Aller au contenu
AGEI - Comité spécial

Vieillissement (Spécial)


Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le Vieillissement

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 19 mars 2007

Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement se réunit aujourd'hui à 12 h 35 pour examiner les incidences du vieillissement de la société canadienne et en faire rapport.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Soyez tous les bienvenus à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement. Le comité examine les incidences du vieillissement de la société canadienne. Nous avons organisé deux groupes de témoins qui nous donneront un aperçu des principaux enjeux, soit les changements démographiques et le vieillissement comme processus social.

Pour mieux comprendre ces questions, nous accueillons aujourd'hui le professeur Jacques Légaré.

[Français]

Il est professeur émérite de démographie de l'Université de Montréal, où il fut pendant 16 ans le directeur du département de démographie. Il est membre de la Société royale du Canada et président du groupe de réflexion Le pont entre les générations. Il est l'éditeur, entre autres, de Âge, générations et contrat social et de L'État-providence face aux changements démographiques.

[Traduction]

Nous accueillons aussi le professeur Marcel Mérette, professeur agrégé au département d'économie et vice-doyen à la recherche en sciences sociales, à l'Université d'Ottawa. Il a récemment publié des rapports sur le vieillissement de la population et l'immigration, les conséquences interrégionales du vieillissement de la population au Canada et la croissance et l'équité intergénérationnelle dans le contexte du vieillissement de la population.

Soyez les bienvenus au Sénat du Canada. Nous vous invitons à faire quelques remarques liminaires, après quoi, il y aura des questions.

[Français]

Jacques Légaré, professeur émérite de démographie, Université de Montréal, à titre personnel : J'aimerais d'abord remercier madame la présidente et les membres du comité de l'invitation à venir vous entretenir de démographie autour du thème du vieillissement des populations. J'ai beaucoup apprécié que vous ayez invité avant moi un bon nombre de mes collègues démographes qui vous ont bien informé sur les chiffres derrière toute cette problématique, puisque moi, je n'ai pas l'intention de vous donner de chiffres.

J'ai intitulé mon exposé Au-delà des chiffres et des évidences qui sont parfois des mirages. J'ai lu le rapport et les exposés précédents. En général, je suis assez d'accord avec tout ce qui a été dit par mes collègues. On reviendra sur des détails importants, mais je ne vais pas les présenter.

Je procéderai un peu comme mon collègue Byron Spencer. Comme il avait sept minutes pour faire son exposé, il l'a fait en sept points. J'ai également décidé de vous faire une présentation en rafale comportant sept énoncés chocs.

Le premier énoncé : un nouveau troisième âge qui va de la retraite à la vieillesse. Il s'agit d'une invention de Peter Laslett, mon mentor, du Trinity College, à Cambridge, qui a bien saisi qu'on ne pouvait plus parler de trois phases dans le cycle de vie, c'est-à-dire la jeunesse, l'âge adulte et la vieillesse. Dorénavant, il y avait quatre phases dans le cycle de vie, c'est-à-dire la jeunesse, l'âge adulte et un nouveau troisième âge qui va de la retraite à la vieillesse et repoussé à un quatrième âge, ce qu'on appelait jadis le troisième âge. Ce nouveau troisième âge qui va de la retraite à la vieillesse n'a jamais existé dans aucune société. Tout est à inventer pour ce groupe de personnes qui quitte le monde du travail sans rentrer dans la vieillesse.

Dans les sociétés traditionnelles, on prenait sa « retraite » quand on était vieux et on devenait vieux quand on prenait sa retraite. Cela n'existe plus dans nos sociétés modernes et c'est pour cela qu'il y a ce qu'on appelle ce nouveau troisième âge.

Le deuxième énoncé : seuil de la vieillesse et importance des nombres de vieux à venir. Évidemment, les démographes sont souvent intéressés à établir des seuils précis, à savoir à quel âge on prend notre retraite, à quel âge on entre dans la vieillesse, ainsi de suite. Dans vos documents, vous en avez beaucoup parlé, on ne va pas y revenir outre mesure, bien que ce soit important. Mon collègue Laurent Martel vous a impressionné avec son « 65 ans » et son « 81 ans », vous y revenez de temps en temps. Cependant, dans notre domaine, c'est compliqué d'établir un seuil précis de la retraite et un seuil précis de la vieillesse. Pourquoi? Parce que la retraite et la vieillesse, ce sont des processus, on passe graduellement d'un état à un autre. Il n'y a pas un moment précis où on se retrouve en retraite — enfin de moins en moins —, il n'y a pas un moment précis où on tombe en vieillesse, de sorte que c'est difficile d'établir un âge précis, si vous voulez.

Néanmoins, si on veut se comprendre, nous devons établir une procédure adéquate. Nous devons donc essayer de définir vraiment la vieillesse. Si on prend une vieille définition de Furetière, au XVIIe siècle, « vieux » se dit d'un âge où, quand on l'a atteint, on devient caduc : les hommes le sont à 60 ans, les chevaux à 20. Ici, le mot caduc est très important. Pourquoi les chevaux ne sont pas vieux à 60 ans? Vous comprendrez que cela dépend de la longueur de vie des espèces et des individus, donc on ne peut pas devenir vieux au même âge quand l'espérance de vie augmente. Il ne faut pas l'oublier.

Comment définir la vieillesse? La vieillesse, à mon avis, se définit par la dépendance; ce n'est pas un âge qui définit la vieillesse mais bien la perte d'autonomie ou, selon certains, la mauvaise santé.

Je crois qu'il ne faut pas avoir peur de dire le mot « vieux ». Je sais que ce n'est pas très « politically correct » de dire le mot « vieux », mais je crois que c'est important de dire que les vieux sont des vieux. Les autres, ce sont des retraités.

La dépendance — qui n'est pas l'état le plus agréable dans la vie mais qui est souvent celui pour lequel chacun de nous est destiné —, on peut la mesurer et on la mesure, en général, par la perte d'autonomie, par l'invalidité.

En gros, suite aux études que j'ai faites avec mes collègues, nous arrivons à un pourcentage d'environ 12 p. 100 de personnes en incapacité. Ce chiffre est relativement stable dans le temps et dans les projections qu'on a faites selon l'évolution de la population. Ces niveaux d'incapacité sont liés à beaucoup de caractéristiques, selon le modèle de simulation « life paths », modèle que vous connaissez bien : je vois que vous êtes bien informés. Grâce à ce modèle de microsimulation, nous sommes en mesure de démontrer que, dans les 30, 40 prochaines années, ce taux demeurerait sensiblement le même.

Certains pourraient donc croire qu'il n'y a pas péril en la demeure et se demander pourquoi tant s'énerver. Si on doit un petit peu s'énerver, c'est que le nombre de personnes en incapacité doublera au Canada, et cela, on ne peut pas le gérer de la même façon. Même si le pourcentage reste le même, le nombre des personnes incapacité doublera. En gardant le niveau d'incapacité au niveau actuel, s'il y a de très nettes améliorations en incapacité, on y reviendra, c'est différent, mais si on garde à peu près les mêmes niveaux d'incapacité qu'aujourd'hui, il faut s'attendre à ce que le nombre augmente ou double au cours des prochaines années.

Le troisième énoncé : s'assurer de toujours faire la distinction entre « curing » et « caring » quand on parle de la santé. La santé, comme vous l'avez bien vu dans vos délibérations, c'est différent de l'absence de maladie. Or, quand on planifie les coûts de la santé, cette définition de la santé est malheureusement beaucoup trop ignorée en général et aussi dans les débats qui ont lieu ici. Je crois qu'il est très important de faire la distinction entre la partie médicale, qui est le « curing », et la partie sociale, qui est le « caring ». Ce sont deux dimensions de la santé qui ne doivent pas être confondues. L'hospitalier doit être distingué des soins à domicile. Il y a l'institutionnalisation au-delà, mais il faut toujours faire attention à cette distinction.

Malheureusement, en général, cette distinction n'est pas faite dans les écrits et dans les discours. La priorité dans notre société est donnée aux soins médicaux et au domaine l'hospitalier avant d'être donnée sur le plan social. Tant qu'on n'aura pas corrigé cela, je crois que l'on fait une erreur grossière dans la gestion d'une société vieillissante.

À Montréal, on va construire deux hôpitaux universitaires. Dans le West Island, j'ai remarqué une grande publicité au sujet de l'hôpital McGill, qui disait : « Support us, we will care for you ». Personnellement, je crois que c'est une publicité mensongère qui aura autant d'effets négatifs que celle de Liberté 55 ou celle sur le tabac. Seule la publicité sur le tabac fait l'objet d'une cause en Cour suprême. Je vous laisse réfléchir sur le sujet. Je crois que les hôpitaux universitaires ne sont pas là pour faire du « caring » et ne sont surtout pas là pour être au service des personnes âgées. Les personnes âgées ont besoin d'autres choses que des hôpitaux universitaires en ce moment. Pour faire face aux défis du XXIe siècle, il faudra se poser de sérieuses questions sur les orientations que l'on donne aux dépenses en termes de santé.

Le quatrième énoncé : espérance de vie en santé pour le futur, l'amélioration sera-t-elle nécessairement au rendez- vous? Je pense qu'ici aussi, on vous a entretenus sur l'espérance de vie à la naissance ou à 65 ans, tous les états de santé confondus. En général, l'espérance de vie croît, aussi bien l'espérance de vie à la naissance que l'espérance de vie à 65 ans. Cependant, au niveau de l'espérance de vie en santé, l'espérance de vie sans incapacité à 65 ans, c'est beaucoup moins clair. Beaucoup de gens font l'hypothèse que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes, qu'il ne peut y avoir qu'amélioration. Or, selon de récentes études européennes, il a été montré que pour plusieurs pays l'état de santé augmente de façon régulière, que l'espérance de vie sans incapacité, dans beaucoup de cas, demeure constante, et même, dans un bon nombre de cas, diminue. Ces études dénotent une détérioration de l'espérance de vie en santé dans un bon nombre de pays européens. C'est le cas pour les femmes en Allemagne, en Grèce, en Irlande, aux Pays-Bas et au Portugal. Pour les hommes, c'est le cas au Danemark et en Suède. Il s'agit de pays qui ne sont pas, en principe, en retard dans la lutte contre les problèmes de santé.

Je reconnais que l'état de santé est quelque chose de compliqué à mesurer : on est mort ou on ne l'est pas, c'est facile d'être en vie ou pas, mais être en santé, c'est un concept beaucoup plus compliqué. À ce sujet, il faudra investir beaucoup plus pour mieux saisir les situations.

Le cinquième énoncé : vivre plus longtemps ou mourir en santé, un choix de société. Je crois qu'ici, on a un gros problème. L'espérance de vie continue à croître, on veut qu'elle croisse, certains ne rêvent que d'une société où il y aura beaucoup de centenaires. À l'heure actuelle, les prévisions démontrent que les enfants naissants aujourd'hui vivront en moyenne 100 ans. « En moyenne », ce n'est pas loin de la médiane; « la médiane », cela veut dire que la moitié vivrait plus que 100 ans. Je vous assure, si l'on envisage sérieusement de vivre jusqu'à ces âges avancés dans un certain bien- être, il faudra absolument que les conditions sociales changent.

Je crois que les choix de société sont en cause ici. On pourrait très bien vivre avec les niveaux d'espérance de vie que nous avons à l'heure actuelle. Il y a très peu de morts prématurées dans nos sociétés. Il y en aura toujours, il y en a à la naissance, il y en a au cours du cycle de vie, mais il y en a de moins en moins. En tant que société, je crois que nous devrions prendre la décision de vivre en santé plutôt que de mourir beaucoup plus vieux.

Entre autres, par exemple, cela suppose qu'on élimine l'acharnement thérapeutique. Je crois que notre pays a de bons exemples à donner à ce niveau parce qu'il y a d'autres pays qui sont beaucoup plus en retard que nous dans ce domaine de l'acharnement thérapeutique et des soins palliatifs.

Le plus important est l'orientation de la recherche; tant que la majeure partie de la recherche sera faite sur les maladies mortelles plutôt que sur les maladies non mortelles et les maladies chroniques, nous aurons nécessairement une amélioration en termes d'espérance de vie, mais sans nécessairement avoir une qualité de vie assortie à ces années supplémentaires qui seront données à la population.

À l'énoncé numéro six , il est question des coûts futurs de la santé et de comment tenir compte de toutes les dimensions. Il y a beaucoup de glissements quand on parle des coûts de la santé. Je ne veux pas accuser mes collègues économistes qui s'y connaissent beaucoup plus que moi car je ne regarde que la dimension démographique de ces coûts de la santé.

D'une part, il faut être sûr que l'on fait bien la distinction entre le secteur public et le secteur privé pour comprendre ce qui se passe. D'autre part, il faut bien voir que les coûts de « curing » croissent relativement très peu avec l'âge, à l'opposé des coûts de « caring » qui eux augmentent énormément avec l'âge.

Or, très souvent, dans les évaluations des coûts de santé, on ne tient compte que des paramètres médicaux, hospitaliers et des médicaments, et on laisse de côté la dimension sociale qui coûtera de plus en plus cher. Et comme on veut laisser les gens hors des institutions — c'est un objectif de société, je crois, dans la mesure du possible — ces coûts sont donc malheureusement souvent ignorés, soit dans les statistiques ou dans les modèles. Tant que nous n'aurons pas une bonne information à savoir combien cela coûte en termes de « caring » et de « curing » à chaque âge, et c'est une information très difficile à trouver présentement, nous aurons des problèmes à bien évaluer les obstacles que l'on risque de rencontrer dans le futur.

Finalement, le financement des futures dépenses publiques en santé est l'objet de mon septième énoncé. C'est la caisse-santé au-delà du « pay as you go ». On touche là un élément important si on continue à donner une part aussi importante dans les dépenses publiques au domaine de la santé par rapport aux autres fonctions de l'État et, en particulier, par rapport aux fonctions liées à l'éducation. Je crois que nous faisons là une erreur monumentale parce que nous risquons de créer une iniquité intergénérationnelle. C'est à éviter au cours de ce siècle.

