, et d’autres nous ont supplantés. Je connais des gens qui, désespérés, ont vendu leur maison pour faire traiter leur enfant aux États-Unis.

Le sénateur Keon : Comme l’a mentionné le sénateur Kirby, nous avons reçu un nombre assez élevé d’appels téléphoniques et de courriel de parents d’enfants autistes qui nous disaient : « Pourquoi intégrez-vous l’autisme à une étude sur la santé mentale? Ces enfants ont assez de problèmes comme ça, sans qu’on les étiquette de cette façon. »

Hier matin, juste avant de quitter la maison, j’ai répondu au téléphone. Ma secrétaire m’a transféré la communication, parce qu'elle estimait que c’était important. Nous recevons beaucoup d’appels, comme vous le savez, et nous ne pouvons pas toujours y répondre, mais celui-là semblait important. Cette personne a dit : « Je crains vraiment que l’autisme ne passe inaperçu dans votre rapport. Ce sera un rapport énorme, portant sur un sujet énorme, et je crois que l’autisme en soi doit faire l’objet d’un rapport ».

Je ne crois pas que nous puissions préparer un rapport distinct sur ce sujet. Nous n’avons pas parlé de notre prochaine priorité, lorsque nous mettrons la dernière main à ce rapport, en décembre. J’ai déjà une idée de la priorité que je privilégie, et je n’en ai même pas encore fait part aux autres membres du comité, mais je crois que c’est un enjeu qui serait probablement plus susceptible de faire l'objet d'un rapport spécial que l’autisme, l’anorexie ou autre chose.

Dites-moi vos préoccupations à l’égard du commentaire de cette personne. C’était une personne très intelligente. Je tiens à vous féliciter du travail énorme que vous avez effectué. C’était un exposé absolument superbe —— le vôtre aussi, madame Mayeur —, et je suis tout à fait conscient du temps que vous avez mis pour l’assembler, mais la personne à qui j’ai parlé était également une personne très intelligente. Que répondez-vous à cela?

Mme Whitney : Eh bien, je dirais que, oui, cela mérite un rapport spécial, mais en attendant, je crois qu’il était important de venir témoigner aujourd'hui. Manifestement, puisque les tribunaux ont tourné le dos à ces enfants, et que les droits à l’égalité prévus dans la Charte ont essentiellement été réduits à néant, il est absolument crucial pour moi de venir et de faire inscrire au dossier que nous avons besoin de trois nouvelles lois. Même si je comprends que vous êtes membre du Sénat, vous avez le pouvoir, l’influence et la capacité de faire état de la situation auprès de vos collègues. C’est la chose à faire.

Si l’autisme était éclipsé par les autres éléments du rapport, ce serait tragique, car je ne sais pas si d’autres groupes ont souffert autant que ces enfants. Des gens, y compris moi-même, ont dépensé des milliers et des milliers de dollars pour porter cette question devant les tribunaux, et, au bout du compte, la Cour suprême du Canada nous a laissés tomber.

Il est impératif que vous parliez d’autisme dans votre rapport, mais je crois néanmoins que le seul moyen de procurer un jour ce traitement aux autistes, et de faire traiter un grand nombre de ces autres handicaps, c’est d’établir, au moins, une loi canadienne sur les personnes handicapées.

Je regrette que cette personne ait d’autres préoccupations. Je ne crains pas que la question ne soit pas examinée. Je crois qu’on l’examine aujourd'hui. Vous me permettez de vous en parler. C’est la voix de ces enfants que vous entendez aujourd'hui, et vous pouvez prendre mon témoignage et mon rapport et l’utiliser pour favoriser le changement.

Le sénateur Pépin : Estimez-vous que la création d’une charte des droits destinée aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, assortie de dispositions luttant contre l'iniquité, l’injustice et la discrimination, pourrait aider la cause des autistes?

Mme Whitney : Certainement. Je sais que ce serait utile, car, aux États-Unis, l’Americans with Disabilities Act prévoit l’habilitation d’agents de conformité. Lorsqu’on consulte un site Web d’université, d’hôpital ou de tout autre établissement qui doit être accessible aux personnes handicapées, on mentionne d’emblée qu’on est conforme à l’ADA parce qu’on fait ceci ou cela.

À l’heure actuelle, la Charte ne protège aucunement les personnes handicapées au pays. Nous avons besoin d’une loi canadienne sur les personnes handicapées. De fait, les tribunaux américains sont rarement saisis de telles affaires, car les problèmes sont résolus par les agents de conformité.

Quelqu’un a mentionné qu’il fallait davantage d’intervenants. Si nous adoptions une loi canadienne sur les personnes handicapées et nous embauchions des agents de conformité, la moitié du fardeau administratif et des problèmes soulevés aujourd'hui disparaîtrait aussitôt.

Le sénateur Pépin : Fantastique. J’ai une autre question pour Mme Mayeur. Vous dites que votre fille a été victime d’une agression sexuelle, mais qu’à l’époque on ne lui a offert aucun service psychologique?

Mme Mayeur : Non. J’ai communiqué avec une foule de ministères et d’organismes de santé régionaux; j’ai téléphoné partout. Elle a participé à une formation pour bénévoles du Halton Rape Crisis Centre, et c’est à ce moment-là qu’elle m’en a parlé. Elle m’a dit que cela c’était produit, et qu’elle m’en parlait parce qu’elle connaissait une très bonne thérapeute. J’ai fait plusieurs appels pour savoir ce qui était offert dans notre localité. Je conduis très mal, et j'avais peur de conduire jusqu’à Hamilton, mais il n’y avait rien.

À l’heure actuelle, je crois que Nina's Place, à Brant, peut vous mettre en contact avec de tels services, mais je ne suis pas certaine que ces services soient couverts, et c’est un point que je n’ai pas soulevé dans mon exposé. Nous payons les psychiatres par l’entremise du RAMO, mais pas les psychologues; pourtant, on compte des psychologues, des travailleurs sociaux et des professionnels de la santé mentale parmi les gens les plus efficaces au chapitre du traitement des troubles alimentaires, et cette iniquité devrait être corrigée.

Si on manque de psychiatres, d’accord, qu’ils en forment d’autres, qu’ils les laissent assurer un contrôle médical, mais embauchons des psychologues jouissant d’une formation dans le domaine.

Le sénateur Trenholme Counsell : J’aimerais poser une question très générale, et je dois dire, monsieur le président, que je n’ai pas assisté aux audiences précédentes, alors cette question a peut-être déjà été soulevée. Nous parlons, à certains égards, de l’absence de services pour ceux qui souffrent d’une maladie mentale, de la Loi canadienne sur la santé, etc., et je ne comprends pas pourquoi vous utilisez continuellement les mots « client » et « consommateur » au lieu de « patient ». Je suppose que nous parlons des patients et de leur famille, mais je n’ai entendu le mot « patient » qu’à quelques reprises ce matin.

Mme Mayeur : Je crois que c’est parce que, dans la plupart des cas, ce n’est pas toujours reconnu comme une maladie, dans certains segments de la société — nous essayons aussi de fonder une « maison de Danielle » dans notre région, un centre de soutien du type « Sheena's Place ». Dans ce genre d’endroit, on parle de « client » sauf s’il y a des traitements médicaux; ça dépend donc du type de services offerts.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je comprends ça, mais il me semble qu’en général, on entend quand même souvent « client » et « consommateur », mais qu’on ne parle pas de patient. On parle de la relation patient-médecin, de la relation patient-infirmière, mais je sais que dans certaines tranches des services de santé, on utilise « client ». Qu’en pensez-vous, madame Miller?

Mme Miller : Je crois que cela ressemble un peu à un guêpier. Ces sujets soulèvent parfois la controverse. Quand on diagnostique le syndrome du stress post-traumatique, par exemple, certaines personnes disent que les causes sont uniquement extérieures — vous avez été victime d'un viol, par exemple, vous avez vécu la guerre — et que la cause n’est pas biologique, mais pourtant, on entend aussi dire que le corps et l’esprit ne feraient qu’un, et d’une certaine façon, on ne fait que couper les cheveux en quatre.

On utilise « consommateur », ou « consommateur et survivant », ou encore « patient » ou « client »; tous ces termes ont un sens et une histoire. Ceux qu’on appelle les « patients » ont de tout temps, comme vous le savez, été soumis aux électrochocs, au confinement, à la médication; ils ont été « psychiatrisés » et c’est pourquoi ils essaient d’éviter l’étiquette de « patient ». Il y a aussi nombre de personnes qui sont passées par le système psychiatrique, qui ont accumulé les traumatismes, et qui s’appellent maintenant eux-mêmes des « rescapés ».

Au sujet de « consommateurs et rescapés », par « rescapé », on désigne ceux qui survivent, non pas au problème de santé mentale — c’est comme ça que je le dis —, mais au traitement de ce problème. Le « consommateur », c’est quelqu’un qui consomme des services, et on utilise ce terme pour être sur le même pied que les personnes qui achètent des services grâce à leurs impôts, parce qu’on ne veut pas être rabaissé au rang de « patient ». C’est une question de terminologie.

Ça ressemble beaucoup à ce qui se passe dans les collectivités de femmes, les collectivités féministes — on avait l’habitude d’entendre : « J’ai demandé un café à la fille ». On a dit : « Nous sommes des filles », et nous avons récupéré ce mot, pour qu’il désigne ce que nous voulions qu’il désigne, non pas « servante ».

Les mots comme les mentalités changent, surtout depuis que l’on s’attache un peu plus au processus de rétablissement. On raconte que lorsque des personnes obtiennent de l'aide, elles peuvent se rétablir; alors, nous voulons des mots plus forts, plus positifs et axés vers l’avenir.

Quelqu’un d’autre vous donnerait certainement une autre réponse; c’est le mieux que je puisse faire pour le moment.

Le président : Je vous remercie. Je rappellerai que dans notre premier rapport, au début, si je me souviens bien, on a expliqué que, si on utilisait le terme « consommateur », c’est en partie parce qu’il n’est pas directement lié au modèle médical, ce que connote le terme « patient ».

Mme Miller : C’est cela.

Le président : C’était aussi en partie parce que nous ne parlions pas seulement aux personnes qui utilisent les services, mais aussi à leur famille. C’est pourquoi nous ne voulions pas parler des « rescapés », mais nous reconnaissons que les mots ont beaucoup d’importance.

Mme Miller : Sans aucun doute.

Le président : Nous passons maintenant à une question du sénateur Cook, qui vient aussi de Terre-Neuve, et qui s’est engagée à fond dans les programmes de santé communautaire des petites collectivités de la côte.

Le sénateur Cook : Merci beaucoup d’être venue ici ce matin. Je parlerai en mon nom propre. J’ai beaucoup appris en peu de temps, grâce à vous, aujourd'hui, et je crois que c’est le cas de tous ceux qui se trouvent autour de la table.

Vous avez parlé d’une loi sur l’incapacité. Je vois déjà un obstacle : qui déterminera l’incapacité? Une loi sur l’incapacité, c’est une très bonne idée. Mais il faut en venir aux détails : les adolescents, les enfants, les adultes, qui et quoi.

Quand on a parlé de ça ici, j’ai tout de suite pensé à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Est-ce qu’elle ne nous aiderait pas à réaliser nos objectifs, en nous évitant de mettre sur pied une autre entité?

Mme Whitney : Parlons d'abord de cet obstacle. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue. Il existe déjà une loi de ce type, aux États-Unis, et elle fonctionne. Je l’ai incluse au rapport, vous pourrez en prendre connaissance. Allez voir à l’index, on indique ce que couvre la définition. Cette loi donne de très bons résultats.

Malheureusement, on ne peut pas dire la même chose de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le Canada a ratifié cette Convention, comme vous le savez, et elle a donc force obligatoire dans notre pays. Pourtant, si elle entraîne des obligations juridiques et qu’elle donnait les résultats escomptés, c'est-à-dire protéger les citoyens les plus vulnérables de notre pays — nous pouvons parler de personnes doublement vulnérables, des enfants qui ne peuvent même pas se faire entendre —, cette Convention aurait dû les protéger devant la Cour suprême du Canada, mais non, elle ne les protège même pas dans notre province.

Les tribunaux inférieurs de notre province accordent tous les jours des injonctions en déclarant que si on ne leur fournit pas un traitement, les enfants visés subiront des torts irréparables. Le gouvernement interjette appel de chacune de ces injonctions; nous nous appuyons entre autres sur la Convention relative aux droits de l’enfant. Elle est complète, et elle devrait être efficace, mais elle plie devant le plus haut tribunal du Canada. Je ne le répéterai jamais assez : si vous voulez protéger les Canadiens handicapés une fois pour toutes, vous devez adopter une loi canadienne sur l’incapacité; pas besoin de réinventer la roue. Ça marche aux États-Unis, ça marchera ici.

Le sénateur Cook : Comme tout le monde, j’essaie de trouver des réponses. Que se passerait-il si le Canada adoptait des normes nationales et des protocoles appropriés? Je vous ai entendu dire que ce que vous ne pouviez obtenir pour votre enfant en Ontario, on pouvait l’obtenir à Terre-Neuve, peut-être pas au énième degré, mais à un degré supérieur. Je vous ai entendu dire que les psychologues n’étaient pas rémunérés par la RAMO. Eh bien, ils sont rémunérés par l'assurance-santé, dans ma province.

Le président : Cette décision relève de la province.

Le sénateur Cook : C’est ça.

Le président : Ils le sont aussi en Nouvelle-Écosse, en passant.

Le sénateur Cook : Si nous voulons, ici, dégager une vision ou trouver des solutions, nous devrions faire l’effort d’examiner des normes nationales et des protocoles appropriés.

Mme Whitney : Il faudrait au moins modifier la Loi canadienne sur la santé pour y intégrer les personnes souffrant de maladie mentale, ce qui comprendrait aussi les cas d’autisme. La protection du gouvernement fédéral est nécessaire. Nous avons besoin de lois. Nous n’avons rien à faire de la bonne volonté et des bonnes idées. Cela n’a pas marché avec la Cour suprême du Canada, qui aurait dû protéger ces enfants. Regardez ce qui s’est passé. C’est un désastre.

Dans votre province, c’est le ministère des Services sociaux qui offre les services. Pas le ministère de la Santé. Les enfants autistes sont à la merci des bureaucrates. Je vous implore de tout mon cœur, je ne suis pas capable de vous parler de la souffrance. J’ai vu mon fils.

Le sénateur Cook : J’aimerais que vous sachiez — vous le savez probablement déjà — que, dans ma province, on met tout en œuvre pour ramasser des fonds afin de construire un établissement pour les enfants autistes. On a recueilli 250 000 $, et on espère pouvoir lever la première pelletée de terre en juin; mais je me demande, après qu’on aura érigé la structure physique, qui mettra en œuvre les programmes si nécessaires? Devrons-nous nous tourner vers les gouvernements provinciaux et leur dire : « Nous avons un immeuble, nous avons des installations. Qui fournira le personnel? Qui donnera aux enfants ce dont ils ont besoin? »

Mme Whitney : Je ne crois pas qu’un édifice répondrait à nos besoins. En Ontario, il existe un système de soins palliatifs qui offre des traitements à domicile. Il n’y a pas lieu de réinventer la roue, ni dans notre province, ni dans une autre. Nous pourrions utiliser ce système pour offrir un traitement efficace aux autistes, de façon très économique pour les contribuables. Ce serait beaucoup plus efficient que la construction de grosses structures.

Pensez aux hôpitaux qui paient les avortements. Ils ne sont pas souvent faits dans les établissements hospitaliers. Il n’y a pas de raison de ne pas donner plus d’étendue à la Loi canadienne sur la santé et les services qu’elle assure pour y inclure, par exemple, des psychologues ou d’autres professions paramédicales. C’est une question qui a été examinée en détail dans l’affaire Auton, en Colombie-Britannique, et j’aimerais beaucoup que vous l’examiniez aussi.

Nous devons être prêts, du moins jusqu’à ce que les professionnels canadiens acquièrent une capacité spécifique pour le traitement de l’autisme, à lever les barrières et à permettre un financement direct, de façon que l’argent soit utilisé le plus efficacement possible pour les enfants et que les coûts restent le plus bas possible.

Laissez-moi vous donner un exemple. En Ontario, le programme pour les autistes est divisé en neuf régions. Il y a une structure, un établissement, avec des personnes. Le coût d’exécution du programme de traitement est de 108 000 $ par année par enfant. Les coûts réels du traitement sont de 55 000 $ par enfant. Qu’est-ce qui s’est passé?

Le vérificateur de l'Ontario vient de déposer un rapport détaillé, que j’ai inclus dans le deuxième rapport que je vous ai donné, qui montre exactement cela, les coûts élevés des projets réalisés à l'aide des organismes gouvernementaux. C’est un gaspillage de l’argent des contribuables. Nous pouvons le faire de façon beaucoup plus efficiente.

Je ne crois pas que la construction d’établissements soit la réponse, mais il y a de l’argent pour le traitement. Les budgets gouvernementaux prévoient déjà l’affectation de fonds, qui sont gaspillés, mais nous pourrions les utiliser de façon beaucoup plus efficace par le biais d’un financement direct, sur le modèle du financement des soins palliatifs et en adoptant le principe de la rémunération à l’acte.

Le sénateur Cook : Je vous remercie, madame Mayeur. Merci d’être venue raconter votre histoire, je suis moi-même la mère d’une fille anorexique, mais c'est une histoire qui finit bien. Elle fait partie de la tranche des 40 p. 100 dont vous avez parlé — cela a pris trois ans et demi — et dans son cas, c’est parce qu’elle a perdu son père, qui a succombé au cancer. Elle a deux magnifiques garçons et je n’arrête pas, au Sénat, de montrer des photographies de John et de Luke. Dans mon cas, l’histoire s’est bien terminée, mais c’est parce qu’elle a eu des soins personnalisés.

Je vis dans une région assez peu peuplée du Canada. Elle a été suivie en psychologie et en diététique, et elle a signé des contrats avec ses thérapeutes, qui concernaient même ce qu’elle mangeait. C’était un partenariat, et c’est un bon modèle, monsieur le président. Ça a marché dans son cas, et sa mère n’était pas du milieu.

Mme Mayeur : En effet, ça repose presque en entier sur les épaules du patient.

Le sénateur Cook : Merci d’être venue raconter votre histoire.

Mme Mayeur : Oui, je dois féliciter Terre-Neuve. Je prononçais une conférence à Homewood, la semaine dernière, lorsqu’un homme de 42 ans est venu me parler. Il en était à son deuxième séjour à Homewood, et il a dit que Terre-Neuve était vraiment magnifique. C’est une petite région, mais il y a quand même deux personnes avec qui travailler. Ils le traitent bien. Ils l’ont envoyé à Homewood, sans tenir compte des coûts, lorsque son état s’est aggravé. Il m’a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi il souffrait de cette maladie. Il a une femme qu’il adore et des enfants, et tout va bien. Il me demandait pourquoi il était malade. Je lui ai répondu qu’il y avait des facteurs génétiques, dans de nombreux cas. Il a répliqué qu’il avait une sœur boulimique et une tante qui avait aussi un trouble de l’alimentation.

Le sénateur Cook : Monsieur le président, ça ne m’a rien coûté — pas un sou. L’assurance-maladie a payé.

Mme Mayeur : C’est vraiment merveilleux.

Le sénateur Cook : Ça rend encore plus évident qu’il faut des normes nationales.

Mme Mayeur : Merci.

Le président : Je tiens à vous remercier, tous, d’être venus devant nous ce matin et de nous avoir laissé prendre de votre temps. Je crois que nous vous avions dit, au départ, que tout serait terminé à 11 h 45; c’est pourquoi nous apprécions vraiment votre disponibilité.

Je devrais aussi expliquer, pour ceux qui se sont posé la question, pourquoi, quand j’ai présenté mes collègues, j’ai dit ce qu’ils faisaient sans prendre la peine d’indiquer s’ils étaient libéraux ou conservateurs. La raison, c’est que cela n’a jamais posé problème, dans notre comité. Nous avons toujours rendu des décisions unanimes et je crois que, de temps à autre, la plupart d’entre nous oublions à quel parti nous appartenons. C’est pourquoi je n’ai pas donné de précisions sur leur appartenance.

Mesdames et messieurs les sénateurs, notre prochain témoin sera Mme Carrie Hayward, directrice, Santé mentale et dépendances, du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario; Mme Hayward est responsable de la santé mentale. Nous avons entamé nos travaux sur cette question avant qu’elle ne soit nommée à ce poste. Par contre, elle a passé de nombreuses années dans le domaine de la santé des Autochtones, et il est clair qu’elle a une assez bonne expérience de la santé mentale. Merci d’être venue ici aujourd’hui, madame Hayward.

Je sais que vous avez un exposé à présenter, mais j’aimerais savoir, avant tout, comment votre secteur est intégré au système de santé de l’Ontario. Vous pourrez ensuite présenter votre exposé et, enfin répondre à nos nombreuses questions.

Mme Hayward s’est présentée bien entourée. Si elle veut mettre ses collègues à l’épreuve, elle pourra faire ce que je faisais, lorsque j’étais député, c’est-à-dire leur demander de répondre aux questions les plus difficiles.

Mme Carrie Hayward, directrice, Santé mentale et Dépendances, ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario : Je suis très heureuse d’avoir l’occasion de prendre la parole ici, aujourd’hui, je vous remercie.

Avant de commencer, je vous donnerai un bref aperçu de l’organisation du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario. Pour commencer, sachez que les services aux enfants et à la jeunesse relèvent d’un nouveau ministère, le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse, qui prévoit déposer un mémoire ultérieurement. Je ne donnerai donc pas beaucoup de détails à ce sujet aujourd’hui.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux est doté d’un budget de plus de 30 milliards de dollars. Son budget est consacré à 96 p. 100 au paiement de transfert pour les hôpitaux, les organismes communautaires, les agences de santé publique et les nombreux organismes qui fournissent les soins de santé à l’échelle communautaire.

Notre ministère compte sept bureaux régionaux qui collaborent chaque jour avec les organismes qui reçoivent les paiements de transfert; sur le plan organisationnel, dans son sens le plus large, on compte plusieurs divisions relevant de sous-ministres adjoints. Je parle entre autres de la Division des services en soins actifs, qui gère les services hospitaliers et les services d’ambulance de l’Ontario, entre autres choses. Nous avons aussi une Division de la santé publique, qui s’occupe des questions de santé publique, mais aussi, en conséquence, de certaines recommandations des diverses commissions qui avaient pour objet le Syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS.

Nous avons aussi la Division des services de santé, qui s’occupe des laboratoires, des fournisseurs de santé, par exemple les médecins, de la diversification des modes de paiement et des centres hospitaliers universitaires. Nous avons aussi la Division des politiques qui fournit au ministre des conseils généraux relatifs à la stratégie, aux politiques et aux ressources humaines de la santé. Cette Division abrite un groupe de travail sur les politiques en santé mentale.

Je travaille moi-même à la Division de la santé communautaire, qui est responsable des centres de santé communautaire avec lesquels certains d’entre vous sont familiarisés; ces centres communautaires ont adopté le modèle de soins multidisciplinaire. Notre Division s’occupe aussi des soins de longue durée en milieu communautaire, des programmes de maintien à domicile, des soins infirmiers à domicile, etc., et aussi des programmes du secteur des soins de longue durée qui concernent les foyers de soins infirmiers.

Je suis à la tête de la Direction de la santé mentale et des dépendances; je suis responsable de tous les services de santé mentale en milieu communautaire offerts en Ontario ainsi que des hôpitaux psychiatriques spécialisés. Pour bien faire notre travail, nous devons communiquer de façon constante avec les autres intervenants du ministère au sujet de tous les dossiers que nous avons en main.

J’espère que cela vous donne une idée générale de notre structure.

Même si le ministère de la Santé et des Soins de longue durée a défini une vision de la restructuration des services liés à la santé mentale et aux dépendances, tout le monde s’entend pour dire que notre approche provinciale doit s’inscrire dans une stratégie plus générale. Le rapport provisoire intitulé Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie marque un pas important, puisqu’il s’agit du premier examen approfondi des politiques et pratiques relatives à la santé mentale à l’échelle du pays. Vous méritez des félicitations pour avoir publié ce rapport.

Le rapport examine en détail les principaux problèmes des personnes touchées par la maladie mentale et la toxicomanie et des membres de leur famille. L’examen se fonde sur un processus de consultation à grande échelle, qui a permis de recueillir l’opinion de nombreux organismes, particuliers et membres du grand public. L’élaboration du rapport a exigé de nombreux échanges avec les membres de la collectivité; ces échanges ont leur importance particulière.

Nous félicitons le Comité d’avoir choisi un processus ouvert, qui permet de mieux sensibiliser les collectivités de toute la province et de l’ensemble du pays aux questions touchant la santé mentale et la toxicomanie et d’inviter les personnes directement ou indirectement touchées à y participer.

C’est avec plaisir que le ministère de la Santé et des Soins de longue durée profite de l’occasion qui lui est donnée de collaborer avec ses homologues des provinces, des territoires et du gouvernement fédéral pour s’attaquer aux questions liées à la santé mentale et à la toxicomanie dans le but d’améliorer la qualité de vie des personnes les plus touchées, en particulier celles qui connaîtront, à un moment de leur vie, des problèmes de santé mentale graves.

Nous savons que votre Comité recommande la mise en place d’un plan d’action national sur la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie. Ce plan serait un complément de la Stratégie canadienne antidrogue. Il pourrait s’inspirer des programmes fructueux mis en place dans les provinces et les territoires tout en étant suffisamment souple pour répondre à des besoins différents.

Cependant, avant de s’engager envers un tel plan d’action, il faudrait discuter abondamment avec les provinces et les territoires au sujet des rôles, du financement et des responsabilités. Nous devons aussi faire remarquer que la mise en œuvre d’un tel plan constitue un défi considérable, comme le montre l’expérience d’autres pays qui ont adopté des stratégies et des politiques en santé mentale à l’échelle nationale.

En Ontario, les problèmes de santé mentale figurent parmi les trois principales causes d’incapacité, ce qui reflète les statistiques des autres pays. Un Ontarien sur cinq souffrira au cours de sa vie d’une maladie mentale suffisamment grave pour nuire à ses activités quotidiennes et 2,5 p. 100 des Ontariens, soit 240 000 personnes, souffriront d’une maladie mentale qui exigera leur hospitalisation ou le recours à des organismes de soutien communautaire tout au long de leur vie.

En Ontario, 20 p. 100 des adultes ont eu des problèmes personnels à cause de l’abus d’alcool ou de drogue. Même si 67,6 p. 100 des Ontariens considèrent que leur santé mentale est très bonne ou excellente, 7,2 p. 100 de ceux-ci disent qu’elle est moyenne ou mauvaise.

En 2002, 8,7 p. 100 des Ontariens avaient communiqué avec des services de soutien en santé mentale ou en toxicomanie, et 4,5 p. 100 déclaraient des besoins non satisfaits dans le domaine de la santé mentale. Les sondages révèlent que de 35 à 50 p. 100 des personnes qui cherchent un traitement pour des problèmes de toxicomanie présentent un trouble psychique.

L’Ontario a une longue histoire dans le domaine des réformes, dans le domaine de la santé mentale en particulier. On peut remonter à 1983; les noms de Scott, Graham ou Newman, par exemple, font partie de cet héritage. En 1999, nous avons entrepris de réunir toutes ces connaissances afin d’élaborer une stratégie, intitulée Franchir les étapes, qui vise la mise en œuvre de la réforme des services de santé mentale et définit le cadre de prestation de l’ensemble des services de santé mentale.

Le rapport était suivi, la même année, d’un document intitulé Vers de nouvelles orientations, qui proposait un cadre d’intégration des services de traitement de la toxicomanie en Ontario. Nous avons par la suite publié des cadres stratégiques sur toutes sortes de sujets : soutien à l’emploi, simplification de l’accès aux services, responsabilisation, équipes de sensibilisation en santé mentale et gériatrie, politique de programme, intervention précoce dans les cas de psychose, une nouvelle politique de programme.

J’ai apporté des copies de ces documents pour les membres de votre Comité. Le document Vers de nouvelles orientations propose un cadre d’intégration des services de traitement de la toxicomanie et des orientations sur la réforme du système de traitement des toxicomanies, y compris la prestation des services, le contrôle de l’évaluation des services et l’organisation de ceux-ci.

Le mandat des programmes de lutte contre la toxicomanie de l'Ontario consiste à réduire ou éliminer les dépendances, non seulement à la drogue ou à l’alcool, mais aussi au jeu. Il existe à l’heure actuelle 160 organismes de traitement de la toxicomanie ou des problèmes de jeu qui sont financés par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario; nous consacrons annuellement 137 millions de dollars à ces programmes de lutte contre la dépendance.

En ce qui concerne la santé mentale, nous nous sommes engagés à mettre en place un système communautaire complet de services et de soutiens en santé mentale, comme on l’explique dans le document Franchir les étapes. Ces deux documents exposent le plan de mise en œuvre de ce cadre.

Franchir les étapes décrit la stratégie relative à un système complet et adapté de services de santé mentale en Ontario; il énonce les buts et les priorités de la mise en œuvre de la réforme de la santé mentale. Le cadre décrit les populations prioritaires en fonction d’une approche liée au niveau des besoins, c'est-à-dire les services de première ligne, les services intensifs et les services spécialisés.

À l’heure actuelle, le gouvernement ontarien dépense plus de trois milliards de dollars par année pour les programmes et services en santé mentale offerts par des organismes communautaires, des médecins en pratique privée, des omnipraticiens et des psychiatres notamment, des hôpitaux psychiatriques provinciaux, des hôpitaux psychiatriques spécialisés, des hôpitaux généraux, des établissements de soins de longue durée et des programmes d’assurance-médicaments.

À l’échelle de la province, on compte 334 programmes communautaires en santé mentale et toute la gamme des services et des programmes de soutien. On parle entre autres des services d’intervention en cas de crise pour les clients et leur famille, qui soutiennent les programmes de prévention des crises et offrent un soutien constant, entre autres des interventions médicales, des conseils, des services de référence ou de défense des droits, une prise en charge intensive des cas en fonction des besoins perçus d’une personne ou de l’évolution de ses besoins par l’entremise par exemple d’évaluations, de défense des droits, de sensibilisation, de contrôle et d’évaluation.

Nous sommes en outre fiers de la longue histoire des équipes de traitement communautaire dynamique; il s'agit d’équipes multidisciplinaires de 10 à 12 membres, comprenant des psychiatres, des infirmières autorisées, des ergothérapeutes, des travailleurs sociaux, des spécialistes de la thérapie par le travail et des spécialistes de domaines connexes.

Nous nous attachons aussi au soutien au logement en proposant à la fois des édifices uniques, des logements locatifs et du soutien individuel; au soutien à l’emploi, pour aider les personnes visées à trouver et conserver un emploi; aux regroupements de consommateurs pour le soutien mutuel, l’acquisition de connaissances et de nouvelles compétences, et les entreprises de consommation; aux projets fondés sur la famille, par exemple les groupes d’entraide familiaux qui peuvent participer à la planification, à l’évaluation et à la gouvernance des programmes de soins.

En 2000-2001, neuf groupes de travail sur la mise en œuvre dans le domaine de la santé mentale ont vu le jour en Ontario. Ils doivent présenter au ministère des recommandations sur la mise en œuvre de la réforme de la santé mentale, en s’inspirant du document Franchir les étapes. Nous avons aussi créé le groupe consultatif d’experts sur les services en santé mentale dans le contexte judiciaire (Forensic Mental Health Services Expert Advisory Panel) qui doit pouvoir fournir des conseils et proposer une stratégie provinciale relative à la mise en œuvre d’un système complet de services de santé mentale dans le contexte judiciaire.

Grâce à la réforme du système de traitement des toxicomanies, on a pu mettre sur pied un certain nombre de projets clés, notamment pour la normalisation des outils d’évaluation, des critères d’admission et de congé et des définitions des services. En outre, les organismes ont travaillé de concert pour augmenter leurs capacités, et la capacité du système, de mieux servir les jeunes, les adultes âgés, les femmes et les personnes qui présentent des troubles concomitants.

Dans le Budget 2004, le gouvernement a annoncé qu’il ajoutait au financement des programmes de santé mentale dans la collectivité une enveloppe de 120 millions de dollars. D’ici 2007-2008, les dépenses provinciales dans ce domaine atteindront 583 millions de dollars; l’objectif est de rejoindre 78 000 clients de plus. Sur le financement annoncé, 65 millions de dollars ont été versés en cours d’exercice. Le financement supplémentaire pour la santé mentale en milieu communautaire vise trois aspects.

Premièrement, on mettra en œuvre quatre programmes clés : intervention en situation de crise, intervention précoce en cas de psychose, gestion des cas et équipes de traitement communautaire dynamique. Ces programmes devraient favoriser la réduction du nombre d’hospitalisations des personnes soufrant de troubles mentaux.

Cet élément de notre plan a été rendu possible grâce au financement dont s’assortit l’Accord sur le renouvellement des soins de santé, conçu par les premiers ministres en 2003. En fait, pour mettre tout cela en œuvre, le ministère s’est fondé sur les résultats d’un projet de recherche axé sur les issues, qui a duré cinq ans. C’est ainsi qu’il a déterminé nos investissements dans les équipes de TCD, les programmes d’intervention en situation de crise, de prise en charge des cas et d’intervention précoce. Par exemple, les clients qui avaient participé pendant quatre ans à un programme de TCD passaient en moyenne moins de temps à l'hôpital, soit 15 jours plutôt que 86 jours par année. Pour les 2 887 clients concernés en 2002-2003, cela représente une économie de 82 millions de dollars au total. Pour la région de Toronto, nous avons observé une diminution de l’hospitalisation de l'ordre de 87 p. 100 pour les personnes qui ont suivi un programme de traitement communautaire et profité des services de gestion des cas graves.

Le second élément de notre stratégie concerne le renforcement du système de santé mentale existant. Nous allons pour cela accorder la première augmentation de base depuis 1991 à 330 organismes. Nous allons aussi financer de nouveaux services, par exemple le répertoire de la santé mentale qui permettra de fournir, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, des renseignements sur les services liés à la santé mentale à l’intention des familles, des particuliers et des praticiens.

Le troisième élément de notre stratégie vise l’amélioration des services dans le but de tenir les personnes souffrant d’un problème de santé mentale loin du système de justice pénale. On offrira diverses formes de soutien, notamment des aides judiciaires spécialisées en santé mentale, des programmes de prise en charge des cas, des places en milieu hospitalier pour les crises de courte durée, des logements avec services de soutien.

Tous les éléments de cette stratégie reflètent l’engagement pris par le gouvernement dans le cadre de l’Accord des premiers ministres sur la santé. La stratégie favorisera l’intégration, la coordination et l’efficacité des services. Elle proposera des solutions de rechange aux soins en établissement. Elle veillera à une bonne répartition des ressources entre les systèmes de la santé mentale, de la justice et des services correctionnels. Elle permettra un meilleur accès à l’information concernant les soins communautaires et la santé mentale. De plus, elle répondra aux nombreuses recommandations faites par les milliers de personnes qui ont participé au processus du groupe de travail sur la santé mentale et du groupe d’experts sur la santé mentale en contexte judiciaire.

