Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 18 - Témoignages du 27 février 2007
OTTAWA, le mardi 27 février 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 19 h 4, pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite le bonsoir en même temps qu'à nos visiteurs. Notre premier témoin est M. David Marit. Il est actuellement conseiller du district 3 de Willow Bunch en Saskatchewan. Je crois que cette municipalité rurale est nichée au cœur d'une vallée pittoresque avoisinant la frontière avec les États-Unis.
M. Marit est également président de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities (SARM), une association indépendante représentant 296 administrations municipales en milieu rural. La SARM se pose en principal défenderesse des municipalités rurales de la Saskatchewan et agit également comme porte-parole de ces administrations municipales auprès des instances fédérales et provinciales.
Après M. Marit, nous aurons droit au témoignage d'un autre jeune homme, M. Christoph Weder, du nord de l'Alberta, mais je n'en dirai pas plus pour l'instant pour permettre à notre premier témoin de nous faire bénéficier de son expérience, de ses excellentes idées et de sa fougue.
David Marit, président, Saskatchewan Association of Rural Municipalities : C'est un privilège pour moi d'être ici. Si mon père était encore vivant et s'il savait que je comparais devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, il s'empresserait d'aller le dire à ses amis au bistro local.
Si vous me permettez une précision concernant notre association, je dois vous dire que nous sommes particulièrement fiers de former une organisation strictement bénévole; toutes les municipalités rurales de la Saskatchewan y sont en effet représentées à titre bénévole.
Cette précision étant faite, il faut reconnaître que la Saskatchewan compte une proportion assez forte de citoyens vivant en milieu rural, comparativement au reste du pays. Nos régions rurales sont des moteurs économiques importants pour la province. Les municipalités membres de notre association et les citoyens qui y résident sont fortement touchés par la pauvreté rurale; toutes les recommandations qui pourront découler du travail de votre comité revêtent donc une grande importance pour nous.
La pauvreté rurale est une question primordiale dont on ne discute pas assez souvent. Votre étude arrive à point et je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts pour cette initiative capitale.
Comme vous l'écrivez dans votre rapport intérimaire, la pauvreté rurale est une réalité difficile à définir et à comprendre. Il n'y a pas vraiment de seuil de pauvreté en région rurale. En outre, la réalité rurale ne se limite plus aux seuls agriculteurs et éleveurs. Lorsque nous parlons d'un milieu rural, nous pensons maintenant à toutes les collectivités de petite taille à l'extérieur des grandes villes.
Mon exposé va porter sur le contexte général des difficultés que connaissent les collectivités rurales et proposer quelques pistes de solution. Je vais vous parler surtout de la Saskatchewan rurale étant donné que c'est la région que je représente et celle que je connais le mieux.
Les problèmes que vivent les régions rurales de la Saskatchewan sont clairs et simples, tel qu'indiqué dans votre rapport. Nous demeurons confrontés à un exode massif de notre population, lequel est particulièrement préoccupant étant donné le nombre de jeunes qui quittent la province. Il devient de plus en plus difficile d'assurer le maintien des infrastructures et des services dans ce contexte de dépeuplement. Les gens qui réussissent à demeurer sur leur ferme ou dans leur petite ville sont obligés de parcourir de grandes distances pour obtenir des services de base, et le coût du carburant vient ajouter au fardeau financier déjà lourd des citoyens ruraux.
L'agriculture demeure le principal moteur économique des régions rurales de la Saskatchewan. Au cours des quatre ou cinq dernières années, de nombreux secteurs ont toutefois été dévastés par des catastrophes naturelles, comme les inondations, la sécheresse ou le gel, et par des barrières économiques comme celle découlant de la crise de l'ESB. Toutes ces situations ont fait en sorte qu'il est devenu encore plus difficile pour les agriculteurs de réaliser un bénéfice. Les coûts des intrants ont grimpé pour atteindre des niveaux records alors que les prix sont demeurés relativement faibles. Les politiques gouvernementales n'ont pas suffi pour maintenir à flot les producteurs dans cette conjoncture d'instabilité économique et de catastrophes naturelles.
Lorsque les agriculteurs connaissent des difficultés financières, les économies locales en ressentent les effets. Aussi, lorsque des agriculteurs quittent l'industrie en grand nombre, les localités arrivent difficilement à maintenir la base de population suffisante pour assurer leur viabilité économique. L'infrastructure rurale est essentielle au maintien et au développement des collectivités et à la préservation d'un niveau de vie adéquat. Au cours des deux dernières décennies, les collectivités rurales de la Saskatchewan ont vu leurs infrastructures s'étioler considérablement en raison de différents facteurs, dont les réductions budgétaires des gouvernements.
Par exemple, l'infrastructure des transports est essentielle à la prospérité de l'industrie agricole qui est elle-même le moteur de l'économie des Prairies. Les modifications apportées à la politique sur le transport du grain dans les années 1990 ont entraîné l'abandon de lignes ferroviaires et le regroupement de silos, ce qui a exercé une pression considérable sur les autoroutes de la province et les routes principales des municipalités. Ces changements ont résulté en un accroissement du trafic de camions lourds qui empruntent les routes rurales sur de plus grandes distances, ce qui crée des exigences sans précédent du point de vue de l'entretien des routes.
Des programmes ont été mis en place pour remédier partiellement à la situation et alléger le fardeau des municipalités rurales, mais ces programmes ont maintenant pris fin sans que l'infrastructure requise ait pu être complétée.
Comme vous le soulignez dans votre rapport intérimaire, les collectivités rurales sont à la merci des gouvernements provinciaux à bien des égards et il faut généralement que les gouvernements puissent justifier les investissements qu'ils consentent pour installer ou maintenir une infrastructure de base en matière de services. Les petites localités se heurtent alors à un problème de taille : il n'est pas rare qu'on leur dise que leur population n'est pas suffisante pour justifier le maintien d'un hôpital ou d'une école et il devient, en l'absence de ces services de base, encore plus difficile pour elles d'attirer des investisseurs aux fins de leur développement économique. Il est également ardu pour les petites villes d'attirer ou même de retenir des citoyens en l'absence de tels services.
On pourrait en dire autant des entreprises existantes dans leurs efforts pour conserver leurs employés ou en recruter de nouveaux. Lorsque vous essayez de renverser une tendance historique, comme celle de l'exode rural, les chiffres jouent toujours contre vous.
Compte tenu de la diminution de leur population et des coûts résultant du délestage, les municipalités n'ont pas les ressources financières suffisantes pour accroître leurs infrastructures ou simplement les maintenir. L'agriculture demeure la pierre angulaire de l'économie rurale en Saskatchewan, mais même ce secteur-là, celui des producteurs primaires, est en état de crise depuis bien des années.
Les statistiques sur le revenu net témoignent des difficultés que connaissent les agriculteurs de tout le Canada dans leur quête de la rentabilité. Les producteurs primaires sont des preneurs de prix, plutôt que des décideurs, et, quel que soit le prix payé par le consommateur à la caisse enregistreuse, le bénéfice de l'agriculteur est souvent perdu quelque part dans la chaîne de valeur ou à la faveur d'une hausse des coûts de production.
Les gouvernements doivent établir des politiques pour assurer la rentabilité. Les programmes actuels de gestion du risque pour les entreprises ne s'appliquent pas aux coûts de production. Ainsi, lorsqu'un agriculteur est frappé par une catastrophe, même avec les assurances et les programmes de soutien du revenu, il doit encore de l'argent en fin d'année et doit donc aller chercher un revenu à l'extérieur de sa ferme pour subvenir aux besoins de sa famille.
Ce ne sont plus seulement les petits agriculteurs amateurs qui ont besoin d'un revenu d'appoint, mais aussi les producteurs à moyenne et grande échelle dont les revenus agricoles devraient normalement être suffisants pour leur permettre de survivre. Comme les perspectives d'emploi sont faibles au sein de la collectivité, l'agriculteur doit souvent aller plus loin pour trouver du travail, ce qui représente une ponction supplémentaire pour l'économie locale. En outre, certains de ces producteurs agricoles trouvent des emplois qui auraient pu être comblés par de nouveaux arrivants, lesquels seraient venus accroître la population locale.
L'activité économique et le développement sont les éléments qui façonnent la prospérité rurale. L'activité économique est en effet le moteur indispensable au dynamisme des communautés rurales et la vigueur industrielle, quelle qu'en soit la forme, contribue à la croissance de la population et, par le fait même, à la viabilité des collectivités. Il faut donc s'employer à susciter des investissements en milieu rural et à développer l'activité industrielle à partir des bases même de la collectivité.
Comme je l'ai déjà mentionné, le déclin des infrastructures fait en sorte qu'il est difficile pour les communautés d'attirer de nouveaux investissements. Il est pratique courante pour les groupes de la Saskatchewan de mettre l'accent sur l'économie régionale. La coopération entre les instances locales, qu'elles soient rurales ou urbaines, est essentielle pour favoriser le développement économique. Il n'est pas rare de voir des initiatives lancées à l'échelon même des collectivités car les chefs de file locaux sont conscients de la nécessité de prendre en main leur destinée; les municipalités n'ont cependant pas toujours la capacité de créer de l'activité industrielle ou d'attirer des investisseurs. Les communautés ont donc besoin du soutien gouvernemental sous forme de financement et de programmes efficaces pour pouvoir mettre en œuvre de telles initiatives.
Certains pourraient prétendre que tous ces efforts sont futiles et que nous devrions laisser les collectivités locales s'éteindre à petit feu, mais nous entrevoyons l'avenir avec grand optimisme. Le secteur des biocarburants ouvre de belles possibilités aux régions rurales et aux agriculteurs. Il est tout à fait logique d'installer une usine d'éthanol ou de biodiésel en région rurale parce que c'est là qu'on trouve la matière première. Pour que les agriculteurs puissent tirer parti de ces installations, il faut instaurer des programmes en vue de permettre aux producteurs de participer à leur mise en place et d'en être propriétaires. Pour pouvoir réaliser des bénéfices, les producteurs agricoles doivent avoir la possibilité de jouer un rôle direct au sein de la chaîne de valeur. Les usines de biocarburant et les autres installations de traitement créeront de l'emploi à l'échelon local.
Les collectivités rurales de la Saskatchewan possèdent les ressources primaires nécessaires à la croissance économique, à la création d'emplois et à la prévention de la pauvreté rurale. Il s'agit simplement de mettre en place les programmes et les politiques qui donneront aux gens les outils dont ils ont besoin pour s'épanouir pleinement.
En conclusion, le rapport intérimaire indique que l'un des principaux enjeux consiste à convaincre la majorité, la population urbaine, de l'importance des collectivités rurales. Nous ne demandons pas aux gouvernements de donner de l'argent aux agriculteurs et aux citoyens des milieux ruraux. Nous faisons sans cesse pression en faveur de solutions durables aux problèmes de la population rurale et à la crise agricole. Au sein même des communautés rurales, on peut constater une volonté et un leadership en faveur d'une amélioration du niveau de vie. Nous demandons donc aux gouvernements de collaborer avec nos collectivités pour les aider à se donner les outils nécessaires à la réussite, mais les solutions doivent être conçues à l'échelon local.
Comme c'est le cas dans les grandes villes, différents facteurs peuvent être à l'origine de la pauvreté rurale. C'est un problème complexe pour lequel il n'existe pas de réponse facile. Les gouvernements doivent assurer la présence d'une infrastructure et d'un ensemble de politiques et de programmes permettant aux producteurs primaires et aux communautés rurales d'utiliser de façon optimale les connaissances et les compétences locales.