Il est évident que nous vivons présentement, dans notre pays en particulier, une déformation importante de la pyramide des âges, c'est-à-dire que les baby boomers qui étaient nombreux quand ils sont nés sont toujours quasiment aussi nombreux et surtout très nombreux par rapport aux plus jeunes et aux plus âgés.

Il faut tenir compte de cela lorsqu'on crée un système à plusieurs piliers. Je crois que dans le système des retraites on a très bien vu qu'il n'y avait pas que l'État qui devait s'en occuper; il peut y avoir diverses façons d'assurer aux retraités un revenu équitable au moment de la retraite. Mais je crois qu'il faut s'inspirer — je ne dis pas qu'il faut copier parce qu'il y a des nuances importantes — de ces piliers que l'on à mis dans le domaine de la retraite pour les appliquer dans le domaine de la santé.

Il est important de préciser que, après les baby boomers, les effectifs de personnes âgées par génération seront de moitié moins nombreux. Il ne faut donc pas mettre en place un système dans le béton pour faire face au vieillissement des baby boomers. Quand le dernier baby boomer sera mort, il y aura la moitié moins de personnes âgées dans ce pays. Il faut y faire bien attention parce que l'erreur a été faite dans le domaine de l'éducation. On ne devrait pas la répéter pour les services aux personnes âgées.

Il est évident que les ressources publiques ont des limites : si on veut être équitable il faut avoir un certain équilibre entre ce qui est donné à chaque génération. On peut faire cela par la comptabilité intergénérationnelle et s'assurer que notre système, tout en étant solidaire, sera équitable. L'éthique intergénérationnelle, c'est un bon dosage de solidarité et d'équité.

C'est un sujet bien difficile au Canada et je terminerai donc par cette boutade : je trouve inadmissible que dans un pays comme le nôtre, il soit plus facile de faire soigner sa chienne que de faire soigner sa mère. C'est inadmissible dans une société civilisée.

Marcel Mérette, professeur agrégé en science économique, Université d'Ottawa, à titre individuel : Madame la présidente, j'aimerais remercier les honorables sénateurs de m'avoir invité à participer à cette séance du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement. Je m'intéresse au vieillissement de la population depuis environ une dizaine d'années en tant que chercheur et économiste. C'est un sujet qui me passionne.

Ce que je fais, essentiellement, c'est traduire en équations mathématiques et ensuite en modèles de simulation ce que représentent nos économies et ce qui se passe lorsqu'il arrive des changements majeurs importants comme le vieillissement de la population.

Ce sont des modèles qui sont davantage agrégés par rapport au « life path », que vous connaissez un peu plus maintenant, mais qui prennent en considération les interdépendances entre les différents secteurs, l'économie et les différents agents économiques, les gouvernements, les ménages, ainsi de suite. Cela nous permet d'avoir une vue d'ensemble sur les impacts économiques.

J'ai récemment lu votre rapport préliminaire avec intérêt, et vous comprendrez que le vieillissement de la population a des effets multidimensionnels. Cela va toucher évidemment le marché du travail, la santé, les finances publiques et plusieurs secteurs de production qui vont probablement bénéficier du vieillissement de la population. On a qu'à penser au secteur des médicaments et de la production des pharmacies. Et d'autres secteurs risquent d'être touchés. Il y a aussi une dimension internationale sur laquelle je reviendrai tout à l'heure. Ces modèles de simulation nous permettent à tout le moins de capter en partie ces interrelations.

J'ai préparé un document pour cette présentation, mais je vais plutôt tenter d'établir des liens avec ce que le professeur Légaré a présenté parce que je trouve cela drôlement intéressant.

La première chose concerne son sixième énoncé : les coûts futurs de la santé et le « caring ». Je comprends bien que dans votre rapport préliminaire vous voulez mettre l'accent sur la délivrance des services aux aînés dans un contexte de vieillissement démographique. Toutefois, je trouve qu'il est important d'observer les changements démographiques à venir dans un contexte global et non pas en séparant les différentes catégories d'âge. Sinon, on pourrait créer un contexte qui risquerait de créer plus de frustrations qu'autre chose.

Et pourquoi il ne faut pas faire cela? C'est entre autres par rapport au « caring ». C'est tout à fait vrai que les individus qui atteindront l'âge de 80-85 ans et plus feront partie de la catégorie d'âge qui connaîtra la plus grande croissance dans les années qui viennent. Ces gens sont souvent en perte d'autonomie partielle ou totale et bénéficient de soins ou d'attentions qui sont parfois formels mais aussi souvent informels et qui viennent en fait des membres de leur famille ou de leurs amis et des travailleurs qui se retrouvent dans la catégorie d'âge de 45 à 64 ans.

Il me semble qu'il serait bien important, lorsqu'on parle du vieillissement de la population, de prendre en considération toutes les catégories d'âge et particulièrement ce que j'appellerais les travailleurs âgés.

Une des raisons pour lesquelles j'insiste là-dessus, c'est parce qu'évidemment on risque de demander à ces travailleurs âgés, ou à tout le moins on risque de souhaiter, qu'ils restent un peu plus longtemps sur le marché du travail, qu'ils prolongent leur carrière ou même qu'ils reportent à un peu plus tard leur décision de retraite.

Mais en même temps, il faut bien comprendre que ces gens seront fortement sollicités par des parents qui vont se retrouver dans la catégorie d'âge des 80-85 ans.

On risque de manquer le bateau, c'est-à-dire qu'on ne prendra pas en considération une source potentielle de gens que sont les aidants naturels. Il y aura des choix difficiles à faire quant à savoir si on arrête complètement de travailler ou si on continue à temps partiel pour prendre soin d'un père ou d'une mère. Il y a des liens qu'on ne peut pas éviter. Il faudrait s'assurer de ne pas oublier d'autres catégories d'âge.

Le vieillissement de la population est pour moi un phénomène futur majeur. C'est, avec l'environnement, l'enjeu principal du point de vue économique pour l'avenir du Canada. Cela touche toutes les catégories d'âge dans notre société, y compris les générations futures. Le professeur Légaré a mentionné une espèce d'équité intergénérationnelle que l'on se doit de garder à l'esprit, et je pense qu'il a raison.

Je suis d'accord avec l'énoncé sept. On s'attend à ce que le vieillissement démographique ait des effets légèrement négatifs d'un point de vue économique. Je suis d'accord avec votre rapport préliminaire. Ces effets seront probablement gérables. N'empêche que ce serait une très grave erreur de se concentrer, encore une fois, sur les aînés. Une façon de compenser le ralentissement économique attendu à cause du ralentissement de la croissance de la main- d'œuvre est d'augmenter la productivité. Je crois que le professeur Spencer en a parlé lors de sa comparution. L'augmentation de la productivité devrait venir essentiellement de l'investissement en éducation, ce qu'on appelle du capital humain. Encore une fois, si on veut parler de vieillissement démographique et de services aux aînés, il est important de s'assurer d'avoir la croissance économique nécessaire pour livrer les services demandés et une des façons de le faire serait probablement de continuer d'investir en éducation. Sinon on pourrait se trouver avec des sources de revenu qui ne seront pas disponibles pour offrir tous les services qu'on veut.

Il n'y a pas que des mauvaises nouvelles dans le système économique. Il y aura des occasions. On pourrait s'attendre, avec le vieillissement démographique, considérant la rareté de la main-d'œuvre, à une pression à la hausse sur les salaires. On doit s'attendre à ce que les entreprises se fassent concurrence entre elles de plus en plus pour garder la main-d'œuvre disponible. Dans ce sens, il risque d'avoir une augmentation plus rapide des salaires dans le futur que ce qui a été observé durant les 20 ou 30 dernières années. C'est une bonne nouvelle. Le message aux jeunes des futures générations est que le marché du travail risque d'être plus dynamique, davantage d'occasions de trouver de l'emploi et avoir accès à des promotions et cetera. Cela peut être aussi dangereux. Les changements démographiques sont lents, puissants. Ils vont venir tranquillement. Ce n'est pas une bombe qui va exploser du jour au lendemain. Ces occasions vont venir avec le temps et surtout à long terme.

Il est possible qu'avec un marché du travail plus dynamique on voit des jeunes se lancer sur le marché du travail sans avoir fait d'études postsecondaires parce que les entreprises offrent des salaires beaucoup plus généreux qu'actuellement. Si c'était le cas, si on revient à la notion de productivité, cela pourrait être une erreur, non seulement pour les individus, mais aussi pour la collectivité. Dans ce sens, le gouvernement devra s'assurer que l'information est bien distribuée et que les jeunes et les futures générations comprennent très bien que, pour leur propre intérêt individuel, il est important de poursuivre des études postsecondaires avec la mondialisation si ces jeunes veulent profiter pleinement des occasions générées par le vieillissement de la population.

Je suis en partie d'accord avec les rapports préliminaires concernant les impacts économiques en général. Le Canada par rapport à plusieurs autres pays est relativement bien placé pour faire face au défi du vieillissement, d'un point de vue économique. Il faut maintenant apporter des nuances à cela. On sait très bien que le vieillissement démographique n'est pas égal entre les régions du Canada. Il sera beaucoup plus accentué dans l'Est, dans l'Atlantique et au Québec par rapport au reste du pays. Par conséquent, il risque d'y avoir une augmentation importante des disparités de revenu entre les régions. Le modèle de simulation sur lesquels j'ai travaillé donne des augmentations de disparités de l'ordre de 25 p. 100 entre les provinces de l'Atlantique et de l'Ouest. Seuls les effets démographiques génèrent ces disparités dans ces modèles. Si on ajoute à cela les effets de la mondialisation, le secteur manufacturier qui a plus de difficulté à se développer au Canada, le prix des matières premières qui augmente, on observe un boom économique qui va vers l'ouest. Si vous ajoutez à cette tendance de l'économie d'être davantage tiré par des activités qui se passe à l'ouest du pays plus le facteur démographique à venir, on pourrait se retrouver dans une situation où la disparité entre les régions est presque insoutenable. Si sur le plan économique, le Canada peut avoir des performances relativement bonnes, il n'en reste pas moins que dans les régions on risque de se retrouver avec des problèmes assez sérieux.

Lorsqu'on parle d'immigration, on fait référence à l'échelle internationale. Le Canada n'est pas seul à vivre un phénomène de vieillissement de sa population. La plupart des pays industrialisés le vivent également. Par contre les pays en voie de développement vont vivre un dividende démographique. La catégorie d'âge des gens en âge de travailler va augmenter par rapport au reste de la population. C'est une occasion de réduire les inégalités entre les pays riches et pauvres si on est d'accord pour dire que le vieillissement aura un effet négatif sur les pays industrialisés.

Ce serait peut-être une bonne occasion pour le Canada de se demander, étant donné ses changements démographiques majeurs dans le monde, s'il n'y a pas une raison et un intérêt à vouloir diversifier ses partenaires commerciaux. Il y a plus de potentiel d'échange lorsque les pays sont différents. Il faut aussi se demander s'il n'y a pas là une occasion de s'interroger sur le commerce de biens et services, mais aussi sur la mobilité du capital et la mobilité de la main-d'œuvre sur le plan international. Avec le vieillissement de la population, on consomme davantage de services de santé et de médicaments. D'habitude, on n'échange pas ces biens non échangeables avec d'autres pays; ce sont des biens que l'on achète sur des marchés locaux.

Par conséquent, mettre l'emphase sur des négociations de libre échange avec d'autres pays ne devrait pas être la première priorité. Par contre, la mobilité du capital entre les pays riches et pauvres pourrait soulager en bonne partie les effets négatifs du vieillissement au Canada, en ce sens que le rendement de ce capital risque d'être plus intéressant dans les pays du Sud que les pays du Nord. Par conséquent, s'il est plus facile d'investir dans les pays du Sud, les deux pôles du globe pourraient en bénéficier.

Finalement, sur le plan de la mobilité de la main-d'œuvre, on fait référence à la migration qui risque d'être un enjeu majeur au Canada.

Comme le Canada n'est pas le seul pays où il se produit un vieillissement de la population, il faut s'attendre à ce que ce phénomène crée une certaine concurrence chez les immigrants. En ce sens, le Canada devrait peut-être s'interroger sur le genre de stratégie et de politique à développer en matière d'immigration. Je crois qu'il était important de souligner le volet international.

Revenons aux futurs aînés et aux travailleurs âgés. Il demeure plusieurs aspects importants à considérer. Ce groupe d'âge se situe entre 45 et 64 ans et il faudra s'en occuper. Selon les données, les personnes ont tendance à prendre leur retraite entre l'âge de 50 et 70 ans. On remarque deux tendances en particulier, soit une autour de 60 ans et l'autre autour 65 ans. Ces tendances ne sont pas le fruit du hasard. Les programmes de pension accordent une allocation au conjoint dans le cas d'une retraite anticipée à l'âge de 60 ans. L'accès aux prestations universelles présente aussi un autre intérêt pour les personnes âgées de 65 ans.

Il semble donc évident que les facteurs institutionnels, tels les programmes de pension, ou l'âge officiel de retraite selon les programmes de transfert de prestation, ont une influence sur la décision de prendre sa retraite. Par conséquent, dans votre rapport, lorsque vous vous interrogerez à savoir s'il y a lieu d'augmenter l'âge de la retraite, il faudra considérer le risque d'une influence importante sur la décision de prendre sa retraite.

D'autre part, si le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus risque d'augmenter de façon importante, cette catégorie de travailleurs s'en verra affecté. En examinant le nombre de travailleurs qui se trouvent à une dizaine d'année de la retraite, selon l'âge moyen, on remarque une augmentation faramineuse. Ce taux était à environ 10 p. 100 il y a une dizaine d'années. Aujourd'hui, il se situe à environ 22 p. 100 et même à 25 p. 100 dans certaines régions. Cela signifie que dans ces régions, près du quart des travailleurs se préparent à prendre leur retraite ou la prendront fort probablement d'ici une dizaine d'année. Il y aura donc beaucoup d'activité sur le marché du travail. On ne peut négliger cet aspect majeur, lorsqu'on s'intéresse au phénomène du vieillissement et des changements démographiques au Canada.

