Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 22 - Témoignages du 19 octobre 2005
OTTAWA, le mercredi 19 octobre 2005
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 20, pour examiner l'état actuel de l'industrie des médias, les tendances et les faits nouveaux au sein de cette industrie, le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne et les politiques pertinentes actuelles et futures à son égard.
Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Chers collègues, j'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins et aux membres du grand public présents dans la salle aujourd'hui. Nous poursuivons nos audiences sur l'état des médias d'information canadiens et sur le rôle pertinent de la politique gouvernementale pour faire en sorte qu'ils demeurent sains, indépendants et variés.
C'est avec plaisir que nous accueillons des représentants du Conseil canadien des normes de la radiotélévision, un organisme non gouvernemental indépendant créé par l'Association canadienne des radiodiffuseurs pour appliquer les normes fixées par ses membres, c'est-à-dire les radiodiffuseurs privés du Canada. Les membres du conseil incluent plus de 530 stations de radio et de télévision, chaînes de télévision spécialisée et réseaux privés répartis d'un bout à l'autre du Canada qui offrent des émissions en anglais, en français et dans d'autres langues.
Soyez les bienvenus. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à nous dire.
Ronald I. Cohen, président national, Conseil canadien des normes de la radiotélévision : Honorables sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant votre comité aujourd'hui.
[Français]
J'aimerais vous présenter un bref survol de l'historique du mandat, de la structure et du fonctionnement du CCNR ainsi que ses réalisations pour ensuite répondre aux questions que vous aimeriez me poser.
[Traduction]
Je ne connais pas, cependant, de meilleure entrée en matière que de vous dire que les radiodiffuseurs privés canadiens se sont dotés, par rapport aux autres pays, d'une série de normes particulièrement efficaces, audacieuses et avancées relatives au contenu diffusé et d'un processus d'autoréglementation visant à les faire respecter. Ces normes sont le reflet des valeurs canadiennes et les moyens prévus pour les faire respecter sont canadiens, c'est-à-dire qu'ils sont efficaces, sans être trop sévères.
Le conseil rejoint toutes les composantes de l'immense milieu multiculturel canadien en publicisant, tant par écrit que sur son site Web, les normes et ce à quoi peuvent s'attendre les auditeurs et spectateurs en anglais, en français et dans 38 autres langues. Les comités d'arbitrage, dont je vous parlerai plus abondamment tout à l'heure, témoignent aussi de cette diversité.
J'ai apporté une série de brochures publiées dans les 38 autres langues, de même que des exemplaires en anglais et en français. Elles ont été déposées auprès du greffier du comité.
Je me permets d'ajouter que les 38 langues utilisées représentent les communautés linguistiques canadiennes communes à tout le continent américain, soit l'espagnol, le portuguais, les langues autochtones, y compris l'inuktitut, le cri, l'ojibway et le mohawk, les langues venues d'Europe de l'Est et d'Europe de l'Ouest, entre autres l'ukrainien, le polonais et l'italien, les langues africaines, notamment l'arabe, le farsi, le dari et le pachtoune, les langues d'Extrême- Orient comme le chinois, le japonais, le coréen et le tagal, et les langues d'Asie du Sud, dont l'hindi, l'ourdou et le panjabi. Naturellement, je ne vais pas toutes les énumérer.
[Français]
Permettez-moi maintenant de parler du CCNR et de son fonctionnement. Élaboré à l'origine en 1986 par l'Association canadienne des radiodiffuseurs, dans le but d'encourager des normes et une conduite professionnelle de grande classe, le CCNR a présenté une proposition concrète au CRTC qui l'a acceptée, en plus d'avoir écrit dans son avis public numéro 1988-159 :
Cette action volontaire de l'ACR et de ses membres témoigne du sens des responsabilités et de la maturité de l'industrie de la radiodiffusion à l'égard des questions sociales qui préoccupent le public.
[Traduction]
Puis, en août 1991, dans l'avis public CRTC 1991-90, le CRTC a annoncé aux titulaires de licence et au grand public qu'il acceptait que le conseil accueille les plaintes concernant les émissions diffusées par les stations membres et qu'il joue le rôle d'arbitre.
Le conseil a pour mandat de voir à l'application des codes adoptés par les radiodiffuseurs privés du Canada, notamment des codes de l'ACR, soit le Code de déontologie, le Code d'application concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la télévision et le Code d'application volontaire concernant la violence à la télévision, le respect des deux derniers étant une condition pour la délivrance d'une licence imposée à tous les radiotélédiffuseurs du Canada, et du Code de déontologie journalistique de l'Association canadienne des directeurs de l'information en radio-télévision.
Dans le cadre de ce mandat, le conseil reçoit des plaintes, encourage leur règlement à l'amiable par un dialogue entre le radiotélédiffuseur et les plaignants et, lorsque le règlement de la plainte ne satisfait pas le plaignant, il joue le rôle d'arbitre grâce à des comités d'arbitrage composés à parts égales de membres du grand public et de représentants de l'industrie.
Il existe cinq comités régionaux (Atlantique, Québec, Ontario, Prairies et Colombie-Britannique) et deux comités nationaux pour les services de télévision spécialisée et la télévision générale. La notice biographique de chaque arbitre est affichée publiquement sur le site Web du conseil. Ces notices illustrent de manière très éloquente la qualité des personnes qui participent au processus d'arbitrage.
Le processus d'autoréglementation des radiotélédiffuseurs privés s'appuie sur la communication et la diffusion intégrale de toutes les décisions, qu'elles leur soient favorables ou défavorables. Par conséquent, le communiqué de presse dans lequel est annoncée la décision est envoyé à la presse écrite, aux radiotélédiffuseurs et à toute personne, au Canada comme à l'étranger, qui demande à être inscrite sur la liste d'envoi.
Plus de 300 décisions ont été rendues depuis 1991 et elles sont affichées sur notre site Web, accompagnées de tous les motifs de décision. Elles forment une jurisprudence abondante et complète traitant de la gamme la plus variée d'enjeux concernant le contenu diffusé.
[Français]
On compte aujourd'hui 581 diffuseurs membres dans les domaines de la radio, de la télévision et des chaînes spécialisées. De ceux-ci, 425 représentent des radiodiffuseurs, 88 sont des télédiffuseurs conventionnels et 68 sont des chaînes spécialisées.
[Traduction]
À l'origine, le censeur était un des deux magistrats de la Rome ancienne chargés de veiller aux moeurs publiques. Dans son sens contemporain, le dictionnaire Robert définit le travail du censeur comme étant l'« examen des oeuvres littéraires, des spectacles et publications, exigé par le pouvoir, avant d'en autoriser la diffusion ». Il vérifie qu'elles ne contiennent rien d'immoral, d'hérétique, d'offensant ou de nuisible pour l'État.
Afin d'éviter toute connotation de censure, le Conseil ne dépose pas de plainte et il ne surveille pas la programmation en l'absence de plainte. Il n'agit qu'à la suite d'une plainte. Il est sensible aux préoccupations du grand public. Il ne les présume pas.
Pour ce qui est de la question de la libre expression, le conseil, de par sa nature, fait face à des problèmes sur deux plans idélogiques. Certains croient que le principe de la libre expression inscrit dans la Charte est absolu. D'autres, par contre, estiment qu'il faut baliser jusqu'à un certain point la liberté d'expression de manière à interdire toutes les questions déplaisantes et de mauvais goût, si ce n'est pire.
Le Conseil se situe quelque part entre les deux. Il a pour principe, au départ, que les propos diffusés devraient être libres. Les radiodiffuseurs privés ont toutefois reconnu que les intérêts de leurs publics sont mieux servis par la création de normes professionnelles auxquelles adhèrent tous leurs membres.
Ensuite, le Conseil estime que les normes codifiées fixées par les radiodiffuseurs devraient mettre en équilibre la libre expression et d'autres valeurs sociales importantes.
De plus, on estime qu'il vaut mieux laisser au marché le soin de réglementer les questions qui sont uniquement affaire de goût, qui ne vont pas à l'encontre des dispositions des codes. En somme, le spectateur ou auditeur est libre de soit fermer l'appareil, soit changer de poste.
Par ailleurs, il existe des dispositions spéciales complètes au sujet des émissions destinées aux jeunes enfants, définis comme ayant moins de 12 ans.
Par surcroît, afin de faciliter la tâche aux téléspectateurs et en conformité avec les codes des radiotélédifffuseurs, il existe une plage critique allant de 21 heures à 6 heures avant laquelle aucune émission destinée à un public adulte ne sera diffusée pour motif soit de contenu violent ou sexuel, soit d'autre contenu pour public adulte.
Le diffuseur est aussi tenu de diffuser des avis publics et des icônes de classement, même après la plage critique, pour que le public puisse éviter les émissions qu'il ne juge pas convenables pour lui ou sa famille.
Enfin, la violence gratuite ou idéalisée est interdite sur les ondes, quelle que soit l'heure de diffusion.
Comme 363 décisions sont affichées sur le site Web du conseil, la jurisprudence ainsi établie a pour effet de définir ce que peuvent et ne peuvent pas mettre en ondes les radiotélédiffuseurs. Bien que les décisions concernant des émissions ponctuelles ou des bulletins d'actualité aient tout autant d'importance que celles qui visent une série, ces dernières ont tendance à attirer plus l'attention, tant au Canada qu'à l'étranger.
Comme exemples de décisions rendues par le Conseil, je vous cite celles qui portent notamment sur la série Mighty Morphin Power Rangers, le Dr. Laura Schlessinger Show, le Howard Stern Show et le Jerry Springer Show.
[Français]
Jour après jour, nous rendons chaque année plus de 35 décisions officielles qui aident à définir continuellement les paramètres d'un contenu acceptable, qu'il s'agisse d'une émission-débat, de nouvelles, d'un téléroman ou d'un autre type d'émission.
Le CCNR s'efforce grandement de faire en sorte que tous les gens concernés par ses décisions en soient informés. Ses arbitres bénévoles œuvrant au nom du public et de l'industrie sont responsables de l'élaboration de nouveaux principes qui permettront d'englober passablement les attentes du public. Il s'agit là d'un signe de grande attention et d'impartialité de la part des arbitres, du public et de l'industrie puisqu'à l'exception de 4 des 363 décisions, ils ont voté unanimement en faveur ou contre les diffuseurs.
[Traduction]
Le fait que le régime d'autoréglementation des radiodiffuseurs privés canadiens n'ait pas besoin d'imposer les lourdes amendes du régime américain témoigne de son succès. Le régime est efficace parce que les radiodiffuseurs en ont pris l'egagement. Ce sont eux qui l'ont créé et qui le soutiennent financièrement. Fait plus important encore, il a leur appui moral. Après tout, ils vivent dans les collectivités où ils diffusent. C'est une question de gros bon sens à la canadienne.
Je vous remercie de votre temps et de votre attention. Nous demeurons à votre disposition pour répondre aux questions.
Le sénateur Phalen : Votre organisme existe depuis quinze ans. Le comité a entendu de nombreux témoins lui parler de la concentration de la propriété survenue au cours des dernières années.
Pouvez-vous nous dire s'il existe un lien entre les plaintes que vous recevez et la question de la propriété?
M. Cohen : Il n'y en a pas. Jusqu'ici, en fait jusqu'à cet après-midi, nous n'avons pas reçu de plainte au sujet d'émissions ou de points particuliers diffusés par Global ou CTV, car ce sont les deux principaux diffuseurs dont nous sommes responsables dans ce domaine, qui auraient eu un lien avec la concentration. Les plaignants sont obligés, bien sûr, de mentionner une émission particulière, de nous dire que, tel jour, quelque chose s'est produit qui avait un lien, selon eux, avec la question de la concentration de la propriété. Ils n'ont pas besoin d'utiliser ces expressions, mais il faut qu'ils le disent. Nous n'avons pas reçu de plaintes de cette nature.
Le sénateur Phalen : Vous mentionnez sur votre site Web que plusieurs de vos initiatives ont l'appui du CRTC.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet de vos rapports avec le CRTC et préciser si, d'après vous, un changement de son mandat s'impose?
M. Cohen : Nous n'avons pas au départ de point de vue au sujet du mandat du CRTC. Dans un certain sens, important, la question ne relève pas de notre mandat. Cependant, je puis vous décrire les rapports que nous entretenons avec cet organisme.
En tant qu'organisme mandaté pour exercer le pouvoir du Parlement du Canada, le CRTC assume naturellement l'entière responsabilité de toutes les questions de radiodiffusion et de télécommunication. Toutefois, dans un des avis publics que j'ai mentionnés, l'avis 1991-90, le CRTC a offert aux radiodiffuseurs privés la possibilité de s'autoréglementer.
Toutes les plaintes reçues au CRTC qui concernent les radiodiffuseurs privés membres du conseil, comme le sont presque tous les radiodiffuseurs privés du Canada, sont essentiellement transmises au Conseil à moins qu'elles ne concernent une éventuelle infraction à la Loi sur la radiodiffusion ou à son règlement d'application, auquel cas elles relèvent du CRTC. Dans les autres cas, le CRTC nous envoie les plaintes, et c'est à nous d'y voir. Ce sont les rapports qu'entretiennent les deux organismes.