En terminant, je veux remercier à nouveau le comité pour avoir invité la SARM à comparaître. C'est un sujet que l'on a toujours négligé, mais sur lequel il vaut la peine de se pencher.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Marit; nous vous sommes très reconnaissants pour vos observations. Comme vous le savez, notre comité fait une tournée des régions du pays afin de prendre le pouls des différentes perspectives locales. La semaine dernière, nous nous sommes réunis dans le Canada atlantique et nous serons dans l'Ouest la semaine prochaine. Votre témoignage d'aujourd'hui correspond exactement au genre de point de vue que nous souhaitons obtenir. Il est très utile pour nous que vous nous fassiez part non seulement de ce qui inquiète les gens, mais aussi de ce qu'ils sont en mesure d'offrir.
Le sénateur Segal : Bienvenue à vous, monsieur Marit, et merci d'avoir parcouru une si grande distance pour venir nous parler de l'excellent travail de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities.
Pourriez-vous chiffrer la baisse de population qu'ont connue en moyenne les municipalités membres de votre association au cours des dernières années?
M. Marit : Je dois dire que cela dépend de la région de la province où ces municipalités se situent; dans bien des cas, on note plutôt une croissance rapide. Pour les cinq à dix dernières années, je dirais que la baisse moyenne varie entre 20 et 30 p. 100, avec certaines municipalités qui sont touchées plus durement encore.
Le sénateur Segal : Est-ce que ce dépeuplement est causé par le déménagement dans les villes comme Saskatoon ou Regina, ou bien est-ce que les gens quittent carrément la province?
M. Marit : Je dirais que ce sont surtout les jeunes qui quittent la province pour trouver des débouchés ailleurs. Bien souvent, les jeunes vont étudier à l'université et ne reviennent pas.
Le sénateur Segal : Pourriez-vous nous parler de l'impact, qu'il soit positif ou négatif, de l'exploitation du pétrole et du gaz, de la potasse et des autres activités minières dans la province, pour la population que votre organisation dessert?
M. Marit : Les municipalités qui accueillent des industries ont un bon taux de croissance, mais le secteur pétrolier connaît aussi de graves problèmes. Cependant, beaucoup de jeunes restent sur place et continuent de travailler à la fois sur les fermes et dans l'industrie. C'est le phénomène que l'on peut observer.
Dans une certaine mesure, ces municipalités se tirent très bien d'affaires, mais c'est la structure fiscale qui pose problème. Comme l'agriculture est en déclin en Saskatchewan depuis bon nombre d'années, il devient difficile pour les administrations municipales d'augmenter les taxes lorsque certains de nos concitoyens arrivent de peine et de misère à vivre de l'agriculture. Cette situation a des incidences concrètes sur l'infrastructure. Nous parvenons à la maintenir, mais pas à l'améliorer.
Vous pouvez constater les effets des politiques mises en œuvre par les paliers supérieurs de gouvernement. Je me réfère à votre rapport qui, soit dit en passant, est excellent. La situation n'est pas facile compte tenu de tous ces silos qui sont regroupés et de toutes ces voies ferrées qui sont abandonnées en Saskatchewan. Je suis moi-même producteur de grains et je ne veux rien savoir du camionnage, même pour une centaine de kilomètres; mais la situation est ridicule et ce sont surtout les infrastructures rurales qui en souffrent.
Le sénateur Segal : Dans votre exposé, vous avez parlé d'éthanol et de la localisation des usines dans les districts agricoles en raison de la présence des matières premières. Il y a actuellement un débat concernant l'industrie de l'éthanol. On s'interroge d'abord sur la taille que doit avoir une usine pour être vraiment efficiente et sur la pertinence qu'elle appartienne aux agriculteurs ou à quelqu'un d'autre; on se demande aussi s'il est préférable qu'elle soit située près de la matière première ou plus proche de la clientèle desservie. On discute actuellement de ces questions. J'aimerais connaître votre point de vue sur la situation actuelle de ce qui a toujours été une formule de regroupement parmi les plus efficaces pour les agriculteurs de l'Ouest canadien, à savoir la coopérative, pour ce qui est de la propriété de quelques-uns des instruments qui font une différence sur le terrain en vue de procurer des avantages économiques aux agriculteurs. Où se situe actuellement le mouvement coopératif en Saskatchewan, comparativement à ce qui se passait il y a dix ou 15 ans? Pensez-vous que c'est un véhicule qui pourrait être utilisé dans le cadre global des investissements pour l'éthanol, ce qui serait une très bonne chose pour les agriculteurs, ou y a-t-il des contraintes à cet égard?
M. Marit : Il pourrait y avoir certaines contraintes. Je dois dire que si les coopératives n'avaient pas existé en Saskatchewan, bien des localités auraient été rayées de la carte. Nous pouvons donc leur être très reconnaissants. Pour ce qui est du processus en question, je ne sais pas si la coopérative ou un mécanisme semblable est l'avenue qui convient, mais nous examinons toutes les possibilités, même les partenariats entre les producteurs et le secteur privé. Il nous faut tirer parti de l'expertise du secteur privé. Les entreprises privées possèdent les compétences nécessaires pour ce qui est de la gestion et de l'exploitation des ressources afin d'assurer une bonne mise en marché du produit. En fait, nous voudrions que les producteurs aient la possibilité de progresser dans la chaîne de valeur. Si le prix de leur matière première baisse, ils devraient pouvoir réaliser un profit avec le biodiésel à l'autre extrémité du spectre. Si l'on examine le modèle américain et la situation qui prévaut là-bas, on constate que c'est une véritable mine d'or qui contribue à l'essor économique des régions rurales du Mid West des États-Unis. La situation est la même que dans l'Ouest canadien. On assiste à un phénomène global de migration des communautés rurales vers les villes. Si vous allez au Minnesota où des usines d'éthanol appartiennent aux producteurs, vous verrez que l'argent reste dans ces communautés. On y construit des écoles et des piscines, on installe des ordinateurs dans les écoles et on investit de bien d'autres manières dans la collectivité. Tout le monde en sort gagnant. Nous aimerions beaucoup avoir la chance d'en faire autant de manière à ne plus dépendre de l'aide financière des paliers supérieurs de gouvernement.
Le sénateur Segal : Je voulais vous poser une question à ce sujet. Vous parlez d'infrastructures, d'hôpitaux, d'écoles et de routes. Si vous me le permettez, je vais cibler un seul aspect, à savoir la qualité des soins de santé. La Saskatchewan est le berceau du régime universel de santé et a joué un rôle historique au Canada dans l'établissement du principe voulant que chacun ait droit à des soins de santé, peu importe son revenu. Si vous pensez aux plus démunis au sein des communautés que vous représentez, pour ce qui est notamment de l'accès à un médecin ou à une infirmière praticienne et des aînés vivant seuls qui peuvent avoir besoin de soins médicaux, quelle serait votre évaluation de la situation et dans quelle mesure les choses ont-elles évolué au cours des dix dernières années?
M. Marit : La situation a vraiment changé et l'impact sur nos économies rurales est considérable. Il y a dix ans, lorsqu'un agriculteur prenait sa retraite, il s'en allait vivre dans la ville la plus près. Aujourd'hui, il déménage dans le centre de santé le plus rapproché, quel que soit son emplacement. Dans la plupart des cas, c'est dans une grande ville. C'est là que l'impact se fait ressentir. Le problème se pose avec les aînés qui ne peuvent pas se rendre dans ces installations. Heureusement que nous pouvons compter sur la solidarité rurale. Ce sont des voisins qui vont conduire la personne à l'hôpital. C'est probablement le facteur principal. Le seul moyen de transport accessible, c'est ce voisin qui habite tout près. C'est la réalité.
Si nous pouvions améliorer la situation en matière de santé, ce serait déjà une bonne chose, mais le problème que nous éprouvons probablement avec toute la profession médicale, tout au moins d'après ce que je puis entendre en Saskatchewan, c'est que les médecins ne veulent tout simplement pas s'installer chez nous. Ce n'est pas un phénomène unique à la Saskatchewan, c'est le cas pour tout le Canada rural. Ce sont les villes de Toronto, Vancouver, Montréal, Calgary et Edmonton qui intéressent maintenant les jeunes médecins sortant de l'université. Ils veulent travailler avec les équipements d'IRM, les scanners et tout ce qui est maintenant disponible. Dans les régions rurales du Canada, nous ne pouvons pas leur offrir de telles possibilités.
En Saskatchewan, je connais un village de 1 000 habitants qui verse 100 000 $ par année à même son assiette fiscale pour qu'un médecin y travaille. C'est la seule manière d'inciter un médecin à s'y installer. Il semblerait que les médecins de famille des régions rurales de la Saskatchewan figurent parmi les mieux rémunérés au Canada. Ce n'est donc pas parce qu'on ne les paie pas suffisamment. Ce n'est pas le problème. C'est simplement la surcharge de travail, parce que je peux vous dire qu'un médecin qui vient s'installer dans une communauté rurale en a plein les bras.
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de la nécessité de mettre en place des politiques de telle sorte que les gens des régions rurales aient les outils nécessaires pour réussir. Je vois que votre organisation a lancé en 2004 une initiative intitulée Clearing the Path qui visait à favoriser le développement économique des secteurs ruraux. Est-ce que les recommandations de votre rapport ont été mises en œuvre? Dans l'affirmative, ont-elles produit les résultats escomptés?
M. Marit : Après deux ans, les choses commencent finalement à se mettre en branle. Du point de vue du développement, nous venons tout juste d'embaucher deux personnes-ressources qui vont collaborer avec les collectivités pour stimuler le développement économique et élaborer des politiques afin d'obtenir des fonds des gouvernements fédéral et provincial. Notre association vient de terminer une carte routière coordonnant toutes les infrastructures municipales pour tracer un corridor de circulation principal. Réalisée en collaboration avec le service des autoroutes, cette carte fait le lien avec les grandes voies de circulation de la province. Tout s'emboîte. Il y a chevauchement et raccordement avec le Programme des routes utilisées pour le transport du grain des Prairies, lequel a produit des résultats extraordinaires en Saskatchewan. En plus des 115 millions de dollars que la province a obtenus du gouvernement fédéral, le programme a suscité des investissements supplémentaires dépassant 300 millions de dollars par la province et les municipalités.
Le programme a pris fin, mais le travail n'est complété qu'à moitié. C'est ce qui pose problème. Nous sommes prêts à aller de l'avant avec nos routes primaires, mais nous avons fait seulement la moitié du chemin pour ce qui est du réseau routier et cela est problématique. Nous croyions en l'efficacité de ce programme qui était mis en œuvre parallèlement par la Saskatchewan Urban Municipalities Association, le pendant urbain de notre organisation. Tout semblait s'harmoniser naturellement et nous avons examiné les problèmes auxquels est confrontée la province en plus de procéder à un auto-examen pour voir si nos municipalités ou nos associations faisaient obstacle. À l'issue de cet examen, nos membres ont donné leur entière approbation l'an dernier.
Le sénateur Callbeck : Pouvez-vous nous indiquer quelques-unes de vos recommandations?
M. Marit : Nous avons étudié les possibilités de coopération entre les municipalités pour favoriser le développement économique. Nous évoluons au sein d'un marché mondial et des collectivités de 500 à 1 500 personnes se joignent aux municipalités qui les entourent pour travailler ensemble au développement économique. Cependant, nos capacités demeurent limitées. Il nous est toujours possible de mettre quelques ressources dans la balance mais, comme je l'indiquais dans mon exposé, le développement économique des collectivités n'est pas chose facile, parce que dans un contexte de fermeture d'écoles et d'installations de santé, il est bien difficile d'attirer des investisseurs. On peut toujours leur faire miroiter de beaux plans d'affaires et tous les avantages qu'ils souhaitent obtenir, mais la décision demeure délicate. La province de la Saskatchewan a la chance de pouvoir compter sur une grande quantité de ressources naturelles. Un jour ou l'autre, il faut bien se tourner vers ces ressources qui sont le moteur de notre économie.
Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il de l'immigration? Le gouvernement fédéral devrait-il déployer des efforts pour attirer davantage d'immigrants dans les zones rurales de la Saskatchewan?
M. Marit : Il pourrait, mais il lui faudrait revoir ses politiques. Même en Saskatchewan, nous constatons que, si l'on accueille des immigrants, peu importe leur nombre — et nous pourrions en débattre toute la soirée —, les politiques du système d'immigration leur permettent de ne rester qu'une brève période. Ils migreront vers Toronto, Montréal, Vancouver, Calgary ou Edmonton, là où se trouvent leurs amis, leur famille. J'ignore comment on pourrait éviter cela.
En Saskatchewan, nous avons fait des choses exceptionnelles. Des membres d'une communauté germanique de la Saskatchewan se sont rendus en Allemagne pour faire la promotion de leur communauté et y attirer de nouveaux habitants. D'autres ont fait la même chose en Ukraine. Des représentants de la communauté de Kinistino se sont rendus dans ce pays, d'où un vendeur de machinerie agricole a ramené huit mécaniciens qui ne travaillaient pas dans leur domaine auparavant. Tous gagnent maintenant beaucoup d'argent comme mécaniciens de machinerie lourde dans une entreprise d'équipement agricole, et ils adorent leur travail. Ils se sont tous établis dans une communauté où la culture ukrainienne est très présente.
Cela peut fonctionner ainsi, mais il faut avoir des incitatifs pour attirer les immigrants. Je pense qu'en leur offrant des métiers, on obtiendra de bons résultats.
Le sénateur Callbeck : Combien de personnes y a-t-il dans cette communauté?
M. Marit : Je crois que Kinistino compte de 1 500 à 2 000 habitants.
Le sénateur Callbeck : Quel est le nombre d'immigrants qui y vivent?
M. Marit : C'était un cas isolé. Je ne suis pas certain du nombre total d'immigrants. On a ramené huit mécaniciens cette fois-là seulement. Les journaux en ont beaucoup parlé. Lorsqu'on a interviewé ces immigrants, ils ont affirmé qu'ils aimaient beaucoup leur nouveau lieu de résidence.
Le sénateur Callbeck : Depuis combien de temps y habitent-ils?
M. Marit : Cela fait maintenant trois ans.
Le sénateur Gustafson : Monsieur Marit, nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous aujourd'hui. J'aimerais que vous nous expliquiez — comme je tente de le faire moi-même depuis un certain temps — l'état actuel des exploitations agricoles. Je vous demande de décrire ce qu'est vraiment la pauvreté rurale et de parler des agriculteurs qui éprouvent des difficultés financières. Je n'irai pas plus loin; je vous laisse la parole.
M. Marit : La situation deviendra très critique en Saskatchewan. Les mots me manquent pour vous exprimer à quel point. En plus de ce dont je vous ai déjà parlé, notre association, la SARM, siège également à un comité que nous appelons le Farm Stress Review Line. Les appels que nous recevons sont renversants. Les gens sont aux abois; parfois, c'est peut-être leur faute, mais la plupart du temps, ils n'y sont pour rien.
Dans mon coin de pays, nous avons vu des cas comme celui d'un fermier de 50 ans — exactement mon âge — qui vient de jeter l'éponge cette année. C'est probablement l'un des travailleurs les plus acharnés que je connaisse. Nous avons grandi ensemble. Il a toujours été agriculteur. Il n'est pas responsable de son sort : les coûts des facteurs de production et le faible prix des produits de base l'ont tout simplement contraint à abandonner sa terre. Ce genre de situation se produit de plus en plus souvent.
J'ignore quel type de politique il faudrait mettre sur pied, si ce n'est un programme qui couvrirait les coûts de production. Il faut reconnaître qu'il s'agit d'un dossier de compétence fédérale, car les provinces ne pourraient jamais assumer un tel fardeau. Aux États-Unis, comme partout ailleurs dans le monde, c'est du ressort fédéral, et non provincial. Si le gouvernement ne commence pas à couvrir les coûts de production au moyen d'un programme — et, en tant que producteur, je suis prêt à faire ma part —, nous reviendrons ici tous les ans, à déplorer le manque d'argent dans le secteur de l'agriculture.
Les agriculteurs américains sont fortement subventionnés en vertu du Farm Bill. J'ai de très bons amis aux États- Unis, et là-bas, on rit de nous. Les Américains envoient leurs grains dans les silos canadiens, car nous leur en faisons un excellent prix. Mais cela leur importe peu, car selon les taux de prêt des comtés, c'est en semant le grain qu'ils réaliseront des profits, peu importe le prix qu'ils en auront obtenu. C'est la vérité.
Nous pourrions discuter tout notre soûl du secteur agricole et de son avenir, mais tant que le gouvernement fédéral n'annoncera pas la mise en œuvre d'un projet de loi ou d'un quelconque programme sur l'agriculture, la situation ne s'améliorera pas. Ce dont le secteur a besoin, c'est d'un régime d'assurance-revenu, ou peu importe le nom qu'on lui donne.
Le sénateur Gustafson : Les agriculteurs n'encouragent pas leurs enfants à prendre la relève; c'est vraiment triste. Qu'en est-il vraiment?
M. Marit : Je peux seulement parler de mon expérience personnelle. J'ai un fils de 21 ans. Mon frère et moi exploitons une ferme ensemble depuis 1975. Notre père nous a aidés à démarrer, et c'est également le métier que nous voulions faire. À la fin de sa 12e année, mon fils est venu nous dire : « Je vois ce que vous vivez chaque année. Je ne veux pas de cela. » Il en est à sa quatrième année d'université, et n'a aucune intention de revenir.
Je pense que nous allons traverser la pire crise qu'aura connue le secteur de l'agriculture, non seulement dans l'Ouest canadien, mais dans le Canada tout entier. Il n'y a personne pour continuer à cultiver la terre — afin de produire des aliments à bas prix — pour le reste du monde. Tant que nous n'aurons pas réglé ce problème, j'ignore comment vous procéderez. Et tant qu'on ne pourra considérer l'agriculture comme une activité rentable et convaincre un neveu, ou autre, qu'il s'agit d'un bon moyen de gagner sa vie, rien n'arrivera. Tout continuera comme avant.
Le sénateur Gustafson : Y a-t-il beaucoup de ventes aux enchères?
M. Marit : Oui, beaucoup. En ce moment-même, trois grandes entreprises de la Saskatchewan — Ritchie Brothers et deux autres — affichent probablement complet pour l'année. Je ne crois pas qu'ils acceptent d'organiser d'autres ventes cette année.
[Français]
Le sénateur Biron : De nouvelles méthodes de culture des agriculteurs permettent de produire moins de gaz à effet de serre. Ceci leur permet de profiter de crédits de carbone et d'augmenter leurs revenus. Il en est de même pour les fermiers ayant des troupeaux d'animaux; en captant et en brûlant le méthane produit par ceux-ci, ils bénéficient de crédits de carbone.
Au marché de Chicago, une unité de carbone se vend quatre dollars; selon Kyoto, elle pourrait valoir jusqu'à dix dollars s'il y avait un marché du carbone au Canada. En Europe, on obtient jusqu'à 15 dollars l'unité. Croyez-vous qu'on devrait avoir un marché du carbone au Canada? Sur une note plus optimiste, nous pourrions-nous aider les fermiers avec des crédits de carbone?
[Traduction]
M. Marit : Tout à fait; je suis heureux que vous en parliez. Peut-être l'ignoriez-vous, mais la plus importante entente relative à un marché du carbone a été signée en Saskatchewan il y a quelques mois, et si j'ai bien compris, elle vise environ cinq millions d'acres. Les crédits ont été échangés à la Bourse de Chicago pour, je crois, 4 $ la tonne environ. C'est le prix fixé pour la Saskatchewan; on s'est fondé sur une classification des sols pour le calculer. Pour certains agriculteurs, le prix tourne autour de 1,75 $ l'acre. Ce n'est pas beaucoup, mais tout est bon à prendre.
Ce que nous trouvons intéressant, c'est qu'il n'y a aucune restriction pour ces contrats. À un moment donné, il était question d'imposer des limites en matière de crédits de carbone. Si j'ai bien compris, l'agriculteur n'a qu'à souscrire à une assurance- récolte, afin que l'assureur puisse vérifier le nombre d'acres qu'il possède, et il devra utiliser un certain matériel d'ensemencement, soit un équipement qui ne comporte aucun travail du sol et des coutres étroits. Ce sont les seules exigences. Voilà ce que savons là-dessus.
Le prix, 4 $, nous semble bien bas, mais j'imagine que le marché boursier le fera augmenter. Il s'agit de contrats d'une année, et non de trois ou quatre ans. Si les cours augmentent, je pense qu'on aura la possibilité de revoir les prix à la hausse.
À mon sens, si on est prêt à me donner 2 $ l'acre pour mes activités agricoles, c'est avantageux; cela couvre environ le quart des taxes que je dois payer pour un quart de section.
Est-ce que cela me rendra plus riche, ou plus pauvre? Je ne m'enrichirai pas, mais cela m'aidera. Je suis toujours favorable aux programmes bons pour l'environnement qui soutiennent financièrement ceux qui le protègent, en l'occurrence, les agriculteurs.
Le sénateur Biron : Puis-je vous demander qui a signé le contrat? De quelle entreprise s'agit-il?
M. Marit : C'est une entreprise de Regina qui s'appelle Points West, je crois. Reg Gross est l'un de ses principaux associés.
Le sénateur Biron : Peut-elle contrôler le marché des crédits d'émission de carbone?
M. Marit : Comment pourrais-je qualifier son rôle? Il ressemble à celui d'un courtier.
Le sénateur Biron : Cette entreprise est-elle en mesure d'offrir des garanties?
M. Marit : Oui, au moyen du programme d'assurance-récolte. Cela veut dire que si je signe ce contrat de crédits de carbone et que j'y assujettis mes 4 000 acres de terrain, l'assurance-récolte permettra de vérifier si c'est bien là l'étendue de mes terres. On a fait très peu de vérifications, mais à en croire la Bourse de Chicago et ce qui se produit aux États- Unis, tout le monde respecte la loi et les conditions du contrat. On n'a éprouvé aucun problème à cet égard. Il n'y a jamais eu de cas où un producteur avait prétendu cultiver 4 000 acres alors que c'était faux. Cela ne s'est pas produit.
Le sénateur Biron : La majorité des agriculteurs de la Saskatchewan ont-ils déjà signé le contrat?
M. Marit : Non, ils ont été très peu nombreux à le faire. En fait, ce contrat constituait une première, et il s'est avéré très rentable pour les premiers agriculteurs qui y ont souscrit, car ceux-ci ont perçu des sommes rétroactives pour les quatre années précédentes. Certains ont obtenu environ 5 $ l'acre pour cette période.
Le sénateur Biron : Diriez-vous que cela ne concerne pas la majorité des agriculteurs?
M. Marit : Non. Cela dépend de la Bourse de Chicago.
Le sénateur Biron : Pourriez-vous nous dire combien de millions de crédits de carbone pourraient se transiger ainsi?
M. Marit : Eh bien, si le contrat vise l'ensemble des terres cultivées — sauf les pâturages, car on ne tiendra pas compte des prairies naturelles —, le territoire que l'on ensemence chaque année en Saskatchewan représente environ 30 millions d'acres.
