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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 29 mai 2006

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 10 heures pour examiner la politique de sécurité nationale du Canada, et en faire rapport.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue. Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je suis Colin Kenny et je préside le comité. Avant de commencer, permettez-moi de vous présenter brièvement les membres du comité.

Le sénateur Peter Stollery, de l'Ontario, est un parlementaire depuis 1972; il a d'abord été député, puis sénateur. Le sénateur Stollery est vice-président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères.

Le sénateur Hugh Segal est aussi de l'Ontario. Il a été le chef de cabinet de l'ancien premier ministre Mulroney, secrétaire associé du cabinet en Ontario. Il est expert en affaires publiques et l'un des mieux connus au Canada. Il est officier de l'Ordre du Canada. Il préside le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et siège aussi au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Le sénateur Norman Atkins, de l'Ontario, est arrivé au Sénat après une carrière de 27 ans dans le domaine des communications. Il a été conseiller principal de l'ancien chef conservateur fédéral Robert Standfield, de l'ancien premier ministre de l'Ontario William Davis et de l'ancien premier ministre Brian Mulroney.

Le sénateur Michael Meighen est avocat et membre des barreaux du Québec et de l'Ontario. Il est chancelier du Kings College et ancien président du Festival de Stratford. Il est actuellement le président de notre sous-comité des anciens combattants et il est également membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, ainsi que du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

Le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique, a été maire de Vancouver de 2002 à 2005. C'est un ancien membre de la Gendarmerie Royale du Canada. Son expérience de coroner en chef de Vancouver a inspiré la série télévisée Da Vinci's Inquest, gagnante d'un prix Gémeau. Le sénateur Campbell est aussi membre du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

Le sénateur George Baker, de Terre-Neuve-et-Labrador, est au Parlement depuis 1974; il a d'abord été député, puis sénateur. À la Chambre des communes, il a été ministre des Affaires des anciens combattants de 1999 à 2000. Il est membre du sénatorial permanent des pêches et océans et du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Le sénateur Wilfred Moore vient de Halifax. C'est un avocat qui a beaucoup œuvré dans le milieu communautaire et qui est membre du conseil d'administration de l'Université St. Mary. Il fait aussi partie du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que Comité mixte permanent d'examen de la réglementation du Sénat et de la Chambre des communes.

Notre comité a reçu le mandat d'étudier les questions de sécurité et de défense, ainsi que la nécessité d'une politique de sécurité nationale. Nous avons publié plusieurs rapports depuis 2002 et nous examinons actuellement la politique de défense du Canada. Nous avons tenu des audiences dans toutes les provinces et nous rencontrons les Canadiens afin de connaître leur position concernant nos intérêts nationaux, leur perception des principales menaces à l'encontre du Canada et la façon dont ils s'attendent à ce que le gouvernement réagisse.

Nous accueillons aujourd'hui le commissaire Guiliano Zaccardelli, de la Gendarmerie royale du Canada. Le commissaire Zaccardelli est devenu membre de la GRC en 1970. Il a été nommé 20e commissaire le 2 septembre 2002. En vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, le commissaire Zaccardelli est chargé de toutes les questions se rapportant à la gestion et aux opérations de la GRC et de ses quelque 23 000 employés.

Le commissaire Zaccardelli a comparu devant notre comité il y a à peine deux semaines. Ravi de vous revoir, commissaire. Nous avons hâte de discuter avec vous de nouveau.

Nous recevons aussi le sous-directeur des opérations du Service canadien du renseignement de sécurité, M. Jack Hooper. M. Hooper remplace Jim Judd, qui a malheureusement perdu un membre de sa famille. M. Hooper est sous- directeur des opérations du SCRS depuis 2005.

Il est entré à la Gendarmerie royale du Canada en 1974, comme enquêteur puis est passé au contre-espionnage et à la lutte contre le terrorisme, au SCRS. Bienvenue, monsieur Hooper, nous avons hâte de vous entendre.

Si j'ai bien compris, M. Hooper a une déclaration liminaire. Monsieur Zaccardelli, vous estimez nous avoir donné suffisamment matière à réflexion à votre comparution d'il y a deux semaines.

Giuliano Zaccardelli, commissaire, Gendarmerie royale du Canada : Les sénateurs seront ravis d'avoir plus de temps pour poser des questions.

Jack Hooper, sous-directeur (Opérations), Service canadien du renseignement de sécurité : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. Avant de commencer mon discours, je tiens à vous transmettre les excuses de mon directeur, M. Judd, qui aurait vraiment voulu vous parler aujourd'hui. C'est impossible. Je ferai de mon mieux pour le représenter, ainsi que le Service canadien du renseignement de sécurité, qui vous remercie de cette occasion.

J'ai en effet un discours liminaire dans lequel j'aimerais aborder deux questions. Je vais d'abord formuler quelques observations sur le contexte actuel de la menace terroriste et, ensuite, vous parler un peu des intérêts précis du SCRS en Afghanistan.

À l'heure actuelle, les activités liées à ce que l'on pourrait appeler l'idéologie d'Al-Qaida et à sa doctrine constituent la menace terroriste la plus importante et la plus immédiate à l'échelle tant nationale qu'internationale. Il s'agit d'un phénomène qui s'est fait sentir dans de nombreuses régions du monde. En 2005, le nombre des actes de terrorisme signalés, tous types et affiliations confondus, a atteint un sommet historique. Beaucoup d'entre eux étaient liés à l'idéologie d'Al-Qaida et à sa doctrine opérationnelle.

La plupart n'ont pas été commis dans des pays occidentaux. Toutefois, les choses ont changé et risquent de continuer de changer comme en témoignent les attentats terroristes commis au cours des cinq dernières années aux États-Unis, en Espagne, au Royaume-Uni et ailleurs. Des complots terroristes avaient été déjoués dans ces pays occidentaux et d'autres, avant que des attentats terroristes soient perpétrés.