Le sénateur Phalen : Dans sa décision concernant les demandes de licence de CTV et de CanWest Global, le CRTC a déclaré qu'il lèverait provisoirement l'obligation de ces entreprises à propriété croisée de maintenir des services de nouvelles distincts. Votre organisme a-t-il produit un code de déontologie applicable à l'industrie dans son ensemble?
M. Cohen : En partie, oui. Nous avons soumis au CRTC une ébauche à laquelle nous avions travaillé de concert avec les trois organismes de diffusion repérés et classés à part par le CRTC à cet égard. Le code a été soumis au CRTC, et nous attendons de connaître sa réaction avant d'aller plus loin.
Entre-temps, nous assurons la surveillance de la diffusion pour CTV et CanWest Global, au cas où il y aurait des plaintes au sujet de l'indépendance des journalistes.
Le sénateur Phalen : Puisque votre organisme est composé de membres de l'Association canadienne des radiodiffuseurs et financé par eux, cela nous vous permet-il pas de vous réglementer vous-mêmes?
M. Cohen : Effectivement. Nous disposons de suffisamment de fonds pour le faire avec efficacité.
Le sénateur Phalen : Voilà qui me permet d'enchaîner avec une autre question. Êtes-vous capables financièrement d'assurer le respect d'un pareil code de déontologie?
M. Cohen : Oui, nous le sommes.
Le sénateur Eyton : J'ai lu une partie de votre documentation et j'ai entendu dans votre déclaration certains renseignements sur la raison de la création de votre organisme, mais je me demande quel a été l'élément déclencheur. Je sais que votre organisme date de 1990. Qu'est-ce qui a mené à sa création? Qui en a pris l'initiative?
M. Cohen : Je n'étais pas là durant cette période. Je vais donc devoir me contenter d'émettre des conjectures.
Je crois que la création du conseil a été attribuable à plusieurs facteurs réunis. Tout d'abord, les radiodiffuseurs étaient d'avis qu'ils pouvaient voir à leurs propres affaires, qu'ils étaient tout à fait capables de régler eux-mêmes les plaintes.
Parallèlement, si l'on se fie aux décisions rendues par le CRTC à compter essentiellement de 1987, l'idée de l'autoréglementation faisait son bout de chemin. Elle n'englobait pas seulement les radiodiffuseurs privés, puisque le secteur de la câblodistribution avait déjà son propre organisme de réglementation, tout comme les publicitaires.
Le CRTC s'orientait vers l'autoréglementation. Ce fut peut-être attribuable au fait, en partie, que cela le soulagerait du fardeau de voir à des milliers de plaintes. Je soupçonne que ce fut une combinaison de tous ces facteurs. Le CRTC a mis en place un processus pour veiller à ce que notre régime soit efficace.
Le sénateur Eyton : Y a-t-il eu durant cette période des circonstances particulières ou un problème qui auraient mené à cette situation?
M. Cohen : Pas que je sache, mais si vous avez des suggestions, j'aimerais bien les entendre.
Le sénateur Eyton : Je suis curieux de savoir pour quelle raison un organisme est subitement créé. Votre déclaration et mes lectures m'ont fourni quelques réponses. Avez-vous des modèles dont vous vous inspirez? Y a-t-il, au sein d'une autre compétence ou dans d'autres États par exemple, un organisme qui vous sert de modèle et en fonction duquel vous vous évaluez? Je suis un chaud partisan des modèles. Je suis convaincu qu'on peut toujours s'améliorer si l'on suit ce que font les autres, si l'on étudie ce qu'ils font de mieux, qu'on le copie et qu'on se débarrasse du pire.
M. Cohen : J'en prends bonne note. Nous sommes en liaison constante avec d'autres organismes de même nature. En mai, j'étais à Johannesbourg. Il serait juste de dire, sénateur, que, dans une certaine mesure, c'est nous qui servons de modèle aux autres organismes, mais il s'agit certes d'un échange. Quand j'y étais, j'ai rencontré des homologues d'Afrique du Sud, de Zambie, de Grande-Bretagne, d'Allemagne, de Slovaquie, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Nous discutions de points que nous avions en commun. Nous maintenons, en un certain sens, une liaison constante.
Le mois dernier, j'ai plus particulièrement eu des contacts avec nos collègues d'Afrique du Sud, du Royaume-Uni, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande au sujet d'une question qui nous préoccupe tous et que nous cherchons à adapter au contexte canadien.
Je vous donne beaucoup de détail parce que je crois que cela illustre bien ce à quoi vous voulez en venir — si nous demeurons en liaison. Nous servons d'exemple à suivre à de nombreux organismes aussi.
Le sénateur Eyton : Avez-vous ce genre d'échanges avec vos homologues américains?
M. Cohen : En réalité, il n'existe pas de contrepartie américaine. La réglementation comme telle est assurée par la FCC, la contrepartie du CRTC, mais il n'existe pas d'organisme d'autoréglementation qui fait ce que nous faisons. Il y en a eu un au Minnesota, mais que je sache, il n'y en a pas d'autres aux États-Unis. Toutefois, à Johannesbourg par exemple, Jeff Cole était directeur du Centre for Communication Policy à UCLA. Toute l'entreprise s'est installée à l'école d'USC. Il y était. Nous entretenons un constant dialogue avec lui, mais les Américains n'ont pas d'organisme comparable.
Le sénateur Eyton : Vous avez parlé du code de déontologie et de certains points qui, pour la plupart, ne suscitent pas beaucoup de controverse. Les personnes réunies dans la salle affirmeraient que c'est bien et l'accepteraient aisément. Le domaine qui nous intéresse plus particulièrement est celui de l'actualité et de l'information, de même que de l'équilibre qui correspond à l'intérêt public. La remarque que vous avez faite au sujet des questions de goût, que vous ne tentiez pas de les gérer ou de les baliser, servait-elle la réponse à cette préoccupation? Quand il est question de goût dans un contexte de radiodiffusion, recherchez-vous un certain équilibre dans le service qui est fourni au public?
M. Cohen : À en juger par le nombre de plaintes que nous recevons, il existe bien des questions litigieuses dont nous traitons consatamment. J'en ai mentionné deux. Certaines ont beaucoup retenu l'attention récemment, entre autres, les propos de Gilles Proulx au Québec dont vous avez peut-être entendu parler. Elles sont préoccupantes. De pareilles questions sont inévitablement soulevées dans d'autres domaines que l'actualité.
Le mauvais goût peut se manifester n'importe où, en dramatique, sur les tribunes téléphoniques, voire dans le domaine de l'actualité. Il est plus probable qu'il se manifeste dans le domaine des affaires publiques. Nous n'examinerions pas une simple affaire de mauvais goût, mais il nous arrive régulièrement d'être saisis de questions relevant du journalisme ou de l'actualité aux termes du Code de déontologie journalistique de l'Association des directeurs de l'information en radio-télévision ou de Code de déontologie de l'Association canadienne des radiodiffuseurs, qui prévoient des dispositions très précises au sujet du journalisme.
Le sénateur Eyton : Existe-t-il un registre public ou un endroit où l'on peut consulter les décisions ou les mesures prises par votre organisme?
M. Cohen : Vous trouverez, sur notre site Web, le texte intégral des décisions, y compris toute la documentation soumise au départ par le plaignant, de même que toute la correspondance échangée entre le radiodiffuseur et le plaignant, pour toutes les 363 décisions rendues depuis notre création, en 1991. On peut toutes les consulter et elles sont du domaine public.
Le sénateur Mercer : J'aimerais discuter de la composition de votre organisme, puis passer à la couverture de l'actualité.
Vous avez parlé de 581 diffuseurs au total, soit 425 radiodiffuseurs, 88 télédiffuseurs classiques et 68 chaînes spécialisées. Cela semble beaucoup. Si vous pouviez nous ventiler ces données, combien y aurait-il de propriétaires?
M. Cohen : Il faudrait aller aux renseignements et vous répondre plus tard. Si vous y tenez, sénateur, nous pouvons le faire. Par contre, je suis incapable de vous répondre tout de suite, mais, de toute évidence, certaines sociétés sont propriétaires d'un bon nombre des titulaires de licence.
Le sénateur Mercer : L'exemple de Maritime Broadcasting, qui est propriétaire d'une vingtaine de stations de radio, me vient à l'esprit. Chaque station serait-elle membre de votre organisme?
M. Cohen : Elles le seraient habituellement. Or, Maritime est un des rares groupes de radiodiffusion au pays qui n'est pas membre du Conseil canadien des normes de la radiotélévision.
Le sénateur Mercer : Nous savons que la SRC n'en fait pas partie. Voici que nous apprenons que Maritime n'en fait pas partie non plus. Y a-t-il d'autres grandes sociétés qui ne font pas partie de votre organisme au Canada? Comment se répartissent vos membres, sur le plan géographique — sans donner de précisions et sans aller jusqu'à me dire que vous avez deux membres à Prince George et un autre à Lunenburg?
M. Cohen : Il est certain que nous pouvons vous obtenir les renseignements. Par contre, nous n'avons pas ventilé nos données à ce point. Pour être honnête avec vous, cela ne nous est pas venu à l'esprit. Je ne crois pas qu'il soit difficile de faire parvenir ces renseignements au greffier. Nous comptons manifestement des membres d'un bout à l'autre du pays, de Terre-Neuve à l'Île de Vancouver, si l'on suit l'axe est-ouest.
Le sénateur Mercer : Je m'intéresse au nombre de plaintes que vous avez reçues. Avez-vous dit que vous en aviez reçu 360 depuis 1991?
M. Cohen : Nous avons en fait rendu 363 décisions.
Le sénateur Mercer : Avez-vous reçu beaucoup d'autres plaintes?
M. Cohen : C'est juste. Nous recevons à peu près 2 000 plaintes par année.
Le sénateur Mercer : Qu'arrive-t-il dans le cas des plaintes au sujet desquelles aucune décision n'est rendue?
M. Cohen : Nous ne tenons pas compte du pourcentage de plaintes que nous recevons, au départ parce qu'elles ne concernent peut-être pas nos membres. En effet, nous en recevons au sujet de la SRC et d'autres radiodiffuseurs publics et nous les transmettons au CRTC. D'autres plaintes n'ont absolument rien à voir avec nos codes. D'autres encore ne fournissent pas suffisamment de détails pour nous permettre de les examiner.
Il arrive que nous recevions des plaintes au sujet de propos tenus en ondes, mais elles ne précisent pas la station, le jour ou l'heure. Nous ne pouvons pas traiter ce genre de plainte. Il faut que nous puissions obtenir un enregistrement de l'émission.
Je vais simplement vous fournir les données réelles pour le dernier exercice qui a pris fin le 31 août. Nous avons ouvert 1 924 dossiers de plainte dans l'année et nous en avons traités 1 526, soit 79,3 p. 100. Donc, nous avons réussi essentiellement à traiter quatre plaintes sur cinq.
J'ai omis de mentionner que certaines plaintes avaient été transmises aux organismes compétents, comme Les normes canadiennes de la publicité. Voilà l'exemple d'une question qui ne nous concernait pas et ne concernait pas nos membres, mais qui visait le publicitaire. Nous transmettons aussi des plaintes au Conseil des normes de télévision par câble, organisme dont j'ai parlé tout à l'heure en réponse à une question du sénateur Eyton.
Pour ce qui est des autres plaintes, celles que nous conservons, il est tout aussi important de savoir que, la plupart du temps, en ce qui concerne les radiodiffuseurs, qui sont tenus de répondre à chaque plainte que nous recevons au sujet de leur station, de leur service ou de leur réseau, les plaignants sont le plus souvent satisfaits de la réponse obtenue.
Ce n'est que lorsqu'ils communiquent avec nous pour nous dire qu'ils sont insatisfaits que nous leur envoyons un document qu'ils n'ont qu'à nous retourner signé, sans explication, pour attester leur insatisfaction. C'est alors que débute la phase suivante du processus.
Très souvent, par contre, ils sont satisfaits de la réponse que leur fait le radiodiffuseur.
Le sénateur Mercer : Vous avez mentionné l'existence de cinq comités d'arbitrage, cinq régionaux et deux nationaux. Qui est membre de ces comités? Qui décide de leur composition?
M. Cohen : Les membres des comités, les arbitres, sont nommés par la présidence nationale. Je consulte les radiodiffuseurs et des membres du grand public avant de fixer mon choix.
Nous nous efforçons d'avoir une bonne représentation géographique, sexuelle et multiculturelle. Naturellement, la moitié des arbitres étant des membres de l'industrie, il faut aussi assurer une représentation au sein des grandes sociétés. Il faut que Rogers, CTV, Standard, NewCap, CHUM et les autres soient représentés. Nous devons faire en sorte également que les groupes et les petits radiodiffuseurs sont convenablement représentés. Nous recherchons cet équilibre d'un bout à l'autre du pays quand nous faisons les nominations.
Le sénateur Mercer : À vous entendre, ces comités sont composés de nombreux représentants. Combien de personnes font partie d'un comité ordinaire?
