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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 4 - Témoignages du 13 décembre 2004


TORONTO, le lundi 13 décembre 2004.

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 12 h 46, pour se pencher sur l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeant au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente: Honorables sénateurs, il me fait plaisir d'ouvrir ces audiences publiques. Comme vous le savez, c'est la première fois que le comité se rencontre à l'extérieur d'Ottawa dans le cadre de cette étude très intéressante des médias canadiens d'information. Je suis certaine qu'aujourd'hui et demain, ici à Toronto, et mercredi et jeudi à Montréal, nous entendrons plusieurs témoignages très intéressants.

[Traduction]

J'ai hâte d'entendre les membres du public plus tard aujourd'hui.

Le présent comité étudie les médias d'information canadiens et le rôle approprié que doit jouer la politique gouvernementale pour aider à s'assurer que les médias d'information demeurent sains, indépendants et diversifiés, particulièrement à la lumière des changements extraordinaires qui sont survenus au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration accrue de la propriété.

Notre premier témoin cet après-midi est M. Wendell Wilks, président-directeur général de TV Niagara. Merci beaucoup, monsieur Wilks, de vous joindre à nous et nous vous cédons la parole.

M. Wendell Wilks, président-directeur général, Television Niagara: Sénateur, vous vous rappelez sans doute qu'il y a environ 30 ans vous et moi avons fait partie d'un jury appelé Can Pro. C'était la première tentative de l'Association canadienne des radiodiffuseurs pour juger les programmes canadiens.

C'est un privilège que d'avoir l'occasion de vous faire connaîtremes pensées, mes réflexions et quelques modestes recommandations. Cependant, comme le Père Noël, j'ai appris que si vous demandez trop de choses, vous finissez par ne rien obtenir du tout, alors je m'en tiendrai à quelques petites idées.

Une loi du Parlement dit que le but du système canadien de radiodiffusion est de relier les diverses régions de notre pays ensemble; la Loi sur la radiodiffusion est précise à cet égard; cependant, nous vivons dans un univers où cette loi est interprétée d'une telle manière que les intérêts et les préoccupations de millions de Canadiens ne sont pas discutés à la télévision. Nous devons réexaminer les origines et les intentions de la radiodiffusion.

Je vais me concentrer sur deux questions particulières: la disparition de la télévision locale et les cotes d'écoute pitoyables de la télévision nationale de langue anglaise.

Aujourd'hui, d'énormes conglomérats médiatiques contrôlent la quasi totalité de la production radiodiffusée; ils sont situés principalement à Toronto et à Montréal. Niagara, en passant, est de l'autre côté du lac; nous sommes au sud du lac Ontario.

La tendance vers la consolidation et les fusions est mue par la nécessité de faire de plus en plus de profits et, en conséquence, la télévision régionale et locale a grandement souffert au cours des dernières décennies.

Nous avons créé des stations de télévision uniques qui émettent des signaux à haute puissance captés par des millions de foyers; une station de télévision unique qui a la capacité de desservir des centaines de collectivités rend la télévision locale virtuellement impossible.

Comment une station de télévision comme City TV à Toronto,ou CFTO, ou CBLT, ou OMNI, ou CH à Hamilton, ou CHAN- TV à Vancouver peut-elle traiter des questions locales lorsque son signal est capté partout dans la province?

La couverture rapprochée que procure la télévision communautaire nous fait souvent défaut et trop souvent les événements locaux qui parviennent jusqu'à nos collectivités urbaines sont des histoires macabres.

Les grandes stations se lancent à la poursuite des ambulances et des camions d'incendie et se tiennent à proximité des palais de justice et se vautrent sans fin dans le drame et la destruction. Ces clips de 30 secondes accroissent l'anxiété au sein de la collectivité et donnent à la population l'impression que nos villes sont décadentes et que notre société toute entière vit dans le chaos et les conflits constants. Aujourd'hui, le menu principal offert par un trop grand nombre de nos méga stations de télévision est constitué de ce genre de radiodiffusion.

La vérité au sujet de la plupart de nos villes et de nos collectivités, c'est que nous faisons l'envie du reste du monde par la civilité, la sensibilité et la qualité de nos vies et de nos institutions. Le crime n'est pas prédominant et la violence au sein de notre population est actuellement en régression.

Les études et les sondages indiquent que nous sommes préoccupés plus que jamais par les soins de santé, l'éducation, le bien-être social et l'avenir. Nous sommes plus soucieux de l'environnement, nous sommes plus présents dans nos collectivités et nous travaillons plus fort que jamais pour rendre notre voisinage plus sûr et notre cellule familiale plus forte. L'égalité entre les sexes, l'équité envers les Autochtones et leur inclusion, et les expériences de multiculturalisme ont produit la société la plus progressiste au monde.

Il y a des questions au niveau de la ville, du village et de la rue qui nécessitent que nous nous parlions quotidiennement dans le domaine de la radiodiffusion; c'est de cette façon que nous relions les diverses régions ensemble.

Malheureusement, les gros joueurs, dont la plupart sont aiguillonnés par Bay Street, accordent très peu de temps et d'attention à ces questions et se bousculent pour s'approprier d'énormes auditoires avec des importations américaines, des émissions sportives et des émissions de téléréalité tout à fait irréelles.

J'ai été grandement influencé par le travail de recherche du Project for Excellence in Television, qui est basé à Washington, D.C., et qui a une participation active avec l'Université Columbia. Les travaux de recherche de cet organisme ont démontré que lorsque les nouvelles locales assurent une couverture plus approfondie des événements avec reportage vidéo étendu et bien documenté, ces émissions de nouvelles communautaires ont de meilleures cotes d'écoute que la télévision pratiquant le journalisme macabre.

Je vais vous laisser une copie de ces études et nous avons également fait parvenir une copie sous forme électronique à votre greffier.

Nos collectivités mal desservies du Canada méritent mieux et les idées admirables exprimées dans la Loi sur la radiodiffusion devraient donner aux entrepreneurs en radiodiffusion le droit d'essayer de corriger ces lacunes.

Laissez-moi illustrer mes propos par un exemple tiré de ma propre région du Golden Horseshoe, la région située autour du lac Ontario.

La présidente: Nous connaissons cette région géographique.

M. Wilks: Je suis de Niagara. Nous avons 12 municipalités comptant 440 000 personnes réparties sur une superficie de 1 700 kilomètres carrés. Ces gens ne sont pas branchés sur les questions régionales par la télévision. Nous sommes devenus une région constituée de 12 tribus et nous demeurons isolés et séparés les uns des autres ainsi que de nos voisins de l'autre côté du lac. Une participation électorale de 28p.100 démontre non pas de l'apathie, mais l'absence de connexion.

Les questions qui nous préoccupent concernant les soins desanté, l'éducation, le bien-être social, le transport, l'environnement et le déclin urbain nous laissent perplexes et divisés. Notre seul quotidien a changé de propriétaire cinq fois en dix ans.

Même si nous arrivons au 12e rang par la taille de notre marché au Canada, avec des exportations qui dépassent celles de Terre-Neuve ou du Nouveau-Brunswick, Niagara n'a jamais eu de station de télévision locale. Pendant 55 ans, des régions qui ont la moitié de notre taille, comme Kingston et Peterborough, ont eu des postes de télévision locaux et des collectivités beaucoup plus petites partout au Canada, comme Medecine Hat, Prince George, Yorkton et North Bay, ont été incluses dans le réseau de télévision national.

Pour le compte rendu, Niagara, avec tous ses défis demeure une des régions du Canada où il est le plus agréable de vivre. Ce que nous avons à Niagara, c'est simplement un échec de communication.

Niagara n'est pas seule; partout au Canada, la voix locale a été happée par les grands réseaux. La télévision par câble n'a pas apporté de solution, parce que, par nature, le câble est minimaliste en ce qui a trait à la teneur journalistique et aux valeurs de production. Elle est dirigée par des amateurs bien intentionnés.

La télévision locale et régionale peut et doit être la clé pour brancher nos citoyens. Nous avons raté l'occasion d'utiliser le média de communication le plus important pour brancher les gens sur les questions locales.

Je parle d'offrir des emplois à des centaines de diplômés extrêmement brillants et très talentueux qui sortent de nos collèges et de nos universités et qui ne peuvent trouver d'emploi dans la profession qu'ils ont choisie. C'est là que se trouve l'espoir pour le nouvel avenir de la radiodiffusion canadienne.

L'analogie qui serait utile ici est probablement la comparaison entre les quotidiens des grandes villes et les hebdomadaires plus petits. Les deux survivent de manière rentable et desservent des créneaux distincts. Dans le domaine de la télévision, nous avons les grands diffuseurs, mais il manque les petits diffuseurs qui desservent des régions ou des collectivités locales précises.

C'est en raison d'une décision de principe du CRTC que nous avons ce problème. Le CRTC ne permet pas qu'il y ait une télévision commerciale de plus petite taille, mais seulement une télévision de type coopérative ou sans but lucratif. Nous avons déjà cela avec le câble amateur local. Imaginez que le gouvernement dise aux éditeurs qu'ils ne peuvent vendre des annonces locales. Eh bien, c'est ce qu'il fait dans le cas de l'industrie de la télévision.

Cette politique est en place pour protéger les champions de la convergence contre la fragmentation de leur auditoire. Maintenant, il s'agit d'une logique dont on peut discuter, lorsque ce même CRTC autorise une myriade de canaux étrangers.

La Loi sur la radiodiffusion stipule qu'il doit y avoir prédominance canadienne, mais avec tous ces canaux en provenance des États-Unis, je peux vous dire que vous pouvez mesurer le nombre d'heures disponibles dans le spectre de diffusion par câble et par satellite. Je regrette de vous dire cela, mais la télévision canadienne n'est pas à prédominance canadienne, mais à prédominance américaine.

À une certaine époque, les ondes ne représentaient qu'un spectre limité; maintenant, nous avons une vaste bande passante numérique comprimée qui peut accueillir 10 fois le nombre de canaux que nous avons à l'heure actuelle.

Si nous avons FOX News, CNN, BBC et CNBC, et même AlJazeera à Mississauga ou à Niagara, pouvons-nous s'il vous plaît avoir un espace pour nous permettre de nous parler entre nous?

Avec l'avènement de la nouvelle technologie de radiodiffusion de haute qualité, miniaturisée et à prix abordable, la télévision locale est prête à une renaissance. Imaginez si 15 émissions sur 20 qui sont regardées étaient produites par des Canadiens. Ce serait tout un cadeau de Noël, mais la réalité aujourd'hui, c'est que nous sommes chanceux si plus d'une de nos émissions parmi les 20 meilleures est regardée par les Canadiens. Nous, les producteurs, les scénaristes, les acteurs et les techniciens et, oui, nous, les radiodiffuseurs régionaux et locaux, voulons mettre au défi les gardiens qui protègent ainsi les quelques heureux élus.

Si les méga sociétés avaient réussi à réaliser les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion, nous pourrions être d'accord avec l'idée de les protéger, mais la réalité, c'est que leurs échecs dépassent largement les petites victoires qu'elles ont pu remporter.

Au Canada anglais, c'est un véritable glissement de terrain, les cotes d'écoute des émissions canadiennes continuent de fondre. Les États-Unis ont terrassé nos producteurs nationaux et c'est de notre faute. Il ne reste plus grand temps pour réagir.

Nous avons besoin d'une autre méga fusion, la plus grande dans l'histoire de la télévision canadienne, pour remettre notre télévision sur la bonne voie. Le temps est venu de regrouper tous ces réseaux de cinéma et de télévision créés par le gouvernement, ces agences, ces fonds et ces organismes subventionnaires en une seule entité géante.

Au Canada anglais, cette nouvelle super entité, où toute la programmation prioritaire serait créée et diffusée, serait constituée de la CBC, de Téléfilm Canada, du Fonds canadien de télévision et de l'Office national du film du Canada. Cette super entité permettrait de fusionner toutes les responsabilités en un seul système de radiodiffusion public national renouvelé, excitant et plein de vitalité, centré sur la vénérable, fière et malmenée CBC/Radio-Canada.

Nous n'avons pas besoin de plus d'argent. Nous avons besoin d'un nouveau leadership. Le gouvernement a consolidé nos Forces armées, la marine, l'aviation et l'armée. Alors, si vous pouvez le faire pour les militaires, nous avons besoin que vous le fassiez aussi pour la télévision.

Pendant que la télévision publique se faisait couper les vivres, le gouvernement du Canada remettait directement l'argent des contribuables sous forme d'argent liquide ou de subventions à des géants du secteur public national, comme CHUM, CanWest Global, Bell Globemedia, Rogers et Alliance Atlantis.

Nous posons la question: pourquoi l'argent des contribuables est-il donné au secteur privé à un moment où les profits atteignent un niveau record?

Nous pensons qu'il s'agit d'une pure folie.

CBC/Radio-Canada doit être restructurée. CBC Sports devrait constituer un canal séparé et ne pas être subventionné. Si nous payons 1,20 $ pour avoir TSN, il est certain qu'il vaut la peine d'en payer autant pour obtenir CBC Sports, et si la vente de publicités sur CBC Sports rapportait des profits, alors, ces derniers devraient revenir au canal principal.

Si CBC/Radio-Canada renonce à la publicité sur le canal principal, tout l'argent qui est dans le système devrait être canalisé vers la nouvelle programmation prioritaire en français et en anglais de CBC-Radio-Canada. Le moment est maintenant venu de séparer de manière définitive et complète la radiodiffusion privée de la radiodiffusion publique.

La renaissance de la télévision anglaise pourrait se faire rapidement. Les exploitants privés pourront compter sur l'injection des nouveaux dollars de publicité auxquels CBC-Radio-Canada aura renoncé. Nous aurions des radiodiffuseurs publics et privés qui réalisent des tâches différentes avec des sources de financement différentes et des objectifs plus rationalisés.

Madame la présidente, que les fusions commencent. Aidez-nous à ramener la télévision locale dans l'univers des 500 canaux. C'est maintenant le temps de reformuler et de recentrer le leadership du gouvernement, de donner les coudées franches à une nouvelle équipe et de s'atteler à retrouver la faveur des téléspectateurs canadiens aussi bien au niveau local que national.

Je vous remercie de l'honneur que vous m'avez fait de m'accueillir parmi vous.

Le sénateur Tkachuk: Je suis d'accord pour dire qu'il est nécessaire de modifier la Loi sur la radiodiffusion pour voir une renaissance de la télévision communautaire et locale. Je suis d'accord pour dire qu'il s'agit d'un changement nécessaire. Je pense que le CRTC favorise les monopoles.

Dites-vous que nous devrions accorder les ondes à quiconque arrive sur le marché, qu'il s'agisse d'un diffuseur de musique country ou d'une station de télévision locale?

M. Wilks: Nous croyons que le critère pour l'implantation de stations de télévision locale est bien défini; vous devez réaliser une étude de marché indépendante pour démontrer que l'auditoire que vous avez l'intention de desservir manifeste de l'intérêt pour le service que vous proposez.

Dans le domaine de la radiodiffusion, nous avons toujours dûdémontrer au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes que nous avions les fonds pour honorer les promesses que nous faisons; que nous avions un conseil de direction; que nous pratiquions ce que notre gouvernement fédéral exige de nous en ce qui concerne des choses comme l'égalité des sexes et des races et la reconnaissance des droits et libertés. Tout cela est prévu par la Loi sur la radiodiffusion.

Il n'y a rien de mal avec la loi et il n'y a rien de mal à exiger que les radiodiffuseurs rendent des comptes, mais de certaines façons, le CRTC n'a pas rempli ses promesses de surveiller les stations qui avaient déjà leur licence au moment où la loi a été adoptée.

Nous venons tout juste de vivre un très grand changement avec la consolidation de la propriété et des milliers d'emplois ont été perdus dans la foulée de cette réorganisation. Nous avons maintenant un système privé dans lequel l'argent dépensé pour rembourser les dettes d'acquisition est supérieur à l'argent dépensé pour la nouvelle programmation canadienne.

Nous avons besoin de remettre de nouvelles entreprises de radiodiffusion entre les mains de Canadiens compétents, tout en examinant attentivement en même temps si une nouvelle entreprise est admissible à devenir un nouveau radiodiffuseur.

Il n'y a rien comme la concurrence, où quatre ou cinq candidats font des demandes; parfois, il y a des concours de beauté que personne ne devrait remporter.

Le sénateur Tkachuk: J'ai toujours été intrigué de voir que les gens sont en faveur du secteur privé jusqu'à ce qu'ils obtiennent leur licence et ensuite, évidemment, ils veulent un monopole et des règles plus strictes pour pouvoir entrer dans ce cercle.

À Edmonton, il y a un certain nombre d'années, M. Allard a fait une demande de licence pour un canal de nouvelles télévisées. Il a démarré une station de télévision locale indépendante qui est devenue la station la plus regardée à Edmonton. BCTV a battu CBC à plate couture et pourtant, sa demande a été refusée, parce que sa présentation n'était pas suffisamment bonne, ou pour une autre raison quelconque.

Pourquoi avons-nous besoin d'une étude?

Si la personne a bonne réputation, si elle possède de l'argent et si elle veut démarrer une station de télévision, pourquoi doit-elle prouver que la station peut être rentable?

M. Wilks: Vous avez parlé d'Edmonton et de M. Allard. Je suis fier d'avoir été la personne qui a encouragé M. Allard à s'intéresser à l'industrie de la radiodiffusion. J'ai été fondateur de ITV et directeur général de la station de télévision de M. Allard à Edmonton à laquelle vous avez fait allusion. Je suis très au fait des circonstances de cette demande particulière.

Nous vivions alors à une époque où nous étions très protecteurs; c'était une autre époque. Croyez-le ou non, nous avons obtenu cette licence pour ITV à Edmonton; Selkirk Communications, une entreprise de radiodiffusion, avait un intérêt de 25p.100 dans la station de télévision de M. Allard. Le CRTC a jugé que Selkirk Communications ne pouvait pas participer parce qu'elle était déjà propriétaire d'un poste de radio et que certains de ses actionnaires étaient déjà propriétaires du Edmonton Journal, un journal de Southam. À cette époque, c'était considéré comme une concentration de la propriété.

C'était une époque où nous avancions gentiment, en silence. À l'extérieur de la région de Toronto, nous ne recevions que trois réseaux américains par le câble. Évidemment, nous en avons maintenant 113. Les règles ont changé, de même que nos villes.

En 1998, j'ai démarré la dernière station de télévision ici à Toronto, le canal 9, le Christian Television Channel. C'est la dernière station de télévision qui a été créée depuis 1976. Dans l'intervalle, la population a doublé.

Edmonton comptait une population de 400 000 habitants en 1974. Aujourd'hui, sa population dépasse le million. Vous pouvez voir qu'il y a eu un changement spectaculaire dans le marché et que, pour cette raison, nous devons changer également.

À cette époque, le service de nouvelles nationales n'avait pas été créé. CBC Newsworld n'existait pas. Je crois que le conseil a manqué de perspicacité lorsqu'il s'est inquiété que la propriété privée vienne éclipser le système de radiodiffusion publique.

C'est un de nos problèmes depuis toujours, à savoir de ne pas avoir séparé le système public du système privé. Je crois que c'est essentiel de le faire. Je pense que même aujourd'hui, le CRTC n'accorderait pas de licence à M. Allard. Le CRTC limite même CTV à une situation où cette dernière doit avoir des nouvelles d'actualité très spécifiques dans son bloc d'information. Je crois qu'il s'agit d'une exigence incroyablement restrictive.

Pourquoi permettre à CBC/Radio-Canada de faire une chose et imposer ensuite ce genre de carcan au secteur privé?

C'est tout simplement insensé et il est temps de réexaminer cette question.

Le sénateur Munson: Monsieur Wilks, je suis curieux au sujet d'une affirmation que vous avez faite à propos du CRTC et du processus. Vous avez dit qu'il était décourageant de devoir continuellement s'expliquer à la communauté que vous avez l'intention de desservir. Vous avez noté qu'il s'agissait d'un processus étrange que de traiter avec le CRTC. En quoi ce processus est-il étrange?

J'aimerais entendre vos points de vue sur le CRTC et pourquoi la télévision ne peut s'implanter au Canada, alors qu'Al Jazeera peut le faire.

Pourquoi devez-vous vous soumettre à ce processus où le CRTC détient les pouvoirs?

M. Wilks: Nos droits parlent de la liberté de la presse, des médias et des autres médias. Nous faisons partie du secteur de l'électronique et nous sommes considérés comme faisant partie des autres médias. Nous n'avons pas de difficultés à comprendre la liberté de la presse. Si je voulais publier un journal, je n'aurais qu'à commencer à publier, à vendre de la publicité et à distribuer mes nouvelles. Il n'y a rien qui m'empêche de le faire.

Les règles concernant la radiodiffusion étaient différentes parce qu'il y avait un spectre très limité et nous devions faire très attention parce qu'il n'y avait qu'un nombre limité de canaux disponibles. Cette situation n'existe plus maintenant et pourtant, les règles n'ont toujours pas changé. Nous travaillons toujours avec le vieux livre de règlements qui laisse entendre que nous avons cette chose finie très précieuse et que nous devons faire très attention à qui y aura accès parce que nous allons manquer d'espace. Eh bien, il n'y a plus de danger de manquer d'espace. Ce sont des balivernes qui n'ont plus leur raison d'être.

Des gens comme moi ont la témérité de se présenter devant vous et de prendre des risques énormes. Nous venons vous voir et faisons des suggestions et, parfois, cela donne l'impression que nous voulons mordre la main qui nous nourrit. De plus, nous sommes toujours devant le CRTC pour une raison ou une autre.

Je pense que nous sommes dans une nouvelle ère, même dans le cas du CRTC. Je pense que le CRTC et ce nouveau processus d'auto-examen l'aidera à changer. J'espère qu'il accordera des licences à plus de collectivités.

À Edmonton, il y a beaucoup de stations de télévision locales; cependant, si vous vivez à Mississauga dont la population est de 800 000 habitants, il n'y a absolument aucune station de télévision locale. Vous ne pouvez utiliser ce média pour vendre vos biens et services dans cette ville. Nous voyons une situation semblable dans un douzaine d'autres villes; elles sont toutes couvertes par ces méga stations qui présentent des histoires macabres.

Le sénateur Munson: Le CRTC peut probablement vous dire non à vous, mais il ne dira jamais non à CBC-Radio- Canada ou à CTV. Lorsque CTV obtient une licence de cinq ou sept ans, elle ne s'inquiète pas que le CRTC ne renouvellera pas sa licence. Le CRTC peut dire non à un petit joueur comme vous, mais non aux gros joueurs. Cela ressemble à deux poids, deux mesures.

M. Wilks: Ce n'est pas seulement qu'il peut dire non, mais le processus public permet à ces méga entreprises d'intervenir dans notre processus. Elles se présentent à la même audience que moi avec une batterie d'avocats et de consultants et elles déposent des mémoires de 200 pages et font des interventions hystériques sur la façon dont une petite station de télévision dans le voisinage de Toronto viendra détruire la puissante Toronto. Elles continuent en disant qu'elles cherchent à nous sauver.

Je dis, sauvez-nous de Train 48. Sauvez-nous de la télévision de la banalité et du macabre. Sauvez-nous de leurs échecs. Je veux dire, donnez-nous au moins la chance d'échouer. Il s'agit d'un système insensé.

Le sénateur Munson: Il y a un vieil adage qui dit: «Vivant à cinq heures et mort à six heures.» C'est fou.

Pourquoi Niagara n'a-t-elle jamais eu de station de télévision locale?

M. Wilks: C'est probablement l'idée que nous sommes entourés de stations de télévision. En passant, la plupart d'entre nous à Niagara regardons les nouvelles de Buffalo plutôt que les nouvelles canadiennes.

Hamilton, qui est située sur la rive du lac, prétend desservir Niagara avec un journaliste qui couvre 1 700 kilomètres carrés. Ce qui semble les intéresser, ce sont les événements tragiques, les conflits et les histoires macabres. Ils ne s'intéressent aucunement à nos préoccupations locales.

Une région peut être couverte par tous ces signaux puissants, mais cela n'a rien à voir avec la région elle-même. La méga station fait de l'argent sur notre dos, mais ne nous donne rien en retour. Elle nous vend ses produits à pleine porte, mais n'investit pas dansnotre collectivité. En fait, il lui est difficile de le faire parce que si elle traitait des nouvelles locales de Niagara, cela n'impressionnerait pas les autres téléspectateurs de la région du Golden Horseshoe. Nous vivons dans la partie sombre du Golden Horseshoe. Nous n'avons jamais de couverture sauf lorsqu'il s'agit d'événements incroyablement négatifs.

Le sénateur Trenholme Counsell: Monsieur Wilks, vous avez fait une observation selon laquelle la télévision locale était prête pour une renaissance. Pouvez-vous étoffer davantage cette affirmation.

Dans le Canada atlantique, nous avons ATV, qui précède les nouvelles de CTV, et les nouvelles qu'on nous présente sont excellentes. Nous avons également les histoires macabres. Je veux dire, regardez nos journaux nationaux aujourd'hui; leur couverture des nouvelles porte uniquement sur des histoires macabres.

Je pense que nous sommes chanceux d'avoir une bonne information locale. Nous avons CBC/Radio-Canada pour la première demi-heure, et ensuite, les nouvelles à l'heure du souper sont locales, et ensuite, nous passons aux nouvelles nationales à 18 h 30. J'estime qu'au Canada atlantique, nous avons une bonne couverture de nos législatures et de nos entreprises et de nombreux reportages d'intérêt humain.

Maintenant, combien de gens regardent ces nouvelles comparativement à celles de CNN ou à quelque chose d'autre, je n'en suis pas certaine, mais je me demande si l'information que nous recevons est différente de l'information en Ontario?

M. Wilks: Oui, vous êtes chanceuse de vivre dans le Canada atlantique et nous sommes chanceux de vivre dans les Prairies.

Le sénateur Trenholme Counsell: Très peu de gens diraient cela. C'est merveilleux.

M. Wilks: Chaque petite ville des Prairies, y compris Prince-Albert, Yorkton, Saskatoon et Regina, possède une station de télévision. Regina en a trois.

Dans des méga marchés, il est presque impossible de penser que des stations de télévision uniques peuvent fournir une programmation locale à des millions de personnes.

J'ai dirigé une station de télévision à Kingston, en Ontario, et nous avions une relation remarquable avec nos téléspectateurs. Les gens de Kingston sont très chanceux. La population y est la moitié de celle de la région de Niagara.

Ce n'est pas uniquement pour Niagara que j'ai un intérêt particulier. J'ai observé que partout dans le sud de l'Ontario, nous n'avons pas vraiment une collectivité unique; nous avons une série de collectivités et elles sont toutes différentes par les données démographiques.

Par exemple, nous avons la nouvelle ville de Brampton qui a doublé en taille depuis 1976. Brampton compte une forte population originaire du Sud-Est asiatique et mérite d'avoir unorgane par lequel ces gens peuvent communiquer quotidiennement. OMNI, le service de télévision multilingue, ne peut répondre à leurs besoins en raison des nouveaux immigrants qui affluent dans cette ville.

On peut en dire autant de Mississauga dont la composition démographique extraordinaire est très différente de celle de Brampton. Les populations pakistanaises, sikhes et indiennes ne voient pas leurs besoins comblés par OMNI Television. Elles sont entièrement insatisfaites de ce que leur offre leurs radiodiffuseurs.

Elles ont besoin d'une diffusion ciblée, et c'est dans la diffusion ciblée que le CRTC nous a fermé la porte. Nous ne pouvons pas installer des transmetteurs de plus faible puissance dans ces villes. Les seuls à qui le CRTC permet de le faire, ce sont les coopératives et les sociétés sans but lucratif qui embauchent du personnel non professionnel.

