Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 3 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 13 juin 2006
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit ce jour à 9 h 31 afin d'examiner, pour en faire rapport, le processus fédéral de règlement des revendications particulières.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je suis heureux de vous accueillir au Comité permanent des peuples autochtones. En qualité de président du comité, je dois commencer par informer nos membres que le comité va débuter une nouvelle étude que lui a confié le Sénat le 30 mai dernier. Nous avons l'intention d'examiner le processus des revendications particulières en vue de formuler des recommandations destinées à contribuer au règlement rapide et satisfaisant des griefs formulés par les Premières nations.
Ce ne sera pas forcément une longue étude, mais nous allons chercher à voir pourquoi le règlement de ces revendications prend autant de temps, neuf à dix ans dans la plupart des cas.
Avant cela, nous allons régler quelques questions d'ordre pratique relatives à nos budgets et à d'autres renvois. Il est d'abord question de la possibilité que nous soyons saisis de la loi. Je crois que vous avez tout cela sous les yeux.
Je vais commencer par le premier point, celui de l'étude de l'ébauche d'un budget. Il s'agit d'un petit budget qui, selon toute vraisemblance, ne sera pas utilisé si on ne nous soumet pas de loi, mais la procédure veut que nous approuvions ces dispositions budgétaires. Le budget est de 8 000 $. Ai-je un motionnaire et un comotionnaire? Merci sénateur Peterson et sénateur Gustafson. Y a-t-il des questions à ce sujet?
Le sénateur Watt : Quand ces documents ont-ils été préparés, parce que je viens juste de les recevoir? Je n'ai pas eu le temps de les examiner et je me demande si la façon dont nous procédons...
Le président : Voulez-vous que nous en traitions?
Le sénateur Watt : J'aimerais que quelqu'un me les explique, parce que je n'ai pas eu la possibilité de le lire.
Le président : Le budget a été préparé par le greffier qui m'indique que cela correspond à la procédure habituelle que suit le comité pour faire approuver ce genre de poste budgétaire. Avez-vous des questions précises à poser?
Le sénateur Watt : Je m'interroge parce qu'en introduction, vous avez dit que ce budget est destiné à étudié la loi. C'est cela?
Le président : Oui, c'est cela.
Le sénateur Watt : Je comprends.
Le président : Il n'y aura peut-être pas de loi à étudier, sénateur Watt, auquel cas ce budget ne sera pas utilisé. Il ne le sera que si le comité est saisi d'une loi venant de l'autre Chambre.
Nous sommes d'accord?
Des voix : D'accord.
Le président : Le second point concerne les revendications particulières. Pour ce budget, nous avons prévu des dépenses minimales parce que l'essentiel de ce travail se fera à Ottawa. Ce budget, à la fois simple et modeste, permettra de financer des réunions à Ottawa. Quelqu'un pourrait-il proposer ce point à l'ordre du jour?
Merci, sénateur Gill. Y a-t-il des questions?
Le sénateur Watt : J'ai une question au sujet du mandat.
Le président : Je comprends. Toutefois, il s'agit du budget initial et nous ne savons pas exactement où tout cela va nous mener. Nous allons essayer de progresser le plus rapidement possible pour adresser une recommandation au ministre et aux autorités compétentes afin qu'elles accélèrent le processus de règlement des revendications territoriales.
Le sénateur Watt : Je comprends.
Le président : Il n'y a pas d'autres questions? Tout le monde est d'accord?
Des voix : D'accord.
Le président : C'est approuvé.
Le point suivant est un peu plus complexe. Il s'agit de l'étude de développement économique qui a été amorcée sous l'égide du sénateur Sibbeston. Ce budget concerne la dernière partie de l'étude. Il est recommandé d'effectuer un voyage en comité plénier dans l'ouest du Canada, le reste concernant des déplacements d'une journée à partir d'Ottawa pour parachever l'étude.
Je n'ai malheureusement reçu cette information que ce matin, mais je dois préciser que nous avons eu le temps de l'examiner au comité directeur. Ce budget ne présente rien d'extraordinaire et le comité décidera du nombre de missions d'un jour que nous voulons effectuer.
Ai-je un motionnaire?
Le sénateur Cochrane : Puis-je poser une question? Dans ce document, il est question d'une mission d'étude à Millbrook, en Nouvelle-Écosse, et d'une autre mission du même genre au Labrador. Tout cela se fera-t-il lors du même voyage?
Le président : Nous avons budgétisé ce voyage, mais le déplacement ne se fera pas en comité plénier. Il s'agit d'une mission d'étude.
Le sénateur Cochrane : Et quand cela aura-t-il lieu?
Le président : À l'automne, nous l'espérons.
Le sénateur Gill : Il y a des options ici. Je ne sais pas si les autres ont la même chose que moi.
Le président : C'est une documentation qui ne concerne que les membres du comité directeur afin de les aider dans leur décision.
Le sénateur Gill : Je vais vous dire ce que j'en pense. Comme je l'ai déjà dit, j'estime que nous devrions dépenser plus d'argent ailleurs. Il y a de très gros problèmes ailleurs. Je pense que nous pourrions poursuivre cette étude, mais uniquement à Ottawa en faisant venir les témoins plutôt que de nous déplacer. Nous pourrions consacrer les fonds à ce que le ministre nous a demandé de faire, c'est-à-dire à la principale question à laquelle nous sommes confrontés, plutôt que d'investir dans des voyages, d'aller parler à des gens à l'extérieur et de chercher de bons projets. Nous savons déjà que certaines choses ont bien fonctionné à Ottawa. Pourquoi donc investir notre énergie ailleurs?
Le sénateur Watt : Sénateur St. Germain, nous entreprenons une étude des activités de développement économique qui ont payé et de celles qui n'ont pas donné de résultats.
J'estime que cela nous dépasse. Avant de pouvoir poser ces questions, nous devons régler celles de l'équité et de l'assise territoriale.
Le président : Honorable sénateurs, un ordre de renvoi a été déposé et adopté par le Sénat afin que cette étude soit effectuée. Je comprends ce que dit le sénateur Gill qui se montre constant dans ses propos. Vous avez dit que l'on pourrait consacrer notre temps et notre budget à autre chose. Je crois que vous êtes entièrement d'accord avec la question des revendications particulières.
Il se trouve que cette étude a déjà débuté. Nous avons déjà dépensé beaucoup d'argent à cela. Malheureusement, le sénateur Sibbeston n'est pas ici aujourd'hui parce qu'il participe à des rencontres dans sa région. C'est lui qui a amorcé cette étude et, à l'époque, la plupart d'entre nous siégeaient déjà au comité. J'ai tenté de réduire les coûts au minimum et, après avoir constaté que nous avions déjà dépensé plus de la moitié de ce que nous prévoyions, j'ai essayé de faire en sorte que nous puissions terminer cette étude en effectuant un minimum de déplacements et un minimum de dépenses.
Comme l'étude est visée par un renvoi du Sénat, je pense qu'il en va de notre intérêt de la mener à terme. Le fait que ce budget soit adopté ne signifie pas que nous allons dépenser tout l'argent. Je suis prêt à faire venir des témoins à Ottawa si cela peut nous coûter moins cher. Je suis prêt à travailler avec le comité dans ce sens.
Le sénateur Watt : Avez-vous envisagé la possibilité de limiter les deux études en regard de la requête du ministre, c'est-à-dire que le comité contribue à accélérer le règlement des revendications territoriales particulières? Nous nous concentrerions sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas.
Le président : Si nous combinions ces deux études, nous irions à l'encontre du renvoi concernant les revendications particulières qui font problème depuis des années. La question a refait surface à la suite de certains incidents récents survenus là où les revendications particulières n'ont pas été réglées. C'est pour cela que le ministre collabore avec nous. Nous l'avons rencontré en comité et il veut que nous concentrions nos efforts sur cette question.
Pour ce qui est des déplacements et de la réduction des dépenses, je suis prêt à travailler avec le sénateur Gill et le sénateur Watt pour voir s'il ne serait pas possible de réaliser entièrement l'étude sur le développement économique à partir d'Ottawa, et cela en liaison avec le sénateur Sibbeston.
