Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 8 - Témoignages du 17 octobre 2006
OTTAWA, le mardi 17 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, dans le but d'examiner, pour en faire rapport, le processus fédéral de règlement des revendications particulières.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je déclare la séance ouverte. Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis le sénateur St. Germain. Je viens de la Colombie-Britannique, et je préside le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du processus de règlement des revendications particulières afin de présenter au gouvernement fédéral des recommandations qui lui permettront de résoudre de façon satisfaisante et en temps opportun les griefs historiques des Premières nations.
Le comité est composé des membres suivants : le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, qui agit comme vice-président du comité; le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan; le sénateur Robert Peterson, de la Saskatchewan; et le sénateur Aurélien Gill, du Québec.
Nous accueillons les représentants de deux Premières nations, une du Nouveau-Brunswick et l'autre, de la Colombie-Britannique. Nous espérons qu'ils vont nous aider à mieux comprendre les défis que pose le processus de règlement des revendications particulières et proposer des solutions aux problèmes. Nous allons d'abord entendre M. Wayne Nicholas, membre de la Première nation Tobique de l'ouest du Nouveau-Brunswick. Après avoir travaillé au bureau d'enregistrement du ministère des Affaires indiennes et du Nord au cours des années 1970, il a assumé les fonctions de coordonnateur des revendications foncières pour la bande Tobique.
Monsieur Nicholas, nous vous écoutons.
Wayne Nicholas, membre de la Première nation Tobique, à titre personnel : Je vais commencer par une prière.
[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Oh, grands dieux des cieux, aidez-nous aujourd'hui à trouver des solutions pour demain.
Bonjour, monsieur le président, sénateurs, mesdames et messieurs. J'ai préparé un exposé qui s'inspire de mon expérience comme ancien coordonnateur des revendications foncières pour la Première nation Tobique, du Nouveau- Brunswick. Je fais partie du comité responsable du projet conjoint de recherche qui réunit des représentants de la Direction générale des revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada et de la Première nation Tobique. J'ai eu l'occasion, au fil des ans, de rencontrer de nombreuses personnes fort intéressantes lors de conférences sur les revendications territoriales au Canada, conférences au cours desquelles j'ai pu échanger des idées avec d'autres revendicateurs. Le règlement des revendications territoriales repose sur un processus long et complexe. À preuve, notre dossier, que je vais maintenant vous décrire.
Notre grief historique repose sur la non-adoption d'un décret acceptant la prétendue cession de 12 000 acres de terres de la Première nation Tobique en 1892, en violation d'une obligation découlant de la Loi sur les Indiens ou d'autres lois visant les Indiens et les règlements qui en découlent. La revendication a été présentée en 1972 à la Direction générale des revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. Elle a été acceptée à des fins de négociations dix ans plus tard, soit en 1982. Six ans plus tard, en 1988, après 800 000 $ de dépenses, les négociations ont été suspendues sans que la validité du grief ne soit remise en cause. Pour justifier la fin du processus, on a invoqué une « violation d'ordre technique », autrement dit la non-adoption du décret, même si tous les autres documents de cession étaient intacts. Le 3 juillet 2002, la revendication territoriale a été ouverte de nouveau par suite de plusieurs décisions rendues par les tribunaux. À l'heure actuelle, nous attendons une nouvelle lettre de validation de la revendication pour relancer les négociations. Ainsi, après 34 ans, nous ne savons toujours pas quand la revendication va être réglée.
J'ai commencé à m'occuper du dossier des revendications territoriales de la Première nation Tobique en 1984. Nous avions constaté que la Couronne était en conflit d'intérêts du fait que le Canada agissait à la fois comme juge, jury et procureur dans le processus de règlement des revendications territoriales particulières. Le Canada, en tant que procureur, examine les éléments du grief et rejette ou autorise la demande de revendication territoriale de la Première nation. Le Canada, en tant que jury, évalue les aspects du grief et propose une solution en vue de régler la revendication territoriale. Le Canada, en tant que juge, décide de rejeter la revendication ou d'accorder un dédommagement.
Le processus n'est ni juste ni équitable et doit être modifié. Je recommande que les ministères de la Justice et des Affaires indiennes et du Nord continuent d'agir comme procureurs dans les dossiers en évaluant le bien-fondé des demandes soumises. Le rôle de jury doit être confié à un organisme indépendant, comme la Commission sur les revendications particulières des Autochtones, ou un cabinet d'avocats privé de bonne réputation, qui se chargera d'examiner tous les documents sur l'étendue des torts causés et proposer au gouvernement un règlement juste et équitable. Le Canada, en tant que juge, doit revoir les recommandations formulées et décider s'il accepte ou rejette les constatations du jury indépendant.
Voici d'autres exemples de griefs historiques de la Première nation Tobique qui illustrent la complexité de certaines revendications. Premièrement, il y a le manquement à une obligation découlant de l'administration par le gouvernement de fonds ou d'autres biens appartenant aux Indiens. Deuxièmement, il y a l'usage illégal d'une terre appartenant aux Indiens. Troisièmement, il y a l'omission de compenser la prise ou l'endommagement de terres d'une réserve par Sa Majesté ou un organisme fédéral. Quatrièmement, la fraude relativement à l'acquisition, à la location ou à la disposition de terres d'une réserve, de la part d'un employé ou d'un mandataire de Sa Majesté, lorsque la fraude peut être clairement démontrée.
Je vais maintenant vous parler du traitement des revendications. Les revendications territoriales sont complexes. Chacune présente des caractères historiques uniques qui peuvent exiger l'adoption d'une démarche spéciale pour faire avancer le dossier. Le MAINC, les revendicateurs et le ministère de la Justice sont responsables de la rapidité avec laquelle leurs demandes respectives sont réglées.
D'après mon expérience, le ministère de la Justice est le principal coupable des retards enregistrés au chapitre du règlement des revendications. Il met trop de temps à répondre. Il est isolé du processus. Il n'est jamais présent à la table de négociation.
D'autres facteurs nuisent au bon déroulement du processus : l'absence de bonnes relations, l'absence de diligence raisonnable, l'exécution de plusieurs tâches par MAINC ou les revendicateurs. L'amélioration du processus de règlement des revendications territoriales passe par les gestionnaires de la Direction générale des revendications territoriales. Ils doivent augmenter le personnel de soutien, réorganiser leurs processus à l'interne, répartir les employés en unités provinciale, régionale ou territoriale. Par-dessus tout, il faut prendre des mesures pour que le ministère de la Justice réponde aux demandes plus rapidement et participe aux discussions avec MAINC et les revendicateurs.
Il y a une mesure qui a grandement contribué à améliorer le processus : la mise sur pied d'un projet conjoint de recherche auquel participent le revendicateur et le MAINC, qui acceptent tous deux de retenir les services d'un historien indépendant qui se chargera de procéder à un examen approfondi du dossier, de manière impartiale.
Cet arrangement permet de fournir au revendicateur et au MAINC une chronologie détaillée des faits avant, pendant et après la cession des terres et des biens appartenant aux Indiens.
Autre facteur qui influe sur le rendement de la Direction générale des revendications particulières : les décisions des tribunaux, en faveur du Canada ou des revendicateurs, qui peuvent entraîner des changements à la politique, et ainsi nuire au cheminement normal des revendications.
Pour terminer, j'espère que cet exposé vous permettra d'une certaine façon d'améliorer le processus de règlement des revendications, qui constitue une source de frustration pour toutes les parties intéressées. Combler les retards énormes du processus exige engagement, dévouement, expérience, connaissances et collaboration de la part de tous les intervenants.
Le président : Merci, monsieur Nicholas. Nous vous savons gré d'avoir partagé votre savoir avec le comité. Il y a des sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. Êtes-vous prêt à y répondre?
