Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 10 - Témoignages du 9 novembre 2006


OTTAWA, le jeudi 9 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je souhaite le bonjour, aux honorables sénateurs, aux témoins et à vous tous qui suivez le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. En mai dernier, le comité a été autorisé à se pencher sur la pauvreté rurale au Canada et à rédiger un rapport sur la question; en effet, le sort des ruraux pauvres est resté trop longtemps ignoré par les décideurs et la classe politique. Jusqu'à la fin de cette année, notre comité entendra divers témoins qui nous donneront une vue d'ensemble de la pauvreté dans les régions rurales du Canada. Ce travail servira ensuite de fondement pour le déplacement dans des collectivités rurales à travers le pays que le comité projette l'an prochain. Nous nous mettrons en route et nous rendrons dans toutes les régions du Canada afin de constater avec nos propres yeux ce que nous aurons entendu au cours de nos audiences.

Nous recevons aujourd'hui deux témoins qui ont consacré leur carrière à étudier la problématique rurale et à réfléchir aux façons d'assurer la survie des campagnes canadiennes. Peter Apedaile vient de l'Alberta. M. Apedaile est professeur émérite au Département de l'économie rurale de l'Université de l'Alberta, et producteur à temps partiel de céréales et d'oléagineux dans le comté de Smoky Lake, dans le nord de l'Alberta, et il est l'un des fondateurs de la Fondation canadienne pour la revitalisation rurale. Son travail porte sur les liens croissants qui existent entre les économies rurales et l'économie mondiale, surtout dans le domaine de l'agriculture.

Bill Reimer, professeur de sociologie à l'Université Concordia, nous vient du Québec. M. Reimer est lui aussi un participant actif de la Fondation canadienne pour la revitalisation rurale, au sein de laquelle il assume actuellement les fonctions de directeur national de la recherche et siège à son conseil d'administration. Ses recherches portent sur l'inclusion et l'exclusion sociale dans le Canada rural, en particulier du point de vue de l'accès aux services.

Vous êtes les bienvenus, messieurs. Nous sommes ravis que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer pour parler de ce sujet.

Peter Apedaile, professeur émérite, Département de l'économie rurale, Université de l'Alberta, à titre personnel : Ma contribution ce matin n'est pas censée être exhaustive. En effet, il y a trop de choses à dire. Je vais plutôt vous faire part de dix mesures que les décideurs et leaders ruraux pourraient envisager pour aller droit au cœur de la problématique de la pauvreté rurale. Je me fonde en cela sur mon expérience ancienne et sur mon expérience politique nouvelle à titre de conseiller municipal cherchant à faire bouger les choses.

La première mesure consiste à promouvoir des alliances rurales-métropolitaines. Celles-ci doivent être axées sur nos intérêts communs et nous, leaders, devons tirer les leçons de l'interconnexion entre les écologies et économies rurales et métropolitaines et l'impératif de justice.

Cela est fondé sur des recherches lancées il y a déjà pas mal de temps. J'aimerais mentionner ce que nous sommes en train de faire dans le nord-est de l'Alberta. Nous négocions, et sommes proches de conclure, un accord entre l'agglomération d'Edmonton et la Northeast Alberta Economic Alliance, HUB. Le fait qu'une région rurale relativement isolée conclue un accord rural-métropolitain sera une première pour la province, et peut-être même pour le Canada. L'accord est centré sur notre participation, à titre de leaders ruraux, aux équipes de la stratégie des grappes industrielles d'Edmonton et sur le partage des services municipaux que peut offrir la solide administration municipale d'Edmonton et dont nous n'avons nous-mêmes pas les moyens. Nous allons partager également notre culture et nos arts, tant ceux de la ville d'Edmonton, où le monde du théâtre et des arts est très dynamique, et ceux de notre Nord- Est, où les arts patrimoniaux sont très développés.

La deuxième mesure consisterait à réduire les frais de transactions pour ceux qui changent d'emploi, particulièrement lorsqu'ils se déplacent entre les économies formelles et informelles. Les prestations de retraite, d'assurance-emploi et d'assurance-santé continuent de freiner les changements d'emploi. Les programmes et politiques fédérales ont facilité les choses au fil des ans mais il subsiste encore des coûts de transaction particulièrement difficiles pour les immigrants, les Autochtones et les ruraux démunis. Souvent, on constate une intersection entre ces trois groupes lorsqu'ils passent dans l'économie formelle.

Les cols bleus ruraux, en général, mettent en péril leur famille et leur santé lorsqu'ils changent d'emploi, en raison des délais de carence des prestations. Il faut signaler que nombre de nos emplois ruraux ne sont pas assortis d'avantages sociaux. Cela signifie qu'il n'y a pas d'assurance-maladie et dentaire complémentaires, etc. C'est là une carence importante à laquelle il importe de remédier.

Il faut améliorer le rendement de l'économie informelle. Il faut aider des ménages complets à passer d'une économie à l'autre. En effet, il faut bien voir que nos ménages ruraux sont « pluriactifs », ce qui signifie que leurs membres se livrent à une grande diversité d'activités économiques au jour le jour pour survivre. Cela est vrai de tous les ménages agricoles du Canada, quel que soit leur niveau de performance sur le marché des denrées commerciales.

La quatrième mesure consiste à affaiblir le piège de l'équilibre de faible niveau. C'est un sujet sur lequel je travaille depuis 1991. En 1990, j'étais chercheur invité à l'Institut national de recherche agronomique en France et j'y ai appris la théorie des systèmes et son application à la problématique rurale. Depuis 1991, j'ai une forte équipe de recherche composée de mathématiciens, de physiciens et d'économistes de l'Université de l'Alberta et de mon ancien Institut en France et nous travaillons sur ce concept du piège de l'équilibre de faible niveau.

En gros, la nature de l'économie est telle que les hommes et les entreprises se voient piéger à un faible niveau. Nous avons cherché des moyens d'affaiblir ce piège. Ce concept est très utile dans une optique pédagogique, si l'on pense la pauvreté rurale sous l'angle de personnes prises dans un piège de faible niveau.

La cinquième mesure consiste à aider de manière proactive les petites et moyennes entreprises rurales artisanales et communautaires, afin de les porter à des niveaux de rendement et de sécurité supérieurs. J'entends par là que les entreprises rurales, les petites entreprises, ont beaucoup de mal à accroître leur production et créer des emplois.

Cette conclusion se dégage du travail effectué par la Fondation auprès des petites et moyennes entreprises. Mon travail consistait à comparer les petites et moyennes entreprises rurales canadiennes avec les petites et moyennes entreprises rurales japonaises. Nous avons relevé une différence sensible : les entreprises japonaises parvenaient à croître, à créer davantage d'emplois, à conquérir de nouveaux débouchés et étaient plus grosses que les petites et moyennes entreprises rurales canadiennes, qui se voyaient enfermées dans un cadre familial et avaient toutes sortes de problèmes de capitalisation, d'accès au marché et de productivité.

Nous avons des preuves, relativement à cette mesure — à toutes les mesures, mais particulièrement à celle-ci — que si nous travaillons avec ces entreprises, nous pouvons les porter à des niveaux de rendement et à des normes supérieurs.

J'aimerais aussi signaler un petit détail sur lequel les ruraux butent souvent. Lorsque les femmes de notre centre communautaire vont porter des sandwiches aux pompiers aux prises avec une catastrophe, les sandwiches sont refusés parce qu'ils n'ont pas été confectionnés conformément aux règles de santé publique. Nos pompiers ont dû se passer de repas à cause de cette règle. Cela frise la stupidité.

Le sénateur Mercer : Cela ne frise pas, nous sommes en plein dedans.

M. Apedaile : La sixième mesure consiste en un jumelage. Nous avons un problème de rendement dans nos écoles rurales de l'Alberta. Nos écoles rurales, à quelques exceptions près, tendent à être très mal cotées. Nos écoles à Smoky Lake se situent en 500e ou 700e place dans le classement d'un peu moins de 800 écoles. Nous faisons tout ce que nous pouvons avec notre conseil scolaire, mais je pense qu'un jumelage rural-métropolitain serait utile.

Nous avons parlé de jumelage scolaire rural-rural, mais nous en avons probablement besoin entre les conseils scolaires ruraux et métropolitains. Ce n'est pas une question de transfert de ressources, mais de partager toutes les bonnes choses — installations sportives, bibliothèques, laboratoires et, bien sûr, apprentissage à distance — et de partager l'expérience en salle de classe afin d'aider, particulièrement les garçons, à poursuivre les études.

La septième mesure consiste en une meilleure harmonisation entre les politiques dans le domaine de la justice et celui de la santé mentale et sociale. Il faut être plus attentif au problème du transfert des responsabilités vers le bas dans ces trois domaines. Notre détachement de la GRC passe une bonne partie de son temps aux prises avec des malades mentaux. Ces derniers représentent un danger public dans nos collectivités. La province s'est déchargée de nombre des problèmes de santé mentale sur les municipalités, qui n'ont pas les ressources pour les régler, et où ils se traduisent par toutes sortes d'incidents tels que bris de clôtures et infractions avec armes à feu, des choses avec lesquelles un conseiller municipal comme moi doit se débattre. Je ne suis pas équipé pour faire face à cela, pas plus que ne l'est notre organisation rurale de prévention de la criminalité.

La huitième mesure consiste à déterminer la valeur du bien public que représente l'agriculture — c'est un débat qui dure depuis longtemps — et à rémunérer les agriculteurs en conséquence. Lors d'une comparution devant ce comité en 2001, j'ai présenté une argumentation longue et détaillée sur la distinction à établir entre le travail de la terre et l'agriculture commerciale. Tant que l'on appliquera des notions de compétitivité propres à l'agriculture commerciale, industrialisée, au travail de la terre, nous essuierons quantité de dégâts collatéraux. Ce pays a besoin de cultivateurs, pour toutes sortes de raisons. La plupart de ces raisons sont étrangères aux forces de l'offre et de la demande sur le marché. Par conséquent, la valeur des services que fournissent les cultivateurs n'est pas mise en évidence et nous concluons qu'ils ne sont probablement pas importants.

La neuvième mesure consiste à accélérer l'inclusion de l'agriculture et de la transformation des produits agricoles dans la réglementation du travail et de l'environnement. C'est un sujet controversé car nous avons utilisé les dérogations aux règles en matière d'environnement et de travail comme outil de compétitivité. Le lobby de l'agroalimentaire militera sûrement pour le maintien des dérogations car les marges bénéficiaires sont très serrées. La compétitivité d'une industrie n'est pas durable si elle repose sur la dérogation aux normes nationales relatives au traitement de la main-d'œuvre ou à l'environnement. Je pense que ces exemptions ne sont pas non plus conformes à l'éthique dans le contexte plus général de notre société.