Le Comité sénatorial a étudié plusieurs questions de fond sur lesquelles s’est aussi penché le gouvernement de l’Ontario au moment d’élaborer des politiques et de concevoir des programmes et des services. Ces questions concernent notamment la détermination des facteurs clés qui touchent la prestation des services : comment répondre aux besoins des personnes qui ne trouvent pas de réponse adéquate dans le système de service existant ou dont les besoins en service sont complexes; comment garantir que le système de service est doté des ressources humaines en santé appropriées; comment garantir la mise en place de la capacité de recherche et des systèmes d’information adéquats.

Le ministère s’est aussi préoccupé de questions spécifiques, par exemple la façon d’aborder la maladie mentale et la toxicomanie en milieu de travail et de combattre la stigmatisation. Nous en parlerons pendant l’exposé.

En ce qui concerne la prestation des services, la façon dont le Comité envisage le système de traitement de la maladie mentale et des toxicomanies est tout à fait conforme à la vision du gouvernement de l'Ontario des services de santé mentale et de toxicomanie; il s’agit dans les deux cas d’un système axé sur le patient, adapté aux besoins des personnes, centré sur le dépistage précoce, d’un système intégré, accessible et sans hiatus.

En Ontario, nous avons élaboré une politique en matière de santé mentale et de toxicomanie qui accorde aux consommateurs toute la place au centre des services et qui adapte les services à ces besoins; le système cherche avant tout à simplifier l’accès et à faciliter les choix. Cette approche reconnaît que les personnes qui éprouvent des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie peuvent et vont se rétablir et qu’elles pourront mener une vie pleine en contribuant de façon appréciable à leur collectivité.

On a établi que le principal défi de la prestation de services en santé mentale et en toxicomanie en Ontario consiste à améliorer la coordination des services et des programmes de soutien offerts aux personnes aux prises avec ces problèmes.

Le gouvernement de l’Ontario s’attache à la transformation du système de soins de santé; c’est ainsi qu’il pourra améliorer la coordination des services à la clientèle. La mise sur pied des Réseaux locaux d’intégration des services de santé (Local Health Integrated Networks — LHIN) assurera la participation des collectivités dans la transformation du système de santé en leur donnant la capacité de planifier, de coordonner, d’intégrer et, au bout du compte, de financer la prestation des services à l’échelle communautaire.

On a récemment tenu des consultations communautaires dans le cadre des 14 Réseaux locaux d’intégration des services de santé de l'Ontario. On a observé que les services en matière de santé mentale et de toxicomanie faisaient partie des cinq secteurs les plus fréquemment mentionnés quand il était question des occasions d’intégration, d’administration et de soins aux patients; on peut en conclure qu’on s’intéressera d’assez près à ces services, bientôt, lorsque les LHIN commenceront à élaborer des plans dans ce domaine en s’attachant à la santé mentale et à la toxicomanie.

En ce qui concerne le dépistage précoce et l’intervention, le ministère soutient encore une fois l’hypothèse du Comité selon lequel en intervenant rapidement en cas de maladie mentale, on améliore les issues et on préserve la capacité de jouer un rôle important dans les milieux scolaire, professionnel ou social. C’est pourquoi le ministère ontarien a élaboré un cadre de politique de programme qui explique en détail l’approche complète qui sera adoptée pour répondre aux besoins de ceux qui vivent un premier épisode de psychose.

Dans son budget de 2000, le gouvernement de l'Ontario a annoncé un nouveau financement de l’ordre de 4,4 millions de dollars pour le programme; ce financement fait partie des investissements dont je viens de parler. Il permettra à chaque région de créer un nouveau service d’intervention précoce ou de l’améliorer. Le financement est destiné à la dotation d’équipes multidisciplinaires, comptant des travailleurs sociaux, des infirmières, des psychologues et des psychiatres spécialisés, entre autres, qui pourront procéder au dépistage précoce, faire une évaluation complète, offrir un traitement et des mesures de soutien psychosociales, y compris des conseils, des thérapies et de l’éducation à l'intention du patient ou de sa famille, coordonner la prise en charge des cas et des cas spéciaux. Ces mesures visent les personnes de 14 à 35 ans qui vivent un premier épisode de psychose.

Le ministère reconnaît aussi qu’il est important de lutter contre la stigmatisation et la discrimination qui accompagnent les problèmes de santé mentale et de toxicomanie, comme on l'indique dans le rapport du Comité. La stigmatisation a d’importantes répercussions négatives sur la qualité de vie de même que sur le rétablissement. Elle reste un obstacle important à l'obtention d’un emploi, d'un logement et d'un revenu adéquat. De plus, le caractère négatif des problèmes de santé mentale et de toxicomanie empêche les personnes de chercher à obtenir une aide qui leur serait pourtant utile.

Cependant, on n’a pas encore trouvé quelle est la meilleure façon d’influer sur les attitudes du public; en effet, les recherches montrent que les grandes campagnes de sensibilisation du public coûtent cher et ne sont pas très efficaces. D’un autre côté, les projets plus ciblés, qui visent à aider les employeurs à régler des problèmes de santé mentale en milieu de travail, seraient plus efficaces. On pense notamment au programme Mental Health Works, mis sur pied par l’Association canadienne pour la santé mentale, qui élabore et diffuse des informations, des outils, des ressources et des cours de formation pour aider les employés et les employeurs à relever les défis de la santé mentale dans leur milieu de travail.

Il existe aussi une table ronde, Global Business and Economic Roundtable on Addiction and Mental Health, qui mène des recherches sur les répercussions des troubles de santé mentale sur le rendement au travail et cherche à sensibiliser le monde des affaires quant à leurs répercussions sur la productivité.

En ce qui concerne les groupes de population spécifiques, le rapport provisoire du Comité met en relief les défis spécifiques de la prestation des services au moment de répondre aux besoins des enfants et des adolescents, des Autochtones, des personnes âgées et des personnes qui présentent des besoins complexes, par exemple celles qui souffrent à la fois de maladie mentale et de toxicomanie ou de troubles concomitants.

En Ontario, plusieurs programmes cherchent à répondre aux besoins de ces groupes. Mentionnons entre autres le financement que nous avons accordé à quelque 50 organismes qui ont mis sur pied des programmes de sensibilisation à la santé mentale gériatrique et des lignes directrices relatives à l’évaluation des patients, à la consultation, au traitement et aux services d’éducation.

En ce qui concerne la toxicomanie, nous avons financé cinq programmes visant spécifiquement les adultes et une série d’organismes qui ont élaboré des services de traitement en toxicomanie spécialisés à l’intention des adultes. Notre programme prévoit aussi le financement des organismes qui fournissent des services à des groupes ethnoculturels particuliers ainsi qu’à la collectivité francophone. Le ministère et les collectivités autochtones possèdent dix années d’expérience dans la mise en œuvre de la Stratégie de ressourcement pour le mieux-être des Autochtones, une stratégie innovatrice qui propose des programmes de soins primaires, de mieux-être et de lutte contre la violence familiale. Le ministère accueillera avec plaisir un leadership national dans ce domaine qui complètera nos efforts.

Nous n’en avons pas fait état de façon spécifique dans notre rapport, mais des groupes importants exigent un examen spécifique; il s’agit des sans-abri et des mal logés qui présentent un problème de santé mentale ou de toxicomanie. Il existe en Ontario 6 750 unités de logement avec soutien destinées aux personnes souffrant de maladie mentale ou de toxicomanie; toutefois, le Forum provincial des groupes de travail chargés d’étudier la mise en œuvre de la réforme des services de santé mentale a demandé qu’il y en ait 10 000 de plus à l’échelle de la province. Le soutien continu offert par le gouvernement fédéral pour les logements supervisés et à prix abordable est donc bienvenu.

En ce qui concerne les troubles concomitants, on compte dans la province plusieurs projets qui visent à fournir des services continus aux personnes qui ont besoin d’aide dans le domaine de la toxicomanie ou de la santé mentale. On a aussi mis sur pied, à 18 endroits de la province, un projet de développement du jeune enfant qui vise les toxicomanes enceintes; ce projet permet d’offrir des services aux femmes enceintes et d’améliorer les issues en ce qui concerne les mères et leur enfant.

Nous finançons aussi 40 programmes qui fournissent des services de traitement de la toxicomanie à des jeunes de 12 à 24 ans. Ces programmes s’inspirent des modèles de sensibilisation et fournissent leurs services dans des endroits accessibles aux jeunes.

En ce qui concerne les ressources humaines, le Comité a intégré à son rapport une analyse des enjeux relatifs à la disponibilité de ressources humaines adéquates et appropriées pour les secteurs de la santé mentale et de la toxicomanie. Dans le rapport, on reconnaît que les services de santé mentale et de toxicomanie s’appuient sur de nombreuses professions, notamment le travail social, les sciences infirmières, la psychologie, la prise en charge de cas, et j’en passe. L’Ontario investit 120 millions de dollars. Nous avons établi que le secteur a besoin d’environ 1 200 travailleurs supplémentaires.

L’Ontario a reconnu qu’il faudrait un cadre pour résoudre les problèmes actuels relatifs au recrutement et au maintien en effectif des travailleurs en santé mentale et pour utiliser les nouveaux investissements qui visent les services communautaires en santé mentale. Le cadre de ressources humaines en santé mentale reflétera le cadre ministériel général relatif aux ressources humaines en santé qui vise à garantir que l’Ontario se dote d'une main-d’œuvre suffisante dont la composition sera adéquate, et que ces travailleurs soient éduqués et formés et puissent utiliser les appuis nécessaires pour répondre aux besoins en santé de la province.

En ce qui concerne les soins primaires relatifs à la santé mentale et à la toxicomanie, le rapport du Sénat met l'accent sur la nécessité de renouveler le secteur des soins de santé primaires de façon à garantir que les personnes qui présentent des troubles mentaux puissent accéder à des services dans des établissements de soins primaires. L’Ontario a reçu 213 millions de dollars pour les projets en soins de santé primaires, grâce au Fonds pour l’adaptation des soins de santé primaires du gouvernement fédéral. Sur cette somme, 3,6 millions de dollars ont été consacrés à neuf projets pilotes en santé mentale. On s’attend à ce que ces projets permettent de recueillir des informations précieuses sur l’intégration des soins en santé mentale et des soins primaires.

Un comité consultatif de l’Ontario a examiné les facteurs dont il faudra tenir compte au moment de mettre sur pied des équipes de santé familiale qui auront pour objectif de répondre adéquatement aux besoins des personnes souffrant d’un trouble mental. Depuis plus de dix ans, le Ministère soutient des programmes innovateurs en santé mentale, exécutés dans des établissements de soins primaires. Mentionnons entre autres le programme de partage des soins de Hamilton-Wentworth, un programme primé, qui vise à donner aux médecins en soins primaires plus de compétences et d’assurance en ce qui concerne le dépistage et la prise en charge des problèmes de santé mentale.

En ce qui concerne les milieux de travail, le rapport indique que les employeurs ont un rôle important à jouer pour soutenir les employés qui souffrent d’un problème de santé mentale ou de toxicomanie; ce rôle vise la prise en charge de l’incapacité, les politiques sur les installations et les programmes de retour au travail. Comme je l’ai déjà dit, le ministère a élaboré un cadre stratégique, Franchir les étapes, qui propose des mesures de soutien à l’emploi pour les personnes qui souffrent de trouble mental grave. Ce cadre souligne l’importance du rôle que les employeurs peuvent jouer pour ouvrir les portes du marché du travail aux personnes qui souffrent d’un trouble mental; la sensibilisation des employeurs à la maladie mentale est un aspect important de ce cadre. Encore une fois, le ministère considère que le leadership national dans ce domaine est le bienvenu.

En ce qui concerne les bases de données nationales, la recherche et la technologie, nous utilisons les vidéoconférences à des fins cliniques, éducatives et administratives dans le but d’éliminer ou de réduire les obstacles géographiques qui nuisent à la prestation des soins en santé mentale. La mise sur pied d’équipes de santé familiale est pour nous une occasion unique de garantir que les soins primaires et les soins en santé mentale sont étroitement liés, à l’échelle de la province, grâce à l’utilisation de plus en plus courante de la télésanté mentale, en particulier dans les régions rurales et éloignées. De plus, le ministère soutient plus de 100 sites de télémédecine qui offrent tous une gamme de services, y compris en télépsychiatrie.

En ce qui concerne la protection des renseignements personnels, le ministère est d’accord avec le Comité pour dire qu’il est important de protéger les renseignements qui concernent la santé d’une personne. La Loi sur la protection des renseignements personnels sur la santé de l’Ontario a été promulguée en novembre 2004; elle vise les enjeux relatifs à la protection des renseignements personnels sur la santé pour tout l’Ontario.

En ce qui concerne les moyens d’augmenter le rendement et la responsabilisation, le rapport du Sénat fait état de certaines préoccupations relatives au fait que les systèmes de santé mentale et de traitement de la toxicomanie manquent habituellement de mécanismes de responsabilisation, d’une définition claire des rôles et des responsabilités et d’un système d’évaluation du rendement qui permettrait de contrôler la qualité et l’efficacité des services. Le gouvernement ontarien a élaboré un cadre de responsabilisation pour le système de santé mentale dans le but de répondre à ses préoccupations; il a aussi élaboré, conformément à ce cadre, des normes relatives à la prise en charge des cas, aux équipes de traitement communautaire dynamiques et aux programmes d’intervention en cas de crise. En outre, on publiera au printemps 2005 le bulletin sur les services de santé mentale des hôpitaux, lequel analyse le rendement des hôpitaux qui fournissent des soins de santé mentale.

En ce qui concerne le système de traitement de la toxicomanie, nous avons mis en place un système de données, le Drug and Alcohol Treatment Information System, DATIS, qui constitue un système complet et entièrement intégré d’information sur la clientèle destiné à tous les organismes qui reçoivent du financement pour fournir des services de traitement des problèmes de toxicomanie ou de jeu pathologiques. Les données recueillies permettent de planifier, de contrôler et d’évaluer l’utilisation du système, les issues de la santé et les analyses de coût tout en aidant les organismes à élaborer leurs propres plans d’activités annuels.

Par exemple, grâce à ce système nous avons appris qu’en 2003-2004 les programmes de traitement de la toxicomanie ont fourni des services à plus de 125 000 personnes. Grâce au DATIS, le ministère sait que l’utilisation des programmes de traitement de la toxicomanie a augmenté de 60 p. 100 depuis 1998. Nous collaborons actuellement avec la Nouvelle-Écosse afin d’y mettre en place le programme, et nous aimerions aussi établir des partenariats avec d’autres provinces ou territoires.

Nous pouvons aussi compter sur le DART, Drogues et alcool — Répertoire des traitements. Il s’agit d’un système d’information et d’aiguillage pour les fournisseurs de services de santé et pour le grand public. Le DART, la Ligne ontarienne d’aide sur le jeu problématique et le nouveau répertoire des services en santé mentale, qui sera mis sur pied en septembre 2005, ont pour but de fournir des informations sur les organismes de traitement, les services, les établissements, l’accès au traitement et la demande de services. Tous ces programmes permettent au ministère de contrôler les délais d’attente pour un traitement dans le domaine de la toxicomanie ou du jeu compulsif de même que la composition des services offerts dans les diverses régions de la province. En 2003-2004, le DART a reçu près de 27 000 appels de personnes qui cherchent un traitement en toxicomanie, et, depuis 1993, plus de 189 000 appels ont été transférés vers ce service.

Enfin, l’Ontario essaie actuellement d’amener tous nos organismes communautaires du domaine de la santé mentale à utiliser des ensembles de données communs de façon que les organismes et le ministère puissent déterminer les caractéristiques des clients et se renseigner sur l’utilisation du système.

Pour conclure, nous apprécions l’occasion qui nous a été donnée de faire connaître le travail que nous avons entrepris dans les secteurs de la santé mentale et de la toxicomanie, lorsqu’il est pertinent pour les travaux du Comité sénatorial. Nous serons toujours heureux de discuter encore de l’élaboration d’un plan d’action national sur la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie. À notre avis, les discussions à l’échelle fédérale, provinciale ou territoriale devraient se concentrer sur les recherches liées aux services de santé, les projets visant le soutien au revenu, au logement et à l’emploi, la promotion des projets visant les familles ou l’autonomie des consommateurs et sur la normalisation des données pour faciliter l’établissement des rapports, l’élaboration des cadres stratégiques et le financement.

Nous allons préparer un mémoire plus détaillé, en guise de réponse aux questions et aux options qui figurent dans votre rapport, et nous allons pour cela consulter tous les secteurs de programme pertinents du ministère.

Merci de nous avoir invités à prendre la parole aujourd’hui devant vous sur ces importantes questions, et nous vous souhaitons que votre voyage au Canada se poursuive agréablement.

Le président : Je vous remercie, madame Hayward. Avant de donner la parole au sénateur Keon, j’aimerais éclaircir quelques faits; j’aimerais ajouter en passant que nous ne sommes pas ici pour critiquer. À cette étape-ci, nous voulons réunir des faits.

Vous dites que sur un budget de 90 milliards de dollars, une somme d’environ 3 milliards de dollars — j’essaie de calculer — est affectée à la santé mentale?

Mme Hayward : C’est bien cela.

Le président : C’est donc un peu plus de 3 p. 100, n’est-ce pas, et…

Mme Hayward : Dix pour cent.

Le président : …et environ 600 millions de dollars, sur cette somme de 3 milliards de dollars environ, soit environ 20 p. 100, sont affectés aux services communautaires de santé mentale?

Mme Hayward : C’est cela.

Le président : Est-ce que cela veut dire que l’autre part de 80 p. 100 est consacrée à ce que j’appellerais les soins classiques en établissement psychiatrique?

Mme Hayward : Les trois milliards de dollars visent toutes sortes de services de santé mentale dans la collectivité. Il s’agit de 570 millions de dollars.

Le président : Presque 600 millions de dollars.

Mme Hayward : Environ 600 millions de dollars d’ici 2007-2008.

Le président : D’accord.

Mme Hayward : Il y a aussi une somme de 600 millions de dollars réservée aux hôpitaux psychiatriques et aux hôpitaux généraux, mais le reste de la somme, un montant important, est destiné par exemple à l’assurance-médicaments. Les personnes qui souffrent d’un trouble mental peuvent aussi utiliser le Programme de médicaments de l’Ontario, si elles sont bénéficiaires de l’aide sociale, ou le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées; en conséquence, les coûts de leurs médicaments sont assumés par un autre secteur du ministère, en vertu du programme de médicaments.

Le président : Mais ils sont inclus dans votre budget de 3 milliards de dollars.

Mme Hayward : Ils sont inclus.

Le président : Je ne savais pas que vous teniez compte du problème de santé des bénéficiaires du programme d’assurance-médicaments lorsque vous faites la ventilation des données.

Mme Hayward : Non, ce n’est pas cela. On tient compte des bénéficiaires du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, puisque les personnes qui ont un handicap physique et sont incapables de travailler, mais ne souffrent d’aucune maladie mentale y ont aussi accès.

Nous sommes capables de savoir quelles personnes participent au Programme de soutien aux personnes handicapées et, à partir de ces données, d’établir le pourcentage des dépenses qui concerne le programme de médicaments.

Le président : D’accord. Changeons de sujet. Un certain nombre de provinces — nous avons entendu la Colombie-Britannique, par exemple, ce matin, mais ce n’est pas la seule province — essaient de récupérer l’aide fédérale dans plusieurs domaines.

Par exemple, si une personne reçoit des prestations d’incapacité du RPC, une partie de ses prestations seront retenues, c’est-à-dire que si la province verse aussi des prestations d’invalidité, le prestataire ne pourra pas, au bout du compte, recevoir le montant complet de ces deux prestations. Il recevra moins que la somme de ces deux montants.

Mme Hayward : C’est exact.

Le président : Il arrive que la totalité de la somme soit recouvrée, mais pas toujours. Qu’en est-il en Ontario, le savez-vous?

Mme Hayward : Je crois qu’il se passe la même chose, je peux vérifier avec mes aides, ici, et il est possible que certains de nos citoyens qui ont un trouble de santé mentale ne reçoivent que des prestations du RPC. Mais un grand nombre d’autres personnes ne répondent pas aux exigences du RPC, parce qu’elles n’ont pas cotisé suffisamment pour en tirer un revenu.

Le président : Et si elles reçoivent des prestations du RPC, est-ce que cela les empêche automatiquement de recevoir les prestations de l’Ontario où est-ce qu’elles reçoivent…

Mme Hayward : Une combinaison.

Le président : …des prestations réduites de l’Ontario? Quelqu’un, là-bas?

Mme Hayward : Monsieur Dixon, connaissez-vous la réponse?

Le président : J’aimerais avoir votre aide.

M. Doug Dixon, analyste principal, Direction de la santé mentale et des dépendances, ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario : En fait, cette question concerne…

Le président : Pourriez-vous vous avancer, sinon, malheureusement, le hansard ne vous entendra pas. Veuillez décliner votre identité, et ensuite…

M. Dixon : Je travaille comme analyste principal auprès de Mme Hayward. Je dois malheureusement renvoyer la balle à quelqu’un d’autre, même si je n’aime pas cela. En réalité, cette question concerne le ministère des Services sociaux et communautaires, le MSSC et son Programme de soutien aux personnes handicapées, le POSPH. Si j’ai bien compris, ce serait partagé entre les deux. Si vous êtes admissible aux prestations du RPC, vous pouvez être admissible à certaines prestations du POSPH.

Le président : Il est possible qu’une personne n’obtienne pas la somme des deux prestations? Elle obtient moins que la somme des deux prestations?

M. Dixon : Eh bien, je n’en suis pas sûr. C’est un système réellement complexe, et ça dépend de son admissibilité au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, et il faut aussi tenir compte du montant des prestations qu’une personne reçoit du RPC. Et le montant des prestations détermine en outre le montant de l’aide sociale qu’on lui verse. Je suis désolé, mais tout cela est complexe.

Le président : Non, je crois que vous décrivez des cas réels, et je ne suis pas…

M. Dixon : C’est — oui.

Le président : Je dois avouer que j’ai essayé, une fois, de le comprendre, et que c’était une grosse erreur. J’ai fini par conclure que personne ne le comprenait vraiment, mais que, eh bien, c’est possible qu’on en profite pour récupérer quelque chose.

M. Dixon : Oui, c’est possible.

Le président : Madame Hayward, je vais vous poser une dernière question avant de passer au sénateur Keon.

En passant, j’aimerais vous remercier parce que votre ministère a accepté de nous donner une réponse plus détaillée. Ce sera vraiment utile, et d’ailleurs, le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse fera la même chose. Je connais assez bien la ministre Bountrogianni et je sais qu’elle s’intéresse de très près à ce que nous faisons, quand il est question des enfants.

Mais quelque chose me trouble dans votre exposé. Je sais que vous avez occupé plusieurs postes dans la fonction publique, et c’est pourquoi je comprends que votre mémoire soit comme il est. Pourtant, il y a presque une contradiction entre la façon dont vous décrivez toutes les bonnes choses que vous faites, ce que je ne remets pas en cause, et la description que nous en font tous les groupes avec qui nous en avons parlé sur le terrain. Ça s’est passé de la même manière pour le programme fédéral, et je le répète, ce n’est pas un cas unique. On a presque l’impression qu’il existe une politique provinciale, qui concerne une série de choses louables à faire, et pourtant, quand on arrive sur le terrain, là où les services sont offerts à des vraies personnes, on constate que les choses sont loin d’être aussi belles.

Permettez-moi de vous raconter une anecdote personnelle. Quand j’étais chef du cabinet du premier ministre de la Nouvelle-Écosse, au début des années 70, je suis entré dans son bureau, un jour, et j’ai dit : « j’ai découvert deux choses très importantes ». Il a répondu « quoi donc? » J’ai répondu : « La première, c’est que dans ce bureau-ci, on a vraiment en main toutes les manettes du pouvoir. La seconde, c’est que ces manettes ne sont reliées à rien ». Il était d’accord avec moi. C’était intéressant, mais c’était notre dilemme.

Notre dilemme, c’est que les politiques, pas seulement les vôtres, ont généralement bonne apparence dans ce domaine. Pourtant, quand vous parlez à de vraies personnes sur le terrain, elles ont très mauvaise mine. Pourriez-vous nous aider à comprendre pourquoi il en est ainsi?

Mme Hayward : J’avancerai quelques hypothèses. Comme je l’ai déjà dit, on a produit plusieurs rapports sur la réforme depuis 20 ans. La plus importante est arrivée en 1999; elle a donné au ministère une approche très précise de la façon dont il devait organiser les services aux personnes. Cette réforme oriente désormais tous nos investissements.

En fait, les dépenses en santé mentale, en particulier, visaient environ 80 p. 100 des établissements et 20 p. 100 de la collectivité. Nous avons fini par comprendre qu’il est beaucoup plus efficace et efficient de traiter les gens dans la collectivité. Le ratio s’établit maintenant à 55 p. 100 pour les établissements et 45 p. 100 pour les collectivités. Il y a donc eu des changements au fil du temps.

Le président : La collectivité, si j’ai bien compris, aimerait que vous accordiez 60 p. 100 du financement aux collectivités et 40 p. 100 aux hôpitaux, c’est cela?

Mme Hayward : C’est notre objectif final.

Le président : C’est bien vrai. C’est le chiffre que l’on entend citer le plus souvent.

Mme Hayward : C’est vrai. Il y a aussi le fait que, depuis 1991, comme je l’ai déjà dit, de nombreux organismes communautaires n’ont reçu aucune augmentation de base. Il n’y a pas eu de grosses injections d’argent frais dans le système. Il y a eu quelques projets spécifiques au fil du temps.

Par exemple, l’Ontario a mis sur pied un projet pour les sans-abri grâce auquel on a pu offrir 3 600 unités de logement avec service de soutien à des personnes qui étaient auparavant sans abri, à des personnes mal logées ou à d’autres qui vivaient dans des refuges. Mais il ne s’agit que d’un projet sur les 13 ou 14 dernières années.

Comme vous l’expliquez, on essaie de régler certains problèmes à l’échelle locale, mais on n’a pas toutes les ressources en main en même temps pour apporter des changements importants. Les changements surviennent peu à peu.

Vous pourriez peut-être demander aux personnes ce qu’elles pensent des services fournis en 1991. Y a-t-il plus de services? Sont-ils de meilleure qualité? Elles répondraient que ça va mieux, mais qu’il y a encore fort à faire. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’objectif des Réseaux locaux d’intégration des services de santé de l’Ontario consiste en réalité à empêcher, d’une certaine manière, que l’on ne dresse des plans-cadres pour le système, à l’échelle provinciale. L’objectif, en réalité, consiste à permettre que la planification, la coordination et les arrangements en matière de service se fassent plus souvent à l’échelle locale et mettent l’accent sur un continuum de soins, une meilleure intégration des personnes dans les services de soins primaires et une plus grande continuité des soins entre les services hospitaliers et les services communautaires.

Je crois que le système évolue et que, oui, il y a encore du chemin à parcourir. Nous savons aussi qu’il faut investir dans certains secteurs particuliers. Les rapports produits ces dernières années et les groupes de travail sur la santé mentale, qui ont organisé d’immenses consultations, nous ont renseignés quant aux ressources très spécifiques que nous allons injecter dans le système d’ici les quatre prochaines années.

Si vous ne faites pas partie des quatre services dont j’ai parlé — intervention en cas de crise, prise en charge des cas, intervention précoce dans les cas de psychose, équipe de TCD —, vous n’aurez droit à aucune nouvelle ressource pour étendre vos programmes. Nous faisons des investissements très ciblés, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’occuper d’autres secteurs du système.

Le président : J’ai une dernière en question en deux parties à vous poser. Disposez-vous d’un certain système de suivi du rendement sur le terrain? S’il s’agissait d’une entreprise de consommation, par exemple, auriez-vous établi un indice de satisfaction du consommateur pour l’Ontario? C’était la première question.

Deuxième partie de la question : puisque que le gouvernement fédéral n’intervient pas dans ce secteur, est-ce que les provinces ont adopté un système de mesures communes de façon à pouvoir dire que les choses vont mieux à Calgary qu’à Toronto, ou à Ottawa qu’à St. John’s, Terre-Neuve, par exemple?

Mme Hayward : Comme vous l’indiquez dans le rapport, c’est une question à laquelle le secteur a réfléchi. En ce qui concerne un système de mesures communes à l’échelle du pays, je crois que le système de rapports de rendement en santé, mis sur pied en 2002, pourrait être une solution. Ça ne vous renseigne pas beaucoup sur le système.

Le président : C’est très général.

Mme Hayward : C’est en effet très général. En ce qui concerne le secteur de la toxicomanie, nous pouvons donner des chiffres : j’ai parlé du système d’information sur le traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie qui nous renseigne sur la clientèle, l’utilisation des services, les délais d’attente et les différents troubles.

En ce qui concerne la santé mentale, la situation est plus complexe. Nous sommes en train de mettre sur pied un ensemble de données communes et un système d’information de gestion, et nous devons collaborer avec ces organismes pour obtenir plus d’information exacte sur les fonctions qu’ils assurent, le nombre de leurs clients et les troubles particuliers dont souffrent leurs clients.

La semaine dernière, j’ai entendu un exposé sur le projet pilote de cette entreprise. Les données ne sont pas encore tout à fait au point, mais les données sur les logements avec services de soutien montrent que la plupart des clients qui utilisent ces services souffrent soit de schizophrénie, soit d’un trouble bipolaire soit encore d’une maladie mentale grave. Le système recueille aussi des données sur leur logement précédent. On voit qu’un grand nombre de ces personnes vivaient dans des refuges, qu’elles vivaient avec de nombreuses autres personnes ou encore qu’elles n’avaient pas de logement; je crois qu’on y arrive. De plus, de nombreux organismes font eux-mêmes des sondages sur la satisfaction de leur clientèle.

Notre système le plus perfectionné, qui fournit des données assez renversantes, est probablement le système créé pour les équipes de TCD. Ce système permet le suivi des hospitalisations et de l’utilisation du temps et nous permet de savoir si une personne a pris d’autres dispositions en matière de logement et si elle utilise d’autres types d’aide professionnelle. Le système que nous avons créé pour les équipes de TCD est devenu le modèle à partir duquel nous allons concevoir nos autres systèmes de collecte de données sur les autres organismes qui s’occupent de santé communautaire. Nous savons que ce système nous aidera à savoir si nous avons réussi à faire changer des choses. Nous essayons aussi de faire en sorte que les organismes communautaires puissent eux aussi utiliser ces données pour améliorer leurs services.

Le président : Est-ce que ces données sont publiques?

Mme Hayward : Elles ne sont probablement pas publiques au sens où vous l’entendez.

Le président : Ce que j’aimerais savoir, en réalité, même à titre confidentiel, c’est si l’un de nos employés pouvait, avec un peu de chance, parler à l’un de vos employés à ce sujet pour avoir une idée des tendances; ça nous serait utile.

Mme Hayward : Aucun problème. Je crois que les données qui concernent les équipes de traitement communautaire dynamique sont publiques.

Le président : Ça serait très utile.

Mme Hayward : Ce sont des données fascinantes; nous aimerions beaucoup que vous en preniez connaissance.

Le président : Je vous remercie. Sénateur Keon, à vous la parole.

Sénateur Keon : Tout d’abord, madame Hayward, j’aimerais vous remercier. Vous avez fait un exposé détaillé de la situation.

Comme vous le savez, nous nous rendrons dans toutes les régions du pays. Nous ne faisons que commencer, et nous aurons fait le tour des provinces et des territoires à la fin de juin. Nous devons ensuite produire notre rapport et le déposer en septembre, ou à la date que le président fixera. J’espère que l’on pourra, dans ce rapport, définir une stratégie nationale en matière de santé mentale et un processus d’élaboration d’un cadre structurel en matière de santé mentale. Je suis très heureux de constater que jusqu’ici, nous avons à peu près les mêmes idées sur le sujet.

Je sais que les soins primaires présentent des défis. J’aimerais pourtant que vous nous parliez du système ontarien en commençant par la mise en place des soins primaires dans la collectivité et des services communautaires, en passant ensuite au secteur hospitalier puis, pour couronner le tout, aux exigences de la psychiatrie dans le contexte judiciaire. J’ai l’impression que vous avez travaillé très fort pour balancer — balancer n’est pas l’expression exacte, vous avez travaillé très fort pour déléguer — vos services des hôpitaux spécialisés aux hôpitaux généraux, et des hôpitaux aux services communautaires.

À ce que je sache, toutefois, je n’ai pas l’impression que le système est synchrone. D’un côté, vous faites des plans pour les Réseaux locaux d’intégration des services de santé, d’un autre côté, vous parlez de neuf programmes de santé mentale ou, du moins, de programmes prévus, et je ne crois pas que ces nombres puissent correspondre. Je me trompe peut-être.

Comment allez-vous vous y prendre pour changer le système de santé mentale de place et l’intégrer au système de santé général, évidemment, en l’associant aux systèmes des services sociaux à l’échelle communautaire? Cette question n’est pas très difficile, n’est-ce pas? Ce serait vraiment très utile pour nous si vous osiez formuler une réponse. Personne n’aura jamais raison sur le sujet, mais ce serait très utile pour nous si vous vouliez courir ce risque — du niveau communautaire jusqu’au secteur hospitalier si, comme je le crois, il fera partie du secteur hospitalier ontarien dans son ensemble, à l’exception peut-être de l’établissement de Penetang et peut-être, à un établissement provincial médico-légal. Comment envisagez-vous tout cela?

Mme Hayward : Je vais répondre de mon mieux. Je crois qu’à l’échelle communautaire, vous avez raison, les gens perçoivent un manque de communication entre les organismes communautaires s’occupant de santé mentale et les médecins isolés dans leur pratique qui ne disposent pas toujours des ressources ni du temps nécessaires — compte tenu de la rémunération à l'acte — pour offrir à une personne souffrant de maladie mentale les soutiens dont elle a besoin. Cela dit, je crois que les organismes communautaires font du mieux qu’ils peuvent dans ce secteur.

Si nous passons maintenant au modèle des centres de santé communautaire et à une approche plus multidisciplinaire, j’oserais dire que les personnes souffrant de maladie mentale s’en tirent probablement un peu mieux dans ce système de soins primaires.

Passons maintenant au modèle des équipes de santé familiale de l'Ontario. Ce modèle de soins fait de plus en plus de place à la multidisciplinarité. Nous allons voir que les collectivités de toute la province soumettent plusieurs propositions et cherchent à savoir qui sera leur clientèle et comment elles fourniront leurs services. L’un des facteurs les plus importants, pour nous, c'est la façon dont elles essaient de joindre les clients au sein de leur population.

Je crois qu’un des problèmes centraux, c'est que de nombreux généralistes, s’ils n’ont pas suivi une formation spéciale en santé mentale, trouvent probablement très difficile de cibler les problèmes et de posséder toutes les compétences dont ils auraient besoin pour répondre aux besoins de cette population. Les problèmes comme la dépression sont probablement plus faciles à prendre en charge. Les personnes qui ont pu profiter d’un suivi étroit de leur maladie mentale sont peut-être plus facilement prêtes à collaborer avec des généralistes, mais il est évident que la relation entre les généralistes et les psychiatres est essentielle. Il faut que les personnes puissent accéder à des services psychiatriques lorsqu’elles en ont besoin.

