Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 30 - Témoignages du 5 juin 2007
OTTAWA, le mardi 5 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 19 h 37 afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir, honorables sénateurs et distingués témoins.
Ainsi que notre comité l'a appris, le Canada rural couvre beaucoup plus de choses que simplement l'agriculture. Il comprend aussi des collectivités et des régions qui dépendent d'activités forestières et minières, de la pêche et même de l'industrie manufacturière. Le secteur agricole continue cependant de tenir énormément à cœur à notre comité. En fait, si nous nous sommes penchés sur la pauvreté rurale, c'est parce que nous observions de plus en plus de problèmes dans les exploitations agricoles. Par conséquent, j'ai le grand plaisir d'accueillir ici trois témoins de Statistique Canada qui vont nous faire part des données les plus récentes sur le revenu agricole et les premiers résultats du Recensement de l'agriculture de 2006.
Nous accueillons aujourd'hui M. Denis Chartrand, directeur de la Division de l'agriculture à Statistique Canada; Mme Cathy Cromey, chef de section du Recensement de l'agriculture au sein de la Division de l'agriculture, et M. Marco Morin, chef de la Section du revenu agricole et du prix à la production, de la Division de l'agriculture.
Denis Chartrand, directeur, Division de l'agriculture, Statistique Canada : Je vous remercie beaucoup. Nous sommes très heureux de pouvoir renseigner les sénateurs sur les points saillants de notre Recensement de l'agriculture de 2006 et de notre communiqué du 28 mai sur le revenu agricole global. Notre exposé comprend deux parties. Je prendrai la parole en premier et mes collègues prendront ensuite le relais. Mme Cromey abordera le Recensement de l'agriculture de 2006, tandis que M. Morin parlera des points saillants de notre récent communiqué sur le revenu agricole global.
Avant que Mme Cromey n'entame la partie consacrée au Recensement de l'agriculture de 2006, j'aimerais préciser que nous tenons ce sondage à tous les cinq ans afin de disposer d'un tableau d'ensemble de l'industrie. C'est une source nationale unique de données comparatives recueillies à l'échelle locale et même municipale. La diffusion le 16 mai du Recensement de l'agriculture s'inscrit dans une série de diffusion de données, que le public et les provinces peuvent et pourront trouver sur le site Internet de Statistique Canada. Le recensement contient aussi des renseignements sur les changements structurels fondamentaux et sur les tendances observées dans cette importante industrie.
Après Mme Cromey, vous entendrez M. Morin, qui passera en revue les prévisions sur le revenu agricole global de 2006. Ces chiffres estimatifs donnent une idée précoce et assez juste de ce qui se passe dans l'industrie agricole. Toutefois, si l'on veut obtenir une analyse plus approfondie du rendement des divers sous-secteurs de l'agriculture, à savoir les cultures de grande production, les bovins, les volailles, l'horticulture, les produits laitiers, et cetera, il est important de consulter des sources complémentaires. Grâce à ces dernières, on se renseignera sur le genre d'exploitations agricoles et sur leur taille, facteur important étant donné que les sous-secteurs sont souvent assujettis à des contraintes et des conditions différentes. Aussi, les concepts utilisés pour la production de nos séries sur le revenu agricole global permettent de fournir des statistiques à l'échelle provinciale pour le besoin des comptes nationaux. Nous reviendrons sur ces concepts plus loin dans notre exposé, mais il importe de garder à l'esprit que des séries de données différentes doivent être interprétées et comparées de la manière appropriée à chacune.
À noter aussi qu'à la série annuelle sur les données globales viennent s'ajouter deux importantes sources de renseignements à Statistique Canada : l'Enquête financière sur les fermes et le programme des données fiscales. À propos des exploitations agricoles, elles nous renseignent sur leur actif et leur passif ainsi que sur leurs recettes et leurs dépenses, selon le genre de ferme et sa taille. Ces autres sources nous aident à mieux comprendre l'évolution des divers sous-secteurs de cette importante industrie en périodes difficiles.
Je vais maintenant demander à Mme Cromey de vous parler des points saillants du Recensement de l'agriculture de 2006. Nous allons suivre l'ordre des tableaux présentés dans le document. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous aimerions que, pendant l'exposé, vous ne nous demandiez que quelques éclaircissements, mais nous serons plus que disposés à répondre de façon beaucoup plus détaillée aux questions que vous voudrez peut-être nous poser par la suite.
Cathy Cromey, chef, Recensement de l'agriculture, Division de l'agriculture, Statistique Canada : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Au cours de mon exposé, vous allez remarquer que le nombre d'exploitations agricoles a baissé de 7,1 p. 100 depuis 2001, mais cette diminution est inférieure de 3 p. 100 à celle qu'on a observée entre 1966 et 2001. La situation ne se résume toutefois pas à cette diminution. Les exploitants agricoles trouvent des moyens différents de maintenir leur stabilité financière. Ils le font en agrandissant leur entreprise ou en diversifiant leur production, on en trouvant des marchés à créneau.
Par rapport aux chiffres du recensement agricole, la définition d'une ferme de recensement demeure la même. Elle englobe toutes les fermes qui vendent ou ont l'intention de vendre des produits agricoles. Cela inclut donc les très petites exploitations qui commencent à peine, les exploitations familiales plus traditionnelles et les très grandes sociétés agricoles. Au 16 mai 2006, le nombre de fermes s'élevait à 229 373, soit une baisse de 7 p. 100 depuis 2001.
Pour ce qui est du nombre d'exploitations agricoles par province, cette diapositive vous montre que toutes les provinces ont accusé des pertes à cet égard. L'Ontario demeure la province comptant le plus grand nombre de fermes, avec un peu plus de 57 000, tandis que c'est à Terre-Neuve qu'on en trouvait le moins, avec seulement 558. Terre-Neuve et la Saskatchewan ont été les seules provinces à rapporter des diminutions de plus de 10 p. 100, bien qu'en chiffres absolus, la Saskatchewan ait connu la baisse la plus marquée, avec 6 269 fermes.
Je vais maintenant parler de la superficie des terres, des grandes cultures et du bétail au Canada. La superficie moyenne des terres est demeurée stable entre les deux recensements, en dépit de la diminution du nombre des fermes, ce qui donne maintenant un total de 167 millions d'acres. Si l'on se reporte à la colonne illustrant le Canada, nous y voyons que la superficie moyenne des terres par exploitation agricole a augmenté de 8 p. 100, atteignant 728 acres en 2006. Nous pouvons aussi observer que c'est en Saskatchewan que les superficies sont les plus vastes, avec une moyenne de 1 449 acres, et que c'est à Terre-Neuve-et-Labrador qu'elles sont les plus petites, avec une moyenne de 160 acres.
La transformation que connaît l'agriculture est bien illustrée par le secteur des cultures. La superficie des terres de culture effectivement cultivées a reculé de 1 p. 100 à l'échelle nationale, mais les agriculteurs plantent maintenant des cultures différentes. Si nous nous reportons au graphique de répartition des grandes cultures, nous y voyons que le blé et les autres céréales ont accusé une autre baisse. Le blé demeure notre culture la plus importante, mais il a lui aussi connu un recul de 10 p. 100. D'autres céréales traditionnelles, comme l'orge et le grain de maïs, ont aussi diminué, mais il faut se rappeler que les données du recensement ont été recueillies il y a un an, avant la vague favorable à l'éthanol qui encourage présentement la culture de plus grandes superficies de maïs.
Depuis 1976, la proportion de terres de culture consacrées aux oléagineuses a presque sextuplé. Le canola est l'oléagineuse dont la culture est le plus répandue au Canada. La demande pour ce produit a augmenté en raison des avantages que son huile représente pour la santé et de la possibilité qu'elle serve à la production de biodiesel. Les légumineuses à grain, comme les petits pois séchés, les lentilles et les féveroles, qui avaient connu une augmentation de 190 p. 100 de 1966 à 2001, accusent maintenant une diminution de 22 p. 100. Quant au foin et aux autres cultures fourragères, ils ont augmenté de 9 p. 100 depuis 2001 et de 49 p. 100 depuis 1986. Cela tient à l'augmentation du nombre des bovins.
À la diapositive suivante, on peut voir la superficie des terres de culture par province ainsi que l'évolution des pourcentages depuis 2001. La superficie des terres de culture a rétréci dans six provinces, la Colombie-Britannique accusant la diminution la plus forte avec 5 p. 100 de moins. L'Ontario a connu une légère augmentation et le Québec, une hausse de 4,5 p. 100. Cela tient en partie à un plus grand nombre d'inventaire-bétail et à la nécessité de disposer d'une plus grande superficie sur laquelle épandre le fumier comme l'exigent les lois environnementales provinciales. C'est encore la Saskatchewan qui détient la palme de la superficie de terres de culture, avec 42 p. 100 du total.
Pour ce qui est des bovins et des porcins, on voit qu'ils ont connu une hausse de 1 p. 100 entre les deux recensements, ce qui donne un chiffre inégalé de 15,8 millions de têtes. Les agriculteurs rapportent également un nombre record de plus de 15 millions de porcins, une hausse de 8 p. 100. Il est aussi à noter, même si cela n'est pas illustré, que le nombre moyen de porcins par ferme a augmenté de 45 p. 100, passant de 902 têtes à 1 308 par ferme. Plus de la moitié des porcins se trouvent au Québec et en Ontario.
Les agriculteurs s'adaptent aux changements en diversifiant leur production, en exploitant des marchés à créneaux ou en accroissant la taille de leurs activités. La production biologique est en hausse. Cela tient à l'augmentation de la demande pour des aliments produits sans le recours à des engrais chimiques, à des pesticides ou à des organismes génétiquement modifiés. À l'heure actuelle, 6,8 p. 100 des exploitations agricoles du Canada rapportent au moins une culture biologique.
Concernant les serres, leur superficie totale s'est accrue de 21 p. 100 depuis 2001 pour atteindre un sommet de 239 millions de pieds carrés. Pour la première fois, les légumes de serre ont occupé le premier rang des produits de serre, dépassant les fleurs.
Les pépinières et les superficies de gazon ont connu une progression considérable depuis 2001, principalement en raison du plus grand nombre de mises en chantier dans bon nombre de régions du pays.
La superficie des fruits de culture s'est aussi agrandie de 5 p. 100, à cause des bleuets et des raisins. Par contre, on a observé un fléchissement dans les pommes et les fraises, à cause d'un très fort marché d'importation. À noter aussi que l'on s'est mis à la culture des cerises dans l'Ouest, grâce à un nouveau cultivar mis au point à l'Université de la Saskatchewan.
Pour ce qui est du bétail sauvage, le nombre de bisons a augmenté de 35 p. 100 et celui des lamas et des alpagas de 23 p. 100 tandis que celui des ovins a reculé de 10 p. 100 et celui des caprins de 3 p. 100. Les fermes s'agrandissent, comme le montre la hausse de la superficie moyenne et du nombre d'exploitations se trouvant dans les catégories à recettes plus élevées.