M. Nicholas : Oui.
Le sénateur Peterson : Merci de votre exposé.
Vous dites qu'il n'y a aucune mesure en place qui permettrait de régler ces questions. Vous proposez un processus. Est-ce bien ce que vous recommandez, que le ministère de la Justice agisse comme procureur, que la Commission sur les revendications particulières des Autochtones agisse comme examinateur et, enfin, que le Canada agisse comme juge et qu'il reçoive les recommandations aux fins d'évaluations? À qui faites-vous allusion quand vous parlez du Canada? Au gouvernement ou à un autre ministère?
M. Nicholas : Le Canada agit, par l'entremise du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, comme procureur, juge et partie. Il reçoit la demande de revendication, l'analyse et rend une décision sur celle-ci.
Quand je parle du Canada, je fais allusion au MAINC.
Le sénateur Peterson : Je pensais que vous tentiez de les séparer pour qu'il n'y ait pas de conflit.
M. Nicholas : C'est effectivement ce que j'essaie de faire. J'aimerais que les ministères des Affaires indiennes et de la Justice agissent comme procureurs, et qu'un comité indépendant agisse comme jury. Il se chargerait d'évaluer les documents et de proposer une solution aux Affaires indiennes. Les constatations du jury seraient examinées par le ministère des Affaires indiennes, c'est-à-dire le Canada.
Le sénateur Peterson : D'après vous, est-ce que la chose la plus importante que nous pouvons faire pour vous aider est de définir le processus, de le faire approuver?
M. Nicholas : Oui. À l'heure actuelle, le dossier, lorsqu'il ne peut être réglé par les Affaires indiennes ou le ministère de la Justice, est renvoyé à la Commission sur les revendications particulières des Autochtones. Elle revoit la revendication. Même lorsque les ministères rendent une décision, la Commission peut continuer d'agir comme médiateur s'il y a un différend entre les revendicateurs et les Affaires indiennes.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous savez, j'imagine, que je viens du Nouveau-Brunswick. Je suis très heureux de vous avoir parmi nous. J'aimerais vous dire « bienvenue » dans votre langue. Comment le dirait-on?
M. Nicholas : On n'utilise pas vraiment cette formule dans notre langue.
Le sénateur Trenholme Counsell : Nous savons ce que nous voulons dire. J'aimerais vous poser une question au sujet de l'utilisation que vous faites du terme « Canada », parce que le Canada est composé de personnes, d'organismes, de ministères, ainsi de suite. Quand vous dites « Canada », faites-vous allusion au ministère des Affaires indiennes et du Nord?
M. Nicholas : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je remplace un autre membre du comité, ce qui fait je ne connais pas le dossier aussi bien que les autres. Êtes-vous la Première nation du Nouveau-Brunswick à présenter une revendication territoriale?
M. Nicholas : Non. Il y a 15 communautés autochtones au Nouveau-Brunswick. Il y a six Premières nations malécites et sept Premières nations micmaques. Elles ont leurs propres revendications.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ont-elles été réglées?
M. Nicholas : Oui, quelques-unes d'entre elles l'ont été. Mentionnons celles de la Première nation d'Oromocto, des Malécites. Plusieurs autres ont été réglées, mais il y a des griefs qui font encore l'objet d'un examen.
Le sénateur Trenholme Counsell : Avez-vous été en mesure d'obtenir l'aide, disons, de la Première nation d'Oromocto pour régler votre dossier?
M. Nicholas : Non. J'ai assisté à des conférences de l'APN. J'ai visité les réserves des Premières nations de Garden River et de Rankin, où j'ai analysé leurs processus et discuté du sujet avec elles. Toutefois, au Nouveau-Brunswick, chaque revendication est unique. Je consulte les Premières nations qui ont des dossiers similaires aux nôtres, comme la Première nation Mississauga, en Ontario. Nous avons échangé nos vues sur le dossier. C'était en 1985.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pouvez-vous me parler des 12 000 acres qui ont été cédées en 1892? Est-ce que ce sont les terres qu'occupe actuellement la Première nation Tobique? Est-ce qu'il s'agit essentiellement de terres forestières? Si oui, quel usage en fait-on, ou qui les contrôle à l'heure actuelle?
M. Nicholas : Ces terres appartiennent toutes à des non-Autochtones.
Le sénateur Trenholme Counsell : S'agit-il d'exploitations forestières, de propriétés, d'entreprises?
M. Nicholas : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il ne s'agit pas de terres de la Couronne.
M. Nicholas : Non. Seuls trois ou quatre lots sur les 166 appartiennent toujours à la Première nation Tobique. Il y en a plusieurs qui ne sont toujours pas vendus.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez parlé de 160 lots. Est-ce que les propriétés ou entreprises non autochtones se trouvent sur ces lots?
M. Nicholas : Certaines le sont, mais la plupart des terres sont boisées.
Le sénateur Trenholme Counsell : À qui appartiennent-elles?
M. Nicholas : À des particuliers, des non-Autochtones.
Le sénateur Trenholme Counsell : Des entreprises?
M. Nicholas : Non, pas des entreprises, des particuliers.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il s'agit d'un vaste territoire, en partie peuplé et en partie boisé.
M. Nicholas : C'est exact.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que le fait qu'une partie importante de ce territoire se retrouve entre les mains de particuliers qui y ont construit des maisons constitue un facteur?
M. Nicholas : Oui. Quand la revendication a été de nouveau ouverte en 2002, ils nous ont dit que les négociations pouvaient uniquement se poursuivre si aucune personne n'était déplacée. Ce n'était pas là notre intention. Nous ne voulons pas déplacer qui que ce soit, mais nous voulons être dédommagés. Nous avons perdu de l'argent et l'usage productif des terres. Notre communauté a perdu beaucoup.
Le sénateur Trenholme Counsell : Quand a-t-on commencé à occuper les terres? Quand les autres personnes ont-elles commencé à construire des maisons sur ces terres?
M. Nicholas : À l'origine, la Première nation Tobique a acquis les terres par l'entremise de la province du Nouveau- Brunswick, en 1801. Dès 1803 ou 1805, des occupants sans titre ont commencé à s'installer sur les terres. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick n'a rien fait. C'était avant la Confédération. L'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick a ensuite introduit le concept de l'administration et de la disposition des terres appartenant aux Indiens dans les lois de 1844 et de 1854, qui portaient sur la vente et la disposition de terres appartenant aux Indiens avant la Confédération.
Le sénateur Trenholme Counsell : Tout cela est fort intéressant. Merci, monsieur Nicholas.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Monsieur Nicholas, vous faites état, au haut de la page 3 de votre exposé, de la fraude relativement à la disposition de terres d'une réserve. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Nicholas : Nous avons été en mesure de démontrer, dans le cadre de nos recherches, que l'agent indien à l'époque avait forgé le document et qu'Ottawa ne pouvait adopter un décret pour accepter cette cession. Il y avait beaucoup d'irrégularités entourant cette cession, et c'est pourquoi Ottawa n'a jamais émis de décret. À un moment donné, on a laissé entendre qu'il avait pris feu dans l'incendie du Parlement, en 1916. On a cherché ce décret pendant de nombreuses années. Grâce à des recherches approfondies et à une évaluation du document, nous avons été en mesure de démontrer que celui-ci avait été forgé par l'agent indien qui voulait cacher le fait que les terres avaient été cédées à des non-Autochtones. C'est, en gros, la situation qui entoure la fraude visant les 12 000 acres de terres.
Le sénateur Hubley : Bonjour, monsieur Nicholas. Vous dites à la page 4 de votre exposé qu'il y a un autre facteur qui nuit au rendement de la Direction générale des revendications particulières : les jugements rendus par les tribunaux en faveur du Canada ou des revendicateurs, qui peuvent entraîner des changements au niveau de la politique ou entraver le cheminement normal des revendications. Que voulez-vous dire par cela?