Le sénateur Mahovlich : Merci de votre présence, monsieur Marit.
M. Marit : Il est agréable de vous revoir, sénateur.
Le sénateur Mahovlich : Merci. Nous avons échangé nos places.
M. Marit : C'est vrai; la dernière fois, c'est moi qui posais les questions.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné le Farm Bill américain. Comment en est-on venu à le mettre sur pied? Les Américains vivaient-ils la même situation que nous actuellement?
M. Marit : Oui, sénateur; ils étaient probablement dans une situation semblable à la nôtre, sinon pire. Je pense que cette mesure législative a été créée par un gouvernement fédéral qui ne voulait tout simplement pas voir le secteur agricole s'effondrer. Je suis convaincu que c'est là sa raison d'être; le gouvernement voulait collaborer avec les agriculteurs.
Le sénateur Mahovlich : Alors il les a secourus?
M. Marit : Exactement. Nous sommes nombreux à avoir des parents aux États-Unis, et ceux-ci nous ont confié — j'ai parlé aux miens — qu'on leur avait appris que le Farm Bill américain leur coûtait entre 100 et 200 $ par année en impôts. Ils disent que si c'est le prix à payer pour soutenir le secteur agricole américain, ils sont pour. Il y a également une volonté en ce sens du côté des consommateurs, des contribuables.
Le sénateur Mahovlich : Nous avons de vastes terres et de grandes exploitations. Nous devons exporter une grande partie de notre production pour survivre. Est-ce qu'adopter un projet de loi pour améliorer votre sort serait une bonne idée?
M. Marit : Tout à fait. Je crois vraiment que nous devrions envisager d'autres initiatives. Regardez le cas de l'industrie américaine en ce qui concerne la stratégie relative aux biocarburants. En 2007, les États-Unis n'exporteront pas un seul boisseau de maïs. Le nombre d'acres consacrées à la culture du maïs est en forte hausse cette année parce que la stratégie américaine relative aux biocarburants prendra toute la place.
Vous avez entendu le discours du président selon lequel on passerait de 9 milliards de gallons en 2006 à 45 ou 48 milliards d'ici 2017. C'est phénoménal. Où trouveront-ils le maïs? Les variétés sont là, mais ils exploiteront d'autres acres consacrées notamment à la culture du soja. Ils cultiveront leur maïs à 5 $ l'acre parce que c'est ce qu'ils en obtiendront.
Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il beaucoup d'Américains qui possèdent des champs de maïs dans l'Ouest?
M. Marit : Oh, oui; il y a des champs de maïs au Minnesota, au Nebraska et au Kansas. En 2006, l'Iowa était importateur net de maïs. En fait, on a importé du maïs en Iowa pour alimenter les usines d'éthanol.
Le sénateur Mahovlich : Je compare toujours le Canada à l'Australie. Je pense que nous nous ressemblons à bien des égards. Y a-t-il un « farm bill » là-bas?
M. Marit : Non.
Le sénateur Mahovlich : Ils vivent une situation semblable à la nôtre, alors?
M. Marit : Plus ou moins. Leur industrie céréalière est très différente. Ils ont ce qu'ils appellent une commission australienne du blé qui intervient seulement sur les marchés internationaux. Elle ne s'occupe pas d'affaires intérieures.
Toutefois, les Australiens ont fait les choses différemment. Ils ont construit des installations en Europe, où ils envoient leurs céréales pour les faire transformer par des meuniers là-bas.
Le sénateur Mahovlich : Ils ont ouvert des bureaux en Europe?
M. Marit : Exactement. Ils se taillent une place sur tous les marchés possibles. Ils sont plus proches que nous de nombreux de marchés que nous tentons de pénétrer, comme celui des pays de l'Est.
Les coûts de transport ont connu une véritable escalade, surtout dans le transport maritime, mais c'est aussi parce que nous sommes enclavés dans l'Ouest canadien. Nous dépendons de deux chemins de fer nationaux qui nous imposent des règles en matière de transport.
À titre d'exemple, je vis près d'Assiniboia, où se trouvent les gares terminus et où les coûts de transport sont fixés à 47 $ la tonne. Il en coûte un peu plus d'un dollar par boisseau pour transporter des céréales d'Assiniboia à Vancouver. J'obtiens seulement 3 $ le boisseau pour du blé, et je consacre le tiers de cette somme au transport. Et c'est sans parler du transport du silo à la gare. Voilà le problème.
Le sénateur Segal : Monsieur Marit, j'aimerais revenir à la question des coûts de production, que vous avez évoquée. La politique agricole de ces 25 dernières années a servi à gérer une crise après l'autre, qu'elle soit causée par la sécheresse, l'ESB, les subventions américaines dans le secteur des céréales et des oléagineux, et cetera. Je serais curieux de savoir ce que vous en pensez; vous avez parlé de la population, de la base et de la structure du milieu. Je crois que nous pourrions conclure qu'on a mis en place des programmes provisoires de soutien des produits de base, mais tout ce qu'on a pu faire n'a apporté aucune solution constructive à long terme.
M. Marit : C'est vrai.
Le sénateur Segal : Le programme d'options agricoles adopté a permis aux agriculteurs gagnant, je crois, moins de 25 000 $ de présenter une demande d'aide, et je pense que près de 16 000 agriculteurs ont reçu environ 10 000 $ chacun, en moyenne, ce qui indique à quel point ils étaient loin des 25 000 $. Cela n'était pas calculé en fonction du prix des produits de base, mais de leur revenu de l'année précédente. Il s'agissait du revenu de base.
Si vous deviez choisir entre un système d'appui aux produits de base, qui tienne compte des coûts de production, et un soutien aux familles agricoles basé sur le revenu de subsistance minimal, avec une certaine assurance que vos communautés ont de bonnes chances de se sortir des crises qu'elles traversent, qu'est-ce qui vous semblerait le plus sensé?
M. Marit : La dernière question se devait d'être cruciale, n'est-ce pas? On peut compter sur le sénateur Segal. C'est une question pertinente. Je pense encore qu'il faut établir un lien quelconque entre le coût de production et le produit. Je pense que c'est essentiel. C'est mon opinion. Notre conseil d'administration se compose de sept membres. Si les autres étaient ici, trois pencheraient d'un côté et trois de l'autre. Je pense tout simplement que cette solution permet une meilleure reddition des comptes. Lorsque j'examine la politique et les programmes agricoles actuels, je ne vois aucun mécanisme de reddition des comptes, ni aucune solution concrète et prévisible. Il n'y a aucun programme ni aucun document qui me permette de dire à mon banquier ou à mon comptable : « Si c'est le produit que je cultive, voici ce que j'obtiendrai. » Il n'y a rien. C'est là le problème. Nous pouvons parler du Programme de consultation CASE. Nous pouvons parler de tous les programmes fédéraux que nous voulons, mais comme ils ont tous un effet rétroactif, on se penche toujours sur ce que j'ai fait et ce que je n'ai pas fait. C'est l'élément de comparaison. Si vous prenez le modèle de revenu de base, comme vous l'avez fait dans votre document à un moment donné, vous pourriez vous demander quel serait le revenu de base que tous devraient avoir. Comment pourriez-vous intégrer cela à la comptabilité des entreprises agricoles, alors que, la plupart du temps, il s'agit de fermes constituées en sociétés. Elles ont agi ainsi pour des raisons fiscales. Comment vous y prendriez-vous?
En vérité, la plupart des entreprises agricoles utilisent leurs profits éventuels pour faire des acquisitions afin de diminuer l'impôt sur le revenu. Comment composeriez-vous avec cela? Cette situation pourrait créer un problème, selon moi.
Le sénateur Segal : Puis-je intervenir brièvement?
La présidente : Très brièvement.
Le sénateur Segal : Dans notre régime fiscal actuel, les personnes âgées de la Saskatchewan et d'ailleurs au Canada ont droit au Supplément annuel de revenu garanti, si leurs revenus n'atteignent pas un certain niveau. Dans toutes les provinces, on accorde des subventions locatives depuis des années. Est-ce que vous nous dites que, d'après ce que vous en savez, il serait trop difficile d'élaborer un tel modèle au profit des agriculteurs?
M. Marit : D'après ce que j'en sais? J'aimerais que cela soit mis en œuvre pour une raison. Si vous adoptiez une telle solution, il faudrait ne pas tenir compte des revenus d'appoint, parce que ces derniers élimineraient tout le monde. On ne serait plus admissibles au nouveau programme actuellement mis en œuvre. Je connais des types qui perdent de l'argent avec leur exploitation agricole, mais qui ne sont pas admissibles au programme étant donné qu'ils gagnent 75 000 $ en travaillant dans une mine de charbon. Comme ils perdent de l'argent avec leur exploitation agricole, ils doivent se servir de leur revenu d'appoint. Tel est le problème.
La présidente : Je vous remercie infiniment. Il reste du temps pour une très brève question du sénateur Biron.
[Français]
Le sénateur Biron : Un phénomène existe dans plusieurs provinces, soit la culture du cannabis par le crime organisé. Remarquez-vous le même phénomène en Saskatchewan? Suggérez-vous au gouvernement fédéral d'augmenter les effectifs de la GRC? Est-ce que les cultivateurs se sentent bien protégés?
[Traduction]
M. Marit : Il n'y en a pas beaucoup, à vrai dire. Il y a quelques plantations de marijuana dans des zones agricoles éloignées. Elles sont peut-être parmi les arbres notamment, et ne peuvent être détectées du haut des airs. Les effectifs de la GRC n'ont pas été accrus en Saskatchewan. C'est même le contraire qui s'est produit dans les collectivités rurales de la province. Les compressions budgétaires, le manque de crédits et la réaffectation des agents de la GRC ont en fait entraîné des fermetures de détachements de la GRC. À l'ouest de la Saskatchewan, il y a une province qui accapare toutes les richesses du pays, non seulement nos jeunes mais également les détachements de la GRC. Je crois comprendre que, en 2006, la Division dépôt de la GRC à Regina a formé 1 200 agents, dont presque la moitié a été affectée en Alberta. Je ne peux parler que pour les collectivités rurales de la Saskatchewan, mais cela a entraîné une diminution des effectifs de la GRC dans bien des détachements de notre province.
Dans les régions rurales de la Saskatchewan, la criminalité n'est pas en hausse, mais la question nous préoccupe beaucoup étant donné les compressions dans les effectifs de la GRC et la marge de manœuvre dont jouissent les criminels. Je sais que la situation exerce une influence énorme sur le secteur des ressources naturelles en Saskatchewan à cause des salaires élevés accordés aux jeunes travaillant dans le domaine de l'exploitation gazière et pétrolière. Ceux- ci disposent d'un revenu leur permettant de faire ce qui leur plaît. La situation nous préoccupe énormément, il est vrai, mais en ce qui concerne le cannabis, le problème ne nous inquiète pas. Je ne nie pas son existence, mais il ne nous apparaît pas inquiétant.
La présidente : Merci. Sénateur Gustafson, j'aurais une observation à formuler, si vous me le permettez.
Je suis contente que vous ayez soulevé la question de la criminalité et de ses conséquences. Un tout récent numéro du Maclean's a été presque entièrement consacré à la criminalité qui est en hausse en Saskatchewan. Les faits rapportés sont inquiétants et étonnants.
M. Marit : Effectivement.
La présidente : Sénateur Gustafson, vous avez droit à une dernière intervention.