Enfin, il faudra ajouter des dispositions plus agressives à nos mesures de viabilité dans le cadre du Nouveau pacte. En tant que conseiller municipal, je suis bénéficiaire de ces subventions au titre du Nouveau pacte et Dieu merci, quelqu'un a songé à placer la durabilité des collectivités dans les critères d'admissibilité. Nous utilisons cette subvention pour la première fois de notre histoire pour entreprendre une planification stratégique à long terme et construire des plans de développement pour nos localités. Ce sera une contribution importante à notre avenir, mais il faut faire plus. Nous devons utiliser ces subventions pour accroître la capacité d'auto-gouvernance des régions rurales. Nos conseils municipaux et nos institutions rurales sont trop touchés par le syndrome de la dépendance.

Je termine avec un autre remerciement pour votre invitation et en réitérant que la pauvreté rurale n'est pas une affaire d'idéologie, mais d'éthique, de sécurité nationale, de productivité des éléments d'actifs ruraux de notre nation, et elle est fondamentalement une affaire de mieux-être, ce dernier étant l'un des objectifs les plus importants que partagent tous les Canadiens.

La présidente : C'est là certainement un exposé original et très mûrement réfléchi. Je vous signale que le sénateur Grant Mitchell est parmi nous et qu'il est d'Edmonton. M. Apedaile réside en ce moment à Smoky Lake.

Bill Reimer, professeur, Département de sociologie et d'anthropologie, Université Concordia, à titre personnel : Moi aussi je tiens à remercier infiniment le comité de son invitation. J'ai pris connaissance de la documentation et des délibérations du comité jusqu'à présent et je suis très heureux de voir qu'au lieu de s'en tenir à une approche relativement étroite de la pauvreté, de l'agriculture et de l'exploitation forestière, le comité a choisi d'appréhender le sujet d'une manière plus globale, reconnaissant ainsi que la problématique de la pauvreté est complexe et indissociable d'une foule d'autres facteurs économiques, sociaux et politiques. En l'absence de cette réalisation, toute proposition de politique ou de programme résultant de vos délibérations ne pourrait représenter qu'une solution très partielle.

J'ai eu l'avantage de discuter à différentes reprises avec M. Apedaile de sa présentation au comité. Étant donné qu'elle s'accorde si bien avec mon propre point de vue, elle me dispense de m'attarder sur plusieurs caractéristiques de la société rurale qui se prêtent à des interventions de la part des pouvoirs publics.

La pauvreté rurale est liée à quantité d'autres conditions et mécanismes. Par exemple, le sort des collectivités rurales est intimement lié à la politique en matière d'échanges agricoles et à la politique commerciale en général, ainsi que M. Bollman l'a clairement démontré à ce comité il y a quelques semaines. Ce diagramme reflète cette réalité, indiquant la relation entre l'intégration dans l'économie mondiale et le changement de population des petites localités. On voit que plus les collectivités rurales sont exposées à l'économie mondiale et plus elles voient leur population diminuer.

Cela n'est guère surprenant. De fait, M. Stabler en a déjà fait la démonstration à ce comité en 1994. Cependant, à l'époque, il avait mis en garde contre les aspects négatifs de cette tendance, soulignant que les coûts humains et sociaux subis par ceux que ce processus marginalise seront importants, à moins de mesures de soutien concertées. Je veux donc me tourner vers ces soutiens car c'est là que nous pouvons discerner quelques possibilités d'action propres à atténuer les effets négatifs du faible revenu.

Comme l'OCDE l'a reconnu, le faible revenu est problématique car il limite l'accès aux biens et services essentiels, au logement, aux soins de santé, au bien-être et à la participation aux réseaux sociaux qui apportent un soutien et assoient l'identité. Le faible revenu est moins problématique dans une société qui fournit ces services de manière indépendante de la situation financière. C'est ce que promettent nos systèmes formels d'éducation, de santé, de services sociaux et de justice. C'est également la promesse des soutiens plus informels : parentèle, amis, voisins, églises et œuvres de bienfaisance qui interviennent lorsque la mauvaise fortune vient frapper l'un de nos semblables.

Cependant, en zone rurale, les mécanismes mêmes qui entraînent une baisse de la population réduisent également le nombre et la proximité de ces services, tant formels qu'informels. Notre recherche a démontré que les services sur les plans de l'éducation, de la santé, de l'assistance sociale et du commerce ont migré des bourgades rurales vers des centres régionaux. Cela signifie que ceux qui ne disposent pas d'un moyen de transport facile, ou de réseaux sociaux qui peuvent fournir le transport, se voient coupés de ces services. Des solutions de transport deviennent ainsi un ingrédient important de toute action. Si l'on parvient à créer davantage d'options de transport, avec des services privés, publics et informels, dans les campagnes, on avantagera les catégories clés marginalisées par le manque d'accès au transport, soit les jeunes, les personnes âgées et les femmes.

On pourrait mettre en œuvre pour cela différentes mesures, telles qu'allègements fiscaux, subventions, remises de taxe sur les carburants, expériences de mise en commun de véhicules et subventions à l'innovation au titre du Nouveau pacte. Une telle approche représenterait l'équivalent rural des mesures visant à rendre le transport urbain plus écologique.

Mais le soutien social aux populations vulnérables n'est pas seulement une affaire de services formels. Notre recherche a établi que les gens se tournent vers une diversité de réseaux informels pour surmonter les difficultés de la vie, depuis l'emploi et le logement jusqu'à la santé et la garde des enfants.

Ce diagramme montre les types de soutiens utilisés par les mères célibataires dans les sites ruraux examinés. Nous voyons que les familles gynoparentales font davantage usage des quatre types de soutiens que les autres ménages, y compris les types plus informels que l'on trouve dans ce que nous appelons les relations de type associatif et communal. Les politiques et programmes de soutien à ces catégories de population feraient bien de voir comment appuyer les groupes sociaux plus informels qui fournissent de tels services aux personnes vulnérables.

En ce qui concerne de telles initiatives, il importe de savoir que le souci légitime d'équité et de responsabilisation s'accompagne de contraintes souvent trop lourdes pour de tels groupes informels. Au lieu de simplement allonger la liste des exigences imposées à ces groupes, les bailleurs de fonds devraient prendre en charge les coûts supplémentaires imposés par ces mécanismes de contrôle.

L'économie informelle représente aussi une partie importante du filet de sécurité rural. Ainsi que le montre ce graphique, le travail dans l'économie informelle est un élément important dans l'économie tant rurale qu'urbaine, mais davantage en milieu rural et davantage dans la catégorie des faibles revenus. Au lieu de reléguer l'économie informelle au rang de paria, nous devrions plutôt la considérer comme un élément important du filet de sécurité pour les démunis et en même temps comme une contribution à l'économie formelle. L'économie parallèle sert de lieu de formation pour l'économie formelle, de mécanismes d'essai et d'établissement de la confiance tant pour les employeurs que les employés potentiels, et de tampon amortissant l'expansion et la contraction des activités économiques formelles.

L'examen plus approfondi de ces données met en lumière quelques nuances importantes. Sachant que le travail indépendant représente une passerelle importante vers l'économie formelle, surtout pour les femmes, nous voyons que les femmes rurales vivent cette transition de manière très différente de leurs sœurs urbaines. Chez ces dernières, le passage du chômage au travail à leur propre compte s'accompagne d'une réduction du temps consacré aux activités économiques informelles. En revanche, chez les femmes rurales, le travail indépendant signifie une charge double puisque le temps consacré aux activités économiques informelles ne diminue pas, à moins qu'elles n'occupent un poste salarié. Les implications de cet état de choses ne sont généralement pas prises en compte par les politiques et programmes d'encouragement à l'entreprenariat, mais elles ne doivent pas être négligées si l'on veut rendre ces programmes efficaces. La formation, les soutiens, les conditions et les attentes doivent être adaptés à ces réalités si l'on veut que ces programmes soient efficaces en milieu rural.

En conclusion, mon message est triple. Premièrement, je salue les efforts déployés par le comité pour explorer et adopter une approche intersectorielle de la compréhension et de la solution du problème de la pauvreté rurale. Deuxièmement, je pars du principe qu'il faut mettre en œuvre des stratégies de lutte contre la pauvreté d'au moins deux types : celles qui visent à modifier les moteurs de la pauvreté et à mettre en question les politiques et programmes qui y contribuent; et deuxièmement, celles qui créent des soutiens destinés aux personnes les plus exposées à la pauvreté. Mon intervention a porté principalement sur le deuxième aspect.

Enfin, j'ai tenté de rendre visible l'importante contribution des soutiens informels et de l'économie parallèle au processus de la réduction de la pauvreté, ou du moins de l'atténuation de ses effets sociaux et personnels. Cela suppose de créer des programmes et des politiques qui renforcent ces mécanismes informels, construire les réseaux sociaux et les groupes qui fournissent les services et lever les entraves à leur efficacité.

Le sénateur Mercer : Premièrement, je remercie les témoins de comparaître et j'ai apprécié leurs exposés originaux. Vos exposés proposent quelques solutions que les ruraux attendent depuis fort longtemps et nous sommes ravis de les voir finalement formulées.

Monsieur Apedaile, j'aimerais que vous vous étendiez sur votre quatrième mesure, soit aider proactivement les entreprises artisanales et communautaires rurales à devenir plus productives et à adhérer aux normes sécuritaires. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris à quoi vous vouliez en venir.

M. Apedaile : Il se trouve qu'une grande partie de l'économie rurale tend à être structurée sous forme d'entreprises artisanales. Le travail de la terre a commencé comme une entreprise artisanale. L'agriculture moderne est devenue une entreprise industrielle employant la technologie numérique.

Nous avons un céréaliculteur dans notre région qui cultive 43 000 acres et il n'y parvient que parce qu'il utilise la technologie numérique telle que les systèmes d'information géographique SIG et GPS. Un de mes collègues a tenté de faire la même chose au Manitoba il y a longtemps, à la fin des années 60, et a rencontré beaucoup de problèmes. Il est arrivé jusqu'à 30 000 acres mais il ne retrouvait plus ses machines et ne savait plus quels champs étaient les siens; il récoltait le grain d'autrui etc. Il a dû finir par vendre une grande partie de ses terres. Mais ce sont là les exceptions.

La plupart de nos entreprises, y compris celles de l'économie formelle, sont des entreprises artisanales familiales axées sur une aptitude ou un savoir-faire particuliers. Ces entreprises ont beaucoup de mal à progresser et grandir. Cela suppose différencier leur production, trouver de nouveaux débouchés ou développer leur activité.

C'est un élément très important à prendre en compte, car le Programme de diversification de l'économie de l'Ouest offre de nombreux programmes d'entreprenariat, d'aide à la création de petites entreprises. Je siège au conseil d'administration de la SADC, la Société d'aide au développement des collectivités, où nous offrons des crédits pour lancer de nouvelles entreprises, mais ces prêts prennent presque toujours la forme de prêts à la consommation à des propriétaires d'entreprises familiales. Les choses ne bougent pas, ces entreprises ne créent pas d'emplois et ne font pas le genre de choses qu'il faudrait pour arracher les gens à leur faible revenu.