De plus, un généraliste peut passer beaucoup de temps à essayer de trouver à quel endroit on offre un programme particulier ou qui offre des services particuliers; tout cela est pour le moment fragmenté. Si les généralistes peuvent utiliser un réseau communautaire étendu, ils trouveront une réponse. S’ils n’en ont pas, ils perdront beaucoup de temps.

Grâce au nouveau répertoire de la santé mentale de l’Ontario, qui, comme je l’ai dit, fonctionnera dès le mois de septembre, un médecin qui ne connaît pas très bien le système de santé mentale pourra décrocher le téléphone et demander quels services sont offerts à Campbellford pour Mme Smith, qui souffre d'un trouble bipolaire. Désormais, les médecins pourront accéder à ce service.

Idéalement, les intervenants en santé mentale et les infirmières spécialisées en psychiatrie seraient membres des équipes de santé familiale et pourraient fournir plus de soins de ce type dans la collectivité. Je crois aussi qu’il est important de veiller à la relation entre les hôpitaux, de permettre aux médecins de diriger leurs patients vers des hôpitaux ou des soins particuliers et de permettre aux hôpitaux de diriger leurs clients vers les organismes de santé mentale.

La semaine passée, un de vos collègues, M. Howard, et moi avons eu l’occasion de discuter au bureau de la Community Mental Health Association, à Scarborough. J’ai posé des questions précises sur les liens entre les services fournis dans les hôpitaux, les services communautaires et toute l’approche de la planification des congés et des mesures de soutien qui visent à donner à tout le monde le soutien nécessaire, en particulier dans les collectivités d’immigrants qui ont des problèmes de langue ou d’autres problèmes d’établissement.

Je crois que le bon fonctionnement d’un système dépend beaucoup de la nature des relations qui se forment ainsi que des ententes et des protocoles conclus entre les organismes de santé communautaire et les hôpitaux.

L'objectif des Réseaux locaux d’intégration des services de santé est d’amener les diverses régions de l'Ontario à accorder plus d’attention à ces interrelations et au continuum des soins. Comme je l’ai expliqué dans Franchir les étapes, nous passons des services de première ligne aux services spécialisés en passant par les services intensifs; il y a donc un continuum entre la collectivité et l’hôpital.

Comme vous l’avez indiqué, un certain nombre de personnes finissent par avoir des démêlés avec la justice, et c’est pourquoi nous devons parler du système médico-légal. Nous avons d’ailleurs un rapport spécifique, qui énonce des recommandations relatives à ce système. Nous avons établi un ratio de places selon le nombre de places total, par population, pour les différentes régions de l'Ontario. Nous avons aussi dix hôpitaux qui s’occupent spécifiquement des questions médico-légales. Il y a aussi des recommandations selon lesquelles les personnes qui présentent un risque relativement faible quant aux problèmes judiciaires ou aux problèmes de santé mentale peuvent être traitées dans un des établissements prévus à l’annexe 1 et intégrées à la population générale. Mais il est question ici d’évaluation du risque et de la question de savoir si, oui ou non, une personne peut recevoir des soins dans un environnement plus normal, dans un hôpital général de l’annexe 1, plutôt que dans un établissement médico-légal.

Je crois que l’un des problèmes que nous vivons, à Ottawa, et vous serez probablement familiarisé avec cette question, dans le système, concerne la façon dont nous utilisons le système et dont nous répondons aux demandes; la façon dont nous évaluons les gens. Comment pouvons-nous même décider comment on améliore le service pour éviter que les personnes souffrant de maladie mentale n’entrent dans le système de justice pénale? C’est le troisième élément de notre stratégie, un élément assorti d’un financement de 27,5 millions de dollars sur les 65 millions de dollars. Son objectif est d’ajouter au système beaucoup d’aides judiciaires spécialisés en santé mentale, et d’ajouter aussi des places pour les situations de crise.

Lorsqu’un agent de police rencontre, dans la rue, une personne en difficulté ou dont la famille a appelé parce qu’il est troublé, l’agent aura maintenant de nouvelles options. Plutôt que d’amener cette personne à l’urgence ou de la mettre en prison, selon la nature du problème ou des troubles que cette personne cause, l’agent aura de nouvelles options pour régler la situation et aider son client; on ne veut pas qu’il le pousse dans le système judiciaire. Nous ne croyons pas que c’est sa place.

Les aides judiciaires spécialisés en santé mentale pourront, dans le cas où une personne est accusée d’une infraction, collaborer avec le système judiciaire en cherchant des façons d’éviter au client d'entrer dans ce système. S’il existe dans la collectivité des soutiens pertinents, les aides judiciaires pourront calmer le client, veiller à ce que l’on prenne son cas en charge et qu’il obtienne toutes les formes d’aide dont il a besoin. Il peut avoir besoin d’un logement : c’est pourquoi la stratégie prévoit 500 unités de logements avec services de soutien; ces éléments sont la clé.

Comme je l’ai déjà dit, le problème concerne le niveau de risque qu’un client pourrait présenter dans la collectivité. Ce ne sont pas toutes les personnes souffrant d’une maladie mentale qui commettent une infraction qui seront admissibles au soutien de ce programme particulier. Notre intention est d’essayer de réduire les demandes qui visent notre système médico-légal, en collaborant avec des tribunaux et aussi avec le système correctionnel de façon que les personnes qui sortent de prison ne récidivent pas. Nous voulons faire en sorte qu’il existe suffisamment de soutien pour ces clients pour les stabiliser, dans la collectivité, et leur éviter de retourner devant les tribunaux.

Nous essayons aussi d’analyser la façon dont nous utilisons les places du système médico-légal, parce que les ressources sont relativement rares.

Il y a tous ces éléments, tous ces continuums et ces multiples niveaux de soins primaires, des services offerts dans la collectivité au système médico-légal, qui offrent les services les plus spécialisés que nous ayons.

Le sénateur Keon : Merci beaucoup. Qu’en est-il de l’établissement de Penetang, le dernier dont vous avez parlé?

Mme Hayward : L’établissement de santé mentale de Penetang est divisé aujourd'hui en deux secteurs. Il y a un service pour les soins aigus en santé mentale, et il y a l’établissement d’Oakridge, l’établissement médico-légal à sécurité maximale. Il y a environ 140 patients dans ce dernier établissement; tous les autres se trouvent dans le service des soins aigus.

Nous avons commencé à nous départir des trois derniers hôpitaux psychiatriques provinciaux, nous en sommes rendus aux établissements de Whitby et de North Bay. Nous nous départirons en dernier de l’établissement de Penetang. Nous n’avons pas encore pris de décisions finales quant à la façon dont tout cela se passera.

Le sénateur Keon : Je suis désolé de vous poser la prochaine question, mais, pourquoi ne pas nous inventer un système? Par quoi allez-vous remplacer ce qui est offert à Penetang?

Mme Hayward : Dans quel secteur de Penetang?

Le sénateur Keon : Dans le secteur médico-légal.

Mme Hayward : Pour le moment, le ministère étudie les options qui concernent l’ensemble du système psychiatrique. En ce qui concerne en particulier le système médico-légal, on cherche comment offrir des soins à l’échelle régionale. Donc, pour le moment, on discute de la possibilité de conserver cet établissement. On voudrait aussi que le système profite des économies d’échelle, puisqu’il n’y a que 140 résidents dans cet établissement.

Le président : Comment expliqueriez-vous au public, parce que nos collègues sont des gens au courant, le problème précis des tribunaux et des troubles mentaux, c’est une question tellement importante. Je crois que nous avons déjà commenté, dans notre rapport, qu’à plusieurs égards les prisons sont devenues les asiles du XXIe siècle.

Demain, nous consacrerons toute la journée à cette question. Nous verrons des représentants des services de police de Terre-Neuve, de la Saskatchewan et de Montréal qui doivent traiter avec des personnes souffrant de maladie mentale, des représentants d’organismes comme la Société John Howard et la Société Elizabeth Fry, qui s’occupent de patients et de prisonniers souffrant d’une maladie mentale à leur sortie de prison, deux juges de la cour de l’Ontario qui traitent de santé mentale et des juges de la Cour suprême de l’Ontario qui traitent aussi de santé mentale. Demain, nous consacrerons la journée à l’étude des répercussions des personnes souffrant de maladie mentale sur le système judiciaire, et du système judiciaire sur ces personnes.

Le sénateur Cochrane : Merci, madame Hayward. Pourriez-vous me donner encore une fois le montant du budget du ministère de la Santé?

Mme Hayward : Trente milliards de dollars.

Le sénateur Cochrane : C’est ce que je pensais. Le groupe qui représente les services à la jeunesse, qui vient après vous, est-il doté d’un budget spécial ou ce budget est-il tiré de cette somme de 30 milliards de dollars?

Mme Hayward : Il a un budget séparé.

Le sénateur Cochrane : Il a un budget séparé; savez-vous à combien il s’élève?

Mme Hayward : Non, je ne le sais pas.

Le sénateur Cochrane : Je le demanderai. Vous ne vous occupiez pas du tout des services à la jeunesse?

Mme Hayward : Nous offrons des services à la jeunesse dans les hôpitaux. Par exemple, à l’heure actuelle, nous essayons de transférer vers le nouveau ministère les programmes de santé mentale à l’intention des enfants qui étaient offerts dans les hôpitaux.

Pour savoir quels programmes seront légués au nouveau ministère et quels programmes nous allons conserver, nous avons décidé d’établir la distinction entre les services aux patients hospitalisés et les services aux patients externes.

Par exemple, les programmes qui visent l’examen, l’évaluation et la thérapie dans les collectivités, qui étaient financés par le truchement des hôpitaux relèveront maintenant, ou en avril, du ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse de l'Ontario. Mais nous ne voulions pas fragmenter les services offerts à l'hôpital, parce qu’il s’agit de services très spécifiques, et le ministère de la Santé possède l’expertise nécessaire pour les gérer.

Le sénateur Cochrane : Pourriez-vous nous donner un aperçu du type de services offerts dans les hôpitaux dont s’occupe le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario?

Mme Hayward : La pédopsychiatrie, par exemple : si un enfant doit être admis à l’hôpital pour y être stabilisé, pour un motif ou pour un autre, il figurera sur le budget du ministère et utilisera les services fournis dans les hôpitaux de l’Ontario. La plupart de ces services sont fournis à l’hôpital.

Le sénateur Cochrane : Avez-vous des données sur le pourcentage de ce type d’enfant, de jeune?

Mme Hayward : Je ne les connais pas par cœur. Mais, encore une fois, on pourra probablement répondre à certaines de vos questions dans le mémoire écrit que nous allons vous soumettre.

Le sénateur Cochrane : Je vais, si vous le voulez bien, passer à une autre question. Vous dites que vous dialoguez avec les employeurs. Pourriez-vous nous parler de vos discussions? Pourriez-vous nous dire comment ils traitent les employés qui souffrent de maladies mentales ou qui sont en quelque sorte stigmatisés lorsqu’ils s’intègrent à la main-d’œuvre? Parlez-nous de leur éthique professionnelle et des périodes de travail. Comment ces employés réagissent-ils?

Mme Hayward : Nous n’offrons pas ces services directement, monsieur le sénateur. Nous finançons les organismes qui assurent la prestation de ces services. Par exemple, nous consacrons environ 14 millions de dollars au programme de soutien professionnel. Ces organismes reçoivent de l’argent et peuvent essayer d’aider les personnes souffrant d’une maladie mentale à trouver un emploi. Ils peuvent aussi collaborer avec les employeurs pour que leurs clients travaillent dans un environnement donné.

Comme je l’ai déjà indiqué, le programme Mental Health Works mis sur pied par l’Association canadienne pour la santé mentale, vise une collaboration personnalisée avec les employeurs. L’objectif est de les amener à comprendre la maladie mentale, à leur apprendre à faire face aux problèmes d’adaptation particuliers à cette maladie et à les familiariser avec les différents obstacles que les employés peuvent devoir contourner. On leur montre aussi ce qu’ils peuvent faire pour travailler avec cet employé particulier. Le ministère ne s’occupe pas de cela directement. Nous finançons des organismes qui offrent ce type de soutien et d’aide aux clients et qui collaborent directement, sur une base personnalisée, avec divers employeurs.

La semaine passée, Howard et moi avons vu, à Yamaha, le programme mis sur pied par un employeur. Six personnes souffrant de maladie mentale travaillaient à la cafétéria; le programme existait depuis 12 ans. Pour créer un programme d’une telle efficacité, il faut des liens très étroits entre Yamaha et l’Association canadienne pour la santé mentale, puisque, de toute évidence, certains des employés de la cafétéria peuvent représenter un problème. Il y a des jours où ça va mal, et où une crise peut se déclarer. Un gestionnaire en formation en milieu de travail, qui travaille au même endroit, aide l’employeur à cerner les problèmes qui se présentent. Ils savent comment traiter avec l’Association canadienne pour la santé mentale plutôt qu’avec l’employé de la cafétéria.

Le sénateur Cochrane : Donc, ces programmes fonctionnent?

Mme Hayward : Tout à fait.

Le sénateur Cochrane : Est-ce que vous faites l’évaluation de certains des organismes que vous embauchez, parce que vous leur donnez de l’argent? Au bout du compte, lorsque le programme est complété, est-ce que vous évalué ces organismes, parce qu’il est probable que certains sont bons, d’autres pas aussi bons, d’autres meilleurs que les autres, et ainsi de suite?

Mme Hayward : Cela fait un certain temps que nous n’avons pas financé de nouveaux organismes de santé mentale, ou très peu, en Ontario, et les gens et les organismes qui fournissent ces services sont là depuis un certain temps. Tous ces organismes dressent un plan des activités annuelles qui décrit leurs activités, le genre de services qu’ils fournissent, le nombre de personnes qu’ils veulent joindre s’il s’agit d’un programme d’emploi, le nombre d’employeurs avec lesquels ils désirent collaborer.

Le personnel du bureau régional, dont j’ai déjà parlé au début de mon exposé, collabore étroitement avec l’organisme. Si on croit qu’il y a un problème avec l’organisme en question, ou sur la façon dont il travaille, le personnel régional collabore étroitement avec lui pour apporter des améliorations.

Le sénateur Cordy : Merci de tous les renseignements que vous nous avez donnés aujourd’hui. J’aimerais parler en premier lieu de l’intégration des services. Vous avez parlé de la coordination des services au sein du réseau de la santé.

Nous entendons souvent dire qu’il y a un manque de coordination, pas seulement en Ontario, mais aussi entre les gouvernements provinciaux et les autres ministères.

Par exemple, une personne qui a un emploi mal rémunéré ne peut se permettre de conserver son emploi si elle doit payer les médicaments de son enfant, ou en Ontario, les services d’un psychologue ou d’un psychiatre pour aider un membre de sa famille. Elle doit laisser son emploi parce qu’elle ne peut payer les soins du membre de sa famille.

Nous avons entendu ce matin l’histoire d’une femme dont l’enfant ne peut fréquenter les écoles publiques parce qu’il fait partie du programme pour les autistes, qui est en réalité financé par le ministère de la Santé, mais personne, dans ce ministère, ne peut travailler avec le système scolaire. Je suis une ancienne enseignante, et ça dépasse mon entendement; je parle de la coordination entre les ministères, pas seulement au sein du ministère de la Santé. Je me demandais si vous pouviez m’expliquer comment ça se passe.

Mme Hayward : Je crois que c’est difficile, dans n’importe quel système bureaucratique, et qu’il faut déployer beaucoup d’efforts pour établir des relations entre les ministères. Je connais même assez bien certains d’entre eux en Ontario.

Par exemple, notre Division collabore avec le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées parce que certaines personnes qui souffrent d’une maladie mentale ont de la difficulté à accéder à ce système ou à obtenir certains types de prestations.

Nous collaborons aussi avec le ministère des Affaires municipales et du Logement de l’Ontario en ce qui concerne la stratégie relative au logement abordable. Nous voulons essayer de garantir que certaines des unités accessibles grâce à ce projet fédéral-provincial pourront être réservées aux personnes souffrant de maladie mentale.

Nous collaborons aussi étroitement avec le ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario dans le dossier des personnes qui souffrent d’un trouble du développement ou d’un problème de santé mentale.

Il existe aussi un autre programme qui est à mon avis unique. C’est le programme Impact, qui s’appuie sur la collaboration entre le ministère des Services sociaux et communautaires, le ministère de l’Éducation et le ministère de la Santé. Le programme s’adresse à une clientèle très, très difficile à servir. Le comité dispose d’un certain montant d’argent qui lui permet de recommander des arrangements particuliers en matière de service en veillant à ce que les personnes dont les besoins concernent plusieurs ministères ne soient pas laissées pour compte à cause des lacunes qui peuvent exister. Le système n’est pas parfait, mais nous collaborons dans un certain nombre de projets.

En ce qui concerne l’amélioration des services du système de justice pénale, nous travaillons en très étroite collaboration avec le ministère du Procureur général et le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, les services de police et les tribunaux et, encore une fois, avec le ministère des Services sociaux et communautaires. En effet, de nombreuses personnes souffrant de troubles du développement ou de certaines maladies mentales ont des démêlés avec la justice. Ce projet particulier ne s’adresse pas seulement aux personnes souffrant de maladie mentale. Il concerne aussi les personnes qui présentent un trouble du développement. Il y a donc certains projets qui supposent la participation de plusieurs ministères, mais ils constituent un défi.

Le sénateur Cordy : Est-ce que vous examinez chacun des cas? Par exemple, si on soumet un dossier à votre attention, est-ce que vous allez le défendre et demander que les ministères unissent leurs efforts? Est-ce qu’il faut que quelqu’un s’occupe personnellement d’un dossier pour que les frontières entre les ministères tombent, ou est-ce que c’est quelque chose qui se passe naturellement?

Mme Hayward : Dans certains cas, ça se passe certainement à l’échelle locale d’abord. Par exemple, un membre de la famille téléphone à un organisme de service pour tenter d’obtenir de l’aide. S’il le faut, le conseiller de ce programme peut appeler quelqu’un d’autre dans un autre ministère, et ils essaient d’intervenir à l’échelle locale.

Dans le programme dont je viens de parler, les trois ministères se réunissent de façon très officielle pour traiter de dossiers particuliers, mais il ne s’agit que des dossiers qui se sont rendus au dernier échelon parce qu’ils sont trop complexes. Quand on essaie d’aider chacun des clients de façon personnalisée, l’intégration se fait à l’échelle locale.

Quand on sait combien de personnes souffrent d’une maladie mentale en Ontario, on comprend qu’il serait très difficile, je crois, pour le gouvernement, de gérer les interventions une à la fois. On a mis en place des processus, mais ils ne sont probablement pas idéals, et tout le monde ne peut pas les utiliser.

Le sénateur Cordy : Ma prochaine question concerne le soutien à la famille. Il y a environ un an et demi, les directeurs de la Société ontarienne de la schizophrénie se sont présentés devant nous. Ils nous ont dit que 60 p. 100 des personnes souffrant de schizophrénie retournaient chez elles lorsqu’elles quittaient l’hôpital. Cela signifie que la famille a un rôle important à jouer, pas nécessairement en offrant des soins, mais en offrant un soutien. Cela est vrai non seulement pour les personnes souffrant de schizophrénie, mais, je crois, c’est vrai aussi pour l’ensemble des personnes souffrant d’une maladie mentale.

Vous avez parlé de mettre sur pied des groupes d’entraide familiale. On nous a aussi parlé, ce matin, de certaines frustrations que les familles doivent subir. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que feraient exactement les groupes d’entraide familiale? Qui a défini des paramètres de ces groupes d’entraide? L’idée venait-elle des familles ou du gouvernement?

Mme Hayward : Les programmes financés en Ontario sont issus, je crois, de groupes d’aide à la famille, ou peut-être aussi d’organismes comme la Société de la schizophrénie; c’est peut-être eux qui les ont mis sur pied. Il s’agit en général de petits programmes, mais je crois que si on leur offre un soutien particulier, c’est parce qu’on reconnaît qu’il s’agit souvent de soins primaires, au sens précis du terme, puisqu’ils offrent du soutien à des membres de la famille. Nous constatons aussi que les familles jouent un rôle important au chapitre de la planification et de la gouvernance des services.

Si je me rappelle bien, notre cadre de responsabilisation exige que les organismes communautaires s’occupant de santé mentale intègrent à leur structure de gouvernance des consommateurs survivants ou des membres de la famille d’une personne souffrant de santé mentale pour veiller à ce que les activités de ces organismes plongent leurs racines dans l’expérience des personnes souffrant de santé mentale et des membres de leur famille.

 

Le sénateur Pépin : J’ai écouté avec grande attention votre dernière réponse. Ce matin, de nombreuses familles sont venues nous dire qu’elles étaient épuisées et qu’elles avaient vraiment besoin de services de soutien. Je vous crois, mais je me demande vraiment comment vous y arriverez, ça me semble tellement important. Quelles directives allez-vous donner en ce sens, dans votre réforme?

Mme Hayward : Dans le programme dont j’ai parlé, en ce qui concerne notre nouveau projet, il y a trois volets particuliers qui aideront les familles. Le premier volet, c’est l’intervention précoce en cas de psychose. C’est probablement une des périodes les plus difficiles que traverseront les familles : elle ne savent pas vers qui se tourner, ce que peut signifier un diagnostic pour leur fils ou pour leur fille, elles doivent composer avec le fait que leur enfant ne pourra pas terminer ses études secondaires ou universitaires, ou qu’il ne peut pas travailler. Ce programme est assorti d'un budget de 4,4 millions de dollars. Je crois qu’il sera utile à ces familles, parce qu’il s’attache vraiment au dépistage précoce et cherche à aider les jeunes, en particulier, le plus tôt possible, de façon qu’ils puissent obtenir le soutien dont ils ont besoin. Ce simple soutien pourrait réduire un peu le niveau de stress des familles.

Nous avons aussi investi dans la prise en charge des cas et dans les équipes de traitement communautaire dynamique. Ces deux formes de soins ont pour objectif d’aider les personnes souffrant de santé mentale à obtenir les autres formes de soutien dont elles ont besoin. Il peut même s’agir de lier une personne qui sort de l'hôpital à un programme de logement avec services de soutien, si cette personne est assez vieille pour vivre seule, plutôt que de la renvoyer dans sa famille; c'est peut-être une façon plus appropriée pour elle de franchir une autre étape, de devenir plus indépendante et de prendre en charge son propre rétablissement.

Après l’aide au logement, après avoir tenté de fournir aux personnes du soutien professionnel et les conseils dont elles ont besoin, tous ces services, même s’ils ne visent pas directement les familles en tant que telles, aideront les personnes souffrant de santé mentale qui utilisent le système. Nous espérons que, par ricochet, ces services collaboreront avec les membres des familles et les amèneront à participer.

Quant aux équipes de traitement communautaire dynamique, je vous ai dit que je vous transmettrai un document de résultats. Les équipes font un sondage sur la satisfaction de la clientèle et elles en profitent pour faire un sondage distinct auprès des membres de la famille, pour savoir s’ils sont satisfaits des services reçus par leur fils ou par leur fille.

Le sénateur Pépin : Quand prévoyez-vous que ces merveilleux services seront offerts ici?

Mme Hayward : Le financement de ces quatre services, les services dont je viens tout juste de parler, de même que les services d’intervention en cas de crise, a été distribué vers le mois de septembre 2004. La plupart des organismes qui ont reçu l’équivalent d’environ 30 millions de dollars, sur une base annualisée, procèdent en ce moment même à l’embauche de leur personnel, et ils sont en place.

Le sénateur Pépin : Ce sera donc bientôt fonctionnel?

Mme Hayward : Ça devrait. Nous devrions constater bientôt un changement. Le programme de liaison avec les services correctionnels et le système de justice pénale n’est pas tout à fait prêt, mais les autres le sont.

Le sénateur Pépin : Est-ce que la liste de l’Assurance-santé de l’Ontario comprend tous les types de maladie mentale, par exemple l’autisme, la boulimie et l’anorexie? Est-ce que ces troubles sont couverts par l’Assurance-santé de l'Ontario?

Mme Hayward : Je ne connais pas très bien les services pour les autistes, parce qu’ils sont depuis toujours financés par le ministère des Services sociaux et communautaires de l'Ontario, et maintenant, par le nouveau ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse de l'Ontario.

En ce qui concerne la boulimie et l’anorexie, un généraliste qui traite une jeune femme souffrant de ce problème facturerait certainement l’Assurance-santé de l'Ontario pour ses services.

De plus, si cette jeune patiente devait être hospitalisée, ça ferait partie des dépenses en santé mentale dont j’ai déjà parlé, qui sont liées au budget de trois milliards de dollars, parce qu’il existe des programmes pour les patients hospitalisés et des programmes pour les patients externes dans le cas de l’anorexie et de la boulimie.

Le sénateur Pépin : L’autisme me semble un problème très spécifique. J’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup d’aide dans ce domaine. C’est un problème qui entraîne beaucoup de frais, et de nombreuses familles ne peuvent payer les soins dont leurs enfants ou dont les membres de leur famille ont besoin.

Mme Hayward : Je peux dire aux représentants de ce ministère, qui viendront vous présenter un exposé ou qui déposeront un mémoire, que le problème de l’autisme vous intéresse.

Le sénateur Pépin : Je crois que c’est très important. J’ai une dernière question. Vous avez parlé des campagnes de publicité sur la santé mentale, vous dites que ce n’est pas très efficace. Je me demande pourquoi vous dites cela; ce matin même, quelqu’un nous a dit qu’il y avait eu un grand sondage et qu’on avait appris que plus de 80 p. 100 des Ontariens étaient très sensibilisés au problème de santé mentale et pensaient que le gouvernement devrait faire quelque chose à ce sujet.

Mme Hayward : Le rapport dont j’ai parlé, c’était une monographie publiée dans un autre pays, où il y a eu une importante évaluation.

Le sénateur Pépin : Ça ne vient pas du Canada.

Mme Hayward : Ça ne vient pas du Canada. Ce qu’ils essayaient de prouver, c’est qu’il est peut-être mieux de faire des campagnes ciblées. Plutôt que de lancer une campagne qui s’adresse à tout le monde, il serait peut-être mieux de cibler spécifiquement les employeurs, les jeunes ou certains aspects particuliers du système plutôt que d’essayer de sensibiliser de la même façon tous les membres du public.

Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur le président, chers collègues, madame Hayward, je vous remercie. Tout ceci a été très important pour nous, évidemment, puisque nous représentons le gouvernement du Canada et vous, un gouvernement provincial. Tout ce temps-là — c’est assez nouveau pour moi — je me suis demandé comment nous pouvions, en tant que représentants du gouvernement du Canada, faire la différence puisqu’il s’agit, en fait, d'une compétence provinciale.

Vous avez mentionné un certain nombre de secteurs où nous pouvions faire la différence avec le rapport de notre Comité sénatorial : les données de la recherche, le revenu, le logement et l’emploi. Vous nous avez aussi très bien conseillés en suggérant des campagnes ciblées à l'intention de la jeunesse, etc. Vous avez aussi parlé de l’Accord des premiers ministres sur la santé.

Quels conseils généraux pourriez-vous nous donner? Jusqu’à quel point êtes-vous optimiste face à un rapport de ce type, compte tenu, peut-être, de l’état actuel des relations fédérales-provinciales dans le domaine de la santé?

J’aimerais aussi que vous parliez un peu de vos relations avec le gouvernement fédéral, avec le ministère fédéral de la Santé et de votre propre travail. Pourriez-vous nous dire jusqu’à quel point les deux ordres de gouvernement collaborent dans le dossier de la santé mentale?

J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur les répercussions que vous envisagez. J’aimerais aussi que vous nous donniez des conseils sur la façon d’arriver à la plus grande efficacité possible, à l’échelle du pays, sur la façon dont vous envisagez cela en qualité de directrice d’une division du gouvernement provincial.

Mme Hayward : Je crois que le travail de votre Comité peut donner d’excellents résultats. Le seul fait d’entreprendre cette étude, je l’ai dit au début de mon exposé, d’organiser des consultations et d’attirer l'attention sur la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie est un acte essentiel.

Depuis que j’occupe ce poste, au sein du ministère, bien des personnes m’ont dit que la santé mentale était souvent le parent pauvre du système. Je suis pourtant très optimiste, du moins en ce qui concerne l’Ontario — je ne suis pas très familiarisée avec ce qui se passe dans les autres provinces. Mais notre gouvernement vient d’affecter d’importantes ressources aux services en santé mentale; je crois que cela reflète son engagement envers ce volet du secteur de la santé et envers les besoins des personnes souffrant de maladie mentale ou d’une dépendance.

Je crois que les relations entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux seront toujours délicates quand il sera question des rôles et des responsabilités. Mais il est évident que le gouvernement fédéral a toujours eu un rôle à jouer dans certains domaines, et on devrait pouvoir en profiter.

En ce qui concerne le logement abordable, le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’Ontario ont déjà commencé à collaborer, c’est un dossier important. Le travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, et ses répercussions sur l’emploi, sont importants. En ce qui concerne les Autochtones, on discute beaucoup de la santé des Autochtones, dans le cadre de réunions fédérales-provinciales-territoriales; cela aussi est important. Les activités mises en œuvre par les deux ordres de gouvernement peuvent très certainement être combinées, du moins en Ontario et s’intégrer à nos propres investissements et à la Stratégie de ressourcement pour le mieux-être des Autochtones, par laquelle on s’efforce de définir une nouvelle approche des problèmes auxquels font face les collectivités autochtones; je parle de recherche, d’emploi, de données. Il ne faut pas oublier que nous investissons de plus en plus dans des services communautaires, et que le ratio a changé. Nous avons encore tant à apprendre sur l’efficacité des services communautaires en santé mentale et sur les approches qui fonctionnent le mieux. Nous voulons que tous nos organismes adoptent les meilleures pratiques qui soient.

Le fait que vous attiriez l’attention sur ces questions est un fait réellement important. Je crois que les discussions les plus fermes auront lieu entre les chefs des ministères fédéraux à vocation financière.

Le président : Je ne sais pas si c’est une conclusion optimiste ou pessimiste, mais puisque j’en fais partie depuis des années, je crois que de temps à autre, c’est les deux en même temps.

Madame Hayward, je vous remercie beaucoup d’être venue, surtout que vous n’occupez ce poste que depuis peu de temps. Nous l’apprécions, et nous avons hâte de prendre connaissance de votre mémoire écrit.

Souhaitons maintenant la bienvenue à Becky McFarlane, qui représente le Ontario Council of Alternative Businesses. Laissez-moi vous dire, madame McFarlane, que nous avons entendu de très bons commentaires au sujet de votre programme, ce matin, de la part d’autres témoins.

Souhaitons aussi la bienvenue à Jennifer Chambers, coordonnatrice du Empowerment Council for Patients et coprésidente de la Mental Health Legal Advocacy Coalition.

Nous recevrons ensuite trois membres du Dream Team, qui vous expliqueront en quoi consiste cette équipe. Non, il ne s’agit pas d’une équipe de basket-ball, comme tout le monde le pensait au début.

Merci à tous d’être venus. Nous allons suivre un autre ordre.

Monsieur Dufresne, pourriez-vous nous dire, pour commencer, en quoi consiste le Dream Team? Vous pourrez ensuite présenter votre exposé?

M. Phillip Dufresne, membre du Dream Team : Merci. J’ai déjà vécu dans la rue; aujourd'hui, je suis membre du Dream Team, un projet qui a vu le jour grâce aux conseils des Mental Health and Housing Services, en 1999. Les conseils des Mental Health and Housing Services et le Dream Team représentent 24 organismes s’occupant de santé mentale et de logement qui soutiennent 7 000 personnes et offrent un logement sûr et abordable à plus de 2 600 habitants de Toronto.

À l’heure actuelle, le Dream Team compte 20 membres; 17 d’entre nous souffrons d'un trouble de santé mentale et vivons dans un logement avec services de soutien. Notre équipe compte aussi quelques membres de la famille de l’un d’entre nous de même qu’un membre du conseil communautaire d’un organisme de soutien au logement.

Les logements avec services de soutien ont changé notre vie; nous en donnons une preuve vivante, et nous racontons notre histoire aux politiciens des divers ordres de gouvernement, aux organismes de services sociaux, aux sociétés de bienfaisance, aux étudiants des écoles secondaires et des universités, aux groupes de consommateurs et à d’autres institutions. Nous nous efforçons d’obtenir plus de logements avec services de soutien pour les personnes souffrant d'une maladie mentale en Ontario.

Nous avons pour objectifs de faire mieux comprendre et accepter les personnes souffrant d’une maladie mentale et de permettre à ces personnes de réaliser leur plein potentiel et de participer à la société en leur fournissant des logements sûrs et abordables, avec services de soutien.

Nous réalisons ces objectifs en montrant comment vivent les consommateurs-survivants des soins psychiatriques, c'est-à-dire les personnes qui vivent avec une maladie mentale, et en veillant à ce que, dans notre organisme, les décisions soient toujours prises par et pour les consommateurs avec le souci de leur bien-être.

Nous présentons chacun notre tour un exposé de trois ou quatre minutes pour expliquer en quoi le logement avec services de soutien nous a sauvé la vie, à nous ou à un membre de notre famille. Quand on cherche à obtenir plus de logements avec services de soutien, nous devons souvent combattre le syndrome Pas dans ma cour, la stigmatisation de la maladie mentale et les règlements sur le zonage, qui traitent à part les logements avec services de soutien.

Comme tout le monde, les sans-abri et les malades mentaux ont le droit de vivre où ils veulent. Personne n’a le droit de nous empêcher de vivre dans un certain quartier. C’est un cas flagrant de discrimination et de violation des droits de la personne. Comment réagiriez-vous, et je m’adresse aux personnes qui se trouvent dans la salle, si quelqu’un vous disait : « Je ne veux pas que vous viviez dans mon quartier »? Peu importe la raison pour laquelle on vous dirait cela, c’est mal. On n’a pas le droit d’empêcher des Noirs, des gais ou des Juifs de vivre dans un quartier ou un autre. On considère que c’est un crime haineux, et on ne devrait pas non plus en avoir le droit quand il s’agit de sans-abri ou de malades mentaux. Si on nous réprouve, ce n’est pas parce que nous avons fait quelque chose de mal, c’est à cause de la peur et de l’ignorance. Les statistiques montrent en outre que nous ne sommes pas plus violents que les autres. C’est simplement que, pour la société, nous faisons partie des cas sensationnels.

J’aimerais vous présenter maintenant M. Shapiro. Ce sera ensuite le tour de Mme Chamberlain, et c'est moi qui vais conclure.

M. Mark Shapiro, membre du Dream Team : Combien de membres de la commission sont des consommateurs-survivants de soins psychiatriques?

Le président : La plupart d’entre nous avons dans la famille un membre qui répond à cette définition.