La rareté de la main-d'œuvre aura une incidence sur les salaires — et l'on commence déjà à observer ce phénomène. Par contre, les travailleurs de différentes catégories d'âges, parce qu'ils n'ont pas les mêmes attributs, ne sont pas de parfaits substituts. Un travailleur plus âgé a de l'expérience. Toutefois, il n'est peut-être pas au parfum des nouvelles technologies. Il possède certaines compétences qui diffèrent de celles d'un travailleur plus jeune. Ce travailleur plus jeune, pour sa part, connaît les nouvelles technologies, étant donné qu'il vient de graduer de l'université. Par contre, il manquera d'expérience.

Si aux yeux des employeurs ces travailleurs n'ont pas les mêmes qualifications, il se pourrait que l'augmentation des salaires, de façon générale, tel qu'observée sur le marché, ne s'appliquera pas aux travailleurs plus âgés. Ces travailleurs vont offrir un type de service et de qualifications très particuliers. Comme ils seront fort nombreux, il se pourrait que l'augmentation moyenne des salaires selon l'expérience soit moins importante que pour les autres catégories d'âge et autres types de travailleurs. Dans ce cas, le souhait de garder ces travailleurs sur le marché du travail pourrait être plus difficile à réaliser.

En conclusion, je serais d'accord à ce qu'un ministère ou un organisme se penche sur les changements démographiques et sur le vieillissement de la population en général. Toutefois, je ne suis pas en faveur d'un ministère des aînés. À mon avis, le vieillissement démographique touche tout le monde, y compris les générations futures. Je ne crois pas qu'on aiderait les choses en catégorisant les différents groupes d'âge.

Parmi les enjeux politiques essentiels, on retrouve les transferts fédéraux. Il s'agit des transferts canadiens aux programmes sur la santé et aux programmes sociaux en général. Ces transferts sont alloués en se basant sur un montant égal par habitant selon les régions. Dans un contexte de vieillissement démographique, il s'agit là d'un non- sens. Je comprends que l'on veuille être égal entre les provinces. Mais en examinant le programme de transfert sur la santé, par exemple, on remarque que dans certaines provinces ou régions le vieillissement démographique est beaucoup plus accentué que dans d'autres régions. Par conséquent, ne pas prendre en considération la composition de la population va entraîner des iniquités dans le transfert entre régions.

Il ne faut surtout pas négliger l'éducation dans un contexte de vieillissement démographique. Le fait qu'il y ait moins de jeunes est une occasion d'augmenter la qualité de l'éducation. Il faut donc en profiter.

Je terminerai en disant que, d'un point de vue fiscal et d'impôt, il apparaît tout naturel, dans un contexte de vieillissement démographique, de mettre l'accent sur la réduction des taxes sur les salaires ou des cotisations sur les revenus salariaux, plutôt que les taxes à la consommation. Si on veut que les gens soient intéressés à demeurer sur le marché du travail et si on veut prévenir les pénuries de main-d'œuvre dans différents secteurs et spécialisations, il faudra donner un coup de pouce pour encourager les gens à rester.

[Traduction]

La présidente : Il est intéressant que vous ayez tous les deux soulevé la question des disparités. Vous, professeur Mérette, avez parlé des disparités entre les régions et vous, professeur Légaré, nous avez presque entretenu des disparités entre les générations quand vous avez dit que cette question pourrait être la source de disparités intergénérationnelles si on met trop l'accent sur la santé et pas suffisamment sur l'éducation. En réalité, nous l'avons déjà constaté. Les sommes prévues dans les budgets des provinces pour l'éducation ont baissé considérablement, alors que le budget des soins de santé ne cesse de croître.

Professeur Mérette, vous avez soulevé une question qui me préoccupe personnellement, soit le concept du financement par habitant. Le financement par habitant existe depuis la Confédération. Quand j'étais étudiante à l'université, j'ai été témoin des disparités que cela provoquait. La Nouvelle-Écosse comptait un très grand nombre d'étudiants par habitant malgré sa faible population. Par conséquent, Terre-Neuve-et-Labrador recevait beaucoup plus d'argent que la Nouvelle-Écosse en fonction de cette formule de financement par habitant.

Je crois que c'est aussi ce qui se produira dans le cas des aînés. Si nous prévoyons des fonds pour les aînés en fonction du nombre d'habitants, la région de l'Atlantique, où la population est âgée, sera grandement désavantagée. Qu'en pensez-vous?

M. Mérette : Voilà précisément où je voulais en venir. J'abonde dans votre sens. Je crois qu'on a adopté la formule du financement par habitant parce que c'était plus facile du point de vue administratif. Si vous devez gérer ces programmes ou ces transferts en faisant des calculs, c'est plus facile ainsi qu'à l'aide d'une formule plus complexe.

De nos jours, toutefois, nous avons des chiffres et des informations suffisantes — nous avons les données provenant du dernier recensement, par exemple — pour calculer les transferts de façon plus intelligente. Vous avez tout à fait raison. Nous savons que les personnes âgées consomment davantage de services médicaux et hospitaliers et nous savons que les jeunes sont nombreux à vouloir fréquenter l'université.

Il me semble qu'il ne serait pas très difficile de modifier le système et cela serait certainement utile pour certaines provinces qui veulent éviter les inégalités. À l'heure actuelle, les inégalités ne sont pas si prononcées, sauf peut-être pour la Nouvelle-Écosse, mais à l'avenir, elles risquent de s'accentuer. Si nous ne tentons pas de résoudre le problème avec une nouvelle règle, qui ne serait pas difficile à mettre en œuvre à mon avis, le gouvernement fédéral devra continuer de négocier avec les provinces et, ce faisant, on perdra du temps et des efforts. Il ne serait pas difficile de changer la formule de calcul. Ce ne serait pas non plus révolutionnaire.

La présidente : Professeur Légaré, j'ai trouvé intéressante la distinction que vous avez faite entre la guérison et les soins. Je crois que les Canadiens sont très attachés à leur système de soins de santé universel pour la guérison des Canadiens. Ils semblent toutefois moins prêts à investir dans un régime universel de soins.

Les personnes âgées paient des montants considérables pour obtenir des services. Dans certaines provinces, les soins à domicile sont gratuits alors que dans d'autres, celui qui ne peut pas payer n'obtient pas ce genre de services.

Est-ce là un modèle acceptable? Est-ce qu'on devrait s'attendre à ce que les personnes âgées, qui ont souvent plus d'argent qu'ils n'en ont jamais eu auparavant, assument une plus grande partie de ce que coûtent les soins qu'ils obtiennent?

M. Légaré : Oui. J'ai dit qu'il fallait des piliers. Voilà un domaine où des piliers s'imposent. Le financement devrait provenir non pas uniquement du Trésor public, mais également des bénéficiaires des soins. C'est ce qui s'est produit avec le régime de pensions. Évidemment, l'État donne de l'argent à ceux qui en ont besoin, ceux qui n'ont aucune ressource. Cependant, celui qui a touché un bon salaire toute sa vie a pu mettre de l'argent de côté et économiser pour sa retraite.

Il faudrait avoir le même souci d'épargner pour le système de santé et pour les soins prodigués aux personnes âgées. Malheureusement, au Canada, on a des principes très stricts en matière de santé. Dès qu'on prononce le mot « privé », on se heurte à plein de problèmes. Dans le secteur des soins prodigués aux personnes âgées, on trouve du financement privé. Il est important, comme l'a dit M. Mérette, que ces soins soient assurés non seulement par des professionnels, mais également par la famille.

Mes collègues et moi avons fait des prévisions concernant les familles. À l'avenir, les familles seront plus petites et l'argent disponible moins important, si bien qu'il faudra miser davantage sur un système officiel. Cependant, si le système officiel existe, doit-il être entièrement public? Je ne le pense pas. Nous n'aimons pas ce genre de formule au Canada, en particulier en ce qui concerne les soins de santé. On parle moins des soins prodigués aux personnes âgées, et ce n'est pas juste. Les soins de santé et les soins prodigués aux personnes âgées sont aussi importants les uns que les autres en matière de santé. En particulier dans une société vieillissante, les soins aux personnes âgées devraient avoir priorité sur les soins de santé.

Le sénateur Keon : Je vous remercie tous le deux pour vos exposés très intéressants. Vous soulevez des questions véritablement passionnantes.

Pour enchaîner sur vos propos, monsieur Légaré, il me semble que le problème social qui s'aggrave actuellement de façon exponentielle est celui du coût des soins prodigués aux personnes âgées. Quelle que soit la façon d'aborder le problème, qu'il s'agisse de programmes de soins à domicile ou de logements adaptés dans des complexes d'accueil pour personnes âgées et ainsi de suite, il va y avoir un énorme problème.

Je suis convaincu depuis des années qu'en matière de santé, il faut conserver la formule du payeur unique dans le cas des services essentiels comme les services hospitaliers, les services médicaux, les services aux personnes âgées ou les services sociaux. Cependant, je trouve qu'il est totalement déraisonnable, comme vous l'avez dit, qu'on puisse faire soigner son chien du jour au lendemain, mais qu'on ne puisse pas faire soigner son père du jour au lendemain. Ce n'est pas normal, il faut aborder ce problème.

J'aimerais que vous approfondissiez le thème du payeur unique pour les services destinés aux personnes âgées, que vous donniez votre définition de ce qui est essentiel et qui doit être assumé par un payeur unique, et que vous précisiez ce qui doit être payé par le bénéficiaire des soins et par la famille.

M. Légaré : J'en reviens à ce qu'a dit mon collègue sur le programme universel, qui paraît équitable. Si on partage un gâteau en quatre parts égales pour quatre personnes, la plupart des gens pensent qu'on agit équitablement, mais ça n'est pas nécessairement vrai. Certaines personnes n'aiment pas le gâteau et n'ont donc pas besoin d'en recevoir un morceau. Le partage devrait être fait en fonction des goûts et de la faim de chacun.

Il en va de même pour la prise en charge des personnes âgées. Celles qui ont besoin de services et qui peuvent les payer devraient pouvoir les payer si elles en ont les moyens, en particulier si la famille n'est pas disponible. Mais même lorsque la famille est disponible, rien n'empêche qu'elle devrait probablement être payée pour les services fournis aux parents âgés. C'est aussi une question d'équité. Vous pouvez payer un pourvoyeur de services de l'extérieur, mais si c'est votre propre fille, et en particulier si elle doit renoncer à son travail pour aider sa mère, ce n'est pas juste. Même si cela paraît équitable, nous refusons de dépenser l'argent au sein de la famille. Nous voulons confier les personnes âgées au système formel. Nous refusons de remettre ces principes en question alors qu'il faudrait le faire, car dans notre pays, les questions de santé nous ramènent plus souvent au domaine médical, au domaine hospitalier et à l'industrie pharmaceutique.

Le sénateur Keon : Monsieur Mérette, vous abordez un aspect extrêmement intéressant que j'ai soumis à quelques témoins qui ont comparu devant le comité, à savoir le remplacement de notre population par des immigrants. Nous sommes actuellement en situation de crise, puisque 25 p. 100 de notre population prend sa retraite et quitte la population active.

J'ai demandé à des témoins précédents s'il y aurait lieu, à leur avis, d'envisager une recrudescence soigneusement planifiée d'immigrants pour compenser le départ des baby-boomers, auquel vous avez fait allusion. Autrement dit, on pourrait envisager une politique temporaire, qui n'ouvrirait pas toutes grandes les portes à l'immigration, mais qui les ouvrirait temporairement dans le cadre d'une politique planifiée de l'immigration, afin de remédier aux problèmes que posent actuellement le vieillissement de la population et le phénomène des baby-boomers. Voulez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Mérette : Oui, avec plaisir. J'ai fait un exercice de simulation sur les effets de l'immigration dans le contexte du vieillissement de la population, et j'en ai obtenu les résultats suivants : l'immigration représente actuellement environ 0,75 p. 100 de la population. Si on fait augmenter l'immigration de 33 p. 100 pour qu'elle représente 1 p. 100 de la croissance de la population, quels que soient les immigrants choisis, les conséquences de cette croissance sur l'économie ne seront pas considérables. Elles seront positives, mais minimes. Cependant, si nous sommes plus sélectifs — et c'est peut-être à cela que vous voulez en venir — c'est-à-dire, si nous choisissons des immigrants plus qualifiés, les conséquences de l'augmentation peuvent être plus importantes. En fait, l'augmentation pourrait atténuer l'effet négatif du vieillissement sur le PIB par habitant d'environ 40 p. 100. Autrement dit, lorsque l'on stimule l'effet du vieillissement sur le PIB par habitant, on obtient une réduction du PIB par habitant d'environ 10 p. 100 sur une période de 30 ans, mais si on augmente l'immigration de 30 p. 100 en choisissant des immigrants qualifiés, la réduction, au lieu d'être de 10 p. 100, ne sera que de 6 p. 100. C'est donc un effet considérable.

Je sais que l'immigration cause de nombreux problèmes, notamment l'intégration, la sélection, etc. L'un des aspects positifs que l'on constate déjà, c'est la diminution du taux de chômage. Il sera plus facile aux nouveaux immigrants de s'intégrer à la société canadienne car il sera sans doute plus facile pour eux de trouver un emploi.

Il y a le problème des titres de compétence. Si je pouvais proposer une politique, je dirais que nous avons actuellement de nombreux étudiants étrangers dans les universités au Canada. Ce sont des étrangers qui peuvent être hautement qualifiés. Ils vont obtenir un diplôme d'une université canadienne. Je ne comprends pas pourquoi nous ne les sollicitons pas plus directement. Une fois qu'ils obtiennent leur diplôme d'une université canadienne, il faudrait leur offrir la résidence permanente au Canada. Ils sont déjà ici et représentent un potentiel intéressant.