Pour ce qui est du deuxième volet, le problème tient en partie aux normes. Dans la société et l'économie rurale, nous devons atteindre certaines normes de performance, principalement dans le domaine sanitaire. Lorsque quelqu'un monte un petit abattoir servant les chasseurs, pour transformer les chevreuils en saucisses, la personne ne comprend pas pourquoi il lui faudrait respecter certaines normes sanitaires. La réglementation est toujours le fait des offices de commercialisation. Je siégeais à l'un des offices de commercialisation de produits agricoles et le problème chronique qui revenait toujours sur le tapis était le niveau d'exemption des producteurs d'œufs. Est-ce qu'une personne ayant 1 000 pondeuses dans son poulailler devrait être exonérée des règles de l'office de commercialisation et pouvoir vendre ses œufs comme bon lui semble?

Nous devons améliorer nos normes de qualité. Il faut commencer à envisager la norme ISO 9001 pour la qualité, la série de normes ISO 14000 pour l'intégrité environnementale de nos entreprises. Mais les entreprises artisanales rurales ont éprouvé énormément de mal à s'y adapter. Je pense que, du point de vue des principes, de l'apprentissage et de la promotion, il serait utile de réaliser que ce sont là les obstacles qui freinent l'entreprenariat en milieu rural et font obstacle à la création d'emplois.

Le sénateur Mercer : Ma deuxième question porte sur votre huitième mesure, lorsque vous dites qu'il faut déterminer la valeur de bien public de l'agriculture et rémunérer les cultivateurs en conséquence. Cela signifie-t-il qu'il faut augmenter le prix des aliments que paient les consommateurs canadiens ou bien préconisez-vous d'accroître les subventions publiques aux agriculteurs ou de mettre en place des subventions pour assurer une rémunération adéquate? Je précise au départ que l'idée me plaît, simplement je ne sais pas comment la concrétiser. Je ne sais pas comment concilier les retombées politiques d'une majoration des prix des produits alimentaires que paient les citadins et une rémunération adéquate des cultivateurs en zone rurale.

M. Apedaile : Ce concept en est un sur lequel notre Fondation travaille depuis longtemps et, initialement, nous appelions cela un contrat social, mais ce n'est pas réellement de cela qu'il s'agit. Notre accord rural-métropolitain sur lequel nous travaillons dans le Nord-Est avec l'agglomération d'Edmonton est une amorce de concrétisation de cette idée. C'est un concept fondé sur la notion que ce sont les habitants des grandes agglomérations — nous sommes un pays très urbanisé — qui déterminent la valeur de ce que nous faisons à la campagne. Lorsque nous commençons à construire nos liaisons entre les zones rurales et le pôle métropolitain, nous assurons une sensibilisation et établissons des connexions plus étroites entre les fournisseurs et les consommateurs des biens et services d'intérêt public. Je songe là à des services tels qu'un environnement propre, de l'eau propre et des bassins hydrographiques en bonne santé qui fournissent une eau abondante et claire. Lorsqu'on commence à construire cette connexion, la valeur de ces attributs se précise.

Nous sommes en train de mettre en place un plan de gestion intégrée du bassin hydrographique de la rivière Saskatchewan Nord. Je siège au comité directeur de ce plan et j'y représente les 26 municipalités rurales du bassin, mais non pas les petites villes et districts municipaux des comtés. Pour notre plan stratégique du comté de Smoky Lake, nous avons demandé à nos experts-conseils de structurer leur travail autour du bassin versant principal et des bassins secondaires du comté. Je sais que pour l'Ontario, cela est une vieille lune, mais pour nous c'est relativement nouveau. Le principal avantage d'un bassin hydrographique intact, c'est qu'il apporte de la valeur ajoutée et fournit une eau potable de haute qualité. Nous avons beaucoup d'eau potable salubre dans l'Alberta rural, mais elle n'est pas toujours de haute qualité. Ces attributs sont appréciés et il est bon de payer pour les avoir.

Toute la question des modalités de financement de ce genre de choses commence seulement à être explorée à notre table. Si je change mes méthodes de culture de céréales et si cela signifie que je dois retarder des revenus ou réduire l'intensité dans mon exploitation, ce qui signifie que je ne pourrai pas survivre avec les marges bénéficiaires plus étroites, alors il me faut une indemnisation sous une forme ou une autre.

Sénateur Mercer, je ne pense pas que ce soit une affaire de subventions. Je pense que c'est une question de détermination des prix ou, comme nous le proposons pour lancer la discussion, peut-être une taxe sur les supermarchés comme contrepoint de la TPS; la plupart des aliments vendus dans nos supermarchés sont exemptés de TPS. Ainsi, une taxe sur l'alimentation au niveau des supermarchés de 1 à 2 p. 100 suffirait largement à financer un effort concerté des villes et campagnes pour indemniser et rémunérer adéquatement les familles agricoles et rurales qui, concrètement, apportent quantité d'avantages aux agglomérations.

M. Reimer : Pourrais-je ajouter un autre exemple? Un exemple intéressant réside dans l'accord passé entre la ville de New York et la région des montagnes Catskill, qui témoigne de la reconnaissance de l'importance des Catskills pour l'eau de la ville et la préservation de la qualité de cette eau, ce qui est intimement lié au problème du développement communautaire. Les deux entités ont conclu un accord de longue durée autour de ce thème.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup. C'est là un aspect intéressant que nous devrions peut-être examiner de plus près.

Professeur Reimer, vous avez mentionné l'importance du transport en milieu rural. C'est une difficulté avec laquelle les gouvernements se débattent lorsqu'ils s'efforcent de fournir des services aux Canadiens et notre réponse à tous est d'offrir le même service à tout le monde, mais ce qui marche au centre-ville de Halifax ou de Toronto ou d'Edmonton ne marche pas dans la collectivité où je vis, une localité du nom de Mount Uniacke en Nouvelle-Écosse. Nous n'avons pas de transports en commun, mais ensuite, lorsque les pouvoirs publics interviennent et cherchent honnêtement à aider, ils offrent un crédit d'impôt pour les dépenses de transport en commun.

Avez-vous des suggestions afin de résoudre certains des problèmes de transport que connaissent les femmes seules en milieu rural au Canada? Avez-vous des idées?

M. Reimer : Une chose qu'il faudrait à tout le moins envisager, et je pense que c'est un domaine où il faut explorer différentes options, consiste à voir comment les gens se débrouillent à l'heure actuelle. Souvent, c'est par des moyens très informels. Si vous devez vous rendre à l'hôpital, etc., vous faites appel à des membres de la famille ou à des amis. Il s'agit donc de voir comment fonctionne ce système informel, puis de réfléchir à des façons de le soutenir, soit sous forme d'un crédit de transport, de remises, ou en travaillant avec des groupes informels ou même en mettant en place des mécanismes formels de mise en commun de véhicules. J'explorerais les possibilités de ce type. Nous savons que diverses expériences sont en cours en milieu rural pour tenter de résoudre ces problèmes. Parfois elles sont entreprises à l'initiative d'églises locales, parfois elles sont organisées par d'autres sortes de groupes dans ces communautés.

Le sénateur Oliver : Merci à tous deux de vos exposés très intéressants. J'ai relevé que vous parlez tous deux de nouer des relations entre les zones urbaines et rurales comme moyen de surmonter la pauvreté rurale. Monsieur Reimer, vous avez évoqué l'approche intersectorielle adoptée par notre comité et vous avez parlé de promouvoir des alliances rurales-métropolitaines autour d'intérêt commun. Vous avez dit avoir lu les transcriptions de nos délibérations et vous savez qui a comparu ici, mais l'un de ces témoins était un homme du nom de Mark Partridge. M. Partridge a dit que les collectivités rurales devraient former des blocs régionaux englobant des zones urbaines de façon à pouvoir mettre à profit la croissance qui intervient dans les villes et créer un effet de propagation dans les campagnes de façon à les stimuler et surmonter cette pauvreté.

Que pensez-vous de cette idée? Implique-t-elle, d'une certaine façon, que l'on va abandonner à leur sort les régions rurales éloignées des zones urbaines et, si oui, êtes-vous d'accord avec cela?

Enfin, que pourrait-on faire d'autre pour aider ces collectivités rurales très isolées qui ne sont pas à proximité des villes? Il me semble que plus l'on s'éloigne et plus difficile il est de les intégrer dans les structures que vous préconisez pour faire en sorte que les villes tirent les campagnes vers le haut.

M. Apedaile : Lorsque nous parlons d'une alliance rurale-métropolitaine, nous ne disons pas que le milieu urbain tirerait vers le haut le milieu rural. Nous disons que l'économie rurale a soutenu les agglomérations pendant des années. Nos intérêts communs consistent à faire fonctionner pour l'avenir cette relation symbiotique. Dans mon ouvrage, je parle de la signification de la durabilité. Il s'agit de cette interconnexion entre une économie florissante et une écologie ou un environnement dont nous préservons l'intégrité. Ce qui manque lorsque nous nous trouvons dans des situations non durables, c'est cette interconnexion.

Si l'on applique ce raisonnement, sénateur Oliver, l'économie rurale a des problèmes de viabilité parce que cette interconnexion n'est pas présente dans la mesure où l'agglomération ne fait pas partie de l'équation et dans la mesure où nous considérons que les villes sont isolées ou coupées de la campagne en ce sens que leurs économies ne sont pas harmonisées, sans voir que leurs environnements sont intimement reliés entre eux. L'agglomération d'Edmonton influence tout le bassin hydrographique de la rivière Saskatchewan Nord en aval de la ville. Si nous n'équilibrions pas les niveaux d'eau, la prise d'eau d'Edmonton en hiver se trouverait au-dessus du niveau de la rivière Saskatchewan Nord. L'agglomération d'Edmonton est totalement dépendante de la région rurale en amont d'elle pour son approvisionnement en eau. C'est l'un de nombreux exemples.

Non, en un sens, autant je respecte le travail et la pensée de Mark Partridge, autant je trouve que son concept est trop passif. Il faut réellement une participation aux stratégies qu'utilisent les zones métropolitaines pour être mondialement compétitives. Edmonton livre concurrence à l'échelle mondiale. C'est là où se situe le point focal d'Edmonton et l'économie rurale reliée à Edmonton contribue à la compétitivité d'Edmonton. Edmonton est le point de passage de notre accès global car notre avenir dans le comté de Smoky Lake est lui aussi global.

Je reviens tout juste de négocier un mémorandum d'intention entre la municipalité de Chongqing et le comté de Smoky Lake portant sur une étude de préfaisabilité d'un abattoir pour des animaux de plus de 30 mois. Je peux vous dire que la plupart de nos agriculteurs dans le comté de Smoky Lake ont une exploitation de naissage, ces dernières faisant fréquemment partie de la stratégie économique des agriculteurs à faible revenu.