M. Cohen : Nos comités sont composés de dix arbitres chacun. Toutefois, six seulement par comité siègent à la fois. Nous les dotons de dix arbitres pour avoir des effectifs de réserve. Si trois arbitres ne sont pas disponibles, nous pouvons alors faire appel à d'autres de manière à avoir six arbitres. Lorsqu'ils siègent, les comités régionaux sont composés de trois représentants du grand public et de trois représentants de l'industrie. La composition est la même pour ce qui est des comités nationaux, sauf que je m'y ajoute en tant que président national.
Le sénateur Mercer : Les arbitres sont-ils des volontaires?
M. Cohen : Oui.
Le sénateur Mercer : Nous avons déjà parlé de certaines entreprises ou groupes d'entreprises qui ne font pas partie de votre conseil, dont la SRC et Maritime.
M. Cohen : La situation est différente. Nous ne sommes pas du tout mandatés pour représenter les radiodiffuseurs publics et, dans le privé, je suis incapable de vous nommer un autre groupe d'importance qui n'est pas membre. Maritime est le seul.
Le sénateur Mercer : Serait-il avantageux d'abolir le volontariat et de rendre obligatoire l'adhésion à votre organisme comme condition de délivrance de la licence, de sorte que, sans forcément nommer votre organisme, mais comme vous êtes le seul, il faudrait qu'ils en deviennent membres?
M. Cohen : Je ne pense pas que le fait de nous nommer soit mauvais, sénateur.
Le sénateur Mercer : J'avais prévu qu'un autre que vous le dirait.
M. Cohen : Il y aurait un problème difficile à résoudre, soit le principe du délégué qui ne peut déléguer, puisque, étant donné que le CRTC assume l'utilme responsabilité dans ce domaine, à moins que le Parlement ne nous en confie la responsabilité directement, je ne suis pas sûr que, sur le plan juridique, il serait possible de rendre l'adhésion obligatoire.
Comme nos membres incluent presque tous les intervenants au Canada, du moins les principaux et, bien sûr, un grand nombre de petites stations réparties un peu partout au Canada, il me semble qu'il n'est peut-être pas nécessaire de rendre l'adhésion obligatoire. Le taux de participation est déjà élevé.
Le sénateur Mercer : Combien avez-vous d'employés?
M. Cohen : Nous comptons cinq employés en tout à l'interne.
Le sénateur Mercer : Viennent-ils tous du milieu de la radiodiffusion ou s'agit-il de personnel administratif?
M. Cohen : Aucun des cinq ne vient du milieu de la radiodiffusion.
Le sénateur Merchant : Vous ne traitez pas un certain nombre de plaintes. Vous efforcez-vous de communiquer avec les plaignants pour obtenir des précisions? Parfois, M. ou Mme Tout-le-monde ignore comment exposer au juste sa plainte. Communiquez-vous avec eux pour voir si vous pouvez régler le problème?
M. Cohen : Sénateur, nous répondons à tous ceux qui nous écrivent. Donc, même si nous recevons une plainte pour laquelle nous n'avons pas compétence, quelle qu'en soit la raison, nous renseignons le plaignant sur notre organisme parce que nous estimons important que le grand public sache ce que nous faisons. Même si nous ne pouvons pas leur être utiles à ce moment-là, nous pourrons peut-être l'être la fois suivante.
Nous fournissons de l'information à tous ceux, sans exception, qui nous écrivent.
Le sénateur Merchant : Dans la presse écrite, si une information publiée s'avère par la suite erronnée, une rétractation paraît quelque part dans le journal. Comment le grand public est-il informé de l'objet des plaintes que vous traitez? Comment communiquez-vous cette information au grand public? Comment les radiodiffuseurs corrigent-ils leur erreur, indiscrétion ou je ne sais trop quoi dont on se plaint?
M. Cohen : Sénateur, comme je suis très conscient de la position que vous avez adoptée à l'égard du Conseil de presse de l'Ontario il y a quelque temps déjà, je pourrais peut-être être utile à cet égard. En ce qui concerne le témoignage qui fut fait à ce moment-là, on a fait valoir que, la plupart du temps, les rétractations sont publiées quelque part dans le journal, comme vous venez de le dire. Parfois, comme on l'avait expliqué, la page 2 est réservée à cette fin. On avait cité en exemple la rétractation du New York Times qui avait récemment été publiée à la une comme étant une situation exceptionnelle.
Toutes nos décisions annoncées par les radiodiffuseurs font la une. Tout d'abord, le radiodiffuseur ne se fie pas forcément au journal pour annoncer une de nos décisions, comme c'est le cas du conseil de presse, et pour faire un compte rendu exact des conclusions.
Nous rédigeons nos propres annonces. L'annonce doit être faite telle que l'avons rédigée et elle doit se faire à la télévision, aux heures de grande écoute et à l'heure de diffusion de l'émission qui a enfreint une norme codifiée. S'il ne s'agissait pas d'une émission diffusée durant les heures de grande écoute, nous informons tous les téléspectateurs qui regardent la télé durant les heures de grande écoute des faits.
L'annonce est donc faite durant les heures de grande écoute. En plus, cependant, nous faisons en sorte que le public qui écoute la télé en dehors de ces heures en est aussi informé. Si l'émission en cause a été diffusée durant les heures de grande écoute, alors deux annonces sont faites durant ces heures. Je crois donc que l'information requise se rend au bon public.
Si je puis me permettre une petite parenthèse, sénateur, vous serez ravie d'apprendre qu'au sein de notre comité des Prairies, les fauteuils de la présidence et la vice-présidence régionales sont occupés par des personnes de la Saskatchewan.
Le sénateur Merchant : Je suis heureuse de l'apprendre et j'en connais ici que la nouvelle va rendre jaloux. Ma dernière question concerne la durée du mandat de vos arbitres. Sont-ils nommés pour une période déterminée? De toute évidence, vous renouvelez leur mandat, mais le nombre de renouvellements est-il limité? Vous efforcez-vous de faire participer diverses personnes à vos décisions?
M. Cohen : Nous nous efforçons toujours de faire participer diverses personnes à nos décisions. En réponse à votre question, le mandat initial de l'arbitre est de deux ans. Il est souvent renouvelé. En fait, il serait juste d'affirmer que les arbitres trouvent le travail si exigeant et intéressant qu'ils souhaitent souvent demeurer en fonction plus longtemps.
Nous tentons de frapper un juste équilibre. Il y a un va-et-vient constant de nouveaux venus et d'anciens. C'est ce qui assure l'actualité et la pertinence de notre travail, deux caractéristiques à mon avis importantes.
[Français]
Le sénateur Chaput : Si je comprends bien, vous recevez des plaintes, vous n'en initiez pas.
M. Cohen : Absolument, oui.
Le sénateur Chaput : Même si vous entendez des commentaires ou voyez des choses aberrantes, vous allez attendre que quelqu'un porte plainte.
M. Cohen : Oui.
Le sénateur Chaput : Vous nous avez dit que vous avez 581 diffuseurs membres présentement. Un des témoins a déclaré que son organisme avait supprimé le comité interne d'instruction des plaintes établi après le dernier renouvellement de sa licence. Ils avaient supprimé son comité pour en confier la tâche au CCNR.
Est-ce que plusieurs de vos membres ont fait ce genre de transfert de responsabilité? Est-ce que vous allez les chercher, les encourager ou viennent-t-ils d'eux-mêmes?
M. Cohen : La situation à laquelle vous faites référence est tout à fait particulière. Tous les radiodiffuseurs membres du CCNR, dès le début nous confient la résolution de toutes questions de plaintes.
Concernant le témoignage de M. Hurst de CTV, et c'est à son témoignage que vous faites référence, je pense, ils avaient décidé dans le cas de CTV, selon le code de déontologie journalistique et relativement aux questions de l'indépendance journalistique, d'établir un comité suite à la décision du CRTC de renouveler la licence de CTV.
Dans le cas de Global, ils ont tout de suite demandé au CRTC si le CCNR pouvait aller de l'avant en prenant la responsabilité de toute question d'indépendance journalistique. Dans le cas de CTV, ils avaient d'abord établi un comité eux-mêmes et, un peu plus tard — je pense que c'était deux ans plus tard — ils avaient décidé de demander au CRTC d'approuver un transfert de responsabilité en notre faveur. C'était tout à fait particulier.
Le sénateur Chaput : Comment s'est faite la transition?
M. Cohen : Facilement, il suffisait de demander au CRTC et celui-ci était absolument d'accord. Je pense que je peux affirmer et vous assurer que le CRTC est très satisfait du service que nous leur rendons de même que celui donné au grand public et aux radiodiffuseurs. Ils étaient très contents que nous prenions la responsabilité dans le cas de CTV, aussi bien que dans le cas de Can West Global.
Le sénateur Chaput : C'étaient donc des cas uniques?
M. Cohen : Oui, car il n'y avait que trois possibilités de transfert de la responsabilité de ces comités établis par le CRTC suite à la décision de renouvellement du CRTC. Il y avait le cas de CanWest Global, le cas de CTV et celui de TVA. TVA a retenu son propre comité; dans le cas des deux autres, nous avons la responsabilité de le faire.
Le sénateur Chaput : Une dernière question : entre le moment où vous recevez la plainte et le moment ou cela se règle, d'une façon ou d'une autre, combien de temps s'écoule-t-il?
M. Cohen : Nous essayons toujours de résoudre toute question dans les six mois suivant une demande de décision. Le document auquel j'avais fait référence tout à l'heure, autrement dit le document que nous envoyons au plaignant, établit pour le plaignant la possibilité, dans le cas de non satisfaction, de déposer cette demande de décision de notre part qui, à ce moment, fait démarrer notre processus. On essaie de résoudre toute question dans les six mois suivant la réception de cette demande de décision.
[Traduction]
Le sénateur Munson : Dans les notes qui ont servi à faire votre déclaration, on peut voir un titre qui qualifie de succès l'expérience de l'autoréglementation. Nous aimerions tous faire la une de l'ancien Newsworld comme cela. Cependant, vous êtes payé par les quelque 500 radiodiffuseurs que vous représentez. Ne vous trouvez-vous pas coincé dans un carcan trop étroit? À quel point êtes-vous libre de critiquer ceux qui vous paient?
M. Cohen : Vous voulez savoir si je suis en situation de conflit, sénateur?
Le sénateur Munson : Oui.
M. Cohen : Le fait est que nous ne nous sentons pas en situation de conflit.
Parmi les 36 décisions que nous avons rendues récemment — pour ne parler que les plus récentes —, 32 ont été défavorables aux radiodiffuseurs.
Durant l'exercice 2004-2005, qui ne correspond pas tout à fait à l'année civile comme vous le savez puisque vous venez du milieu de la radiodiffusion, mais bien à la période allant du 1er septembre au 31 août, parmi les 35 décisions rendues, 31 étaient défavorables aux radiodiffuseurs. Durant l'exercice précédent, si mes données sont exactes, parmi les 36 décision rendues, 28 ont donné raison au plaignant et, dans l'exercice précédent, 27 des 37 décisions ont donné gain de cause au plaignant.
Si vous me demandez si nous éprouvons des difficultés à rendre des décisions défavorables aux radiodiffuseurs, je vous réponds par la négative. Puis-je étoffer ma réponse avant la question suivante? Même lorsque nous avons traité du dossier de la grande télésérie Mighty Morphin' Power Rangers qui, à l'époque, en 1994, était l'émission la plus lucrative de toute l'histoire des émissions télévisées pour enfants, notre décision défavorable à cette émission — qui a suscité l'attention mondiale plutôt que simplement canadienne — a entraîné sa disparition des ondes de YTV le lendemain même. Elle a été retirée de la programmation peu de temps après par le réseau TVA; au réseau CanWest Global, la principale entreprise de diffusion de l'émission au Canada, elle a été modifiée dans le mois même, à peu de choses près, a duré six autres mois, puis a été retirée des ondes.
Dans le cas de l'émission de Howard Stern, une importation très coûteuse, notre décision ordonnant aux radiodiffuseurs d'en cesser la diffusion a immédiatement entraîné des changements à la programmation au Canada.
L'émission a continué d'être diffusée pendant onze mois par la station de CHUM à Montréal, CHOI-FM, avant d'être retirée des ondes. Pour ce qui est de la station torontoise Q107, un producteur a commencé à modifier l'émission. Grâce à la coopération de WIC, puis de Corus après qu'elle l'ait acquise, nous avons reçu les éditoriaux des journaux à son sujet tous les jours pendant les deux ou trois années que s'est pousuivie la diffusion.
Le seul point à retenir, sénateur, c'est que, même lorsque les émissions étaient coûteuses, même dans le cas des séries, nous avons eu la pleine collaboration des radiodiffuseurs qui participent au régime. Ce n'est pas et n'a jamais été un problème pour nous.
Le sénateur Munson : Parmi la trentaine de décisions, et vous en avez nommé deux, les radiodiffuseurs s'y sont-ils conformés?
M. Cohen : Sans exception.
Le sénateur Munson : Chacun d'eux? Si c'est le cas, tout va bien.
