Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 13 - Témoignages du 27 février 2007
OTTAWA, le mardi 27 février 2007
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-216, Loi prévoyant la reconnaissance pour la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, se réunit aujourd'hui à 9 h 32 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je veux présenter les membres du comité. À ma droite, j'ai le sénateur Gill, de Wellington au Québec, et à côté de lui se trouve le sénateur Watt, d'Inkerman au Québec. À ma gauche, j'ai le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, et à côté d'elle, le sénateur Dyck, de la Saskatchewan. La dernière mais non la moindre est le sénateur Hubley de l'Île-du-Prince-Édouard. Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues.
Aujourd'hui, le comité entame l'étude du projet de loi S-216, Loi prévoyant la reconnaissance pour la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada.
Chers collègues, je crois qu'il serait prudent de présenter, pour l'auditoire, une brève description de l'objectif du projet de loi.
Le projet de loi S-216 est une disposition législative habilitante. Elle n'est pas imposée aux membres des Premières nations; il s'agit simplement d'une mesure habilitante. Le projet de loi S-216 est un outil que les Premières nations peuvent choisir d'utiliser. À l'heure actuelle, elles n'ont que la Loi sur les Indiens. Le comité a entendu à maintes reprises que, pour de nombreuses collectivités des Premières nations, la Loi sur les Indiens ne les habilite pas à développer leur économie et à instaurer un mode de vie satisfaisant.
À la base, le projet de loi S-216 vise à ce que les Premières nations prennent en main leur propre destinée dans leurs activités gouvernementales et quotidiennes.
Le projet de loi S-216 est conçu pour permettre aux Premières nations de se soustraire au contrôle absolu du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et de se gouverner elles-mêmes de façon responsable et efficace pour tous les membres de la bande. Au lieu d'être un processus descendant, l'autonomie gouvernementale permettra à tous les membres de la bande de participer.
Idéalement, le projet de loi permettra à chaque membre d'une bande ayant une assise territoriale à prendre part à ce processus, s'il le veut.
[Français]
Comme premiers témoins nous recevons aujourd'hui les représentants du Congrès des peuples autochtones. Nous accueillons le chef national, M. Patrick Brazeau, et le directeur du Développement stratégique et des affaires publiques, M. Al Fleming.
[Traduction]
La dernière rencontre du comité avec le Congrès des Peuples Autochtones remonte au 7 juin 2005, quand la mesure législative qui a précédé le projet de loi à l'étude aujourd'hui a été examinée.
Monsieur Brazeau et monsieur Fleming, nous vous souhaitons la bienvenue au comité. Nous savons que vous avez préparé une courte déclaration et, lorsque vous aurez terminé, je suis persuadé que les sénateurs aimeraient vous poser quelques questions.
[Français]
Patrick Brazeau, chef national, Congrès des peuples autochtones : Monsieur le président, j'aimerais remercier les membres du Comité qui m'offrent l'opportunité de comparaître ce matin pour discuter du projet de loi S-216.
[Traduction]
Avant de passer à l'essentiel de mon message, je veux vous présenter notre organisation. Le Congrès des peuples autochtones est l'une des cinq organisations autochtones nationales reconnues par le gouvernement du Canada.
Depuis 1971, nous sommes le porte-parole et le défenseur politique des besoins et des aspirations des Autochtones vivant en dehors des réserves partout au pays.
La quête de l'autonomie gouvernementale est une question qui me tient particulièrement à cœur et je sais, de par les efforts considérables que je déploie dans le cadre des consultations sur la gouvernance des Premières nations au Congrès, que ce sujet est également important pour les membres des Premières nations de partout au pays.
Sénateur St. Germain, permettez-moi tout d'abord de dire combien nous sommes ravis de voir cet avant-projet de loi qui vise à régler l'un des éléments fondamentaux de la démocratie : une gouvernance représentative, transparente et responsable.
Depuis décembre 2003, lorsque l'ancien gouvernement libéral de M. Martin a décidé de torpiller les efforts législatifs en vue de réformer la gouvernance des Autochtones, bien trop peu de débats publics et parlementaires ont eu lieu au sujet des mesures à prendre pour veiller à ce que les collectivités des Premières nations puissent disposer des mêmes outils fondamentaux de gouvernance que le reste du Canada tient pour acquis. Comment expliquez-vous qu'en 2007, des collectivités dans les réserves ne donnent pas à leurs membres vivant en dehors des réserves le droit de vote aux élections de leur bande? Comment expliquez-vous que le jugement de 1999 rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Corbiere c. Canada, qui affirmait le droit des membres vivant en dehors des réserves de participer aux élections de leur collectivité, soit rejeté par les conseils de bande qui n'adhèrent pas aux dispositions de la Loi sur les Indiens et reviennent aux pratiques électorales traditionnelles sur lesquelles le gouvernement n'a aucun pouvoir?
La démocratie a quel sens lorsqu'elle compte les membres vivant en dehors des réserves dans la formule du financement par habitant pour déterminer la part des fonds alloués par le gouvernement fédéral et qu'elle ferme les yeux sur l'exclusion systématique et intentionnelle des membres d'une bande vivant en dehors des réserves pour ce qui est de savoir comment les fonds aux programmes et aux services sont alloués et comment leurs budgets sont administrés et d'avoir leur mot à dire à cet égard?
Comment se fait-il que le gouvernement fédéral ait encore le pouvoir ultime de décider qui est et qui n'est pas un Indien inscrit au pays? Les avant-projets de loi qui émanent du Sénat ou de n'importe quelle division du Parlement devraient-ils s'attaquer à des questions de ce genre?
C'est parce que ces questions persistent que j'appuie encore une fois le projet de loi à l'étude. Je me demande tout de même ce qu'il faudra faire pour que le Parlement intervienne dans la réforme de la gouvernance des Autochtones vivant dans des réserves. Dans un monde parfait, les caucus de tous les partis conviendraient que la situation des réserves visées par la Loi sur les Indiens est tout simplement épouvantable et jette une ombre sur la réputation du Canada à titre de nation humaine, bienveillante et progressiste.
Il est à souhaiter que les leaders parlementaires accepteront d'aller de l'avant avec la réforme de la gouvernance des Autochtones et de permettre au gouvernement de M. Harper d'entamer les consultations et le dialogue avec tous les groupes des Premières nations, tant les membres vivant dans des réserves que ceux résidant en dehors de celles-ci, dans le but de mettre fin de manière durable et pragmatique au cauchemar prescriptif, que l'on appelle la Loi sur les Indiens.
