Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 10 - Témoignages du 31 octobre 2006
OTTAWA, le mardi 31 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 19 h 2 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada et faire rapport à ce sujet.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
Le président : Bonsoir honorables sénateurs et témoins, et bonsoir à tous ceux qui regardent notre Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. En mai dernier, ce comité a été autorisé à examiner la pauvreté rurale au Canada et à faire rapport à ce sujet. Durant trop longtemps, la condition des pauvres en milieu rural a été largement ignorée par les décideurs et les politiciens. Jusqu'à la fin de l'année, notre comité entendra divers témoins qui nous donneront un aperçu de la pauvreté dans les régions rurales du Canada. Ce travail servira ensuite de base pour la tournée des collectivités rurales à la grandeur du pays par le comité, qui est prévue pour l'année prochaine.
Jusqu'ici, le comité a appris que la pauvreté rurale est un problème à facettes multiples. Les pauvres en milieu rural sont victimes d'écarts de revenus, de disparités au niveau de l'accès aux services, des possibilités économiques et des résultats pour la santé. Les témoins d'aujourd'hui viennent de l'Université de Guelph, qui est bien connue au pays et à l'étranger pour l'intérêt qu'elle porte aux questions rurales et agricoles.
Le professeur Anthony Fuller, qui est semi-retraité — mais probablement pas — a consacré sa carrière de géographe à l'étude de questions entourant le développement des collectivités rurales, la fourniture de services sociaux en région urbaine, la restructuration rurale et les transports ruraux.
Le professeur Harry Cummings est également géographe. Ses recherches se concentrent sur le développement économique rural et régional, et sur l'élaboration de méthodes d'évaluation des programmes gouvernementaux. M. Cummings a récemment participé à une étude de l'agriculture et de l'économie rurale à la grandeur de l'Ontario, qui sera utile à ce comité.
Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux. Nous disposons de deux heures ce soir avec nos témoins. J'invite mes collègues à poser des questions aussi brèves que possible afin de permettre aux témoins de répondre aussi complètement qu'ils le souhaitent, et que chacun puisse contribuer à la discussion de cette réunion particulière.
Harry Cummings, professeur, École de design environnemental et de développement rural, Université de Guelph, à titre personnel : Merci, je suis ravi de pouvoir faire une présentation ce soir sur des questions importantes concernant la pauvreté rurale au Canada.
Ma carrière a débuté à Ottawa, au Conseil canadien de l'aménagement rural, à titre de conseiller du ministre des Forêts et du Développement rural dans les années 1970 en matière de questions régionales et rurales. Dans une certaine mesure, je suis de retour aujourd'hui, quelque 25 années plus tard, toujours intéressé par les questions rurales.
Le président : Qui était le ministre?
M. Cummings : Je ne pourrais vous dire le nom du ministre alors. Il y avait des personnalités incroyablement fortes à l'époque, et il y a probablement eu plusieurs ministres durant cette période.
Je reviens aujourd'hui pour parler de certaines des questions entourant la pauvreté rurale, en mettant à contribution l'expérience acquise alors et toute celle acquise depuis. M. Fuller et moi avons eu la possibilité de travailler ensemble à de nombreuses occasions et de partager nos opinions. Nous espérons pouvoir complémenter nos biographies en couvrant le spectre des problèmes auxquels on doit faire face en vivant dans la pauvreté rurale. Je vais plutôt faire un exposé tandis que M. Fuller se concentrera sur un problème particulier lié à la pauvreté rurale.
Le comité m'a soumis un certain nombre de questions et j'ai structuré ma présentation en conséquence. Il s'est concentré sur les définitions des termes « rural » et « pauvreté », le rôle de l'agriculture dans la pauvreté rurale, et d'autres stratégies et politiques particulières qui pourraient résoudre certains problèmes de pauvreté rurale.
En premier, il n'y a pas qu'une seule mesure de la pauvreté. Celle-ci m'apparaît comme un phénomène à facettes multiples qui touchent les personnes de nombreuses façons différentes, non seulement dans leurs revenus, mais également dans leur qualité de vie. Si nous nous tournons vers le revenu, il y a trois définitions de la pauvreté qui sont couramment utilisées au Canada : le seuil de faible revenu, la mesure de faible revenu, et la mesure en fonction du marché. Selon deux de ces trois mesures, les Canadiens des milieux ruraux ne sont pas aussi bien nantis que ceux des milieux urbains, pour parler en termes généraux.
La pauvreté rurale est associée aux caractéristiques de groupes particuliers qui vivent et travaillent dans des régions rurales dans la mesure du possible, et leurs caractéristiques font qu'il est particulièrement difficile pour eux de joindre les deux bouts en milieu rural. Ces groupes incluraient les femmes monoparentales, en particulier, et les femmes en général. Si vous êtes une personne âgée et une femme, une femme dans la population active, une femme célibataire ou un célibataire dans un ménage, il est probable que vous êtes plus pauvre que quelqu'un d'autre. Les immigrants qui s'installent dans des régions rurales éprouveront probablement plus de difficulté à trouver un emploi.
Les Canadiens autochtones sont associés aux régions éloignées et rurales — par « éloignées », je veux dire non voisines des centres urbains. Je travaille avec les Chippewas de la bande de Nawash à Cape Croker, qui se trouve à 40 kilomètres de l'hôpital le plus proche, et à 80 kilomètres de la résidence pour personnes âgées la plus proche. Pour satisfaire à ces besoins, cette collectivité doit faire des dépenses de transport importantes afin de fournir des services raisonnables. Dans ce cas, une certaine aide est fournie; mais dans de nombreuses collectivités rurales, si vous êtes une personne âgée, l'accès à ces services implique des dépenses et des difficultés telles que, souvent, vous n'utilisez pas les services disponibles tout simplement. Les enfants profiteront moins probablement des services. En Ontario, nous avons les Early Years Centres qui s'occupent des enfants de moins de cinq ans. Les collectivités rurales éloignées n'ont pas accès à ce programme parce qu'il n'existe que dans les centres urbains, ce qui peut être loin de mon lieu de résidence. Si je suis un adulte qui a besoin de counseling en matière de santé ou de santé mentale, je dois partir de ma collectivité pour me rendre dans un centre urbain, et assumer les frais de déplacement et les inconvénients d'avoir accès au service. Souvent, cela signifie que je n'utilise pas le service ou que je ne l'utilise que rarement.
Les personnes appartenant aux secteurs basés sur les ressources ont des revenus cycliques. Nous avons des fluctuations de prix et une économie avec des hauts et des bas. Les personnes qui vivent dans des exploitations agricoles et dans des secteurs basés sur les ressources sont éprouvées quand les prix montent et descendent, en grande partie en raison de circonstances indépendantes de leur volonté, parce qu'elles se trouvent dans des secteurs où les prix sont fixés par le commerce international.
Certains groupes sont associés avec certains types de services que nous tenons pour acquis, par exemple l'éducation. Le niveau d'éducation des personnes en milieu rural est généralement moins élevé, et elles ont moins tendance à aller à l'université. Les jeunes ont plus tendance à partir; l'émigration rurale est associée aux régions rurales. Les services de santé, les services juridiques et les services multiculturels pour les immigrants sont plus difficilement accessibles dans une collectivité rurale.
La principale caractéristique distinctive du milieu rural est la distance. En demeurant à un endroit particulier, nous avons un ensemble de caractéristiques qui fait de nous des ruraux et se répercute sur notre mode d'existence. Être éloigné et vivre en milieu rural mène à une scolarisation plus faible, à une moins bonne santé, à des salaires moins élevés pour les femmes, à des services plus restreints pour les immigrants, les personnes âgées et les enfants, particulièrement ceux de moins de cinq ans, et est associé à cette situation. Par définition, vous vivez en milieu « rural » si vous vivez dans un milieu éloigné et isolé où les salaires sont plus bas et les services moins nombreux. Tout cela fait partie de la vie en milieu rural.
Pour ce qui est de définir la pauvreté, il nous faut donc un tableau mixte. Je pense à un indice qui combinerait les caractéristiques de la population relatives à la santé, l'éducation, le revenu, le travail et la démographie.
Je me souviens de mes premières années à Ottawa où l'ARDA participait à des programmes concernant les problèmes de pauvreté et de revenu. Nous avons produit des cartes d'indicateurs de désavantages qui nous ont permis d'identifier les collectivités sur lesquelles il fallait cibler nos programmes. Cartographier les niveaux de pauvreté sur une carte mixte basée sur divers facteurs est la façon de localiser la pauvreté. Nous y incluions des indicateurs sociaux et économiques et divers facteurs connexes.
Concernant l'agriculture et la pauvreté, un faible pourcentage de la population rurale se consacre à l'agriculture mais, pour utiliser un jargon économique, l'effet multiplicateur de l'aspect rural est beaucoup plus important. Dans un comté rural, comme le comté de Huron en Ontario, nous avons une économie agricole qui génère des recettes de plus de 2 milliards de dollars par année basées sur 600 000 $ de ventes par année, un multiplicateur de deux, trois ou quatre selon l'endroit où vous vivez. Les quelques 20 p. 100 des personnes qui vivent dans le secteur agricole ainsi que les 20 p. 100 qui vivent d'un travail dans le secteur agricole correspondent à des collectivités où l'agriculture reste le soutien principal. Ce n'est pas le cas de tous les comtés ou de toutes les régions de l'Ontario, mais néanmoins c'est le cas de plusieurs.
Dans ce groupe, même avec ces niveaux d'emploi élevés, la population agricole vieillit. Les statistiques montrent que 20 p. 100 des exploitants avaient moins de 35 ans en 1991 et que seulement 12 p. 100 avaient moins de 35 ans en 2001. Nous avons une population agricole vieillissante qui n'attire pas les jeunes pour diverses raisons. Souvent, les agriculteurs disent à leurs enfants de ne pas devenir des agriculteurs parce qu'ils ne voudraient pas qu'ils aient le genre de vie qu'ils ont connu. C'est une situation que je constate régulièrement chez des gens qui ont de la difficulté à joindre les deux bouts dans une exploitation agricole. Dans moins de 20 p. 100 des cas la plus grande partie du revenu provient de l'exploitation agricole. Cela signifie que plus de 80 p. 100 déclarent des revenus non agricoles importants, mais nos politiques agricoles, sociales et économiques ont tendance à ne pas tenir compte de cette nouvelle réalité agricole.