M. Nicholas : Je ne connais pas tous les dossiers à fonds, mais je sais qu'il est question des cessions dans l'arrêt Blueberry. Les demandeurs ont laissé entendre que les cessions n'avaient pas été effectuées en bonne et due forme. Le juge s'est prononcé en faveur des demandeurs, et a dit que le Canada devait négocier avec eux, étant donné qu'il y avait un trop grand nombre de manquements à leurs obligations et responsabilités pour ce qui est des terres et des biens de cette Première nation. Est-ce que cela répond à votre question?
Le président : Vous faites allusion à la bande Blueberry de la Colombie-Britannique?
M. Nicholas : Oui.
Le sénateur Hubley : J'aimerais vous poser une question au sujet du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique, qui a été créé en 1992. L'organisme a lancé un programme d'éducation sur les droits ancestraux en vue de renseigner les Premières nations et le public sur le processus de règlement des revendications particulières. Êtes-vous au courant de cette initiative et, si oui, pouvez-vous nous dire si elle est efficace et dans quelle mesure elle est utile?
M. Nicholas : Il s'agit d'un cadeau du ciel. Le programme mis sur pied par le Congrès vise à renseigner les jeunes et les moins jeunes sur les traités. C'est là son objectif premier. Je me trompe peut-être, mais il ne porte pas vraiment sur les revendications particulières, mais plutôt sur les traités.
Le sénateur Hubley : À votre avis, est-ce que le grand public est suffisamment bien informé au sujet des revendications particulières des Premières nations?
M. Nicholas : Je le pense. Le ministère des Affaires indiennes a un site Web qui porte sur le processus de règlement des revendications particulières. Toutefois, il faudrait faire plus à ce chapitre — au fur et à mesure que les revendications atteignent leur point culminant, le grand public est mieux renseigné et souhaite qu'elles soient toutes réglées.
Le sénateur Dyck : Monsieur Nicholas, bienvenue. Merci de nous avoir exposé vos vues sur cette question bien précise. J'aimerais vous poser une question au sujet du traitement des revendications. Vous avez dit que le ministère de la Justice constitue un facteur de taille, qu'il est isolé du processus, qu'il n'est jamais présent à la table de négociation. Pouvez-vous nous donner d'autres précisions, nous expliquer comment la présence du ministère peut contribuer à accélérer le processus? Pouvez-vous nous dire aussi quels sont les autres intervenants qui devraient participer aux négociations?
M. Nicholas : Nous avons fait parvenir un mémoire juridique au ministère de la Justice il y a trois ou quatre ans. Nous attendons toujours la réponse. Je ne sais pas pourquoi il met tellement de temps à évaluer notre mémoire. Nous avons demandé, pour accélérer le processus, que le ministère soit présent à la table. De cette façon, notre conseiller juridique et le ministère pourront régler ensemble certains des problèmes qui ralentissent le processus. Il n'y a aucune communication entre notre conseiller juridique et le ministère de la Justice, alors qu'il devrait y en avoir. Ce contact est essentiel pour accélérer le processus de règlement des revendications territoriales.
À mon avis, le Canada essaie de trouver un moyen de s'en sortir ou de réduire au minimum sa responsabilité au regard de la revendication. De nombreuses Premières nations pensent que le ministère de la Justice veut éviter de régler la question, ou réduire ses obligations au minimum.
Le sénateur Dyck : Je vais continuer à vous poser des questions sur ce sujet, car je ne connais pas tellement le processus. Vous avez dit que le ministère de la Justice doit s'asseoir à la table avec vos avocats. Voulez-vous dire par là qu'il devrait être présent au cours de l'étape initiale, soit lorsque vos avocats font des recherches sur la revendication en vue de l'évaluer? Le fait d'avoir accès aux représentants du ministère leur permettrait de mieux comprendre le dossier et, à leur avis, de poser un premier jugement.
M. Nicholas : C'est exact. Une fois que notre conseiller juridique aurait complété la rédaction du mémoire et que le ministère de la Justice aurait eu l'occasion de l'examiner, nous pourrions organiser une autre rencontre avec le ministère de la Justice. Cette démarche profiterait et au Canada et aux revendicateurs.
Le sénateur Sibbeston : Monsieur Nicholas, dans quelle mesure est-ce que la communauté tient à ces 12 000 acres de terres? Pouvez-vous décrire le territoire que votre peuple occupe actuellement à l'intérieur de la réserve?
M. Nicholas : Notre réserve couvre une superficie de 6 000 acres. Les terres en question ont constitué, pour nous, une lourde perte. Nous n'en tirons aucun usage productif. Ce territoire présentait de nombreux avantages économiques. On aurait pu, par exemple, y exploiter les forêts. On y retrouvait des plantes médicinales et, en plus, des terrains sacrés. Voilà ce que nous avons perdu. Nous avons été privés de l'utilisation de ces terres. Nous ne pouvons y pratiquer ni la chasse ni la pêche. Il y a de nombreuses choses que nous ne pouvons faire sur ces terres. Dans les années 1950, les propriétaires nous laissaient couper des frênes, ou encore pratiquer la pêche et la chasse. Or, il est de plus en plus difficile de nous livrer à ces activités parce que les gens ont construit des barrières pour nous empêcher d'avoir accès à leurs terres. Ce sont-là certains des facteurs qui ont donné lieu à des griefs.
Le sénateur Sibbeston : Vous avez parlé du processus à l'interne, en vertu duquel vous présentez votre revendication au ministère des Affaires indiennes qui, à son tour, évalue la demande avec l'aide du ministère de la Justice. Il s'agit d'un processus essentiellement interne. Dans un certain sens, vous vous trouvez à affronter le gouvernement du Canada. Ces ministères ont le pouvoir d'accepter ou de rejeter votre revendication. D'où l'impression que le processus tend à favoriser le gouvernement fédéral. Dans quelle mesure pouvez-vous espérer obtenir gain de cause?
Le seul espoir qu'il vous reste dans ce processus, c'est la Commission des revendications des Indiens. Avez-vous eu l'occasion de soumettre votre revendication à cette instance?
M. Nicholas : C'est exactement ce que je disais. Nous nous en remettons actuellement au processus de traitement des revendications particulières, qui relève du ministère des Affaires indiennes et du ministère de la Justice. Ce sont ces deux ministères qui traitent toutes les revendications soumises au Canada. Ils ont des agents qui se penchent sur les revendications pour le Nouveau-Brunswick, l'Alberta et la Colombie-Britannique. Ces agents occupent différents bureaux où ils traitent les revendications en provenance de chacune des régions. J'ai notamment oublié de vous faire part des changements de personnel fréquents chez les analystes et les autres employés qui s'occupent des revendications des différentes Premières nations.
Le sénateur Sibbeston : Je sais que la Commission des revendications des Indiens est censée être un organisme indépendant dont les membres sont nommés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord. Cette commission jouit donc d'une certaine autonomie par rapport au ministère de la Justice. Avez-vous traité avec la Commission? Est-ce que la Commission s'est penchée sur votre revendication?
M. Nicholas : Non, nous ne nous sommes pas adressés à la Commission des revendications des Indiens parce que nous nous en remettons actuellement à la section du ministère des Affaires indiennes et du Nord qui s'occupe des revendications particulières. Si les choses ne tournent pas comme nous le souhaiterions, nous soumettrons notre revendication à la Commission.
Le président : Monsieur Nicholas, est-ce que votre revendication a déjà été rejetée?