M. Légaré : Quant à moi, je vais présenter le revers de la médaille; je vais considérer les immigrants non qualifiés. Nous devons faire preuve d'une grande prudence à leur égard. En Europe, les immigrants de cette catégorie étaient nombreux parmi les travailleurs des foyers d'accueil, ce qui a créé de nombreux problèmes. Tout d'abord, ils sont ici parce qu'ils offrent une main-d'œuvre à bon marché et nous n'avons pas beaucoup de considération pour les employés qui s'occupent des personnes âgées, si bien que nous confions les emplois de ce type à des étrangers, comme on le fait en Europe. Le plus souvent, ils n'ont pas les mêmes valeurs que nous en ce qui concerne la vie, la mort et la douleur, ce qui peut créer des problèmes.

Quelle est la solution? Il faudrait que notre système d'éducation forme ces travailleurs à la prise en charge des personnes âgées, et les emplois dans ce secteur devraient être mieux considérés. On ne pourra pas résoudre le problème tant qu'on continuera à miser sur de la main-d'œuvre à bon marché ou sur le bénévolat, car de nombreux Canadiens vont avoir besoin de services particuliers pendant leur vieillesse.

La présidente : Si vous me permettez d'intervenir, ce n'est pas uniquement pendant la vieillesse qu'ils ont besoin d'aide. J'ai toujours trouvé étonnant le fait qu'une enseignante en maternelle commence à 35 000 $ par an, alors que la travailleuse en garderie qui s'occupe d'enfants âgés d'un an de moins seulement ne gagne que 18 000 $ par an. On peut faire un parallèle entre les deux, car ce sont des pourvoyeurs de services, qui ne sont pas aussi appréciés que des enseignants.

Je vais maintenant donner la parole au sénateur Cordy, qui est une éducatrice.

Le sénateur Cordy : J'étais aussi enseignante au primaire.

Votre exposé était tout à fait fascinant, monsieur Légaré. J'ai bien aimé votre observation au sujet de la vieillesse : qu'il n'y a pas de seuil de la vieillesse, car le vieillissement est un processus. Nous devrions nous en rappeler.

Ma question s'adresse à M. Mérette. Vous avez évoqué la création d'un ministère ou d'un organisme qui serait chargé d'étudier les changements démographiques. J'imagine que ce serait au gouvernement fédéral ou à l'échelle nationale. Plusieurs témoins nous ont dit qu'il devrait y avoir un ministère des Personnes âgées. Vous avez indiqué à quel point il peut être déroutant pour les personnes âgées d'essayer de s'y retrouver, lorsqu'elles ont besoin de renseignements ou d'aide, dans la foule d'organisations municipales, provinciales et fédérales et, à l'intérieur de chaque ordre de gouvernement, de trouver le ministre responsable du logement, de la santé ou de l'éducation, et cetera.

Votre idée me plaît parce qu'elle est sensée et qu'elle va dans le sens des propos de M. Légaré selon lesquels la vieillesse n'est pas une réalité qui apparaît à un moment précis mais plutôt un processus. Pourriez-vous développer votre idée et nous expliquer comment cet organisme pourrait fonctionner sans compliquer encore davantage les choses?

M. Mérette : Je crois comprendre que si on veut créer un ministère des Personnes âgées, c'est pour pouvoir offrir des services plus rapides et efficaces à ceux qui en ont besoin et pour faciliter la recherche d'information. Personnellement, je ne suis pas favorable à cette idée parce que le vieillissement et les changements démographiques comportent beaucoup d'aspects qui ne touchent pas seulement les personnes âgées, mais aussi d'autres parties de la population, dont les générations futures. Il ne faut pas considérer le vieillissement comme un phénomène qui ne concerne que les personnes âgées. Le vieillissement touche toutes les générations, y compris les générations futures. Si nous adoptons une perspective trop restreinte, nous risquons de faire beaucoup d'erreurs.

Permettez-moi d'illustrer mon propos. Nous pourrions nous préoccuper trop de l'aspect politique ou économique du vieillissement. Au fur et à mesure que la population vieillira, le nombre d'électeurs âgés augmentera également. Or, compte tenu de notre régime politique et démocratique, un gouvernement ou un parti politique pourrait être tenté d'accorder un traitement préférentiel à cette catégorie de la population. C'est un des résultats qui pourraient découler de la mise sur pied d'un ministère des Personnes âgées. On s'attardera à une seule catégorie de personnes, sachant qu'il y a un grand nombre d'électeurs dans cette catégorie. Ainsi, on pourrait négliger l'éducation, par exemple, alors que c'est très important. Pour pouvoir composer avec le vieillissement de la population, nous devons miser plus que jamais sur l'éducation. Dans un contexte de mondialisation, les travailleurs canadiens auront du mal à rivaliser avec ceux des pays émergents s'ils ne sont pas qualifiés. L'éducation est l'une des solutions au vieillissement de la population.

Une autre solution au problème causé par ce phénomène est l'immigration. Il n'y a pas de solution unique qui nous permettra de composer avec le vieillissement de la population; nous devons avoir toute une palette d'options. Nous ne pouvons pas augmenter à l'infini le nombre d'immigrants, car il est limité. Nous devrons investir dans l'éducation. Il y a beaucoup d'autres choses que nous pouvons faire, mais ce serait une erreur de ne s'attarder qu'aux personnes âgées. Bien sûr, il convient de veiller à ce qu'elles aient accès rapidement aux programmes et aux renseignements dont elles ont besoin. Je ne suis pas contre l'idée de créer à l'intérieur d'un ministère une section qui serait chargée d'offrir de tels services, mais j'estime que le vieillissement est aussi important que l'environnement et puisqu'on a un ministère ou un ministre de l'Environnement, je ne suis pas contre la mise sur pied d'un ministère du Vieillissement ou du Changement démographique.

Le profil démographique de notre population va connaître un changement colossal et cela comporte des défis. Je ne pense pas que ce phénomène soit catastrophique, mais nous devons l'étudier très attentivement et mieux coordonner nos différentes interventions. Cela tombe sous le sens. Par ailleurs, la transition sera longue et s'étendra de maintenant jusqu'en 2050. Si on met sur pied un tel organisme, ce ne sera pas par opportunisme puisque nous devrons composer avec le phénomène du vieillissement de la population aussi bien dans 10 ou 20 ans que dès maintenant.

M. Légaré : J'appuie entièrement l'initiative de mon collègue, à savoir un ministère du Changement démographique. Rappelons-nous que le thème de la conférence de Madrid était une « société pour tous les âges ». Pas seulement pour les aînés. C'est une chose à retenir.

Autre chose : dans bien des pays, en Europe en particulier, il y a un ministre responsable de la jeunesse, des aînés et des femmes. L'ennui est que dans la plupart des cas, il s'agit de ministères distincts sous la houlette d'un seul ministère. Avec une bonne intégration, les échanges se font facilement, mais s'il y a des cloisons, des difficultés surgissent. Au Canada, par exemple, nous avions un ministère de la Santé et du Bien-être. Le jour où on a isolé le ministère de la Santé et confié le bien-être à un autre portefeuille, les échanges possibles dans le vaste domaine de la santé ont disparu car le ministère de la Santé se consacrait uniquement aux sciences biologiques et médicales alors que le côté social était amalgamé avec bien d'autres sujets qui ne sont pas nécessairement reliés à la dimension sociale de la santé. Le gouvernement fédéral a commis une erreur en séparant la santé du bien-être. Au Québec, même si ce n'est pas nécessairement avec bonheur, nous avons maintenu la santé et les services sociaux ensemble. Voilà le genre d'approche qu'il faut pour les aînés. Les aînés, la jeunesse et tous les âges devraient relever d'un même ministère. Alors les liens qui devraient exister entre les dépenses publiques en matière de santé et d'éducation existeraient au sein d'un même ministère et pas entre ministres.

Le sénateur Cordy : Il faudrait se garder de créer des cloisonnements au sein du ministère, ce qui se produit souvent.

Au Canada, c'est l'âge qui ouvre droit aux programmes à l'intention des aînés, notamment le Régime de pensions du Canada, 60 ans, et la Sécurité de la vieillesse, 65 ans. Bien des gens nous ont dit que nous devrions abandonner cette condition d'admissibilité. Je pense être d'accord avec ce raisonnement que je comprends. Ma seule crainte est qu'une telle mesure pourrait être punitive à l'endroit de ceux qui ne veulent pas continuer de travailler après l'âge de 60 ou de 65 ans.

Vous avez parlé aujourd'hui de ceux qui souhaitent rester actifs après 60 ou 65 ans et d'autres l'ont fait aussi. Toutefois, ils se référaient à des gens qui ont fait des études ou qui sont dans les affaires. Mon mari a pris sa retraite mais il continue de travailler à contrat pour la même compagnie.

Mais prenez l'exemple des travailleurs non spécialisés dont le travail exige des efforts physiques. Je suis du Cap- Breton, et j'ai grandi avec un grand nombre de mineurs et de travailleurs de l'acier qui étaient vraiment impatients d'atteindre l'âge de 65 ans. Nombre d'entre eux travaillaient depuis 40 ou 50 ans. Ils avaient commencé à 16 ou 17 ans. Selon vous devrait-on modifier l'admissibilité fondée sur l'âge et, le cas échéant, comment assortir le programme de la souplesse nécessaire pour ne pas léser ceux qui, pour des raisons physiques, souhaitent quitter la population active.

M. Légaré : Je pense qu'on vous a dit que dans certains pays l'âge de la retraite était lié à l'espérance de vie et, à mon avis, l'idée est bonne, mais il ne faut pas que ce soit universel. Le travailleur dont vous avez donné l'exemple n'a pas la même espérance de vie qu'un professeur d'université. Il faut donc pouvoir faire des rajustements dans ce cas-là. Cela signifie que l'âge de l'admissibilité devrait être lié, à mon avis, à l'espérance de vie suivant la profession exercée, la condition socioéconomique, etc. La gestion serait plus difficile mais ce serait plus équitable. Toutefois, j'irais encore plus loin. L'âge de la retraite sans pénalité devrait être fixé en fonction de l'espérance de vie en bonne santé. Selon moi, c'est la seule façon d'être équitable. Si un professeur d'université peut s'attendre à dix ans de bonne santé une fois qu'il a pris sa retraite, le mineur, lui aussi devrait avoir droit aux mêmes dix années, et cela pourrait signifier qu'il devrait prendre sa retraite à 45 ans. Ainsi, tout citoyen pourrait s'attendre à dix années de retraite en bonne santé. Ce sont là de nouvelles idées. De telles mesures ne peuvent pas être universelles mais doivent être adaptables. La plupart du temps, nous préférons la rigidité mais elle n'est pas de mise en l'occurrence. Si nous pouvons envoyer un homme sur la lune, nous pouvons certainement régler ce genre de problème.

M. Mérette : L'idée me plaît. Ma seule inquiétude, ce pourrait être difficile à gérer. Adapter un programme suivant les professions, c'est bien beau, mais nous savons que les gens changent parfois de profession au cours de leur vie. Je ne suis pas sûr qu'il soit judicieux de déterminer l'admissibilité suivant la profession. Il y a peut-être d'autres façons de s'y prendre.

Si nous choisissons de modifier l'admissibilité actuellement fondée sur l'âge, nous devrions procéder de façon graduelle et donner un long préavis. Par exemple, si le changement doit se produire dans quelques années, nous devrions l'annoncer dès maintenant pour que les gens puissent s'y préparer.

Vous avez raison de donner l'exemple des mineurs qui pourrait également s'appliquer aux enseignants des écoles secondaires qui eux aussi pourraient ne pas pouvoir atteindre le nouvel âge d'admissibilité. Leur cas devrait être pris en charge non pas par les programmes de pension mais par le programme d'assurance-emploi. Actuellement, nous n'en tenons pas compte, mais nous convenons que pour ceux qui exercent certaines professions, il est plus difficile que pour d'autres de jouir de dix années de santé à la retraite. Cela toutefois ne devrait pas être réglé par le régime de pension. Le régime de pension doit donner un reflet adéquat de ce à quoi nous devons nous attendre. En effet, à ceux qui souhaitent planifier leurs années de retraite, on doit annoncer ce à quoi ils peuvent s'attendre comme prestations de pension et prévoir leurs épargnes et le reste en conséquence. Voilà pourquoi on devrait envisager ce que l'assurance-emploi pourrait apporter, surtout quand on sait que le taux de chômage est appelé à baisser dans les années à venir en raison du vieillissement de la main-d'œuvre. Il me semble que les excédents sont suffisants actuellement pour pouvoir répondre aux besoins de ces gens.

Le sénateur Cordy : Il sera peut-être délicat pour un gouvernement de décréter que quelqu'un pourra recevoir sa pension à 50 ans parce qu'on ne s'attend pas à ce qu'il vive au-delà de 60. Cela pourra peut-être représenter un défi pour le politique, mais il est intéressant d'envisager divers scénarios.

[Français]

Le sénateur Chaput : C'est fascinant de vous écouter tous les deux. M. Mérette mentionne qu'il faut tenter de ne pas séparer les catégories d'âge et M. Légaré définit la vieillesse comme étant plutôt une perte d'indépendance ou un besoin de dépendance de l'être humain versus l'âge démographique.

Si on poursuivait avec le même concept selon lequel on abandonne le mot «âgés» et on se donne une définition basée sur la dépendance ou la perte d'indépendance, lorsqu'on parlerait des travailleurs âgés, on pourrait plutôt parler de la diminution de la productivité de ces travailleurs.

Puisqu'il s'agit d'une nouvelle façon de voir les choses et qu'il faut penser en fonction de politiques et de programmes, quel serait d'après vous l'élément le plus important à considérer et avec lequel il faudrait commencer? Quelle serait la base de cette nouvelle philosophie, si je peux l'appeler ainsi? Vous commenceriez avec quoi, si vous aviez une baguette magique, monsieur Légaré?