L'agriculture est perçue comme une vie où il y a peu d'avenir et où la dépression, les crises et/ou les dettes perturbent gravement de nombreuses familles. On décourage les jeunes de s'y lancer, et le travail non agricole devient le soutien principal. Je suis sûr que vous avez tous entendu parler d'agriculteurs qui travaillent en dehors de leur ferme pour pouvoir y investir leur revenu. C'est ainsi qu'ils peuvent continuer à exploiter leur ferme.
Nous avons besoin de ces exploitants agricoles à temps partiel ou avec des revenus non agricoles parce qu'ils restent les intendants de nos terres. Les terres agricoles sont l'ossature d'une grande partie de notre société rurale. Si vous examinez le paysage du sud de l'Ontario et du sud du Canada, on peut difficilement l'imaginer sans agriculture. Il faut appuyer cette activité. Ces personnes ne peuvent investir pour plus tard à cause du coût élevé des nouvelles terres, du nouvel équipement et du capital. Dans une économie avec des hauts et des bas, la sécurité leur fait défaut, celle d'un revenu futur qui leur permettrait de faire des investissements qu'ils se sentiraient capables de rembourser. L'exception pourrait être les producteurs laitiers, qui reçoivent un chèque mensuel et ont un quota élevé. L'un de mes amis et sa femme, leur fille et son mari ont une hypothèque de 1,75 million de dollars sur leur propriété. C'est une exploitation laitière de 200 acres dans le comté de Huron. Pour avoir un avenir, ils ont conclu qu'il leur fallait s'agrandir et investir dans la haute technologie, et maintenant ils ont une énorme hypothèque sur cette propriété.
Je ne dois pas oublier les crises actuelles liées à la grippe aviaire, l'ESB et d'autres crises qui perturbent nos secteurs si désespérément.
La pauvreté à court terme et l'agriculture sont touchées par le climat, le cours des produits de base, les préoccupations naissantes concernant la sécurité de notre système alimentaire et de la nourriture qui s'y trouve. Alors que les agriculteurs dépendent d'un revenu non agricole, que les collectivités sont bouleversées et que les usines se ferment, les emplois déménagent et perturbent la viabilité de la collectivité agricole parce que les possibilités d'emploi non agricole sont supprimées.
Quand nous examinons les problèmes de pauvreté à long terme dans l'agriculture, nous pensons à une compilation constituée par une augmentation des coûts, sans augmentation comparable de notre marge de profit sur la vente de nos produits. Cela contribue à faire croître les exploitations commerciales. Les grandes exploitations agricoles commerciales semblent être les seules pouvant permettre un jour des revenus suffisamment élevés pour faire vivre la famille des revenus de la ferme.
Il y a le coût du capital et le coût des terres. La ceinture verte de Toronto et l'activité connexe sont surtout le résultat du prix des terres, qui a grimpé en flèche. Cela signifie que je ne peux acheter une terre agricole et en tirer un revenu suffisant pour rembourser ma dette. Je dois louer ou hériter la terre, et ensuite contourner la législation sur la planification.
Les coûts importants des terres, de l'équipement et des bâtiments dans le secteur agricole orientent les personnes dans deux directions. Les gens doivent s'orienter vers des exploitations à temps partiel plus petites ou vers de très grandes exploitations commerciales, où ils louent les terres, l'équipement et les bâtiments parce qu'ils n'ont pas les moyens de les acheter. Il y a également la mondialisation croissante du secteur agricole, qui fait que l'Ontario et le Canada sont en concurrence avec le reste du monde dans un environnement moins qu'équitable. Les pays établissent des politiques et nous n'avons plus qu'à négocier des arrangements appropriés pour nos collectivités agricoles vi-à-vis de politiques persistantes qui semblent favoriser d'autres pays et d'autres débouchés.
La vie rurale n'est pas une condition absolue, mais un continuum. Nous devons être sensibilisés en général aux endroits où des personnes vivent et font pratiquement tout notre travail, et non seulement en matière d'agriculture et de politique sociale. Dans une certaine mesure, ce graphique a extrait ce continuum des données de Statistique Canada. Vous y voyez des régions rurales nordiques, des régions rurales voisines de régions non métropolitaines et des régions rurales voisines de régions métropolitaines. Il peut y avoir une croissance dans une zone, mais il y a également une émigration à partir des régions non métropolitaines.
Il y a une migration de la ville vers les régions rurales voisines de régions métropolitaines, la population cherchant des endroits agréables pour vivre à la campagne. Évidemment, les planificateurs, les exploitants agricoles et les résidants non agricoles finissent par entrer en conflit avec les commissions de planification concernant le droit à l'exploitation agricole, les politiques sur l'utilisation des terres et les conditions de travail. À n'en pas douter, ce n'est pas un lieu, mais un continuum allant d'une grande région métropolitaine à une région éloignée nordique et rurale. La politique du Canada doit refléter l'existence de ce continuum.
Pour effleurer la présentation de M. Fuller sur les transports, l'accessibilité est un facteur important et notre politique doit être sensible aux limitations à l'accessibilité. Les emplois et les marchés doivent être accessibles. Les agriculteurs cherchent constamment des intrants de l'extérieur de leurs collectivités parce que la baisse de leur nombre fait baisser le nombre de fournisseurs pour leurs services. Ils doivent trouver des services de soutien là où ils sont, et les déplacements et les distances sont des facteurs dont il faut tenir compte. La famille et le soutien personnel sont une question importante pour les résidents ruraux.
En conclusion, l'emplacement fait une différence dans les politiques et la programmation, particulièrement en ce qui concerne la pauvreté rurale. Il n'y a pas de définition unique du terme « pauvreté ». Même si nous nous en tenons au revenu seulement, il y a au moins trois définitions. Je vous encouragerais à ne pas seulement tenir compte d'une seule définition et de ce qu'elle révèle, mais à combiner le revenu aux caractéristiques sociales et économiques pour dresser la carte du Canada et de l'existence relative de la pauvreté ainsi que des revenus faibles, moyens et élevés à travers le pays.
En ce qui concerne les régions rurales comme continuum, les politiques doivent être sensibles aux différentes situations entre les régions urbaines et les régions éloignées. Mon exemple préféré est le besoin d'être sensible à des situations différentes dans l'élaboration d'une politique énergétique. Imaginez une politique énergétique qui ne tiendrait pas compte des endroits où nous vivons, ni de l'accès ou du manque d'accès à l'énergie à cause des diverses conditions de vie.
Des groupes particuliers sont touchés par la pauvreté. Dans une large mesure, ils ne sont pas différents de ceux que l'on pourrait rencontrer en milieu urbain, mais leur situation est rendue particulière en raison des lieux où ils se trouvent. Le foyer monoparental sans voisins ou autre soutien et la personne peu instruite qui ne sait pas où s'adresser pour trouver un emploi en sont des exemples. Nous trouvons d'autres exemples dans les entreprises qui désirent s'établir en milieu rural, mais ne peuvent y trouver des travailleurs suffisamment instruits ou ayant les capacités de gestion nécessaires pour faire marcher l'entreprise, et les enfants qui n'ont pas accès à plusieurs des services accessibles aux enfants des régions urbaines. Je demeure à Guelph où je peux profiter d'une garderie universitaire et d'un programme parascolaire pour ma fille. Si je demeurais dans une collectivité nordique, cela me serait impossible. D'autres groupes peuvent être constitués de personnes âgées avec des problèmes de santé et d'immigrants qui essaient de s'établir dans une région où le soutien multiculturel nécessaire n'est peut-être pas disponible, et quand il l'est, seulement sur le Web, en anglais peut-être. C'est ainsi que je vois la vie rurale et la pauvreté. Il me ferait plaisir de répondre à vos questions.
Anthony Fuller, professeur, École de design environnemental et de développement rural, Université de Guelph, témoignage à titre personnel : Je remercie les membres du comité sénatorial pour l'occasion de faire une présentation aujourd'hui. Je suis ravi de venir à Ottawa et, parce que c'est l'Halloween, je vais commencer par une petite histoire.
Ce sujet est difficile à saisir et je n'envie pas les sénateurs de devoir assister aux nombreuses présentations différentes durant les délibérations du comité pour tenter de prévoir, par exemple, le niveau et l'orientation de la pauvreté rurale future. Où se trouvera la pauvreté dans le Canada rural demain et dans 10 à 25 ans? Qui seront les pauvres à l'avenir et pourquoi? Si nous pouvons le prévoir avec un tant soit peu d'exactitude, nous pourrions peut-être faire quelque chose maintenant pour éviter, minimiser ou améliorer les résultats.
La prévision peut être hasardeuse. Je souligne que M. Cummings et moi ne faisons pas souvent de prévisions parce que c'est très difficile. Évidemment, beaucoup de choses reposent sur des prévisions et cela m'amène à mon histoire brève, qui porte sur les attitudes ancrées et comment nous réfléchissons, et ce à quoi nous pensons en matière de pauvreté. L'histoire remonte à mon enfance en Angleterre. Elle commence par un ouvrier qui se réveille à cinq heures du matin un jour, bien qu'il se réveille normalement à sept heures; l'événement est inhabituel. Il se dit, je suis réveillé, je vais me lever. Il descend l'escalier, ouvre la porte pour prendre les deux bouteilles de lait qui sont déposées devant la porte de chaque foyer et constate qu'il y a cinq bouteilles au lieu de deux. Il se dit que c'est très bien. Il ramasse le lait et fait ce que tous les Britanniques font : une tasse de thé. Il ouvre son journal et constate sur l'en-tête que c'est le cinquième jour du cinquième mois de 1955. Si vous avez suivi attentivement, vous aurez remarqué que le chiffre cinq survient fréquemment. Il se réveille à cinq heures; il y a cinq bouteilles de lait alors qu'il devrait y en avoir deux; c'est le cinquième jour du cinquième mois. Appartenant à la classe ouvrière, il aime aller à la piste de courses pour parier un peu, ce que de nombreuses personnes pauvres font ou faisaient à cette époque en Grande-Bretagne. Il décide de ne pas aller travailler ce jour-là et prend un billet de cinq livres sterling dans la boîte à biscuits, ce qui était beaucoup d'argent à l'époque. Il attend patiemment jusqu'à l'après-midi, prend un bus numéro cinq pour se rendre à la piste de courses, examine les tourniquets et s'assure d'utiliser le cinquième pour entrer dans l'hippodrome. Il reste sage, ne dépense pas son argent de l'après-midi, attend la cinquième course, et gage son billet de cinq livres sur le cheval numéro cinq. Le cheval arrive cinquième.