La menace que représente ce type de terrorisme est mondiale, complexe et sophistiquée. Les particuliers et les groupes impliqués ont souvent des relations partout dans le monde et sont extrêmement mobiles. Ce qui est éminemment préoccupant, toutefois, comme nous l'avons constaté plus particulièrement dans les attentats à la bombe commis dans le transport en commun à Londres l'été dernier, c'est que les terroristes peuvent être nés et avoir été élevés en Occident, et être bien au fait des valeurs de la société occidentale.

Souvent, ils ont adopté les technologies de pointe, qu'il s'agisse de leur équipement ou d'Internet. Ce dernier constitue un outil polyvalent de communication, de recrutement, de prosélytisme et de transfert de techniques. D'après les estimations, il y aurait en tout sur Internet environ 4 500 sites affiliés au terrorisme. De plus, nous avons noté une tendance croissante chez ces particuliers et ces groupes à se livrer à des activités criminelles non terroristes, pour faire de l'argent ou se procurer du matériel.

Le Canada n'est pas, et n'a jamais été, à l'abri de la menace que représente le terrorisme. En fait, le comité sait bien qu'avant le 11 septembre 2001, l'attentat terroriste le plus meurtrier de l'histoire contemporaine était d'origine canadienne. Il s'agit bien sûr de l'attentat à la bombe contre un appareil d'Air India, qui a fait 329 morts. De même, les citoyens canadiens n'ont pas été épargnés récemment, comme en témoignent les décès de Canadiens dans les attentats du 11 septembre aux États-Unis ou de Bali.

De plus, des militaires canadiens qui servaient en Afghanistan ont été tués ou blessés au théâtre d'opérations, de même qu'un diplomate canadien. La menace qui continue de peser sur nos forces en Afghanistan, de même que sur le personnel canadien, reste élevée.

Le territoire canadien n'est pas exempt de toute présence terroriste non plus. Des résidents du Canada ont fréquenté des camps d'entraînement au terrorisme et ont l'expérience des combats en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie et ailleurs. En outre, des citoyens canadiens ou des résidents du Canada sont impliqués dans des complots et des attentats terroristes ailleurs dans le monde.

Un jeune, accusé d'avoir participé à un complot d'attentat à la bombe au Royaume-Uni, attend actuellement son procès ici même, à Ottawa. D'autres citoyens ou résidents ont été impliqués dans des complots contre des cibles aux États-Unis, au Liban, en Arabie saoudite, en Israël, à Singapour, au Pakistan et ailleurs.

Enfin, le Canada a été mentionné nommément à plusieurs reprises parmi les six « pays occidentaux pris pour cible » par les dirigeants d'Al-Qaida, et ce, l'été dernier encore.

Permettez-moi de conclure en vous disant quelques mots au sujet de l'Afghanistan. Il s'agit d'un pays auquel le SCRS s'intéresse depuis des années et auquel nous continuons de nous intéresser activement pour trois raisons. Premièrement, l'Afghanistan est associé depuis longtemps au phénomène du terrorisme mondial. Plus particulièrement, ses relations avec Al-Qaida remontent à l'époque de l'occupation du pays par les Soviétiques. Beaucoup de ressortissants étrangers ont participé activement, aux côtés de ressortissants afghans, à la campagne contre les Soviétiques. Bon nombre d'entre eux ont conservé des liens avec cette organisation après le retrait des troupes soviétiques. En outre, plusieurs, des Afghans et d'autres, ont depuis migré ailleurs dans le monde y compris dans notre pays.

Deuxièmement, le déploiement de contingents des Forces canadiennes en Afghanistan a amené notre service à jouer un rôle actif afin d'épauler nos militaires dans ce pays. Je ne peux pas vous parler des détails opérationnels de ce soutien, mais je peux vous dire deux choses à ce sujet.

D'abord, notre assistance est principalement axée sur l'acquisition de renseignements visant à aider les Forces canadiennes à se défendre contre les attaques terroristes dans ce pays. Ensuite, ces renseignements ont permis de sauver des vies, de mettre au jour des armes et des caches d'armes et de déjouer des attentats terroristes.

La troisième raison de notre intérêt pour l'Afghanistan découle de nos préoccupations au sujet de la stabilité de l'ensemble de la région. Actuellement, c'est en Afghanistan que bon nombre d'organisations ancrées au Pakistan, dans les républiques de l'Asie centrale et du sous-continent planifient des actes terroristes et les mettent en œuvre. C'est aussi là que des militants cherchent appui et refuge.

D'après nos enquêtes sur le passé, cet état d'instabilité régionale risque d'engendrer des menaces terroristes pour le Canada. Nous devons donc orienter nos programmes d'acquisition de renseignements non seulement d'un point de vue tactique, compte tenu des circonstances actuelles en Afghanistan, mais aussi d'un point de vue stratégique, pour mieux placer le milieu du renseignement de sécurité canadien en fonction de menaces futures.

Actuellement le terrorisme et l'insurrection menacent les Canadiens en Afghanistan. Si nous tirons des leçons de l'histoire, nous devons prévoir que les responsables du terrorisme et de l'insurrection sèmeront la violence dans les rues de nos villes.

Sur ce, mesdames et messieurs, je vais mettre fin à mon introduction et répondre à vos questions, en vous demandant de ne pas oublier qu'il se peut que j'aie à faire montre de circonspection sur certains sujets.

Le président : Merci, monsieur Hooper. Nous voulons que vous vidiez votre sac, aujourd'hui.

Le sénateur Meighen : Bienvenue, messieurs. Ravi de vous revoir, commissaire. Je suis content de constater que c'est maintenant pour vous une habitude de nous rendre visite toutes les deux semaines, environ. Nous voulons maintenir le dialogue. Monsieur Hooper, merci d'avoir remplacé M. Judd malgré le court préavis.

Le comité essaie de mieux comprendre le contexte de la menace en Afghanistan et ailleurs et, peut-être plus important encore, ce qui constitue une menace à la sécurité nationale, et pour les Canadiens, ici, chez eux.

Certains entre nous ont participé à des tribunes téléphoniques et nous avons écouté la radio et la télévision. Nous avons constaté que les Canadiens ordinaires, les clients des Tim Hortons, ne comprennent toujours pas, ne voient toujours pas la menace dont ils sont l'objet, de même que leurs familles et leurs communautés, du moins pas autant que vous, messieurs. Je ne vous en fais pas le reproche, mais sauf votre respect, le message ne passe pas. Les Canadiens ne comprennent pas.

