Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 19 - Témoignages du 6 mars 2007
LETHBRIDGE, ALBERTA, le mardi 6 mars 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 18 h 20, afin d'examiner, pour en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir. C'est un plaisir pour moi d'être ici avec mes collègues du Sénat dans ma ville natale. Je vais vous présenter les sénateurs.
Len Gustafson, vice-président du comité, est originaire de Macoun, en Saskatchewan. Tout le monde connaît la prochaine personne, Frank Mahovlich. On l'a accueilli avec grand enthousiasme à Warner aujourd'hui. Il a grandi à Timmins, dans le Nord de l'Ontario. Terry Mercer vient de la Nouvelle-Écosse; j'oublie toujours le nom de la municipalité.
Le sénateur Mercer : C'est un petit village qui s'appelle Mount Uniacke.
La présidente : Le sénateur Bob Peterson vient de Regina, en Saskatchewan, et le sénateur Tommy Banks, d'Edmonton.
Pour de nombreuses personnes de l'extérieur de la province, il est facile de croire que l'Alberta, et plus particulièrement les régions rurales de cette province, ne connaît aucune difficulté. À leur avis, le nombre apparemment illimité d'emplois rémunérateurs dans les secteurs pétrolier et gazier a sûrement permis d'éradiquer la pauvreté qui aurait pu exister en Alberta, tant dans les régions urbaines que rurales.
Les gens seront surpris d'apprendre que ce n'est pas nécessairement le cas; ils oublient que l'Alberta est une province vaste et diversifiée, et que ce ne sont pas tous ses habitants qui ont profité de sa forte croissance économique.
Même à Fort McMurray, la prospérité a une face cachée. Nous savons que le recours aux banques d'alimentation a plus que doublé l'année passée et que, de toutes les provinces, c'est l'Alberta qui enregistre le pourcentage le plus élevé de chômeurs fréquentant les banques d'alimentation.
Les Albertains sont reconnus pour leur esprit d'entreprise et leur détermination, des qualités soulignées dans d'autres régions du pays.
Ce qui est moins étonnant d'apprendre, c'est que les Albertains n'ont pas oublié ni abandonné leurs collectivités rurales. S'il y a une chose qui tient à cœur au comité, c'est de s'assurer que les régions rurales canadiennes demeurent l'un des fondements sur lesquels le pays s'est toujours reposé.
Notre premier témoin ce soir est Ken Nicol, directeur du Rural Alberta's Development Fund. Si je comprends bien, M. Nicol vient d'entrer en fonctions. Ce fonds a été créé précisément parce qu'il est urgent de revitaliser les collectivités rurales de l'Alberta et d'aider les pauvres de cette province.
Nous vous souhaitons la bienvenue. Merci d'être venu.
Ken Nicol, directeur, Rural Alberta's Development Fund : Je vous remercie beaucoup. J'aimerais parler du mandat et de l'histoire du Rural Alberta's Development Fund. À la suite des élections de 2001, les problèmes que vous venez de décrire ont soulevé de nombreuses questions. Qu'est-ce qui se passe dans les régions rurales de l'Alberta? Que faut-il faire pour que ça change? Comment ces régions envisagent-elles leur avenir?
Le gouvernement provincial a lancé des consultations qui ont mené à l'élaboration d'un document intitulé A Place to Grow, qui est disponible sur son site web.
Le document comprend des recommandations que le groupe participant à la consultation a faites au gouvernement, notamment qu'il devrait assumer sa responsabilité d'aider les régions rurales de l'Alberta à se fixer un objectif pour l'avenir et à l'atteindre.
Afin de faciliter la poursuite de cet objectif, le gouvernement a prévu 100 millions de dollars dans le budget du printemps dernier.
J'aimerais préciser que, dans le mandat du fonds, nous avons déterminé que toute l'Alberta, sauf les villes d'Edmonton et de Calgary, est considérée comme rurale.
Le gouvernement voulant garantir l'impartialité politique, il a créé un organisme sans but lucratif, c'est-à-dire le Rural Alberta's Development Fund, géré par un conseil d'administration composé de douze membres, soit deux coprésidents, Bob Clark et Fred Estlin, et dix autres personnes, dont moi-même.
Nous avions pour mandat d'inviter les collectivités, les organismes et les partenaires de la province à soumettre des propositions qui les aideraient à concrétiser leurs projets. Nous ne les avons pas du tout influencés; les propositions venaient vraiment d'eux.
L'un des principaux objectifs de la stratégie A Place to Grow vient du fait que les Albertains des collectivités rurales estimaient que moins de possibilités s'offraient à eux, comme par exemple en matière de capacités communautaires, de qualité de vie, de prestation de soins de santé, d'apprentissage, de développement des compétences, de formation dans le but d'éviter l'exode des jeunes et de possibilités pour les personnes âgées afin qu'elles puissent demeurer dans leur collectivité. Ces choses ont été abordées dans A Place to Grow.
Ce document a constitué, d'une certaine manière, le point de départ de notre mandat : demander aux collectivités de nous soumettre des projets et des propositions visionnaires pour aborder ces préoccupations.
Toutes ces questions étaient liées aux questions économiques — l'équité et les possibilités — car ces questions économiques constituent la base de tous les éléments communautaires.
Nous avons alors mis sur pied notre conseil. Nous avons démarré l'été dernier. Nous avons reçu nos premières propositions en décembre, dans le cadre d'un exercice en deux étapes. La première étape consistait uniquement à solliciter des idées. Que pensaient-ils de leur collectivité?
Si nous estimions que l'idée était bonne, nous demandions des propositions complètes. Le conseil en est actuellement à examiner les propositions complètes. Au cours des prochains mois, nous commencerons d'une certaine manière notre partenariat avec les collectivités rurales de l'Alberta.
Nous recherchions des manières d'accroître la capacité des collectivités dans les domaines de l'appui aux personnes, la santé et l'appui aux communautés des Premières nations. Ces questions ont été abordées lors de la consultation et ont été intégrées à notre mandat officiel. Nous voulions nous assurer que la communauté recherchait de l'appui et en faisait la demande.
Dans le cadre de notre appel de propositions, nous demandions que ce soit des partenariats qui présentent des demandes, et un certain nombre d'organismes ont dit qu'ils mettaient en œuvre ce genre d'efforts coordonnés pour faire avancer leur collectivité dans les domaines dont j'ai parlé. Nous ne voulions pas d'initiatives individuelles. Les initiatives devaient être communautaires. Nous voulions que les choses reflètent les besoins d'ensemble d'une communauté.
Nous recherchions des idées qui pouvaient inclure des partenariats d'affaires, mais nous ne voulions pas appuyer un commerce plus qu'un autre. Si la collectivité présente son idée et précise qu'une entreprise formera un partenariat avec elle, c'est bon. Cependant, nous ne donnerons pas d'argent pour démarrer de nouvelles entreprises dans la collectivité. L'argent doit appuyer une initiative communautaire.
Les Albertains des communautés rurales ont répondu positivement. Lors de la première ronde, nous avons demandé des idées pendant environ deux mois et demi. Des propositions intéressantes ont été présentées. Une bonne partie d'entre elles portent sur des réseaux. De quelle manière les propositions tiennent-elles compte des questions relatives aux soins de santé, à l'éducation, à l'apprentissage et aux possibilités pour les aînés? De quelle manière les collectivités s'informent-elles sur ce qui se passe dans les autres collectivités rurales afin d'adopter ces pratiques dans leur propre collectivité?
Ces activités de réseautage semblent être un domaine visé par les collectivités qui nous présentent des idées. Nous verrons comment cela se traduira dans les propositions complètes. Nous en sommes actuellement à cette étape. Je ne peux faire de commentaires sur les propositions en ce moment.
L'idée, c'est que cela durera trois ans. Nous voulons y aller par étapes pour ce qui est des dépenses et des partenariats, sur une période de trois ans, et faire en sorte qu'il ne s'agisse pas d'une initiative où les premiers venus seront ceux qui obtiendront du financement. Lorsque nous aurons des projets concrets qui reflètent les désirs et les besoins de collectivités, nous fournirons un appui.
Madame la présidente, voilà la description de notre fonds. C'est une grande occasion de travailler avec l'Alberta rurale. Les Albertains semblent très intéressés par cette initiative. J'espère que dans deux ans et demi ou trois, je pourrai revenir et vous dire à quel point cela aura été un succès.
La présidente : Je pense que nous sommes tous très impressionnés d'entendre que ce fonds a été créé en Alberta. C'est quelque chose qui va influencer les personnes d'autres provinces qui sont dans la même situation. Nous resterons en contact avec vous afin d'en apprendre plus sur ce que vous apprenez. Lorsque commenceront les questions, mes collègues voudront en savoir davantage.
Je vais laisser la parole à Lynn Jacobson, le président de l'Alberta Soft Wheat Producers Commission.
Lynn Jacobson, président, Alberta Soft Wheat Producers Commission : Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs. C'est un plaisir pour moi que d'être ici ce soir afin de comparaître devant vous. Notre organisme a déjà discuté avec les sénateurs et avec le comité sur l'agriculture il y a quelque temps. Nous connaissons certains membres également. Ce soir, c'est comme une discussion amicale.
La pauvreté rurale prend de nombreuses formes dans les collectivités. Nous devons tenir compte des différents points de vue lorsque nous parlons des choses. Aujourd'hui, je voudrais parler selon la perspective d'une collectivité agricole où il n'y a pas d'emplois dans d'autres domaines. Nous vivons de nos activités agricoles. Il n'y a pas d'emplois à l'extérieur des activités agricoles et cela est le cas de nombreuses collectivités rurales.
L'Alberta Soft Wheat Producers Commission a été mise sur pied par des producteurs agricoles en 1972, en vertu de la Societies Act de l'Alberta. L'organisme est devenu l'Alberta Soft Wheat Producers Commission en 1990, en vertu de la Marketing Act de l'Alberta. La commission appuie les producteurs agricoles dans les domaines de la recherche, de la production et du marketing.
La question de la pauvreté rurale est liée directement à la crise en matière de revenu agricole et cela a eu comme conséquence l'exode rural, la perte d'un pouvoir sur le marché, la perte ou l'incapacité de créer de nouvelles infrastructures et l'absence de capacité pour maintenir en bon état les infrastructures existantes comme les routes, l'approvisionnement en eau et le réseau d'égouts. De plus, il arrive que nous n'ayons pas un accès raisonnable à des soins de santé adéquats dans nos collectivités. Toutes ces choses sont nécessaires pour appuyer les petites collectivités.
Avec le revenu agricole peu élevé et les programmes de protection du revenu inadéquats qui existent depuis quelques années, la dette moyenne d'une ferme au Canada est de 200 000 $. Vous avez déjà entendu ce chiffre avant. Depuis trois ans, les producteurs ont le plus bas niveau de revenu agricole au Canada. Et en 2007, ce n'est pas beaucoup mieux.
De l'autre côté, les agriculteurs américains viennent de passer leurs trois meilleures années en matière de revenu agricole et cette situation a permis aux fermes d'abaisser leur dette moyenne à 80 000 $. Vous pouvez constater la grande différence entre chacun des deux côtés de la frontière.
Les producteurs agricoles de l'Alberta ont bien réussi comparativement aux producteurs agricoles d'autres régions du Canada. Je crois que nous admettrons sans conteste que la vie en Alberta comporte parfois des avantages.
La pauvreté rurale en Alberta n'est pas aussi évidente que dans d'autres régions. Cette situation peut s'expliquer par le fait que l'Alberta a des activités importantes dans le secteur pétrolier et qu'elle fournit une majorité de régions du Canada. Ces deux secteurs ont fait bondir l'économie.
Cette prospérité a permis au gouvernement de l'Alberta de dépenser davantage en matière d'assurance de cultures associées et de programmes de protection du revenu, permettant ainsi une augmentation directe des revenus agricoles des producteurs. Nous admettons sans conteste que cette situation a été avantageuse pour nous.
Les producteurs qui vivent d'activités à l'extérieur de la ferme ont réagi de différentes manières pour compenser les revenus agricoles peu élevés. Certains producteurs ont augmenté la taille de leur ferme pour diminuer les coûts de production à l'unité. D'autres producteurs n'ont pas augmenté l'étendue de leurs terres, mais ont plutôt essayé d'accroître l'efficacité en modifiant leurs méthodes agricoles, par exemple en élevant davantage de bétail, en modifiant les opérations, en mettant au point des sites d'alimentation ou en adoptant des cultures spécialisées sur des terres irriguées. D'autres producteurs ont vendu une partie de leurs terres pour compenser les faibles revenus agricoles et d'autres, encore, ont loué des terres à d'autres producteurs puis occupent des emplois en dehors du milieu agricole. Cette situation est un fait dans nos collectivités rurales.
L'accès au capital a toujours été important pour la production primaire. Financement agricole Canada, FAC, a été un prêteur de dernier ressort depuis quelques années. Aujourd'hui, FAC est en compétition directe avec les banques et les unions de crédit pour ce qui est de prêter de l'argent aux producteurs agricoles.
Les chiffres que je vous présente maintenant viennent d'estimés de certaines grandes banques ou d'agents des prêts qui travaillent dans des banques locales à qui j'ai parlé — FAC finance entre 20 et 25 p. 100 du marché du crédit agricole au Canada. Dans certains cas, FAC a prêté 80 p. 100 des besoins en capitaux pour l'investissement dans des terres. FAC a fait cela parce qu'elle croit qu'il est bon d'investir dans les terres. L'organisme s'est ainsi placé en avance sur les grandes banques en prêtant aux agriculteurs. Cela a aidé les producteurs agricoles à demeurer sur leur terre, dans une certaine mesure, et à prendre de l'expansion.
Les politiques de prêt de la FAC et l'intérêt des résidents des zones urbaines à devenir propriétaires pour changer de mode de vie font que les prix des terrains, surtout en Alberta, sont restés stables ou ont même augmenté. Il suffit de consulter les statistiques sur les terrains pour s'en rendre compte.
Cette situation est-elle viable ou favorable pour les producteurs agricoles? Nous n'en sommes pas sûrs. Les gens donnent des réponses différentes. Nous avons tous des points de vue différents. En revanche, nous savons que le prix des terrains est trop élevé par rapport à ce qu'ils peuvent produire et on ne peut pas les payer si l'on veut en même temps tirer un revenu d'une récolte. Les producteurs doivent trouver un autre moyen pour financer l'exploitation.
En cas d'augmentation soudaine du taux d'intérêt et de l'inflation, ou si d'un seul coup le monde enregistrait une récolte exceptionnelle, suite à une surproduction et une chute du cours des denrées, la situation des producteurs agricoles serait très délicate. Les producteurs agricoles n'ont aucun moyen de résister à un choc économique comme celui qu'a connu notre secteur à la fin des années 1980.
À cette époque, j'étais content d'être dans une ferme familiale. Certains de nos voisins ont fait faillite. Des terrains ont été vendus aux enchères. Dans notre région, des terrains qui se vendaient à 2 000 $ l'acre dans les années 1980 se sont vendus à 250 $ l'acre. Ce genre de choc peut arriver et dans ce cas, l'agriculture en souffrirait beaucoup.
La perte éventuelle du pouvoir de commercialisation est un autre facteur qui aura de graves répercussions sur le revenu futur des producteurs agricoles et sur le type d'agriculture que nous verrons au Canada.
À l'époque, les producteurs agricoles s'étaient unis pour fonder des coopératives et œuvrer ensemble pour accroître leur pouvoir de commercialisation. Aujourd'hui, certains producteurs pensent qu'il suffit d'un télécopieur, Internet et du téléphone pour avoir un pouvoir de commercialisation. Je ne le crois pas.
Dans d'autres pays du monde, des entreprises se fusionnent et s'allient afin d'avoir un plus grand pouvoir de commercialisation. La question se pose : pour quelle raison des producteurs agricoles et des gouvernements canadiens ignorent les efforts entrepris par des entreprises étrangères pour renforcer leur pouvoir de commercialisation? Pour quelle raison les producteurs agricoles sont encouragés à abandonner le pouvoir de commercialisation qui est le leur aujourd'hui? Nous devons trouver des réponses à ces questions.