Quand vous retournerez chez vous, pensez à ce à quoi vous vous attendiez comme fin de l'histoire. Qu'aviez-vous prévu, compte tenu des circonstances de l'histoire? Cela a beaucoup à voir avec la façon dont nous nous représentons les conditions dans lesquelles les personnes se retrouvent. Généralement, ces conditions ne sont pas les nôtres. Je pense que personne ici présent ne serait considéré comme une personne pauvre. Il est difficile de nous transporter dans les vies d'autres personnes et d'imaginer les résultats qu'elles obtiennent et leurs façons de faire. Il est probable que nombre d'entre vous espéraient la victoire du cheval numéro cinq ou s'attendaient à cette victoire. Vous utilisez peut- être la logique de l'espérance alors qu'il était parfaitement logique que le cheval se retrouve cinquième. La logique est occultée par l'espérance. Quelle est l'étendue de l'espérance chez les pauvres? Nous pouvons peut-être réfléchir sur cette question.
Mon allocution est en deux parties. Au lieu de couvrir le spectre comme M. Cummings l'a fait, je veux creuser un domaine en le séparant en deux parties. La première consiste à déterminer dans quelle mesure on peut établir un lien entre les transports et la pauvreté rurale. Dans la seconde partie, je voudrais faire une ou deux suggestions prudentes sur les solutions à certains problèmes de pauvreté rurale créés et entretenus par un manque d'accès au transport et à la mobilité individuelle.
Il est facile de faire le tour de ce problème en pensant aux déplacements en milieu rural au Canada. Se déplacer et couvrir les distances dont M. Cummings a parlé est crucial. Si on ne se déplace pas, on n'est pas normal dans la région rurale. On n'a pas une vie normale si on ne peut se déplacer. Il est essentiel de pouvoir se déplacer pour avoir accès aux choses qui sont normales dans la vie.
Pour participer au marché du travail, il faut se déplacer, tout comme pour participer au secteur du bénévolat. En milieu rural, les gens aiment se porter bénévoles, on s'attend à ce qu'ils se portent bénévoles, et pour participer à presque toutes les activités bénévoles, il faut se rendre à un autre endroit. Il est difficile d'être bénévole à domicile, bien que cela soit possible, mais je dirais qu'environ 90 p. 100 de toutes les activités bénévoles ont lieu en dehors du domicile.
Il faut se déplacer pour avoir accès aux produits d'entretien ménager, et acheter tout ce qui est nécessaire dans un ménage. Il faut se déplacer pour avoir accès aux services qui soutiennent la viabilité sociale des ménages, comme l'éducation et les services de santé. Finalement, il faut se déplacer pour socialiser, particulièrement dans le cas des enfants et des personnes âgées qui, le plus souvent qu'autrement, dépendent des adultes pour leurs déplacements. Pouvoir se déplacer est très important, mais pourquoi est-ce important et pourquoi est-ce un problème? Vous pouvez répondre que nous nous déplaçons tous et que nous faisons tout ça.
Dans le passé, nous avions un système très efficient et très efficace. Le paysage du dix-neuvième siècle s'est développé en se concentrant sur une ville ou un établissement, en se basant sur la distance sur laquelle un cheval pourrait tirer un carrosse, un chariot ou un moyen de transport jusqu'à la ville, où on laissait reposer les chevaux pendant que l'on travaillait, faisait des emplettes, allait au moulin ou au magasin d'approvisionnement, pour revenir à la ferme le soir. Les chevaux pouvaient tenir le coup dans les deux directions, même l'hiver en tirant des traîneaux. Tout dépendait d'une ville ou d'un centre, et la vie sociale et institutionnelle, de même que l'activité économique, était circonscrite aux environs de cette ville. C'est l'endroit où l'on rencontrait son futur conjoint, où on allait à l'église et à l'école, et tous les services se trouvaient au même endroit. C'était une « société à courte distance » parce que l'endroit où vous désiriez aller était toujours à une courte distance et que vous pouviez revenir à la maison durant la soirée ou avant la noirceur.
À l'heure actuelle, des établissements sont créés dans le paysage d'il y a 150 ans, et on y trouve partout des activités et des services qui semblent tout à fait normaux pour soutenir des moyens d'existence. Les déplacements ne se font pas que vers un seul endroit, parce que l'hôpital, l'école, le bureau de l'avocat, la provenderie et le casse-croûte ne se trouvent plus dans un seul et même endroit. L'école d'un jeune enfant peut se trouver à un endroit, et l'école secondaire ailleurs. Le soir, un homme peut se rendre à une réunion de l'Association des exploitants de fermes laitières et sa fille peut se rendre à un cours de français ou à un club 4-H dans une ville différente. Comment tous les membres de la famille peuvent-ils se rendre à tous ces endroits sans parcourir d'énormes distances? Vos sphères d'activités ne sont pas circonscrites à l'intérieur d'un cercle ou voisines d'un endroit, mais se retrouvent partout. On peut même aller au Costa Rica pour y voir des perroquets, y avoir des activités récréatives, et cetera. C'est la « société ouverte » où tout est accessible, tandis qu'auparavant on était limité aux environs d'une collectivité.
Aujourd'hui, pour être normal dans une région rurale, il faut avoir accès aux produits, aux services et à tout ce qui est offert, le marché du travail par exemple. Cela est illustré sur le graphique du coin inférieur gauche où il y a de nombreuses petites places et choses séparées les unes des autres. C'est une description cruciale du milieu rural en Saskatchewan. Tout est linéaire. C'est la même chose en Nouvelle-Écosse et dans le nord de l'Ontario. Vers le milieu de la Colombie-Britannique, les endroits sont séparés les uns des autres, et on y trouve les différents types de services dont les personnes ont besoin pour vivre.
Si on ne dispose pas d'une automobile ou d'un camion, on est coincé parce qu'il n'y a pas de transports en commun. Si on ne dispose pas d'une automobile ou d'un camion dans les régions rurales du Canada, on peut difficilement participer à ce qui se passe dans le cercle inférieur gauche. On peut y participer dans une certaine mesure, mais pas autant que les autres personnes ou ce qui est considéré comme normal.
Le fait que le transport en commun n'est pas une possibilité pour de nombreux ménages ou pratiquement tous les ménages est une caractéristique importante. Il y a très peu de taxis et, évidemment, si on vit en ville, on peut souvent se déplacer à pied, si on n'est pas en hiver et si on n'est pas infirme ou âgé. On peut utiliser une bicyclette, ce qui est une bonne chose à faire pour les jeunes. Je ne sais pas combien il y a de bicyclettes dans nos petites villes rurales. La bicyclette ne fait pas partie des habitudes dans les petites villes.
La première conclusion sur laquelle j'attirerais votre attention est que, pour se déplacer en région rurale au Canada, il faut presque obligatoirement utiliser un véhicule automobile. C'est aussi simple que ça. Par conséquent, je pense que cela va appauvrir les gens du simple fait qu'ils ne peuvent probablement pas se déplacer autant qu'ils le voudraient ou qu'ils le devraient pour être des citoyens de notre nation et faire ce que la plupart des gens doivent faire : avoir un emploi, s'occuper d'eux-mêmes, participer à des activités bénévoles publiques, et cetera.
En particulier, la jeunesse rurale est touchée par cela plus que certains des autres groupes. Les personnes âgées le sont également, pour des raisons évidentes. Certaines personnes n'ont pas de permis de conduire; de nombreuses femmes de cette génération ne conduisent pas de véhicules, ne l'ont jamais fait et, durant la plus grande partie de leur existence, n'ont été que des passagères dans des véhicules conduits par les hommes faisant partie de la famille. Les femmes vivent au moins 10 ans de plus que les hommes parmi les personnes âgées, et nombre d'entre elles ont peu de déplacements. Il y a ensuite les chefs de famille monoparentale. Comme M. Cummings l'a mentionné, ce sont surtout des femmes. En général, les femmes forment un groupe invisible en ce qui concerne les transports. Par exemple, s'il y a une automobile dans un ménage rural où il y a deux adultes, seul l'homme utilisera l'automobile pour aller travailler le matin et revenir à la maison plus tard l'après-midi ou au début de la soirée. Durant toute la journée, une femme qui peut avoir à s'occuper de jeunes enfants ou d'une personne âgée, est laissée à elle-même toute la journée, sauf peut-être durant les fins de semaine. Dans une étude sur les mauvais traitements dans les collectivités, les relations de violence étaient souvent déclenchées par des disputes pour les clés de l'unique automobile de la famille. Il est très facile pour les hommes de monopoliser les clés et, par conséquent, de piéger les femmes dans les régions rurales éloignées et isolées. Les clés de voiture deviennent des sources de problèmes. Ce n'est qu'un exemple du stress lié à l'automobile.
Que savons-nous à ce sujet? Je ne citerai aucun chiffre. Je suis sûr qu'on vous a montré de nombreux chiffres et de nombreux graphiques, mais je ne peux vous les présenter parce que nous sommes dans l'ignorance. Je suis sûr que vous avez tous une idée de ce à quoi je fais allusion. Vous avez probablement eu connaissance personnellement d'éléments de preuve anecdotiques; c'est certainement mon cas — un peu de tout glané çà et là, mais rien qui me permette de faire une constatation systématique sur le milieu rural au Canada et de présenter des données sur ce sujet. Cela manque, mais je recommande que l'on y pense de diverses façons.
Se déplacer n'est pas une situation d'égalité des chances. C'est très nettement un accès diversifié — « différencié » dans notre jargon — à l'automobile.
Est-ce que le lieu est important? RNA signifie « rural non agricole », ou si vous vivez sur une ferme, ou dans le village ou la ville et que vous faites partie de l'une ou l'autre de ces catégories — un jeune, une personne âgée, un chef de famille monoparental ou une femme — quelle différence? Vous n'avez pas besoin de répondre à cette question. Le fait est que nous pourrions y répondre si nous avions la possibilité de faire une étude systématique et d'établir si le lieu est vraiment important en ce qui concerne l'accès aux moyens de transport.