À votre avis, y a-t-il moyen de rendre la chose plus tangible aux yeux des Canadiens, afin qu'ils comprennent mieux la nécessité de nous protéger nous-mêmes? Faudra-t-il, malheureusement, un incident regrettable au Canada même, pour que les gens se rendent compte?

M. Hooper : Je vais adopter deux points de vue pour répondre à votre question. D'abord, je ne sais pas si beaucoup de Canadiens comprennent que lorsqu'il y a des menaces à des intérêts canadiens, il s'agit d'une considération de sécurité nationale pour le gouvernement et ses agences.

Les employés des Affaires étrangères, ceux des programmes d'aide internationale, les effectifs de la GRC et des Forces canadiennes sont des intérêts canadiens. Quand des Canadiens sont menacés à l'étranger, c'est aussi une menace à la sécurité du Canada. En somme, du fait que des Canadiens aient été menacés, blessés ou tués en Afghanistan dans le cadre de l'insurrection et de la violence qui y règnent, notre sécurité est menacée.

Dans mes observations liminaires, j'ai parlé de la dynamique régionale qui a une incidence directe sur le contexte de sécurité du Canada. Peu après le 11 septembre 2001, nous avons compris que dans l'une de nos plus grandes régions, environ 60 p. 100 de notre inventaire de cibles d'Al-Qaida était identifié par des sources à l'étranger. En résumé, des sources de renseignements, à l'étranger, qui nous apportent des menaces à la sécurité du Canada. Tous avaient un lien avec l'Afghanistan. Ou bien ils s'étaient battus pour le jihad, ou bien ils avaient donné un appui aux réseaux Al-Qaida là-bas ou y avaient suivi un camp d'entraînement d'Al-Qaida; ils étaient venus au canada pour continuer leur travail d'appui à Al-Qaida.

L'histoire nous donne donc de solides arguments pour appuyer la conclusion selon laquelle ce qui se passe sur la scène internationale a un effet sur le Canada et sur les menaces à notre sécurité.

Bon nombre de choses pourraient sensibiliser le public à cette menace. Nous espérons vivement que pour lui faire comprendre, il ne faudra pas un acte de terrorisme catastrophique, mais sa complaisance vient peut-être du fait que le Canada n'a pas vécu d'actes de terrorisme graves depuis l'attentat à la bombe d'Air India. Je peux toutefois vous dire que toutes les circonstances qui ont mené aux attentats de Londres, par exemple, se constatent aussi au Canada. Il est très important que le public soit renseigné sur cette menace.

Que faisons-nous, en ce sens? En collaboration avec nos collègues de la GRC et d'autres forces de l'ordre, nous communiquons avec diverses communautés ethniques du Canada pour faire passer ce message, pour renseigner les gens et obtenir leur appui dans nos efforts de lutte contre ces menaces. Ce n'est pas facile.

Le sénateur Meighen : Au sujet du dialogue avec les groupes ethniques, on dit que les Forces canadiennes essaient déjà depuis quelque temps de séduire les minorités visibles et d'autres minorités du Canada, afin que son effectif soit plus représentatif du Canada d'aujourd'hui. Soyons charitables, il y a du progrès, mais il est assez lent. Comment se compare le SCRS, pour ses relations avec les communautés ethniques?

M. Hooper : Au cours des dernières années, particulièrement depuis le 11 septembre, nous obtenons des résultats encourageants. Je rencontre chaque nouvelle classe de recrues du service. Je lis leurs curriculum vitae. La diversité ethnique, les compétences linguistiques et l'expérience de vie de ces gens sont remarquables. Nous n'avons pas encore atteint notre objectif, en raison de ce que nous avons hérité de notre origine, soit la GRC, une organisation surtout masculine et paramilitaire. Nous avons fixé des objectifs de recrutement pour les minorités visibles ayant des compétences linguistiques multiples, afin d'avoir un bassin de recrutement plus représentatif de la diversité canadienne. Nous faisons des progrès remarquables.

Le sénateur Meighen : Dans votre discours liminaire, vous avez employé un terme qu'on entend souvent chez les politiciens : « intérêt canadien ». Il est dans l'intérêt du Canada de faire ceci, cela, ou ceci encore. La plupart d'entre nous auprès des institutions haïtiennes comprenons ce que cela signifie, mais j'aimerais que vous étoffiez un peu. Quel est l'intérêt du Canada en Afghanistan? Est-ce d'empêcher Al-Qaida d'y tenir des camps d'entraînement? Le cas échéant, pourquoi?

M. Hooper : Notre chef d'état-major de la Défense a très justement comparé l'Afghanistan à un bouillon de culture pour la propagation de la bactérie terroriste. Si elle est imagée, sa description n'en est pas moins exacte. Et nos intérêts en Afghanistan sont égoïstement liés à la sécurité des Canadiens et Canadiennes.

Un certain nombre de personnes, qui sont domiciliées au Canada, ont combattu avec Al-Qaida pendant l'occupation soviétique et depuis, ont été formées dans des camps d'entraînement d'Al-Qaida en Afghanistan. Par exemple, la personne qui a formé les plastiqueurs de l'attentat terroriste perpétré contre l'ambassade des États-Unis à Nairobi en août 1998 était anciennement domiciliée à Vancouver et avait combattu an Afghanistan. Un jeune homme est actuellement détenu aux États-Unis pour avoir participé à un complot afin de faire sauter des installations américaines, australiennes et anglaises à Singapour et aux Philippines. Il vient de St. Catharines et a été formé dans les camps d'Al-Qaida. Son frère, qui a également été formé dans des camps d'Al-Qaida, a été tué lors d'un échange de feu avec les autorités saoudiennes. L'homme qui voulait perpétrer un attentat à la bombe à l'occasion des fêtes du millénaire, Ahmed Ressam, était en relations avec un certain nombre d'individus à Montréal qui avaient combattu et avaient été formés en Afghanistan, en Bosnie et en Tchétchénie, et lui-même avait été formé en Afghanistan.

