Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 26 - Témoignages du 15 mai 2007
OTTAWA, le mardi 15 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 19 h 39 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : La séance de ce soir n'est pas télévisée, et je ne ferai donc qu'une brève introduction. Nos premiers témoins sont les représentants de Solidarité rurale du Québec. Cherkaoui Ferdous en est le secrétaire général, et Jacques Proulx — un ami que nous connaissons depuis longtemps — en est le président. Au cours de la deuxième heure, nous entendrons André Campeau, président, et Daniel Lambert, chargé de projet, qui représentent l'Association MFR-Québec.
Ces deux groupes de témoins disposeront chacun d'une heure. J'invite mes collègues à poser des questions aussi brèves que possible pour que les témoins aient le temps d'y répondre complètement et que tout le monde puisse apporter sa contribution. Je tiens à remercier nos témoins d'avoir su patienter en attendant que le Sénat termine ses travaux.
Monsieur Proulx, la parole est à vous.
[Français]
Jacques Proulx, président, Solidarité rurale du Québec : Madame la présidente, je vous remercie de l'invitation ce soir et de l'occasion de partager notre réflexion sur la pauvreté. C'est la première fois que l'on peut s'exprimer devant un comité du Sénat. Cela fait plus de 16 ans que notre coalition milite pour la défense de la ruralité, qu'elle observe nos villages et nos communautés. Comme je viens de vous le souligner, je commencerai par un large survol des défis rencontré par le monde rural.
Au Québec, nous avons une politique sur la ruralité, ce qui est peut-être différent des autres provinces. Cette politique offre la chance aux communautés rurales de se prendre en main et d'avoir accès à un certain nombre de programmes. Elle a surtout redonné aux gens de la ruralité le goût de changer les choses. Solidarité rurale du Québec est une instance qui conseille le gouvernement sur toute politique touchant de près ou de loin l'espace rural. Depuis les états généraux du monde rural, en 1991, les ruraux du Québec n'ont cessé de réclamer deux choses : leur droit à la différence et à la prospérité. Je ne vous lirai pas tout le texte que j'ai préparé, mais je vais plutôt le résumer pour donner le plus de temps possible à la période des questions.
En 2007, dans nos sociétés fortement industrialisées, il est non seulement essentiel de respecter ce droit à la différence, celle qui fait en sorte que des citoyens aient choisi de vivre dans de petites et moyennes communautés, de vivre dans leur milieu rural. Il va de la responsabilité des organismes et des gouvernements de soutenir équitablement l'exercice de cette liberté de choix. On l'oublie trop souvent : c'est cette différence du monde rural qui est à l'origine de sa contribution à nos collectivités sur le plan social, culturel et économique. Elle est à la base de la reconnaissance de la propriété collective des territoires afin qu'elle soit au service du bien commun.
Parler de la différence, c'est aussi affirmer que la ville et le village peuvent cohabiter et s'épanouir dans l'interdépendance, car la ruralité et l'urbanité ne sont pas deux phases de la modernité, ce sont deux modes de vie complémentaires qui resteront complémentaires tant et aussi longtemps qu'on saura préserver justement leurs différences. D'ailleurs, plusieurs pays l'ont fait. Pour n'en nommer que quelques-uns, la Finlande, l'Irlande, l'Autriche et la Suisse figurent parmi ces pays qui sont souvent présentés comme modèles de développement par leur croissance soutenue et le niveau de vie de leurs citoyens. Le Québec et le Canada ont atteint d'ailleurs un niveau d'urbanisation et de concentration géographique parmi les plus élevés des pays de l'OCDE, et ce, en dépit d'un immense territoire.
Nous sommes donc engagés dans un nouveau siècle rempli de défis sans précédent pour l'humanité, mais aussi de promesse et d'espoir. La ruralité au XXIe siècle n'est plus ce qu'elle était au XXe. On continue d'amalgamer le développement rural avec l'agriculture alors que moins de sept p. 100 des ruraux — je ne parle pas de sept p. 100 de la population en général — vit d'agriculture et d'agroalimentaire. La batterie des programmes agricoles de toutes sortes est destinée à un développement sectoriel qui ne concerne qu'une frange toute relative du monde rural. Continuer à confondre, en fait, les politiques agricoles et le développement rural est réducteur de la réalité multiple et contemporaine du monde rural.
Les ruraux réclament leur droit à la prospérité, car encore en 2007, pour certains, qui sont encore trop nombreux, le monde rural est condamné à disparaître et pense que nos gouvernements devraient se préparer à ses funérailles plutôt que d'investir dans ces communautés.
Selon cette croyance, tout effort de développement dans les régions rurales serait un fardeau pour les collectivités. Cette culture de défaitisme se nourrit de la panne d'idées et du manque d'imagination. Or, se réapproprier notre avenir et notre destin progressif ne peuvent se faire sans renouveler notre regard sur les choses ou de les imaginer autrement. Pourtant, ces crises bien réelles et profondes révèlent ces limites, sinon la faillite d'un modèle de développement conçu et géré de façon centralisée, loin de la réalité des communautés rurales. C'est la crise d'un modèle et d'une forme de gouvernance qu'il faut réformer sans quoi les communautés rurales deviendront une proie facile face à la concurrence mondiale.
La ruralité n'est pas en voie de disparition, bien au contraire, elle est synonyme d'un mode de vie et d'un rapport au temps et à l'espace différent du monde urbain, et qui répond à l'aspiration non seulement des ruraux, mais aussi d'un nombre croissant d'urbains qui font le choix de s'installer dans les petites et moyennes communautés.
L'autre enjeu est celui de la reconversion. La mondialisation et ses répercussions révèlent la faiblesse du modèle de développement, qui au nom de la spécialisation a poussé nos communautés dans une extrême dépendance et une grande vulnérabilité. Comme au XIXe siècle, siècle de la grande industrialisation, on a dédié des régions entières à une seule production. Au Québec, par exemple, on parle souvent du Saguenay réservé à l'aluminium, de la côte de la Gaspésie aux pêches, même s'il n'y a plus de poissons, de l'Abitibi aux mines, même si cela est très cyclique, et ainsi de suite. Au fil des ans, les grandes compagnies ont fusionné et sont devenues des géants mondiaux aux pieds d'argile.
Aujourd'hui, des régions et des populations entières sont davantage influencées par les décisions d'un siège social situé dans une métropole qui n'est pas nécessairement au Canada que par les décisions de nos gouvernements à tous les échelons. Le sentiment d'impuissance qui en découle est aussi néfaste que ce cercle vicieux de la dépendance.
On n'arrête jamais. C'est jours-ci, on entend parler d'Alcoa qui veut acheter Alcan et l'on se gargarise en disant qu'on est correct, qu'on a de la sécurité, sauf qu'en même temps on voit, et dans le cas cité, Alcoa dit qu'elle se réserve la deuxième et la troisième transformation.
Cela veut dire que l'on perpétue l'espace rural comme étant un espace de cueillette sans donner l'opportunité de créer des emplois et surtout de générer la prospérité.
Nos communautés sont condamnées à une reconversion en profondeur pour diversifier leur économie et recouvrir une capacité d'agir et d'influencer leur destin. À l'ère de la concurrence des économies de l'hémisphère sud, il faut cesser de voir toujours plus gros et penser plutôt à s'engager dans des marchés très précis, plus petits, à forte valeur ajoutée. De nouvelles avenues et possibilités s'ouvrent, mais elles requièrent de nouvelles compétences, de nouvelles infrastructures et, sans doute une nouvelle gouvernance du développement.
Un autre point à soulever est la connectivité. S'il y a une infrastructure à considérer comme stratégique aujourd'hui, c'est bien celle des nouvelles technologies et leurs nombreuses utilisations.
En cette matière, les disparités entre l'urbain et le rural atteignent des proportions qui produisent une exclusion des citoyens, sur la seule base de leur lieu de résidence. Nous sommes affligés de constater le fossé grandissant de nos milieux ruraux, non seulement par rapport aux villes, mais aussi et surtout par rapport aux campagnes américaines et européennes.
Jour après jour, nous accusons des retards qui éloignent nos communautés de l'économie du savoir et des possibilités de diversification. Pour Solidarité rurale du Québec, cette situation nuit considérablement à l'attrait de nos territoires ruraux. Et nos villages se privent, jour après jour, de compétences, de talents et d'occasions de se développer.
Alors, des investissements massifs que consentent des pays occidentaux et des pays émergents pour la couverture de leur territoire par la connexion à haut débit érodent continuellement notre compétitivité à long terme. Pour les communautés rurales et éloignées du Québec et du Canada, la loi de l'offre et de la demande ne résorbera pas à elle seule le fossé qu'elle a contribué à creuser.
Dans ce sens, la déréglementation du marché des télécommunications que vient d'introduire le gouvernement fédéral répond probablement à des préoccupations qui sont davantage celles des grands centres urbains que celles des milieux ruraux. Car ces derniers verront les services de base destinés à leurs citoyens devenir plus onéreux et moins accessibles, et ce, dès le 1er juin prochain. Cette déréglementation ne va aucunement dans le sens de réduire ce fossé en matière d'accessibilité aux services des télécommunications. Bien au contraire, une nouvelle iniquité vient s'ajouter aux disparités déjà présentes.
Un autre point à souligner est la nouvelle gouvernance. Pendant des décennies, nos États ont déployé leur appareil gouvernemental secteur par secteur, chacun avec ses règles propres, ses normes sectorielles, dressant au fil des ans des cloisons étanches qui handicapent l'action intégrée et cohérente sur le terrain. Cette manière de faire étouffe l'initiative locale et empêche de saisir des occasions dans un monde en constant changement.
Aujourd'hui, ce que réclament le plus les ruraux c'est de l'oxygène, de la latitude, de la souplesse pour sortir des carcans et des normes de la bureaucratie et revivifier la démocratie.