Je veux que nous continuions à travailler sur ce budget pour disposer d'options afin de réaliser l'étude. Nous avons déjà investi beaucoup d'argent du contribuable et investi nous-mêmes beaucoup d'efforts, et je crois donc raisonnable de terminer cette étude. Il demeure que nous n'avons pas, pour cela, à être prodigues. Nous essaierons de limiter les coûts tout au long du processus.
Le sénateur Watt : Combien cela devrait-il coûter en tout?
Le président : Il est prévu 264 830 $ en tout, la majorité de ce budget étant consacrée à un déplacement dans l'Ouest. À cette occasion, nous devrions aller en Saskatchewan, au Manitoba et dans certaines régions du nord de l'Ontario.
Le sénateur Gill : Et dans l'Est?
Le président : Il n'est pas question d'aller dans l'Est. Le budget couvre absolument tout.
[Français]
La plupart du temps, c'est dans l'Ouest, le comité au complet en voyage.
[Traduction]
Le sénateur Gill : Si nous approuvons ce budget, cela veut-il dire que nous approuvons automatiquement le plan?
Le président : Pas nécessairement. Un plan est rattaché au budget, mais rien ne dit que nous devons dépenser tout cet argent.
Le sénateur Peterson : Verrons-nous l'aboutissement de ce rapport?
Le président : Tout cela vise à terminer le rapport.
Le sénateur Cochrane : Je suis nouvelle au comité. Je remplace le sénateur Segal. Est-ce que nous avons un délai à respecter pour produire le rapport?
Le président : Le rapport doit être produit au plus tard le 30 juin 2007. Le comité conservera tous ses privilèges pour publier ses constats jusqu'au 1er septembre 2007.
Y a-t-il d'autres questions? S'il n'y en a pas, ai-je un motionnaire? C'est proposé par le sénateur Gustafson. Tout le monde est d'accord?
Des voix : Oui.
Des voix : Non.
Le président : C'est adopté avec dissidence. Merci, chers collègues.
[Français]
Avant de commencer, permettez-moi de vous présenter les membres du comité.
[Traduction]
Je vais vous présenter les membres du comité par ordre alphabétique. Nous avons d'abord le sénateur Dyck, de la Saskatchewan; le sénateur Gill du Québec, le sénateur Gustafson de la Saskatchewan; le sénateur Peterson de la Saskatchewan également, le sénateur Cochrane des provinces de l'Atlantique et le sénateur Watt du Québec.
Nous accueillons des fonctionnaires de deux ministères, soit Affaires indiennes et Nord Canada et Justice Canada. Ces deux ministères s'occupent du processus de règlement des revendications particulières.
Nous avons demandé à ces deux personnes de venir nous rencontrer pour nous expliquer le processus, nous dire à quelle étape nous en sommes et nous faire part de leur point de vue sur la nature des problèmes qui ralentissent le règlement des revendications.
Donc, du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, nous accueillons Mme Audrey Stewart, directrice générale de la Direction générale des revendications particulières et, du ministère de la Justice, nous avons Me Sylvia Duquette, avocate générale, Revendications particulières.
Bienvenue à vous deux. J'ai déjà eu le privilège de rencontrer Mme Stewart et je peux vous dire qu'elle est très compétente. On nous dit que vous avez un exposé à faire au comité et que vous allez vous partager les 40 minutes environ qui sont réservées à cela. Ensuite, nous vous poserons des questions.
Audrey Stewart, directrice générale, Direction générale des revendications particulières, Affaires indiennes et du Nord Canada : Merci de nous donner la possibilité de vous entretenir d'un sujet qui intéresse et qui mobilise Me Duquette tout autant que moi.
Nous avons remis des documents d'information dans un classeur et j'espère qu'on vous les a distribués. Je compte m'y référer en cours de route.
Avant de commencer, comme 40 minutes c'est beaucoup, je vais vous préciser, avec l'aide de Me Duquette, ce dont nous avons l'intention de vous parler.
Je vous propose tout d'abord d'effectuer un survol du programme, c'est-à-dire de vous présenter les principaux généraux qui en guident le fonctionnement, les ressources et les résultats.
Deuxièmement, nous entrerons un peu plus dans le détail de la façon dont fonctionne ce programme. À ce moment- là, nous nous appuierons sur les documents contenus dans le classeur.
Troisièmement, je vous parlerai des délais d'exécution qui semblent être au cœur du problème, et nous verrons combien de temps il faut consacrer à chaque étape, et ce que chaque étape signifie. Nous verrons également un peu ce que nous faisons sur le plan administratif pour réduire les délais actuellement nécessaires.
Le programme des revendications particulières est l'un des plus anciens programmes permanents de règlement extrajudiciaire des différends. Il a été mis sur pied afin de permettre aux Premières nations de négocier et de régler toute une série de revendications avec le gouvernement fédéral. Ces revendications découlaient essentiellement du fait que le gouvernement n'avait pas protégé les actifs des Premières nations qu'il administrait pour leur compte ou qu'il n'avait pas respecté certaines des promesses faites dans des traités historiques.
Le gouvernement fédéral a administré les actifs des Premières nations, pour leur compte, parfois pendant 200 ans. Durant tout ce temps, des erreurs ont été commises et il faut maintenant les réparer. Ce programme se veut une façon d'y parvenir.
Je vais commencer par vous présenter certains des principes fondamentaux qui régissent le fonctionnement du programme. Il y a d'abord celui de l'équité sur laquelle nous voulons articuler tout le processus. Toutes les revendications ne sont pas très anciennes, mais beaucoup le sont. Beaucoup également portent sur des sujets à propos desquels ni les historiens ni les tribunaux ne peuvent véritablement nous éclairer quant aux faits en cause et à la meilleure façon de les aborder.
Nous estimons très important de respecter ce principe d'équité et de chercher à agir de façon à être juste envers les Premières nations, envers les Canadiennes et les Canadiens en général et surtout envers les voisins des Premières nations, c'est-à-dire ceux et celles qui résident dans des collectivités avoisinantes.
Pour parvenir à cette équité, nous nous appuyons sur les meilleures normes disponibles en la matière. C'est l'une des raisons pour lesquelles Me Duquette est à mes côtés, puisque la principale façon d'évaluer l'équité consiste à demander des avis juridiques à propos des obligations du gouvernement fédéral, dans la mesure où il existe des normes extérieures à la politique officielle. C'est l'une des pierres de touche sur lesquelles nous comptons.
Nous accordons également beaucoup d'attention à la recherche historique. Nous ne devons pas oublier que ces revendications sont le produit de situations qui se sont véritablement produites, dans de vrais lieux et qui ont concerné des êtres faits de chair et d'os.
Chaque revendication déposée par une Première nation concerne son histoire et une série d'événements particuliers qui, de l'avis de la Première nation, ont entravé sa capacité de gérer ses propres ressources et son territoire et l'ont empêché de retirer les dividendes auxquels elle aurait pu s'attendre. Nous devons donc consacrer un certain temps à la recherche pour comprendre la situation en question.
Certaines revendications remontent à très loin dans le temps, parfois à la naissance de la Confédération. La majorité des renseignements dont nous disposons sur le plan historique nous viennent de documents gouvernementaux qui peuvent nous en dire beaucoup, mais pas forcément tout et il nous faut alors chercher ailleurs. Pour établir une bonne base factuelle, la recherche doit être méticuleuse, ce qui est exigeant.
L'autre volet auquel nous consacrons beaucoup de temps et une grande attention intervient une fois qu'il a été décidé de négocier la revendication, puisqu'il est alors question d'évaluer ce que pourrait être un règlement acceptable.
Là également, nous poussons le travail de recherche, souvent en collaboration avec les Premières nations avec qui nous négocions. Ce genre d'étude porte notamment sur l'évaluation des terres et des dommages occasionnés à la Première nation à cause de la perte de jouissance du bien, notamment sous la forme d'une perte monétaire.
Je vais tout de suite commencer par ces deux aspects pour deux raisons. D'abord, nous cherchons avant tout à collaborer avec chaque Première nation afin de comprendre ses revendications. Ce travail fait partie intégrante du processus et il est important pour parvenir à une solution finale qui sera acceptable pour tous.
De plus, il y a une bonne raison pour laquelle il faut tant de temps pour régler les revendications. Dans notre désir d'accélérer le processus, de régler rapidement les revendications, nous ne devons pas perdre de vue certains aspects qui sont directement liés à la nature même de notre travail. Il s'agit de notre premier principe de fonctionnement.