Nous savons que l'Ouest canadien dépend du commerce international. Nous exportons 80 p. 100 de notre production agricole. Les États-Unis n'exportent que 20 p. 100 de leur production agricole annuelle. Nous estimons que faire du commerce, peu importe le prix, n'est pas une option pour le Canada. Faire des concessions au niveau des programmes et des institutions agricoles en vue de satisfaire d'autres pays limite non seulement notre capacité à décider ce que nous faisons aujourd'hui au Canada, mais ce que nous allons faire à l'avenir pour notre industrie et pour le Canada en tant qu'État souverain.
La pauvreté en milieu rural peut ne pas être aussi visible en Alberta qu'elle ne l'est dans d'autres régions du Canada. Cependant, le fait est qu'elle est présente dans beaucoup de collectivités rurales. La Alberta Soft Wheat Producers Commission rappelle au comité sénatorial la nécessité d'un programme de protection de revenu agricole approprié. Il faut que les producteurs participent activement à l'élaboration d'un programme de protection et d'assurance. Nous sommes la tierce partie dans beaucoup de programmes d'assurance-récolte et de protection du revenu agricole. Il semble que ce soit les gouvernements provinciaux et fédéral qui décident pour nous. Ils écoutent ce que nous leur disons, mais n'en tiennent pas compte, à notre avis.
Si par hasard nous arrivons à mettre au point des programmes, il faudra en discuter et établir les principes qui les régiront. Nous les soumettrons, ils nous reviendront et nous les examinerons. Si nous n'en sommes pas satisfaits, on nous écoutera peut-être pour y apporter des changements.
La R-D de l'aide au niveau des possibilités de valorisation dans les collectivités rurales constitue une autre recommandation. M. Nicol a parlé du financement qui s'y appliquerait. Un tel financement devra être versé partout au Canada. C'est une occasion dont nous avons besoin.
Dans la mesure du possible, nous devons encourager et favoriser le développement des coopératives et les avantages qu'elles offrent.
Les accords commerciaux doivent être libres et équitables pour toutes les parties. Nous n'avons pas besoin d'accords internationaux qui ne favorisent qu'une seule partie ou de signer une entente et que l'autre partie utilise d'autres moyens pour fournir des programmes avec lesquels nous ne pouvons pas concurrencer. Nous voulons des politiques qui encouragent le développement, non seulement des industries agricoles dans les collectivités rurales, mais aussi de différents secteurs commerciaux. Pourquoi les compagnies pétrolières siègent-elles toutes à Calgary? Une grande partie de l'infrastructure pourrait être transférée dans des collectivités rurales. Les gens pourraient s'établir dans des collectivités rurales et cela aiderait nos collectivités en milieu rural.
Voilà certaines des recommandations que nous proposons au Sénat.
La présidente : Merci beaucoup. Elles seront examinées attentivement. Je suis sûre qu'il y aura des questions. Les points soulevés dans ces audiences publiques peuvent aussi être utiles dans d'autres régions du pays.
M. Everett Tanis est le troisième intervenant. M. Tanis représente le Syndicat national des cultivateurs. M. Tanis, comme nous le savons, présente toujours ses points de vue. C'est avec plaisir que nous allons l'écouter.
Everett Tanis, membre, Syndicat national des cultivateurs : Merci, madame la présidente, honorables membres du comité et mesdames et messieurs. C'est un plaisir pour moi de représenter ce soir le Syndicat national des cultivateurs à cette audience.
Le Syndicat national des cultivateurs est une organisation nationale qui représente directement les exploitations familiales agricoles qui en sont membres. Même si les membres du Syndicat national des cultivateurs produisent une grande variété de denrées, selon nous, les problèmes des cultivateurs sont courants. Les producteurs de denrées variées doivent coopérer pour trouver des solutions efficaces. La question de la propriété rurale ne peut être examinée sans tenir compte de la crise du revenu agricole, qui, à son tour, ne peut être séparé de la question plus importante de la concentration des entreprises, de l'économie et de la diminution du pouvoir de commercialisation des cultivateurs qui en résulte.
Dans une économie de marché, le bien-être économique est une fonction du pouvoir de commercialisation. Les particuliers et les entreprises qui ont le plus grand pouvoir de commercialisation gagnent le plus d'argent. L'organisation méthodique du marché des produits agricoles est une méthode prouvée pour augmenter le pouvoir de commercialisation des cultivateurs et les revenus nets à la ferme. La Commission canadienne du blé et la gestion des approvisionnements constituent deux exemples de cette organisation méthodique du marché. Elles doivent être protégées et renforcées.
Au cours des décennies, les responsables de la politique agricole du gouvernement ont fondé leur initiative sur la notion que l'augmentation de la production et des exportations mènerait éventuellement à l'augmentation des revenus nets. Cependant, cela n'a pas été le cas. En dépit des augmentations de la production et des exportations, les revenus nets agricoles ont chuté à des niveaux jamais vus.
Il est prouvé que les sociétés agroindustrielles, y compris les importateurs, les industries transformatrices et les exportateurs, reçoivent une plus grande part des richesses produites par les circuits alimentaires alors que la part des cultivateurs diminue.
Pour joindre les deux bouts, les cultivateurs se fient de plus en plus sur les revenus d'appoint, sur des endettements plus élevés et une réduction de l'équité accumulative. Loin d'indiquer la croissance de l'économie rurale, la forte dépendance sur les emplois à l'extérieur de la ferme signale clairement que le système de la production alimentaire au Canada connaît de très graves difficultés.
Le problème de la pauvreté dans les collectivités rurales n'est pas dû à un manque de ressources ou d'efficacité de la part des résidents des milieux ruraux au Canada; il est dû au fait que les ressources et la richesse sont injustement expropriées par ceux qui exercent un contrôle indu du marché.
Le Syndicat national des cultivateurs recommande fortement au Comité permanent de l'agriculture d'appuyer le principe de l'organisation méthodique du marché pour les produits agricoles comme exigence essentielle visant l'augmentation du revenu net des cultivateurs et la réduction de la pauvreté en milieu rural.
Je suis heureux d'avoir eu l'occasion de m'exprimer devant vous. Je suis prêt à répondre aux questions.
Le sénateur Mercer : Je remercie les témoins d'avoir comparu. Merci d'avoir pris le temps de venir ce soir.
Monsieur Nicol, pourriez-vous nous parler plus en détail des critères relatifs à l'aide financière? Nous avons eu une petite leçon cet après-midi à Warner en Alberta. Ils ont mentionné un programme visant à élargir le résultat des efforts entrepris par cette collectivité. Le programme est un excellent exemple d'un effort collectif au sein d'une collectivité et souligne les aspects positifs de la collectivité. Ils n'ont pas été acceptés. J'aimerais savoir quels sont les critères relatifs à votre programme.
M. Nicol : Les fonds ont été retirés de notre mandat. Si une collectivité souhaite avoir des installations, par exemple une piste de curling, une bibliothèque, un centre pour personnes âgées ou quoi que ce soit, cela n'est plus de notre ressort. Le gouvernement provincial estime avoir prévu suffisamment d'argent pour l'infrastructure dans le budget de cette année. Cela ne relève plus de notre compétence.
Nous cherchons des collectivités qui coopèrent pour dire que ces programmes aideront les groupes que nous ciblons. J'ai parlé des personnes âgées, des jeunes, des collectivités autochtones, de nouvelles initiatives comme le tourisme et les petites entreprises qui deviennent plus grandes et plus compétitives et de ce genre d'activités. Nous examinons ce genre de situation. Les fonds sont des financements de programmes. Nous ne finançons pas les projets déjà en cours. Le programme doit être nouveau et visionnaire et prévoir où nous voulons être dans les 10, 15 ou 20 prochaines années. Nous avons décidé de ne pas financer des activités qui ressemblent trop à ce qui a déjà été fait.
Le sénateur Mercer : À ce jour, nos études ont révélé un grand manque de fonds disponibles pour les milieux ruraux au Canada. Il y a l'engagement généreux de l'Alberta de 100 millions de dollars, mais beaucoup de demandes comprendront une composante du capital qui les disqualifiera d'emblée.
M. Nicol : C'est ce que nous voyons.
Le sénateur Mercer : Vous avez indiqué un délai de trois ans. Est-ce un délai prévu par la loi ou le délai d'un programme annoncé par le gouvernement?
M. Nicol : Nous avons reçu notre programme à l'avance. Selon le mandat confié par le gouvernement, nous avons trois ans pour dépenser les fonds et cinq ans pour réaliser les projets.
Au cours des deux dernières années, nous contrôlerons et terminerons les derniers projets financés. Selon le mandat confié par le gouvernement, aucun projet ne peut dépasser trois ans. Nous respectons ces délais.
L'objectif, et l'espoir des zones rurales en Alberta, est que ces fonds servent vraiment à quelque chose, nous pourrons alors demander au gouvernement pourquoi il ne verserait pas encore plus de fonds à un projet réussi?
Le sénateur Mercer : J'espère que nous préparons le terrain ce soir.
Monsieur Tanis, vous avez tout à fait raison à propos de la forte dépendance à l'égard des emplois à l'extérieur des fermes qui signale clairement les graves difficultés du système de production alimentaire au Canada.
Recommandez-vous d'étendre la gestion des approvisionnements aux régions où elle est actuellement absente?
M. Tanis : Je ne comprends pas la question relative à la gestion des approvisionnements. Nous recommandons de continuer à renforcer et à maintenir la gestion des approvisionnements. J'ai des amis qui ont une ferme laitière et la femme travaille dans une boutique d'une petite ville. Elle connaît le prix des produits laitiers. Lorsqu'ils vont aux États- Unis, ils vérifient toujours le prix des produits laitiers. Quand ces produits ne sont pas soldés, quand ils sont vendus au prix ordinaire, ils sont toujours plus chers qu'au Canada. La gestion des approvisionnements profite aux producteurs et aux consommateurs.
J'aimerais parler de l'effondrement des revenus d'appoint. En 1973, les cultivateurs avaient le droit de garder 50 p. 100 de leur revenu brut pour agrandir leurs installations et subvenir à leurs besoins. En 2003, ce revenu a totalement disparu. Il a disparu après 2003. Il ne reste plus rien à part des programmes du gouvernement ou d'autres sources. Cela est pour la moyenne.
À la deuxième session du Cadre stratégique agricole, j'ai eu l'impression que le gouvernement n'avait aucune vision pour l'agriculture durable. Il semble qu'il avait accepté le fait que les cultivateurs devaient travailler à l'extérieur de la ferme pour subvenir aux besoins de leur famille et continuer à produire des aliments pour le pays en travaillant les fins de semaine et après minuit. Je ne sais pas combien de temps les Canadiens pourront cultiver de cette façon. La prochaine génération ne le fera pas. La génération actuelle va bientôt cesser de le faire aussi.
Comment pouvons-nous concurrencer avec le pétrole en Alberta? C'est quasiment une malédiction de l'avoir et ou de ne pas savoir quoi en faire. Le 1er janvier, mon voisin a reçu une augmentation de salaire. Il est mécanicien de machinerie lourde dans les champs de pétrole. Il a obtenu une hausse de 8 $, non pas par jour, mais de l'heure. Comment pouvons-nous concurrencer?
J'ignore si j'ai répondu à votre question. J'essaie d'illustrer la situation.
Le sénateur Mercer : Je suis d'accord. Les hommes et les femmes sur la chaîne de montage de General Motors à Oshawa ne travaillent pas chez Loblaws le soir pour que General Motors puisse vendre des voitures à meilleur marché. C'est bien le cas.
Seulement certains produits sont régis par le système de gestion des approvisionnements. Croyez-vous que plus de produits devraient être soumis à la gestion des approvisionnements? Devrions-nous élargir le système de gestion des approvisionnements pour qu'il couvre plus de produits?
M. Tanis : Si c'est possible, nous devrions. La gestion des approvisionnements serait profitable à la collectivité agricole, au producteur primaire. Trop d'argent reste entre les mains des entreprises de transformation et des autres intermédiaires.
Le secteur de la production primaire n'est pas concurrentiel car il y a trop de forces. Les producteurs primaires n'arrivent pas à faire face à la concurrence. Trop de forces dominent et régissent le marché. Nous n'y pouvons pas grand-chose.
Le sénateur Mahovlich : Je remercie les témoins d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous. Monsieur Jacobson, si nous comparons nos exportations à celles des États-Unis, surproduisons-nous par rapport à la population du Canada?
M. Jacobson : Pour les Canadiens de l'Ouest, la réponse est simple : il y a effectivement surproduction. Nous produisons 80 p. 100 plus que ce dont nous avons besoin au Canada. Pour survivre dans l'Ouest canadien, ou partout ailleurs où des produits agricoles sont cultivés, nous devons exporter ces produits dans une certaine mesure mais pas tous les produits soumis à la gestion des approvisionnements, qui sont régis.
Nous en avons déjà discuté un peu. Toutefois, dans le cas des céréales, des graines oléagineuses et des légumineuses, citons l'exemple classique des haricots — qui sont cultivés dans le Sud de l'Alberta — quelle quantité de haricots mangez-vous quotidiennement? Votre consommation annuelle de haricots est peut-être d'une livre environ. Ce n'est pas autant que dans d'autres pays, comme l'Espagne.
Le sénateur Mahovlich : Et j'aime les haricots.
M. Jacobson : Nous pourrions dire qu'ils sont une source d'énergie. Nous produisons des aliments pour le monde entier et cela a toujours été le cas.
Le sénateur Mahovlich : Quand nous étions sur la côte est, nous avons parlé des pommes. La Nouvelle-Écosse produit d'excellentes pommes. Les consommateurs ne peuvent cependant pas en acheter dans un magasin, dans un Loblaws ou n'importe où ailleurs sur la côte est. Les producteurs les exportent toutes. Les consommateurs doivent acheter leurs pommes du Pérou ou d'ailleurs.
Que se passe-t-il? Qui contrôle cette situation?
M. Jacobson : Nous en avons discuté à la Fédération canadienne de l'agriculture (FCA), dont nous faisons partie. Nous avons des producteurs de fruits en Colombie-Britannique. L'année dernière, je me suis entretenu avec le représentant de la British Columbia Fruit Growers' Association. Il a dit que le fournisseur le payait 5 ¢ la livre pour les pommes de la Colombie-Britannique. Nous retournons en Alberta. Les magasins Safeway la vendent 1,35 $. Nous ne sommes pas certains qu'elles proviennent de la Colombie-Britannique. Souvent, elles sont importées de Washington.
Nous avons un produit que nous pouvons cultiver. Dans une grande mesure, nous ne soutenons pas nos produits nationaux. Des règlements sur le marquage permettraient aux consommateurs de reconnaître les produits canadiens et accroîtraient la demande de ces produits jusqu'à un certain point.
Le sénateur Mahovlich : Le gouvernement pourrait assumer ses responsabilités et inciter la population à acheter des produits canadiens.
M. Jacobson : Il y a une controverse. Je connais un producteur de miel. Il s'approvisionne en Chine. L'an dernier, les producteurs de miel ont presque amené le gouvernement fédéral à déclarer qu'un produit du Canada ne doit pas provenir d'ailleurs et qu'un produit de première qualité est un produit canadien.
À l'heure actuelle, le miel de première qualité peut être mélangé à du miel provenant d'une autre partie du monde qui satisfait seulement la norme de classement.
Les producteurs croyaient que le miel canadien de première qualité était un produit canadien. L'un des grands importateurs et fournisseurs de miel du Canada est intervenu à la dernière minute et a cessé ses activités avec les producteurs canadiens. Ils n'ont pas été autorisés à utiliser la norme de qualité du produit canadien.
C'est ce qui nous arrive. Nous importons des produits et indiquons qu'ils sont des produits de première qualité du Canada. C'est seulement une norme élevée, car ce n'est pas un produit canadien.