M. Shapiro : Bien. Je suis un parent, et un membre du conseil d’administration de Habitat Services. Mon fils Kenny a souffert pendant 15 ans d’un trouble obsessionnel-compulsif grave. Il a maintenant réintégré la collectivité après des années de problèmes familiaux, à faire des séjours dans les hôpitaux, à consulter un psychiatre puis un autre, à chercher en vain vers qui se tourner. À cause de son trouble obsessionnel-compulsif, c’est une situation d’affrontement constant, et Kenny ne coopère pas du tout. Il vivait dans la rue, et il était toujours angoissé et pris de panique parce qu’il ne savait pas où il était; était-il en sécurité? Il lui arrivait aussi de se présenter à mon studio, un itinérant, mon fils.

Nous cherchions désespérément. Nous avons enfin pu mettre mon fils en contact avec le système de services en santé mentale, qui fournissait des logements avec services de soutien. Rochelle Goldman, de la Fondation Chai Tikvah, nous a ouvert la porte. Les Habitat Services et l’organisme de la Canadian Occupational Therapy Association, la COTA, ont donné ce qu’il fallait pour faire face aux frais de subsistance quotidienne de Kenny. Cette aide importante a finalement permis à Kenny de trouver un emploi, de louer son propre appartement grâce à une subvention de Chai Tikvah, de prendre ses propres médicaments et de devenir responsable en répondant à ses besoins quotidiens.

Il n’existe pas de mots pour traduire les sentiments et le soulagement d’un parent qui voit enfin son fils ou sa fille fonctionner normalement et reprendre goût à la vie dans la collectivité et, surtout, dans sa famille. Cela me soulage de savoir que, lorsque nous disparaîtrons, notre enfant pourra toujours avoir un logement sûr et abordable.

En tant que parent, je remercie du fond du cœur les sources gouvernementales et je leur demande du même souffle qu’ils maintiennent leurs services de soutien.

J’aimerais rappeler ce qu’a dit Michael Wilson, vice-président du Forum provincial sur les groupes d'étude sur la mise en œuvre de la réforme des services de santé mentale. À son avis, les logements avec services de soutien étaient la pierre angulaire du processus de rétablissement. Sans ce type de logement, on n’a plus d’autre choix que les salles d’urgence, les prisons ou la rue.

Mme Linda Chamberlain, membre du Dream Team : Est-ce que je peux me lever? J’ai des fourmis dans les jambes. Bonjour, je souffre de schizophrénie paranoïde, de trouble bipolaire et d’alcoolisme.

On ne peut pas savoir à quoi ça ressemble tant qu’on n’a pas vécu dans une pièce sombre et humide, sans fenêtres, sans climatisation ni chauffage, et sans aucun droit. À l’époque, je me trouvais chanceuse tout simplement parce que j’avais un toit et un lit. Je payais 550 $ par mois pour ça, une pièce infestée de coquerelles et de souris, avec un lit dont les ressorts s’enfonçaient dans ma peau. C’était impossible de dormir, alors je changeais de matelas, mais le nouveau matelas était infesté de punaises. Ça vous semble horrible, mais en fait, c’est pire que tout ce que je pourrais dire. Je souffrais de dépression grave et j’étais fréquemment hospitalisée. J’ai vécu dans des endroits comme ceux-là pendant une bonne partie de ma vie. Croyez-moi, ce n’est pas une vie. J’avais l’impression d’être un zombie et tout ce que je faisais, c’était simplement pour survivre; je n’avais pas d’estime ni de respect pour moi-même, aucune dignité, aucun objectif, aucun espoir.

Ma vie a changé quand j’ai commencé à participer à un programme qu’on appelle Progress Place. C'est un centre de réadaptation qui m’a de toutes sortes de façons donné l’occasion de croître sur le plan personnel. La plus belle chose qui me soit arrivée, grâce à ce centre, c’est que j’ai pu déménager dans un logement de l’organisme Mainstay Housing. Pour la première fois de ma vie, je me sentais en sécurité, j’avais de l’aide, et le loyer était abordable.

La première fois que je suis entrée dans le logement, qui comportait une chambre à coucher, je ne pouvais pas croire que c’était mon logement. Je ne croyais pas que je méritais de vivre dans un si bel endroit. Je croyais qu’on avait fait une erreur, et qu’on ne me laisserait pas là. Il y avait des fenêtres, elles s’ouvraient, je pouvais regarder dehors; oh! la lumière, le soleil. Je pouvais sentir l’odeur du gazon, et entendre les oiseaux. J’avais ma propre chambre à coucher, ma propre salle de bain. J’ai une cuisine complète, avec une cuisinière et un réfrigérateur. Je suis maintenant capable de préparer mes repas et je suis fière de pouvoir recevoir des invités.

Le changement le plus frappant, dans ma vie, c’était l’intimité, la paix, le calme et la propreté : l'espace, qu’est-ce que je dis, c’était immense, j’avais mon propre appartement avec un balcon. C’est cela qui m’a permis de changer d’attitude, qui a bouleversé tous les aspects de ma vie. J’ai eu plusieurs emplois à temps partiel. J’ai siégé au conseil d’administration de Mainstay Housing, mon mandat vient tout juste de se terminer. Je siège au conseil d’administration du Conseil d’habilitation (Empowerment Council - Client Council) et je défends aussi les droits des clients du Centre de toxicomanie et de santé mentale. J’ai participé à des consultations, dans le cadre de la formation de Progress Place, j’ai visité d’autres programmes, et ça m’a permis de voyager partout au Canada, aux États-Unis et à l’étranger. Je sais maintenant que j’ai des droits, en tant que personne et en tant que locataire, et je les défends pour mon compte et pour le compte des autres. J’ai de plus en plus confiance en moi. Quelle satisfaction de pouvoir se tenir debout et de dire « non ». Ma vie est complètement transformée depuis que j’ai déménagé dans mon propre appartement. Ce n’est pas seulement un appartement. C’est ma maison. Je suis maintenant un membre productif de la société. Je vous remercie.

M. Dufresne : Eh bien, Linda, merci. C’est à moi que revient la tâche peu enviable d’assurer la relève, après Linda. Ce n'est pas une chose facile, mais, comme vous le voyez, les membres du Dream Team ont tous une histoire différente. En fin de compte, aucun parmi nous ne serait en vie aujourd'hui sans le logement avec services de soutien; je ne dirai jamais assez que le logement est l’un des droits les plus fondamentaux d'une personne. Sans logement, aucun d’entre nous ne serait en vie aujourd'hui. Il faut que les trois ordres de gouvernement soutiennent la création d’un plus grand nombre de logements avec services de soutien. Les sans-abri et les malades mentaux ne devraient pas avoir moins de droits que les autres seulement parce qu’ils ont moins d’argent.

Je vais vous raconter brièvement certaines des choses que nous avons faites. Nous avons raconté notre histoire et transmis notre message à plus de 9 000 personnes. Il y a deux ans, dans le cadre de notre premier concert-bénéfice annuel, nous avons lancé une campagne de cartes postales. Les cartes postales étaient adressées au premier ministre de l’époque, Ernie Eves, et on lui demandait de créer plus de logements avec services de soutien. George Smitherman et Marilyn Churley, députés provinciaux de l'opposition, ont remis des cartes postales aux membres de leur assemblée législative, et ils ont soutenu notre demande de création de logements avec services de soutien.

Nous venons de lancer une autre campagne pour demander au gouvernement provincial libéral actuel de respecter sa promesse et de fournir 6 600 unités de logements avec services de soutien. J’ai apporté des cartes postales. Nous vous les distribuons, nous vous demandons de bien vouloir les signer.

Le Dream Team a aussi acquis le statut de partie aux audiences de la Commission des affaires municipales de l’Ontario dans une affaire qui concerne un deuxième projet de logements avec services de soutien à St. Jude. Bien que le conseil communautaire et le conseil municipal de Toronto avaient donné à St. Jude la permission de mettre en œuvre son projet, dans le coin de Dundas et Parliament, un groupe de contribuables du quartier s’est opposé au développement et a interjeté appel devant la Commission des affaires municipales de l'Ontario.

Une avocate en droits de la personne représentait le Dream Team. Elle a indiqué aux contribuables que l’objectif des audiences de la Commission des affaires municipales de l’Ontario était de discuter d’urbanisme et des questions de zonage de l’édifice, pas du type de personnes qui y habiteraient. Elles les a aussi prévenus : toute remarque discriminatoire à l'encontre des personnes qui y vivraient pouvait justifier des poursuites relatives aux droits de la personne.

Grâce à la participation du Dream Team, St. Jude a gagné son procès, et toutes les revendications des contribuables ont été rejetées. Cela créait un précédent, puisque c’était la première fois que l’on s’attaquait au syndrome Pas dans ma cour en invoquant les droits de la personne. Je crois que d'autres organismes de logement avec services de soutien recourront de plus en plus à cette stratégie à l’avenir.

Nous avons aussi élaboré un modèle de formation des formateurs pour aider d’autres groupes de consommateurs à mettre sur pied des organisations semblables au Dream Team. L’année dernière, nous avons aidé un groupe de Waterloo à mettre sur pied son propre Dream Team, le groupe s’appelle WISH, Waterloo Initiative for Supportive Housing.

Le Dream Team a aussi produit un vidéo de son travail; c’est avec plaisir que nous vous le remettons. Nous avons aussi créé un site Web, www.thedreamteam.ca. Notre organisation reflète le modèle de l’habilitation. Toutes nos décisions sont prises par les consommateurs, les plus nombreux de nos membres. À l’heure actuelle, deux employés à temps partiel soutiennent notre travail. Nous sommes constamment à la recherche de financement, parce que nous veillons à ce que le travail que nous faisons puisse se poursuivre. D’ailleurs, le simple fait de se présenter devant votre Commission entraîne des dépenses. Des projets de consommateurs comme le nôtre devraient pouvoir trouver un financement permanent.

Le Dream Team a gagné en 2002 un prix honorifique de l’Ontario Non-Profit Housing Association Tenant Achievement pour souligner le travail des locataires dans le domaine du logement sans but lucratif. Bon nombre de nos membres ont aussi gagné des prix individuels pour leur bénévolat, mais il faut rappeler que rien de cela n’aurait été possible si nous n’avions pas d’abord pu compter sur les logements avec services de soutien.

La raison pour laquelle nous nous appelons le Dream Team, c'est que, pour nous, le logement avec services de soutien est réellement la réalisation d'un rêve. Nous voulons qu’un logement sûr soit non plus un rêve, mais une réalité pour tout le monde.

Pour terminer, j’aimerais souligner l'importance du logement avec services de soutien, qui est un élément essentiel du processus de rétablissement. Comme le montre l’ensemble de notre travail, une fois que les personnes souffrant de maladie mentale trouvent un logement avec services de soutien, elles sont capables de contribuer à la société et de recommencer à vivre. Merci de nous avoir reçus ici aujourd'hui.

Le président : J’aimerais vous remercier, tous les trois, d’être venus. Puis-je vous poser une question au sujet de votre horaire? Devez-vous partir tout de suite, ou pouvez-vous rester un peu?

M. Dufresne : Nous pouvons rester.

Le président : D’accord, c’est bien. J’avais l'impression, à cause de quelque chose que Mme McFarlane a dit, que vous ne pouviez peut-être pas rester. Normalement, j’aimerais entendre les autres membres du groupe, après quoi nous poserons nos questions à tout le monde à la fois. Madame McFarlane, c'est maintenant votre tour.

Mme Becky McFarlane, coordonnatrice des partenariats, Ontario Council of Alternative Businesses : Je crois que Diana et Pat Capponi ont présenté un exposé ce matin, et qu’elles ont parlé de certaines entreprises de remplacement qui existent à Toronto.

L’OCAB est un organisme voué à la création d’emplois…

Le président : L’OCAB, c'est quoi?

Mme McFarlane : L’Ontario Council of Alternative Businesses est un organisme voué à la création de débouchés économiques pour les personnes ayant un passé psychiatrique grâce à la mise sur pied d’entreprises dirigées par ces survivants du système psychiatrique. À l’heure actuelle, l’OCAB possède et exploite quatre entreprises parallèles, dont trois à Toronto et une, à Peterborough, en Ontario.

L’entreprise Raging Spoon offre un service de traiteurs; c’est aussi un restaurant situé au centre-ville qui fournit de l'emploi à quelque 20 personnes.

Le centre de toxicomanie et de santé mentale, de la rue Queen, exploite le café Out of this World Café and Espresso Bar, un établissement qui est à la fois une cantine et un café, qui fournit de l’emploi à environ 30 personnes. Il est important de signaler que Out of this World Café était autrefois un programme de réadaptation dirigé par le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Il y a presque trois ans, le Centre a cédé l’établissement à notre organisme pour que l’on en fasse une entreprise parallèle.

Il y a aussi Parkdale Green Thumb Enterprises, qui s’occupe d’aménagement paysager à Parkdale, ici à Toronto, qui veille à la propreté des rues pour le compte d’associations locales d’amélioration des affaires. Green Thumb s’occupe, si j’ai bien compris, de l’entretien des plantes pour les associations d’amélioration des affaires de Toronto; plus de 40 survivants y ont trouvé un emploi.

Enfin, l’entreprise Crazy Cooks Catering, un service de traiteurs de Peterborough, offre des possibilités d’emploi à près de 20 personnes.

Notre expérience nous permet d'affirmer, et cela ne surprendra personne, que l’emploi ou la capacité d’avoir un emploi est une composante essentielle de la personne, qu’elle ait un vécu psychiatrique ou non. L’OCAB a très bien réussi grâce au modèle des entreprises parallèles. Les personnes qui travaillent dans ces entreprises réussissent très bien en tant qu’employés, mais aussi en tant que participants à la vie communautaire et économique. J’aurais des milliers d’exemples à vous donner cet après-midi, et il a été très difficile pour moi d’essayer de résumer tout cela en cinq à sept minutes. Je vais donc vous donner un bref aperçu de quelques aspects.

J’aimerais attirer votre attention sur un des grands problèmes auxquels nous nous butons quand nous cherchons à fournir un emploi aux survivants du système psychiatrique. Le problème concerne le montant du revenu maximum admissible fixé par le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, le POSPH. Une personne qui reçoit des prestations du POSPH ou d’Ontario au travail, ou encore de l’aide sociale, verra ses prestations réduites si elle gagne plus que le revenu maximum admissible. Le revenu est fixé à 160 $ pour le POSPH, et à 143 $, pour Ontario au travail.

Le président : Je m’excuse, par semaine?

Mme McFarlane : Par mois. Si une personne gagne plus de 160 $ au cours d’un mois et qu’elle reçoit des prestations, elle n’aura jamais plus que 930 $ par mois du POSPH ou 520 $ par mois d’Ontario au travail. On parlera seulement du POSPH, parce qu’on peut gagner 160 $ par mois. Ontario au travail, c’est un peu moins. Pour tout ce qui dépasse 160 $ par moi, le gouvernement prélève 75 sous sur chaque dollar gagné.

Les gens hésitent à gagner plus de 160 $ pour plusieurs raisons. C’est en partie parce qu’il n’est pas très motivant de travailler lorsque l’on doit redonner une partie de son salaire. Mais c’est surtout, je crois, parce que les personnes qui gagnent plus de 160 $ se retrouvent prises dans un système bureaucratique complexe. Si une personne gagne plus de 160 $ au cours d'un mois donné, on fera une retenue sur son chèque. Si elle ne gagne pas plus que ce montant, le mois suivant, il peut arriver qu’ils retiennent le chèque en pensant que sa déclaration n’était pas aussi élevée. C’est ainsi qu’une personne tombe dans le piège du système. La plupart des employés de nos entreprises disent ne pas vouloir gagner plus que 160 $ par mois. C’est très difficile de convaincre les personnes qui veulent travailler à temps plein d’obtenir un emploi à temps plein. Je crois que les personnes qui doivent assumer le coût de leurs médicaments et de leurs soins de santé craignent d’abandonner le POSPH et leur droit à l’assurance-médicaments pour aller travailler à 10 $ l’heure ou au salaire minimum — qui est de 7,40 $ aujourd'hui, si je ne me trompe pas, il vient d’augmenter — c'est impossible. Encore une fois, les gens sont pris au piège. Ils sont bloqués. Les gens veulent travailler, mais il y a des obstacles.

L’autre problème, c’est que l’OCAB a eu beaucoup de difficulté à obtenir du financement. Tout le monde proclame que le modèle des entreprises parallèles est une pratique exemplaire. Pour chaque entreprise, il y a toujours une liste d’attente de 150 ou 200 personnes qui veulent travailler. Pourtant, il est toujours difficile d’obtenir du financement pour créer de nouveaux débouchés ou même pour conserver nos acquis.

À l’heure actuelle, nous sommes dans une situation — à la fin du mois de mars, une de nos entreprise risque de fermer ses portes. On n’a pas encore confirmé que le financement annuel serait maintenu. Nous envisageons de procéder à des mises à pied, dans une autre entreprise, parce qu’il n’y a pas d’argent pour conserver ces postes. C’est une pratique exemplaire, tout le monde le dit; pourtant, nous avons de la difficulté à trouver du financement.

J’ajouterais une dernière chose : il est très frustrant de devoir annoncer aux centaines de personnes qui téléphonent ou qui viennent à notre bureau parce qu’elles veulent un emploi et qu’il n’y a pas de débouchés pour elles.

Dans le dernier rapport sur les besoins de groupes de population spécifiques, vous avez dressé une liste de groupes visés : les enfants, les adolescents, les Autochtones, les personnes présentant des besoins complexes, les personnes âgées.

J’aimerais vous recommander d’ajouter une autre catégorie qui s’appellerait tout simplement les pauvres. On fait preuve à mon avis depuis trop longtemps d’une ignorance crasse lorsqu’il s’agit de la pauvreté qui perdure dans notre collectivité. Il sera absolument impossible de régler la question de la réforme du système sans régler aussi les grandes questions qui expliquent ses échecs. Je crois pouvoir affirmer que l'expérience de la pauvreté et de l’absence d’espoir est un des principaux facteurs de la mauvaise santé mentale d’un grand nombre de membres de notre collectivité, et j’irais jusqu’à dire de la plupart d’entre eux. Vous avez déjà entendu quelques histoires, et le problème de la pauvreté revient encore et encore sur la table. Je pourrais passer l’après-midi à vous raconter l’histoire de personnes dont un certain nombre ont peut-être perdu leur emploi. Ces personnes qui n’ont absolument rien, sauf peut-être un chèque de paie ou deux, finissent pour la plupart par perdre leur emploi et aboutissent dans des logements insalubres. C’est une expérience déprimante.

Ces temps-ci, je travaille avec une femme qui gagnait 50 000 $ par année; on l’a mise à pied lorsqu’elle avait 50 ans. Elle a fini par louer un studio à Parkdale, elle est tombée dans la dépression, a été hospitalisée, est sortie de l’hôpital, et on lui a dit qu’elle ne trouverait probablement jamais un autre emploi. À l’heure actuelle, elle est prise dans le système du POSPH pour essayer d’en tirer les prestations, elle vit de l’aide sociale, et les gens lui disent de ne pas travailler. On lui dit qu’elle n’a presque aucune chance de trouver un autre emploi. Qu’elle est trop malade. Et elle accepte tout cela. Nous voyons ça souvent : il n’y a aucune attente en ce qui concerne les gens de notre collectivité.

Ce que j’essaie de vous faire comprendre, ce n’est pas que la maladie mentale n’existe pas, mais qu’il faut seulement tenir compte des répercussions de la pauvreté; elles sont pourtant énormes, impossible de le nier, et il faudra y voir si on veut un système qui fonctionne.

Un logement adéquat, la possibilité de trouver des aliments nutritifs à prix abordables, des liens vers des soins de santé primaires de qualité, un emploi valorisant et des liens avec la communauté, tous ces éléments sont essentiels à la santé mentale d’une personne. Si une personne n’est pas capable de répondre à ses besoins fondamentaux, il est ridicule de penser que le système de santé mentale pourra faire quelque chose d’utile. Pour une personne qui n’a pas de logement, pas de nourriture et aucun espoir, ce n’est pas un système plus humain qui fera la différence.

À mon avis, quand nous envisageons la réforme du système, il faut comprendre qu’on pourra peut-être l’améliorer pour des futurs utilisateurs et apprendre de nos erreurs; j’aimerais toutefois préciser clairement que le système, dans le passé, a causé d’effroyables préjudices à de nombreuses personnes. Le système peut évoluer, mais les personnes qui ont été lésées par ce système, dans le passé, ne vont pas nécessairement sauter de joie et croire qu’il s'agit d’un meilleur système. Nous ne devrons pas oublier qu’il faut aussi répondre aux besoins des personnes souffrant d’une maladie mentale, qu’elles interagissent ou non avec ce système, parce que bien des survivants ne l’utilisent pas et ne voient pas l’intérêt de l’utiliser.

Notre collectivité a été dévastée. Les répercussions de l’institutionnalisation à long terme et de la pauvreté, les effets secondaires des médicaments et l'absence d’espoir, encore une fois, ont fait tomber l’obscurité sur toutes nos activités et sur notre vie. Je crois que, pour se lever chaque matin et pour avancer, il faut un courage que la plupart d’entre nous pouvons à peine comprendre; je ne parle pas simplement des logements insalubres, de la faim et des effets des médicaments, avec lesquels nous devons vivre. Si ça prend du courage, ce n’est pas seulement à cause de ça, mais aussi parce que le regard que jette sur nous la société est empreint de préjugés, de discrimination, de colère et, parfois, de haine.

Avant de me présenter ici, j’ai lu toutes vos notices biographiques. Ce qui m’a frappée, évidemment, c’est que vous faites tous preuve d’un grand leadership. Je voulais faire valoir qu’il y a, dans cette salle, un autre groupe de leaders, et c’est eux qui ont la parole aujourd'hui.

Ce matin, vous avez entendu Diana et Pat Capponi, qui sont toujours des leaders dans une collectivité qui a un énorme besoin de leaders. Je fais partie d’un groupe de personnes qui mènent la lutte en vue de modifier nos conditions de vie, les conditions dans lesquelles nous aimons. Vous avez entendu des personnes qui luttent de toute évidence avec passion pour un membre de leur famille en exigeant du changement. C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd'hui pour vous parler, d’être avec les autres personnes qui parleront aujourd'hui et qui parleront, je sais, pendant encore quelques jours.

Je voulais parler un peu des attentes. Comme membres d’une collectivité, on nous a dit de ne rien attendre de nous-mêmes. Quand j’étais jeune, quand j’utilisais le système, on m’a dit, là aussi, de ne m’attendre à rien en ce qui me concernait.

Je crois qu’il est vraiment important de comprendre qu’il faut exprimer ses attentes envers une personne si on veut qu’elle fasse quelque chose pour y répondre. Quelqu’un a parlé ce matin, je crois que c’était la représentante du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, qui parlait d’un programme de réadaptation en milieu de travail où il y avait un formateur en milieu de travail et une personne disponible pour les situations de crise. J’aimerais dire, fièrement, que dans les entreprises que nous exploitons, il n’y a pas de formateurs en milieu de travail et nous n’avons pas de situations de crise. Nous fixons des attentes très élevées pour les employés de l’entreprise, et ils doivent répondre à ces attentes. Si vous mettez la barre plus haute, les gens l’atteindront. Si les attentes ne sont pas assez élevées, personne ne les dépassera, ou en fait, plusieurs ne les dépasseront pas. Ce n’est pas juste. Nous devons fixer des attentes élevées.

Helen Hook a parlé ce matin de la nécessité de mettre en place des programmes d’entraide, dans le cadre du système, et je voulais appuyer sa recommandation. Je veux cependant être claire : il ne faut pas que ces postes restent symboliques. Ces postes méritent d’être rémunérés, et le salaire doit permettre de vivre; pas de survivre, de vivre. Je le répète, un salaire de 8 $, 9 $ ou 10 $ l’heure n’est pas suffisant puisqu’il ne leur permet pas de combler leurs besoins fondamentaux, particulièrement à Toronto, où un studio coûte plus que le montant des prestations mensuelles de l’aide sociale.

Le système, ce n’est pas une machine monolithique qu’il faut de temps à autre rafistoler, réparer ou remplacer. Le système est fait de personnes; je crois que nous avons tous une responsabilité à prendre.

C’est très étrange pour moi d’être ici à essayer de vous décrire nos conditions de vie. Je crois qu’aucun écrivain ni aucun artiste n’arriverait à rendre compte de ces histoires. Les mots que j’utilise n’offrent qu’une pâle représentation. Je me retrouve assise dans cette magnifique salle, et je vous invite à venir faire une promenade dans mon monde, à visiter les entreprises, rencontrer les leaders et ceux qui deviendront les leaders de ma collectivité. Comme je l’ai déjà dit, nous avons trois entreprises ici, à Toronto, et une autre, à Peterborough. Si je vous invite, c’est pour deux raisons. La première, c’est que je veux que vous compreniez, que vous voyiez de vos propres yeux ce qui se passe sur le terrain. La deuxième raison, c’est que si nous voulons vraiment modifier le système, nous devrons travailler côte à côte; vous êtes évidemment les leaders, mais nous sommes, de façon moins évidente, mais tout aussi réelle, des leaders puissants. Je ne peux pas vous promettre que personne n’éprouvera de colère, que l’on croira en vos motifs, ni qu’on vous comprendra. On ne doit pas s’attendre à ce que, d’un jour à l’autre, le changement se réalise ou que la confiance naisse. Pourtant, en tant que leaders, nous savons tous, je crois, que ce n’est pas facile d’être un leader, que nous ne sommes pas toujours acceptés ou respectés, mais nous jouons néanmoins ce rôle parce que ce n’est pas facile, c’est un défi, et il faut que quelqu’un l’assume. Je vous invite sincèrement et en tout humilité, c’est une invitation qui vient du fond du cœur. Il y a peut-être un risque, mais il vaut la peine de le courir. Merci de m’avoir donné l’occasion de vous parler ici, aujourd’hui, et j’espère que l’avenir nous réserve des jours meilleurs.

Le président : Merci, madame McFarlane. Nous accueillons pour finir, avant les questions, Mme Jennifer Chambers, coordonnatrice du Conseil d’habilitation, organisme qui est en quelque sorte associé au Centre de toxicomanie et de santé mentale, mais je ne sais pas exactement en quoi.

Mme Jennifer Chambers, coordonnatrice, Conseil d’habilitation (Client Council) : Le Conseil d’habilitation est un organisme indépendant, dirigé par les membres. Ceux-ci sont tous des consommateurs de soins psychiatriques, des survivants et des toxicomanes. Nos locaux sont situés au Centre de toxicomanie et de santé mentale, et nous sommes financés par le Centre. Cependant, toutes les décisions sont prises par nos membres.

Le président : Vous êtes indépendants du Centre, pourtant c’est lui qui vous finance, et vous traitez dans une large mesure avec lui, en réalité.

Mme Chambers : C’est cela.

Le président : Merci.

Mme Chambers : Nous sommes un organisme de promotion et de défense des droits. Nous défendons nos droits à l’intérieur du système et nous parlons surtout au nom des 20 000 clients du Centre de toxicomanie et de santé mentale.

La promotion et la défense des droits supposent que les personnes que nous représentons peuvent s’exprimer sur les questions qui nous concernent, dans la mesure où l’opinion que l’on exprime est bien la leur, et pas celle de quelqu’un d’autre. La plupart du temps, on ne nous entend pas, parce que la société nous exclut ou que d’autres personnes, qui prétendent parler en notre nom, parlent plus fort que nous. En venant vous parler, dans le cadre de la présente tribune, nous essayons encore une fois de faire respecter nos droits et nos besoins fondamentaux, en tant que personnes. Nous essayons aussi de vous convaincre que les besoins qu’il s’agit de combler, nous pourrons les définir nous-mêmes; nous ne laisserons personne d’autre dire quels sont nos besoins.

En passant, j’aimerais vous encourager à prendre connaissance du document que nous vous avons présenté. Je suis plus claire lorsque j’écris que lorsque je parle, et ce ne sera pas aussi long que ça en a l’air. Le document consiste en grande partie en annexes — nous avons pensé qu’elles pourraient être utiles à votre personnel de recherche.

Nous apprécions que vous ayez pris la peine d’inviter un nombre relativement plus élevé de représentants de notre collectivité à votre tribune. Nous y sommes proportionnellement plus nombreux que lors des précédentes consultations, mais nous sommes quand même minoritaires dans les discussions qui concernent notre propre vie. Ça s’explique en partie par le fait que nous sommes exclus du pouvoir dans presque toutes les sphères du système de santé mentale du Canada.

Quand on parle de promotion et de défense des droits, on parle de donner la parole. Il est clair que nous devons avoir de meilleures tribunes sur lesquelles nous faire entendre pour toutes les questions qui nous touchent; nous avons beaucoup à dire. Et notre voix ne doit pas être confondue avec celle des autres. Nos intérêts ne sont pas les mêmes que ceux des familles ou des fournisseurs de services; ils peuvent parfois se chevaucher, mais c’est à nous de le dire.

Nous avons représenté des organismes de survivants des soins psychiatriques et des organismes de personnes dépendantes dans de nombreux procès. C’est moi qui ai défendu nos droits dans quatre affaires portées devant la Cour suprême et dans trois enquêtes. Les résultats ont été extraordinaires, et nous avons pu faire respecter nos droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

Nous sommes obligés de défendre nos droits de cette manière, mais cela prend beaucoup de temps, c’est un processus parcellaire et, souvent, notre travail est anéanti par des fournisseurs de services qui se démènent pour biaiser la signification des décisions de la Cour suprême du Canada.

Il faut continuer de promouvoir et de défendre nos droits, et nous avons besoin pour cela d’une stratégie coordonnée à l’échelle nationale. Comme l’indiquent McCubbin et Cohen dans leur ouvrage The Rights of Users in the Mental Health System : the Tight Knot of Power, Law and Ethics, nos droits ne sont pas protégés parce qu’ils sont nos droits; ils sont nos droits parce qu’ils sont protégés. Ils font remarquer qu’aujourd’hui, la signification même d’un « droit » est déformée par des opposants de diverses allégeances qui utilisent par exemple l’expression « droit au traitement » pour justifier l’imposition d’un traitement.

Le système juridique lui-même exclut systématiquement la plupart des consommateurs et des survivants des soins psychiatriques de l’accès à une vraie justice. Vous entendrez demain l’exposé de Randy Pritchard, qui représente la Mental Health Legal Advocacy Coalition. Ce groupe et, dans une certaine mesure, le Conseil d’habilitation, a réalisé le seul sondage jamais réalisé à l’échelle du Canada pour demander aux intervenants du système de santé mentale en contexte judiciaire ce qu’ils pensaient de ce système. On est surpris de constater que ça n’avait jamais été fait.

À l’heure actuelle, on mène une enquête, à North Bay, au sujet d’un homme qui s’est pendu pendant qu’il était sous la responsabilité du système médico-légal. Il a passé de nombreuses années dans le système et n’avait semble-t-il pas d’espoir de libération; il s’est pendu en raison d’un incident pour lequel il aurait pu ne pas être emprisonné. La situation est désespérée, et nous devons mieux défendre nos droits dans le système de santé mentale.

Nous devons exercer des pressions et veiller à l’éducation du public de façon constante et organisée. C’est à ce prix que nous pourrons faire en sorte que le système juridique soit juste pour la plupart des survivants des soins psychiatriques. Pour cela, nous avons besoin de l’expertise d’un organisme national de promotion et de défense des droits dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie, un organisme qui serait contrôlé par les survivants des soins psychiatriques et par les toxicomanes.

Je vais vous expliquer brièvement pourquoi nous avons besoin d’un réel programme de défense de nos droits pour vivre. Dans l’une des annexes de notre mémoire, on vous montre l’étendue du problème de la violence contre les personnes handicapées, vous y verrez aussi, en particulier, le pourcentage élevé de mauvais traitements à l’encontre des personnes qui sont passées par le système psychiatrique.

L’Institut Roeher a mené de nombreuses études pour connaître l’étendue du problème de la violence faite aux personnes handicapées. De façon générale, on observe que personne ne réagit de la même manière quand il est question de victimisation des personnes handicapées. L’opinion générale, c’est que justice n’a pas été faite.

En plus des infractions de nature criminelle dont ils sont victimes, les patients du système de santé mentale sont aussi privés de leurs droits fondamentaux, de façon plus constante. Nous avons droit à une certaine protection devant la loi; ce droit est constamment violé.

Parlons par exemple du consentement éclairé. Étude après étude, les chercheurs montrent que peu d’utilisateurs sont renseignés sur les effets indésirables des médicaments psychotropes qu’on leur prescrit. Le droit correspondant au traitement le moins restrictif possible est fréquemment violé. Le droit de refuser un traitement correspond maintenant à un exercice d’évaluation de la compétence d’un patient du système de santé mentale qui ose refuser le traitement qu’on lui offre.

Je peux vous parler de mon expérience personnelle. J’ai vécu dans une aile psychiatrique, et ça a été l’une des expériences les plus traumatisantes de ma vie. Si on plaçait dans un autre contexte les choses qui se passent dans une aile psychiatrique, on considérerait que c’est un désastre. Les personnes sont enfermées dans de petites pièces dont elles ne peuvent pas partir, elles sont attachées à un lit, on leur injecte des agents chimiques contre leur volonté : c’est vraiment une expérience traumatisante. On se fait dire que c’est correct, parce que ça se passe dans un hôpital. C’est vraiment une façon de déformer la réalité. Je suis réellement indignée, c’est pourquoi je fais le travail que je fais.

Il faut redistribuer le pouvoir et instituer un vrai programme de défense des droits dans le système de santé mentale. Nous fournissons plus de détails à ce sujet dans la deuxième annexe de notre mémoire, où il est question des besoins des établissements psychiatriques.

Après la parution de cet article, le Conseil d’habilitation et le Centre de toxicomanie de santé mentale ont rédigé une déclaration des droits des clients à l’intention des clients du Centre. Au meilleur de notre jugement, c’est la plus puissante déclaration de son genre au Canada, et nous recommandons de la diffuser dans les établissements psychiatriques. La seule raison pour laquelle on a rédigé cette déclaration, c’est que le Centre a adopté une politique dans le but de soutenir l’expression d’une opinion indépendante par ses clients, c’est-à-dire nous. Cette indépendance est la seule façon pour une personne de parler de façon convaincante au nom de sa collectivité. Si on veut soutenir les programmes de promotion et de défense des droits, il faut viser des droits qui nous tiennent à cœur.

La Commission d’intervention de l’Ontario, un organisme de défense des droits qui faisait un travail admirable, mais n’a pas eu une longue vie, était dirigée par des personnes handicapées. Décrivant son travail, la Commission disait qu’un programme de défense des droits efficaces permettait aux personnes de « prendre en charge » leur propre vie. Elle disait aussi que, contrairement à la plupart des autres programmes de soins de santé ou de services sociaux, la défense des droits est dirigée par la personne vulnérable. Nous avons, en Ontario, le Psychiatric Patient Advocate Office, qui prend la défense des droits d’une personne, en suivant ses directives, de façon individuelle. Ce bureau est indépendant du ministère, il n’est pas directement contrôlé par l’hôpital où il est situé. Toutefois, le processus de cession met jusqu’à un certain point cette indépendance en péril. En outre, c’est le ministère qui exigeait que les hôpitaux psychiatriques provinciaux se dotent d’un programme de défense des patients. Chacun des hôpitaux qui ont été cédés pourrait décider s’il veut maintenir des services de défense des droits. Il faudra en faire la demande, et c’est cet aspect de la tâche qui compromet leur indépendance.