Le second principe de fonctionnement, c'est que nous formons une table de négociation particulière avec chaque Première nation. Ainsi, grâce à divers programmes de financement — c'est-à-dire à des contributions versées durant la période de préparation des revendications ou à des prêts consentis pendant la négociation des revendications —, la Première nation se retrouve en position de partenaire égal au gouvernement à la table de négociation.
Notre troisième principe de fonctionnement est celui de l'acceptation mutuelle. Les règlements et le processus de règlement sont volontaires. Les Premières nations peuvent recourir à la procédure de règlement extrajudiciaire, mais, si elles le désirent, elles peuvent également se tourner vers les tribunaux.
Elles ont la possibilité d'exercer ce choix dans chaque cas.
Nous privilégions le processus de négociation parce qu'il conduit à des solutions mutuellement acceptables et que les règlements sont presque systématiquement ratifiés par les Premières nations à la suite d'un vote communautaire, sauf dans le cas d'ententes mineures.
Je tiens à attirer l'attention du comité sur ces trois principes sur lesquels nous essayons de nous appuyer dans l'administration du programme. Ce programme donne des résultats. Il permet à la fois d'analyser les revendications des Premières nations et d'accepter d'en négocier la plupart. D'après nos dossiers, nous acceptons environ 70 p. 100 des revendications qui nous sont soumises.
Je crois que, jusqu'à aujourd'hui, nous avons réglé 273 revendications. De ce nombre, près de la moitié portent sur la restitution de terres ou sur la capacité de la Première nation d'acquérir des terres pour les ajouter à leurs réserves. Dans près d'un tiers des cas, les règlements font intervenir les provinces et font appel à des contributions provinciales, ce qui veut dire qu'ils ne concernent pas uniquement le gouvernement fédéral et les Premières nations. Les provinces sont aussi des partenaires importants.
Jusqu'ici, les ententes conclues ont permis de verser 2 milliards de dollars aux Premières nations et de leur donner la possibilité d'accroître leur assise territoriale d'environ 15 000 acres. Elles pourront ajouter cette superficie à leur patrimoine foncier au fur et à mesure qu'elles acquérront ces terres.
Tous les règlements comportent un volet financier dont l'importance varie beaucoup d'un cas à l'autre. Pour vous en donner une idée, sachez que le règlement le moins élevé a porté sur une somme de 12 000 $ et que le plus important a dépassé les 150 millions de dollars. Près de la moitié des règlements se situent en dessous de 2 millions de dollars. Comme vous le voyez d'après cette fourchette, la nature des revendications varie aussi grandement. Nous sommes saisis d'un grand nombre de revendications différentes.
Pour vous donner quelques exemples du genre de cause que nous traitons dans le cadre de ce programme, sachez qu'il y a des revendications portant sur des traités qui concernent l'Ontario, les Prairies et les territoires. Le gouvernement avait promis d'attribuer une partie des terres aux Premières nations. Pour différentes raisons — parfois des erreurs de calcul et parfois une certaine confusion — ces terres n'ont pas été transférées et nous nous retrouvons donc avec des règlements concernant des droits territoriaux en vertu de traités.
Il y a aussi les revendications qui portent sur les terres de réserve ou sur des ressources se trouvant dans les réserves, comme le bois d'œuvre ou le gravier exploité sans l'autorisation de la Première nation ou, quand il y a autorisation, sans contrepartie financière. Il s'agit-là d'un autre type de revendication territoriale. À l'occasion, les revendications portent sur la gestion de fonds au nom des Premières nations. Il est souvent question d'expropriation, que celle-ci ait été effectuée incorrectement ou que la terre ne soit plus désormais nécessaire aux fins pour lesquelles elle avait été expropriée, auquel cas elle peut être restituée à la Première nation.
Je le répète, nous avons affaire à toute une diversité de revendications. Si notre politique est si générale, c'est que nous devons disposer de la souplesse nécessaire pour pouvoir faire face à l'ensemble des situations qui nous sont soumises.
Je vais vous donner un exemple de règlement auquel nous sommes parvenus l'année dernière afin d'illustrer certaines des complexités auxquelles nous nous heurtons dans le processus de négociation. Ce qu'il faudra retenir de tout cela, je crois, c'est que les règlements ne sont pas uniquement affaire d'argent. Dans ce cas, il s'agissait d'une terre qui avait été expropriée pour des chemins de fer, à l'appui de l'effort de guerre lors de la Seconde Guerre mondiale. Il avait bien été prévu d'exproprier officiellement la terre en question, mais l'expropriation n'a jamais été prononcée bien que le terrain ait été utilisé par la compagnie.
À la faveur de la procédure d'expropriation, la Première nation concernée a perdu l'accès à une partie de sa réserve à cause d'un éperon de voie ferrée. Pour accéder à la réserve, la Première nation a dû trouver une solution avec la municipalité voisine. Quand cette revendication est arrivée à l'étape du règlement, il est apparu évident qu'il fallait régler d'autres aspects que la simple restitution du terrain et le versement d'un dédommagement pour perte de jouissance.
Il y avait des problèmes d'ordre environnemental. Ce lopin de terre a dû faire l'objet d'une évaluation environnementale par les trois ordres de gouvernement concernés et de travaux de remise en état pour que les Premières nations puissent de nouveau l'utiliser. En outre, il a fallu régler avec la localité voisine la question de l'accès par la réserve et à la réserve.
C'est ce que nous avons fait et il a été possible de conclure un règlement qui a permis de régler toute une série de problèmes. Le coût de ce règlement était inférieur à 2 millions de dollars, mais celui-ci a représenté une grande importance pour la localité voisine et pour la communauté de Première nation. Pour y parvenir, il a fallu beaucoup de bonne volonté et un travail acharné de la part de la Première nation, des usagers du chemin de fer, de la localité voisine et du ministère.
Ce que j'essaie de vous expliquer c'est que les règlements sont parfois affaire d'argent, que les problèmes sont parfois faciles à régler, et aussi qu'il vaut parfois mieux prendre le temps d'entrer dans les détails avec les localités voisines et les Premières nations pour parvenir à une solution bien plus valable qu'un règlement judiciaire.
Cela étant, je vais à présent vous expliquer comment fonctionne le programme. Dans vos classeurs, vous trouverez un ordinogramme qui a pour objet de vous aider à comprendre que ce qui peut paraître simple a priori — c'est-à-dire une revendication adressée au gouvernement à cause d'une erreur commise — peut devenir très complexe et prendre beaucoup de temps.
Le graphique comporte plusieurs couleurs. Le jaune indique les mesures qui relèvent essentiellement de la responsabilité des Premières nations. Le bleu clair correspond à ce que doit faire le gouvernement. J'ai précisé certaines des étapes suivies par le gouvernement fédéral. Nous avons également précisé les aspects à propos desquels les gouvernements provinciaux doivent intervenir. Toutefois, nous nous sommes surtout intéressés à ce que fait le gouvernement fédéral. Il est évident que, quand la Première nation et la province interviennent, chacune applique son propre processus décisionnel qui n'apparaît pas sur cet ordinogramme.
Commençons par descendre la ligne de gauche. D'abord, la Première nation soumet une revendication qui est évaluée, après quoi le gouvernement fédéral décide s'il veut ou non négocier. S'il décide de négocier, on passe à l'étape de la négociation, avant le règlement et la mise en œuvre.
Pour l'instant, la première étape de l'évaluation prend beaucoup de temps. C'est également une étape où nous pouvons apporter des améliorations, mais l'on peut déjà se heurter à des difficultés. Je vais vous donner quelques chiffres quant au nombre de revendications aux différentes étapes. À l'onglet 5 de votre classeur, vous trouverez les chiffres en question, à l'échelle nationale et par province, si vous êtes intéressés par une ventilation par province. Pour l'instant, nous avons 622 revendications à l'étape de l'évaluation, ce qui veut dire que le gouvernement fédéral est en train de décider s'il va ou non passer à la phase de négociation.