Les solutions aujourd'hui sont totalement différentes de celles du passé. Je dois réellement me retenir de trop parler car je suis passionné par le sujet, madame la présidente, et vous avez beaucoup d'autres choses à faire.

La présidente : Je suis passionnée moi-même, alors poursuivez.

M. Reimer : J'aimerais ajouter un mot. Nous avons commencé à explorer certaines des avenues ou certains des fondements sur lesquels de telles alliances pourraient être construites. Nous avons beaucoup parlé de l'eau, et c'est là un élément très visible.

Nous nous sommes donc demandés quelles sont les choses dont les citadins réalisent déjà l'importance, afin de ne pas avoir à définir toutes ces choses que les campagnes apportent et à convaincre les citadins de leur importance. Ces derniers connaissent déjà un certain nombre de choses et, du point de vue stratégique, ce sont là des éléments clés.

L'eau est l'un de ces éléments, nous en avons parlé. L'alimentation en est un autre — les citadins sont manifestement préoccupés par la nourriture — et l'environnement en est un troisième. Ce sont là des aspects qui intéressent déjà les citadins et c'est autour d'eux que nous pouvons commencer à explorer ces alliances.

Cela nous donne aussi un point de départ à la réflexion concernant ces collectivités plus éloignées. La proximité facilite les choses — par exemple, l'importance du bassin versant pour Edmonton, mais il y a aussi la reconnaissance de l'importance de Mackenzie ou de Tumbler Ridge pour l'économie de la Colombie-Britannique ou celle de Vancouver, et c'est un aspect qu'il faut explorer comme point de départ de ces alliances.

La présidente : Monsieur Apedaile, vous serez heureux d'apprendre que dans notre coin sud-ouest de l'Alberta, où nous avons été matraqués par l'ESB, la maladie de la vache folle, nous avons de gros problèmes d'eau étant donné la disparition de nos glaciers. Nos producteurs de céréales et d'oléagineux se débattent toujours dans les difficultés. C'était presque à cause du choc de l'ESB que la ville de Lethbridge — et nous avons un maire très activiste — a décidé de rassembler toutes les merveilleuses petites localités de la région rurale entourant la ville pour créer un conseil de région informel. Lorsque vous rassemblez une région, elle peut ne représenter guère qu'une foule de bourgades et une petite ville, mais si vous totalisez le tout, cela fait 250 000 habitants si vous montez jusqu'au Pas du Nid-de-Corbeau. Cela est devenu un effort continu. Il est marqué par une grande collégialité et a produit, je crois, un resserrement des liens qui contribue à la solution du problème même dont nous parlons aujourd'hui. C'est très proche de ce que vous préconisez et cela pourrait vous intéresser.

Le sénateur Gustafson : J'ai tellement de questions que je ne sais par quoi commencer. Monsieur Apedaile, vous mentionnez l'économie mondiale. Si vous avez lu mon discours de mardi, j'en ai traité au Sénat.

La présidente : C'était un très bon discours.

Le sénateur Gustafson : Il semble que nous n'ayons pas pris conscience, ni les gouvernants ni le public canadien, du fait que l'agriculture ne s'est pas intégrée dans l'économie mondiale. Nous sommes un pays très progressiste, mais nous semblons avoir laissé en marge tout un grand secteur de l'économie. Il semble exister une norme pour le Canada urbain et une autre pour le Canada rural.

Je m'explique. Nous avons un gisement pétrolier très actif dans la région d'Estevan-Weyburn, mais il existe là deux économies. Il y a l'économie agricole, qui souffre réellement à cause de l'euphorie pétrolière. Qui va travailler pour l'agriculteur qui ne pourra offrir tous les services et tout ce qui accompagne les hauts salaires des champs pétroliers? Dans notre région, lorsqu'ils font de l'exploration séismique, tous les camions repartent pour Calgary le vendredi soir; ils ne restent pas à Estevan ou à Weyburn. Nous avons une économie très vagabonde tournée vers la ville. Si vous ajoutez à cela le poids politique, vous comprenez que le Canada rural connaît quelques réels problèmes.

Ce n'est peut-être pas un phénomène aussi marqué en Alberta qu'en Saskatchewan, mais la Saskatchewan rurale perd ses jeunes au profit de ce que j'appelle l'économie pétrolière albertaine. Nous avons des agriculteurs âgés qui disent à leurs fils qu'ils ne les laisseront pas reprendre l'exploitation, même s'ils le souhaitent. Ce n'est pas un tableau très rose, mais c'est la réalité.

Si je passe par Yellow Grass, en Saskatchewan, et que je m'y arrête pour le petit-déjeuner, on me sert un petit- déjeuner bon marché pour à peine quelques dollars. N'essayez pas de trouver le même à Ottawa. La question que je me pose toujours, c'est pourquoi il existe deux normes?

Si le ministère de l'Agriculture fédéral met en place un programme et engage quelques centaines de fonctionnaires supplémentaires à Winnipeg pour l'administrer, nous nous attendons à payer 30 000 $ ou 35 000 $ par an à quelqu'un connaissant très peu le domaine. Pourtant, notre diagramme montre que la population agricole a les revenus les plus bas de tous, aux alentours de 25 000 $. Ce sont là des gens qui travaillent très dur, probablement 12 heures par jour ou plus. J'aimerais avoir votre avis sur la façon de régler cette situation.

M. Apedaile : Je suis sûr que votre équipe verte, la fin de semaine dernière à Calgary, a remonté le moral des gens qui vivent tout ce que vous décrivez. Vous voudrez peut-être aussi parler des règles qui interdisent la présence des mascottes dans le stade.

La présidente : Nous présentons nos excuses.

Le sénateur Gustafson : Nous avons eu notre revanche dans ce cas-là.

M. Apedaile : Vous avez exprimé très éloquemment les préoccupations que nous entendons chaque jour dans nos collectivités rurales. Ce sont des préoccupations teintées d'une note de désespoir.

Je suis venu ici aujourd'hui pour proposer dix mesures, parmi beaucoup d'autres, dont je pense qu'elles permettraient de pallier les problèmes que vous avez décrits avec tant d'éloquence. La distinction que j'ai tenté d'établir entre l'agriculture industrielle et l'agriculture traditionnelle s'applique à votre question. Le fait est que la compétitivité de notre agriculture, probablement dans son ensemble, recule régulièrement par rapport aux économies agricoles de pays comme la Chine. Combien de Canadiens savent que la Chine, depuis déjà quelques temps, est un exportateur net de denrées alimentaires?

Au Brésil, lorsque les problèmes de transport dont nous entendons parler seront résolus, la production sortira beaucoup plus rapidement du pays pour rejoindre les marchés mondiaux. La région d'Europe centrale reste toujours un fiasco institutionnel du point de vue de l'organisation de l'industrie céréalière.

J'ai remarqué que l'un de nos technocrates affirme que nous avons épuisé la révolution verte — je crois que c'est Gwynne Dyer. Or, il nous reste encore beaucoup de technologies en réserve, à l'échelle mondiale.

La recherche scientifique aujourd'hui trouve sans cesse de nouvelles façons d'acheminer de la nourriture aux humains. D'après mon expérience propre et mes lectures, etc., je suis convaincu que l'agriculture deviendra probablement de moins en moins importante sur le plan de la production alimentaire, que la nutrition deviendra la préoccupation première par opposition à la salubrité. Nous avons l'habitude que les considérations de salubrité dominent l'actualité ici, au Canada. Nous produisons une excellente nourriture et elle est très saine; cependant, nous sommes confrontés à l'arrivée de substituts.

Il nous faut repenser où nous allons avec notre agriculture et peut-être nos industries des fibres, et certainement notre pêche, tous secteurs qui étaient jadis le fondement solide de notre économie. La raison pour laquelle les revenus sont stagnants et pour laquelle nous ne profitons pas de l'avantage urbain, ou de l'avantage albertain dans le cas de la campagne albertaine, est que la fonction, la raison d'être même de l'entreprise rurale et de l'habitat rural change si radicalement et si vite. L'actif du Canada rural est si immobile, et par immobile j'entends qu'il est lié à un lieu, qu'il engendre l'incertitude. Et tout actif fixe attire l'incertitude et devient un prétendant résiduel au revenu. Si l'on raisonne à l'échelle mondiale, le fait que nos actifs ruraux soient fixes dans l'espace fait que nous sommes un prétendant résiduel lors de la distribution du revenu mondial, par opposition à la distribution des ressources.

Ce sont là les problèmes qui sous-tendent, à mon avis, sénateur Gustafson, la description que vous nous avez faite, et c'est une description qui est sur la langue de tant de mes voisins et de nos voisins ruraux à travers tout le pays. Il faut commencer à penser de façon beaucoup plus stratégique et à appréhender la fonction changeante de nos économies rurales.

Le sénateur Gustafson : J'ai une remarque. Je vis à 20 milles à vol d'oiseau de la frontière américaine. L'économie agricole américaine vient d'enregistrer les trois meilleures années de son histoire. Nous, nous avons eu les trois pires années de notre histoire. Nous disons que nous ne pouvons rivaliser avec les Américains à cause de leurs subventions. C'est ce que nous disons. J'affirme, pour ma part, que nous ne pouvons nous permettre de ne pas le faire, face à l'économie mondiale, face aux Européens et, comme vous le dites, face à la Chine et au reste du monde. Le Canada n'a pas vraiment réfléchi à cela. Nous avons dit que nous allions opter pour l'Organisation mondiale du commerce et régler ainsi tout le problème. Eh bien, vous savez comment les choses se passent ou se sont passées à l'Organisation mondiale du commerce. Pendant ce temps, les États-Unis versent 70 milliards de dollars de subventions. La population américaine est de 300 millions. Nous en avons 30 millions. Si nous versions 7 milliards de subventions, le même chiffre proportionnellement à notre population, parce que nous réalisons que nous devons avoir notre place dans cette économie, cet argent retournerait dans le système. Notre économie rurale dépérit à cause des cours trop faibles des denrées et du fait que nous ne pouvons soutenir la concurrence. Il est exclu que nous puissions soutenir la concurrence.

Les Américains vont se battre pour le cœur de leur pays, qu'ils soient de Californie ou de New York. C'est peut-être dû en partie à la composition du Sénat aux États-Unis. Chaque État y a son mot à dire et ils vont défendre le cœur du pays. Nous n'avons pas au Canada des défenseurs aussi vigoureux de l'agriculture et du développement rural.

M. Apedaile : J'ai parlé du modèle de formulation des politiques de type « Table du Cabinet ». Il faut envisager sérieusement de restructurer les « Tables du Cabinet » au niveau provincial-fédéral parce que celles-ci suivent le vieux modèle mercantile. Il faut probablement repenser ce modèle.