Nous devons apporter à ces villes du journalisme professionnel, des normes professionnelles et des nouvelles professionnelles. Elles le méritent. Si nous nous déplaçons un peu vers l'ouest, à Oakville, Burlington et Milton, nous trouvons des villes dont la composition démographique est semblable à celle de Brampton. Dans ces villes, il y a un demi-million de personnes qui mettent tous les jours leur appareil de télé en marche et qui ne voient jamais les questions qui les préoccupent être traitées à la télévision; elles ne sont tout simplement pas reflétées dans le journalisme télévisuel.

Le sénateur Trenholme Counsell: Dites-vous que ce que nous avons à titre de Canadiens de l'Atlantique, vous l'avez également à titre d'Ontariens, mais que du fait que votre population est si diversifiée et si nombreuse, cette formule n'est pas aussi pertinente pour vous qu'elle l'est pour nous?

Nous aimons entendre les histoires de Truro ou de Bathurst ou de n'importe quelle autre ville, mais est-ce la population nombreuse, la diversité, qui fait que c'est moins pertinent?

Est-ce que les principaux radiodiffuseurs, CTV et CBC/Radio-Canada, font la même chose en Ontario ou le font-ils de manière fragmentée comme ils le font pour nous?

M. Wilks: Vous pouvez regarder City TV à Ottawa, à London et dans la plupart des villes de l'Ontario. C'est la même chose pour CH. Ils se disent la station de Hamilton, de Halton et de Niagara, mais en fait, ces gens couvrent toute la province. Vous pouvez les voir de n'importe où dans la province.

Le sénateur Trenholme Counsell: La station est captée dans toute la province?

M. Wilks: Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell: La nôtre diffuse dans toute la région.

M. Wilks: La vôtre touche toute la région.

Le sénateur Trenholme Counsell: Nous aimons partager les histoires, d'une collectivité à l'autre, partout dans le Canada atlantique, et c'est ce que nos stations font.

M. Wilks: Il y a beaucoup de choses qui se produisent dans certaines de nos grandes villes qui ne sont pas rapportées du tout dans ce média et, en conséquence, ne parviennent jamais à faire les nouvelles régionales ou nationales. On en parle tout simplement pas.

L'analogie que j'ai utilisée était probablement bonne, dans ce sens que nous avons tous nos quotidiens. Nous savons tous qui sont les géants des quotidiens, mais dans ce milieu, les petits journaux hebdomadaires se sont trouvé un créneau et ils se tirent tous extraordinairement bien d'affaires.

Si vous voulez, je pense que c'est ce qui manque dans le domaine de la télévision; nous n'avons pas ce créneau plus petit, plus rapproché de la collectivité, qu'occupent les hebdomadaires.

Le sénateur Trenholme Counsell: Êtes-vous optimiste?

M. Wilks: Je suis optimiste parce que le Canada fait place à la diversité; ce n'est pas une nation qui exclut les gens de la participation.

La présidente: Quelles sont les données économiques des petites stations locales? Combien faut-il de journalistes pour couvrir de manière appropriée la ville de Brampton? Combien cela coûte-t-il? Vous avez besoin de combien de personnes? Où allez-vous obtenir la publicité? Allez-vous, en fait, grignoter le marché des grandes stations ou s'agit-il d'un marché distinct?

M. Wilks: Eh bien, j'espère que nous allons produire des émissions qui vont leur damer le pion. Ils le méritent bien. Je veux dire, pourquoi ne me permettrait-on pas de produire des émissions qui leur font concurrence?

De manière réaliste, pour exploiter le genre de stations de télévision dont nous parlons, il faut une centaine de personnes. Dans notre proposition pour Niagara, nous parlons de 25journalistes à temps plein couvrant 1 700 kilomètres carrés, et j'ajouterais que c'est de la télévision haute définition. Nous sommes dans la nouvelle ère du numérique. Si vous multipliez ce chiffre de 100 par 10, vous pouvez voir qu'il pourrait y avoir beaucoup de nouveaux emplois. Il est cruel de savoir que nos collèges communautaires produisent certains diplômés extraordinaires que nous n'allons pas embaucher.

Le petit site Web de notre station de télévision qui ne diffuse même pas a reçu de milliers de demandes d'emploi. Il y a eu 6 millions de demandes d'information sur notre petit site Web. L'idée que certains de ces nouveaux arrivants sans emploi quitteront le club-ferme un jour pour aller jouer dans les ligues majeures ne me pose pas de problème. Ce processus ne m'inquiète pas; il faut bien que le nouveau talent soit incubé quelque part.

Le sénateur Merchant: Je dois dire que je vous admire de vouloir vous mesurer à ces gros joueurs. Et je vous souhaite la meilleure chance au monde.

Je vis à Regina et vous avez dit qu'il y avait trois stations dans cette ville. Parlez-vous de CTV, CBC/Radio-Canada et Global?

M. Wilks: C'est exact.

Le sénateur Merchant: À Regina, c'est CBC/Radio-Canada qui a la plus faible cote d'écoute. Dans notre partie du monde, nous avons les nouvelles nationales en premier, ce qui est le contraire de ce que vous avez dit au sujet des provinces de l'Atlantique. Nous avons les nouvelles nationales et ensuite, les nouvelles locales; pendant les nouvelles nationales, on présente une histoire locale qui est traitée en plus grands détails dans les nouvelles locales.

Lorsqu'il y avait une station locale à Prince Albert gérée par la famille Rawlinson, la personne qui lisait les nouvelles donnait également la météo et les nouvelles du sport.

Je me demande combien de personnes ont les compétences pour faire tout cela, ou allez-vous avoir des personnes différentes pour les nouvelles, les sports et la météo?

M. Wilks: Oui, et comme vous vous en souvenez, CBC/Radio-Canada a subi des compressions massives lorsque ses ressources ont été réduites, et la première chose qu'elle a sacrifiée, c'est le journal télévisé local. Ce fut un désastre, en particulier dans les villes capitales où cette mesure s'est traduite par l'émasculation du système. CBC/Radio-Canada a manqué d'argent et elle n'avait pas la vision nécessaire pour savoir comment faire face à la situation.

À l'heure actuelle, il y a un fort mouvement pour inciter CBC/Radio-Canada à revenir à la télévision locale. Nous ne pensons pas que ce soit approprié. Nous pensons que CBC/Radio-Canada assure le service national et international. Nous pensons que la couverture locale est bien assurée par le secteur privé.

Alors, ce sont simplement des points de vue qui doivent être débattus davantage et à un moment où la nouvelle direction de CBC/Radio-Canada semble parler de plus en plus d'ouvrir davantage de stations locales. Le problème, c'est qu'elle ne peut le faire que dans les endroits où elle exploite des stations de télévision, ce qui veut dire dans peu d'endroits au Canada. Il serait discriminatoire d'investir tout cet argent dans la télévision locale à Regina et de ne pas le faire à Saskatoon, dont la population est la même que celle de Regina.

Je pense que la télévision locale est bien desservie par le secteur privé lorsqu'on lui permet de le faire. Ce que nous essayons de faire, c'est de nous débarrasser du carcan réglementaire et de nous présenter dans les collectivités que nous avons l'intention de représenter. Malheureusement, on ne nous permet pas de monter dans l'arène et la raison est assez simple. Les gros joueurs de ce côté-ci du lac croient que tout cela leur appartient. Ils croient qu'ils peuvent avoir 113 canaux, mais qu'un seul canal qui a l'audace de leur répliquer est un blasphème. Cette attitude doit changer.

Le sénateur Tkachuk: Il est agréable de voir que Niagara ressent la même chose à l'égard de Toronto que nous, en Saskatchewan.

M. Wilks: Toronto est très bien, mais nous aussi, nous sommes très bien. Nous sommes tous très bien et on ne devrait pas exclure la voix de quelqu'un d'autre. C'est vraiment tout ce que nous disons.

Le sénateur Merchant: CBC/Radio-Canada, qui a le mandat de desservir les collectivités, détachera Peter Mansbridge pour traiter d'une histoire importante à Mosse Jaw, alors que nous avons des journalistes locaux qui devraient raconter cette histoire. CBC/Radio-Canada ne remplit pas bien son mandat, parce que le journaliste local est mieux en mesure de rendre justice à l'histoire, parce qu'il la connaît mieux.

M. Wilks: Je suis tout à fait d'accord avec vous. J'ai débuté ma carrière à Swift Current, Saskatchewan et j'ai fait un reportage sur la toute première expérience en matière d'assurance-santé au Canada, qui a eu lieu en Saskatchewan. J'étais le seul journaliste à la télévision à présenter un reportage depuis Shaunavon en Saskatchewan.

Il est incroyablement important que nous ayons cette base locale d'où viennent les nouvelles. Lorsque l'histoire devient suffisamment importante pour mériter une couverture nationale, alors, nous pouvons souhaiter la bienvenue à Peter Mansbridge. C'est le journaliste local qui déterre l'histoire et qui fait les enquêtes initiales. Le journalisme débute au niveau local.

Le sénateur Di Nino: Je suis la seule personne ici de Toronto. Venez plus souvent. Nous avons besoin de l'argent.

Monsieur Wilks, vous avez certainement eu une longue et distinguée carrière dans le domaine de la radiodiffusion et nous accordons beaucoup de valeur à votre opinion. J'éprouve certaines difficultés avec certains messages contradictoires que vous nous donnez, si je vous comprends bien.

Croyez-vous que c'est vraiment le rôle du CRTC de décider si quelqu'un devrait démarrer une station de télévision ou non?

Je comprends les questions de normes, de règlements d'exploitation appropriés et tout le reste, mais si une personne possède suffisamment d'argent pour créer une station de télévision à Omimi, pensez-vous que cette personne devrait pouvoir le faire sans ingérence de la part de qui que ce soit?

M. Wilks: Oui. Je pense que n'importe qui devrait être en mesure de créer une station si cette personne répond aux critères fondamentaux. L'entreprise doit être constituée en personne morale pour protéger l'intérêt public. Elle doit prouver au conseil qu'elle a les ressources et l'expérience nécessaires et qu'elle respectera les règles. Je pense que nous avons besoin de quelqu'un pour mesurer les compétences.

Il est temps que le CRTC prenne des mesures plus sévères à l'endroit de ceux qui enfreignent les règles et qui ne réalisent pas leurs promesses en matière de rendement. Il ne devrait punir quelqu'un parce qu'il a du succès. À l'heure actuelle, on ne donne aucune chance à des centaines de producteurs et de scénaristes canadiens qui ont quelque chose à dire, une contribution à apporter. Il n'y a pas de ressources disponibles pour le faire, parce qu'elles sont tellement dispersées dans le secteur public.

Je dis que CBC/Radio-Canada ne devrait pas vendre de messages publicitaires. Elle prélève ainsi 200 millions de dollars par année de la programmation anglaise. Elle prélève une somme additionnelle de 150 millions de dollars dans le cas des sports. Nous voulons qu'elle garde les sports, mais qu'elle renonce aux messages publicitaires et à tout le reste.

C'est exactement ce que viens de faire la BBC et elle a diffusé 15 des 20 émissions les plus regardées produites en Angleterre par des producteurs anglais. Elle n'a pas le problème que nous avons et ce n'est pas parce que nous ne savons pas comment produire des émissions dans notre pays. Nous avons clairement démontré notre savoir-faire. Ce dont nous avons besoin, ce sont des outils pour le faire.

Le sénateur Di Nino: Et pourtant vous avez dit qu'il faut donner plus de pouvoir, d'argent et de responsabilités à CBC/Radio-Canada. Cela la rendrait encore plus puissante et ferait en sorte qu'il sera encore plus difficile de créer une nouvelle station. C'est l'argument que je trouve contradictoire.

M. Wilks: Eh bien, il n'y a pas de concurrence dans la production des émissions canadiennes. Sénateur, les Canadiens passe 94p.100 de leur temps à regarder des dramatiques étrangères et les quelques succès que nous avons eus sont tout simplement trop peu nombreux. Il nous faut plus d'émissions comme Corner Gas. Il nous faut plus d'émissions qui parlent de nous.

Le sénateur Di Nino: Il se trouve que je suis d'accord avec vous, mais je n'arrive pas à voir le raisonnement. Je ne vois pas comment le fait de ramener tous ces autres programmes sous l'égide de CBC/Radio-Canada vous aidera à atteindre les objectifs que vous avez si éloquemment décrits.

M. Wilks: Ce que nous faisons à l'heure actuelle, c'est une approche de type fusil de chasse et ce dont je parle, c'est d'une analogie qui s'applique dans les Prairies, à savoir un tir à la carabine. Nous aurions une chance réelle de transpercer l'ennemi.

Et en passant, l'ennemi, c'est nous et non les Américains. Nous savons comment faire des émissions; nous avons ce qu'il y a de mieux comme artistes, vedettes, scénaristes et directeurs. Dans bien des cas, nous dominons même la télévision américaine et de nombreux Canadiens ont émigré aux États-Unis pour gagner leur vie.

Nous n'aurons plus de système si nous ne commençons pas à produire des émissions que les Canadiens vont regarder. Je pense que nous donnons l'argent aux mauvaises personnes. Pourquoi devrions-nous donner l'argent des contribuables à Bell pour produire des émissions alors que cette entreprise engrange des profits record? C'est tout simplement insensé.

L'argent public est tellement limité. Pourquoi le donner aux mauvaises personnes et étouffer le seul espoir que nous ayons? L'Office national du film du Canada en a vu bien d'autres et elle a fait un travail incroyable. Dans le monde des nouvelles et de la nouvelle technologie, on pourrait profiter davantage de leur utilité en les fusionnant ensemble en une seule et même entité.

La présidente: Vous avez laissé entendre que le CRTC pourrait être utile s'il pouvait en faire un peu plus en matière de mise en application des conditions rattachées aux licences d'exploitation. D'après ce que je crois comprendre, le CRTC est dans une impasse et le seul choix qui s'offre à lui est la suspension ou le non-renouvellement de la licence.

Pensez-vous qu'il devrait y avoir un plus large éventail d'outils à la disposition du CRTC et, si tel est le cas, quels devraient être ces outils?

M. Wilks: Eh bien, pendant une période de temps, il a imposé des amendes. Je pense qu'il a imposé une amende à quelqu'un dans le secteur de la télévision; une station de Pembroke, en Ontario. L'amende était de 5 000 $. Des tapes sur les doigts de ce genre n'ont aucun effet. Ce ne sont que des piqûres de moustiques.

Il nous faut des canons. Et ce canon, c'est l'argent, alors imposez-leur des amendes. Le CRTC fait des profits, alors il ne s'agit pas de donner plus d'argent au CRTC.

Qu'allons-nous faire de cet argent? Le mettre dans une sorte de fonds destiné à la programmation prioritaire, là où il appartient. Il doit y avoir des sanctions ou une forme quelconque de mécanisme efficace.

La façon dont nous nommons les conseillers du CRTC est un peu étrange; le seul poste de vice-président du CRTC n'a qu'une durée d'un an. Nous n'avons pas besoin de concierge. Nous avons besoin de gens qui sont capables de nous diriger vers l'avenir avec une vision claire et avec un mandat clair et net.

Je pense que le CRTC peut être réformé. Il est dirigé par un groupe de personnes efficaces, sensibles, capables de faire le travail. Je pense simplement que personne ne leur a demandé de faire ce travail.

Le sénateur Tkachuk: Juste pour que nous sachions ce que vous vouliez dire lorsque vous avez parlé de l'argent de Téléfilm Canada et tout cet argent qui a été allongé pour des subventions. Dites-vous que tout cet argent devrait être remis à CBC/Radio-Canada pour produire du contenu canadien?

M. Wilks: Il est clair que le réseau à contenu canadien devrait être CBC/Radio-Canada. Ce n'est que l'on ne devrait pas produire du contenu canadien à CTV, mais cette dernière devrait le faire avec les ressources que nous lui avons données. Les revenus publicitaires pour le Canada s'élèvent à 2,7 milliards de dollars. C'est beaucoup d'argent. À l'exception des 350 millions de dollars que prélève CBC/Radio-Canada, tout le reste va au secteur privé.

Le CRTC commet sa plus grave erreur lorsqu'il exige du radiodiffuseur privé qu'il donne un rendement quantitatif, ce qui donne des choses comme Train 48, plutôt que d'exiger de lui un rendement qualitatif, ce qui suppose que l'on concentre plus d'argent dans une émission à grand budget que quelqu'un va vouloir regarder.

Qualité et quantité sont deux éléments différents et à l'heure actuelle, le CRTC demande trop de quantité et pas suffisamment de qualité et cela doit se mesurer en dollars. C'est tout.

Le sénateur Tkachuk: Pensez-vous que si on canalise suffisamment d'argent dans CBC/Radio-Canada, cette société parviendra effectivement à produire des émissions canadiennes qu'il vaut la peine de regarder.

M. Wilks: Ce que je dis, c'est que nous devrions réduire les cinq bureaucraties pour en faire une seule et nommer un commissaire à la programmation canadienne. Il y a trop de bureaucraties. Une fois que CBC/Radio-Canada aura évacué le secteur commercial, le secteur privé aura encore plus de ressources pour créer une programmation susceptible d'intéresser les Canadiens.

Le sénateur Di Nino: Je pense que nous devrions dire, pour le bénéfice du compte rendu, que le secteur privé doit payer les salaires et les impôts et toutes les dépenses d'exploitation, alors que CBC/Radio-Canada est subventionnée.

La présidente: CBC/Radio-Canada paie des salaires.

Le sénateur Di Nino: Par le biais des subventions plutôt que par le biais des revenus publicitaires.

M. Wilks: Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, le secteur privé a procédé à des réductions dans la consolidation et a procédé à d'énormes coupures dans ses effectifs.

Le sénateur Di Nino: Je ne veux pas engager un débat. Je pense simplement que cela devrait figurer au compte rendu.

La présidente: Monsieur Wilks, nous serions heureux de vous garder tout l'après-midi. Merci beaucoup d'être venu. J'ai hâte de voir la recherche dont vous nous avez parlée. Si vous avez d'autres réflexions au sujet du CRTC ou de quoi que ce soit d'autre, n'hésitez pas à nous les faire connaître par écrit.

M. Wilks: Merci beaucoup de votre courtoisie.

La présidente: Sénateurs, nos prochains témoins représentent REAL Women of Canada. Nous accueillons Mme Lorraine McNamara et Mme Gwen Landolt.

Mme Gwen Landolt, vice-présidente nationale, REAL Women of Canada: Honorables sénateurs, REAL Women est enchantée d'avoir l'occasion d'exprimer son point de vue devant comité.

Il doit y avoir une toute nouvelle restructuration de nos médias au Canada, en particulier des médias électroniques. Nous sommes d'avis que la situation actuelle est liée aux années 60, mais les temps ont changé d'une manière spectaculaire depuis.

Le CRTC a été créé en 1968 et CBC/Radio-Canada en 1930. En 1968, le CRTC avait un mandat, mais ce mandat a simplement été dilué par les circonstances, les changements et la technologie, et nous constatons qu'il essaie vaillamment d'exercer son contrôle sur la radiodiffusion, mais il est en retard sur son temps. Une des grandes préoccupations que nous avons, c'est que le CRTC délivre les licences avec une grande précaution.

Nous sommes un groupe de femmes conservatrices. Nous croyons dans les valeurs traditionnelles, conservatrices. Nous existons depuis 1983 et notre organisme est entièrement autonome sur le plan financier. Nous comptons 55000 membres dans l'ensemble du pays et nous pouvons assurer notre survie comme aucun autre groupe de femmes peut le faire, ce qui indique que les gens sont derrière nous et qu'ils croient ce que nous disons. Nous ne sommes pas simplement une voix unique sans beaucoup de support dans l'ensemble du pays.

Notre préoccupation, c'est que le CRTC limite l'expression des Canadiens et ne surveille pas de manière appropriée les voix des Canadiens. Il limite l'octroi des licences à certains organismes non conservateurs, politiquement corrects, nos radiodiffuseurs. Il limite la liberté de parole.

Nous sommes absolument enchantés de la décision de la Cour supérieure du Québec qui dit que les satellites, par exemple, sont contraires à la liberté de parole et à notre Charte.

Les voix des Canadiens ne sont pas reflétées en raison du contrôle du CRTC et de CBC/Radio-Canada. CBC/ Radio-Canada est dans une très grande mesure un organisme qui appuie le NPD.

Maintenant, ne soyez pas fâchés contre moi parce que j'ai fait cette affirmation. Des études ont démontré que c'était le cas et ces études sont indiquées dans notre mémoire. Les études montrent également que les journalistes anglophones et les journalistes francophones au Canada ne reflètent pas la population.

Elles ont conclu plus précisément que les journalistes du NPD, et plus particulièrement de la radio du NPD, je veux dire, les journalistes de la radio de la CBC sont de gauche. «Radio du NPD», c'est bien dit, mais je veux dire «radio de la CBC».

Je pourrais vous donner des exemples de ce qui m'est arrivé en tant que femme et voix des femmes conservatrices au Canada, comment j'ai été ignorée, marginalisée par CBC/Radio-Canada parce que je ne me fais pas l'écho de la ligne de parti du féminisme radical.

Si jamais vous voulez des exemples précis, je pourrai vous dire ce que CBC/Radio-Canada a fait de notre voix en tant que groupe de femmes indépendantes et autonomes au plan financier, et c'est parce qu'il ne reflète tout simplement pas nos vues.

Les mécanismes de contrôle imposés aux Canadiens sont, à nos yeux, odieux depuis de nombreuses années et nous avons été grandement frustrées par ces derniers.

Le contenu canadien n'a rien à voir avec notre culture. Cela a à voir avec les radiodiffuseurs canadiens qui font le travail. En d'autres mots, c'est une question économique. Il s'agit de préserver les intérêts économiques du radiodiffuseur canadien. Cela n'a rien à voir avec la préservation de notre culture et nous pensons que, peut-être, on a mal interprété le sens de l'expression contenu canadien. Je pense que la plupart des Canadiens pensent que cette expression signifie que la culture canadienne sera à l'honneur. Ce n'est pas ce qui est arrivé.

Le contenu canadien a très peu à voir avec la culture canadienne et a tout à voir avec le protectionnisme industriel crasse. La programmation est jugée canadienne, non pas parce qu'elle reflète le Canada, ses gens ou sa culture, mais plutôt parce que le nombre prescrit de Canadiens ont participé à sa production. En effet, le contenu canadien se mesure en termes d'emplois et d'économie, et non pas en termes de culture, de préservation et de promotion.

Les stations de radiodiffusion canadienne sont forcées de diffuser de la musique ou des émissions que les Canadiens ne veulent pas nécessairement voir ou entendre. Seulement 5p.100 des Canadiens regardent CBC TV parce qu'elle ne reflète pas l'ensemble du Canada.

Je sais que l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion dit très spécifiquement que le CRTC doit assurer un équilibre des points de vue. Le CRTC doit permettre l'expression des opinions et des voix diverses du peuple canadien. Nous n'entendons pas cela à CBC/Radio-Canada.

Le CRTC a été extrêmement réticent à accorder des licences d'exploitation à des services de radiodiffusion religieuse indépendante au Canada. Il dit ne pas vouloir le système américain où toutes ces personnes prennent la parole et ainsi, seule une poignée de radiodiffuseurs religieux se sont vu accorder des licences. Il y en a eu quelques-uns, ETWN, Del Sol et Salt & Light. Dans ce dernier cas, la licence porte uniquement sur la diffusion numérique. À l'heure actuelle, très peu de gens regardent la télévision numérique, mais ils le feront en temps opportun.

La seule radiodiffusion religieuse qui semble acceptable aux yeux du CRTC est celle de Vision TV, et Vision TV a une perspective très libérale et ce, depuis de nombreuses années. À quelques petites exceptions près, les Canadiens qui ont des points de vue religieux conservateurs n'ont jamais été entendus sur les ondes canadiennes. Il s'agit d'une expérience très frustrante pour les Canadiens de constater qu'ils sont liés par le passé et par les anachronismes que sont devenus le CRTC et CBC/Radio-Canada.

Y a-t-il un rôle pour le CRTC? Oui, le CRTC peut jouer le rôle de surveillance et d'octroi des licences.

Y a-t-il un rôle pour CBC/Radio-Canada? Il n'y a plus de rôle pour CBC/Radio-Canada dans la radiodiffusion générale. Les canaux spécialisés se sont appropriés les Canadiens.

Nous savons qu'American network et PBS font très bien et que les Canadiens inondent PBS de leur argent. Pourquoi? Parce que PBS donne aux téléspectateurs ce qu'ils veulent voir.

Nous pensons que CBC/Radio-Canada devrait arriver au XXIesiècle et se libérer des années 30. À ses débuts, CBC/Radio-Canada a porté la diversité canadienne à l'avant-plan; maintenant, elle crée la diversité. CBC/Radio- Canada me déplaît énormément. Cela me déplaît que mon argent serve à payer cet anachronisme qui est utilisé par les producteurs pour produire leurs propres émissions et non pas pour refléter les Canadiens dans leur ensemble.

Ces deux institutions, créées dans notre passé, bloquent les Canadiens et en conséquence, nos voix ne se font pas entendre. C'est une situation extrêmement frustrante. Nous ne faisons tout simplement pas confiance à la radiodiffusion.

Ce sont nos déclarations choquantes; elles viennent du fond du cœur et sont sincères.

Je parle beaucoup en public et des Canadiens de partout au pays se plaignent que leur voix n'est pas exprimée dans le débat public.

Le sénateur Tkachuk: Je suis d'accord avec beaucoup de choses que vous avez dites.

Lorsque vous dites que le CRTC perpétue un penchant idéologique, comment expliquez-vous le fait qu'un grand nombre de vues sont libérales?

Dites-vous que lorsque les gens font une demande d'emploi, il y a un penchant idéologique qui se manifeste au cours de l'entrevue?

Mme Landolt: Je n'hésiterais pas à dire qu'il y a un penchant idéologique. Il y a eu une énorme controverse au sujet de l'autorisation de FOX News, que je suis, évidemment, très heureuse de regarder, mais il y a un penchant idéologique parce que les radiodiffuseurs savent très bien qu'ils doivent façonner leurs stations et leur entreprise conformément aux personnes nommées au sein du CRTC, s'ils veulent que leur licence soit renouvelée.

Prenez l'histoire que nous venons tout juste d'avoir dans le cas de CHOI. Cette affaire s'est transformée en censure publique; le CRTC n'a pas aimé les valeurs exprimées par CHOI. CHOI avait un large auditoire dans la ville de Québec. Il est difficile de croire que les personnes nommées par le gouvernement n'ont pas dit ce que le gouvernement voulait qu'elles disent.

Pourquoi des personnes nommées, qui n'ont rien d'autre que le favoritisme, déterminent-elles ce que les Canadiens et la ville de Québec peuvent entendre? La station avait un large auditoire, mais selon les conseillers, sa programmation était inacceptable. Une poignée de gens ne devrait pas dire aux Canadiens ce qu'ils peuvent voir et faire, surtout lorsqu'il s'agit de personnes nommées par le gouvernement.

La présidente: Aux fins du compte rendu, madame Landolt, je pense que la difficulté que le CRTC a constatée dans le cas de CHOI, c'est qu'une partie de ce qui a été diffusé a été vue comme étant raciste. Il y a certainement une différence entre des propos racistes et des idées conservatrices. Il y a de nombreuses voix conservatrices à la radio.

Le sénateur Tkachuk: Madame la présidente, je crois que nous devrions accepter le témoignage.