Ils veulent se consacrer au développement de leur communauté et à l'épanouissement de leurs enfants plutôt qu'à se battre sans cesse contre les normes qui provoquent la fermeture de leur école, qui concentrent les institutions, qui réduisent les services de postes, qui éloignent le centre de santé. Vous savez, parcourir des distances de plus en plus grandes pour nos citoyens ruraux devient aussi une source d'appauvrissement en soi. On pourrait donner une multitude d'exemples en prenant différentes régions à travers le pays. Au Québec, on pourrait parler de la Gaspésie ou de la Côte-Nord. Il est certain que les soins de santé sont différents que tu sois à Québec ou à Montréal, ou que tu résides dans le centre.
Par ces normes « mur à mur », nos gouvernements nivellent le monde rural sur des seuils urbains. L'urbanisation de la planète est d'ailleurs un grand problème. Une recette peut être bonne pour la grande ville, mais elle peut être néfaste pour le village. Il ne suffit pas de réduire les proportions pour faire du développement rural, il faut ni plus ni moins changer d'ingrédients et de façon de faire, surtout quand la recette est amère.
Un autre enjeu est l'enjeu démographique. C'est un facteur déterminant, et au-delà des projections alarmistes, l'évolution de nos populations vient surtout réhabiliter une évidence à ceux qui l'auraient oubliée, à savoir l'importance fondamentale du capital humain qui se trouve au cœur même de tout développement durable.
Deux aspects sont traités de façon trop expéditive à mon humble avis dans le cas du monde rural. D'abord l'exode, le départ des jeunes des communautés rurales. Je vous dirais que le départ n'est pas nécessairement négatif. Je dirais même que c'est une bonne chose, car ils partent pour explorer le monde, pour parfaire leurs études, pour aller à l'université et faire des expériences ailleurs. Ceux qui reviennent le font davantage par choix que par obligation. Cela fait des bases plus solides. C'est quelque chose à encourager, c'est évident. Mais il faut trouver les moyens de les intéresser à revenir. Le problème n'est pas qu'ils partent; le problème est que trop souvent, on n'oublie que pour qu'ils reviennent, on devra mettre en place différents dossiers, comme je l'ai soulevé plus tôt, que ce soit la haute vitesse, les loisirs, et cetera. C'est tout un autre mode de vie, le milieu rural. La plupart de ceux qui veulent revenir le désirent pour leur mode de vie.
Le second aspect traite du vieillissement comme d'une menace pour notre société. L'expérience et la mémoire des personnes âgées sont une denrée exceptionnelle et d'une valeur inestimable. Il existe, dans les communautés rurales, des modèles d'intégration intergénérationnelle qui misent sur la proximité, la petite échelle pour garder les personnes âgées dans leur communauté, proches de leur famille et des réseaux de solidarité locale. Il y a là des innovations qui méritent l'appui et l'attention de nos gestionnaires.
En conclusion, mon souhait le plus cher serait que votre mandat sur la pauvreté rurale soit d'abord et avant tout une occasion de prendre conscience de la nécessité de s'occuper sérieusement de la ruralité, et de donner un coup de barre à ce pays, afin qu'il s'occupe de son territoire et qu'il se l'approprie en misant sur ses citoyens qui ont choisi d'y vivre et de s'y épanouir.
La somme des problématiques agricoles, forestières, manufacturières, éducatives, environnementales, prises en silo dans une logique sectorielle, que ce soit à partir d'Ottawa ou de Québec, ou des différentes capitales du pays, ne permet plus de saisir les réalités multiples et changeantes de nos milieux ruraux. Pour se rebrancher sur le monde rural et prendre en considération ses particularités dans toute la chaîne de décision, il ne faut ni plus ni moins qu'une responsabilité ministérielle distincte. Tant et aussi longtemps que les questions rurales seront traitées dans un cadre sectoriel, agricole ou autre, elles resteront confinées à un programme pour se donner bonne conscience. Envoyer un signal clair aux ruraux de toutes les provinces, c'est reconnaître enfin une évidence que la ruralité n'est pas que de l'agriculture et qu'elle mérite une place entière dans les processus de décision gouvernementale.
Sans ce changement structurel, les rapports continueront de s'accumuler et le vôtre, fortement attendu, risque de ne pas y échapper.
Puisque nos gouvernements se posent surtout la question de ce qu'il en coûterait, j'oserais avancer un chiffre : rien. Ni fonctionnaires supplémentaires ni experts. Il existe déjà un secrétariat rural, des équipes réduites dans les provinces, une approche intéressante, une expertise et des partenariats, tous les ingrédients pour développer et mettre en valeur une ruralité moderne contemporaine et exemplaire. Il ne manque qu'une volonté politique, une vision et la détermination d'accompagner durablement les communautés rurales à se prendre en charge.
Pour lutter contre la pauvreté rurale, il faut s'attaquer à un ensemble d'enjeux et combattre des maux à tous les échelons. Il faut surtout voir les choses autrement et en finir avec le fatalisme. Je terminerai sur cette note d'espoir et d'optimisme que nous a laissée un grand homme de la ruralité, mon ami feu Raymond Lacombe, un Français qui se battait beaucoup pour l'espace rural, qui disait : Il n'y a pas de territoires sans avenir, il n'y a que des territoires sans projets.
[Traduction]
La présidente : Monsieur Proulx, les objectifs que vous visez sont ceux que nous espérons prendre en compte dans nos recommandations lorsque nous aurons terminé ces audiences.
Le sénateur Mercer : Merci d'avoir comparu ce soir.
Tout au long de cette étude, presque tous les intervenants nous ont parlé de trois choses — les garderies, l'Internet à haute vitesse et les transports. Vous n'avez évoqué que l'Internet à haute vitesse. N'avez-vous omis de traiter des garderies dans les régions rurales du Québec qu'en raison de l'existence du programme de garderie bien particulier qu'a mis en place le gouvernement du Québec dans cette province avec tant de succès? Les transports ne posent-ils pas d'aussi gros problèmes dans les régions rurales du Québec que dans les autres provinces?
[Français]
M. Proulx : On n'en a pas parlé parce que le texte de notre mémoire aurait été trop long. On aurait pu entrer dans les détails, car les problèmes vécus chez nous sont les mêmes, mais avec plus ou moins d'intensité. On a un système de garderie publique, mais il est loin d'être complet. On connaît les revendications sur ce sujet.
On n'ose même pas aborder la question des transports, parce qu'on a honte; je ne sais pas si c'est pire qu'ailleurs, mais ce n'est certainement pas mieux qu'ailleurs.
On a voulu aborder la question rurale dans son ensemble, avec tout ce que cela comprend. Vous auriez pu avoir deux douzaines de pages de plus si on avait énumérés tous les problèmes. C'est une préoccupation. D'ailleurs, c'est toute la question des services de proximité.
L'urbanisation de la planète, comme je le souligne à plusieurs reprises — parce que ce n'est pas seulement au Canada, au Québec ou dans les autres provinces que l'on urbanise la planète — fait en sorte que l'on applique des politiques, des programmes de soutien qui ne conviennent pas nécessairement à l'espace rural. Le travail que nous faisons depuis 16 ans, c'est de saisir pleinement l'espace rural et d'aborder cette question sous l'angle territorial, autrement dit comment on organise le territoire, donc comment on développe la multitude de services nécessaires sur ces territoires.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : La Caisse de dépôt et placement du Québec a deux mandats : obtenir le meilleur rendement possible pour le compte de ses membres, et contribuer à la croissance de l'économie québécoise. Quelle est l'importance historique du rôle joué par la caisse dans l'économie de la province et quelle est l'ampleur des investissements effectués dans les régions rurales de celle-ci? Estimez-vous que la caisse devrait jouer un rôle plus important pour aider les régions du Québec?
[Français]
Cherkaoui Ferdous, secrétaire général, Solidarité rurale du Québec : La Caisse de dépôt, historiquement, a investi dans les grands édifices économiques du Québec, les grandes sociétés. Il y a effectivement une orientation depuis quelques années pour recentrer la mission de la Caisse de dépôt sur le rendement des épargnants. Solidarité rurale du Québec considère que cette mission n'est pas incompatible avec le rôle toujours important de cet instrument collectif au profit des régions du Québec.
J'aimerais mentionner un élément apporté par M. Proulx dans ses interventions dans les villages et les communautés. Cet instrument formidable qu'est la Caisse de dépôt, on l'a bâti collectivement alors qu'on n'était moins riche qu'aujourd'hui. Je pense que, aujourd'hui, on a la responsabilité de voir le développement autrement, puisque tous les grands instruments de l'État du Québec ont été bâtis à un moment où l'on était beaucoup moins riche et où l'on vivait des réalités économiques et sociales d'un tout autre ordre.
Aujourd'hui, on a la capacité et les moyens de miser sur un développement qui est davantage celui des communautés, dans lequel ils prennent une grande part.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : En cherchant à mettre davantage l'accent sur la rentabilité, il me semble que l'on ne tient pas suffisamment compte des incidences que cela peut avoir sur les collectivités. Parfois, les répercussions sur les collectivités ne se résument pas en termes de rentabilité mais plutôt en fonction des services dont celles-ci ont besoin. En insistant davantage sur la rentabilité, n'oublie-t-on pas en partie le mandat confié jusqu'alors à la Caisse?
[Français]
M. Proulx : On peut dire que, certainement, ces grands organismes ont perdu un peu de leur responsabilité, que ce soit la Caisse de dépôt ou les différentes institutions, ils sont tous tombés dans le piège de la mondialisation et de la concurrence du rendement le plus profitable possible.
Eux comme beaucoup d'autres, oublient trop souvent leurs racines, oublient qui les a mis au monde et soutenus. Nous pensons qu'ils devraient investir davantage dans leur mission. Ils ont des missions particulières, mais il ne faudrait pas que celles-ci se ratatinent au point d'être limitées uniquement aux immenses projets, car à partir de ce moment-là, nous sommes automatiquement éliminés.
Le droit à la prospérité que j'ai mentionné dans ma présentation, ce n'est pas la charité; c'est un droit dans la mesure où on peut créer la prospérité. L'espace rural ne doit pas être exclusivement un espace de cueillette où on ne récolte jamais les retombées intéressantes de cette ressource qui existe dans nos milieux. Les ressources de la forêt, des mines ou des pêches ne se trouvent pas au centre-ville d'Ottawa, de Montréal ou de Toronto; elles sont dans nos régions. Il faudrait donc réajuster la mission de ces institutions.