Cela s’est passé de la même manière avec les conseils de patients de la province. Lorsque le ministère contrôlait directement les hôpitaux psychiatriques provinciaux, il exigeait que ceux-ci financent des conseils de patients indépendants, dirigés par leurs membres. Un certain nombre d’hôpitaux ont profité de la cession pour priver immédiatement les conseils de financement et de personnel.

Selon la Commission, on a dit que la défense des droits se fondait sur deux grands principes : l’indépendance et la confiance. Un organisme de défense doit être indépendant et libre de tout conflit d’intérêts réel ou perçu. Et on doit pouvoir avoir confiance en la capacité de cet organisme de défendre les intérêts de la personne vulnérable et seulement les intérêts de cette personne.

J’aimerais pour conclure vous présenter nos recommandations. Je recommande la mise sur pied d’un organisme national de parrainage juridique dans le domaine de la santé mentale. La responsabilisation exige que le système de santé mentale soit conforme à la loi. Les consommateurs et les survivants des soins psychiatriques et les personnes dépendantes ont besoin d’un organisme national de parrainage juridique qui surveillera les infractions à nos droits, infractions prévues ou non par la loi. Cet organisme devra rendre des comptes à la collectivité qu’il doit servir, et à cette seule collectivité.

Pour éviter les conflits d’intérêts réels ou perçus, il faut que cet organisme n’ait qu’un seul objectif, la défense des droits. Les organismes qui prétendent se porter à la défense des droits tout en offrant d’autres services ont de toute évidence un parti pris en faveur du service qu’ils offrent, ce qui nuit à leur crédibilité.

Un organisme de parrainage juridique en matière de santé mentale, qui offrira ses services à l’échelle nationale et qui sera financé par le gouvernement fédéral est nécessaire pour plusieurs raisons. Il faut d’abord éliminer le dédoublement des efforts et le chevauchement des programmes de parrainage juridique à l’échelle du pays, tout en soutenant les programmes locaux. Il faut attirer l’attention sur les lois relatives à la santé mentale qui s’appliquent au Canada et sur le fait que la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas respectée dans la même mesure dans toutes les provinces; croyez-moi, il y a des écarts assez importants. Il faut aussi éliminer les conflits d’intérêts qui se présentent lorsqu’une province finance un organisme qui contestera les lois provinciales en matière de santé mentale et remettra en question les services de santé financés par la province. Il faut amener tous les groupes de défense du pays à accorder la même attention aux systèmes de santé mentale. Enfin, il faut donner forme au discours des consommateurs et des survivants que reprendront les organismes de défense des droits en matière de santé mentale des provinces et des territoires. Un organisme national servirait aussi de centre d’information pour tous les groupes du pays.

Cet organisme pourrait soumettre des causes-types devant les tribunaux et réaliser des analyses stratégiques de façon que les défenseurs des provinces n’aient pas à réinventer la roue chaque fois que le gouvernement adopte une nouvelle loi. Par exemple, il a fallu défendre nos droits du début, devant toutes les provinces et en faisant le tour du pays, parce que les gouvernements provinciaux ont chacun leur tour envisagé d’imposer les traitements prescrits en collectivité.

L’organisme aurait en outre la possibilité d’analyser les documents pertinents dans le domaine des sciences sociales et de la médecine. Quand nous intervenons devant les tribunaux, nous devons toujours fournir et analyser des documents traitant de sciences sociales ou de recherche; mais il ne faut plus que la défense de nos droits à l’échelle du pays tienne à la nature aléatoire de notre intervention ou à nos capacités de recherche dans certains dossiers. Cet organisme aurait pour principe directeur l’avancement des droits des citoyens, l’égalité et l’autodétermination de toutes les personnes qui, aux termes de la Charte, souffrent d’un handicap mental ou sont perçues comme telles.

Votre Comité pourrait aussi prendre pour modèle, au moment de créer cet organisme, le Bazelon Centre for Mental Health Law des États-Unis. Vous trouverez l’adresse du site Web de cet organisme dans notre mémoire; vous pourrez facilement le visiter. L’organisme pourra en outre soutenir la rédaction d’une déclaration nationale des droits des patients.

Je vais répondre brièvement à quelques-unes des questions de votre rapport : nous avons déjà présenté à votre Comité les principales recommandations du Conseil d’habilitation. Je crois que vous ne les avez pas reçues, nous ne les avons pas trouvées dans la liste. Je me demande dans quel abîme technique elles sont tombées; nous les avons donc jointes à la fin de notre mémoire.

Nous sommes en faveur de la création de plans de soins de santé personnels. Nous croyons que la seule façon de changer de fond en comble le système de santé mentale consiste à contrôler notre argent et la façon dont les services sont administrés.

Nous vous recommanderions aussi d’étudier ce qui se passe au Centre for the Independent Living, qui met sur pied des projets semblables pour les personnes handicapées de l’Ontario.

Toutefois, les plans de soins ne s’appliqueront pas à tout le monde. Nous devons avoir des choix réels; il faut proposer des solutions de rechange au système actuel si l’on veut que les gens puissent poser des choix éclairés.

Un gouvernement ou un service de santé ne devrait pas approuver des politiques qui toucheront notre collectivité sans vous consulter d’abord. C’est pourquoi nous soutenons la proposition de créer un comité consultatif, qui conseillera les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, dans le but de faciliter la mise en place d’un système axé sur le patient. Mais il faudra que ce comité soit composé en majorité des membres de notre collectivité et des groupes de défense que nous aurons choisis; ce sont les participants les plus compétents pour la création d’un nouveau système de remplacement amélioré.

Avant de rédiger son rapport final, je proposerai aussi que votre Comité sénatorial consulte un groupe d’experts formé de consommateurs et de survivants des soins psychiatriques et de toxicomanes; il aura ainsi une idée des répercussions réelles des recommandations qu’il a à évaluer. Il faut que votre Comité sénatorial cesse d’accepter les préjugés pour des motifs bassement politiques, comme cela se passe trop souvent dans les assemblées législatives. Vous pourriez par exemple examiner ce que nous avons dit au sujet de la déclaration concernant les répercussions sur la victime, dont il est question dans le projet de loi C-10 Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant d’autres lois en conséquence. Si j’ai bien compris, on ne sait pas encore s’ils s’adresseront à vous lorsque nous nous pencherons sur cette question à l’assemblée.

Vous n’entendez pas parler de nous assez souvent, et c’est pourquoi les rapports reflètent souvent les préjugés du groupe restreint des personnes qui présentent un exposé. Les rapports de votre Comité sénatorial, par exemple, n’ont pas pu faire état des dangers que posent les médicaments à usage psychiatrique parce qu’il est peu probable qu’il en soit question dans les exposés. Rien n’indique, par exemple, qu’il existe un volume considérable de données de recherche probantes qui montrent une incidence élevée de dommages cérébraux et un accroissement de la mortalité liés aux médicaments à usage psychiatrique. On décrit plutôt les dangers de l’absence de médication, et on reste muet sur les dangers de la médication. On ne parle pas non plus des dangers des équipes de TDC, de la possibilité qu’elles isolent encore plus les personnes, augmentant en conséquence leurs tendances suicidaires, ni des importantes et graves violations des droits des personnes qui ont besoin des services de psychiatrie légale. Je ne crois pas que vous ayez encore examiné de près le système de psychiatrie légale. Dans un des mémoires que vous recevrez demain, vous trouverez en annexe un sondage réalisé auprès des intervenants de ce système.

Je vais terminer en citant l’ouvrage de McCubbin et Cohen, A Systematic and Value-Based Approach to Strategic Reform of the Mental Health System :

[Traduction] « Il est essentiel de réfléchir à l’attribution des pouvoirs de formuler les politiques en matière de santé mentale. Traditionnellement, les consommateurs de services de santé mentale étaient perçus comme des objets, plutôt que des agents des politiques. Il faudra redistribuer les pouvoirs à la lumière des avantages des thérapies et de l’habilitation, «mais aussi pour une raison très pragmatique, c’est-à-dire en tenant compte du fait qu’il sera plus simple de réaliser les objectifs à long terme de la réforme si on permet aux personnes dont les intérêts correspondent le mieux à ces objectifs de diriger cette réforme" ».

Le président : Je vous remercie tous d’avoir présenté vos exposés. J’aimerais d’abord poser une question au Dream Team. Phillip, je vous poserai la question, mais si Linda ou Mark veulent commenter, ça me conviendra aussi.

J’aimerais que vous m’expliquiez deux choses : d’où vient le financement pour la construction des logements avec services de soutien? D’où vient le financement des dépenses d’exploitation permanentes?

M. Dufresne : La plus grande partie du financement des logements avec services de soutien dans lesquels j’habite vient du ministère de la Santé.

Le président : Le ministère de la Santé et des Services sociaux, vous ne parlez pas du ministère des Services sociaux et communautaires?

M. Dufresne : Non. Je crois que certains organismes sont financés par le ministère des Services sociaux et communautaires, mais notre organisme est financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Nous avions aussi du financement du ministère du Logement, mais il a été transféré au ministère de la Santé par le dernier gouvernement.

Le président : Qui fixe le montant de votre loyer? Payez-vous un loyer?

M. Dufresne : Oui, je paie un loyer. Il est fixé en fonction de mon revenu; je reçois des prestations d’invalidité de l’Ontario.

Le président : Donc, le loyer est fixé en fonction du revenu.

M. Dufresne : C’est cela.

Le président : Savez-vous qui a assumé les coûts de construction de ces unités, au départ?

M. Dufresne : Assumé les coûts de …?

Le président : Les coûts de construction de l’édifice. Est-ce que c’est un genre de programme fédéral-provincial?

M. Dufresne : Provincial. Presque tout l’argent que nous recevons vient du gouvernement provincial; cependant, au cours des dernières années, nous avons acheté de nouveaux édifices. Nos édifices ne sont pas tous financés de la même façon. Je ne suis pas capable d’expliquer comment ça fonctionne exactement, mais, en gros, tout notre financement provient du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Le président : Becky, quelqu’un nous a dit ce matin que votre modèle de services parallèles n’avait pas été repris dans les autres provinces. Au meilleur de votre connaissance, cette information est-elle exacte?

Mme McFarlane : Les entreprises dirigées par des consommateurs-survivants n’existent pas ailleurs qu’en Ontario. Je crois qu’on a essayé de reprendre le modèle dans d’autres provinces, et je sais aussi que d’autres pays s’y sont montrés intéressés. Je crois qu’encore une fois, le manque de ressources est un facteur. La création d’une entreprise suppose des dépenses. En général, il faut compter deux, trois ou même quatre années pour mettre sur pied une entreprise. C’est encore une fois parce que la direction est confiée aux survivants et que personne ou presque n’intervient dans ce processus. Je crois que le facteur principal, ce serait les ressources.

Le président : Évidemment, il faut payer pour mettre sur pied une entreprise. Il faut toujours payer pour mettre sur pied une entreprise, mais, une fois qu’elle est lancée, j’imagine, parce que des salaires sont versés et ainsi de suite, les coûts réels diminuent.

Mme McFarlane : Ils diminuent.

Le président : J’ai raison sur ce point?

Mme McFarlane : Vous avez raison. Il y a toujours des coûts quand on exploite une de nos entreprises; dans toutes les entreprises de l’OCAB, les recettes couvrent les salaires horaires. Les recettes couvrent aussi les coûts d’achat des aliments et les coûts d’investissement; nous avons aussi du financement pour payer les employés salariés. En général, il y a deux ou trois employés salariés qui travaillent à temps plein dans chaque entreprise; il y aussi le loyer, qui est financé.

Ça ne prend pas beaucoup d’argent, mais il semble qu’il n’y a pas beaucoup d’argent. Nous avons présenté des demandes, et…

Le président : Rien ne s’est passé.

Mme McFarlane : C’est cela.

Le sénateur Cochrane : Pour commencer, j’aimerais poser une question aux membres du Dream Team. C’est une histoire merveilleuse, vous avez vraiment fait beaucoup de chemin. Je sais qu’il faut des logements en Ontario. Comment fait-on pour obtenir une unité de logements comme les vôtres?

Mme Chamberlain : C’est ça, le problème. Nous n’avons pas suffisamment de logements. En général, il y a un délai d’attente de 10 ans. Certains d’entre nous ont dû attendre cinq ans avant d’obtenir un logement. C’est pourquoi nous avons besoin de plus de logements. On n’en construit pas assez. Il faut environ cinq ans pour construire des logements avec services de soutien, mais il faut d’abord régler tous les problèmes du syndrome Pas dans ma cour. Nous avons besoin de logements maintenant.

Le sénateur Cochrane : C’est votre tour, Phillip.

 

M. Dufresne : Je pourrais peut-être en dire un peu plus sur le sujet. La plupart des personnes qui vivent dans un logement avec services de soutien y ont été dirigées par des travailleurs sociaux ou des travailleurs de la santé.

Quand je vivais dans la rue, je ne connaissais personne. J’ai dû établir des relations avec un travailleur social, et c’est lui qui m’a aidé à obtenir une place dans un logement avec services de soutien.

Le sénateur Cochrane : Quand vous avez été dans une de ces unités, est-ce que les propriétaires ou les locataires de ces unités ont leur mot à dire, quand, par exemple, il y a des décisions à prendre? Est-ce qu’il y a un concierge désigné qui s’occupe des unités proprement dites? Est-ce que les personnes qui y vivent s’en occupent?

M. Dufresne : Les personnes qui vivent dans des logements avec services de soutien sont indépendantes. On nous a tous attribué un travailleur de soutien, et nous pouvons aller le voir si nous en avons besoin. Le travailleur de soutien peut nous aider à obtenir des prestations d’aide sociale. Il peut nous aider à préparer un curriculum vitae si nous voulons chercher un emploi. Il peut aussi nous aider à prendre rendez-vous chez le médecin ou le dentiste, ou nous aider dans nos activités quotidiennes, si nous ne nous sentons pas bien. Mais, en général, nous vivons de façon indépendante. Nous préparons nous-mêmes nos repas, nous faisons le ménage, nous faisons les courses et tout le reste. La plupart d’entre nous n’ont pas besoin d’un soutien 24 heures sur 24.

Le sénateur Cochrane : Mais il y a un concierge en permanence, n'est-ce pas?

M. Dufresne : Pas dans tous les immeubles. Là où je vis, il n’y a pas de concierge en permanence.

Le sénateur Cochrane : Je crois que Mark a quelque chose à dire.

M. Shapiro : Mon fils vit dans un logement avec services de soutien, mais il s’agit d’un logement avec supplément au loyer. L’organisme Chai Tikvah, qui subventionne son appartement, fournit le même type de services que ceux dont Phillip vient de parler. L’organisme possède quatre appartements dans un édifice où logent probablement 300 ou 400 personnes. Mon fils a son propre appartement. Il y a des services de soutien, mais il est tout à fait indépendant, et il n’y a personne sur les lieux, exception faite du concierge qui s’occupe de tout l’édifice.

Le sénateur Cochrane : D’accord.

Mme Chamberlain : Je crois qu’il existe différents types de logements. Dans certains cas, il y a un soutien 24 heures sur 24, accessible au besoin, dans d’autres cas, ces services ne sont pas nécessaires. Il y a toujours un travailleur responsable de l’édifice, pour des locataires indépendants, mais il y a aussi d’autres types de soutien pour d’autres personnes; tout est donc personnalisé.

M. Shapiro : J’aimerais ajouter une chose. À Toronto, 2 600 personnes vivent dans ce type de logement.

Le sénateur Cochrane : Dont votre fils?

M. Shapiro : Oui, mon fils en fait partie. Ce sont les logements avec services de soutien : les programmes de supplément au loyer, où on offre un supplément au loyer dans d’autres logements, des logements dans lesquels Linda et Phillip vivent, des logements qui appartiennent aux organismes de soutien. Il y a aussi 950 consommateurs-survivants des soins psychiatriques qui vivent dans environ 48 pensions relevant des Habitat Services. Ces logements appartiennent à des intérêts privés, les propriétaires des pensions, et Habitat leur verse un supplément quotidien pour qu’ils fournissent des soins et nourrissent ces personnes, et ils doivent se conformer à certaines normes. S’ils ne respectent pas les normes, ils perdent un peu de financement. C’est de cette façon que nous essayons de hausser les normes, que les Habitat Services essaient de hausser les normes.

Le sénateur Cochrane : Ils offrent donc le logement et les repas, c’est ça?

M. Shapiro : En fait, surtout le logement : beaucoup de choses changent. Avant, il y avait des chambres pour trois personnes. Maintenant, ce sont des chambres pour deux personnes. Il y a beaucoup de personnes qui doivent encore partager une chambre pour deux; mais nous haussons les normes pour apporter des changements, de façon qu’elles puissent avoir chacune leur chambre. Nous essayons aussi de mettre sur pied un programme qui permettra aux consommateurs d’avoir leur mot à dire sur ce qui se passe dans le logement.

Le sénateur Cochrane : Vous parlez de cet immeuble?

M. Shapiro : Les logements dans lesquels ces personnes vivent sont tous situés dans certains quartiers, surtout à Parkdale, dans le centre-ville de Toronto. On a converti des maisons en pensions, et de 10 à 30 personnes peuvent y vivre.

Le sénateur Cochrane : Et tout cela fonctionne bien?

M. Shapiro : Jusqu’ici, tout fonctionne bien. Je ne suis pas toujours d’accord avec leurs conditions de vie, mais elles sont meilleures que dans les logements qui n’offrent pas le type de soutien que fournissent les Habitat Services.

Le sénateur Cochrane : Pensez-vous qu’il y aura plus d’unités de ce type?

M. Shapiro : Probablement qu’il y en aura plus; mais nous essayons d’apporter des changements pour qu’il soit plus facile de vivre de façon indépendante dans les logements avec services de soutien.

Le sénateur Cochrane : Et vous avez les moyens de faire changer les choses?

M. Shapiro : Oui. Je suis membre du conseil des Habitat Services.

Le sénateur Cochrane : Merveilleux. Vous aussi, Phillip?

M. Shapiro : J’ai une voix sur 15.

M. Dufresne : J’était aussi membre de mon conseil, pour l’organisme House Link Community Homes, qui vient de recevoir du financement du gouvernement provincial pour loger des personnes qui ont des démêlés avec la justice. Nous venons d’obtenir plus de financement, et nous cherchons de nouveaux logements. À l’heure actuelle, nous possédons environ 22 immeubles, situés un peu partout dans la ville. Nous offrons un logement à environ 330 personnes; il y a aussi quelques consommateurs qui participent à différents programmes de House Link, mais ils ne vivent pas dans nos logements. Il existe beaucoup de programmes auxquels les gens peuvent participer, et ces programmes sont très bénéfiques. Ils permettent aux gens d’être satisfaits d’eux-mêmes et de contribuer à la collectivité en participant à ces programmes. Il y a aussi d’autres programmes, à l’extérieur de notre propre organisme, auxquels les personnes peuvent participer; c’est très bénéfique.

Mme Chamberlain : Nous représentons à l’heure actuelle 21 organismes de logements aux fournisseurs de logements. Nous trois, nous vivons dans un type de logement différent; mais nous représentons 21 organismes, les conseils des Mental Health and Housing Services. C'est ainsi que nous défendons nos droits.

Le sénateur Cochrane : Vous avez donc une voix?

Mme Chamberlain : Oui.

Le sénateur Cochrane : Donc, trois voix; c’est bien.

Mme Chamberlain : En fait, 21 voix.

Le sénateur Cochrane : Linda, racontez-nous votre histoire. Pourquoi vous a-t-on demandé d’aller aux États-Unis? Vous dites que vous êtes allée aux États-Unis pour parler de votre expérience.

Mme Chamberlain : Je parlais de Progress Place, centre de réadaptation que j’ai fréquenté en vue d’acquérir des habiletés de la vie quotidienne. Je me suis ensuite jointe à un comité là-bas, et j’ai eu l’occasion de voir d’autres programmes aux États-Unis et partout au Canada, ainsi qu’en Angleterre. C’était pour voir d’autres établissements, apprendre comment chaque mouvement fonctionnait, et voir les logements qu’ils avaient là-bas, alors j’ai été très chanceuse de pouvoir…

Le sénateur Cochrane : Alors vous avez appris de cela?

Mme Chamberlain : Oui.

Le sénateur Cochrane : Eh bien, cela est important, et vous avez eu l’occasion, bien sûr, d’échanger des idées et d’autres choses. C’est merveilleux.

Je me tourne maintenant vers Becky. J’ai vraiment été impressionnée par votre discours. Je dois vous le dire, car j’aimerais en savoir un peu plus sur vos antécédents. Si vous n’êtes pas disposée à en parler, nous comprendrons.

Mme McFarlane : Oui, je vous révélerai ce que je suis prête à révéler. Mon expérience du système de soins de santé mentale a eu lieu pendant ma jeunesse. Certes, je crois que mon expérience est différente de celle d’un grand nombre de personnes avec lesquelles je travaille et qui font partie de la collectivité où j’exerce mes activités.

Je crois que le système de soins de santé mentale a changé au fil des ans, et qu’il continue de changer. Je crois certainement qu’il y a un point de vue propre aux jeunes dont vous voudrez probablement prendre connaissance au cours de ce processus.

J’ai quitté la maison assez tôt, et je me suis prise en main vers l'âge de 19 ans, après avoir vécu dans la pauvreté, dans la rue. Je suis allée à l’école, et j’ai fait l’erreur d’étudier les beaux-arts, de sorte que je me suis retrouvée dans la pauvreté après avoir obtenu mon diplôme. J’ai passé un certain nombre d’années à me démener pour trouver du travail, et j’ai vu une annonce pour un gérant de cuisine au Raging Spoon. J'avais, certes, l’expérience du domaine de la restauration, j’ai postulé et je suis devenue gestionnaire des activités commerciales du Raging Spoon. Maintenant, je coordonne un partenariat entre l'OCAB et le Parkdale Activity Recreation Centre, un centre de consultation à Parkdale constitué surtout d’une communauté de survivants, situé à proximité du Centre de toxicomanie et de santé mentale, sur la rue Queen. Encore une fois, je crois que des membres du Dream Team ont parlé du nombre élevé de foyers d’accueil à Parkdale, de sorte qu’il y a une énorme communauté de survivants là-bas, et c’est là que je travaille à l’heure actuelle.

Le sénateur Cochrane : Alors, vous avez vraiment appris beaucoup de choses.

Mme McFarlane : Certainement.

Le sénateur Cochrane : Manifestement. Comment le processus s’amorce-t-il?

Mme McFarlane : Ce qui se produit, essentiellement, c’est qu’un groupe de survivants se rassemblent et parlent d'une idée. Vraiment, les modèles de l’OCAB ne sont pas fondés sur une idée d’entreprise. Je crois que c’est ce qui nous distingue de nombreux autres organismes de création d‘entreprises au sein de ce mouvement croissant pour l’économie sociale. Il n’y a pas d’idée. Ce n’est pas le fait d’une seule personne. C’est un groupe de personnes qui se rassemblent. Il y a beaucoup de mises en commun des compétences et de formation. Évidemment, pour qu’un groupe de personnes puissent travailler ensemble, ils doivent être en mesure d’animer une réunion afin que beaucoup de ce travail soit effectué, et que les gens puissent essayer des choses.

Parkdale Green Thumb Enterprises, qui existe depuis quatre ans, a donné dans le nettoyage et l’entretien. Ils ont dispensé des services de traiteur. Ils ont envisagé un certain nombre d’options différentes, et ont fini par s’arrêter sur l’aménagement paysager. Ils ont élaboré un plan d’affaires et se sont bien préparés, et maintenant, quatre ans plus tard, c’est une entreprise prospère.

Le sénateur Cochrane : Et de qui venait le financement?

Mme McFarlane : Nous touchions du financement de plusieurs sources. Le ministère de la Santé finance le Raging Spoon. Projets novateurs du POSPH finance une partie du Out of this World Café, et une partie de Green Thumb Enterprises. Le Toronto Enterprise Fund de Centraide a financé une partie du Out of this World Café et Green Thumb Enterprises.

Nous avons vraiment dû recourir à de nombreuses sources de financement pour poursuivre notre travail. Encore une fois, c’est tout un casse-tête que de devoir chaque année passer des heures à rédiger des propositions de financement et à soumettre des rapports à plusieurs bailleurs de fonds en vue de continuer à toucher du financement. Encore une fois, cela nous renvoie à l’inexistence de finances annualisées, et c’est un gros problème. En général, le financement est consenti en cycles de un, deux ou trois ans, et ensuite c’est fini. On ne peut pas présenter une autre demande. Ce n’est pas possible. Ainsi, au Out of This World Café où nous perdons deux de nos postes, nous nous retrouvons essentiellement dans une situation où le financement était pour trois ans, et nous savions qu’il était pour trois ans, et nous avons frappé à toutes les portes pour…

Le sénateur Cochrane : Parmi ces entreprises, y en a-t-il qui deviennent autosuffisantes?

Mme McFarlane : En réalité, l’autosuffisance n’est pas un but que nous visons. Tant que nous embaucherons les gens les plus vulnérables de la collectivité, il y aura toujours des coûts liés à ce que nous faisons. Nous croyons que si nous devenons autosuffisants un jour, c’est probablement parce que nous ne réalisons pas nos objectifs initiaux, alors ce n’est pas un but. Notre but, c’est la croissance. C’est un but que de vouloir accroître ses revenus. C'est un but que de vouloir employer plus de gens. Nous voulons prendre de l’expansion, mais nous ne voulons pas nous mettre de la pression pour ce qui est de devenir autosuffisants.

Le sénateur Cochrane : Je vois. Merci, monsieur le président.

Le sénateur Keon : Becky, vous avez répondu partiellement à la question, mais je me demande comment vos organismes ont été créés. Qui a eu l’idée, par exemple, et comment cela s’est-il déroulé? La question s’applique également à Jennifer et au Dream Team.

Mme McFarlane : Je ne crois pas que c’était l’idée d’une seule personne. Il y avait certainement des membres de notre communauté qui réagissaient à l’état pitoyable du taux de chômage. Je crois que Diana a mentionné que 85 p. 100 des membres de notre communauté sont sans emploi, et qu’il fallait trouver un nouveau moyen créatif de contrer cette statistique bouleversante.

Un certain nombre d’entreprises de survivants exercent leurs activités depuis plus de 20 ans, comme A-Way Express Courier. Il y a une entreprise de fabrication de meubles à Simcoe, en Ontario, qui s’appelle Able Enterprises Fresh Start Cleaning and Maintenance.

Vraiment, je crois que c’est la communauté qui a réagi de façon novatrice au chômage et à la pauvreté, ainsi que l’OCAB. Diana Capponi a été directrice générale de cela, ou a été la directrice générale de cet organisme. Elle a quitté ses fonctions il y a un an, pour aller travailler au Centre de toxicomanie et de santé mentale. Elle a décidé, tout comme un certain nombre d’autres dirigeants au sein de la communauté, qu’il serait peut-être avantageux d’établir un organisme-cadre qui soutiendrait la création de telles entreprises, et ils ont travaillé d’arrache-pied pour que cela se produise. Certes, des gens des divers ordres de gouvernement ont soutenu cette initiative, et ont continué de soutenir ce modèle.

Mme Chambers : Votre question touche l’une des réponses que je voulais fournir au sénateur Kirby, concernant la naissance de l’Empowerment Council en Ontario. Nous sommes nés à la suite de la seule et unique conférence nationale canadienne jamais tenue pour les consommateurs survivants et les organismes de consommateurs survivants de partout au pays. Le fait qu’on n’ait jamais tenu un autre événement de ce genre explique en partie les écarts en ce qui concerne la création d’entreprises de consommateurs survivants et d’autres organismes partout au pays.

À l’occasion de cette conférence, un conférencier des Pays-Bas a parlé de l’obligation des établissements psychiatriques de son pays de se doter d'un conseil qui représente les patients dans l’établissement.

Par la suite, notre gouvernement — à l’époque, c’était le NPD — avait décidé de créer des conseils de patients en Ontario. Nous avons créé les premiers conseils à Queenston et Kingston. Ensuite, des conseils ont été établis dans tous les hôpitaux psychiatriques de la province. Toutefois, comme je l'ai déjà dit, de nombreux conseils sont disparus pendant le processus de cession

L’Empowerment Council a été créé en particulier parce que le Centre de toxicomanie et de santé mentale avait présenté un rapport sur l’habilitation dans lequel il soutenait la création d’un conseil indépendant au centre. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour soutenir l’établissement ou le rétablissement de conseils dans d’autres établissements.

Je voudrais également donner suite à votre question concernant le fait de savoir si les solutions de rechange qui s’offrent aux consommateurs survivants permettent au système de soins de santé mentale de réaliser des économies. Il existe des recherches qui montrent que c’est le cas. La toute dernière page de notre mémoire s’assortit de notes de base de page qui décrivent deux études montrant que les solutions de rechange offertes aux consommateurs survivants permettent d’économiser des millions de dollars en jours d'hospitalisation. Il y a une troisième étude, une étude longitudinale, que vous pouvez vous procurer auprès de l’Initiative ontarienne de développement favorisant l’aide entre les pairs, qui tire les mêmes conclusions.

M. Dufresne : Vous voulez savoir comment le Dream Team a fait ses débuts? Il y a sept ou huit ans, nous étions à la recherche d’un processus qui permettrait aux membres de conseils d’administration de divers organismes de se rassembler et d’échanger sur les enjeux touchant la santé mentale et le logement. C’est ce qu’on a appelé, à l’époque, les Boards for Mental Health and Housing Services. Nous tenions régulièrement des réunions mensuelles, et attendions à l’occasion des conférenciers invités qui venaient parler de divers enjeux touchant le logement, mais le groupe ne semblait pas bien fonctionner. De nombreuses personnes, y compris moi-même, avons quitté le groupe parce que nous n’étions pas vraiment intéressés, et que nous ne pouvions pas vraiment voir en quoi les consommateurs pouvaient y contribuer.

Puis, au cours d’une réunion, Linda et quelques autres consommateurs ont commencé à raconter leur histoire, et quelqu’un a eu une bonne idée concernant ce que nous devrions faire.

C’est alors que nous avons mis sur pied le Dream Team, qui se composait au début uniquement des membres du conseil d’administration. Au fil du temps, d’autres consommateurs qui ne faisaient pas partie du conseil d’administration sont venus grossir nos rangs, et nous avons ensuite continué à prendre de plus en plus d’expansion.

Le sénateur Keon : Qu’est-ce qui vous amenés à choisir ce nom?

M. Dufresne : Le Dream Team : peut-être que Linda ou Marc pourraient mieux répondre à cette question que moi, car je n’étais pas là au moment où le groupe s’est arrêté sur ce nom.

M. Shapiro : Si je me rappelle bien, six d’entre nous étaient alors avec d’autres membres de la collectivité. Nous essayions de trouver un nom à notre groupe lorsque quelqu’un a souligné que nous réaliserions un rêve en obtenant ces logements supervisés, puis une autre personne a suggéré que nous nous appelions « le Dream Team ». C’est aussi simple que cela. C’est un rêve qui devient réalité aussi bien pour nous-mêmes que pour les gens que nous aidons et qui habitent dans des logements supervisés.

Le président : Je tiens à vous remercier tous d’être ici aujourd’hui. Nous l’apprécions beaucoup.

Notre dernier panel, cet après-midi, comprend trois groupes. Du Centre Gerstein, nous avons Mme Reva Gerstein, présidente fondatrice, philanthrope et personnalité reconnue à Toronto. Elle est accompagnée de Paul Quinn, le directeur de l’établissement.

Nous avons aussi David Reville, qui comparaît à titre personnel.

Enfin, nous avons trois membres du From The Heart Committee. Doug Millstone est avocat dans le domaine du droit de la famille, Patricia Commins est à la retraite, et Michael Flaxman est bénévole.

Donc, Reva, je crois que nous allons commencer par vous. Je ne sais pas si c’est vous ou Paul qui devez prendre la parole, mais je tiens à vous remercier d’être venue; je suis heureux de vous revoir.

Mme Reva Gerstein, présidente fondatrice, le Centre Gerstein : Je crois que je peux être entendue. Je suis heureuse que vous m’ayez invité. Paul Quinn, qui est assis à côté de moi, est le directeur du Centre Gerstein, et je tiens à souligner rapidement que le Centre Gerstein a été nommé ainsi non pas par moi, mais pour moi.

Je tiens aussi à vous féliciter, monsieur le président, ainsi que le sénateur Michael Kirby et tous vos collègues, du beau travail que vous faites depuis plusieurs années. C’est important. Vous faites du bon travail, de façon rigoureuse et consciencieuse. J’en suis tout à fait convaincue, moi qui œuvre dans le secteur depuis quelque temps; j’apprécie ce que vous avez fait, les questions que vous avez soulevées et les efforts que vous continuerez de déployer.

Mon curriculum vitae et autres documents connexes ont été distribués, de sorte que nous n’avons pas besoin de revoir tout ça. Je tiens à porter deux choses à votre attention. Je crois que si je vous précise une date, vous allez vous rendre compte du long chemin que j’ai parcouru. J’ai obtenu mon doctorat en 1945. J’ai collaboré avec les Drs Clarence Hincks et John Griffin dans les débuts de l’Association canadienne pour la santé mentale, l’ACSM, de sorte que j’ai une longue expérience dans le domaine.

Permettez-moi tout simplement de souligner deux ou trois points saillants de cette période, au lieu de me lancer dans une description encyclopédique de l’histoire de la santé mentale au Canada.

En rétrospective, je dirais que, parmi les premiers événements qui m’ont marquée le plus, c’est au moment où, ce qui était d’ailleurs un point tournant comme je m’en rends compte aujourd’hui, le Dr Hincks m’a téléphoné pour me dire que quelqu’un venant d’Europe devait venir nous faire part d’un nouveau médicament. C’était il y a 50 ans. Ce médicament a été élaboré en Allemagne, et il devait, selon ses concepteurs, permettre à toutes les personnes internées dans des asiles psychiatriques ou soignées ailleurs pour des troubles mentaux de recevoir leur congé de ces établissements.

Lorsque je repense à tout ça et que je revois le long chemin que nous avons parcouru depuis, je présume que nous avons toujours tendance à chercher la pilule magique, le médicament pour chaque maladie, et à croire que nous pourrons tout régler ainsi. Nous sommes préoccupés encore aujourd’hui par les posologies pour les enfants, par le taux de suicide élevé chez les jeunes et par tout ce qui touche les posologies — et je ne parle plus ici seulement de la santé mentale, mais aussi de la santé en général, ainsi que des posologies pour les personnes âgées —, car nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. Fait intéressant, nous n’avions aucune idée du système de soutien psychosocial qui serait requis pour le médicament.