M. Légaré : Je commencerais avec la prévention. La prévention est la clé du succès d'une bonne santé dans la vieillesse. Avoir eu un bon mode de vie tout au long de sa vie — adolescent, adulte, retraité — risque de réduire au minimum la période de vieillesse. L'objectif de ce système est que le troisième âge soit le plus long possible et le quatrième le plus court possible. Indépendamment des coûts. Il est question de qualité de vie et la qualité de vie des gens qui sont dans le quatrième âge est souvent très basse. Certains vous diront que même s'ils ont des incapacités, ils peuvent avoir une certaine qualité de vie et j'en suis convaincu. Mais en général, je crois que les personnes sont souvent très diminuées et à ce moment-là, elles n'ont plus le type de qualité de vie qu'un être humain s'attend à avoir, même à un âge avancé.

Donc c'est la prévention. L'exemple dont on parle de plus en plus sur notre continent, c'est la question de l'obésité. On nous dit que les personnes âgées de demain seront peut-être beaucoup moins en santé que celles d'aujourd'hui — « beaucoup moins » étant à nuancer — parce que beaucoup auront eu des habitudes de vie qui les auront menées dans une situation d'obésité. On sait que les personnes obèses ont des problèmes de santé à tout âge, mais particulièrement dans le grand âge. Il s'agit d'un exemple de prévention pour changer les cultures autour de la santé.

Quand on parle de santé, des budgets de santé, on pense toujours au médecin, à l'hôpital, et cetera, mais je crois qu'il faut changer ces mentalités pour arriver dans le nouveau système, comme vous dites, par rapport à la prévention et essayer de vivre en bonne santé toute sa vie. Il y a toute la question de l'alimentation, reliée à l'obésité, me direz-vous, mais tant que dans les écoles, l'alimentation est d'un certain niveau que je ne qualifierai pas, c'est sûr qu'on va vers une certaine obésité et que cela risque de mener vers un état de qualité de vie dans le vieil âge qui risque de ne pas être celui que l'on souhaiterait.

M. Mérette : J'aimerais qu'il arrive une chose avec le vieillissement des populations et qui m'apparaît important, c'est ce que j'appellerais le transfert intergénérationnel, donc les liens entre les générations. Comme je l'ai mentionné plus tôt, il y a énormément de gens qui prendront leur retraite dans les années qui viennent et il me semble que ce serait mutuellement bénéfique, tant pour les jeunes que pour les retraités, qu'il y ait un moyen pour que ces gens gardent un lien, un transfert de connaissances ou d'expérience.

Il va d'abord y avoir un besoin. Mais comment il va se produire? Je n'en suis pas sûr. Il me semble que ce serait bénéfique pour les jeunes générations de garder ces gens, qui décident de faire la transition vers la retraite, intéressés et actifs.

M. Légaré : Ce n'est pas une tâche insurmontable. Le succès de notre pays dans la lutte contre le tabagisme, par exemple, montre que quand on veut, on peut. C'est un bon pas pour améliorer la santé des personnes âgées d'avoir des personnes qui arrivent à la retraite et dans le vieil âge sans avoir fumé toute leur vie beaucoup de cigarettes. Là, il y a une qualité de vie qui est ajoutée. Éventuellement, on pourrait faire la même chose pour l'obésité qui semble maintenant le nouveau défi.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup à tous deux d'être venus témoigner et d'avoir répondu à nos questions. Vous avez contribué à notre apprentissage continu.

Cela met un terme à la première partie de notre séance. Nous devons maintenant nous pencher sur le budget.

Le budget s'élève à 96 050 $. Les services de recherche concernent essentiellement Michelle MacDonald. Toutefois, nous allons embaucher un étudiant également. Quant au reste, ce sont les postes habituels.

Les plus grosses dépenses découleront de la participation à des conférences. En effet, je voudrais que vous songiez sérieusement à la possibilité d'aller en Suisse au mois de septembre pour assister à une importante conférence internationale sur le vieillissement. J'y suis déjà allée et je ne souhaite pas y retourner. Toutefois, je pense que d'autres sénateurs seraient intéressés.

Au lieu d'envoyer tout le comité, je pense qu'il faudrait que chaque membre décide pour lui-même ou elle-même. Dès que nous aurons le programme de la conférence, nous vous le transmettrons. À ce moment-là, vous pourrez prendre une décision. Voilà pourquoi le budget est si élevé, c'est à cause des conférences nationales et internationales.

Je demande donc qu'un sénateur propose que le comité adopte le budget suivant, aux fins de son étude spéciale sur le vieillissement, et que la présidente le soumette à l'approbation du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration :

Services professionnels et autres 47 750 $
Transports et communications  45 800
Autres dépenses 2 500
Total 96 050 $

 Le sénateur Keon : Je propose l'adoption du budget.

La présidente : Le budget est proposé par le sénateur Keon. Merci. Des objections? Il est adopté.

Nous avons une autre question d'intendance à régler. Nous avons été invités à observer le travail qui se fait au Centre de santé Élizabeth-Bruyère en matière de vieillissement. Je sais que nous avons tous d'autres responsabilités, et c'est pour cela que je fais cette proposition. Je vais y aller avec au moins un de nos attachés de recherche pour me renseigner sur le travail qui s'y fait et je vous en ferai rapport. Je vais vous signaler la date et l'endroit qu'il nous fixera. Si vous voulez vous joindre à nous, soit, mais je ne veux pas que vous vous sentiez obligés de venir. Vous ne manquerez pas à vos responsabilités envers le comité si vous ne venez pas car je sais que certains ne pourront pas se libérer.

Le sénateur Keon : Je vais certainement vous accompagner, si je le peux. Je connais bien l'endroit.

La présidente : Nous allons vous donner les renseignements pertinents dès que possible.

Les témoins suivants sont prêts. Nous accueillons cet après-midi, par voie de vidéoconférence, la professeure Neena L. Chappell, de l'Université de Victoria. Elle occupe la chaire de recherche du Canada en gérontologie sociale. Elle est professeure de sociologie au Centre de vieillissement de l'Université de Victoria. Elle a été codirectrice fondatrice du Centre de vieillissement de l'Université du Manitoba et, jusqu'à 2002, la première directrice du Centre de vieillissement de l'Université de Victoria. Elle s'est occupée de trois aspects pendant 25 ans : la qualité de vie des aînés, le système de prise en charge et le régime de soins de santé avec les politiques qui s'y rattachent.

Nous allons également entendre le témoignage de la professeure Gloria Gutman, professeure de gérontologie à l'Université Simon Fraser et directrice du Dr. Tong Louie Living Laboratory. Elle a participé à nombre de groupes de travail fédéraux-provinciaux portant sur les besoins des personnes âgées et elle est l'ex-présidente de l'Association canadienne de gérontologie de même que de l'Association internationale de gérontologie. Elle est directrice de l'Institut international sur le vieillissement des Nations Unies et membre du Groupe consultatif d'experts sur le vieillissement et la santé de l'Organisation mondiale de la santé.

Bienvenue au Sénat du Canada. Nous sommes impatients de vous entendre partager avec nous votre expérience dans le domaine.

Neena L. Chappell, chaire de recherche du Canada en gérontologie sociale et professeure de sociologie, Centre du vieillissement, Université de Victoria, à titre personnel : Merci beaucoup de votre invitation. Je suis désolée de ne pas pouvoir vous rencontrer en personne mais il se trouve que c'est le congé d'hiver dans les écoles et qu'il n'y avait plus de place dans les avions.

J'ai lu avec vif intérêt votre premier rapport intérimaire. La perspective qu'il présente m'a impressionnée. Je suis tout à fait favorable à votre approche du parcours de vie, d'un vieillissement en santé, à votre approche d'un vieillissement actif.

Je constate que vous reconnaissez qu'il ne faut pas oublier ceux qui sont dans le besoin. Je voudrais souligner cela. Il faut toujours maintenir l'équilibre et j'appuie l'approche que vous adoptez. Toutefois, ce faisant, nous risquons d'oublier la minorité de ceux qui ont vraiment besoin de notre aide.

Je voudrais parler essentiellement de deux aspects : tout d'abord les soignants naturels et les soins non institutionnalisés dans une société vieillissante et ensuite, si j'en ai le temps, je vais aborder la question de la diversité, plus particulièrement, la situation des aînés appartenant à une minorité ethnique. En ce qui concerne les soins professionnels, je dois dire que le régime de soins de santé canadien n'est pas adapté à une société vieillissante.

Comme dans la plupart des pays industrialisés, c'est l'assurance-maladie qui est le fondement de notre régime de soins de santé. Cette assurance couvre les consultations des médecins et les soins de courte durée prodigués à l'hôpital. Toutefois, les besoins d'une société vieillissante sont essentiellement déterminés par des états chroniques et ils requièrent des soins à long terme dans la collectivité, c'est-à-dire des soins à domicile. Cela nous concerne tous au fur et à mesure que nous vieillissons, et cela concerne les plus jeunes qui sont atteints de maladies ou de déficiences mais cela fait aussi intervenir les membres d'une famille qui sont en première ligne pour prodiguer des soins en cas de maladie ou d'invalidité.

Je vous ai fait parvenir un mémoire mais on m'a dit qu'il était trop long si bien que j'ai demandé qu'on en prépare un résumé, et vous y trouverez le titre des rapports publiés sur l'optimisation des ressources s'agissant des soins à long terme dans la collectivité permettant que les malades et les personnes handicapées demeurent chez eux, ce qui est de loin la place de prédilection que veulent ces gens.

Je vous ferais remarquer que les soins communautaires à long terme ne sont pas couverts par l'assurance-maladie et ainsi, le rapport Romanow n'en a pas soufflé mot. Je félicite les auteurs du rapport Romanow cependant qui ont consacré un chapitre entier à l'accord de libre-échange pour faire remarquer aux Canadiens que les soins de santé prodigués ici échappent à ce genre d'accord. J'y vois une difficulté : on peut interpréter cela comme n'intéressant que l'assurance-maladie. Les services sociaux fournis par la collectivité risquent de plus en plus d'être fournis par des sociétés à but lucratif et, par conséquent, ils représentent un niveau différent de soins de santé prodigués au sein de notre société.

La question qui je pense sous-tend tout cela est la suivante : à qui revient la responsabilité d'assumer le coût des services sociaux nécessaires pour des raisons médicales? Étant donné ce qui se passe en matière de réforme de la santé, je dirais que, par défaut, cette responsabilité incombe aux patients, et je vous demanderais de considérer cela de près.

Je voudrais faire remarquer que dans les pays asiatiques et d'autres pays en développement, on se détourne essentiellement du type d'assurance-maladie que nous et d'autres pays industrialisés pratiquons, car il est trop coûteux. Des pays comme le Japon adhèrent de façon officielle, universelle et exemplaire à un régime de soins communautaires à long terme parce qu'il le considère comme le régime de soins de santé approprié à une société vieillissante.

S'agissant de soins communautaires, il ne faut pas s'en tenir seulement aux besoins des malades et des personnes handicapées mais aussi aux besoins de la famille et des soignants afin de leur venir en aide.

Je change de sujet. Je voudrais rapidement parler de la diversité et de ceux qui dans la société canadienne appartiennent à des minorités ethniques. D'autres rapports intérimaires traitent abondamment des Autochtones et vous semblez être bien sensibilisés à ce groupe de sorte que je vais parler des autres groupes ethniques.

Il est évident qu'il y a une grande hétérogénéité entre les divers groupes ethniques minoritaires. Ils ne sont pas tous pareils. Toutefois, ils semblent partager une condition socioéconomique inférieure, suivant des caractéristiques mesurées objectivement. Cela est vrai dans tous les pays industrialisés, non seulement au Canada. Je viens de terminer l'examen des rapports sur le sujet à l'échelle mondiale, et il en ressort une conclusion très nette : Malgré leur désavantage socioéconomique, la qualité de vie et l'intégration sociale de ces groupes semblent égales, voire supérieures, à celles des groupes majoritaires au Canada, aux Caucasiens.

La question des minorités ethniques est complexe. Nous aurions tort de supposer, comme les gouvernements l'ont fait par le passé, que les membres de la famille vont prodiguer les soins dont ces minorités ont besoin et qu'ils ne souhaitent pas avoir accès à nos services. En fait, il se tiendra à Vancouver un symposium dans deux ou trois semaines pour étudier l'accès aux soins professionnels pour les aînés des minorités ethniques. Je tiens à dire qu'il nous faut prendre en compte le caractère unique de leur culture. Il faut, dans les politiques éventuelles retenues, se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain.

Je voudrais aborder brièvement le rôle des aînés dans la société. Je parle ici des adultes âgés, puisque vous vous demandez s'il serait opportun de redéfinir l'âge de la retraite obligatoire. Je suis sûre que vous savez qu'il ne reste que trois provinces au Canada où la retraite est obligatoire. Cela va probablement changer sous peu en Colombie- Britannique. On s'attend à ce qu'on légifère ce printemps.

Cela m'amène à me poser certaines questions. Plus tôt, vous vous demandiez quel serait le sort de ceux qui n'ont pas les moyens de prendre leur retraite dans le cas où il n'y aurait pas d'âge fixe pour la retraite. C'est une question de taille et je ne peux pas y répondre. Comment pouvons-nous concevoir des politiques pour éviter que ceux qui ne sont pas bien instruits ou qui ne sont pas des professionnels aient à travailler jusqu'à leur tombe parce qu'il n'y a pas d'autres solutions pour eux?

Que nous maintenions la retraite obligatoire, que nous relevions l'âge de cette retraite, quoi que nous fassions, restera toujours la question du rôle des aînés dans notre société. Nous connaissons tous un chiffre : nous savons que nous avons augmenté l'espérance de vie et que nous avons ajouté des années libres de maladie ou d'invalidité à la vie des gens et c'est tout à fait louable. Toutefois, la société dans son ensemble n'offre pas de choix quant à ce que nous sommes censés faire une fois à la retraite pour maintenir la dignité des personnes âgées, leur offrir un objectif et une raison d'être pour qu'ils aient l'impression de continuer de contribuer à la société.

Nous voulons leur donner choix et autonomie. Si nous nous contentons de supprimer la retraite obligatoire, ou si nous repoussons le moment de cette retraite de sorte que tout le monde travaillera jusqu'à 70 ou 75 ans, nous affirmons par là que nous avons tous un regard semblable sur le parcours de vie et que nous ne faisons que prolonger les années d'activités si bien que nous travaillerons tous plus longtemps.