Si l'on passe à la situation financière, le Recensement de l'agriculture recueille des données sur les dépenses totales d'exploitation, à l'exclusion de l'amortissement par dépréciation. Il rapporte aussi les recettes agricoles brutes, qui comportent les sommes reçues en vertu de programmes gouvernementaux. Gardez toutefois à l'esprit que bien que le recensement ait eu lieu en 2006, les dépenses et les recettes agricoles brutes correspondent à 2005.
Dans la première diapositive, on remarque que les fermes se sont progressivement agrandies et que leur nombre a diminué. En revanche, on trouve davantage d'exploitations agricoles rapportant des recettes d'au moins 250 000 $, en prix constants de 2005. Dix-sept pour cent de toutes les fermes se trouvaient dans cette catégorie en 2006 et correspondaient à près de 75 p. 100 du total des recettes agricoles brutes, tandis qu'en 2000, 14 p. 100 des fermes représentaient 68 p. 100 des recettes brutes totales.
Bien que cela ne figure pas au tableau, il est intéressant de noter que 2,6 p. 100 de l'ensemble des exploitations agricoles rapportaient des recettes d'au moins un million de dollars, en hausse de 8 p. 100 par rapport à 2001. Ces fermes correspondent à 40 p. 100 des recettes agricoles brutes au Canada.
La diapositive suivante montre la proportion de chaque dollar des recettes agricoles brutes affectées aux dépenses d'exploitation. N'oubliez pas que les dépenses totales rapportées par le recensement ne comprennent pas l'amortissement par dépréciation, autrement, ces ratios seraient plus élevés.
En 2005, la ferme moyenne dépensait 86 ¢ par dollar des recettes. En 2000, c'était 87 ¢. C'est au Québec qu'on a observé le ratio le plus faible entre les dépenses et les recettes, avec 82 ¢, principalement à cause de la prépondérance dans cette province du secteur laitier. En 1995, c'est en Saskatchewan que le ratio était le plus bas avec 77 ¢, mais le prix des grains était alors très élevé.
On remarque également que l'Île-du-Prince-Édouard a connu l'augmentation la plus importante, de 85 ¢ à 90 ¢, depuis le dernier recensement, principalement à la suite de diminutions dans la production de pommes de terre et de coûts des intrants plus élevés, comme pour le carburant et les engrais.
Même si cela ne paraît pas au tableau, il est à noter que ces ratios varient selon le genre de produits. Ainsi par exemple, les fermes laitières ont enregistré les dépenses d'exploitation les plus faibles, à 73 ¢ par dollar tandis que les exploitations bovines et toutes les autres fermes d'élevage ont dépensé le plus, soit 93 ¢ par dollar.
À la diapositive suivante, on remarque que malgré l'importance que revêt la taille d'une ferme, cela n'est pas nécessairement un avantage. Quelle que soit la superficie d'une exploitation agricole, et dans toutes les catégories de recettes, certaines d'entre elles rapportent des dépenses d'exploitation plus élevées que les recettes.
À l'échelle nationale, la proportion des fermes dont les recettes agricoles brutes sont supérieures à leurs dépenses d'exploitation a légèrement diminué, passant de 56,9 p. 100 à 55,8 p. 100. En règle générale, les petites exploitations auront davantage de difficulté à couvrir leurs dépenses d'exploitation. Toutefois, près de 30 p. 100 des fermes ayant des recettes inférieures à 25 000 $ ont rapporté des recettes plus élevées que leurs frais, en légère hausse par rapport à 2001.
Dans le cas des petites exploitations, c'est parfois un choix de style de vie. Pour les autres, cela nous rappelle encore une fois à quel point il est difficile de durer dans le secteur agricole. Les nouvelles exploitations seront assez souvent petites et connaîtront des frais de lancement élevés pendant qu'elles se cherchent un débouché sur les marchés.
Le recensement fournit aussi des données sur le capital agricole total. La valeur du bétail et de la volaille a chuté de 28 p. 100 depuis 2001, principalement à la suite d'un fléchissement des prix des bovins et des porcins. Pendant la même période, le prix des machines a progressé de 9 p. 100. L'augmentation de 26 p. 100 du capital agricole total est surtout le résultat d'une appréciation de 38 p. 100 de la valeur de la terre et des bâtiments. À noter que la valeur des biens fonciers se fonde sur les chiffres estimatifs des répondants et souvent aussi sur l'offre la plus élevée qui leur a été faite, ce qui correspond souvent à un usage non agricole. L'augmentation de la valeur des biens-fonds est une arme à double tranchant. Sur papier, elle accroît la richesse des agriculteurs mais dans les faits, elle rend plus coûteux l'achat ou la location de terres. Elle risque aussi de les inciter à abandonner l'agriculture et à vendre leurs terres.
Le recensement recueille également des données démographiques sur celui qui s'occupe de la gestion quotidienne, c'est-à-dire l'exploitant agricole. Ce graphique sur la répartition selon l'âge montre que la tendance au vieillissement de la population des exploitants s'est maintenue en 2006.
En 1991, le nombre d'exploitants de moins de 35 ans correspondait à près de 20 p. 100 du total. En 2006, il ne représente plus que 9 p. 100. Même la tranche d'âge de 35 à 54 ans — la plus nombreuse des trois tranches ayant grimpé de 1991 à 2001 — a reculé en 2006. Inversement, la proportion des exploitants de plus de 54 ans a de nouveau progressé pour correspondre à un peu plus de 40 p. 100 de l'ensemble des exploitants au Canada.
Le tableau suivant, illustrant le travail à la ferme et le travail non agricole, montre que le travail à plein temps à la ferme — de plus de 40 heures par semaine — a fléchi légèrement, passant de 47,7 p. 100 à 46,7 p. 100. Le travail à temps partiel — de moins de 20 heures par semaine — effectué à la ferme par les exploitants a quant à lui augmenté, passant de 25,4 p. 100 à 27,2 p. 100. Inversement, le travail non agricole à plein temps — plus de 40 heures par semaine — s'est accru de 3 p. 100 depuis 2001 et le travail à temps partiel a lui aussi augmenté.
Je vais maintenant céder la parole à M. Morin, qui abordera la question du revenu agricole net.
Marco Morin, chef, Section du revenu agricole et des prix à la production, Division de l'agriculture, Statistique Canada : À titre d'introduction, le 28 mai, Statistique Canada a publié une étude sur le revenu net réalisée en 2006. Ces valeurs représentent une description globale du revenu agricole au niveau national et provincial. Elles permettent d'évaluer le revenu des exploitations agricoles, qui comprend les recettes agricoles mais excluent les autres sources de revenu que touchent les membres d'une exploitation familiale.
Ces valeurs ne sont pas directement comparables aux chiffres publiés dans le Recensement de l'agriculture. L'une des principales différences, c'est que ces chiffres globaux excluent les ventes entre les exploitations d'une même province, pour respecter les concepts des comptes nationaux. Ces concepts représentent la production finale des exploitations agricoles au niveau provincial. En outre, la dépréciation est intégrée aux valeurs du revenu agricole net.
Veuillez remarquer que le revenu agricole global comprend tous les types et toutes les tailles d'exploitations. Par conséquent, si l'on veut avoir une meilleure idée des facteurs qui jouent sur telle ou telle tendance du marché, il faut étudier la taille des exploitations des secteurs agricoles, comme l'a signalé Mme Cromey tout à l'heure, puisqu'il y a des différences significatives dans ce secteur dynamique.
À la diapo suivante, vous avez la formule qui explique comment on calcule le revenu net réalisé. Parmi les mesures du revenu global, il y a trois mesures du revenu agricole. Cependant, le revenu net est la valeur la plus souvent utilisée par la collectivité agricole. Comme vous le voyez, il s'agit de la formule suivante : les recettes monétaires plus les dépenses d'exploitation moins l'amortissement, plus le revenu en nature.
À la diapo suivante, vous avez des renseignements sur le revenu net réalisé pour les années 2005 et 2006. Les résultats de l'étude de 2006 font état d'un déclin annuel du revenu net réalisé entre 2005 et 2006. Cette dernière année, comme vous le voyez, la valeur du revenu net réalisé était de 1,1 million de dollars.
Si l'on regarde les trois éléments de la formule, soit les recettes monétaires, les dépenses d'exploitation et l'amortissement, on observe que les recettes monétaires agricoles ont augmenté de 0,6 p. 100 pour représenter 37 milliards de dollars. Cela reflète la moyenne canadienne, et s'explique par l'augmentation des recettes des cultures qui a fait contrepoids à la diminution des recettes du bétail et des paiements des programmes.
Je vais passer un peu plus de temps sur cette diapositive, parce qu'il est important d'expliquer les facteurs qui nous mènent à ces chiffres.
Je viens de dire qu'une des raisons est l'augmentation des recettes des cultures, et que la reprise des recettes des cultures en 2006 a été soutenue par l'augmentation des livraisons et des prix. Les prix se sont raffermis au cours de 2006, l'industrie des biocarburants s'étant accrue et certains des principaux pays exportateurs de céréales ayant connu des conditions de croissance défavorables. Vers la fin de l'année, les prix ont également été renforcés par l'amélioration des conditions de récolte en 2006 qui ont donné lieu à la commercialisation de cultures de qualité supérieure.
En outre, sous la rubrique recettes monétaires — pour le secteur du bétail, cette fois — les producteurs de porcs ont eu des recettes monétaires inférieures en 2006 par rapport à l'année précédente. Le principal facteur à l'origine de cette baisse était les prix, qui se sont situés en moyenne à un niveau inférieur de 12,7 p. 100 aux prix enregistrés en 2005. La hausse des recettes des bovins et des veaux a atténué la chute des recettes du bétail étant donné que les exportations de bovins ont repris de la vigueur à la suite de la réouverture de la frontière américaine aux bovins vivants âgés de moins de 30 mois le 18 juillet 2005.
Enfin, je vais vous parler du troisième élément de ces recettes, soit les paiements. Après trois années consécutives d'augmentation, les paiements de programmes ont diminué, après avoir atteint un taux record en 2005. Encore une fois, il est important d'expliquer ce phénomène, puisque les paiements de programmes avaient atteint des taux records entre 2003 et 2005, suite aux sécheresses de 2001 et 2002 et à la découverte du premier cas de vache folle ou d'ESB au Canada, en 2003.
Si vous regardez de nouveau la diapo, vous observerez que la deuxième ligne s'appelle « Dépenses d'exploitation totales après remises ». L'augmentation des taux d'intérêt, du prix du carburant et des coûts de la main-d'œuvre a contribué à cette hausse des dépenses d'exploitation de 3,3 p. 100, pour un total de 31,5 milliards de dollars. Les intérêts débiteurs ont augmenté, alors que les taux d'intérêt préférentiels ont bondi de plus de 30 p. 100, pour atteindre près de 6 p. 100 en moyenne en 2006, et que les taux hypothécaires pour les termes d'un an ont augmenté de plus de 20 p. 100 pour atteindre 6,5 p. 100 en moyenne, par rapport aux récents creux atteints lors des dernières années. Lorsqu'on calcule les intérêts débiteurs, on tient également compte de l'endettement agricole, qui a continué d'augmenter au cours de l'année 2006.