M. Cohen : Oui, ils s'y sont conformés. Je peux vous en parler davantage.
Le sénateur Munson : Vous n'avez rendu publique en 2003-2004 qu'une seule décision portant sur des émissions de nouvelles et d'actualité. Est-il juste à ce moment-là d'affirmer que la question n'est pas une priorité pour votre organisme et que vous traitez davantage de programmation générale et de l'éthique ou de la moralité de ce que regardent ou écoutent les Canadiens?
M. Cohen : D'abord, nous vérifions cette information. Je vous dirais que les priorités sont celles que les citoyens canadiens établissent. Lorsque les actualités et les affaires publiques revêtent le plus d'importance pour eux, c'est ce qui importe le plus pour nous. Nous nous laissons guider par les plaintes que nous recevons.
Le sénateur Munson : Cela étant dit, pourriez-vous nous présenter votre code provisoire?
M. Cohen : Je ne crois pas que je puisse le faire parce que le code va évoluer jusqu'à ce que le CRTC nous dise s'il l'accepte ou non et si des corrections sont nécessaires, après quoi il devra probablement être revu par les diffuseurs eux- mêmes.
Le sénateur Munson : Utilisez-vous ce code provisoire pour rendre vos décisions?
M. Cohen : Nous n'avons pas encore eu à rendre des décisions. Nous le ferions en fonction des règles établies dans les décisions rendues par le CRTC concernant CTV et Global.
Le sénateur Munson : La réponse que vous avez donnée au sénateur Phalen au sujet de la propriété croisée des médias, la concentration de la presse, et cetera m'a étonné. Vous n'avez reçu aucune plainte. Vous avez le sentiment que les téléspectateurs et les auditeurs partout au pays sont satisfaits des stations qu'ils écoutent et qu'ils croient obtenir des points de vue assez diversifiés de Vancouver ou de la province du Nouveau-Brunswick. Personne n'a dit un mot. Peut-être ont-ils l'impression de ne pas avoir beaucoup d'options?
M. Cohen : Je ne vois pas pourquoi ils n'auraient pas beaucoup d'options. Encore une fois, le comité a été très clair avec Robert Hurst, de CTV, lorsque ce dernier a témoigné et, comme vous vous en rappellerez, il avait été question à ce moment-là de l'engagement d'un million de dollars fait par CTV. Dans son message d'intérêt public, CTV dit qu'à titre de membre du Conseil canadien des normes de la radiotélévision, elle s'est engagée à respecter les plus hautes normes de télédiffusion et adhère au code de conduite de l'Association canadienne des radiodiffuseurs. Si les téléspectateurs ont des réserves à propos d'une émission, de l'énoncé de principes ou des pratiques concernant l'indépendance journalistique, on les invite à s'adresser au CCNR, en leur donnant toutes les coordonnées nécessaires. Voilà ce que dit essentiellement le message d'intérêt public diffusé sur CTV. Si personne n'y donne suite, je prends pour acquis, monsieur le sénateur, qu'il n'y a pas de problème. Nous n'avons aucun contrôle sur les personnes qui portent plainte et sur l'objet des plaintes.
J'ajouterais que CanWest Global diffuse un message très semblable. Je ne vais pas le lire, mais il précise que les normes comprennent l'énoncé de principes et les pratiques de Global concernant la propriété croisée des médias; on donne ensuite l'information au sujet du CCNR. Même si les gens ignorent ce dont il s'agit, même s'ils n'ont pas vu les documents en question, ils peuvent toujours déposer une plainte devant nous ou devant le CRTC. Ils ont cette possibilité. Nous n'avons aucun contrôle sur les plaintes que les Canadiens déposent.
J'aimerais ajouter un point important concernant ce à quoi le sénateur Chaput voulait en venir. Nous attendons certes qu'il y ait des plaintes pour faire quoi que ce soit, mais il n'en faut qu'une seule pour déclencher notre processus. Il n'en fau pas 25, 50 ou 100; une seule suffit. Dans le cas de Mighty Morphin' Power Rangers, en 1994, l'article publié dans Maclean's lorsque le programme a été retiré des ondes était intitulé « Power to the People », faisant allusion au pouvoir du peuple puisque deux seules plaintes avaient suffi à faire retirer le programme des ondes au Canada. Il en faut très peu pour déclencher le processus, monsieur le sénateur.
Le sénateur Munson : Mes enfants écoutaient cette émission à la télévision chinoise lorsque nous vivions à Beijing. C'était en caractères chinois. Je crois qu'ils n'ont jamais compris ce qui se passait.
M. Cohen : Il n'y avait peut-être pas de mise en garde en chinois à cette époque.
Le sénateur Munson : Je vais laisser tomber cela, mais je répète que nous aimerions voir ce code provisoire avant que nous tirions nos propres conclusions, et nous devons produire notre rapport bientôt.
Le vice-président : J'ai quelques questions à poser. Avec l'arrivée et la présence imposante de la radio d'information continue, on dépasse un peu les bornes dans ce qu'on pourrait appeler le divertissement radiophonique et on frôle parfois le mauvais goût ou la démesure. Recevez-vous de nombreuses plaintes à ce sujet? Comment traiteriez-vous une plainte à l'égard de la radio d'information continue, à la lumière de ce que nous chérissons au Canada et que nous appelons la liberté de presse?
M. Cohen : Une plainte à l'égard de la radio d'information continue serait traitée de la même façon que toute autre plainte portant sur une question journalistique. Nous ne recevons probablement pas beaucoup de plaintes à ce sujet. Est-ce qu'un cas particulier vous vient à l'esprit, madame Gaylard?
Teisha Gaylard, directrice des politiques, Conseil canadien des normes de la radiotélévision : Certaines stations se consacrent aux actualités, mais je ne pourrais pas dire que nous recevons plus de plaintes à leur égard qu'à l'égard des stations de musique ou d'autres.
Le vice-président : Qu'arrive-t-il si le propriétaire d'un journal et le propriétaire d'une station de télévision réunissent leur salle de nouvelles, mais conservent des organisations, des entreprises distinctes? Il y a le journal et il y a la station de télévision, par exemple, ou un réseau. L'un peut-il porter plainte contre l'autre? Un journal peut-il déposer une plainte devant vous? Un journaliste peut-il déposer une plainte?
M. Cohen : Oui. Lorsque vous dites « journaliste », je présume, par la façon dont vous avez structuré votre question, que vous faites référence à un journaliste de la presse écrite.
Le vice-président : Oui, un journaliste de la presse écrite.
M. Cohen : Ceci est important. J'aimerais préciser que nous n'acceptons pas les plaintess faites par un diffuseur contre un autre. Toutefois, rien n'empêche un journaliste de la presse écrite de porter plainte contre un radiodiffuseur. Cette plainte serait recevable.
Le sénateur Mercer : J'ai une question en lien avec celle du vice-président.
Avez-vous reçu beaucoup de plaintes concernant le contenu rédactionnel, la similarité de contenu de certaines stations qui appartiennent à un seul propriétaire? Vous n'avez pas besoin d'aller bien loin d'ici pour trouver une station de musique rock, une station de musique country et une station AM à prépondérance verbale. On dénote une certaine tendance dans l'éditorial ou dans la façon dont les nouvelles sont présentées.
Recevez-vous beaucoup de plaintes à ce sujet? On peut parler de réchauffé dans ces stations, non seulement sur le plan de la musique, mais aussi des nouvelles et des éditoriaux.
M. Cohen : Je croyais d'abord que vous alliez dans une direction, mais vous semblez plutôt aller dans une autre.
Voyons si je vous comprends bien. Certaines stations et certains animateurs ont des points de vue subjectifs. Ces points de vue ne peuvent transpirer dans les nouvelles, mais un éditorial, un contenu rédactionnel, est, par nature, subjectif. Il est rare qu'un contenu rédactionnel ne soit pas subjectif et ne présente pas une certaine prise de position. Ce n'est pas du tout un problème pour nous. Nous avons rendu des décisions où nous avons établi des différences dans l'animation des émissions-débats, en disant qu'il y en avait différents types. Il y a ce que nous avons appelé l'approche du policier de la circulation, où l'animateur ne transmet aucunement son point de vue. Puis il y a les émissions où l'animateur joue un rôle de catalyseur et présente son opinion et une certaine subjectivité, ce qui est acceptable, à notre avis. En fait, ce type d'émission permet souvent d'exprimer des points de vue opposés, et on atteint un certain équilibre dans la programmation en fonction de cela.
C'est acceptable, monsieur le sénateur, pourvu que l'on fasse une distinction entre ces émissions et les nouvelles.
Le sénateur Mercer : Je comprends cela et je comprends qu'on le fait parfois pour soulever la controverse, et qu'on attire ainsi des auditeurs et l'argent des commanditaires. Je comprends cela. Toutefois, dans certaines stations — et je pense encore une fois à une station locale —, les personnes qui présentent des éditoriaux font parfois référence à l'actualité en y ajoutant leur point de vue. Recevez-vous des plaintes à ce sujet?
M. Cohen : Bien sûr.
Le sénateur Mercer : Je pourrais moi-même porter plainte demain.
M. Cohen : Vous en avez le droit, sénateur. Nous allons recevoir votre plainte de bonne grâce et reconnaître toute son importance. Nous recevons des plaintes sur ce que nous appelons, dans notre rapport annuel, des conversations officieuses. Ce type de commentaire entrerait dans cette catégorie. Nous recevons beaucoup de plaintes sur le contenu des émissions-débats.
Le sénateur Munson : Comment allez-vous traiter des plaintes concernant la propriété mixte des médias si vous ne vous occupez pas des journaux? Par exemple, les plaintes concernant les journaux sont adressées aux conseils de presse. Avec la propriété croisée des médias, des plaintes sont déposées, mais c'est pratiquement les mêmes, n'est-ce pas?
M. Cohen : Pas de notre point de vue. Nous ne traitons pas des plaintes concernant les journaux à l'heure actuelle, et nous ne le ferons pas dans l'avenir. Notre responsabilité est limitée aux radiodiffuseurs. Si un journal faisait quelque chose d'incorrect, ce ne serait tout simplement pas dans notre champ de compétence. Nous nous occupons seulement de ce que font les radiodiffuseurs.
Le sénateur Munson : Est-ce que vous intervenez lorsque le radiodiffuseur se fait l'écho du journal, si c'est la même histoire qui fait l'objet d'une plainte?
M. Cohen : S'il y a une plainte, nous l'examinerons, mais seulement du point de vue du radiodiffuseur. Nous ne tiendrons pas compte du point de vue du journal sur une question qui semblerait concerner à la fois un radiodiffuseur et un journal.
Le sénateur Munson : J'adore la radiodiffusion. J'ai travaillé dans ce domaine pendant 35 ans. Je pourrais continuer toute la nuit, mais je respecte la présidence. C'est assez.
Le vice-président : J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à Mme Miljan, professeure du Département de science politique à l'Université de Windsor, où elle se spécialise dans le domaine de la politique et des médias. Elle est également agrégée supérieure de recherche à l'Institut Fraser. En collaboration avec Barry Cooper, qui ne peut pas être ici aujourd'hui, elle a rédigé un ouvrage pour l'Institut Fraser intitulé The Canadian ``Garrison Mentality'' and Anti- Americanism at the CBC.
Bienvenue au comité. Nous vous invitons à présenter une déclaration préliminaire d'une dizaine de minutes. Par la suite, nous entamerons une discussion en table ronde et nous vous poserons des questions.
Lydia Miljan, professeure, Sciences politiques, Université de Windsor, à titre personnel : Merci de m'avoir invitée ainsi que mon collègue, Barry Cooper, à vous faire part de certaines de nos réflexions sur ce sujet important. Malheureusement, M. Cooper avait un conflit d'horaire et ne pouvait pas être ici aujourd'hui. On lui a demandé de rencontrer le juge Gomery à Edmonton et il ne pouvait pas être à deux endroits en même temps. Il vous prie de l'excuser. Il avait hâte de vous rencontrer.
Notre thèse est très simple. Elle est différente de ce que vous avez entendu dans le témoignage précédent.
L'avantage d'être le dernier témoin, c'est que vous pouvez lire ce qui s'est passé auparavant.
Nous avons remarqué qu'en général, les théoriciens se plaignent de la propriété croisée des médias, de la concentration de la presse, et cetera. Notre thèse est différente. Nous nous préoccupons moins de la propriété des médias que des journalistes eux-mêmes parce que, selon nous, ce sont les journalistes qui comptent dans les nouvelles. Nous croyons que les journalistes ont plus d'importance à cet égard que les propriétaires et d'autres aspects.
Ce sujet est controversé parce que beaucoup de personnes prétendent que si vous travaillez pour un certain média d'information, vous devez fournir une information tendancieuse. Nous avons examiné cette question. Je crois comprendre que nous sommes à la télévision, alors je peux faire un peu de publicité pour mon livre.
Dans mon livre, intitulé Hidden Agendas, nous avons interviewé des journalistes et leur avons demandé ce qu'ils pensaient de certains sujets. Nous leur avons demandé de nous dire pour qui ils avaient voté, ce qu'ils pensaient des enjeux socioéconomiques et de l'unité nationale, et ce qu'ils pensaient de la culture de la salle de nouvelles.