Ce n’est que près de 30 ans plus tard, au début des années 80, que le maire de Toronto m’a invitée à diriger un groupe de travail chargé d’élaborer un plan visant à permettre à la Ville de Toronto de faire face à la désinstitutionnalisation des patients psychiatriques dans la collectivité de Toronto. Je dois vous avouer que, pendant toutes ces années, je n’ai pas œuvré uniquement dans le domaine de la santé mentale. Je m’étais lancée dans de nombreux autres projets, mais j’étais tout de même intriguée que, après toutes ces années, on voulait que je fasse cela. Je me suis dit que ce serait une occasion intéressante, à titre de bénévole, de voir d’un autre œil la situation et ce qui c’est passé. Comme j’étais entourée d’un excellent comité consultatif, je n’ai pas fait tout ça toute seule. Nous avons tenu des audiences et avons écouté ce que les gens avaient à dire pendant un an, et c’est alors que j’ai rencontré pour la première fois des gens comme Pat Capponi, que je considère comme mon mentor principal, et sa sœur Diana. Avant de me présenter aujourd’hui, j’avais vraiment très hâte d’écouter ce que les gens avaient maintenant à dire, par rapport à ce que j’avais entendu 25 ans plus tôt de la part des premiers survivants psychiatriques à se manifester — déjà nerveux à l’idée de raconter pour la première fois ce qu’ils voulaient dire. En raison de toute l’expérience, du respect, de la place dans le monde et des autres avantages qu’ils ont réussi à acquérir, ces gens n’ont plus réellement besoin de moi.

Le rôle de survivant est vraiment très important, et je constate dans vos documents que vous utilisez l’expression « patients-clients ». Le tout devrait représenter pour vous un grand point tournant, et je le répète, c’est alors que j’ai commencé à envisager l’univers de la santé mentale d’un tout autre point de vue, celui des survivants. Parmi les résultats qu’a donnés mon rapport — et je n’ai pas l’intention de passer en revue ce rapport point par point, puisque je crois bien qu’on vous l’a distribué, et je ne cherche nullement à dénigrer l’importance de tout le reste, qui est très important aussi, comme vous avez pu le constater vous-mêmes en écoutant les gens décrire les divers services qu’ils ont élaborés, dont bon nombre ont été amorcés il y a 25 ans —, parmi ces résultats donc, mentionnons ce qu’on appelle maintenant le Gerstein Crisis Centre. Il s’agissait d’un centre de crise communautaire et non médical, ce qui n’a pas été un concept facile à faire accepter. C’était non pas un refuge ou une résidence, mais un système de soutien psychosocial à court terme. Il comportait trois facettes. On y offrait un service téléphonique 24 heures sur 24. Il comptait trois quarts de travail. Il avait une unité mobile, qui pouvait recevoir jusqu’à 16 personnes s’il fallait en ramener au refuge. L’approche n’était pas fondée sur le diagnostic. Ce n’était pas une approche médicale. C’était un système de soutien psychosocial. L’important, c’est le développement des survivants psychiatriques, qui font partie intégrante du Centre Gerstein et de ce qu’il est devenu.

Lorsqu’ils embauchent des travailleurs à l’intervention d’urgence, les comités de sélection choisissent entre autres les survivants psychiatriques. On ne leur demande pas d’avoir des diplômes ou des titres honorifiques. Ils doivent plutôt connaître et comprendre les besoins d’une personne en crise, car notre approche est axée non pas sur une maladie en particulier, mais sur l’état de crise. Je tiens à souligner l’importance de cela. Le tiers de notre conseil d’administration se compose de survivants psychiatriques, ce dont je fais toujours état. Nous avons des organismes. Nous avons de jeunes avocates. Nous avons établi des liens et relations avec toutes sortes d’organismes dans la collectivité. Les hôpitaux nous envoient leurs patients. Nous sommes établis depuis maintenant 16 ans. Fait à noter, les trois partis politiques qui se sont succédé au cours de ces années nous ont tous appuyés. Nous avons commencé à l’échelle municipale, mais la Ville n’a pas d’argent. À l’époque, il fallait passer par l’administration de la région métropolitaine, puis par le gouvernement provincial avant d’obtenir un financement pour ce genre de projet.

Loin de nous l’idée de faire de cette approche un culte ou de prétendre que la seule méthode valable, c’est de travailler avec les survivants psychiatriques, mais il n’empêche que l’attitude préconisée ici, soit une attitude empreinte de respect envers les personnes qui ont connu une crise ou sont actuellement en crise, a donné des résultats incroyables. C’est aussi une attitude que doivent toujours adopter les membres du conseil d’administration au cours de leurs réunions. Je suis très préoccupée par les questions touchant l’institutionnalisation, et je m’arrête tous les deux ou trois mois pour me poser la question suivante : avons-nous refusé des gens et, le cas échéant, pourquoi? C’est un bon moyen d’évaluer sa charge de travail en évolution, de déterminer si certains cas inhabituels se sont manifestés sans qu’on l’ait su, ou bien de savoir si nous ne sommes pas en mesure de traiter certains cas. Cela c’est révélé une expérience importante pour moi. J’ai un très grand nombre de collègues.

Près de moi se trouve le directeur, qui m’appuie à ce titre depuis 16 ans. Il travaillait initialement au Parkdale Activity-Recreation Centre, mais je lui laisse le soin de vous fournir les détails.

Je tiens particulièrement à préciser à quel point l’attitude est importante : c’est l’une des choses les plus importantes lorsqu’on travaille dans ce domaine auprès de survivants psychiatriques. En effet, il faut savoir écouter. Il faut reconnaître le besoin d’estime de soi. L’empathie est d’une importance cruciale, et ce n’est pas avec des diplômes qu’on l’acquiert. De très bons psychiatres ont de l’empathie. De bons psychologues, travailleurs sociaux, et j’en passe, ont également de l’empathie. Ce n’est pas leur statut qui compte pour nous; l’important, c’est leur attitude : ils doivent faire preuve de sincérité sans jamais se montrer condescendants, et ils doivent expliquer aux personnes avec lesquelles ils travailleront qu’elles ne resteront pas là pendant très longtemps, mais qu’elles seront aidées tout au long de leur séjour.

C’est donc sur cette note et avec plaisir que je cède maintenant la parole à mon directeur, qui pourra vous apporter beaucoup de précisions et vous donner un aperçu de la situation d’après son expérience.

M. Paul Quinn, directeur, le Centre Gerstein : Il n’y a pas grand-chose à ajouter à ce que Mme Gerstein vient de dire, mis à part le fait que nous avons dû trouver un emplacement à nos débuts, ce que Mme Gerstein nous a grandement aidés à trouver. Nous sommes situés dans l’ancien poste de police du centre-ville de Toronto, grande maison victorienne que nous avons aménagée de façon très agréable pour les gens qui viennent y séjourner. Nous avons visité un certain nombre de centres de crise à Montréal qui comptaient de très beaux bureaux pour le personnel. Le mobilier destiné aux employés était très beau dans tous les cas, mais les gens qui séjournaient aux centres avaient quant à eux droit à des pièces où l’on avait disposé trois ou quatre lits et qui étaient mal aménagées avec des meubles usagés, le tout sans aucune aire commune. Nous avons fait le contraire.

Tous les bureaux du personnel sont situés à l’arrière de la maison. Les pièces destinées aux clients sont à l’avant. Toutes ces pièces ont une vue sur le sud et sont bien ensoleillées, bref un endroit agréable et spacieux pour les gens qui viennent y passer du temps. L’aménagement lui-même est axé sur les besoins des gens, comme ils peuvent le constater en arrivant. Les employés soulignent souvent les bienfaits que procure déjà la maison aux gens qui y entrent avant même qu’ils ne reçoivent de l’aide.

Lorsque nous avons commencé, nous avons également bien évalué les personnes que nous embaucherions. Ce qui importait pour nous, c’était non pas les diplômes et les certificats des titulaires, mais leur nature et leur attitude. Nous voulions embaucher le plus possible de survivants psychiatriques parmi tous les candidats qualifiés pour ce genre de travail. Nous avons réussi à ce que les survivants psychiatriques comptent pour le tiers de notre personnel, et nous avons embauché tout le monde au même titre. Tous les employés étaient des travailleurs communautaires à l’intervention d’urgence. Qu’ils aient un diplôme en sciences infirmières, une maîtrise en psychologie ou un diplôme d’études secondaires importait peu. S’ils étaient en mesure de faire le travail et qu’ils possédaient l’expérience requise et avaient la bonne attitude, on estimait qu’ils effectuaient le même travail en collaboration avec toute l’équipe. Je crois que cette façon de voir les choses est d’une importance cruciale. Elle permet de diversifier le travail et les tâches quotidiennes. Elle offre différentes perspectives aux employés, ce qui les aide à comprendre les gens qui leur téléphonent dans divers états de crise.

Nous avions d’abord prévu 16 places au centre, mais nous nous sommes retrouvés avec 10 seulement, en raison des règlements municipaux. Nous n’avions pas le droit d’en avoir plus dans cet établissement, c’est pourquoi nous n’avons que 10 places. Nous recevons environ 1 500 appels téléphoniques par mois de gens dans divers états de crise : depuis des personnes qui veulent s’assurer d’avoir quelqu’un au bout du fil en cas de crise jusqu’aux personnes qui sont carrément suicidaires. Le personnel doit faire preuve d’une grande souplesse et connaître sur le bout des doigts les services offerts aux gens qui téléphonent.

Nous effectuons environ 100 visites ou plus sur place, de sorte que nous avons une équipe mobile chargée d’aller voir les gens dans la collectivité. Nous les rencontrons chez eux. Nous les rencontrons à l’hôpital, dans un parc ou dans un café, quel que soit l’endroit où ils se sentent le plus à l’aise pour nous parler, dans la mesure où celui-ci est sécuritaire pour notre personnel.

À mon avis, le moment le plus important de ce que nous faisons est celui où nous ramenons les gens à notre centre. Ils peuvent y rester de trois à cinq jours, parfois même jusqu’à sept jours. Nous sommes très ouverts aux besoins de la personne lorsqu’elle arrive sur place, et nous établissons un plan avec elle. La personne qui vient nous voir, à titre de client ou de personne en crise, a son mot à dire dans la manière dont nous comptons l’aider à résoudre sa crise. Entre autres, nous posons aux gens des questions pertinentes. Nous leur distribuons un questionnaire lorsqu’ils viennent chez nous, et on m’en a justement retourné un aujourd’hui. Parmi les questions que nous posons, mentionnons la suivante : avez-vous eu votre mot à dire dans la manière dont on s’y est pris pour résoudre votre crise? Chaque année, de 80 à 90 p. 100 des gens répondent par l’affirmative à cette question et qu’ils attachent énormément d’importance à cela. L’intervention est beaucoup plus efficace si les gens savent qu’ils ont un certain contrôle sur ce qu’ils leur arrivent et qu’ils ont leur mot à dire à ce chapitre, même s’ils ne disposent pas d’un grand nombre d’options. C’est vrai que les gens n’ont jamais suffisamment accès à des refuges, mais ils peuvent quand même faire un choix parmi les options qui s’offrent à eux.

Il y a autre chose que j’estime être très important : lorsque nous avons été financés par le ministère, nous avons pu obtenir deux postes de stagiaire. Cela a probablement passé inaperçu. On ne s’en est pas rendu compte, mais nous avons pu obtenir ces deux postes. Il s’agit de postes rémunérés. Nous embauchons les stagiaires aux termes d’un contrat d’un an, période pendant laquelle ils reçoivent une formation sur place. Cette formation s’adresse aux gens qui ont déjà passé eux-mêmes par le système psychiatrique et qui veulent travailler dans le domaine, mais qui n’arrivent pas à acquérir la formation ou l’expérience requise pour obtenir un emploi à temps plein. Nous avons réussi à former environ 12 personnes au cours de nos 16 ans d’existence, dont 10 travaillent actuellement à temps plein quelque part pour des services sociaux ou des services communautaires de santé mentale. Deux d’entre elles travaillent actuellement à temps plein au Centre Gerstein et se sont révélées des atouts précieux pour nous.

L’une de ces personnes a en fait été une cliente du Centre Gerstein à nos débuts : elle a pris sa vie en main et a décidé de revenir sur place pour y suivre une formation, puis elle est partie pour aller travailler ailleurs. Elle est maintenant revenue au Centre à titre de travailleur à l’intervention d’urgence et travaille à temps plein. Comme elle le dit si bien, elle apporte beaucoup au Centre parce qu’elle sait ce que c’est que d’être de l’autre côté de la porte. Les employés répondent aux appels téléphoniques de leur bureau. Elle précise savoir ce que c’est que d’être de l’autre côté de la porte. Je ne crois pas que vous puissiez enseigner cela à l’université, au collège ou ailleurs. Nous avons davantage besoin de personnes qui ont une telle expérience de la vie dans les centres communautaires de santé mentale.

Vous avez entendu un certain nombre de survivants aujourd’hui. J’espère que vous aurez l’occasion d’en entendre d’autres, car j’estime que ce sont surtout ces gens-là que vous devez écouter en vue de déterminer les besoins du système de santé mentale et le genre de chose qu’il faudrait mettre en place. Ce sont eux qui reçoivent les services. Ils savent exactement ce qu’il en est, de sorte que c’est eux que vous devriez écouter. Merci.

Le président : Merci. C’est à vous, monsieur David Reville.

M. David Reville, à titre personnel : Bonjour, sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis un survivant psychiatrique. Au milieu des années 60, j’ai passé deux ans dans des hôpitaux psychiatriques, expérience qui m’a tellement troublé que je m’efforce maintenant depuis 40 ans de changer notre façon de réagir aux maladies mentales.

De temps à autre, j’ai eu la chance de me trouver au bon endroit au bon moment. Par exemple, j’étais au bon endroit lorsque le maire de Toronto a demandé à Mme Reva Gerstein de diriger une commission d’enquête au sujet de la situation lamentable des gens qui ont reçu leur congé du Queen Street Mental Health Centre, comme on le connaissait alors. J’ai eu l’idée brillante de présenter Pat Capponi à Mme Gerstein, et je crois bien que les Ontariens doivent m’être très reconnaissants de la bonne idée que j’ai eue là.

Mme Gerstein et Pat Capponi ont réussi ensemble à convaincre le gouvernement provincial de financer le tout premier centre d’intervention d’urgence d’approche non orthodoxe et non médical.

Le Centre Gerstein s’est révélé une ressource incroyable pour les consommateurs survivants, non seulement parce qu’il intervient avec douceur lorsque nous sommes en crise, mais aussi parce qu’il nous prête sa salle de conférence lorsque nous n’avons pas d’autres lieux où nous rencontrer. Le Centre Gerstein a également fait preuve d’une grande générosité à l’endroit de son directeur exécutif, Paul Quinn. Par exemple, il a prêté Paul Quinn a A-Way Express pendant six ans à titre de trésorier. Je suis fier d’être le coprésident de A-Way Express, et je peux vous assurer que Paul Quinn nous manque. Je crois bien que Paul fait partie du conseil d’administration de l’Ontario Council of Alternative Businesses depuis très longtemps, n’est-ce pas?

M. Quinn : On pourrait le dire.

M. Reville : On pourrait en effet le dire, et c’est donc une autre ressource que le Centre Gerstein offre à notre collectivité.

Je n’ai pas grand-chose d’autre à ajouter cet après-midi aux propos des survivants, sauf peut-être ceci : je défends ardemment, comme vous pouvez le deviner, la cause des survivants, et je salue toutes les initiatives déployées dans ce domaine.

J’aimerais vous donner un aperçu d’un programme d’éducation auquel je participe et qui me semble très prometteur, et je voudrais aussi vous faire part rapidement d’un mécanisme d’échange d’information.

J’étais au bon endroit au bon moment en 1991. J’étais conseiller spécial du premier ministre au moment où le trésorier cherchait à financer des activités qui permettraient de combattre la récession en Ontario. Entre autres, on a versé 3,1 millions de dollars directement aux consommateurs survivants pour qu’ils déploient toutes sortes d’activités d’entraide : offrir un appui direct, défendre leur cause, recueillir et diffuser des renseignements sur les survivants et, bien sûr, mettre sur pied et exploiter des entreprises de survivants.

Je suis heureux d’être, cet après-midi, en compagnie d’au moins six employés de A-Way Express, que j’ai vu entrer. Bien sûr, vous avez rencontré Becky McFarlane, ex-chef cuisinière de Raging Spoon, qui fait maintenant partie du partenariat de l’OCAB, ainsi que Diana Capponi, qui a été pendant de nombreuses années la directrice exécutive de Fresh Start Cleaning and Maintenance et ensuite pendant 10 ans la directrice exécutive de l’Ontario Council of Alternative Businesses.

Je crois que Mme Gerstein a plutôt été modeste, car elle ne vous a pas dit que son rapport de 1984 a également permis la création de A-Way Express, du fait qu’elle savait que les survivants devaient trouver un moyen de participer à l’économie.

Nous avons également avec nous cet après-midi Mme Kathryn Church, l’une de mes collègues de l’Université Ryerson. Elle vient de rentrer de Taipei, où elle a assisté au cinquième forum des ONG asiatiques et a visionné le film relatif aux entreprises de survivants de l’Ontario, Working Like Crazy, sous-titré en mandarin. Comme vous le savez, ce film — vous en avez déjà entendu parler à plusieurs reprises — vous montre trois établissements à Toronto : le service de messagerie A-Way Express, l’entreprise de restauration et de traiteurs Raging Spoon et Fresh Start Cleaning and Maintenance.

Dans un chapitre d’un livre qu’elle doit bientôt publier, Mme Church parle de la distribution du film en Ontario et au Royaume-Uni. Elle présente des recommandations relativement à la manière de favoriser le développement économique des survivants, ce qui devrait sans aucun doute susciter votre intérêt. Je ne sais pas si on l’a déjà mentionné, mais là où le bât blesse dans le secteur des entreprises de survivants, c’est au chapitre des politiques de revenu et avantages dégressifs que nous avons établies dans notre pays, notamment la malheureuse disposition de récupération, qui s’applique aux contribuables dépassant un certain revenu, à raison de 75 cents par dollar au-dessus de 160 $ par mois.

Parmi les autres considérations très importantes qui ne sautent peut-être pas tout de suite aux yeux lorsqu’on envisage l’expansion d’entreprises de survivants non seulement en Ontario, mais ailleurs au Canada, mentionnons l’importance de formuler des politiques visant à favoriser la croissance en général de groupes de survivants et de leaders parmi les survivants. Nous devons également permettre aux survivants de participer au développement économique.

Les entreprises de survivants favorisent l’élaboration de divers outils d’apprentissage extrascolaire. Hier, j’ai eu le plaisir de participer à un événement au cours duquel l’apprentissage extrascolaire s’assortissait d’un apprentissage plus conventionnel, car j’avais demandé à Pat Capponi et à Diana Capponi de participer à un atelier destiné aux étudiants inscrits au programme Assistant Cook Extended Training, l’ACET. Ce programme est un projet de partenariat du Centre de toxicomanie et de santé mentale et du collège George Brown, collège communautaire situé ici à Toronto qui est assez reconnu pour son école de tourisme et d’hôtellerie. Le programme ACET vise à former les personnes qui souffrent de troubles mentaux et de toxicomanie à des carrières dans le domaine de la restauration. Il est financé principalement par le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, lequel fait partie des services communautaires et sociaux offerts ici en Ontario. Nous venons juste d’avoir notre deuxième groupe de 24 étudiants. Les 24 premiers étudiants ont reçu leur diplôme en décembre, et certains d’entre eux travaillent actuellement. Je suis certain que le programme ACET pourrait servir de modèle à d’autres programmes de collèges communautaires non seulement ici en Ontario, mais dans le reste du pays, et il n’a pas besoin d’être axé uniquement sur la cuisine. Il peut porter sur un certain nombre d’autres compétences professionnelles qui seraient utiles aux gens.

Les initiatives et les entreprises de survivants existent maintenant depuis assez longtemps en Ontario. Le programme de formation assistée par ordinateur en est à ses débuts, mais je crois qu’il est utile pour d’autres régions du pays, et il exige que les administrations et les autres gouvernements provinciaux prennent la situation en main et distribuent directement des fonds aux survivants afin que ceux-ci puissent décider d’eux-mêmes ce qu’il faut faire avec cet argent.

C’est pourquoi je tiens à ajouter un autre point avant de conclure. Nous avons besoin d’un mécanisme d’échange d’information qui permette aux provinces et aux territoires de bénéficier de programmes intéressants qu’ils pourraient élaborer à l’échelle locale, provinciale et territoriale. Nous avons présenté un exposé à titre d’entreprises de survivants il y a un certain nombre d’années au Réseau de consultation fédéral-provincial-territorial sur la santé mentale, et j’ai remarqué que celui qui l’a coordonné, Carl Lakaski, est ici. On pourrait relancer cela, même si je préférerais y voir plus de participants : des survivants et des membres de leur famille, en plus des bureaucrates.

Merci de votre attention, et j’ai hâte de lire votre quatrième rapport en novembre.

Le président : Merci, David. Nous cédons maintenant la parole à trois représentants de From the Heart, en commençant par Doug Millstone.

M. Douglas J. Millstone, avocat, Droit de la famille, From the Heart Committee : Sénateurs, je m’appelle Doug Millstone. J’ai 54 ans. Je pratique le droit pour mon propre compte. Je suis avocat en droit de la famille. J’exerce cette profession depuis près de 30 ans. Je vis actuellement une nouvelle relation merveilleuse. Je suis le père d’Aviva, d’Eytan et de Dov, et j’ai deux petits-enfants adorables, Laurie et Rob. J’œuvre depuis longtemps à titre de bénévole, de formateur de bénévoles et de conférencier dans le domaine de la toxicomanie, et je mène un certain nombre d’autres activités de bénévolat à long terme.

Dans certains contextes, j’arrêterais normalement ici. En la circonstance, je tiens également à ce que vous sachiez, ainsi que le grand public par extension, que j’ai été alcoolique, mais que je suis sobre depuis plus de 18 ans et demi. Je n’ai jamais mentionné cela publiquement auparavant.

Je suis souvent allé à des funérailles, et il m’arrive parfois de me demander à quoi ressemblerait mon panégyrique. Je tiens à bien m’assurer que mon abstinence sert d’exemple aux autres, et que j’ai laissé quelques traces. Pourquoi est-ce que cela devrait attendre à ma mort? Ça ne devrait pas être le cas, sauf pour les stigmates rattachés à ce que je viens de révéler à mon sujet. En ce moment même, je me demande quel impact cette révélation publique aura sur ma vie. Des stigmates peuvent avoir tellement de répercussions.

Alors, qu’est-ce qui m’a amené à pouvoir révéler ces choses aujourd’hui? J’aimerais vous livrer certaines réflexions sur l’importance du bénévolat. Par exemple, il serait possible de créer un bureau de conférenciers semblable à celui qui existe au Royaume-Uni. Notre groupe, From the Heart, est un comité de bénévoles au Centre de toxicomanie et de santé mentale. C’est un prototype, ou un modèle, de bureau de conférenciers sur la toxicomanie. From the Heart s’était fixé pour objectif de concevoir un modèle permettant aux toxicomanes de se libérer de la stigmatisation et de la discrimination qu’ils subissent quotidiennement. Les conférenciers racontent leur rétablissement en laissant parler leur cœur. Ils sont appelés à dire ce qui les caractérise et ce qui est important pour eux. Ils parlent des expériences qui ont été déterminantes dans leur vie, de leur rétablissement et de leur cheminement personnel. À la fin de la soirée, les participants peuvent aller parler au microphone, puis se mêler les uns aux autres. L’objectif est de venir en aide aux personnes devenues abstinentes et de sensibiliser la population au rétablissement des toxicomanes.

Un des éléments fondamentaux du rétablissement à long terme des toxicomanes est le maintien d’un lien cognitif avec le processus de rétablissement, ce qui peut se faire sous différentes formes, par exemple la participation régulière à des programmes de suivi et de consultation externe et à divers programmes communautaires comme le programme en 12 étapes et autres programmes du même type. Un lien émotionnel est constitué avec leur rétablissement. Le bénévolat est une étape de plus dans le cheminement de beaucoup d’abstinents.

Une notion plus large serait peut-être que le bénévolat permet aux anciens toxicomanes non seulement de payer leur dû à un fournisseur de services, aux clients et à la collectivité, mais aussi de rester sensibles aux problèmes de rétablissement. Plus un abstinent fait du bénévolat longtemps et régulièrement, plus il devient naturel pour lui de continuer à rester sobre. Au bout du compte, malgré les préjugés sociaux, les anciens toxicomanes qui font du bénévolat depuis longtemps peuvent peut-être en venir à parler de leur expérience de vie aux membres du public, plutôt que de s’adresser uniquement aux clients qui suivent une démarche de rétablissement.

Mme Patricia Commins, enseignante à la retraite, From the Heart Committee : Sénateurs du Comité, j’aimerais tout d’abord m’adresser à vous au sujet du chapitre 1.1 du rapport de votre Comité, Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie : Problèmes et options pour le Canada. Le chapitre s’intitule « Système axé sur le patient et orienté sur le rétablissement par le biais de plans d’intervention personnalisés ».

Je tiens tout d’abord à préciser que je ne suis plus moi-même toxicomane depuis 20 ans et que je m’abstiens de prendre de l’alcool ou les médicaments d’ordonnance dont j’étais dépendante, et que j’ai moi-même bénéficié des services de rétablissement incroyablement souples et à facettes multiples offerts au CTSM, alors connu comme l’Institut Donwood, lequel fait maintenant partie du CTSM. Voilà donc mes antécédents, et les raisons pour lesquelles je me pencherai sur les soins axés sur les clients. Tout le monde devrait recevoir le même genre de soins, axés sur les clients, que ceux que j’ai reçus. C’était extraordinaire, de sorte que j’appuie de tout cœur le concept du système axé sur le patient.

Pour le client, une réadaptation réussie dépend au départ d’un plan d’intervention axé sur lui-même, personnalisé et souple. En outre, plus l’adéquation est étroite entre le client, les aidants et le plan, plus les chances de rétablissement sont grandes. Les intervenants sont nécessaires pour aider les clients à s’y retrouver dans le labyrinthe de services et de ressources, et on compte en avoir bientôt au CTSM. En éliminant le cloisonnement des différents secteurs, on permettra à ceux qui souffrent de troubles multiples — et bon nombre de clients ont des toxicomanies multiples et des troubles mentaux — d’avoir accès à des soins coordonnés.

Après le traitement, le client a besoin d’entretenir des liens avec un groupe d’abstinents, ce dont Doug a parlé également. Dans tous les ouvrages spécialisés que j’ai lus au sujet du rétablissement, toutes les personnes qui se dévoilent à ce sujet précisent que les liens avec un groupe d’abstinents sont cruciaux à la réadapation en cours. Sinon, ces personnes risquent inévitablement de faire une rechute et de se retrouver de nouveau dans un état qui les empêche de bien fonctionner. Les groupes d’abstinents peuvent revêtir diverses formes dans différentes parties du Canada, selon le taux de rétablissement qu’affichent certaines régions du pays.

Le processus de rétablissement est l’œuvre d’une vie, et l’expérience des abstinents est une ressource précieuse, et ce qui, à mon avis, nous relie tous dans notre groupe, From the Heart. Par exemple (ce qui a déjà été fait), les diplômés ou les anciens élèves des différents programmes appliqués au Canada pourraient être mis à contribution au niveau local. Ils donneraient aux nouveaux abstinents une motivation, des stratégies et des techniques et renforceraient les groupes et les ressources qui existent déjà au Canada, qu’ils soient de petite ou de grande envergure.

Le deuxième point que j’aimerais soulever, si je puis me permettre de prendre tout d’abord un peu d’eau, porte sur le chapitre 4.1 du Rapport 3 du Comité, qui concerne la lutte contre la stigmatisation et la discrimination. C’est bien malheureux, que à l’heure actuelle, la toxicomanie soit toujours quelque chose qu’il faut garder secret et caché, qu’il ne faut pas sortir du placard. Malheureusement, il arrive encore de nos jours qu’on considère ce problème comme étant le reflet d’un manque de morale ou d’un défaut de caractère.

Pour ce qui est d’une stratégie nationale contre la stigmatisation, je suggérerais toutefois d’accorder une attention plus grande aux avantages et aux bienfaits du rétablissement. La stigmatisation demeure très forte, et, comme l’indique le rapport de votre Comité au chapitre 4.1, les malades mentaux et les toxicomanes « sont régulièrement mis à l’écart de la société et peuvent être même privés d’une foule de droits fondamentaux […] ».

J’aimerais vous faire part à ce sujet d’une forme très subtile de discrimination à laquelle j’ai dû faire face. En fait, je suis bénévole depuis près de 20 ans, et je suis membre depuis trois ans du conseil d’administration du CTSM. Malgré ces longues années d’expérience et mes 33 ans à titre d’enseignante, lorsque je rencontre les gens et que je précise que je suis une ancienne toxicomane, la confiance diminue. C’est visible. C’est bien de faire partie du conseil d’administration. C’est bien d’être une enseignante à la retraite. C’est bien d’être une grand-mère, mais si je dis que je suis une ancienne toxicomane, on me fait moins confiance. Les gens se posent les questions suivantes : pouvons-nous lui faire confiance? Va-t-elle tenir le coup? Va-t-elle être en mesure d’accomplir sa tâche? Je tiens à souligner cela, car il s’agit d’une forme de discrimination qui n’a pas souvent été examinée dans les ouvrages, mais dont j’ai bel et bien fait l’expérience.

C’est toutefois un fait que des gens réussissent à vaincre leur toxicomanie. Une stratégie qui porterait sur les avantages et les gratifications du rétablissement fonctionnerait sans doute mieux que si elle était axée sur la stigmatisation et la discrimination. On pourrait faire appel de façon constructive à l’exemple, au savoir et à l’expérience des clients abstinents. On peut s’informer des avantages et des gratifications du rétablissement auprès des personnes abstinentes qui sont disposées à en parler. C’est difficile. Il n’y a pas tellement de gens au Canada qui sont disposés à le faire, mais certains le sont quand même. C’est à nous de les trouver. Des personnalités publiques et des citoyens ordinaires — des gens de tous horizons — pourraient vouloir parler de leur expérience ou ils pourraient la communiquer par écrit. Beaucoup de gens se refont une vie active en société. Comment s’y sont-ils pris? Qu’est-ce qui les a plus aidés? Qu’ont-ils à suggérer? Merci.

M. Michael Flaxman, bénévole, From the Heart Committee : Merci. Je m’appelle Michael Flaxman. J’ai 45 ans, et je suis un ancien héroïnomane et cocaïnomane, toxicomanies dont je suis débarrassé depuis maintenant neuf ans. Marié et sans enfant, je suis bénévole depuis six ans dans les groupes offerts conjointement par le CTSM aux cocaïnomanes et aux opiomanes. J’ai également œuvré pendant six ans auprès des sans-abri dans le cadre du programme de la patrouille de rue Anishinabe. Je suis également un ex-détenu sous responsabilité fédérale. J’ai fini de purger une peine de sept ans en 2002. J’ai passé trois de ces années en liberté sous condition dans la collectivité.

J’aimerais me pencher sur le chapitre 7.1 de votre rapport concernant le rôle du gouvernement fédéral dans la réalisation de programmes complets et utiles pour les détenus sous responsabilité fédérale. Il semble que les détenus n’ont aucune voix au chapitre, et lorsque nous entendons parler d’eux, c’est généralement dans un rapport négatif présenté par les médias au sujet de ce qui se passe en prison.

Mes observations portent sur le chapitre 7.1. Les programmes en place depuis plusieurs années sont un bon début, mais on peut les améliorer. En consultant le site Web du Service correctionnel du Canada, le SCC, relativement aux programmes qui sont offerts, on lit des choses très intéressantes qui semblent tout à fait adéquates. En lisant cela, on a l’impression que le Service correctionnel est au courant de tout et qu’il sait exactement ce qui se passe. La plupart du temps, c’est le cas, mais la participation discontinue aux programmes ne donne pas toujours de longues périodes d’abstinence au client ou au détenu qui continue de combattre sa dépendance.

Dans mon propre cas, après de nombreuses années de toxicomanie, j’ai atterri en prison en souhaitant à tout prix combattre ma dépendance, mais ça m’a pris six mois pour entreprendre un programme. Beaucoup de gens qui arrivent en prison avec la ferme intention de se désintoxiquer n’arrivent pas à tenir leur résolution et tombent rapidement dans le cercle vicieux de la toxicomanie si présente en prison.

Je voudrais ajouter que la stigmatisation rattachée aux toxicomanes à l’extérieur de la prison est inversé à l’intérieur de la prison, c’est-à-dire une personne souhaitant se désintoxiquer n’est pas toujours vue comme quelqu’un en qui on peut avoir confiance. Cela peut mener à des rumeurs et à des allusions qui risquent de rendre la vie difficile, voire dangereuse, aux personnes les plus vulnérables.

J’aurais plusieurs suggestions à faire, mais la première est la suivante : pourquoi ne pas avoir un établissement à sécurité minimale-moyenne qui offre des programmes pour les détenus ayant commis des crimes non violents liés à la drogue, selon un continuum précis qui réponde aux besoins des toxicomanes. Ces personnes ont tendance à purger des peines plus courtes que les autres, et avec la procédure d’examen expéditif pour la libération conditionnelle, qui leur permet d’être admissible à une semi-liberté après avoir purgé le sixième de leur peine, elles pourraient se concentrer sur leur toxicomanie.

Patricia vient de parler d’un groupe d’abstinents, mais ce n’est pas vraiment ce qui me vient à l’esprit lorsque je pense à la vie en prison. C’est non pas un groupe d’abstinents, mais une institution distincte luttant contre les toxicomanies des détenus et d’autres problèmes, qui pourrait représenter un modèle de groupe d’abstinents. D’après mon expérience, beaucoup de gens qui entrent pour la première fois en prison veulent quitter leur piètre existence et se refaire une nouvelle vie, mais ils ne disposent pas du système de soutien requis. L’attitude du Service correctionnel du Canada, axée sur une approche de masse tout à fait impersonnelle, amène les détenus à retomber dans la toxicomanie en prison.

Les programmes offerts sont bons et peuvent être utiles. Toutefois, ils seraient plus productifs s’ils se succédaient et si les analyses d’urine au hasard étaient faites pendant la période de participation. Le dépistage au hasard effectué dans la population carcérale n’est pas un emploi productif des fonds. Ce qui donnerait aux détenus la chance d’être abstinents pendant une certaine période, ce serait des programmes qui suivent une constante, doublés d’un dépistage.

Je sais qu’il y a des coûts liés à la présence d’un plus grand nombre d’employés qualifiés pour administrer les programmes, et il faudrait miser sur la crédibilité en prison. La mentalité en prison, c’est « nous contre eux », et la plupart des programmes sont offerts par des ex-gardiens et des ex-bibliothécaires formés qui sont malheureusement toujours de l’autre côté du mur. Ils rentrent toujours chez eux le soir, de sorte qu’ils renforcent la mentalité « nous contre eux ». Si les antécédents de la personne qui élabore les programmes pouvaient la rendre crédible, par exemple dans le cas des conseillers en toxicomanie — je n’en ai jamais vu lorsque j’étais en prison —, cela aiderait beaucoup un détenu s’il pouvait établir un rapport avec quelqu’un qui n’est pas de mèche avec « la police ».

Pourquoi ne pas utiliser le temps d’un détenu pour lui permettre de s’aider lui-même si c’est ce qu’il désire? Certains considèrent leur peine d’emprisonnement comme une bénédiction, ce qui était mon cas, et on devrait faire tout ce qui est possible pour qu’ils deviennent des citoyens dignes de ce nom. Merci.