Même si l'augmentation du prix du carburant s'est atténuée en 2006, l'accroissement des prix du diesel et de l'essence explique largement la hausse du coût du carburant pour les machines. Les coûts de la main-d'œuvre ont poursuivi leur ascension en 2006, les exploitants agricoles ayant éprouvé des difficultés à trouver des travailleurs dans un marché du travail de plus en plus concurrentiel. Enfin, le troisième élément est l'amortissement et, comme vous le voyez, il est resté autour de 4,6 milliards de dollars en 2006.
La prochaine diapo représente une ventilation par province de ces trois éléments. On y voit un diagramme à barres, dont chacune reflète la part du secteur agricole, selon les provinces; l'Ontario est en tête, suivie de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Québec. C'est une tendance relativement constante ces dernières années.
Passons à la diapo suivante. Lorsque nous avons publié nos données sur le revenu agricole la semaine dernière, nous avons également publié nos statistiques sur l'endettement agricole. Les chiffres que je vais vous fournir ne figurent pas sur cette diapo, mais nous savons que la dette agricole impayée augmente constamment depuis 1993 et représente, au 31 décembre 2006, 52,3 milliards de dollars, soit une augmentation de 4,6 p. 100 par rapport à l'année précédente. Cependant, cela ne nous donne qu'une partie de l'information, et Statistique Canada publiera dans deux semaines un bilan plus complet du secteur agricole pour l'année 2006, qui comprend l'actif, le passif et les capitaux propres. Les chiffres de 2005 sont disponibles et nous les comparons avec ceux de 2004 à la diapositive suivante. Les données de 2005 indiquent que les valeurs globales des capitaux propres du secteur agricole au Canada ont augmenté de 3,3 p. 100 et représentent 192,2 milliards de dollars en 2005 et que l'actif a augmenté plus rapidement que le passif. En ce qui concerne l'actif total, la valeur de l'immobilier dans le secteur agricole augmente de façon constante depuis 1988 et a connu une croissance de 2,6 p. 100 en 2005, ce qui a largement contribué à l'augmentation de l'actif.
À la fin de 2005, le passif agricole a atteint 46,8 milliards de dollars, soit une augmentation de 4,6 p. 100 par rapport à 2004. C'est la douzième année consécutive de croissance du passif. Le passif à court et à long terme a grimpé de 4 p. 100 en 2006 par rapport à l'année précédente.
Tout cela nous permet de calculer le ratio d'endettement, qui est resté autour de 19 p. 100 ces trois dernières années, c'est-à-dire entre 2003 et 2005.
Comme nous l'avons dit au début de l'exposé, ces chiffres sont des chiffres globaux et pour une meilleure analyse de la situation et une meilleure compréhension de ce qui se passe dans le secteur agricole, il est important de tenir compte de la taille et du type de l'exploitation. Dans les deux dernières diapositives de mon exposé, je vous présenterai des renseignements qui viennent d'une autre source de Statistique Canada, que l'on appelle l'Enquête financière sur les fermes. Cette enquête nous fournit des renseignements sur une catégorie de revenu selon trois variables : le total de l'actif, le total du passif et la valeur nette, et vous avez ici une moyenne de ces valeurs par exploitation.
Ces chiffres indiquent que la valeur des trois variables augmente lorsque la catégorie de revenu augmente, ce qui vous donne une description différente de la situation, selon la taille de l'exploitation, par opposition aux chiffres globaux de tout à l'heure.
Enfin, vous avez à la dernière diapo la même information selon le type de ferme. Par exemple, les valeurs des trois composantes sont les moins élevées pour la catégorie des éleveurs de bovins de boucherie. À l'inverse, le total de l'actif et la valeur nette sont les plus importants pour les éleveurs de volailles tandis que les producteurs laitiers ont le passif le plus élevé.
La présidente : Merci beaucoup. C'était très intéressant. Nous devons absolument savoir ces choses-là.
Le sénateur Callbeck : En ce qui concerne les chiffres du recensement de l'agriculture, je crois comprendre qu'il peut y avoir une exploitation qui reçoit 500 $ pour son sirop d'érable et une autre qui touche 2 millions de dollars pour ses patates. En d'autres mots, toutes les exploitations sont rassemblées.
Mme Cromey : Nous recueillons dans le recensement des données sur toutes les fermes du Canada, quelle que soit leur taille, en effet.
Le sénateur Callbeck : Je vois que le nombre de fermes a diminué. Ces chiffres comprennent l'exploitant de sirop d'érable qui a un revenu de 500 $ et le producteur de pommes de terre qui a deux millions de dollars.
Est-ce qu'on a déjà pensé à tenir compte des recettes dans la définition d'une ferme, dans le recensement?
Mme Cromey : Non, à cause du processus de collecte de données. Les gens participent spontanément, et c'est plus facile que d'aller les chercher et d'imposer une limite selon le revenu. Nous aurions du mal à définir cette limite.
En outre, les revenus changent d'une année à l'autre. Nous utilisons les données du recensement pendant cinq ans pour notre programme d'enquête, et avec votre proposition, certaines fermes pourraient être au-dessus du seuil de revenu défini et l'année suivante, en dessous. Par conséquent, le recensement couvre toutes les tailles d'exploitations. Cependant, nous ventilons les données selon différentes tailles d'exploitations. Même si nous couvrons toutes les fermes, nous avons les détails de chacune et nous pouvons ventiler les chiffres et déterminer lesquels appartiennent à telle catégorie de revenu.
Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il des fermes d'agrément? Savez-vous quel pourcentage de ces fermes sont des fermes d'agrément?
Mme Cromey : Pour l'instant, le recensement ne comprend pas la définition de « fermes d'agrément ». L'année prochaine, cependant, nous aurons une base de données qui rassemblera les données du recensement et les données sur l'agriculture. À ce moment-là, nous pourrons classer les fermes selon qu'il s'agit de fermes professionnelles ou de fermes d'agrément.
Le sénateur Callbeck : À la page 6 de votre exposé, vous dites que la production biologique représente 6,8 p. 100.
Mme Cromey : Oui, elle représente 6,8 p. 100.
Le sénateur Callbeck : Ce chiffre a-t-il augmenté au cours des cinq années?
Mme Cromey : C'est difficile de vous dire s'il a augmenté au cours de ces cinq années. Dans le recensement de 2001, nous ne voulions que les fermes biologiques certifiées. Cette fois, nous avons demandé aux répondants d'indiquer si la ferme était certifiée biologique, en transition ou non certifiée. Dans la catégorie certifiée, on observe une augmentation de 2 p. 100, mais nous n'avons pas posé la question de façon aussi complète en 2001.
Le sénateur Callbeck : Est-ce que l'augmentation de la production biologique a été plus importante dans certaines provinces que dans d'autres?
Mme Cromey : La Colombie-Britannique compte davantage de fermes biologiques, ainsi que la Saskatchewan. Très souvent, les fermes certifiées biologiques produisent des céréales. Elles deviennent certifiées biologiques parce qu'elles veulent avoir accès aux marchés internationaux. La Saskatchewan compte également beaucoup de fermes certifiées biologiques.
Le sénateur Callbeck : Est-ce que la Saskatchewan et la Colombie-Britannique en comptent beaucoup?
Mme Cromey : En Saskatchewan, le nombre de fermes certifiées biologiques a augmenté de 52 p. 100.
Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il de leur taille?
Mme Cromey : Pour les fermes certifiées biologiques, beaucoup figurent dans la catégorie de revenu inférieur à 25 000 $ et certaines des fermes céréalières de plus grande envergure figurent également dans d'autres catégories. Environ 1 p. 100 de celles-ci figurent dans les catégories des revenus les plus importants.
Le sénateur Peterson : J'aimerais une précision sur la page 7, au sujet des dépenses d'exploitation et des recettes agricoles brutes. Le revenu touché à l'extérieur de la ferme est-il inclus dans ce chiffre?
Mme Cromey : Le revenu non agricole n'est pas inclus.
Le sénateur Peterson : Selon le graphique, l'Alberta compte 12 millions de moins d'acres de terres de culture, et pourtant les recettes sont supérieures d'un milliard de dollars à celles de la Saskatchewan, si on ne compare que ces deux provinces.
À la page 5, si vous regardez la proportion de terres de culture par province, vous voyez que l'Alberta a environ 12 millions d'acres de moins.
Mme Cromey : C'est exact.
Le sénateur Peterson : Ensuite, vous avez le revenu agricole, les recettes monétaires et les dépenses d'exploitation par province pour l'année 2006. C'est à la page 12. Pour les deux valeurs, les diagrammes de l'Alberta sont plus élevés que ceux de la Saskatchewan, soit environ d'un milliard de dollars. Est-ce que j'interprète mal le graphique? Qu'est-ce que ça veut dire?
Mme Cromey : Vous parlez de terres de culture. Vous regardez la diapositive qui décrit le nombre d'acres cultivées. On compte moins d'acres cultivées en Alberta, mais si vous regardez les recettes monétaires, vous voyez qu'elles comprennent les fermes bovines et les autres fermes, pas uniquement les fermes de culture.
Le sénateur Peterson : J'imagine qu'une grande partie des fermes albertaines sont des exploitations bovines.
Mme Cromey : Il y a beaucoup d'exploitations bovines en Alberta.
Le sénateur Peterson : Il doit y avoir beaucoup de bovins.
Connaissez-vous la valeur du manque à gagner cumulatif du secteur agricole, aujourd'hui? Nous avons entendu parler de cinq milliards de dollars. Est-ce que cela vous semble réaliste? Il s'agit du manque à gagner accumulé jusqu'à aujourd'hui. En d'autres mots, si l'on voulait remettre tout le secteur agricole à zéro, il faudrait injecter cinq milliards de dollars. Pensez-vous que ce chiffre est près de la réalité?
M. Morin : J'essaie de comprendre le sens de votre question.
Le sénateur Peterson : Je parle de la dette cumulative du secteur agricole. On nous a dit, lors d'une séance précédente du comité, qu'elle était très élevée. Pour que les agriculteurs puissent recommencer à zéro, il faudrait injecter une somme X. On nous a dit que les agriculteurs perdaient de l'argent ces dernières années. J'essaie de comprendre l'ampleur du problème.
Quand je regarde votre exposé, cela me semble très positif. Or, beaucoup nous ont dit que la situation n'était pas si rose. Peut-être que nous parlons de deux choses différentes.
M. Morin : Si je comprends bien votre question, vous parlez de l'endettement agricole, dont j'ai parlé dans mon exposé. Est-ce exact?
Le sénateur Peterson : C'est un peu là où je voulais en venir. Plusieurs agriculteurs accumulent des dettes chaque année, et cela ne peut pas continuer éternellement. Nous essayons de comprendre combien d'argent il leur faudrait pour remettre leurs comptes à flot. Peut-être que vous ne disposez pas de ces chiffres. On nous a dit qu'il faudrait cinq milliards de dollars.
M. Morin : Comme je l'ai dit tout à l'heure, la valeur totale de l'endettement agricole était de plus de 52 milliards de dollars pour 2006, et ce chiffre augmente constamment depuis 1993. Ces 14 dernières années, l'endettement n'a cessé d'augmenter.