Il se peut que d'autres aspects soient importants, comme le type des déplacements. Dans un milieu rural, les jeunes qui vont travailler ou s'occupent de l'approvisionnement pour le ménage ou des services pour les personnes âgées, les familles monoparentales ou les femmes, quelle est l'incidence sur les moyens de transport? Une autre possibilité est d'examiner le temps qu'il faut aux jeunes, aux personnes âgées, aux parents et aux femmes de se rendre à l'un ou l'autre de ces endroits, et à quel prix? Ce n'est pas la même chose qu'en milieu urbain. Mes collègues de Kitchener-Waterloo savent exactement ce qu'il en coûte à une famille pauvre pour faire X déplacements en autobus par semaine pour obtenir des services de santé et des services éducatifs et sociaux, mais il n'y a pas d'autobus en milieu rural. Nous ne savons pas ce qu'il en coûte, le temps qu'il faut, qui a la possibilité de se déplacer, qui conduit qui, le nombre de déplacements ou, comme M. Cummings l'a indiqué — et je suis sûr qu'il a raison — combien de déplacements sont annulés par manque d'accès à un moyen de déplacement ou parce que c'est trop difficile. Qu'allez-vous faire avec les enfants pour ces déplacements? Où sont les garderies?
Je pense que l'on a beaucoup à apprendre sur cette situation qui, je le pense, semble importante pour tous, mais nous n'avons pas beaucoup de faits probants systématiques. On ne peut trouver d'informations dans le recensement parce que celui-ci ne mesure pas ce genre de données. De toute façon, le recensement n'a lieu qu'à intervalles de cinq ans. Cela devrait se trouver dans le relevé démographique, qui est effectué chaque année, et à chaque trimestre pour certains éléments. Nous avons besoin d'une meilleure information sur les conditions des habitants des régions rurales — et en particulier sur les moyens de transport — afin de pouvoir répondre à certaines de nos questions.
Ma troisième conclusion est qu'il faut un travail de recherche pour obtenir des données de base. Je ne parle pas de données de fantaisie; je parle d'informations descriptives.
Ce sont les questions qui surgissent sur ce que nous connaissons et sur ce que nous ne connaissons pas. Je voudrais ajouter quelques mots concernant les solutions et les services liés aux transports.
Sur la page suivante, vous pouvez voir un comté de l'Ontario et tous les services de transport disponibles dans cette région. Le message est qu'il existe des services dans ce que nous appelons la « société civile ». Ces organismes et groupes locaux fournissent des services de transport et ils sont nombreux. La situation n'est pas aussi sombre qu'on pourrait le croire à prime abord.
Si vous avez vécu dans une région rurale un certain temps, vous savez que vous pouvez vous y faire transporter à l'église le dimanche. La plupart des gens vous prendront à bord de leur véhicule pour vous amener à l'église. De nombreux services vous sont livrés également, comme les repas à domicile, ce qui fait partie des transports. La Croix- Rouge transporte les cancéreux contre rémunération à des centres de traitements du cancer à London, s'ils se trouvent dans ma région, ou les victimes d'attaques d'apoplexie à des piscines. Il y a de nombreux services de transport, mais à l'usage de groupes particuliers. Leur mandat, et souvent leur police d'assurance et les conditions dans lesquelles ils transportent des gens à un service, ne visent que les personnes qui ont le problème ou le besoin ou le désir d'utiliser le service. Ils ne sont pas autorisés, même si la fourgonnette est vide ou si l'automobile n'a qu'un seul passager, de prendre en charge quelqu'un d'autre pour le déposer plus loin. Pour aller travailler quand votre véhicule est au garage ou quand vous n'avez pas les moyens de faire le plein d'essence, ou si votre police d'assurance est devenue caduque, est un problème majeur pour certains citoyens du milieu rural. Je peux dire qu'il y a toute une variété de véhicules en circulation qui transportent des personnes vers des services valables et utiles, mais qui ne sont pas autorisés à prendre d'autres personnes.
Tant que nous n'aurons pas fait une étude plus approfondie, nous ne pourrons savoir qui sont les oubliés. C'est un beau diagramme pour penser à eux. Qui n'a pas l'occasion de recevoir l'un de ces services? Il est pratiquement obligatoire d'avoir un problème pour pouvoir bénéficier d'un moyen de transport.
Par exemple, une femme occupant un emploi à faible revenu chez Tim Hortons ne peut bénéficier d'un service pour l'amener à son lieu de travail. Comment une personne de 19 ans dont la période de travail chez Tim Hortons se termine à minuit peut-elle retourner chez elle si elle vit à la campagne? Il n'y a pas de services de transport pour Tim Hortons sur ce graphique; ce serait peut-être une bonne idée que de le proposer au secteur privé. Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de services de transport, mais on n'explique pas clairement pourquoi certaines personnes peuvent les utiliser et d'autres non.
Il y a deux exigences fondamentales pour fournir un service dans les régions rurales concernant les transports. D'abord, un financement de base est essentiel pour au moins un employé permanent à plein temps. Sur la base de toutes sortes d'études à la grandeur du Canada menées par de nombreuses universités et organisations différentes, nous savons que, sans un membre permanent, une organisation a tellement de difficulté à fournir le service que, souvent, elle est occupée à chercher une autre source de financement et ne peut fournir le service particulièrement bien. Il faut qu'une personne soit là en permanence et qu'elle soit la personne à qui s'adresser pour cette organisation. En second lieu, un financement de démarrage et un financement provisionnel sont importants pour un service de transport.
Tout service de transport doit être complémentaire et approprié aux conditions locales. On ne peut élaborer un modèle à Ottawa ou à l'Université de Guelph et l'imposer à toutes les collectivités rurales. Cela ne marche pas dans les régions rurales. Je crois savoir que cela ne marche pas généralement, et c'est certainement le cas dans les régions rurales. Il doit y avoir une façon de s'adapter à la situation qui existe dans les régions rurales et de l'améliorer. Il y a de nombreuses façons différentes d'examiner ce qu'une collectivité peut faire, mais celle-ci doit décider elle-même comment le faire. Elle aura besoin d'un appui et d'une aide pour engager un responsable à plein temps.
Il nous faut offrir un soutien aux groupes et aux organisations qui fournissent les moyens de transport à l'heure actuelle. Ces groupes se donnent beaucoup de mal, ils font toujours faillite et ont beaucoup de difficulté à maintenir leurs véhicules sur la route ou entretenus ou sécuritaires. Une des options est de créer un service de transport central pour combler les lacunes et complémenter les services actuels. Une approche intégrée pour résoudre le problème pourrait être possible si vous tenez compte du fait que le secteur du bénévolat et les fournisseurs locaux, qui connaissent la situation et sont déjà bien impliqués dans la fourniture de plusieurs de ces services de transport, fourniraient le service en question. C'est une responsabilité provinciale parce que le transport est une responsabilité provinciale en ce qui concerne les autobus, la délivrance de permis de taxi ou les conditions de fourniture de véhicules pour le transport du public. L'autorité provinciale annexe pourrait être appuyée par des organismes comme RHDCC et, peut-être, le Programme de développement des collectivités, avec la possibilité d'un prêt par la SADC pour lancer une entreprise. L'entreprise privée pourrait peut-être également participer au lancement de services de transport.
Les organismes fédéraux ont le mandat d'examiner le soutien par tous les paliers de gouvernement parce qu'au niveau local, la municipalité serait indiscutablement l'un des partenaires pour fournir un service local. Les organismes provinciaux doivent examiner ce processus et y participer. Nous en avons fait l'expérience dans une certaine mesure en Ontario et on ne peut résoudre les problèmes relatifs aux assurances au niveau local. C'est une compétence provinciale. Les conditions pour obtenir une assurance peuvent être changées. Par exemple, si dans un service qui transporte des personnes, le conducteur reçoit une petite compensation pour l'essence, concernant l'assurance il est dans une position très vulnérable en cas d'accident. Les organismes provinciaux peuvent traiter ce genre de situation et l'ont montré. Ce n'est pas facile, mais il faut le faire. Le partenaire provincial a un rôle dans la fourniture d'une protection. Si on veut faire quelque chose concernant l'accès aux autobus scolaires, il faut traiter avec la Commission scolaire, le ministère de l'Éducation au niveau provincial et la délivrance de licences d'autobus et de taxi.
Savez-vous que dans une région rurale vous pouvez prendre un taxi dans une ville pour vous rendre à un lieu rural non agricole, mais le taxi ne peut venir de la ville pour vous prendre à votre lieu rural non agricole? Son permis ne l'autorise pas. Il doit vous prendre en ville pour vous transporter chez vous à l'extérieur, mais ne peut vous transporter en ville. C'est l'un des éléments archaïques de la législation des permis de taxi dont le but est d'égaliser les chances, entre les taxis, d'offrir un service de taxi. Les organismes provinciaux peuvent résoudre toutes sortes de problèmes bizarres dans le système.
Vous rappelez-vous l'illustration montrant où il faut se rendre pour fonctionner en société? Se déplacer de la sorte n'est pas écologique. Hier à Statistique Canada j'ai passé presque deux heures et demie à écouter un conférencier venu de Grande-Bretagne. Si vous avez lu les journaux, vous savez que la Grande-Bretagne est très préoccupée présentement par le changement climatique. Ce conférencier était membre de la commission de préservation rurale et son mandat était d'atténuer l'impression que le milieu rural en Angleterre n'est pas écologique à cause des déplacements par automobile et des trajets quotidiens. On est fort préoccupé par les personnes qui doivent faire un trajet quotidien de régions rurales à des villes, ou entre des régions rurales. Ce n'est pas écologique à cause des émissions de gaz à effet de serre et de l'utilisation d'automobiles qui ne transportent qu'une seule personne.
La solution est de fournir des moyens de transport collectif. On pourrait créer des services où deux ou trois personnes prendraient place dans une voiture ou une fourgonnette au lieu d'une seule personne. Si on encourageait ou examinait l'efficacité d'une législation offrant des incitatifs à utiliser des carburants efficaces, on n'utiliserait pas de VUS mais des fourgonnettes pouvant consommer un biocarburant. Étant donné que vous économisez l'énergie et réduisez les émissions de gaz à effet de serre, vous soutenez en même temps la population agricole locale qui vit en partie de la production de récoltes pour les biocarburants.