Quand nous recevons une revendication d'une Première nation, la Direction générale des revendications particulières, soit le service dont je suis responsable, examine le dossier et s'assure qu'il correspond aux paramètres de notre programme, après quoi nous l'examinons de façon préliminaire. Nous déterminons alors si le document renferme toutes les explications nécessaires sur la revendication, si la Première nation a effectué une recherche historique et si le gouvernement fédéral désire un complément de recherche. Nous en venons souvent à effectuer ce que nous appelons une recherche de confirmation, c'est-à-dire une recherche qui vise à combler tous les trous afin de nous donner un portrait complet de la situation, si c'est ce que nous voulons. Pour l'instant, 91 revendications se trouvent dans les premières cases bleues, en haut du graphique, où il est question de confirmer la recherche et de dégager les enjeux.
Le fruit du travail que nous effectuons à cette étape, qui consiste à recueillir un complément d'information, est alors soumis à la Première nation afin qu'elle puisse avoir une idée de la situation d'ensemble. Celle-ci a la possibilité d'examiner les documents qu'on lui remet et d'y réagir. Il s'agit des deux cases jaunes du graphique. Nous comptons actuellement 164 revendications à cette étape de la procédure.
L'étape suivante fait intervenir le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui est appelé à déterminer si la revendication entraîne une obligation légale. Pour l'instant, 309 revendications de ce type se trouvent à cette étape. Je vais maintenant céder la parole à Me Duquette qui va vous expliquer ce que Justice Canada fait pour nous à ce stade et aux autres étapes du processus.
Sylvia Duquette, avocate générale, Revendications particulières, ministère de la Justice Canada : Je dirige l'équipe d'avocats qui, à Justice Canada, est chargé d'appuyer le programme. Notre rôle est assez simple dans le cadre de ce processus, puisqu'il consiste à conseiller le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada quant à la possibilité que la revendication impose une obligation légale à la Couronne, d'après ce que nous savons du droit et ce que nous pensons qu'un tribunal ferait.
Quand on nous demande de produire un avis juridique pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada, nous tenons compte de différentes choses, comme les obstacles divers — atonie de la Première nation à poursuivre sa revendication; limitations — ainsi que les règles ou périodes de prescription stipulées dans la loi ou encore les règles strictes de la preuve. Ce faisant, nous en venons éventuellement à considérer que, même si elles n'avaient pas abouti devant une cour de justice, certaines revendications doivent être prises en compte à cause d'obligations pendantes aux termes de la politique.
C'est à partir de l'avis que nous fournissons que le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada détermine s'il va ou non négocier la revendication particulière. En vertu de cette politique, le ministre doit décider de participer au processus de règlement extrajudiciaire du différend, le RED — soit de négocier — sur la foi de l'avis du ministère de la Justice selon lequel il existe une obligation légale non réglée.
Si le ministre décide de négocier la revendication, notre groupe apporte un appui juridique aux tables de négociation, car il s'agit là d'un autre grand volet de notre pratique. À cet égard, nous conseillons notre client sur les principes légaux qu'un tribunal pourrait appliquer, selon nous, afin de déterminer le montant des dédommagements. Nous accordons aussi un appui juridique global pour tout ce qui touche à la rédaction des ententes portant règlement. et ainsi de suite. Si le ministre décide de ne pas négocier la revendication parce que nous lui avons indiqué qu'il n'existe pas d'obligation légale pendante au vu des catégories de revendications stipulées dans la politique, la Première nation peut demander que sa revendication soit examinée par la Commission des revendications des Indiens, la CRI.
L'avis du ministère de la Justice est fondé sur notre meilleure évaluation de ce qu'un tribunal déciderait. Dans le cadre de ce processus, le ministère de la Justice ne peut pas recommander d'entreprendre des négociations en l'absence d'obligation légale ou, au contraire, de recommander de ne pas négocier s'il conclue à l'existence d'une obligation légale pendante.
Si la Première nation réclame l'intervention de la CRI à la suite de la décision du ministre de ne pas négocier, les avocats de notre section se chargent de préparer les observations de la Couronne et de représenter l'État devant la CRI. Si les différentes parties, c'est-à-dire la Première nation, la Couronne et parfois les provinces ne parviennent pas à résoudre la revendication par le truchement de négociations, la Première nation peut alors entamer ou plus exactement réactiver sa contestation laissée en suspens dans l'attente d'une décision des tribunaux quant à la validité de sa revendication.
J'insiste ici sur le fait que, tout au long du processus, du dépôt de la revendication par la Première nation jusqu'aux négociations ou à la comparution devant la Commission des revendications des Indiens, les deux parties — c'est-à-dire la Première nation et la Couronne — sont représentées par des avocats différents. Dans le cas d'Affaires indiennes et du Nord Canada ou de la Couronne, c'est le ministère de la Justice qui remplit donc le rôle qu'on peut attendre de lui, puisqu'il conseille la partie gouvernementale. Les Premières nations ont leurs propres avocats.
Pour ce qui est du nombre des revendications qui en sont à l'étape de l'avis juridique, Mme Stewart vous a mentionné un chiffre tout à l'heure et je crois qu'elle a parlé de 300 dossiers. Eh bien, nous en avons précisément 309. À ce stade, les recherches ont été effectuées et les revendications attendent qu'un avocat de chez nous émette un avis juridique. À l'heure actuelle, il nous faut deux à cinq mois pour rédiger un avis juridique, ce qui revient à dire qu'un avocat passe tout ce temps sur chaque revendication.
Le président : Vous parlez de votre ministère?
Mme Duquette : Oui, du ministère de la Justice.
Le président : Ainsi que du service dont vous êtes chargée?
Mme Duquette : C'est exact.
Le président : Merci.
Mme Duquette : Quant à la raison pour laquelle tout cela est si long, Mme Stewart vous a déjà mentionné certains facteurs. L'ancienneté des incidents à l'origine de la revendication est un de ces facteurs. Autrement dit, il arrive que les dossiers factuels historiques soient complexes et très épais, certains remontant même jusqu'à la Confédération. De plus, l'essentiel du corpus juris dans ce domaine est complexe et il est sujet à des interprétations divergentes. Nous avons affaire à un rôle important dans ce qui constitue essentiellement, pour le ministère de la Justice, une politique fondée en droit.
Puisqu'il me reste un peu de temps, je devrais peut-être vous parler de la Commission des revendications des Indiens. La CRI a été constituée en qualité de commission d'enquête. Elle agit en vertu d'un décret émis aux termes de la Loi sur les enquêtes. La Commission est essentiellement investie du pouvoir de faire enquête et rapport sur deux grandes questions : les revendications particulières que le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada a refusé de négocier et les différends relatifs aux critères de compensation. Trente-cinq enquêtes de ce type sont actuellement en cours.
Dans près de 70 p. 100, le gouvernement accepte d'emblée de négocier les revendications soumises par les Premières nations. Cela veut dire que le groupe de la recherche transmet le dossier au ministère de la Justice et que, dans environ 70 p. 100 des cas, notre ministère produit un avis indiquant au ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada que la Couronne est effectivement liée par une obligation juridique pendante.
Près de 30 p. 100 des revendications ne sont pas acceptées à l'étape de la négociation par le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada. Celles-ci peuvent, en quelque sorte, constituer l'inventaire des revendications sur lesquelles la CRI pourrait être appelée à se pencher.
Je dois vous dire qu'un des problèmes réside dans le processus d'enquête. Le défi se situe en fait au niveau du mandat de la Commission. Comme je le disais, elle doit faire rapport sur la validité des revendications rejetées par le ministre du MAINC, mais il arrive très souvent que ces revendications soient considérablement modifiées entre le moment où elles sont soumises pour la première fois et celui où elles se retrouvent devant la Commission des revendications des Indiens. L'ampleur des changements varie d'un cas à l'autre, mais à l'expérience nous avons constaté que les revendications qui aboutissent devant la Commission diffèrent presque toujours, sur certains plans, des documents soumis à l'origine.
Cela veut dire qu'il arrive très souvent que nous soyons confrontés à de nouveaux enjeux juridiques et à des nouvelles preuves. S'agirait-il là d'une autre façon, peut-être inattendue, d'invoquer le mandat de la Commission des revendications des Indiens?
Je devrais peut-être m'arrêter là.
Le président : Nous allons sûrement vous poser des questions plus tard. Que vous reste-t-il à nous dire, madame Stewart?