La politique agricole américaine, la politique agricole européenne et la politique agricole japonaise achètent la sécurité alimentaire. Il y a deux façons d'assurer la sécurité alimentaire. L'une consiste à acheter la nourriture et l'autre à la produire. Les États-Unis, dans leur situation géopolitique actuelle, ne peuvent se permettre de dépendre de la nourriture importée. Nous avons parlé brièvement du lobby du sucre. Le sucre a toujours été considéré comme une denrée stratégique aux États-Unis, pour des raisons de sécurité nationale. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai indiqué à la fin de mon exposé que la pauvreté rurale est un enjeu de sécurité nationale : elle mine l'intégrité de notre société.

Ce ne sont pas les subventions qui font la différence aux États-Unis, c'est une erreur de le croire. Les versements aux producteurs agricoles aux États-Unis vont dans l'ensemble aux gros producteurs commerciaux, industriels, qu'ils soient structurés en société ou autrement, car la sécurité nationale est l'enjeu. Au Japon, la sécurité nationale est l'enjeu, en Europe, le positionnement géopolitique et la sécurité sont l'enjeu. Nous, au Canada, n'avons pas du tout ce souci. C'est pourquoi nous avons du mal à imaginer comment faire en sorte que notre communauté agricole et notre industrie agricole, secteur de la transformation compris, restent viables.

Le sénateur Gustafson : Si vous injectez de l'argent dans l'économie rurale agricole, cet argent circulera et retournera dans l'économie du Canada. Don Mazankowski avait coutume de dire que si vous mettez 1 $ dans l'agriculture, ce dollar circulera 24 fois.

Saskatoon est un bon exemple. Combien de semoirs pneumatiques y a-t-on construit pour exportation aux États- Unis? Cela a créé des emplois et de la richesse pour le Canada. Nous ne semblons pas considérer les choses sous cet angle.

M. Apedaile : Les multiplicateurs ruraux de l'argent sont très faibles. J'ai mesuré jadis ces multiplicateurs dans la région d'Edson, en Alberta, à l'époque où l'ARDA se débattait avec les questions qui occupent votre comité, et chaque dollar n'a localement un multiplicateur que d'environ 1.4, voire moins. Il ressort très vite de la localité, et son prochain arrêt est dans l'économie provinciale, puis dans l'économie nationale et mondiale.

Avec l'ouverture des échanges mondiaux, ce dollar sort même très rapidement de notre économie nationale. C'est pourquoi je souligne — tout comme M. Reimer — cette interconnexion mondiale, car ces arguments ne tiennent plus réellement. Nous avons des multiplicateurs tellement faibles.

Pour ce que vous disiez tout à l'heure du dollar pétrolier, nous au Canada souffrons maintenant du « syndrome hollandais », le nom donné au problème posé à l'économie néerlandaise par le pétrole de la mer du Nord. Ce dernier a causé une inflation des prix et une pénurie de main-d'œuvre, et l'industrie de fabrication néerlandaise a beaucoup souffert, tout comme en ce moment l'industrie ontarienne et québécoise et les agriculteurs souffrent. Nos agriculteurs subissent les retombées du syndrome hollandais produit par l'industrie pétrolière des Prairies.

Le sénateur Peterson : Monsieur Apedaile, j'ai trouvé intéressante votre explication au sujet de la structure métropolitaine dans le nord-est de l'Alberta.

En Saskatchewan, nous avons 343 municipalités rurales, bourgs, villages, villes, et aucun d'entre eux n'a de véritable pouvoir. Je me demandais si vous aviez fait du travail de modélisation en vue de déterminer la taille optimale d'une zone pour qu'elle ait un certain poids économique et politique et pour qu'elle puisse offrir des ressources telles du développement économique, des planificateurs et d'autres choses du genre, allant peut-être jusqu'à discuter du partage des pouvoirs d'imposition. Dans le contexte actuel, et vous avez parlé de délestage en aval, tout se passe en haut, et en bas de la pyramide, il n'y a pas moyen de livrer concurrence. Il ne reste rien pour offrir les services. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.

M. Apedaile : Vous prenez ce qu'il y a. En Alberta, nous avons deux principaux centres métropolitains et plusieurs autres qui sont en devenir. Les deux grands centres sont en train de se joindre au corridor, avec la croissance rapide enregistrée dans la région de Red Deer. Le corridor est lentement en train de gagner Lethbridge, vers le bas, et Grande Prairie, vers le haut.

Il n'existe pas de taille « optimale », mais ce que je pense c'est qu'il y a une compréhension émergente de la façon de s'y prendre pour organiser la relation. Il faut donc avoir des noyaux à l'intérieur desquels cette relation puisse se découvrir et se développer.

Notre Northeast Alberta HUB Economic Alliance est un petit peu un enfant de l'Alberta economic development. Le conseil compte, par exemple, de véritables dirigeants politiques municipaux de Cold Lake, de Lloydminster et de toutes les municipalités intercalaires.

L'un des gros avantages de cette Northeast Economic Alliance est son effet sur le plan de l'éducation de nous tous. Elle élargit nos esprits, car nous avons tendance à rester au niveau local et à nous préoccuper de gravier. Ce n'est donc pas une question de taille optimale, mais si vous voulez parler rendement optimal, peut-être que c'est d'apprentissage optimal, de modèles optimaux d'apprentissage, de façons d'apprendre à relier entre elles nos collectivités qu'il s'agit véritablement. Nous pouvons faire ce genre de choses si nous nous dotons d'un cadre. Le conseil municipal de la ville d'Edmonton, y compris le maire, s'est rendu à Vermilion, dans le cadre d'une merveilleuse manifestation d'empathie et de sérieux. Notre député provincial, Ray Danyluk, dit toujours « Ne venez pas me voir, et n'allez pas voir vos MAL ruraux; allez plutôt voir les MAL urbains; il vous faut connaître ces MAL urbains ». Cela s'applique également aux députés fédéraux urbains. L'important est d'apprendre, et si vous voulez parler optimisation, alors cela tourne autour de concepts comme ceux-là, sénateur Peterson.

Le sénateur Mitchell : Je m'intéresse à la question des combustibles de remplacement, à ce que ces derniers pourraient faire pour les marchés et j'aimerais surtout savoir si vous convenez que ces combustibles pourraient aider. Par ailleurs, quelles mesures pourraient être prises pour veiller à ce que les agriculteurs, si de tels combustibles étaient adoptés, puissent participer à leur production, en dehors de la simple culture de la matière première?

M. Apedaile : En ce qui concerne ma propre perspective analytique, je me suis toujours quelque peu méfié de ces biocarburants, car ils sont en même temps tout simplement un produit différent. Il ne se passe pas grand-chose sur le plan valeur ajoutée. L'une des raisons du profil croissant des biocarburants à l'heure actuelle est le dossier de la sécurité nationale aux États-Unis. Les États-Unis se savent vulnérables du côté de l'énergie. Ils ne sont pas vulnérables du côté de la production agricole, mais ils le sont du côté de l'énergie.

Le sénateur Oliver : Ils ont le Canada.

M. Apedaile : Ils ont le Canada, mais ils ont également leur ami Hugo. Ils ont de la difficulté à traiter avec des gens comme les nouveaux dirigeants qui s'installent au pouvoir dans certains pays d'Amérique du Sud. Ils ont de la difficulté à traiter avec des dirigeants ayant des perspectives différentes au Canada, par exemple.

Il y a une forte poussée en faveur des biocarburants et ils y voient une occasion à saisir pour l'agriculture. Cela est un petit peu opportuniste, car l'on tente de traduire les plus forts prix pour l'énergie en de meilleurs prix pour les céréales fourragères. L'on oublie tous les programmes à valeur ajoutée que nous nous efforçons d'instaurer au Canada pour les céréales fourragères.

D'après ce que j'ai compris, en discutant avec des gens chez Highland Feeders, tout juste au sud-est de là où j'habite, l'industrie des biocarburants aux États-Unis est déjà en train d'avoir une incidence de l'ordre de trois à cinq cents par boisseau sur le prix de l'orge; cela se traduit donc en un effet correspondant à entre trois et cinq cents. Pour une boîte comme celle-là, ce n'est pas vraiment un problème, car elle se couvrira et récupérera la différence sur le marché. Mais cela pose un problème pour notre industrie des productions animales au Canada et pour toutes les autres industries qui sont tributaires du grain, lorsque le prix du grain commence à être lié au prix du pétrole. Cela nous rend également très vulnérables car nous avons un nombre énorme de carburants de substitution qui attendent quelque part dans une boîte qu'on les mette en production. Et je veux parler ici non seulement de produits énergétiques de substitution mais de produits de combustion de substitution. Chaque fois qu'il y a une hausse du coût de l'énergie, comme cela vient d'être le cas, cela libère de cette boîte toute une nouvelle série de « petits diablotins » qui viendront remplacer le pétrole conventionnel. Les biocarburants nous lieront au pétrole conventionnel et non conventionnel.

Cela est nécessaire pour les États-Unis, pour des raisons de sécurité nationale. Cela est également nécessaire pour le Brésil, car le Brésil n'a pas de pétrole, et c'est pourquoi il tend depuis toujours vers cela. Je ne pense pas que ce soit là la solution pour les faibles niveaux de revenu; cela ne va pas, à mon sens, résoudre le problème des faibles revenus dans le Canada rural.

Le sénateur Mitchell : Pensez-vous que le travail de la Commission canadienne du blé maintienne les revenus en région rurale ou bien pensez-vous que cet élément-là souffrira si la structure de la Commission venait à changer? Il y aurait de la concurrence. Je n'essaie pas de vous tendre un piège, bien que cette question soit jusqu'à un certain point piégée, mais j'aimerais bien connaître votre opinion. Je m'efforce d'être moins partisan. Vous avez parlé de l'orge.

M. Apedaile : Madame la présidente, les témoins sont-ils autorisés à dire « sans commentaire »?

La présidente : Oui, ils le sont.

M. Apedaile : En tant que céréaliculteur, j'appuie la Commission canadienne du blé comme vendeur à guichet unique. Ce n'est pas parce que je n'ai pas quelques frustrations en ce qui concerne la Commission du blé, mais j'estime qu'à l'échelle internationale il vous faut un maximum de force de frappe sur le marché. Il n'existe que sept vraies entreprises de manutention du grain possédant des techniques exclusives pouvant travailler ensemble dans le cadre d'alliances et de partage de services. La mise entre parenthèses, comme je l'ai expliqué dans ma déclaration liminaire, constitue un sérieux problème.

L'autre jour, on m'a offert, et j'ai accepté, un contrat de Pioneer Grain. Pour 40 $, je peux acheter un programme de culture du canola incluant la technologie, l'accord d'utilisation, le produit Roundup et la semence. Pour mieux faire passer le tout, on m'assure une base de 4 $ pour une livraison en juin-juillet de ma récolte de 2006. Voilà ce qu'est la mise entre parenthèses : une entreprise me place au milieu en tant que céréaliculteur.