L'information que nous recueillons et publions vient des organismes prêteurs, c'est-à-dire les banques, les caisses populaires, les organismes gouvernementaux, et cetera. C'est de cette façon que je peux révéler les tendances actuelles et que nous pouvons publier cette information.
Vous nous demandez comment réduire cette dette. Je crois que vous allez un peu plus loin, dans votre question, n'est-ce pas?
Le sénateur Peterson : Si l'on veut vraiment s'attaquer à la question agricole, il faut mettre en évidence les problèmes, connaître la valeur de la dette accumulée et déterminer ce qu'il faut faire pour faire de la collectivité agricole une collectivité viable. Combien est-ce que cela va coûter? Je vous ai donné les chiffres que nous avons entendus. Peut- être qu'il s'agit de la dette accumulée des frais d'exploitation. Avez-vous dit 52 milliards?
M. Morin : Oui, il s'agit de l'endettement total. Nous avons d'autres renseignements sur l'actif et le passif. Ces chiffres ont également augmenté au cours de la même période, soit depuis le milieu des années 1990 jusqu'à aujourd'hui. Si vous voulez mieux comprendre la situation, c'est pour cette raison que j'ai insisté sur la taille et le type d'exploitation. Vous voyez qu'à ce niveau, nous avons toujours la même information pour les valeurs globales. Si vous voulez aller plus loin, vous pouvez examiner le cas de chaque agriculteur pour voir comment il s'en sort compte tenu de son endettement, et cetera. Peut-être que certains sont très endettés, mais peut-être que d'autres empruntent pour investir. Si vous regardez l'actif et le passif, c'est ce qui explique que les deux valeurs augmentent.
Le sénateur Peterson : Est-ce que le taux de change des devises est un problème?
M. Morin : Par rapport à la dette agricole?
Le sénateur Peterson : Non, par rapport à l'ensemble du secteur. J'entends par là la valeur du dollar canadien par opposition à celle du dollar américain.
M. Morin : En ce qui concerne l'exportation de céréales, de graines oléagineuses, de porcins, de bétail et de tous les produits qui ont besoin d'un marché d'exportation, la valeur du dollar canadien par rapport à celle de la monnaie américaine est un facteur important. Je n'en ai pas parlé durant mon exposé, mais ça compte pour certains de ces produits. À terme, on peut d'ailleurs observer des tendances.
Le sénateur Peterson : Pouvez-vous nous donner des chiffres pour chaque cent d'appréciation de notre dollar par rapport à la devise américaine, et nous dire quelle en est l'incidence sur le secteur?
M. Chartrand : Non, nous n'avons pas ce genre de chiffre ici. Cela dit, la pression exercée sur notre monnaie a un effet sur nous du fait que l'agriculture dépend des exportations. Ce secteur exporte beaucoup.
Le sénateur Peterson : D'ici la fin de l'année, le dollar canadien atteindra peut-être la parité avec le dollar américain. Il se peut que nous assistions à cela, et ses effets seront dramatiques.
Le sénateur Gustafson : À mon avis, si l'on veut obtenir une idée juste de la situation en agriculture, il faut tenir compte de ce que font les offices de commercialisation, dans le sous-secteur laitier, et cetera. La situation est différente dans ce dernier cas de ce qu'on peut observer dans les grains ou les bovins.
Aussi, lorsqu'on se penche sur la situation dans les céréales, il faut tenir compte de la conjoncture dans l'économie mondiale. Avez-vous étudié cela?
M. Chartrand : Non, pour le moment, nous n'avons pas effectué d'étude là-dessus.
Le sénateur Gustafson : Les Américains nous disent avoir connu les trois plus belles années de l'histoire de leur agriculture. Au Canada, nous sommes passés par les trois plus mauvaises. Statistique Canada s'en rendra bien compte lorsqu'on fera la collecte des données de 2007; ce sera une grande surprise, mais une surprise à la baisse.
J'espérais que vous alliez nous fournir des chiffres ventilés sur le revenu agricole net. En avez-vous?
M. Chartrand : Nous en avons par type d'exploitation agricole.
M. Morin : Dans mon exposé, j'ai parlé des données recueillies par l'Enquête financière sur les fermes, et elles renseignent sur les encaissements, qui représentent la différence entre les recettes brutes et les dépenses d'exploitation. Vous pouvez donc les obtenir selon la taille et le type d'exploitation agricole.
Le sénateur Oliver : Les avez-vous avec vous? Pouvons-nous les regarder?
M. Morin : J'ai certains chiffres avec moi.
M. Chartrand : Nous avons apporté un exemplaire des résultats les plus récents de l'Enquête financière sur les fermes. Ils portent sur 2006 et sont répartis selon le type et la taille des exploitations agricoles. Vous pourrez y voir les impacts dans ces catégories spécialisées. Nous pouvons vous les fournir.
M. Morin : Avez-vous des questions précises à poser là-dessus, ou est-ce que le document vous suffira?
Le sénateur Gustafson : Je suis convaincu qu'à moins de savoir où va l'économie internationale — car nous exportons une très grande part de tous nos produits agricoles — si nous ne réussissons pas à tirer des bénéfices de ce que nous exportons, nous serons dans le pétrin jusqu'au cou. Nous en sommes là. Plus le dollar monte, plus notre revenu descend, et rapidement, comme c'est le cas dans l'industrie forestière.
M. Chartrand : La valeur du dollar a une grande incidence sur notre situation.
Le sénateur Gustafson : Vous avez parlé d'agriculteurs qui tirent des revenus de 25 000 $ par année de leurs exploitations; ce n'est certainement pas leur revenu net.
M. Chartrand : Non, c'est le revenu brut. Ce n'est pas beaucoup. Il s'agit dune très petite entreprise.
Le sénateur Gustafson : À quoi est-ce que cela correspondrait en chiffres nets?
M. Chartrand : Si vous vous reportez aux ratios qui accompagnent les chiffres du recensement à la page 7, vous y verrez que selon le type d'exploitation, ainsi par exemple, l'élevage de bovins où le ratio d'exploitation est de 93 ¢, il ne restera que 7 ¢ par dollar. Ça, c'est avant l'amortissement.
Le sénateur Gustafson : En réalité, ces gens trouvent des emplois à l'extérieur de la ferme et travaillent de longues heures, parce qu'ils cumulent le travail à la ferme et le travail dans une compagnie pétrolière, une compagnie d'autobus scolaires, et cetera. Même avec tout ce travail, ils ne rentrent pas dans leurs frais. Cela vous montre la gravité de la pauvreté en milieu rural.
Ces gens vivent dans d'assez belles maisons, ils ont l'air de bien vivre, mais sur le plan financier, c'est très difficile.
Mme Cromey : C'est justement ce que l'on examine lorsque l'on étudie ces ratios d'exploitation. Ils ne comprennent même pas l'amortissement, ce qui augmenterait leur valeur. Il n'y a pas beaucoup d'entreprises qui sont prêtes à accepter des marges aussi faibles. Nous en sommes conscients. Les marges augmentent avec le temps.
Pour les produits soumis à la gestion de l'offre, les ratios sont plus faibles : 73 ¢ pour les produits laitiers, 93 pour les bovins. Les autres produits dépendent fortement des marchés internationaux.
Le Canada ne peut pas établir les prix, il les accepte. La valeur du dollar ne nous aidera pas. C'est pourquoi nous examinons ces ratios, parce qu'avec le temps, ils peuvent nous aider à observer ce phénomène. Nous avons également observé, cette fois, que le travail à l'extérieur de la ferme a augmenté de 3 p. 100 par rapport à il y a cinq ans. C'est une augmentation importante du travail à l'extérieur de la ferme, pour des gens qui disent déjà travailler 40 heures par semaine. Même le nombre de personnes qui travaillent à temps partiel a augmenté de 1 p. 100 au moins.
Le sénateur Gustafson : Vous qui travaillez au ministère, trouvez-vous qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada essaie de maîtriser l'économie mondiale?
M. Chartrand : Nous travaillons pour Statistique Canada, non pas pour Agriculture et Agroalimentaire Canada. Je n'en ai aucune idée. Je pense qu'ils travaillent très fort pour aider le secteur agricole.
[Français]
Le sénateur Chaput : Vous parlez du travail à la ferme et du travail non agricole. Nous sommes conscients que beaucoup plus d'agriculteurs maintenant travaillent en dehors de leur exploitation agricole. Est-il possible de déterminer quelle proportion du revenu provenant du travail hors ferme sert à l'exploitation de la ferme, selon vos statistiques?
M. Chartrand : On n'a pas de chiffres qui indiquent exactement comment le fermier qui travaille hors ferme utilise ses revenus. On sait que beaucoup de fermes, comme l'ont indiqué les chiffres, ne couvrent pas leurs dépenses et peuvent seulement rester en opération en ayant des revenus supplémentaires hors ferme.
Pour les petites fermes, 28 p. 100 d'entre elles, en dessous de 25 000$, ont suffisamment d'argent qui rentre pour couvrir les dépenses. Mais pour les 72 p. 100 des autres, il n'y a pas assez d'argent qui rentre, cela fait qu'ils doivent trouver des revenus ailleurs. Nous réalisons que, pour beaucoup, c'est par choix; ce sont des gens qui aiment l'agriculture et avoir une petite ferme est un mode de vie. D'autres essaient de rentabiliser ces opérations.
Le sénateur Chaput : À la page 10 de votre document, lorsque vous présentez le travail à la ferme et le travail non agricole, il y a des pourcentages. Si on prend la colonne de 2006, vous parlez du travail non agricole pour plus de 40 heures par semaine. Est-ce que cela veut dire que 20 p. 100 des agriculteurs travaillent plus de 40 heures par semaine dans un emploi autre que celui de la ferme?
Mme Cromey : Oui, tout à fait.
M. Chartrand : Les personnes se sont déclarées opérateurs de la ferme et parfois on a deux opérateurs sur une ferme, le mari et la femme. Le recensement permettait de compter jusqu'à trois opérateurs, dans le cas d'une famille. Certains ont déclaré travailler plus de 40 heures par semaine à l'extérieur de la ferme.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : J'ai du mal à comprendre certaines de vos statistiques et certains des chiffres qui figurent dans les graphiques. D'abord, je n'ai reçu qu'un cahier de graphiques et de photos. Il n'y a aucun commentaire ni explication. Comme le sénateur Gustafson, je trouve difficile de vraiment comprendre le revenu agricole, les dépenses et les recettes en regardant ces graphiques.
Par exemple, à la page 13, on peut lire « Valeur nette agricole selon la catégorie de revenu », puis « Valeur nette agricole selon la catégorie de revenu, Canada, 2005 ». Un peu plus tôt, vous avez dit que pour obtenir la valeur nette d'une exploitation, vous déduisiez l'actif total du passif total et que la différence équivalait à la valeur nette. Pourtant, vous disiez au sujet de certains de vos graphiques que si une personne est propriétaire d'une ferme de 1 000 acres située près d'une expansion tentaculaire d'une ville, elle pourrait décider d'utiliser ses terres agricoles pour en faire des lotissements. Par conséquent, cette terre agricole de 1 00 acres gagne de la valeur. La valeur nette de la terre change puisqu'il ne s'agit plus de terres agricoles, mais de terrains pouvant accueillir d'éventuels lotissements.