Ces personnes ont acquis leur savoir-faire en fréquentant des anciens du jihad ou ont appris ces techniques terroristes dans les camps afghans. De retour au Canada, ils ont planifié des attentats terroristes et y ont participé, pour l'instant, ailleurs dans le monde. Il y va de notre intérêt de nous assurer qu'ils ne pénètrent pas sur notre territoire et qu'ils n'utilisent pas le Canada comme base pour la planification et l'exécution d'attentats terroristes, et qu'ils n'en perpètrent aucun dans notre pays.

Le sénateur Meighen : Ce que vous venez de dire soulève la question de savoir comment et pourquoi ils ont reçu cette autorisation initiale leur permettant de s'installer au Canada. Le Canadien moyen pourrait vous dire, en sirotant sa tasse de café chez Tim Hortons, que nous devrions dépenser notre argent pour améliorer la sécurité en termes de qui nous laissons entrer ou non dans notre pays.

Ensuite, les Canadiens en général, avec leur modestie, croient que les terroristes n'ont rien à attaquer ici. De tous les gens dont vous avez parlé, aucun n'avait une cible au Canada. Qui cherche à cibler la voie maritime ou le port de Vancouver? Avons-nous des preuves que quelqu'un s'intéresse à ces cibles?

Notre Canadien chez Tim Hortons va dire que, de toute façon, les Américains nous protégeront parce qu'il faut qu'ils le fassent et parce que c'est dans leur intérêt de le faire. Certains comprennent cet intérêt, parce qu'ils comprennent que malheureusement les États-Unis sont la cible numéro un. Que répondriez-vous à cet argument, que les Américains nous protégeront et que rien n'est vraiment suffisamment important pour être une cible terroriste au Canada?

M. Hooper : Votre question a deux volets. Le premier parle du phénomène qui se produit en ce moment et qui est une continuité de ce qui s'est déjà passé autrefois en Afghanistan. Le deuxième concerne la menace actuelle propre à notre pays.

Nous aimerions beaucoup disposer des ressources nécessaires pour passer au crible chacun des 10 000 immigrants qui proviennent de régions en conflit ou de régions instables. De façon concrète, la qualité des renseignements dont nous avons besoin pour interdire à ces personnes d'entrer au Canada bien souvent n'existe tout simplement pas dans le pays d'origine. Leurs méthodes d'archivage des renseignements sont différentes des nôtres. Dans bien des cas, les renseignements sont très sommaires. Nombre de ces personnes sont arrivées en tant que réfugiés, sans papier ou avec des faux papiers. Endiguer le flot des éléments menaçants au sein même du flot des réfugiés est un défi énorme, non seulement pour mon service, mais encore pour le gouvernement du Canada.

Vous avez signalé que tous les exemples que j'ai donnés concernaient des menaces qui ne s'adressaient pas à nous. Outre le phénomène afghan, si je peux me permettre de l'appeler ainsi, j'ai parlé au début de mon exposé de « l'idéologie d'Al-Qaida ». Par exemple, depuis le 11 septembre, Al-Qaida a changé de forme. Al-Qaida a créé une idéologie et une doctrine opérationnelles dont se sont saisis des activistes différents. Ils ont vu la réussite des opérations menées par Al-Qaida. Au Canada, un phénomène se développe, et c'est celui de l'émergence de terroristes de seconde et de troisième générations bien canadiens. Ce sont des gens qui ont immigré au Canada jeunes et qui se sont radicalisés au Canada. On ne peut pratiquement pas les distinguer des autres jeunes. Ils arrivent à bien se fondre dans le tissu social, ils parlent notre langue et, à toutes fins pratiques, ils semblent être tout à fait assimilés.

C'est un phénomène qui prend de l'ampleur, tout comme celui de la conversion à l'islam. Dans certains cas, ce sont des Blancs protestants anglo-saxons qui se convertissent aux formes les plus radicales de l'islam des plus radicaux. Ce sont des gens comme vous et moi.

À l'heure actuelle, la menace est double : de l'étranger vers le Canada et au sein même du pays, car les terroristes canadiens cherchent des cibles au pays. Ce n'est pas en Afghanistan, ni au Royaume-Uni ni ailleurs qu'ils veulent frapper.

Nous ne devons pas baisser la garde sur ces deux fronts, la menace qui vient de l'étranger et, de plus en plus, celle qui émerge de nos propres collectivités.

Le sénateur Meighen : D'après les renseignements dont vous disposez, êtes-vous sûrs que le terroriste canadien recherche des cibles principalement au Canada?

M. Hooper : Oui.

Le président : Comment repérez-vous les terroristes d'ici et quelle défense adoptez-vous contre eux? Il s'agit manifestement d'un nouveau phénomène, mais au Royaume-Uni des gens sont devenus terroristes en moins de six mois. Que faites-vous contre cela?

M. Hooper : Nous avons tiré de nombreuses leçons des attentats à la bombe du métro de Londres qui nous ont confortés dans nos analyses. J'ai parlé tout à l'heure de l'utilisation d'Internet. Vous pouvez devenir un islamiste radical et vous engager dans l'idéologie d'Al-Qaida, sans jamais aller dans un camp d'entraînement d'Al-Qaida au Pakistan ou en Afghanistan, vous pouvez tout faire sur Internet. Vous pouvez y trouver les techniques, y acheter du matériel et même créer une cellule d'intervention terroriste par Internet. Pour nous, il est de plus en plus difficile de détecter ces éléments inconnus. Nous devons nous servir de techniques d'analyse très perfectionnées et de renseignements provenant de différentes sources pour les identifier.

Depuis un certain nombre d'années, notre programme de contre-terrorisme a cherché principalement à cerner ce que nous appelons « les inconnues ». Nous sommes très capables de déjouer les menaces qui sont connues. Ce qui nous donne des cheveux blancs, ce sont les menaces qui restent inconnues. Nous avions établi que pour toute menace connue, il y en avait probablement 10 d'inconnues. Notre travail consistait à cerner ces inconnues et j'ai bien peur que la proportion ait augmenté. Je pense que nous avons plus d'inconnues que jamais.