Ma position, en matière de défense de la réforme de la Loi sur les Indiens, n'est pas nouvelle et n'est pas la mienne en tant que telle. Dans son rapport final publié il y a 10 ans, la Commission royale sur les peuples autochtones a fait observer que bien qu'il existait plus de 600 bandes assujetties à la Loi sur les Indiens, il n'y avait qu'entre 60 et 80 véritables Premières nations historiques.
Dans un récent rapport, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a fait la déclaration suivante :
[...] de petites communautés séparées les unes des autres ne peuvent pas raisonnablement exercer leur droit à l'autonomie; aussi la Commission royale recommande-t-elle que l'exercice en soit remis à des groupes d'une certaine taille — à des groupes pouvant revendiquer l'appellation de `nation' et qui devront se restructurer en tant que nations.
Cette position semble clairement montrer qu'il existe effectivement de multiples sources de données qui suggèrent qu'un réseau de plus de 600 bandes assujetties à la Loi sur les Indiens n'équivaut pas à la manifestation moderne d'une gouvernance efficace et responsable.
Le Congrès des Peuples Autochtones est du même avis. Nous croyons que l'autonomie gouvernementale doit être impartie aux véritables Premières nations traditionnelles et historiques. Nous n'appuyons ni ne pouvons appuyer la notion de légitimer un système de collectivités des réserves, comme le prévoient les dispositions de la Loi sur les Indiens, comme étant le moyen efficace pour mettre en œuvre le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
Toute tentative de moderniser la gouvernance des Premières nations doit prendre son essence dans la reconnaissance, l'intégration et l'acceptation des besoins, des aspirations et des points de vue des simples citoyens et non de quelques élites en position de pouvoir. Dans une société juste et démocratique comme le Canada, nous, en tant que politiciens, ne pouvons pas et ne devons pas laisser pareille situation se reproduire.
Jusqu'à ce que les Indiens inscrits vivant en dehors des réserves cessent de faire l'objet d'exclusion intentionnelle et de discrimination constante de la part de certains chefs et conseils de bande, jusqu'à ce que l'application arbitraire par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien d'étiquettes et de classes du statut d'Autochtone créé par le système qui continue de relancer la Loi sur les Indiens ne cesse, jusqu'à ce que la population autochtone non inscrite au pays ne soit plus la cible de « l'héritage de stéréotypes et de préjudices du Canada », ce qui engendre « une habitude des gouvernements fédéral et provinciaux à ne pas les prendre en compte », pour reprendre l'expression utilisée par la Cour suprême du Canada, nous, en tant que chefs autochtones et parlementaires, avons le devoir moral et l'obligation sacrée envers les plus déshérités du pays de travailler à protéger les intérêts des membres des Premières nations.
Comme vous le savez, j'ai témoigné devant ce comité par le passé comme témoin pour donner mon avis sur des projets de loi du Sénat précédents relatifs à la gouvernance des Premières nations. Vous vous souvenez peut-être qu'à ma dernière comparution, j'ai parlé des efforts du Congrès en vue d'élaborer une loi sur les peuples autochtones, que nous considérions comme un modèle de reconnaissance de la nation, une étape qui, à notre avis, est essentielle à la réforme de la gouvernance des Autochtones.
Nous l'avons fait dans le but de favoriser le changement, car nous savons que c'est le rôle du Parlement du Canada d'élaborer, de rédiger et d'instituer les lois de cette grande nation.
Nous continuons de déployer de vigoureux efforts au chapitre des communications afin de trouver des solutions aux problèmes auxquels sont confrontés les membres des Premières nations partout au pays, tant ceux vivant sur les réserves assujetties à la Loi sur les Indiens que ceux vivant en dehors de celles-ci.
Notre position, qui défend la population et critique certains chefs, a donné lieu à des échanges provocants avec certains de nos frères et sœurs vivant dans des réserves. Peu importe la controverse soulevée par notre position, vous pouvez être certains que nous ne cesserons de croire en la volonté des simples citoyens et en la valeur d'une démocratie véritable au sein des collectivités des Premières nations vivant dans des réserves.
J'ai signalé que la Loi sur les Indiens est le principal facteur qui contribue à la pauvreté chez les Autochtones au pays et, pour redonner un peu d'espoir au segment de la population qui connaît la croissance la plus rapide au pays, nous devons remplacer la loi par un modèle plus démocratique, responsable et viable.
Je terminerai mon exposé de ce matin par des questions, que j'adresse à moi-même et à toutes les personnes présentes : Quelles doivent-être les conditions pour susciter la volonté de changement? Quand est-ce que le bon moment viendra pour nous tous, je dis bien nous tous, de faire réellement bouger les choses pour des gens réels qui en ont réellement besoin? Faut-il que le taux de chômage, la pauvreté et le désespoir augmentent? Les taux de mortalité infantile doivent-ils s'accroître et l'espérance de vie doit-elle continuer de baisser? Les taux de suicide doivent-ils empirer? Les possibilités de prospérité pour les peuples des Premières nations doivent-elles continuer de se dissiper, et ce, malgré une économie nationale florissante?
À mon avis, la situation des Autochtones est tournée vers le monde et vers le futur, plutôt que vers soi et vers le passé. Étant le plus jeune chef autochtone au Canada, je continue d'être rempli d'espoir pour les jeunes et les aînés autochtones et de croire en la volonté et la force morale des femmes autochtones et de leur famille.
Les efforts qui ont mené à la création du projet de loi S-216 doivent être salués. Je vous demande, mesdames et messieurs ici présents, de continuer à voir aux besoins et de promouvoir les aspirations des peuples des Premières nations des quatre coins de ce grand pays prospère. Je vous demande d'inviter vos collègues dans vos caucus respectifs à mettre de côté tout esprit partisan. Nous devons faire sortir la gouvernance des Autochtones du XIXe siècle, où elle repose confortablement depuis les 130 dernières années. Nous devons veiller à ce que les collectivités des Premières nations deviennent des modèles de reddition de comptes et de transparence plutôt que des rappels honteux de la façon dont le Canada a laissé tomber ses premiers occupants.
Je suis prêt, disposé et capable de faire tout en mon pouvoir pour faire bouger les choses. Je suis prêt à m'adresser à vos caucus, à parler à vos chefs et à prendre toutes les mesures possibles pour réaliser de véritables progrès. J'ai besoin de votre aide et je sollicite votre soutien, votre temps et votre dévouement pour contribuer à bâtir un avenir meilleur pour les gens que je représente aujourd'hui.