C'est pourquoi je ne comprends pas, lorsque vous parlez de valeur nette agricole selon la catégorie de revenu et de la valeur prévue de la terre, comment vous pouvez déterminer la réelle valeur nette d'une propriété, selon les déclarations de l'agriculteur. Cela me pose un problème. Comprenez-vous ma question?
En tant que représentants de Statistique Canada, d'après vos graphiques, comment faites-vous pour évaluer les machines et l'équipement? Tenez-vous compte de l'amortissement? Le cas échéant, comment calculez-vous ce facteur? Comment déterminez-vous la valeur du bétail? Comment déterminer la valeur du bétail, compte tenu de la possibilité qu'il puisse être atteint de la maladie de la vache folle? Comment faites-vous pour accorder une valeur à ces éléments, lorsque vous cherchez à calculer la valeur de telle ferme et de telles activités agricoles? Ces chiffres ne me parlent pas beaucoup, j'aimerais que vous m'aidiez à comprendre ce que représente cette valeur nette agricole, d'après vos graphiques, en commençant peut-être avec la page 13, qui parle de « Valeur nette agricole selon la catégorie de revenu ».
M. Morin : Comme je l'ai dit tout à l'heure, ce tableau est tiré de notre enquête financière sur les fermes. On fournit un questionnaire aux répondants, qui nous fournissent de l'information sur leur situation financière et différents aspects de leur exploitation.
Le sénateur Oliver : Dans cette enquête, comment fait-on pour définir la valeur immobilière d'une ferme?
M. Morin : Nous déterminons la valeur d'une ferme selon la façon dont le répondant, comme vous l'avez dit dans votre exemple, perçoit sa terre et ses autres actifs, et selon ses réponses à l'enquête. En ce qui concerne les chiffres globaux dont je suis responsable, nous utilisons évidemment certaines sources pour établir la valeur de certains aspects de la ferme.
Je vais vous donner un exemple : dans nos chiffres globaux, les stocks sont évalués selon la période. Si l'on utilise l'année civile, on examine les stocks à la fin de l'année, que l'on soustrait des stocks du début de l'année, multipliés par le prix moyen du produit pour l'année en question.
Si vous regardez l'année 2003, l'année où l'on a découvert le premier cas d'ESB — la maladie de la vache folle — la valeur des stocks à la fin de l'année était très élevée. Évidemment, le prix du produit était faible cette année-là, parce que les fermiers n'arrivaient pas à vendre leur viande, c'est pourquoi les stocks étaient très élevés à la fin de l'année.
Le sénateur Oliver : Mais les dépenses augmentent aussi, puisqu'il faut nourrir beaucoup plus de bêtes.
M. Morin : Tout à fait. C'est pourquoi, comme je l'ai dit plus tôt, dans nos calculs, nous tenons compte de trois mesures. J'ai insisté sur le revenu net réalisé, car c'est la mesure la plus fréquemment utilisée par la communauté agricole. Cependant, il en existe deux autres : les recettes monétaires, soit les recettes brutes moins les dépenses, et pour la troisième, une fois qu'on obtient le revenu net réalisé, nous l'ajustons en ajoutant ou en enlevant la variation de stock. C'est ainsi qu'on obtient le revenu agricole total.
Ces trois éléments sont très importants et couvrent les stocks, les dépenses, les recettes, et cetera, de sorte que l'on obtient la situation dans son ensemble.
Le sénateur Oliver : Encore une fois, il s'agit du revenu net réalisé avant amortissement. Tant que vous n'intégrez pas l'amortissement, vous n'avez toujours pas le chiffre exact.
M. Morin : Le mot « réalisé » implique que l'on a tenu compte de l'amortissement.
M. Chartrand : Le tableau dont vous parlez est tiré de l'Enquête financière sur les fermes. Lorsqu'on parle des chiffres sur la valeur du marché que l'on obtient grâce au Recensement de l'agriculture, c'est là que les agriculteurs doivent déclarer la valeur de leur ferme et de l'équipement. Ils se fondent sur leur jugement. La plupart vont se rapporter à leur comptabilité, mais il s'agit de la valeur du marché. L'Enquête financière sur les fermes — le tableau dont vous avez parlé — est généralement fondée sur les livres comptables des agriculteurs. Nous nous attendons à ce que les agriculteurs sortent leurs livres de comptes et s'en inspirent. À mon avis, ça ne devrait pas être une valeur estimée du marché tirée du recensement. C'est pour ça qu'il ne faut pas confondre les deux. Nous n'essayons pas de vous perdre, mais si vous me le permettez, faites attention aux concepts ou aux définitions dont nous parlons. Ce tableau est fondé sur les livres de comptes, et nous ne parlons pas de valeur du marché, ici.
Le sénateur Oliver : Le graphique suivant s'intitule « Valeur nette agricole selon le type de ferme, Canada 2005 ». Je comprends, comme vous me l'avez signalé, que ces chiffres ne viennent pas des agriculteurs, mais de l'Enquête financière sur les fermes. Il y a dans le tableau une catégorie intitulée « Céréales et oléagineux ». On peut lire que le total de l'actif, pour cette catégorie, est de 1,1 milliard de dollars. Le passif est de 196millions de dollars en moyenne et la valeur nette, de 966 millions de dollars en moyenne. Quelle taille aurait une ferme de céréales et d'oléagineux d'une valeur nette de 966 millions de dollars? Quelle serait la taille moyenne d'une telle exploitation? En d'autres mots, combien de fermes figurent dans cette catégorie « Céréales et oléagineux »? Par quel chiffre faut-il diviser cette valeur nette?
M. Chartrand : Cette information est dans le livre. Vous devriez avoir le nombre estimé de fermes correspondant à ce chiffre.
Le sénateur Oliver : Très bien, mais c'est difficile de comprendre ce tableau sans cette information.
M. Chartrand : Nous avons un nombre estimé de fermes pour l'Enquête financière sur les fermes. Nous savons combien d'exploitations agricoles ces chiffres représentent. Je ne pourrais pas vous le trouver, mais ils existent. Dans ce livret, nous présentons une ventilation des exploitations par type de ferme et le nombre de fermes que représente ce chiffre.
Le sénateur Oliver : Nous aurions bien aimé l'avoir ici, parce que seuls, ces chiffres, pour moi en tout cas, ne m'aident pas beaucoup.
M. Chartrand : Nous nous basons également sur les activités principales de la ferme, comme la culture de céréales et d'oléagineux. Si plus de 50 p. 100 des recettes de la ferme proviennent des céréales et des oléagineux, alors la ferme en question appartient à cette catégorie. Il est important de comprendre comment on regroupe ces fermes pour arriver à une estimation.
Cette information figure dans notre publication, c'est-à-dire le nombre de fermes qui ont servi à obtenir cette moyenne. Vous avez bien fait d'en parler.
La présidente : Nous sommes impatients de recevoir cette information supplémentaire.
M. Chartrand : Nous allons vous laisser votre exemplaire.
La présidente : Merci. Il sera distribué.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais une précision. Comment faites-vous pour obtenir les chiffres, comme la valeur du terrain, dans la catégorie de l'actif? Avez-vous dit que l'Enquête financière sur les fermes utilisait le prix du marché ou le prix tel qu'il apparaît dans les livres comptables?
Le sénateur Oliver : Il s'agit de l'estimation de la valeur de la terre fournie par le fermier.
M. Chartrand : L'Enquête financière sur les fermes se fonde sur les livres comptables des fermiers, alors que pour le recensement, nous demandons la valeur du marché.
Le sénateur Oliver : Lorsque vous parlez des « livres comptables des fermiers », comment ces derniers font-ils pour déterminer la valeur d'une ferme de 1 000 acres située près d'un lotissement urbain? Quelle valeur vont-ils associer à ces terres agricoles de 1 000 acres?
M. Chartrand : C'est une bonne question. Je vais devoir vérifier, car je ne veux pas vous induire en erreur.
Le sénateur Oliver : C'est ce que j'avais cru l'entendre dire tout à l'heure.
Le sénateur Callbeck : J'essayais de préciser les choses.
M. Chartrand : Nous savons que le recensement utilise la valeur du marché. Je ne sais pas comment est calculée la valeur des terrains à partir des livres comptables, lorsque les agriculteurs remplissent l'Enquête financière sur les fermes. Il faudrait que je vérifie.
Le sénateur Peterson : À mon avis, ils doivent inscrire le prix de la ferme.
M. Chartrand : Et la valeur du marché également.
Le sénateur Peterson : Elle serait évaluée selon le prix de vente du terrain en tant que terre agricole, sans égard au projet immobilier dans les livres. Nous avons fait ce genre de choses et ce sont les chiffres que nous utilisions. Nous savions que la valeur était supérieure à celle qu'on utilisait, mais ça ne servait à rien d'en changer. Nous voulions décrire le terrain comme un terrain agricole, et c'est comme ça qu'on l'évaluait. C'était comme ça dans la plupart des cas.
La présidente : C'est assez difficile à comprendre, mais je vous remercie de votre contribution. Les membres du comité liront les documents et auront sans doute d'autres questions.
Le sénateur Gustafson : Que pensez-vous de la pauvreté rurale agricole? Est-ce qu'elle est inexistante, selon le ministère? Ça va très mal pour l'agriculture au Canada. Il faut commencer par faire reconnaître au gouvernement qu'il y a un problème et avancer à partir de là. Je ne crois pas que l'on puisse même commencer à régler le problème sans s'attaquer à la question de l'économie mondiale, car nous sommes un pays exportateur. Il faut absolument trouver une façon pour que les agriculteurs puissent rentrer dans leurs frais.
M. Chartrand : Nous savons que ces fermes sont en difficulté; cela ne fait aucun doute. D'après nos données, ces difficultés varient selon la taille et le type d'exploitation, même si toutes les fermes, quels que soient leur taille et leur type, éprouvent des problèmes. Évidemment, il y a davantage de petites fermes qui ont des difficultés, mais il faut faire attention de ne pas inclure dans ce groupe les fermes d'agrément, qui ne servent pas à faire de l'argent. Certaines petites fermes essaient de survivre, ce sont elles que nous voulons mettre en évidence. Il faut tenir compte à la fois de la taille et du type de ferme. Certains agriculteurs ont du mal à joindre les deux bouts, mais d'autres font beaucoup d'argent. Il y a de tout et nous voulons distinguer un groupe de l'autre, afin que notre aide soit plus efficace.
La présidente : Le comité voyagera à Maniwaki jeudi pour tenir d'autres audiences. Beaucoup de gens sont très impatients de venir comparaître et de nous expliquer comment ils vivent et quels sont leurs problèmes.
M. Chartrand : Nous serons heureux de répondre à d'autres questions.
La présidente : Je souhaite maintenant la bienvenue à Lucie Villeneuve, coordonnatrice du Réseau québécois du crédit communautaire.
[Français]
Lucie Villeneuve, coordonnatrice, Réseau québécois du crédit communautaire : Je vous remercie de me donner l'opportunité de comparaître pour vous parler du crédit communautaire.