Mme Stewart : Je vais passer deux autres minutes sur le processus après quoi je vous parlerai de ce que nous avons fait pour accélérer les choses.
Le président : J'ai l'impression que nos sénateurs trépignent d'impatience de vous poser des questions. Dans tout cela, le temps est notre pire ennemi.
Mme Stewart : Afin d'accélérer et de voir un peu à quoi correspondent ces chiffres, sachez que nous avons reçu 58 avis juridiques sur des dossiers qui devraient déboucher sur une décision. Cent vingt revendications en sont à la phase des négociations; en fait, je devrais plutôt parler de négociations et de règlement, parce que certaines d'entre elles sont en cours de ratification.
Passons au dernier thème dont je voulais traiter, celui du temps trop long qu'exige le processus. En collaboration avec Justice Canada, mon ministère a imaginé une formule afin de déterminer où les choses bloquent dans le système et comment nous pourrions les améliorer. Le processus est relativement formalisé. D'abord, il faut décrire ce que l'on fait et mentionner le genre de changement que l'on pourrait apporter, puis tester ces changements et ensuite, ce qui est important, les mettre en œuvre. Certes, nous ne nous penchons que sur les activités qui relèvent de l'appareil fédéral, parce que ce sont les seules sur lesquelles nous avons une certaine maîtrise.
Nous avons été étonnés de découvrir que nos processus internes sont devenus beaucoup plus bureaucratiques que nécessaires et nous avons donc dû nous atteler à la simplification des procédures d'approbation afin d'être plus efficaces dans la façon dont nous conduisons nos recherches. Nous avons examiné soigneusement la répartition du travail entre le ministère de la Justice et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien afin que les historiens fassent de l'histoire et que les avocats fassent du droit.
Ce travail de refonte a été payant. Il nous a permis de constater certaines choses que nous ignorions. Il nous a aidés à déterminer comment nous pourrions être plus efficaces.
Nous avons appris que notre procédure ne nous permettait de travailler que sur une revendication à la fois. Or, nous en avons maintenant suffisamment pour envisager de les regrouper. Nous pouvons regrouper toutes les revendications portant sur un seul sujet et demander à Justice Canada de les examiner en lot afin que les avocats, eux aussi, soient plus efficaces dans leur travail.
Il est également possible d'appliquer un même processus de règlement à plusieurs groupes de revendication au nom de l'efficacité ou encore de nous pencher sur toutes les revendications provenant d'une seule communauté. Ces façons de procéder devraient nous permettre d'améliorer nos modes de fonctionnement et de réduire les délais de traitement.
Afin de vous laisser plus de temps pour nous poser des questions, je vais m'arrêter ici.
Le président : Merci beaucoup pour les renseignements que vous nous avez communiqués. J'ai une brève question à vous poser. Votre ministère a-t-il été saisi de la revendication concernant la bande de Caledonia, en Ontario?
Mme Stewart : Cette série de revendications étant en cours d'instance, elle ne fait pas partie des revendications particulières.
Le président : Est-ce que vous vous en occupez au ministère de la Justice, maître Duquette?
Mme Duquette : C'est le groupe chargé du règlement des litiges au ministère de la Justice qui s'en occupe, ce n'est pas mon équipe. Je crois comprendre que la question de fond aurait pu donner lieu à des revendications particulières, mais que la Première nation a renoncé à se prévaloir de cette possibilité, à un moment donné, pour se pourvoir en justice.
Le président : Êtes-vous intimement associée au travail de Justice Canada dans ce dossier ou ne vous intéressez-vous qu'aux revendications soumises à la Direction générale des revendications particulières?
Mme Duquette : Je ne m'occupe que des revendications qui sont soumises à la direction générale. Cependant, nous prêtons main-forte à nos collègues de Justice Canada.
Le sénateur Watt : Pour en revenir à votre ordinogramme, pouvez-vous me dire si ce processus décrit ici a été négocié entre le ministère et l'Assemblée des Premières nations ou s'il a été établi unilatéralement décrété par le ministère, sans que l'APN n'ait eu son mot à dire?
Mme Stewart : Nous travaillons avec les différentes Premières nations parce qu'il s'agit des groupes qui soumettent les revendications. La procédure générale de dépôt des revendications — qui nous donne l'occasion d'examiner les dossiers et d'échanger des informations avec les Premières nations — a été acceptée par les Premières nations. Lors des discussions que nous avons eues avec l'APN — parce que l'APN a occasionnellement organisé des discussions sur ces procédures — nos interlocuteurs n'ont pas suggéré que l'on apporte des changements importants dans la mesure où c'est le gouvernement qui décide s'il veut ou pas négocier les revendications. L'APN peut avoir des points de vue différents sur d'autres pans de la procédure.
Le sénateur Watt : Vous avez peut-être mal compris ma question. Je voulais savoir si ce qui est indiqué dans l'ordinogramme a été négocié. Est-ce le résultat d'une négociation entre les deux parties ou est-ce que le gouvernement a imposé la procédure à suivre?
Mme Stewart : La procédure est stipulée dans la politique qui a été établie après des discussions avec les Premières nations. Pour ce qui est de la façon précise dont nous fonctionnons, on nous demande d'agir de la façon la plus efficace possible et nous ne négocions pas les différentes étapes de notre fonctionnement interne avec les Premières nations.
Le sénateur Watt : Le graphique qui décrit le dépôt et l'évaluation des revendications indique que l'on reconnaît l'existence d'obligations légales si la revendication répond à tous les critères. De quel recours les Autochtones disposent-ils en cas de grief contre le ministère quant à la façon dont leur revendication aura été prise en compte — c'est-à-dire partiellement ou entièrement — ou rejetée?
Dans ce dernier cas de figure, on dirait que la seule possibilité pour les Premières nations consiste à se rendre devant les tribunaux, parce qu'il n'existe pas de mécanisme de règlement des différends. Si je vous ai bien compris, dans ce que vous nous avez dit au début, tout le processus est en soi un mécanisme de règlement extrajudiciaire des différends.
Je commence à présent à comprendre un peu mieux pourquoi vous avez des arriérés de revendications particulières qui ne sont pas prises en compte ou qui s'empilent. Je crois que c'est à cause de ce graphique. Vous n'avez aucune façon de régler les différends éventuels. Si vous ne pouvez pas régler un différend par le truchement du mécanisme de règlement extrajudiciaire, comment pouvez-vous parvenir à la conclusion que vous tirez?
Prenons, par exemple, ce qui s'est produit en Ontario. S'il y avait un mécanisme de règlement extrajudiciaire des différends, les Premières nations seraient au moins vers qui se tourner. Pour l'instant, elles ne peuvent que s'adresser au ministre et celui-ci peut leur répondre favorablement ou défavorablement. Si la réponse est défavorable, il ne leur reste qu'à se pourvoir en justice.
Je pense que si vous insériez un processus de règlement extrajudiciaire des différends dans votre graphique, vous pourriez beaucoup progresser. Est-ce que je me trompe?
Mme Stewart : Je pense un peu mieux comprendre votre question à présent. Merci.
Toute la procédure que nous appliquons est extrajudiciaire. L'efficacité du processus passe par la détermination des deux parties à régler le différend. La Première nation peut déposer la revendication pour que celle-ci soit prise en compte, mais c'est nous qui allons la régler.
Le sénateur Watt : Tout ce que je veux dire, c'est qu'il faut que ayez l'impression d'accomplir un pas supplémentaire à l'étape de la négociation, que vous progressez plutôt que d'empiler simplement les dossiers.
Mme Stewart : Je vais revenir sur la question que vous avez posée au sujet de ce que peut faire la Première nation si le ministre décide de ne pas négocier. Un certain nombre de possibilités s'offrent à elle.
Après un refus, les Premières nations comprennent généralement mieux ce qui s'est produit dans le passé. Elles ont pu se plaindre de ne pas avoir reçu l'argent qui leur avait été promis, mais si une analyse plus poussée permet d'établir qu'elles ont effectivement touché cet argent, elles n'ont plus de problème. C'est ce qui se produit parfois.
Il arrive également qu'elles mettent la main sur d'autres renseignements qu'elles ne nous avaient pas fournis. Elles nous les font parvenir et nous réexaminons le dossier.