Mme Landolt: Sénateur Fraser, je veux souligner qu'ils disaient des choses qui n'étaient pas considérées comme étant politiquement correctes. Ils se moquaient du parti au pouvoir à l'époque et cela est inacceptable.

Il s'agissait d'un contenu politique, oui, mais je ne suis pas d'accord pour dire que ce l'était parce que c'était raciste. Qui décide de ce qui est raciste? Ce ne devrait pas être ces bénéficiaires d'une nomination politique.

Si vous pensez si des propos racistes ont été tenus, comme à AlJazeera, vous pouvez entamer des poursuites judiciaires et dire que c'est anti-sémite ou anti-chrétien ou bien vous pouvez entamer des poursuites devant un tribunal de droits de la personne. Ce ne devrait pas être à ces bénéficiaires de nomination politique, tous les neuf, je pense qu'il pourrait y en avoir 13, de décider de ce qui est raciste. Qui sont-ils pour décider de ce qui est raciste?

La présidente: Je ne conteste pas votre point de vue à ce sujet, je tiens cependant à souligner cette distinction.

Le sénateur Tkachuk: Madame la présidente, c'est à nous de leur poser des questions. Nous ne sommes pas ici pour témoigner. Nous sommes ici pour poser des questions et entendre leur témoignage. De toute façon, je vous remercie madame la présidente.

La présidente: Sénateur Munson.

Mme Landolt: Voici quelqu'un que nous avons vu à Newsworld pendant longtemps, donc vous avez beaucoup d'expérience.

Le sénateur Munson: J'ai beaucoup d'expérience dans le secteur privé. Je dois ajouter que ma mère est âgée de 91 ans, c'est une conservatrice et elle aime la SRC. J'ai simplement que je devais le dire.

Mme Landolt: Elle a 91 ans!

Le sénateur Munson: Oui. En tout cas, je respecte vos opinions.

Pensez-vous qu'aujourd'hui les médias desservent de manière appropriée les collectivités est les minorités des régions isolées?

Mme Landolt: Non, je ne le pense pas. Je pense que les propos de M. Wilks étaient pleins de bon sens. Pourquoi les sikhs ou les hindous de Mississauga ne sont-ils pas représentés? J'aimerais qu'ils soient libres et que ce ne soit pas des oligarques et des fonctionnaires qui décident de ce qu'ils peuvent voir ou écouter.

Donnez la possibilité au radiodiffuseur indépendant de travailler, qu'il soit hindou, sikh ou musulman. Je n'approuve pas ce qui s'est passé avec Al Jazeera, c'est-à-dire que l'entreprise de câblodistribution doit la surveiller. Pour quelle raison un câblodistributeur surveille Al Jazeera? S'il y a des commentaires anti-sémites, ils devraient déposer plainte devant des tribunaux ou devant un tribunal des droits de la personne. Ce n'est pas aux fonctionnaires d'Ottawa de décider.

Le sénateur Munson: Êtes-vous du même avis en ce qui concerne le réseau radiophonique de la SRC dans tout le pays? Pensez-vous que le service de la SRC aux collectivités est inadéquat?

Mme Landolt: L'écoute de la chaîne radiophonique nationale de Radio-Canada me rend furieuse. Quand j'entends un reportage, je me demande quelle manipulation se cache derrière. Je ne prends même pas la peine de regarder la chaîne de télévision de la SRC.

Il y a quelque temps, j'étais à Iqualuit avec les Inuits et j'ai constaté que la SRC est un reflet de la société. J'ignore pourquoi. De manière générale, je ne veux rien savoir de la SRC, mais mon avis a beaucoup changé à Iqualuit. Un Inuit local m'a dit que la station était leur voix dans le Nord et qu'elle reflétait leur culture. J'ai pensé que c'était un cas exceptionnel. À mon avis, la SRC laisse à désirer dans la plupart des régions du pays, mais elle a fait du bon travail au Nord.

Le sénateur Munson: Est-ce que vous porter autant d'attention au secteur privé dans ce domaine?

Mme Landolt: Certainement pour ce qui est de la CTV. La CTV est différente parce qu'elle doit présenter des reportages équilibrés; c'est de là que provient son financement. La CBC et ses producteurs s'en fichent.

Le sénateur Munson: D'où provient son financement?

Mme Landolt: La CTV est la station de télévision qui a la plus grande audience au Canada et je pense que c'est parce qu'elle présente des points de vue équilibrés. Elle ne peut pas compter sur l'argent des contribuables pour payer pour tout. Ils sont plus enclins, pas nécessairement entièrement, mais ils sont plus enclins à écouter.

Le sénateur Munson: Que pensez-vous que l'on devrait faire de la SRC? Pensez-vous qu'il faut la démanteler?

Mme Landolt: Non, je ne le pense pas. Cette question est traitée à la page 18 de notre exposé:

Une solution possible au problème de Radio-Canada, qui lui permettrait de conserver son mandat de «service public», consisterait à la réduire à un modèle de type PBS, dans lequel elle recevrait de modestes sommes de fondspublics, et maintiendrait une programmation sans sports, comédies de situation ni émissions dramatiques grand public. Une telle transformation correspondrait aux changements qui, avec le temps, ont façonné l'industrie des communications. Il faudra évidemment que Radio-Canada corrige son orientation faussée au plan idéologique: il lui faudra de plus présenter la contrepartie de son idéologie retranchée dans la gauche afin de devenir acceptable et d'établir le contact avec le public canadien.

Je sais que vous êtes occupé, mais si vous avez le temps, j'aimerais lire quelques documents de référence que nous vous avons donnés et qui parlent de la SRC et de ses opinions de gauche.

Les études faites sur la SRC que j'ai consultées montrent que les journalistes eux-mêmes admettent qu'ils sont de gauche; leur perception du monde est différente.

La SRC doit être réduite. Il est très frustrant de voir nos impôts versés à des producteurs qui réalisent des programmes que personne ne veut regarder. Moins de 5p.100 de la population regardent leurs programmes.

Les temps changent et les gens changent aussi. Il y a, dans notre pays, une deuxième génération d'immigrants qui ont une perception très différente de celle qui était la mienne quand j'étais enfant. La SRC ne le comprend pas; elle est encore dans les années 60 et 70.

Le sénateur Munson: Je ne crois pas qu'il soit bon de débattre aujourd'hui. C'est un bon jour pour poser des questions.

Vous avez déclaré que le CRTC a aussi fait preuve d'arrogance envers des radiodiffuseurs religieux indépendants et qu'il n'autorise que des chaînes religieuses sûres comme Vision TV.

Aimeriez-vous que ce soit entièrement libéralisé, qu'il y ait des chaînes religieuses différentes et que chacun puisse exprimer son point de vue?

Mme Landolt: Toute personne qui dispose de l'infrastructure, de l'argent, d'un personnel compétent et de la technologie devrait être autorisée à diffuser, et si elle fait faillite, c'est son problème. Si elle gagne un million, tant mieux pour elle. Les possibilités devraient être à la portée de tout le monde. Donnez-en une aux sikhs. Donnez-en une aux musulmans. Ils en ont une aujourd'hui. Mais, vous savez, il faut libéraliser.

Pourquoi sommes-nous tellement restrictifs au Canada? Nous devrions libéraliser. Nous sommes au XXIe siècle, nous ne sommes plus dans les années 30. Nous devons être ouverts d'esprit, nous ne pouvons pas nous limiter à la SRC et à la CTV. Nous devons allons plus loin que cela.

Je veux savoir ce qui se passe en Jordanie. Je veux savoir ce qui se passe au Brésil. Je veux une voix pour les gens au Canada qui s'intéressent à ces pays et à d'autres pays, mais la SRC n'accordera pas ce privilège à ces gens. Le CRTC les garde dans un tout petit espace et ne les laissera pas se diversifier.

Le sénateur Trenholme Counsell: Madame la présidente, collègues, représentants de REAL Women, je pense être une vraie femme, mais je ne sais pas si je fais partie de votre organisation.

Vous vous exprimez ici au nom d'une organisation dont je ne sais pratiquement rien. J'aimerais que vous nous dites le nombre de femmes que vous représentez au Canada, la plage d'âge, la répartition géographique et la répartition des niveaux d'instruction et des niveaux professionnels, s'il y a lieu.

Quelle est votre réaction face aux nombreux programmes de la SRC, car je suis autant pour la SRC que vous êtes contre elle.

La SRC a de nombreux programmes auxquels le public participe; le meilleur est peut-être Cross Country Checkup qui donne la parole à n'importe quel Canadien. Il y a des programmes à midi, notamment au Canada atlantique. L'émission dure une heure et demie. Il y a aussi de nombreux programmes publics. Il y a des émissions à sujet politique au moins un matin par semaine. Il y en a aussi à l'heure du souper et quelquefois plus tard dans la soirée. Ces tribunes représentent les trois principaux partis politiques du Canada anglais ainsi que les partis du Québec.

Que pensez-vous de ces programmes très ouverts?

Mme Landolt: Nous avons été constitués en vertu d'une loi fédérale en 1983. Notre organisme est caritatif et sans but lucratif; toute personne qui a les mêmes valeurs peut en devenir membre. Nos valeurs sont des valeurs traditionnelles. Nous ne sommes tout simplement pas d'accord avec beaucoup de positions féministes radicales, que ce soit la pornographie ou un programme national de garderies.

La religion et l'âge ne sont pas des critères d'adhésion à notre organisation, nous ne posons pas ce genre de questions à nos membres. S'ils soutiennent nos valeurs, nous les acceptons. Nous savons que nous avions un groupe de femmes musulmanes à Ottawa. Nous avons des femmes inuites. Nous avons des femmes métisses d'Edmonton. Nous avons une grande diversité de femmes. Certaines sont maîtresses de maison. Certaines ont poursuivi des études. Je suis avocate. Nous avons même une pilote de l'aviation commerciale.

Le sénateur Trenholme Counsell: Combien de membres avez-vous?

Mme Landolt: Nous avons 55 000 membres et nous ne recevons pas un seul sou du gouvernement. Il y a 27 ans que nous existons grâce au soutien de nos membres, ce qui est très différent des groupes féministes radicaux qui n'existeraient sans les programmes de promotion de la femme et sans l'argent que leur verse le secrétaire d'État.

Nous existons simplement parce que nos membres aiment ce que nous faisons. C'est un bon exemple d'organisation populaire. La religion, l'âge ou l'éducation ne sont pas des critères d'admission dans notre organisation.

Le sénateur Trenholme Counsell: Ma question ne concernait pas la religion. Ma question concernait la plage d'âge ou l'éducation. Combien de membres avez-vous dans le Canada atlantique?

Mme Landolt: Je ne sais pas. Je ne m'occupe pas des membres. Je crois que l'Ontario compte le plus de membres simplement parce que la population y est plus grande. Nous avons des membres de la Colombie-Britannique jusqu'aux Maritimes. Je n'en connais simplement pas le nombre.

La présidente: Je me demande si vous pourriez nous envoyer quelques renseignements concernant vos membres. Ce type d'information est toujours très utile lorsqu'on entend des représentants de groupes tels que le vôtre.

Mme Landolt: Oui, seulement nous avons toujours dit que nous ne ferions jamais de sondage auprès de nos membres. Nous n'avons jamais, jamais fait de sondage.

La présidente: Nous ne vous demandons pas de violer le droit relatif au respect de la vie privée, mais de nous communiquer les renseignements que vous avez, par région. J'aimerais aussi savoir combien de membres se sont inscrits d'eux-mêmes et combien se sont inscrits par l'entremise d'autres groupes.

Mme Landolt: Oui, nous avons beaucoup de groupes comme les femmes musulmanes. Les Métis sont aussi un groupe. Il se pourrait qu'il y ait une ligue de femmes catholiques de Calgary. Nous avons aussi des groupes qui sont membres.

C'est tout ce que je peux vous dire, car je ne m'occupe pas de l'administration. Je suis assez occupée avec les aspects juridiques et politiques de l'organisation.

Le sénateur Trenholme Counsell: Que pensez-vous du programme très ouvert où tout le monde peut exprimer son point de vue?

Mme Landolt: Je suis très heureuse que vous me posiez cette question, car j'ai participé à programme supposément «ouvert». Je vous donne un exemple: J'ai téléphoné à Cross Country et je voulais dire quelque chose à propos d'un problème, l'opératrice m'a demandé de décrire ma position par rapport au sujet discuté. Je lui ai donné la position opposée à ma vraie position. D'un seul coup, j'étais sur les ondes. Je vous en prie, ne me dites pas que c'est ouvert. Ce n'est pas vrai. Ils veulent quelqu'un qui donne certains points de vue. Je suis l'exemple parfait de quelqu'un qui a essayé d'être entendu à Cross Country Checkup et la seule façon de me faire entendre était de leur dire un point de vue opposé à ce que je pense. Ils étaient furieux quand j'ai exprimé mon vrai point de vue sur les ondes.

Nous ne pouvons pas nous faire entendre. Nos membres l'ont dit maintes et maintes fois: il ne sert à rien de téléphoner. Ils ne veulent pas nous écouter. Ils demandent notre point de vue sur la question. Si l'on veut être sur les ondes, il faut donner un point de vue opposé.

Nous avons déjà eu des problèmes avec les programmes publics. Un programme public sur une question très délicate que nous ne mentionnerons pas a été retiré de l'Université de Toronto. Ils avaient tous un seul point de vue.

Je vous donne un exemple de tribune politique montrant différents points de vue. Le très regretté, Peter Gzowski, et le plus important programme Morningside était extraordinairement populaire. Chaque semaine, il recevait un groupe d'experts de tous les partis politiques. Et bien, chacune des personnes qu'il choisissait pour représenter ce parti était de gauche comme vous pouvez l'imaginer. Eric Kierans représentait le Parti libéral et Stephen Lewis le NPD. Ils sont de gauche. Ils sont tous membres de partis différents, bien sûr, mais ils ont tous une opinion de gauche. C'était une rencontre très heureuse tous les mercredis matins quand ils étaient tous d'accord. Ce n'est pas un programme diversifié.

Je ne suis pas convaincue que ce soit «ouvert» comme vous dites. Notre expérience montre que ce programme n'est ni diversifié ni tolérant.

Je vous raconte une autre histoire. Quand, il y a 15 ans, Marc Lépine a tué des femmes, la radio et la télévision de la SRC m'ont téléphoné pour savoir si je pensais que toutes les femmes étaient en danger. J'ai répondu que M. Lépine était un déséquilibré et que je n'avais aucune crainte. Ils ont ensuite demandé si je m'inquiétais pour mes deux filles qui fréquentaient l'université à l'époque. Quand j'ai répondu que je n'avais pas peur pour elles, ils ont raccroché. Ils ne voulaient plus me parler parce que je n'exprimais pas la position du parti. Je n'entrais pas dans leur jeu qui consistait à dire que cette violence contre les femmes représentait de manière générale un danger pour toutes les femmes. Ce n'était pas mon point de vue en tant que femme et en tant que mère d'étudiantes à l'université. Je n'étais pas politiquement correcte.

Ce n'est qu'un exemple parmi des millions. Je suis là depuis longtemps. Je sais que je parais très jeune, mais c'est très trompeur. Je n'arrête pas de me rendre compte que la voix des femmes conservatrices n'est simplement pas représentée à la SRC ou dans ces autres programmes.

Le sénateur Merchant: Je ressens beaucoup de frustration dans ce que vous dites. Étant originaire de l'Ouest, je dois dire que beaucoup d'entre nous doivent être d'accord avec vous, car très peu de gens écoutent la SRC. Un plus grand nombre de gens écoutent ou regardent Global et encore plus écoutent ou regardent la CTV et cela doit indiquer un certain contact avec le public. Je suis d'accord avec une bonne partie des choses que vous avez dites.

Avez-vous fait des études sur la partialité des journalistes?

Mme Landolt: Nous avons consulté des études faites et les avons incluses dans l'exposé qui vous a été remis. Une fois de plus, je sais que vous êtes occupés, mais la lecture de ces études serait utile et répondrait très bien à votre question.

Mme Lorraine McNamara, présidente nationale, REAL Women of Canda: Puis-je intervenir?

Hier soir, j'ai navigué sur Internet et j'ai cherché «média partialité Canada». J'ai trouvé beaucoup de sites portant sur la partialité des médias au Canada et la plupart des plaintes portaient sur que l'on n'entendait pas de voix conservatrice. J'ai vu une plainte disant qu'une voix libérale n'était pas entendue et cela à cause de l'arrivée de FOX News au Canada, une idée évidemment horrible aux yeux de cette personne.

Soit les partisans de la gauche ne maîtrisent pas l'ordinateur soit ils ne l'utilisent pas beaucoup ou alors il y a énormément de conservateurs qui maîtrisent bien l'ordinateur, car ils étaient les plus représentés sur Internet. La plupart des plaintes venaient de conservateurs mécontents des médias en général et du CRTC et de la SRC en particulier.

Le sénateur Merchant: J'ai lu une étude faite par le Consortium canadien de recherche sur les médias; ce Consortium est composé de chercheurs du programme d'études supérieures en journalisme de l'Université de la Colombie-Britannique, du programme conjoint d'études supérieures des communications et de la culture de York- Ryerson et du programme des communications de l'Université de Laval. Ils ont interrogé 3 012 Canadiens pour avoir leur avis sur les nouvelles et leur degré de crédibilité vis-à-vis des nouvelles qu'ils reçoivent. Ce sondage examine les questions de crédibilité et de confiance envers les médias et compare les comportements et les perceptions des Canadiens par rapport aux médias à ceux des Américains.

Je dirai très rapidement que ce que nous voyons aux nouvelles dépend de la préférence des journalistes et que 80p.100 des Canadiens pensent que les reportages manquent d'objectivité.

Les résultats d'autres études faites sur la partialité au plan politique dans les reportages sont similaires. Cinquante- trois pour cent croient qu'il y a une partialité au plan politique dans les reportages. Dans l'Ouest canadien, les gens ont le même comportement, vous n'êtes donc pas seuls.

M. Wilkes a fait le lien entre la programmation locale et l'apathie des électeurs. Je crois qu'il a mentionné un taux de participation de 28p.100 aux élections.

Qu'en pensez-vous? Y a-t-il un lien entre ce que nous entendons et l'apathie des électeurs?

Mme Landolt: J'entends les gens dire: «À quoi bon?» On les bombarde de tellement d'informations que souvent la première réaction est de dire: «Je ne crois pas à cela, je ne suis pas d'accord.» Je crois que les électeurs pensent que tout est retourné contre eux. Ce sont des gens normaux et laborieux dont la vie est axée sur la famille, qui paient leurs impôts, des gens honnêtes. Je ne veux pas dire qu'ils sont tous des dirigeants et très éduqués, mais leur première réaction est de dire: «Il n'y a aucun rapport avec ma vie et mes valeurs.»

Je vous renvoie à la National Media Archive, page 3 de mon exposé, qui a effectué l'analyse pendant 25 ans de la SRC et de la CTV et a constaté qu'en ce qui avait trait à des enjeux majeurs, la couverture médiatique n'est pas équilibrée dans la mesure où les journalistes canadiens ont tendance à appuyer les positions de centre gauche. On retrouve le même point de vue dans le livre Hidden Agendas: How Journalists Influence the News.

Je pense que les Canadiens estiment que leurs opinions ne sont pas exprimées et qu'on ne les écoute pas, donc, peu importe qui est élu. Cela leur importe peu, car ça fait complètement partie de la bureaucratie qui leur ordonne d'obéir.

Je ne pense pas que les Canadiens sont stupides. Je pense qu'ils sont très intelligents. Ils ont conscience de ce qui se passe et en sont mécontents.

Le sénateur Di Nino: Il semble que le sujet de la discussion est passé au manque de réponse de la SRC.

Mme Landolt: Et aussi du CRTC.

Le sénateur Di Nino: Vous mentionnez dans votre exposé, la façon dont les journalistes anglophones ne représentent pas l'ensemble de la population. À la fin de l'exposé, vous donnez toutes sortes d'exemples différents et vous suggérez que la partialité se reflète dans les reportages. Vous dites que cette partialité n'existe pas seulement à la SRC. Vous semblez dire qu'on le retrouve dans les médias en général, que ce soit dans d'autres stations de télévision ou d'autres réseaux, journaux ou magazines. Est-ce exact?

Mme Landolt: Oui. Ils n'ont pas mentionné précisément la SRC, mais vous constaterez à la fin qu'ils visent particulièrement la SRC.

Le sénateur Di Nino: Oui. Je m'en suis rendu compte.

Mme Landolt: Je pense que c'est dans la partie réservée à la SRC qu'ils indiquent la partialité de la SRC. C'est vrai. Un bon nombre de journalistes ont commencé à travailler dans les années 60 et 70 et ils vivent dans le passé. Ils ne s'adaptent pas au changement.

En tant qu'êtres humains, nous pouvons évolué dans tous les domaines, dans la façon dont nous pensons, ce que nous croyons et la façon dont nous changeons. Même les radiodiffuseurs très à gauche devraient être autorisés à avoir une station. Cela devrait être vrai aussi pour un conservateur, un groupe religieux ou un groupe féministe. Tout le secteur devrait être ouvert.

Le sénateur Di Nino: Que devons-nous faire pour changer cette situation? Commençons-nous par demander aux gens, quand ils font une demande, leurs tendances politiques et religieuses? C'est un problème qui semble insoluble si nous devons respecter la Charte et le droit relatif au respect de la vie privée.

Vous avez cité quelques exemples de journalistes qui sont plus susceptibles d'avoir telles prises de décision politique, tels modes de vie, etcetera. Suggérez-vous que nous pourrions changer cela en ajoutant dans la demande des questions du genre: Êtes-vous gai ou hétérosexuel, chrétien ou musulman, vieux ou jeune, néo-démocrate ou conservateur? Je ne sais pas. Quelle est la solution?

Mme Landolt: Eh bien, je pense qu'il faut le faire au moment de l'embauche. Vous avez raison. Comment embaucher? Évidemment, on ne peut pas demander à quelqu'un s'il est musulman ou gai. Ce serait inapproprié.

Le sénateur Di Nino: C'est impossible. Nos lois ne permettent pas de poser de telles questions.

Mme Landolt: De toute façon, on ne voudrait pas les poser, lois ou pas. Je pense que le problème peut être réglé au moment du recrutement de ces personnes. Une solution peut être trouvée dans le système d'enseignement qui est libéral. Il n'y a pas d'autre solution. J'ai cinq enfants qui étudient à l'université. Je sais qu'ils sont très libéraux et pourtant le problème pourra se corriger avec le temps. Je constate qu'un grand nombre de jeunes sont plus conservateurs. Je peux voir qu'un changement s'effectue dans la société et il n'est pas encore arrivé à maturité.

Le sénateur Di Nino: Pensez-vous qu'il se règlera de lui-même?

Mme Landolt: Je ne dis pas qu'il se règlera de lui-même. Vous voyez, tout est supposé être équilibré dans une salle de presse, tout sauf la politique. Vous pourrez leur demander quel est leur parti pris politique et cela peut faire la différence. Vous pouvez leur demander s'ils sont néo-démocrates, libéraux ou autre chose.

Il y a un équilibre dans la salle de presse au niveau du nombre requis de gais, de personnes de race noire, de musulmans, mais personne ne demande s'il y a un nombre requis d'opinions politiques équilibré. C'est une question qui devrait être posée. Demander à quelqu'un ce que sont ses opinions politiques ne va pas à l'encontre de la loi. Nous devrions chercher à établir un équilibre politique dans nos salles de presse et auprès de nos journalistes.

Le sénateur Di Nino: Permettez-moi de vous poser une autre question sur la représentation de la diversité, y compris la diversité religieuse. Je ne pense pas que vous suggérez que la SRC devrait avoir dans son mandat certains programmes chrétiens, juifs et bouddhistes. Est-ce bien cela?

Mme Landolt: Non.

Le sénateur Di Nino: La réponse est «non.» Donc, vous dites que ceux qui souhaitent exprimer un point de vue particulier devraient avoir la possibilité de créer leurs propres chaînes?

Mme Landolt: Oui.

Le sénateur Di Nino: Vous croyez qu'ils devraient pouvoir créer leurs propres moyens, créer leurs propres journaux, etcetera?

Mme Landolt: Absolument.

Le sénateur Di Nino: Au lieu d'imposer aux réseaux et aux journaux certaines restrictions ou certaines règles?

Mme Landolt: Oui. C'est exactement ce que nous pensons.

Le sénateur Di Nino: Voulez-vous dire que si vous aviez suffisamment d'argent et que vous vouliez lancer une station, vous devriez pouvoir vous le faire et prêcher votre conception du canadianisme sur les ondes à condition de respecter les lois du pays, sans diffamation ni actes illégaux ou immoraux tel que les définit notre système?

Mme Landolt: Oui, exactement, et cela ferait un pays réellement canadien. Si cela était le cas, nous ne nous sentirions plus réprimés.

Le sénateur Di Nino: Cela devrait-il s'appliquer à la politique, à la religion et à l'appartenance ethnique?

Mme Landolt: Oui, l'idéologie, n'importe quoi. Nous devrions simplement être libres et ouverts.

Le sénateur Di Nino: Donc le CRTC devrait être changé pour pouvoir mettre cela en place.

Mme Landolt: Oui et pour surveiller les gens. Il doit accorder des licences aux gens qui ont l'argent et l'expérience requis, quels que soient les critères, et c'est tout ce qu'il devrait faire.

Le sénateur Di Nino: En supposant qu'ils ont les compétences et les ressources nécessaires pour faire ce travail.

Mme Landolt: Oui, et le CRTC ne devrait pas pouvoir limiter ce que nous pouvons voir et faire. C'est, à notre avis, le problème majeur du CRTC. Ce ne sont que des bénéficiaires de nominations politiques qui n'ont pas à nous dire ce que nous pouvons voir.

Le sénateur Di Nino: Je tiens à dire que je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point. Ils ont une légitimité, car la loi de notre pays le permet. Si cela doit être changé, ça peut être changé.

La présidente: «Que 100 fleurs fleurissent, que 100 écoles compétitionnent.»

Le sénateur Munson: Vous dites que votre groupe est conservateur et traditionnel, que les portes doivent s'ouvrir, que les voix doivent se faire entendre et que tout le monde puisse avoir 500 chaînes. Dans une telle situation, il pourrait y avoir une chaîne sur le mariage de deux personnes du même sexe.

Mme Landolt: Nous avons Pride TV qui traite des relations entre partenaires de même sexe, alors pourquoi ne pouvons-nous pas avoir une chaîne traditionnelle qui traite de l'importance du mariage traditionnel? S'ils veulent le faire et perdre de l'argent, qu'ils le fassent.

Le sénateur Munson: Je sais que cela n'a rien à voir avec notre étude, mais le programme national de garderies a fait l'objet d'une discussion au commencement de notre comité. Êtes-vous contre le programme national de garderies?

Mme Landolt: Notre organisation s'y oppose. Ni la SRC ni tout autre réseau ne nous a demandé la raison pour laquelle nous ne voulons pas un programme national de garderies. Aucun média ne nous a posé de questions sur le programme national de garderies. Nous sommes des femmes et des mères et nous ne voulons pas de programme national de garderies.

Le sénateur Munson: C'est un sujet tout à fait différent.

La présidente: Oui.

Mme Landolt: Avez-vous entendu notre opinion sur ce sujet?

Le sénateur Munson: La réponse pourrait être simplement de demander au secteur privé de vous poser la question et ils pourront faire un article sur votre position.

Mme Landolt: Sénateur Munson, avez-vous entendu notre opinion sur la SRC ou la CTV? Pourquoi cette approche conservatrice concernant le programme national de garderies n'est pas entendue au Canada? C'est un très bon exemple.