[Français]
Le sénateur Gill : Monsieur Brazeau, merci pour votre présentation. En plus de soulever beaucoup de points, vous avez posé quelques questions qui, sans doute, comprenaient à la fois les réponses.
Du côté des Autochtones en général, nous voulons que le gouvernement fédéral adopte des mesures qui permettront de légiférer à côté de la Loi sur les Indiens. En même temps, certains Autochtones veulent continuer à être protégés par cette loi.
J'ai plusieurs questions mais je vais en poser deux ou trois pour commencer. Avant de présenter des revendications au gouvernement, est-ce que l'exercice ne devrait pas débuter par une discussion entre les Premières nations du pays? Parce que souvent les demandes faites au gouvernement, font suite à l'étude de projets de loi qui autorisent de petits groupes. Dans votre exposé, vous avez mentionné le fait que l'autonomie gouvernementale devrait être confiée aux véritables Premières nations. J'imagine que c'est confié en bloc, pas à chacune des réserves.
On mélange les choses lorsqu'on parle des Premières nations, en pensant que c'est basé sur chacune des réserves. Au départ, je crois qu'il devrait y avoir des règles du jeu bien établies et préalablement discutée entre les Premières nations.
M. Brazeau : Nous avons réfléchi longuement à la question et nous cherchons une solution qui ferait en sorte que les Premières nations fassent elles-mêmes le travail nécessaire pour aboutir à quelque chose qui apporterait davantage d'espoir.
Il ne faut pas se le cacher, cela fait au-delà de 130 ans que les réserves vivent selon les termes de la Loi sur les Indiens. Quant à moi, beaucoup de chefs à travers le pays prennent avantage de cette situation. C'est la Loi sur les Indiens qui leur permet de créer une élite au sein des Premières nations. Ce sont les chefs qui contrôlent les budgets en déterminant comment les fonds sont gérés sur les réserves. Nous savons qu'il y a beaucoup d'abus.
Ce n'est pas la pratique partout à travers le Canada, mais nous savons que beaucoup de chefs prennent avantage de cette situation. Pour eux, le statu quo est préférable parce que de cette façon ils reçoivent un financement garanti de la part du gouvernement fédéral. Ils sont certains de conserver leur emploi et de contrôler la population dans certaines situations.
En tant qu'organisme national, nous avons travaillé avec le parti libéral du temps. Et lorsque le projet de loi sur la gouvernance des Premières nations a abouti, vous savez aussi bien que moi que ce sont les chefs de bande qui ont boycotté le processus parce qu'ils ne voulaient pas qu'il y ait plus d'imputabilité sur les réserves.
La question de l'imputabilité est importante, mais malheureusement beaucoup de chefs ne veulent pas ouvrir les livres en ce qui concerne l'administration de fonds publics.
Le sénateur Gill : J'ai été chef pendant dix ans dans ma communauté et j'ai été aussi chef d'une nation Attikamek- Montagnais. Je n'ai pas eu l'impression de faire partie d'une élite dans la communauté. J'ai travaillé sans salaire, et cetera. Vous me permettrez de vous dire, monsieur Brazeau, que j'ai l'impression qu'une partie du langage que vous véhiculez est un langage qui vient du gouvernement pour dire que les chefs gèrent mal. Il faudrait commencer par vraiment analyser les choses. Il peut arriver que des communautés gèrent mal, comme dans les autres communautés non indiennes. Mais je ne pense pas qu'on devrait continuer à véhiculer ce type de langage. On ne peut pas généraliser, c'est impossible.
La Loi sur les Indiens dans une réserve, c'est une loi que les Indiens n'ont pas voulue, elle leur a été imposée. Et après cent et quelques années, les gens deviennent endoctrinés et ils ont de la difficulté à fonctionner en dehors de la Loi sur les Indiens. Même si la Loi sur les Indiens apporte des inconvénients majeurs — pour preuve, regardez les statistiques, ce n'est pas très beau — la loi protège, jusqu'à un certain point, la culture, la réserve, même si c'est un phénomène que beaucoup déplorent. Il reste, que pendant une certaine période, cela a protégé un peu la culture.
Maintenant, je sais que des groupes à l'intérieur et à l'extérieur des réserves voudraient essayer de retrouver à peu près le même statut. Au début de votre exposé vous avez dit « Qui est inscrit? ». C'est une question que j'ai posée dans mon coin et j'ai reçu des lettres qui m'ont reproché de l'avoir posée. Je pense qu'elle est fondamentale et vous l'avez posée au début de votre exposé. Dans vos groupes, en dehors des Premières nations inscrites, pensez-vous qu'il y a possibilité d'établir des règles du jeu? Qui veut s'inscrire et qui accepte l'inscription? C'est une question de citoyenneté.
Pensez-vous que c'est possible d'arriver à des règles du jeu communes, acceptables et acceptées par tout le monde? Car il y a des problèmes.
M. Brazeau : J'apprécie certains des points que vous avez soulevés. Dans un premier temps, je dois dire que le langage qu'on utilise n'est pas le langage du gouvernement. Je vais expliquer ce point de vue.
Nous avons des exemples partout à travers le Canada, d'Indiens inscrits qui résident hors réserve. Ces Autochtones inscrits sont comptés dans la formule adoptée par le ministère des Affaires indiennes pour le financement de la réserve. Mais en termes d'accès aux programmes et services de leur conseil de bande, par exemple, dans beaucoup de cas, les Indiens inscrits qui résident hors réserve n'ont pas accès à ces programmes et services. C'est une question d'imputabilité car ils sont comptés dans la formule de financement.
Le langage que nous utilisons, c'est le langage que nous entendons des Autochtones et des Indiens inscrits, partout au Canada, qui n'ont pas accès à certains programmes et services, juste à cause de leur lieu de résidence.
Dans un deuxième temps, la Loi sur les Indiens protège un certain territoire qui s'appelle une réserve. Mais il ne faut pas oublier que ces territoires appartiennent au gouvernement fédéral, ils n'appartiennent pas aux Autochtones. Ces territoires ont été mis de côté pour le bénéfice et l'utilisation des Autochtones qui y résident, mais ce sont encore des territoires dits fédéraux.
Pour ce qui est de l'idée que la Loi sur les Indiens protège la culture, je pense que ce sont les individus qui protègent leur culture. J'ai résidé hors réserve pendant la plus grande partie ma vie et je crois que c'est mon choix, comme individu, de conserver ma culture, de la pratiquer ou non. Ce n'est pas la Loi sur les Indiens, à mon avis, qui protège la culture.