Le sénateur Gustafson : Croyez-vous que nous pourrions convoquer une organisation comme l'American Farm Bureau, le plus puissant lobby aux États-Unis. Les agriculteurs américains ne font pas de lobbying. C'est l'American Farm Bureau qui s'en charge. Avec tout le respect que je dois à la Fédération canadienne de l'agriculture, celle-ci n'a pas les mêmes pouvoirs que le Bureau, qui est une importante société d'assurances auprès des agriculteurs américains. De plus, les Américains défendront becs et ongles ce moteur économique de leur pays. Nous n'avons pas la même ardeur, et il me semble que nos efforts ne soient pas efficaces. Je voudrais simplement savoir ce que vous en pensez.
M. Marit : Vous avez tout à fait raison, sénateur Gustafson. C'est un problème, comme je l'ai indiqué dans ma déclaration préliminaire. Comment sensibilisons-nous ceux qui vivent en milieu urbain aux questions essentielles touchant l'agriculture? Qu'est-ce que l'agriculture représente vraiment? À mon avis, c'est la solution à adopter. Nous devons mettre en œuvre une campagne de sensibilisation. Il faut se rendre compte que, si nous voulons des aliments sains, et j'insiste là-dessus, offerts à un prix abordable, nous devons en faire une priorité, à mon avis. Songez à la réputation de notre industrie céréalière dans les autres pays. Ceux-ci n'achètent le blé canadien que pour une raison : ils savent qu'il est salubre. C'est la principale raison, sa qualité et sa salubrité. Le terrorisme est omniprésent. Il ne serait donc pas difficile de poser un acte qui aurait une incidence sur la chaîne alimentaire.
La présidente : Merci infiniment, sénateur. Monsieur Marit, je vous remercie également. Je sais que vous avez lu notre rapport provisoire. Il ne comportait que deux recommandations, dont l'une préconisait l'adoption d'un projet de loi sur l'agriculture canadienne. Nous espérons faire avancer ce dossier. Notre comité a cet objectif en tête depuis longtemps.
Je vous remercie infiniment d'être venu témoigner. Vos propos nous en ont beaucoup appris. Je vous inviterais à demeurer confortablement parmi nous pour écouter nos prochains témoins.
M. Marit : Merci beaucoup.
La présidente : Chers collègues, nous entendrons maintenant une histoire différente que nous racontera l'ami que je me suis fait récemment à Lethbridge, alors qu'il participait à un atelier d'une journée complète sur les hauts et les bas de l'agriculture à notre collège communautaire de Lethbridge. Il s'appelle Christoph Weder.
Sa femme, Ericka, et lui dirigent la Spirit View Ranching and Consulting près de Rycroft, en Alberta. Les Weder possèdent 250 vaches, des Angus rouges et noires, ainsi que 180 veaux d'un an et bovins à façon. De plus, M. Weder voyage abondamment à titre de consultant pour aider les autres éleveurs à améliorer leur gestion du pâturage et à élaborer des plans d'exploitation intégrés ainsi que pour leur apporter un soutien technique par rapport aux méthodes de pâturage et de clôturage.
Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous disposons d'une heure pour entendre votre témoignage et vous poser des questions qui seront, à mon avis, passablement pertinentes. Vous avez la parole.
Christoph Weder, grand éleveur, à titre personnel : Je préférerais demeurer debout pendant mon exposé. Tout d'abord, je voudrais vous remercier de m'avoir invité à Ottawa pour donner mon point de vue sur l'agriculture.
Voici un survol de mes antécédents : j'ai travaillé pour Agriculture Alberta pendant neuf ans à titre de spécialiste des bovins dans la région centrale de la province. En 2002, nous sommes déménagés dans la région de Peace River en Alberta. Nous nous sommes rendu compte que, en raison des coûts de production — pour notre entreprise —, il était beaucoup plus judicieux de nous installer dans une région albertaine où l'exploitation d'une entreprise d'élevage- naissage était rentable et nous permettait de payer la terre et les bovins.
Cependant, nous avons pris conscience rapidement qu'il y avait des limites, comme l'a fait remarquer le témoin précédent. Si les éleveurs ne diminuent pas leurs coûts de production, leur situation devient intenable. Il y a une limite à cette diminution des coûts de production. Une fois cette limite atteinte, vous devez vous attaquer à l'autre partie de l'équation, c'est-à-dire augmenter votre marge de profit.
Après notre déménagement à Peace River, nous avons établi un objectif pour notre exploitation. Dès le départ, nous avions décidé de nous maintenir parmi les 20 p. 100 des exploitations dont les coûts de production sont les moins élevés et les 20 p. 100 dont les efforts de commercialisation sont les plus grands.
À l'époque, nous ne savions pas vraiment comment nous y parviendrions. Nous vendions des taureaux de race, ce qui nécessitait donc une stratégie de commercialisation auprès des autres éleveurs. Toutefois, beaucoup de nos taureaux ne deviennent pas des reproducteurs mais se retrouvent sur les étals des marchés. Nous devons donc tenir compte de cet aspect.
En 2003, l'ESB est survenue, et nous avons pris conscience de notre vulnérabilitéétant donné que nous étions tributaires des exportations. Du jour au lendemain, notre frontière a été fermée, les prix se sont effondrés et un sentiment d'impuissance s'est emparé de tous. Le réveil a été brutal.
J'ai eu la chance de travailler à l'étranger auparavant. J'ai travaillé en Amérique du Sud dans le secteur de l'élevage bovin, et j'ai été témoin des conséquences de la fièvre aphteuse sur ce secteur en Argentine et en Uruguay. Je savais que nous étions vulnérables.
J'ai la chance d'avoir pu tisser de bonnes relations avec certains grands éleveurs américains. Ils nous ont offert la possibilité d'écouler nos produits auprès d'une chaîne d'épiceries sur l'île de Vancouver. En raison de la couverture médiatique qu'a reçue l'ESB et de la situation dans l'industrie, ils avaient des clients qui voulaient du bœuf biologique. Aux États-Unis, les aliments naturels ont connu une croissance phénoménale dans le secteur de l'élevage bovin. Le Canada accuse un certain retard par rapport aux États-Unis, retard que nous rattrapons graduellement.
Cette chaîne d'épiceries cherchait un fournisseur de bœuf biologique. Par bœuf biologique, j'entends des animaux qui ont été élevés sans antibiotiques, stimulateurs de croissance ou sous-produits animaux. On avait proposé d'approvisionner Thrifty Foods, mais aucun fournisseur canadien n'avait été trouvé. On était donc sur le point d'introduire des produits américains dans le marché canadien. Heureusement, ces éleveurs connaissaient une forte croissance aux États-Unis — il s'agissait de Country Natural Beef — et ils m'ont proposé de m'encadrer et de m'aider à mettre sur pied la première gamme de produits de marque si je regroupais les producteurs de bœuf biologique nécessaires.
J'étais encore fonctionnaire à cette époque-là, et je m'étais rendu compte qu'il y avait une limite à demander aux éleveurs de réduire leurs coûts de production. C'était les insulter que de leur demander de les réduire encore davantage. L'occasion étant donc exceptionnelle, ma femme et moi avons pris l'initiative de mettre le tout en branle.
Pour résumer rapidement les trois années qui se sont écoulées depuis, je vous dirai que nous sommes le premier fournisseur de bœuf biologique au Canada. Jusqu'à présent, notre groupe a écoulé plus de 4 000 animaux à l'aide de notre réseau. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour pénétrer d'autres marchés, ce dont je vous parlerai.
Le fait d'être venu à Ottawa m'a été rentable puisque j'ai rencontré un détaillant, Farm Boy, qui cherche un tel produit. Nous commencerons probablement à l'approvisionner d'ici peu.
L'un des problèmes les plus graves avec lesquels nous sommes aux prises dans la vente au détail des produits agricoles, c'est que nous avons cette politique des aliments à bon marché et que nous avons réussi à mettre dans la tête des consommateurs canadiens qu'ils méritent cette politique. Lorsqu'on les interroge sur les aliments, les consommateurs semblent tous répondre qu'ils coûtent trop cher. Pourtant, du 1er janvier au 9 février, les Canadiens moyens réussissent à gagner l'argent nécessaire pour assumer le coût des aliments, y compris ceux consommés au restaurant. Après les États-Unis, le Canada est le pays où le prix des aliments est le moins cher.
Établissons une comparaison par rapport aux autres produits. Prenons par exemple les véhicules. Le coût d'un véhicule, y compris les prix de l'assurance et de l'essence, accapare 25 p. 100 d'un budget. Il y a des consommateurs qui se préoccupent davantage de ce qu'ils mettent dans leur voiture que ce qu'ils mettent dans leur estomac.
Si je devais formuler une recommandation au Sénat... Je ne regarde pas souvent la télévision parce que je suis débordé, mais j'ai récemment séjourné dans beaucoup d'hôtels et j'ai pu voir les producteurs d'éthanol et de biodiésel faire étalage de leur propagande pour faire valoir qu'il était magnifique que le consommateur puisse acheter des carburants renouvelables. Leur publicité est accrocheuse. Il faudrait davantage mettre en valeur les mesures prises par l'agriculteur canadien pour approvisionner le consommateur canadien en aliments salubres à l'aide de techniques agricoles écologiques favorisant une agriculture durable, notamment en protégeant nos cours d'eau. Lorsque vous dites que vous êtes agriculteur ou éleveur, vous en êtes rendu à être considéré comme un pauvre type arriéré qui n'a pas pu se trouver un emploi dans un autre domaine.
Ma femme et moi avons eu la chance de mériter le prix Outstanding Young Farmer for the Year pour l'Alberta et, en décembre, le prix Outstanding Young Farmer for Canada. Nous les avons gagnés notamment par notre attitude positive que nous essayons d'inculquer aux autres producteurs. Cependant, c'est une tâche ardue lorsque vous êtes le seul agriculteur de 35 ans dans un rayon de 50 milles et que tous les autres travaillent au champ de pétrole. On vous considère comme un être légèrement cinglé.
Vous avez parlé des espèces en voie de disparition au Canada. Actuellement, l'espèce la plus menacée dans les Prairies, c'est l'agriculteur de 35 ans. Vous devez découvrir où il se trouve, lui procurer un habitat propice et lui donner les conditions pour qu'il se reproduise, car c'est de la prochaine génération qu'il faut s'inquiéter.
L'agriculture est aux prises avec un processus de sélection inversé. Si vous examinez les personnes qui ont réussi dans l'industrie pétrolière albertaine, vous constaterez qu'elles proviennent toutes de familles agricoles. Les dirigeants des sociétés pétrolières albertaines vous diront qu'ils veulent embaucher des enfants de la campagne parce qu'ils sont créatifs et qu'ils ont une éthique du travail. Les plus brillants se dirigent dans ce domaine, et ce sont eux que l'agriculture devrait conserver.
Le sénateur Segal : Monsieur Weder, je vous remercie de votre présence. Nonobstant la qualité de votre exposé, j'espère que les négociations avec Farm Boy ont abouti et ont été fructueuses pour vous.
Vous avez indiqué que l'agriculteur de 35 ans est une espèce en voie de disparition. Selon vous, il est créatif, optimiste et passionné. Brossez-moi un tableau de la situation en milieu rural. Qu'est-ce qui vous encourage le plus et qu'est-ce qui vous décourage le plus?
M. Weder : Selon moi, l'une des pires choses, c'est qu'on vous méprise dans le domaine agricole lorsque vous réussissez. Pour une raison que j'ignore, c'est ainsi en milieu rural. La pire chose à dire dans un café-restaurant, c'est : « Quelle journée magnifique! L'agriculture est bonne pour moi, et j'aime mon travail! »
Autre chose : il arrive que des producteurs décident d'aller dans une direction. Il suffit que 20 p. 100 d'entre eux aillent dans une direction pour que tout le monde suive, parfois aveuglément.