Le sénateur Munson: Eh bien, si je travaillais encore, je vous poserais la question. Je ferais un article sur votre opposition au programme national de garderies.

Mme Landolt: J'aimerais bien que l'on me pose la question.

La présidente: Parlons en tant que mère, je suis aussi fascinée par ce sujet, mais nous manquons de temps.

Mme Landolt: Oui.

La présidente: Et je m'en excuse. Merci beaucoup d'être venue.

Le sénateur Tkachuk: Ce n'est pas une surprise, madame la présidente, si des gens s'opposent au programme national de garderies.

La présidente: Je n'ai pas dit ce que je pensais à ce sujet.

Le sénateur Tkachuk: Il en a été très surpris. Un programme national de garderies, et alors? Qui s'en soucie?

La présidente: Nous pourrions avoir des audiences jusqu'à mardi prochain à ce sujet.

Le sénateur Munson: Je m'en soucie toujours.

La présidente: Nous vous sommes extrêmement reconnaissants, madame McNamara et madame Landolt.

Mme Landolt: Ce fut un plaisir.

La présidente: Je m'attends à ce que d'une façon ou d'une autre vous vous représentez devant les comités sénatoriaux.

Mme McNamara: Au moins, on nous a écoutées ici.

La présidente: Honorables sénateurs, notre prochain témoin est M. Paul Winkler, qui se présente aujourd'hui à titre personnel. Merci beaucoup d'être venu.

M. Paul Winkler, témoignage à titre personnel: Merci de m'avoir invité à parler aujourd'hui.

La plus grosse affaire canadienne de l'année passée concernait Conrad Black et sa chute de la tête de son empire médiatique international. D'innombrables articles et reportages ont été écrits dès l'éclatement de l'affaire suite aux enquêtes d'une société de placement américaine Tweedy, Browne au printemps de 2003. Et j'en suis heureux, toutefois, il y a longtemps que l'on aurait dû parler de cette affaire. À ce jour, je suis la seule personne qui les a poursuivis en justice avec succès, en mettant en lumière les questions qui sont au cœur des affaires dont sont saisies les tribunaux aujourd'hui.

J'ai été frustré et déçu, au cours des cinq dernières années, par de nombreuses institutions canadiennes, y compris les médias, le Bureau de la concurrence et des organismes de réglementation du commerce des valeurs mobilières.

Mon histoire permet de voir ce qui se arrive quand une entreprise médiatique contrôle la plupart des médias dans une région ou dans l'ensemble du pays. Dans ce genre de situation, les journalistes détestent couvrir cette firme ou y mener des enquêtes car ils risquent souvent de perdre leur emploi.

Je me suis aussi rendu compte que le Bureau de la concurrence doit être clair à propos de ce qu'il permet ou non au plan de la propriété croisée. Je crois aussi que leur mécanisme d'application a besoin d'amélioration.

Je suis un ancien directeur de journal qui a refusé de coopérer avec mon employeur, Hollinger International Inc., sur des questions liées à l'éthique, au droit de la concurrence et à la Loi sur les valeurs mobilières. J'ai été licencié en 1999 du poste d'éditeur de Capital News de Kelowna et du poste de directeur général du groupe de journaux Okanagan dont le siège est à Kelowna, C.-B. J'ai été obligé à engager des poursuites pour obtenir des dommages et intérêts contre une entreprise qui a essayé de dépenser plus que moi en frais d'avocat afin de me réduire au silence.

Mon épouse, une journaliste qui travaille dans un des journaux, a aussi perdu son emploi suite à mon action. Nous étions tous les deux au chômage avec quatre enfants de moins de 13 ans à la charge. Pour couronner le tout, Hollinger Inc. a répliqué pour m'intimider, je crois.

En plus, les directeurs de Hollinger International Inc. ont questionné deux de mes témoins, qui continuent à travailler pour des journaux appartenant à Hollinger, au sujet de leur témoignage avant le procès. Bien qu'ils aient été intimidés, ils ont courageusement comparu au tribunal et ont dit la vérité. D'autres témoins ont refusé de témoigner par crainte de représailles ou d'être mis sur une liste noire.

J'ai persévéré et deux ans plus tard, il y a eu un procès qui a duré huit jours en Colombie-Britannique. Sept mois plus tard, les juges se sont prononcés en ma faveur. J'ai remporté une victoire écrasante et on a reconnu que je respectais de hautes normes d'éthique. J'ai reçu une année de salaire auquel j'avais droit en vertu de mon contrat, un petit recouvrement de fonds comparé à mes frais d'avocat et la période durant laquelle j'étais au chômage, mais important, à mon avis, car j'ai pu exposer David Radler et Conrad Black. Après tout, c'était au cours de mon procès qu'a été établi pour la première fois le fait qu'ils étaient propriétaires de Horizon Publications Inc. et, par conséquent, il y avait conflit d'intérêts.

Leur participation dans Horizon Publications Inc. est aujourd'hui au cœur d'un bon nombre de poursuites judiciaires qui leurs ont intentées. À l'époque, Hollinger Inc. était la plus grande entreprise médiatique au Canada et la troisième plus grande chaîne de journaux au monde. On aurait pu penser que les grandes entreprises médiatiques canadiennes s'empresseraient de s'en prendre à M. Black et à M. Radler, deux magnats des médias bien connus pour leurs actions douteuses et impitoyables. Ce ne fut pas le cas.

The Globe and Mail et The Vancouver Sun ont mentionné ma victoire devant les tribunaux en 2002. Je leur ai demandé de fouiller davantage les malversations, mais ils ne l'ont pas fait. Un journaliste de la station de télévision locale de Kelowna était présent la plupart du temps à mon procès pour congédiement injustifié et il a même interviewé certains de mes témoins à l'extérieur de la salle du tribunal.

À ma connaissance, cette station CanWest n'a rien diffusé. Était-ce parce que M. Radler et M. Black étaient membres du conseil d'administration de CanWest à l'époque?

J'ai envoyé une copie de mon jugement et des renseignements supplémentaires à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, qui a répondu moins d'un jour après, en disant qu'ils n'avaient constaté aucune infraction aux valeurs mobilières et qu'ils ne pousseront pas l'affaire plus loin.

Je n'aurais pas dû être surpris par le fait que personne ne semblait intéressé. Avant que mon affaire fût portée en jugement, j'avais présenté plusieurs preuves concernant l'implication de M. Radler et de M. Black avec Horizon Publications Inc. à d'innombrables médias, à des politiciens locaux, à une école de journalisme et à un organisme de surveillance des médias. J'ai même demandé à quelqu'un de poser des questions précises au sujet de Conrad Black à l'assemblée annuelle de Hollinger Inc. en2000.

Des stations de radio de la SRC à Kelowna ont dit qu'elles feraient un reportage, mais elles ne l'ont pas fait. Des informations ont été présentées à la Presse canadienne à Vancouver, mais ils ont dit qu'ils n'étaient pas prêts à couvrir l'affaire car, à cette époque, Hollinger Inc. contrôlait la Presse canadienne.

Même le syndicat SCEP, qui représentait les employés du journal Daily Courier de Kelowna appartenant à Horizon, savait que M. Radler et M. Black étaient impliqués dans Horizon Publications Inc. Le syndicat était obligé d'accepter un contrat avec Horizon à cause des menaces de fermeture de leur journal si les employés n'acceptaient pas un contrat de cinq ans, sans augmentation de salaire pendant les trois premières années puis une augmentation annuelle de un pour cent pour chacune des deux dernières années.

Afin de sauvegarder les emplois des employés qu'il représentait, le syndicat a renoncé à dire publiquement que M. Radler et M. Black contrôlaient secrètement le journal de Horizon et qu'il ne pouvait rien faire car Hollinger Inc. était propriétaire du journal concurrent Capital News.

Un journaliste de l'un des journaux nationaux a écrit dans un courriel que si son emploi était menacé, il n'aurait probablement pas entamé des poursuites comme je l'ai fait. Je suis convaincu que pratiquement tous les directeurs importants des journaux canadiens savaient que Horizon Publications Inc. servait de paravent à M. Radler et M. Black, pourtant personne ne s'est donné la peine de faire une enquête afin de les exposer.

Pourquoi? Par crainte des litiges, à cause du scepticisme quant à l'étendue de leur duplicité présumée, du manque de preuve solide, du besoin ou de l'envie de faire des affaires avec M. Radler ou M. Black ou à cause de l'emplacement, Kelowna en CB? Je l'ignore encore.

Non seulement je n'ai pu convaincre personne au Canada de faire un reportage sur ce qui s'est passé, mais j'ai eu du mal à trouver du travail à cause du contrôle que M. Radler et M. Black exerçaient sur l'industrie canadienne à l'époque. Il y avait très peu d'emplois dans ma spécialité, c'est-à-dire la direction générale de chaînes de journaux communautaires.

Bob Calvert, directeur de CanWest, est responsable de la plupart de leurs journaux suite à l'acquisition des journaux de Hollinger Inc. par CanWest en 2000. Il m'avait dit que ma situation s'améliorera. Très peu de temps après, il m'a téléphoné pour me dire: «Je ne peux pas vous parler, car vous savez qui est impliqué.» M. Radler et M. Black étaient membres du conseil d'administration de CanWest à cette époque.

Plus tard, le directeur financier de M. Calvert m'a dit que ce dernier voulait que je sois président d'un groupe de publications de 1 000 employés dans la vallée du bas Fraser, mais que le famille Asper qui contrôle CanWest a refusé, car elle ne voulait pas avoir de problème avec Radler. C'était le même poste que Hollinger Inc. voulait que j'occupe avant l'affaire.

Deux autres postes d'éditeur de journal ont été offerts au Canada, mais dans les deux cas il semblait probable que Hollinger Inc. ou Horizon Publications Inc. allait acheter ces journaux. Nous avons failli déménager aux États-Unis avant de décider de revenir en Ontario où je dirige une petite compagnie de publication de magazines qui compte dix employés et dans laquelle j'ai une participation minoritaire.

L'affaire Hollinger/Horizon a finalement éclaté durant l'été de 2003 quand le Chicago Tribune a commencé à enquêter et envoyer un journaliste pour m'interviewer. Ils ont fait le travail que les médias canadiens n'ont pas réussi à faire. Ils ont publié un article en première page de leur journal du dimanche.

Dans les mois qui ont suivi, j'ai été interviewé par le Wall Street Journal, le New York Times, le Times of London, la télévision de la BBC, le réseau radiophonique de la SRC et il y a eu plusieurs articles dans le Globe and Mail et le Vancouver Sun. D'un seul coup, l'histoire était importante.

Sur le plan personnel, cette expérience a été beaucoup plus difficile que je l'imaginais au tout début. J'ai reçu très peu de soutien surtout dans l'industrie. J'ai senti que la plupart des gens qui travaillent dans les médias pensaient que j'avais réagi de façon excessive et se demandaient pourquoi je laissais filer une promotion ou pire encore, pourquoi je mettais ma carrière en jeu pour quelque chose qui leur semblait banale ou trop bizarre pour être vraie.

La plupart de mes amis et des membres de ma famille m'ont déconseillé d'entamer des poursuites judiciaires, étant que le plus faible gagne rarement, en plus il s'agissait de Conrad Black et de David Radler qui n'avaient jamais perdu de procès.

Pour résumer, j'ai appris qu'un trop grand nombre de gens, surtout dans les médias d'aujourd'hui, mettent le profit, leur propre intérêt et leur instinct de conservation au-dessus de ce qui est juste. Il y a souvent quelques personnes hors du commun qui risqueront tout pour dire la vérité, et c'était certainement le cas de plusieurs de mes témoins. Sans eux, je suis sûr que j'aurais perdu le procès.

Quand une industrie est dominée par une seule entreprise, ou dans le cas des journaux, lorsqu'un petit nombre d'entreprises se partagent la plus grande partie du gâteau, la possibilité de mesures abusives augmente considérablement, les dénonciateurs risquent leur travail sachant qu'ils peuvent ne jamais travailler de nouveau dans leur domaine.

Le problème est quelque peu systémique puisque pour être concurrentiel dans le secteur des médias aujourd'hui, il faut être grand. De manière générale, les grandes entreprises sont cotées en bourse et les directeurs ne peuvent garder leur emploi et leurs importantes rémunérations à base d'actions que s'ils continuent à augmenter les revenus. La façon la plus rapide d'augmenter les revenus est d'éliminer la concurrence.

En tenant compte de cela, j'aimerais faire quelques remarques sur le Bureau de la concurrence, puisqu'il est inscrit dans vos délibérations. Au cours de ma carrière, le Bureau de la concurrence a joué un rôle important, bien que déconcertant et apparemment incohérent.

J'ai commencé à prendre des notes à Kelowna quand mon supérieur m'a fait part de l'achat par Horizon de mon concurrent le Daily Courier au printemps de 1999. Sachant qu'il y avait un lien entre mon entreprise, Hollinger Inc. et Horizon Publications Inc. J'ai mentionné le Bureau de la concurrence et on m'a dit que cette situation n'était pas assez importante pour le Bureau. Voulaient-ils dire que le Bureau ne remarquera pas ou que ce n'était pas suffisamment important pour qu'il s'en préoccupe?

Le Bureau de la concurrence m'a très vite contacté après mon licenciement de chez Hollinger Inc. en décembre 1999. Ils semblaient intéressés de savoir ce qui s'était passé. J'ai rencontré l'un de leurs enquêteurs au mois de janvier 2000. Dix-huit mois plus tard, Hollinger Inc. a vendu mon ancien journal à cause de l'intérêt du Bureau de la concurrence, bien que celui-ci n'ait jamais déclaré son implication.

Au lieu de le vendre à plusieurs journaux légitimes qui étaient intéressés à l'acheter, Hollinger Inc. l'a vendu au beau- père de Todd Vogt, le président de Horizon Publication Inc., et à deux amis de Vogt. Le prix de vente ne s'élevait qu'à une fraction de la valeur du journal.

En dépit du fait que j'avais protesté en disant que ce n'était pas une transaction sans lien de dépendance, l'affaire a été conclue et est aujourd'hui documentée dans un document de 513 pages sur la kleptocratie déposé par Hollinger International Inc. avec le SCEP. Ces propriétaires de complaisance ont empoché environ 15 millions de dollars avant impôts en n'ayant pratiquement rien fait.

La plupart des éditeurs de journaux n'ont aucune idée de ce que le Bureau de la concurrence autorisera ou non. À mon avis, dans plusieurs cas, c'est un processus qui repose sur les plaintes. À Kelowna, le Bureau a réagi et a déclaré qu'un groupe ne pouvait pas être propriétaire à la fois du quotidien et du journal publié trois fois par semaine. Cela se passait en 2001. L'année dernière, Torstar Corporation et Osprey Media ont conclu un accord concernant Kingston This Week qui appartenait à Torstar et qui était publié trois fois par semaine. Ils l'ont vendu à Osprey Media, propriétaires de Kingston Whig-Standard, qui a maintenant les deux journaux.

Les quotidiens de marchés à faible densité peuvent faire des profits scandaleusement élevés, même s'ils n'atteignent que 40p.100 des ménages à condition qu'il n'y ait pas de tirage vérifié des journaux communautaires.

Étant donné que pratiquement tous les journaux canadiens appartiennent aujourd'hui à des géants médiatiques cotés en bourse, la concurrence est éliminée chaque fois que c'est possible par le biais d'un échange ou d'une transaction qui rationalise les marchés et élimine la concurrence.

Les propriétaires affirment que les journaux communautaires et les petits quotidiens visent un lectorat et des auditoires d'annonces publicitaires différents. Ce n'est pas vrai. À Kelowna, nous nous battions pour chaque dollar pour la publicité, pour chaque reportage et chaque lecteur.

Le Morning Star, un journal publié trois fois par semaine à Vernon, au nord de Kelowna, compte le plus grand nombre de lecteurs au pays. Pratiquement tout le monde le reçoit et pratiquement tout le monde le lit. C'est une excellente façon d'informer la communauté et d'encourager les enfants à lire. Ils se sont imposés dans le marché en utilisant la méthode classique, en se lançant dans la concurrence avec une équipe formidable et un dévouement important. L'ancien quotidien de Thompson a fermé ses portes en 1996. Horizon a essayé en 1999 de lancer un nouveau quotidien, mais il a aussi fermé ses portes.

Le Bureau de la concurrence doit faire une mise au point. Il existe encore de nombreux marchés dans le pays où de petits quotidiens et des journaux communautaires luttent pour survivre. Est-ce qu'une entreprise peut être propriétaire de petits journaux et de journaux communautaires? En se fondant sur ce qui s'est passé, la réponse n'est pas claire et cela ne facilite pas la tâche.

Quand j'étais encore dans l'Ouest, notre vice-président de la publicité m'a dit qu'il était ironique que grâce au succès de notre équipe à Kelowna, M. Radler et M. Conrad Black pouvaient acheter les journaux concurrents à un prix dérisoire et si on ne les retenait pas, ils pourraient rouler nos employés, un grand nombre auraient perdu leurs emplois.

Je suis convaincu qu'ils projetaient de transformer progressivement notre journal en un journal «d'information commerciale», c'est-à-dire un produit sans rédaction, car la meilleure façon de gagner de l'argent, c'est d'être propriétaire des deux types de journaux.

L'adoption de lois visant le contrôle des entreprises médiatiques monopolistiques serait être idéale, mais extrêmement difficile à faire et à appliquer. Le fait est qu'il est déjà trop tard.

Je regrette que même après avoir discuté du mandat du comité avec plusieurs amis éditeurs dignes de confiance, nous n'avons pas de suggestions pratiques, à l'exception du besoin de clarté et de cohérence de la part du Bureau de la concurrence.

Certains pensent qu'il serait bon d'accueillir la propriété par des étrangers, d'autres craignent de perdre le contrôle des médias. Pour résumer ce que je pense, je vais paraphraser ce que le sociologue français, Émile Durkheim, a écrit:

Quand les mœurs sont suffisantes, les lois ne sont pas nécessaires. Quand les mœurs sont insuffisantes, les lois sont inapplicables.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que le Bureau de la concurrence s'est intéressé aux publications de marchés à faible densité comme à Prince Albert, Kelowna ou toute autre ville? Est-ce qu'il s'en soucie vraiment et est-il important qu'il s'en soucie?

M. Winkler: Il fut un temps où ils s'en souciaient. Je n'en ai pas parlé car le temps me manque. Il y a 10 ans, j'étais responsable de tous les journaux communautaires de Southam en Ontario et nous avions un petit journal à Flamborough, en concurrence avec le journal établi.

Notre journal avait été lancé il y a quelques années, il perdait de l'argent et aurait dû fermer ses portes. J'ai pu négocier avec ce concurrent un contrat d'imprimerie qui prendrait effet au moment de la fermeture de notre journal.

Les avocats de Southam m'avaient conseillé de ne pas faire cela par écrit, car nous risquions d'être poursuivi par le Bureau de la concurrence pour avoir réduit la concurrence.

Je sais qu'il y a d'autres marchés où le Bureau n'est pas intervenu. Il a peut-être intervenu à Kelowna, seulement parce que je lui donné des renseignements, et peut-être parce qu'il voulait que ce soit discret. M. Radler et M. Black voulaient cacher cette affaire afin que personne ne sache qu'il n'y avait qu'un seul propriétaire.

Je pense que leur plan était qu'éventuellement, le journal de Hollinger Inc. leur soit vendu en privé, ce qui leur permettrait de contrôler personnellement le marché et de gagner beaucoup de millions de dollars dans un marché où il n'y aurait pas de concurrence.

La concurrence entre les journaux publiés trois fois par semaine et les petits quotidiens dans des marchés comme ceux de Prince George, de Kamloops, de Kingston, de Barrie et de Peterborough peut être une question de vie et de mort; dans la plupart des cas, c'est le quotidien qui disparaît.

Il fut un temps où Vernon, Oakville et Oshawa avaient un quotidien. Face à des journaux communautaires bien financés et qui se vendent bien, le petit quotidien fera faillite, mais si ce quotidien n'a pas de vrai concurrent à l'extérieur et que ce concurrent fera, à un certain moment, partie de la même entreprise, le journal indépendant ne couvrira plus les nouvelles et l'écart entre le quotidien et le journal communautaire se creusera.

Du point de vue du lecteur, le problème est que le journal communautaire peut avoir un lectorat s'élevant jusqu'à 90p.100, ce qui est le cas à Vernon. À Kelowna, nous étions près de ce pourcentage. Un journal d'information commerciale n'atteindra que 50p.100 du lectorat, pour d'autres raisons.

Dans un marché non concurrentiel, un petit quotidien peut avoir un taux de rendement de 40p.100. C'est le cas à St. John's, Terre-Neuve où la concurrence n'existe plus. À Kelowna, par exemple, le quotidien n'était pas rentable parce que nous l'avons essentiellement commercialisé.

Le sénateur Tkachuk: Ne respectons-nous pas une grande tradition canadienne? Je veux dire que Southam Publications Inc. et Thompson Corp. contrôlaient tout à une époque et qu'aujourd'hui, c'est au tour de Conrad Black, de Torstar Corp. et de quelques autres. En quoi est-ce différent d'il y a quelques années?

M. Winkler: Il était possible de lancer un bon nombre de ces journaux concurrents. J'ai bâti ma carrière en faisant la concurrence à des journaux de marché à faible densité de Thompson. C'est ce que nous avons fait à Cambridge et à Guelph. Je l'ai fait, bien que ce soit pour une compagnie sœur, et puis éventuellement pour Southam Publications Inc.

À ma connaissance, Kingston est le premier marché où le Bureau de la concurrence n'est pas intervenu et a permis qu'un seul propriétaire contrôle un marché de cette taille.

On pourrait dire qu'étant donné la diminution du nombre de lecteurs et de journaux en général, la collectivité ne gagne à rien à voir un tel niveau de concurrence, mais il est plus avantageux de maintenir ce quotidien et qu'il n'ait pas à affronter une concurrence démesurée.

Je ne crois pas que cela soit vrai. Je pense qu'il est bon d'avoir ce genre de concurrence, même si j'ai un parti pris. Je pense que les petites collectivités sont mieux desservies par des journaux publiés trois fois par semaine envoyés à tout le monde et qui encouragent la lecture, car les petits quotidiens ne touchent que 40p.100 des foyers.

Le sénateur Tkachuk: Merci.

Le sénateur Di Nino: C'est un sujet très intéressant. Il semble que votre association avec la famille Black vous a permis d'en apprendre énormément sur ce que certaines personnes perçoivent comme étant un problème dans l'industrie.

Il est vrai que l'on parle peu de la propriété et la concentration de la propriété. Avez-vous quelque chose à ajouter sur le problème de la convergence qui existe dans l'industrie à la différence de la propriété des journaux, etcetera?

M. Winkler: J'ai quelques opinions au sujet de la convergence. Elle a échoué en grande partie, mais je ne peux pas dire que j'y ai beaucoup réfléchi dans le cadre de la politique gouvernementale. Tout simplement, plus le contrôle exercé par quelques personnes sur un média est important, plus il est difficile pour d'autres personnes d'intervenir dans ce média. On aurait pu croire que la station de télévision locale aurait été très intéressée à faire un reportage sur mon histoire à Kelowna. Peut-être était-ce pour d'autres raisons, mais il est étrange qu'un de leur journaliste ait été présent durant la plus grande partie de mon procès qui a duré huit jours et qu'il n'y ait pas eu de reportage.

Le sénateur Di Nino: Croyez-vous à l'argument selon lequel lorsqu'il y a convergence, vous pouvez faire une proposition perdante dans un cas volontairement afin de faire de l'argent dans un cas?

Vous semblez avoir vécu cela avec la situation Conrad Black dans le domaine des journaux. Cela pourrait-il se produire dans différents médias?

M. Winkler: J'ai très peu d'expérience dans ce domaine. Nous parlons de convergence entre les médias écrits et les médias électroniques, et je ne pense pas qu'il y ait une raison qui pousserait quelqu'un à faire une perte dans un secteur de l'entreprise afin de faire des gains dans un autre secteur. Les stations de télévision locale ne sont pas directement en concurrence avec les journaux locaux; du point de vue de la concurrence, je crois que ce sont davantage les journaux qui sont en concurrence. La radio et la télévision ont tendance à avoir leur propre auditoire et les journaux ont un auditoire différent. Ce qui est préoccupant, c'est que si les reporters commencent à hésiter de présenter des reportages sur des questions d'affaire qui doivent être divulguées.

Le sénateur Di Nino: C'est assez juste. Les journaux sont l'un des outils les plus utiles pour la diffusion des nouvelles, pour le divertissement, l'éducation, etcetera. De quelle manière le cyberespace aura-t-il un effet sur cette industrie?

M.Winkler: Je crois qu'ils vont travailler ensemble. Le modèle idéal que j'ai en tête pour les collectivités de taille moyenne est que tout le monde ait un journal. Les circulaires sont une importante part du commerce aujourd'hui. La combinaison d'un portail local de bonne qualité et d'un journal qui parait trois fois par semaine et qui est lu par tout le monde est la meilleure manière de servir une collectivité que d'un quotidien, qui va, dans le cas de Kelowna, dans 25p.100 des maisons.

Le sénateur Di Nino: Croyez-vous que les deux peuvent fonctionner ensemble?

M. Winkler: Oui, mais je crois que le vieux modèle que les entreprises de journaux ont construit ne fonctionne plus. C'était une relation symbiotique entre les lecteurs et les publicitaires, et il n'était pas possible de conserver cette relation si vous insistez pour faire payer les lecteurs. Cela ne réussira pas, et par conséquent, la publicité doit être retirée. Les publicitaires d'aujourd'hui veulent atteindre tout le marché.

Au début de ma carrière, il y avait beaucoup d'arguments qui disaient que le lecteur d'un quotidien était le seul lecteur qui était important, car il ou elle était membre du groupe le plus scolarisé, etcetera. Cela est toujours en grande partie vrai, mais aujourd'hui, cela devient plus une question d'âge qu'une question d'éducation.

Le sénateur Trenholme Counsell: Monsieur Winkler, votre histoire dénote votre grand courage et votre expérience, c'est très intéressant d'entendre ces renseignements de première main.

Lorsque je vous écoutais, je me demandais si vous transmettiez le message qu'il faut s'inquiéter des autres grandes corporations plus que des entreprises individuelles dans le secteur des médias, en sachant que ce sont les grandes entreprises qui ont un contact énorme avec le public.

Est-ce que vous dites au public canadien chaque fois que vous en avez l'occasion qu'il faut s'inquiéter de la propriété à grande échelle et des conglomérats?

M. Winkler: Lorsque je travaillais à Southam Inc., j'ai vu que les personnes hautes placées étaient des personnes ayant beaucoup d'intégrité. Même si je n'étais pas toujours d'accord avec certaines décisions d'affaire et que j'étais un peu frustré de temps en temps lorsque j'étais sous la direction du président dans cette entreprise, je n'ai jamais été témoin d'une question d'étique qui m'inquiétait d'une manière ou d'une autre? En fait, c'était tout le contraire.

Je crois que c'est pourquoi j'ai été si horrifié de ce qui s'est produit. J'étais sous l'effet d'un choc lorsque j'ai appris ce qui s'est passé ayant passé plusieurs années à travailler avec des personnes ayant beaucoup d'intégrité.

Cela étant dit, je crois que le climat d'aujourd'hui est différent dans le secteur des médias. Il y a un problème généralisé, et je crois qu'il faut le régler. Dans mon cas, beaucoup de personnes ont su ce qui se passait et elles pouvaient prétendre que c'était à quelqu'un d'autre de dénoncer ces activités ou de les révéler. J'étais un peu frustré du fait qu'un certain nombre de médias et de directeurs de haut niveau savaient ce qui se passait et n'ont pas envoyé leurs reporters pour travailler sur cette histoire potentielle et pour faire enquête à ce sujet.