La question de la citoyenneté est une question très importante. Cela fait plus de 130 ans que l'on accepte que le gouvernement fédéral ait le pouvoir de dire qui a le statut d'Indien et qui ne l'a pas. C'est simple, c'est parce que c'est une question d'argent pour le gouvernement fédéral. Nous savons qu'il y a plus de 400 000 indiens non inscrits au Canada, qui font partie de nos commettants.
Je crois que le temps est maintenant venu de considérer sérieusement l'abolition de la Loi sur les Indiens, de tendre la main à nos confrères et consœurs sur les réserves afin d'avoir ce dialogue en matière de citoyenneté. Ce pouvoir devrait appartenir aux Autochtones eux-mêmes et aucun gouvernement ne devrait avoir le droit de dicter qui est Indien et qui ne l'est pas dans notre pays. Nous avons une foule d'exemples à travers le monde, mais au Canada c'est encore le gouvernement fédéral qui dicte qui est Indien et qui ne l'est pas, et cela va à l'encontre des droits humains.
Le sénateur Gill : Une dernière question. Vous avez soulevé un point concernant les Indiens résidents et non résidents. Il faudrait vérifier une chose; vous dites que les Indiens inscrits qui vivent hors réserve n'ont pas toujours accès aux services. Dans ma communauté ce n'est pas le cas. Il faut que les gens résident sur la réserve pour avoir droit à une maison. S'ils sont à l'extérieur, il y a une période d'attente. Je ne suis pas certain que, pour tous les services donnés dans les communautés, ceux qui sont hors réserve sont comptés pour l'attribution des budgets. Il faudrait vérifier ce point absolument.
Concernant l'inscription, vous savez que les gens du côté de l'association des Métis et autres ne sont pas toujours d'accord avec ce que vous dites, quant au fait qu'on voulait parler avec des Indiens inscrits et avoir un régime d'appartenance ou d'inscription. C'est ce que je disais tantôt, il faudrait arriver à un consensus entre les Autochtones, entre les Indiens inscrits et non inscrits.
[Traduction]
Le sénateur Watt : Pour poursuivre sur le sujet de l'appartenance, dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné que nous pourrions mettre au point un système unifié pour déterminer qui nous sommes, en tant qu'Autochtones, à savoir si nous vivons en dehors des réserves ou dans des réserves ou si nous sommes des Indiens inscrits ou non inscrits. Toutes sortes de classifications se sont créées au fil du temps.
Ai-je bien compris que vous recommandez l'établissement d'une nouvelle loi? Est-ce bien ce que vous avez dit? Pouvez-vous élaborer sur ce point?
M. Brazeau : La loi dont nous avons discuté, que nous appelons une loi sur les peuples autochtones, ressemble à l'avant-projet de loi que nous étudions aujourd'hui. L'unique différence est que la loi sur les peuples autochtones proposée permettrait à tous les peuples autochtones de revendiquer le statut de nation. Elle inclurait aussi les peuples inuits et métis de partout au pays et prouverait qu'ils sont et étaient effectivement une nation afin qu'ils puissent être reconnus comme telle au Canada.
Parce que cela touche les citoyens des Premières nations du pays, nous avons également mentionné qu'il y a plus de 600 réserves assujetties à la Loi sur les Indiens. Ce que de nombreux chefs et particuliers appellent désormais Premières nations ne sont pas des Premières nations véritables et historiques. Je suis un Algonquin de la Première nation algonquine. Je suis également membre de la bande de la réserve Kitigan Zibi. Ma nation est algonquine. Le peuple micmac est une nation. Les Cris sont une nation. On semble croire que toutes les réserves assujetties à la Loi sur les Indiens sont des Premières nations, mais ce n'est pas le cas. Les réserves sont des portions et des segments d'une nation plus vaste. Bien souvent, nous exerçons des pressions sur ces petites collectivités pour qu'elles se fusionnent et forment leur véritable Première nation historique, telle qu'elle était avant l'application de la Loi sur les Indiens.
Nous avons travaillé sur des principes directeurs fondamentaux pour examiner la possibilité d'instaurer une loi sur les peuples autochtones, mais qui serait mise en place et élaborée de sorte que les Métis de partout au pays puissent revendiquer un statut quelconque de nation métisse.
Le sénateur Watt : La reconnaissance des Premières nations, des Inuits et des Métis est déjà bien établie à l'article 35 de la Constitution. Vous ne parlez pas de refaire quelque chose de semblable. C'est déjà la loi en vigueur au pays. Vous voulez mettre en œuvre cette reconnaissance par l'adoption d'une loi. Vous mettez en relief et admettez que le projet de loi S-216 pourrait être une solution que choisiraient les Autochtones. Il s'agit d'autonomie gouvernementale d'une certaine façon. Pour rallier ces gens qui ont été exilés de leur collectivité au fil des ans, nous devrons déterminer qui est membre. Puisque nous avons déjà la reconnaissance constitutionnelle, il nous faut une loi pour mettre en œuvre cette reconnaissance. Est-ce ce que vous présentez comme un élément important?
M. Brazeau : En ce qui a trait à la question de l'appartenance, nous savons qu'il y a plus de 400 000 Indiens non inscrits au pays qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent être reconnus comme Indiens inscrits ni obtenir leur petite carte de statut du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Vous avez raison lorsque que vous dites que la Constitution reconnaît les Autochtones au Canada. Cependant, il reste à déterminer le gouvernement compétent pour les différents peuples. Il est bien établi que le gouvernement fédéral a toujours réclamé la compétence pour les Indiens vivant sur des réserves et les Inuits. En ce qui concerne les Métis et les Indiens non inscrits, les gouvernements provinciaux et fédéral jouent à pile ou face. En bout de ligne, ces peuples, qui représentent une population importante, passent à travers les mailles du filet.
Pour déterminer quels sont les Autochtones du Canada qui trouvent leur place au sein d'une collectivité donnée d'une nation plus vaste, des consultations sont utiles et très nécessaires. De nombreuses personnes, parce qu'elles ont été exclues d'une collectivité donnée, ont abandonné la partie parce qu'elles ont été oubliées par leur propre peuple. En matière de consultation, il faut aller dans les collectivités des quatre coins du pays et dire aux membres d'intervenir car nous pourrons alors tenir une discussion plus vaste sur la citoyenneté de cette collectivité en particulier. Cette mesure n'a pas besoin d'être mise en œuvre par l'adoption d'une loi. C'est tout à fait logique. C'est de cette façon que les Autochtones peuvent se réunir et former leur nation historique.