J'insiste sur le fait que le problème des transports est une occasion de faire plusieurs choses en même temps. Nous pourrions résoudre le problème écologique, qui est très grave. Si l'Angleterre n'est pas écologique au point de vue du carburant, comment allons-nous assurer la subsistance des régions rurales du Canada, où les distances sont le double et les emplacements deux fois plus éparpillés?
Je pense qu'il y a des possibilités de faire d'une pierre deux ou trois coups. Je ne sais pas si vous percevez cela comme une bifurcation sur la route ou comme le commencement d'un voyage ou la fin d'un voyage. En fin de compte, nous sommes revenus à la façon dont vous percevez les choses et j'espère que j'ai pu vous influencer un peu à cet égard.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Cummings, vous avez fait mention de l'immigration à plusieurs reprises. Je suis moi-même issue d'une région rurale, plus précisément de l'Île-du-Prince-Édouard. Comment encourageons-nous les immigrants à s'établir dans les régions rurales du Canada? Environ 90 p. 100 de nos immigrants choisissent la Colombie-Britannique, l'Ontario ou le Québec et s'établissent à Montréal, Vancouver et Toronto. Le Canada atlantique accueille très peu d'immigrants. Dans ma propre province, nous nous attendons à ce que notre population de personnes âgées double d'ici 2026 et représente alors 28 p. 100 de la population totale et à ce que le nombre d'enfants de moins de 14 ans soit inférieur à celui des personnes âgées.
Nous devons assurément accroître l'immigration. Le gouvernement fédéral peut-il atteindre cet objectif grâce à des politiques sur l'immigration? La semaine dernière, nous avons entendu un témoin de Mount Allison, M. David Bruce, qui a effectué une étude sur la dépopulation des régions rurales au Canada atlantique. Dans cette étude, il parle de « collectivités accueillantes », un concept qui va plus loin que l'accueil réservé par une collectivité et englobe les emplois, le logement et d'autres services, comme des cours d'anglais, etc., qui sont mis à la disposition des immigrants.
Le gouvernement fédéral peut-il jouer un rôle? Comment encourageons-nous les immigrants à venir s'établir dans les régions rurales du Canada?
M. Cummings : Je vous parlerai en m'appuyant sur mon expérience. Durant les années 1970, j'ai collaboré avec la présidente du Women's Institute of Nova Scotia à un livre vert sur la politique en matière d'immigration pour le Conseil canadien de l'aménagement rural dans le cadre d'une étude nationale sur l'immigration. Plus récemment, j'ai effectué une étude sur l'immigration dans les zones rurales de l'Ontario. Je ne sais pas si je peux retrouver l'étude du livre vert; elle doit être dans mes archives ou quelque part à la bibliothèque. M. Fuller en a une. J'ai une copie de l'étude de l'Ontario affichée sur Internet. Les services d'immigration sont constitués de centres d'accueil métropolitains où les immigrants doivent se rendre et où se font les débours.
Je vous parlerai du Nord de l'Ontario parce que nous y avions mis sur pied des groupes de discussion dans ces collectivités. Comme il n'existe pas de centre interculturel ou de structure équivalente dans une collectivité rurale, il faut trouver une organisation prête à fournir certains services culturels, probablement à temps partiel, puisque la demande ne permet pas d'offrir un service à temps plein. Il faut que les services communautaires aux immigrants s'appuient sur les organisations existantes d'une collectivité. Celles-ci doivent faire montre d'une ouverture aux milieux interculturels, aux personnes de langues et d'orientations diverses. Il faut fournir une forme quelconque de soutien. Le fournisseur ne doit pas nécessairement être une grande organisation en mesure d'y affecter un employé à temps plein. Ce soutien peut faire partie des fonctions d'un employé ou constituer un ensemble qui peut être divisé en volets qui répondent aux besoins de la collectivité où il est offert.
En ce qui concerne l'emploi, nous avons constaté que les gens se dirigent vers des secteurs où des amis ou une connaissance ont décroché un emploi et qu'ils utilisent donc leur réseau d'amis. Une fois qu'ils y sont mais qu'ils s'aperçoivent que leur ami n'a pas de bons contacts, ils ne savent pas vers qui se tourner. Si l'ami ou la connaissance en question n'est pas établi dans la collectivité depuis longtemps et que survient un problème d'emploi ou de santé, l'immigrant ne sait pas vers qui se tourner. Comment un nouvel immigrant établi dans une collectivité rurale peut-il trouver un médecin en l'absence de services locaux? Les services d'enseignement de l'anglais langue seconde sont de plus en plus rares dans ces collectivités. Or, deux services sont nécessaires : le service interculturel et le service d'enseignement de l'anglais langue seconde. Ils n'ont pas à être importants et coûteux. Ils peuvent être intégrés à des volets qui peuvent être divisés pour répondre aux besoins de la collectivité.
Les immigrants doivent utiliser l'Internet pour trouver les modèles de service et, la plupart du temps, l'immigrant ne parle pas l'anglais et connaît peu ou pas l'Internet. Je sais que nous tentons de promouvoir les services en ligne auprès des résidants des régions rurales où bien souvent, l'accès se fait encore par ligne commutée, ce qui, rajouté aux problèmes de langue, fait que ce service n'est pas utilisé. Nous leur avons demandés quels services ils utilisaient, et ils nous ont dit utiliser leurs amis, leurs familles et leurs contacts.
À mon avis, il faudrait trouver des moyens appropriés pour diviser l'ensemble de services en volets permettant à une personne de consacrer une partie de son temps à des activités interculturelles, une autre à des cours d'anglais langue seconde et une autre à l'aide à la recherche d'emploi, le tout intégré à une organisation existante.
Vous abordez un sujet auquel je suis sensible depuis quelque temps déjà.
Le sénateur Callbeck : Connaissez-vous une région rurale du Canada qui a réussi à garder ses immigrants?
M. Cummings : Ce sont généralement des régions ayant déjà accueilli des immigrants et où réside un nombre suffisant de personnes appartenant à un groupe particulier. Les régions où résident des Hollandais, des Allemands, des Vietnamiens ou des Finlandais sont généralement celles qui ont réussi.
M. Fuller : Winkler, une ville située dans le sud du Manitoba, est un exemple classique. Les dirigeants de l'usine vont directement recruter leurs employés à l'étranger et les ramènent à Winkler. Une fois la masse critique atteinte, les gens savent qu'ils y ont des compatriotes. Cette approche semble fonctionner. Près du tiers de la population s'est établie à Winkler au cours des cinq dernières années.
M. Cummings : Il existe un nouveau modèle qui porte ses fruits, celui de l'entrepreneur indépendant qui exploite un dépanneur. Les immigrants achètent de plus en plus de stations-services et de dépanneurs. À Magnetawan, une famille d'immigrants exploite maintenant le magasin général local et s'en tire très bien.
M. Fuller : Ça prend du temps.
M. Cummings : Les services de soutien font défaut. Les groupes de discussion du Nord de l'Ontario ne recevaient aucun soutien de nos services nationaux d'immigration. Ils se débrouillaient seuls ou grâce à la bonté des gens de la collectivité.
M. Fuller : Un bureau près de Guelph vient d'être fermé parce qu'il n'était pas assez occupé. Les habitants de Rockwood doivent aller au bureau de Guelph, une collectivité de 100 000 habitants, et il est question de le fermer également.
M. Cummings : L'Internet ne vient pas remplacer ces services.
Le sénateur Segal : Je veux faire un rapprochement entre les politiques axées sur les lieux auxquelles M. Cummings a fait référence, l'évaluation du problème de transport géophysique de M. Fuller, tel qu'il existe dans les collectivités isolées, et une question qu'a soulevé devant nous, la semaine dernière, un professeur qui enseigne à la fois à l'Université de la Saskatchewan et à l'Université de l'Ohio. Il nous a parlé de l'importance des grappes économiques au Canada rural qui permettent une progression des sources de revenus non agricoles qui aident les populations rurales à obtenir le niveau de revenu nécessaire.
J'aimerais demander aux témoins de s'aventurer séparément dans le domaine des possibilités en matière d'élaboration de politiques. J'ai pris connaissance de la liste de suggestions de M. Fuller énumérant les questions qui pourraient être abordées par un large éventail d'instances fédérales, provinciales, municipales et de comté, comme la délivrance de permis, et ainsi de suite. Je crois profondément au gouvernement, mais certaines choses, de par leur nature même, sont parfois si infimes et si détaillées que le gouvernement, malgré sa bonne foi et un financement très élaboré, a de la difficulté à atteindre l'objectif. Je suis à la recherche d'instruments facilement accessibles de politique gouvernementale qui pourraient faire véritablement une différence en un laps de temps raisonnable; par exemple, si nous décidions d'avoir recours à un supplément du revenu gagné qui fournirait à tous les travailleurs canadiens se situant sous le seuil de faible revenu un remboursement supplémentaire d'impôt pour les faire passer au-delà de ce seuil. Une telle mesure serait déterminante dans des domaines comme les allocations de logement pour aînés et d'autres programmes déjà existants. Des gouvernements éclairés ont déménagé des ministères importants comptant un grand nombre d'employés — services administratifs — dans des villes comme Summerside, Kingston et North Bay, pour de solides et bonnes raisons. Ils ont ainsi créé une masse critique d'emplois permettant à un membre de ménages agricoles ou ruraux d'avoir accès à une source de revenus supplémentaires hors ferme en raison de fluctuations cycliques que peuvent subir les prix ou un produit.
Je suis intéressé à connaître votre opinion parce que vous avez fait le tour de la question à de nombreuses reprises. Vous avez examiné ce qui est faisable de nombreux points de vue différents, non pas ce qui est idéal. Quelle serait la meilleure avenue possible? Je vous demande d'être aussi franc et ouvert que vous l'avez été au sujet de la nature du problème et du défi. J'aimerais savoir ce que vous pensez que le gouvernement peut faire, même avec les meilleures intentions, aux échelons fédéral, provincial et municipal. Quelle serait la première mesure importante que vous prendriez au cours des 24 prochains mois pour vraiment faire une différence mesurable dans la vie des gens du noyau rural? Cette intervention devrait reposer sur votre conception de la dynamique, compte tenu des différences que présentent la constitution des familles, les caractéristiques démographiques et le tissu économique d'un endroit à l'autre. En prenant tous ces aspects en considération, que recommanderiez-vous? Que conseilleriez-vous au comité?