Nous avions un axiome quant aux tactiques à utiliser : tout renseignement nécessite une intervention personnelle. Aujourd'hui, nous recevons et recueillons tant de renseignements, que notre défi consiste à les traiter et les analyser, afin de déterminer les liens qui existent entre les gens et ces morceaux de renseignements. Nous avons de plus en plus recours à des techniques de manipulation de données afin d'établir ces interconnexions inconnues. Cependant, le défi devient énorme.

Le président : Ce terrorisme canadien, est-il votre priorité, monsieur Hooper?

M. Hooper : Au jour le jour, cela dépend des activités opérationnelles au Canada. Mais le terrorisme canadien est désormais à peu près équivalent à la menace terroriste provenant de l'étranger. En termes d'importance, ils sont, en ce qui nous concerne, sur le même pied d'égalité.

Le sénateur Stollery : Je voudrais rappeler à tous que la police n'a pas tiré sur la bonne personne à la station de métro Stockwell de Londres. Ils l'ont assassiné en lui tirant six balles dans la tête alors qu'il était à terre. Tous les terroristes arrêtés ont été identifiés grâce aux photos prises par les systèmes de caméra du réseau de métro et de bus londonien. Ce n'est pas un mystère. Mais la police a en réalité assassiné un électricien brésilien innocent.

Le président : Sénateur Stollery, votre intervention ne s'inscrit pas vraiment dans notre série de questions actuelles.

Le sénateur Stollery : La police n'a pas su contrôler tout cela.

Le président : Monsieur Hooper, à deux reprises, vous nous avez laissé entendre que vous manquiez de ressources. Vous n'avez pas suffisamment de financement pour vérifier toutes les personnes que vous avez besoin de vérifier et pour contrôler les gens qui immigrent au Canada.

Je sais que vous n'êtes pas ici pour demander de l'argent, parce que nous n'en avons pas, mais pouvez-vous nous dire quel est le pourcentage d'immigrants qui, selon vous, devrait être examiné plus en détail. Dites-nous si vous manquez de personnes pour analyser les renseignements. Combien de fois quelqu'un doit dire : « Nous n'avons pas de temps à y consacrer, il nous faut passer au reste »?

M. Hooper : Je voudrais vous donner un peu plus de contexte, parce que je ne veux pas rentrer au bureau et m'attirer les foudres de mon directeur. Je ne pense pas qu'un gouvernement puisse suffisamment financer ses services du renseignement pour avoir la certitude absolue que l'examen des immigrants est approprié et que tous les éléments menaçants sont éliminés. Nous avons reçu près de 20 000 immigrants de la région du Pakistan et de l'Afghanistan au cours des cinq dernières années. Nous pouvons examiner un dixième de ces immigrants et ce n'est peut-être pas suffisant.

En ce qui concerne nos ressources opérationnelles, nous allons plaider notre cause auprès du gouvernement. Nous croyons que nous devons être plus actifs à l'étranger, pour recueillir des renseignements qui nous informeront sur les menaces au sein même du Canada.

Le président : Vous n'êtes donc pas complètement satisfait de 90 p. 100 des immigrants reçus au pays?

M. Hooper : C'est exact.

Le président : Monsieur le commissaire Zaccardelli, vous n'êtes pas ici par accident. Notre comité s'inquiète du cloisonnement, un problème de plus en plus évident aux États-Unis, avec leur pléthore d'institutions. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de la façon dont M. Hooper et vous avez éliminé le cloisonnement et nous dire ce qui est différent dans la coopération entre vos deux organisations?

M. Zaccardelli : Merci, monsieur le président. Le fait que nous soyons ici tous les deux, grâce à vous, est déjà un exemple de la collaboration et des bonnes relations existant entre nos deux organisations. D'une manière générale au Canada, toutes les organisations nationales d'application de la loi, comme le SCRS, l'ASFC, Transports Canada, les corps de police provinciaux et municipaux adhèrent à la philosophie de l'intégration, j'en suis fier et je pense que M. Hooper en est fier également. Et nous y croyons. Nous avons des mandats distincts et chaque organisation traite de problèmes distincts, mais quand il s'agit de l'intérêt commun des Canadiens, je suis fier de ce que nous avons mis en place. Je sais qu'il y a beaucoup de spéculation sur nos deux organisations dans la presse et ailleurs quant à d'éventuels conflits. Je peux vous dire que notre relation est excellente. Lorsque j'ai comparu il y a deux semaines devant votre comité, j'ai parlé de notre nouveau protocole d'entente. Un éditorialiste s'en est saisi et a demandé pourquoi cela avait pris si longtemps. Cela n'a pas pris « si longtemps », car il s'agit simplement d'une facette de notre relation que nous mettons à jour constamment.

Beaucoup d'informations et de renseignements de nos organisations sont mis en commun, comme nous le permettent les politiques et les régimes législatifs en place partout au pays.

Chaque fois qu'il s'agit d'une menace contre le pays, d'un point de vue de la sécurité ou de l'application de la loi, nous travaillons ensemble. Nous nous penchons sur tous les problèmes et nous utilisons à bon escient nos ressources collectives dans le meilleur intérêt des Canadiens.

Le président : Vous nous dites qu'après un éventuel événement tragique au Canada, qui surviendra tôt ou tard, ceux qui effectueront l'enquête après le fait ne diront pas : « Les ordinateurs d'un groupe ne pouvaient communiquer avec les ordinateurs de l'autre » ou « un des groupes ne transmettait pas les renseignements à l'autre ». Vous nous dites que cette époque est révolue et que, même s'il peut y avoir d'autres problèmes, nous n'avons pas besoin de nous inquiéter de cela?

M. Zaccardelli : Tout à fait, monsieur le président. Nous avons bien sûr des dossiers qui ne concernent pas le SCRS et inversement. Cependant si nous devons collaborer et fusionner pour le bien commun, pour contrer des menaces à la sécurité, dans chaque cas nous mettons en commun l'information et nous travaillons ensemble de façon intégrée. Certains de nos ordinateurs ne sont pas reliés aux autres, parce que ce n'est pas nécessaire, mais là où l'intégration est nécessaire, les ordinateurs sont interreliés.