Je crois qu'il est nécessaire de conclure des marchés, et je crois que les responsables des médias, d'après ce que je sais, seraient en conflit avec une histoire telle que la mienne.

Je crois qu'il est très rare d'être aux prises avec des questions comme un manquement à la sécurité et des allégations de violation des lois sur la sécurité. Ce cas n'a pas encore été traité devant la cour. Mon cas portant sur la concurrence et la violation de la Loi sur la concurrence, et tout le secret entourant cette question, c'était assez unique.

Le sénateur Trenhome Counsell: Vous utilisez le terme «problème généralisé». S'agit-il d'un problème généralisé ou d'un fait généralisé? Vous parlez de conclure des marchés, mais cela n'est-il pas profondément ancrée dans les humains?

M. Winkler: Il y avait une époque dans le secteur des journaux où certaines personnes n'auraient pas fait des affaires avec d'autres. Et je crois qu'aujourd'hui, la façon la plus rapide de faire un profit est de s'assurer d'être entendu par son concurrent. Si le Bureau de la concurrence continue d'abaisser la barre, et c'est ce qui se produit, il faut être dans cette position.

Le sénateur Trenholme Counsell: Vous avez utilisez le mot «problème». Le problème se situe-t-il chez les personnes qui concluent des marchés, les personnes avisées en affaires, ou au Bureau de la concurrence?

M. Winkler: Je crois qu'il faut se demander ce que la société canadienne veut permettre. Les chefs d'entreprise, en raison de leur rôle dans la société, doivent travailler en respectant les lois et faire le plus d'argent que possible. Je crois que les petites collectivités ne sont pas bien desservies par certaines ententes commerciales conclues pour les raisons que j'ai mentionnées.

Je crois que certains journaux de haute qualité et dont la diffusion est contrôlée pourraient devenir des victimes, et Kingston This Week en est un exemple. Je crois que c'est un très bon journal. Selon ce que différentes personnes m'ont dit, y compris les personnes qui ont mis sur pied ce journal et l'ont dirigé pendant plusieurs années, ce qui se passe avec ce journal est vraiment dommage.

Le sénateur Munson: Quelle était la réaction de la presse canadienne? Était-ce une réponse froide, d'autocensure ou d'autopréservation?

M. Winkler: C'était de l'autoconservation, d'après ce que je comprends. Je ne leur ai pas présenté les renseignements, mais l'un de mes témoins, qui était un reporter d'enquête, l'a fait. Il s'agissait assurément d'autoconservation. Ils ont dit qu'ils n'allaient pas s'emparer de l'histoire, car Hollinger Inc. contrôlait la presse canadienne.

Le sénateur Munson: La télévision n'a pas couvert cette histoire. S'agissait-il d'une histoire trop complexe pour la télévision?

M. Winkler: J'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'une histoire pour une revue, car il existe bien d'autres nuances que je n'ai pas abordées. J'ai rédigé environ 50 pages de notes depuis le début de cette histoire. BBC TV est venue et a passé une journée entière avec moi, puis a trouvé que l'histoire était compliquée pour une émission.

Le sénateur Munson: Je peux comprendre cela.

À Vancouver, nous avons une entreprise à propriétaire unique qui possède une télévision, une radio et des journaux. Kent Alexander, l'éditeur de The Walrus, a écrit quelques mots qui, selon moi, étaient très intéressants. M. Alexander a dit que le gouvernement devait réglementer cela, mais avec doigté.

À la suite de ce qui s'est passé, et je pense que vous croyez à la liberté de la presse, à la démocratie, à l'expression des médias, etcetera, êtes-vous troublé de savoir que votre voix n'a peut-être pas été entendue?

M. Winkler: J'aimerais pouvoir dire que les gouvernements devraient légiférer, mettre des structures pour arrêter ce type de chose, mais j'ai de la difficulté à en arriver avec des recommandations significatives.

Les honorables sénateurs sont bien mieux placés que moi pour faire ce genre de choses, et ils ont beaucoup réfléchit à ce sujet.

Devrions-nous faire de notre mieux pour mettre des obstacles à la concentration et donner des garanties afin que les voix soient entendues dans des villes comme Vancouver? Oui.

Le sénateur Munson: Nous allons devoir nous pencher sur certaines de ces idées. Nous sommes dans une économie de marché où les plus forts survivent. J'imagine que les journalistes sont également préoccupés. Mais personnellement, je pense que lorsque l'on commence à empêcher des voix d'être entendues, on commence à affaiblir la démocratie.

M. Winkler: C'est exact.

Le sénateur Munson: Des voix individuelles.

M. Winkler: C'est exact. La difficulté, c'est que pour être concurrentiel et pour survivre dans le monde d'aujourd'hui, il faut être grand. Il n'est même plus possible aujourd'hui de démarrer un journal communautaire. Cela ne se produit même plus. Je suppose que l'on peut créer quelque chose sur le Web, mais la situation économique ne permet pas de telles choses. C'est un cercle vicieux.

Le sénateur Tkachuk: Vous dites qu'il faut être grand, mais tous ces journaux ont été achetés par de grandes entreprises. Il ne s'agissait pas d'entreprises en démarrage appartenant à de grandes compagnies. Tous les journaux hebdomadaires ont été démarrés à l'échelle individuelle.

M. Winkler: Exactement.

Le sénateur Tkachuk: Tous étaient très profitables, faisaient de l'argent, et c'est pourquoi les entreprises ont voulu les acheter. Les gouvernements ont fermé leurs yeux sur ce qui se passait, mais cela s'est passé tout de même. Il est clair que des entrepreneurs individuels peuvent créer quelque chose, et ils l'ont fait, dans ce secteur.

Est-ce que vous dites que puisque maintenant, ce sont degrandes entreprises si puissantes qui possèdent ces hebdomadaires, il n'est plus possible de créer de jeunes entreprises dans ces villes?

M. Winkler: En partie oui. Les grandes entreprises ne feront qu'une bouchée des petites entreprises. Il y a beaucoup d'histoires de personnes qui ont démarré une entreprise en concurrence avec une grande société, et le Bureau de la concurrence a été mis au courant, mais il a été trop lent à réagir. Il existe bien des façons d'envoyer le petit entrepreneur en faillite s'il se place dans votre chemin.

Une autre dynamique a également pris place, soit le fait que de plus en plus, les décisions de publicité ne sont pas faites par monsieur tout le monde. Même dans les petites villes, ce processus est de plus en plus un travail à la chaîne.

Au début de ma carrière, il y a 30 ans, le magasin Sears de l'autre côté de la rue avait un département de 10 personnes. Ce département a disparu il y a 20 ans. Je crois qu'une seule personne à Toronto prend des décisions en matière de publicité aujourd'hui pour tous les Sears du Canada.

Alors, l'achat de la publicité maintenant est effectué à l'échelle nationale ou provinciale, alors il faut faire partie du réseau, et même les petits journaux doivent de plus en plus en faire partie.

Il est encore facile de démarrer un hebdomadaire. J'habite à Niagara, où un nouvel hebdomadaire a été lancé pour remplacer celui qui a été acheté par Torstar Corporation lorsque l'entreprise a voulu lancer un nouvel hebdomadaire à Niagara. Il y a un nouvel hebdomadaire à Thorold; c'est une entreprise de trois personnes. Ce genre de choses se produit encore.

La présidente: Vous avez gagné un procès. Cette cause a-t-elle été portée en appel?

M. Winkler: Non, elle n'a pas été portée en appel. Je crois que la décision a été prise par la juge. Elle a rendu une décision écrite au bout de sept mois. Tout le monde dans l'industrie me disait que Hollinger Inc. voulait en appeler de la décision, mais cela ne s'est pas produit. Il n'était vraiment pas possible d'en appeler de la décision, et la juge s'en est tenue à la loi.

Mon objectif d'ensemble était de faire connaître ces hommes. Ce procès, qui a duré huit jours, portait sur le fait que j'avais ou non démissionné. C'était vraiment cela la question, mais nous avons réussi à élargir la question et à inclure cette preuve.

La présidente: J'évite de porter des jugements sur des actions en justice qui font l'objet d'une enquête auprès de diverses autorités, alors je vais poser ma question en général. Notre travail est de vérifier si les politiques sont appropriées de manière générale, et non seulement pour une ou deux personnes.

La présidente: Existe-t-il une loi qui exige que le nom des propriétaires de médias, y compris les propriétaires bénéficiaires de médias, doivent être divulgués publiquement?

M. Winkler: Oui.

La présidente: Oui, il devrait y en avoir une, ou oui il y en a une?

M. Winkler: Oui, il devrait il y en avoir une, et non, une telle loi n'existe pas. Nous avons essayé désespérément de savoir qui était propriétaire de Horizon Publication Inc. Une autre de mes frustrations en ce qui concerne le Bureau de la concurrence est qu'il est clair qu'ils savaient qui c'était, mais ils n'ont pas alerté les responsables de la sécurité. Il a fallu beaucoup de temps pour régler tout cela, et pour répondre à votre question, il devrait y avoir quelque chose qui permet de diffuser publiquement le nom des propriétaires de médias.

La présidente: En ce qui concerne le Bureau de la concurrence et le système, je suppose qu'une partie du problème selon vous est que le Bureau de la concurrence a tendance à ne pas s'impliquer, et surtout pas au niveau public, lorsqu'il s'agit d'entreprises de petite taille. Est-ce ainsi que vous interprétez la participation du Bureau de la concurrence?

M. Winkler: Oui.

La présidente: Lors d'autres séances de ce comité, nous avons également soulevé la question de l'approche du Bureau de la concurrence par rapport aux médias, qui consiste à dire qu'ils ne s'occupent pas des questions éditoriales.

Il existe une justification philosophique fabuleuse qui dit qu'aucune autorité gouvernementale ne doit s'occuper des questions éditoriales, du nouveau contenu, etcetera. D'un autre côté, s'ils n'examinent que la publicité, est-ce adéquat?

Est-il possible de sortir de ce cercle vicieux?

M. Winkler: Je sais que c'est l'une des questions que vous examinez. Idéalement, le Bureau devrait élargir son mandat pour inclure ce pouvoir.

Je crois que si l'on tient simplement compte de la concurrence dans un marché local de publicité, il est bien trop difficile d'en faire une évaluation; et je ne sais pas quels critères ils devraient utiliser. Je crois qu'il serait plus logique que le Bureau ait un mandat légèrement plus étendu qui inclurait les nouvelles.

La présidente: Manifestement, le défi serait de définir des critères perçus comme étant objectifs et universels plutôt que subjectifs.

M. Winkler: Exactement.

La présidente: Nous ne voulons pas les placer dans une situation où ils pourraient décider qu'ils n'aiment pas telle et telle personne, et que cette personne ne puisse pas acheter une entreprise de journaux.

M. Winkler: C'est exact. Il y a beaucoup de médias à Kelowna: il y a environ six stations de radio, une télévision locale et deux journaux. Un sondage effectué à Kelowna a montré que notre journal qui paraît trois fois par semaine était le numéro un dans la collectivité pour ce qui est des informations communautaires. Même lorsque nous étions à la télévision, nous avons eu les cotes d'écoute les plus élevées en Amérique du Nord pour l'ensemble des téléspectateurs et notre émission qui paraissait trois fois par semaine était numéro un.

C'est un exemple d'un journal qui était très important pour la collectivité, mais le Bureau de la concurrence a pensé qu'il s'agissait d'une diminution de la concurrence. J'ose dire que selonmoi, si je ne les avais pas harcelés, ils n'auraient vraisemblablement pas été impliqués. Si vous voulez savoir, ils m'ont appelé en premier, ce n'est pas moi qui les ai pas appelés. Je pense qu'un autre concurrent qui voulait acheter le journal a téléphoné.

La présidente: Et bien, lorsqu'il y a un terrain fertile, ce genre de choses se produisent, n'est-ce pas?

M. Winkler: Oui.

Le sénateur Di Nino: Dans bon nombre de pays, la propriété des médias est différente de ce qu'elle est en Amérique du Nord. Les partis politiques et les organismes religieux peuvent posséder des journaux.

Quelle est votre opinion sur la restriction de la propriété des médias?

M. Winkler: Et bien, c'est trop. Je n'aime pas cela, du moins c'est ma réaction initiale. Si un groupe ayant des intérêts particuliers et possédant beaucoup d'argent peut arriver et acheter un important média, la population parlerait, les publicitaires parleraient, et la population s'en prendrait à des médias qui ne reflèteraient pas la collectivité.

En réalité, les nouvelles entreprises ne se forment pas facilement, et je crois qu'elles aimeraient mieux ne pas se faire punir dans la mesure du possible, et la population ne tolérerait pas qu'un groupe ayant un intérêt particulier se serve d'un média pour propager son idéologie.

Le sénateur Di Nino: Êtes-vous d'accord avec les commentaires ou les critiques disant que les médias au pays ne couvrent parfois pas certaines personnes d'une manière équilibrée et équitable?

M. Winkler: C'est un énoncé très général.

Le sénateur Di Nino: Avez-vous écouté le témoignage précédent?

M. Winkler: Oui. Mon point de vue n'est pas comme le leur; il arrive qu'un média soit de gauche. Je crois que j'ai vu un changement à ce sujet depuis quelques années.

Pour ce qui est des activités que je dirige, une multitude de petites activités, toute publication reflète la personnalité de l'éditeur, et avec cela vient un certain biais.

Les rédacteurs et les éditeurs que je connais davantage ne font pas l'objet de biais ou de restrictions.

La présidente: Merci beaucoup monsieur Winkler. Votre visite a été très intéressante; nous vous avons gardé un peu plus longtemps que prévu et nous vous sommes reconnaissants d'être venu et d'avoir partagé vos pensées. Cela a été très utile.

La présidente: Chers collègues, j'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Angelo Persichilli, rédacteur en chef politique de Corriere Canadese, un quotidien italien de Toronto qui possède un lectorat de plus de 100 000 personnes.

Avant de vous inviter à faire votre présentation, laissez-moi, monsieur Persichilli, vous transmettre nos condoléances pour le décès de M. Dan Iannuzzi; c'est une grande perte pour la collectivité. Toutes nos sympathies.

M. Angelo Persichilli, rédacteur en chef politique, Corriere Canadese: Merci. C'est apprécié.

La présidente: Nous vous invitons à faire une présentation dedix minutes, après quoi nous allons passer aux questions. Allez-y.

M. Persichilli: Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, merci beaucoup. C'est la première fois que je témoigne devant un comité du Sénat. En tant que journaliste, j'écoute souvent les politiciens. Aujourd'hui, c'est comme si les rôles sont inversés.

Le sénateur Di Nino: Je vous ai déjà entendu, de nombreuses fois.

M. Persichilli: Beaucoup de Canadiens sont préoccupés de la concentration des médias et du manque de diversité des voix. Comment est-il possible qu'il y ait moins de diversité dans un monde où il y a 1 000 postes de télévision et Internet, et où il y a des nouvelles 24 heures sur 24, sept jours par semaine, alors qu'il y a vingt ans, il n'y avait que deux chaînes de télévision, un radiodiffuseur et un seul journal nationaux?

Il pourrait y avoir des douzaines de réponses à cette question. Je vais en fournir deux. La première porte sur des détails techniques relatifs aux médias, en général, et à la radiodiffusion, en particulier; la deuxième porte sur le contenu.

Il y a trois éléments qui influencent notre produit — premièrement, l'organisation, laquelle comprend les éditeurs, les diffuseurs, les journalistes et les exploitants; deuxièmement, la technologie; et troisièmement, l'auditoire. Au cours des dix ou quinze dernières années, la technologie et l'auditoire ont subi des changements à un taux tel que les rédacteurs en chef et les diffuseurs trouvent cela problématique. En fait, même s'il est relativement facile d'accepter les changements technologiques — il faut simplement faire un chèque — il est plus compliqué de tenir compte des changements qui touchent la société partout dans le monde et des répercussions autour de nous.

Un bon nombre d'organismes, en dépit des investissements considérables qu'ils font dans la technologie, éprouvent encore des problèmes à communiquer leur message à un auditoire. Selon moi, il y a trois raisons à cela. Premièrement, ils s'adressent à un auditoire qui n'existe plus. Deuxièmement, leur message est désuet. Troisièmement, ils ne peuvent se mesurer à la concurrence étrangère; ils ont refusé de reconnaître les nouveaux besoins d'un auditoire en constante évolution.

Je pourrai élaborer sur cette question pendant la période de questions, si vous le voulez.

Au lieu d'examiner la cause du problème et d'essayer de se reconnecter avec l'auditoire, d'améliorer le contenu, nos diffuseurs et nos rédacteurs en chef ont demandé au gouvernement de les aider et ont adopté la même solution que dans d'autres pays — aux États-Unis — la convergence. C'est la taille qui compte, selon eux.

Honorables sénateurs, peu importe l'envergure des fusions, nous ne serons jamais assez gros pour eux. La seule chance que nous avons est d'être meilleurs qu'eux. Leur demande d'aide du gouvernement ne résoudra pas notre problème; cela ne fera que le remettre à plus tard.

La technologie nous a obligés à ouvrir la porte à la concurrence étrangère. Malheureusement, les exploitants de médias canadiens, au lieu de résister à la concurrence étrangère en augmentant la qualité de nos programmes ou du contenu de nos journaux ont diminué la concurrence entre les entreprises canadiennes.

Cette mentalité d'assiégés, combinée aux fusions et à la convergence, tue la concurrence au Canada et favorise la concurrence étrangère. Au lieu d'utiliser la technologie pour améliorer nos produits, les nouveaux propriétaires de médias l'utilisent pour diminuer les coûts. Il n'en coûte que quelques cents pour obtenir dix histoires qui proviennent de l'étranger grâce aux nouvelles agences et à l'Internet. Il en coûte davantage pour publier une histoire sur Hamilton ou Chicoutimi. Les nouvelles présentées à la télévision sont toutes pareilles et les journaux publient les mêmes histoires. En résumé, nous avons plus de concurrence de l'étranger et moins, beaucoup moins, au Canada.

Prenons comme exemple le différend dont est saisi le CRTC, simplement à titre d'exemple. Le CRTC désire réglementer les journalistes de CTV Newnet, par exemple, mais il permet à FOX News à d'autres diffuseurs étrangers de diffuser à l'intention des Canadiens sans restriction. Par conséquent, au lieu de favoriser la créativité de nos journalistes et d'accroître la concurrence interne, nous augmentons la concurrence externe et diminuons la créativité au Canada.

Permettez-moi de revenir aux trois éléments nécessaires aux médias — l'organisation, la technologie et l'auditoire — et de m'attarder un moment sur le premier, l'organisation.

Madame la présidente, il y a 10 ou 15 ans, les éditeurs faisaient de l'argent en vendant des journaux. Plus ils en vendaient, plus ils faisaient de l'argent. Certains disaient que c'était un cercle vicieux. Les bons journalistes écrivent de bonnes histoires; plus il y a de bonnes histoires, plus les lecteurs ou les téléspectateurs sont nombreux, et ainsi, plus on vend de la publicité et plus on fait de l'argent. Pour que cela fonctionne, les médias doivent avoir un lien direct avec les personnes.

La nouvelle doctrine, après les fusions — la doctrine post-convergence — a changé le rôle de l'éditeur et du propriétaire de médias. L'éditeur n'est plus uniquement le propriétaire d'un média. En fait, dans bien des cas, l'intérêt majeur de l'entreprise est ailleurs. Il y a un réel danger que le nouveau propriétaire utilise le média pas uniquement en vue d'accroître son lectorat, la qualité du média et pour essayer d'atteindre les Canadiens, mais aussi comme un outil pour faire la promotion de ses intérêts. Autrement dit, le principal objectif n'est pas de faire de l'argent, mais, par exemple, d'utiliser le média pour faire des pressions sur le gouvernement.

Laissez-moi élaborer à ce sujet — et je suis un peu au courant de la chose. Je viens d'Italie, et nous savons ce qui se passe dans ce pays par rapport aux médias, à la politique et à la propriété — et à M. Berlusconi. La seule différence cette fois-ci, c'est que M. Berlusconi a fait l'erreur d'être impliqué directement dans la politique. Cependant, puisqu'il était à l'extérieur des médias, il n'avait pas comme objectif de faire de l'argent, mais plutôt de les utiliser pour défendre ses autres intérêts. Je crois malheureusement que nous allons dans cette direction au Canada.

Afin d'améliorer la qualité du journalisme, nous pouvons combattre cela en utilisant nos aptitudes et notre créativité, et non en nous cachant derrière les lois et les règlements du gouvernement.

Vous me demanderez peut-être pourquoi j'accorde de l'importante à ce que l'on appelle les médias grand public. En tant que représentant d'un quotidien italien, Corriere Canadese, je désire parler de ce que l'on appelle les médias ethniques.

Les médias ethniques ont les mêmes caractéristiques que les médias grand public, mais à une différence — nous faisons face au problème que je viens de mentionner avec plus de succès que les médias grand public. Les médias conventionnels ont toujours étéconvaincus que puisque nous nous sommes intégrés à la sociétécanadienne, les médias ethniques sont plus faibles. Essentiellement, ils croyaient — en fait, ils croient toujours — que la langue est la principale force qui rassemble les lectorats et les auditoires. Bien sûr, ils sont dans l'erreur. En fait, ce sont les médias anglais qui ont des problèmes, en pensant que c'est la langue qui allait les protéger, et non le contenu. En fait, c'est la langue qui les tue. Les programmes américains de langue anglaise leur causent du tort, pas à cause de la langue mais à cause du contenu.

En plus de cela, il y a une demande accrue pour des chaînes d'autres langues. L'allemand, le portugais, l'arabe. Nous savons ce que la communauté italienne fait pour obtenir de plus de médias italiens. De plus, il y a trois postes de plus de télélatinos, et nous allons vraisemblablement obtenir RAI également. Tant pis pour ceux qui prévoyaient la mort des médias italiens au Canada. Nous, à Corriere Canadese, souhaitons la bienvenue à tous ces médias, en sachant que leur présence accroîtra et fera la promotion du marché.

Cela ne signifie pas que nous abandonnons notre culture canadienne — pas du tout. Le multilinguisme n'est pas issu de chaînes comme le canal 47; il vient de diverses chaînes étrangères qui sont diffusées au Canada. C'est cela le multilinguisme.

Comment pouvons-nous nous protéger contre tout cela et défendre notre culture? La réponse est le multiculturalisme. À la fin des années 80, on croyait que pour satisfaire les minorités ethniques, il fallait leur offrir une télévision multilingue, un moyen efficace de permettre à ces collectivités de continuer de parler leur propre langue tout en sentant qu'elles font partie de ce pays. C'était une bonne idée à l'époque, mais maintenant, cela créé des vases clos, et les différentes communautés ne sont pas capables de communiquer les unes avec les autres et avec le reste du pays; cette situation empêche les Canadiens de communiquer les uns avec les autres ou d'échanger leur expérience.

La télévision multilingue n'est maintenant plus canadienne. Elle est un phénomène international qui domine les ondes. Regardez les postes de télévision offerts, regardez les postes qui sont disponibles sur le câble, et vous verrez d'où vient le multilinguisme. Nous devons trouver une façon non pas d'arrêter ce phénomène, ce qui serait impossible de toute manière, mais d'utiliser notre expérience du multiculturalisme pour en faire une politique nationale.

Si l'on se connaît mieux les uns les autres, cela nous aidera également à résoudre les problèmes qui sont la source du racisme envers les minorités. Si nous voulons vendre le multiculturalisme au monde, nous devons tout d'abord l'utiliser dans le cadre d'une réelle politique nationale appliquée dans tous les établissements, en commençant par les médias. S'il en est, ce que l'on appelle les minorités dans des villes comme Toronto, Montréal et Vancouver sont des majorités. Il est peut-être essentiel à la survie de certains diffuseurs de les comprendre, qu'il s'agisse de diffuseurs ethniques ou non.

Les commissions Kent et Davey ont fourni une orientation importante aux générations passées de Canadiens. Dans le cadre de votre travail, en osant questionner la sagesse conventionnelle, vous et votre comité pouvez faire une contribution importante à notre vie nationale.

Je vous remercie de m'avoir permis de vous présenter mon témoignage. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur Persichilli, nous entendons toujours parler de la diversité des voix. Selon vous, est- ce que l'on parle de voix ethniques, raciales, idéologiques? Qu'est-ce que l'expression «diversité des voix» signifie pour vous?

M. Persichilli: Je vous ai demandé de me poser des questions difficiles, et celle-ci en est une.

Selon moi, la vérité n'existe pas. La vérité est une aspiration. Les journalistes peuvent être honnêtes, mais en ce qui concerne l'objectivité et la vérité, toute personne qui affirme dire la vérité et être objective ne comprend pas ce qu'est le journalisme ou n'est pas honnête. Si vous prenez ce que je vous dis aujourd'hui, c'est très blanc, c'est très pauvre, c'est les deux à la fois. C'est la vérité lorsque je vous dis que c'est pauvre; c'est la vérité lorsque je vous dis que c'est blanc. Il est important que je sois honnête lorsque je fais un témoignage. Je dois parler de ce qui pourrait intéresser la population selon moi — oui, c'est vrai, selon moi. Je ne dois pas cacher quelque chose. Je ne devrais pas cacher quelque chose parce que cela pourrait indisposer un certain groupe de personnes. Non, je dois dire ce que je pense. Je peux être dans l'erreur, mais je dois être honnête.

Je n'essaie pas d'éviter votre question, mais quiconque répond à votre question ne sait pas exactement ce qui se passe. Selon moi, être honnête et rapporter ce que l'on sait — qui va vous juger si vous êtes dans le vrai? Si vous avez un auditoire, un lectorat, et des téléspectateurs, cela signifie que vous êtes honnête.

Le sénateur Tkachuk: Lorsque que vous avez parlé de votre capacité de faire concurrence à tous les médias qui pourront, qui peuvent diffuser dans ce pays, qu'est-ce qui les empêche d'entrer en concurrence maintenant?

M. Persichilli: Laissez-moi en référer au cas dont est saisi le CRTC en ce moment, CTV Newsnet — à l'effet que cette chaîne doit rapporter des nouvelles d'une certaine manière. Elle doit arrêter toutes les dix minutes par capsule.

Le sénateur Tkachuk: Je suis au courant.

M. Persichilli: Je crois que nous devrions laisser les diffuseurs diffuser ce qui, de leur avis, peut plaire à leur auditoire.

Le sénateur Tkachuk: Et pourquoi? Si vous prenez connaissance des demandes à l'endroit de Newsnet, de CTV, et si vous tenez compte de ce qu'ils font en réalité, car cela fait partie de leur licence, cela semble tellement ridicule que c'est difficile à décrire.

Pourquoi le CRTC aurait-il mis en place ce règlement? Pourquoi ne pas avoir simplement une nouvelle chaîne? Pourquoi ne pas laisser Global, ou n'importe qui d'autre, avoir une nouvelle chaîne?

M. Persichilli: Ils croient peut-être qu'en empêchant CTV Newsnet de couvrir certains événements, ils protègent d'autres diffuseurs.

Le sénateur Tkachuk: Comme CBC Newsworld — qui d'autre voudraient-ils protéger?

M. Persichilli: C'est là où je veux en venir. Je ne pense pas qu'ils protègent Newsworld de cette manière. Supposons que Newsnet a 10 téléspectateurs: peut-être que cinq vont aller à Newsworld et cinq à CNN. Autrement dit, les systèmes de diffusion canadiens en perdent cinq.