Le président : Je vous remercie d’être venu et d’avoir présenté vos témoignages; je commencerai donc la période de questions avec le sénateur Cordy.

Le sénateur Cordy : Merci beaucoup à chacun de vous. Chaque fois que nous vous avons entendus aujourd’hui, nous en avons appris toujours plus au sujet du système et des besoins dans ce domaine; bref, merci des choses que vous nous avez apprises aujourd’hui.

Tout d’abord, je voudrais discuter du Centre Gerstein, qui semble être un modèle susceptible d’être appliqué dans d’autres collectivités. Comme vous avez dit, il n’y a pas de pilule magique ni de soins magiques, mais on peut au moins mettre en place des systèmes de rétablissement personnalisés. Lorsque quelqu’un frappe à la porte de votre centre de crise, est-ce qu’il est généralement seul ou est-il accompagné? Quelle est la tendance générale?

M. Quinn : En général, la personne communique avec nous pour la première fois par téléphone. Nous lui parlons au téléphone afin de déterminer ce qui ne va pas, puis l’équipe se rend dans la collectivité pour la rencontrer. Même si nous ne connaissons pas cette personne et que nous ne l’avons jamais rencontrée, nous allons la voir où qu’elle soit, à l’hôpital ou ailleurs. Quelqu’un discute avec elle afin de savoir pourquoi elle est en crise, ce qu’elle a déjà fait par le passé pour résoudre ce problème et pour quelles raisons cela ne fonctionne pas dans ce cas-ci. Ensuite, on l’amène avec nous. Nous avons une fourgonnette dont on se sert pour aller voir les gens dans la collectivité et les ramener au Centre pour un court séjour.

Le sénateur Cordy : Est-ce qu’il arrive que vous ne rameniez pas une personne au Centre?

M. Quinn : Ouais, ça arrive. La plupart des fois où nous nous rendons sur place, c’est-à-dire dans environ 70 p. 100 des cas, nous ramenons la personne avec nous. Toutefois, nous pouvons résoudre les problèmes des gens directement au téléphone dans environ 90 p. 100 des cas.

Il peut y avoir plusieurs raisons pour lesquelles nous pourrions décider de ne pas ramener quelqu’un au Centre : nous pouvons résoudre le problème en allant voir cette personne et en lui parlant, puis en déterminant quelles ressources s’offrent à elle et les meilleurs moyens d’en tirer parti. Parfois, c’est pour une question de sécurité au Centre. Nous y hébergeons 10 personnes, tant des hommes que des femmes, et il ne reste parfois que deux employés sur place pour gérer le tout. Si cela pose un risque de sécurité, nous pouvons décider de ne pas ramener quelqu’un avec nous.

Le sénateur Cordy : Qu’en est-il lorsque vous établissez un plan : qui se penche sur la question afin d’élaborer un plan?

M. Quinn : Les deux travailleurs à l’intervention d’urgence qui se déplacent avec l’équipe mobile discutent avec la personne et établissent un plan avec elle. Lorsqu’une personne revient avec nous au Centre, ce plan est souvent modifié. Un membre du personnel est assigné à cette personne au cours de son séjour, et ils déterminent ensemble ce qu’ils veulent accomplir pendant cette courte période.

Le sénateur Cordy : Qu’est qui arrive ensuite? Y a-t-il un suivi? J’ai participé à un programme d’aide aux jeunes sans-abri en Nouvelle-Écosse, et il y avait dans ce cas une équipe de suivi.

M. Quinn : Nous n’avons pas d’équipe de suivi proprement dite. Notre financement ne nous le permet pas, mais nous avons des bénévoles, dont la moitié sont des survivants psychiatriques, qui suivent un cours de formation réparti sur 10 semaines, à raison d’un soir par semaine. Ils téléphonent ensuite aux gens à la suite de leur séjour au Centre afin de leur demander s’ils souhaitent qu’on effectue un suivi. Ces bénévoles effectuent un suivi en appelant les gens une fois par semaine afin de savoir si on les a aiguillé correctement; sinon, ils essaient de savoir pourquoi cela n’a pas marché et de déterminer les prochaines étapes à suivre.

De plus, les gens nous rappellent. Si quelque chose ne va pas après leur départ, ils savent qu’ils peuvent nous rappeler le lendemain. Nous essayerons de les aider de notre mieux par téléphone ou en allant les voir et, au besoin, en les ramenant au Centre de nouveau.

Le sénateur Cordy : Combien d’employés avez-vous? Vous l’avez peut-être déjà mentionné.

M. Quinn : Nous avons 21 travailleurs à temps plein à l’intervention d’urgence, je crois bien. Au total, nous avons 29,33 équivalents temps plein, y compris le personnel de réserve.

Le sénateur Cordy : Est-ce qu’il arrive que certaines personnes viennent vous voir juste pour vous parler pendant une heure ou deux, et qu’elles s’en tiennent à cela?

M. Quinn : Souvent, c’est à ça que sert la visite sur place ou la conversation téléphonique : donner aux gens une chance de parler. Je crois qu’on ne peut sous-estimer l’importance du travail effectué par téléphone auprès des gens qui communiquent avec nous par ce moyen, et que nous nous efforçons de bien écouter afin de connaître les raisons pour lesquelles ils sont en crise et de les aider à s’en sortir. Nous avons des employés extraordinaires. Ils font preuve d’une grande souplesse dans tout ce qui a trait à leur domaine de compétence.

Citons, par exemple, le cas d’une femme dont le mari était hospitalisé. Ils souffraient tous deux de troubles mentaux. Pendant que son mari était hospitalisé pour une affection physique, cette femme se sentait très isolée et seule et n’aimait rester dans son appartement sans lui; par conséquent, nous avons pris des dispositions pour qu’elle vienne dîner au Centre. Elle se rendait donc chez nous pour dîner et rentrait chez elle après : c’est tout ce dont elle avait besoin. Cela l’a empêchée de se retrouver en crise.

Nous avions aussi un homme qui devait recevoir une sismothérapie. Je tiens à souligner que je ne suis pas un adepte de ce genre de traitement et que je ne les aime pas trop en fait, mais cet homme avait décidé de suivre cette thérapie, et après cela…

Le sénateur Cordy : Qu’est-ce que la sismothérapie? S’agit-il d’une thérapie aux électrochocs?

M. Quinn : C’est une électroconvulsothérapie, une thérapie aux électrochocs.

Le sénateur Cordy : C’est bien ce que je pensais, un traitement aux électrochocs.

M. Quinn : Il était très désorienté après ce traitement et avait peur de rentrer chez lui tout seul. Il pouvait rester à l’hôpital jusqu’à ce qu’il se sente mieux, ou bien le travailleur qui lui était assigné pouvait le ramener au Centre, où il pourrait se reposer pendant quelques heures jusqu’à ce qu’il se sente assez bien pour retourner chez lui. C’est ce qu’il a fait : il est revenu chez nous, où il est resté pendant un certain temps; voilà, c’est le genre de chose qui peut arriver.

Le sénateur Cordy : Ça m’a tout l’air d’être un endroit formidable où vous prenez réellement en compte les besoins des gens.

Mme Gerstein : J’ai toujours été intriguée par le fait qu’on n’ait pas cherché à prendre modèle sur nous. Nous avons rédigé des articles à ce sujet. Des documentaires ont aussi été faits. Ils nous concernaient, mais ce n’est pas nous qui les avons réalisés. Des groupes de diverses régions de l’Ontario ont présenté des mémoires visant l’élaboration de projets semblables, mais ils n’étaient en fait que partiellement représentatifs du Centre Gerstein, et il n’y a à ma connaissance rien d’équivalent ailleurs.

Le sénateur Cordy : Et pourtant, il semble que ce soit un si bon modèle, alors pourquoi? La question est de savoir pourquoi.

Mme Gerstein : Je ne sais pas. C’est la dernière chose qu’on a appliquée du rapport Gerstein. Cela a pris six ans de plus que tout le reste, mais je ne sais pas si c’est une question de coût. Cela entraîne effectivement des coûts, mais pas autant que ceux associés aux soins en établissement, cela va sans dire.

M. Reville : À mon avis, c’est parce que l’approche est non médicale. Je crois qu’on n’a pas reproduit notre modèle parce qu’il s’agit d’un service non médical. Je suis tout à fait sérieux.

Le sénateur Cordy : Ce n’est pas une approche conventionnelle. Il me semble que c’est un projet extraordinaire qui se réalise ici.

M. Quinn : C’est vraiment simple. Très simple. Les gens téléphonent.

Le sénateur Cordy : C’est peut-être là où le bât blesse, n’est-ce pas? Si je m’en rappelle bien, David, vous avez parlé de l’importance d’un mécanisme d’échange.

M. Reville : Oui.

Le sénateur Cordy : À mon avis, ce n’est pas suffisant de fournir des renseignements sur un site Web : il faut encore faire savoir aux gens que l’information est là. Vous avez fait allusion à un modèle de dialogue des leaders provinciaux et territoriaux, mais là encore, et je suis de nouveau d’accord avec vous, ce n’est pas assez. Il faut rassembler les familles et les survivants. Aviez-vous quelque chose de particulier à l’esprit lorsque vous parliez de modèle d’échange d’information?

M. Reville : Eh bien, le Réseau de consultation fédéral-provincial-territorial pouvait se déplacer lorsqu’il disposait des fonds pour cela, de sorte que les gens pouvaient se rencontrer en face à face : voilà le genre de mécanisme qui est efficace. Toutefois, c’était surtout des bureaucrates du domaine de la santé mentale provenant de différentes régions du pays qui se réunissaient. À votre instar, ils recevaient le mandat de le faire. On compte certaines organisations nationales. Nous n’estimons pas tous que ces organisations sont aussi représentatives qu’elles le devraient, mais elles n’en sont pas moins des organisations nationales pour la majorité du milieu des personnes handicapées, y compris les personnes souffrant de troubles mentaux, et il ne fait aucun doute qu’elles accomplissent une partie du travail dans ce domaine. Je crois néanmoins qu’il faut procéder de façon systématique, et ce serait sans nul doute utile d’affecter des ressources à cela; en effet, les gens élaborent de bons projets dans leur région locale, et nous pourrions tous en tirer vraiment parti si nous pouvions les connaître.

Le sénateur Cordy : Donc, au bout du compte, nous n’avons pas besoin de réinventer la roue.

M. Reville : Exactement.

Le sénateur Cordy : Je voudrais maintenant m’adresser aux membres de From the Heart : quel beau titre pour votre organisation, en passant. Patricia, vous avez parlé non seulement de l’importance de combattre la stigmatisation, mais aussi des troubles concomitants et des soins coordonnés. Si on souffre en même temps de troubles comme ceux associés à la toxicomanie et à la dépression ou à une autre maladie mentale, est-ce difficile d’obtenir de l’aide pour les deux maladies?

Mme Commins : C’est plus facile qu’avant. Récemment, j’ai œuvré directement auprès de groupes de clients qui reçoivent des services de première ligne, ce qui m’a permis de constater que bon nombre de clients avaient besoin de deux catégories de soins. Leur situation était extrêmement difficile, car on leur disait parfois qu’ils devaient arrêter de prendre des drogues avant de pouvoir se faire traiter pour leurs troubles mentaux. À d’autres moments, nous les traitions tout de suite pour leurs troubles mentaux en leur demandant de ne pas arrêter leur consommation de drogues — on ne sait pas toujours quel mal soigner en premier. Il ne fait aucun doute que les chances s’améliorent de ce côté-là, et le CTSM a une bonne expertise et de bons programmes dans le domaine des troubles concomitants. Toutefois, je crois que les clients des services de santé mentale et les clients des services de toxicomanie ont dans une proportion élevée, de 30 à 40 p. 100, des difficultés multiples. Cela représente un bon nombre de gens. Notre système actuel est complexe, de sorte que sans les travailleurs de la santé ou les mécanismes d’orientation adéquats et sans l’établissement d’un lien entre les divers services, la situation est encore très difficile dans ce domaine. Elle s’améliore néanmoins.

Le sénateur Cordy : Voilà qui est positif, n’est-ce pas?

Mme Commins : Oui, ça l’est.

Le sénateur Cordy : Vous avez parlé de la stigmatisation. Comment s’efforce-t-on de l’éliminer à From the Heart? Doug, vous avez particulièrement abordé cette question.

M. Millstone : À mon avis, le bénévolat est la clé. Pat et moi-même sommes des bénévoles depuis longtemps, et nous avons entrepris un certain nombre d’activités au Centre, entre autres animé des groupes et formé des bénévoles. En effectuant nos diverses activités, nous avons fini par nous rendre compte que nous étions confinés, c’est-à-dire que le public n’était pas au courant de ce que nous faisions pour les autres membres du groupe d’abstinents et pour nous-mêmes, bref de tous ces efforts combinés. J’estime que c’était tout à fait normal de ma part de ne pas vouloir révéler ces choses. C’est normal de réagir ainsi et d’hésiter à venir ici aujourd’hui.

On a mis sur pied From the Heart en raison des grands efforts qu’ont déployés les groupes du secteur de la santé mentale en vue de s’affirmer, si vous me permettez l’expression, et de prendre position ainsi que d’échanger avec l’ensemble de la collectivité. C’est de là qu’est parti From the Heart. Pour les personnes comme moi qui sont bénévoles depuis assez longtemps, ce concept est presque révolutionnaire.

Le sénateur Cordy : Vous donnez un visage aux personnes qui ont souffert de toxicomanie, ce qui, espérons-le, devrait atténuer la stigmatisation.

M. Millstone : C’est un visage comme le vôtre ou le mien ou comme celui de n’importe qui d’autre, ce qui montre que nous ne sommes pas différents de toute autre personne dans cette salle. Comme cela fait partie de notre vécu, nous ne devrions pas avoir peur d’en parler. Nous y allons pas à pas, et notre groupe n’en est encore qu’à ses débuts. C’était une occasion toute choisie, et nous ressentions le besoin de partager.

Le sénateur Cordy : Michael, avez-vous communiqué avec Anne McLellan, ministre responsable de la sécurité? Elle voulait vous demander conseil pour savoir ce que vous feriez, quelle serait votre première étape en vue d’aider les gens qui sont font de la prison à cause de leur toxicomanie.

M. Flaxman : Je lui dirais tout d’abord que la vision du SCC touchant la réinsertion sociale est admirable, et que c’est un bon début.

Le sénateur Cordy : Néanmoins, il y a une rupture.

M. Flaxman : Il y a une rupture à compter du moment où une personne entre à l’établissement et jusqu’à ce qu’elle en sorte. Ils disent que nous savons bien que l’aide à long terme apportée en établissement résidentiel donne de meilleurs résultats que l’aide à court terme assortie d’une phase complète de suivi dans la collectivité dans le cadre du programme. Ils parlent bien, semble-t-il, d’une peine dans une prison fédérale et d’une libération conditionnelle. À les entendre, on croirait que c’est une chance inespérée pour ces personnes qui ont été condamnées ou ont plaidé coupables pour des crimes qui ont peut-être fait des victimes, mais ne comportaient aucune violence, par exemple le trafic de stupéfiants et les infractions contre les biens. Beaucoup trop de détenus sous responsabilité fédérale qui purgent une peine dans des établissements à sécurité minimale et à sécurité moyenne ne devraient pas être là. Si notre système veut que nous enfermions ces personnes quelque part, j’estime alors que ce devrait être dans un endroit où elles seraient entourées d’un groupe d’abstinents qui ne veulent plus se droguer, car bon nombre d’entre elles veulent effectivement changer. On voit bien que quelque chose a mal tourné dans leur vie, et qu’elles ne veulent pas retourner là-bas, mais les statistiques révèlent que la plupart de ces personnes récidivent, qu’elles sont arrêtées pour manquement aux conditions de leur libération conditionnelle, parce qu’elles ont consommé des drogues ou ont commis de nouveau des crimes pour alimenter leur dépendance.

C’est un système favorisant le syndrome de la porte tournante, mais un centre complet de désintoxication pour toxicomanes et alcooliques serait beaucoup plus efficace que les programmes fracturés offerts actuellement dans le réseau fédéral.

Le sénateur Cordy : Est-ce que la peine doit être assez longue pour qu’on obtienne de l’aide?

M. Flaxman : Non. Dès l’entrée dans le système, on utilise un indicateur informatisé du mode de vie, processus qui ressemble à celui qui permet d’obtenir son permis de conduire, soit répondre à des questions et appuyer sur des touches. Au lieu de parler de notre passé et de nos problèmes à quelqu’un, nous devons laisser aux ordinateurs le soin de déterminer nos besoins, ce qui ne me semble pas très productif.

Dès mon arrivée dans le système, je savais que si j’étais tout à fait honnête dans mes réponses en tant que détenu, je serais obligé de suivre des programmes jusqu’à la fin de ma peine. On m’inscrirait à tellement de programmes que je ne pourrais les terminer à temps pour la date de ma libération conditionnelle. En conséquence, les gens ne disent pas la vérité dans ces tests. C’est inévitable.

Le président : Merci. Michael; avant de céder la parole au sénateur Trenholme Counsell, j’aimerais que vous précisiez un point : vous avez dit que la vision du Service correctionnel du Canada est formidable, mais d’après vos autres observations, puis-je en déduire que vous estimez que la pratique ne suit pas beaucoup la vision?

M. Flaxman : Oui, c’est bien cela.

Le président : Je n’essaie pas de vous faire dire ce que vous n’avez pas dit.

M. Flaxman : C’est bien cela.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne sais pas par où commencer. Le sénateur Cordy a déjà soulevé certains points, mais je présume que nous sommes très inquiets au sujet de nos collectivités, de l’usage des drogues et du fait qu’elles peuvent arriver jusqu’à nos jeunes enfants, ainsi qu’au sujet des crimes qui s’y rattachent, notamment ceux commis contre des aînés, par exemple le cas du vol de sacs à main dans le stationnement de Tim Horton’s. C’est la dernière nouvelle du genre que j’ai eue à Moncton, au Nouveau-Brunswick.

Comme je suis médecin, j’aimerais savoir, Michael, ce qu’on fait de vous. J’aurais cru qu’on appliquait immédiatement un plan de traitement. Supposons que vous êtes cocaïnomane ou avez une autre dépendance : vous arrivez là, on ne vous donne aucun traitement pendant six mois, mais vous essayez de vous en sortir vous-même, c’est-à-dire de trouver un moyen d’obtenir de la drogue sur place pour alimenter votre dépendance. Vous injecte-t-on des tranquillisants, ou vous laisse-t-on à vous-même dans votre cellule? Qu’arrive-t-il, si vous n’avez aucune objection à répondre?

M. Flaxman : Je tiens à répondre. La raison du délai est l’arriéré. Le nombre de places offertes aux délinquants dans le cadre des programmes est limité. Comme je devais purger une peine de sept ans, on a décidé de me faire attendre afin de permettre à d’autres personnes purgeant des peines plus courtes de participer aux programmes. Ça n’a pas d’allure, car les programmes offerts sont efficaces. Ils sont fondés sur le modèle cognitif de pensée, selon lequel il faut réfléchir avant d’agir et évaluer les conséquences de ses actes. Ces programmes m’ont beaucoup aidé, ainsi que d’autres personnes, mais le délai pour en bénéficier est beaucoup trop long pour qu’ils aient un impact sur vous dès votre arrivée.

Le sénateur Trenholme Counsell : Michael, supposons qu’il y ait un besoin urgent, une crise immédiate. J’ai une assez bonne idée de ce qui arrive aux personnes en sevrage. Qu’arrive-t-il dans ce genre de situation?

M. Flaxman : En général, avant d’arriver dans un établissement fédéral, on passe par un centre de désintoxication de ressort provincial.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ah oui, je vois. Bien sûr. C’est logique. Si vous devez rester un certain nombre de jours ou de semaines dans une prison locale, pouvez-vous recevoir des traitements médicaux qui vous aident à passer par là?

M. Flaxman : C’est le cas. À la prison Don, il y a une aile médicale où on fournit ce qu’il faut — par exemple, lorsque j’étais en sevrage d’héroïne, on m’a donné du valium et de la clonidine, à faibles doses; par contre, dans des prisons comme East et West, on vous met en isolement lorsque vous êtes en sevrage d’héroïne.

Le sénateur Trenholme Counsell : C’est bien ce que je craignais.

M. Flaxman : C’est la manière dont différents établissements s’y prennent pour gérer cela.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je crois que nous aurons sans aucun doute des commentaires à ce sujet. Puis-je poser une question à David? Je suis très intéressée par le programme Assistant Cook Extended Training, car dans ma province, au Nouveau-Brunswick, j’entends constamment parler du fait que, en raison de l’intégration, nos jeunes gens qui terminent maintenant leurs études secondaires font face à de gros problèmes, notamment le manque de débouchés qui s’offrent à eux dans nos collèges communautaires et ailleurs. J’imagine que vous venez juste de terminer votre première année d’études là-bas, ou du moins le premier trimestre. Pourriez-vous apporter des précisions à ce sujet? Comment en est-on arrivé à ce programme de formation, et s’agit-il d’un modèle? Existe-il d’autres programmes de formation du même genre en Ontario, par exemple, dont vous auriez entendu parler?

M. Reville : Je crois que nous avons inventé ce programme. À ma connaissance, il est unique pour un certain nombre de raisons, et je serai heureux de vous en donner un aperçu.

Le sénateur Trenholme Counsell : Oui. Je crois que c’est très important.

M. Reville : On a élaboré ce programme afin d’aider les personnes qui souffrent de troubles mentaux et de toxicomanie, car elles peuvent difficilement payer le genre de formation dont elles ont besoin — point un — et une formation qui répond à leurs besoins. Par exemple, ça peut faire longtemps qu’elles n’ont pas été à l’école, ou elles peuvent avoir des problèmes d’apprentissage qui exigent une attention particulière. Bon nombre de ces personnes manquent d’estime de soi ou se sentent terriblement inférieures, problèmes qu’il faut les aider à résoudre.

Parmi les raisons pour lesquelles ce programme fonctionne bien, c’est surtout, à notre avis, parce qu’il est gratuit. En outre, il s’assortit d’un laissez-passer de métro. Cela signifie que les gens n’ont pas à payer pour leur transport. On fournit leurs uniformes. Les outils et couteaux sont également fournis, et il y a des formateurs en milieu de travail. Outre les chefs et les nutritionnistes qui enseignent les compétences et théories requises, le programme embauche un certain nombre de formateurs, qui sont chacun assignés à un petit groupe d’étudiants et doivent déterminer quel genre d’aménagement est nécessaire pour qu’ils réussissent.

Je tiens à vous souligner que le premier groupe d’étudiants a affiché un taux de décrochage plus faible et des notes plus élevées que les étudiants ordinaires de George Brown. Nous sommes très fiers de ce que ces survivants et anciens toxicomanes ont réussi à réaliser.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ce programme s’adresse seulement — et je ne devrais pas dire seulement — donc il s’adresse aux survivants et aux anciens toxicomanes. Il n’est pas destiné aux jeunes gens qui ont des déficits intellectuels?

M. Reville : Ça pourrait se faire. Le programme que nous avons conçu vise à aider les survivants et les anciens toxicomanes à trouver de l’emploi. Je suis sûr que nous pourrions adapter cette approche pour d’autres personnes, mais on l’a élaborée parce que certains d’entre nous au Centre de toxicomanie et de santé mentale s’efforçaient d’établir une nouvelle stratégie d’emploi des clients. C’était l’une des stratégies que nous avions proposées.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez parlé d’un programme de formation prolongé. Est-il personnalisé? Certaines personnes pourraient prendre quatre mois pour le terminer, et d’autres, huit mois. Est-ce que vous vous adaptez selon la personne?

M. Reville : Le programme dure un trimestre de plus que le programme régulier, et il comprend le placement d’étudiants dans un restaurant, un hôtel ou un hôpital, où ils travaillent dans le domaine jusqu’à ce qu’ils aient accumulé 120 heures. Après cela, ils obtiennent un certificat qui est reconnu sur le marché du travail. C’est un certificat d’aide-cuisinier.

Le sénateur Pépin : Monsieur Quinn, j’espère que ça fait longtemps que vous n’êtes pas venu à Montréal. Je viens de Montréal, et après la description que vous venez de faire du centre, j’ose espérer que, depuis ce temps-là, nous avons établi un meilleur centre, mais, comme vous l’avez dit, il n’y a pas d’autres centres comme le vôtre ailleurs.

M. Quinn : Pas à ma connaissance.

 

Le sénateur Pépin : Autre chose : vous dites que vous avez 10 places. Vos répondez aux appels téléphoniques et vous rencontrez les gens s’il le faut, mais qu’est-ce qui arrive aux gens qui sont en crise au moment où vous recevez leur appel? Pouvez-vous les aiguiller ailleurs? Les gens qui vous sont envoyés ou qui téléphonent à votre centre peuvent être en crise — nous savons bien que votre approche est non médicale, mais vous devez parfois être confronté à des urgences. Que faites-vous dans ces cas-là?

M. Quinn : Si c’est une urgence et que la vie de quelqu’un est en danger, nous composons le 911 pour demander l’aide des services d’urgence. C’est très rare que ça arrive. Nous avons probablement moins de 20 appels sur 1 500 appels par mois, ou 18 000 appels par année, où nous devons communiquer avec les services d’urgence.

Lorsque les gens décident de nous appeler, c’est qu’ils veulent obtenir de l’aide. Si nous sommes en mesure de leur consacrer du temps, nous pourrons probablement éviter d’avoir à communiquer avec les services d’urgence pour eux. Nous recevons environ 600 appels par année des services d’urgence hospitaliers au sujet de personnes qui se sont présentées à l’urgence, mais qu’on n’a pas voulu admettre. On nous les envoie pour qu’ils puissent aller ailleurs que chez eux.

Le sénateur Pépin : Vous y arrivez avec seulement 10 places?

M. Quinn : Eh bien, oui et non. Nous pourrions faire beaucoup plus. À mon avis, il y a un point en particulier qui mérite notre attention, ce dont Becky a d’ailleurs parlé dans le dernier panel : la pauvreté est un problème prédominant qui touche les gens qui nous appellent et ont besoin d’aide. Environ 30 p. 100 des gens qui nous appellent sont sans abri, et ils ont besoin d’un logement. Un certain nombre d’entre eux habitent dans des taudis, et leurs problèmes financiers et divers autres problèmes les poussent à la crise.

Le sénateur Pépin : Monsieur Reville, vous n’avez pas parlé, disons, de la discrimination à laquelle les gens qui visitent votre centre peuvent être confrontés, notamment ceux qui participent aux entreprises de survivants. N’avez-vous vraiment personne qui se sent victime de discrimination?

M. Reville : Je crois que la stigmatisation demeure un problème très grave. Je sais que, en ce qui concerne le service de messagerie A-Way Express, il y a eu à un moment donné des incidents à Toronto où des gens souffrant de troubles mentaux auraient poussé en bas du quai des personnes qui attendaient le métro. Comme nos messagers utilisent le système de la Toronto Transit Commission, la TTC, ils étaient très nerveux pendant cette période puisqu’ils sont eux-mêmes déjà des personnes souffrant de troubles mentaux et qu’ils avaient l’impression que la stigmatisation était plus forte en raison de la peur que les gens avaient de se faire pousser.

Nous croyons fermement que le meilleur programme de lutte contre la stigmatisation est celui qui consiste à voir un survivant bien s’en sortir. Lorsque nous voyons nos messagers de la rue Bay qui vont livrer d’importants colis, nous sommes convaincus d’avoir établi ainsi un programme sans précédent de lutte contre la stigmatisation.

Le sénateur Pépin : C’est formidable. Cela signifie que même s’ils éprouvent des difficultés à trouver un emploi, en ayant une meilleure estime d’eux-mêmes, ils accroissent leurs chances dans ce domaine. Si vous les envoyez à un endroit ou qu’ils doivent essayer d’obtenir un emploi, alors les gens se rendent mieux compte des difficultés auxquelles sont confrontées les personnes souffrant de troubles mentaux.

M. Reville : Parmi les caractéristiques qui différencient les entreprises de survivants des programmes de placement, mentionnons le fait qu’on peut travailler aussi longtemps qu’on veut dans une entreprise de survivants. Par exemple, certaines personnes travaillent pour A-Way Express depuis 18 ans, dont le commis-comptable. Les gens aiment travailler dans ce genre d’entreprises, car cela leur permet également d’acquérir la confiance requise pour pouvoir ensuite travailler dans les secteurs principaux. Ces entreprises ne sont pas une solution au chômage, mais c’est un très bon moyen de permettre aux gens qui se sont retrouvés seuls d’établir des liens avec la collectivité, ainsi que de les aider à reprendre l’habitude de travailler et d’être rémunérés.

Le sénateur Pépin : C’est une très bonne chose. Monsieur Flaxman, vous avez précisé dans votre témoignage qu’il y a un établissement distinct dans la prison, ce que j’ai bien compris. En outre, vous avez parlé des services offerts aux gens qui veulent arrêter de se droguer, mais nous savons tous que c’est beaucoup plus facile de se droguer lorsqu’on est en prison. Lorsque vous faisiez allusion à un établissement distinct, vouliez-vous dire qu’il s’agit, disons, d’un centre ou d’un service à l’extérieur, peut-être sur le même terrain que la prison, mais qui serait destiné uniquement aux gens qui veulent arrêter de se droguer, où on pourrait peut-être en accepter plus et rendre les choses plus faciles? Est-ce bien ce que vous aviez à l’esprit, ou vous ai-je mal compris?

M. Flaxman : Lorsque j’étais en prison, j’étais membre d’une collectivité au sein de l’établissement appelée River Hill Therapeutic Community; c’était une unité résidentielle distincte où les délinquants qui ne voulaient pas prendre de drogue s’efforçaient de vivre. C’était un très bon programme dans l’ensemble, sauf que les gens devaient sortir de l’unité pour aller faire de l’exercice et se promener dans la cour, de sorte que nous devions faire face à des tentations lorsque nous voyions le revendeur de drogue bien connu, et nous avions bien envie d’y céder.

Il importe d’établir un établissement distinct afin de maintenir une collectivité axée sur le rétablissement. À l’unité résidentielle, c’était facile, mais dès que nous la quittions pour aller rejoindre les autres délinquants dans les établissements, ça devenait beaucoup plus difficile pour la plupart d’entre nous.

Le sénateur Pépin : Et peut-être ai-je mal saisi, mais vous avez parlé de conseillers qui vous ont aidé à passer par là, et il me semble que vous avez précisé qu’il s’agissait d’ex-policiers ou quelque chose du genre. Estimez-vous que des personnes comme vous pourraient le faire si vous étiez rémunéré pour cela, et seriez-vous mieux accepté par les détenus?

M. Flaxman : Je faisais allusion à ce que le service correctionnel désigne comme des « paraprofessionnels ». On prend un travailleur d’une autre partie de l’établissement qui veut changer de travail, faire autre chose. On peut alors l’informer de façon qu’il puisse, par exemple, offrir des programmes. Aux yeux d’un délinquant ou d’un détenu, c’est seulement une création ponctuelle d’emplois pour les syndicats. C’est de là que nous venions. Même si les programmes m’ont aidé, pour la plupart ils sont toujours de mèche avec la police.

Le sénateur Pépin : C’est vrai, puisqu’ils n’ont pas connu cette expérience.

Le sénateur Keon : Monsieur Quinn, comment est-ce que les gens apprennent à connaître votre établissement et votre programme? Je sais que vous avez déployé des efforts grâce à des films et à d’autres outils, comme Mme Gerstein l’a mentionné, pour sensibiliser les gens et effectuer d’autres activités de promotion, mais il doit y avoir bon nombre de gens qui ne le connaissent pas, par rapport au grand nombre de gens qui le connaissent, et qui pourraient grandement en profiter. Est-ce exact?

M. Quinn : Dans le domaine de la santé mentale, je crois qu’il y a plus de gens qui le connaissent que de gens qui ne le connaissent pas. Nous distribuons nos cartes d’affaires à divers endroits afin que les personnes susceptibles d’avoir besoin de nous puissent nous rejoindre par téléphone. Nous effectuons des activités de sensibilisation dans les foyers d’accueil, les hôpitaux et parmi d’autres groupes. Nous avons établi des partenariats avec divers groupes afin de nous assurer que ceux oeuvrant auprès de personnes aux diagnostics doubles ou souffrant de troubles multiples nous connaissent également. Au cours des années, nous n’avons jamais eu de difficulté à trouver des clients. Nous n’avons jamais été obligés de faire beaucoup de publicité à notre sujet. Les hôpitaux nous connaissent sans aucun doute tous.

David a organisé un groupe de discussion lorsque nous envisagions de réduire les dépenses en raison d’un manque de fonds. Combien de groupes se sont présentés, David? Environ 40, n’est-ce pas? Environ 40 organismes et groupes situés dans la ville sont venus discuter avec lui du centre et de ce qu’ils en pensaient; donc, je crois qu’il est bien connu à Toronto. Nous avons reçu des recommandations des régions Peel et York, ainsi que des appels téléphoniques du Nouveau-Brunswick, entre autres, de la part de gens qui étaient venus nous voir. À ce stade, nous n’avons plus à nous demander si nous sommes suffisamment connus, mais c’est le fait que nous manquions de fonds qui pose grandement problème.

Mme Gerstein : Vous noterez que, presque chaque année, les étudiants de dernière année de l’école de médecine à Toronto viennent nous visiter en raison des programmes de sensibilisation.

Le sénateur Keon : Monsieur Flaxman, vous pourriez vous joindre à la discussion, et peut-être aussi monsieur Millstone — je comprends que votre expertise se situe dans le domaine du droit de la famille, mais peut-être pourriez-vous apporter ici une contribution. Il me semble que les jeunes, notamment, qui purgent une peine pour une condamnation au criminel commencent à avoir de réels problèmes lorsqu’ils sortent de prison. Par exemple, je sais qu’ils ne peuvent entrer dans une école de médecine. Je sais qu’ils ne peuvent entrer dans une école de droit. Je sais qu’ils ne peuvent entrer dans une école d’ingénieurs. Je sais qu’ils ne peuvent travailler comme policier. Ils ne peuvent travailler dans la fonction publique. La plupart d’entre eux ne peuvent quitter le pays, et ils doivent traîner ce boulet pendant le reste de leur vie.

Vous avez souligné que bon nombre des gens qui sont en prison ne devraient pas y être. Je suis grandement préoccupé par le fait que, lorsqu’on détermine qu’un jeune est un criminel même si son geste ou son crime n’est pas très grave, cela aura un impact permanent sur le reste de sa vie.

Je comprends qu’il peut parfois y avoir un changement de statut pour la personne après que sa cause a été portée en appel, mais j’aimerais beaucoup que vous me parliez un peu de la vie après la prison.

M. Flaxman : Dans mon cas, c’était un peu différent. Je suis sorti de prison à 39 ans, et j’avais des connaissances dans le domaine de la restauration à Toronto, ce qui m’a permis de trouver facilement un emploi. Vous avez néanmoins raison. Pour un jeune, disons de 19 ou 20 ans, à qui on répète constamment qu’il ne peut faire telle ou telle chose, par exemple tout ce que vous avez mentionné, c’est une prophétie auto-accomplie. Il continue de se dire « je ne peux pas faire ceci, ni cela. Je n’ai plus aucune option. J’ai brûlé tous mes ponts. » Il se tournera alors vers le crime, ou bien vers la drogue et le crime pour alimenter sa dépendance, et, sans emploi significatif, il fera face à la stigmatisation rattachée au fait d’être non seulement un toxicomane, mais aussi un ancien prisonnier. C’est une stigmatisation double. Heureusement pour moi, je n’ai jamais été confronté à cela.