Elles ont toujours la possibilité de se pourvoir en justice. C'est ce que l'on peut faire dans tous les cas pour mettre un terme à la procédure de règlement extrajudiciaire des différends. La Commission des revendications des Indiens a été créée pour offrir, aux Premières nations qui ne sont pas satisfaites des décisions du ministre, une procédure d'examen externe. Il s'agit d'une procédure extrajudiciaire, d'une deuxième chance de régler le différend.
Le sénateur Watt : Monsieur le président, je reviendrai plus tard sur cette question, mais je vais vous poser une autre question tout de suite pour obtenir quelques précisions.
Pour ce qui est des critères appliqués par votre ministère, est-ce que les revendications particulières ne concernent que l'argent et les terres? Certaines annexes de la Loi constitutionnelle de 1898, soit la Loi de l'extension des frontières de Québec de 1912, stipulent en particulier qu'avant d'entreprendre des travaux de mise en valeur du territoire, les autorités doivent tenir compte de la superficie — on emploie l'expression « parcelle de terrain » — et des dédommagements à verser.
Ces annexes sont plutôt restrictives. Il demeure qu'au fil des ans il a été possible d'en élargir la portée pour traiter de la question de l'autonomie gouvernementale des Premières nations. Les revendications particulières donnent-elles la possibilité à un groupe d'entreprendre des négociations sur l'autonomie gouvernementale?
Mme Stewart : C'est un processus de négociation distinct qui le permet.
Le sénateur Watt : Comment s'appelle-t-il?
Mme Stewart : Il s'agit du processus de négociation sur l'autonomie gouvernementale. Un certain nombre de possibilités s'offrent aux Premières nations qui veulent assumer la responsabilité de la gestion de leurs terres et de leur argent. Il existe toute une série de négociations possibles pour cela. En fait, la négociation de l'autonomie gouvernementale est différente de la négociation des revendications particulières prévue dans le cadre de ce processus. Il s'agit de programmes ciblés destinés à répondre à des besoins de négociation différents.
Le sénateur Peterson : J'ai quelques petites questions à poser. Les revendications sont-elles classées par catégorie en fonction des difficultés qu'elles présentent ou les traite-t-on dans l'ordre de leur arrivée au ministère?
Mme Stewart : Nous sommes en train de modifier notre façon de procéder pour déterminer, au moment où la revendication arrive chez nous, si elle n'est pas semblable à d'autres dont nous sommes déjà saisis. Dans l'affirmative, nous les traitons toutes de la même façon.
Avant cela, nous les prenions dans l'ordre d'arrivée, mais à présent nous essayons de les répartir par catégorie ou de les regrouper d'entrée de jeu afin de pouvoir les traiter de façon plus efficace.
Le sénateur Peterson : Combien de revendications traitez-vous de front?
Mme Stewart : Vous aurez cette réponse aux tableaux de l'onglet 4. Pour l'instant, nous nous occupons de 776 revendications, nombre qui ne cesse d'augmenter parce que nous recevons les revendications plus vite que nous ne les traitons.
Le sénateur Peterson : Connaissez-vous la durée moyenne de traitement d'une revendication?
Mme Stewart : Il est plus difficile de répondre à cette question parce que les revendications sont très différentes les unes des autres. Toutefois, le sénateur St. Germain a misé juste en parlant de neuf à dix ans. Nous pouvons aboutir en deux ans, mais parfois les choses prennent beaucoup plus de temps entre la prise en compte du dossier et son règlement, le délai moyen étant actuellement de neuf à dix ans.
Le sénateur Peterson : Combien d'experts-conseils avez-vous engagé ou combien d'employés avez-vous? Quels sont les pouvoirs de ces gens-là?
Mme Stewart : Nous comptons une soixantaine d'employés à la Direction générale des revendications particulières du MAINC. Du côté du ministère de la Justice, je crois que 39 personnes sont affectées aux revendications particulières.
Mme Duquette : Pour être plus précise, je dirais que nous avons 22 avocats qui travaillent sur les revendications particulières, 19 à Ottawa et 3 en Colombie-Britannique. Ils s'occupent de toutes les revendications à l'échelle du pays et apportent un soutien juridique à quelque 70 tables de négociation, à 35 enquêtes de la CRI et à l'élaboration des politiques. De plus, ils participent à la préparation et à la production des avis juridiques sur la question des obligations légales. Nous comptons aussi quelques secrétaires et techniciens juridiques.
Le sénateur Peterson : S'agit-il de fonctionnaires ou de personnes engagées à contrat?
Mme Duquette : Tous sont employés du ministère de la Justice. Nous n'avons pas d'agents extérieurs.
Le sénateur Peterson : Est-ce pour la CRI?
Mme Stewart : Au ministère, nous recourons à du personnel externe pour trois choses : pour la recherche que nous confions à des historiens à contrat; pour les négociations auxquelles participent des négociateurs extérieurs; et pour les évaluations et les levées des terrains. C'est qu'il y a toute une gamme de fonctions à exécuter.
Le sénateur Dyck : Parlons un peu d'efficacité et des délais nécessaires aux différentes étapes du processus. Prenons le cas de la Saskatchewan dans la foulée de ce que le sénateur Peterson a dit. Je ne sais pas combien de traités sont en vigueur en Saskatchewan, peut-être cinq ou six. Pourtant, il y a près d'une centaine de Premières nations dans cette province. Pouvez-vous regrouper les revendications en fonction des traités particuliers? Par exemple, le Traité no 4 concerne ma Première nation et je me disais que, ce faisant, il serait peut-être possible d'englober toutes les Premières nations de la région.
Mme Stewart : La Saskatchewan est justement un des secteurs pour lesquels nous sommes parvenus à regrouper les revendications en fonction des droits fonciers issus des traités. La plupart des revendications dont nous nous occupons en Saskatchewan portent sur des cas particuliers de gestion de terre concernant certaines réserves. Il est essentiellement question de Premières nations individuelles plutôt que d'un groupe de Premières nations visées par un même traité. Nous sommes bien sûr toujours ouverts à l'idée d'aborder les revendications qui concerneraient tout un groupe de Premières nations. Dans certains cas, il est peut-être adapté d'effectuer un regroupement par traité.
Le sénateur Dyck : Est-ce que le Bureau du commissaire au traité de la Saskatchewan peut jouer un rôle pour rendre le processus plus efficace?
Mme Stewart : Ce bureau a effectivement un rôle à jouer en ce sens qu'il vise à mieux appréhender les traités conclus entre les Premières nations et le gouvernement et à communiquer cette information à la population de la Saskatchewan. Il est toujours possible de voir le genre d'aide mutuelle que les parties peuvent s'apporter dans le cadre de négociations. Actuellement, c'est la Commission des revendications des Indiens qui assume l'essentiel du soutien aux négociations, mais cela ne veut pas dire que d'autres organisations ne pourraient pas contribuer à cet effort.
Le sénateur Dyck : J'ai l'impression, à vous entendre, que ce processus comporte énormément de recherches à la phase d'évaluation des dossiers. J'aimerais savoir combien de temps vous consacrez aux négociations, au règlement et à la mise en œuvre des ententes. Est-ce que les choses vont comparativement plus vite à ces étapes-là?
Mme Stewart : Elles sont plus rapides, mais elles prennent tout de même du temps. À l'étape de négociation, nous réalisons des études pour quantifier les dommages subis, ce qui peut nécessiter deux ou trois ans selon le type de revendication. À ce stade également, chaque partie doit obtenir un mandat de négociation. Le gouvernement fédéral, pour sa part, met peut-être plus de temps à cet égard qu'il le devrait.
La rédaction des ententes de règlement peut prendre plusieurs mois. Le processus de ratification, surtout dans le cas des Premières nations qui doivent généralement organiser des votes communautaires et s'assurer que tous leurs membres disposent d'informations appropriées pour prendre une décision, peut nécessiter plusieurs mois.
Une négociation rapide et efficace à toutes les étapes peut prendre deux ou trois ans avant d'aboutir à la ratification.
Le sénateur Dyck : Ma dernière question s'adresse à Mme Duquette. Vous avez dit que 309 revendications sont en attente d'avis juridiques. Pourrait-on accélérer le processus en engageant du personnel supplémentaire ou en regroupant les revendications?