Le président : Vous croyez que le gouvernement ne devrait pas jouer un rôle actif pour déterminer qui l'on devrait reconnaître comme membre des Premières nations. Qui devrait en décider alors? Comment cette reconnaissance devrait-elle être établie? Si le statu quo de l'administration actuelle des réserves n'autorise pas de reprendre des gens et si vous ne voulez pas que le gouvernement fédéral prenne ces décisions, chef Brazeau, comment concevez-vous l'établissement de la citoyenneté et du statut d'Indien inscrit et non inscrit?
M. Brazeau : Une solution à cet important problème pourrait être d'éliminer la disposition générale de reconnaissance du statut des Indiens au pays. De nombreux peuples autochtones en dehors du Canada ont éliminé ce système qui confère différentes étiquettes aux Autochtones, notamment à savoir s'ils sont des Indiens inscrits ou non. Citons l'exemple des Maoris en Nouvelle-Zélande. Il y a plusieurs années, ils ont tenu un référendum et les Maoris, les Autochtones de la Nouvelle-Zélande, ont décidé de se défaire des dispositions relatives au statut. En échange, ils ont tiré parti d'initiatives de développement économique et on leur a octroyé des sièges particuliers au Parlement de ce pays.
Qui devrait faire quoi maintenant? À l'heure actuelle, cette solution peut être provocatrice, mais la décision devrait revenir aux Autochtones. Ce devrait être aux membres des Premières nations véritables et historiques de décider qui sont leurs citoyens. Tout comme nous, ils savent que des citoyens partout au pays font partie de ces petites collectivités mais n'y ont pas accès ou ne sont pas reconnus par elles. Il leur appartient de décider qui sont les citoyens de leur nation.
Le sénateur Hubley : Je vous remercie pour votre exposé. Ma première question va dans le même sens que celle posée par le président. Nous devons être certains de la vision si le gouvernement cède une part de sa responsabilité. Évidemment, il est important que cette responsabilité soit étroitement liée à la reddition de comptes pour déterminer les Indiens inscrits et les Indiens non inscrits et décider de l'étiquette à accoler aux groupes. Avez-vous une idée claire de la démarche que les Premières nations ou votre nation adopteraient pour y parvenir? Connaîtrez-vous les mêmes problèmes que ceux dont vous nous faites part aujourd'hui, voire que certains particuliers se considèrent comme des Indiens inscrits alors que la nation les considère comme des Indiens non inscrits?
M. Brazeau : Je comptais parmi les Indiens non inscrits jusqu'à ce que le projet de loi C-31 entre en vigueur en 1985. Enfant, je me suis toujours considéré Algonquin, peu importe la carte que le gouvernement fédéral me remettait. J'ai toujours été fier d'être Algonquin et mes parents m'ont élevé dans cet esprit. Après les amendements apportés à la Loi sur les Indiens en 1985, voilà qu'on me remettait une belle petite carte de statut et que j'étais désormais reconnu par le gouvernement fédéral. En tant qu'Autochtone, je n'ai pas besoin de la reconnaissance d'un gouvernement fédéral ou d'un tout autre ordre de gouvernement. L'important est mon propre sentiment d'appartenance et que ma collectivité m'accepte comme membre de cette nation.
Pour répondre directement à votre question, si nous entreprenions des consultations avec la nation plus vaste, d'autres problèmes se poseraient. Le système du statut d'Indien inscrit et d'Indien non inscrit apporte certains avantages. Les Indiens inscrits ont accès à certains programmes et avantages et ont plus de droits. Les particuliers qui tombent dans la catégorie des Indiens non inscrits ne peuvent se prévaloir de ces avantages. Il reste que ces deux groupes de personnes pourraient appartenir à la même collectivité. La question est de savoir si le gouvernement fédéral les reconnaît ou non.
C'est clairement de la discrimination. La décision de décider qui fait partie de la collectivité devrait appartenir aux Autochtones. Nous avons soulevé cette question à maintes occasions. Bien des gens préconisent le statu quo établi en vertu de la Loi sur les Indiens parce qu'il leur est difficile de voir au-delà de ce qu'ils reçoivent actuellement grâce au financement fédéral. Ils essaient de garder leur petit créneau pour soi et la minorité de la population vivant sur des réserves.
En Alberta, je crois qu'une femme non autochtone est chef de la bande de Sawridge et qu'elle a exclu toutes les femmes qui ont regagné leur statut après l'adoption du projet de loi C-31. Par conséquent, une minorité de la population sur cette réserve dirige l'ensemble des affaires et des activités pour toute la population, et cette réserve est l'une des plus riches au Canada.
Le sénateur Hubley : La négociation d'ententes sur l'autonomie gouvernementale peut durer de nombreuses années. En général, on reconnaît que la Loi sur les Indiens fournit un cadre de travail insatisfaisant pour les relations actuelles entre les collectivités des Premières nations et le gouvernement. À cause de ces deux facteurs, les collectivités des Premières nations ayant la capacité d'exercer des pouvoirs plus vastes d'autonomie gouvernementale semblent être privées d'un mécanisme reconnu qui les habiliterait à le faire. Le projet de loi S-216 comble-t-il cette lacune?
M. Brazeau : L'avant-projet de loi comble ce manque car, dans un premier temps, il offre la possibilité aux bandes de fusionner.
Si nous parlons d'autonomie gouvernementale, la question englobe souvent l'accès aux ressources situées sur ces territoires. Dans le cas présent, je crois que nous aurions non seulement à nous préoccuper des terres de réserve actuelles mais aussi du territoire traditionnel des collectivités qui fusionneraient.
Dans mon cas — comme je l'ai déjà mentionné, je suis un Algonquin —, il y a huit réserves d'Algonquins au Québec et une en Ontario. On compte neuf réserves en tout. Une fusion permettrait à ces neuf collectivités de former la nation algonquine. Plutôt que de parler de réserves de l'État précises, nous ferions référence au territoire traditionnel des Algonquins, ce qui offrirait de plus vastes possibilités de s'associer à des sociétés privées ou à des agences gouvernementales. Les Autochtones de cette nation pourraient tirer profit des avantages économiques de ce territoire traditionnel, plutôt que d'être limités aux terres des réserves actuelles.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Le sénateur Hubley a posé une partie de ma question, mais pour être une nation autonome, croyez-vous que nous devrions avoir accès aux terres publiques et aux ressources?