En tant qu'organisation, nous ferions valoir que les produits canadiens doivent être clairement étiquetés pour que les consommateurs puissent choisir. Les aliments que nous importons du Mexique, de l'Équateur ou d'ailleurs satisfont-ils aux mêmes normes de salubrité alimentaire que doivent respecter nos fermes? La réponse est non. Nous sommes fortement réglementés en matière de salubrité des aliments. Toute la question de la salubrité des aliments est endossée essentiellement par les producteurs canadiens. Elle n'est pas assumée par le public. Les produits peuvent être importés de n'importe quel endroit où les prix sont moindres.
Le sénateur Mahovlich : Des particuliers peuvent en être tributaires. Une entreprise comme Loblaws peut acheter d'énormes quantités.
M. Jacobson : Mentionnons le cas des pommes l'an dernier. Avant que les pommes de la Colombie-Britannique aient été mises en marché, Washington, dont la production a quelques semaines d'avance sur la Colombie-Britannique en raison du climat et d'une latitude différente, a vendu ses pommes à prix réduit au Canada. Avant que nous ayons pu réagir, toutes ses pommes étaient dans les magasins, à un prix équivalant à celui offert par les producteurs canadiens et Washington avait écoulé ses surplus de pommes. Il ne nous reste plus qu'à régler le problème avec nos propres producteurs.
Le sénateur Mahovlich : Eu égard à l'endettement agricole de 200 000 $, comparativement aux États-Unis, quelle est la principale raison pour laquelle nous avons pris tellement de retard? Est-ce la politique des gouvernements?
M. Jacobson : C'est la manière dont les programmes de protection du revenu ont été conçus.
Vous en avez probablement déjà entendu parler. Notre programme de protection du revenu est un programme fondé sur la marge tandis que celui des États-Unis est un programme à prix fixe.
Si nous prenons l'exemple du maïs, les producteurs américains étaient assurés de recevoir un peu plus de 2 $ le boisseau. Leur prix ne pouvait pas descendre sous cette barre.
Le sénateur Mahovlich : C'est le gouvernement qui garantit ce prix?
M. Jacobson : Oui, les producteurs avaient un prix garanti. Si le marché payait 1,50 $, ils obtenaient le reste du gouvernement.
Leur programme de protection du revenu est basé sur la production. Plus ils produisent, plus ils reçoivent.
Notre programme est complètement différent. Parfois, plus nous produisons, moins nous recevons au pays.
Le sénateur Mahovlich : Nous surproduisons.
M. Jacobson : Oui. Les 200 000 $ proviennent non seulement de notre programme de protection du revenu, mais aussi de revenus agricoles bas. Les gens empruntent pour acheter de nouvelles machines et se capitaliser. Ils se retrouvent avec une dette colossale. Certains prêteurs sont compréhensifs. Le Bureau d'examen de l'endettement agricole a été mis en place au Canada pour régler le problème. Si rien ne change, les Bureaux d'examen de l'endettement agricole seront surchargés de nouveau.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Nicol, vous établissez toutes sortes de règles et de règlements. On croirait entendre un représentant du gouvernement fédéral. Nous avons visité des particuliers aujourd'hui et ils ont un excellent plan d'action. Évidemment, ils ont commencé il y a quelques années, mais je recommande aux gouvernements provinciaux et fédéral de les appuyer. S'ils se conforment à vos règles, ils ne seraient pas autorisés à s'adresser à vous. Croyez-vous que c'est une bonne idée d'établir toutes ces règles et règlements, si leur démarche est louable et qu'ils tentent d'aider le public?
Ils ont eu une excellente idée. Ils ont mis sur pied une école de hockey pour filles. Ces étudiantes vont obtenir leur diplôme. Elles iront aux États-Unis et reviendront au Canada. Elles seront d'une grande aide aux Canadiens.
M. Nicol : En tant que conseil, nous devons respecter les contraintes qui nous sont imposées dans la gestion de notre argent.
Le sénateur Mahovlich : Les représentants du gouvernement fédéral me disent sans cesse la même chose.
M. Nicol : À plusieurs occasions, bon nombre d'entre nous qui siègent au conseil ont encouragé les collectivités à veiller à ce que le gouvernement sache que le programme ne donne pas les résultats escomptés par les collectivités. Le gouvernement doit changer le mandat de notre conseil, surtout si nous voulons songer à un deuxième ou à un troisième cycle de financement.
Si nous nous comportons mal, quel précédent établissons-nous pour le prochain cycle de négociations? Si les collectivités parlent suffisamment des lacunes de cette initiative de financement triennal dans le prochain cycle, il est à espérer que les gouvernements écouteront.
C'est tout ce que je peux dire, sénateur Mahovlich. Nous devons respecter nos contraintes.
Le sénateur Mahovlich : Je suppose que vous devez vous conformer aux règles.
Monsieur Tanis, que peut faire le gouvernement pour avoir une organisation méthodique du marché?
M. Tanis : Il peut soutenir notre initiative, cesser de s'ingérer dans nos affaires et arrêter de retirer les décisions que nous prenons et les organisations que nous mettons sur pied en vue d'établir une organisation méthodique du marché. C'est ce dont nous avons besoin que le gouvernement fasse, en bref.
J'ai aussi quelque chose à dire au sujet de la surproduction. Tant que la faim sévira dans le monde, nous ne surproduisons pas. Nous ne répartissons pas notre production équitablement.
J'aimerais revenir sur la période entre 1973 et 2003 quand il ne restait plus rien. C'est là que la surproduction entre en ligne de compte. La R-D s'est répercutée sur la collectivité agricole, les producteurs primaires, et puisque le consommateur semble être le seul à en bénéficier, la R-D devrait être financée par l'État. Le gouvernement peut mettre en œuvre cette mesure à l'échelle provinciale et fédérale.
Si l'inspection des aliments profite davantage aux consommateurs qu'aux producteurs, elle devrait aussi être financée par l'État. La demande en avait été faite dans le cadre des premiers pourparlers entourant le Cadre stratégique pour l'agriculture, mais parce que les agriculteurs n'ont pas pu dire leur mot concernant la solution finale adoptée à la rédaction du document, cette mesure a été supprimée. On appelait tout ce qui était financé par l'État une subvention agricole. La situation pourrait être changée immédiatement.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez raison. Il y a des gens dans le monde qui meurent de faim et qui ont besoin de nourriture.
Le sénateur Banks : Monsieur Tanis, j'ai besoin que vous me confirmiez une chose. Vous avez dit que l'inspection des aliments n'était pas financée par l'État. J'ignorais qu'elle ne l'était pas. Pouvez-vous expliquer ce commentaire?
M. Tanis : À ce que je sache, tout ce qui est financé par l'État s'appelle une subvention accordée à la collectivité agricole. Cela devient une subvention dans d'autres nations. Nous pourrions parler de l'Organisation mondiale du commerce pendant des heures. Nous sommes en tête du peloton depuis que le Cycle d'Uruguay a débuté et que les tarifs douaniers et les restrictions commerciales ont été réduits. Cependant, nous avons été dépassés par d'autres événements et d'autres gens.
Quand les États-Unis disent qu'ils sabrent 75 p. 100 de leurs subventions admissibles, ils utilisent seulement 20 p. 100 et rien ne change. Cela paraît bien pour le reste du monde.
Quand le gouvernement albertain nous a annoncé, à une réunion tenue une journée après l'élection fédérale, que nous devrions supprimer les tarifs douaniers et les restrictions commerciales car les États-Unis le font, j'ai demandé, « Parlez-vous des Canadiens ou d'étrangers? ». L'homme a poursuivi son discours pendant cinq minutes jusqu'à ce qu'il en ait eu assez de parler et que j'en aie eu assez de l'écouter. C'est vous dire à quel point on écoute les agriculteurs en Alberta. Je vous remercie de votre attention.
Le sénateur Banks : Il a dû ravaler ce qu'il avait dit. Nous savons que les gros bonnets ne respectent pas toujours les ententes.
Que pensez-vous de l'argument invoqué concernant les subventions? Depuis de nombreuses années, cet argument est présenté par les gouvernements qui se sont succédé. Nous n'avons pas les moyens d'accorder autant de subventions que les Européens et les Américains. Prenons les États-Unis à titre d'exemple : par habitant, chaque pièce de dix cents qu'ils dépensent en subventions nous coûterait un dollar. Que répondez-vous à cet argument?
M. Tanis : Merci pour la question. J'ai une réponse. Je ne sais pas si les gens aimeront ce que je vais dire, mais je vais le dire quand même.
Quand nous investissons 1 $ dans le secteur de l'agriculture, nous recevons une retombée de 7 $. Nous vivons dans un pays où nous payons moins de 15 p. 100 de taxe. Sept fois 15 p. 100 égalent 1,05 $, qui correspond à la somme que reçoit le gouvernement. C'est un investissement.
L'argument est rétrograde. Le gouvernement devrait le voir comme un investissement et non comme un cadeau.
Le sénateur Banks : C'est une façon de répondre.
Monsieur Nicol, vous avez trois ans pour dépenser 100 millions de dollars et, si j'ai bien compris, l'argent qui n'est pas dépensé retourne dans les coffres du gouvernement à la fin des trois ans.
Vous avez dit vouloir consacrer cet argent à des projets qui vont être mobilisateurs pour les 10, 15 ou 20 prochaines années. J'imagine que cet argent entre dans la catégorie des capitaux de démarrage, ces fonds qui servent à lancer des entreprises. Au bout de trois ans, le projet devrait fonctionner par lui-même. À la prochaine phase de financement, allez-vous examiner de nouvelles demandes pour de nouveaux programmes ou allez-vous continuer d'aider un programme amorcé qui ne vole pas encore de ses propres ailes?
M. Nicol : Vous me demandez comment nous fonctionnons. Nous examinons des projets qui, à la fin de la période de trois ans, peuvent dans l'ensemble être indépendants financièrement. Les projets jettent les bases de ce que la communauté locale veut devenir dans 10, 15 ou 20 ans.
S'il y a une deuxième ou une troisième phase de financement, nous espérons pouvoir soutenir des projets complémentaires, mais nous n'allons pas refinancer les mêmes projets.
L'idée, c'est de bâtir à partir de ce que nous avons, et non de refaire ce que nous avons déjà fait.
Le sénateur Banks : Un délai trop ferme m'inquiète. Même les plus beaux projets pourraient ne pas fonctionner parfaitement après trois ans.
M. Nicol : Tous les projets nécessitent un certain échéancier. Le programme existe seulement depuis trois mois, mais nous aurions déjà pu avoir tout distribué le montant de 100 millions de dollars si nous avions voulu.
Le sénateur Banks : Vous n'allez pas rendre l'argent.
M. Nicol : Non, nous ne remettrons pas d'argent.
Le sénateur Banks : C'est bien. Monsieur Jacobson, d'habitude, le mot « commission » suppose des pouvoirs. L'organisme que vous représentez aujourd'hui regroupe des producteurs. A-t-il des pouvoirs?
M. Jacobson : Non, c'est plutôt un titre. C'est l'usage en Alberta où il y a beaucoup de commissions, d'organismes ou d'offices de commercialisation des produits agricoles. Nous ne faisons pas beaucoup de règles, comme c'est le cas des éleveurs. Nous avons en quelque sorte raté l'occasion de le faire.
Le sénateur Banks : Votre discours m'a souvent fait penser à une publicité de la commission du blé. Est-ce à dire que votre organisme est favorable au système de commercialisation à comptoir unique par opposition à autre chose?
M. Jacobson : Oui. À son assemblée annuelle, notre organisme a adopté une résolution en faveur du système de commercialisation à comptoir unique. D'après nous, c'est le meilleur système pour les producteurs.
Je vais vous donner l'exemple de ce que fait un organisme agricole au Canada pour la mise en marché et la mise en marché collective des producteurs. Cela se passe dans les pays en développement. C'est un organisme agricole que vous connaissez assez bien, l'UPA, du Québec, qui fait de l'agriculture urbaine et périurbaine.
Cet organisme travaille dans certains pays étrangers. Nous avons parlé à Laurent Pellerin au sujet d'un projet à Malte. Il n'y avait pas de sécurité alimentaire dans ce pays qui a connu des périodes de famine.
L'UPA a montré aux gens comment conserver des fonds et travailler ensemble. Grâce à leur action collective, ils ont fait baisser les taux d'intérêt des prêts agricoles de 25 p. 100 ou 30 p. 100 à 10 p. 100.
L'UPA a construit des entrepôts alimentaires. Les aliments ont été entreposés et vendus dans le pays. Dans bien des régions, il n'y a plus de périodes de famine.
Voilà ce qu'une action collective permet de faire dans les pays en développement. Je crois que la situation n'est pas différente dans les pays industrialisés.
Les producteurs et les organismes ont beaucoup plus de pouvoir en groupes que seuls quand vient le temps de vendre des produits. Nous savons ce qui arrive quand 76 000 producteurs annoncent qu'ils ont tel ou tel produit à vendre et que six ou sept personnes négocient pour l'acheter. C'est ce à quoi nous sommes confrontés. Il y a un regroupement des efforts de la part des multinationales, surtout dans l'industrie céréalière.
Nous avons assisté à ce regroupement. Seulement quatre multinationales contrôlent 80 p. 100 du commerce mondial de céréales. En tant que producteur, si je ne m'associe pas à mes voisins et que je perds l'accès aux systèmes, je dois me contenter de ce qu'on me donne.
On a beau parler d'un marché libre, c'est davantage ce qu'elles sont disposées à donner qui me permet de rester en affaires.
Le sénateur Banks : Monsieur Tanis, est-ce que je comprends que le Syndicat national des cultivateurs est en faveur de la commercialisation à comptoir unique?
M. Tanis : Oui, vous avez bien compris.
Le sénateur Gustafson : Quel pourcentage des producteurs agricoles de l'Alberta sont membres de votre syndicat?
M. Tanis : Je n'en sais rien. Il y a différents regroupements d'agriculteurs. Il y a aussi l'Association des producteurs agricoles. Je n'ai pas de registre des membres.
Le sénateur Gustafson : Notre comité sénatorial a recommandé, dans un rapport provisoire, qu'il serait important que le Canada ait une politique agricole qui lui est propre. Qu'en pensez-vous?
M. Tanis : On pourrait commencer par avoir un programme de protection du revenu agricole plus équitable, parce que les États-Unis ont aussi une politique agricole. C'est aussi ce que préconise la FCA. J'ai commencé à lire votre rapport provisoire que je n'ai pas fini. Je le trouve intéressant.
Il cite tellement de chiffres. Il faut prendre conscience qu'on a affaire à des êtres humains, et j'espère que c'est ce qui va ressortir du rapport. Je serais en faveur d'une politique agricole si elle assure aux producteurs une meilleure protection que celle qu'ils ont actuellement. Nous n'avons rien.
Le sénateur Gustafson : Les offices de commercialisation du Canada n'ont aucun problème avec les ventes américaines, parce que nous ne vendons rien sur le marché international.
Pour certains, les offices agissent de façon immorale parce qu'il y a beaucoup de gens affamés dans le monde et que nous produisons seulement ce que nous consommons. On semble dire que nous pourrions nourrir la planète avec des céréales et des oléagineux. Ce serait ridicule et impossible.
Le marché mondial des céréales et des bovins représente un de nos grands problèmes. Y a-t-il un représentant des éleveurs ici, ou un représentant de l'ensemble des céréaliculteurs? Tant que le Canada ne reconnaît pas que nous avons un problème, on ne le réglera pas.
M. Tanis : Je suis d'accord avec vous. Les Américains se passeraient volontiers des offices de commercialisation. Ils voudraient bien que la commercialisation relève de l'OMC. Ils pourraient contrôler le marché.
Le sénateur Gustafson : Contrôlent-ils la vente du canola?
M. Tanis : On ne sait pas qui contrôle quoi. Il ne semble pas qu'ils la contrôlent. S'ils sont le plus important acheteur, ils la contrôlent.