Mme Duquette : Je suis heureuse que vous posiez cette question, parce que je voulais vous parler du regroupement des dossiers qui s'est avéré particulièrement utile au ministère de la Justice. Vous avez donné un excellent exemple tout à l'heure en parlant des traités.
Il se trouve que nous avons affaire à des obligations de traité qui n'ont pas été respectées. Dans ce cas, nous ne pouvons émettre d'avis juridique que pour une obligation en particulier en vertu, par exemple, du traité no 6 ou no 8. C'est donc du coup par coup. Les Premières nations bénéficient ensuite de ce genre de décision à l'étape de négociation, parce qu'elles savent si les obligations ont été ou non remplies. Le regroupement des revendications pour réduire le temps de traitement est en fait très prometteur.
Il y a autre chose qui nous aide beaucoup et dont Mme Stewart a parlé, c'est l'absence de dédoublement de la recherche historique. Comme il est question de préciser les rôles, tout le travail de recherche historique est réalisé par les historiens. Les avocats ne font que du travail de nature juridique. Cela permet de réduire considérablement les délais.
Pour ce qui est des ressources — soit les 22 avocats que nous mettons à disposition pour le travail que je vous ai expliqué — nous ne pouvons en consacrer qu'une partie à la rédaction des avis juridiques. Nous avons besoin d'avocats pour donner un coup de main aux tables de négociation. Nous avons besoin d'eux pour les comparutions devant la CRI. En fait, nous aurions besoin de plus de ressources pour accélérer sensiblement la procédure de traitement, mais grâce à la réingénierie nous pouvons réduire les délais dans l'ensemble.
Le président : Quand le ministère a-t-il commencé à appliquer cette formule de regroupement des revendications, madame Stewart?
Mme Stewart : Cela fait déjà un an que nous appliquons cette procédure et nous commençons à en voir les résultats sous la forme des revendications groupées que nous resoumettons à l'examen du ministère de la Justice. Toutefois, les données que nous vous avons transmises ne font pas encore état des gains de temps réalisés.
[Français]
Le sénateur Gill : Vous avez indiqué, Mme Stewart, que 273 causes avaient été réglées, ce qui représente 70 p. 100 du total des demandes. Incluez-vous dans ces statistiques le total des revendications, c'est-à-dire les demandes initiales non étayées juridiquement, envoyées par courrier par des communautés au ministre pour faire savoir qu'elles ont été lésées dans leur droit? Pouvez-vous déterminer le nombre des demandes?
[Traduction]
Mme Stewart : Il y a encore bien des revendications dont nous ignorons l'existence ou que nous n'avons pas encore reçues. Vous avez raison. Il est possible que certaines communautés n'aient pas encore examiné leur passé en vue de formuler des recommandations et qu'elles n'en aient donc pas soumises.
Le ministère offre un programme de soutien aux Premières nations pour les aider à préparer leurs revendications. Ce programme est administré par un service différent de celui dont je m'occupe afin de lui conférer une certaine indépendance. Un appui est offert aux Premières nations pour qu'elles préparent leurs revendications.
Jusqu'à présent, nous avons reçu 1 313 revendications. Les organisations de Première nation nous ont indiqué qu'elles s'attendent à recevoir encore un grand nombre de revendications territoriales, mais nous ne sommes pas en mesure de savoir à combien il pourrait en avoir.
[Français]
Le sénateur Gill : Vous avez mentionné tantôt qu'on avait dépensé 2 milliards de dollars pour les revendications particulières. Depuis combien de temps la politique des revendications particulières est-elle en place?
Mme Stewart : Cela fait 30 ans.
Le sénateur Gill : Environ 273 revendications réglées en 30 ans! Combien de cas ont été rapportés et réglés à la Commission des revendications particulières depuis sa création?
[Traduction]
Mme Stewart : Je vais vous préciser une chose. Nous avons réglé 273 revendications par le biais de la négociation, mais nous avons fini notre travail relativement à 464 négociations en tout, chiffre qui englobe les revendications ayant été réglées par le biais de la négociation et celles à propos desquelles nous n'avons pas conclu que le gouvernement avait une obligation légale. Sur ce nombre, aucun dossier n'a été fermé parce que la revendication a été retirée par une Première nation à l'étape de la négociation ou du dépôt.
Pour ce qui est du nombre de revendications dont la CRI est saisie, je crois qu'elle conserve des chiffres qui sont plus exacts que les nôtres, mais j'ai cru comprendre que la Commission a publié 40 rapports d'enquête et elle en a sans doute 25 ou 30 autres en route.
La Commission émet deux types de recommandation : soit il y a obligation légale, soit il n'y en a pas.
Le sénateur Gill : Et combien de ces rapports indiquent que le gouvernement avait une obligation légale?
Mme Duquette : Je pense que sur les 40 rapports d'enquête — je vous parle de chiffres extraits de nos dossiers, mais la Commission des revendications des Indiens pourrait vous les confirmer — cinq environ ne portaient pas explicitement sur la validité de la revendication, la Commission ayant recommandé d'effectuer un complément d'étude.
Sur les 35 rapports restants et contenant des recommandations relatives à la validité de la revendication, la Commission a conclu que la revendication n'était pas fondée dans quatre cas. La CRI a estimé que la revendication n'était pas conforme à la politique dans quatre autres rapports, mais elle a recommandé que le Canada cherche une façon de régler le différend. Cela nous laisse donc environ 27 rapports.
Dans ces rapports-là, la CRI a recommandé que le Canada accepte la revendication en partie ou en totalité à l'étape de la négociation. Partant de ces recommandations, le Canada a accepté de négocier six dossiers, il en a rejeté 12 et il y en a huit qui sont en attente de décision.
Le sénateur Gill : Donc, plus de la moitié des revendications ont été refusées.
Mme Duquette : En fait, cela représente la moitié des 30 p. 100 rejetées au départ. N'oubliez pas que 70 p. 100 des revendications sont acceptées d'entrée de jeu et qu'elles passent à l'étape de la négociation. Quelque 30 p. 100 sont rejetées et un certain pourcentage d'entre elles — je ne sais pas exactement lequel — aboutissent devant la Commission des revendications des Indiens. Ce sont les revendications rejetées dans un premier temps dont nous parlons ici.
Le sénateur Gill : De quel budget disposez-vous cette année pour vous occuper de cela?
Mme Stewart : En plus de la masse salariale, nous disposons d'un budget d'environ 4 millions de dollars.
Le sénateur Gill : Vous avez 4 millions de dollars pour les dédommagements?
Mme Stewart : Non, je pensais qu vous parliez de notre budget de fonctionnement. Le budget de dédommagement, lui, est de 100 millions de dollars pour cette année seulement. Habituellement, si le règlement porte sur une revendication de grande envergure et s'il faut des fonds additionnels, le ministère est en mesure de les obtenir. Quoi qu'il en soit, nous disposons de 100 millions de dollars pour cette année.
Le sénateur Gill : Quels sont vos vrais besoins?
Mme Stewart : Cette année, nous prévoyons régler deux ou trois revendications d'envergure qui en sont à l'étape de la ratification. Nous avons conclu des modalités avec le Conseil du Trésor pour ajouter des fonds à notre budget de règlement. Nous estimons que nous allons dépasser les 100 millions de dollars garantis cette année. Toutefois, cela dépendra de l'aboutissement des négociations en cours.
[Français]
Le sénateur Gill : Vous recevez des cas de différentes communautés. Elles vous soumettent un cas qui est transmis au ministère des Affaires indiennes. Vous le transférez au Ministère de la Justice pour avoir son avis. C'est comme s'il y avait deux parties : les communautés autochtones et le gouvernement.
Mme Stewart : C'est exact.
Le sénateur Gill : Vous avez à vous défendre en tant que partie mais en même temps, vous avez un rôle de fiduciaire. Comment conciliez-vous de façon équitable les deux rôles? Vous avez souvent à dire non et en même temps, vous êtes le fiduciaire des Autochtones. Vous devez défendre les intérêts des communautés autochtones. Je ne veux pas critiquer vos employés, mais comment vous sentez-vous dans ce double rôle?
[Traduction]
Mme Stewart : Notre premier objectif consiste à recenser les revendications devant être réglées et à les régler effectivement. Notre objectif n'est pas de défendre le gouvernement, mais de régler les revendications devant être réglées.