M. Brazeau : Je crois fermement que nous devons voir au-delà du système actuel des réserves pour discuter de l'accès aux ressources naturelles et à d'autres ressources situées sur ces terres. Vous savez comme moi que de nombreuses collectivités de partout au pays sont situées dans des régions éloignées, où l'espoir et les ressources se font rares. Ces collectivités ne peuvent être économiquement viables par elles-mêmes.
Par conséquent, je suis d'avis que l'ensemble des terres traditionnelles d'une nation offre de plus vastes possibilités que les réserves actuelles ou les bandes assujetties à la Loi sur les Indiens. Ce n'est que justice qu'ils forment une nation et que tous les membres appartenant à cette nation puissent bénéficier des ressources situées sur les territoires traditionnels de leur peuple. C'était la pratique avant l'application de la Loi sur les Indiens et l'arrivée des Européens. Comme je l'ai mentionné, bien des collectivités ne veulent pas aller au-delà de la Loi sur les Indiens car elles n'ont rien à craindre pour leurs activités.
Je ne voudrais pas tenir un discours de politicien, mais si nous voulons offrir de l'espoir aux jeunes Autochtones, nous devons faire évoluer les choses parce qu'ils ne retireront rien de ce qui est actuellement en place. Nous devons aussi nous regarder dans le miroir et penser à changer, mais je ne vois rien de la sorte. Un remaniement de l'organisation s'impose et le message que nous véhiculons ces derniers temps repose en partie sur ce changement. Les Autochtones doivent pouvoir se faire entendre et le système de chefs actuel ne le leur permet pas.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Je suis contente que vous ayez soulevé le fait que vous avez regagné votre statut en 1986. La situation de la citoyenneté dans l'optique de la Loi sur les Indiens est difficile car, comme vous l'avez dit, nous devrions avoir notre propre code d'appartenance sans que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ou quiconque ne s'en mêle. À l'heure actuelle, j'ai un petit-fils et il n'a pas le statut, et ce, même si ses deux parents sont autochtones. Il arrive souvent qu'un certain nombre de ces enfants ne soient pas reconnus. Je suis donc ravie que vous ayez abordé le sujet.
Le sénateur Dyck : Le sénateur Lovelace Nicholas fait preuve de modestie car c'est en grande partie grâce à son travail que vous, elle et moi avons regagné notre statut. Je suis également concerné par le projet de loi C-31. Comme le projet de loi le stipulait, il existe tellement de types de statuts qu'il est pratiquement impossible de les démêler. Nos jeunes ne s'y retrouvent plus pour déterminer qui ils peuvent épouser pour maintenir leur statut aux termes du projet de loi C-31 et de la Loi sur les Indiens.
En ce qui concerne l'idée que la collectivité reçoive l'autonomie gouvernementale et puisse déterminer la citoyenneté, même si je crois que l'idée est excellente, qu'adviendrait-il si différentes collectivités décidaient d'adopter différentes lois, par exemple, si certaines collectivités décidaient d'accepter à nouveau les Indiens visés au paragraphe 6(2) tandis que d'autres les refusaient? Nous pourrions nous retrouver avec des Premières nations différentes qui suivent des règles différentes. S'il y a des mariages entre des personnes de différentes nations, je ne sais pas trop ce qui se produira alors.
Nous avons, pour l'ensemble du Canada, une loi particulière qui définit qui est Canadien. Ne devrions-nous pas avoir une règle obligatoire qui établit qui est Autochtone dans les diverses catégories? Les catégories peuvent encore prêter à confusion, selon la collectivité. Qu'en pensez-vous?
M. Brazeau : C'est une excellente question et elle pose de nombreux problèmes, comme vous le savez probablement. Une solution, même si ce n'est peut-être pas la bonne, serait d'examiner la possibilité d'éliminer les dispositions relatives au statut. On constate beaucoup de discrimination dans nos propres collectivités entourant le statut d'Indien inscrit et non inscrit car il offre des avantages à une poignée d'élus et exclut d'autres particuliers. Si nous supprimons les dispositions relatives au statut, la discrimination diminuerait en permettant à des gens en règle qui font partie de la communauté visée d'être reconnus en tant que membres.
À l'heure actuelle, la Loi sur les Indiens comporte toujours les dispositions relatives au statut, aux paragraphes 6(1) et 6(2). Toute personne visée par le paragraphe 6(3) est considérée comme un Indien non inscrit. Si nous faisions disparaître ces dispositions, il serait plus facile de mettre au point un ensemble établi de critères pour les personnes désireuses d'appartenir à une nation donnée. Encore là, cette idée entraîne sûrement son lot de problèmes.
Nous devons également prendre conscience et reconnaître que ce système est imposé à nos peuples et collectivités autochtones. C'est un pouvoir conféré au gouvernement et nous devons régler cette situation parce que personne ne le fera à notre place. Si nous pouvons au moins engager les discussions parmi les Autochtones, ces échanges contribueraient beaucoup à l'établissement de quelques critères en ce sens.
Le sénateur Dyck : Pour donner suite à vos propos, nous n'avons pas mentionné précisément les traités. Nous avons parlé des statuts. D'après nous, les traités ont fort probablement été signés par quelques Premières nations historiques et l'État. Si nous éliminons les statuts, croyez-vous que les droits issus de traités, plutôt que de s'appliquer à certains particuliers, viseraient l'ensemble du groupe, peu importe si les membres sont considérés des Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens ou non? Autrement dit, il faut tenter d'extraire les droits issus de traités de la Loi sur les Indiens.
M. Brazeau : L'élimination des statuts permettrait de progresser considérablement dans cette voie. Pour l'instant, nous remarquons déjà que de nombreux programmes et avantages que reçoivent les collectivités vivant dans des réserves ne sortent pas de ces collectivités. Beaucoup n'ont pas accès à certains programmes et services.
Si nous pouvions établir notre nation et notre citoyenneté, et peut-être aller au-delà des dispositions relatives au statut, il serait alors évident et plus facile, à mon avis, que les nations déterminent les bénéficiaires du traité, tout en veillant à ce que l'ensemble de la nation en profite, plutôt que de débattre de qui est inscrit et qui ne l'est pas, ce qui entraîne de la discrimination et de la jalousie parmi les Autochtones.
Il serait plus facile de définir clairement l'appartenance ou la citoyenneté de la nationet permettre à tous de tirer parti de ces traités, comme c'était la pratique avant l'application de nombreuses de ces lois fédérales.
Le sénateur Dyck : Un projet de loi a été déposé à la Chambre des communes portant sur les biens immobiliers matrimoniaux (BIM), que certaines Premières nations approuvent et d'autres, non.