M. Ferdous : Le rôle de la Caisse de dépôt ou de la SGF, par exemple, au Québec, est déterminant. Il y a aussi une autre réalité plus large, c'est celle des petites et moyennes entreprises. On oublie souvent que les géants d'aujourd'hui ont été souvent de toutes petites entreprises. J'aimerais vous citer l'exemple du Cirque du Soleil, qui est né dans un village de moins de 10 000 au Québec, à Baie-Saint-Paul.
Bombardier, aujourd'hui un géant canadien, est né à Valcourt, un village de 2000 habitants.
Il faut soutenir les leaders de demain qui ont besoin d'une aide adaptée et pas celle forcément de la Caisse de dépôt. Ce sont souvent des aides adaptées aux communautés rurales et aux micro-entreprises qui peuvent faire la différence pour demain.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Le gouvernement fédéral a annoncé en février 2004 que votre groupement allait recevoir une subvention de 180 000 $ sur trois ans au titre d'un projet sur les déplacements de populations et le développement des collectivités rurales. En collaboration avec l'Institut national de recherche scientifique, ce projet se penche sur les déplacements de populations entre les zones urbaines et les zones rurales, et contribue à préciser dans quelles conditions les populations qui s'installent dans les zones rurales ont tendance à y rester.
Avez-vous un résumé des conclusions de cette étude et savez-vous quels sont les gens qui s'installent dans les zones rurales du Québec?
Êtes-vous au courant des tentatives faites par le secrétariat chargé des questions rurales pour faire venir les immigrants francophones dans les zones rurales du Nouveau-Brunswick? Dans l'affirmative, quelle conclusion en avez- vous tirée?
[Français]
M. Ferdous : Effectivement, Solidarité rurale a eu la prémisse de s'intéresser à la migration des urbains vers la campagne alors qu'on parlait beaucoup de l'exode des jeunes vers les villes. C'est un aspect qui a pris de l'ampleur au fil des ans. La première activité qu'on a organisée sur cette question date de 2001, avec la première Foire des villages qui a incité les urbains à s'installer en milieu rural. On a effectué une recherche pour laquelle on a déposé un rapport, mais évidemment les recherches de Solidarité rurale ne se limitent pas à un rapport. On a organisé des ateliers dans le cadre des conférences nationales tenues en 2006. On a un réseau qui compte 140 agents de développement rural dans les communautés qui ont également reçu une formation à ce sujet. On a également produit un certain nombre de guides.
Cela me permet de revenir sur une question extrêmement importante de la migration. D'un point de vue plus quantitatif, je peux vous dire qu'un peu partout, à l'échelle des pays de l'OCDE, on constate une nette migration vers le milieu rural, ce qui est positif. Le sol migratoire s'est renversé dans la plupart des pays, que ce soit aux États-Unis, en Angleterre, en France et dans un grand nombre de pays européens. Cela ne date pas d'aujourd'hui, mais de plus d'une dizaine d'années. On a observé qu'au Québec, la tendance était vraiment vers un solde de plus en plus positif pour le rural. Les statistiques de 2006 vont certainement apporter des informations très pertinentes par rapport à cette question.
On a aussi constaté que la migration est devenue positive dans un grand nombre de MRC que sont les collectivités au Québec. Le nombre de MRC, qui ont un solde positif, a doublé lors de la dernière décennie. Il y a donc un mouvement de fond. Le Québec est en train de rattraper lentement le rythme des pays occidentaux qui ont vu ce mouvement se modifier.
Il faut aussi voir la migration comme étant plus qu'un mouvement de personnes. Ce mouvement est lié au développement économique. L'arrivée de jeunes familles, de personnes de tout âge et de baby-boomers contribue au développement économique parce que cela apporte des compétences aux communautés. Cela apporte aussi de nouvelles demandes et des défis en matière de cohabitation pour les communautés.
La situation n'est pas facile à résumer puisqu'elle n'est pas uniforme. La façon dont la migration s'articule autour des grands centres versus les régions éloignées est très différente. Ce qui est certain, c'est qu'elle touche l'ensemble des régions, même celles qui sont éloignées.
Le sénateur Biron : J'ai ici la Gazette des campagnes, publiée le 25 avril 1872. L'éditeur-propriétaire à ce moment-là était un M. Firmin H. Proulx.
M. Proulx : Nous ne sommes pas parent.
Le sénateur Biron : Dans cette Gazette des campagnes, on parlait du dépeuplement et de la désertion des cultivateurs qui se dirigeaient aux États-Unis pour travailler dans les usines. On mentionnait aussi qu'il n'était pas à la portée de toutes les bourses de se procurer des instruments plus rapides. Aussi, que ce fait si patent de la désertion des campagnes devait être sérieusement médité par tous les cultivateurs désireux de tirer un parti avantageux de leur terre.
En arrière page, on dit aussi, et je cite :
Nous apprenons, par une annonce publiée par le Département des Travaux publics et de l'Agriculture de la province de Québec, que les cultivateurs qui ont besoin de fermiers, de serviteurs, venant d'Europe, pourraient s'adresser aux agents d'immigration et de colonisation nommés à cette fin. Nous attirons l'attention de nos cultivateurs sur cette annonce qu'ils pourront lire dans les grands journaux.
Ces 20 dernières années, n'y a-t-il pas beaucoup d'Européens qui ont acheté des terres dans la région de Nicolet ou dans la province de Québec?
M. Proulx : Dans les dernières années, il n'y en a pas eu énormément. Là où il y en a eu le plus, c'est dans les années 1980 et 1990. Il y a eu une forte immigration de fermiers, particulièrement de la Suisse et de la Belgique. Il y a eu une grande proportion de Suisses-Allemands, en Montérégie plus particulièrement. Dans les dix ou 15 dernières années, il n'y a plus eu cette vague d'immigration agricole.
Cependant, l'article dont vous parlez a au-delà d'un siècle. On parlait déjà d'un exode agricole. Dans ce temps-là — et à venir jusque dans les années 1980 —, on pouvait encore dire que l'espace rural était l'espace agricole. Ce qu'on répète à plusieurs occasions, c'est que la ruralité d'aujourd'hui n'est plus la ruralité d'il y a 20 ans. Ce n'est plus l'agriculture. Bien sûr que le territoire est cultivé, mais l'industrialisation et la concentration, non seulement des fermes, mais particulièrement de la transformation, a fait que l'agriculture ne crée plus d'emplois. Le nombre de personnes qui se consacre à l'agriculture est en diminution constante partout au pays. Il y a un ensemble d'activités qui s'est développé autour de cela.
Au Québec, moins 7 p. 100 des ruraux vivent de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Ce n'est pas peu dire. Cela veut dire que 93 p. 100 des habitants du milieu rural font autre chose, c'est-à-dire ce sont des professionnels ou ils travaillent dans le domaine des services. C'est le changement qui s'est produit. C'est ce paradigme qu'il faut changer. Il faut que nos gouvernements et nos grandes institutions publiques changent de paradigme.
L'agriculture ne peut plus être la locomotive du développement rural. Cela ne se peut plus. C'est un autre monde. La mondialisation a beaucoup changé les choses. Si les décideurs changeaient ce paradigme, ce serait un pas extrêmement important qui aurait été fait. Ce n'est pas pour déprécier l'agriculture que je dis cela; c'est la mondialisation qui a donné ces résultats.
Le sénateur Biron : En fait, il n'y aurait pas beaucoup moins de terres cultivées. Les terres sont plus grandes et, par la mécanisation, elles vont produire davantage.
M. Proulx : L'agriculture produit comme elle n'a jamais produit. L'efficacité est là, mais elle ne crée plus d'emplois. Elle ne peut plus créer la prospérité. Elle ne peut plus soutenir les services de proximité, par exemple, l'école, les garderies ou les services de première ligne pour les soins de santé. C'est une réalité qu'on refuse de regarder parce qu'on s'entête à vouloir que la ruralité soit l'agriculture.
La plus belle preuve c'est qu'il est très difficile d'avoir un ministère qui s'occupe de la ruralité. On s'en préoccupe seulement si on en a le temps. Je ne blâme personne. Ce n'est pas par méchanceté que c'est comme ça, c'est par incompréhension.
On se bat depuis dix ans pour expliquer la différence entre « rural » et « agricole ». Je me souviens d'être venu à Ottawa pour essayer de faire comprendre à certains membres du Parlement la différence entre les deux. On ne vous demande pas de nous donner un ministre, mais on vous demande d'arrêter de mêler les cartes. On peut parler de tous les services qu'on veut. On peut parler de garderies, de financement, de soins de santé. On ne changera rien, c'est toujours fait en fonction de savoir si cela répond à l'agriculture.
Ce n'est pas ce qu'il faut se poser comme question. Il faut régler les problèmes dr l'agriculture, mais cela ne règle pas les problèmes de la ruralité.
Le sénateur Biron : C'est la raison pour laquelle nous vous avons invités aujourd'hui.
M. Proulx : C'est ce que nous avions pensé.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Je tiens à vous féliciter, monsieur Proulx. Voilà déjà un certain temps que je siège au sein de ce comité, nous avons déjà entendu de nombreux témoins, et votre intervention est excellente. Vous nous apportez un grand nombre de réponses que nous recherchions.
Vous nous parlez de l'Europe et des gens qui se réinstallent dans les zones rurales. En Finlande, par exemple, lorsqu'une famille s'installe dans une région rurale, est-ce qu'elle peut compter sur un centre communautaire? Y a-t-il des hôpitaux? Un réseau de transport? Il faut qu'il y ait des activités. Lorsqu'on doit élever une famille, il faut pouvoir compter sur de bons enseignants et de bonnes écoles. C'est ainsi en partie que l'on parvient à attirer les gens.
[Français]
M. Ferdous : Vous soulevez le cas de la Finlande, qui est tout à fait pertinent. La densité de la population dans les pays scandinaves n'est pas comparable à celle du Québec ou du Canada. Selon les projections des statisticiens et des démographes, des régions rurales du nord de la Finlande étaient condamnées à disparaître. Cependant, la résilience rencontrée dans ces communautés a permis non seulement de préserver les services, mais les populations mêmes de ces régions, situées en Laponie, ont augmenté. Cela nous enseigne beaucoup sur la capacité des communautés rurales à rebondir.