Le sucre est contrôlé par on ne sait trop qui. Cargill expédie du jus aux États-Unis. Il y a quelques années, les représentants de la sucrerie nous ont annoncé au printemps que nous aurions moins de contrats. Comme je produis aussi du blé, je leur ai dit : « Ne savez-vous pas comment vendre le sucre? Cargill en consomme plus chaque année. Nous devons faire des réductions parce que nous perdons des ventes ici. Voulez-vous que Cargill achète toute la production et prenne le contrôle de l'entreprise? »
Qui a le contrôle? Il y a des forces du marché qu'on ne peut pas identifier.
Le sénateur Gustafson : La commission du blé vend une bonne partie de son blé directement à Cargill. C'est ce qui est ressorti clairement de la rencontre de notre comité avec les représentants de la commission du blé.
Pour revenir aux oléagineux, et plus particulièrement au canola, nous sommes tout près de la frontière. Nous pouvons faire 10 sous de plus le boisseau, et Archer Daniels Midland au Dakota du Nord va l'acheter.
C'était un avantage pour nos producteurs. C'est vrai aussi pour la moutarde, les pois et le reste. Les Américains ont vendu notre bétail pendant une centaine d'années. Nous en sommes arrivés à la conclusion que les prix du bétail s'effondrent quand la frontière est fermée. Les prix sont à la baisse dans le moment parce qu'on menace de fermer la frontière. Qui dit que les Américains ne pourraient pas vendre aussi notre blé?
M. Tanis : C'est une bonne question. Nous produisons seulement la moitié de ce que nous consommons au Canada. Quatre-vingt pour cent des pommes de terre mangées en Alberta sont importées. Qui contrôle quoi?
Comme nous n'avons pas d'usine de transformation ni les marchés pour écouler nos produits parce que la population est trop restreinte, nous voulons des installations de plusieurs millions de dollars pour tout contrôler.
Le sénateur Gustafson : Nous savons que ce que nous avons maintenant ne fonctionne pas. Les producteurs ne peuvent pas affronter d'autres problèmes que ceux qu'ils auront ce printemps pour préparer la récolte. La situation en Saskatchewan est probablement pire que celle que vous décrivez en Alberta.
Les prix des terres en Saskatchewan dégringolent. Au moins, en Alberta, les producteurs peuvent vendre leurs terres et prendre leur retraite.
En Saskatchewan, ils ne peuvent bien souvent pas faire cela. La situation est grave.
Nous devons trouver une solution, sans s'en tenir à une idéologie ou à une théorie. Il faut trouver un moyen de s'en sortir.
La seule solution, c'est la hausse des prix des denrées ou des fonds fédéraux. Si on veut autre chose, il faut engager des discussions politiques sur tous les produits en question.
Le sénateur Peterson : Monsieur Jacobson, dans vos recommandations, vous parlez de programmes suffisants de protection du revenu agricole, d'assurance, et cetera.
Il me semble que le nœud du problème, ce sont les revenus déficitaires des producteurs. Ce que vous recommandez semblerait être seulement une solution de fortune. Les producteurs dépensent leurs avoirs pour fonctionner, et ce n'est plus possible.
Nous parlons d'un ou deux ans. Faudrait-il obtenir un prix juste pour notre produit? À la fin de l'année, il faut être rentable, regarder les choses en face et décider quoi faire.
M. Jacobson : C'est ce que nous disons aux gouvernements fédéral et provinciaux depuis 20 ans. Nous avons expliqué que nos recettes ne comblent pas nos dépenses.
Dans notre milieu, on dit que nous bouffons nos avoirs. C'est pourquoi la dette agricole au Canada augmente toujours davantage.
Pas tellement dans le Sud de l'Alberta mais ailleurs dans la province ainsi qu'en Saskatchewan et au Manitoba, comme le sénateur Gustafson l'a fait remarquer, les gens sont obligés de vendre parce que leurs coûts ont monté. À qui vendent-ils? Je connais des producteurs en Saskatchewan qui louent leurs terres pour le prix des taxes.
Un producteur m'a dit qu'il s'était entendu avec son plus vieux voisin, qui lui paie le prix des taxes pour cultiver sa terre, étant donné qu'il ne peut pas la louer.
Les programmes de protection du revenu agricole font la moyenne des trois meilleures années sur les cinq dernières années. C'est valable pour une industrie qui a des hauts et des bas, parce que la moyenne rétablit l'équilibre sur une certaine période de temps.
Au cours des 15 dernières années, la marge de production dans le secteur des céréales et des oléagineux a connu un recul progressif. Le canola fait exception cette année parce que les prix ont monté; en fait, les prix des céréales ont monté, mais il y a des circonstances atténuantes. Les producteurs ont commencé à se faire indemniser dans le cadre du programme de stabilisation du revenu. Nous ne savons pas vraiment qui va recevoir de l'argent et qui n'en recevra pas. Un voisin peut me dire qu'il en a reçu contre toute attente, et un autre peut compter en recevoir sans que ce soit le cas.
En raison de ce recul progressif, nos marges de production diminuent graduellement. Si nous recevons de l'argent, c'est que nous avons fait des pertes. La marge de production continue de baisser.
Selon nous, il doit y avoir un moyen de s'attaquer aux coûts de production. On peut peut-être le faire grâce à un programme, qui fixerait les prix comme les États-Unis le font, et nous pensons qu'un programme de cette nature coûterait aux gouvernements du Canada un peu plus cher que le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole, le PCSRA. Pour nous, ce serait le moyen de stabiliser l'industrie. Il y a des problèmes avec les programmes de protection du revenu agricole.
Lorsqu'on a établi le premier Cadre stratégique pour l'agriculture — la loi sur l'agriculture — d'importantes réunions ont été tenues dans différentes régions du Canada. Nous avons participé à deux réunions à ce sujet à Calgary.
Pas moins de 500 agriculteurs étaient présents à la première de ces réunions. On nous a répartis en plusieurs petits groupes. Chaque groupe inscrivait ses recommandations sur un tableau. On nous a dit qu'on ferait le compte rendu à la réunion suivante. Nous étions là à cette deuxième réunion. Les différents groupes ont présenté leurs recommandations et nous les avons compilées.
C'est à ce moment-là que nous avons eu l'impression que le programme de filet de sécurité était déjà entièrement élaboré. Les agriculteurs n'étaient consultés que pour la forme.
Les représentants des différentes organisations agricoles ont fait valoir que telles et telles mesures ne pouvaient pas fonctionner, et que des problèmes allaient survenir. Devinez quoi? Le gouvernement nous a répondu qu'il n'y avait aucun problème et que nous ne parlions pas en connaissance de cause.
Voilà que le PCSRA se révèle un véritable gâchis. Les problèmes que nous avions prévus se sont effectivement manifestés. Je crains que la même chose ne se produise avec cette deuxième série de consultations.
Il en est question dans l'une de nos recommandations. Il faut que nous puissions contribuer directement à la formulation de recommandations et à l'élaboration des programmes de ce genre.
Sans cela, on se retrouve avec deux parties qui dictent leur volonté à une troisième. Nous n'avons pas droit de parole. Nous pourrons revenir à la charge dans un an pour vous dire où vous avez échoué et, devinez quoi? Nous aurons raison. C'est toute l'histoire de la mise en œuvre du CAS I qui risque de se répéter.
Le sénateur Peterson : Vous recommandez notamment que les accords commerciaux offrent liberté d'action et équité à toutes les parties en cause. Les résultats que nous avons obtenus avec le présent accord sont presque ridicules. Cela ne fonctionne tout simplement pas. Les Américains interceptent notre bétail à la frontière lorsque bon leur semble. Ils imposent des droits exorbitants sur notre bois d'œuvre lorsque cela leur chante. Ils n'ont pas tardé à injecter 5 milliards de dollars dans la cagnotte pour aider leurs producteurs.
Dans le journal de ce matin, je lisais que les États-Unis voulaient cesser de dépendre du pétrole du Moyen-Orient et souhaitaient se tourner vers celui produit au Canada : 200 millions de barils, 300 millions de barils et jusqu'à 500 millions de barils par année. Le moment ne serait-il pas bien choisi pour le Canada de serrer la vis et d'imposer une taxe à l'exportation au bénéfice de nos producteurs?
M. Jacobson : Pour nos producteurs, oui. Nous ne voulons pas mordre la main qui nous nourrit. Nous, Canadiens, avons toujours eu un complexe d'infériorité par rapport aux Américains. Je pense que nos gouvernements ressentent la même chose. Je ne me souviens plus qui a dit que lorsqu'on allait au lit avec un éléphant, il fallait éviter de le réveiller, ou quelque chose du genre.
À ce moment-ci, nous disposons de ressources naturelles dont d'autres régions du pays et de l'Amérique du Nord ont besoin. Cette situation avantageuse nous permet d'imposer certaines conditions. Le Canada n'a plus à être un pays de bûcherons et de porteurs d'eau.
Nous avons la possibilité, si nos dirigeants se tiennent debout, de conclure des accords commerciaux, surtout en agriculture. Nous n'avons pas à faire de tels compromis. L'expérience nous a démontré que lorsque nous faisions des concessions, ils reviennent à la charge pour en obtenir davantage. C'est ce que nous avons fait valoir concernant le libre-échange.
Une entente est intervenue dans le cadre de l'OMC, mais ils n'ont tenu aucunement compte des règles établies. Nous suivons ces règles. Même en admettant que les États-Unis l'auraient fait, ils ont trouvé des façons différentes d'offrir leurs programmes, ou plutôt de prendre des mesures à notre détriment.
Il est difficile pour moi de vous dire s'il convient d'imposer un tarif douanier. Lorsque des produits font l'objet de dumping au Canada, il faut immédiatement appliquer de tels tarifs. La situation dont je vous ai parlé concernant les fruiticulteurs de la Colombie-Britannique s'est produite l'an dernier sur une période de deux mois. Lorsqu'ils ont été saisis de l'affaire, les spécialistes fédéraux en droit commercial et les avocats des producteurs ont conseillé de ne pas y donner suite, car le temps que toutes les mesures soient prises et que les règles soient appliquées, le dumping aura déjà cessé. De telles démarches ne servent donc à rien. Il faudrait plutôt que quelqu'un agisse rapidement pour stopper ces activités qui portent préjudice aux industries canadiennes.
Le sénateur Peterson : C'est effectivement ce dont vous avez besoin. Nous avons fait montre de complaisance parce que nous sommes des gens bien. Il se peut que ce temps soit révolu. Je me dis que le moment est peut-être venu de secouer un peu les choses.
La présidente : Au fil des réunions que nous avons tenues à Ottawa depuis plusieurs mois, nous avons toujours parlé des familles lorsqu'il a été question de la crise agricole. Si les familles renoncent, on peut imaginer les effets que ressentiront les merveilleuses villes de cette région.
On nous dit sans cesse que les jeunes sont de plus en plus réticents à suivre la voie tracée par leurs parents agriculteurs, compte tenu des difficultés dont ils ont été témoins au cours des dernières années. C'est une situation vraiment inquiétante.
L'autre soir à Ottawa, je me suis présentée à une activité organisée par la Fédération canadienne de l'agriculture. Il s'agissait d'une grande réunion annuelle. La salle était remplie de jeunes agriculteurs qui essayaient d'organiser les choses à leur façon, comme tous les jeunes le font. Ils semblaient grandement apprécier l'exercice. Ils échafaudaient des plans d'avenir. Comme ils avaient entendu parler de nos réunions, ils se sont précipités vers moi. Ils m'ont dit que c'était une excellente idée de tenir ces réunions. Ils m'ont assurée qu'ils s'engageaient dans l'agriculture à long terme. C'était plutôt agréable à entendre.
Compte tenu des difficultés bien réelles que connaît ce secteur depuis plusieurs années, croyez-vous que nos jeunes sont disposés à prendre la relève au moment venu pour que la ferme familiale puisse rester en exploitation?
M. Jacobson : Vous parlez du groupe Jeunes agriculteurs d'élite du Canada. La Fédération canadienne de l'agriculture a ainsi réuni de jeunes agriculteurs de toutes les régions du pays. Nous parrainons ce groupe qui produit des résultats très intéressants.
Il s'agit probablement de la crème de la crème en agriculture. Nous avons besoin de ces jeunes et il nous en faudrait encore davantage.
Je vais répondre en faisant référence à ma propre communauté et aux localités avoisinantes. J'ai débuté en agriculture à l'âge de 22 ans, après avoir étudié au collège notamment. J'estimais que c'était un secteur prometteur. Comme je l'ai mentionné au journal, je me destinais à une certaine époque à la profession d'enseignant. J'ai cru préférable de choisir l'agriculture. Il est possible que j'aie fait erreur.
Lorsque j'ai commencé l'agriculture, un grand nombre de mes amis en faisaient autant. Au sein de ma collectivité, il y avait probablement entre 20 et 25 jeunes de mon âge, à quelques années près, qui débutaient dans ce secteur. Nous avions grandi sur la ferme et nous prenions la relève de nos pères ou nous nous portions acquéreurs d'une exploitation agricole. Certains agriculteurs de mon âge étaient endettés à un point tel — et le fardeau était vraiment très lourd dans les années 1980 — qu'ils ont fait faillite, même après avoir pris les rênes de la ferme familiale. Une partie d'entre eux ont quitté notre communauté avec leurs familles et leurs enfants.
Ces enfants seraient aujourd'hui des agriculteurs dans la trentaine. Les gens de cette tranche d'âge sont de moins en moins nombreux à se livrer à l'agriculture.
Lorsqu'il était plus jeune, mon fils aimait bien la ferme. Il travaille maintenant comme arpenteur en Saskatchewan. Il considère que cette profession est plus payante. Son épouse est enseignante. Elle a elle aussi grandi sur une ferme. Ils disent qu'ils aiment l'agriculture, mais que cette activité ne leur convient pas. Ils préfèrent travailler de neuf à cinq, même s'ils dérogent parfois à cet horaire. Ils aiment profiter de la sécurité d'un emploi bien rémunéré. Ils ont droit à des vacances. Il leur est possible de planifier. Si vous êtes agriculteur, vos temps libres sont limités à la saison hivernale. Vous devez prendre vos vacances dans le Sud. Si vos moyens ne vous le permettent pas, vous restez à la maison.
Chez nous, seulement une poignée de jeunes agriculteurs dans la vingtaine sont demeurés dans la collectivité. Les jeunes que vous avez rencontrés font partie de ce groupe d'âge et constituent l'élite de la profession. Dans la plupart des cas, ils viennent d'exploitations agricoles bien établies. S'ils souhaitent acheter des terres en Alberta — la situation diffère d'une province à l'autre, mais en Alberta tout particulièrement — compte tenu des pressions exercées non seulement par la population urbaine, mais aussi par la population rurale et les grands exploitants qui essaient de prendre de l'expansion, il leur est impossible de le faire si le prix des denrées n'augmente pas. Ils versent des sommes exorbitantes pour leurs terres sans vraiment savoir ce qui se produira sur le marché.
Nous en avons parlé toute la soirée. Nous avons besoin d'un programme de revenu agricole qui permettra à ces gens d'avoir un bon gagne-pain et de s'assurer un niveau de vie intéressant. Nul besoin de mesures très sophistiquées. Il leur faut travailler fort. Leur travail doit être rentable. Ils doivent réaliser des profits. Il faut qu'ils puissent mettre de l'argent de côté et planifier leur avenir et celui de leurs enfants, comme n'importe quel citoyen vivant en milieu urbain. Toute personne qui occupe un emploi peut planifier son avenir et sa retraite. Il faut que cela soit également possible en milieu rural.
Tant que des mesures en ce sens n'auront pas été prises, nous continuerons de perdre de jeunes agriculteurs. Une fois que ces jeunes ont quitté la région, à qui les agriculteurs plus âgés peuvent-ils vendre leur ferme? Il n'y a plus personne pour prendre le relais.
La présidente : C'était vraiment un groupe fort enthousiaste. Il était agréable de les entendre après tous les commentaires reçus ici.
Je tiens à remercier nos témoins. Vous nous avez lancé sur de nouvelles pistes de réflexion et nous surveillerons de près la nouvelle initiative de M. Nicol. Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. La première à présenter son exposé sera Stasha Donahue.