M. Nicholas : Oui, elle a été rejetée en 1988 alors que le ministre des Affaires indiennes et du Nord de l'époque nous a rencontrés pour nous dire qu'il fallait mettre fin au processus étant donné que, malgré le fait que les Indiens avaient reçu l'argent et que les gens avaient récupéré leurs terres, il n'y avait toujours pas eu de décret. On a dit qu'il y avait « violation du point de vue juridique » parce que l'alinéa 39(1)c) de la Loi sur les Indiens prévoit que toutes les cessions sont annulées s'il n'y a pas de décret.
Le président : Je voudrais préciser un point. Il me semble que lorsque votre revendication a été rejetée, vous auriez pu la soumettre à la Commission des revendications des Indiens.
M. Nicholas : Nous aurions pu le faire. Les modalités du rejet étaient telles que notre revendication demeurait valide, mais le gouvernement n'a jamais voulu reprendre les pourparlers. C'est la raison pour laquelle nous avons arrêté le processus et n'avons jamais soumis le cas à la Commission des revendications des Indiens.
Le président : Voilà qui explique partiellement la situation.
Le sénateur Gill : Monsieur Nicholas, je vais poser mes questions en français, si cela ne vous dérange pas.
M. Nicholas : C'est comme vous voulez.
[Français]
Le sénateur Gill : Monsieur Nicholas, je tiens à vous féliciter de votre description fidèle, lucide et réaliste de l'exercice que les populations des Premières nations doivent faire lorsqu'elles font des réclamations.
Vous êtes membre d'une Première nation et vous avez une longue expérience dans le domaine des terres et des réclamations. Quel sentiment avez-vous lorsque vous devez, encore, après toutes ces années, aller à Ottawa, au ministère des Affaires indiennes ou au ministère de la Justice pour réclamer quelque chose qui, selon vous, sans doute, vous appartient déjà? Par exemple, pour pêcher en forêt vous êtes obligé de réclamer des territoires et ainsi de suite? Vous sentez-vous bien avec cette perspective?
[Traduction]
M. Nicholas : J'aimerais bien pouvoir vous répondre dans votre langue. C'est un sujet qui me tient particulièrement à cœur étant donné que, dès mon plus jeune âge, j'ai entendu les anciens nous dire que ces terres devraient nous revenir un jour. C'est une notion bien ancrée dans mon esprit. Je suis fier de pouvoir me faire le porte-parole des anciens de ma tribu; je m'efforce de faire avancer ce dossier. Je suis de nature optimiste et j'ose espérer qu'on en viendra à un règlement un de ces jours. S'il n'y a pas règlement, nous pourrons toujours nous adresser aux tribunaux pour faire valoir que le Canada nous a dépossédés de nos terres en 1892.
[Français]
Le sénateur Gill : Avez-vous l'appui des non-Autochtones dans les réclamations que vous faites sur le plan gouvernemental? Croyez-vous que les non-Autochtones sont bien informés?
[Traduction]
M. Nicholas : En 1985, il y avait beaucoup d'animosité au sein de la population locale. La ville de Perth-Andover est érigée sur les terres en question. Nous y avons mené certaines activités qui ont offensé les gens de la ville. Nos enfants qui fréquentaient l'école en ont subi les conséquences et nous n'étions plus dans les bonnes grâces de la population locale. Pourtant, dans les autres secteurs, les non-Autochtones étaient très favorables à notre cause. Les gens de l'endroit ont vu les choses d'un nouvel œil lorsqu'ils ont compris que notre objectif n'était pas de les faire partir et que ce n'était pas eux que nous blâmions, mais bien le gouvernement qui n'avait pas rempli ses obligations. Nous bénéficions maintenant d'un important soutien à l'échelle locale.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Monsieur Nicholas, vous avez indiqué que votre communauté compte 6 000 acres de terres. Étant donné la croissance rapide de votre population, est-ce que cette superficie est suffisante?
M. Nicholas : Je ne crois pas. Nous essayons toujours d'établir de nouvelles subdivisions, étant donné que nous avons un manque de logements. Il y a aussi beaucoup de chômage. C'est en grande partie une région de collines parsemée de nombreuses crêtes élevées et de beaucoup de forêts. Les subdivisions sont à toutes fins utiles impossibles. Il faut trouver de la place toutes les fois que nous devons procéder à une nouvelle subdivision.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Si l'on donnait satisfaction à une revendication visant un territoire de 12 000 acres, est-ce que vos gens auraient suffisamment de place pour s'y construire et y puiser des ressources?
M. Nicholas : Nous avons déjà assez de place pour nous construire; c'est simplement qu'il est difficile d'établir des subdivisions. Si nous récupérions ces terres, ou obtenons un règlement quelconque, notre économie et notre qualité de vie s'en porteraient mieux, ce qui serait une grande victoire pour nous.
Le président : Monsieur Nicholas, a-t-il été prouvé que vous avez été dépossédés frauduleusement de vos terres? Le gouvernement a-t-il reconnu que l'agent des Indiens alors en poste s'était rendu coupable de fraude?
M. Nicholas : Le gouvernement n'a pas assuré de suivi à ce sujet. Le ministre de la Justice a les documents en main et nous attendons toujours une réponse.
Le sénateur Watt : Monsieur Nicholas, vous pourriez vous baser sur les renseignements que vous nous avez présentés pour formuler des recommandations.
Vous nous avez dit qu'en 1854, on considérait encore qu'il s'agissait de terres indiennes.
M. Nicholas : Oui.
Le sénateur Watt : On utilisait le terme « terres indiennes » et je présume que l'on reconnaissait ainsi que les Autochtones en étaient propriétaires.
M. Nicholas : Oui, nous l'étions.
Le sénateur Watt : En 1854, le gouvernement a-t-il en fait décidé, en se fondant sur une cession antérieure, qu'il avait le droit de faire tout ce qui lui semblait bon, y compris attribuer ces terres au secteur privé?
M. Nicholas : Oui, c'est ce qui a été fait par voie législative. En 1801, 18 000 acres de terres ont été octroyées au chef indien. Par la suite, au fur et à mesure que des squatters ont commencé à occuper ces terres, la situation est devenue hors de contrôle, ce qui a incité l'assemblée législative du Nouveau-Brunswick à adopter en 1844 une nouvelle loi sur la gestion et l'aliénation des terres indiennes. Cette loi a été modifiée en 1854.
Ces terres nous appartenaient et, d'un coup de crayon, l'assemblée législative a décidé de nous en déposséder. Nous ne pouvons pas accepter cela. Cette façon de faire va à l'encontre de certaines des dispositions de la proclamation de 1763 en plus d'enfreindre les droits de la personne. Nous avons un droit à la propriété; nous sommes des êtres humains. C'est pourquoi je maintiens aussi catégoriquement que la province du Nouveau-Brunswick n'avait pas le droit de s'emparer de nos terres au moyen de ces mesures législatives en 1844 et en 1854.
Le sénateur Watt : À l'époque, le gouvernement du Nouveau-Brunswick était-il autorisé à imposer de telles décisions par voie législative sans le consentement du ministère fédéral des Affaires indiennes?
M. Nicholas : Le gouvernement du Canada n'existait pas encore en 1844, pas plus qu'en 1854 d'ailleurs. Le Nouveau-Brunswick était dirigé par un gouvernement colonial, ce qui transpire dans la manière dont il a traité les Autochtones de cette région. C'est en 1867 que les pouvoirs et les obligations qui s'y rattachent sont passés au ministère des Affaires indiennes. C'est aussi à ce moment-là que le gouvernement du Canada aurait pu faire quelque chose, parce que la majorité des terres étaient encore intactes. Il y avait peut-être des problèmes pour 17 lots avant la Confédération.
Le sénateur Watt : Je suppose que la superficie de ces terres diminue d'année en année. Il est donc urgent d'agir, mais le gouvernement du Canada ne semble pas pressé d'intervenir. Même si le gouvernement reconnaît l'existence de vos droits, il ne veut pas en discuter avec vous.