C'est là une option valable à offrir aux gens. Cependant, j'aimerais m'assurer qu'il y a d'autres options également pour les gens qui veulent faire autre chose qu'un travail rémunéré. D'autres options devraient leur être offertes pour qu'ils aient toujours l'impression de contribuer, car c'est lorsqu'on a l'impression d'avoir une certaine valeur comme membre de la société que nous gardons notre estime de soi.

La présidente : Merci beaucoup. Je m'assurerai que le rapport complet est distribué à tous les sénateurs.

Gloria Gutman, professeure de gérontologie, Université Simon Fraser, et directrice du Dr. Tong Louie Living Laboratory, à titre personnel : Comme Mme Chappell, j'aimerais moi aussi vous féliciter de votre premier rapport. Je l'ai lu et vous y abordez bon nombre des questions clés.

Vous avez déjà été saisis d'un certain nombre de faits importants, alors j'aimerais aborder certaines des questions qui se trouvent dans le document qu'on m'a envoyé au sujet de la deuxième phase, en commençant par la définition des aînés. J'aimerais vous donner mon point de vue en tant que citoyenne du Canada et aussi dans la cadre de mon travail au sein de l'Organisation mondiale de la santé et de l'Association internationale de gérontologie.

Pour pouvoir comparer nos politiques et nos programmes et nos aînés à d'autres, il est tout à fait logique de continuer d'utiliser l'âge de 65 ans comme marqueur. L'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, utilise l'âge de 60 ans pour les pays en voie de développement en particulier, en supposant que leur population a vieilli plus lentement par le passé. Il y a peu de pays en voie de développement qui ont un pourcentage élevé d'aînés, mais cela est en train de changer. J'imagine que sous peu l'OMS utilisera également l'âge de 65 ans comme marqueur.

Il y a quelques éléments clés qu'il ne faut pas oublier au sujet de l'âge de 65 ans. L'Association des professeurs de l'Université de la Colombie-Britannique, qui lutte contre la retraite obligatoire, a dit qu'il faut se rappeler que c'est un âge, non pas une date d'expiration. Trop de gens semblent considérer l'âge de 65 ans comme une date d'expiration à laquelle les capacités, les facultés mentales et physiques et les perceptions d'une personne changent de façon draconienne. Pour bon nombre d'entre nous, ce n'est simplement pas le cas. Ce qui a causé beaucoup de problèmes, c'est que l'on suppose que l'âge d'admissibilité aux prestations et l'âge de la retraite obligatoire doivent être le même et qu'il y a un lien entre les deux.

En ce qui concerne les politiques et les programmes, je vous encourage vivement à regarder ce qui se fait au Québec, où l'on a éliminé la retraite obligatoire il y a quelque temps. Je vous encourage à regarder ce qui se fait aux États-Unis et en Australie. Bon nombre de pays ont éliminé la retraite obligatoire et ils ne se sont pas écroulés. Il n'y a pas eu d'énormes problèmes. J'ai fait valoir que ce n'était pas quelque chose de nouveau; ce n'est pas compliqué, nous devrions profiter de l'expérience des pays qui l'ont éliminé et qui continuent de prospérer, plutôt que de passer des heures et des heures à réfléchir aux catastrophes qui risqueraient de se produire si les gens qui souhaitent continuer de travailler pouvaient le faire.

Ceux parmi nous qui font fermement valoir l'élimination de la retraite obligatoire reconnaissent en même temps l'importance d'avoir le choix. Ceux qui souhaitent prendre leur retraite plus tôt devraient être en mesure de le faire. Cela dépend en grande partie du fait que l'on sait qu'il y a un âge particulier auquel on est admissible à recevoir des prestations, de sorte que ceux qui souhaitent y avoir accès peuvent planifier en conséquence.

En ce qui concerne les questions que vous soulevez dans votre document au sujet des sexes, par exemple, les femmes sont désavantagées par la retraite obligatoire. Bon nombre d'entre nous, moi-même y compris, n'ont pu commencer leur carrière aussi tôt; nous avons passé du temps à élever une famille et peut-être travailler à temps partiel. Lorsque nous sommes finalement arrivées sur le marché du travail, nous étions plus âgées. Certaines d'entre nous ne sont pas fatiguées, n'en ont pas assez et sont littéralement au sommet de leur carrière, mais on nous a obligées à prendre notre retraite en disant que si l'on ne maintenait pas la retraite obligatoire, qu'arrivera-t-il alors à ce pauvre vieux travailleur dont la productivité a diminué mais que nous devons garder pour ne pas le blesser. Ce n'est pas juste et nous ne devrions pas être pénalisées pour cela.

Nous devons poser la question suivante : voulons-nous qu'un incompétent fasse le travail peu importe son âge? L'admissibilité à continuer de travailler devrait être fondée sur la compétence, non pas sur un âge magique.

En ce qui concerne les questions de la diversité chez les aînés et du Cadre national sur le vieillissement, je connais ce document, ayant fait de la consultation avec Santé Canada à l'époque où il a été rédigé. Ce document est très utile en ce qui concerne les cinq principes de dignité, etc., qui devraient être incorporés à toute la politique concernant les personnes âgées et parce que le cadre se fonde sur un modèle de déterminants de la santé. Bon nombre d'entre nous dans le secteur de la promotion de la santé seront tout à fait d'accord pour que l'on continue d'adopter ce genre d'approche qui correspond en tous points au programme de vieillissement actif de l'OMS.

Le modèle de vieillissement actif de l'OMS et ses déterminants de la santé sont très semblables aux 12 déterminants de la santé du Canada; l'OMS les combine tout simplement différemment. La principale différence entre les deux modèles, c'est que le modèle de l'OMS comporte des variables primordiales : la culture et le genre. Si nous voulions modifier légèrement notre modèle, je recommanderais que les deux variables qui réduisent les coûts sont le genre et la culture et qu'ensuite, dans toute politique qui est élaborée, il faut toujours se poser les questions suivantes : est-ce qu'elles s'appliquent de la même façon aux hommes et aux femmes? Est-ce qu'elles s'appliquent de la même façon aux différents groupes culturels et sous-culturels dans notre pays? En répondant à ces questions, on pourrait éviter de tomber dans le piège d'élaborer des politiques inappropriées pour certains groupes. Je pense que cela répondrait à certaines des questions que vous avez soulevées.

J'aimerais également faire une observation au sujet du rôle du gouvernement fédéral et du rôle du gouvernement provincial. Je suis fermement convaincue que chaque province devrait avoir un bureau sur le vieillissement. Dans la plupart des provinces, nous avons des désignations, mais il n'est pas aussi clair que cela devrait l'être que dans chaque province il y a un seul groupe responsable des aînés et à qui les aînés peuvent s'adresser lorsqu'ils ont des préoccupations, un groupe dont certains employés sont désignés pour s'occuper des questions concernant les aînés.

Si comme on le dit, lorsque tous les baby-boomers auront pris leur retraite, les personnes âgées représenteront environ 20 p. 100 de notre population, nous devrions alors avoir une voix pour eux dans nos provinces. Par ailleurs, j'appuierais sans réserve l'idée d'avoir un ministre fédéral chargé des aînés. Nous en avons eu plusieurs et lorsqu'ils travaillaient avec le Conseil consultatif national sur le troisième âge, le CCNTA, ils ont été très utiles au pays et certainement du point de vue des organisations des aînés et des organisations gériatriques, ils ont clairement précisé ce qui était nécessaire pour que les aînés puissent avoir leur mot à dire.

Je trouve intéressant que récemment le CCNTA ait été dissous et qu'un nouveau comité sera nommé sous peu pour conseiller le gouvernement fédéral. Reste à espérer qu'il y aura une bonne représentation à ce comité et que ce dernier sera aussi bénéfique que l'a été le CCNTA. Le CCNTA était une organisation respectée partout au pays et je tiens à le reconnaître.

Ce sont les principales observations que je voulais faire au début. Une dernière chose, en réponse à une question précédente, je voudrais faire valoir l'idée du guichet unique pour que les aînés aient accès aux politiques et aux programmes municipaux, provinciaux et fédéraux en même temps. Certains d'entre nous ont été invités à un événement qui s'est déroulé à Brockville il y a environ un an et demi ou deux, pendant lequel un tel modèle a été mis au point. Je n'ai pas entendu de suivi à ce sujet et j'encouragerais votre comité à examiner les résultats de cette initiative en particulier.

La présidente : Merci beaucoup. Nous sommes ravis d'avoir entendu votre exposé cet après-midi.

Madame Chappell, je m'intéresse à ce que vous avez dit au sujet du rôle des aînés dans la société et de la retraite obligatoire. Êtes-vous en désaccord avec ce qui a été présenté par Mme Gutman, ou est-ce que vous êtes plus ou moins du même avis qu'elle en ce qui a trait à la question de la retraite obligatoire?

Mme Chappell : Je pense que c'est à peu près la même chose. J'ai été un petit peu embrouillée par ses commentaires sur l'OMS, qui utilisent comme marqueur l'âge de 60 ans, car les pays en développement délaissent ce seuil. C'est vrai pour le Japon, actuellement, de même que pour Hong Kong et la Chine continentale. Je suis sûre que l'OMS va se mettre au diapason.

Là où je suis entièrement d'accord c'est pour le choix. Me demandez-vous si je préconise le maintien de l'âge de 65 ans ou si je pense que ce seuil devrait être à la hausse?

La présidente : Non. Je suis d'accord avec vous. D'un bout à l'autre du pays, on supprimera la retraite obligatoire de sorte que je voulais savoir si vous pensiez que, ce faisant, nous devrions veiller à ce que la notion de choix pour les pensions demeure intacte.

Mme Chappell : Je pense que oui. Je voudrais ajouter ceci car je pense que Mme Gutman n'en a pas parlé. Il y a la question du choix pour ceux qui ne sont pas des professionnels et qui n'ont pas beaucoup d'argent. Je pense que les gens bien nantis, les professionnels dans les universités, ont nettement le choix. Ils peuvent choisir de prendre leur retraite quand bon leur semble. Qu'en est-il des travailleurs qui ne peuvent pas compter sur une pension confortable? C'est cela qui m'inquiète.

Le sénateur Cordy : Avant de passer au rôle d'un effort coordonné, je voudrais poursuivre dans la même veine. Je conviens avec vous qu'il faut maintenir le choix car très souvent, les exemples qu'on a cités concernent les professionnels qui trouvent plus commode de continuer d'être actifs ou qui souhaitent prendre leur retraite à 60 ans ou à 65 ans parce qu'ils ont la chance d'avoir épargné pour leurs vieux jours. Ce n'est pas tout le monde toutefois qui est dans cette situation. Je vous pose la même question que j'ai posée à notre témoin tout à l'heure : Comment maintenir la souplesse et le choix sans que les mesures adoptées punissent ceux qui n'ont pas vraiment la possibilité de prendre leur retraite?

Mme Chappell : Si l'âge d'admissibilité est maintenu à 65 ans, pourquoi ne pas permettre aux gagne-petit et aux personnes handicapées de toucher leur pension plus tôt? Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas maintenir l'âge d'admissibilité tel qu'il est et tout simplement donner le choix en même temps.

Mme Chappell : Je pense que l'une des raisons pour lesquelles nous avons toutes les deux de la sympathie pour les travailleurs est le fait que je suis moi aussi du Cap-Breton et que j'ai grandi avec des mineurs.

Le sénateur Cordy : C'est mon cas. Merci.

Mme Chappell : Si l'on veut que les gens aient le choix, il faut veiller à mettre en place des programmes sociaux pour que ce soit possible. Les travailleurs qui ne pourraient pas compter sur un bon régime de pension grâce à leur employeur devraient avoir le choix grâce à des programmes sociaux raisonnables. Il faut se demander s'ils ont cotisé au Régime de pensions du Canada. Sinon, et s'ils n'ont pas assez d'argent épargné, alors que leur reste-t-il? Ils doivent compter sur les prestations de la sécurité de la vieillesse et sur le supplément du revenu garanti, n'est-ce pas? En fin de compte, il s'agit de se demander si ces programmes sont suffisants. Si ces programmes sont adéquats, alors ils auront le choix.

J'ai la nette impression que sur le plan politique tout repose sur l'argument voulant que Bismarck a instauré des pensions dès l'âge de 70 ans, car la plupart des gens n'atteignaient pas cet âge, même pas l'âge de 65 ans. La question qui se pose alors est de se demander quand la société doit commencer à assumer le coût de ces prestations sociales. C'est alors qu'il faut revenir à l'argument de départ. Faut-il maintenant faire passer cet âge fixe à 67, 69 ou 70 ans, ou bien la société acceptera-t-elle de prendre en charge des gens qui ont le choix de prendre leur retraite même s'ils sont encore en santé et peuvent continuer de travailler?

Étant donné l'espérance de vie aujourd'hui, on peut faire valoir que maintenant on peut travailler cinq ans de plus et envisager 10 ou 15 ans de retraite par la suite.

Le sénateur Cordy : Avant de faire quelque proposition que ce soit, il faut bien peser les conséquences que cela représente pour tous les travailleurs. Je vous remercie de vos remarques.

Je voudrais revenir à la notion de guichet unique. J'ai siégé à un autre comité il y a quelques années qui se penchait sur la situation des aînés. Bien des aînés qui ont comparu devant nous étaient tout à fait frustrés quand il s'agissait de se démêler dans le dédale de la bureaucratie. Je trouve cela moi-même très frustrant et je me demande comment je ferais à leur place. Étant donné la technologie dont nous disposons, nous donnons un coup de téléphone et nous entendons un message enregistré qui nous dit d'appuyer sur le 1, le 2 ou le 3 pour obtenir tel ou tel renseignement. J'ai moi-même tenté l'expérience à cause des frustrations dont on nous avait fait part. Je suis allée au fond des choses et je pensais avoir finalement joint une personne réelle. J'ai entendu la tonalité occupée et une voix m'a dit que je devais composer de nouveau. La fois suivante, évidemment, j'ai appuyé sur des numéros différents et obtenu des réponses différentes. Je me suis demandé comment je réagirais si j'étais malentendante ou si l'anglais ou le français n'était pas ma langue maternelle.