Le sénateur Tkachuk:Êtes-vous en train de me dire que la raison pour laquelle ils protégeraient Newsnet, c'est pour que les téléspectateurs écoutent — mais ce n'est pas le cas — à coup sûr, et qu'ils ne protègent pas CNN ou FOX News ou toute autre chaîne internationale...

M. Persichilli: Il y a bien des questions auxquelles je ne peux répondre au sujet du CRTC. C'est l'une de ces questions.

Le sénateur Munson: Je vais invoquer le conflit d'intérêts pour toutes les questions que je vais poser, qu'il s'agisse de CBC, du CRTC ou de CTV. Lorsque le CTV a fait une demande de licence pour Newsnet, ils ont accepté les restrictions à leur licence à un moment particulier. Étant donné que le monde est continuellement en changement, ils font des pressions énormes pour modifier ces restrictions afin de pouvoir être sur le même pied que Newsworld. C'était CBC qui s'est battue contre CTV pour couvrir un événement en direct. À cette époque, il s'agissait de protéger nos arrières.

Le sénateur Tkachuk: De préserver votre monopole.

Le sénateur Munson: Nous avons reçu des représentants de la National Ethnic Press il y a quelques semaines. Ils ont parlé de cela, de mettre tout le monde sur le même pied, d'aider la presse ethnique. Ils voulaient obtenir des choses comme l'élimination de la TPS et la création d'un compte spécial pour la presse ethnique afin de faciliter sa survie.

Selon vous, qu'est-ce que le gouvernement peut faire en matière de réglementation pour subventionner ou pour aider d'une autre manière la presse ethnique afin qu'elle soit plus vivante? Êtes-vous satisfait de la situation d'aujourd'hui?

M. Persichilli: J'aimerais que le gouvernement traite ce que l'on appelle les médias ethniques comme il traite les médias anglophones ou francophones du pays. Ces médias reçoivent des subventions directes et indirectes de la part du gouvernement. Prenez la situation de Sports Illustrated — je crois qu'il s'agissait du projet de loi C-40 à l'époque — et de la protection qui leur a été accordée contre les médias américains. Je pense qu'il s'agissait de 80 ou de 90 millions de dollars. Êtes-vous d'accord avec cela? Je ne me prononce pas, mais ce que vous faites avec les uns, vous devriez le faire avec les autres, selon moi.

Ce que je veux dire, c'est que le gouvernement fédéral, dans son budget de publicité, par exemple, avec l'argent qu'il a donné aux médias canadiens pour de la publicité, ne fait pas la même chose avec ce que l'on appelle les médias ethniques. Les médias ethniques ne sont pas traités équitablement en ce qui a trait à certaines publicités.

Alors, je ne demande pas davantage de subventions. Je demande simplement qu'ils soient traités comme tous les autres.

Le sénateur Munson: Il y a également eu des plaintes à l'effet que certains médias ethniques utilisaient d'autres organismes et d'autres pays à titre de couverture pour ce qu'ils écrivaient. Par exemple, on nous a dit que certains journaux chinois ont une couverture, mais qu'à l'intérieur, il s'agit du People's Daily, et que c'est simplement une couverture montrant un point de vue d'une autre partie du monde.

Voyez-vous un problème à cela? Trouvez-vous que ce genre de chose est un problème?

M. Persichilli: Est-ce qu'ils vendent des journaux? Est-ce que l'on achète leurs journaux?

Le sénateur Munson: Je crois qu'ils sont gratuits. Je ne suis pas certain — oui.

M. Persichilli: C'est un problème de marché, selon moi. Disons que je fais la promotion, je vais parler pour moi, étant donné que je viens d'Italie, d'un journal qui vient d'Italie. Si les personnes ne l'aiment pas, elles ne vont pas l'acheter.

Je suis d'origine italienne; j'aime ce qui se rapporte à la culture italienne. Cependant, nous n'avons pas à parler de nationalisme, parce que je suis Canadien. Ce sont deux choses différentes. Par conséquent, cela dépend de ce que ces journaux chinois écrivent. S'ils publient des choses pour la Chine et, disons, contre le Canada, alors je ne suis pas d'accord avec cela. S'ils font la promotion d'événements culturels chinois, je suis d'accord.

Je ne lis pas le chinois, alors je ne peux pas vous dire si cela est bon ou mauvais. Selon moi, cela dépend du contenu.

Le sénateur Munson: RAI Télévision — vous avez parlé d'égaliser les choses entre Newsnet et FOX News. Je n'ai pas lu les raisons pour lesquelles RAI n'a pas pu obtenir sa licence ici, mais il me semble qu'il doit y avoir un lobby très influent à Toronto qui n'aime pas l'idée, peut-être, de la concurrence.

M. Persichilli: En tant que journaliste, je connais cette question. Je crois que je sais ce qui se passe. Je crois qu'il s'agit davantage d'un problème technique que d'un problème politique ou culturel. C'est un problème technique pour lequel nous devons apporter une solution.

Il y a des sociétés italiennes et des sociétés canadiennes, et toutes sont en affaires. Elles n'ont pas pu résoudre certains problèmes et différends, alors elles essaient de se décharger de tous ces problèmes sur les politiques, elles aimeraient qu'on leur dise qu'elles ne peuvent faire face à ces problèmes. Cependant, je crois que c'est un problème technique, et non un problème politique.

Le sénateur Munson: Sans aller dans les détails du problème technique, croyez-vous en une bonne concurrence? TV 5 est présente dans le reste du pays, alors êtes-vous en faveur d'un marché ouvert?

M. Persichilli: Que nous sommes en faveur de cela ou pas, c'est une réalité ici. Nous ne pouvons mettre des limites à ce qui est diffusé. Nous ne pouvons empêcher la diffusion. Je crois que l'Union soviétique a été démantelée grâce à la communication, grâce aux longueurs d'ondes. Alors, si des pays comme l'ancienne Union soviétique n'ont pu arrêter l'information à leur frontière, je ne crois pas que nous pouvons y arriver. Alors, que nous aimions cela ou pas, je crois que nous devons faire avec.

Je me considère comme un journaliste canadien. Je ne sens pas de concurrence de la part de journalistes italiens, ni même de la part de journalistes américains. Laissez-les venir.

Au début des années 80, lorsque je travaillais pour la chaîne 47, qui s'appelle maintenant OMNI, nous avions certains programmes en italien et j'étais très populaire dans des villes comme Rochester et Buffalo. J'étais sur les ondes tous les soirs; je ne savais pas que j'étais populaire. Je suis allé dans ces villes quelques fois, et on me reconnaissait. Nous avons conclu une entente. Nous étions le seul poste en mesure de vendre des programmes canadiens aux Américains à cette époque. Mais ils nous ont arrêtés, pour une raison ou une autre.

Si nous vendons nos produits aux États-Unis — je parle particulièrement des programmes dans une troisième langue — il y a beaucoup de demandes aux États-Unis. C'est un marché important que nous avons décidé de ne pas explorer. Alors ouvrons les frontières. Je crois que nous pouvons faire quelque chose à cet égard.

Le sénateur Merchant: Je suis arrivée au pays il y a de nombreuses années, mais je ne suis pas journaliste. Je vis à Regina, où il y a une communauté grecque d'environ 1000personnes. Nous n'avons pas de journal, mais nous sommes en mesure de conserver notre culture. Les enfants des enfants qui sont nés ici parlent le grec comme moi, moi qui suis allé à l'école pendant six ans en Grèce, et peut-être mieux que moi, car ils le parlent à la maison. Je ne me suis pas mariée avec quelqu'un de la communauté grecque, alors je ne parle pas grec à la maison.

J'essaye de comprendre le rôle des médias ethniques dans la vie des immigrants qui vivent dans ce pays. On me dit qu'il y a des communautés grecques à Toronto ou à Montréal qui sont si grandes que les enfants n'apprennent pas l'anglais. Ils n'en ont pas besoin. Je suis certaine qu'ils en ont besoin, mais s'ils n'en ont pas besoin dans leur vie quotidienne, leurs petits-enfants non plus. Ils n'ont jamais besoin de mettre les pieds à l'extérieur de leur communauté.

Est-ce que c'est une bonne chose pour le pays? Est-ce qu'il est bon de promouvoir ce type d'ethnicité, où nous préservons nos coutumes et où nous préservons notre langue? Il y a beaucoup de bonnes choses à cela, peut-être. Vous avez dit que selon vous, il n'y avait pas de problème avec le nationalisme, car ils sont Canadiens. Vous ne voyez pas de problème avec le développement d'un pays ou les liens entre les personnes de différentes communautés. Maintenant, nous ne pouvons rien faire contre cela, car cela vient du ciel, comme vous l'avez dit, alors nous ne pouvons pas le contrôler. Cependant, pourquoi l'encourager? Pour quelle raison exactement?

M. Persichilli: Vous avez posé beaucoup de questions. Les choses changent en fonction de la communauté et du temps. Ce qui était vrai il y a 30 ou 50 ans ne l'est plus aujourd'hui. L'immigration à cette époque était telle que la majorité des personnes qui arrivaient ici avaient une chose en tête — et je parle de la communauté italienne: acheter une maison et donner un avenir à leur enfant. Elles n'avaient aucun intérêt à apprendre la langue du pays. C'était il y a 30 ans, alors qu'il n'y avait pas de multiculturalisme. Je parle des années 50. Le multiculturalisme est né dans les années 70. Dans les années 50, la majorité des personnes n'apprenaient pas la langue de leur pays d'accueil.

Les choses changent maintenant, pour de nombreuses raisons. L'immigration change. L'une des exigences des nouvelles lois sur l'immigration est de connaître la langue du pays d'accueil. Par conséquent, pour quelqu'un qui ne parle pas cette langue — je ne dis pas qu'il n'y a aucune chance d'immigrer au Canada, mais c'est définitivement plus difficile.

Lorsque mes enfants sont nés, je me suis assuré que le nom de mon fils était comme celui de mon père. Le nom de mon fils est Nicola, et celui de ma fille, Tina. Je voulais m'assurer que tout le monde — même si mon fils allait un jour être contre ce choix, car en anglais, Nicola est davantage un nom de femme. J'ai tenu bon. Pour résumer l'histoire, lorsque je suis venu d'Italie, deux cousins de mes enfants s'appelaient Lucy et Mary. Alors, quelle est leur langue?

Le sénateur Merchant: Bien sûr, en Europe, ils adorent parler en anglais. Ils regardent les émissions en anglais.

M. Persichilli: Comme je l'ai dit, je crois que nous devons faire une grande différence entre la culture et le nationalisme. C'est dans l'intérêt de tout le monde d'apprendre une autre langue, et dans le cas qui nous intéresse, c'est l'anglais.

Laissez-moi vous dire autre chose. Mon patron est décédé il y a quelques semaines. Il était un canadien de la troisième génération. Il parlait très bien l'anglais et le français, mais il était considéré comme un immigrant. Ainsi, la plupart du temps, ce n'est pas nous qui décidons ce que sommes; le pays doit accepter les personnes comme mon patron, même si mon patron, tout comme son fils ou sa fille, n'était plus un immigrant.

Ce n'est pas une question à laquelle nous pouvons répondre. C'est une question à laquelle le Canada doit répondre, particulièrement les deux principales cultures, anglophone et francophone. Ces deux cultures doivent savoir et doivent comprendre que les personnes qui sont des Canadiens de la troisième génération, comme mon patron, ne sont plus des immigrants.

Le sénateur Di Nino: M. Persichilli ne vous le dira pas, mais je vous raconte une histoire très courte que son fils m'a racontée. Le premier jour qu'il est allé à l'école, son professeur l'a présenté comme étant un Italien, mais bien sûr il est né ici au Canada. Cependant, une petite fille qui s'appelle Jennifer, dont la famille venait juste d'immigrer, je crois, d'Angleterre ou d'Australie, a été présentée simplement par son nom, Jennifer. En réalité, Nicola, à cause de son nom, a été présenté comme étant un Italien. Cela vous donne une idée, je crois. Cela fait partie de ces faits que nous devons accepter. Cependant, ce genre de choses ne se produira peut-être plus avec le temps.

Monsieur Persichilli, j'aimerais vous parler des commentaires que vous avez faits au sujet des médias de troisième langue. Vous savez tout comme moi, car nous voyons cela tous les jours, qu'ils ont beaucoup de succès. Les communautés italiennes, chinoises, portugaises, philippinoises et d'Asie du Sud ne sont pas dans la même situation que les journaux grand public, lesquels ne font pas d'argent. Selon vous, pourquoi? Je sais que les journaux de troisième langue sont plus petits — en fait, certains ne sont pas si petits que cela. Prenez par exemple le Corriere Canadese, qui possède un lectorat de 100 000 personnes. Pourquoi ces journaux font-ils de l'argent alors que des journaux comme le National Post, par exemple, ont beaucoup de difficultés à être rentable?

M. Pershichilli: Il y a bien des raisons à cela. L'une d'elles, c'est qu'ils paient leurs journalistes un salaire trop élevé. Nous sommes payés beaucoup moins que ce que nous devrions l'être.

Lorsque je travaillais à la télévision, à la chaîne 47, et que je couvrais des événements partout dans le monde, j'étais aussi rédacteur pour Corriere Canadese, qui faisait partie de la même entreprise; je travaillais avec des personnes de CBC, et ces personnes étaient beaucoup plus nombreuses à couvrir les mêmes événements. Les reporters avaient un technicien du son, quelqu'un qui transportait le trépied, et d'autres personnes. Nous faisions des reportages de seulement deux minutes, alors qu'ils avaient beaucoup plus de personnes. C'était différent pour CTV. Les employés de CTV travaillaient beaucoup plus fort, plus que ceux d'autres sociétés.

Cependant, l'une des raisons pour laquelle nous pouvons faire de l'argent, c'est que nous essayons d'utiliser toutes les ressources que nous avons. Nous maximisons tout ce que nous pouvons. Peut-être que lorsque vous travaillez pour une grande société, vous ne maximisez pas. C'est peut-être l'une des explications.

L'autre raison, c'est que nous avons un créneau plus petit. Je ne crois pas que les grandes sociétés de médias grand public ont un créneau. Elles dirigent de grandes sociétés et de grands départements de nouvelles. À la fin de la journée, cependant, ces médias ne couvrent pas les histoires qu'ils devraient couvrir. L'une des raisons à cela, c'est qu'ils n'ont pas de marché particulier. Ils ont encore une certaine idée du Canada et pensent qu'il faut écrire des histoires à l'intention des Canadiens. Cependant, si vous leur demandez qui sont les Canadiens, ils ne peuvent répondre. Alors, ils font un produit, mais ils ne savent pas à qui ils le vendent. Nous, nous savons à qui nous vendons notre produit.

Le sénateur Di Nino: Notre rôle ici est de faire une contribution à la création d'une politique publique. Vous parlez de la Loi sur la radiodiffusion, du CRTC, du Bureau de la concurrence. Nous examinons ces organismes afin de voir s'ils peuvent améliorer la relation entre les médias et le public.

Il y a une concentration de la propriété, des conversions et des systèmes d'appui, c'est-à-dire — je crois que j'ai bien compris ce que vous avez dit lorsque vous avez dit que vous ne voulez pas de subventions.

M. Persichilli: Nous voulons être traités comme les autres.

Le sénateur Di Nino: Lorsque nous nous penchons sur cette question, que devons-nous examiner pour aider l'industrie en général, et particulièrement pour aider les médias qui fonctionnent dans une troisième langue?

M. Persichilli: Nous devrions redéfinir le rôle d'un vrai éditeur, parler des journaux, des éditeurs. Comme je l'ai mentionné dans ma présentation, il y a une époque où l'éditeur était très sensible au lectorat, à la relation avec le lectorat. Autrement, les journaux n'auraient pas pu se vendre.

C'est ironique, car nous n'aimons pas ce que le CRTC fait pour la radiodiffusion, mais nous regrettons qu'il n'y ait plus de CRTC pour les médias écrits.

Le sénateur Di Nino: Bien, je suis d'accord avec cela.

Je ne veux pas vous interrompre, mais l'éditeur est une entité, un individu, une société, peu importe, qui possède un journal ou un journal et une revue. Est-ce que vous suggérez que nous devrions commencer à établir des règles pour établir qui devrait être éditeur et ce qu'il peut faire?

M. Persichilli: Laissez-moi dire cela autrement: si nous continuons à avoir des soi-disant éditeurs qui ont des intérêts autres que les journaux, le journalisme va souffrir.

En ce qui concerne le contenu, nous devrions être libres. Il ne devrait pas y avoir de règles entourant le contenu. Cependant, en ce qui concerne la propriété, je crois qu'il nous faut des règles.

Le sénateur Di Nino: Permettez-moi de vous poser une autre question, si je le peux, une dernière question. Je crois réellement que le Canada redéfinit l'ordre du monde, en ce sens qu'il redéfinit la manière dont les diverses communautés — sociales, culturelles, religieuses — peuvent vivre ensemble, un monde où les générations futures auront beaucoup plus de compréhension les unes envers les autres. Les journaux d'une troisième langue, je crois, peuvent jouer un rôle en ce sens. Je ne suis pas certain s'ils ont joué le rôle qu'ils doivent jouer pour promouvoir cette nouvelle vision du Canada pour nos petits-enfants.

Êtes-vous d'accord avec moi? Que pouvons-nous faire pour promouvoir cela, en matière de politique publique?

M. Persichilli: Je crois que certains ont tendance à interpréter le multiculturalisme comme étant le moteur de bien des choses et ont tendance à laisser croire aux personnes que peu importe ce qu'elles font, c'est bien, et que peu importe ce qu'elles disent au sujet du Canada, c'est bien. Je crois que nous devrions promouvoir le Canada auprès de ces personnes, car je ne pense pas que nous en fassions assez; je crois que nous pouvons en faire plus.

Le gouvernement participe à des activités avec ce que l'on appelle les minorités. Cependant, dernièrement, j'ai vu une différence; j'ai vu qu'il y avait des activités qui faisaient la promotion du Canada. Je vais peut-être dire quelque chose qui va en offusquer certains, mais le type d'activités que le gouvernement fédéral faisait pour promouvoir le Canada au Québec est positif et devrait être effectué dans les autres provinces.

Le sénateur Trenholme Counsell: C'est très intéressant, monsieur Persichilli.

Aidez-nous à comprendre un peu mieux comment nous pourrions orienter nos médias vers le multiculturalisme. Pouvez-vous nous donner des exemples précis? Vous avez dit que nous devrions orienter les médias vers le multiculturalisme. Parliez-vous du contenu? Des journalistes? De la télévision, de la radio, des médias écrits? Pouvez- vous nous donner quelques exemples de ce que nous pourrions faire à ce sujet?

M. Persichilli: Nous pourrions faire quelque chose dans bien des cas. Je crois que nous devrions répondre à ce que veut le marché. Je peux vous donner deux exemples. Je parle principalement des nouvelles, car c'est le secteur que je connais.

Comme je l'ai dit, je suis d'origine italienne, mais je me sens Canadien. Cependant, s'il se passe quelque chose en Italie, j'aimerais le savoir, car ma mère, ma sœur, toute ma parenté vit là-bas. Mais je vois que les médias nationaux ne couvrent pas les nouvelles internationales. Et je parle seulement des nouvelles internationales. Il y a les histoires nationales et locales, mais je ne pense pas que ce type d'histoire peut m'intéresser. Les seules fois où les diffuseurs canadiens couvrent des nouvelles internationales, c'est lorsque quelque chose de grave s'est produit. Cependant, lorsque c'est le cas, je vais sur CNN, car les nouvelles sont plus en direct, arrivent plus rapidement et on peut en apprendre plus. Donc, si je veux en savoir d'avantage, je vais à CNN, pour en savoir plus, par exemple, sur un tremblement de terre ou l'explosion d'une bombe.

Nous devrions nous détacher de ce canal, particulièrement dans une ville comme Toronto. Si vous traitez les nouvelles internationales avec une attitude différente, vous obtiendrez davantage, vous pouvez mieux comprendre. Je ne parle pas simplement d'un tremblement de terre au Portugal, en Grèce ou en Italie. Je parle de beaucoup d'autres événements. Si les médias nationaux couvraient ces histoires, je me sentirais plus proche du Canada, car j'aimerais mieux écouter les nouvelles nationales, les nouvelles nationales canadiennes.

Le sénateur Trenholme Counsell: Pour voir si je vous suis bien, suggérez-vous qu'à une certaine heure, disons à huit heures le mercredi, il devrait y avoir des nouvelles internationale sur l'Italie, par exemple?

M. Persichilli: Non, je suggère que cette couverture se fasse simplement pendant les nouvelles habituelles. Si quelque chose d'important se produit, CNN va couvrir l'histoire. Cependant, je suggère de diffuser des histoires de certains pays qui pourraient intéresser votre auditoire.

Le sénateur Trenholme Counsell: Vous voulez dire, des changements d'heure —

M. Persichilli: Non, quelque chose d'importance.

Le sénateur Trenholme Counsell: En ce qui concerne nos nouvelles présentées à la télévision, il y a beaucoup de nouvelles internationales, mais elles portent toujours sur les points chauds.

M. Persichilli: C'est ce que je disais.

Le sénateur Trenholme Counsell: Vous dites que nous devrions diffuser moins de nouvelle sur ce qui se passe dans les points chauds de la planète.

M. Persichilli: Je ne dis pas nécessairement —

Le sénateur Trenholme Counsell: C'est peut-être assez commun, vraiment.

M. Persichilli: Prenez Newsnet et Newsworld, par exemple. Ils ont beaucoup de temps. Ils peuvent couvrir ce qui se passe sur les points chauds et d'autres histoires internationales, au lieu de mettre l'accent sur certains événements qui pourraient intéresser certaines personnes, mais qui laissent la majorité des Canadiens à l'écart.

Le sénateur Trenholme Counsell: Eh bien, que dire des nouvelles internationales qui sont diffusées tout de suite après les nouvelles principales à 19 heures, je crois, au Canada atlantique? N'est-ce pas convenable? N'y a-t-il pas une heure de nouvelles internationales à CBC?

M. Persichilli: À 18 heures.

Le sénateur Trenholme Counsell: Oui, c'est tout de suite après. Il y a une heure entière. Ces nouvelles ne couvrent- elles pas l'Italie, dans une certaine mesure?

M. Persichilli: Oui, mais le diffuseur est la BBC.

Le sénateur Trenholme Counsell: C'est exact, c'est le diffuseur britannique.

M. Persichilli: C'est là où je veux en venir.

Le sénateur Trenholme Counsell: Pour que nous puissions faire la même chose, il faudrait envoyer des reporters.

M. Persichilli: Non, non, et le sénateur Munson peut...

Le sénateur Munson: Il nous faut plus de correspondants internationaux.

M. Persichilli: Je ne parle pas seulement d'une mentalité nationale. Lorsque j'étais au canal 47 — je ne sais pas ce qu'il en est maintenant parce que j'ai quitté ce secteur il y a quelques années — nous couvrions très bien les nouvelles internationales.

Le sénateur Trenholme Counsell: C'est peut-être une très bonne chose de ne pas faire les manchettes. Cela signifie que tout est calme et beau, que la vie est belle.

La présidente: Il y a beaucoup de sensibilisation à faire presqu'en permanence, j'imagine.

J'aimerais vous poser quelques questions très rapidement sur votre journal. Est-il vendu ou distribué gratuitement?

M. Persichilli: Il est vendu.

La présidente: Quelle est sa diffusion? Vous avez 100 000 lecteurs, mais quelle est sa diffusion? En avez-vous une idée?

M. Persichilli: Ça dépend de la journée. Ça varie de 20 à 30.

La présidente: D'accord. Six jours par semaine?

M. Persichilli: Du lundi au samedi, et nous publions également Tandem, qui est un magazine de langue anglaise, tous les vendredis.

La présidente: Qu'est-ce que vos lecteurs attendent de vous? Veulent-ils des nouvelles sur l'Italie? Veulent-ils des nouvelles sur les Italo-canadiens? Veulent-ils des nouvelles sur l'ensemble du Canada, mais rédigées seulement en italien? Ils veulent sans doute toutes ces choses, mais quelle serait leur priorité?

M. Persichilli: Tout dépend du public ou du lectorat que vous visez. Les jeunes gens s'intéressent au soccer, par exemple. Lorsque vous parlez de soccer, évidemment...

La présidente: L'Italie, l'Italie, l'Italie.

Le sénateur Merchant: Et la Grèce.

La présidente: Et la Grèce.

M. Persichilli: Absolument. Ce sont des champions européens.

C'est le type de nouvelles que les jeunes gens souhaitent. Ils s'intéressent également à la musique. Corriere et Tandem en parlent également.

Les lecteurs âgés de 30 à 50 ans s'intéressent aux affaires et au commerce. Ils s'intéressent à la bourse. Ils sont nombreux. Un grand nombre d'Italo-canadiens s'intéressent également à la politique — canadienne plutôt qu'italienne. Et c'est là mon travail.

La présidente: Éditorialiste politique.

Merci beaucoup. Ce fut une séance extrêmement intéressante et nous vous sommes très reconnaissants d'avoir été parmi nous.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant donner la parole aux membres du public qui souhaitent nous présenter de brefs exposés.

Nous accueillons maintenant D. Peter Reynolds et Peter G. Reynolds, qui représentent deaftv.ca.

M. Peter G. Reynolds, à titre personnel: Au nom de la communauté sourde, nous tenons à vous remercier de nous accueillir. Conformément à notre mandat, c'est un membre sourd de notre équipe qui devrait normalement s'entretenir avec vous; toutefois, nous n'avons malheureusement pas eu le temps de retenir les services d'un interprète gestuel.

Pour accélérer le processus — nous savons que nous n'avons que cinq minutes, je vais lire notre déclaration. Nous répondrons ensuite à toutes vos questions.

La technologie des communications a une incidence extraordinaire sur les Canadiens qui communiquent grâce au langage gestuel américain, c'est-à-dire le langage ASL. Aucun autre groupe culturel ne bénéficie davantage des services basés sur Internet, comme le courriel et la messagerie texte. Ces technologies ont rapproché les Canadiens sourds de façons qu'on ne pouvait espérer il y a à peine quelques années. Ce sont des outils puissants qui favorisent les relations et qui aident les dirigeants de la communauté à poursuivre leur lutte, longue et parfois frustrante, pour l'égalité des droits.

L'évolution rapide du multimédia en temps réel — et la facilité avec laquelle nous pouvons regarder des vidéos sur nos ordinateurs — ouvre des horizons extraordinaires pour les utilisateurs d'ASL. Grâce aux connexions à haute vitesse, les personnes sourdes peuvent se voir et se parler directement malgré de vastes distances. Elles peuvent aussi regarder des vidéos qui sont présentées entièrement en langage gestuel, sur Internet.

Deaf TV, la série télévisée d'affaires publiques, et son site Web connexe, deaftv.ca, se font les précurseurs de toutes ces technologies au profit des Canadiens sourds, en partenariat avec le centre du patrimoine sourd canadien. Ce centre, qui est un projet de la Société culturelle canadienne des sourds, sera une vitrine permanente de l'histoire et de la culture des personnes sourdes et sera situé dans le district historique des distilleries de Toronto.

À ses débuts, Deaf TV était une émission pilote financée et diffusée par OMNI Television à Toronto. OMNI a également financé Deaf Pride, un documentaire sur le 14e congrès mondial de la Fédération mondiale des sourds, qui a eu lieu à Montréal en juillet 2003. Les deux émissions, produites par une équipe de communicateurs entendants et sourds, ont été diffusées à quelques reprises sur OMNI 1 et 2 et Bell ExpressVU. Pour qu'elles soient entièrement accessibles, les émissions sont présentées en langage gestuel, avec des sous-titres et la voix d'un interprète.