Nous avons constaté que, dans la plupart des cas, les journalistes ne sont pas bien différents du reste des Canadiens. Je crois que vous avez entendu cette affirmation auparavant. D'autres études ont montré qu'ils votent de la même façon.
Je ne suis pas convaincue que le vote est ce qui traduit le mieux les tendances idéologiques, surtout avec le régime des partis que nous avons au Canada. La plupart des gens ont tendance à voter pour les libéraux, mais cela ne vous dit pas nécessairement où ils se situent dans le spectre politique. Nous avons posé des questions sur différents enjeux.
Nous constatons que les journalistes répondent par l'affirmative à certaines questions sur des enjeux économiques. Par exemple, le système capitaliste constitue le meilleur moyen d'assurer le bien-être de tous les Canadiens. Par contre, ils disent avoir cru que le communisme était une bonne idée à l'époque, mais qu'elle a été gâchée par une mauvaise gestion. Ils sont ambivalents.
Si nous dressons un index de ces enjeux, nous constatons que les journalistes se situent au centre gauche sur les questions économiques. Ils préfèrent l'intervention de l'État dans l'économie à la non-réglementation, la déréglementation ou la privatisation. Concernant les questions sociales, lorsqu'on leur demande leur opinion sur l'avortement, le mariage gai ou l'environnement, ils ont tendance à guider l'opinion publique.
Ce qui est intéressant, c'est que nous n'avons pas seulement posé des questions aux journalistes. Nous avons comparé les journalistes à la population en général. Nous avons posé les mêmes questions, en même temps, au grand public et aux journalistes. Nous avons constaté qu'en matière sociale, les journalistes étaient à l'avant-garde. Ils étaient sympathiques au mariage entre conjoints de même sexe et aux droits des homosexuels, alors il n'est pas surprenant que les médias fassent la promotion de ces idées.
Bien que d'autres intervenants disent qu'il faut se préoccuper de la propriété des médias, lorsque nous demandons aux journalistes s'ils ont déjà eu l'impression qu'un de leurs reportages avait été retiré ou censuré par le propriétaire pour des raisons d'idéologie, massivement, ils ont dit non.
Chose intéressante, lorsque nous demandons aux journalistes où ils se situent politiquement en comparaison avec leurs gestionnaires ou le propriétaire du média, tous semblent croire que leurs gestionnaires se situent plus à droite qu'eux. Lorsqu'ils se disent d'extrême gauche, ils croient que leurs gestionnaires sont de gauche. C'était intéressant d'observer cette tendance qu'ont les journalistes de croire qu'ils sont différents de leurs gestionnaires; ces derniers sont toujours à droite, ne serait-ce qu'un peu.
Bien qu'ils perçoivent une différence d'opinion, la grande majorité des journalistes ne croient pas qu'on leur impose le bâillon. Ils sentent que leurs gestionnaires sont différents d'eux, mais ils n'ont jamais cru que leurs articles avaient déjà été retirés en raison de ces différences idéologiques.
Je n'irai pas jusqu'à dire que les propriétaires n'ont pas d'influence. Je crois qu'ils en ont. Toutefois, je ne crois pas qu'ils exercent leur influence dans les pratiques quotidiennes du reportage parce que ce serait très complexe. Comment pouvez-vous être propriétaire d'une immense entreprise et surveiller constamment chaque journaliste pour voir ce qu'il a l'intention d'écrire ou quelle personne il a l'intention d'appeler?
Les journalistes ont une grande marge de manœuvre. Ils choisissent eux-mêmes les sources qu'ils consultent, et le choix est grand.
Toutefois, nous avons constaté que des influences sont exercées, plus précisément pour l'embauche dans la salle de nouvelles; et les pratiques d'embauche semblent être plus tendancieuses à CBC/Radio-Canada que dans le secteur privé.
En fait, les journalistes de CBC/Radio-Canada semblent plus au centre gauche sur les questions socioéconomiques que les journalistes du secteur privé.
Le vice-président : Est-ce très surprenant?
Mme Miljan : Nous l'avons documenté, et c'est ce qui est différent.
Est-ce que cela signifie que le secteur privé est de centre droite? Non. Les pratiques d'embauche y sont plus diversifiées. On trouve des gens à gauche, des gens à droite et des gens au centre. Par rapport à CBC/Radio-Canada, le secteur privé semble avoir un meilleur équilibre en ce qui a trait à l'embauche dans la salle de nouvelles.
Parlant de la société d'État, je remarque qu'un grand nombre des témoignages que vous avez entendus ont eu lieu avant le lockout des employés de CBC/Radio-Canada. Il est important d'examiner cette question. Nous devons parler de ce que les gens ont manqué durant le lockout.
Je pense que nous avons toujours droit à un point de vue canadien sur les nouvelles internationales. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle CBC/Radio-Canada a été créée au départ; nous avions besoin de voix canadiennes. Au cours des huit dernières semaines, nous avons tout de même entendu des voix canadiennes, mais elles nous provenaient d'autres diffuseurs. Nous n'avons eu droit à des reportages sur les grands dossiers nationaux. Mon collègue vous dirait que le pays ne s'est pas effondré simplement parce que nous étions privés des nouvelles de la société d'État pendant cette période.
Ce qui nous a manqué, et je suis la première à l'admettre, c'est un service d'information continue parce que la chaîne Newsworld de la CBC a également été touchée par le lockout. CTV n'a pas pu prendre le relais parce que ce réseau doit se limiter à un service de manchettes. CTV ne peut pas offrir de l'information continue. Mon collègue, Barry Cooper, a pu apprécier la programmation de la BBC. Il a commencé à s'intéresser à leurs points de vue sur le monde.
Pour ma part, je suis une spécialiste de la question canadienne. C'est mon champ d'études et il est bien certain que j'aurais voulu davantage d'information canadienne. J'ai été désolée de perdre des émissions comme Don Newsman's Politics ainsi que The House à la radio de la CBC.
Je me pose sans cesse la même question : Avons-nous besoin de CBC/Radio-Canada? Avons-nous besoin d'un diffuseur public pour offrir ces services?
À la lumière des études que j'ai réalisées sur le contenu présenté à la CBC, je constate que le problème vient de la position réglementaire du CRTC. Les diffuseurs privés ont bel et bien demandé de pouvoir offrir des services d'information continue; c'est le CRTC qui a refusé.
Cela s'explique par la Loi canadienne sur la radiodiffusion qui favorise CBC/Radio-Canada. On y stipule que la société d'État a un rôle à jouer dans les dossiers touchant l'unité nationale et qu'elle doit donc profiter d'un traitement préférentiel. Le CRTC a jugé qu'il ne devait pas y avoir concurrence directe avec un diffuseur privé. C'est ce qui pose problème.
D'autres pays offrent une plus grande diversité quant aux chaînes d'information continue. Si on pense à nos voisins du Sud, il y a au moins trois chaînes offrant un service complet d'information et des reportages sur différents dossiers.
Ce qui est un peu frustrant pour les téléspectateurs, c'est qu'il arrive souvent que CTV assure une meilleure couverture en direct des événements. Rappelez-vous des débats dans le cadre de la campagne à la direction du Parti conservateur. Pendant que la chaîne Newsworld de la CBC présentait des reprises de l'émission Antiques Road Show, CTV diffusait des reportages sur les débats.
Si nous avons une chaîne d'information continue qui est censée offrir un service complet, pourquoi CBC/Radio- Canada ne le fait-elle pas? Pourquoi présente-t-on ces rediffusions?
Il y a d'autres émissions diffusées sur CTV qui sont également excellentes. Celle de Mike Duffy fait constamment l'objet de plaintes de la part de la CBC qui fait valoir qu'il offre un service complet d'information, plutôt qu'un service de manchettes. On ne cesse de le critiquer à ce sujet, mais il présente une émission politique de bonne qualité qui pourrait faire concurrence à n'importe quelle émission de la CBC.
Nous avons appris une ou deux choses importantes au sujet des journalistes pendant le lockout. En fait, la Guilde canadienne des médias est d'accord avec nous. Dans sa publicité, elle faisait valoir que les journalistes de CBC/Radio- Canada ont un rôle à jouer. La trame sociale canadienne pourrait en souffrir si on ne leur permettait pas d'exprimer leurs points de vue particuliers.
Je me souviens d'annonces publiées dans le Globe and Mail et dans d'autres journaux durant le lockout. L'une d'elles présentait une photo d'Anna Maria Tremonti avec comme légende : « Ils ont pu me réduire au silence, mais vous avez toujours votre mot à dire. » Cela démontre clairement que même la Guilde canadienne des médias reconnaît que les présentateurs des émissions ont leurs points de vue bien à eux. Si on prétendait le contraire, cela signifierait que ces personnes sont interchangeables. C'est exactement la position contre laquelle s'est élevée la Guilde canadienne des médias dans ce différend dont, soit dit en passant, le syndicat est sorti gagnant.
Il faut également ne pas oublier que chaque activité humaine s'inscrit dans son propre réseau. Cette réalité est à la base des plaintes concernant la propriété des médias et ces grands réseaux qui seraient coupables de conspiration. Il en va de même pour les journalistes.
J'ai été étonnée d'entendre les déclarations qui ont été faites lorsque les employés de la société d'État ont repris le travail. Le 11 octobre, par exemple, Arnold Amber, qui était le principal négociateur syndical en plus d'être producteur d'émissions en direct pour le service d'information télévisée de la CBC, a déclaré : « Allons-y et montrons-leur de quoi il s'agit exactement. Reprenons le travail et faisons de CBC/Radio-Canada ce qu'elle peut être vraiment, un grand diffuseur public pour tous les Canadiens ». Voilà une déclaration tout à fait louable. Cependant, il a également ajouté que les gens devraient se souvenir de deux choses : premièrement, qu'ils travaillent pour CBC/Radio-Canada; deuxièmement, qu'ils ont découvert au cours des huit semaines précédentes qu'ils appartenaient également à un syndicat, la Guilde canadienne des médias.
Indication nette que les journalistes ont leurs propres réseaux au sein d'une organisation dotée d'un financement public, voilà qu'on nous dit qu'il ne s'agit pas seulement d'employés de CBC/Radio-Canada, mais aussi de membres d'un syndicat, ce qui laisse entendre un parti pris, que vous soyez d'accord ou non.
Mes années d'études comparatives de la CBC et de CTV m'ont permis de constater qu'il y avait généralement un parti pris à la CBC. De nombreuses études ont révélé que ce réseau avait tendance à préconiser l'intervention de l'État dans l'économie et à promouvoir, de par la construction même de ses reportages, la libéralisation des mœurs sociales et une réglementation gouvernementale accrue. Tous ces points de vue sont défendables, et un diffuseur privé peut très bien faire valoir un seul aspect de la question. Le problème pour bien des gens, et je m'inclus dans ce nombre, c'est que CBC/Radio-Canada n'est pas une organisation privée. Elle vit de l'argent des contribuables et, plus important encore, elle est mandatée par la Loi canadienne sur la radiodiffusion pour présenter aux Canadiens un reflet fidèle de ce qu'est leur pays. Elle ne peut donc pas se contenter de présenter un seul aspect des idées, des valeurs et des aspirations canadiennes.
Le problème c'est que les contribuables qui ne partagent pas ces points de vue n'en ont vraiment pas pour leur argent. De nombreuses personnes m'ont dit qu'elles étaient souvent choquées par cette perspective unilatérale de la société d'État.
Je suis la première à admettre que CBC/Radio-Canada offre un service extraordinaire. Elle diffuse des émissions de très grande qualité et ce, du moins à la radio, sans aucune publicité. Cette programmation exempte de publicité m'a manqué durant le lockout, mais j'ai très bien pu me passer de la partialité et des remarques narquoises qu'on peut entendre relativement à certains points de vue.
Nous ne devons pas oublier que CBC/Radio-Canada est un diffuseur de premier plan dont les services de grande qualité s'adressent à l'élite de notre pays.
Si nous choisissons de maintenir cette formule de diffuseur financé à même les deniers publics, nous devrions faire le nécessaire pour assurer le respect de son mandat. Ce diffuseur devrait présenter une perspective équilibrée aux Canadiens, plutôt qu'un seul côté de la médaille.
Je ne veux pas trop m'attarder sur cet autre problème, mais il y a quelque chose qui contrarie la Canadienne en moi qui a vécu la plus grande partie de sa vie dans l'ouest du pays. Les nouvelles ne devraient pas provenir uniquement de Toronto ou de l'Ontario. Nous devrions entendre parler des autres Canadiens également, et pas seulement dans le cadre de reportages à caractère pittoresque. Pour les Albertains, il commence à être rasant de toujours entendre des histoires au sujet des cow-boys des Prairies ou du Stampede. On ne peut pas parler d'une couverture véritable de la réalité régionale. Il est important de connaître les idées qui circulent en Alberta, de savoir ce qu'on fait exactement pour que l'économie soit aussi florissante dans cette province. Est-ce seulement à cause du pétrole ou bien est-ce le fruit d'un ensemble de politiques publiques?