Le sénateur Keon : Avez-vous déjà été témoin de ce genre de situation dans le cadre de votre pratique en droit de la famille, monsieur Millstone?

M. Millstone : Ce n’est pas nécessairement un problème qui relève du droit de la famille. En oeuvrant auprès des jeunes délinquants, j’ai tout d’abord constaté qu’il n’y a pour ainsi dire pas d’établissements prévus pour les jeunes et les adolescents qui souffrent de toxicomanie. Je suis bénévole depuis longtemps auprès d’un organisme de santé mentale pour enfants, l’East Metro Youth Services, situé ici dans la ville. Nous avons eu toutes les difficultés du monde à obtenir du financement pour un programme devant permettre aux jeunes en difficulté que le centre aide de participer à un programme pour adolescents toxicomanes. Ils devaient ensuite être intégrés au système pour adolescents de la province. Après avoir été libérés, ils seraient placés non pas dans un établissement de garde en milieu fermé, mais dans un foyer de groupe ou un établissement de garde en milieu ouvert, lesquels ne sont pas en mesure de traiter les cas de toxicomanie chez les adolescents, qui sont très différents des cas chez les adultes, car les jeunes ont encore toute leur vie devant eux. J’ai moi-même une histoire derrière moi, qui me permet de voir en avant, mais les jeunes quant à eux ont beaucoup de difficulté à regarder en avant pour le reste de leur vie et à penser à se désintoxiquer et à réduire leurs méfaits, et nous ne disposons pas des établissements requis. L’impact de la toxicomanie sur le droit de la famille et la vie familiale est une tout autre question qui pourrait nous occuper pendant des heures.

Le sénateur Cochrane : Mme Gerstein, hier soir, j’ai eu la chance de rencontrer et d’interroger, si l’on peut dire, une enseignante spécialisée qui œuvre dans votre ville, Mary Gordon. C’est elle qui m’a en fait permis de vous connaître de nom. Tout son enseignement est fondé sur le concept des Racines de l’empathie. Cet organisme vise à bâtir des sociétés bienveillantes, pacifiques et civilisées en favorisant l’empathie chez les enfants.

Dites-moi, comment en êtes-vous venue à établir votre centre en vous fondant sur ces qualités positives pour aider les gens qui souffrent de troubles mentaux?

Mme Gerstein : C’est difficile de répondre, en ce sens que je ne vois pas comment on pourrait envisager cela autrement. Je connais Mary Gordon. Elle m’a appelée ce matin. Après coup, je me suis dit que c’est intéressant de voir qu’elle fait exactement la même chose lorsqu’elle amène un bébé et ses parents dans…

Le sénateur Cochrane : Une salle de classe.

Mme Gerstein : …dans une salle de classe, afin de développer en eux l’empathie et de les aider à exprimer leurs émotions. Elle a déjà travaillé aussi en étroite collaboration avec un psychiatre, et elle a réussi à convaincre des gens au Japon, en Australie, en Colombie-Britannique et ailleurs, mais ce qui m’intéresse particulièrement, c’est que nos propos sont essentiellement les mêmes. Elle n’est jamais venue au Centre Gerstein, et je la connais dans un contexte bien plus large, pour ses recherches sur la petite enfance et ses travaux avec le Dr Fraser Mustard. J’imagine que les gens qui pensent de cette façon ont tendance à se rejoindre. Ce n’est pas vraiment quelque chose qu’on vous enseigne, mais c’est ce qu’elle arrive à transmettre, car on commence à constater à quel point cela peut avoir un impact. Ce n’est pas très scientifique que d’étudier cette question et de dire que les gens ayant été exposés à certaines choses en subissent tant les conséquences pendant un certain temps, mais on ne peut s’empêcher de se dire que ça doit effectivement faire une différence. Lorsque nous oeuvrons auprès des gens, nous devons sans aucun doute agir ainsi car c’est la seule manière de traiter un être humain.

Le président : Merci de votre contribution, et merci à tous d’être venus. Je m’excuse si vous avez dû rester plus longtemps que prévu, mais c’est parce que vos commentaires nous ont réellement été utiles.

Puis-je me permettre de rappeler à mes collègues que nous tenons toujours une tribune ouverte à la fin. Nous avons un petit nombre de participants à la tribune. Ils ont droit à deux minutes chacun. Nous n’avons aucune question pour notre part, et je vais donc demander à la greffière de faire venir les participants.

Merci à tous d’être venus, en passant. C’est formidable. Allez, venez vous asseoir. Ne faites pas attention au nom inscrit en face de vous. Ce n’est pas votre nom qui est inscrit là, mais c’est à vous de nous dire qui vous êtes, cet après-midi. Je vais commencer tout simplement par la personne à ma droite, et je vous demanderais de respecter quelques formalités. Premièrement, appuyez sur le bouton du microphone et dites votre nom, puis prenez quelques minutes pour nous faire part de votre expérience. Chacun de vous aura la parole, à tour de rôle. Allez-y.

Merci beaucoup de votre participation. Je sais que beaucoup de gens trouvent cela difficile, mais, pour nous, le fait de connaître l’expérience personnelle des gens, comme vous avez pu le voir cet après-midi, nous est vraiment utile; nous tenons donc à vous remercier d’avoir pris le temps de venir ici.

M. Neil McQuaid, à titre personnel : Merci beaucoup, membres du Comité sénatorial. J’ai obtenu un baccalauréat de l’Université Western Ontario en 1966 et une maîtrise en administration des affaires de l’Université de Windsor. Après mes études, j’ai travaillé pour le ministère des Travaux publics à Ottawa et à Vancouver. J’ai travaillé comme agent immobilier, et comme évaluateur hypothécaire pour King and Bay et analyste hypothécaire pour l’Industrial Sentence Corporation en 1974 et 1975.

Je suis tombé malade en 1976. J’ai arrêté de travailler en 1981. Auparavant, j’ai travaillé comme garde de sécurité pendant trois ans et demi. À compter de 1981, j’ai fait trois ans de bénévolat pour le Canadian Institute of Religion and Gerontology, la Children's Aid Society, et la John Howard Society. C’était de 1981 à 1985. J’ai travaillé un an pour chacun de ces organismes, et j’ai été dans des foyers d’accueil pour patients psychiatriques de 1981 à 1991. Je demeure à St. Jude depuis avril 1991.

Je travaille depuis cinq ans pour le service de messagerie A-Way Express, premier emploi que j’avais pu obtenir en 10 ans. J’ai consulté huit fois une clinique psychiatrique. J’ai participé aux réunions de 8 à 12 groupes des AA, et j’ai vu six ou sept orthophonistes. En 2004, le gouvernement provincial m’a décerné un prix Distinction pour services bénévoles rendus pendant 10 ans à St. Jude. J’ai été mis en nomination quatre fois dans les cinq dernières années pour le Prix courage de revenir à la vie du CTSM. En décembre 2002, j’ai reçu la Médaille du Jubilé de la Reine pour mon travail dans les secteurs de la santé communautaire et de la santé mentale.

Ça coûte 26 $ par jour pour habiter dans des logements supervisés. Cela monte à 55 $, si on compte les intérêts hypothécaires. Dans une clinique psychiatrique, ça coûterait environ 800 $ par nuit. Cela représente des économies pour le contribuable de 272 000 $ par personne. J’ai été chanceux. J’ai eu besoin de psychiatres. Je ne sais pas où je serais maintenant sans eux.

Je demeure aux St. Jude Community Homes. J’ai beaucoup d’estime pour les gens qui sont là-bas. Bon nombre de consommateurs survivants possèdent, d’après ce que j’ai pu constater, l’équivalent d’un Ph.D. en psychiatrie. Dans notre marché du travail si concurrentiel, le taux de chômage des consommateurs survivants est de 85 p. 100.

Je suis actuellement à Progress Place. C’est la quatrième fois depuis juillet 1994. J’ai essayé d’y aller avant, mais cette fois j’y suis depuis juillet 1994. J’ai été membre du conseil d’administration de quatre organismes de santé mentale : St. Jude Community Homes, Progress Place, Toronto East Counselling and Support Services et A-Way Express Courier.

Les nouvelles St. Jude Community Homes doivent bientôt ouvrir leurs portes. Cela aura pris cinq ans de planification. Il doit y avoir 29 unités, et elles seront situées près de Dundas et Parliament. Comme je viens de le dire, on a pris de quatre à cinq ans pour planifier le tout.

D’après la physicienne Marie Currie, il y a dans la vie non pas des choses à craindre, mais seulement des choses à comprendre.

En 1979, un psychiatre, Dr Ray O’Toole, a dit ceci à mes parents : « Neil est prêt à retourner dans la société, s’il le souhaite. »

J’ai participé à l’audience que la Commission des affaires municipales de l’Ontario a tenue en août 2003. J’ai trouvé que le milieu des cliniques psychiatriques est très difficile. J’ai une travailleuse sociale qui me suit depuis 1990, et elle m’a beaucoup aidé. Alors, c’est tout.

M. Allan Strong, à titre personnel : Bonjour. Je suis de la région Kitchener/Waterloo/Guelph. J’ai fait ma première expérience du système de santé mentale à 11 ans, au moment où ma mère a été hospitalisée. Elle croyait que des anges lui parlaient et en a vu qui volaient autour de l’hôtel de ville. À compter de ce moment-là, j’ai vécu mon adolescence et mes premières années d’adulte à prendre des précautions face à ma mère en raison de ses expériences et hospitalisations.

Je compte préciser ce que j’ai à dire dans un mémoire. Je n’avais pas prévu de témoigner, mais j’aimerais commencer en vous relatant très rapidement un incident qui s’est passé l’automne dernier. Est-ce que la plupart d’entre vous connaissent le magasin de mobilier IKEA? D’accord. IKEA présentait une annonce publicitaire, que je résumerais rapidement comme suit : à la radio, on pouvait entendre une voix de femme qui disait : « nous vendons ce meuble pour tant. » La petite voix suédoise qui tape sur les nerfs rétorquait : « c’est de la folie. » La femme poursuivait en parlant d’un autre meuble en vente, et le petit bonhomme suédois répliquait : « ils sont fous à lier. » Puis, la femme terminait en disant : « nous vendons ce mobilier pour tant », et le petit bonhomme suédois de rétorquer : « ces gens sont prêts pour la camisole de force. »

J’étais outré. J’ai téléphoné à IKEA pour savoir ce qui leur a pris de faire une chose pareille. On m’a répondu : « eh bien, nous n’avions pas l’intention de blesser qui que ce soit. » J’ai rétorqué : « est-ce que vous représenteriez d’autres groupes de la société de la même façon que vous le faites pour des personnes souffrant de troubles mentaux? Feriez-vous la même chose à des lesbiennes ou à des homosexuels? Le feriez-vous à des gens de couleur ou à d’autres groupes ethniques? Alors, pourquoi notre culture et notre société admettent-elles que l’on se moque ainsi des gens qui souffrent de troubles mentaux, et qu’on fasse preuve de préjugés et de bigoterie à leur endroit? »

J’aimerais vous lire une dernière chose avant de conclure. Lorsque le gouvernement provincial précédent a annoncé ses modifications de la Loi sur la santé mentale, communément connue sous le nom de projet de loi 68, le communiqué de presse se lisait à peu près comme suit : cette réforme permettra aux gens d’obtenir les traitements dont ils ont besoin et de garantir la sécurité de nos collectivités. C’est le gouvernement de l’Ontario qui s’exprime ici d’une manière, à mon avis, bigote qui perpétue le mythe du patient violent.

En conclusion, je dirais que nous devons relever le défi en faisant preuve de créativité. Avant toute chose, rappelons-nous que le philosophe Goethe a dit que rien n’est plus effrayant que les réactions découlant de l’ignorance. C’est un fait, nous ne pouvons résoudre les problèmes d’aujourd’hui en suivant le même raisonnement qui nous a mené jusque là, comme l’a dit Albert Einstein. Je vous encourage à sortir des sentiers battus au cours de vos délibérations, recherches et consultations. N’ayons pas peur d’envisager d’autres façons de faire, et laissons une place aux gens qui sont confrontés à ces questions 24 heures sur 24, sept jour sur sept : les consommateurs et leur famille. Merci de votre temps.

Le président : Allan, merci de votre témoignage. Nous avons hâte de recevoir votre mémoire. Après, pourriez-vous me donner la date de ce communiqué de presse, car j’aimerais en obtenir une copie?

M. Strong : D’accord. Je crois même que j’en ai une copie.

Mme Adrienne Magennis, à titre personnel : Merci. Malheureusement, je n’ai pas d’histoire drôle à vous raconter ce soir. Je vais vous expliquer ce qui m’a amenée ici. Aujourd'hui, c’était comme si je revoyais en accéléré les 25 dernières années de ma vie — alors, en raison de ce que j’ai entendu aujourd'hui dans cette salle, j’ai dû parfois sortir. J’ai perdu six grands amis qui étaient anorexiques. Je devrais être morte. J’ai 43 ans. J’aurais dû mourir à 30 ans, de sorte que je me demande si je suis destinée ou non à passer par une crise de l’âge mûr.

Trêve de plaisanterie, je suis vivante, et le réveil a été une expérience horrible. Je reviens de loin. Je tiens à remercier les gens qui m’ont appuyée, et j’aimerais conclure par une déclaration finale.

Je tiens à remercier le CTSM. Je tiens à remercier Betty Miller. Je tiens à remercier l’Empowerment Council. Je tiens à en remercier les employés, car ils ont fait une différence, ça je peux vous le dire, mais je n’ai que deux minutes. Je tiens à remercier une organisation appelée Sistering : lorsque l’hôpital ne pouvait m’aider, elle m’a rendu ma dignité et m’a donné une seconde chance, et aussi ce dont on a parlé aujourd’hui : le choix.

Je suis maintenant membre de deux conseils d’administration. Je fais du bénévolat environ 70 heures par semaine, et je suis tout à fait sérieuse : comme je reçois des rentes du Régime de pensions du Canada, le RPC, je n’ai pas le droit d’avoir un travail rémunérateur, condition que je respecte parce que je suis honnête.

Ce que je demande aujourd'hui, c’est la raison de ceci : lorsque je prends la parole publiquement, je suis toujours sidérée par les questions qu’on me pose. Je suis prise entre deux extrêmes. C'est ce qui se passe lorsque je travaille au projet Pas dans ma cour, lequel a beaucoup de succès à l'hôtel de ville, ça je peux vous l’assurer, et j’espère de tout cœur que vous allez vous pencher là-dessus, car cela touche la vie des personnes souffrant de troubles mentaux — sans compter que nous devons faire face à des politiciens qui font tout en leur pouvoir pour nous empêcher de construire des foyers. On m’a traitée de prostituée lorsque je fais valoir nos droits. Des gens m’ont dit que j’allais uriner dans leur cour. On m’a lancé des tomates.

Après Noël, on m’a demandé de présenter une autre conférence. Cette fois, la situation était quelque peu différente. C’était pour le Club Rotary au Centre national de Toronto, près de la Bourse de Toronto. C’était incroyable. Certaines des personnes les plus riches de Toronto étaient là. Les gens m’ont avertie de ne pas donner mon nom au complet, de ne pas parler d’argent, de ne jamais dire qui je suis ni de faire état de ma maladie, et de ne mentionner en aucun cas l’expression « maladie mentale ».

J’arrive au National Club munie de tout mon matériel, puis mon nom est lancé, Adrienne Magennis. Bon, le chat est sorti du sac. Alors, je raconte mon histoire. Après, J’attends toutes ces questions relativement à ce qu’il faut faire pour combattre la pauvreté. Devinez ce que les gens voulaient savoir dans l’intimité de ce club? Un homme m’a dit : « J’ai un fils de 24 ans qui est très déprimé. Pourriez-vous me dire quelque chose : si je l’amène chez un psychiatre et que je le fais admettre à un hôpital psychiatrique — j’ai un bon travail —, devra-t-il faire face à la stigmatisation toute sa vie? »

Je vous le demande, après tout ce que vous avez entendu aujourd'hui, comment voudriez-vous que je réponde? Vous savez, ce n’est pas juste dans notre cour. C'est sur notre perron et à l’intérieur de chez nous, et je vous dirais que, eh bien, nous faisons des choses positives. Je crois avoir dit que Mme Gerstein avait touché en plein dans le mille lorsqu’elle avait déclaré que nous devons tous être là, car nous sommes tous dans le même bateau.

Je vous l'assure, lorsque je suis arrivée dans cette salle aujourd'hui, je me suis sentie perdue. Je ne peux le faire sans l’aide de mentors et d’aidants — vous savez qui sont mes mentors. À midi, les sénateurs m’ont demandé si je voulais prendre mon lunch avec eux. L’échange a été positif, et je vous remercie. J’ai reçu votre rapport seulement à 14 h hier, mais je vous félicite, et j’aimerais vous demander de m’accorder encore quelques instants.

Trente-deux pour cent des personnes souffrant de troubles mentaux et de toxicomanie demandent de l’aide. Je crois que je viens de répondre à cette question en décrivant mon expérience, le projet Pas dans ma cour et l’autre endroit, M. Kirby, les gens qui embauchent des personnes souffrant de troubles mentaux et leur offrent une éducation et une formation, et l’importance de se manifester publiquement. Je dois dire mon nom aux gens et leur préciser que j’ai effectivement des problèmes, mais que je m’efforce ardemment de les résoudre. Nous devons combattre la stigmatisation, c’est crucial. Nous devons y faire face et je dirais même que nous devons faire en sorte que les gens se manifestent, mais il faut le faire de concert. Vous ne pouvez nous envoyer. Vous ne pouvez les envoyer. Nous devons y aller ensemble. Un point c’est tout.

Enfin, vous avez déclaré que, au Royaume-Uni, vous avez établi un bureau d’ambassade doté de 40 personnes souffrant de troubles mentaux et de toxicomanie qui ont reçu une formation adéquate pour parler aux médias et aux employeurs. Allez-y. Faites-le. C’est formidable.

Enfin, au nom de tous les parents des 22 dernières années et tous les clients qui ont été sous médication, je remercie Betty Miller de son initiative. Elle a amené ma mère à une tribune le 18 octobre. Elle s’est assise avec elle et lui a dit : « Je suis désolée qu’Adrienne soit entrée à l'hôpital lorsqu’elle avait 18 ans. Nous vous avons dit que c’était votre faute. » Nos parents doivent entendre cela. Nos familles doivent entendre cela, et non pas seulement notre collectivité.

Je suis ici parce que ce que vous déciderez et ferez aura un impact sur ma vie et celle de nous tous; alors, s’il vous plaît, prenez bien toute la question à cœur. Merci.

Le président : Merci, Adrienne, de ce témoignage très touchant. Au suivant.

M. Richard Casey, à titre personnel : Je suis père d’une fille qui est décédée en septembre 2001. Je tiens à m’excuser, car j’ai suivi les travaux du Comité plutôt à distance, tout en essayant de déterminer l’ampleur, je crois bien, de la tâche qui vous attend.

Lorsque notre fille est tombée malade, on a diagnostiqué des troubles schizo-affectifs bipolaires. Comme nous vivons dans une région rurale de l'Ontario, c’était presque impossible de trouver des ressources de soutien pour elle. Je crois que ce qui a rendu le tout encore plus difficile, c'est mon expérience de travailleur social clinique dans les domaines du maintien du revenu, des services correctionnels et d’un certain nombre d’enjeux qui ont fait surface ici même juste après l'heure du lunch. La maladie de ma fille et sans aucun doute aussi sa mort m’ont montré à quel point la stigmatisation est profonde. Si vous me permettez de tomber dans la métaphore, c’est comme si nous avions une couverture ou une courtepointe pour un lit simple, mais que le pays est de la taille d’un très grand lit, et que la couverture est étirée au maximum.

J’ai pu confirmer ma conception au cours d’un très beau voyage personnel qui a commencé en mai 2003, quand j’ai traversé le Canada en bicyclette, de Victoria (Colombie-Britannique) à Cape Spear (Terre-Neuve). J’ai eu la chance de voir de près —- ce que peu de personnes dans cette salle auraient pu voir —, la nature et l’impact que la prestation des services de santé mentale a sur le Canadien moyen d’un bout à l’autre du pays. Il y a des collectivités nanties, mais il y en a sans aucun doute beaucoup qui sont démunies. Que vous habitiez dans les Prairies, à Winnipeg ou dans l’est dans quelques villages de pêcheurs isolés — j’ai d’ailleurs pu visiter Terre-Neuve —, la réalité est que nous avons un problème grave.

Je salue les efforts du Comité. Il était, à mon avis, grand temps. J’espère que cela ne donnera pas lieu à un autre beau document somme toute inerte, qui ira ramasser la poussière sur un bureau quelconque. Voilà ce que je reproche d’ailleurs au gouvernement provincial, qui a mené 12 enquêtes du genre depuis le début des années 80, tandis que nous attendons toujours qu’ils prennent certaines mesures d’application du rapport de Michael Wilson. Est-ce que cela signifie qu’on n’a nullement cherché à réinjecter des fonds dans le système? On en a quand même injecté, mais très peu par rapport à tout ce qu’on a retiré depuis les 15 dernières années.

Je crois que les questions que les consommateurs ont soulevées pendant l’audience me touchent de façon particulière en raison de mon expérience personnelle liée non seulement à la perte de notre fille, mais aussi à mes responsabilités et devoirs professionnels.

Lorsque j’ai appris que le Comité allait vraiment tenir une tribune ouverte, je me suis dit que c’était vraiment une bonne excuse pour dire à mon employeur que je ne pourrais pas travailler l’après-midi, car je devais aller à Toronto. À sa décharge, je dois dire qu’il respecte, en tant que collège ontarien, ce que nous avons essayé d’établir dans notre famille afin de sensibiliser les gens. D’un point de vue tout à fait personnel, je me dis que si j’arrive à faire cela en bicyclette, le pays est sans nul doute capable de formuler collectivement une politique, mais il faudrait le faire au plus vite : on ne peut plus faire avec la mosaïque actuelle. Il faut établir un réseau ou un système de soutien qui nous reliera d’un bout à l'autre du pays.

Lorsque nous avons cherché à obtenir des services, nous avons réussi à faire entrer notre fille à Whitby par l’entremise des East Metro Youth Services à Toronto. Ce qui est tragique, c’est que nous habitions à 40 minutes de London, et que l’hôpital là-bas avait le genre d’unité pour adolescents que nous voulions, mais comme nous étions en dehors de l’aire de recrutement, nous faisions face à des barrières politiques qui nous ont obligés à passer rapidement par divers collègues afin de faire transférer Kyla à Whitby. Ça a pris six mois. Nous savions qu’il fallait intervenir rapidement dans le cas d’une psychose précoce, de sorte que c’était non pas six mois après le début des symptômes, mais dans les deux à six premières semaines qu’il fallait agir pour que l’état de notre fille puisse peut-être se stabiliser, et il n’aurait certainement pas fallu attendre qu’elle soit sous médication si forte qu’elle ne savait même pas où on la transportait.

Nous avons quand même réussi à la faire transférer dans notre aire de recrutement, au London Psychiatric Hospital, qui fait maintenant partie de St. Joseph's Health Care London, où elle est restée un peu plus de deux ans et demi. Lorsqu’elle a finalement reçu son congé — excusez-moi —, cette adolescente de 16 ans habituée à un milieu institutionnel depuis deux ans et demi a dû revenir dans une région sans aucune ressource, pour mourir à l’endroit même qu’elle détestait.

Alors, je vous conjure de prendre votre travail au sérieux. Écoutez bien les témoignages des gens : c’est tout ce que je vous demande pour l’instant. Merci de m’avoir écouté.

M. Graham Cushing, à titre personnel : Je travaille pour le service de messagerie A-Way Express, et comme vous l’avez entendu à plusieurs reprises cet après-midi, c’est une entreprise de survivants établie ici à Toronto.

Je ne serai pas très long, mais j’aimerais dire quelques mots au sujet l’adaptation, notamment l’adaptation en milieu de travail, grand sujet de controverse. Les employeurs craignent généralement que s’ils embauchent une personne souffrant de troubles mentaux, celle-ci sera toujours en retard, devra s’absenter pour des raisons de santé mentale, sera lente et posera problème à divers autres égards.

Je travaille pour A-Way Express depuis près de 17 ans et demi. J’occupe un poste à temps plein d’adjoint administratif. J’assume ces fonctions à temps plein depuis septembre. En raison de la nature des gens qui travaillent chez A-Way, je dois admettre qu’il faut composer avec quelques problèmes touchant la santé mentale des gens et le fait que ceux-ci doivent bénéficier de mesures d’adaptation : ces mesures sont essentielles. Il y a encore d’autres raisons pour lesquelles des mesures d’adaptation s’imposent. Je veux simplement dire que si nous pouvons le faire, je ne vois pas pourquoi d’autres employeurs ne pourraient pas y arriver aussi. Ce que je cherche à dire, c’est que je parle non pas au travers de mon chapeau, mais par expérience. Ça fait 17 ans que je travaille là. J’espère seulement que, dans votre rapport, vous pourrez communiquer cette information à l’échelle nationale. Des endroits comme A-Way Express et les entreprises de survivants sont formidables, mais nous voulons aussi faire partie intégrante de la main-d’œuvre active et obtenir des emplois dans des milieux de travail ordinaires. Je crois que nous devons expliquer en quoi consistent exactement les mesures d’adaptation, car cela ne pose aucun problème sur le plan logistique. En fait, c’est par stigmatisation et discrimination que les gens ne veulent pas nous embaucher. Voilà. Merci.

M. Richard Smith, à titre personnel : Je n’ai aucune plainte à formuler. Je suis très heureux. J’ai été hospitalisé sept fois, mais c’est ce que je voulais. La première fois, je ne voulais pas. Je n’aimais pas le fait d’être obligé de prendre des pilules et de dormir constamment. Puis, j’y suis retourné : ça fait sept fois que j’y vais, soit, je crois, trois fois à Whitby et quatre fois sur Queen Street. J’ai été à l’hôpital de Queen Street il y a deux ans, mais je fais beaucoup d’autres choses. J’ai une très bonne thérapeute. Elle m’aide beaucoup. J’ai un médecin de famille qui traite mes problèmes physiques. Je travaille pour A-Way depuis 17 ans. Je suis l’un des membres fondateurs. J’ai participé avec Ron Valentine au POSPH. Ça n’existait pas encore en ce temps-là. C’était les Prestations familiales. Jusqu’ici, cette année — l’année dernière, j’ai donné au moins 1 500 $ à des organismes de charité. Et 1 500 $, c’est beaucoup d’argent. J’ai aussi acheté deux guitares, donc tout va bien. Je joue la guitare et je chante. Ce n’est toutefois pas mon gagne-pain. Je gagne mon argent en travaillant chez A-Way. Je vais à l’église. Je donne de l’argent à l’église et à Progress Place. Je donne aussi de l’argent à Vision mondiale, qui est — et vous croyez que nous avons des problèmes. Imaginez ce que les gens vivent dans les pays où Vision mondiale se rend. J’ai donné 500 $ à A and A, Accident and Ability, organisme fondé par ma mère et moi. Depuis combien de temps maintenant, Graham?

M. Cushing : Huit ans.

M. Smith : Huit ans. Je compte demander à Pat Capponi de m’aider à rédiger ma biographie, car je crois que ce sera intéressant.

Mme Roslyn Durdy, à titre personnel : Avant 1958, j’étais une secrétaire hors pair, qui travaillait pour deux vice-présidents et des gestionnaires généraux de Southam Press. Lorsque j’ai déménagé à London, j’ai obtenu un emploi de secrétaire pour le contrôleur de l’Université Western Ontario. Je devais assister aux réunions du conseil d’administration afin d’en prendre le procès-verbal. Si je suis supposée être si bizarre que cela, comment ça se fait que j’ai obtenu ce poste?

Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais été si mal prise de ma vie. On s’attendait à ce que j’apprenne un travail sans les procédures administratives auxquelles j’étais habituée, et j’ai gravi l’échelle graduellement. Je n’ai jamais marché sur personne. C’est à la sueur de mon front que j’y suis arrivée.

Puis, je me suis retrouvée complètement désillusionnée face au prétendu traitement de l’Université, et même si j’avais pu aller plus loin, je ne le voulais pas. La seule personne qui me paraissait sensée était la doyenne des femmes, laquelle m’a aidée à garder mon équilibre. Je devais utiliser une machine à écrire dont personne ne voulait se servir, car ce n’était pas une machine à écrire électrique ordinaire. On n’en voit nulle part, du moins on n’en a plus vu après cela. C’était une machine à imprimer. Ça n’avait rien à voir avec une machine à écrire ordinaire. En tout cas, je m’en suis sortie après que la doyenne des femmes est venue me voir pour me demander de taper une citation en latin. Je me suis dit que, eh bien, c’était plus conforme à ma compétence et j’ai accepté de le faire, puis j’étais très fière du résultat. Elle est revenue et s’est montrée très satisfaite de mon travail, puis je crois que j’ai donné ma démission, car je ne voulais pas continuer de monter même si j’avais pu le faire.

Je suis revenue à Toronto, où j’ai obtenu un emploi pour le ministère de la Planification et du Développement; mon travail était lié à l’urbanisme à la Ville de Mississauga et d’Elliot Lake et à l’envoi de toutes les lettres officielles qui portaient là-dessus; je travaillais pour le sous-ministre, trois urbanistes, l’avocat et l’expert-conseil. Donc, je ne voulais pas vraiment, je veux dire, je croyais, eh bien, j’aimais mon travail. J’aimais ce que je faisais et je croyais, eh bien, je me défonçais, mais je ne m’en rendais pas compte.

Enfin, nous avons eu un nouveau ministre, et tout allait bien. On m’a offert le poste de secrétaire du ministre. Après avoir été si occupée, je m’ennuyais beaucoup et, bien sûr, je fais partie de ces gens qui sont plus heureux lorsqu’ils travaillent.

Après une série d’incidents, j’ai démissionné. C’est à ce moment-là que j’ai eu des problèmes familiaux, dont certaines choses auxquelles je n’arrivais même pas à faire face, et je suis arrivée un jour à un point tel que je ne savais plus trop ce que je faisais. Je sortais de l’hôpital où j’étais allée voir le fils de mon frère et sa femme après la naissance de leur bébé. En sortant de l’hôpital, j’ai tourné à droite au lieu de tourner à gauche. Je conduisais, et j’ai vu qu’il y avait un terre-plein. J’ai alors décidé de passer par-dessus, et je suis arrivée juste au bord du terre-plein. J’ai voulu faire marche avant. Je ne bougeais pas du tout. J’ai trouvé ça bizarre, et j’ai donc reculé. J’ai fait de nouveau marche avant, mais je ne bougeais toujours pas. Eh bien, ça fonctionnait. Je suis arrivée ici. Je crois que j’ai perdu intérêt. En tout cas, j’ai reculé, j’ai tourné le volant et j’ai fait marche avant, ce qui a finalement donné des résultats. J’ai fini par arriver chez moi. Savez-vous ce que c’était? Je n’avais plus d’huile, mais je ne le savais pas.

En tout cas, c’est à ce moment-là que j’ai décidé de consulter un psychiatre. Je suis allée voir un médecin parce que je me sentais si mal, et je lui ai demandé : « croyez-vous que je devrais parler à un psychiatre? » Elle semblait d’accord puisqu’elle m’a répondu : « je connais quelqu’un qui pourra vous aider. » Eh bien, lorsque j’ai finalement atterri dans son cabinet, j’ai pleuré comme une vraie madeleine. Je n’arrêtais pas de pleurer. Il devait y avoir une flaque d’eau sous la chaise lorsque je suis partie. En tout cas, j’ai suivi son conseil. J’ai perdu tout amour-propre. J’ai commencé à tricher. J’ai commencé à mentir, tout en me disant que ça ne me ressemblait pas du tout. Ce n’était pas moi. En tout cas, c’est là que le sexe entre en jeu, et ce n’est pas mon genre.

Avec tout ça, j’ai fini par me retrouver au Queen Street Mental Hospital, et je devais être assez bizarre. Je refusais d’être comme les autres, de m’asseoir comme un zombie — et je parle ici de l’ancien édifice — , donc de m’asseoir comme un zombie, non merci, sans téléphone, sans téléviseur, sans radio, bref sans rien. La moitié de ces personnes — certaines étaient là depuis 14 à 16 ans — n’avaient jamais de visiteurs, car leur famille les avait complètement laissées tomber. En tout cas, j’ai vécu certaines choses dont j’aurais pu me passer.

Un jour, je me suis mise à pleurer parce que mes parents étaient supposés venir me chercher pour la fin de semaine. En fait, ça faisait plusieurs semaines qu’ils devaient le faire. J’avais préparé ma valise. Personne ne m’avait donné de nouvelles. Je n’avais eu aucun appel, et c’est environ après le lunch, au plutôt le souper, vers 19 h, que j’ai commencé à pleurer. J’étais couchée dans mon lit. Il y avait une infirmière qui était encore là après avoir été responsable de l’aile toute la journée. Elle aurait dû s’en aller à 17 h, mais elle était encore là à 19 h. J’imagine qu’elle avait dû m’observer, en tout cas, lorsqu’elle a vu que je pleurais, elle a sorti la bouteille de Paraldéhyde et a voulu me forcer à prendre ce médicament. Bien sûr, j’ai recraché le tout, mais je ne m’étais pas rendu compte — j’avais fermé les yeux — qu’elle était penchée au-dessus de moi; lorsque j’ai recraché le tout, elle m’a dit : « vous n’allez pas m’envoyer cet acide dans les yeux. » Et j’ai répondu : « si c’est de l’acide, pourquoi m’en donnez-vous? »

En tout cas, elle m’a ensuite attrapée, m’a jetée à terre, a essayé de me frapper la tête sur le sol, et, bien sûr, j’avais des problèmes de dos. En 1951, j’avais été frappée par une auto… 

Le président : Roslyn, nous devons nous en aller sous peu, alors pourriez-vous conclure?

Mme Durdy : Je m’excuse, je termine. Pourquoi m’a-t-on jetée à la porte de l’hôpital après ce qui a été accompli en 1959? Mme Gerstein peut vous en parler, car je suis devenue la secrétaire du conseil des patients de l’hôpital. On a accompli là-bas des choses qui, si elles avaient été faites 46 ans plus tard, vous auraient évité bien des problèmes.

Le président : Merci d’être venue.

Mme Durdy : Mais ce que j’allais dire, c’est que je ne comprends pas pourquoi on traite les personnes âgées comme si elles étaient stupides : j’ai moi-même 84 ans. J’ai toujours une assez bonne mémoire.

Le président : Merci à tous d’être venus.

Puis-je rappeler à mes collègues que nous avons une longue journée devant nous demain; donc, nous commencerons à 9 h pile. Merci beaucoup. Merci à tous.

La séance est levée.


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