Aux termes du projet de loi S-216, envisagez-vous une harmonisation des droits des femmes autochtones et des droits provinciaux? Comment voyez-vous la division?
M. Brazeau : En tant qu'organisation nationale, y compris nos organisations provinciales, nous appuyons la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves parce qu'elle relève des droits de la personne. La question a donné lieu à beaucoup de discrimination à l'égard des enfants et des femmes autochtones et nous offrons notre soutien.
En fait, durant les consultations sur la gouvernance des Premières nations, c'est nous qui avons suggéré au gouvernement fédéral de se pencher sur la question. Je signale en passant qu'il est déplorable que certaines collectivités s'opposent à ce droit. Ces collectivités revendiquent un droit autochtone issu de traité pour mettre au point leurs propres codes, mais ont fait peu d'efforts en vue d'élaborer leurs codes pour offrir cette protection aux femmes autochtones et à leurs enfants.
Le projet de loi devant nous harmoniserait certaines de ces questions. Tout d'abord, nous savons que le projet de loi modifiera la Loi sur les Indiens en ce qui a trait aux BIM. Aussi, puisqu'il s'agit d'une loi habilitante, les communautés pourraient prendre une section donnée de la Loi sur les Indiens et faire en sorte qu'elle cadre avec l'avant-projet de loi. Une certaine uniformité serait instaurée. Le projet de loi va beaucoup plus loin que la Loi sur les Indiens, qui ne dit pratiquement rien à l'heure actuelle.
Le président : Comment ce processus débute-t-il, chef Brazeau? L'appartenance et la citoyenneté sont évidemment essentielles. Vous avez mentionné que vous êtes membre de la nation algonquine. Votre nation a-t-elle essayé de favoriser la prise des mesures dont nous discutons ici concernant l'établissement de la citoyenneté au sein de la nation algonquine?
M. Brazeau : Je crois que vous entendrez, et que vous avez déjà entendu, bien des beaux discours faits par les chefs algonquins, et fort probablement par d'autres collectivités et nations, sur la nécessité d'intervenir en ce sens. Dans la pratique cependant, très peu a été fait. Comme je l'ai mentionné plus tôt, de nombreuses collectivités sont satisfaites du statu quo. Elles reçoivent des crédits fédéraux chaque année. Elles continuent de s'en remettre au gouvernement fédéral pour offrir des programmes et des services à leur population vivant sur des réserves.
Le problème est également rattaché à ce qui est, à mon avis, un manque de leadership dans certaines de ces collectivités. Les peuples ne peuvent plus se cacher derrière la Loi sur les Indiens ni derrière l'argument selon lequel ils prennent des orientations distinctes pour revendiquer l'autonomie gouvernementale. Toutes les collectivités veulent être autonomes, mais si elles ne prennent pas les mesures pour y parvenir, comment les Autochtones en bénéficieront- ils? Ce n'est pas ce qui se passe en ce moment.
Pour aller de l'avant, nous avons besoin que différents intervenants et partenaires soutiennent l'idée que nous, en tant que chefs autochtones, fassions connaître la situation à nos collectivités, qu'elles soient situées sur des réserves ou non, et engagions une discussion et un dialogue plus vaste sur les changements à apporter, car ils s'imposent.
Vous avez raison : la citoyenneté est importante. Le système actuel crée différentes classes. Dans le cadre de recherches que nous avons menées, nous avons relevé 17 étiquettes différentes que l'on attribue aux Autochtones. C'est insensé. Nous devrions rétablir ce que stipule la Constitution, qui est que les peuples autochtones du Canada s'entendent des Indiens, des Inuits et des Métis. Le terme « s'entendent » ne veut pas dire que les peuples autochtones se limitent à ces trois groupes, si je me base sur la formation juridique que j'ai suivie à un moment donné.
Nous devons retravailler cette définition et supprimer les termes « droits issus de traités », « droits non issus de traités », « Indiens inscrits », « Indiens non inscrits », «Métis », de même que les termes qui faisaient référence à la nation tels que « Premières nations » et « réserve X ». Un nombre aussi grand d'étiquettes prête à confusion. Comme je l'ai mentionné en me citant en exemple plus tôt, j'ai 32 ans et je me considère comme un Algonquin depuis toujours. Que j'aie une carte de statut et qu'un gouvernement fédéral reconnaisse mon appartenance n'y changent rien.
[Français]
Le sénateur Gill : Je voudrais vous féliciter pour votre langage, votre conversation courageuse et vos idées courageuses. C'est bon, surtout provenant de quelqu'un qui est relativement jeune. On a parlé tantôt d'un organisme parapluie national. Vous avez aussi parlé d'appartenance et de territoire. Je présume que l'organisme parapluie est un organisme représentant les populations ou les nations indiennes à travers le pays — je fais abstraction du statut et du non-statut, tel que mentionné par le sénateur Dyck. Une organisation parapluie réunirait les représentants des Premières nations pour prendre le contrôle, jusqu'à un certain point, des budgets. Autrement dit, les affaires indiennes n'existeraient plus. Elles pourraient peut-être exister, mais elles seraient contrôlées par une assemblée, si je comprends bien.
Au sujet de l'appartenance, vous suggérez la disparition de la notion de statut et de non-statut. Par contre, vous voulez garder votre identité comme Algonquin. C'est important car c'est ce qui forme les nations. Il y a plusieurs communautés algonquines, mais il y a eu une nation algonquine. La Loi sur les Indiens identifie les communautés ou les réserves comme des Premières nations, alors c'est faux. Vous pourrez continuer à préciser.
Quant au territoire, évidemment, il y a un territoire traditionnel. Si je comprends bien, vous voudriez que la réserve disparaisse et que le territoire traditionnel soit reconnu pour une nation donnée?
M. Brazeau : En termes d'appartenance, vous avez tout à fait raison. Il est illogique de me décrire comme un indien statué de la réserve de Kitigan Zibi. C'est plus facile de dire que je suis un Algonquin qui fait partie de la nation algonquine.
Il faut aussi préciser — et je n'ai pas peur de le dire — qu'il y a trop de chefs au pays et pas assez d'indiens. C'est la raison pour laquelle les différents groupes autochtones ne s'assoient pas ensemble pour discuter. Il y a trop de chefs. Avec les concepts de la nation, il y aurait un chef et une constitution dans laquelle il y aurait un mécanisme pour des systèmes d'imputabilité et pour rendre des comptes à la population. Au lieu d'avoir, dans mon exemple, neuf différents chefs algonquins, il y aurait un leader pour la nation algonquine. Ce serait plus facile à gérer et à reconnaître.