Lorsque je vivais à Vancouver, je trouvais frustrant qu'on entende parler de la vie politique en Colombie- Britannique uniquement lorsque quelqu'un faisait quelque chose d'épouvantable. Il n'était jamais question d'initiatives intéressantes ou de politiques publiques. À l'inverse, dans les reportages en provenance de l'Ontario et de Toronto, on avait tendance à faire la morale au reste des provinces, ce qui pouvait être insultant compte tenu de toutes les bonnes idées pouvant émaner de ces régions.
Hier, Carole Taylor écrivait ce qui suit dans le Globe and Mail :
Il est difficile pour un Néo-Canadien habitant près du Punjabi Market à Vancouver de se sentir concerné par un bulletin de nouvelles diffusé à partir de Toronto, avec comme introduction des images de cette ville, soir après soir. Peut-on vraiment appeler ça The National? Non, pas du tout.
Nous n'avons pas accès, de façon vraiment significative, au point de vue de tous les Canadiens.
C'est une déclaration qui en dit long.
Je recommande que l'on permette aux diffuseurs privés d'offrir la programmation qui, selon eux, répondra le mieux aux besoins du public, sans que CBC/Radio-Canada ne soit avantagée à cet égard. Autrement dit, les Canadiens et les Canadiennes devraient avoir le choix quant au diffuseur public et aux autres diffuseurs également.
Enfin, la société d'État n'est pas là pour faire office de contrepoids aux valeurs idéologiques des diffuseurs privés. Son rôle ne consiste pas à adopter une position de gauche pour assurer un juste équilibre lorsqu'elle estime que les diffuseurs privés sont à droite. On doit retrouver cet équilibre à l'intérieur même de son organisation et de ses salles de nouvelles.
Je suis maintenant à votre disposition pour poursuivre la discussion ou répondre à vos questions.
Le sénateur Phalen : Je vous souhaite la bienvenue. Dans votre document sur l'antiaméricanisme à CBC/Radio- Canada, vous présentez de nombreuses statistiques sur les commentaires négatifs et positifs concernant les États-Unis relevés dans les reportages d'information diffusés en 2002. Pouvez-vous nous donner des exemples de ce que vous considérez comme un commentaire négatif et un commentaire positif?
Mme Miljan : Lorsque nous procédons à une analyse de contenu, nous nous penchons sur toutes les observations qui sont formulées. Nous identifions l'intervenant et déterminons si sa déclaration est positive, négative ou neutre par rapport au sujet à l'étude, c'est-à-dire aux États-Unis dans le cas qui nous intéresse.
Je crois que mon document comporte plusieurs exemples de commentaires positifs, négatifs et neutres. Si un intervenant déclare : « Les États-Unis sont nos principaux amis et alliés. », ce serait un exemple de commentaire positif. Il est facile pour nous de catégoriser les affirmations de ce genre. Voici un exemple de déclaration neutre : « Les Américains s'adresseront aux instances de l'ALENA pour discuter du différend commercial. » C'est un simple énoncé des faits. Dans le cas d'un commentaire négatif, l'intervenant réagit contre quelque chose.
Le sénateur Phalen : Considéreriez-vous que c'est un commentaire négatif?
Mme Miljan : Non, j'ai dit que c'était neutre. Le fait que l'on dise que les États-Unis s'adressent à l'ALENA pour parler du bois d'œuvre constitue en soi une déclaration neutre. Si quelqu'un avait dit : « Les Américains se comportent comme des brutes », une déclaration que nous avons relevée à maintes reprises, nous indiquerions qu'il s'agit d'un commentaire négatif.
Le sénateur Phalen : Avez-vous fait des recherches pour déterminer si les autres services de nouvelles canadiens présentent les reportages concernant les États-Unis sous un angle différent? La couverture d'une nouvelle concernant le problème du bois d'œuvre par CTV ou Global est-elle vraiment différente de celle assurée par CBC/Radio-Canada?
Mme Miljan : Dans ce cas-ci, nous ne l'avons pas fait; je croirais toutefois que la couverture était probablement très semblable. Je ne pense pas que la CBC se distingue particulièrement à ce chapitre. Mais, je le répète, il faut imposer des normes plus élevées à notre société d'État. Les journalistes de CBC/Radio-Canada ne sont pas là pour présenter un seul côté de la médaille; ils doivent couvrir tous les aspects parce qu'ils sont payés par les contribuables et que ceux-ci ont droit à un service complet.
Le sénateur Phalen : Vous indiquez dans votre document que le nationalisme canadien peut, dans une mesure importante mais inconnue, être assimilable à de l'antiaméricanisme. Comment en arrivez-vous à une telle conclusion?
Mme Miljan : Dans le cadre de nos recherches sur le nationalisme canadien et la manière dont les Canadiens ont tendance à s'identifier, nous avons découvert de nombreuses indications en ce sens. Certains théoriciens ont dit que le Canada et les États-Unis étaient nés ennemis. Une grande partie de notre identité culturelle puise son origine dans la façon dont nos pays respectifs ont vu le jour. Les Canadiens ont mis en place un grand nombre d'obstacles pour tenir les Américains à distance, et la radiodiffusion en est probablement le meilleur exemple. Tout l'environnement réglementaire s'appuie sur notre crainte des diffuseurs américains et la nécessité de nous protéger contre la menace américaine toujours envahissante.
Nous pourrions citer un grand nombre d'exemples à cet effet.
Le sénateur Phalen : Je vais aborder la question sous un autre angle. Je suppose que je suis un nationaliste canadien parce que je crois en mon pays et je crois que ce que nous faisons est bien. Est-ce que cela veut dire que je suis antiaméricain?
Mme Miljan : Ce ne serait pas considéré comme une déclaration antiaméricaine parce que ce n'est que le reflet de vos points de vue favorables au Canada. Nous disons simplement qu'il est dommage de voir les Canadiens s'identifier en fonction de leurs réactions face aux Américains, plutôt que d'une affirmation positive de leur véritable identité.
Le sénateur Eyton : Professeure, merci d'être des nôtres ce soir. Vos observations m'amènent à conclure que, d'une manière générale, vous êtes favorable à la présence d'un diffuseur publique, mais que vous avez certaines réserves quant au mode de fonctionnement de CBC/Radio-Canada. Est-ce que je me trompe?
Mme Miljan : C'est sur ce point que mon collègue, Barry Cooper, et moi-même divergeons d'opinion. Il est probablement davantage en faveur de la privatisation. Pour ma part, j'estime que les diffuseurs publics ont un rôle à jouer. J'ai visité des pays où cette formule a très bien fonctionné et d'autres où cela n'a pas donné de bons résultats. Je suis une consommatrice de ces services publics, mais je crois que c'est parce que je me considère comme faisant partie d'une certaine élite et que j'aime la radio très réfléchie et un peu ennuyante. Je n'apprécie pas qu'on me bombarde de musique tonitruante et d'annonces publicitaires. Il faut toutefois se demander si les contribuables doivent faire les frais de mes préférences.
Le sénateur Eyton : Vous êtes favorable à une programmation publique de qualité?
Mme Miljan : Absolument.
Le sénateur Eyton : Feriez-vous une distinction entre le service de télévision de CBC/Radio-Canada et son volet radiophonique?
Mme Miljan : Si vous parlez de différences idéologiques, notre enquête a révélé que la radio d'État était plus à gauche que la télévision. Peut-être parce qu'elle est davantage en concurrence directe. La télévision de CBC/Radio- Canada a tendance à adopter des positions plus neutres que la radio.
Le sénateur Eyton : Cela ne me plait pas nécessairement toujours, mais j'apprécie tout particulièrement la radio de la CBC. J'écoute régulièrement Andy Barrie, Michael Enright et tous les autres. Je suis irrité la moitié du temps, mais c'est aussi provocateur. Selon moi, du moins pour ce qui est de la radio, la CBC offre une programmation qui ne serait pas accessible autrement, et certainement pas en tout cas aux États-Unis. Je passe beaucoup de temps là-bas et il m'est souvent difficile de trouver du contenu intéressant.
Mme Miljan : Je ne suis pas ici pour défendre la radio publique américaine, mais maintenant que j'habite Windsor, j'ai la possibilité d'écouter leur radio d'État. Ils offrent également une programmation de qualité nettement supérieure, même si elle est différente. Je ne sais pas si cela est attribuable à leur mode de financement ou à la taille du marché. La radio publique américaine offre une excellente programmation.
Le sénateur Eyton : Je ne dirais pas le contraire. Je l'ai déjà écoutée. C'est l'option qui s'offre à moi quand je voyage là-bas.
Mme Miljan : C'est une question de préférences personnelles.
Le sénateur Eyton : Il est tout de même inhabituel d'avoir accès à la qualité qu'offre un Andy Barrie jour après jour. Je n'ai jamais trouvé l'équivalent aux États-Unis.
Y a-t-il un pays qui pourrait selon vous servir de modèle à CBC/Radio-Canada?
Mme Miljan : J'ai examiné de près les journaux et les gens parlent de la BBC comme une option possible. Je ne sais pas vraiment si un autre pays peut servir de modèle au Canada parce que nous avons ici des circonstances tout à fait uniques. Le Canada a une grande superficie et n'est pas très peuplé. Il serait difficile d'y adopter un modèle américain ou britannique.
Je n'en n'ai pas nécessairement contre la structure de l'organisation; ce sont les décisions d'embauche qui ne me plaisent pas. Lorsque je parle à des journalistes de la CBC, je constate une différence tangible entre les plus jeunes et les plus vieux. Les plus jeunes vont vous dire qu'il y a effectivement des divergences idéologiques dans la salle de nouvelles. Le problème vient de la stagnation de l'effectif en raison de l'embauche réduite au cours des récentes années. Peut-être quand les plus vieux prendront leur retraite sera-t-il possible de revitaliser l'organisation et de lui insuffler une plus grande diversité. C'est contre cela que j'en ai. L'organisation a tendance à embaucher des gens qui pensent tous de la même façon, ce qui fait qu'ils sont généralement tous du même avis.
Le sénateur Eyton : Pourriez-vous nous parler du récent lockout, de son importance et de son règlement? Il me semble que les enjeux de ce lockout — le débat, les discussions et le règlement — ne se limitaient pas aux simples conditions de travail ou aux divergences patronales syndicales habituelles. Avez-vous fait des constatations en ce sens? Voyez-vous une signification particulière au lockout et à son règlement?
Mme Miljan : Je ne suis pas une spécialiste du droit du travail ou des négociations collectives. En tant que consommatrice de nouvelles, je trouve difficile à comprendre les raisons pour lesquelles un diffuseur met en lockout ses employés sans qu'il y ait eu arrêt de travail ou autre action du genre. C'est une situation que les gens arrivaient mal à comprendre et qui a causé pas mal de frustrations. Je ne saisis pas exactement le sens de votre question.
Le sénateur Eyton : Je n'ai pas eu de discussion à ce sujet, mais je croyais que l'un des principaux enjeux était la possibilité pour CBC/Radio-Canada de faire appel à des entrepreneurs privés et de s'assurer ainsi une plus grande diversité en recrutant au sein de la collectivité des gens qui ne participaient pas régulièrement à ses émissions. Il y a eu un compromis à ce sujet. Il est maintenant plus facile pour l'organisation d'emprunter cette avenue.
Mme Miljan : J'ai entendu le point de vue des deux camps. Que l'on fasse appel à un contractuel ou à un employé permanent, ce n'est pas ce qui intéresse le consommateur. Ce qui l'intéresse, c'est la diversité, le fait d'avoir des présentateurs différents, peu importe comment on s'y prend pour y arriver.
Le sénateur Eyton : Le fait qu'ils vont pouvoir embaucher des contractuels est sûrement une bonne chose. Cela veut dire qu'il va y avoir une plus grande diversité, n'est-ce pas?
Mme Miljan : J'imagine. Encore une fois, je ne veux pas me prononcer là-dessus, puisque cette question ne relève pas de ma compétence. Le problème se situe ailleurs.
Le sénateur Mercer : Comme vous occupez un poste d'enseignante à l'Université de Windsor, je présume que vous faites partie de l'association des professeurs.
Mme Miljan : Oui.
Le sénateur Mercer : Cette association est, en fait, un syndicat au sens où l'entendent ceux qui ont déjà fait partie d'un tel mouvement. Ce qui m'inquiète, c'est la façon dont vous avez présenté le syndicat de la CBC/Radio-Canada. Le discours donné par le négociateur ressemble à celui que donnerait n'importe quel dirigeant syndical après un long conflit : « Rentrons. Faisons bien notre travail, et n'oublions pas que nous sommes restés unis. »
Mon père qualifierait votre exposé de ce soir de compliment équivoque. Vous n'avez cessé de nous dire à quel point vous appréciez ce que fait la CBC/Radio-Canada. Vous dites que la société joue un rôle important, mais qu'elle est biaisée et que ses employés sont des gauchistes. Je ne suis pas un gauchiste. Je me considère toutefois comme un partisan de la gauche et j'en suis fier.
Je suis surpris de voir qu'on puisse penser que la CBC/Radio-Canada, et surtout le journal télévisé, penche vers la gauche. Je pense plutôt, et c'est ce qui permet d'établir un juste équilibre, que les service de nouvelles de la CBC/Radio- Canada, et notamment les présentateurs comme Peter Mansbridge, penchent plutôt vers la droite.