Je suis conscient que nous vous a demandé de nous présenter une analyse et non une orientation préconisée, mais j'essaie d'insister un peu pour voir si vous voulez vous aventurer sur ce terrain.
M. Fuller : C'est la question piège : que faire en 24 mois? Bien chanceux que nous ayons 24 mois et non pas six.
D'après ce que je comprends, les régions rurales, y compris celles d'Europe, sont des systèmes très particuliers. Je suis certain que les villes le sont aussi. La nature des endroits ruraux et leurs façons de faire et de ne pas faire et leurs manières de voir les choses et d'agir sont très spécifiques aux diverses régions du pays. Le programme LEADER+ en Europe et notre Programme de développement des collectivités ne cessent de m'impressionner. Dans le cadre de chacun de ces programmes, le gouvernement central fournit un certain financement et certaines règles du jeu à respecter pour stimuler les programmes, puis se tient à l'écart. Ce faisant, il laisse opérer la vérité fondamentale des collectivités rurales : celles-ci peuvent déterminer si elles ont une certaine motivation ou un peu d'espace ou des ressources pour le faire. Elles sont capables de concrétiser nombre de leurs propres idées.
L'intervention gouvernementale que je préconise n'est pas l'élaboration de programmes, qui ont pour effet de mettre à exécution une mesure quelconque et de créer des problèmes en raison d'un ciblage destiné à garantir que les bonnes personnes aient la bonne chose, mais plutôt l'attribution de certaines ressources à des régions reconnues comme abritant de nombreux défavorisés. Il ne suffit pas de construire une plus belle mairie.
Il ne faut pas douter que les citoyens canadiens feront ce qu'ils ont à faire s'ils disposent des ressources nécessaires et si nous leur fournissons ensuite des moyens de le faire. Ils doivent rendre compte de ce qu'ils ont reçu du gouvernement, mais le gouvernement doit essentiellement rester à l'écart. Nous n'avons pas besoin d'agents sur le terrain pour se charger de tout à leur place. C'est ce que je préconise.
M. Cummings : J'aborderai la question sous un angle légèrement différent. Des recherches et le gros bon sens témoignent en faveur de politiques sur le revenu minimum, comme le supplément de revenu garanti du Canada établi dans l'Ouest du Canada, si je me rappelle bien.
Le sénateur Segal : C'était au Manitoba.
M. Cummings : L'actuelle politique du Canada en matière de sécurité sociale, que ce soit par l'entremise du SGR ou d'autres programmes d'action, a réduit le soutien de base nécessaire aux familles au point de le rendre insoutenable. J'envisagerais d'essayer de gérer quelque chose de plus soutenable à cet égard, soit par le biais d'un système de supplément du revenu ou d'un mécanisme permettant d'examiner de façon raisonnable les besoins de façon à ce que nous puissions donner aux familles le soutien raisonnable dont elles ont besoin. Nous avons certes considérablement réduit les prestations d'aide sociale au cours des 10 dernières années, mais nous disposons de solides résultats de recherche qui mettent en évidence le fait que les personnes qui n'ont plus reçu ces prestations se sont bien souvent retrouvées dans la misère. Certaines de ces personnes ont réussi à s'en sortir, mais environ 25 p. 100 d'entre elles ont été anéanties, probablement d'une façon beaucoup plus irrémédiable que si nous n'avions pas réduit autant nos prestations aux familles dans le besoin.
Les politiques adaptées à un lieu m'attirent davantage. J'avais l'habitude de parler de la tyrannie des moyennes. Mon comté, à savoir le comté de Huron, n'a jamais été admissible à une aide de l'ancien ministère de l'Expansion économique régionale parce qu'il est situé dans cette riche province qu'est l'Ontario. Il y a 20 ans, lorsque j'ai comparé le comté de Huron avec des régions de Terre-Neuve et du Labrador, j'ai constaté que les habitants de mon comté affichaient des statistiques sociales plus désastreuses que ceux de ces régions mais que nous n'étions pas admissibles puisque la province ne l'était pas. Nous nous sommes améliorés, et le Programme de développement des collectivités, qui permet de moduler les programmes selon les situations, est un exemple, mais on peut faire encore mieux.
Il n'est pas difficile d'élaborer des programmes mieux adaptés au lieu, et le Canada est renommé pour ses grands espaces. Je ferais ces deux choses.
Le sénateur Milne : Je suis une nouvelle-venue au sein de ce comité et je remplace un membre régulier. Or, certaines choses que vous avez dites m'intriguent.
Monsieur Fuller, vous demandez de prédire l'avenir. Il n'y a pas si longtemps, on pouvait voir la majeure partie des meilleures terres agricoles du Canada du haut de la Tour du CN, dans le centre-ville de Toronto. De nos jours, le ciment, l'asphalte et les maisons poussent en abondance sur ces terres. Nos villes ne cessent d'empiéter sur nos plus belles terres agricoles. Dans le Nord de l'Ontario, le seul secteur du bois d'œuvre a vu disparaître au cours des derniers mois quelque chose comme 6 000 emplois. Selon une prédiction que j'ai entendue, si la Commission canadienne du blé disparaissait, il en coûterait aux agriculteurs de l'Ouest de 320 à to 650 millions de dollars par année en revenus. À mon avis, la pauvreté rurale ne peut qu'aller croissant. Nous détruisons nos meilleures terres et nous coupons littéralement l'herbe sous le pied des agriculteurs qui y sont établis.
D'après vous, monsieur Cummings, quel est l'âge moyen des agriculteurs? Selon moi, il est de 65 ans.
M. Cummings : Non, l'âge moyen est de 53 ans.
M. Fuller : Je pense qu'il est aux alentours de 55 ans.
Le sénateur Milne : Puisque seulement 5 p. 100 du Canada est constitué de terres arables, quel est le pourcentage réel d'agriculteurs parmi les résidants ruraux? Vous avez dit que ce pourcentage était très faible. Quel est le vrai pourcentage d'agriculteurs?
M. Cummings : Il représente environ 3 p. 100 du total de la population canadienne.
M. Fuller : Je pense que c'est 2,3 p. 100.
Le sénateur Milne : Leur nombre diminuera, leur âge augmentera, tout comme la pauvreté rurale — je trouve toute cette situation extrêmement déprimante.
M. Cummings : Dans les régions soumises à une exploitation agricole intensive, l'agriculture fournit 10 à 20 p. 100 des emplois. Nous sommes devenus une société de services, comme une grande partie du reste du monde.
Le sénateur Milne : Vous avez parlé de la valeur des retombées de l'agriculture dans les collectivités rurales, qui sont attribuables à l'industrie de l'équipement agricole et à tous ces autres emplois. Lorsque je regarde ce diagramme à barres, je constate que les régions rurales voisines de régions métropolitaines avec 15 p. 100 de la population canadienne sont en croissance.
M. Cummings : Une croissance s'observe généralement dans ces régions.
Le sénateur Milne : Ce sont des régions où les jeunes gens peuvent plus facilement trouver de l'emploi à l'extérieur de la ferme et ils n'y reviendront pas.
M. Fuller : Seulement s'ils peuvent réussir à décrocher des emplois.
Le sénateur Milne : Ils ne reviendront pas à la ferme pour devenir agriculteur. Historiquement, ils ne l'ont pas fait. Encore une fois, je suis déprimée par ce que j'ai entendu et par ce que je sais.
La présidente : Nous sommes désolés qu'il en soit ainsi lors de votre première participation à ce comité; cela met toutefois en évidence les nombreuses difficultés et c'est pénible.
Le sénateur Milne : Je cherche des réponses, mesdames et messieurs.
M. Fuller : Je ne suis pas en désaccord. Je ne veux pas paraître désinvolte, mais je crois qu'il en a toujours été ainsi.
Le sénateur Milne : Des études démographiques, même celles effectuées au R.-U., montrent que chaque génération se rapproche du centre de population le plus proche de 5 milles.
M. Fuller : Une série chronologique de tendances montre que la population agricole a diminué. L'une des premières commissions à laquelle j'ai siégé à mon arrivée au Canada concernait la pauvreté rurale. À cette époque, le programme ARDA sortait délibérément les agriculteurs des régions rurales et procédait à un remembrement des fermes jugées trop petites. L'État a en fait contribué à l'exode rural, car il jugeait que les fermes étaient trop nombreuses. Le rapport déposé à l'époque était intitulé The Challenge of Abundance.
Même le Canada avait une politique favorisant l'exode rural et le remembrement. Nous avons financé le recyclage des agriculteurs et leur réinstallation dans toutes les régions du Canada. Le cycle va et vient. Rappelez-vous la crise de l'agriculture du début des années 80, lorsque les taux d'intérêt étaient si élevés et que nous avons perdu, au propre comme au figuré, un si grand nombre de personnes. L'agriculture subit périodiquement des crises qui sont en grande partie le fait de l'ensemble de l'industrie alimentaire.
La même chose se produit aux États-Unis; nous pourrions avoir cette même conversation en France, tout comme en Italie. Le monde perd ses agriculteurs. Je ne pense pas que nous soyons différents, même si les conditions locales peuvent être légèrement différentes.
Nous venons de terminer une conférence portant sur la Fondation canadienne de la restructuration rurale qui, à ses débuts s'appelait le groupe sur la restructuration rurale et l'agriculture. Nous avons formé ce groupe durant les années 1980 par suite de la crise que subissait l'agriculture au Canada. Les universitaires se sont mobilisés spontanément; nous nous sommes réunis pour tenter de comprendre ce qui se passait. Presque tout ce que nous faisions était totalement déprimant — j'étais déprimé tout comme vous l'êtes — parce que les forces qui faisaient sombrer l'économie rurale étaient essentiellement internationales et institutionnelles. Nous pouvons toujours poser la question d'économie politique — quand un secteur va mal, un autre, quelque part en profite; c'est un genre de situation gagnant-perdant.
Je ne pense pas que vous trouveriez la situation trop déprimante si vous parliez à Cargill, qui fait concurrence à la Commission du blé.