L'État et les collectivités se sont donné un instrument d'intervention. Lorsqu'il y a fermeture d'école ou de magasin, le dernier du village, par exemple, une institution à l'échelle de l'État, en partenariat avec les collectivités, intervient pour préserver les services dans les communautés rurales.
Que ce soit là, ou même ailleurs, il y a un élément qui ressort dans ces pays. C'est leur façon de considérer la non- uniformité et la diversification du territoire; si on choisit d'habiter un territoire, il faut avoir des politiques adaptées à ce territoire.
La Norvège applique une discrimination positive pour des territoires situés le long des fjords afin de pouvoir garder ses communautés de pêcheurs, d'agriculteurs ou autres. Cela lui permet d'appliquer des normes différentes pour ces communautés sur le plan des services et dans la livraison des programmes. Ce qui est certain, c'est que si on applique les normes basées sur le nombre d'habitants pour préserver les écoles ou n'importe quel service, on n'aide pas les communautés, parce que d'année en année, de statistique en statistique, on réduit les ressources. Et une fois qu'elles sont disparues, elles n'ont plus la possibilité de revenir.
M. Proulx : J'ajouterais qu'un des plus grands gains de la politique nationale sur la ruralité que nous avons au Québec — il y a cinq ans, où commence le deuxième cycle — a été la clause modulatoire, c'est-à-dire que l'ensemble des programmes qui s'appliquent peuvent être modulés en milieu rural. Par exemple, si vous voulez faire de la formation, vous n'êtes pas obligé de répondre aux exigences du nombre minimum requis d'inscriptions. Si pour ouvrir une garderie, on exige l'inscription d'un minimum de 15 enfants, en milieu rural, on peut le faire avec huit enfants. C'est la même chose si on veut garder l'école, le nombre d'étudiants par classe est moins élevé.
Ce sont des éléments très profitables qui permettent non seulement de développer les différents services, mais de les bonifier et de rajouter des services de proximité. La première question que posent particulièrement les jeunes qui décident de migrer dans les communautés rurales c'est : combien y a-t-il de services de loisirs? Y a-t-il des bases de plein air, Internet haute vitesse, et cetera? Ils veulent également des écoles primaires pour les enfants. Ce sont leurs premières préoccupations. C'est sur cela qu'ils se basent pour décider de venir s'installer en milieu rural ou non.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Vous avez évoqué la situation d'Alcan, à Chicoutimi. Est-ce qu'Alcan a contribué à aider la collectivité en mettant en place des installations telles qu'un terrain de golf ou un centre communautaire? Alcan a-t-elle investi au sein de la collectivité d'une manière ou d'une autre?
[Français]
M. Proulx : Je donnais l'exemple que ces jours derniers Alcoa voulait acheter Alcan. C'était pour illustrer jusqu'où on peut pousser la folie de la concentration et de quelle façon elle modifie le visage rural. Pourquoi Alcoa est-il intéressé à Alcan? Parce que la matière première ne coûte pas cher, parce que les tarifs d'électricité sont très bas, parce qu'elle a acquis au fil des années des avantages incroyables. C'est sûr qu'une entreprise comme Alcoa est intéressée, car elle va se réserver la deuxième et la troisième transformation qu'elle fera faire ailleurs avec une matière première qu'elle ne peut avoir nulle part ailleurs à si bon marché.
Cette urbanisation de la planète fait que le milieu rural est toujours perdant et continuera à l'être tant qu'on laissera les choses aller comme cela.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Merci d'être venu ce soir. Depuis sa création, en 1977, votre organisation conseille le gouvernement provincial sur les questions rurales. Vous avez certainement joué un part active à la création du programme antipauvreté en 2004. J'aimerais évoquer avec vous une ou deux de ses composantes. Il y a en premier lieu la question des microcrédits, des petits prêts de 500 à 20 000 $. Ce programme a été institué en 2004, et l'on ne dispose donc pas d'un grand recul, mais quels sont les succès qui ont été obtenus? Est-ce que les gens sont nombreux à s'en prévaloir? La plupart des bénéficiaires du programme viennent-ils des zones urbaines ou des régions rurales?
[Français]
M. Proulx : Je ne peux pas répondre précisément à votre question. On travaille directement et indirectement sur cette accessibilité au crédit. Vous parliez de microcrédit. Nous avons le réseau des caisses populaires au Québec, et j'ouvre une parenthèse ici. Je disais tout à l'heure que ce n'était pas seulement qu'une responsabilité gouvernementale de renouveler et de redynamiser le milieu rural, mais que l'ensemble des intervenants, que ce soit les caisses populaires, les banques, la Société générale de financement, la province de Québec, le gouvernement fédéral ou qui que ce soit, en avaient aussi la responsabilité. Alors que l'on est obligé de mettre en place un programme de microcrédit, c'est un peu choquant, parce qu'on a des institutions qui devraient être aussi préoccupées de rendre des services et qui devraient être obligées de le faire. Parce que si on ne change pas notre modèle économique, qui est au bout du rouleau, qui a donné de bons résultats, mais qui aujourd'hui ne répond plus à la demande, alors c'est une diversification de nos économies dans le milieu rural qu'il nous faut. Cela veut dire des nano-entreprises et des micro-entreprises, du micro à la macro qui fera en sorte qu'on puisse faire une utilisation rationnelle de tout cela.
Alors oui, le microcrédit est intéressant, mais dans ce que l'on vit à l'heure actuelle, il y a très peu d'institutions. Il y en a tellement peu que nous devons mettre en place un programme spécial. Nous devons l'appliquer du mieux possible, mais les entreprises de prêt, que ce soit la Financière agricole ou d'autres institutions, devraient en garder une partie. Cela revient à une question posée tout à l'heure sur la Société générale de financement : il devrait y avoir obligation de maintenir un certain pourcentage pour soutenir des initiatives qui diversifient l'économie locale.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : J'avais l'intention de vous demander qui sont les responsables, qui administrent ces microprêts, mais je déduis de vos propos que tous les établissements financiers devaient être impliqués.
J'ai siégé au sein du Groupe d'étude du premier ministre sur les femmes d'affaires, dont la création a été annoncée par le premier ministre Chrétien en 2002, et nous avons entendu dans tout le pays des femmes nous dire qu'il leur était pratiquement impossible d'emprunter de petites sommes d'argent — entre 1 000 et 5 000 $ — en s'adressant aux banques. Elles préconisaient l'instauration d'un programme de microcrédits qui, dans la province, par exemple, pourrait être administré par l'Agence de promotion économique du Canada atlantique. Je déduis de vos propos que ce programme devait être administré par les établissements financiers actuels, les caisses de crédit, les banques, et cetera?
[Français]
M. Ferdous : Je vais essayer de répondre à la question. Pour le programme dont vous parlez, on n'a pas vraiment de mesures spécifiques pour le monde rural. C'est un programme qui se déploie autant dans le milieu urbain que dans le milieu rural.
Mais il est certain que la réalité des micro-entreprises qui veulent avoir accès au financement est une réalité et une problématique concrètes, au Québec comme dans le reste du Canada. Cela démontre des problèmes d'accessibilité ou de financement, particulièrement lorsqu'on est une micro-entreprise. Dans les programmes gouvernementaux, les formes de financement sont multiples.
M. Proulx a amené la question des institutions. Les caisses populaires sont des institutions démocratiques qui appartiennent à leurs coopérants, et donc à la population. Il y a des caisses qui opèrent de façon différente des autres. Certaines caisses assument ce rôle de microcrédit et de financement de la petite entreprise de façon différente. Tout dépend de l'influence et de la participation qu'ont les populations locales dans leurs institutions.
M. Proulx : Je voudrais apporter un éclaircissement. Je n'ai pas voulu dire que s'il y avait un programme de microcrédit, il devrait être géré par les banques, les caisses populaires ou les sociétés. J'ai voulu dire que c'est un constat d'échec de voir qu'on est obligé de mettre en place un programme spécifique de microcrédit alors que nos institutions, caisses populaires, banques et autres, font des profits par milliards de dollars.
Je pense que si on est obligé de mettre un programme de microcrédit en place, c'est un constat d'échec. S'il faut le mettre en place tout de même, il ne faut pas qu'il soit géré par ceux qui ont causé l'échec. Ils ont démontré qu'ils étaient incapables de le gérer. Cela devrait être les communautés, des regroupements de communautés ou d'hommes et de femmes qui gèrent, sous une forme quelconque, ces microcrédits. Il est certain qu'ils vont se gaspiller rapidement s'ils sont gérés par les grandes institutions.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : J'aimerais aussi vous interroger sur les crédits versés aux organisations à but non lucratif. Comment sont-ils administrés? S'agit-il de gros ou de petits montants? J'aimerais avoir quelques précisions à ce sujet.
[Français]
M. Proulx : Ce ne sont certainement pas des sommes astronomiques. Normalement, quand on prête à des sociétés sans but lucratif, il y a beaucoup d'exigences et ce ne sont jamais des montants énormes.
M. Ferdous : Vous parlez des programmes de subvention aux organismes sans but lucratif ou toujours de microcrédit?
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Je lis que l'une des composantes de la stratégie antipauvreté constituait à verser des crédits aux organisations à but non lucratif. C'est là l'objet de ma question. Qui administre ces crédits et s'agit-il de fortes ou de petites sommes?
[Français]
M. Ferdous : Dans l'économie sociale, il y a une multitude d'organismes et de bailleurs, mais il n'en demeure pas moins, de l'observation que nous faisons du monde rural, que ces organismes jouent un rôle fondamental, important. Mais souvent, lors des difficultés de financement, effectivement, les montants sont limités. Il y a aussi un éparpillement du développement avec le nombre d'organisations et de programmes qui les soutiennent, et cetera. Mais je ne pourrais pas vous en dire davantage.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : J'aimerais avoir votre avis sur le Programme de développement des collectivités. Est-ce qu'à votre avis, ce programme a été une réussite dans votre province?