À titre de commissaire de la GRC, je suis tout à fait satisfait de la relation que nous entretenons avec le SCRS. Nous pourrions servir de modèle pour n'importe quel autre pays au monde.

Le président : Merci, monsieur.

Le sénateur Segal : Je voudrais poser une question à nos deux invités sur le cadre opérationnel. Le gouvernement précédent a adopté une loi antiterroriste, indépendamment de la Charte des droits et libertés mais en conformité avec cette dernière, malgré l'avis contraire qu'on lui avait alors donné.

Le commissaire de la GRC dirige un organisme d'application de la loi qui mène des enquêtes lorsque des preuves suffisantes portent à croire que des personnes ont enfreint la loi ou fomentent un complot afin d'enfreindre la loi. Il achemine ces informations aux avocats de la Couronne, afin que des accusations soient portées et on procédera à des arrestations si c'est nécessaire dans ce contexte. La GRC est régie par le Code criminel, la Loi antiterroriste et la Charte des droits et libertés.

Ce processus d'interdiction de la criminalité, qui confère aux gens une série de présomptions d'innocence et de droits, me semble tout à fait différent du mandat du SCRS, qui consiste à protéger le Canada contre les menaces à la sécurité nationale et la sécurité individuelle des citoyens canadiens.

La loi antiterroriste fait l'objet d'un réexamen à l'heure actuelle par des comités du Parlement. Pensez-vous tous deux que des modifications sont nécessaires à cette loi pour rendre plus facile et plus efficace le travail que vous et vos officiers faites sur le terrain au nom de tous les Canadiens?

M. Zaccardelli : Un point en particulier devrait être réexaminé, car il cause des problèmes aux deux organisations. Comme vous l'avez dit, nous fonctionnons indépendamment. Mais si nous avons besoin de travailler ensemble, nous le faisons et je suis tout à fait content de cela, comme je viens de le dire. Parfois, cependant, certaines informations, qui sont en général en la possession du SCRS, pourraient servir à la partie poursuivante. Parfois, nous ne savons pas si nous avons le droit d'utiliser cette information ou non et cela devient une source de friction. En fait, cela nous tourmente tous. Il serait avantageux que nous disposions d'un régime qui respecte intégralement la Charte et qui faciliterait les échanges de renseignements, ainsi que leur protection. Pour l'instant, nous n'avons pas réussi à le trouver. Nous sommes actuellement en consultation avec le ministère de la Justice à ce propos.

Tous les pays du monde ont le même défi à relever. Quant à nous, nous travaillons dans le contexte actuel, même si nous avons rajouté quelques nouveaux éléments depuis la modification. Cependant, il serait parfois très utile dans notre travail, de pouvoir échanger des informations tout en les protégeant et en garantissant aux sujets de l'enquête qu'ils reçoivent toute la protection à laquelle ils ont droit aux termes de la Charte.

Toutes les suggestions qui nous permettraient de résoudre ce problème sont les bienvenues.

M. Hooper : Il n'y a pas de divergence d'opinion entre le commissaire Zaccardelli et le SCRS. Fondamentalement, il s'agit de la limite de la collecte de renseignements. Nous recueillons des informations jusqu'à la limite des « motifs raisonnables de soupçonner ». La GRC peut poursuivre jusqu'à une limite de « motifs raisonnables et probables de croire ».

J'ai été un membre de la GRC pendant un certain temps et depuis je suis au SCRS. Comme le dit M. Zaccardelli, c'est un problème qui nous tourmente tous.

On a toujours pointé du doigt le SCRS et la GRC, en disant que si nous pouvions bien travailler ensemble, tout irait mieux. Nous pouvons travailler ensemble. Nous n'avons jamais si bien travaillé ensemble. Nous avons des détachements entre nos deux organisations. Nous travaillons au coude à coude, partout au pays. Nous n'avons pas mis en œuvre beaucoup des dispositions de la Loi antiterroriste. Nous craignons que malgré tous les efforts déployés par la GRC et le SCRS pour décloisonner nos services, il y aura des obstacles législatifs à la conversion de renseignements de sécurité en preuves destinées aux poursuites dans les affaires criminelles.

M. Zaccardelli a tout à fait raison. Il donne le point de vue des forces de l'ordre, mais d'après notre expérience, chaque service de sécurité et de renseignement du monde a les mêmes problèmes que nous au Canada, et il faudra peut- être une solution législative.

Le sénateur Segal : Je pense que la grande majorité des Canadiens comprennent les contraintes que vous vivez, notamment, que vous ne pouvez pas vous vanter publiquement de vos réussites. Vous ne pouvez pas aussi facilement discuter des interceptions ou de la prévention que vous faites, au sujet des complots terroristes en sol canadien. Je le comprends, et je le respecte. Cela étant dit, je crois que les Canadiens s'attendent à ce que malgré les divers obstacles législatifs, vous vous concentriez sur ce qui doit être fait pour prévenir ces événements et ils comprennent que la prévention a préséance sur les poursuites, tout bien considéré.

Comme arrivez-vous avec cet équilibre, si vous pouvez en parler aux Canadiens?

M. Hooper : Juste avant et juste après septembre 2001, un dossier torontois a créé un nouveau paradigme pour les opérations du SCRS et de la GRC. Huit personnes avaient comploté de commettre des actes d'une grave violence dans la région de Toronto. Nous avons transmis l'information à la GRC. Un groupe d'intervention a été mis sur pied immédiatement, composé de membres des corps policiers locaux, de la GRC et du SCRS. Nous avons mobilisé le bureau du procureur de l'Ontario puisqu'au départ, nous voulions pouvoir poursuivre ces personnes. Le procureur nous a dit qu'il y avait insuffisance de preuves et les policiers ont alors entrepris de désamorcer et de perturber le groupe, pour éviter que les actes de violence soient perpétrés. C'était une leçon précieuse pour les deux organisations et pour l'ensemble des forces de l'ordre.