Le sénateur Milne : La société Cargill est enchantée.
M. Fuller : Absolument, et Cargill emploie un grand nombre de Canadiens. Nombre de mes étudiants travaillent pour Cargill, Monsanto et toutes les autres organisations qui font de très bonnes affaires dans l'industrie alimentaire. Le secteur de l'alimentation est en plein essor. Il est dynamique. Seule l'agriculture en arrache.
Le sénateur Milne : N'est-elle pas est censée être la base de la pyramide?
M. Fuller : Quand les agriculteurs ont-il eu une période de prospérité? Quand nous sommes nous tous réunis pour faire la fête et célébrer la prospérité du secteur agricole?
Le sénateur Gustafson : 1972.
M. Fuller : Il faudrait donc s'en souvenir. Tous les dix ans après 1972, nous aurions dû célébrer. Mais c'est à peu près la seule fois dont je peux me rappeler.
M. Cummings : Cette situation a eu une retombée positive sur l'esprit d'entreprise de Canadiens, d'agriculteurs, de résidants ruraux. Les endroits où il y a création d'emplois et progrès sont ceux où les gens prennent les choses en main pour trouver d'autres moyens de faire des affaires — soit liées à l'exploitation agricole ou à des activités à la ferme et connexes — parce qu'ils ont toujours à cœur leur profession d'agriculteur et choisissent de faire des choses intéressantes et novatrices qu'ils vendent ensuite au reste du monde.
Une solution consiste à trouver des moyens d'appuyer l'esprit d'entreprise, peu importe où elle se trouve au pays. Je suis constamment impressionné par l'innovation que je vois dans tous les coins du Canada. Je veux créer des politiques porteuses d'innovation. En d'autres termes, je dois reconnaître la diversité des situations rurales et en ternir compte — ne pas essayer de généraliser et d'avoir une série unique de politiques.
En Ontario, l'un des aspects que je préconise est une politique en matière de planification, qui permet à diverses activités économiques rurales de se dérouler, et grâce à laquelle nos étudiants, qui deviennent des planificateurs municipaux, n'excluent pas des activités de rechange d'une zone.
Le sénateur Milne : Ils ont tendance à le faire.
M. Fuller : Ils pensent qu'ils sauvent l'agriculture, et ce n'est pas la bonne chose à faire.
M. Cummings : En matière de planification, nous avons un nouvel urbanisme. Je veux créer le nouveau ruralisme, qui favorise des milieux ruraux à usage mixte, propices à une variété d'activités. Il permet une transition avec d'autres activités et soutient cette transition de la façon dont nous avons traditionnellement appuyé l'entreprenariat.
Le sénateur Gustafson : La Saskatchewan, qui compte 40 p. 100 de terres arables, perd des agriculteurs. À l'heure actuelle, des centaines de quarts de section de terres ne sont même pas ensemencés car il n'y a personne pour le faire, un phénomène qui s'observe depuis les deux ou trois dernières années.
Il y a deux semaines, je me trouvais dans le bureau du ministre de l'Agriculture à Regina et je lui ai demandé si la situation dans le Nord était aussi difficile que dans le Sud. Je pense que le problème est de nature politique. Nos partis politiques, qu'il s'agisse des Conservateurs, des Libéraux ou des Néo-démocrates, ne s'intéressent vraiment pas au problème rural auquel le Canada est maintenant confronté. Nous devons commencer à redonner quelque chose au Canada rural. Or, rien ne pousse les politiciens à le faire, parce que tous les votes sont à Toronto, à Montréal, à Vancouver, à Calgary et à Edmonton. Par ailleurs, notre environnement disparaît. Vous ne pouvez prendre soin de la terre à moins que des agriculteurs y habitent, et ces derniers la quittent.
On parle de crédits d'énergie, et ceux-ci pourraient être une bonne solution au problème. L'état pitoyable de l'environnement faisait la manchette de l'édition d'hier du Globe and Mail, qui disait qu'il faudrait des milliards de dollars pour remédier à ce problème. Il n'en faudrait pas tant si nous avions pris soin de la terre convenablement.
L'autre aspect est le prix des produits. Le transport du blé par camion jusqu'à la tête des Grands Lacs ou à Vancouver nous coûte la moitié du prix que nous touchons pour cette céréale. Je me trouvais au terminal Weyburn et j'ai demandé le prix du blé de la meilleure catégorie. Il est de 1,90 $ le boisseau. En 1972, le baril de pétrole valait 2 $ et un boisseau de blé, 2 $ également. De nos jours, vous pourrez peut-être obtenir 3 $ pour le blé, et le baril de pétrole coûte 60 $. Comment voulez-vous faire fonctionner un système comme ça? Ce n'est pas possible.
Vous n'êtes pas venus ici pour que je vous dise comment faire, mais nous devrons faire quelque chose qui ressemble à ce que les Américains ont fait.
M. Cummings : Nous écouterons vos idées.
Le sénateur Gustafson : Nous disons que nous allons convaincre les Américains de ne plus subventionner. Nous y avons crû à tort pendant 20 ans, mais cela ne se produira pas. Ils augmentent leurs subventions et ils font la bonne chose. Or, au Canada, nous n'avons jamais vraiment examiné la situation globale à laquelle l'agriculture fait face. Si nous l'avions fait, il nous aurait fallu agir.
M. Fuller : Vous avez mentionné une partie de la solution, parce que je crois que l'environnement est la grande question de l'heure. C'est la question de la décennie, voire du siècle. Les terres et les gens qui les occupent ont un rôle majeur à jouer. L'augmentation des subventions dont vous parlez, du moins en Europe très certainement, s'explique par le fait que l'Europe est déjà en train de passer de la catégorie bleue à la catégorie verte et abandonne le soutien au produit au profit du soutien à l'environnement. Les Européens encouragent les propriétaires fonciers — j'utilise ce cette expression par que les personnes qui sont propriétaires d'une terre ne la cultivent pas nécessairement — à participer aux biens et services environnementaux. Ils prennent soin de nos cours d'eau, de nos forêts et de nos terres, et tentent également leur chance sur le marché avec des produits. C'est une contribution valable et majeure que l'État peut faire, par le biais des terres, à la question environnementale, et elle résout partiellement la question agricole en même temps. Ça devient en quelque sorte un type de revenu garanti; cependant, il faut s'engager à fournir des services qui prennent soin de la terre de certaines façons, ce qui n'est peut-être pas la même chose.
Le sénateur Gustafson : Ils ont entrepris un programme qui n'en est toutefois qu'au tout début.
M. Fuller : Il faut le promouvoir. À Brandon, au Manitoba, nous avons donné un cours d'été à des étudiants au doctorat provenant d'Europe, des États-Unis et du Brésil. Canards Illimités et d'autres groupes sont venus nous parler de ce qui, à leur avis, arriverait au système de production des Prairies et de ce que la politique devrait faire à ce sujet. Tous, y compris le ministère de l'Agriculture du Manitoba, ont réagi de la même façon et se sont prononcé en faveur de l'environnement et non d'une autre série de débats.
Le sénateur Gustafson : Pour cela, les agriculteurs ont toutefois besoin de capital. Ils ne peuvent le faire, et le faire adéquatement sans capital. Beaucoup d'agriculteurs ont monnayé leurs terres. Nombre d'entre eux sont septuagénaires. De nombreux agriculteurs ont vendu leur machinerie; ils ne peuvent recommencer à exploiter la terre. Si le prix des produits descend encore plus, ce sera le chaos dans les régions rurales.
M. Fuller : Je suis d'accord. Nous ne pouvons pas faire grand-chose aux prix des produits, mais nous pouvons transférer certains types de revenus aux agriculteurs pour qu'ils fassent un type de travail différent d'avant.
Le sénateur Gustafson : Je pense que nous le pouvons. Dans le sud de la Saskatchewan, tous les acteurs importants construisent des terminaux. Ils font des gains considérables et ils adorent la Commission canadienne du blé, car elle les garde en vie. Ils ramassent tous les profits sur les céréales. Cargill n'est pas au bord de la faillite. Arthur Daniels Midland n'est pas au bord de la faillite. Je pensais téléphoner à Brian Mulroney pour savoir s'il pouvait intervenir puisqu'il siège au Conseil d'administration. C'est tout un défi.
M. Cummings : Dans ce cas précis, M. Fuller et moi-même serions d'accord. Le Canada a pris du retard, tandis que de nombreux autres pays se sont déjà attaqués à la question des produits et services environnementaux. Nous avons eu des programmes. L'un de nos collègues a été partie prenante dans des ententes de gérance environnementale conclues avec des agriculteurs et prévoyant des encouragements fiscaux et autres en échange de la conservation de certaines parties de leurs terres et de certaines utilisations. Les raisons sont nombreuses pour se tourner vers les produits et services environnementaux. Ce pourrait être votre politique de 24 mois, sénateur Segal.
Le sénateur Gustafson : Le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole était un bon exemple de programme. Qu'a-t-il fait? Il a créé des centaines d'emplois à Winnipeg mais n'a jamais mis vraiment d'argent dans les fermes. Il a donné des emplois et peut-être permis d'obtenir un vote, je ne sais trop. Voilà ce qui s'est passé.
M. Fuller : Il faut ensuite tenir compte du changement climatique.
Le sénateur Christensen : C'est davantage une soirée de remue-méninges qu'une soirée de questions et réponses parce que j'ignore si nous avons de véritables questions à poser.
Les deux mots les plus intéressants que j'ai entendus ce soir et sur lesquels nous devrions probablement faire fond sont « innovation » et « valeur ajoutée » pour le Canada rural. Nous appliquons des solutions du XXe siècle à des problèmes du XXIe siècle. Nous devons commencer à sortir des sentiers battus pour résoudre ces problèmes, et cet exercice exigera d'innover.
La société a évolué mais pas nos politiques. Nous avons des citadins qui veulent un mode de vie rural, et des ruraux qui veulent les commodités qui viennent avec le style de vie urbain. Je ne sais comment nous fournissons tout cela.