Le Réseau québécois du crédit communautaire existe depuis sept ans et regroupe des fonds d'emprunt, des cercles d'emprunt et une vingtaine d'organisations au Québec qui font du microcrédit. Ces organisations accordent de petits prêts pouvant aller jusqu'à 20 000 $ qui servent à soutenir le développement de projets d'entreprises.
Les cercles et les fonds d'emprunts ont leur siège dans 13 régions administratives, dont des régions rurales — raison pour laquelle on nous a demandé de venir faire une présentation.
Je vous présenterai, dans un premier temps, le crédit communautaire, sa raison d'être et les motifs pour lesquels on a développé le microcrédit au Québec.
Tout a commencé il y a 15 ans, dans les milieux urbains, suite à la crise du chômage de la fin des années 1980. Des organisations dans les milieux urbains de Montréal et de Québec se sont penchées sur le problème de la pauvreté. Une des façons de remédier au problème était de permettre aux gens de développer leur projet d'entreprise. Pour ce faire, il leur fallait un accès au crédit. Or, l'argent n'était pas disponible. Les organisations en place se sont inspirées d'idées venant d'ailleurs. On a élaboré des pratiques de microcrédit en se basant sur le modèle que M. Yunus a développé au Bengladesh en ce qui a trait aux cercles d'emprunts.
Les fonds d'emprunts furent développés aux États-Unis à partir du Common Investment Act. Selon cette pratique, les banques redonnent une partie de leurs profits aux communautés pour développer des projets de logement ou d'entreprise.
Au début des années 1990, on a développé ce genre d'initiatives à Montréal, ensuite à Québec, puis en régions.
Depuis une quinzaine d'années, les organisations ont soutenu le développement de petites entreprises artisanales, de travailleurs autonomes, de micro-entreprises ou de petites entreprises privées et, depuis les dix dernières années, des entreprises collectives communément appelées coopératives ou entreprises sociales.
Plusieurs raisons expliquent le fait que ces nouvelles entreprises n'avaient pas accès au crédit. Souvent, il s'agissait de jeunes entrepreneurs, de femmes, d'immigrants qui n'avaient aucune histoire de crédit ou un mauvais crédit. Dans certains cas, les projets présentés nécessitaient des prêts inférieurs aux montants que les banques ou les caisses étaient prêtes à investir — on parle ici de petits montants entre 5 000 $ et 10 000 $. On retrouve, au Québec, une vingtaine d'organisations, tant dans les milieux urbains que ruraux.
Dans les régions rurales, l'initiative s'est développée surtout dans le but de garder les jeunes en région. On parle ici de la Gaspésie, du Bas-Saint-Laurent, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, des Laurentides et de la Mauricie. Au départ, on avait décidé de soutenir le projet des petites entreprises chez les jeunes pour leur permettre de rester en région et de continuer le développement.
Au cours des années 1990 et 2000, la crise des pêches a sévi dans la région du Bas-Saint-Laurent et, tout dernièrement, la crise forestière. Par conséquent, plusieurs entreprises ont dû fermer leurs portes. Des villages et des régions entières ont dû se remettre en question.
Face à la nécessité de se prendre en main, le développement des entreprises collectives d'économie sociale a vu le jour. On retrouve des petites entreprises de proximité comme les salons de coiffure, les petites épiceries, les petits cafés, les boulangeries artisanales. Il s'agissait de permettre à des personnes de développer leur projet. Ces projets ne jouissaient pas toujours de soutien. La perception est que si une personne est pauvre, elle n'a sans doute pas un esprit d'entrepreneur. Évidemment, une personne ayant la fibre de l'entrepreneuriat n'est pas soumise à la pauvreté. Or, nos résultats démontrent qu'il n'en est pas forcément ainsi.
Je vous ai apporté notre bilan de la dernière année. Ce n'est pas un mémoire formel car on m'en a fait la demande un peu à la dernière minute. Toutefois, il contient les résultats les plus récents. Vous avez donc entre les mains un rapport à jour, qui fut produit ce matin. Ce rapport contient les résultats concrets obtenus au cours de la dernière année. Durant cette période, nous avons soutenu 200 projets.
Le concept du microcrédit au Québec est un peu différent de celui qui a été développé ailleurs. Qu'il s'agisse de l'expérience africaine, asiatique ou du microcrédit international, les gens se regroupent pour faire de l'épargne. Cette épargne est prêtée. Au Canada, on ne peut pas faire d'épargne. Ce privilège est réservé aux institutions financières. Nous avons donc mis en place des organisations qui recueillent des investissements de la communauté. Il peut s'agir de dons, de prêts sans intérêt ou avec intérêt. Le prêteur est responsable de son investissement. On parle d'une entente de gré à gré sous contrat.
Dans cet effort de capitalisation et de levée de prêts, nous avons réussi, au Québec, à amasser 2,5 millions de dollars en capitaux privés, qui appartiennent aux 20 organisations. Ces capitaux constituent les prêts servant aux fonds d'emprunts. La valeur de ces prêts est en moyenne de 7 000 $. Dans les cercles d'emprunts, la valeur de ces prêts est en moyenne de 2 000 $.
Ces cercles et fonds d'emprunts visent le pré-démarrage d'entreprises. Par exemple, un travailleur autochtone qui désire développer son projet doit élaborer un plan d'affaires. On ne sait pas si cette personne sera un bon entrepreneur. Toute la démarche se fait à l'intérieur des cercles constitués de sept à dix personnes. Ainsi, on trouve une certaine entraide. La pratique des cercles s'inspire du modèle africain.
Pour les fonds d'emprunts, les gens arrivent avec un projet et ont déjà un plan d'affaires. Ces investissements représentent des prêts d'une valeur de 7 000 $ à 8 000 $ en moyenne.
La troisième caractéristique du crédit communautaire est la suivante. Le microcrédit est une option intéressante et il est intéressant de faire une levée de prêts. Toutefois, ce qui explique le taux de remboursement de 90 p. 100 et le taux de survie des entreprises de 72 p. 100 est l'accompagnement de proximité ou l'accompagnement du savoir faire et du savoir être.
Il n'est pas toujours facile de devenir entrepreneur dans un milieu où règne l'exclusion. La vie n'est pas toujours facile pour les entrepreneurs agricoles et les entrepreneurs forestiers. Par conséquent, qu'il s'agisse d'un prêt sur une durée d'un an ou de trois ans, on fait un accompagnement pendant la durée du prêt. Pendant ce temps, on apprend à écouter, à soutenir le développement de l'entreprise, à faire partie d'un réseau, à entretenir des liens avec des consultants. Je parle du savoir être. Un entrepreneur seul ou une organisation sans but lucratif a besoin d'appui moral et de conseils pour avancer. Nous ne sommes pas tout à fait des mentors, mais nous favorisons les contacts entre les entrepreneurs et leur offrons un lien avec des mentors. Dans la démarche actuelle, au Québec, nos pratiques s'inscrivent dans ce qu'on appelle l'économie sociale. Nous développons des alternatives et des façons différentes de mettre les personnes au centre d'un processus économique. Certaines régions du Québec se sont développées à partir des grandes entreprises forestières ou des grandes entreprises agricoles — et il en existe d'autres. Toutefois, les petites entreprises ont aussi leur place.
La Mauricie connaît actuellement une crise forestière. Les emplois sont rares. On ne compte plus aucune inscription à l'école de foresterie. On doit donc trouver une alternative. Les agriculteurs ont des petites fermes ou des fermes céréalières qui ne leur permettent pas de traverser les rigueurs de l'hiver. On doit donc trouver d'autres emplois.
Le crédit communautaire est justement une alternative qui ouvre une porte supplémentaire. Il permet à ces personnes de se créer un emploi ou de mettre sur pied une petite entreprise. Ces initiatives voient le jour dans des régions et des villages où le seul employeur était une scierie, une papetière ou une entreprise agricole de grande ou de petite envergure.
Actuellement, la relève des entreprises agricoles est difficile parce qu'au Québec, nous avons la production laitière ou la production des céréales. Les quotas de lait sont difficiles. Nous n'entrons pas dans ce genre de projet. Pour les jeunes, il faudra développer d'autres projets. C'est à cette étape que le Réseau québécois du crédit communautaire s'inscrit et que le crédit communautaire a été développé.
Depuis 15 ans, nos organisations ont pu développer, créer et maintenir jusqu'à 2 140 emplois.
Cette année, nous avons soutenu environ 21 000 heures de projets de personnes en accompagnement.
Pour chacune des organisations, par exemple, les fonds d'emprunt ont une réserve pour permettre les mauvaises créances. Nos réserves représentent entre 10 et 15 p. 100 de nos capitaux et les taux d'intérêt exigés de nos emprunteurs varient entre zéro et 10 p. 100.
Les personnes avec lesquelles on travaille sont souvent des gens qui vivent de l'assurance emploi ou de l'assistance emploi, des salariés à temps partiel, des personnes sans revenu ou bien des individus qui ont démarré leur entreprise mais qui ont encore besoin d'un soutien.
L'une des grandes difficultés que nous rencontrons — autant au Canada, en Amérique du Nord ou dans différents pays — provient du fait que dans l'ensemble des institutions financières, vu les impératifs de rentabilité et la compétition mondiale, les prêts sont de moins en moins accessibles. Même pour des prêts aussi bas que 50 000 ou 100 000 $ auprès d'institutions financières, c'est difficile. C'est la raison pour laquelle nous, on va faire un premier et un deuxième prêt, mais rendu à un troisième prêt, nous devons développer d'autres projets de soutien auprès des institutions financières, les Caisses Desjardins ou les banques pour soutenir ce genre de projet et pour permettre des investissements plus grands.
Nous avons besoin de soutien, de garanties de prêts ou d'une ouverture pour permettre un investissement plus grand parce que les régions ont de plus en plus de besoins et nos organisations n'ont pas beaucoup de capitalisation à prêter. Donc, il faudrait un soutien public en termes de législation, pour reconnaître les entreprises sociales dans la comptabilité et, en termes d'ouverture fiscale. Ainsi les investisseurs — plutôt que leur aide soit considérée comme des investissements, de la charité ou de la bienfaisance — pourraient bénéficier de crédits pour les investissements dans nos organisations.
On pense que les gouvernements fédéral et provinciaux doivent légiférer dans ce sens.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Merci d'être venue ce soir. Ce programme de crédit communautaire a l'air formidable. Avez- vous bien dit que le taux de remboursement était de 90 p. 100?
[Français]
Mme Villeneuve : Oui.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : C'est formidable. La province paie les frais d'exploitation du programme et l'argent que vous prêtez est amassé auprès d'organismes caritatifs et d'entreprises. Est-ce exact?
[Français]
Mme Villeneuve : Ce sont des individus. Soixante-six pour cent de nos contributions proviennent d'individus qui font des prêts. Par exemple, vous pourriez prêter 50 $ ou 100 $ ou 1 000 $ à une de nos organisations pendant un an, et nous, en échange, on vous donne un taux d'intérêt minime ou vous nous le redonnez en don. Il s'agit d'une entente à ce niveau. Aucun organisme de bienfaisance ne fait des dons. Il peut y avoir des prêts sans intérêt d'institutions financières.