Quels sont vos recours? Même si vous utilisez le mécanisme établi par le gouvernement fédéral pour défendre vos droits et obtenir satisfaction à l'égard de vos revendications, dans quelle mesure pouvez-vous faire passer votre message et obtenir gain de cause? Il est possible que vous perdiez votre temps. Peut-être devriez-vous plutôt vous adresser directement aux tribunaux pour que cette question soit réglée.
Comme vous l'avez indiqué, les gestes en question ont été posés avant la création du gouvernement du Canada, ce qui fait que le mécanisme actuellement en place n'est pas nécessairement pertinent.
C'est un élément que notre comité devrait prendre en compte, monsieur le président.
M. Nicholas : Vous devriez d'abord examiner la situation de beaucoup plus près. De nombreux détails complexes sont en cause. Des discussions se poursuivent. Comme je l'ai déjà indiqué, je suis optimiste et je crois qu'un règlement est toujours possible. Je pense que la section responsable des revendications particulières se penche sur la question. Je suis persuadé qu'il y aura un règlement. Cependant, si ce n'est pas le cas, nous nous adresserons aux tribunaux.
Le sénateur Watt : Vous n'avez toujours pas obtenu les fonds nécessaires pour intenter des poursuites et j'imagine que vous devez passer par le ministère des Affaires indiennes pour ce faire.
M. Nicholas : Non. Nous pouvons réunir nous-mêmes les fonds requis et nous pourrons probablement trouver des donateurs. Nous ne sommes pas tenus de nous adresser au gouvernement du Canada pour obtenir ces sommes.
Le sénateur Sibbeston : Monsieur Nicholas, vous avez indiqué dans votre exposé que votre revendication était fondée sur le fait qu'il y avait eu manquement à une obligation; qu'il n'y avait pas eu de décret justifiant la prise de possession de vos terres. Avez-vous eu l'occasion jusqu'à maintenant d'aller au-delà des aspects purement techniques de votre revendication?
Chez moi, dans les Territoires du Nord-Ouest, un traité avait été présumément conclu avec la population en 1921. Dans les années 80, les gens du Nord ont contesté la validité de ce traité devant les tribunaux, lesquels ont déterminé qu'il y avait véritablement lieu de s'interroger sur certains aspects. Il n'y avait notamment pas eu la concertation nécessaire pour conclure un contrat ou un traité, ce qui remettait en question la validité dudit traité. C'est à partir de cette conclusion que le gouvernement fédéral a éventuellement reconnu qu'aucun traité n'avait été conclu, ce qui a donné lieu à des règlements au titre de revendications territoriales globales dans le Nord.
Avez-vous des éléments permettant de démontrer que, parallèlement aux formalités administratives qui étaient remplies, et pas toujours tout à fait correctement, il y a lieu de se demander s'il y a eu vraiment cession de terres, si on se fie à l'histoire de votre peuple?
M. Nicholas : Les documents en notre possession indiquent clairement qu'il n'y a jamais eu cession de terres. Ces documents ont été soumis en même temps que d'autres éléments de preuve au ministère de la Justice, lequel n'a pas daigné y donner suite depuis maintenant deux ans. Il n'est que trop évident qu'il y a effectivement eu fraude. Nous avons différentes façons de le prouver. Nous avons demandé à des experts d'analyser les signatures. Elles sont toutes de la même personne. Il manque certains documents. A-t-on vraiment pris le temps de réunir tous les intéressés pour leur faire savoir qu'il y aurait une cession de terres? Toutes nos recherches révèlent qu'il y a des éléments manquants. Nous sommes persuadés que la transaction a été frauduleuse.
Le sénateur Sibbeston : Je suppose que les fonctionnaires du ministère de la Justice ont procédé à un examen juridique et technique des documents. Ils ne sont pas du genre à ajouter foi au type de preuves dont vous parlez. Ils vont examiner tous ces éléments d'un point de vue très technique. Il m'apparaît évident qu'il vous faut aller plus loin et soumettre la cause au tribunal ou, tout au moins, à la Commission des revendications des Indiens. Vous y trouverez des gens beaucoup plus sensibles à votre cause et disposés à examiner véritablement votre revendication, plutôt qu'à la transmettre aux fonctionnaires du ministère de la Justice qui l'étudieront uniquement d'un point de vue très technique et juridique.
Je suis d'avis que vous devriez faire valoir votre cause devant un mécanisme où l'on sera plus ouvert à l'idée d'analyser certains de vos éléments de preuve.
M. Nicholas : Je représente la Première nation Tobique et ce sera au chef et au conseil de bande d'en décider. Je vais leur soumettre ces éléments, mais ce sont eux qui trancheront. Le chef et le conseil demeurent convaincus qu'il y aura règlement sous peu. Ils attendent. Avant d'envisager un recours à la Commission des revendications des Indiens, ils préfèrent patienter encore un peu. Quoi qu'il en soit, je vais leur transmettre ce conseil.
Le sénateur Gill : Vous avez déjà engagé de fortes sommes dans ce processus; en 1988, c'était 800 000 $, c'est maintenant plus de 1 million de dollars, voire 2 millions de dollars. Pourquoi n'avez-vous pas recours au mécanisme des revendications globales? Pourquoi vous en tenez-vous toujours aux revendications particulières?
M. Nicholas : Ces questions ne concernent que la Première nation Tobique. La revendication globale est de portée beaucoup large. Elle inclut tous les Malécites de la rivière Saint-Jean ainsi que les Micmacs. Nous avons ciblé des territoires du Nouveau-Brunswick qui nous ont déjà appartenu et les Micmacs ont aussi des territoires qu'ils ont utilisés. Les Micmacs vivent surtout sur les côtes alors que nous nous retrouvons principalement à l'intérieur des terres. Pour faire une revendication globale, il faudrait réunir tous les Malécites de même que les Micmacs. Une revendication particulière ne concerne qu'une Première nation qui a perdu son territoire parce que le gouvernement du Canada ne s'est pas acquitté de ses obligations.
Le sénateur Gill : Oui, mais ne pourriez-vous pas avoir recours à ce processus avec les Malécites et les Micmacs?
M. Nicholas : Le dossier est entre les mains du Atlantic Policy Congress. Cet organisme essaie de préparer le tout en prévision d'un éventuel recours. Je ne sais pas exactement où en est rendu ce dossier.
Le sénateur Hubley : Monsieur Nicholas, ma question porte sur le projet de loi C-6. Nous avons entendu certains témoins qui étaient certes favorables au principe d'une commission et d'un tribunal indépendants pour les revendications mais qui faisaient également valoir, malgré les lacunes du projet de loi C-6 et la nécessité d'y apporter des améliorations, qu'il pourrait être préférable d'emprunter cette avenue, plutôt que de tout recommencer à zéro après 60 ans. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Nicholas : Il serait bon que le comité sénatorial intervienne en faveur de changements au système actuel, de préférence à l'élaboration d'un tout nouvel ensemble de processus. Je sais qu'on a failli l'adopter, mais il comportait certaines lacunes, comme vous l'avez indiqué. Je ne connais pas très bien le projet de loi C-6. Quoi qu'il en soit, je recommanderais au comité sénatorial d'essayer de faire quelque chose en ce sens.
Le sénateur Hubley : Si vous n'aviez qu'une suggestion à faire quant aux recommandations que devraient formuler notre comité, quelle serait-elle?
M. Nicholas : Je vous dirais d'accélérer le processus, en plus d'amener le ministère de la Justice à y prendre part, plutôt qu'a se dérober et à s'y isoler.