Je viens du Yukon. Je ne parle pas uniquement d'agriculture; je parle du rural-urbain parce que c'est important dans le Nord. Là où j'ai grandi, la collectivité ne comptait que 12 personnes. Le médecin le plus proche se trouvait à trois jours de route par voie de terre. De nos jours, les attentes sont beaucoup plus élevées; notre société a évolué. Nous faisions autrefois partie d'un noyau, les enfants, les adultes, les adultes qui travaillaient et les aînés vivaient tous ensemble et s'acquittaient des tâches en alternance. Cela n'existe plus maintenant. Tout est compartimenté. Les enfants ont besoin d'une maternelle, puis d'une école primaire et secondaire; les aînés ont besoin de soins de santé additionnels de sorte qu'ils ne vivent plus avec leurs enfants ou encore, que leurs enfants vivent habituellement maintenant avec eux.
Notre société a subi des changements très profonds et nous, les décideurs, n'avons pas suivi le rythme. Nous avançons à grand peine avec nos mêmes vieilles politiques. Nous n'évoluons pas avec le public. Je ne sais pas comment faire, mais les mots « innovation » et « valeur ajoutée » ont été mentionnés ce soir.
Le mode de vie est important, certainement aux yeux des habitants du Nord, la région où j'habite. Ils font de nombreux sacrifices pour le mode de vie. Je pense aux exploitants de pourvoiries de chasse au gros gibier. Ils travaillent très fort pendant deux mois de l'année, lors de la saison de la chasse au gros gibier. Ils passent le reste du temps à promouvoir leurs entreprises et font d'énormes sacrifices à cette fin. C'est le mode de vie qu'ils aiment vraiment. C'est la même chose pour les trappeurs et d'autres personnes. Leur mode de vie a une grande importance à leurs yeux, et ils feraient n'importe quoi pour le garder. Lorsqu'ils ne peuvent plus mener un tel mode de vie, ils veulent déménager. De nos jours, les gens déménagent constamment. Il est fini le temps des collectivités statiques où les gens qui y étaient nés y restaient jusqu'à leur mort; il faut continuer d'évoluer. Nos politiques doivent être à la mesure de cette évolution.
Dans certaines régions, nombre de personnes ne veulent pas se conformer aux exigences. Whitehorse est le principal grand centre qui répond à tous les grandes exigences en matière de soins de santé aux aînés ayant divers types de besoin. Les collectivités plus petites veulent le même genre de services, mais seulement pour trois aînés. Elles ne veulent pas qu'ils partent parce que les familles veulent rester avec eux. Comment peut-on fournir des soins infirmiers à trois ou quatre aînés vingt-quatre heures sur vingt-quatre? Pour commencer, il est impossible de recruter du personnel infirmier. Voilà le genre de problèmes à régler pour lesquels il faut sortir des sentiers battus. Comment peut-on y arriver?
En ce qui concerne les immigrants, rappelez-vous que, au début du XXe siècle et même avant, nombre d'entre eux provenaient des régions rurales de leurs pays d'origine. Ils étaient obligés de quitter leurs fermes pour des raisons politiques ou faute de récolte, et ils devaient s'en aller parce qu'ils mouraient de faim. Ils étaient des gens de la campagne et ils se sont établis dans la campagne canadienne.
De nos jours, la plupart de nos immigrants viennent des centres urbains de leur pays d'origine. Ils ne veulent pas aller dans les régions rurales, car ce mode de vie leur est étranger. On ne peut pas chercher des moyens pour les sortir de la ville et les inciter à s'installer à la campagne parce qu'ils ne peuvent être transplantés.
Je n'ai pas les réponses. Ce sont des aspects sur lesquels nous devons nous arrêter, et nous devons trouver des moyens novateurs et différents pour les aborder. Ce sera difficile, mais il est certain que nous pouvons compter sur de nombreux gens de talent, et une raison pour laquelle nous effectuons cette étude est que nous pouvons faire appel à des gens comme vous pour nous stimuler et nous amener, espérons-le, hors des sentiers battus.
M. Cummings : J'ai dit que la région rurale, comme le reste du Canada, est devenue une économie de services, ce qui offre des possibilités. Je fais des travaux à Chapleau dans le nord de l'Ontario, et je loge dans un poste de classement des œufs qui a été restauré. Il a été rénové pour en faire un gîte touristique, et l'hôtelier a toutes sortes d'histoires à raconter. Et oui, il nous sert des œufs au petit-déjeuner — délicieux. Les touristes américains font vivre l'homme une partie de l'année. Il était fermier, triait des œufs et les livrait, et maintenant il tient un gîte et vit du tourisme, y compris de la motoneige. Nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir ce secteur de l'économie. Dans certaines régions du Canada, le tourisme est une activité à valeur ajoutée. Il est une façon d'offrir des biens et services environnementaux. Il propose une « expérience valorisée ».
Nous nous montrons timorés dans nos activités de promotion. Nous ne faisons pas preuve d'imagination dans la manière dont nous vantons notre nature et les possibilités qui s'offrent. Nous pouvons soutenir le secteur des services de multiples façons. Nous soutiendrons la ruralité dans une bonne partie du Canada, pas partout, mais assurément dans une bonne partie du Canada, nous allons soutenir la ruralité.
Le sénateur Callbeck : J'ai une question à poser au sujet du lien entre l'environnement et les agriculteurs pauvres. À votre avis, à mesure que le revenu des agriculteurs diminue, est-ce que le risque que le sol et les bassins versants soient dégradés augmente?
M. Fuller : Il y a des indications en Europe que plus les agriculteurs sont aux abois et plus intensément ils exploitent le sol. Plus ils cultivent et plus ils obtiennent de subventions, le système est ainsi fait. La seule façon que certains agriculteurs arrivent à se maintenir à flot, même avec un faible revenu, est de produire davantage avec les ressources stables qu'ils ont. Un certain nombre d'études montrent qu'ils épandent davantage d'engrais et ménagent moins leurs terres pour en augmenter le rendement. Il importe de produire plus plutôt que de produire mieux; les incitatifs sont mal ciblés. Je ne connais pas d'études canadiennes, il en existe peut-être, qui montrent la même chose.
Le sénateur Gustafson : Pour illustrer, nous sommes passés à la culture continue. Si on met les champs en jachère année après année, on favorise les remontées salines et on détruit absolument le sol. Les agriculteurs qui n'ont pas les moyens d'adopter la nouvelle méthode moderne de la culture continue se rabattent sur les jachères d'été. C'est ce que font les agriculteurs maintenant quand ils sont dans une mauvaise passe, mais ils ne devraient pas.
M. Fuller : À écouter votre commentaire, un exemple me vient à l'esprit : celui du projet de loi sur la gestion des éléments nutritifs en Ontario. Quand on a évalué l'incidence qu'aurait cette loi sur les exploitations agricoles de diverses tailles, on a trouvé que les agriculteurs les plus pauvres seraient les perdants, parce qu'ils n'auraient pas les moyens d'apporter les améliorations nécessaires pour se conformer à la loi. La loi imposerait un fardeau aux pauvres, alors que les exploitations plus riches ou à forte densité de capital seraient probablement capables d'emprunter pour apporter les changements. Ce n'est pas nécessairement la meilleure idée. Voilà une répercussion d'une politique projetée pour le bien de l'environnement et de la société en général, mais qui est nuisible pour les plus pauvres.
La présidente : J'ai écouté tout ceci avec grand intérêt.
M. Fuller : Vous n'avez pas posé de question.
La présidente : Non, j'ai écouté les questions et les réponses, en pensant à ma région dans le sud-ouest de l'Alberta. Les gens de mon coin seraient un peu déçus de nous ce soir. Avant de déclarer forfait, ils aimeraient nous rappeler ce dont on dispose encore. Pour ceux qui aiment la montagne, nous avons une chaîne. À ceux qui préfèrent les collines, nous offrons les collines Porcupine; si on aime les vallées fluviales, Lethbridge est construite sur les collines de la rivière Old Man. Si on aime les prairies, la prairie est juste là, de l'autre côté de la ville. Un des aspects les plus extraordinaires de la région — une petite ville entourée de villages historiques et innovants — ce sont les gens. Les gens sont ceux qu'il faut traiter comme le plus gros atout du pays. Nous avons les meilleurs agriculteurs, des gens innovateurs, des gens ingénieux. Dans ma région, il y a des gens qui ne veulent pas partir. Ils ont réchappé à la maladie de la vache folle, à la crise du bétail. Ils étaient sur le point d'affronter un autre problème auquel ce comité cherche une esquive — une attaque commerciale lancée du sud sur notre industrie de la betterave à sucre. Au cours des huit dernières années, Ils ont subi parmi les pires épisodes de sécheresse depuis les jours sombres des années 30. La liste s'allonge indéfiniment et, pourtant, ces gens ne veulent pas partir. Ils sont aux prises avec tous les maux et problèmes dont tout le monde a parlé ce soir. Il faut tenir compte de ce qui suit : Quand nous nous penchons sur un problème qui semble insurmontable, nous devons garder à l'esprit les gens qui y sont confrontés, parce qu'ils constituent la plus grande valeur du Canada. Il faut songer à la valeur ajoutée dans leur cas, comme nous le faisons pour leurs produits.
Voilà un des défis auxquels se mesure notre comité. Le sénateur Segal connaît mieux que d'autres cette dimension qui est en jeu, parce qu'il a fait sa propre étude. Nous devons aborder cette étude plus vaste en y appliquant certains points de vue.
Un point de vue est qu'il pourrait s'avérer utile de modifier la situation telle que nous l'avons connue. C'est un aspect à examiner, et c'est pourquoi il nous faut aller voir les gens et les écouter. Nous devons découvrir ce qu'ils veulent que nous fassions pour les aider à rester à la ferme, à bâtir leurs familles, à tâcher de soutenir leur secteur, à avoir une activité à valeur ajoutée, et cetera. Nous devons leur permettre de rester dans leurs terres.
Je remercie les témoins d'être venus nous parler ce soir, car ils ont beaucoup enrichi les travaux du comité. L'enjeu au cours de la prochaine année sera de déterminer comment nous pouvons conserver cette partie du Canada.
Personne ne sait mieux que le sénateur Gustafson combien la vie est difficile en milieu rural et tout ce qu'elle suppose. Cela dit, le monde rural existe, nous devons le conserver et nous ne souhaitons pas le voir annexé aux zones urbaines. Nous voulons un milieu agricole productif et nous voulons que les ruraux qui veulent demeurer dans leurs régions puissent le faire.
La séance est levée.