Nous sommes d'avis que le site Web de Deaf TV — deaftv.ca — qui diffuse une vidéo en continu à bande large, peut non seulement répondre aux besoins d'information des Canadiens sourds, mais aussi être un modèle de la façon dont la fréquence à bande large peut rapprocher les autres communautés. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous chercherons à créer des relations mutuellement avantageuses avec les entités privées et gouvernementales qui ont un intérêt direct à promouvoir la technologie et les services d'information.

Permettez-moi de parler de financement. Les producteurs de Deaf TV recueillent actuellement de l'argent en vue d'une série continue et d'un programme de formation et cherchent également d'autres émetteurs pour diffuser la série au Canada ainsi qu'aux États-Unis et dans d'autres pays où l'ASL est utilisé. Nous croyons également que Deaf TV peut servir de modèle pour une version française du projet, en LSQ. Si votre comité peut nous aider à identifier des sources de financement et des émetteurs, nous vous en serions très reconnaissants.

Nous joignons à notre document un CD vidéo de Deaf TV. À notre avis, cette émission est la preuve évidente que les personnes sourdes peuvent faire des émissions de télévision qui attirent autant un public sourd qu'un public entendant. Très peu de personnes sourdes, voire aucune, travaillent dans le secteur de la télévision. Deaf TV espère faire changer les choses par l'exemple et grâce à des programmes de formation et de mentorat.

Le sénateur Tkachuk: Êtes-vous une entreprise privée ou un organisme à but non lucratif?

M. Peter G. Reynolds: Le Projet du patrimoine sourd canadien est un organisme à but non lucratif et For The Record Productions, qui est notre entreprise, travaille à l'heure actuelle avec cet organisme pour produire cela. Nous essayons présentement de voir comment ça va marcher, si ce sera à des fins purement lucratives, de concert avec le diffuseur, ou à des fins non lucratives. Cette décision n'a pas encore été prise.

Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas certain de ce que vous voulez dire. Lorsque vous parlez de Deaf TV, s'agit-il de commanditer ou de produire une émission de télévision pour la télévision régulière, ou encore de répandre les sous- titres sur un plus grand nombre de canaux? De quoi s'agit-il? Expliquez-moi.

M. Peter G. Reynolds: Deaf TV est culturel — tout comme la programmation italo-canadienne ou les émissions destinées aux Canadiens chinois; il s'agit d'une programmation canadienne sourde. En d'autres mots, c'est une programmation en langage gestuel américain, par les sourds et pour les sourds, qui véhicule le point de vue des personnes sourdes. C'est donc une émission dans leur propre langue, diffusée entièrement en langage gestuel, et non une émission en anglais avec sous-titres codés.

Le sénateur Tkachuk: Alors, parlez-vous d'un canal ou bien d'une production qui serait vendue?

M. Peter G. Reynolds: Une production qui serait vendue à d'autres diffuseurs. Vous savez, nous avons songé à avoir un canal Deaf TV. Or, le fait de diffuser une émission hebdomadaire régulière sur une chaîne grand public était plus efficace que d'avoir un canal numérique tout en haut du cadran, que personne ne verrait. Encore une fois, il est tout aussi important de rejoindre les Canadiens sourds que les Canadiens entendants et leur présenter les enjeux qui intéressent la communauté sourde. C'est donc une approche sur deux fronts.

M. D. Peter Reynolds, témoignage à titre personnel: Il s'agit d'un magazine hebdomadaire, comme n'importe quel autre magazine hebdomadaire.

Le sénateur Tkachuk: Oui, sauf qu'il est présenté en langage gestuel.

M. D. Peter Reynolds: En langage gestuel, comme vous le verrez sur le CD.

Le sénateur Tkachuk: Oui, c'est intéressant.

Combien de personnes sourdes y a-t-il au Canada?

M. Peter G. Reynolds: Je sais qu'il existe 50 000 personnes en Ontario qui utilisent l'ASL pour communiquer dans la vie de tous les jours. Dans l'ensemble du Canada, si l'on tient compte non seulement des personnes sourdes ou malentendantes, mais aussi les membres de leur famille, près d'un million de personnes utilisent d'une certaine façon l'ASL quotidiennement.

Le sénateur Tkachuk: Pour les personnes aveugles, il existe la désignation «aveugle au sens de la loi». Est-ce la même chose pour les personnes sourdes ou malentendantes?

M. Peter G. Reynolds: Il y a des personnes sourdes, devenues sourdes et malentendantes. Pour dire vrai, je ne sais pas combien il y aurait, au Canada, de personnes sourdes au sens de la loi.

Les personnes malentendantes apprennent souvent à parler, dans leur famille ou selon leur propre situation, et n'apprennent pas l'ASL. Il y a aussi les personnes qui ne sont pas entièrement sourdes, qui sont malentendantes et qui choisissent d'apprendre l'ASL parce qu'elles peuvent communiquer plus facilement de cette façon qu'en parlant.

Le sénateur Tkachuk: Concernant votre émission hebdomadaire, est-ce un format standard? Est-ce une production dramatique, en langage gestuel, ou une émission d'actualité, ou encore un mélange?

M. D. Peter Reynolds: C'est un mélange. Le monde des personnes sourdes, si vous voulez l'appeler ainsi, est riche sur tous les plans culturels — poésie, récits, reportages. C'est une langue et une culture en soi, et ce monde est aussi varié que celui de tout autre groupe culturel. L'émission, la série, est un reflet de cette culture, qu'elle projette non seulement pour les personnes dont la langue principale est l'ASL, mais pour le grand public.

Cette émission intéressera non seulement les personnes qui sont sourdes et utilisent l'ASL, mais les membres de leur famille, les personnes qui apprennent l'ASL, qui est très populaire dans les écoles partout au pays, ainsi que les gens qui travaillent avec des personnes sourdes, que ce soit au gouvernement, dans les services sociaux, etcetera. Elle permettra aux personnes non sourdes, comme nous, de voir ce qui se passe dans le monde des personnes sourdes, ce qui ne se fait pas aujourd'hui et ne s'est jamais fait à la télévision grand public.

Le sénateur Merchant: Je crois que vous avez répondu à la plupart de mes questions, par ce que vous avez dit au sénateur Tkachuk. J'ai très peu d'expérience auprès des personnes sourdes— il y avait une étudiante sourde à l'époque où j'enseignais. C'était dans les années 70, ce qui remonte à loin. Je suis ravi de voir le genre d'univers qui s'est ouvert à ces personnes, parce que cette jeune fille avait beaucoup de difficultés à fonctionner en classe. Je suis heureux que vous soyez ici pour nous sensibiliser à la situation actuelle des personnes sourdes.

Savez-vous si votre émission a un pendant aux États-unis, en Europe ou en Asie?

M. D. Peter Reynolds: Oui, en Europe. La BBC, par exemple, a pris ses responsabilités, comme d'habitude, ce que nous ne faisons pas dans notre pays. Je suis un ancien producteur de CBC. J'ai commencé le Disability Network à CBC, qui s'appelle aujourd'hui Moving On, qui est inspiré de cette expérience.

La BBC a une section à part entière. On y fait des productions dramatiques et des documentaires, ainsi qu'un magazine. La BBC paie, et l'affaire est close. La communauté sourde ou les personnes avec d'autres incapacités doivent quémander et manœuvrer pour obtenir de l'argent et du soutien. Néanmoins, l'émission tient par un fil chaque année, parce qu'on doit toujours demander du financement.

J'aimerais que CBC, CTV, Global ou quelqu'un d'autre prenne les devants et dise «C'est notre responsabilité. Voici l'argent. Offrons des services à cette communauté dans sa propre langue», mais personne ne l'a fait.

Le sénateur Merchant: En ce qui a trait aux personnes qui font ces émissions, est-ce que certaines d'entre elles sont sourdes et d'autres ne le sont pas? Comment cela fonctionne?

M. Peter G. Reynolds: Notre équipe est formée de communicateurs sourds et non sourds. Lorsque nous avons entrepris le projet, nous avons réalisé que la communauté sourde n'avait pratiquement jamais été exposée à la radiodiffusion, n'avait aucune expérience du tout. C'était la première étape du processus. Nous avons commencé avec OMNI il y a un peu plus d'un an, et nous avons réuni et formé une équipe de personnes sourdes, que ce soit pour les présentations à l'écran, la rédaction, les reportages, l'éclairage, toutes les activités de cette nature. Nous avons mis une équipe sur pied et ensemble, nous avons produit le documentaire Deaf Pride et Deaf TV.

Nous espérons continuer, de sorte que lorsque nous entreprendrons une série permanente, nous aurons non seulement l'équipe de production, mais aussi un programme de mentorat et de formation continue pour former un plus grand nombre de communicateurs sourds.

Le sénateur Merchant: C'est bien d'avoir des modèles de rôle.

M. Peter G. Reynolds: Tout à fait. C'est, en fait, le titre du projet pilote.

Le sénateur Merchant: C'est vrai? Je ne l'ai pas vu.

Cette initiative peut également inciter les écoles de journalisme à aider les personnes sourdes à obtenir une formation.

M. Peter G. Reynolds: L'une des choses les plus merveilleuses à propos de l'émission, ce sont les courriels que nous avons reçus. Certains étaient rédigés par des adultes, mais la plupart provenaient de jeunes élèves, des élèves de quatrième et cinquième années, qui disaient «C'est fantastique. Je n'avais jamais pensé que quelqu'un à la télévision s'adresserait directement à moi, dans ma langue. Peut-être qu'un jour, je pourrai faire partie de Deaf TV.» Voilà ce dont il s'agit.

Le sénateur Di Nino: Félicitations à vous deux et à tous les autres. Y a-t-il une valeur commerciale rattachée à cela, à l'extérieur du marché limité que vous servez maintenant?

M. Peter G. Reynolds: Oui, et nous aimerions que l'initiative prenne une dimension commerciale. Nous avons envisagé de créer une unité de production permanente, bien rémunérée et bien soutenue, dotée des compétences nécessaires. Ces personnes peuvent effectuer des tâches très diverses dans le domaine de la diffusion.

Il y a une émission de télévision ainsi que la production de DVD et de CD qui nous occupent. Nous sommes, plus ou moins, une maison d'édition de médias électroniques qui offrira toute une gamme de services. Que ce soit pour fournir de l'information dans le site Web, produire des vidéos, fournir des services de consultant, nous aimerions que le projet donne naissance à un guichet unique. Si un journaliste, un chef scénariste ou un producteur quelque part dans le monde des non-sourds souhaite faire un reportage, nous voulons qu'il s'adresse à nous; nous voulons qu'il sache où trouver les experts. Voilà les services que nous voulons être en mesure de vendre, parce qu'il faut voir à long terme.

Nous répétons constamment à nos associés «Nous ne voulons pas nous battre année après année, demander des cadeaux et de l'argent, quémander, joindre à peine les deux bouts, avoir des gens qui travaillent au salaire minimum ou et qui font du bénévolat.» Nous voulons que nos gens gardent la tête haute et disent «Nous sommes une entreprise légitime et nous faisons de l'argent». Nous avons besoin d'un coup de main pour commencer, mais notre plan — et nous en discutons constamment avec les gens de la communauté sourde — est de devenir autosuffisants, d'être productifs.

Le sénateur Di Nino: Votre marché pourrait même être plus vaste que celui de la plupart des autres émissions, puisque la voix hors champ et les sous-titres pourraient être insérés dans diverses langues, partout dans le monde.

M. D. Peter G. Reynolds: Tout à fait.

M. Peter G. Reynolds: Tout à fait.

M. D. Peter G. Reynolds: D'ailleurs, le disque que nous vous avons donné peut être produit dans n'importe quelle langue.

Le sénateur Di Nino: C'est bien ce que je croyais.

Il y a évidemment certaines organisations nationales pour les sourds, comme la Société canadienne de l'ouïe et — j'essaie de me rappeler — bien sûr, le Bob Rumball Centre for the Deaf. Le révérend Rumball est un homme extraordinaire.

M. D. Peter Reynolds: Je suis d'accord avec vous.

M. Peter G. Reynolds: Tout à fait.

Le sénateur Di Nino: Avez-vous communiqué avec ces gens?

M. D. Peter Reynolds: En fait, nous avons exercé des pressions...

Le sénateur Di Nino: Vous avez demandé des suggestions.

M. D. Peter Reynolds: Si vous me le permettez, j'aimerais remercier publiquement OMNI Television et Rogers. Ceci n'aurait pas été possible sans les 60 000 dollars provenant du fonds des producteurs indépendants de Rogers. Pour eux, l'ASL est une langue et une culture en soi. Rogers a probablement été le premier diffuseur en Amérique du Nord à avoir fait cela, à y avoir cru.

Placer des sous-titres ou de petites fenêtres dans un coin, c'est une chose, mais ce n'est pas tout. Ils ont acheté l'idée, parce que Deaf TV — les émissions qui ont paru sur Rogers font partie de leur mandat, leur mandat multiculturel. Ils ont reconnu et accepté le fait qu'il s'agit d'une langue comme n'importe quelle autre. Tout coule de là.

J'ai oublié la question.

Le sénateur Tkachuk: Non, non, c'était toute une réponse. Votre réponse était excellente.

Le sénateur Trenholme Counsell: Voici une présentation importante.

C'est peut-être naïf — et je m'en excuse — mais je me demande quel genre d'appels ou de demandes vous avez reçus en ce qui a trait à l'égalité d'accès aux nouvelles. En d'autres mots, la communauté sourde, ou les organisations qui vous représentent, a-t-elle demandé, par exemple, qu'au moins un grand journal télévisé par jour soit traduit en langage gestuel? Il y a une semaine ou deux — lorsque le président Bush était ici, je crois —, on a présenté un reportage qui était traduit en langage gestuel. Je m'en souviens bien parce que c'est inhabituel. Ce service est offert lors de congrès ou de réunions d'envergure. Toutefois, pour ce qui est des actualités, cette demande a-t-elle été présentée et rejetée? Il me semble qu'il s'agit d'une question d'égalité.

M. D. Peter Reynolds: Lorsque vous dites une «demande», à qui pensez-vous?

Le sénateur Trenholme Counsell: Par exemple, une demande faite à la Société Radio-Canada, pour qu'un grand téléjournal soit coproduit en langage gestuel. Ce pourrait être le téléjournal de 18 heures, de 22 heures ou de 21 heures, peu importe. A-t-on demandé que ces émissions soient offertes en langage gestuel?

M. D. Peter Reynolds: Permettez-moi de parler de ma propre expérience en tant que producteur exécutif à CBC. Nous avons produit une émission intitulée Silent News, qui faisait partie du Newsworld de CBC. C'était le premier et le dernier téléjournal en langage gestuel, et il était financé à cette époque par le gouvernement de l'Ontario. La société d'État fournissait les installations et toutes les ressources. Silent News était animé par une personne sourde. Les principales nouvelles de la semaine étaient présentées dans une fenêtre, mais une personne parlait en langage gestuel au centre de l'écran. C'était très impressionnant, et les gens aimaient beaucoup cela. Toutefois, la société d'État n'avait pas l'argent pour soutenir l'émission directement, et celle-ci a donc pris fin.

Pour ce qui est des demandes — et c'est le côté négatif de la chose — lorsque nous avons terminé Deaf TV, le projet pilote, et Deaf Pride, nous avons fait un beau colis que nous avons envoyé à CTV, à CBC et à Global, avec toute la documentation. Nous n'avons jamais reçu d'accusé de réception.

Toutefois, nous avons préparé une lettre à l'intention de M. Rabinovitch et des autres personnes pour leur demander de bien vouloir accuser réception, parce que c'est important et que la communauté sourde ne permettra pas qu'on l'ignore de cette façon. Nous avons été insultés qu'ils n'aient même pas pris la peine de répondre. En tant qu'ancien producteur de CBC, j'en ai été particulièrement surpris. Toutefois, je reste optimiste et je crois que nous pouvons obtenir une meilleure réponse.

Nous avons l'intention de nous adresser aux diffuseurs et de leur demander de mettre en commun une certaine somme d'argent pour cette émission. Ils pourraient réunir une somme d'argent pour créer cette entité qu'on appelle Deaf TV, et ils pourraient tous présenter l'émission, gratuitement. Elle aurait la plus vaste diffusion possible. Des gens pourraient être formés, et les personnes sourdes et les personnes non sourdes pourraient enfin se comprendre au Canada. La réunion d'aujourd'hui est la première étape de ce plan.

La présidente: Permettez-moi de vous remercier tous les deux de votre présence aujourd'hui. Merci pour votre témoignage fascinant.

Tenez-nous au courant de la suite des choses. Comme vous pouvez le voir, nous sommes tous intéressés par ce projet.

J'inviterais maintenant M. Hasanat Ahmad Syed et M. Sultan Qureshi, du South Asian Journalists Club, à s'asseoir à la table.

M. Hasanat Ahmad Syed, témoignage à titre personnel: Bonjour. Je remercie la présidente et le greffier du comité de me donner cette rare occasion de m'adresser au comité permanent.

Le professeur John Miller, de l'Université Ryerson, vous a déjà parlé du sort réservé aux minorités visibles dans les salles de nouvelles des médias grand public. Selon ses recherches, ces minorités sont six fois sous-représentées.

Je suis ici pour vous parler du sort des médias ethniques, qui a été quelque peu décrit par M. Thomas Saras lorsqu'il a comparu devant le comité à Ottawa.

Dans le cahier que vous avez entre les mains, j'ai inséré certains documents importants sur la publicité dans les médias ethniques.

L'an dernier, le gouvernement fédéral a dépensé environ 100 millions de dollars en publicité. De cette somme, seulement 1 million de dollars — c'est-à-dire 1p.100 — est allé aux médias ethniques. Cette année, neuf mois se sont déjà écoulés, et aucune somme d'argent n'a encore été versée aux médias ethniques pour la publicité. Pourquoi?

Le gouvernement fédéral a réduit son budget de publicité de 15p.100. Je vous demanderais de regarder la note à la page 3 du cahier. Cette réduction fait probablement suite au scandale des commandites. Toutefois, l'innocente victime de cette saga, ce sont les médias ethniques.

Nous avons écrit au chef de l'opposition pour lui dire que son acharnement à l'égard de ce scandale a nui énormément aux médias ethniques. Sa réponse se trouve à la page 4.

La réduction du budget de 15p.100 est une conséquence directe de ce scandale et affecte les médias ethniques. Nous sommes convaincus que le gouvernement du Canada est bien au fait du mauvais traitement qui est servi aux médias ethniques.

Une lettre de Ralph Goodale, ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux de l'époque, se trouve à la page 5. Dans cette lettre, le ministre reconnaît cette malheureuse réalité et demande l'aide et la collaboration du club afin de sensibiliser les ministères concernés à l'importance vitale d'utiliser les médias ethniques. Nous lui avons promis toute notre collaboration à cet égard et nous attendons toujours.

Le ministre actuel des Travaux publics et des Services gouvernementaux a été informé que les médias ethniques envisagent la possibilité d'une commission de 30p.100, et sa réponse se trouve à la page 7. Nous attendons toujours une réponse claire.

L'importance des médias ethniques peut être mesurée par les données du recensement, que reproduit le document à la page 9 et qui montrent la vitalité relative des diverses langues ethniques au Canada. Comme on le voit dans ce document, il existe neuf grandes communautés ethniques. Le gouvernement devrait considérer les médias qui desservent neuf grandes communautés ethniques, pour tous ses projets de publicité.

Comme le comité sénatorial permanent présentera ses recommandations au gouvernement du Canada sur l'état de l'industrie des médias, il importe que le Sénat attire l'attention du gouvernement sur ses responsabilités envers la mise en œuvre et la promotion du multiculturalisme, qui fait partie intégrante des politiques gouvernementales.

En privant les médias ethniques de leur juste part de la publicité fédérale, le gouvernement nie le concept même de la diversité. Nous ne demandons pas la charité. Nous demandons notre juste part.

Nous demandons au comité de recommander que les médias ethniques reçoivent leur juste part de la publicité fédérale, soit 15p.100. Ce pourcentage est basé sur les données du recensement de 2001, selon lesquelles les minorités visibles forment 16p.100 de la population. Cette recommandation s'appuie également sur la Charte des droits, qui garantit l'égalité à tous dans les programmes gouvernementaux.

J'ai beaucoup à dire, mais je sais que les membres du comité sénatorial ont déjà entendu plusieurs exposés et qu'ils doivent être fatigués. Je termine donc ici et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Tkachuk: Dans le bon vieux temps, avant le scandale des commandites, quel pourcentage de l'ensemble du budget de publicité était accordé à la presse ethnique?

M. Syed: C'est une bonne question. Le budget total de publicité du gouvernement fédéral s'élevait à 100 millions de dollars, et les médias ethniques obtenaient 1p.100 de cette somme, soit un million de dollars. C'est pourquoi j'ai écrit à M. Goodale pour lui dire qu'il lui incombait d'éduquer le ministère responsable de la publicité du gouvernement fédéral. Je lui ai dit que j'étais prêt à l'aider. Toutefois, il est maintenant ministre des Finances — alors je ne sais pas ce qui est arrivé.

Le sénateur Tkachuk: Avant le scandale des commandites, les médias ethniques recevaient donc 1 million des 100 millions de dollars affectés à la publicité.

M. Syed:Ce qui donne 1p.100 du budget total de publicité.

Le sénateur Tkachuk: Aujourd'hui, le gouvernement consacre encore des sommes d'argent à la publicité.

M. Syed: Oui, et les médias ethniques n'ont rien reçu au cours des neuf derniers mois. La raison — en fait, j'ai reçu une autre lettre du ministre actuel des Travaux publics. Il a souligné que tous les projets de publicité étaient terminés jusqu'en juin de cette année, et qu'ils reprendraient à ce moment-là. Nous sommes maintenant en décembre. Neuf mois se sont déjà écoulés, et nous n'avons toujours rien reçu en publicité.

Le sénateur Tkachuk: Eh bien, il n'y aurait pas eu de publicité durant les élections fédérales.

M. Syed: Ce qui est compréhensible.

Le sénateur Tkachuk: Ce qui est compréhensible et probablement vrai. Mais en quoi le scandale des commandites peut-il être lié au fait que vous n'obtenez pas 1p.100 du budget de publicité qui est dépensé à l'heure actuelle?

M. Syed: C'est une très bonne question. Les bureaucrates à Ottawa — je crois que le dicton «Chat échaudé craint l'eau froide» s'applique aux bureaucrates, qui se montrent maintenant très prudents dans leurs activités de publicité.

Les élections sont terminées, et nous sommes maintenant au neuvième mois de l'année financière courante. Il ne reste que trois mois et nous n'avons toujours rien reçu.

Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas ici pour vous dire ce que le gouvernement libéral doit faire ou ne pas faire, monsieur.

M. Syed: Non, évidemment.

Le sénateur Tkachuk: Toutefois, je peux vous assurer d'une chose. Si le gouvernement libéral fédéral voulait confier 1p.100 de son budget de publicité aux médias ethniques, rien ne l'empêcherait de le faire. Il ne faut pas jeter le blâme sur les bureaucrates, ni sur Stephen Harper. Il n'y a qu'une seule personne à blâmer.

M. Syed: Vous voulez dire le premier ministre? Voyez-vous, je crois que...

Le sénateur Tkachuk: Je ne vais pas dire cela.

M. Syed: Je m'adresse au comité permanent parce que vous allez faire des recommandations sur l'état des médias au Canada. J'ai présenté des chiffres dans ces documents. Ce sont ces chiffres qui doivent inciter à l'action. Dans vos recommandations, vous pouvez souligner cette situation exécrable.

Les libéraux forment un gouvernement minoritaire et ils ont obtenu cette minorité sur le dos des gens originaires de l'Asie du Sud qui vivent dans la région du grand Toronto. Nous avons élu cinq députés d'Asie du Sud et nous en avons appuyé 40 autres. Voilà mon évaluation personnelle. Nous avons aidé les libéraux à se faire élire et ils font fi des minorités ethniques.

Le sénateur Tkachuk: Je vais m'en tenir là.

Le sénateur Di Nino: Combien d'argent avez-vous reçu au cours de l'avant- dernière année?

M. Syed: En publicité?

Le sénateur Di Nino: En publicité, oui.

M. Syed: Je n'ai pas ces chiffres. Comme je vous l'ai dit, le budget total de publicité s'élevait à 100 millions de dollars.

Le sénateur Di Nino: C'était une année d'élection.

M. Syed: Avant cette année.

Le sénateur Di Nino: Est-ce que vous receviez environ 1p.100 au cours des dernières années?

M. Syed: Ce sont les données du gouvernement, pas les miennes.

Le sénateur Di Nino: En d'autres termes, ce n'était pas à cause des élections que vous...

M. Syed: Non, non.

Le sénateur Di Nino: Cette question a-t-elle été discutée au sein de l'Ethnic Press Council?

M. Syed: Non, l'Ethnic Press Council n'a rien à voir avec nous. Nous sommes le South Asian Journalists Club. Nous ne travaillons pas avec ce conseil.

Le sénateur Di Nino: Vous parlez des médias ethniques.

M. Syed: Oui.

Le sénateur Di Nino: Vous ne parlez pas seulement de votre...

M. Syed: Oui.

Le sénateur Di Nino: ...part. Vous parlez de l'ensemble des médias ethniques. Il existe une organisation qui s'appelle l'Ethnic Press Council.

M. Syed: Je la connais.

Le sénateur Di Nino: Ce conseil parle de façon très éloquente au nom des médias allophones. Est-il du même avis que vous? A-t-il fait valoir son point de vue?

M. Syed: Thomas Saras a déjà présenté un exposé à Ottawa.

Le sénateur Di Nino: Madame la présidente, M. Persichilli a dit essentiellement la même chose: les médias allophones ne demandent pas de cadeau, mais plutôt leur juste part de ce qui est disponible.

M. Syed: Oui.

Le sénateur Di Nino: Je suis d'accord avec vous sur ce point. Là où je veux en venir, c'est qu'il s'agit d'une question que devrait faire valoir l'ensemble des médias ethniques, sous l'égide d'un organisme cadre. S'ils ont dit la même chose, très bien. Je n'ai pas d'autres questions.

Le sénateur Merchant: J'essaie de comprendre pourquoi vous n'obtenez aucun financement. Je ne comprends toujours pas pourquoi. Je ne comprends pas en quoi le scandale des commandites est lié à votre financement.

Je regarde les lettres que vous avez reçues des deux ministres. La première dit que Communication Canada pourrait travailler en collaboration avec votre organisation pour garantir que l'agence de coordination a la liste la plus récente des médias ethniques pour faciliter le placement des annonces. A-t-elle cette liste? Y a-t-il un problème à cet égard?

M. Syed: Elle a cette liste.

Le sénateur Merchant: Elle a cette liste. Le ministre Brison a dit que le choix d'un média donné repose sur de saines pratiques de planification qui tiennent compte de divers facteurs comme le message, la disponibilité du média, l'auditoire visé, les données démographiques, la diffusion, le moment choisi et le budget.

Vous êtes en mesure de leur fournir toutes ces données, n'est-ce pas? Il doit bien y avoir une raison pourquoi vous n'obtenez pas de financement.

M. Syed: M. Ralph Goodale m'a demandé de présenter cet exposé, et nous n'avons pas eu l'occasion de le faire.

Le sénateur Merchant: Vous n'y êtes pas encore allé. Vous n'en avez pas eu l'occasion.