Le sénateur Watt : Un autre sénateur m'a devancé avec la question que je souhaitais vous poser, mais j'aimerais revenir un peu sur la situation actuelle de ce dossier et les avenues que vous entendez emprunter. Le sénateur Gill a fait valoir avec raison le recours aux revendications globales. En tant que représentant de votre Première nation, je suis un peu étonné de vous entendre dire que vous souhaitez absolument un règlement en vertu d'une revendication particulière, en excluant les revendications globales, alors même que vous n'avez pas obtenu les résultats escomptés de cette manière. Dans les faits, ce processus vous a amené uniquement à devoir renoncer aux terres qui vous appartiennent. Autrement dit, on vous a volé vos terres. Vous devez maintenant en revendiquer la rétrocession. Ce n'est pas notre manière de voir les choses.
Le président : Merci, chers collègues, et merci à vous, monsieur Nicholas, pour votre exposé très intéressant et vos réponses aux questions posées par les sénateurs. Il ne fait aucun doute que nous allons examiner de près vos recommandations au moment de préparer notre rapport.
Nous recevons maintenant une représentante de l'Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannique. Mme Debbie Abbott est la directrice exécutive du Conseil tribal de la nation Nlaka'Paumux établie en Colombie- Britannique. Ce conseil représente huit Premières nations de la vallée du Fraser.
Madame Abbott, vous avez environ 10 minutes pour présenter votre exposé, après quoi les sénateurs vous poseront des questions. Je sais que vous avez fait une longue route pour être des nôtres aujourd'hui. Vous nous venez d'un des endroits les plus beaux au monde. Nous vous écoutons.
Debbie Abbott, directrice exécutive, Conseil tribal de la nation Nlaka'Paumux, Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannigue : Merci. Comme vous l'avez indiqué, je représente ici l'Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannique. Nous travaillons de concert avec les services de recherche de cette organisation, ainsi qu'avec différents autres groupes de recherche de la Colombie-Britannique. Je vous remercie de nous avoir invités à venir vous présenter cet exposé aujourd'hui.
Je veux vous parler de la situation particulièrement pénible qui prévaut au chapitre des revendications particulières en Colombie-Britannique et notamment du grand nombre de revendications qui sont en attente de traitement dans cette province. La Colombie-Britannique se distingue par son historique d'établissement de réserves qui fait que les revendications particulières y revêtent un caractère unique.
Des réserves ont été créées de trois façons en Colombie-Britannique. Premièrement, des traités ont été conclus pour le sud de l'île de Vancouver et la partie nord-est de la province. Deuxièmement, une loi a établi une commission royale connue sous le nom de Commission McKenna-McBride de 1913 à 1916. Troisièmement, des résolutions unilatérales ont été prises par des agents de la Couronne, comme les gouverneurs coloniaux et les commissaires des réserves indiennes. C'est donc comme cela que la plupart de nos réserves ont été créées.
Les antécédents uniques de la Colombie-Britannique pour ce qui est de l'établissement des réserves ont toujours eu et continuent d'avoir des conséquences marquées sur le processus des revendications particulières. Nous vous demandons de vous assurer de bien tenir compte de ces éléments lorsque vous recommanderez des stratégies pour la réduction de l'arriéré des revendications. C'est la Colombie-Britannique qui compte le plus grand nombre de revendications en attente d'un règlement à la section des revendications particulières. Des 629 revendications à l'étude par cette section en 2005, près de la moitié — soit 296 ou 46 p. 100 — venaient de la Colombie-Britannique.
C'est aussi la Colombie-Britannique qui a le plus de nouvelles revendications pour lesquelles des recherches sont entreprises chaque année. On totalise ainsi 188 demandes de ce type en provenance de notre province, soit 60 p. 100 des 312 revendications en attente d'un examen par le ministère de la Justice. Pour les revendications soumises au ministère de la Justice, il faut actuellement attendre entre sept et dix ans, voire davantage, pour qu'un avocat se voit confier le dossier. En raison de la forte proportion de revendications émanant de notre province dans l'arriéré, il faudra, pour réduire celui-ci, nécessairement s'employer en priorité à diminuer le nombre de revendications venant de la Colombie- Britannique.
Les Premières nations de la Colombie-Britannique se sont réjouies de l'annonce récente du ministre qui parlait de la réduction de l'arriéré pour les revendications particulières comme d'une priorité. Il envisage l'injection de ressources supplémentaires dans le système en place. Par l'intermédiaire du tout nouveau comité pour les revendications particulières de la Colombie-Britannique, les Premières nations ont directement communiqué avec le ministre Prentice pour essayer d'organiser une rencontre en vue de discuter des revendications en attente en Colombie-Britannique. Cependant, le ministre n'a pas accusé réception de la lettre datée du 12 juin 2006 et ne semble déployer aucun effort pour régler le problème de l'arriéré des revendications en Colombie-Britannique.
Une décision récente de la Cour suprême du Canada influe également sur le traitement des revendications en provenance de la Colombie-Britannique au ministère de la Justice.
En 2002, la Cour suprême a conclu dans l'arrêté Wewaykum, peut-être aussi connu sous le nom d'arrêté Roberts, que les commissions des réserves des Indiens établies au XIXe siècle en Colombie-Britannique n'avaient pas le pouvoir de créer des réserves pour les Premières nations de cette province et que leurs décisions n'étaient en fait que des recommandations. Un transfert des terres de la province au gouvernement fédéral était nécessaire pour l'établissement de réserves en vertu de la Loi sur les Indiens, et il n'y en a pas eu avant le décret 1036 en 1938. Au cours des deux dernières années, le Canada a invoqué cette décision pour suspendre ou arrêter les négociations relatives aux revendications touchant le Commonage, alors qu'on s'était déjà entendu pour négocier à ce sujet et que ces revendications ne figuraient plus dans l'arriéré.
Les Premières nations de la Colombie-Britannique craignent beaucoup que le Canada tente de faire valoir cette décision pour rejeter à peu près toutes les revendications particulières touchant les réserves de la province dont les terres ont été octroyées avant 1938, à l'exception des réserves visées par le traité no 8 et de l'ancienne région de la rivière de la Paix. On se demande de plus en plus si ça ne serait pas la stratégie du Canada pour diminuer l'arriéré de revendications en Colombie-Britannique.
Les Premières nations de la Colombie-Britannique s'inquiètent également de voir le nombre de revendications traitées diminuer encore davantage avec l'entrée en vigueur de la Loi sur le règlement des revendications particulières. Cette loi menace effectivement d'exclure un grand nombre de revendications en Colombie-Britannique — toutes celles faisant suite à une résolution unilatérale de la Couronne. La plupart des réserves de la Colombie-Britannique ont été établies par une résolution unilatérale de la Couronne décrétée par le gouverneur James Douglas entre 1848 et 1865, par d'autres officiers de la colonie de 1866 à 1871, et par les commissaires des réserves indiennes de 1875 à 1910. Bon nombre des revendications particulières en Colombie-Britannique concernent des résolutions unilatérales de la Couronne qui ont assujetti des terres pour l'établissement de réserves. Malgré cela, le ministère de la Justice ne veut pas accepter les revendications particulières fondées sur ces résolutions unilatérales.
Le ministre a refusé de modifier la Loi sur le règlement des revendications particulières ou de revoir le rapport du groupe de travail mixte, comme les Premières nations du Canada, y compris les Autochtones de la Colombie- Britannique, l'avaient réclamé à l'unisson. Il a plutôt indiqué qu'il préférait un remaniement de l'actuel comité indépendant de règlement des revendications particulières.