D'ailleurs, dans le document que je vous ai remis, à la page 4, vous avez les sources de capitaux, à savoir comment est redistribué l'ensemble. Des communautés religieuses nous font des dons. Des institutions financières vont faire des prêts mais aussi des groupes de placement éthique. On a des fonds d'investissement soutenus par des fonds de travailleurs, par des syndicats.
Donc la capitalisation, les fonds de prêt sont composés par des levées de fonds que nous faisons auprès d'individus ou d'organisations de communautés locales ou régionales où nos organisations sont implantées.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Merci beaucoup de cette explication. Vous avez parlé d'institutions financières. Est-ce que les banques vous donnent de l'argent dans le cadre de ce programme?
[Français]
Mme Villeneuve : Actuellement, ce sont des caisses populaires, c'est Desjardins. Ce sont des caisses coopératives.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Quel pourcentage des prêts accordés va aux femmes entrepreneures?
[Français]
Mme Villeneuve : Si vous allez à la page 5, on peut y constater que 59 p. 100 de femmes se retrouvent dans nos organisations et vont être des entrepreneurs; 43 p. 100 de ces entrepreneurs ont entre 18 et 35 ans.
À la page 5, dans le tableau « fréquentation », vous retrouvez cela, en bas, à droite.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : On entend parfois parler du microcrédit. J'ai participé au groupe de travail du premier ministre sur les femmes entrepreneures, et nous avons appris que les femmes préconisent vraiment le microcrédit, mais que les détracteurs disent que cela coûte trop cher.
Quel pourcentage représentent vos dépenses par rapport aux prêts en cours?
[Français]
Mme Villeneuve : C'est sûr que pour que nos organisations fonctionnent, et une des raisons pour lesquelles nos organisations existent, c'est que nos budgets d'opération sont soutenus par un financement du gouvernement du Québec ainsi que tout l'accompagnement. Ceci fait que, actuellement, nos organisations peuvent donner du microcrédit parce que les ratios, les institutions financières disent que cela coûte cher.
Le microcrédit existe depuis 15 ans maintenant et plusieurs des entreprises qu'on a soutenues actuellement ont des chiffres d'affaires importants. On parle de 72 p. 100 de taux de survie après cinq ans. Donc, plusieurs entreprises composées d'une ou deux personnes au début sont maintenant une équipe de 10 ou 15 personnes ou se sont transformées en entreprise collective, ce qui fait qu'aujourd'hui, ces petites entreprises se sont développées dans leur milieu, ont aidé à la revitalisation de plusieurs quartiers dans les milieux urbains et aident actuellement à la survie de certaines villes, de certains villages ou de certains quartiers dans les milieux ruraux.
Nous disons que les entrepreneurs font leur part, que la communauté fait sa part avec les prêts et que le gouvernement du Québec fait sa part en soutenant les budgets d'opération. Chacun fait sa part dans un développement pour permettre le maintien. Même si nous sommes un outil de lutte à la pauvreté, nous ne sommes pas le seul facteur qui peut aider. Mais nous pouvons soutenir les gens qui ont une idée d'entreprise ou leur permettre au moins d'engager d'autres personnes. Ou si c'est une entreprise collective, leur permettre de développer un projet important. Parfois, les investissements qu'on va faire peuvent générer des investissements plus importants.
On a actuellement 2 500 000 $ de capitalisation, mais on a prêté jusqu'à 4 800 000 $ et souvent, ce sont des ratios d'un pour quatre. Cela veut dire qu'à chaque fois qu'on investit dans un projet, le projet vaut un peu plus, et souvent, on aura d'autres partenaires lorsque nos organisations iront un peu plus loin, et on servira en garantie ou en mise de fonds.
Des études ont été faites par la Fédération canadienne des entreprises indépendantes qui disait qu'actuellement, un des grands problèmes c'est que les femmes et les jeunes ont de la difficulté à trouver du capital de démarrage. Nous venons remplacer les anges financiers dans certains secteurs où il y en a de moins en moins, auprès de populations qui s'appauvrissent.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Je vous félicite, ce programme a l'air formidable.
Le sénateur Oliver : Félicitations, vous êtes un organisme excellent et votre rapport est également excellent. Votre programme fonctionne très bien, vous faites un travail extraordinaire.
Le document que vous nous avez fourni décrit l'histoire d'un concept. Il s'agit du portrait de l'organisme, d'un exposé des approches de l'Association, il y a aussi quelques mots du président, le rapport du coordonnateur, des témoignages et la liste de vos membres, mais je ne vois pas vos états financiers. Aujourd'hui, vous nous avez parlé principalement d'argent et de finance, mais nous n'avons pas les états financiers de votre organisme, qui nous montrent comment sont utilisés les fonds, quels sont les recettes, les dépenses, le solde, et cetera. Est-ce que vous avez un autre document qui comprenne les états financiers?
[Français]
Mme Villeneuve : Puisqu'on est un réseau, les états financiers que je pourrais vous présenter sont ceux de notre organisation, donc une structure normale d'organisation sans but lucratif. Chacune des organisations membres du réseau a ses propres états financiers où on peut voir les entrées et les sorties au niveau des capitaux.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Avez-vous des états financiers consolidés?
[Français]
Mme Villeneuve : Non, il n'y a pas d'états financiers consolidés. L'originalité de nos organisations c'est que chacune des organisations membres du réseau a été fondée par les communautés afin de répondre à leurs besoins et elles demeurent donc au service de leur communauté. Donc, elles se sont instituées comme organisations sans but lucratif, avec leur assemblée, leur conseil d'administration et leurs états financiers propres.
Puisqu'on a une entente avec le ministère provincial du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, le réseau est une courroie de transmission pour le financement des opérations. On reçoit leurs états financiers, mais on ne les rend pas publics nous-mêmes. C'est chacune des organisations qui le fait. Si cela vous intéresse, je peux vérifier avec chacune des organisations.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Est-ce qu'il y a une façon de savoir comment sont utilisés les 2,5 millions de dollars de capitaux privés que vous avez amassés?
[Français]
Mme Villeneuve : Dans le rapport que je vous présente, je suis sommairement capable de faire ressortir le nombre de prêts, combien il reste à rembourser, à qui cela s'adresse. C'est ce que vous avez dans ce document. Mais je n'ai pas les entrées et les sorties.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Sur les 2,5 millions de dollars, que vous reste-t-il aujourd'hui? Est-ce qu'il vous reste 300 000 ou 400 000 $?
[Français]
Mme Villeneuve : Étant donné que c'est une capitalisation on a 2 500 000 $ de capitalisation, il y a 631 000 $ actuellement en cours de remboursement, ce qui fait qu'il nous reste la différence entre les deux.
Il y a 631 000 $ en cours de remboursement. Certaines organisations sont plus grosses et ont donc plus de capitaux. La plus grosse difficulté qu'on rencontre c'est que les organisations plus vieilles, comme celle de Montréal, qui a actuellement 500 000 $ de capitalisation ou comme celle de Québec qui a 700 000 $ de capitalisation; ailleurs, ce sont de plus petits montants et c'est dans les régions rurales, on ramasse moins d'argent alors que les besoins sont les plus grands.
Comme vous pouvez voir dans le rapport, on pense actuellement à mettre en place un fonds national pour soutenir l'approvisionnement de ces organisations, de ces fonds pour pouvoir faire un effet de levier. Souvent, dans certaines régions, on peut ramasser peut-être 150 000 $, 200 000 $, alors que les besoins seraient peut-être de 300 000 $. On regarde si on ne pourrait pas appuyer tout cela? On est en train d'y travailler avec des partenaires financiers et, on l'espère, avec le gouvernement du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Est-ce que vous possédez une participation financière dans les groupes, les entreprises et les personnes avec lesquels vous investissez? Deuxièmement, vous avez dit que vous voulez aider les gens à avoir accès aux banques et aux autres institutions financières, c'est pourquoi vous garantissez les prêts. J'aimerais savoir comment vous vous y prenez pour garantir les prêts et quelle est votre responsabilité pour ces prêts vis-à-vis de votre actif? En d'autres mots, vous avez 2,5 millions de dollars de capitaux privés. Combien représentent vos garanties de prêt? Est-ce qu'il s'agit de deux millions de dollars?
[Français]
Mme Villeneuve : J'ai oublié la première partie de la question.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Est-ce que vous possédez une participation financière?
[Français]
Mme Villeneuve : Concrètement, on demande un taux d'intérêt. Chacune des organisations a une politique d'investissement ou une politique de prêt. Il y a une organisation qui ne demande pas de taux d'intérêt, c'est donc plus des frais d'honneur et, les autres demandent le taux préférentiel plus deux, plus quatre, plus six. Cela varie autour de 10 p. 100. C'est la seule prise de participation.
Pour nous, c'est important. Pour plusieurs organisations, la raison pour laquelle on demande un taux d'intérêt, c'est que nous sommes le premier intervenant dans l'histoire de crédit de la personne. On veut refaire le crédit de cette personne. À cette fin, il faut démontrer qu'elle est capable de rembourser. Donc, à la fin de son remboursement, on peut le prouver.
Pour ce qui est de votre deuxième question, en ce qui concerne les garanties, je ne suis pas capable de vous dire combien, en garantie de prêt. Mais je peux vous dire, par contre, que chacune de mes organisations lorsque ce sont des petits projets en bas de 5 000 $, les organisations vont soutenir le projet d'entreprise seules. À ce moment-là, ce sont eux qui vont contracter le prêt.
Par contre, si c'est un projet d'environ 30 000 ou 50 000 $, d'autres partenaires entrent en jeu, par exemple, un centre local de développement ou une SADC, une Société d'aide au développement des collectivités. À ce moment, ils nous demandent d'intervenir en garantie. Ils savent que si on entre en garantie, on fait l'accompagnement permettant ainsi à l'institution financière et à l'organisme de développement économique ou de développement local de dire qu'ils ont confiance au développement de l'entreprise. Certains entrepreneurs savent que les organisations croient au projet, mais ces dernières se disent que l'entrepreneur a besoin d'un peu plus d'aide pour développer son projet, d'un certain soutien dans le développement de ce projet. On reconnaît vos compétences professionnelles dans ce soutien, donc si vous venez en garantie, cela nous permettra d'avancer.
L'avantage pour nous de venir en garantie, c'est de faire reconnaître, par ces institutions ou ces organisations, la valeur de l'entrepreneur et la valeur du ou des projets de l'entreprise collective.
Le sénateur Chaput : Madame Villeneuve, je vous félicite de votre excellente présentation.
Prenons l'exemple d'une jeune femme à qui vous avez prêté 5000 $ pour mettre sur pied un commerce artisanal. Durant la première année, il est évident que les revenus ne seront pas très élevés. Cette jeune femme a-t-elle accès à des primes d'assurance emploi? Y a-t-il une entente avec le gouvernement du Québec afin qu'elle puisse avoir accès à ces primes pendant la première année?