Stasha Donahue, coprésidente, South West Alberta Coalition on Poverty : Je travaille en santé publique depuis 17 ans. Auparavant, j'ai été pendant cinq ans dans le domaine des soins actifs dans les régions rurales de l'Alberta. Je viens donc du secteur de la santé.
Notre coalition a pour mission de rassembler les organisations, les groupes et les individus qui sont déterminés à agir concrètement pour lutter contre la pauvreté dans le Sud-Ouest de l'Alberta.
Du point de vue de la santé, c'est un sujet qui nous intéresse. Selon les résultats de recherches récentes, les facteurs que l'on jugeait autrefois essentiels à la santé — comme le style de vie, une saine alimentation et l'exercice physique — ne sont pas, malgré leur importance, aussi décisifs que ce que l'on appelle les déterminants sociaux de la santé. Il s'agit notamment de la pauvreté, du revenu adéquat, du logement, de l'éducation et de l'emploi.
J'apporte ces précisions pour le cas où vous vous demanderiez quel est le lien entre la santé et la pauvreté, et la pauvreté en milieu rural tout particulièrement.
Notre mémoire est accompagné d'un résumé. Il s'agit de la feuille jaune vif qui vous rappelle le soleil du Sud de l'Alberta. Je ne m'attends pas à ce que notre rapport devienne votre lecture de chevet, car il est peut-être un peu volumineux. Voilà deux ans que nous avons produit ce document intitulé The Reality of Child and Family Poverty in Southwest Alberta.
Ce rapport vous donne un aperçu régional de la prévalence de la pauvreté et des facteurs connexes dans une région déterminée du Sud de l'Alberta.
Nous nous sommes servis de ce document pour présenter des exposés devant différentes instances, dont les conseils municipaux, les commissions scolaires, les agences de service à la famille et à l'enfance et les conseils de réserve, dans un effort pour les sensibiliser à l'existence de la pauvreté dans le Sud de l'Alberta. La pauvreté est une préoccupation véritable qui touche nos enfants et nos jeunes.
Je vous expliquais donc simplement les raisons pour lesquelles je vous ai fourni ce document. Je ne vais pas entrer dans les détails, car cela pourrait prendre toute la soirée. Je sais très bien que votre longue tournée vous a amenés dans toutes les régions du pays.
La présidente : Mais nous demeurons toujours très alertes.
Mme Donahue : Je dois admettre que vous semblez effectivement avoir encore beaucoup d'entrain. Probablement grâce à la séance de hockey d'aujourd'hui.
Nous avons cerné certains thèmes prédominants dans le Sud de l'Alberta. Comme je n'y ai pensé qu'après coup, je n'ai pas inclus une situation unique à notre région : la présence de deux grandes réserves autochtones dans la région Chinook.
La réserve de Gens du Sang, ou Kainahs, est la plus grande au Canada avec une population de plus de 8 000 personnes. Cette réserve influe considérablement sur les taux de pauvreté dans la région étant donné que, comme vous le savez, les Autochtones, les chefs de familles monoparentales, les familles ayant à leur tête une femme et les immigrants sont les groupes les plus susceptibles d'être affectés par la pauvreté.
Beaucoup de familles quittent les réserves pour aller vivre dans de petites villes de cette région rurale. Cet exode s'explique par le manque d'accès à des logements abordables dans la réserve. Les Autochtones vont vivre dans ces petites villes pour trouver de nouveaux débouchés. Dans un sens, cela peut être avantageux, car si on parvient à régler tous les problèmes d'exclusion, cette population en croissance ayant un taux de natalité élevé pourra éventuellement alimenter le bassin de main-d'œuvre de la région.
J'ai attentivement lu votre document, intitulé Rapport intérimaire : Comprendre l'exode : lutte contre la pauvreté rurale et j'ai constaté que bon nombre des enjeux que nous avons relevés, vous les avez cernés aussi.
L'un de ces grands enjeux est le transport. Je vis dans une communauté rurale, en fait, en dehors d'une communauté rurale. Bien des familles vivent le problème du manque de transport et des défis que cela pose.
Avec mon expérience dans le domaine de la santé, je remarque plus ce problème depuis la régionalisation des services. Nous avons des anecdotes selon lesquelles avec la régionalisation des services, bien des services ont été centralisés qui, auparavant, étaient répartis dans toute la région.
Par exemple, mes parents âgés ont besoin d'accès aux installations régionales et de transport pour recevoir les services et les soins dont ils ont besoin, en raison de la réduction du nombre de médecins et des soins médicaux fournis dans leur petite communauté.
J'ai de la chance. Je peux prendre une journée de congé et m'occuper d'eux. Je connais bien des familles pour qui ce n'est pas possible. Si je travaillais au 7-Eleven et demandais une journée de congé pour amener mon grand-père à un rendez-vous médical, je suis sûre que cette demande ne serait pas accueillie de façon très positive.
Cette situation est le genre de celles dont parlent les membres plus âgés de la population, particulièrement ceux qui ne prennent plus la voiture pour sortir de leur petite ville. Il en est de même de ceux qui ont besoin de services spécialisés pour les enfants. Une grande partie de nos services régionaux à l'enfance ont été redistribués à Lethbridge.
Pour avoir accès aux services spécialisés pour les enfants vulnérables, qui ont généralement de grands besoins et viennent de milieux vulnérables, les familles ont besoin de transport pour aller en ville pour recevoir les services pour leurs jeunes enfants, ce qui peut être un problème.
Il en est de même de l'accès aux services publics. Un grand nombre de services fédéraux — l'assurance-chômage, le bien-être social et ce genre de choses — ont été renvoyés dans les villes. Il arrive que les habitants des petites communautés rurales n'aient pas accès au service des autobus Greyhound.
Je m'occupe de pauvreté dans la communauté depuis sept ans, et je suis allée dans des communautés pour y avoir des discussions. Certaines ne sont pas desservies par les autobus, et en même temps, les familles s'installent dans ces petites communautés rurales où les maisons sont plus abordables, ou encore leur travailleur social les y place justement parce que le logement y est plus abordable, et pourtant, il n'y a pas de service. Il ne s'y trouve même pas de banque alimentaire. Les familles y sont installées sans qu'il y ait de mécanismes de soutien et de services sociaux.
Ce que nous proposons, ce sont des solutions créatives à la prestation de services. Certaines de nos propositions, dans le passé, se sont heurtées à une certaine résistance. Cette résistance est en grande partie attribuable aux problèmes de financement « cloisonné » et d'assurance : qui est responsable en bout de ligne? Nous avons essayé de trouver des solutions de transport. Personne ne veut s'attaquer à ce problème : c'est leur client, pas le mien, ou nos assurances couvrent ceci et cela. Il doit bien y avoir un moyen de contourner ce problème, de façon réaliste.
Il y a même les choses comme les autobus scolaires communautaires : bien des enfants sont transportés par autobus vers des centres ruraux plus grands, parce qu'il n'y a pas d'école dans les plus petites communautés. Peut-être pourrions-nous collaborer pour nous assurer que d'autres membres de la communauté aient accès au transport?
Un autre problème qui nous préoccupe, c'est l'éducation postsecondaire. Les communautés rurales de notre région, tout comme d'autres au Canada, tendent à afficher un rendement scolaire général plus faible que celles des régions urbaines. Ce manque d'éducation limite leurs possibilités d'emploi. Nous savons que depuis quelques années, les coûts associés à l'université ou à l'éducation postsecondaire sont montés en flèche.
En même temps — je le sais parce que je suis moi-même actuellement un cours à distance — la capacité de fournir des services d'éducation a augmenté avec les progrès technologiques. Le recours à la technologie des communications de manière à pouvoir offrir des possibilités d'éducation postsecondaire aux petites communautés rurales est quelque chose qui, je l'espère, recevra beaucoup plus d'attention à l'avenir.
Ce service est particulièrement important quand un grand nombre de nos jeunes quittent leurs petites communautés rurales pour aller vers le Nord en quête des tout puissants dollars associés au champ de pétrole. Nous prédisons qu'il y aura une grande pénurie de travailleurs spécialisés et de fournisseurs de services dans les petites communautés rurales. Actuellement, bien des jeunes, particulièrement les jeunes hommes, partent pour le champ de pétrole du Nord.
L'accès aux loisirs pourrait sembler une composante superficielle, accessoire. Dans une grande perspective humanitaire, particulièrement du point de vue de la santé, l'accès aux loisirs est important pour la croissance et le développement sains des enfants. À la lumière de l'épidémie d'obésité actuelle, pour ainsi dire, au Canada, nous, du secteur de la santé publique, nous nous sommes intéressés de près à cet accès.
En Alberta, au début des années 1990, la planification des loisirs dans les communautés a été restreinte, tant au plan des installations que des programmes.
Bien des familles ont maintenant des enfants pour qui il est impossible de participer aux programmes récréatifs communautaires ou scolaires. Je sais, en ma qualité de maire autant que de professionnelle de la santé, quand ils deviennent plus vieux, bien des enfants ne saisissent pas les possibilités qui sont offertes, les voyages scolaires, les voyages de ski et ce genre de choses. Ce manque de participation croissant les isole sur le plan social : c'est là que commence la division par l'exclusion. Bien des gens à plus faible revenu vous diront qu'ils vivent cette séparation au quotidien.
Il y a une chose à laquelle nous aimerions que les responsables des décisions réfléchissent, c'est au réinvestissement dans les installations et programmes récréatifs, et à un moyen d'assurer l'existence d'installations dans les régions rurales de l'Alberta.
Il y a eu certaines discussions, à un moment donné, sur les remboursements d'impôts pour la vie active des enfants. Pour les familles à faible revenu, cela ne suffit pas. Elles n'ont pas l'argent pour commencer pour inscrire Bobby au hockey. On a déjà parlé de ce problème auparavant.
J'ai lu le document et j'ai vu ceci : les possibilités d'emploi. Avec les progrès de la technologie et des communications, il doit être possible de répartir certaines des possibilités d'emploi associées aux services publics dans toute la province plutôt que de les centraliser dans les grands centres urbains.
Je travaille sur un projet provincial. Le membre du personnel est à Edmonton. Je suis l'un des membres de l'équipe de gestion. Je travaille et je vis en dehors de Fort Macleod. Dans mon travail avec le gouvernement fédéral — je travaille avec lui depuis longtemps au sujet de la santé de la population — j'ai toujours apprécié travailler avec les fonctionnaires, mais je ne peux empêcher un petit rire quand je pense que le coordonnateur de la santé rurale est situé à Calgary.
Je vous remercie de cette occasion. Je suis ravie de constater votre intérêt pour un voyage dans le Sud de l'Alberta.
Le sénateur Banks : Je suis d'Edmonton, et Calgary est une région rurale.
Mme Donahue : Ils ne seraient peut-être pas d'accord.
La présidente : Merci. Nous ne voudrions pas manquer cette région importante du Canada. Nous vous entendons haut et clair. Je suis heureuse que vous ayez parlé des segments de la population qui vous préoccupent. Ces problèmes sont profondément ancrés dans tout le pays. Les gens sont souvent mal à l'aise pour en parler.
Lisa Lambert, coordonatrice de projet, Womanspace Resource Centre :En parlant d'un sujet difficile, je suis la féministe de l'organisation, ici. Je travaille pour un centre de ressources axé sur les femmes.
Nous existons à Lethbridge depuis plus de 20 ans. Nous sommes une organisation féminine communautaire. Nous aspirons à respecter et refléter la diversité des femmes. Nous fournissons des services et provoquons des changements de politiques aux niveaux local et provincial pour améliorer la situation des femmes et promouvoir leur égalité politique, sociale et économique.
Nous sommes un groupe collectif dirigé par un conseil d'administration, qui a une employée à temps partiel et deux employées à contrat, dont je suis.
Je porterai votre attention sur deux des nombreux projets de recherche que nous avons menés. Vous avez mon rapport devant vous, je ne le lirai pas intégralement. Je vais parler du projet triennal sur les femmes qui ont des emplois non conventionnels. Le deuxième projet, qui date de quelques années, était pour étudier les obstacles qui se posaient aux femmes qui cherchaient à se sortir des programmes provinciaux de bien-être social.
Je vais commencer avec les femmes qui ont des emplois non conventionnels. Environ 30 p. 100 des femmes ont un emploi non conventionnel : en fait, c'est n'importe quel emploi qui n'est pas à temps plein et lié à des avantages sociaux. Cela comprend les travailleuses à temps partiel, à contrat, sur appel, temporaires, les travailleuses autonomes et les travailleuses polyvalentes comme moi, c'est-à-dire celles qui ont plus d'un emploi.
Presque toutes les femmes que nous avons interrogées ont dit être des employées non conventionnelles pour pouvoir s'occuper de leurs enfants ou de parents.
Nous avons eu des groupes de discussion avec 127 femmes du Sud-Ouest de l'Alberta. Elles avaient toutes des emplois non conventionnels. Un tiers d'entre elles vivaient en région rurale.
La situation des femmes des régions rurales est légèrement différente. Je vais parler des éléments saillants qui sont ressortis des groupes de discussion composés de femmes de régions rurales. Elles ont insisté sur le manque de choix quant aux horaires et aux conditions de travail. Elles ont parlé des services de garde. Leurs perspectives à long terme, y compris la retraite, étaient très limitées.
Pour commencer, le manque de choix : les femmes des régions rurales étaient plus susceptibles de dire qu'elles travaillaient à temps partiel ou à contrat à cause du manque d'emplois dans leur région. Elles travailleraient plus si elles le pouvaient.
Cela signifie que les femmes des régions rurales qui ont des emplois non conventionnels, plus que leurs homologues des régions urbaines, étaient forcées à avoir un emploi non conventionnel et souhaitaient travailler plus. Si elles le pouvaient, elles prendraient un emploi à temps plein. Leur revenu était souvent insuffisant pour leurs besoins.
Le manque de services de garde était une préoccupation dominante parmi les femmes des communautés rurales de l'Alberta. Bon nombre des femmes interviewées dépendaient de leur famille ou d'amis pour s'occuper de leurs enfants, ce qui les rendait inadmissibles à des subventions de garde.
L'accès au service de garde en dehors de la tranche horaire de 9 à 17 heures était troublant. Ce manque d'accès se répercutait sur la capacité des femmes des régions rurales de prendre les nombreux emplois disponibles. Cela signifiait que les agriculteurs ne pouvaient avoir accès aux services de garde. Quand ils en ont besoin, c'est souvent pour 16 à 18 heures par jour, pas de 9 à 17 heures.
Les perspectives à long terme : bien des femmes interrogées étaient tellement occupées et préoccupées par la nécessité de s'en sortir dans l'immédiat que les préoccupations pour l'avenir n'étaient pas aussi prononcées qu'on aurait pu s'y attendre. C'était le cas des femmes qui avaient de jeunes enfants. La retraite était quelque chose que peu d'entre elles pouvaient envisager.
Je vais citer une femme, une infirmière à la retraite, qui a continué de travailler sur appel parce qu'elle ne pouvait joindre les deux bouts avec sa pension d'infirmière, étant divorcée avec des enfants. Elle a dit :
C'est très triste de travailler toute sa vie et de ne toujours pas avoir assez pour vivre. Si j'avais un époux avec un deuxième revenu et si nous avions tous les deux des pensions, ce serait très bien. Mais tant que je suis en santé, je continue de travailler. Je continuerai probablement jusqu'à ce que j'aie 90 ans.
Mme Townson a fait remarquer cela quand elle a énoncé la mise en garde que la pauvreté chez les femmes plus âgées pourrait augmenter dans les années à venir, en conséquence des emplois non conventionnels. Elle a dit ce qui suit :
Les caractéristiques du travail rémunéré et non rémunéré changent. Une forte proportion des femmes qui font partie de la population active rémunérée ont des emplois à temps partiel et non conventionnels, y compris le travail autonome, auquel cas le faible revenu peut être doublé d'une sécurité d'emploi précaire, voire inexistante. Les femmes sont encore contraintes d'abandonner leur travail rémunéré à cause de leurs responsabilités familiales. De surcroît, la charge de travail non rémunérée qui échoit aux femmes pourrait s'alourdir alors que les compressions gouvernementales effritent la prestation des services sociaux par la fonction publique, dans l'intention que ces services peuvent être fournis « gratuitement » par les familles et que le vieillissement de la population provoque une hausse de la demande des soins aux personnes âgées. La protection découlant des régimes de retraite liés au travail diminue et le fait que les femmes gagnent un revenu inférieur les empêche encore d'épargner pour leurs vieux jours.