Sénateurs, avec un retard dans le traitement de 60 p. 100 des revendications, 48 p. 100 d'entre elles qui sont en cours d'examen, et le fait que notre province enregistre chaque année le plus grand nombre de nouvelles revendications qui font l'objet d'une étude, il est impératif que dans le cadre de toute stratégie élaborée pour réduire l'arriéré dans le traitement des demandes, on tienne compte du caractère singulier de la situation en Colombie-Britannique en matière de revendications. Il est également essentiel d'allouer bien plus de ressources au rattrapage de ce retard. De plus, la majorité des revendications en Colombie-Britannique pourraient être rejetées en vertu de la décision Wewaykum, et beaucoup d'autres relatives à des engagements unilatéraux ne sont même pas prises en considération dans le cadre des négociations. Tout cela laisse très peu de recours aux Premières nations britanno-colombiennes en vue d'un règlement de leurs revendications particulières.
Les Premières nations de la Colombie-Britannique ne sont pas convaincues qu'une réduction de l'arriéré dans le traitement des revendications ainsi que le règlement de celles-ci soient une priorité, et elles doutent que les examens en cours au sujet de la situation des revendications particulières soient plus probants que les précédents. Les problèmes qui sous-tendent l'actuelle politique sur les revendications particulières demeurent; il s'agit du retard dans le traitement des revendications, du conflit d'intérêts du gouvernement fédéral lorsqu'il rend des jugements allant à son encontre, et de son approche actuelle qui consiste à privilégier l'interprétation la plus étroite possible concernant ses obligations. Cette approche étroite ne fait qu'accroître l'ampleur du travail et ne règle pas les questions en suspens, ce qui entraîne des retards supplémentaires.
Le ministre Prentice a exprimé récemment son intention de remanier le processus de traitement, sans toutefois faire référence à ce qu'il avait réclamé alors qu'il siégeait à la Commission sur les revendications particulières des Indiens, soit la création d'une instance indépendante pour le règlement des revendications.
En Colombie-Britannique, on a fortement l'impression que si la situation perdure, il reste seulement deux options — la contestation ou la confrontation — qui ont toutes les deux un coût, non seulement en ressources et en temps, mais également dans le développement et le maintien de relations entre les Premières nations de la Colombie-Britannique et le Canada.
Nous avons quelques recommandations à formuler. Les Premières nations de la Colombie-Britannique veulent voir leurs revendications particulières en attente être examinées et réglées. Nous voulons obtenir des garanties que les revendications futures seront étudiées rapidement et négociées de façon équitable. À cette fin, nous vous invitons à envoyer une délégation en Colombie-Britannique pour vous pencher sur la situation unique de notre province en ce qui a trait aux revendications particulières. Pour cela, nous vous offrons toute l'aide que nous sommes en mesure de vous apporter. Nous recommandons que beaucoup plus de ressources soient consacrées à la réduction de l'arriéré dans le traitement des revendications particulières en Colombie-Britannique; que l'allocation des ressources destinées à réduire ce retard reflète le nombre de revendications en Colombie-Britannique; qu'on augmente considérablement le nombre d'experts internes et de conseillers juridiques afin d'examiner les revendications particulières en Colombie-Britannique; et qu'on consacre beaucoup plus de ressources au règlement des revendications particulières pour cette province. Nous recommandons spécialement la création d'un tribunal indépendant destiné à négocier et à régler les revendications.
J'aimerais ajouter une dernière remarque pour ceux d'entre vous qui pourraient ne pas très bien connaître les Autochtones et leur situation là-bas. En Colombie-Britannique, on trouve plus de 200 communautés des Premières nations, et 1 681 réserves. Je vous remercie, sénateurs, pour votre temps et votre attention, et je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Abbott.
Le sénateur Peterson : Merci, madame Abbott, pour votre exposé. Vous avez indiqué qu'il y a plus de 200 Premières nations en Colombie-Britannique, et que votre groupe en représente seulement huit?
Mme Abbott : Oui.
Le sénateur Peterson : Lorsque vous dites que l'Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannique...
Mme Abbott : Nos communautés sont membres de l'Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannique, mais le conseil tribal, le Conseil tribal de la nation Nlaka'Paumux, pour qui je travaille, collabore directement avec huit Premières nations.
Le sénateur Peterson : Toutes les autres Premières nations appuient vos recommandations ou présentent les mêmes. Votre groupe n'est pas différent des autres.
Mme Abbott : C'est juste. Les autres Premières nations de la Colombie-Britannique sont également en faveur de ces recommandations.
Le sénateur Pearson : Les revendications particulières de la Colombie-Britannique semblent différentes de celles d'ailleurs au pays. Pourriez-vous nous expliquer en quoi, et nous dire si elles appellent un processus distinct par rapport au reste du Canada?
Mme Abbott : Comme je l'ai mentionné, en Colombie-Britannique, il y a au-dessus de 200 Premières nations. La majorité d'entre elles comptent très peu de membres. Et il y a 1 681 réserves. Pour vous donner un bref exemple, dans ma communauté de la bande de Lytton, on trouve 54 réserves. Cela diffère de certaines autres Premières nations du Canada qui ont une forte population et de grandes réserves, lesquelles peuvent être moins nombreuses.
Le sénateur Pearson : Est-ce que la majorité des Premières nations de la Colombie-Britannique ont des traités?
Mme Abbott : Non. Il existe seulement quelques traités en ce moment, et la majeure partie du territoire de la province n'est pas visé.
Le sénateur Gill : Je veux m'assurer de bien comprendre. Combien de Premières nations — je ne parle pas de bandes, mais de nations — y a-t-il en Colombie-Britannique? Combien de nations comme Nisga'a y trouve-t-on?
Mme Abbott : Environ 27.
Le sénateur Gill : Cela sème parfois la confusion chez les gens. Ils pensent que 200 nations égalent 200 réserves. Merci beaucoup.
Le sénateur Hubley : Bienvenue, madame Abbott. J'aimerais que vous me décriviez le tribunal indépendant dont vous recommandez la création. Qui y siégerait? Comment s'insèrerait-il dans le processus actuel? S'agit-il d'avoir une seule instance qui entendrait les revendications, veut-on que le tribunal en question s'occupe des revendications plus difficiles?
Mme Abbott : Je crois qu'il s'agirait d'une seule instance qui traiterait l'ensemble des revendications en Colombie- Britannique.
Le sénateur Hubley : Ce système pourrait-il fonctionner dans le reste du pays? Serait-il également avantageux pour les autres provinces?
Mme Abbott : Oui. Je crois que chaque région est différente et a ses propres problèmes. Je crois que cela vaudrait la peine d'envisager la création d'une telle instance pour toutes les régions.
Le sénateur Hubley : J'ai proposé des personnes qui pourraient être représentées au tribunal. Qui, selon vous, devraient-elles être?
Mme Abbott : Nous voudrons que des membres de communautés indépendantes siègent à ce tribunal, qui ne représenteraient pas le gouvernement ni les Premières nations mais prendraient en considération les circonstances propres à la région et aux questions en cause.
Le sénateur Sibbeston : Madame Abbott, quelle est la nature de la plupart des revendications particulières en Colombie-Britannique? Est-ce qu'elles portent seulement sur l'étendue du territoire, ou bien sur la façon dont il a été délimité?
Mme Abbott : Je crois que la plupart des revendications concernent la façon dont on a délimité les terres. Plus souvent qu'autrement, on en a pris possession unilatéralement à l'époque sans le consentement des Premières nations.
Le sénateur Sibbeston : Vous avez déclaré croire qu'une décision rendue par la Cour suprême il y a quelques années avait eu un impact négatif sur votre revendication particulière.
Si on devait donner suite à cette décision, est-ce que cela ne placerait pas la Colombie-Britannique dans une situation où, si les ajouts de terres aux réserves n'étaient pas effectués correctement, toute la question des revendications territoriales et de l'établissement des réserves en Colombie-Britannique serait réouverte? De façon générale, cela ne vous aide-t-il pas à négocier avec le gouvernement fédéral, parce qu'il doit de toute évidence régler les revendications territoriales avec les Premières nations de la Colombie-Britannique?