Mme Villeneuve : Si elle est reconnue par le Programme de soutien travailleur autonome du gouvernement du Québec, qui est en lien avec le gouvernement fédéral, oui, mais il y a des règles; la durée est d'un an. Ce n'est pas toujours facile pour certains entrepreneurs parce qu'ils perdent leur revenu. Ils ne perdront pas le soutien aux enfants. Il peut arriver dans la vie d'une entrepreneure monoparentale que l'enfant est malade, à ce moment ont peut faire des moratoires de paiement ou essayer de trouver des solutions. On est en lien avec d'autres organisations dans le réseau pour lui venir en aide. L'outil qu'on met en place n'est pas un outil isolé. On appelle cela de l'investissement socialement responsable. On devient aussi responsable. Il y a un aller-retour. Souvent, ces personnes doivent jongler avec des circonstances de la vie qui ne sont pas toujours évidentes.
Le sénateur Chaput : Offrez-vous cet appui tant et aussi longtemps que la personne n'a pas remboursé le prêt?
Mme Villeneuve : Exactement.
Le sénateur Chaput : Vous avez soutenu 200 projets environ. Quel est le pourcentage des projets qui ont été soutenus dans le milieu rural versus le milieu urbain?
Mme Villeneuve : C'est une bonne question. Je pourrais vérifier et vous faire parvenir la réponse.
Le sénateur Chaput : Vous n'avez aucune idée?
Mme Villeneuve : On couvre 13 régions. Dans ces 13 régions, on a peut-être cinq régions urbaines. Actuellement, nos organisations implantées dans les milieux ruraux sont plus jeunes et les difficultés sont plus grandes.
La comparaison est difficile. Si on pense qu'à Montréal il y a deux millions de personnes , le nombre de projets peut augmenter en pourcentage et être plus nombreux mais le travail fait pour soutenir l'ensemble des projets en milieu rural est plus grand. Les distances à parcourir sont plus grandes. Il y a moins de prêts parce qu'il a fallu plus de temps pour rencontrer les personnes. Souvent les institutions financières ou les organisations de développement traditionnelles n'iront pas aussi loin parce que cela demande du temps.
Le sénateur Chaput : Je cherchais à savoir si le taux de non remboursement était plus élevé dans les régions rurales qu'urbaines.
Mme Villeneuve : Nous ne demandons pas de garantie. La seule garantie que nous avons, c'est la personne, la relation de confiance. Notre taux de remboursement sera plus élevé que notre taux de survie d'entreprise parce que les gens vont continuer à rembourser même si l'entreprise s'arrête. Les gens se rappellent que nous les avons aidés et ils veulent continuer pour les autres. Dépendamment du sentiment d'appartenance en milieu rural ou urbain, le taux de remboursement peut être plus élevé. On parle d'une moyenne de 90 p. 100, mais dans certains milieux c'est 100 p. 100. C'est embêtant de vous répondre, mais le lien de confiance est très important.
Le sénateur Chaput : Quel est le taux de survie des entreprises?
Mme Villeneuve : Le taux de survie des entreprises après cinq ans est de 72 p. 100. On se compare avec les taux actuels des entreprises privées.
Le sénateur Chaput : C'est excellent.
[Traduction]
Le sénateur Peterson : Madame Villeneuve, merci de votre exposé. Pour moi, c'est de la vraie philanthropie. Vous faites affaire avec des emprunteurs à haut risque, sans garantie, qui arrivent enfin à accéder à du capital. Votre taux de réussite est extraordinaire. Les banques doivent vous adorer et doivent vouloir connaître votre secret.
Combien de demandes devez-vous rejeter? Est-ce que c'est quatre sur cinq? Est-ce que c'est plus? Êtes-vous très stricts lorsque vous examinez les demandes?
[Français]
Mme Villeneuve : On ne fonctionne pas en termes de rejets mais en taux d'insertion économique. Il n'est pas donné à tout le monde d'être entrepreneur. Trente-neuf pour cent des gens qu'on rencontre démarrent une entreprise. Par contre, les 51 p. 100 qui restent ce sont des gens qui font des retours aux études ou à l'emploi. Avec les cercles d'emprunt, le travail d'accompagnement vers l'emploi, les études ou l'entreprise est aussi important que la démarche vers l'entreprise, parce que toute la réflexion autour du projet a été faite. Lorsque les gens font leur démarche de pré- démarrage, ils vont développer leur projet et vont réaliser que ce n'est pas pour eux, mais on va les aider à aller vers d'autres ressources.
Par contre, en ce qui a trait aux fonds, au niveau du comité de prêt, la majorité des projets qui seront analysés vont finir par aboutir. Toutefois, cela peut prendre du temps, parce qu'on va raffiner le projet et il faut que le projet soit réaliste. On travaille le plan d'affaires avec eux pour que, lorsque l'entreprise va démarrer, leur plan d'affaires soit valable sur le marché également. On n'est pas un organisme de charité, mais un organisme de développement social et économique qu'on appelle l'entreprise d'économie sociale. On croit à la dignité et au potentiel des personnes. On a un outil et on va travailler ensemble l'accès au crédit. Ce type d'outils a été développé il y a 100 ans au Québec, par Alphonse Desjardins. On le met au goût du jour parce qu'aujourd'hui les impératifs économiques ont changé la donne et nous on recommence. Ai-je répondu à votre question?
[Traduction]
Le sénateur Peterson : Est-ce que vous imposez des échéances de remboursement, ou est-ce que vous vous fondez sur la bonne volonté?
[Français]
Mme Villeneuve : Chacune des organisations a un conseil d'administration et un comité de prêt. Ce sont des personnes bénévoles qui s'impliquent pour soutenir l'organisation. Elles vont étudier le plan d'affaires, prendre le temps de voir, parce que c'est quand même un patrimoine collectif. On ne prête pas pour avoir des pertes ou penser que ce n'est pas grave, que l'argent, on en aura encore plus tard. Non, chacune des démarches est faite de façon assez scrupuleuse. Des critères sont établis et l'entrepreneur doit repartir avec des devoirs ou avec son accompagnateur pour les choses à réaliser dans son travail. Il y a des suivis et de l'entreprise, de l'entrepreneur et de ses bilans. Dans certaines de nos organisations, on oblige les entrepreneurs à engager un comptable. Dans le prêt, il y a un montant accordé pour les services d'un comptable qui va développer la comptabilité mensuelle pour pouvoir vérifier les bilans. On peut être très bon pour développer un produit parce qu'il s'agit souvent d'artistes ou d'artisans en grande partie que nous supervisons, mais pas nécessairement bon pour faire la comptabilité. On leur dit qu'on va leur apprendre, mais au départ quelqu'un va leur montrer. On ne veut pas prendre personne par la main, mais on protège aussi nos intérêts.
[Traduction]
Le sénateur Peterson : Êtes-vous présents dans toute la province québécoise, ou simplement dans une région?
[Français]
Mme Villeneuve : La province de Québec compte actuellement 17 régions administratives et nous sommes impliqués dans 13 régions. Ce n'est pas faute que les milieux voudraient aussi développer leurs projets, sauf que pour développer ce genre de projet, il faut que le milieu se regroupe. Il y a les frais d'opération. Le gouvernement du Québec a accepté de financer 19 organisations. Dans la liste des membres que vous avez à la fin, quand on écrit membre actif, ce sont les 19 financés actuellement par le gouvernement au plan des opérations. Dans les membres partenaires, ce sont les organisations qui réussissent quand même à faire du crédit communautaire, mais qui n'ont pas de frais d'opération. Ce qui fait que dans certaines régions, c'est plus difficile à implanter. On est en train d'essayer de trouver des solutions pour financer les opérations de ces organisations. C'est la raison pour laquelle on ne couvre pas toutes les régions et une autre raison pour laquelle on ne couvre pas toutes les régions, c'est que le crédit communautaire est encore jeune. On commence à connaître ce qu'on fait. Ce qui fait que je me promène pas mal.
[Traduction]
Le sénateur Gustafson : Madame Villeneuve, vous avez dit que vous étiez un organisme à but non lucratif.
Mme Villeneuve : Oui.
Le sénateur Gustafson : Est-ce que cela veut dire que vous n'avez pas le statut d'organisme de charité aux yeux de l'Agence de revenu du Canada?
[Français]
Mme Villeneuve : Au Québec, on a deux statuts, on a la partie trois qui concerne la Loi des compagnies, qui sont les organismes sans but lucratif, et on a aussi pour nos membres, le statut d'organisme de bienfaisance. On a les deux et on peut avoir les deux. Il y a cette possibilité. D'ailleurs, j'ai appris dernièrement qu'il n'y a qu'au Québec qu'on donne le statut d'organisme sans but lucratif. Dans les autres provinces, c'est le gouvernement fédéral qui le fait. C'est ce qui nous a permis de développer plusieurs organismes et plusieurs entreprises sociales. On essaie d'ailleurs d'ouvrir les cadres existants pour faire reconnaître nos pratiques qui sont un peu différentes.
[Traduction]
Le sénateur Gustafson : Combien de vos clients ont des revenus inférieurs au seuil d'imposition? Combien ne font pas assez d'argent pour payer des impôts?
[Français]
Mme Villeneuve : Les clients qui reçoivent des prêts, paient-ils des impôts? C'est une bonne question. Je pense que oui, pour certaines entreprises. Pour celles qui sont plus petites, non, parce que c'est sûr qu'actuellement, dans la fiscalité, il y a un revenu minimal à atteindre pour devoir payer de l'impôt. Ce qui fait que l'ensemble de nos entreprises, c'est non, mais plusieurs des entreprises qu'on a aidées et qui sont encore en support amical paient de l'impôt.
[Traduction]
Le sénateur Gustafson : Vous dites que vous êtes un organisme, comment établissez-vous un contact avec les personnes qui ont besoin de vous? Avez-vous des bureaux?
[Français]
Mme Villeneuve : À la fin du document que j'ai déposé, vous retrouvez chacune des organisations membres de mon regroupement qui ont chacune pignon sur rue dans différentes régions du Québec ou des villes québécoises. Chacune de ces organisations a entre 2 et 13 employés. Ce qui fait qu'actuellement au réseau, on a une cinquantaine d'employés qui travaillent dans les différentes organisations. Pour le réseau où je travaille, nous sommes deux employés. Pour chacune des organisations qui va faire des prêts, il y aura une direction et des conseillers qui travailleront directement avec les emprunteurs ou les clients.
[Traduction]
Le sénateur Gustafson : Est-ce qu'il s'agit d'employés rémunérés ou est-ce que beaucoup sont bénévoles?
[Français]
Mme Villeneuve : Oui. Les bénévoles sont utilisés pour les comités de prêt ou les conseils d'administration. Ils sont impliqués à ce niveau mais l'ensemble du personnel qui travaille au niveau des prêts, qui fait dans l'accompagnement et le suivi sont des employés rémunérés, des professionnels.
[Traduction]
La présidente : Merci, madame Villeneuve. Vous nous avez présenté un exposé bien différent de ce que l'on entend souvent dans nos différentes séances sur cette question précise que nous essayons de comprendre. Votre intervention est très encourageante et il serait intéressant de voir si votre travail peut être appliqué ailleurs au Canada pour aider ceux qui sont un peu en marge du reste de la société.
Merci beaucoup. Je vous souhaite bonne chance, et nous espérons vous revoir bientôt.
La séance est levée.