Nous savons d'après des études qu'environ une femme sur quatre ne prévoit pas pouvoir prendre la retraite. Elles prévoient travailler jusqu'à leur mort.
Voici les conclusions de ce rapport : à la lumière des récits qualitatifs, le travail non conventionnel semble être une lame à deux tranchants pour les femmes des régions rurales. D'un côté, il promet la flexibilité, une semaine de travail acceptable et une mesure d'autonomie. Les employeurs semblent capitaliser sur le désir des femmes de répondre aux besoins des autres, et ces femmes sont généralement exploitées. Elles ont souvent peu de sécurité, de faibles revenus et pas d'avantages sociaux.
Je ne parlerai pas des mesures provinciales qui sont nécessaires. Des changements à la politique fédérale s'imposent pour corriger les maux de ce nouveau milieu de travail. Nous recommandons, pour le Régime de pension du Canada, tandis qu'un nombre de plus en plus grand de femmes assument la charge de parents âgés, que des dispositions soient prises au niveau de la politique publique pour permettre à ces femmes de réduire leur engagement professionnel sans subir de pénalité financière à long terme.
Nous recommandons que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de l'administration du RPC envisagent d'élargir la clause d'exclusion pour élever des enfants afin de tenir compte d'autres responsabilités en matière de soins, comme ceux prodigués aux personnes âgées.
Concernant le financement de la garde d'enfants, cette question a été problématique pour un bon nombre de femmes. Tandis que le gouvernement provincial a réduit les dépenses consacrées à l'éducation des jeunes enfants, il a augmenté les normes pour l'attribution de permis aux services de garde en milieu familial et aux garderies au cours des 10 dernières années. Il est devenu difficile financièrement de mettre sur pied des garderies adéquates qui répondent aux normes provinciales.
En milieu rural, il est difficile d'avoir accès à des services de garde accrédités. Les parents peuvent utiliser les subventions uniquement à l'intérieur de ce cadre.
Les services de garde ne sont pas des produits qui s'inscrivent à l'intérieur d'un marché. Ce n'est pas une chose qu'un parent peut choisir d'acheter ou non sans qu'il n'y ait de répercussions importantes.
Nous exhortons le gouvernement du Canada à ne pas annuler les ententes provinciales sur le financement des services de garde et à continuer, avec les provinces, de trouver des solutions pour offrir des services de garde aux nombreuses familles qui en ont besoin.
À notre avis, un programme national de services de garde ne va pas à l'encontre des prestations familiales de 100 $ par mois adoptées par le gouvernement Harper. Les deux mesures sont complémentaires.
Le deuxième rapport que j'aimerais citer est notre rapport intitulé Barriers to Exiting Welfare. Cette étude repose également sur une recherche qualitative et a permis d'interroger 20 femmes du secteur rural du Sud de l'Alberta concernant les obstacles qu'elles ont rencontrés alors qu'elles bénéficiaient de l'aide sociale. La moitié des femmes étaient blanches, et l'autre moitié étaient autochtones.
Nous avons constaté que la pauvreté est une violence sociale capable d'invalider des individus en détruisant leur estime de soi et en minant leur santé ayant que leur espoir. Les personnes que les circonstances amènent à dépendre de l'aide sociale connaissent de près la pauvreté et ses effets. La pauvreté ne fait aucune discrimination quant à l'âge, la race et le sexe. Les femmes sont surreprésentées parmi les pauvres.
Le groupe que nous avons interrogé a cerné un certain nombre d'obstacles qui empêchent de s'affranchir de l'aide sociale en milieu rural. Je m'attarderai sur trois d'entre eux : le transport, l'éducation et les services de garde.
Quatre-vingt-dix pour cent des femmes ont affirmé que le transport était un obstacle. Dans l'ensemble, le transport public est inexistant, comme Mme Donahue l'a dit. La seule solution est de posséder un véhicule.
Un grand nombre de femmes nous ont dit qu'elles avaient perdu leur emploi parce que leur voiture était tombée en panne. Certaines conduisaient des voitures sans avoir d'assurances parce que le coût était prohibitif. D'autres se tournaient vers des solutions peu sécuritaires, comme l'auto-stop, pour se rendre au travail. Si les femmes en milieu rural n'ont pas accès à un moyen de transport sécuritaire et fiable, elles ne peuvent espérer occuper un emploi stable.
L'autre obstacle était l'éducation. Je vais reprendre à mon compte ce que Mme Donahue a dit. Parmi les 20 participantes, 18 se disaient préoccupées de ne pas avoir fait d'études suffisantes ou appropriées. Quatorze des 20 femmes que nous avons interrogées n'avaient pas de diplôme d'études secondaires. Le coût du perfectionnement ou de la poursuite des études était un obstacle pour la plupart d'entre elles. Une des femmes, que nous avons appelée Liana pour protéger son identité, nous a dit ceci :
Faire les études nécessaires pour obtenir un bon emploi constitue un énorme fardeau financier. Je croule déjà sous les dettes et je suis censée m'endetter encore pour obtenir la scolarité dont j'ai besoin. Je serai morte avant de pouvoir sortir de l'endettement.
Troisièmement, il y a les services de garde. Cette question est moins préoccupante pour les femmes qui ont l'appui d'une famille élargie dans la collectivité. Pour les autres, le coût d'un service de garde constitue un obstacle énorme. Peu de collectivités rurales ont des services de garde réglementés, et ce sont eux qui peuvent être subventionnés.
Bien que certaines femmes qui ont participé à notre étude estiment que les collectivités rurales offrent un accès facile aux membres de la famille qui sont prêts à offrir ces services, bon nombre de femmes constatent qu'elles sont isolées et n'ont pas accès à un service de garde abordable.
Toutes les femmes interrogées sont d'avis que l'emplacement de leur résidence a un effet sur leur capacité à devenir autonomes en raison d'une lacune au niveau de l'emploi ou de l'éducation. Les femmes refusent de déménager dans un plus grand centre parce que, disent-elles, leur réseau de soutien en milieu rural est essentiel à leur bien-être et à celui de leurs enfants.
Quatre-vingt-dix pour cent des femmes ont affirmé qu'il n'y avait pas d'emploi convenable dans leur localité. Pour un grand nombre, le transport est un obstacle à l'emploi, aux soins de santé, à l'éducation et aux services de garde.
Conclusions générales : dans nos deux études, il est apparu clairement que l'emploi et la pauvreté comportaient un caractère différent selon les sexes. La valeur des soins prodigués par les femmes à leur famille et à leur communauté était fréquemment sous-estimée. Les femmes se chargeaient de prodiguer les soins requis et c'étaient elles qui perdaient au change.
Trop souvent, la pauvreté dans notre pays porte le visage d'une femme. Nous vous prions de reconnaître que la pauvreté rurale est un problème qui touche davantage les femmes et de chercher des solutions assez souples pour concilier les choix faits par les femmes. Les collectivités rurales et urbaines dépendent des soins prodigués par les femmes. Les femmes ne doivent pas vivre dans la pauvreté pour offrir des soins.
Pour encourager les gens à continuer de vivre dans des localités rurales, nous exhortons le gouvernement fédéral à rétablir les ententes de services de garde avec les provinces; à maintenir les prestations pour les familles ayant des enfants de moins de six ans et à élargir l'admissibilité jusqu'à l'âge de 18 ans; à assurer des revenus annuels garantis, sujet dont d'autres témoins vous ont parlé auparavant, et à mettre en place des suppléments financiers; et, enfin à élargir la clause d'exclusion pour élever des enfants que comporte le Régime de pensions du Canada pour inclure d'autres formes de soins.
La présidente : Merci beaucoup. Votre témoignage nous est utile. Nous avons entendu des témoignages très variés lors de nos audiences; nous n'avions pas vu d'effort concerté jusqu'à ce soir. C'est important de le faire.
Darlene Wicks, présidente désignée, Alberta Women's Institutes : Mon approche est un peu différente. Nous avons divisé l'Alberta en cinq districts. Il y a 15 comtés, 69 divisions et environ 800 membres. Dans le mémoire, j'ai énuméré les objectifs de notre organisation. Nous sommes une organisation de femmes de tout âge qui évoluent grâce à la croissance personnelle, la communication et l'éducation. Nous avons différents ateliers éducatifs qui sont énumérés dans le mémoire.
Les choses dont je vais vous parler se trouvent dans le mémoire. Je vais vous en faire un résumé.
À mon avis, la pauvreté rurale n'est pas bien connue dans les régions rurales. Tout le monde connaît tout le monde. Il est mal vu de dire « Je suis pauvre ». Certaines personnes sont fières. Elles ne veulent pas l'admettre. Être pauvre en milieu rural crée de nombreux obstacles.
Imaginez que vous vivez dans un petit village à proximité de la frontière américaine. Vous êtes une mère célibataire avec deux jeunes enfants et vous avez peine à survivre. Vous n'avez pas de voiture. Vous ne pouvez pas vous déplacer et vous devez attendre que quelqu'un d'autre vienne vous chercher. Il n'y a pas d'autocar ni de service de taxi, alors vos déplacements sont limités.
Pour aller à la clinique, à l'hôpital ou chez le dentiste, seule ou avec vos enfants, vous devez parcourir au moins 15 kilomètres. Les spécialistes se trouvent dans les grandes villes. Cela signifie que vous devez voyager une heure pour vous rendre à Lethbridge ou trois heures et demie pour aller à Calgary. Si vous avez de la chance, il y a une caserne de pompiers à proximité qui peut vous aider en cas d'urgence.
Si vous achetez des provisions au dépanneur, les articles sont limités et le prix est deux fois plus élevé que dans la ville voisine, à 15 kilomètres de distance.
Si quelqu'un vous amène dans la ville voisine, vous avez deux épiceries, une quincaillerie, une pharmacie, une boutique de vêtements pour adultes, deux banques et un magasin de tissu.
Si vous cherchez un emploi dans le village, vous devez d'abord trouver une gardienne, ce qui n'est pas chose facile dans ce village. Vous finissez par trouver une personne à la retraite qui gardera vos enfants pendant que vous sillonnez le village à la recherche d'un emploi. Si vous avez assez de chance pour trouver un emploi, vous apprenez que votre salaire ne couvrira pas le coût d'une gardienne. Vous n'avez pas les moyens de travailler.
Pour demander des prestations de chômage ou des services sociaux, vous devez vous rendre à Lethbridge, à 100 kilomètres de distance. Vous vous demandez comment vous allez survivre.
Lorsque j'ai déménagé au village, presque tout le monde travaillait et vivait aux alentours. Par la suite, plus de personnes qui travaillaient au service des douanes vivaient entre 15 et 100 kilomètres du village, puis quelques-uns seulement vivaient dans le village même, parce que plus de gens faisaient la navette.
Des gens à Ottawa ont décidé que le village n'était pas un endroit convenable pour vivre, et une indemnité de transport quotidien a été accordée aux gens qui se déplaçaient sur 15 kilomètres ou plus. Les personnes qui choisissaient de vivre et de travailler au village considéraient qu'il était injuste que d'autres soient payés pour se déplacer.
Le service des douanes a construit un gros bâtiment pour aider le village à palier la perte de recettes fiscales attribuables à la fermeture des entreprises.
La plupart des employés ont 30 minutes pour dîner. Comme il faut 10 minutes pour sortir de l'immeuble et se rendre au stationnement, les employés peuvent difficilement assister à des dîners ou à des activités de financement organisés au village. Le village a remarqué une baisse dans ce domaine.
Cette indemnité a été payée et n'a pas rapporté au fil des ans. Des enseignants vivent à plus de 15 kilomètres. Certains employés de l'hôpital ne sont pas toujours de la région. Ils parcourent 100 kilomètres pour aller travailler.
Notre village a vu des entreprises fermer leurs portes lorsque la route a été élargie à quatre voies. La station-service a été vendue et le propriétaire ne voulait pas continuer. Nous faisons 15 kilomètres pour acheter de l'essence; nous pouvons aussi passer les douanes pour traverser la frontière et faire le plein aux États-Unis, à environ un kilomètre, sans parler des files d'attente.
Nous avons perdu une de nos églises. Une autre peine à rester ouverte. Les organisations qui aident les autres dans la communauté agonisent. Quant aux bénévoles, leurs activités cessent seulement s'ils déménagent ou s'ils meurent. Les mêmes personnes font partie de deux organisations ou plus dans la petite ville ou le village. L'aide que reçoivent les petites villes s'effrite.
Les membres de notre organisation font tout ce qu'elles peuvent pour aider leur collectivité. Elles font des dons à la banque alimentaire et aux refuges pour femmes, elles donnent des vêtements aux œuvres de charité et elles aident les familles en cas de besoin et de catastrophes.
Dans le cadre d'un projet, les Alberta Women's Institutes ont conclu un partenariat avec On Eagles Wings pour aider les personnes isolées du Nord de l'Alberta. Les communautés dans le besoin sont Wabasca et Fort Chipewyan, qu'on ne peut atteindre que par avion, sauf pendant quelques mois l'hiver. Nous avons donné des layettes pour bébés, des vêtements pour jeunes enfants, des couvertures, des courtepointes et des jetés. Le révérend Lesley Hand, pasteur du Nord de l'Alberta et de la Saskatchewan, dirige une école biblique l'été et, à l'heure actuelle, nous confectionnons des sacs de livres pour les enfants. Nos membres ont tellement donné que le révérend Hand songe à envoyer une partie des vêtements dans le Nord de la Saskatchewan.
Notre organisation s'occupera de la formation ou des ateliers nécessaires pour améliorer la communauté. Nous avons invité Anne Zimmerman, de l'organisme On Eagles Wings, à participer à notre congrès en mai prochain pour parler de ce projet.
Notre organisation fait aussi partie de la Fédération des instituts féminins du Canada. Celle-ci avait un projet intitulé Into the North pour Hopedale et Sheshatshui, au Labrador, deux autres communautés qu'on peut atteindre par avion. On nous a demandé de fournir des couvertures pour bébés, des vêtements pour bébés et jeunes enfants ainsi que des livres. Plus de 13 000 $ et 73 boîtes de vêtements ont été recueillis. L'argent servira à offrir des ateliers et de la formation pour la région.
Cette année, la Fédération des instituts féminins du Canada a divisé le Canada en six régions différentes. Chaque région doit décider dans quel secteur ou quelle localité l'aide doit être dirigée. Les régions regardent aussi les écoles.
Notre organisation appartient à l'Union mondiale des femmes rurales, dont le siège social se trouve à Londres. Le Canada a une représentante qui assiste aux réunions à Londres avec d'autres membres provenant du monde entier.
En trois ans, le Canada a donné 7 000 $ au groupe d'agriculteurs de Lorgot, au Kenya, pour la réalisation d'un projet visant à mettre à la disposition des gens un édifice pour entreposer leurs fruits et leurs légumes et à produire des emplois.
Avec l'argent supplémentaire, nous avons aidé des femmes en Inde en leur enseignant des techniques de taillage de pierre, de fabrication de gravier et de vente. Cela leur donne un petit revenu.
Nous avons également contribué au projet d'assainissement de l'eau de Gweocca, en Ouganda. Nous avons creusé un puits pour que les femmes aient accès à de l'eau de meilleure qualité, plus près de chez elles.
Au cours des trois prochaines années, nous allons recueillir 7 000 $ pour un projet d'alimentation et de restauration en Tanzanie. Le but en est de former les femmes en nutrition et en restauration. Les profits serviront à agrandir l'entreprise et à améliorer la qualité de vie de la famille. Toute la collectivité en profitera, parce qu'une partie des profits serviront à faire la promotion de la santé et de l'éducation pour la survie des enfants.