Vous avez toutes les deux dit qu'un ministre fédéral responsable des aînés aiderait grandement les aînés à obtenir un guichet unique. Pouvez-vous développer cette notion et nous expliquer pourquoi ce serait avantageux? Je pense que quelqu'un a dit que par le passé nous avions eu des ministres fédéraux responsables des aînés et que l'expérience avait été concluante. Pouvez-vous nous dire si nous devrions recommander une telle mesure?

Mme Gutman : Monique Vézina a été ministre d'État responsable des aînés et avant elle il y avait un autre ministre dont le nom m'échappe pour l'instant. Ils étaient très actifs. Ils ont eu une influence au niveau de divers ministères fédéraux dont les politiques et les programmes avaient une incidence pour les aînés. On sait qu'actuellement il y a au sein de l'Agence de santé publique du Canada une division du vieillissement et des aînés et que Ressources humaines et Développement social Canada a une section qui traite d'autres aspects de la vie des aînés que la santé. Il est très important que ces deux intervenants majeurs auxquels on devrait adjoindre les centres névralgiques sur le vieillissement situés dans d'autres ministères puissent compter une ancre où se concentreraient tous les renseignements. À défaut de cela, nous maintiendrons les cloisonnements et les ministères continueront d'ignorer ce que d'autres ministères accomplissent.

À mon avis c'est très important. En outre, cela signifie qu'il y aurait un défenseur bien en vue pour la cause des aînés au gouvernement.

Mme Chappell : Je n'en ai pas parlé tout à l'heure mais je suis entièrement d'accord. Le vieillissement, comme ce qui est spécifique au sexe ou à la culture, doit être transectoriel. Tous les ministères, au moment de l'élaboration des politiques, devraient examiner la question de façon générale afin de voir comment elles influent sur les divers groupes d'âge. Malheureusement, pour chaque choix de politique il y a toujours des inconvénients et, en fin de compte, c'est toujours une question d'équilibre. Dès qu'il y aura un ministre chargé des questions liées au vieillissement, par ailleurs, dans les autres services, on sera tenté de dire : « Ce n'est pas notre problème, quelqu'un d'autre s'en occupe. Ce n'est pas de notre ressort. »

Il faudra veiller, dans le mandat confié à ce ministre, d'inclure l'aspect transectoriel et s'assurer que tous les ministères comprennent dès lors qu'il s'agit d'une responsabilité partagée. Je suis favorable à l'idée.

Je vois un petit inconvénient à l'utilisation de l'expression « vieillissement et aîné » car cela signifie que les aînés ne vieillissent pas. Toutefois, nous savons que quel que soit le seuil fixé pour le début du troisième âge, 55, 60 ou 70 ans, il reste encore bien des années de vie, et les aînés vieillissent également.

Le sénateur Keon : Merci beaucoup à toutes les deux. Je voudrais vous ramener aux difficultés que pose la retraite obligatoire. Dans la profession que j'exerçais auparavant, pendant 35 ans, j'ai dû faire face à ces difficultés.

C'est bien beau de dire qu'on peut évaluer la compétence et en faire la base de la retraite. Dans la plupart des cas, on peut effectivement le faire. Cependant, cela devient difficile, en particulier lorsque l'âge entre en ligne de compte. Il est beaucoup plus difficile d'évaluer l'excellence. Vous êtes universitaires toutes les deux. Je vous pose la question suivante : Si les professeurs de vos départements avaient plus de 65 ans, pensez-vous que ce serait juste pour vos étudiants et pour tous ceux à qui votre enseignement s'adresse?

Mme Chappell : Voilà une question intéressante. J'ai deux ou trois choses à vous soumettre en réponse. Tout d'abord, il est très peu vraisemblable que des départements universitaires ne comptent que des professeurs de plus de 65 ans. En réalité, si les provinces éliminent enfin l'âge obligatoire de la retraite, c'est notamment parce que les prévisions démographiques montrent que nous nous dirigeons vers une pénurie de main-d'œuvre. Même si l'on peut prévoir chez les professeurs une durée d'activité plus longue que celle des autres travailleurs — encore qu'aucune recherche n'indique que ce devrait être le cas — et même si la retraite obligatoire est imposée dans les universités, il y aura une pénurie et on devra recruter des gens plus jeunes.

Deuxièmement, rien ne prouve que les gens de plus de 65 ans soient moins productifs, moins créatifs et moins innovateurs que les professeurs plus jeunes. Je n'ai rien non plus pour prouver le contraire, mais j'estime que la proportion des professeurs de plus de 65 ans qui sont d'excellents enseignants, véritablement créatifs, est sans doute la même que dans tout autre groupe d'âge. Personne n'a encore envisagé les choses de cette façon.

Je connais des travaux de recherche vieux de quelques années qui portaient sur des découvertes de valeur, certaines faites par des professeurs d'université sans que leur âge soit pris en compte. Les découvertes jugées les plus importantes faites par des scientifiques universitaires interviennent souvent à un âge tardif. Les universités affirment constamment que sans la retraite obligatoire, on ne peut pas se débarrasser du bois mort. Je rétorque que si les universités avaient toujours utilisé leurs évaluations de rendement comme elles auraient dû le faire, elles ne se trouveraient pas confrontées à un problème de bois mort parmi les professeurs de plus de 65 ans. On n'assure pas la valeur d'un corps enseignant en ne gardant que les excellents professeurs. La véritable question consiste à se demander pourquoi on a laissé du bois mort dans des postes d'enseignement jusqu'à l'âge de 65 ans.

J'en resterai là pour l'instant.

Mme Gutman : J'aimerais enchaîner sur la question de la pénurie de main-d'œuvre. En deux mots, on ne fait pas assez de bébés à l'échelle mondiale. Actuellement, au Canada, le taux de fertilité, à 1,5, n'a jamais été aussi bas. Dans certaines régions de l'Asie et en Corée, ce taux est tombé à 1,2. Il n'y a pas suffisamment de naissances. L'époque des grosses familles est bien révolue. On trouve encore des pays qui ont l'intelligence de proposer des programmes de garderie pour inciter les familles à avoir plus d'enfants tout en permettant aux femmes de prendre un emploi rémunéré si elles le souhaitent. Si nous étions assez futés pour en faire autant, nous verrions le taux des naissances remonter jusqu'au niveau du remplacement, comme c'est le cas dans les pays scandinaves. Que cela nous plaise ou non, il faut instaurer des politiques qui vont inciter les travailleurs à rester au travail, comme on l'a reconnu à la municipalité de Calgary et chez Tim Horton de Calgary.

On ne peut pas considérer uniquement le corps enseignant. J'ai été invitée par un groupe de Calgary appelé Talent Pool pour aider les membres de ce groupe à convaincre les travailleurs plus âgés de conserver leur emploi. Je dois intervenir prochainement auprès de cadres du personnel qui veulent faire la même chose. Il faut réfléchir à la façon d'inciter les personnes âgées à rester en activité si elles ont les compétences pour le faire et si c'est ce qu'elles souhaitent. Et c'est vrai à tous les niveaux de la population active, et non pas uniquement au sommet, car nous avons besoin des travailleurs plus âgés au bas de l'échelle également.

Mme Chappell : À part cela, le comité souhaitera peut-être prendre en considération l'expérience des États-Unis, où l'âge de la retraite a été retardé il y a quelques années. Les Américains ont constaté que les travailleurs ne veulent pas tous rester au travail et qu'en fait, la majorité d'entre eux ne veulent pas continuer. Mme Gutman a peut-être les chiffres en main. Je crois que la proportion est de 20 à 25 p. 100. Une proportion équivalente de travailleurs optent pour une retraite anticipée, c'est-à-dire, par définition, une retraite avant 65 ans. Nous avons donc des exemples concrets de ce qui risque de se produire dans notre domaine.

Le sénateur Keon : Pourtant, il y a toujours une formule de retraite obligatoire dans un grand nombre d'institutions américaines, aux termes de leurs propres actes constitutifs.

Mme Chappell : Oui.

Le sénateur Keon : Je sais que la retraite obligatoire est révolue, mais elle n'a pas été remplacée par ce qu'il faudrait pour donner satisfaction à ceux qui veulent rester dans leur poste. C'est bien beau de dire que si les outils d'évaluation sont bien utilisés, il n'y aura pas de bois mort. Une telle affirmation risque d'entraîner bien des procédures judiciaires. Les outils d'évaluation sont des outils bien grossiers dans le domaine qui nous intéresse.

Ce que j'aimerais que vous nous disiez, c'est par quoi il faudrait remplacer la retraite obligatoire pour faire face à cette situation. J'admets que la retraite obligatoire est chose du passé, mais je doute fort que les universités et les autres institutions y aient renoncé au fil des années pour faire face à ce problème. Elles y ont renoncé et n'ont rien mis d'autre en place pour régler le problème.

Mme Gutman : Un économiste de l'Université Simon Fraser, M. Jonathan Kesselman, travaille sur cette question depuis un certain temps. Ses prévisions et ses arguments montrent que le marché du travail est suffisamment vaste pour intégrer la quasi-totalité de ceux qui veulent travailler, et il conserve une certaine souplesse. J'invite instamment le comité à le consulter sur cette question. Voilà une chose que je tenais à dire.

Par ailleurs, pourquoi serait-il tellement plus difficile d'évaluer une personne à 61 ans et trois jours qu'à 64 ans? Dans tout secteur d'activité, qu'il s'agisse de la production de gadgets ou du domaine universitaire, il existe différents indices de rendement qui permettent de faire des évaluations en fonction des publications et des subventions. Il suffit de faire la somme de ces indices pour savoir rapidement si le rendement individuel est acceptable ou non. Certains tirent prétexte du fait qu'il serait trop difficile d'utiliser et d'évaluer ces indices pour affirmer ensuite qu'il n'y a même plus lieu de vérifier si ces indices sont toujours efficaces.

Mme Chappell : Je suis bien d'accord. Peut-être voulez-vous quelques idées précises sur la retraite progressive. C'est un domaine qu'il faut envisager sérieusement. Dans la convention collective conclue l'année dernière à l'Université de Toronto, par exemple, je crois qu'à partir de 60 ans, les enseignants peuvent négocier individuellement la poursuite ou la suspension du travail. Ils peuvent continuer à travailler à plein temps, ou réduire leur temps de travail à 75 p. 100 pour quelques années, ou le réduire à 50 p. 100. Ils ont plusieurs possibilités et bénéficient d'une grande souplesse pour envisager une retraite progressive.

Des experts en retraite comme Lynn McDonald vous ont parlé d'un sujet fréquemment abordé dans les articles sur la retraite, à savoir qu'on passe du jour au lendemain du travail à plein temps à l'inactivité complète. La question de la transition est donc très importante.

Ce n'est pas mon domaine de spécialisation, mais mon fils fait une maîtrise à l'Université Simon Fraser avec M. Kesselman, et sa thèse porte sur la retraite en milieu universitaire. J'ai fait la relecture de sa thèse et j'en connais plus sur ce sujet que je ne m'y intéresse. Les sociétés commerciales sont prêtes à proposer des incitatifs pour inciter leurs employés à continuer à prendre leur retraite à l'âge de 65 ans; c'est là un sujet très important, et je sais qu'on en discute dans les universités.

J'ai enseigné longtemps à l'Université du Manitoba, qui n'impose pas la retraite obligatoire. Dans l'entente qu'elle a négociée avec les enseignants, un professeur qui n'a pas encore pris sa retraite à l'âge de 69 ans doit cesser complètement le travail ou, s'il tient à continuer, il ne peut travailler qu'à mi-temps. Après cela, le travail à plein temps n'est plus autorisé. C'est ce qui a été négocié à l'Université du Manitoba.

Dans les universités de la Colombie-Britannique, qui entendent mettre un terme à la retraite obligatoire, on parle beaucoup plus sérieusement des professeurs qui ont atteint la deuxième moitié de l'âge adulte et dont les résultats de recherche sont inférieurs à la norme telle qu'elle a évolué. Ils publient moins qu'avant. On envisage très sérieusement, à l'heure actuelle, de les orienter vers l'enseignement, comme on le fait dans d'autres pays, mais comme on hésitait à le faire jusqu'à maintenant dans les universités canadiennes. On voit donc apparaître différentes options en vertu desquelles les professeurs d'université peuvent continuer à travailler à plein temps en doublant leur charge d'enseignement et en n'étant plus évalués pour leurs travaux de recherche.

On voit donc apparaître dans ce domaine des formules nouvelles à mesure que la retraite obligatoire disparaît.

Le sénateur Keon : J'aimerais rappeler le premier commandement du monde universitaire tel que je l'ai entendu il y a bien des années : Quand on est trop vieux pour obtenir des résultats, on passe à l'enseignement.

Mme Chappell : Je pensais que la formule venait non pas du monde universitaire, mais du monde des arts.

La présidente : Il faut tenir pour acquis que la retraite obligatoire va cesser d'être un facteur important au Canada, mais comme l'a dit le sénateur Keon, il existe certaines activités professionnelles dans lesquelles on doit porter attention au fait qu'à partir de 60 ou 70 ans, la vue, l'ouïe et certaines autres fonctions peuvent commencer à faiblir plus rapidement. On peut parfaitement être sénateur et porter deux appareils auditifs; il n'est peut-être pas aussi facile de se trouver dans une salle d'opération, couvert d'un tablier et d'un masque, les appareils auditifs risquant alors de causer plus de problèmes qu'au Sénat du Canada.