J'ai eu l'occasion de voyager partout dans le monde. J'ai travaillé en Amérique du Sud, en Afrique. Quand on est témoin de la corruption qui existe au sein des gouvernements, des épidémies de sida, ainsi de suite, on se rend compte, une fois rentré à la maison, qu'il y a peut-être des choses qui ne tournent pas rond, mais que l'on a un gouvernement qui est prêt à collaborer. C'est ce qui explique ma façon de penser.
Oui, il y a des points négatifs, mais il y a aussi beaucoup de points positifs. Il est essentiel de bien faire comprendre aux Canadiens qui vivent dans les centres urbains et à nos cousins à quel point l'agriculture est importante.
Permettez-moi de vous donner un exemple. J'assiste à une réunion dans une collectivité rurale, et je dis : « Voici le prix auquel nous vendons le bœuf. Ce prix est fondé sur les coûts de production, un retour sur l'investissement et un profit raisonnable. » Ils répondent : « Votre prix est plus élevé que celui que commande Cargill. » Ce à quoi je réponds : « C'est vrai. Ils achètent le boeuf sur le marché des produits de base, qui ne tient compte ni des coûts de production, ni du profit raisonnable, ni du retour sur l'investissement. »
Vous vous sentez presque coupable quand vous leur dites ce que vous devez réaliser comme marge de profit. Ils gardent les bêtes pendant moins de trois jours et réalisent un profit de 35 p. 100 sur celles-ci. Je dois m'en occuper pendant deux ans avant de pouvoir les abattre. J'ai de la chance si je réalise une marge de profit de 10 p. 100. J'ai beaucoup de difficulté à accepter ce genre d'attitude.
Le sénateur Segal : Selon vous, y a-t-il une mesure gouvernementale en particulier qui nuit au plus haut point au secteur agricole?
M. Weder : Oui. La réglementation, l'étiquetage. Il y a des gens fort compétents qui travaillent aux paliers provincial et fédéral. Il y a des gens innovateurs qui veulent aider les producteurs, mais les bureaucrates les en empêchent. Ils soutiennent que les choses ne sont pas censées se passer de cette façon, qu'ils ne suivent pas les directives.
Par exemple, certains producteurs veulent diversifier leurs activités, ouvrir un gîte. Il y a un producteur que je connais très bien qui veut offrir des fins de semaine chez l'agriculteur, inviter les gens à se familiariser avec l'agriculture durable, ainsi de suite. Il possède des installations aménagées dans un site enchanteur. On lui a dit qu'il ne pouvait inviter les personnes à manger dans sa cuisine, qu'il devait en construire une distincte.
L'industrie du bœuf offre des possibilités, mais les choses se compliquent quand vous vendez un produit de marque comme nous le faisons, parce que vous devez trouver une usine de transformation inspectée par le gouvernement fédéral qui est prête à collaborer avec vous. Heureusement, nous travaillons avec un détaillant qui est capable d'absorber le volume de bêtes que nous devons acheminer à l'usine de transformation pour assurer sa viabilité. Toutefois, il y a d'autres petites chaînes qui veulent travailler avec les producteurs, sauf qu'elles ne peuvent absolument pas faire affaire avec une usine de transformation inspectée par le gouvernement fédéral parce qu'elles n'ont pas le volume. Elles peuvent acheminer les animaux vers l'usine de transformation provinciale, qui est plus petite, mais leurs bêtes ne peuvent traverser la frontière. N'est-ce pas ridicule? Si le bœuf peut être consommé en Alberta, pourquoi pas en Colombie-Britannique?
Certains producteurs veulent faire quelque chose, mais ils ont les mains liées en raison des règles.
Je connais un autre transformateur à qui l'on impose des exigences incroyables. Il peut développer des produits du bœuf à valeur ajoutée, sauf qu'il doit dépenser 2 millions de dollars en vue de rendre ses installations conformes aux normes d'inspection du gouvernement fédéral pour pouvoir écouler ses produits en Colombie-Britannique. Nous devons revoir les règles afin qu'elles obéissent à une certaine logique. Ce devrait déjà être fait.
Le sénateur Segal : J'ai une dernière question à poser. Je ne veux pas discuter de la situation de votre entreprise en tant que telle, parce que vous êtes un concurrent et que vous avez des secrets comme tout propriétaire, mais je voudrais savoir ce que vous pensez des liens qu'entretiennent les agriculteurs avec les banques et les institutions financières, des liquidités dont il ont besoin pour lancer une ligne de produits de bœuf naturel, des coûts de transport connexes, compte tenu du fait qu'un détaillant peut prendre entre 30 et 90 jours pour payer.
M. Weder : Cela se produit uniquement si vous le laissez faire. Vous devez dire au détaillant dès le premier jour que vous voulez être payé au moment de la livraison.
Le sénateur Segal : Pouvez-vous vous débrouiller sans faire affaire avec les banques?
M. Weder : Quand nous avons lancé ce projet, tout le monde a mis de l'argent dans la cagnotte. Cela a permis de mobiliser les troupes, d'organiser des réunions. Nous avons travaillé de façon bénévole. Une fois le processus mis en branle, chaque animal a été examiné en vue de couvrir les frais de mise en marché. C'est quelque chose qui intéresse beaucoup les banques. Nous avons eu la chance d'obtenir des capitaux de démarrage de l'Alberta Livestock Industry Development Fund pour établir certaines chaînes de valeur. J'ai analysé des programmes mis sur pied aux États-Unis qui soit ont connu beaucoup de succès, soit ont échoué. Ces programmes sont parfois fondés sur des objectifs louables, mais ils accaparent tellement de temps et d'énergie côté affaires qu'ils produisent des effets contraires à ceux attendus. Certains peuvent nuire aux opérations.
Cela dit, nous avons été en mesure de mettre nos ressources en commun, et c'est ce qui nous démarque des autres. Au total, 17 exploitations réparties en Saskatchewan et en Alberta collaborent ensemble. Nous comptons 10 000 têtes de bétail, 100 000 acres de terre et un seul parc d'engraissement. Nous utilisons la même marque et nous travaillons ensemble. Toutefois, cela ne s'est pas fait du jour au lendemain. Il a fallu investir énormément de temps et d'énergie. De nombreux entrepreneurs affirment que s'ils avaient su alors ce qu'ils savent maintenant, ils ne se seraient pas lancés dans une telle aventure. Moi-même, j'y aurais réfléchi à deux fois.
En ce qui me concerne, j'occupais un poste au sein du gouvernement et je connaissais de bons producteurs. Nous avons mis nos ressources en commun — non seulement le bétail et l'argent, mais également notre savoir-faire. Le QI combiné des personnes assises autour de la table était extraordinaire. Nous avons mis sur pied le projet sans la participation des banques.
Le sénateur Segal : Il est évident que vous êtes conscient de l'importance que revêt l'éducation, tant au niveau de la maîtrise qu'au niveau du doctorat. Comment vos collègues agriculteurs, qu'ils travaillent dans le secteur bovin ou autre, conçoivent-ils le rôle joué par l'éducation, le développement professionnel, l'acquisition de compétences? Est-ce qu'ils comprennent bien ce rôle? Est-ce que ce savoir est mis à profit comme il devrait l'être? Êtes-vous l'exception qui confirme la règle?
M. Weder : J'ai discuté de la question avec un ami qui travaille pour Agriculture Canada. L'éducation m'a ouvert des horizons, m'a permis d'avoir une perspective plus globale. À cause de la pauvreté rurale, de nombreuses personnes ne sont jamais sorties de leur comté. Quand vous êtes exposé à des perspectives plus vastes, vous adoptez une attitude différente. Quand une personne pointe quelqu'un du doigt, il y a toujours trois autres doigts qui pointent dans sa direction. Nous devons assumer nos responsabilités, nous occuper nous-mêmes de nos affaires. Nous pouvons parler des programmes qu'offre le gouvernement aux producteurs, sauf que les producteurs doivent eux investir davantage dans le développement, le perfectionnement. La politique agricole de la Suisse, pays d'origine de ma femme et d'où j'ai émigré à l'âge de quatre ans, est différente. C'est peut-être pour cette raison que j'ai une approche différente. Si vous voulez avoir accès à des programmes de soutien, vous devez avoir une certaine instruction. Vous devez obtenir un diplôme et parfaire votre éducation pour avoir une perspective différente. Si vous voulez diriger une entreprise de plusieurs milliards de dollars, vous devez avoir un certain niveau d'instruction. Vous devez suivre des cours en administration des affaires et en marketing.
Le sénateur Callbeck : Je voudrais revenir aux normes fédérales et provinciales, que je n'ai jamais été en mesure de comprendre. Comme vous l'avez indiqué, les normes sont adéquates pour certains, mais pas pour d'autres. Que disent les fonctionnaires fédéraux? Comment expliquent-ils la situation?
M. Weder : Je n'ai pas encore obtenu de réponse claire à cette question. Ils invoquent l'argument de la sécurité alimentaire. Manifestement, ce sont les marchés interprovinciaux qui nous intéressent. Je n'ai pas eu le temps de trop m'attarder là-dessus. Si nous voulons être viables sur le plan économique, nous devons avoir accès à de plus grandes usines de transformation pour pouvoir réaliser des économies d'échelle. Il s'agit d'un problème énorme. Je ne peux pas vraiment répondre à la question. Certains producteurs essaient de lancer des programmes d'élevage de bœuf d'embouche pour desservir les marchés à créneau et les petites boucheries, qui livrent concurrence à Loblaws et à d'autres grandes chaînes et qui, par conséquent, ont besoin de produits uniques pour attirer la clientèle. Ils doivent également collaborer avec ces personnes. Il faut intervenir des deux côtés de l'équation et s'attaquer au problème. Nous avons dit que nous le ferions pendant la crise de l'ESB, mais le dossier est maintenant balayé sous le tapis. Ils continuent de dire que les vaches de réforme devaient être soumises à des tests de dépistage de l'ESB, mais on nous dit que c'est impossible. Préférez-vous payer davantage pour un véhicule d'occasion ou pour un véhicule d'occasion certifié? Nous devons sortir des sentiers battus.
Le sénateur Callbeck : Il est vrai qu'il faut s'attaquer à ce problème.
M. Weder : Si le produit peut être consommé en toute sécurité dans une province, pourquoi ne peut-il pas l'être dans les autres? Ce sont peut-être les grandes usines de transformation qui refusent tout changement : elles veulent conserver leurs acquis. Les théories de la conspiration, ce n'est pas mon fort.
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de la génération à venir. Le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire tient des consultations à l'échelle nationale sur la nouvelle politique agricole. Elles ont déjà eu lieu à l'Île-du-Prince- Édouard. Avez-vous présenté un exposé, ou comptez-vous le faire?
M. Weder : On m'avait demandé de prononcer un discours à Saskatoon alors que nous venions tout juste de recevoir le titre de Jeunes agriculteurs d'élite. J'avais plusieurs autres allocutions à prononcer, de sorte que je n'ai pas pu le faire. Heureusement, aujourd'hui, j'ai eu l'occasion de me rendre à l'extérieur d'Ottawa pour rencontrer l'autre récipiendaire du prix. Il s'est rendu à Saskatoon pour participer aux consultations et il a pu jeter un coup d'œil au rapport. Il a dit qu'il s'agissait d'une version diluée de ce qu'ils avaient dit. Je n'ai participé à aucune consultation et je n'ai formulé aucun commentaire sur le sujet, mais les producteurs m'ont fait part de leurs réactions.