Cela est déjà arrivé aux États-Unis pour la production de volaille. L'arrangement va également être complété par un contrat de gestion de 7 $ l'acre, car j'en ai discuté avec mon représentant Cargill.

Le sénateur Oliver : Sept dollars de plus?

M. Apedaile : Oui, cela ne fait pas partie du même arrangement; c'est une autre possibilité. Ce que j'essaie de faire ressortir ici est que la Commission canadienne du blé, en tant que vendeur à guichet unique, conserve un peu de pouvoir dans un régime mondial de manutention, de commercialisation et de vente de grain qui est autrement très concentré. Voilà pourquoi j'appuie la Commission.

M. Reimer : Je ne suis pas céréaliculteur, mais j'en arriverais à une conclusion semblable. Je n'ai rien à ajouter quant à la nature de l'argument.

Le sénateur Mitchell : Votre voix est une contribution formidable. J'ai encore une autre question, celle-ci portant sur l'aspect sociologique. L'éducation est un élément critique pour se sortir de la pauvreté. Il y a de nombreux éléments qui interviennent à cet égard. L'un d'entre eux est l'accès en région rurale à l'éducation postsecondaire. Avez-vous quelque opinion sur l'apprentissage à distance, son efficacité, ou d'autres outils que l'on pourrait mettre en œuvre pour établir un accès rural à l'éducation postsecondaire et surmonter l'aspect coût?

J'aimerais d'autre part connaître votre opinion sur l'éducation des jeunes enfants et la façon d'en assurer la livraison dans le Canada rural.

M. Reimer : Une chose sur laquelle nous nous penchons très attentivement est le rôle des collèges communautaire et écoles. De façon générale, ces établissements sont extrêmement sous-utilisés dans l'ensemble des collectivités, mais cela devient particulièrement important en région rurale. Comptent parmi les pierres d'achoppement les questions d'assurance, les questions liées aux coûts et les schémas de fréquentation passés. Il existe une multitude de ressources physiques et axées sur les connaissances qui sont des occasions à saisir.

Nous avons relevé des expériences intéressantes dans le cadre desquelles les installations physiques étaient rendues disponibles à d'autres moments, par exemple — je songe à des situations pour lesquelles l'on s'est intéressé à l'apprentissage à distance, cernant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, ainsi que les auditoires cibles les plus susceptibles de réagir. Il s'agit d'un domaine qu'il nous faut explorer, mais il nous faut également réfléchir aux règlements qui dégageraient ces ressources dans les localités tant proches que plus éloignées. Comptent parmi ces ressources les écoles et les collègues communautaires.

Cela concerne également l'éducation des jeunes enfants, car cet aspect de l'éducation peut être intégré au processus. Cela concerne la question du transport, que j'ai mentionnée, et je songe aussi à la possibilité d'accéder à des services de garde d'enfants ou d'instruction. Je n'ai pas de solutions en la matière, mais je pense que c'est en explorant différentes façons de faire que l'on pourra en trouver. Je pense qu'il faudrait aborder ces questions de façon informelle, car l'éducation et l'encadrement des jeunes enfants sont des choses très personnelles. Je pense que nous devrions examiner les façons dont ces services sont assurés à l'heure actuelle, les façons dont les gens se débrouillent en ce moment, et bâtir par-dessus cette structure informelle. C'est ainsi que je procéderais si je devais commencer à me pencher sur les options — afin de rendre plus facile pour les gens de s'entraider au niveau informel. Je conviens que ce sont là deux questions extrêmement importantes.

La présidente : Le sénateur Gustafson souhaite intervenir avec une question supplémentaire sur la Commission canadienne du blé.

Le sénateur Mercer : Sa question ne sera pas du tout politique.

Le sénateur Gustafson : Je dirais presque que la récolte de canola a sauvé nos agriculteurs de la Commission du blé. Si le canola relevait de la Commission canadienne du blé, vous n'auriez pas obtenu votre offre de 40 $ de Pioneer; cette société ne pourrait pas vous faire une telle offre. Dans le sud de la Saskatchewan et de l'Alberta, vous avez Cargill, Archer Daniels Midland, ConAgra, tous les gros joueurs mondiaux. Ils ont tous construit de nouveaux terminaux le long de la frontière américaine. À l'heure actuelle, ce sont eux, sans aucun doute, qui bénéficient le plus de la Commission canadienne du blé.

Si vous prenez un semi-remorque plein de blé de catégorie no 1, à teneur en protéine de 12 p. 100, vous obtenez initialement 1,90 $. Pour du no 3, vous obtenez 1,30 $. Qu'allez-vous en faire dans l'économie d'aujourd'hui? Mes voisins tout juste de l'autre côté du chemin de canton touchent entre 5 $ et 6 $, et nous ne pouvons pas concurrencer cela.

Ma propre opinion au sujet de la CCB est que 80 p. 100 des agriculteurs lui resteraient fidèles — en tout cas au départ. Cependant, il faut que surviennent certains changements. Notre canola va à Velva, dans le Dakota du Nord, où ils sont en train de construire une super usine qui sera en production d'ici environ un an. Si cela n'était pas arrivé, nombre de nos fermes se seraient effondrées s'il n'y avait pas eu le canola et un marché ouvert. Je m'excuse du fait de mettre de l'avant l'autre côté de l'argument, mais il le faut. De fait, il y a environ quatre ans, nous avons été convoqués à Winnipeg par l'Union des producteurs de grain Limitée, qui suggérait que la Saskatchewan Wheat Board, l'Alberta Wheat Board, l'Union des producteurs de grain Limitée et la Commission des grains du Manitoba forment une seule et grosse entreprise et livrent concurrence à ces autres joueurs. Cela aurait été un projet formidable, mais il ne s'est jamais réalisé. Cela aurait fonctionné, et nombre des agriculteurs auraient été heureux de vendre leurs produits par l'intermédiaire d'une entreprise mondiale à propriété canadienne capable de concurrencer les grosses boîtes. C'est sur ce marché que la CCB vend son grain et les plus gros montants partent chez Archer Daniels Midland ou Cargill. J'ai terminé mon plaidoyer.

Le sénateur Mahovlich : Il est assez ironique que l'on se retrouve avec cette maladie hollandaise du pétrole, car, il y a 50 ans, c'était la maladie hollandaise de l'orme. Quelle catastrophe.

Monsieur Apedaile, vous avez mentionné que vous vous êtes trouvé en France dans les années 1990. Je viens tout juste de revenir d'Europe et leurs fermes sont très belles. J'étais en Italie, où les agriculteurs travaillent très fort. Je logeais dans un hôtel deux étoiles d'une région du pays, et à 2 heures du matin il y a eu un bruit tel que je me suis demandé ce qui se passait. J'ai regardé par la fenêtre de ma chambre et j'ai vu qu'on installait les stands pour le marché. L'on montait des stands et les producteurs arrivaient en ville, alors je devine qu'ils sont autorisés à quitter les régions rurales pour venir vendre leurs produits dans les villes. Cela se passait à Rome. Cette ville est bien sûr vieille de 2 000 ans, et la tradition a été maintenue jusqu'à aujourd'hui.

Je me suis demandé si ces gens-là vivent les mêmes problèmes ruraux que nous, ou bien si en France et dans d'autres pays d'Europe ils ont trouvé des solutions à leurs problèmes ruraux.

M. Apedaile : En 1991, lors de la première conférence annuelle de la Rural Revitalization Foundation, à l'époque appelée la Rural Restructuring Foundation, on a invité à venir prononcer un discours à Camrose la directrice de la planification de la Commission de planification nationale française. Elle s'est assise et a longuement discuté avec Shirley McLellan, ce qui explique le grand intérêt que porte Mme McLellan au développement rural en Alberta, bien que je sois certain que là n'est pas la seule raison, car c'est une femme très motivée de toute façon.

Pour en revenir à la question des régions métropolitaines, l'une des choses qu'elle a dites est que les anneaux de pauvreté entourant les grandes villes sont un vrai problème. Elle a dit que la revitalisation de la France rurale était une partie de la solution aux pressions sociales et économiques en régions métropolitaines.

À l'OCDE, j'ai travaillé à une stratégie qu'utilisent les Français pour donner une image de marque aux régions isolées et vallonnées de la France, et cela se passait en Normandie. Ils ont ce qu'ils appellent un « parc naturel » et ici, nous avons un « parc national ». Dans un parc naturel, ils gèrent la région rurale. Ils désignent la région d'une façon ou d'une autre, puis ils lui donnent une image de marque. Le gouvernement français supervise le processus de développement d'image de marque et assure la discipline en matière de solutions d'image de marque. Ce processus a ajouté énormément de valeur aux productions rurales traditionnelles, et donc aux emplois ruraux, ce dans des régions rurales françaises qui auraient autrement été très déprimées.

Les Français, et les Européens en général, ont adopté quantité de moyens ingénieux d'ajouter de la valeur sur les marchés métropolitains et de la ramener dans les régions rurales. J'ai constaté des tactiques semblables au Japon, où j'ai enseigné et fait de la recherche, dans la région du lac Kasumigaura, au nord-est de Tokyo. Dans cette région, l'on transformait autrefois un petit poisson semblable à l'éperlan, que l'on faisait sécher au soleil et que l'on vendait à Tokyo. Les pêcheurs prenaient ce poisson avec des filets tirés par des bateaux montés de grandes voiles blanches, et le vent se prenait dans ces voiles et poussait latéralement les bateaux à travers le lac en tirant les filets.

Avec le développement industriel qui s'est fait autour du lac, celui-ci a été pollué et est mort. Les pêcheurs ont décidé qu'il leur fallait faire quelque chose et ils ont revitalisé le lac. Il est aujourd'hui sain sur le plan écologique et les gens du coin ont introduit ce qu'ils appellent leur « marque voiles blanches ». Tout ce qui est vendu dans la région de Tokyo porte ce nom de marque, et même les trains qui quittent la gare de Tokyo à destination de cette région arborent sur leurs wagons des voiles blanches. Cette marque de poisson « voiles blanches » à Tokyo se vend le double du prix du même poisson produit ailleurs, et cette valeur est versée à la coopérative. C'est ainsi qu'ils ont organisé la commercialisation de cette marque « voiles blanches », pour les poissons, mais cette même marque s'applique à toute une gamme de produits ruraux qui sont ainsi identifiés au lac.

Bien sûr, comme vous le savez, l'agriculture japonaise fait une utilisation intensive d'engrais, alors la récupération du lac a exigé que les agriculteurs limitent leur utilisation d'engrais. Grâce à ce qu'ils ont fait, ils ont une marque pour tout ce qu'ils produisent, la marque des voiles blanches, et ils retirent beaucoup plus du marché, qu'il s'agisse de poisson ou de racines de lotus.