[Français]
M. Ferdous : Vous faites référence au programme des modèles du gouvernement fédéral, du secrétariat rural ou de la politique nationale de la ruralité?
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Dans ma province, ce service est dispensé par l'intermédiaire des groupements de développement communautaire.
[Français]
M. Ferdous : On pourrait vous parler davantage du Québec, puisqu'on a une politique nationale de la ruralité qui est gérée de façon décentralisée et dont la responsabilité relève des collectivités locales qui sont les municipalités régionales de comté. C'est une politique des communautés. Pour l'essentiel, au Québec, on a des comités de citoyens et de bénévoles soutenus par un agent rural qui accompagnent les communautés dans leur développement, portent un regard sur les défis et amènent des initiatives. Cela a créé une prise en charge des communautés rurales depuis le début de cette politique qui, comme je vous le disais tantôt, est l'une des mesures les plus décentralisées qui soit au Québec.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : C'est ce dont je parlais. Je vous remercie.
La présidente : Une chose que l'on n'a pas mentionnée aujourd'hui et qui a souvent été évoquée lors de nos entretiens sur les questions agricoles dans les différentes régions du Canada, c'est la question de la régulation de l'offre. Est-ce que cette question continue à poser de gros problèmes dans votre province? Est-ce que les choses se sont quelque peu arrangées ou est-ce que cela continue à préoccuper sérieusement les agriculteurs?
[Français]
M. Proulx : Ce n'est ni l'un ni l'autre. On a évité le sujet intentionnellement parce que ce n'est pas de notre ressort, mais plutôt du ressort des organismes agricoles. C'est sûr que leur disparition aurait un impact économique dans le milieu rural. Si je vous en parlais, ce serait vraiment une opinion personnelle et non celle de Solidarité rurale du Québec. Mais je vous dirai que c'est intentionnel que l'on n'a pas abordé les questions spécifiques agricoles. Il faut que cela se démarque; il faut arrêter de mêler les deux. Et cela n'exclut rien ni personne. Sauf que tant que l'on ne se sortira pas — je tiens à le répéter encore —, tant et aussi longtemps qu'on ne sortira pas du paradigme dans lequel on est, que le rural c'est l'agriculture, on ne trouvera pas de solution. Pas plus dans l'Ouest que dans l'Est.
Quand je vais dans l'Ouest rural il y a bien sûr de l'agriculture, mais il y a aussi des pompes à pétrole et toutes sortes d'activités. Il y aura prospérité à condition de s'imposer une diversification et une utilisation diversifiée du territoire. Il faut aborder ces questions en se demandant quelle est la capacité du territoire. Il y a une partie agricole, une partie foresterie et une partie minière. Il existe toutes sortes de ressources.
Nous avons utilisé un mode de développement sectoriel, c'est-à-dire que nous développons une ressource sans nous occuper du reste. En faisant cela, nous devenons terriblement dépendants des cours du marché et ainsi de suite. Il faut apporter des solutions globales qui tiendront compte de l'ensemble des facteurs afin d'en arriver à une cohabitation intéressante de ces mêmes facteurs. Il faut sortir du marché sectoriel, sinon nous serons condamnés puisque nous n'avons plus la capacité en Amérique du Nord de supporter les changements qui se sont produits.
Les productions de masse, aujourd'hui, viennent d'ailleurs : d'Asie et d'Amérique du Sud. Ce sont ces pays qui sont capables de nous fournir des produits à meilleur coût que je ne peux les produire à ma ferme. C'est cela qui a changé et qui nous cause beaucoup de difficultés. Vous savez comme moi que même si demain matin plus aucune production agricole ne se faisait, au Québec et au Canada, les épiceries seraient pleines de produits, tout comme aujourd'hui. C'est la mondialisation qui a changé cela.
L'hiver, vous avez toute la gamme de fruits et légumes et nous ne produisons pourtant rien ici l'hiver. Comment pouvons-nous nous adapter pour le mieux-être et la plus grande prospérité du milieu? Il faut faire les choses autrement. La gestion demeure un outil extrêmement important. C'est un outil fondamental qui aurait dû être adopté par l'ensemble des pays. Mais ce ne fut pas le cas, et aujourd'hui nous sommes ailleurs. On ne peut pas à la fois vouloir exporter une gamme de produits et fermer nos frontières; comme on dit chez nous, on ne peut pas manger le beurre et garder l'argent du beurre.
Quels sont les compromis possibles? Je souhaite que l'on trouve de bons compromis afin que nous puissions nous adapter et trouver des façons de fonctionner pour conserver au moins l'esprit de ces grandes politiques. En même temps, il faudra se satisfaire d'une approche différente dans d'autres secteurs.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie. Il me fallait poser cette question, mais j'aime votre attitude. Je pense que nous avons abordé ce soir plus franchement tous les problèmes contrairement à ce qui se passe très souvent lorsque nous parlons d'agriculture.
Merci encore, et je vous souhaite bonne chance. Nous espérons vous rencontrer à nouveau lorsque cette série de consultations sera terminée. Il nous reste encore beaucoup de travail à faire, mais vous pouvez être sûr que nous tiendrons compte de vos observations dans notre rapport.
Je vais maintenant accueillir notre deuxième groupe de témoins. Lors de cette deuxième heure, nous allons entendre ce soir André Campeau, président, et Daniel Lambert, chargé de projet, à Maisons familiales rurales Québec — MFR- Québec. Nous sommes très intéressés par ce que vous avez à dire. Vous constaterez par ailleurs que nous aurons beaucoup de questions à vous poser.
[Français]
André Campeau, président, MFR-Québec : Madame la présidente, mes premières paroles sont pour vous remercier de nous avoir invités. Je suis président-fondateur de MFR-Québec et de la première maison familiale rurale au Canada, et même en Amérique; et Daniel était également du groupe fondateur de cette première maison familiale rurale. Grâce à vous, Développement rural Canada a pu voir le jour parce que vous nous avez été d'un grand support et vous l'êtes encore aujourd'hui. Merci beaucoup.
Dans un premier temps, je vais expliquer ce qu'est MFR-Québec. Il s'agit d'un organisme créé en 2003 suite à une très grande demande d'information de l'ensemble des régions du Québec. Des gens appelaient chez nous pour avoir de l'information, à savoir comment démarrer un projet comme le nôtre.
Nous avons donc décidé en 2003 de créer MFR-Québec, un organisme dont le rôle est de promouvoir, de soutenir et de coordonner le développement des maisons familiales rurales. L'implantation s'est d'abord faite au Québec et, dans un deuxième temps, grâce à une subvention de Développement rural Canada un an plus tard, dans plusieurs provinces du Canada. Nous pourrons d'ailleurs répondre à vos questions à ce sujet plus tard si vous en avez.
Qu'est-ce qu'une maison familiale rurale? C'est un projet qui a vu le jour en 1936 en France, et dont nous avons importé le concept en 1997. Au Québec, nous avons évidemment une problématique de développement rural qui passe par la formation.
Au Québec, environ 35 p. 100 des jeunes ne terminent pas leurs études secondaires. Certains d'entre eux entrent même sur le marché du travail sans aucune formation.
Pour répondre à cette problématique, nous avons cherché une solution qui pourrait répondre aux besoins particuliers des jeunes qui sont manuels. Au Québec, le système scolaire régulier est plutôt conçu pour les auditifs qui ont la capacité d'apprendre en écoutant un enseignant qui explique des choses au tableau. Les manuels ont besoin de toucher les choses pour comprendre.
Le système scolaire n'est pas adapté aux jeunes de 14, 15 ou 16 ans qui cherchent leur identité et qui, parce que la loi leur permet, quittent l'école à l'âge de 16 ans avec un deuxième secondaire. Ils entrent donc directement sur le marché du travail avec peu ou pas de formation. C'est pour ces jeunes que les Maisons familiales ont été créées.
Ce qui caractérise ce projet, c'est l'implication du milieu. D'abord, la structure est sous forme de coopérative. Les parents et les maîtres de stage occupent une grande place au sein du conseil de coopérative, ils ont tous leur mot à dire. Évidemment, le milieu scolaire joue aussi un rôle important.
Ce projet est un peu comme une table à trois pattes. D'une part, vous avez les parents qui ont la responsabilité de l'internat. Les jeunes doivent vivre deux semaines par mois dans un internat géré entièrement par les parents qui apprennent aux jeunes le savoir-être, où il est question de partage et de vie en groupe. La Maison familiale s'associe à la commission scolaire qui offre le volet de la formation générale.
Les jeunes qu'on accueille ont généralement 14 ou 15 ans et ils n'ont qu'une neuvième année. Ils doivent se rendre à la douzième année et obtenir leur diplôme d'études secondaires. En parallèle, ils reçoivent aussi la formation professionnelle qui mène à l'obtention d'un diplôme d'études professionnelles. Il peut s'agir d'une formation en production laitière, en production bovine, en foresterie ou en acériculture. C'est au jeune de choisir son domaine.
À la fin de ses études, il obtient un diplôme d'études secondaires et un diplôme d'études professionnelles. Toute la formation générale est dispensée à l'école et la partie pratique se donne à l'internat, où le jeune apprend la partie savoir-être. Pour ce qui est de la partie savoir-faire, l'étudiant réside pendant deux autres semaines chez un maître de stage qui pratique le métier que le jeune a choisi.
Le principe de base est simple. C'est de rendre le jeune heureux et de lui faire vivre le succès. Par la suite, on lui transmet le savoir. Bénévolement, le maître de stage transmet le goût de sa profession et encadre son stagiaire. Il faut dire que 50 p. 100 de la formation générale se donne en stage parce que comme je l'ai dit tantôt, ces jeunes sont manuels, ils ne peuvent pas étudier dans un contexte de classe scolaire comme on le connaît. Ils doivent toucher les choses pour apprendre.
La Maison familiale rurale du Granit a ouvert ses portes en 1999 et opère à pleine capacité depuis trois ans. Les jeunes viennent souvent de très loin. On constate que parfois deux ou trois enfants d'une même famille sont passés par la Maison familiale rurale du Granit. Nous croyons que cette approche pédagogique répond à un réel besoin et sa popularité est prouvée.