En matière de territoire, je n'ai jamais mentionné que je voulais que le système de réserves disparaisse ou que la population aménage ailleurs. Oui, le système comme tel doit disparaître, mais cela ne veut pas dire que la population qui réside dans le territoire doit déménager. Il est certain que ce serait plus facile si les membres de la nation algonquine étaient ensemble pour négocier la reconnaissance du territoire algonquin. Ce serait plus facile d'avoir cette reconnaissance de la part de la nation par rapport à neuf communautés séparées, fragmentées, qui ont souvent des revendications sur le même territoire, mais qui sont de la propre nation. C'est un autre sujet que vous avez déjà abordé avant les Fêtes.
[Traduction]
Le sénateur Watt : Je vous souhaite la meilleure des chances. Cette entreprise dans laquelle vous semblez vous lancer n'est pas facile. Je vous ai vu, je crois que c'était sur le Réseau de télévision des Peuples Autochtones (APTN), et j'ai écouté ce que vous aviez à dire à ce comité. Je me suis dit que cet homme aura de nombreuses difficultés avec les Autochtones, mais en même temps il possède quelque chose pour faire progresser ses concitoyens de tout le pays. Je termine là-dessus.
Quelqu'un doit faire preuve de leadership. Quelqu'un doit s'attaquer au problème de front. Autrement dit, vous devez prendre en charge vos concitoyens. Vous devez tout tenter pour négocier avec les vôtres et les consulter pour veiller à ce qu'ils participent au nouveau système. Vous aurez besoin d'un leader solide. Je crois que vous l'avez d'ailleurs déjà reconnu et mentionné. Pour venir à bout d'un problème, vous devez avant toute chose vous y attaquer avec votre peuple.
Prévoyez-vous présenter cette idée aux chefs de partout au pays et de les rassembler sous un même toit pour tenter d'arriver à un consensus concernant le plan à adopter en bout de ligne? Les questions que vous soulevez auraient dû être réglées depuis longtemps.
M. Brazeau : Je vous remercie de votre encouragement. Ce n'est un secret pour personne que je crois que le statu quo ne peut plus durer et qu'il est temps de changer. Je n'ai pas eu peur de proposer des solutions. Elles ne régleront pas forcément les problèmes mais au moins nous suscitons et alimentons un débat, qui est indispensable.
Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a engagé un démographe en 2001, si je me souviens bien. Il a prédit que d'ici 2129, aucun enfant ne serait admissible au statut d'Indien inscrit. La Loi sur les Indiens est entrée en vigueur en 1876, alors nous sommes presque à mi-chemin. Étant un jeune Autochtone, j'en ai assez d'entendre des beaux discours. Cela étant dit, nous avons rencontré de nombreux représentants du Parlement et frères et sœurs autochtones d'autres organisations. Je dois admettre qu'il faut un peu plus de temps pour aller les rencontrer et s'asseoir avec eux, mais je ne cesserai mes démarches que lorsque des mesures seront prises car elles s'imposent. Un réseau de chefs autochtones est déjà établi. Il y a cinq organisations nationales et plus de 600 collectivités. À l'échelle nationale, si nous pouvions tous au moins nous asseoir et tenir ce grand débat, nous ne nous entendrions peut-être pas sur tous les points, comme les parlementaires entre autres, mais au moins nous pourrions parvenir à un consensus et aller de l'avant pour offrir cet espoir dont les Autochtones ont grand besoin. À l'heure actuelle, les jeunes veulent un emploi et un toit au-dessus de leur tête et veulent pouvoir subvenir aux besoins de leur jeune famille. Les enjeux s'éloignent de ceux fondés sur les droits pour se diriger vers ceux liés à l'échelle sociale, mais nous ne devrions jamais écarter les droits. Ce n'est pas ce que je suggère, mais nous devons pouvoir redonner aux Autochtones l'espoir qu'ils ont perdu. Malheureusement, les statistiques, comme nous le savons tous, sont peu reluisantes.
Le sénateur Hubley : Au Canada, nous devrons bientôt définir le terme « nation ». Depuis toujours, nous avons accepté qu'il désigne un peuple d'une même culture. Vous appartenez à la nation algonquine. Je crois que vous faites aussi partie de la nation québécoise et de la nation canadienne. À un moment donné, nous devrons définir promptement ce que nous entendons par nation. Je veux connaître votre avis à cet égard et je me demande si vous concevez le statut de nation principalement comme un système politique ou un système culturel, où notamment le mode de vie, l'histoire et la langue sont préservés.
M. Brazeau : Permettez-moi de vous répondre en disant que je suis fier d'être d'abord et avant tout un Algonquin, mais je suis aussi fier d'être Québécois et Canadien. Au cours de mes 32 ans d'existence, j'ai vécu avec le principe de ces trois concepts de nation.
Pour ce qui est du grand débat sur ce que le rôle de la nation autochtone comporterait, je dois répondre que ce serait les deux. Ce doit être à la fois un système politique et social, comme le Canada. En tant que nation, le Canada a pour but de représenter sur le plan politique les intérêts de la population canadienne tout en préservant la beauté du multiculturalisme au pays. Au sein des nations autochtones, ce rôle est nécessaire sur les deux fronts.
Le président : Chers collègues, nous pourrions poser un million de questions. Quel serait le rôle du gouvernement, à supposer que la situation de la citoyenneté évolue tel que nous en avons discuté ce matin? Le transfert des pouvoirs du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien provoquerait peut-être ce changement. De nombreuses questions concernant l'autonomie gouvernementale se posent. Le processus est déjà enclenché. Devrions-nous continuer? Les résultats ont été concluants où le transfert a été effectué.
Chef Brazeau et monsieur Fleming, merci d'être venus ce matin. Nous vous sommes reconnaissants de la sincérité et de la franchise avec laquelle vous abordez la question et nous nous réjouissons à l'idée de travailler avec vous et vos collaborateurs dans le futur. Si vous pensez pouvoir apporter une contribution quelconque en plus de ce que vous avez fait ici ce matin, veuillez communiquer avec la greffière du comité. Nous serions heureux de recevoir tout renseignement supplémentaire qui pourrait nous aider à faire en sorte que nous nous dirigeons dans la bonne voie.
Honorables sénateurs, nous allons suspendre les travaux et poursuivre la séance à huis clos pour une brève période.
La séance se poursuit à huis clos.