Il y a des stratégies en place dans d'autres pays. Bien sûr, ils ont des marchés plus importants que celui que nous avons ici au Canada. Nous réfléchissons à la possibilité de vendre des vaches de plus de 30 mois dans la plus importante ville de Chine, Chongqing; elle compte 34 millions de personnes, soit un petit peu plus que tout le Canada. Nous espérons offrir une marque de commerce symbole d'intégrité écologique, et nous espérons que ce sera possible avec une bonne gestion du bassin hydrographique. Nous allons combiner cela à des loisirs de type aventure, car il s'agit là d'un produit que les Chinois ne peuvent pas obtenir en Chine.

Si nous combinons ranching, transformation du bœuf et tourisme d'aventure, nous pensons pouvoir bien vendre cette image de marque. Nous n'en sommes qu'au stade embryonnaire, alors il ne faudrait pas créer trop d'attentes, mais ce que j'essaie de dire est qu'il existe, à l'échelle mondiale, sénateur Mahovlich, des façons ingénieuses d'aborder les situations qui existent. Il y a des gens qui s'y attaquent, qui l'ont fait avant nous, et qui gagnent de l'argent, et ils règlent ce faisant le problème des faibles revenus en région rurale.

Cela fait partie d'un tout. C'est une question de liens — environnement, justice et économie. Si vous rompez de quelque façon le lien ou ne parvenez pas à le comprendre, alors vous aurez un problème de durabilité. La durabilité est juste un autre mot pour pauvreté et mal-être dans nos communautés.

Le sénateur Mercer : L'un des problèmes fondamentaux qu'il semble que nous ayons dans ce pays est que nous ne prenons pas au sérieux l'agriculture. Les Américains considèrent l'agriculture comme une question de sécurité. Les Européens y voient une question de durabilité : ils veulent pouvoir se nourrir. Ici, dans notre pays, les choses ont sans doute été trop faciles pour nous, et nous ne comprenons pas que cela puisse devenir un jour une question de sécurité et de durabilité. Nous devrions être en mesure de nous nourrir nous-mêmes. Bien sûr, notre climat ne nous permet pas de cultiver certaines choses auxquelles nous nous sommes habitués, mais j'ignore comment nous pourrions, en tant que comité ou en tant que parlementaires, rehausser le niveau de prise de conscience par la population. C'est une question sérieuse. Si nous ne nous en occupons pas, nous n'allons plus être propriétaires de notre propre secteur agricole et nous serons dépendants de quelqu'un d'autre qui nous imposera ce que nous consommerons et à quel prix.

Mon évaluation est-elle fautive? Vous avez tous deux beaucoup plus d'expérience de la politique agricole dans le monde.

M. Reimer : Je pense que vous recherchez une description de l'enjeu qui puisse susciter l'intérêt du public. Les deux éventualités sont possibles et elles restent ignorées. L'environnement offre un potentiel, mais je conviens que nous n'avons pas su bien défendre notre agriculture.

Le sénateur Mercer : Du point de vue politique, car j'ai l'esprit pratique sur le plan politique, j'essaie de formuler un argumentaire qui soit valable partout dans le monde mais qui puisse convaincre les Canadiens, population principalement urbaine, de la nécessité d'agir pour soutenir le Canada rural, que ce soit au moyen de subventions agricoles, de prix majorés au supermarché ou de quelque combinaison des deux. C'est là où j'ai de la difficulté.

Nous imaginons d'excellentes solutions. Cependant, si nous, les parlementaires, ne parvenons pas à les vendre au public — si nous nous adressons aux Canadiens pour leur dire ce que nous voulons faire et qu'ils répondent que c'est idiot et qu'ils vont voter pour d'autres qui ne sont pas en faveur de cela — c'est là le problème. Peu importe que nous soyons Conservateurs ou Libéraux, nous nous débattons tous avec le même problème et cherchons à trouver une solution qui soit bonne pour le Canada rural mais aussi vendable dans le Canada urbain.

M. Reimer : Comme je l'ai mentionné, nous avons exploré la nourriture, l'environnement et l'eau comme leviers pour arriver à convaincre. Nous en sommes encore au tout début de cette exploration. Nous pouvons citer des exemples où les citadins ont réagi favorablement, mais à ce stade je ne pense pas qu'il y ait de solution claire, autre que d'isoler des possibilités et de les explorer.

Le sénateur Mercer : Si vous trouvez la solution, veillez à nous en faire part.

La présidente : Monsieur Reimer, voudriez-vous terminer votre réponse au sénateur Mitchell?

M. Reimer : J'aimerais ajouter quelques mots concernant l'enseignement et l'apprentissage à distance. Nous nous sommes penchés sur ce domaine et avons été encouragés par les possibilités nouvelles en matière de télé-enseignement. Nous avons également été découragés par l'accès limité au service à large bande dans certaines régions. Pour être efficace, l'enseignement à distance requiert l'accès à large bande. Pour diverses raisons — certaines des petites localités sont toujours dépendantes du téléphone et ces options ne leur sont pas ouvertes, et les intéressés devraient s'établir dans des centres régionaux. Encore une fois, c'est tout le volet de la régionalisation qui intervient.

Nous avons constaté encore autre chose, soit que les gens vont utiliser les technologies nouvelles, mais souvent en conjonction avec des technologies traditionnelles, le téléphone, les bulletins d'affichage, les médias imprimés, etc. Il s'agit donc d'asseoir leur confiance dans les technologies nouvelles. Vous savez que si vous disposez du courrier électronique, vous êtes inondé de courriers poubelles. Vous êtes confronté à un ensemble de problèmes nouveaux qui suffisent souvent à rebuter les gens. Il s'agit donc de leur donner les compétences mais aussi d'asseoir leur confiance dans le nouveau média. À quoi puis-je me fier et de quoi dois-je me méfier? Pour cela, ils se tournent vers des formes traditionnelles comme la télévision, la radio, leurs amis et les magazines, par exemple.

Ces technologies sont très utiles, mais pour les intégrer il ne suffit pas de dire : les voilà, servez-vous-en. Il faut aussi des soutiens à ces autres types de moyens de communication.

Le sénateur Oliver : J'ai été absolument fasciné par la réponse que vous avez donnée, monsieur Apedaile, à une question du sénateur Gustafson lorsque vous avez jeté un regard visionnaire sur l'agriculture. Vous avez dit que, alors que notre sujet d'étude est la pauvreté rurale, nous devrions regarder ce que d'autres font dans le domaine de l'agriculture et des sciences agricoles. Nous devrions repenser notre conception traditionnelle de l'exploitation et de l'agriculture. Vous avez dit qu'aujourd'hui l'accent est mis davantage sur la nutrition, plutôt que sur la production traditionnelle. J'ai l'impression qu'aujourd'hui nous pourrions avaler une pilule plutôt que de manger les aliments traditionnels que nous cultivons, comme le blé et l'orge, etc. Pouvez-vous imaginer que les champs de blé et d'orge que nous avons cultivés au cours du dernier siècle se transforment en grosse usine fabricant des succédanés alimentaires?

M. Apedaile : Je n'imagine pas que les champs se transforment en grosses usines; c'est déjà ce qu'elles sont, d'une certaine façon. Nous n'avons pas besoin de beaucoup d'espace pour produire des substituts alimentaires.

L'une des questions que nous nous posons dans les Prairies, c'est si le bison va de nouveau y courir. Certaines des méthodes de production que nous utilisons aujourd'hui et des denrées que nous produisons vont migrer de plus en plus vers le côté luxe de la gamme alimentaire dans le monde.

Le sénateur Oliver : Donnez-nous un exemple, s'il vous plaît.

M. Apedaile : Eh bien, prenez le bœuf. Le bœuf est un animal qui transforme de manière très inefficiente le grain en viande de consommation. Le poulet est beaucoup plus efficient que le bœuf, sauf peut-être s'il mange du fourrage; je ne sais pas.

Lorsque j'étais à Chongqing il y a quelques semaines, on me vantait sans cesse le bœuf comme aliment salubre, nourrissant et propre, parce qu'à Chongqing, comme dans beaucoup d'autres agglomérations chinoises, la population dépend principalement du porc comme source de protéine. Là-bas, les porcs sont nourris avec des détritus; c'est une industrie de recyclage.

Lorsque je vivais à Katmandou, cela me gênait de voir que la plus grande partie du porc vendu sur le marché était élevée sur des tas d'immondices. Le bœuf est perçu comme un aliment sain, mais je ne crois pas que ce soit jamais une nourriture de masse — encore que certaines parties de la carcasse de bœuf retirées dans les abattoirs puissent parvenir jusque dans la restauration rapide.

On trouve en grande quantité dans les rayons des supermarchés de Chongqing du bœuf enveloppé comme le sont chez nous les bonbons au caramel. On achète ce produit en vrac et les gens en ramènent chez eux des centaines de kilos. Le bœuf est emballé dans des papillotes aux couleurs vives, comme chez nous les bonbons. La viande est légèrement sucrée et épicée, encore que le goût du sucre soit très différent de celui de notre sucre nord-américain. La façon dont le produit est différencié — comme les différentes marques et évidemment les différentes sortes de bonbons — est en fonction des épices combinées avec le bœuf. C'est donc là un produit alimentaire à emporter que les gens prennent avec eux dans le bus ou chez eux ou donnent aux enfants pour l'école, tout ce que vous voudrez. C'est un autre concept.

Je pense que la forme sous laquelle nous absorbons aujourd'hui la nourriture va changer. Ce que nous apprécions sera davantage un luxe. Si vous comparez certains des produits prêts à manger d'aujourd'hui, ils n'ont guère de ressemblance avec ce que nous mangions au dîner du dimanche après l'église.

Le sénateur Oliver : Du point de vue de la pauvreté rurale, le sujet que nous étudions, en quoi cette mutation visionnaire de l'agriculture contribuera-t-elle à résoudre la pauvreté rurale?

M. Apedaile : La population rurale ne produira pas des aliments. Le secteur des services représente aujourd'hui 75 p. 100 de notre économie rurale. Ceux qui produisent de la nourriture dans notre économie rurale sont une infime minorité. Je ne pense pas que cela fera beaucoup de différence sur le plan de la pauvreté rurale. D'autres facteurs seront beaucoup plus importants à cet égard. Il y a les problèmes économiques fondamentaux que j'ai mentionnés, tels que l'immobilité des actifs et le manque d'éducation. Seuls 30 p. 100 des hommes de notre cohorte de 20 à 35 ans dans le comté de Smoky Lake ont terminé l'école secondaire, selon le dernier recensement. Parmi les finissants, seuls 10 p. 100 ont poursuivi des études dans une discipline méritant le qualificatif de postsecondaire. Chez les femmes, 90 p. 100 ont terminé l'école secondaire et sur ce nombre, plus de 35 p. 100 ont effectué des études postsecondaires d'une sorte ou d'une autre.