M. Syed: Non. Nous avons toutes les données, et nous voulons les présenter.

Par exemple, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration s'apprête à faire une certaine publicité. Sa meilleure cible serait les médias ethniques, puisque ces médias sont dirigés par des immigrants, qui forment l'auditoire visé. Toutefois, le ministère s'adresse au Globe and Mail et au Financial Post, qui sont des médias grand public. C'est une perte d'argent. J'aimerais l'expliquer aux décideurs, mais nous n'avons pas eu l'occasion d'expliquer ces choses.

La présidente: Je m'engage au nom du comité à écrire à M. Brison pour l'informer de votre situation.

J'ai une question. Lorsque j'étais jeune, j'ai travaillé pendant de nombreuses années pour le journal numéro deux. En fait, j'ai travaillé pour deux journaux numéro deux et leurs marchés respectifs. Je me souviens que les directeurs de la publicité de ces journaux, les gens qui tentaient d'attirer la publicité, s'arrachaient les cheveux, parce que même si nous croyions que le nombre de nos lecteurs était excellent, l'autre journal restait le plus gros. Les publicitaires croyaient toujours qu'objectivement, ils en avaient plus pour leur argent en s'adressant au plus grand journal.

Nous savons qu'à la suite de la controverse entourant les commandites, le gouvernement fédéral a imposé un moratoire afin de revoir tous les critères, et vraisemblablement les rendre aussi objectifs que possible, ainsi que toutes ces choses que les acheteurs d'espace publicitaire ont tendance à faire.

Ma question est donc la suivante: Croyez-vous que le problème vient de là, que dans l'examen et la refonte des critères, les médias ethniques ont été mis de côté parce qu'ils sont petits ou ne sont pas aussi visibles? Est-ce aussi simple que cela? Est-ce tout simplement qu'on n'a pas tenu compte de vous dans ces critères, ou le problème est-il tout autre?

M. Syed: M. Ralph Goodale a déjà admis que nous ne recevions pas un pourcentage décent de la publicité parce que les responsables des communications dans les ministères ne connaissent pas bien la force et l'efficacité des médias ethniques.

Comme je vous l'ai dit, si le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration doit annoncer quelque chose, il doit le faire par l'intermédiaire des médias ethniques, parce que les immigrants, dans l'ensemble, lisent ces journaux. Évidemment, le Globe andMail connaît un vaste lectorat, mais une page de publicité y coûte35 000 $. Les mêmes résultats seraient réalisés dans les médias ethniques, et un plus grand nombre d'immigrants verraient la publicité.

La présidente: Je crois que nous comprenons tous ce que vous voulez dire, monsieur Syed.

Le sénateur Trenholme Counsell: Pour bien comprendre les chiffres, jusqu'à l'année dernière, vous receviez 1p.100?

M. Syed: Oui, c'est exact.

Le sénateur Trenholme Counsell: Pendant longtemps avant cette année-là?

M. Syed: Oui, pendant longtemps.

Le sénateur Trenholme Counsell: Ce que vous demandez, c'est donc de grimper à 15p.100. Pas nécessairement du jour au lendemain, mais vous voulez 15p.100; est-ce exact?

M. Syed: Compte tenu des données démographiques — vous ne pouvez pas faire fi des pourcentages.

Le sénateur Trenholme Counsell: Je vais vous donner un avis que vous ne me demandez pas — mais je présume que l'on procède habituellement de façon progressive, parce qu'il s'agit d'une augmentation énorme, de passer 1 à 15p.100.

M. Syed: Ce que je crois, c'est que si nous demandons 15p.100, nous obtiendrons 5 ou 7p.100. C'est ce que je dis.

Le sénateur Trenholme Counsell: Ce n'est pas seulement l'an dernier que vous avez reçu 1p.100. Vous receviez ce pourcentage depuis longtemps.

M. Syed: Oui, depuis très longtemps.

La présidente: Merci beaucoup, messieurs. Nous vous remercions de votre présence. J'écrirai à M. Bryson et je lui enverrai une copie de votre mémoire.

Notre prochain témoin, que j'invite maintenant à la table, est M. Derek Luis, directeur général de la Canadian Diversity Producers Association.

Je crois comprendre que vous avez des intérêts très diversifiés. Comme vous le savez, notre étude porte sur les médias d'information et, puisque notre temps est limité, je vais vous demander, si je peux me permettre cette audace, de vous concentrer sur ce sujet, si possible.

M. Derek Luis, témoignage à titre personnel: Absolument. Je suis prêt à me concentrer sur ce sujet.

La Canadian Diversity Producers Association représente des producteurs de cultures diverses partout au Canada, qui créent des films, des émissions de télévision et des émissions d'actualité. Pour être bref, je vais me concentrer sur la question des actualités.

Je parlerai essentiellement de l'égalité d'accès à l'emploi, sujet qui a été abordé dans trois grandes études, dont celle menée par le CRTC, par l'intermédiaire de l'Association canadienne des radiodiffuseurs, et je suis certain que John Miller, de Ryerson, a aussi abordé cette question.

Pour illustrer notre propos, prenons une statistique sur CBC/Radio-Canada, notre diffuseur public, où moins de 5p.100 des employés font partie des minorités visibles. Voilà qui est extrêmement préoccupant, quand on songe à l'accès à l'emploi, dans une ville où 50p.100 ou plus des citoyens font partie des minorités visibles. En 2011, dans six ans seulement, on estime que les minorités visibles compteront pour 70p.100 de la population ici et qu'elles revendiqueront un plus grand accès au contenu et une meilleure représentation dans les reportages.

Je voulais attirer l'attention du comité sur ce problème et voir s'il pouvait recommander quelques initiatives à cet égard. Je crois comprendre que le sénateur Oliver a travaillé avec le Conference Board du Canada afin de décrire la situation difficile dans laquelle se trouvent les minorités visibles en général qui, dans de nombreux cas, font 30p.100 de moins mais, apparemment, contribuent 30p.100 de plus au PIB du Canada.

Il y a donc ces professionnels des médias qui doivent se battre pour se faire une place dans l'industrie.

Le sénateur Munson: Concernant les tendances dont vous parlez, c'est-à-dire que les minorités visibles formeraient 70p.100 de la population d'ici 6 ans, croyez- vous que le gouvernement devrait intervenir et adopter une réglementation pour que le diffuseur national, pour le moins, et les journaux nationaux embauchent autant de personnes?

M. Luis: Ce qui est malheureux, c'est que les exigences, c'est-à-dire les lois qui favorisent l'équité en matière d'emploi et l'obligation de rendre compte des sociétés d'État et des grandes entreprises... Les femmes ont réalisé des progrès énormes et ont atteint des niveaux d'emploi d'environ 45p.100, qui est relatif à leur disponibilité sur le marché du travail dans la région, et les Autochtones ont aussi, dans une certaine mesure, obtenu une représentation relative raisonnable, selon ces deux études qui ont été publiées. Toutefois, même si CBC/Radio-Canada, qui est un bel exemple, se trouve dans de nombreux centres urbains, cette représentation de 5p.100 est effarante. Il existe d'excellents professionnels qui sont dévoués à la cause et qui ont à cœur de corriger cette situation.

Toutefois, c'est le leadership qui fait le plus problème. Il y a des subventions pour les courts métrages et des commissions pour les cinéastes indépendants. Comme nous l'avons dit, des stages sont créés dans les médias d'information. Il y a beaucoup de journalistes qui deviennent reporters ou animateurs à l'écran. Toutefois, il faut employer des producteurs, parce que ce sont eux qui contribuent à la forme du reportage et à ce qu'il reflète.

Il y a une vingtaine d'années, le Conseil national des canadiens chinois a été créé à la suite de la diffusion d'un reportage dans lequel on disait que les Chinois envahissaient les écoles de Vancouver. Les communautés se sont alors mobilisées pour créer un organisme qui allait surveiller les médias et favoriser un certain rayonnement.

Pour ce qui est de la représentation — ce qu'il faut faire d'abord, c'est appliquer les lois qui sont adoptées, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. Il n'y a pas de sanction; par conséquent, très peu a été réalisé depuis plus de 20 ans.

Le sénateur Munson: Quels dangers court-on si on n'engage pas plus de représentants des groupes minoritaires dans notre pays?

M. Luis: Premièrement, c'est un enjeu important en matière de droits de la personne. Deuxièmement, si on regarde ce qui s'est produit en Grande-Bretagne, il y a eu des émeutes qui ont engendré tout un changement dans les médias grand public. Des foules de jeunes gens sans emploi sont descendues dans les rues. Il y a aussi des conditions sociales terribles découlant de certains problèmes sociopolitiques, et on a réalisé tout à coup qu'il y avait ces enclaves dans les médias britanniques que vous ne pouviez tout simplement pas percer si vous n'aviez pas été à Cambridge ou à Oxford.

Nous commençons à abolir certains de ces obstacles ici, mais nous n'avons pas de reportage qui reflète notre patrimoine national. Il a fallu 20 ans pour en arriver là où nous en sommes aujourd'hui. À 21 ans, j'étudiais en journalisme et je parlais des mêmes problèmes.

Ma situation a changé. Je suis journaliste, et je compte dix ans d'expérience de travail à CBC, MuchMusic et YTV. Tout récemment, j'ai produit ma première émission dramatique pour CHUM, une histoire merveilleuse et culturellement diversifiée. Toutefois, ce fut un périple et un combat extraordinaires. Rares sont ceux qui ont réussi comme moi. Il y a tellement de talents perdus, de personnes qui se tournent vers l'enseignement, les affaires ou d'autres domaines, et c'est vraiment malheureux.

On a perdu tout un bassin de talents au cours des 20 dernières années, et ceux qui ont réussi sont exceptionnels, extraordinaires et uniques. Il y a donc un coût humain ici et une immense frustration quand on songe à ce que nous n'avons pas réalisé.

Permettez-moi de vous donner un exemple, en ce qui a trait aux productions dramatiques. Plusieurs producteurs sont venus au Canada et sont repartis, parce qu'ils ne pouvaient pas avoir une équipe canadienne culturellement diversifiée. Les syndicats ne disposaient pas de ce type de talent. Par conséquent, nous avons perdu 40 millions de dollars en production. C'est arrivé plusieurs fois. Nous ne pouvons pas laisser les choses continuer ainsi.

Ce sont des enjeux importants sur le plan des droits de la personne, mais aussi pour ce qui est des ressources humaines et des capacités.

Le sénateur Di Nino: À votre avis, y a-t-il une différence entre le diffuseur public et les diffuseurs privés?

M. Luis: En matière de leadership, les réseaux privés ont fait un peu plus de progrès. Par ailleurs, on ne trouve aucun directeur supérieur issu d'une minorité visible à CBC/Radio-Canada. Par conséquent, les efforts faits par la société d'État pour attirer les minorités ont généralement échoué, si ce n'est des animateurs à l'écran et de quelques producteurs de nouvelles qui se trouvent à des niveaux inférieurs. Quelques nouvelles initiatives commencent à être lancées.

Il y a 20 ans, un producteur a donné une chance à une jeune journaliste du nom de Deepa Mehta et à plusieurs autres journalistes qui ont poursuivi leur carrière à New York. Nous savons tous que Deepa s'est tournée vers autre chose, n'est-ce pas?

Le sénateur Di Nino: Une belle réussite.

M. Luis: Le secteur privé doit donc trouver des talents...

Le sénateur Di Nino: Toutefois, il réagit mieux et plus rapidement que le secteur public.

M. Luis: C'est juste. Toutefois, il y a d'énormes pressions sociales et juridiques pour faire réagir nos organismes publics.

Le sénateur Di Nino: Pour le compte rendu, je veux être certain que nous comprenons bien, parce que je crois comprendre. Vous ne parlez pas de réduire la qualité ou les compétences ici.

M. Luis: Non, je parle de professionnels qui, dans de nombreux cas...

Le sénateur Di Nino: Vous parlez de personnes de talent égal, de compétences égales. Vous ne dites pas qu'il faut abaisser la barre?

M. Luis: Non, je parle d'égalité d'accès. Il y a des professionnels qui remportent des prix — des prix Gémeaux — à qui on n'offre pas les mêmes chances.

Le sénateur Di Nino: Je suis d'accord avec vous. Je veux seulement que ce soit écrit dans le compte rendu.

Il y a une question que j'aurais dû vous poser auparavant, et je vais vous la poser maintenant, parce que vous êtes un professionnel du domaine. Revenons à CBC/Radio-Canada.

À votre avis, la société d'État a-t-elle bien compris, au cours des 30 dernières années, ce qui constitue notre pays? Est-elle le reflet de ce qu'est réellement notre pays aujourd'hui?

M. Luis: Là où elle a visé juste — et c'est un exemple de réussite — , c'est avec l'émission Metro Morning. Ce succès est attribuable à Susan Marjetti, la directrice de programme. Selon elle, on ne peut raconter ce qui se passe à l'extérieur si on n'est pas un reflet de cet extérieur. Son équipe est un reflet fidèle de Toronto et elle produit les meilleurs reportages. Cette émission est invariablement le numéro un à Toronto, et il s'agit d'une des meilleures émissions radiophoniques et d'une des meilleures stations au monde. Je dirais qu'elle figure parmi les dix meilleures au monde.

Le sénateur Di Nino: Mais ce n'est pas le cas de la programmation nationale, n'est-ce pas?

M. Luis: C'est juste, et la société d'État ne tire pas parti de ses succès, comme celui d'une émission produite il y a vingt ans.

Le sénateur Merchant: Vous savez, on dit qu'un homme peut se contenter de l'argent, mais qu'une femme doit posséder l'or pour arriver au même niveau. C'est peut-être le même genre de frustration que vous vivez.

Je suis originaire de la Saskatchewan, et ma question porte sur les Premières nations. Nos jeunes gens sont, dans l'ensemble, des membres des Premières nations, et nous devons les former et les habiliter pour qu'ils puissent assurer la relève, sans quoi nous aurons des problèmes. Il n'y a pas beaucoup de nouveaux immigrants à Regina ou dans l'ensemble de la Saskatchewan, alors nous devons faire quelque chose pour les membres des Premières nations.

Pouvez-vous nous dire un peu ce qui se passe? Je suis au courant de l'Aboriginal Peoples Television Network.

M. Luis: Oui.

Le sénateur Merchant: Pouvez-vous nous dire ce qui se passe?

M. Luis: J'ai beaucoup travaillé avec les collectivités autochtones. Il existe deux associations de producteurs autochtones. Une nouvelle association est sur le point de naître des cendres de la première et de la controverse qui l'entoure; c'est un groupe dynamique et extraordinaire de producteurs autochtones.

Le plus grand défi que doit relever la collectivité autochtone vient de son imposante cohorte de jeunes. Parmi tous les groupes culturels, c'est chez les Autochtones que l'on retrouve le plus grand pourcentage de personnes de moins de 25 ans — et donc une quantité extraordinaire de ressources — , ce qui joue en faveur de ce groupe, dans lequel on investit beaucoup d'argent.

La chose la plus importante, c'est l'Aboriginal Peoples Television Network, dont la transmission est obligatoire. Son incidence a été extraordinaire.

On touche ici aux obstacles et aux défis systémiques que comporte l'établissement d'un réseau de diversité qui créerait les mêmes possibilités pour les producteurs issus de diverses cultures et de minorités visibles, afin de leur permettre de s'intégrer davantage dans l'industrie.

Vision TV, par exemple, était la voix de la diversité à ses tous débuts — le Women's Television Network et l'Aboriginal Peoples Television Network ont créé des possibilités que les grands réseaux n'offriraient pas en temps normal. C'est de cette façon que l'ONF a réussi à présenter ses documentaires à la télévision — à la suite d'une étrange bataille entre l'ONF et CBC/Radio-Canada. Vision TV a créé des occasions extraordinaires pour les cinéastes ethniques qui voulaient travailler dans les médias grand public, et pour les cinéastes autochtones et les femmes cinéastes et tous les autres qui se sont vu refuser l'accès aux médias grand public. Vision TV a créé des possibilités.

Le Women's Television Network a créé des occasions extraordinaires pour les femmes. Ces réseaux profitent à toutes sortes de personnes. Il y a de nombreux hommes blancs qui ont profité du réseau des femmes, en obtenant des emplois et des commandes. De nombreuses personnes non autochtones ont profité de l'APTN. Des retombées importantes jaillissent dans d'autres secteurs de l'industrie du divertissement. C'est une question qui nous intéresse, parce qu'on parle ici de discrimination systémique, d'obstacles à l'emploi et d'autres problèmes de financement. Nous ne disons pas qu'il y a du racisme pur et simple. Ce sont des enjeux systémiques.

Par ailleurs, parce qu'il y a beaucoup de concurrence au sein de l'industrie, nous avons affaire à de grandes entreprises qui reçoivent des subventions depuis des années. Une des plus grandes entreprises, Alliance Atlantis, qui est une société privée, a reçu des subventions gouvernementales de l'ordre de 100 millions de dollars.

Cette entreprise a fait un excellent travail...

La présidente: Elle n'a pas fait les bulletins de nouvelles.

M. Luis: C'est juste.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce encore une question de couleur, ou autre chose? Je suis un Ukrainien de deuxième génération. Il est Italien. Nous sommes tous deux au Sénat. Pourquoi est-ce la première génération? Pourquoi avons- nous réussi à nous intégrer, mais que nous connaissons ces problèmes une génération plus tard? Est-ce une question de couleur?

M. Luis: En partie. C'est aussi parce qu'on est exclu des médias grand public et parce qu'on vient de l'extérieur. Il y a aussi les vieux tiraillements internes, les questions qui reviennent constamment: «Est-ce que ce sera diffusé à Brandon, au Manitoba? Est-ce que ce sera diffusé à Halifax?» Si on raconte l'histoire d'une famille noire, par exemple, est-ce que les autres familles pourront s'y identifier? Par conséquent, pour une raison quelconque, on hésite à donner une plus vaste diffusion aux histoires ethniques. On ne veut pas les diffuser à l'échelle nationale.

Le sénateur Tkachuk: Je me demande toujours pourquoi les gens regardent les aspects négatifs plutôt que les aspects positifs. En d'autres mots, pourquoi ne pas étudier les cultures qui ont du succès plutôt que celles qui n'en ont pas?

Prenons la population asiatique à Vancouver, dont les jeunes sont remarquables. Ce sont des premiers de classe; ils obtiennent des bourses pour étudier dans des universités partout aux États-Unis. Il n'y a rien à leur épreuve, ce qui m'intrigue toujours. Peu importe qu'ils doivent apprendre une nouvelle langue ou s'acclimater à un nouveau pays, ils deviennent médecins, avocats, ingénieurs, etcetera. Pourquoi réussissent-ils alors que d'autres échouent?

M. Luis: Leurs parents travaillent et se sacrifient beaucoup plus que la moyenne. C'est la même chose chez les familles d'origine indienne. C'est à cause des parents qui luttent et qui font des sacrifices.

Le sénateur Tkachuk: C'est une question de culture, dites-vous?

M. Luis: Bon nombre de ces parents ne prennent pas de vacances.

Le sénateur Tkachuk: C'est donc une question de culture.

M. Luis: Oui, et on revient aussi à ce que le sénateur Merchant disait, à savoir qu'il faut exceller. Ces familles offrent à leurs enfants plus de scolarité et plus de formation. Il y a aussi la pression des pairs qui joue. Dans de nombreux cas, certaines de ces familles sont beaucoup plus riches que la famille canadienne moyenne, et elles peuvent donc soutenir les jeunes durant leurs études.

Le sénateur Tkachuk: Je me rappelle que mes parents et le prêtre de ma paroisse nous sermonnaient en nous disant qu'il fallait aller à l'université, faire nos preuves, travailler deux fois plus fort que quiconque, à cause de nos origines. En fait, trois des premiers élèves de mon école à fréquenter l'université étaient de descendance ukrainienne.

Ce sont de bonnes leçons culturelles. Nous parlons toujours des pressions négatives et des obstacles à l'accessibilité, mais nous devrions regarder également les réussites. Prenons par exemple la productrice de Metro Morning dont vous avez parlé. Quels sont ses antécédents, quelles ont été ses motivations et comment a-t-elle fait pour produire l'émission du matin la plus écoutée de Toronto?

Le sénateur Di Nino: Vous parlez de Susan Marjetti.

M. Luis: C'était une excellente directrice, qui a saisi l'occasion qui se présentait.

Quelqu'un a écrit que vous avez de meilleures chances de voir des extraterrestres que de voir des asiatiques à la télévision. Pour une raison quelconque, on ne choisit pas des commentateurs asiatiques pour faire des analyses financières, politiques ou autres. Par conséquent, lorsque vient le temps de choisir des experts, nous n'avons pas un bassin d'experts asiatiques, alors nous ne voyons pas les compétences que ces personnes peuvent avoir. Elles sont invisibles à la télévision.

La présidente: Nous manquons un peu de temps, et j'ai promis la dernière question au sénateur Trenholme Counsell, mais j'ai une autre question à ce sujet.

Nous parlons des médias d'information ici et, à mon avis, les données montrent assez clairement que les minorités visibles, en particulier, sont sous-représentées dans les salles de presse des médias canadiens grand public. Toutefois, l'expression «grand public» est importante. J'ai une hypothèse que je vous demanderais de commenter, à savoir que les médias grand public, dans l'ensemble, n'ont pas beaucoup embauché au cours des dix ou 15 dernières années. Ils ont plutôt réduit leur personnel. Dans de nombreux cas, le personnel qui reste est syndiqué. Vous ne pouvez congédier un anglo-saxon blanc et protestant qui est incompétent pour pourvoir faire une place à un membre brillant d'une minorité visible si cet anglo-saxon blanc et protestant qui est incompétent a de l'ancienneté parmi les syndiqués.

Comprenez-moi bien. Je crois que les syndicats ont une influence heureuse à de nombreux égards, mais toute bonne chose comporte aussi des aspects négatifs.

Le problème n'est-il pas attribuable, du moins en partie, au fait que, même si nous reconnaissons que nous devons diversifier nos salles de presse, nous sommes aux prises avec cette autre réalité qui nous dit qu'il faut, pour cela, se débarrasser de certaines personnes?

M. Luis: Oui, il y a moins d'emplois disponibles, et votre observation est juste. Le problème, c'est que lorsque trois emplois deviennent disponibles, il y a toujours des candidats à l'interne qui veulent être mutés d'un poste à l'autre. Il y a aussi le réseautage qui permet à un ancien collègue d'être embauché dans une autre entreprise. J'ai beaucoup entendu parler de ce réseautage informel; une ancienne directrice de CBC a entendu dire, à travers les branches, qu'il y avait un emploi en or à combler à Londres et elle a réussi à obtenir ce poste pour son adjoint, qui n'avait aucune formation en journalisme. Je me suis dit: quelle chance ont tous ces pauvres idiots qui présentent leur candidature sur le site Web de CBC/Radio-Canada, à côté des candidats internes et des candidats externes qui sont d'anciens collègues? Ils n'ont pas les tuyaux nécessaires pour dénicher ces emplois, peu importe leurs compétences.

Voilà quelques-uns des obstacles systémiques qui empêchent les meilleurs candidats d'obtenir ces nouveaux postes.

Le sénateur Trenholme Counsell: Je suis un peu incrédule, parce que je ne comprends pas comment vous pouvez dire toutes ces choses sans admettre que Ian Hanomansing représente l'objectif dont vous parlez.

Vous n'êtes pas le premier à omettre de mentionner son nom. Vous parlez peut-être de l'avant-scène par rapport aux coulisses et vous ne pouvez jouer de votre influence dans les coulisses, mais c'est sûrement lui qu'il faut regarder. C'est le chef d'antenne numéro deux de notre diffuseur public.

M. Luis: Bien sûr.

Le sénateur Trenholme Counsell: Je ne veux pas vous réprimander, mais je ne comprends pas pourquoi vous ne le mentionnez pas alors qu'il a fait exactement ce que vous voulez que d'autres fassent. C'est certainement lui qui pourrait vous donner quelques conseils. Après tout, s'il a réussi, pourquoi les autres ne le pourraient pas?

Il n'est pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche. Il ne vient pas d'une famille riche. Je connais son histoire très, très bien. Il n'avait pas d'avantages et il n'a pas profité de tuyau ni de contexte extraordinaire, que je sache.

Le sénateur Munson: Il est doublement minoritaire. Il vient du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Trenholme Counsell: À mon avis, il est un brillant exemple de ce qui peut arriver. Pourquoi ne pas admettre cette percée? S'il a pu se rendre là où il se trouve maintenant... et on présume qu'il ira plus loin.

M. Luis: C'est juste.

Le sénateur Trenholme Counsell: Pourquoi ne pas en faire un exemple vivant et tangible pour montrer que c'est possible, que c'est arrivé et que ça arrivera encore?

Je ne suis pas son agent.

M. Luis: Je suis d'accord avec vous. Il est très talentueux et probablement l'un des journalistes les plus compétents. Il a un diplôme en droit et une formation en journalisme.

Toutefois, ce ne sont pas les visages que l'on voit à la caméra qui nous intéressent, que ce soit quelqu'un d'extrêmement qualifié ou encore quelqu'un qui a une belle personnalité et que l'on recrute dans la rue. Nous parlons des gens qui prennent les décisions et qui façonnent les reportages, non seulement les beaux minois ou les analystes qualifiés. Nous nous intéressons davantage aux possibilités d'emploi de masse.

Il est certes un brillant exemple, et il y en a des douzaines d'autres. Toutefois, ce qui nous préoccupe, c'est l'accès à une juste part des emplois dans le domaine des nouvelles, des actualités, de la production documentaire, et l'accès égal et équitable à ces emplois, compte tenu des obstacles qui existent.

Le sénateur Trenholme Counsell: Est-il vraiment une exception?

M. Luis: Il est une exception. Il est certainement l'exception parmi tous les journalistes et chefs d'antenne.

Le sénateur Trenholme Counsell: Avez-vous essayé de lui parler et de lui demander son appui? Est-il d'approche facile?

M. Luis: Bien sûr. J'ai pris une bière avec Peter Mansbridge. Tous ces gens sont d'approche très facile. Toutefois, il n'y a pas de lien entre les services de ressources humaines de ces médias d'information et les producteurs exécutifs qui embauchent.

Imaginez ce scénario: Le service des ressources humaines retient trois ou quatre bons candidats parmi les 200 personnes qui ont présenté leur candidature sur le site Web; il transmet le nom de ces trois ou quatre candidats à un producteur, mais ce dernier a déjà deux ou trois candidats qu'il connaît personnellement, des gens qu'il n'a pas pu embaucher auparavant, ou des amis de ses amis. Vous vous rendez compte que les six personnes retenues qui passeront une entrevue, ou même les deux seules qui passeront l'entrevue, constituent un groupe d'élite et n'ont pas nécessairement les compétences voulues. Ma conclusion est la suivante: Il y a beaucoup de Ian Hanomansing qui n'ont pas été retenus, que ce soit pour un poste à l'écran ou pour un poste de direction.

Le sénateur Trenholme Counsell: Je crois qu'il a été choisi parce qu'il était le meilleur à ce moment-là.

M. Luis: Il était certainement meilleur que la plupart des gens qui paraissent à la télévision, par sa voix et ses compétences. Il est parmi les meilleurs. Je dirais qu'il se situe parmi les 10p.100 qui se trouvent en haut de l'échelle, pour ce qui est de son éducation, de son assurance et de sa présentation. Il est exceptionnel, et même davantage.

La présidente: Monsieur Luis, au nom du comité, je tiens à vous remercier de votre présence aujourd'hui.

M. Luis: Merci de votre temps et de votre attention.

La présidente: Comme vous pouvez le voir, cette réunion a été très intéressante pour nous tous, et nous vous sommes très reconnaissants d'avoir été parmi nous.

La séance est levée.


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