On voit que les femmes, les enfants et les collectivités dans le besoin se sont retrouvés dans la pauvreté en raison de l'abus d'alcool et d'autres drogues, du chômage, de la violence, de divers handicaps ou de la perte de fermes.
Ce ne sont là que quelques exemples de causes de la pauvreté dans notre province et dans le monde.
La présidente : Merci à vous toutes. C'est la première fois qu'on nous présente un témoignage de la sorte si détaillé. Vous faites un travail extraordinaire.
Compte tenu de toutes les organisations avec lesquelles vous travaillez, pour combien de femmes parlez-vous?
Mme Wicks : Dans mon organisme, il y en a au moins 800. À la Fédération des instituts féminins du Canada, il y en a beaucoup plus. Cet organisme est présent dans les dix provinces du Canada. Il se réunit tous les trois ans.
J'ai joint à mon mémoire un exemplaire du rapport de projet de l'Union mondiale des femmes rurales sur ce qui se passe dans le monde. J'y ai également joint un numéro de la revue de l'Alberta Women's Institute et vous ai laissé les liens vers les sites web.
Mme Lambert : Notre organisme est compliqué. Nous avons une liste de plus de 400 membres. Je ne pourrais pas vous donner le chiffre exact. Je sais que nous avons plus de 400 membres en ce moment.
Mme Donahue : Je ne peux pas dire que nous représentons seulement des femmes. Nous formons une coalition. Nos membres viennent des domaines de la santé, de l'éducation et des services sociaux du secteur public, ainsi que des organismes à but non lucratif, de même que des collectivités touchées par la pauvreté. Je ne peux pas vous donner de chiffre.
La présidente : Vous avez sans doute une grande portée. Merci.
Le sénateur Mercer : J'aimerais vous remercier toutes les trois de votre témoignage. La présidente a raison. C'est la première fois que nous entendons le point de vue des femmes de trois organismes différents qui font un travail similaire.
Madame Lambert, j'espère que vous n'êtes pas la seule féministe dans la pièce. J'aime bien me considérer comme tel moi-même.
Vous avez parlé de la subvention de 100 $ par mois du nouveau gouvernement. Vous n'êtes pas contre cette subvention, mais aide-t-elle vraiment les gens? Nous avons entendu dans une province en particulier que dès que cette subvention de 100 $ est apparue, les frais de garde ont miraculeusement grimpé de 100 $.
Mme Lambert : Nous ne nous opposerions pas à la prestation de 100 $ par mois si on l'appelait une allocation familiale, puisque c'en est une. Nous sommes contre l'appellation de programme national des garderies. Ce n'est pas un programme national des garderies. C'est une allocation familiale. Nous pensons que les allocations familiales sont fantastiques.
Je suis en train de diriger de nouveaux groupes de consultation en vue de la préparation d'un nouveau rapport. Cette expérience a été fort intéressante. J'ai dirigé un groupe de consultation composé de jeunes femmes de moins de vingt ans ayant de jeunes enfants. Elles étaient toutes très, très pauvres.
Je leur ai demandé ce que représentaient 100 $ pour elles. Pour certaines d'entre elles, qui ont 600 $ par mois pour élever leurs enfants, c'est une somme importante. J'ai été étonnée d'entendre ce qu'elles m'ont dit. L'une d'elles m'a dit que le gouvernement pourrait bien garder ces 100 $ par mois si seulement elle pouvait avoir accès à une garderie. Elle a reconnu que cet argent l'aidait, mais elle voulait que son gouvernement lui offre des services.
Le sénateur Mercer : Si elle paie de l'impôt, elle se rendra compte que cet argent est imposé.
Mme Lambert : Je suis certaine que vous savez que les gens qui ont le plus besoin d'argent trouvent l'impôt élevé.
Mme Donahue : J'aimerais dire quelque chose à ce propos moi aussi. Récemment, Dieu merci, j'en ai terminé avec les garderies. Je pense que cet argent m'aurait permis de payer deux jours et demi de garderie par mois pour mes deux enfants, qui étaient à la garderie à l'époque. Il s'agissait d'une garderie non réglementée. Ce n'est vraiment pas beaucoup.
Dans le contexte de la pauvreté, la question des garderies elle-même est d'autant plus contraignante. Nous devons veiller à la mise en place d'un programme national de garderies.
Le document que je vous ai donné et qui date de deux ans appuie sur toute la ligne la création d'un programme national de garderies. Selon les recherches récentes que nous avons sur le développement des jeunes enfants, cette période est extrêmement importante pour le développement de l'enfant, du cerveau et du reste. La population des enfants à faible revenu est celle des enfants les plus susceptibles de connaître des retards de croissance et des problèmes de santé; pourtant, c'est souvent à leurs parents qu'on refuse des prestations pour jeunes enfants et pour enfants d'âge préscolaire.
Le sénateur Mercer : Madame Lambert, vous avez utilisé les mots « revenu annuel garanti » dans votre exposé. J'aimerais savoir si les deux autres témoins ont une opinion à cet égard. Le revenu annuel garanti est-il un thème commun dont vous entendez parler partout au pays?
Mme Donahue : Je ne peux pas dire que nous serions contre, dans la mesure où il n'y a pas d'impôt supplémentaire ni de disposition de récupération à l'échelle provinciale, comme il y en a eu pour d'autres programmes.
Le sénateur Mercer : Tout à fait.
Mme Wicks : La femme qui travaille à la maison n'a jamais été payée. Il serait bon qu'elle le soit. Elle travaille beaucoup.
Mme Lambert : Il y a des pays dans le monde qui paient les fournisseurs de soins à domicile, qui sont le plus souvent des femmes, mais pas toujours. L'exemple du Venezuela mériterait qu'on s'y attarde.
Le sénateur Mahovlich : Madame Lambert, vous avez mentionné l'élargissement des dispositions d'exclusion pour élever des enfants prévues dans le Régime de pensions du Canada pour inclure d'autres formes de soins.
Mme Lambert : Je suis certaine que vous avez déjà entendu parler de la génération sandwich. Les gens de cette génération doivent s'occuper de leurs parents âgés, de même que des enfants. J'aimerais élargir cette disposition à la « génération club sandwich » dont je fais partie. Il y a deux générations avant moi qui ont besoin de soins et une après. Je m'occupe de quatre adultes plus âgés que moi et de deux enfants. Tout le monde mange. C'est incroyable. Nous sommes pris en sandwich dans cette génération club sandwich.
Je m'occupe d'eux depuis la naissance de mon deuxième enfant, il y a six ans. Depuis que j'ai pris cet emploi, soit depuis plus de six ans, je n'ai pas cotisé à un régime de pensions du gouvernement ni à un régime de pensions en milieu de travail. J'ai presque 40 ans. Cela commence à devenir un enjeu pour moi.
Selon le Régime de pensions du Canada, je serais admissible à une exclusion pour élever des enfants. Il n'y a aucune disposition en ce moment qui me permet de prendre soin de personnes âgées, qu'elles aient besoin de soins de longue durée ou non.
Plus des deux tiers de ces soins leur sont offerts par des femmes. Il faut reconnaître l'utilité et la valeur de ces soins. C'est la raison principale pour laquelle plus de 50 p. 100 des femmes célibataires de plus de 65 ans vivent dans la pauvreté. Elles se sont occupées d'autres personnes.
Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les femmes prennent soin des autres et qu'elles en subissent les contrecoups. Il faut reconnaître la valeur de ces soins.
J'espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Mahovlich : Oui, pouvez-vous nous l'expliquer? Je n'ai jamais entendu la chose présentée de cette façon.
Vous avez dit qu'il y avait des personnes qui devaient travailler jusqu'à l'âge de 80 ans. Il y a peu d'emplois pour les gens de cet âge. Ils vont avoir de la difficulté.
Mme Lambert : Beaucoup de gens quittent leur première carrière et en entament une deuxième. Ils travaillent dans l'industrie des services ou dans des magasins, par exemple. Le Wal-Mart en est un bon exemple. Les personnes à l'entrée du Wal-Mart sont rarement jeunes.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné la Tanzanie et votre intervention là-bas. Y a-t-il des réussites en Tanzanie? J'y suis allé il y a quelques années.
Mme Wicks : C'est un comité qui nous donne nos projets. De plus, la présidente de la région examine ces projets en détail pour s'assurer de leur validité. Nous recevons un rapport à la fin de nos trois ans.
Quand j'irai à Turku, en Finlande, on me remettra un rapport sur la façon dont notre argent est investi. Parfois, il y a des gens de l'Afrique du Sud qui viennent donner des ateliers à la conférence. Nous apprenons beaucoup de choses et rencontrons des gens des autres pays.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que vous faites des progrès?
Mme Wicks : Oui.
Le sénateur Banks : Je ne sais pas si nous aurons le temps de participer à une assemblée publique. Si nous le pouvons, mais pas maintenant, j'aimerais poser une question très dure, polémique et impopulaire. Je soulignerai que le phénomène de l'emploi atypique n'est pas particulier au Canada rural. On le voit partout. C'est un problème de pauvreté. C'est un problème dans la population active. C'est la façon dont les choses se passent. Personne n'aime cela. Différentes personnes trouvent qu'elles n'ont pas accès aux pensions, et cela non seulement dans les régions rurales.
Je vais faire une observation sur laquelle j'aimerais que chacune d'entre vous se prononce. Nous entendons dire que les femmes des régions rurales sont désavantagées sur le plan des débouchés d'emploi et de l'accès à l'éducation, au transport, aux services sociaux et à la garde des enfants. Ce n'est pas d'hier. Il n'y a rien de nouveau là-dedans.
En comparaison avec les masses critiques de personnes des régions urbaines, les gens des régions rurales ont toujours été désavantagés, si on peut le dire ainsi, pour ce qui est de l'accès à tous ces services.
Du point de vue de la plupart des gouvernements, il y a un seuil pratique jusqu'auquel on peut se permettre, si c'est le bon mot, d'établir ces services sans masse critique. On ne peut pas offrir de système de transport en commun à 150 kilomètres de Saskatoon.
Malgré ces désavantages, ces femmes ne veulent pas déménager — et non seulement elles, mais les hommes non plus. Elles ne veulent pas perdre leur réseau de soutien, comme vous le dites. Comment pouvons-nous concilier tout cela? Que peut-on faire à cet égard?
Mme Donahue : Je vais répondre la première.
Lorsque nous travaillons avec des collectivités dans le but de mettre un frein à la pauvreté, nous cherchons à les aider à trouver et à concevoir leurs propres solutions. Parfois, ces solutions sont très novatrices.
Il y a des obstacles comme l'assurance et la responsabilité. Parfois, les gouvernements, pour qui je travaille depuis 25 ans, représentent davantage un obstacle qu'une aide.
Il n'y a pas assez de capitaux dans ces petites collectivités pour financer ces solutions. C'est le concept de la décimation du capital social présenté par Robert Putnam dans son article Bowling Alone : America's Declining Social Capital.
Nous n'avons pas de clubs sociaux. Nous n'avons pas de possibilité de levées de fonds. Il doit y avoir des moyens de financement et du capital de départ pour ces projets.
Souvent, les partenaires fédéraux avec qui je travaille dans les projets de développement des collectivités rurales et de lutte à la pauvreté n'offrent du financement que pour un an. Ces fonds ne sont pas suffisants. Le temps que la collectivité se mobilise, qu'elle acquière les compétences requises et qu'elle adapte son calendrier en fonction de l'agriculture ou de l'école, le financement est terminé et c'est la fin.
C'est clairement l'objet de l'une de nos recommandations à l'Agence de santé publique du Canada.
Pour que les collectivités soient durables, les solutions doivent venir d'elles-mêmes et non seulement découler des politiques. Elles ont beaucoup de bonnes idées. Elles doivent surmonter les obstacles, comme l'assurance. Mme Lambert et moi parlions justement de la possibilité d'offrir des services de transport par autobus scolaire et des moyens de convaincre les administrateurs scolaires d'embarquer dans le projet.
Mme Lambert : Ma grand-mère a grandi ici, dans le Sud de l'Alberta. Elle a 98 ans. Elle voyageait en train. Ce n'est plus possible pour moi. Je vis dans une municipalité rurale. Le train passe juste à côté de chez moi, mais je ne peux pas le prendre.
Mais cela n'a pas toujours été ainsi et, si ça se trouve, nous avons déjà fait mieux. Il serait peut-être bon de jeter un regard sur le passé, comme le dit Mme Donahue, et d'envisager de nouvelles façons de travailler.
Ma grand-mère pouvait consulter un médecin sur place. Moi, je n'ai pas cette chance; je dois me déplacer pour en voir un.
De nombreux services qui étaient offerts auparavant aux petites communautés ne le sont plus aujourd'hui.
Mme Wicks : L'autre différence, c'est que nous, les baby-boomers — comme on nous appelle —, nous vieillissons, mais nous nous portons quand même bien. Ce sont plutôt nos parents ou nos grands-parents qui pâtissent de cette situation dans certaines petites villes. Ils ont tout fait et n'en peuvent plus.
Les nouveaux arrivants ne restent pas longtemps dans les petites villes. S'ils le font, ils reçoivent une forme de compensation. D'ailleurs, des courtiers se sont fusionnés dans notre région : une compagnie a racheté deux autres maisons de courtage. Cela signifie que les affaires vont bien aller pour eux pendant encore un an. Maintenant, les gens commencent à partir, et la compagnie ne les remplace pas. Certains se tournent vers le secteur pétrolier, car c'est plus rentable.
Notre société compte des membres de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Ils ont leur propre œuvre de bienfaisance et s'entraident. Outre le fait qu'ils sont financés par l'Église, nous n'en savons pas beaucoup sur ces gens.
Le sénateur Banks : Cela m'amène à ma question déconcertante, que je vais poser plus tard s'il reste du temps.
Le sénateur Mercer : Personne ne va partir maintenant.
La présidente : Vous y tenez mordicus, n'est-ce pas, sénateur Banks? Vous pouvez la poser maintenant.
Le sénateur Banks : Cela prendrait quelques minutes.
La présidente : Je vais d'abord poser une brève question, puis vous pourrez poursuivre avec la vôtre, quelle qu'elle soit.
Avec un tel groupe de témoins, je ne peux pas vous laisser partir sans aborder la question de l'alphabétisation. D'ailleurs, je sais que vous y avez fait allusion dans vos allocutions.
L'apprentissage commence à la maison et, à mon avis, on ne l'a pas très bien compris dans notre société. Si les parents ne sont pas capables de lire, d'écrire ou de communiquer, les enfants seront plus susceptibles d'éprouver des difficultés. Nous sommes présentement aux prises avec ce problème au Canada.
Dans quelle mesure la sous-alphabétisation est-elle liée aux difficultés que vous avez décrites?
Mme Wicks : Un agriculteur étranger est venu s'installer au Canada. Il semblait cultivé. Il savait lire et écrire. Son fils a fréquenté la même école que ma fille cadette, à Coutts.
Aujourd'hui, celui-ci ne peut même pas écrire son nom et n'est pas du tout intéressé à l'apprendre. Il signe ses chèques par un « X », se présente à la banque avec un chèque en blanc et demande qu'on y inscrive le montant. Il n'a aucune volonté d'apprendre.
À qui la faute : aux parents ou à l'école? Je sais que pendant longtemps, à Coutts, les gens considéraient que notre système scolaire était déficient. Certains avaient la double citoyenneté et envoyaient leurs enfants étudier de l'autre côté de la frontière.
Lorsque ceux-ci revenaient, après l'université, ils avaient du mal à se trouver un emploi. Il y a donc des avantages et des inconvénients. C'est le seul cas que je connaisse dans notre région.
Je sais que la Fédération des instituts féminins du Canada, il y a trois ans, et peut-être même six, offrait des programmes d'alphabétisation en Alberta et ailleurs au Canada. Nous en avons des vidéocassettes. Les gens admettront rarement qu'ils ne savent ni lire ni écrire.