Il se produit quelque chose de totalement différent. Les routes dont je suis responsable dans mon secteur servent principalement aux déplacements pendulaires entre domicile et travail. Les routes contribuent au niveau de vie des ménages ruraux. Elles servent à la migration journalière — principalement celle des femmes dans des petites voitures car elles n'ont pas les moyens d'en acheter des grosses. Mais la route sert aussi à la circulation des trains routiers, ce qui pose problème et fait que je reçois des appels de femmes qui ont du mal à se rendre au travail.

Le sénateur Mahovlich : Je viens de l'Ontario où tout est tellement commode et où l'on trouve des écoles et des grandes villes. Est-ce que l'Ontario et le Québec connaissent la pauvreté rurale comme les provinces de l'Ouest et de l'Est?

M. Reimer : Si vous faites des comparaisons au niveau formel, les niveaux y sont aussi élevés qu'ailleurs, mais la forme est différente. Les statistiques ne traduisent pas nécessairement certaines réalités. Par exemple, au Québec, j'ai participé à une étude qui se penchait sur le suicide rural et des questions connexes, particulièrement chez les hommes jeunes. Leur taux de suicide est extrêmement élevé comparé au reste du pays Il est extrêmement élevé en milieu rural et extrêmement élevé dans les localités isolées. C'est aussi le reflet d'une communauté ou d'une société en difficulté et c'est très inquiétant.

Lorsqu'on analyse les causes, on voit que ce phénomène est très lié à la transformation de l'économie, qui est passée d'une économie de type industrie primaire à une économie qui offre très peu de choses aux jeunes hommes. Comme M. Apedaile l'a aussi mentionné, cela se combine à un faible niveau d'instruction et à l'absence d'études supérieures. Je pense que les taux de suicide sont également un reflet de cela.

Certaines des recherches les plus intéressantes comparent différentes collectivités sur la base des soutiens culturels qu'elles offrent. Ces recherches portent sur les collectivités autochtones, par exemple, comme le travail fait en Colombie-Britannique par Chandler, qui s'est penché sur la mesure dans laquelle les collectivités offrent des activités culturelles, l'enseignement des langues traditionnelles, des célébrations autour de la culture. On constate une énorme différence entre les collectivités qui ont des soutiens culturels et communautaires et celles qui n'en ont pas. Il a un joli diagramme qui montre que plus le nombre des soutiens est grand, plus faible est le taux de suicide. Il y a là une leçon à tirer sur l'importance de l'identité collective, de la connaissance de soi de la collectivité et des institutions correspondantes qui jouent un très grand rôle sur le plan du soutien et de l'accompagnement moral de nos jeunes.

Le sénateur Gustafson : Si vous deviez faire une chose pour soulager la pauvreté rurale, laquelle serait-ce? Notre comité — et je dois dire que c'est l'un des meilleurs comités de la Colline — devient très frustré parce que c'est un si vaste sujet, qui comporte tant de facettes que mettent en évidence les divers témoins que nous entendons à travers le pays. Si vous deviez faire une seule chose, que feriez-vous?

M. Reimer : Puis-je faire deux choses?

Le sénateur Gustafson : Oui, si la première donne des résultats.

M. Reimer : Deux choses en même temps, car d'une part il y a la question de la revitalisation de la communauté rurale et, d'autre part, il y a le soutien nécessaire à ceux qui sont aliénés et marginalisés du fait de conditions qui existent déjà et d'autres qui pourraient apparaître lorsqu'on cherchera à reconstruire l'économie rurale. C'est la question que vous m'avez posée pendant notre promenade hier soir. Il m'a fallu longtemps pour vous donner une demi-réponse.

Je n'ai pas de solution précise mais je regarderais l'infrastructure sociale locale pour voir où elle marche — et une partie de notre recherche consiste à déterminer où elle fournit un réseau de soutien aux gens — et voir quels sont les obstacles à son fonctionnement afin d'y remédier. Ces obstacles peuvent tenir, comme je l'ai mentionné, au transport, à l'organisation locale, à l'utilisation des installations existantes — ce que nous appelons le capital social — et la non- utilisation des institutions disponibles. Comment peut-on libérer ces institutions et comment faire en sorte que les gens puissent se réunir et se rencontrer?

Pour ce qui est de l'autre volet, celui de l'économie, je suis moins équipé pour répondre; je suis sûr que M. Apedaile pourra vous donner une réponse plus satisfaisante. La direction dans laquelle j'irais, et dans laquelle je vais dans une certaine mesure avec mes recherches, c'est celle des alliances rurales-urbaines, l'exploration de relations qui peuvent ouvrir des possibilités tant aux citadins qu'aux ruraux.

Le sénateur Gustafson : J'aimerais faire une remarque. On a parlé du fait que la population masculine décroche de l'école et il y a, à mon avis, plusieurs raisons à cela. Premièrement, ils gagnent de bons salaires dans d'autres industries, comme celle du pétrole et, ici à Ottawa, la construction de grattes-ciels; cependant, ce sont des travaux très rudes. Il n'est pas facile de travailler par 20 degrés sous zéro couvert de pétrole. C'est donc la difficulté que connaît notre population masculine. Vous avez mentionné les conducteurs de trains routiers. Il y a pas mal de femmes qui se mettent à conduire des camions, mais si vous regardez autour de vous, même ici à Ottawa, les ouvriers du bâtiment — et je les vois parfois dehors tôt le matin — commencent à 7 heures. Il fait froid et ce n'est pas drôle. Une partie de cette population masculine laisse tomber, disant que c'est trop dur. C'est la même chose avec la main-d'œuvre agricole. Lorsque le printemps arrive, on s'attend à ce qu'ils travaillent 16 heures par jour et produisent, puis une fois arrivé le mois de juillet, on leur dit « Eh bien, prenez des vacances. Nous n'avons plus besoin de vous ». Lorsque vient le temps de la moisson, c'est de nouveau la même chose. Conduisez la moissonneuse-batteuse 18 heures par jour, et en novembre, allez-vous-en.

M. Reimer : Puis-je répondre? C'est un exemple, et cela nous ramène à la question antérieure, celle de la différence entre les régions du pays. En Abitibi-Témiscamingue, où le taux de suicide est si élevé, ce n'est pas que le travail soit dur, il n'y en a pas; ou bien, s'il y en a, ce sont des emplois dans l'industrie des services, pas le genre de travail que les hommes jeunes sont équipés pour faire. Les jeunes hommes dans cette région ne songent même pas à des postes dans le secteur des services, car ils ont la tête remplie des histoires d'hommes qui travaillent dans le bois.

C'est un forum différent qui produit un résultat similaire sur le plan de l'éducation, par exemple.

M. Apedaile : Je suis heureux de la question car j'ai un mot de conclusion, un aspect que je voulais souligner et le sénateur Gustafson me donne l'occasion de le faire.

Oui, il faut aider les ruraux démunis à s'en sortir. Oui, nous voulons soulager la pauvreté rurale. Nous le faisons très bien avec nos normes nationales et nos filets de sécurité sociale.

Dans l'ensemble, je fais ressortir dans mon mémoire, sénateur Gustafson, que nos filets de sécurité nationaux, comme la pension de vieillesse, l'assurance-emploi et d'autres types de transfert — appelons tout cela des transferts — ont suivi le déclin des revenus ruraux ces dernières années. M. Bollman vous a donné les diagrammes à ce sujet. Cependant, à mes yeux, il ne s'agit pas d'atténuer ou de supporter. Il s'agit de réduire la profondeur et l'amplitude de la pauvreté. Si nous suivons des politiques et si, comme je l'ai vu dans d'autres pays, nous arrivons 20 ans plus tard et constatons que la profondeur de la pauvreté est pire et qu'il y a davantage de pauvres, alors nous avons une défaillance de la politique.

Il faut réellement investir dans de nouveaux modèles de gouvernance. Peut-être faudra-t-il même commencer à parler de la pertinence de la structure provinciale dans notre fédération; il nous faut certainement investir dans la gouvernance municipale rurale. À mon avis, nos pratiques démocratiques laissent à désirer dans le Canada rural, notre strate dirigeante est extrêmement mince. Nous voyons les effets de plus d'un demi-siècle d'exode rural qui se traduit par une dépopulation.

Il faut beaucoup travailler à améliorer la gouvernance locale de façon à encourager et susciter l'initiative dont même de petites populations ont besoin pour réussir. Cela me rappelle une politique suivie par une petite municipalité rurale du Japon avec laquelle j'ai travaillé pendant cinq ans, et qui organise et finance chaque année un voyage d'études pour dix femmes, principalement en Europe mais aussi ailleurs dans le monde. La raison en est qu'au Japon l'émancipation des femmes est davantage un problème qu'ici. Les leaders de cette communauté veulent, progressivement, année après année, ouvrir la vision de ce qui est possible, et l'ouvrir à travers les femmes de façon à susciter chez les femmes le leadership dont cette communauté a besoin.

La même chose vaut pour les hommes, et certainement pour les jeunes. Nous n'avons pas assez de programmes d'échange de type Corps de la jeunesse. Nous n'investissons pas assez dans la gouvernance rurale et le leadership rural. Ce n'est pas que ces gens vont rester sur place et enfermés ou que nous voulions les enfermer, car ce n'est pas le cas, mais parce que c'est le leadership qui apporte l'égalisation des chances entre les campagnes et les villes dans ce pays.

Le dernier point sur ce thème, madame la présidente, est qu'une proportion croissante et dominante de nos pauvres ruraux sont des Autochtones et des Métis. Nous avons beaucoup de difficulté à dialoguer avec les dirigeants autochtones et métis dans nos collectivités non autochtones et non métisses. Politiquement, c'est terriblement difficile. Il faut réellement effectuer une percée à cet égard pour apprendre à travailler ensemble à la mise en place du genre de mesures dont j'ai parlé aujourd'hui, sénateur Gustafson.

Le sénateur Gustafson : Je tiens à dire que, pour ma part, j'apprécie l'approche très positive des problèmes que vous adoptée et je vous en remercie.

La présidente : Je vous remercie tous deux de votre comparution. Vous avez été des témoins merveilleux car vous avez beaucoup réfléchi au sujet qui nous occupe et vous nous avez certainement donné quantité de bons conseils et esquissé des pistes d'action intéressantes. Je suis heureuse que vous ayez abordé ce dernier aspect, qui ne l'avait pas encore été vraiment dans nos audiences, soit l'inclusion de nos Autochtones dans cette problématique rurale. Vous avez apporté une précieuse contribution à nos travaux.

M. Apedaile : Nous sommes reconnaissants que vous vous intéressiez au travail de toute notre vie.

La comité poursuit ses travaux à huis clos.


Haut de page