Deuxièmement, dans le cadre de cette procédure, les Premières nations disposent de leurs propres conseillers juridiques et financiers et, ce faisant, nous sommes, elles et nous, sur un pied d'égalité. Dans le cadre de cette procédure, le gouvernement fédéral n'agit pas en qualité de fiduciaire des Premières nations.
Le sénateur Gill : Qui leur donne accès aux ressources?
Mme Stewart : Les Premières nations disposent de différentes sources de fonds et certaines utilisent leurs propres fonds. D'autres se prévalent des contributions et des prêts consentis par le gouvernement fédéral dans le cadre d'un programme distinct de celui dont je suis chargé.
Le président : Merci, sénateur Gill. Je suis certain que vous pourriez poser davantage de questions sur ce point en particulier.
Une petite précision. Avez-vous dit que vous n'étiez pas investi d'une responsabilité fiduciaire?
Mme Stewart : Effectivement. Dans le cadre de ce processus de négociation, le gouvernement fédéral agit au nom du gouvernement et des Canadiens et des Canadiennes, et il n'est donc pas fiduciaire des Premières nations.
Le président : Comment le ministère peut-il jouer sur les deux plans? Ne se trouve-t-il pas en conflit?
Mme Stewart : Non. Le ministère n'agit pas toujours en qualité de fiduciaire. Je vais inviter Mme Duquette à vous en expliquer la raison, parce que c'est là un détail important.
Mme Duquette : Dans le contexte des négociations où les deux parties sont représentées, la Couronne se trouve toujours en position de fiduciaire des peuples autochtones. En revanche, nous n'assumons pas des fonctions de fiduciaires, parce que nous ne contrôlons alors ni les terres ni les actifs. Nous administrons un programme de négociation. Voilà pourquoi il est important que, tout au long de ce processus — et j'insiste à ce sujet — les deux parties soient représentées par leurs propres avocats. Les avocats des Premières nations sont présents dès l'étape du dépôt de la revendication et ils le demeurent pendant toute la durée des négociations ainsi que de la rédaction de l'entente portant règlement. En cas de litige, nous sommes tout de même investis d'une responsabilité de fiduciaire envers les Premières nations. Là encore, les deux parties sont représentées par des avocats.
Le président : On dirait qu'il y a un conflit.
Le sénateur Cochrane : La route est longue avant la décision finale. Pouvez-vous me dire à quelle étape se situe le délai le plus long?
Mme Stewart : Pour l'instant, c'est à l'étape de la production de l'avis juridique par le ministère de la Justice que nous devons attendre le plus longtemps.
Le sénateur Cochrane : Vous dites que vous allez essayer de simplifier la bureaucratie. Quand allez-vous vous y atteler? À ce sujet, pensez-vous uniquement au regroupement des revendications ou y a-t-il un autre volet où vous pourriez simplifier les choses?
Mme Stewart : Le regroupement est important. La simplification des procédures de travail l'est également. Nous avons fait beaucoup de progrès dans la rationalisation de nos procédures d'approbation et d'autorisation. Il y a d'autres domaines dans lesquels nous sommes parvenus à réduire le temps pris par le gouvernement. Je suis d'accord avec Mme Duquette quand elle dit qu'il faudrait disposer de ressources supplémentaires pour pouvoir éliminer l'arriéré qui s'est constitué au fil des ans.
Le sénateur Cochrane : Pour l'instant, toutefois, vous n'avez constaté aucune amélioration du côté de l'accélération des procédures, n'est-ce pas?
Mme Stewart : Nous accélérons les procédures en intervenant de la façon que j'ai indiquée.
Le sénateur Cochrane : Il demeure que vous avez besoin de plus de personnel.
Mme Stewart : Cela nous faciliterait énormément la tâche.
Le président : Dites-nous, est-ce que le financement du ministère consacré à ces revendications particulières a augmenté, est demeuré le même ou a diminué avec le temps?
Il a été question de financement lors de rencontres précédentes avec Mme Stewart. J'aimerais obtenir cette précision, parce que c'est important. S'il y a un goulot d'étranglement, il faudrait savoir ce qu'il en est du budget.
Mme Stewart : Au cours des cinq dernières années, notre budget de fonctionnement a été réduit de 6 millions de dollars environ à 4 millions. D'un autre côté, nous avons pu continuer d'accéder à tous les fonds dont nous avons eu besoin pour régler les revendications ayant fait l'objet d'une entente.
Le président : Et le ministère de la Justice? Qu'en est-il de votre budget? Vous avez parlé de 22 avocats, soit 19 à Ottawa et trois aux tables de négociation en Colombie-Britannique. Votre budget a-t-il augmenté, diminué ou est-il demeuré; le même?
Mme Duquette : Il a été considérablement réduit.
Le président : Chers collègues, voilà une information qui doit nous inquiéter. Une nouvelle génération d'Autochtones assume la responsabilité de la direction des Premières nations et ces gens-là sont frustrés. Nos deux témoins d'aujourd'hui, qui représentent deux ministères, ont été franches et directes dans leur exposé de la situation. Cependant, nous manquons de temps parce que je veux traiter de deux ou trois questions d'ordre pratique.
Il faut annexer ce graphique au procès-verbal de la réunion pour permettre à tous ceux qui le désireraient de comprendre ce dont il retourne.
L'autre sujet de préoccupation a été soulevé par le sénateur Watt. Tout ce processus a été mis sur pied par le MAINC, mais il serait bien, au nom de la coopération et de la compréhension mutuelle, que l'APN ou d'autres organisations apparaissent dans cet ordinogramme. Cela étant, nous pourrions au moins avoir leur appui au sujet des délais qui caractérisent la procédure. Je suis certain que, dans certains cas, ces délais sont attribuables à la complexité des dossiers, mais il serait bien que les différentes organisations de Première nation représentées à l'échelle nationale appuient le processus. Je n'ai parlé que de l'APN, mais il y a d'autres organisations.
Êtes-vous d'accord pour que nous annexions ce graphique au procès-verbal?
Le sénateur Watt : J'en fais la proposition, monsieur le président.
Le président : Est-ce d'accord, chers collègues?
Des voix : D'accord.
Voulez-vous que nous parlions d'autre chose, sénateurs?
Le sénateur Watt : Il y a une chose que vous avez mentionnée dans vos remarques liminaires.
Le président : Je vous invite à être bref, sénateur Watt. Nous avons dépassé notre temps.
Le sénateur Watt : Pour les Premières nations, tout n'est pas fini si leur revendication est rejetée, parce qu'elles peuvent s'adresser aux tribunaux ou appliquer d'autres recours. Il est important, je crois, monsieur le président, de tenir compte de cela. Il est toujours possible de resoumettre une revendication qui a été rejetée une première fois. Dans notre examen du graphique, nous avons recherché les points où il était possible d'apporter des améliorations, mais il faut tenir compte du nombre de revendications en circulation. N'êtes-vous pas d'accord?
Mme Stewart : Vous avez tout à fait raison en ce sens que le rejet d'une revendication dans un premier temps ne sonne pas le glas pour une Première nation qui peut toujours s'adresser aux tribunaux.
Le président : Eh bien, nous avons épuisé notre temps. Les témoins des ministères nous ont éclairés dans ces premières étapes de l'étude qui nous a été confiée. Nous les réinviterons peut-être pour essayer de mieux comprendre la situation, une fois que nous aurons digéré tout cela.
Tout ce que je peux dire c'est qu'une Première nation du Manitoba, qui avait déposé une revendication au titre d'un droit territorial en vertu d'un traité, s'était fait dire il y a neuf ans qu'il faudrait trois mois pour toute la procédure. Il a fallu 10 ans. Cela illustre le problème auquel nous sommes confrontés et le genre de frustrations qu'il peut occasionner.
Je remercie Mme Stewart et Mme Duquette de s'être déplacées ce matin. Ce que vous nous avez dit nous a éclairés et nous a beaucoup appris. Nous vous demanderons peut-être de revenir nous voir, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Honorables sénateurs, je vais maintenant faire une brève annonce. Le greffier vient de me rappeler qu'il est fort possible que la réunion de demain soit annulée à cause des funérailles d'un ancien collègue du Sénat, qui auront lieu demain.
S'il n'y a rien d'autres, encore une fois merci, madame Stewart et maître Duquette.
La séance est levée.