La présidente : C'est quelque chose qu'on a du mal à croire. Certains parents attendaient que leurs enfants entrent à la maternelle ou en première année avant de se préoccuper de leur apprentissage.
Chez l'enfant, toutes les connections neuronales propres à l'apprentissage se mettent en place jusqu'à l'âge de 18 mois. Un nourrisson qui n'aura pas été suffisamment stimulé par son entourage proche — famille, parents — durant cette phase cruciale de son développement sera susceptible d'éprouver des difficultés scolaires.
Le développement précoce est-il quelque chose que comprennent les gens avec qui vous travaillez?
Cela signifie qu'on doit aider non seulement l'enfant, mais aussi le parent, ce qui est difficile, car celui-ci doit jouer le rôle d'enseignant. Sans cette éducation préscolaire, l'enfant risque d'avoir des troubles d'apprentissage.
Mme Lambert : Dans notre rapport sur les obstacles que rencontrent les assistées sociales, nous disons que 14 femmes sur 20 n'avaient même pas de diplôme d'études secondaires. Il existe une forte corrélation entre éducation et pauvreté. Un manque d'instruction entraîne souvent la pauvreté.
Nous sommes préoccupés par l'idée du nouveau gouvernement, dont vous avez parlé plus tôt, selon laquelle tout le monde devrait pouvoir s'instruire jusqu'en douzième année.
La réalité, c'est que pour de nombreuses personnes, il y a d'autres facteurs qui nuisent à l'apprentissage. Comme communauté, nous devons reconnaître que ce n'est pas tout le monde qui peut obtenir un diplôme à 17 ou 18 ans. À cause de certaines circonstances, les gens doivent poursuivre leurs études plus tard, et il faut leur laisser cette possibilité.
Mme Donahue : Comme j'ai travaillé dans le domaine de la santé, je peux me prononcer davantage sur cette question. De toute évidence, la pauvreté et le manque d'instruction sont un cercle vicieux.
Comme vous l'avez indiqué, selon des recherches médicales récentes, pour être efficace dans le développement de la petite enfance, il ne faut pas s'intéresser qu'à l'enfant, mais aussi à ce qu'on appelle « la dyade et l'interaction parent- enfant ». Je suis certaine que vous en avez déjà entendu parler.
En Alberta, j'ai assisté à une téléconférence, quelques mois avant Noël, au cours de laquelle nous avons discuté de l'élaboration d'outils de dépistage précoce.
Les approches en matière d'alphabétisation ont tendance à être normatives. Par exemple, en ce qui concerne le développement de la petite enfance, on doit mettre sur pied un programme structuré.
De nombreux programmes dispensés, si je puis me permettre, ne reposent pas sur des recherches. On les a créés parce que c'est un sujet à la mode. Nous avons besoin de données solides.
Pour offrir un programme à l'échelle provinciale, on doit pouvoir se fonder sur des données. Le programme doit être évalué. Le gouvernement ne doit pas mettre en œuvre un programme dans le seul but de bien paraître aux yeux du public.
Si nous devons fournir un revenu garanti ou un revenu stable ainsi que des programmes d'alphabétisation, eh bien, allons-y.
Dans notre région, on a réduit les services dentaires. On considérait qu'ils étaient futiles. Malheureusement, au cours de la dernière décennie, on a accordé beaucoup moins d'importance à la santé publique.
D'après nos recherches, nous observons une augmentation des dents cariées chez les jeunes enfants. En tant que mère bénévole dans les écoles, je peux en témoigner. Pourtant, le gouvernement albertain versait une prestation pour la santé des enfants. Pourquoi, alors, les gens n'en profitaient-ils pas? C'est simple : parce que les gens illettrés ne sauront pas remplir tous les formulaires requis. Du coup, ils privent leurs enfants de soins. Voilà un exemple concret de la situation.
La présidente : C'est une étape différente vers la démarche que vous avez si bien décrite, et votre expérience y est pour beaucoup.
Vous avez fait œuvre utile. Je vous remercie beaucoup d'être venue témoigner ce soir.
Paula Shimp, à titre personnel : Sénateur Fairbairn et membres du comité, je suis une Albertaine du Sud de la quatrième génération.
Je m'inquiète des récentes tendances concernant l'orientation de nos communautés rurales, leur composition, les possibilités qu'elles ne peuvent plus offrir à leurs enfants et les difficultés grandissantes auxquelles elles sont confrontées.
Je vais vous proposer une solution rurale à un problème rural.
Tandis que j'entrais dans la salle, je me suis rendu compte que j'avais un peu de boue sur mes pantalons, et que j'avais donc apporté un peu de mon coin de pays avec moi; j'espère que cela ne vous gêne pas.
La présidente : Pas du tout.
Mme Shimp : En Alberta, il existe de graves iniquités en matière de financement des programmes caritatifs en milieu rural. Stasha Donahue vous a parlé des crises de financement qui nuisent aux programmes dans nos communautés rurales. Je m'intéresse aux réseaux de charité qui offrent des activités caritatives aux familles et aux enfants de nos collectivités.
La plupart de nos régions rurales accusent un manque de financement caritatif actif et à grande échelle. Vous pourriez envisager de mettre sur pied une fondation rurale pour l'Ouest canadien.
L'Alberta compte 11 fondations United Way ayant toutes leur propre district de financement. Un bon ami à moi, qui siégeait au conseil d'administration de United Way à Calgary, croyait que toutes les zones géographiques de la province étaient couvertes par cet organisme. Mais c'est faux. Seulement 40 p. 100 environ du territoire albertain — en fait, du pays; cela varie d'une province à l'autre — est desservi par United Way.
En 2004, l'Alberta comptait trois millions d'habitants : deux en zone urbaine et un en zone rurale. La totalité des Albertains vivant dans les villes avaient droit aux services de United Way, tandis que seulement 18 p. 100 de ceux des zones rurales étaient admissibles à du financement en vertu d'un service ou d'un programme de cet organisme.
Toujours en 2004, les fondations United Way de l'Alberta ont amassé 52 millions de dollars. Depuis l'essor économique, elles ont recueilli plus de cent millions de dollars.
La situation se corse, car le Sud de l'Alberta possède les réserves d'énergies fossiles les plus importantes au monde après l'Arabie saoudite.
Je suis experte-conseil en collecte de fonds. Nous soumettons des demandes de subventions à toutes les grandes compagnies pétrolières. Mais comme ces dernières doivent veiller aux intérêts de leurs actionnaires, elles accordent du financement uniquement pour des programmes ou des projets d'immobilisations visant des régions où elles exercent des activités.
Les grandes entreprises pétrolières et gazières envoient du personnel de Calgary jusqu'ici pour extraire les ressources, et versent 500 000 $, 700 000 $ ou 1 million de dollars pour les programmes de United Way à Calgary, mais ne donnent rien pour les régions rurales.
Dans les campagnes, nous assistons à un afflux de familles immigrantes et de réfugiés soudanais. En Alberta, ils sont 14 000. Quant aux Mennonites mexicains, ils sont 14 000 ou 15 000. Je pense que Mme Donahue connaît les chiffres exacts. Nous avons de nombreuses communautés mennonites et autochtones. Nous ne pouvons recueillir 14 000 $ pour financer les programmes scolaires de trois écoles destinés à aider nos étudiants autochtones, mais je peux amasser 250 000 $ pour Fort Whoop-Up, comme je l'ai fait il y a deux ans.
Nous pourrions envisager la création d'une grande fondation rurale. Cela nécessiterait d'importants investissements. Un ami à moi, Murray Edwards, a laissé entendre qu'il nous faudrait de 500 000 à 1 million de dollars. Il a ajouté que j'aurais besoin d'une recommandation à l'égard de certaines lois sur les redevances, qui émanerait de la province de l'Alberta, ainsi que du soutien du gouvernement fédéral et des assemblées législatives rurales.
Je ne suis pas sûre que vous compreniez nos besoins. Nos enfants des régions rurales de l'Alberta qui ont de grandes habiletés athlétiques peuvent aller n'importe où, car il existe un réseau urbain qui se rend jusqu'aux zones rurales et qui leur permet d'exercer leurs talents et de réussir.
Pour nos étudiants ayant un excellent dossier académique, il existe un réseau scolaire qui leur permet d'aller de l'avant et de réussir s'ils arrivent à terminer leurs études dans le système d'enseignement public.
L'an dernier, les frais de scolarité que j'ai eu à assumer pour deux enfants s'élevaient à 1 500 $, montant qui ne tient pas compte des voyages à l'extérieur de la province.
Il y a quatre ans, j'étais malade et je vivais sous le seuil de la pauvreté, mais je devais quand même payer ces droits de scolarité provinciaux très élevés.
Si nos enfants des régions rurales ont des talents musicaux ou sont doués pour le chant — l'une de nos filles a été remarquée par Barbara Sinatra, qui l'a invitée aux États-Unis pour qu'elle chante à son événement de polo. Elle a fait la première partie du spectacle de Ian Tyson à l'âge de huit ou neuf ans. C'est une chanteuse incroyable.
Je tente de l'aider à lancer sa carrière. Nous organisons rencontre après rencontre. C'est grâce à nos programmes caritatifs que nous pouvons favoriser l'éclosion de talents dans le domaine des arts du spectacle. Dans les régions rurales, ces programmes ne sont pas offerts; pourtant nous avons de nombreux enfants doués.
Je ne vous ennuierai pas avec les détails, mais sachez que j'ai élaboré une proposition de financement global. Si cela vous intéresse, je serai enchantée de vous la faire parvenir au cours des prochaines semaines.
Si vous croyez que la population rurale sait comment régler les problèmes qui lui sont propres et trouver des solutions, et si nous pouvions obtenir un financement de démarrage et les infrastructures nécessaires, nous serions capables de faire de petits investissements et de changer grandement le sort de nos familles aux prises avec de sérieux problèmes de santé, ou de ceux qui ont des talents particuliers et qui cherchent à percer.
La présidente : Merci beaucoup, madame Shimp. C'est agréable de vous voir. Si vous avez des gens comme ce vieil ami, Murray Edwards, pour vous conseiller, vous êtes bien entourée. Ne le laissez pas filer.
Mme Shimp : Là n'est pas mon intention.
Le sénateur Mercer : J'aimerais beaucoup lire votre proposition.
Je travaille comme collectrice de fonds depuis 1978. J'ai déjà présidé l'Association of Fundraising Professionals.
Mme Shimp : C'est une merveilleuse organisation.
Le sénateur Mercer : Merci. Je pense que vous avez mis le doigt sur une réalité dont nous n'avons pas parlé, mais qui existe dans le Canada rural, et probablement aussi dans le reste de l'Amérique rurale, soit que United Way ne couvre pas tout le territoire.
United Way est présente à Halifax-Dartmouth, mais les gens qui vivent à l'extérieur de cette zone ne sont pas couverts. Cependant, leurs besoins sont tout aussi grands.
À Ottawa, nous avons assisté à une séance d'information organisée par un groupe appelé « Réseau des communautés côtières », que nous avons réentendu en Nouvelle-Écosse. De ce réseau est né un autre organisme — et il est possible que je cite mal son nom; nous allons vérifier dans nos notes —, le Rural Communities Foundation of Nova Scotia, mis sur pied grâce à des fonds qui restaient de quelques petits programmes, ainsi qu'à des dons. Donc, cette fondation existe maintenant.
Son objectif est de financer uniquement des projets en milieu rural, et elle redéfinit son mandat tous les ans. Une année, elle peut décider de financer les soins de santé, et la suivante, l'alphabétisation. Elle accorde des bourses partout en Nouvelle-Écosse, mais exclusivement dans les régions rurales. Il existe un précédent pour ce type de fondation rurale.
Mme Shimp : Je comprends.
Le sénateur Mercer : Une partie de l'argent vient d'un organisme équivalent au fonds de diversité de l'Ouest canadien. Il restait de l'argent d'un programme, et on a choisi de le conserver et de l'investir dans la fondation.
Mme Shimp : Il y a moyen de faire beaucoup en commençant avec peu. Je sais que des millions de dollars sont disponibles, mais je dois d'abord obtenir du support financier pour mettre ce projet en marche. Pour mettre sur pied une foundation rurale pour l'Ouest canadien, il me faudrait un financement garanti de trois ans.
Je peux vous expliquer mes besoins et vous donner davantage de précisions. Dans cette province, il y a non seulement les United Ways, mais aussi une fondation de Calgary qui possède des actifs de plus de 300 millions de dollars; la Edmonton Community Foundation a quant à elle des actifs semblables, quoique moindres, et elles représentent environ deux millions de personnes.
Murray Edwards a recommandé que, dans la mesure du possible, on institue deux incitatifs fiscaux spéciaux pour ceux qui feront des dons à la fondation au cours de ses trois premières années d'existence. Il souhaitait que l'on applique une déduction fiscale spéciale de 50 p. 100 pour les dons aux organismes de charité de l'Alberta — malheureusement, cela ne concerne que l'Alberta. Les sociétés pétrolières commanditaires auraient droit à une déduction fiscale de la province au titre des redevances. Nous voudrions que celles-ci soient équivalentes à 50 cents par dollar versé.
M. Edwards nous a garanti que si nous pouvions le faire, nous obtiendrions beaucoup d'argent en peu de temps. Il a recommandé que nous ne nous arrêtions pas à l'Alberta, car les Albertains donneraient en sachant que leur argent servirait aux communautés rurales de leur province, du Manitoba, de la Saskatchewan et de notre voisine, la Colombie-Britannique.
Nous avons tant en commun. En ce moment, des gens de la Saskatchewan et du Manitoba viennent ici pour soutenir notre marché du pétrole. Nous disposons d'une occasion unique de créer une fondation d'envergure. J'aimerais vous la décrire pour que vous puissiez y réfléchir.
Le sénateur Mercer : Merci. Je trouve l'idée intéressante. Si le Canada rural est laissé pour compte par le gouvernement, il est également négligé par les organismes de charité. United Way ne dessert pas l'ensemble du Canada rural.
Nous pensons tous aider tout le monde en faisant des dons à cet organisme, mais ce n'est pas le cas.
Mme Shimp : Non.
Le sénateur Banks : Vous devriez poursuivre vos efforts. Le jeu en vaut la chandelle.
Mme Shimp : Cela mérite un soutien financier, sénateur.
Le sénateur Banks : Je crois que de ce côté-là, vous avez davantage de chances de réussite au niveau provincial.
En ce qui concerne cette jeune chanteuse, avez-vous sollicité le soutien de l'Alberta Foundation for the Arts?
Mme Shimp : C'est ce que nous sommes en train de faire.
Le sénateur Banks : L'Alberta Foundation for the Arts, contrairement à d'autres organisations dont vous avez parlé, est pan-albertaine. Elle a surtout aidé des artistes ne résidant pas à Edmonton et Calgary.
Mme Shimps : C'est exact. J'ai parlé avec un de ses directeurs la semaine dernière.
Le sénateur Banks : Très bien.
Mme Shimp : Il a fait valoir que ce n'était pas parce que Mme Sinatra trouvait qu'elle avait une belle voix que cette jeune chanteuse aurait tout cuit dans le bec.
Le sénateur Banks : Non. On doit essayer et tenter sa chance, comme à la loterie.
Mme Shimp : Tout à fait. Je vous remercie grandement, sénateur Banks.
La présidente : Merci beaucoup, madame Shimp. Je suis heureuse que vous ayez pu venir.
J'aimerais tous vous remercier, en particulier ceux qui sont restés sagement assis toute la soirée à écouter ce qui fut, du début à la fin, l'une de nos meilleures séances. Je sais que cela prend du temps. Il faut du courage pour se présenter et faire ces déclarations.
Merci à tous. Vous nous avez donné beaucoup matière à réflexion. Vos opinions seront reflétées dans notre rapport final, qui nécessitera quelques mois de préparation. Nous sommes ravis que vous ayez pris le temps de venir, et contents d'être ici. Sur ce, soyez prudents sur la route, et bonne chance dans vos efforts pour améliorer notre société.
La séance est levée.