Mme Miljan : Concernant le syndicat, oui, je fais partie de l'association des professeurs. Que vous travailliez pour Ford, Chrysler ou n'importe quel autre fabricant d'automobiles, le fait d'être membre d'un syndicat n'a aucun impact sur votre emploi. Personne ne vous demande quelles sont vos croyances, et personne ne vous dit quelle position adopter quand vous faites du travail à la chaîne.
Par ailleurs, les syndicats essaient de bien informer leurs membres. Je reçois de mon syndicat et de diverses associations universitaires des lettres et des publications dans lesquelles ils exposent leur position dans certains dossiers. Dans le cas des radiodiffuseurs, cela peut poser problème. Ils sont exposés, en tant qu'auditoire contraint, à la position du syndicat. Je suis nerveuse quand un chef de production de CBC/Radio-Canada dit, « Nous représentons CBC/ Radio-Canada, mais nous représentons également le syndicat », parce que cela veut dire qu'ils vont présenter le point de vue du syndicat.
L'entrevue Rabinovitch-Tremonti qui a été diffusée récemment nous montre à quel point cette question est délicate. Quand vous êtes en lock-out, vous ne pouvez rapporter les faits de façon neutre et objective. J'ai constaté, au fil du temps, que lorsqu'on parle de questions touchant le travail, les ateliers syndiqués ont beaucoup plus tendance à appuyer les travailleurs que la direction. On revient ici à la question d'équilibre. Est-ce qu'un atelier syndical peut faire preuve d'impartialité quand il traite de questions touchant le travail? Peut-il faire preuve d'impartialité dans les dossiers qu'il défend?
Le sénateur Mercer : Dans le même ordre d'idées, les médias, en particulier les diffuseurs publics, ne devraient-ils pas avoir le droit de se syndiquer?
Mme Miljan : La négociation collective est un droit. Ce qui m'inquiète davantage, ce sont les ateliers fermés. Les ateliers ouverts et le syndicalisme compétitif favorisent l'échange d'idées.
La question n'est pas de savoir s'ils devraient ou non pouvoir se syndiquer, car je pense qu'ils ont le droit de l'être. Il faut toufefois faire preuve de prudence. Nous ne pouvons pas dire, d'une part, que les grandes entreprises ont ceci de négatif qu'elles pensent toutes de la même façon et qu'elles essaient d'imposer leur point de vue et, d'autre part, de passer sous silence le fait que les employés de ces entreprises ont eux aussi un point de vue et un syndicat. Affirmer que les propriétaires sont biaisés et ne pas tenir compte du fait que les employés le sont peut-être aussi équivaut à adopter une attitude de deux poids deux mesures.
Le sénateur Mercer : Je ne veux pas que l'on passe tout notre temps à parler du syndicat. Là n'est pas l'objectif de notre étude. Toutefois, j'ai entendu l'entrevue entre Anna Maria Tremonti et Rabinovitch. J'ai pensé, dans les circonstances, que c'était de l'excellent journalisme. Voir le dirigeant du réseau être interviewé par un des principaux journalistes si peu de temps après les événements constituait, selon moi, un exploit remarquable qu'on ne verrait à nulle part ailleurs. C'était quelque chose de typiquement canadien.
Je les félicite tous les deux, même si je ne suis pas un grand admirateur d'au moins une de ces personnes.
Vous avez parlé du régionalisme de la CBC/Radio-Canada. Je veux vous parler des régions à l'intérieur des régions. Je viens de la Nouvelle-Écosse. L'émission locale du matin, à Halifax, qui couvre l'ensemble du territoire de la Nouvelle-Écosse, se déplace tous les jours d'un endroit à l'autre. Elle peut nous provenir de Barrington, un jour, de Middleton, le lendemain, de Pictou, le surlendemain, ainsi de suite. L'émission se déplace d'un endroit à l'autre et fait appel à des reporters locaux. Il y en a des bons et des mauvais, selon qu'ils viennent d'une région ou d'une autre de la Nouvelle-Écosse.
C'est quelque chose qu'il faut garder à l'esprit quand on parle de la CBC/Radio-Canada. N'est-il pas vrai que nous n'aurons jamais droit à ce genre de service de la part des diffuseurs privés, parce qu'ils jugent cette solution trop coûteuse et trop peu rentable, et parce que, en raison de la concentration de la propriété, les nouvelles, dans bien des cas, ne parviennent pas du diffuseur local, mais d'un autre endroit du réseau?
Mme Mijan : Parlez-vous de la télévision ou de la radio?
Le sénateur Mercer : De la radio.
Mme Mijan : Comme je n'écoute pas beaucoup la radio de la Nouvelle-Écosse, je ne peux répondre à la question. Toutefois, j'ai vécu dans l'ouest et dans le sud de l'Ontario, et j'ai entendu ce qui se faisait à la radio. Je suis d'accord avec vous. Ce rôle n'appartient pas nécessairement au radiodiffuseur privé. Le radiodiffuseur public a le mandat d'offrir ces services. À mon avis, il pourrait faire mieux en Nouvelle-Écosse. Les autres régions du pays n'ont pas accès au même genre de services. Le problème vient du fait que lorsque la CBC/Radio-Canada réorganise et restructure ses activités, elle élimine d'abord les services régionaux. Les régions sont plutôt mal desservies. Il y a beaucoup de nouvelles en provenance de Toronto ou de l'Ontario qui sont diffusées ailleurs. Toutefois, les habitants dans cette région-ci n'entendent pas la voie des autres Canadiens.
Le sénateur Mercer : Pour ce qui est de l'élimination des services régionaux, je suis d'accord avec vous. Le bureau de Sydney, en Nouvelle-Écosse, a été confronté au même problème. Tout semblait venir de Halifax. Vous faites surtout allusion à la télévision, n'est-ce pas?
Mme Mijan : Je m'intéresse beaucoup plus à la télévision qu'à la radio.
Le sénateur Mercer : Windsor, où vous habitez maintenant, a été l'un des principaux endroits touchés.
Mme Mijan : C'est exact. Ils ont perdu leur station de télévision, mais ils ont réussi à la récupérer. Côté télévision, les émissions de nouvelles locales attirent très peu de spectateurs. Le secteur privé se débrouille beaucoup mieux et détient une grande part du marché. Les diffuseurs privés qui émettent sur la bande AM ont un plus grand auditoire. À Windsor, nous n'entendons pas nécessairement parler de ce qui se passe à Toronto, mais nous sommes au courant de ce qui se passe à Windsor et dans le comté d'Essex. La couverture dans la région est relativement bonne.
Le sénateur Munson : D'abord, je tiens à dire que la CBC/Radio-Canada a commis une grave erreur quand elle a éliminé la programmation locale à l'échelle du pays. Toutes les nouvelles sont locales. Il y a des émissions fort intéressantes dans la région de l'Atlantique et dans l'Ouest. La concurrence à l'échelle locale est très vive. Où vont les journalistes quand ils obtiennent leur diplôme? Ils ne peuvent pas commencer à travailler pour la CBC à Toronto ou à Vancouver, ou encore pour le réseau CTV à Toronto. Pour ce qui est de Carole Taylor, je suis d'accord avec vous. Elle a rédigé un excellent article, que je recommande, sur les mesures que devrait prendre la CBC/Radio-Canada pour diversifier sa couverture. On devrait peut-être cesser de montrer tous ces édifices à Toronto et mettre davantage l'accent sur les régions.
J'ai travaillé dans le milieu de radiodiffusion privée, et je ne rentrais pas au travail le matin avec des préjugés en tête. J'essayais de faire preuve d'impartialité. Vous dites que la CBC/Radio-Canada est biaisée. Quand Paul Hunter arrive au travail le matin, a-t-il en tête des idées de gauche? J'aimerais avoir quelques exemples de cette partialité apparente de gauche à laquelle vous faites allusion.
J'ai vu, hier soir, à la CBC/Radio-Canada un excellent reportage sur la pandémie. Il n'y avait rien de tendancieux dans celui-ci. C'était, au contraire, du grand journalisme. Les radiodiffuseurs privés ont pour mandat d'informer les Canadiens. Or, ils ne peuvent le faire que si nous avons une CBC à la fois dynamique et en santé. Je ne pense pas qu'ils vont s'approprier un dossier et réaliser un reportage là-dessus s'ils ne font pas face à une sérieuse concurrence.
Mme Miljan : Ce n'est pas la première fois que j'entends cela. Lloyd Robertson m'a fait la même remarque. Il a dit, « La CBC/Radio-Canada a un rôle à jouer, car elle nous pousse à faire mieux. » C'est là un commentaire intéressant.
Concernant les préjugés, tout dépend du point de vue d'où on se place. Vous voyez un reportage, vous le jugez bon — ils sont de mon côté, ils font preuve d'impartialité. Vous le trouvez mauvais, ils sont coupables de partialité. Nous essayons d'adopter une approche méthodique. Tout le monde a des préjugés. Nous pouvons tous essayer de faire preuve d'objectivité. J'essaie d'être objective dans mon travail. Toutefois, j'aborde chaque problème en me fondant sur mon expérience, ainsi de suite. Il en va de même pour les journalistes.
Dans l'étude, nous posons aux journalistes une série de questions sur l'économie. Nous leur demandons ce qu'ils en pensent, quels sont les meilleurs moyens de régler les problèmes économiques. Nous avons créé un index et compilé des statistiques. Nous avons ensuite examiné le contenu et la façon dont ils traitent la question du chômage. Nous avons regardé ce qui se faisait du côté non seulement de la CBC/Radio-Canada, mais également du côté de CTV, du Devoir, du Calgary Herald et du Globe and Mail. Il est vrai que, dans la plupart des cas, les reportages sont neutres. Les faits sont rapportés de façon objective : par exemple, le chômage a augmenté de X p. 100 aujourd'hui. Nous avons ensuite cherché à savoir s'ils proposaient des solutions. Il y a différentes façons de s'attaquer au problème du chômage. On peut, par exemple, accroître l'aide financière qu'accorde le gouvernement aux chômeurs, une mesure que l'on qualifierait d'interventionniste ou de solution centre gauche. On peut aussi réduire les impôts, une démarche que l'on qualifierait de politique centre droite ou d'approche axée sur le marché. Nous avons réparti ces solutions en catégories dans un index gauche/droite et établi une comparaison entre celles-ci et ce que les journalistes avaient à proposer. Nous avons constaté que les journalistes de la CBC/Radio-Canada avaient beaucoup plus tendance — pas nécessairement dans les opinions qu'ils émettaient — à faire preuve de partialité dans les sources qu'ils sélectionnaient. Un journaliste comme vous ou encore comme Paul Hunter va agir de façon plus prudente. Vous allez bien choisir vos mots et essayer de rapporter les faits, sauf que vous allez faire preuve de partialité dans le choix des personnes que vous allez interviewer. Vous allez avoir tendance à interviewer les personnes qui ont un point de vue que vous partagez.
Nous avons également constaté que la CBC/Radio-Canada — et les tableaux le démontrent — a tendance, lorsqu'elle organise des tables rondes et des débats, à inviter des porte-parole de centre gauche qui vont insister sur une plus grande intervention du gouvernement dans l'économie.
Pour ce qui est du Calgary Herald, il est beaucoup plus enclin à adopter des positions centre droite. Il prône une moins grande intervention du gouvernement, et une plus grande intervention du secteur privé. On observe des différences entre les agences de nouvelles, différences qui peuvent être mesurées.
Le sénateur Munson : J'ai entendu, récemment, des observations intéressantes de la part de commentateurs albertains de droite à l'émission de Peter Mansbridge, qui est diffusée le soir. Comme téléspectateur, j'accepte sans rien dire leur position, j'y réfléchis pendant la nuit et le lendemain, je la rejette. C'est ce que j'appelle faire preuve de partialité.
J'aimerais vous poser une question au sujet du rôle joué par le radiodiffuseur public. Est-ce que la CBC/Radio- Canada devrait cesser de diffuser des annonces publicitaires, des émissions de sports, une activité qui, pour elle, est rentable? C'est ce qui dérange les radiodiffuseurs privés. Les règles du jeu ne sont pas équitables. La radiodiffusion publique, pour moi, est très importante. Je ne fais d'ailleurs aucune distinction entre la radio et la télévision.
Mme Miljan : À mon avis, s'ils reçoivent de l'argent des contribuables, ils devraient offrir des services à ces mêmes contribuables.
Je n'ai pas d'idées bien arrêtées sur la commercialisation et les publicitaires. Si une émission populaire affiche de bonnes cotes, diffuse des annonces et en tire des recettes, elle contribue à son financement, ce qui lui donne une plus grande légitimité.
Pour ce qui est des événements sportifs, là encore, vous vous attaquez à une institution nationale. Je parle, bien sûr, de La soirée du hockey. Il m'arrive parfois de donner des cours aux États-Unis et, chose ironique, il y a beaucoup d'étudiants américains qui connaissent bien le Canada parce qu'ils regardent La soirée de hockey qui est diffusée par la CBC/Radio-Canada. Don Cherry est bien connu au Michigan. Je n'ai pas vraiment d'opinion là-dessus, parce que je ne cherche pas à savoir où les diffuseurs obtiennent leurs recettes publicitaires et comment ils se financent.