Mme Abbott : Oui. Toutefois, nous n'appuyons pas totalement cette décision de la Cour suprême. Elle reflète seulement la situation de quelques communautés. Ce n'est pas vraiment une bonne chose pour l'équilibre de la région que d'agir en fonction des revendications qui les concernent, et pour lesquelles elles luttent.
Le sénateur Sibbeston : Vous avez entre autres recommandé que notre comité se rende en Colombie-Britannique pour y rencontrer les Premières nations et ainsi discuter des revendications particulières. Êtes-vous sérieuse? Serait-ce réellement important que notre comité se déplace jusqu'en Colombie-Britannique?
Mme Abbott : Oui, je suis très sérieuse au sujet de cette recommandation. Je peux d'ailleurs vous donner un bref exemple qui illustre la situation particulière que vivent plusieurs communautés de ma nation.
Nous sommes dans un corridor de transport qui s'étend sur 100 milles terrestres, du nord au sud de notre territoire, en passant par Ashcroft. Dans cette région, il y a deux lignes ferroviaires, une autoroute et un droit de passage d'hydro, qui font tous l'objet de revendications particulières.
Nous nous penchons en ce moment sur le dossier des deux lignes de chemin de fer, auquel les communautés ont accordé la priorité, et nous travaillons à régler 102 revendications au nom de 11 Premières nations.
Le président : Pourriez-vous nous expliquer un peu plus ce qu'il en est des décisions unilatérales, madame Abbott? De nombreuses revendications particulières en Colombie-Britannique concernent des engagements unilatéraux pris par la Couronne pour réserver des terres aux Autochtones, appelées terres de réserve. Êtes-vous en train de dire que ces décisions sont ignorées par le ministère de la Justice parce qu'elles sont unilatérales?
Mme Abbott : C'est là une partie du problème. L'autre, c'est qu'au moment de la création de ces réserves, les Autochtones avaient un système de déplacements saisonniers et qu'un certain nombre vivaient le long de la rivière quand c'était la saison de la pêche. Ainsi, plusieurs réserves ont donc été établies sur les rives et on a aussi créé une pêcherie. Par contre, on n'a pas tenu compte de l'endroit où ces gens vivaient le reste de l'année.
Plusieurs de nos réserves sont situées aujourd'hui sur les bords de la rivière et disposent d'une petite superficie exploitable où il est impossible de faire de l'agriculture. Notre survie dépend de la pêche.
Le sénateur Dyck : Merci pour votre exposé, madame Abbott. À la page 3 de votre mémoire, vous parlez de la Loi sur le règlement des revendications particulières et des répercussions très négatives qu'aurait son entrée en vigueur sur de nombreuses revendications en Colombie-Britannique.
À votre avis, que faudrait-il faire pour éviter que cela n'arrive? Il semble que beaucoup de vos revendications concernent des décisions unilatérales.
Mme Abbott : Je pense que si vous envisagiez sérieusement de venir en Colombie-Britannique, vous auriez l'occasion d'entendre ce qu'ont à dire de nombreuses Premières nations de la province à ce sujet. Je pense que ce serait la meilleure façon d'avoir une réponse à votre question.
Le sénateur Dyck : Il est vraiment étonnant que le processus actuellement en place ne prenne pas en considération les engagements historiques pris en Colombie-Britannique et qu'il ne valide pas vos revendications.
Mme Abbott : C'est vrai.
Le sénateur Gill : Vous avez beaucoup de revendications particulières comparativement aux autres provinces. Est-ce parce qu'il y a très peu de traités en Colombie-Britannique?
Mme Abbott : Oui. C'est l'une des trois questions que j'aborde à la page 3 de mon mémoire, c'est-à-dire la façon singulière dont nos réserves ont été créées. Nous avons signé des traités seulement dans le sud de l'île de Vancouver et dans le nord-est de la province.
Le sénateur Gill : Est-ce attribuable au fait que les colons sont arrivés en Colombie-Britannique plus tard parce qu'ils se sont d'abord établis dans les autres provinces? Est-ce ce qui explique pourquoi vous avez conclu si peu de traités?
Mme Abbott : Il y a longtemps de cela, un commissaire, dont je ne me souviens plus du nom, avait dit qu'il ne voyait pas la nécessité de conclure des traités parce qu'il était convaincu que les peuples autochtones ne survivraient pas aux épidémies de variole et autres maladies.
Le sénateur Gill : C'est un miracle.
Mme Abbott : Oui.
Le président : Est-ce la province qui a réservé les terres pour les Autochtones sans même les consulter?
Mme Abbott : Ce sont les commissaires de l'époque.
Le président : S'agissait-il de commissaires provinciaux ou fédéraux?
Mme Abbott : Fédéraux.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci beaucoup de votre présence, madame Abbott.
Ces décisions unilatérales ont été prises avant que la Colombie-Britannique ne devienne une province. Parmi les provinces de l'Ouest qui se sont jointes à la Confédération plus tard, y en a-t-il qui ont été confrontées au même type de problème? Pouvez-vous vous comparer à d'autres provinces de l'ouest du Canada? Bien entendu, il s'agissait de décisions de la Couronne uniquement. Autrement dit, la Couronne, par l'intermédiaire d'un commissaire ou autre, cédait la terre aux Premières nations, et c'est là une partie du problème.
Y a-t-il une autre province de l'Ouest qui a remédié au problème?
Mme Abbott : Aucune ne me vient à l'esprit en ce moment. Pour que vous compreniez mieux notre situation, il serait bien que vous sachiez que lorsque le CN, une société de la Couronne à l'époque, avait envisagé de doubler les voies ferrées dans le corridor Thompson-Fraser au début des années 1980, nos chefs étaient très préoccupés parce que plusieurs questions relatives à la première ligne ferroviaire n'avaient pas encore été réglées. Nous avons donc déposé une injonction, au nom de 36 communautés et trois nations, afin que la compagnie ferroviaire cesse de déverser des matériaux dans la rivière en vue de bâtir les fondations pour la construction de la deuxième voie. Nous voulions d'abord nous assurer que les questions concernant la première voie seraient réglées.
Nous avons obtenu une injonction contre le CN le 1er avril 1985, lui interdisant tout déversement dans la rivière Thompson. Le but de la société était de construire une deuxième voie le long de la rivière Fraser, ce qui aurait eu encore d'autres répercussions pour toutes nos communautés et une incidence considérable sur la rivière et sur la pêche. À un certain endroit, la société comptait mener des travaux de remplissage sur 160 pieds dans la rivière, et nous savions que cela aurait certainement eu des conséquences sur notre mode de vie. La pêche est notre moyen de subsistance. En plus des réserves qui nous ont été unilatéralement imposées, nous appréhendions déjà d'autres répercussions, alors que les problèmes initiaux n'avaient même pas encore été réglés.
Le président : La Colombie-Britannique doit faire face à une situation unique et difficile, tout comme l'a si bien décrit Mme Abbott. Tout cela est tellement complexe que je crois que sa recommandation est très censée. Bien entendu, elle n'a pas le temps, en un seul exposé, de décrire tous les problèmes qu'éprouvent les communautés de la Colombie- Britannique. Les réserves ont été imposées au début du XXe siècle par un commissaire. Je crois que plusieurs commissions ont relégué ces gens sur de petites parcelles de terrain qui sont loin de refléter les terres qu'ils occupaient à l'époque.
Madame Abbott, nous vous remercions pour votre exposé et vos réponses franches. Nous allons réfléchir à votre proposition d'aller en Colombie-Britannique. Si nous ne pouvons nous rendre là-bas, nous convoquerons d'autres témoins en vue de formuler des recommandations efficaces pour les gens de votre province et de la mienne. Merci encore.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.