En somme, si les poursuites ne sont pas possibles, il y a d'autres possibilités. C'était un point tournant pour les forces de l'ordre. Il ne faut pas abandonner les renseignements obtenus simplement parce qu'ils ne peuvent servir de preuves devant un tribunal. On peut aider à désorganiser les entités menaçantes. Depuis, particulièrement à la GRC, mais aussi chez la plupart des corps policiers du Canada, il y a une collaboration avec nous pour prévenir ces événements.

M. Zaccardelli : Je suis tout à fait d'accord avec M. Hooper. Pour les corps policiers, cela a été l'une des difficultés les plus grandes à surmonter, mais je suis ravi des progrès effectués. Les policiers sont formés pour recueillir la preuve en vue d'un procès. La perturbation ne suffit pas, pour nous. Nous voulons mettre la main au collet du coupable et aller devant les tribunaux. Il était aussi difficile de traiter avec les procureurs, puisqu'ils font partie du processus, pour l'évaluation de la preuve. Les procureurs comme les policiers veulent aller en cour et faire condamner les coupables. Cela a causé beaucoup de friction avec le SCRS, en quelques occasions, lorsque le SCRS disait qu'il y avait peut-être une autre façon de faire.

Depuis le 11 septembre, nous avons toutefois dû accepter de procéder à la perturbation, la prévention étant plus importante. Dans certains cas, permettre qu'un acte soit posé plutôt que faire l'impossible pour l'éviter pourrait avoir des conséquences inimaginables. Il s'agit bien d'un point tournant pour nous.

Pour certaines situations, le SCRS a dû changer fondamentalement sa façon de voir les choses. Il y a eu des rencontres entre le SCRS et les corps policiers. Le directeur du SCRS, Jim Judd, et moi-même, avons participé à ces entretiens. Nous parlons de ces problèmes et nous y trouvons ensemble des solutions. Pour chaque situation, nous envisageons une plus grande gamme de solutions, afin de mieux protéger le Canada.

Le sénateur Segal : J'ai une brève question au sujet des droits de la personne. Je suis convaincu que tout le monde ici a été ému par le courage et la clarté des idées présentées par le père de Nichola Goddard aux funérailles de sa courageuse fille. Il a affirmé qu'elle était morte pour protéger la liberté au Canada, et qu'il ne voulait pas que son décès soit interprété comme une limite à nos libertés, qu'il s'agisse de celle de la presse ou de quiconque.

Sans parler d'opération précise, que pouvez-vous nous dire, au sujet de vos activités générales, quand aux protections qui existent contre le ciblage de quiconque au Canada, du simple fait de son appartenance à un groupe religieux ou ethnique? Comment protégez-vous les innocents tout en veillant à la sécurité de notre société, à son ouverture et à son caractère démocratique? Comment veillez-vous à ce qu'il n'y ait pas de ciblage en fonction de préjugés ethniques?

M. Hooper : Une précision : parlez-vous du ciblage par les forces de l'ordre et par les services du renseignement et de sécurité?

Le sénateur Segal : Oui.

M. Hooper : Le SCRS a un régime de ciblage structuré. Chaque enquête recourant à des méthodes intrusives est approuvée par un comité composé de directeurs principaux de mon service, allant même jusqu'au directeur. On y trouve des représentants du ministère de la Justice et de notre portefeuille. Nous ne faisons pas de ciblage ethnique. Nous ne ciblons pas des personnes à cause de l'appartenance à une communauté donnée. La meilleure garantie qu'on puisse en donner aux Canadiens, c'est que nous sommes loin d'avoir les ressources nécessaires pour faire ce genre de ciblage, et nous ne le ferions pas de toute façon.

Nous avons une masse critique d'enquêtes que nous pouvons gérer, et nous nous concentrons sur les plus importantes ou celles qui sont associées à une menace imminente à la sécurité du Canada.

En plus du régime de ciblage du service, toutes les décisions de ciblage et toutes les activités opérationnelles font l'objet du contrôle du Comité de surveillance des activités de renseignements et de sécurité du Bureau du solliciteur général. Il y a donc, outre le régime interne de ciblage et des priorités de ciblage, un contrôle externe qui veille à ce que nous ne fassions pas ce dont vous avez parlé.

M. Zaccardelli : Je comprends que dans la société canadienne, surtout dans certaines communautés, on ait la nette impression que les forces de l'ordre font du ciblage racial tenant compte des ethnies. Pour les dossiers de sécurité nationale comportant un aspect criminel, dont nous avons la responsabilité, toutes les opérations sont contrôlées différemment par rapport aux autres enquêtes criminelles. Le contrôle est centralisé à Ottawa. Il est exercé par un sous- commissaire principal qui doit approuver chaque enquête. Chaque aspect important de l'enquête doit recevoir l'approbation du Centre. Pour chaque dossier important se rapportant à la sécurité nationale, nous collaborons étroitement avec le SCRS. Nous avons une équipe de gestion conjointe pour ces dossiers. Comme l'a dit M. Hooper, il y a par ailleurs de nombreux autres niveaux de contrôle.

J'ai constaté que cette impression existe bel et bien. Il y a quelques semaines, j'étais à une conférence, à Toronto, et c'était la principale préoccupation des groupes en présence. Nous en avons discuté. Nous avons des programmes de communication portant là-dessus, mais je crois que le problème continuera d'exister encore quelque temps, simplement parce que les gens y croient.

Peu importe ce que je pense, ou ce que je dirai, ce qui compte c'est ce que les gens croient. Nous demandons au public de nous juger sur notre travail, et de s'attendre à ce que nous respections les normes supérieures prévues par la Charte.

Je pense que nous nous sommes bien débrouillés, comme nous nous sommes engagés à le faire, mais il faudra collaborer pour continuer comme ça. Nous garderons nos programmes de relations avec ces communautés et chercherons des idées pour améliorer notre travail dans ce domaine. C'est une préoccupation importante pour nous.

Le sénateur Stollery : J'aimerais revenir à la question de l'Afghanistan, quelques instants, et poursuivre dans la même veine que le sénateur Meighen, au sujet des clients de Tim Hortons, dont je suis. J'étais à un club, samedi, et il y avait là une dizaine d'entre nous, toutes catégories confondues. Nous ne nous voyons qu'à ce club. Tout le monde disait : « Que faisons-nous en Afghanistan? » C'était unanime. Personne n'a même avancé l'idée que nous étions là pour instaurer la démocratie en Afghanistan.