Le sénateur Munson : Je pourrais, tout comme le sénateur Mercer, poursuivre la discussion toute la nuit, car vos propos sont très importants. Ils peuvent nous aider à formuler des recommandations équilibrées. Toutefois, il y a deux autres sénateurs qui souhaitent vos poser des questions.
Le sénateur Merchant : Bonsoir. Je viens de Regina, en Saskatchewan. Nous sommes tous le produit de la société dans laquelle nous vivons. Il n'est pas étonnant que les journalistes reflètent également l'opinion de la majorité. D'après certaines statistiques, les habitudes de vote des gens qui travaillent dans le milieu des médias sont similaires à celles du grand public. Il n'y a rien de surprenant à cela.
Pour ce qui est des préjugés politiques, si vous parlez à un partisan néo-démocrate, il va vous dire que la CBC/ Radio-Canada est contre le NPD. Si vous parlez à un partisan libéral, il va vous dire que la CBC/Radio-Canada est trop à gauche. Nous n'arriverons jamais à nous entendre, chaque personne ayant sa propre opinion. À cet égard, je ne sais pas qui est satisfait du travail de CBC/Radio-Canada. En tant que radiodiffuseur public, elle doit faire preuve d'impartialité dans ses reportages. Les journalistes, semble-t-il, ne font pas simplement rapporter les faits. Ils ont recours à des méthodes flamboyantes pour capter l'attention de l'auditoire, peut-être pour attirer des publicitaires. Je ne sais pas si c'est là la raison, mais la façon dont ils présentent les nouvelles n'est jamais simple. Ils semblent toujours rechercher le sensationnalisme, d'où la perception qu'ils font preuve de partialité.
Mme Miljan : Peut-être. Ils doivent trouver un moyen d'attirer l'attention des gens. Cela fait partie de leur travail. Je ne sais pas s'il est nécessaire d'avoir des publicitaires. Je n'ai pas remarqué de différence dans la couverture qu'assure la CBC/Radio-Canada depuis qu'elle fait affaire avec des publicitaires. Elle n'a pas changé de style. Elle ne fait que s'adapter au caractère mouvant de la société.
Le sénateur Merchant : Elle a besoin d'un auditoire.
Mme Miljan : Oui. Quelqu'un doit voir l'émission et notre société a besoin d'être grandement stimulée. Ce problème tient en partie au fait que la télévision — c'est dans sa nature — doit être excitante. Je n'ai rien contre le fait d'avoir accès à des programmes excitants, mais je veux qu'ils fournissent des perspectives différentes, de façon constate, et non pas simplement exprimer un seul point de vue.
Le sénateur Merchant : Je suis d'accord avec vous sur la plupart des points que vous soulevez. La CBC/Radio- Canada est un excellent outil, mais elle doit revenir à son mandat. Je suis d'accord avec le sénateur Munson et le sénateur Mercer : au cours des dernières années, la CBC /Radio-Canada a laissé tomber la perspective régionale dans l'Ouest. Tout vient de Toronto ou de Regina. Il n'y a pas de reportages régionaux dans la province. Quand quelqu'un de North Battleford diffuse les nouvelles locales, il connaît les gens auxquels il fait allusion parce qu'ils sont peut-être ses voisins. La CBC/Radio-Canada doit revenir à son mandat premier.
Mme Miljan : Je suis d'accord.
Le sénateur Chaput : Pour pouvoir procéder à cette étude, vous avez interrogé des journalistes. Comment les avez- vous choisis? Était-ce selon des critères régionaux? Quel échantillon représentatif avez-vous sélectionné?
Mme Miljan : Nous avons pris au hasard un échantillon de journalistes issus des grands médias d'information. Notre objectif était de mettre l'accent sur les grands quotidiens et les principales stations de télévision et de radio, en laissant de côté les régions et les secteurs de moindre envergure. Il s'agissait d'un échantillon aléatoire composé de francophones et d'anglophones, même si aujourd'hui, j'ai parlé uniquement des journalistes de langue anglaise. Enfin, notre étude était bien à l'échelle nationale.
Le sénateur Chaput : Je suis d'accord avec les sénateurs qui affirment que CBC/Radio-Canada doit trouver un équilibre, et qu'elle n'aurait pas dû se désengager de la programmation locale. Je viens du Manitoba. En ce qui concerne cette notion d'équilibre, j'ai des réserves. Nous sommes tous humains, et tout le monde peut avoir un parti pris évident, n'est-ce pas?
Mme Miljan : Oui.
Le sénateur Chaput : Comment pouvez-vous dire une chose pareille? Je vous donne un exemple. Les Canadiens ont des idées toutes faites à propos du Sénat canadien, même si nous, les sénateurs, savons le travail que nous accomplissons. Comment pouvez-vous affirmer cela?
Mme Miljan : C'est vrai. C'est la raison pour laquelle, étudiante, certaines études m'irritaient toujours parce qu'elles concernaient un universitaire qui n'aimait pas un reportage en particulier. Ma façon de faire est beaucoup plus systématique. Nous avons étudié des résultats qui s'étalaient sur une année entière. Je ne procède pas au codage moi- même, j'engage des étudiants pour le faire. Lorsque je les reçois en entrevue, j'essaie de trouver un équilibre idéologique en ce sens que j'en choisis qui ont des opinions de gauche, d'autres du centre et d'autres encore de droite, et ce sont eux qui devront ensuite revoir les données de l'étude. Plutôt que d'essayer d'imposer leurs idées préconçues, ils doivent rapporter textuellement les propos des gens. Ils doivent également se soumettre à une épreuve de fiabilité des correcteurs et confronter leurs notes pour s'assurer de tous coder les résultats de la même façon. Enfin, ils comparent les notes et les reportages. Nous effectuons plusieurs vérifications pour être certains que ces propos ont réellement été dits lors d'un bulletin de nouvelles et qu'il ne s'agit pas d'une invention du codeur. À partir de là, nous présentons un certain nombre d'exemples, plutôt qu'un seul tiré d'on ne sait où qui pourrait ne pas être représentatif.
Le sénateur Chaput : En tant que Manitobaine, je n'approuve pas la décision des Américains à l'égard de Devils Lake. Est-ce que je tiens là des propos anti-américains?
Mme Miljan : Non. Nous qualifions d'anti-américaines des déclarations telles que : « nous ne pouvons supporter ces bâtards », paroles incendiaires qui faisaient clairement état d'une charge contre le pays ou sa population.
Le sénateur Chaput : Y avait-il beaucoup de commentaires de ce type?
Mme Miljan : Oui.
Le sénateur Chaput : A-t-on diffusé ces commentaires à CBC/Radio-Canada?
Mme Miljan : Oui, ils ont été transmis par CBC/Radio-Canada au fil des ans.
Le sénateur Chaput : Est-ce que ces propos étaient généralisés?
Mme Miljan : Non.
Le sénateur Chaput : Et l'opinion que je viens d'exprimer ne pourrait pas passer pour anti-américaine?
Mme Miljan : Non, puisque vos propos concernaient davantage une décision qu'un aspect propre aux Américains.
Le sénateur Chaput : Tout est donc dans la façon dont on s'exprime?
Mme Miljan : C'est exact.
Le sénateur Phalen : J'aimerais que vous nous parliez des politiques.
Mme Miljan : Les politiques elles-mêmes n'étaient pas vraiment le problème qui nous intéressait. L'étude à laquelle vous faites référence traitait des déclarations concernant les Américains seulement. Les gens devaient avoir dit quelque chose de spécifique à l'égard des Américains, et non s'être exprimés sur la politique des États-Unis en Irak. Cet aspect ne faisait pas partie de l'étude.
C'est bien, vous me mettez davantage à l'épreuve que mes étudiants ne le font!
Le vice-président : Du point de vue des politiques gouvernementales, celles-ci ont suscité de nombreux débats pendant la dernière année. La teneur du mandat de CBC/Radio-Canada m'apparaît peu claire, et c'est peut-être aussi le cas pour CBC/Radio-Canada elle-même. Sans station de télévision locale, l'existence de ce réseau est-elle justifiée? Notre province ne compte plus aucune chaîne de nouvelles régionales. Les stations se résument essentiellement à CBC et Global. Qu'est-ce qui justifie l'existence de CBC/Radio-Canada? Quels arguments pourriez-vous mettre de l'avant en sa faveur? Les employés de CBC/Radio-Canada résistent totalement aux changements, bien que ceux-ci soient nécessaires à toute chose. Il a fallu des changements pour créer CBC/Radio-Canada, tout comme le régime d'assurance-maladie. Cependant, lorsqu'on désire changer ce qui a été créé il y a 50 ou 60 ans, les gens s'affolent. J'ignore quelle politique gouvernementale il faudrait adopter pour CBC/Radio-Canada aujourd'hui, en 2005. Quelle serait-elle, selon vous? Vous disiez que vous aimeriez qu'il y en ait une. C'est dommage que Barry Cooper ne soit pas ici. J'ai l'impression qu'il serait plus amusant.
Mme Miljan : C'est une question importante. Si l'on fait abstraction de la question régionale et du fait qu'il n'y a plus de problèmes technologiques — en effet, on n'a plus à se battre pour une largeur de bande, étant donné les 500 canaux disponibles, et on peut également avoir la radio par satellite; il n'est donc plus nécessaire de protéger les ondes publiques comme nous l'avions imaginé il y a 60 ans —, les perspectives sont bien peu réjouissantes.
La dernière émission de divertissement présentée par CBC que j'ai regardée est Anne... la maison aux pignons verts. Ce qui ne signifie pas pour autant que je ne regarde pas les programmes de divertissement canadiens; seulement, j'ai tendance à le faire par voie numérique lorsque quelque chose m'intéresse.
Cette question est délicate, puisqu'il est difficile de justifier l'existence de CBC/Radio-Canada si celle-ci propose uniquement un contenu national. Depuis des années, je dis que si CBC/Radio-Canada doit exister, c'est aussi pour remplir son mandat à l'égard des régions. Elle doit m'informer sur ce qui se passe au pays, ailleurs qu'à Ottawa et Toronto.
J'habite à Windsor et, même là-bas, on se sent mis à l'écart. Les habitants de cette ville ont le même sentiment d'aliénation que celui dont j'ai fait l'expérience dans l'Ouest canadien. En effet, ils ont l'impression qu'eux non plus ne comptent pas pour le réseau national. Très peu de gens sont au courant des enjeux qui les touchent, et ils font face à d'importants problèmes de politique publique. Windsor est le principal port d'entrée de l'ALENA, du libre-échange. On pourrait croire que cela lui vaudrait beaucoup d'attention, que les gens parleraient des problèmes commerciaux et iraient à Windsor pour essayer de régler les obstacles et les embouteillages à la frontière. Pourtant, ni les réseaux privés ni les stations publiques ne se soucient de ces problèmes, et c'est très préoccupant.
Le vice-président : En tirant des conclusions de ce qui est arrivé au moment du lockout, si CBC/Radio-Canada n'existait pas aujourd'hui, y aurait-il un intérêt public quelconque à vouloir sa création?
Mme Miljan : Il y aura toujours des gens pour le souhaiter. Dans les autres pays qui ont un radiodiffuseur public, il y aura toujours des gens pour dire : « Nous voulons conserver notre radiodiffuseur public ». Néanmoins, les circonstances ont changé depuis la création de CBC/Radio-Canada, lorsque la largeur de bande limitait les possibilités technologiques. Dès lors, étant donné que de nombreux canaux canadiens sont disponibles par voie numérique et par câble, une telle situation est difficilement justifiable, puisqu'on peut avoir un diffuseur national privé qui transmet, disons, des nouvelles 24 heures sur 24. Dans ce cas, la présence de la CBC/Radio-Canada est injustifiée. Comme nous l'avons constaté, des réseaux concurrents ont essayé d'offrir le même service, mais ils ont échoué.
Le sénateur Munson : Je crois que mon gouvernement a laissé tomber le public en n'accordant pas assez de fonds aux radiodiffuseurs publics. Je suis sérieux. Je veux que cela figure dans le compte rendu, c'est très important. Je ne crois pas que la radiodiffusion privée présente jamais des débats d'intérêt public, comme c'est le cas dans les émissions quotidiennes As It Happens et Cross Country Checkup, des émissions de radio matinales. Qu'il s'agisse du débat sur les communautés du Nord, duquel les radiodiffuseurs privés sont absents, ou encore sur les Acadiens du Nouveau- Brunswick, les francophones du Manitoba et les franco-ontariens, je ne crois pas que ce type de débat à l'échelle nationale pourra un jour émaner des radiodiffuseurs privés. Ceux-ci jouent un rôle important, mais je doute qu'ils établissent un lien entre Saint-John et Vancouver. Je dis cela pour que ça figure dans le compte rendu, et pour que le sénateur Tkachuk n'ait pas le dernier mot.
Le vice-président : Merci beaucoup madame Miljan. C'était très intéressant. J'ai été heureux de présider ce comité.
La séance est levée.