J'aimerais dire une dernière chose. Sur le plan des résultats scolaires, on doit se questionner parce que la plupart des jeunes ont déjà quitté le système scolaire régulier. De tous les jeunes qui viennent étudier chez nous, 67 p. 100 obtiennent un diplôme d'études secondaires, ce qui représente environ la moyenne générale au Québec pour le système scolaire public.
De plus, environ 90 p. 100 des jeunes obtiennent un diplôme d'études professionnelles. Avec cette approche pédagogique différente, les jeunes réussissent et c'est ce qu'il faut comprendre. Ils réussissent. Ce ne sont pas des jeunes démunis intellectuellement, ces jeunes ont seulement besoin d'apprendre de façon différente. Je cède maintenant la parole à Daniel.
Daniel Lambert, chargé de projet, MFR-Québec : MFR-Québec a été créé en 2003. Depuis ce temps, il y a eu une quinzaine de groupes promoteurs, entre autres en Ontario, au Manitoba et en Alberta, qui ont pour projet de démarrer d'autres Maisons familiales. Les conseils scolaires de ces territoires ruraux ont été impliqués dès le début des démarches d'implantation. Certains d'entre eux ont contribué financièrement à la réalisation d'études de faisabilité. Par ailleurs, d'autres ont démontré des réticences à collaborer à la mise en œuvre de ces projets. Cela a eu pour effet d'empêcher le démarrage de Maisons familiales rurales dans différentes régions à travers le Canada. C'est arrivé au Manitoba et dans plusieurs territoires ruraux au Québec.
J'aimerais parler des avantages des maisons familiales. André en a nommé quelques-uns, mais de manière plus spécifique, une maison familiale représente une autre façon d'enseigner. Le slogan des maisons familiales est d'ailleurs « Réussir autrement ». Le savoir s'acquiert dans un milieu de travail et se poursuit à l'école. Les jeunes qui étudient à la Maison familiale peuvent améliorer leur niveau de formation et devenir éventuellement des acteurs du développement de la société qui forme le territoire rural où ils habitent.
De plus, la formule des MFR permet aux jeunes d'accéder plus tôt à la formation professionnelle. C'est souvent après la formation secondaire qu'on acquiert une formation professionnelle alors qu'à la Maison familiale, les jeunes commencent dès le secondaire à expérimenter différents métiers selon leur intérêt.
Au Québec, ces jeunes peuvent profiter de ce concept de l'alternance à partir du troisième secondaire. Cette opportunité aide à contrer le décrochage scolaire parce que l'alternance pédagogique pratiquée dans les MFR apporte une réponse aux jeunes pour lesquels les méthodes traditionnelles conviennent moins.
Il est d'important de souligner que la possibilité pour ces jeunes de poursuivre des études professionnelles au niveau agricole sans quitter leur milieu de vie aide à contrer leur exode. Notez que les Maisons familiales rurales n'offrent pas seulement l'enseignement en agriculture. Cette stabilisation a pour effet d'accroître l'autonomie de nos communautés rurales et contribue directement à la réduction de la pauvreté rurale en favorisant l'emploi et la croissance économique des régions rurales du Canada.
La Maison familiale rurale est un lieu favorisant également l'épanouissement des leaders parce que cela demande beaucoup d'implication de la part des bénévoles de la communauté, que ce soient les parents, les entreprises qui accueillent ces jeunes stagiaires ou divers partenaires du milieu qui s'impliquent dans le projet. Chacun apporte son expertise et sa contribution.
Les Maisons familiales contribuent à renforcer la capacité des communautés rurales à répondre à leurs besoins de formation afin de contrer de façon durable la désintégration sociale.
M. Campeau : Nous avons huit ans d'expérience à la Maison familiale rurale du Granit. Tantôt, je vous ai donné des statistiques de réussite, mais je peux rajouter que dans les cinq ou six premières coopératives, 40 p. 100 des jeunes ont continué leurs études après nous avoir quittés, qu'environ 15 p. 100 ont continué au niveau collégial et certains même à l'université. C'est incroyable. Les parents n'en croient pas leurs yeux!
Vingt-six pour cent de ces 40 p. 100 de jeunes vont continuer dans une autre formation plus conforme à leur goût. En effet, la partie stage de notre concept permet aux jeunes de valider leurs goûts, et souvent, après avoir complété leurs études secondaires, ils vont parfaire une formation connexe ou non, selon leurs goûts. Le jeune a validé ses goûts par le travail. C'est ce qui est important de comprendre.
On connaît tous des jeunes qui, après leurs études collégiales ou universitaires, découvrent qu'ils ne sont pas dans la bonne ligne et retournent sur les bancs d'école. Souvent, ils ont déjà atteint l'âge de 24, 25 ou 26 ans, alors que chez nous, à 17 ans, ils ont déjà terminé leurs études selon leurs goûts pour le métier qu'ils feront plus tard.
Cette année, le tiers de nos jeunes sont inscrits au collégial, un autre tiers continue l'école, mais dans un métier connexe et le dernier tiers aborde le marché du travail.
C'est vraiment valorisant et extraordinaire et c'est ce qui nous permet de continuer.
Afin d'assurer la survie des Maisons familiales existantes et la concrétisation des projets en cours, nous demandons au gouvernement du Canada d'entreprendre des discussions avec les gouvernements provinciaux par l'entremise du Secrétariat rural en vue de trouver les moyens pour soutenir le développement des Maisons familiales rurales.
Vous comprendrez bien que l'on rencontre de la résistance de la part des Commissions scolaires au Québec, comme un peu partout ailleurs au Canada.
Les institutions publiques nous regardent et nous voient souvent comme une menace parce que les jeunes qui viennent chez nous leur enlèvent du financement. Je vous donne l'exemple d'une communauté où on avait rassemblé un bon groupe d'élèves pour démarrer un projet de MFR mais où la Commission scolaire a dit non à la dernière minute.
C'est malheureux pour ces jeunes, parce que la plupart, à 16 ou 17 ans, se sont retrouvés sur le marché du travail parce qu'ils n'ont pas pu continuer leurs études. Ce sont des jeunes qui auront toujours de la difficulté dans la vie. Un jeune qui n'a qu'un secondaire II ou III, vous comprendrez bien que c'est extrêmement difficile pour lui de retourner à l'école des adultes pour finir son secondaire, considérant les obligations financières, et cetera.
Nous devons nous impliquer, tous ensembles, si on veut aller plus loin dans l'implantation de cette formule.
Malgré le fait que le domaine de l'éducation relève des provinces, nous croyons que le gouvernement fédéral devrait aider les provinces à mettre en œuvre des initiatives telles que les Maisons familiales rurales afin de hausser le niveau d'instruction de la relève agricole et de permettre aux régions rurales de former localement sa jeunesse et ainsi contrer l'exode rural.
On est prêts à répondre à vos questions.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie. C'est un exposé intéressant.
Le sénateur Mercer : Merci d'être venus. Je suis très intéressé par la mission de MFR. J'aimerais la préciser dans mon esprit. Je crois savoir qu'elle est la raison de votre présence ici, et cela me plaît, mais j'aimerais avoir quelques précisions.
Cela s'adresse aux jeunes que le système n'a pas su prendre en charge. Ce ne sont pas les jeunes eux-mêmes qui ont échoué; c'est le système, si je comprends bien, qui n'a pas réussi à leur enseigner ce qu'ils devaient apprendre. Vous nous dites par ailleurs qu'ils sont en pension dans cette école. Cela soulève la question du coût d'une pension et des responsables qui vont devoir la payer. De nombreuses écoles qui servent de pension sont de confession religieuse. Y a-t- il là un problème? D'autres pensions sont disciplinaires, la discipline étant assez stricte. Pouvez-vous me renseigner sur tous ces points?
[Français]
M. Campeau : Vous avez trois ou quatre questions, si je comprends bien. On va les prendre une à une, et si j'en oublie, vous me rappellerez à l'ordre.
D'abord, pourquoi est-ce comme cela? C'est simple, c'est qu'avec la rationalisation, en tout cas, au Québec, à un moment donné, nous sommes passés des petites structures scolaires à de grosses structures. Des petites structures de quelques centaines d'élèves, nous sommes passés à des structures de quelques milliers d'élèves dans certains cas. Vous comprendrez que lorsqu'on grossit une structure, on ne peut pas individualiser l'éducation, d'où le décrochage scolaire. C'est une partie de l'explication.
Le nombre d'élèves par classe a également augmenté. Chez nous, à la Maison familiale du granit, on a 12 ou 15 élèves par classe maximum, alors que dans les polyvalentes, on parle du double. Chez nous, l'enseignant est très près de l'élève. Son but c'est que l'élève comprenne bien alors que dans une classe de 30 élèves, ce but est impossible à atteindre.
Notre particularité consiste en une approche individuelle, en plus d'avoir une approche pour des jeunes qui sont manuels, donc pratique.
Les parents assument entièrement le prix de l'internat. Cette partie comprend un bâtiment, construit en 2000; tout l'encadrement du jeune; la nourriture; les activités aussi, car le jeune est là 24 heures par jour, 12 heures à l'école et 12 heures en internat, soit de 8 heures du soir à 8 heures du matin. De 8 à 10 heures, le soir il faut occuper le jeune. On a une foule d'activités qui peuvent être en lien avec sa formation, comme des divertissements, du sport, et cetera; cela comporte des coûts aussi.
Nous facturons 300 $ par mois, pour deux semaines par mois. Les autres deux semaines sont pris en charge entièrement et bénévolement par le maître de stage. Ils sont donc deux semaines par mois en internat, quand ils sont à l'école, de façon obligatoire.