Je pense que nous devons tous nous préoccuper des questions de sécurité. Je suis rassurée de voir qu'apparemment, on a fait des progrès en matière d'évaluation. J'ai passé 20 ans dans l'enseignement. Je dois dire que j'ai trouvé du bois mort autour de moi, pas beaucoup, mais il y en avait un peu. C'était des gens dont on ne s'était pas débarrassé. Ils restaient en fonction jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de la retraite obligatoire. Je le déplorais en tant que collègue, mais encore davantage en tant que mère, car mes enfants risquaient de se retrouver parmi leurs élèves. Je suis rassurée de vous entendre dire que les outils d'évaluation vont désormais jouer leur véritable rôle.

J'aimerais parler à Mme Gutman des questions horizontales dont elle a parlé, des analyses comparatives entre les sexes et des analyses culturelles. Nous avons commencé modestement à considérer les budgets en fonction de l'analyse comparative entre les sexes. Nous parlons de l'intégration de ce genre d'analyse dans le processus budgétaire. Cependant, je ne pense pas qu'on ait commencé à envisager les budgets en fonction de considérations interculturelles. Pensez-vous qu'on puisse envisager à l'avenir un changement d'attitude dans l'analyse des documents budgétaires?

Mme Gutman : Je crois que les attitudes devront changer. Nous sommes une société de plus en plus multiculturelle et nous devons prendre en compte les immigrants et les Autochtones du Canada, dont la situation a toujours été différente de celle du reste de la population, de la même façon que nous nous demandons aujourd'hui si une politique nouvelle va avoir le même effet chez les femmes que chez les hommes. Il faudra sans doute y travailler davantage, mais il est possible de le faire.

Dans de nombreux départements universitaires, la sensibilité culturelle commence à se manifester. Nous n'en sommes plus à la case départ.

La présidente : Voilà qui est intéressant. Dans un autre comité dont je suis membre, nous avons fait une étude qui semble indiquer que le gouvernement n'a pas réussi — et ce n'est pas une question partisane, car aucun gouvernement n'a réussi — à faire une place aux gens des minorités visibles dans la fonction publique. Ils n'y sont pas représentés en nombre suffisant. Je pense que si cette analyse interculturelle ne se concrétise pas, c'est notamment parce que ceux qui pourraient l'exiger sont absents de la fonction publique.

Mme Gutman : Mon point de vue est celui d'une personne qui œuvre sur le terrain. En matière de prestations de soins de santé, et notamment pour les soins de longue durée, nous constatons qu'il existe des groupes culturels différents. Nous nous rendons compte que les personnes aux prises avec la démence, si elles sont d'un autre pays à l'origine et que l'anglais n'est pas leur première langue, peuvent avoir perdu leur anglais mais être encore capables de communiquer dans leur langue d'origine. L'un des avantages de l'établissement de soins de santé propre à certains groupes culturels et où des représentants de ces groupes ont maintenu leur culture, c'est que ces personnes peuvent fonctionner dans ce type d'établissement.

On parle beaucoup de formation en sensibilité. Comme l'a dit Mme Chappell, il y aura bientôt une conférence à Vancouver qui portera sur les moyens à prendre pour s'assurer que les populations minoritaires puissent accéder aux services dont elles ont besoin et que l'on tienne compte de leurs besoins. Si cela n'est pas encore un fait établi au sein de la fonction publique, c'est malheureux. Dans ce cas-ci, il s'agit peut-être de l'effet des pressions exercées par la base plutôt que de celles exercées par les instances supérieures.

Mme Chappell : Il semble que toute la sensibilité aux besoins des minorités culturelles, d'une certaine façon, ait du retard par rapport à la sensibilisation aux différences entre les sexes. Je suis d'accord avec Mme Gutman pour ce qui est des constatations sur le terrain, mais il y a aussi le fait, à un autre niveau, que cela ne fait pas encore partie des critères de rectitude politique. Politiquement, c'est encore une question délicate. Par exemple, nous avons déjà mis au point des moyens de mesurer les soins dispensés aux personnes aux prises avec la démence dans les établissements de soins de longue durée. Ce sont les aides-infirmières qui dispensent 80 p. 100 des soins directs à ces personnes. En Colombie- Britannique, ces aides-soignants sont, premièrement, des Philippins, deuxièmement, des ressortissants des Indes orientales et notamment des Punjabis, et troisièmement, des Chinois.

Je voulais rédiger une proposition de subvention pour que ces mesures soient traduites en ces langues et pour en vérifier la validité scientifique afin que nous puissions faire de la recherche auprès de ces gens dans leur propre langue et afin qu'ils puissent participer à notre recherche. Le gouvernement ne recueille pas ces données. Pourquoi? Parce qu'elles sont beaucoup trop délicates d'un point de vue politique, et l'on nous demande donc, par conséquent, de disparaître.

J'effectue une recherche auprès de 20 maisons de repos, en Colombie-Britannique. Lorsque mes enquêteurs demandent aux directeurs de ces établissements une évaluation approximative des diverses appartenances ethniques de leurs travailleurs, ils n'ont pas de difficulté à obtenir ces renseignements. C'est ainsi que j'ai acquis assez de données pour rédiger une proposition.

Nous parlons là d'un niveau de conscience ou de sensibilité proche de celui où nous étions il y a de nombreuses années en ce qui concerne le mouvement d'émancipation de la femme. Je crois que votre comité a un rôle à jouer pour promouvoir l'importance d'une conscience culturelle nouvelle. Nous ne nous attendons peut-être pas à ce que le gouvernement change d'attitude du simple fait de votre recommandation — même si nous aimerions bien qu'il le fasse, mais cela ne se produira pas — mais nous savons que ce serait un pas de plus vers la conscientisation à l'endroit des questions culturelles pour parvenir au point où nous en sommes pour les questions d'égalité des sexes.

La présidente : Ma dernière question s'adresse également à Mme Chappell. Au début, vous avez parlé des soignants, tant professionnels que non professionnels, mais vous êtes rapidement passée à d'autres questions. Je voudrais que vous nous parliez un peu plus longtemps des soins offerts par des non-professionnels à des personnes âgées et de ce que, selon vous, l'avenir nous réserve. Je crains qu'il y ait de moins en moins de soignants non professionnels, ce qui signifie que les soins ne seront simplement pas dispensés.

Mme Chappell : Oui, c'est un problème. Selon des recherches faites au Canada, on a établi des projections de la disponibilité des soignants non professionnels. Janice Keefe, de la Nouvelle-Écosse, a effectué une grande partie de cette recherche. Ses projections montrent que nous aurons moins de soignants non professionnels. Toutefois, il existe une lueur d'espoir. L'espérance de vie des hommes est en train de très lentement rattraper celle des femmes. Nous nous attendons donc que les maris soient présents un peu plus longtemps pour servir de soignants naturels. Nous savons que, dans les faits, les hommes dispensent des soins si leurs femmes en ont besoin. L'ennui, c'est qu'habituellement, c'est la santé des hommes qui a tendance à péricliter la première.

Nous savons que les aidants naturels fournissent environ 75 p. 100 des soins dispensés aux personnes âgées. J'ai mené une longue et dure bataille, et sans grand succès, pour qu'on privilégie les soins prolongés à domicile et en milieu communautaire face au vieillissement de notre société. Toutefois, beaucoup de personnes âgées ne peuvent demeurer chez elles et y recevoir les soins à domicile que si elles ont dans leur entourage un aidant naturel.

Devant ces prévisions, le gouvernement devrait à mon avis proposer aux personnes âgées d'autres façons de se regrouper pour prendre soin d'elles-mêmes et d'autres personnes dans le cadre d'un réseau informel, parce que c'est ce que les personnes âgées souhaitent. Contrairement à ce que craignent beaucoup de fonctionnaires, nous ne serons pas confrontés à une avalanche de demandes si nous envisageons sérieusement ces formules de soins prolongés. La grande majorité des personnes âgées ne s'adressent au système de santé formel qu'en dernier recours.

Nous voulons que les gouvernements subventionnent des modalités originales comme, par exemple, celles que propose la Abbeyfield Houses Society of Canada dont, je crois, vous avez entendu parler; si ce n'est pas le cas, nous pourrons vous faire parvenir de la documentation à ce sujet. Nous pourrions appuyer davantage les collectivités par l'entremise d'organismes sans but lucratif et d'organisations bénévoles. Je suis pour l'assurance-maladie, mais le Canada a connu l'avènement de ce que les universitaires ont appelé l'État-providence, système dans lequel chacun supposait, même si ce n'était pas dit en toutes lettres, que les gouvernements et les experts avaient toujours raison, si bien que les organismes bénévoles sans but lucratif ont été écartés. Au cours des années 1990, les gouvernements ont commencé à reconnaître de nouveau l'importance de ces organismes. Cependant, ceux-ci avaient entre-temps perdu leur infrastructure et ils ont besoin d'aide pour se remettre à niveau, afin de rétablir l'engagement communautaire qui les avait toujours caractérisés par le passé.

La présidente : Certains ont signalé qu'il serait bon d'encourager le bénévolat chez les personnes âgées qui ont pris leur retraite et quitté le marché du travail. Que vous sachiez, y a-t-il de la documentation ou des mesures fiscales de nature à encourager les personnes qui font du bénévolat à gagner un revenu supplémentaire? On dirait qu'il y a un onzième commandement au Canada : tu ne te feras pas payer pour t'occuper d'un être cher. C'est très bien d'être rémunéré lorsqu'on s'occupe d'une personne qu'on déteste, mais pas d'une personne qu'on aime.

Quel changement pourrions-nous apporter à notre régime fiscal ou à nos interventions communautaires pour que cela change?

Mme Gutman : Je suis absolument d'accord avec vous. Certains pays ont instauré des incitatifs fiscaux et cela semble avoir donné certains résultats. Au Canada, il n'y a pas eu assez de mesures dans ce sens, mais pourquoi ne pas en faire l'essai? Cela ne pourrait être que bénéfique.

Quand une femme quitte le marché du travail pour s'occuper de sa mère, elle ne devrait pas être pénalisée pour s'être absentée du marché du travail pendant une certaine période. Tout comme on peut le faire pour s'occuper de son enfant, on devrait pouvoir se retirer momentanément du marché du travail pour s'occuper de personnes âgées sans être pénalisé. Et on devrait même avoir droit à certaines mesures incitatives.

Mme Chappell : Je pense moi aussi qu'on peut prendre certaines mesures dans ce sens et on assiste depuis un an ou deux à certaines initiatives de ce genre. Beaucoup de soignants et de bénévoles ont indiqué qu'ils seraient forts reconnaissants si on remboursait leurs dépenses, même s'ils ne touchaient aucun dédommagement pour leur temps et leur travail.

Si vous ne le connaissez pas déjà, vous pourriez examiner le programme du ministère des Anciens combattants à cet égard. C'est un programme somme toute modeste qui dédommage les soignants.

La Norvège se distingue par le fait qu'elle s'est dotée il y a longtemps d'un tel programme. La Suède avait aussi un programme mais l'a abrogé. En Norvège, les soignants qui font partie de la famille peuvent présenter une demande et recevoir, aux frais du gouvernement, la même formation qui est offerte aux aides familiales professionnelles dans le domaine des soins aux personnes fragilisées. Les membres de la famille d'une personne malade suivent la formation et sont rémunérés au même tarif que le seraient les aides familiales qui devraient s'occuper de cette personne. À ma connaissance, la Norvège est le seul pays à s'être dotée d'un tel programme de soins à domicile.

C'est un sujet de préoccupation légitime, et j'inviterais le comité à se pencher là-dessus.

Le sénateur Keon : J'aimerais revenir à Mme Chappell. Vous avez parlé des services essentiels et vous les avez divisés en services sociaux et services médicaux qui, d'ailleurs, se chevauchent lorsqu'il s'agit de personnes âgées.

Nous n'avons pas réussi à définir ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas, que ce soit dans le domaine des services sociaux ou des services médicaux. Nous n'avons pas mis en place les mécanismes qu'il aurait fallu pour le faire. Par conséquent, il y a des gens qui ont été laissés pour compte et qui n'ont pas reçu les services médicaux et sociaux voulus.

Connaissez-vous des organismes qui réussissent bien à cet égard? On aimerait faire état dans notre rapport des régions au Canada qui s'en tirent bien dans ce domaine, alors en connaissez-vous?

Mme Chappell : Je vous remercie d'avoir de nouveau abordé cette question car elle me tient à cœur. Le Québec s'en tire aussi bien, voire mieux, que la plupart des régions du Canada. Ça vaudrait peut-être la peine d'examiner certains modèles québécois. Les rapports et les publications de François Béland et de Howard Bergman, qui mènent souvent des recherches conjointement, pourraient vous être très utiles, si vous n'en avez pas encore pris connaissance. C'est précisément dans ce domaine où les personnes, plus particulièrement les personnes âgées, ont certains besoins médicaux sans pour autant avoir besoin de services médicaux chers ou encore de soins à domicile. Ils ont besoin de services sociaux.

Ce qui me préoccupe, c'est qu'on prenne des décisions en l'absence d'un véritable débat sur les enjeux, et on ne semble pas reconnaître le fait qu'il existe des évaluateurs œuvrant au sein du régime des soins à domicile. Ce n'est pas pour rien qu'ils sont là. S'ils ne font pas les bonnes évaluations, eh bien on pourra envisager de les former autrement, mais nous avons un système en place dont il ne faut pas abuser. Parlons de la prévention. Si quelqu'un est chargé de faire le gros du ménage à la place d'une personne âgée dans un foyer pour aînés — et tout le monde s'entend sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un service médical, mais on le fait quand même pour des raisons médicales puisque la personne n'en est pas capable — eh bien, c'est une façon d'éviter que l'aîné essaie de le faire tout seul, se casse la hanche, et fasse une demande de remboursement qui coûterait très cher au régime de soins de santé.

On ne mène pas beaucoup de recherche rigoureuse dans le domaine de la prévention. Toutefois, il en existe, et je vais vous faire parvenir l'information. Si vous voulez qu'on tienne compte à la fois des aspects médicaux et sociaux, eh bien je vous conseillerais d'examiner le régime québécois.

La présidente : Encore une fois, j'aimerais vous remercier d'être venues cet après-midi. Ce fut un plaisir.

La séance est levée.


Haut de page