Le sénateur Callbeck : Je suis étonnée d'apprendre qu'un rapport a déjà été publié, car ils étaient à l'Île-du-Prince- Édouard il y a deux ou trois semaines de cela.
M. Weder : Je n'ai participé à aucune rencontre.
Le sénateur Callbeck : Si vous aviez l'occasion de le faire, que diriez-vous? En ce qui concerne la nouvelle politique agricole, quelles recommandations feriez-vous au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire?
M. Weder : La première chose que nous devons faire, c'est lancer une campagne d'information sur l'importance de l'agriculture pour sensibiliser le consommateur au fait que le Canada vient au deuxième rang parmi les pays où la nourriture coûte le moins cher. J'espère que cela va avoir un impact sur d'autres secteurs d'activités. Il faut déployer davantage d'efforts, comme nous l'avons fait dans le cas du café, par exemple. Si vous jetez un coup d'œil au café équitable qui provient de pays du tiers monde, vous allez constater que le producteur obtient un prix juste pour le produit. Nous devrions peut-être inscrire la mention suivante sur l'étiquette : « Le prix tient compte des coûts de production. »
Je ne reçois pas de chèques du gouvernement. Je préfère gagner l'argent par mes propres moyens. Toutefois, si le consommateur ne veut pas assumer les coûts de production, comme l'a dit l'intervenant précédent, alors nous devons prendre les mesures qui s'imposent.
Il y a un segment de l'industrie agricole et bovine qui fait porter tous ses efforts là-dessus. Il y a des fermes d'agrément et autres qui font du surplace, mais il y a des groupes qui veulent vraiment vivre de cette activité.
Prenons l'exemple de l'industrie laitière. Certains groupes de consommateurs soutiennent que nous devrions nous débarrasser de l'office de commercialisation au motif que le consommateur se fait avoir. Il paie le lait trop cher. Or, quand vous visitez une collectivité qui compte plusieurs petites fermes laitières, vous vous rendez compte à quel point la présence de ces fermes contribue à son dynamisme.
J'étais au Manitoba, il y a trois semaines. Je me disais que si la situation en Saskatchewan était la même, ce serait la fin des petites collectivités. Mais non, ils ont des petites fermes laitières; les familles sont toujours là. Les producteurs laitiers se font payer en fonction des coûts de production. Ils touchent un retour sur leur investissement et un profit raisonnable. Cela semble fonctionner. Or, cette formule est tournée en ridicule sur le marché mondial parce qu'ils ne laissent pas libre cours aux forces du marché.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez dit que vous aviez passé du temps en Argentine.
M. Weder : Oui.
Le sénateur Mahovlich : Huit ans?
M. Weder : Non. J'ai travaillé six mois en Argentine et en Uruguay.
Le sénateur Mahovlich : Et vous avez appris beaucoup?
M. Weder : Oui.
Le sénateur Mahovlich : Avez-vous vécu, là-bas, des expériences qui pourraient nous être utiles? Est-ce qu'ils mettent l'accent sur les coûts de production?
M. Weder : Je dirais qu'ils sont beaucoup plus axés sur les affaires que les producteurs canadiens. Oui, nous avons d'excellents producteurs qui sont conscients de leurs coûts de production, surtout du côté des céréales. Il est facile, dans ce secteur, de tenir compte des coûts, car vous êtes toujours en train de remettre un chèque à quelqu'un. Il suffit d'additionner tous les chèques pour avoir une idée des coûts de production. Du côté du secteur bovin, moins de 5 p. 100 des producteurs — et je fais allusion aux producteurs primaires de vaches/veaux de réforme au Canada — sont en mesure d'indiquer quels sont leurs coûts de production.
En Argentine, ils effectuent constamment des analyses coûts-avantages pour décider de la stratégie à adopter. Est-ce que je me lance dans la production bovine ou est-ce que je produis plus de céréales? Ils songent à avoir recours à un système de culture intégré qui comprend l'utilisation de légumes pour assurer la rotation des pâturages pendant quatre ou cinq ans. Ils ont installé des clôtures autour des terres cultivées. Les champs qui ne valent pas la peine d'être cultivés sont utilisés comme pâturage.
Toutefois, le pays manque d'infrastructures. Ils avaient un système de transport ferroviaire de première qualité, et ils l'ont démantelé. Ils essaient maintenant de tout acheminer par camion. Les routes se détériorent. Ils sont confrontés à de sérieux problèmes. La bureaucratie est également très lourde. Le gouvernement a de gros défis à relever.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que ce pays est un grand producteur de bœuf?
M. Weder : L'Argentine est le pays où la consommation de bœuf par habitant est la plus élevée. Côté exportation, le Brésil vient au premier rang. L'Argentine, en fait, a interdit les exportations de bœuf pendant un certain temps, parce que cela contribuait à faire monter l'inflation dans le pays. Elles étaient considérées comme une partie du problème et ont donc été interdites. Les producteurs ont trouvé une solution au problème, mais les fonctionnaires du gouvernement les ont empêchés d'agir. L'Argentine devrait être un joueur de premier plan dans le domaine agricole, mais à cause de la bureaucratie et des problèmes qu'elle a eus dans le passé, elle ne l'est pas.
[Français]
Le sénateur Biron : Avez-vous étudié la possibilité d'augmenter vos revenus par la création de crédits de carbone, en captant et en brûlant le méthane produit par vos troupeaux? Connaîtriez-vous d'autres éleveurs d'animaux qui l'auraient fait? Avez-vous eu des offres à cet effet, soit l'achat de crédits d'unités de carbone?
[Traduction]
M. Weder : Nous n'avons reçu aucune offre au sujet des crédits de carbone et du méthane. Certains ont laissé entendre que les agriculteurs recevraient 1 $ ou 2 $ l'acre de terre cultivable, et oui, les ruminants sont considérés comme étant des producteurs de méthane. Le méthane est un gaz à effet de serre plus puissant que le dioxyde de carbone.
Je sais qu'il y a eu beaucoup d'études sur divers régimes alimentaires en vue de réduire les émissions de méthane, mais si nous pensons sauver l'environnement en diminuant les émissions de gaz résultant de l'élevage bovin, nous faisons fausse route. Je pense qu'il faut travailler sur d'autres fronts également. Comme le temps presse, nous devons vraiment nous demander où nous devons mettre notre énergie. Il y a eu une évolution. Avant le bœuf, c'était le bison, alors je ne m'en préoccupe pas trop.
Le sénateur Gustafson : Comment faites-vous face aux fluctuations des prix? Si vous avez acheté une vache en juillet dernier, vous l'avez probablement payée 1 200 $. Si vous la vendiez aujourd'hui, vous auriez de la chance d'obtenir 900 $, et peut-être même 800 $. Comment faites-vous face à cela?
M. Weder : Premièrement, nous fixons un prix pour l'ensemble de l'année. Nous en faisons part au détaillant, car nous savons combien il nous en coûtera pour produire le boeuf. Dans la deuxième moitié de l'année, nous avons été confrontés à la montée du prix du maïs attribuable à la production d'éthanol, mais depuis, nous avons procédé à un rajustement.
Quant aux animaux d'élevage de boucherie, nous n'achetons pas de veau. Tous les veaux doivent être élevés conformément au programme. Pour ce qui est de faire face aux fluctuations du prix des vaches d'élevage de boucherie, je peux vous dire que si je vends une vache de réforme, je vais recevoir beaucoup moins maintenant; mais comme quelqu'un m'a déjà dit, l'important, ce n'est pas combien on paie pour une vache ni ce qu'on peut obtenir lorsqu'elle devient une vache de réforme, c'est plutôt la différence entre les deux sommes. Lorsque nous vendons, il faut d'abord rentrer dans nos frais, et tout ce qui est en plus est bon à prendre. C'est comme ça que nous le voyons.
Le sénateur Gustafson : La plupart des prix sont fixés par les Américains.
M. Weder : Ce sont eux qui établissent le prix.
Le sénateur Gustafson : En revenant du Dakota du Nord il y a un mois, j'ai croisé sept semi-remorques transportant des bovins en direction du Kansas. Dans cet État, les meilleurs bovins viennent du Canada. On y trouve aussi des bovins du Mexique, mais ils sont maigres et ils ont mauvaise mine. Comment négociez-vous sur le marché international et comment pouvez-vous créer un marché qui n'est pas dominé entièrement par le Kansas?
M. Weder : Il m'est impossible d'assurer un avenir à tous les éleveurs canadiens. Je fais ce que je peux en ce moment en essayant de mettre sur pied un programme de bœuf de marque avec d'autres éleveurs. Je veux élargir le marché et bien entendu attirer davantage de détaillants, afin de pouvoir faire augmenter le nombre de producteurs. Je n'ai toutefois pas de solution pour l'ensemble de l'industrie.
Le sénateur Gustafson : Vos bêtes sont-elles nourries dans un parc d'engraissement? Quel est leur poids lorsque vous les vendez?
M. Weder : Tous nos bovins élevés conformément au programme sont vendus au terme de la période de finition. Nous exigeons que tous les producteurs nourrissent leur bétail avec du fourrage autant que possible. Nous nous opposons à l'utilisation d'antibiotiques, de stimulateurs de croissance et de sous-produits animaux et nous préconisons une utilisation durable des terres et l'agriculture durable. En ce qui me concerne, nourrir du bétail dans un parc d'engraissement va à l'encontre du principe de l'agriculture durable quand on pense à la quantité de carburant et d'engrais, entre autres, qu'il faut utiliser. La forme d'élevage la plus durable est axée sur l'alimentation à base de fourrage, qui est un aliment renouvelable grâce au soleil, à l'air et à l'eau.
Nous essayons de faire en sorte que les bêtes atteignent 900 livres en les nourrissant du fourrage qui pousse dans nos ranchs, et ensuite, nous les nourrissons pendant 90 à 120 jours dans un parc d'engraissement. Nous faisons cela pour qu'à la fin de la période de finition il y ait une certaine uniformité. La durée de cette période peut toutefois varier. Ce qui nous importe vraiment, c'est le rendement net d'une bête de 900 livres, parce que c'est à partir de ce poids qu'on calcule le seuil de rentabilité. Ce n'est que pour arriver à vendre que nous avons besoin de cette période de finition. C'est essentiellement de cette façon que nous fonctionnons.
Le sénateur Gustafson : Ce que vous devez débourser pour l'alimentation a une grande influence.
M. Weder : Oui, cela a eu une incidence en effet.
Le sénateur Gustafson : Il y a un an, dans notre région, en Saskatchewan, nous payions 1 dollar le boisseau.
M. Weder : C'est vrai.
Le sénateur Gustafson : Aujourd'hui, nous payons 3 $ le boisseau, et dans le cas de l'orge, c'est probablement un peu plus.
M. Weder : Je ne vois pas de problème à payer 3 $ le boisseau si cela signifie que le producteur de céréales réalise un certain profit. L'autre jour, je discutais avec des éleveurs qui se plaignaient de la montée du prix des bovins d'engraissement. Je leur ai dit que ceux qui vendent des vaches/veaux de réforme doivent eux aussi faire un peu d'argent, sinon il ne pourra plus rester en affaires.
Tout le monde parle des chaînes de valeur. Les coûts de production, le rendement des investissements et les profits doivent être raisonnables pour tous les intervenants; sinon, c'est le principe du chacun pour soi qui s'applique, et tout le monde se fera avoir sans le savoir. Il est vrai que cela ne me fait rien de payer 3 $ le boisseau parce que je peux au bout du compte rajuster mon prix en conséquence. Si le producteur de céréales demande 3 $ le boisseau, c'est parce que c'est nécessaire pour lui. En fait, il aurait peut-être besoin d'augmenter son prix.