Les deux autres semaines, le jeune est en stage chez un maître de stage qui prend à sa charge entièrement l'encadrement du jeune, la nourriture — pas l'habillement, évidemment, qui est à la charge des parents. Le maître de stage lui transmet non seulement le goût de la profession, mais aussi 50 p. 100 de la formation professionnelle. En production laitière, 50 p. 100 de la formation de production laitière se donne en stage, c'est donc le maître de stage qui le fait.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Y a-t-il un certain garde-fou en ce qui concerne les jeunes qui ont affaire à des maîtres de stage qui ne sont pas sur place et qui n'appartiennent pas à l'école, là où je suppose que l'on peut adopter les mesures de protection habituelles concernant les enseignants et le personnel en contact avec les jeunes? Comment s'assurer que les maîtres de stage répondent bien à certains critères et traitent les élèves avec tout le respect auquel on doit s'attendre dans les autres secteurs de la société?
[Français]
M. Campeau : Un lien très étroit est créé entre l'école et le maître de stage. Cette particularité nous permet, dans un premier temps, d'indiquer au maître de stage où en est la formation du jeune et ce qu'il doit lui montrer durant sa formation. On appelle cela un cahier de charges. Quand le maître de stage reçoit le jeune, il reçoit également un cahier de charges sur les besoins de formation à acquérir pendant les deux semaines qui suivent. Dans un deuxième temps, sur les dix stages qui se déroulent dans l'année, il y a 6 visites d'un enseignant au maître de stage pour voir comment cela se passe. Il y a donc un lien très étroit entre l'école et le maître de stage, pour assurer une continuité dans la formation.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Vous avez déjà quelques années d'expérience. Quel est le nombre de vos élèves qui restent effectivement dans les régions rurales du Québec et qui ne s'installent pas en ville, comme c'est l'habitude?
[Français]
M. Campeau : C'est difficile de répondre à cette question, car on n'a pas vérifié cette statistique. Ce que je peux dire c'est que 90 p. 100 des jeunes qui viennent chez nous viennent du milieu rural. À peu près 10 p. 100 viennent du milieu urbain. On a constaté, suite à une enquête l'an passé pour connaître le devenir de ces jeunes, que pour la plupart, ces jeunes sont retournés dans un milieu rural pour exercer une profession en lien avec la formation faite chez nous ou exercer une profession différente.
Par exemple, un jeune venu chez nous en production laitière pour quelques années, pour toutes sortes de raisons — le père n'est pas prêt à l'accueillir tout de suite parce qu'il a un employé — va souvent avoir entrepris une autre formation en soudure. Par exemple, il va travailler à l'atelier du village, le temps d'acquérir de l'expérience et que l'entreprise puisse l'intégrer. Ce jeune revient à l'entreprise, le plus souvent.
On a d'autres jeunes, par exemple dans ma région, qui, après avoir travaillé avec leur père un an ou deux, sont déjà associés à 50 p. 100 avec leur père.
Ce sont des jeunes très matures lorsqu'ils nous quittent, parce qu'ils sont constamment encadrés par des adultes. Ils mûrissent plus rapidement que dans le système scolaire normal. Ils savent où ils vont.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : En réponse à une question posée par le sénateur Mercer, vous nous avez dit que c'étaient les parents qui défrayaient le coût de la pension. Que se passe-t-il lorsqu'un parent n'a pas les moyens de payer?
[Français]
M. Campeau : Au Québec, les jeunes nous arrivent après un secondaire 2 — en dixième année pour ceux qui sont à l'extérieur du Québec. Donc, c'est souvent à l'âge de 15 ans.
Pour le secondaire 3, nous leur faisons faire une première année en secondaire 3, le gouvernement provincial et le ministère de l'Éducation donnent une aide qui est l'équivalent de 225 $ par mois. Cela coûte 156 $ par mois pour les parents. C'est moins cher chez nous que dans un système public, malgré tout ce qu'on dit.
En ce qui concerne le secondaire 4 et 5, la partie formation professionnelle et formation générale, ils sont assujettis à la même réglementation que la formation professionnelle et collégiale. Autrement dit, ils sont admissibles aux prêts et bourses du ministère, en fonction du revenu des parents. Les jeunes peuvent donc s'en prévaloir.
Ce n'est pas l'idéal, mais il est certain que si on avait une aide pour amenuiser ces coûts, on aurait probablement plus de parents qui enverraient leur jeune chez nous.
Malgré tout cela, ce sont les parents qui doivent défrayer les coûts. Une dame est venue me rencontrer, l'automne dernier, pour envoyer ces deux fils. Elle était en situation monoparentale, travaillait dans une petite manufacture, au salaire minimum ou un peu plus. Finalement, elle ne les a pas envoyés à notre centre. C'était vraiment une question de pauvreté. Il y a un minimum que les parents peuvent assumer et nous sommes conscients que nous perdons de la clientèle de ce côté et que cela ne rend pas service. On en train de réfléchir sur les moyens.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Vous nous avez dit que les parents jouaient un rôle majeur. C'est en ce qui concerne les coûts. Les parents jouent-ils un autre rôle? Se limite-t-on à cela?
[Français]
M. Campeau : La coopérative a un conseil d'administration composé de 11 membres, dont six parents. C'est la coopérative qui gère l'internat. Ces mêmes membres de la coopérative siègent au conseil d'établissement de l'école, qui gère toute la partie éducative. Donc, ils ont un rôle à jouer. Ils sont élus par l'assemblée générale, en bonne et due forme.
Il faut également mentionner, que nous faisons en sorte que les parents soient constamment au courant de l'évolution de leurs jeunes. Nous sommes plus pointus de ce point de vue qu'une grosse institution.
À la moindre défaillance, les parents sont mis au courant. On a besoin des parents pour motiver les jeunes à continuer, surtout les jeunes ayant un peu de difficulté. C'est essentiel à la réussite du projet.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de 300 $ pour ce qui est du financement. Vous nous avez dit aussi que certaines pensions scolaires offraient une aide financière; c'est bien cela? Est-ce que ces 300 $ couvrent les frais d'exploitation? D'où viennent les crédits supplémentaires?
[Français]
M. Campeau : Les 300 $ sont uniquement pour la partie interne. Tout ce qui concerne le réseau scolaire régulier est payé par le ministère de l'Éducation. C'est gratuit au même titre que n'importe quelle école publique.
Tout ce que l'élève doit débourser au début de l'année, pour des frais mineurs, c'est environ 250 $ pour toute l'année. Toute la partie éducative est payée par le gouvernement du Québec.
La partie hébergement est à la charge des parents. Il est certain que pour un parent qui a deux enfants, cela devient plus lourd. C'est comme cela aujourd'hui, mais on y réfléchit.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Toutefois, les commissions scolaires ne dispensent aucune aide financière. Est-ce que j'ai bien compris?
[Français]
M. Campeau : Au niveau des commissions scolaires, on n'a aucune aide. Le ministère de l'Éducation met quand même à la disposition des jeunes en troisième secondaire, une aide de 225 $ par mois. Les jeunes de quatrième et de cinquième secondaires, donc en fin de secondaire, sont admissibles aux prêts et bourses. Cela contribue à payer l'hébergement.
M. Lambert : Je comprends que le concept n'est pas facile à comprendre. C'est vraiment un partenariat entre la communauté et le conseil scolaire.
La Maison familiale rurale est une école publique, au même titre que les autres écoles. Par contre, la communauté est très impliquée. Et une des façons de s'impliquer financièrement est de gérer le volet internat. Les parents, la communauté et les maîtres de stage contribuent aussi à gérer le volet éducatif en partenariat avec le conseil scolaire.
C'est dans cette situation que plusieurs projets ont connu des difficultés parce que dans plusieurs cas, les conseils scolaires ne voulaient pas collaborer avec la communauté. Ils trouvaient plus simple de continuer à gérer leurs écoles de manière autonome sans avoir l'implication des parents dans ce volet.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Les maîtres de stage sont-ils tous des bénévoles?
[Français]
M. Lambert : Oui, les maîtres de stage sont volontaires. Les formateurs sont engagés par le conseil scolaire, mais les maîtres de stage sont volontaires et bénévoles.
M. Campeau : Et non seulement les maîtres de stage sont volontaires et bénévoles, mais ils versent dans la cagnotte du jeune cinq dollars par jour, l'objectif étant de payer, à la fin des études du jeune, un dernier stage de deux semaines en France. C'est payé à même la rémunération versée par les maîtres de stage. C'est le volet international qu'on leur donne à la fin de leurs études.
Le sénateur Biron : Votre établissement est situé dans quelle ville?
M. Campeau : Saint-Romain, près de Lac-Mégantic.
Le sénateur Biron : St-Romain est desservi par Télébec ou par Bell Canada?
M. Campeau : Bell Canada.
Le sénateur Biron : Vous avez le service Internet?
M. Campeau : On a le service Internet haute vitesse.
Le sénateur Biron : C'est une petite paroisse?
M. Campeau : Oui, de 700 habitants.
Le sénateur Biron : Actuellement, votre programme de formation professionnelle possède quatre volets. Est-ce que vous prévoyez éventuellement augmenter le nombre de services offerts, comme l'informatique?
M. Campeau : Il y a évidemment les cours obligatoires pour l'obtention du diplôme. Mais les jeunes ont accès à des activités connexes à leur formation, dans leurs temps libres, dont l'informatique. On engage quelqu'un pour les encadrer.
Il y a l'informatique, mais également des métiers plus manuels comme la soudure, par exemple. Donc le soir, plutôt que de jouer au volley-ball ou au hockey, souvent les jeunes vont à l'atelier et vont travailler sur des projets personnels. La semaine dernière, je passais près de l'atelier et il y avait un jeune en train de refaire les chaînes de sa débusqueuse, qui étaient usées. Il paie le matériel et quelqu'un lui montre comment faire. Ce sont des activités libres pour les jeunes.
Le sénateur Biron : Votre établissement compte combien d'élèves?
M. Campeau : Dans les deux dernières années, on a eu environ 85 élèves. C'est global, mais c'est deux semaines d'école et deux semaines en stage. C'est donc de 40 à 45 élèves par groupe. Lorsqu'un groupe est à l'école, l'autre est en stage. Il y a une rotation.
C'est pour cette raison qu'à 40 ou 45 élèves, répartis sur deux ans, plus la formation générale, cela fait des petites classes. Cela encourage un lien enseignant-élève beaucoup plus étroit. C'est ce qui permet à ces jeunes de cheminer dans leur formation.