Le sénateur Gustafson : Êtes-vous propriétaire de vos terres ou est-ce que vous les louez.
M. Weder : Je suis propriétaire de certaines terres et d'autres sont louées. Je travaille au sein d'un groupe voué à la préservation qui s'appelle Canards Illimités. Nous avons fait preuve d'une grande créativité en établissant des partenariats avec des organismes de préservation. Tout le monde y gagne. Ils ont procédé à la restauration de l'habitat sur nos terres, et en retour, nous pouvons faire brouter nos animaux sur une partie de leurs terres. Quoi qu'il en soit, nous sommes propriétaires de certaines terres et nous en louons d'autres.
Le sénateur Gustafson : À notre avis, il y a de nombreuses terres que les agriculteurs ne pourraient jamais acheter en raison du prix demandé ces temps-ci. Vous vivez sans doute dans l'ouest de la province.
M. Weder : J'habite dans la région de Peace River. Quand nous étions à Camrose, je me suis rendu compte très rapidement que ce n'était pas rentable sur le plan financier d'élever nos animaux là-bas. Nous avions cependant des avoirs. Un homme d'affaires intelligent sait tirer profit de cela, et c'est exactement ce que font les éleveurs de l'Alberta. Ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas prendre de l'expansion là où ils sont, mais qu'ils peuvent vendre leur propriété pour aller s'établir en Saskatchewan, où ils pourront acheter une autre propriété et être libres de dettes. Votre viabilité est bien meilleure si vous n'avez aucune dette. C'est ce que nous avons fait, mais au lieu d'aller nous établir en Saskatchewan, nous avons plutôt décidé de nous installer dans la région de Peace River.
Si une personne décide de continuer à faire de l'élevage dans une région où elle a du mal à réaliser des profits, elle n'a qu'elle à blâmer.
Le sénateur Gustafson : Il ne fait aucun doute que l'inflation en Alberta sera un élément positif pour la Saskatchewan.
M. Weder : C'est vrai, il y a des retombées positives partout dans la province. Dans un sens, les producteurs ont de la chance. Ils pourront ainsi avoir une retraite convenable. Néanmoins, ce qui a tendance à se produire — je l'ai d'ailleurs souvent observé — c'est que, lorsque la valeur d'une terre augmente, même si le producteur n'est pas devenu meilleur, les banques sont disposées à lui prêter de l'argent. Il se lance alors dans l'achat de quelques machines, simplement pour le sentiment de réussite que cela lui procure. C'est alors qu'il commence à avoir des problèmes de liquidités.
Le sénateur Segal : Dans le passé, vous avez fait deux commentaires. Premièrement, vous avez déclaré qu'il faut encourager les jeunes à prendre la relève, et deuxièmement, vous avez affirmé qu'il faut supprimer certaines subventions. Dites-moi quelles stratégies vous proposeriez de mettre en place à l'égard des jeunes et quelles subventions en particulier devrait-on éliminer.
M. Weder : Je crois que les parents ont la responsabilité d'encourager leurs enfants à prendre la relève. J'assiste souvent à des conférences, et à l'une d'elle, un homme a parlé du dressage des chiens. Je ne veux pas comparer les enfants aux chiens, mais je dois dire que les parents ont une influence sur leurs enfants jusqu'à l'âge de six ans, lorsqu'ils entrent en première année. Ensuite, les influences se diversifient. J'ai été élevé par deux parents qui de toute évidence m'ont donné un sentiment de fierté et des responsabilités et m'ont beaucoup encouragé. Tous ceux qui ont été nommés jeune agriculteur de l'année dans les différentes provinces ont tous eu des responsabilités à assumer dès un jeune âge, ils ont été encouragés et ils ont acquis un sentiment d'appartenance à la ferme. Il est important de donner des responsabilités à mon avis. C'est pour cette raison que beaucoup de jeunes réussissent bien dans le domaine à l'âge adulte. On leur a donné des responsabilités et ils sont en mesure d'accomplir des tâches.
Comment inciter les jeunes à prendre la relève? Il faut bien entendu qu'ils puissent avoir un avenir dans le domaine et qu'ils puissent en vivre. Les parents ont aussi un rôle à jouer. Voilà comment on peut y arriver.
En ce qui concerne les subventions, le principal problème, ce sont les programmes ponctuels. Je viens tout juste de passer deux semaines et demie en Nouvelle-Zélande, car je me suis joint à quelques éleveurs de ce pays dans le cadre d'un projet. La Nouvelle-Zélande a éliminé les subventions aux producteurs agricoles au milieu des années 1980. L'industrie a modifié son approche et les producteurs se portent bien sur le plan financier. Cependant, la situation commence à se détériorer parce que les prix des terres ont beaucoup augmenté.
Chaque fois qu'il y a des difficultés, on met sur pied un programme ponctuel. Prenons par exemple l'industrie de l'éthanol aux États-Unis. Le gouvernement offre des garanties de prix pour l'éthanol, ce qui bien entendu fait grimper la production de maïs. Qu'est-ce que cela a eu pour effet? Le prix de l'urée est monté en flèche encore une fois. Il y a toujours une conséquence. Il existe toujours un lien de cause à effet. Je ne sais quel programme ponctuel nous devons éliminer. Cela fait 30 ans que nous observons les résultats de ce genre de programmes, et je peux vous dire qu'ils ne fonctionnent pas.
Je peux donner l'exemple d'un programme de paiements en fonction de la superficie mis en place en Alberta au début des années 2000. Tout à coup, puisque les producteurs recevaient 10 $ par acre, les propriétaires des terres louées voulaient obtenir la moitié de cette somme. C'est ce qui a tendance à se produire. Les producteurs semblent toujours perdre une partie de ce qu'on leur verse.
La présidente : J'ai une question à vous poser. Le comité doit se rendre dans l'Ouest la semaine prochaine. Nous irons en Colombie-Britannique et dans le sud de l'Alberta, où nous tiendrons des séances publiques un peu comme celle-ci dans certaines municipalités. Par la suite, nous irons en Saskatchewan et au Manitoba. Je crois que les agriculteurs nous diront, et nous l'entendrons certainement à maintes reprises dans le Sud, qu'ils envisagent l'avenir avec une certaine crainte. Les adultes s'attristent du fait que leurs enfants, en raison des difficultés des dernières années, ne prendront sans doute pas leur relève. Ils veulent aller vivre à Calgary; ils veulent partir. Dans le cadre de vos projets, et je dois dire que vous accomplissez un très bon travail actuellement et lorsque vous étiez au collègue communautaire à Lethbridge, vous arrive-t-il de vous adresser aux jeunes? Avez-vous eu aussi l'occasion de vous entretenir avec les parents? Vous dites que la façon dont les parents élèvent leurs enfants compte pour beaucoup. Après avoir été témoin de la crise de la vache folle, des sécheresses et de toutes les autres difficultés auxquelles notre province a été confrontée au fil du temps, pensez-vous que les jeunes au Canada prendront la relève en agriculture?
M. Weder : Je peux parler des gens avec qui je travaille. Je fais beaucoup de consultations et de travail auprès des producteurs. En fait, vendredi prochain, je vais visiter un producteur à Wawota, en Saskatchewan. J'écris à la pige pour la publication Grain News et on peut assurément affirmer que je dis et écris ce que je pense. Beaucoup de producteurs communiquent régulièrement avec moi. Je constate que des producteurs de 35 et 40 ans ont décidé seuls de prendre les commandes de leur exploitation. Je sympathise avec eux parce que je sais jusqu'à quel point l'industrie est dans une situation difficile. J'essaie de les mettre en contact les uns avec les autres, de leur offrir des groupes de soutien pour échanger des idées, apprendre à planifier et voir l'industrie autrement.
Il faut trouver notamment d'autres façons de faire fonctionner nos exploitations et d'administrer les terres. Si on pense au territoire et à l'habitat que les grands éleveurs gèrent, ainsi qu'aux espèces sauvages qui y vivent, pouvons- nous tenir pour acquis qu'ils se limitent à cela?
Il faut aussi penser à financer nos parcs nationaux. Il y a différentes sources de revenus possibles dans ce cas.
Par exemple, on a interdit aux producteurs de réclamer un droit d'accès à ceux qui chassent sur leurs terres, mais il pourrait y avoir d'autres sources de revenus possibles. Nous travaillons actuellement avec des éleveurs de l'Alberta qui ont acheté des terres et du bétail en Saskatchewan. Ils aimeraient que des jeunes partenaires qu'ils initieraient au métier s'occupent de ces exploitations. Nous sommes allés en Ontario, au Manitoba et en Saskatchewan recruter des jeunes gens intéressés au travail d'éleveur. Il faut établir un réseau pour démarrer ce processus.
Le groupe le plus menacé est celui des jeunes producteurs. Il faut déterminer qui ils sont et où ils se trouvent, puis créer des liens entre eux. Il reste que la situation ne changera pas du jour au lendemain parce que la situation a trop dégénéré. Nous devons sauver les producteurs qui sont toujours en activité parce que ce sont eux qui vont faire changer les choses et qui vont montrer le métier à leurs enfants. Les 30 prochaines années seront difficiles parce qu'on a attendu trop longtemps avait d'agir. Il aurait fallu le faire il y a déjà dix ou 15 ans. Il faut maintenant essayer de rattraper le temps perdu.
La présidente : Êtes-vous optimiste?
M. Weder : Je serais stupide de ne pas l'être. Je dois l'être. Être pessimiste quand on fait ce que je fais serait désespérant. C'est vrai. Il faut être optimiste parce que les possibilités sont tellement grandes dans notre pays. En fait, ce que notre groupe a réussi à faire, ce n'est pas seulement faire des profits en vendant du bœuf, mais aussi regrouper les producteurs et leur faire adopter une attitude positive. Les producteurs partagent des idées de gestion et mettent en commun leurs ressources. Le producteur qui a du bétail en trop peut conclure une entente avec celui qui a du foin en trop. Il y a un autre producteur de Lethbridge, en Alberta, qui a vendu des terres à un promoteur. Au lieu de prendre cet argent pour s'acheter des condos à Canmore, il a choisi de se porter acquéreur de terrains en Saskatchewan pour en faire des terres agricoles. Il a ainsi investi du capital de risque avec un autre jeune éleveur en Saskatchewan. Voilà le genre de chose qu'il faut faire.
La présidente : Merci, monsieur Weder. Nous sommes heureux que vous soyez venus nous parler d'une réalité dont le comité n'était pas au courant. Nous avons souvent entendu des gens pour qui l'avenir du Canada n'est pas encourageant à cet égard. Monsieur Weder, votre témoignage a été très utile et nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Nous vous souhaitons bonne chance.
M. Weder : Merci. Laissez-moi vous raconter une histoire qui m'a été envoyée par courriel et que je trouve inspirante. Un jour, un homme riche décide d'amener son fils voir comment les pauvres de la campagne vivent. Sur le chemin du retour, le père demande à son fils s'il avait bien vu comment les pauvres gens vivent à la campagne, ce à quoi son fils répond oui. Son père ajoute : « Tu vois, pour nous protéger, nous avons une clôture autour de la maison et, eux, ils ont des amis. Pour nous baigner, nous avons une piscine dans la cour et, eux, ils ont un ruisseau. Pour nous éclairer le soir, nous avons des lumières et, eux, ils ont les étoiles. » Le fils lui dit alors : « Merci de me montrer jusqu'à quel point nous sommes pauvres. »
La présidente : Là-dessus, merci et bonne chance.
La séance est levée.