Le sénateur Biron : Un des volets du débat entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal proposait qu'il n'y ait pas plus de 600 élèves dans les écoles. On comprend que « small is beautiful ».
M. Campeau : Je peux ajouter qu'on n'a pas l'ambition de devenir plus gros qu'on ne l'est présentement. On veut offrir un service de qualité. On aime mieux travailler au niveau de la qualité que de la quantité. On fait nos frais à l'heure actuelle. Pourquoi aller plus gros? On répond à un besoin, les jeunes sont heureux. Ce qui nous préoccupe surtout c'est d'aller plus loin dans la formation du jeune, pour lui permettre de se développer davantage.
M. Lambert : En lien avec ce que M. Campeau vient de dire, j'ajouterais qu'une autre des ambitions qu'on a c'est de développer le réseau des Maisons familiales rurales à travers le Canada, parce que les Maisons familiales rurales ont d'abord un rôle local qui est de desservir les jeunes d'une région et non pas d'avoir un centre provincial qui regrouperait tous les élèves au même endroit. C'est donc d'avoir plusieurs Maisons familiales rurales dans les diverses régions qui en ont besoin pour offrir une formation adaptée aux besoins et aux réalités de ces régions. Faire des stages dans leur milieu permet aux jeunes de développer des liens et des affinités avec les entreprises de leur région et de se tisser un réseau qui, plus tard, leur permettra de s'intégrer plus facilement dans cette communauté puisqu'ils auront été formés dans leur milieu d'appartenance.
Le sénateur Biron : Vous œuvrez dans un rayon de combien de kilomètres?
M. Lambert : Je dirais que près de 60 p. 100 des élèves viennent d'environ 60 kilomètres à la ronde. Comme M. Campeau le disait plus tôt, il est certain que nous sommes la seule école au Québec à offrir cette formule.
Cela attire des jeunes de l'extérieur qui ne peuvent pas trouver ce service dans leur région. On reçoit donc des jeunes qui proviennent d'aussi loin que le Témiscamingue, à plus de mille kilomètres. C'est principalement pour les jeunes qui sont dans un rayon de 60 à 100 kilomètres.
M. Campeau : Le rêve qu'on caresse, c'est qu'il y ait plusieurs Maisons familiales un peu partout au Québec, mais avec différentes formations. Chez nous, c'est une formation qui est en lien avec notre réalité du milieu, mais d'autres régions pourraient développer une formation adaptée à leur réalité et on pourrait s'échanger des élèves. Tout cela fait en sorte qu'on y croit beaucoup. L'exemple est là. On forme des leaders qui vont retourner dans leur milieu et qui vont développer leur région.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Excusez-moi, j'ai peut-être mal compris l'interprétation, mais y a-t-il une instruction religieuse dans le cadre de cet apprentissage? Vous avez évoqué un apprentissage par l'écoute et le toucher. Pouvez- vous nous donner quelques précisions? Qu'est-ce on touche?
[Français]
M. Campeau : Dans le système scolaire, c'est un peu la façon dont on catégorise les jeunes. Il y a des jeunes qui sont plus auditifs. Le fait de voir un exemple sur un tableau les aide à comprendre; ils se font une image. Ce sont des élèves plus auditifs. Les élèves manuels doivent toucher pour comprendre et apprendre. Ils ont de la difficulté à se faire une image de ce qu'ils voient au tableau et ce que l'enseignant explique. Les jeunes qu'on reçoit chez nous font partie de cette dernière catégorie. Les jeunes qui ont besoin pour comprendre l'alimentation d'une vache laitière par exemple, pour comprendre la façon dont le sirop d'érable se transforme, doivent participer à la fabrication. C'est ce qu'on appelle de jeunes manuels. À partir de ce moment, l'enseignement leur explique toutes les étapes de l'évolution. C'est leur façon de comprendre les choses. C'est une des raisons pour lesquelles certains jeunes quittent l'école prématurément. Ils ont beaucoup de difficultés à comprendre et ils ne réussissent pas à comprendre. Ce sont ces jeunes que l'on récupère et par une méthode différente, on les amène à cheminer et à finir leur secondaire.
Sur le plan de la religion, chez nous, depuis nombre d'années, ce sont des écoles non confessionnelles. Ce n'est pas que la religion est bannie, mais c'est non confessionnel. On n'a pas d'enseignement religieux en tant que tel.
Par contre, l'internat amène une formation différente des écoles traditionnelles. C'est-à-dire que l'internat donne des valeurs aux jeunes. Ce n'est pas de la religion, mais ce sont des notions de respect. On le dit de façon différente dans la religion, mais le message est le même « respecte ton voisin ». L'internat joue ce rôle. Apprendre à vivre en communauté n'est pas de la religion, mais cela fait partie de la vie. L'internat apporte aux jeunes, toutes les valeurs humaines dont on a besoin dans la vie. Dans un club de hockey par exemple, il y a une foule de valeurs humaines qui se véhiculent. Vous en savez quelque chose.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Je vous remercie de votre exposé. Notre comité traite de l'agriculture, et les écoles MFR dispensent aux élèves une formation professionnelle intégrée à la collectivité. Étant donné qu'il s'agit de collectivités rurales comprenant des exploitations agricoles, j'aimerais savoir ce que l'on enseigne précisément en matière agricole.
Vous avez évoqué l'alimentation des vaches laitières et la fabrication de sucre à partir du sirop d'érable, mais quelle est la formation agricole que reçoivent les élèves?
[Français]
M. Campeau : On a quatre formations différentes. On a une formation en production laitière qui enseigne au jeune à nourrir une bête, une vache laitière, à la traire, le vêlage et tous les travaux qui tournent autour de la vache laitière.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Est-ce que l'on fait l'élevage de veaux?
[Français]
M. Campeau : La production bovine ressemble beaucoup à la production de la vache laitière sauf qu'elle produit des veaux au lieu du lait. On a une formation en foresterie, la récolte du bois en forêt et l'acériculture qui concerne le sirop d'érable. La feuille d'érable est l'emblème du Canada. On a une formation où on apprend aux jeunes à transformer ce type de produits en produit qu'on peut commercialiser. Ce sont les quatre formations que nous offrons en lien avec l'agriculture évidemment.
M. Lambert : Ces formations sont offertes dans notre école parce que ce sont les productions que l'on retrouve dans notre région. La spécificité de MFR est d'offrir une formation répondant aux besoins du milieu local. Notre région est très acéricole. On retrouve plus de 450 entreprises qui produisent du sirop d'érable. On a une centaine d'entreprises qui ont des exploitations laitières et notre territoire est à 85 p. 100 forestier donc on a beaucoup d'exploitants forestiers aussi. Nous répondons vraiment à un besoin local alors que si on était dans les Prairies canadiennes, on serait peut-être plus orienté vers les grandes cultures par exemple.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Nous traitons de la pauvreté rurale. À la suite de la formation pratique que vous leur dispensez, et la formation est intégrée aux activités de la région, est-ce que ces élèves restent ensuite sur place et est-ce que cela fait une quelconque différence sur le plan de la pauvreté; c'est comme ça que les choses se passent?
[Français]
M. Lambert : L'école est encore jeune, elle a seulement huit ans. Cela ne fait que cinq ans qu'on a des finissants et qu'on voit des résultats. En plus des jeunes demeurant dans la région et qui y travaillent, on constate aussi que dans plusieurs situations cela permet à des entreprises de poursuivre leurs activités.
À la grandeur du pays, il est de plus en plus difficile de trouver des employés en agriculture et en formant des jeunes dans le milieu rural, cela permet aux entreprises de trouver plus facilement des employés. Cela leur permet de poursuivre leur croissance et leurs activités agricoles. On a même des producteurs agricoles qui ont trouvé des associés parmi leurs stagiaires.
On contribue de plusieurs manières au développement de la communauté rurale, en permettant aux jeunes de demeurer dans le milieu et en dynamisant le milieu agricole qui a l'occasion d'engager ces jeunes ou même de créer des partenariats avec eux dans leurs entreprises. Cela amène beaucoup d'échanges lors des réunions entre les agriculteurs. Un agriculteur peut appeler un autre agriculteur qui a déjà accueilli un stagiaire et lui demander ses commentaires.
Il se créé des liens, en même temps on parle d'autres sujets, on peut s'échanger du matériel agricole et toutes sortes de choses.
M. Campeau : Il ne faut pas oublier qu'une bonne partie des jeunes qui fréquentent nos établissements sont issus de milieux ruraux et sont souvent fils ou filles de producteurs agricoles.
Les producteurs agricoles sont des entrepreneurs. Ces élèves ont donc acquis très jeune cet esprit d'entreprenariat et seront des leaders dans la société. Toutefois, parce que le système scolaire ne répond pas à leurs besoins, ces jeunes ne peuvent parfaire leur formation dans le système public. Nous sommes là pour leur donner cette occasion de le faire.
Imaginez l'apport que ces jeunes leaders auront pour leur communauté une fois qu'ils auront complété leur formation. C'est vraiment extraordinaire. On constate déjà les bénéfices après sept ou huit ans.
[Traduction]
La présidente : J'ai une dernière question à vous poser. Vous nous dites que vous exercez vos activités dans différentes régions du pays. Avez-vous ce genre d'écoles en Alberta? Dans l'affirmative où sont-elles implantées?
[Français]
M. Lambert : Seulement trois Maisons familiales rurales existent au Québec. Certains projets sont toutefois en développement, dont un dans l'Est ontarien et un en Alberta. Il y a deux ans, nous avions initié un projet avec une communauté au Manitoba, qui a malheureusement dû être abandonné suite au refus du conseil scolaire de collaborer. Un projet est aussi en cours avec une communauté autochtone dans le Nord du Québec. Ces projets à l'extérieur du Québec sont élaborés dans le cadre du Programme des modèles du Secrétariat rural du Canada.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie. Cette séance a été bien différente de la plupart de celles qui l'ont précédée. La question est importante, parce qu'il s'agit d'éducation, qui est à la base de tout ce que nous faisons.
Nous vous souhaitons bonne chance et nous ferons en sorte que vous receviez la transcription des délibérations de cette séance.
La séance est levée.