Ma question se rapporte aux problèmes de renseignements, aux risques pour la société canadienne qui pourraient découler de notre échec en Afghanistan. On nous dit que M. ben Laden fait six pieds cinq, qu'il souffre d'insuffisance rénale, et qu'on versera 10 millions de dollars ou 20 millions de dollars à celui qui le dénoncera et pourtant, après cinq ans en Afghanistan, personne ne l'a fait. Il semble qu'il y soit toujours. Il doit donc avoir des milliers de partisans.

Il me semble, monsieur Hooper, que vous avez semé un peu de confusion en nous présentant votre exposé si intéressant. Al-Qaida signifie simplement « la base »; il ne s'agit que de 15 ou 20 personnes. « Jihad » signifie la lutte. Je pense que vous parliez en fait du mouvement salafiste. Il est important de bien comprendre ces termes, qui ont un sens. Ils ont certainement un sens pour les Afghans et pour le genre de personnes dont on ne veut vraiment pas là où je vis, au centre-ville de Toronto.

Ce matin, j'ai lu les nouvelles sur les émeutes de Kaboul, où l'on voulait tuer M. Karzai. Toutes les missions en Afghanistan ont couru à l'échec; les Russes y ont perdu 15 000 hommes. Est-ce que notre mission risque d'échouer aussi?

J'ai parlé du meurtre d'un innocent, l'électricien brésilien, à la station de métro Stockwell de Londres, une ville où l'on est bien renseigné et où l'on est bien conscient du climat politique. Il reste qu'on a tué la mauvaise personne. Cela se produit-il souvent, en Afghanistan? L'acquisition des renseignements ne me semble pas très efficace, si on n'a même pas pu trouver Oussama ben Laden, après cinq ans.

Ne croyez-vous pas qu'en cas d'échec de la mission, comme on l'a vu pour presque toutes les autres missions en Afghanistan, cela pourrait nous nuire?

M. Hooper : J'ai deux réponses à donner à cette question. D'abord, nous faisons partie des principales cibles occidentales, quoi qu'il arrive, peu importe que nous soyons ou non en Afghanistan. Nous ciblons des agresseurs potentiels affiliés à Al-Qaida et à ses éléments. Après les incursions en Afghanistan qui ont suivi le 11 septembre, nous avons constaté que des conversations qui ont eu lieu dans des refuges d'Al-Qaida ont pu servir dans des procédures au Canada, pour des certificats de sécurité. Bon nombre de personnes, dont des Canadiens, vivent actuellement dans cette région et sont au courant des initiatives du gouvernement canadien, du SCRS, de la GRC et des corps policiers pour lutter contre le terrorisme et pour cibler les groupes affiliés à Al-Qaida. Même avant l'Afghanistan, nous étions grandement menacés. Quoi qu'il en soit, la présence des Canadiens et des Forces canadiennes en Afghanistan a intensifié un peu cette menace.

Pour ce qui est des suites d'un échec de la mission en Afghanistan, je ne peux que prendre en compte l'environnement stratégique de l'ensemble de la région comme je le disais dans mon discours liminaire.

Compte tenu de l'histoire du terrorisme au Canada, qu'il s'agisse de l'attentat d'Air India, de l'assassinat d'un diplomate turc, du complot d'assassinat d'un ministre du cabinet du Punjab...

Le sénateur Stollery : Ils ne venaient pas d'Afghanistan.

M. Hooper : C'est exact, mais ils venaient d'une région instable.

Le sénateur Stollery : L'inde n'est pas instable. Depuis son indépendance, elle a un gouvernement démocratique.

M. Hooper : Depuis plusieurs années, la région du Punjab en Inde a été le site de combats et d'opérations de destruction internes, ainsi que la source d'actes de terrorisme dirigés sur l'Inde.

Le sénateur Stollery : La Turquie n'est pas un pays instable.

M. Hooper : Là aussi, les terroristes arméniens qui ont attaqué des diplomates au Canada avaient des griefs contre le gouvernement turc. L'Afghanistan est un pays instable, qui est le centre d'une région. Si l'Afghanistan échoue, il faudra remettre en question la possibilité d'une stabilité dans cette région du centre de l'Asie et dans la région du sous- continent indien. Selon moi, l'importance géopolitique de l'Afghanistan est la clé.

Le sénateur Stollery : Monsieur le président, je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes, mais je connais la région relativement bien. Je peux dire qui appartient à quelle tribu et j'ai été moi-même dans la plupart de ces régions. Et je ne vois pas le rapport.

Le problème du Cachemire existe depuis l'indépendance et n'a pas été résolu. Il y a des zones de conflit, mais l'idée que la région allant de l'Inde à la Turquie a beaucoup en commun ne tient tout simplement pas. Ces gens parlent des langues différentes, ils ont une culture culinaire différente, ce sont des gens différents. Leurs traditions sont différentes. C'est vraiment exagéré.

J'ai fait la guerre d'Algérie et il me semble évident que si nous commençons à descendre des gens, et cela peut vouloir dire des milliers de gens innocents et leurs familles, alors les membres de leur parenté et le reste de la population ne nous aimeront pas et ce n'est pas une bonne chose.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci, sénateur Stollery. Monsieur Hooper, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Hooper : Non.

Le sénateur Baker : J'ai deux questions, l'une qui s'adresse au SCRS et l'autre à la GRC, sur l'Afghanistan, la sécurité et les enquêtes sur des activités terroristes éventuelles liées au Canada.

Tout d'abord, monsieur Hooper, vous avez dit dans votre exposé que des citoyens canadiens et des résidents — et il y a une différence — ont été impliqués dans des attentats et des complots ailleurs dans le monde. Mais, tout d'abord, je voulais vous demander si vous êtes le même William Hooper qui s'est fait connaître avec l'affaire des interrogatoires des citoyens canadiens à la prison de Guantanamo. Êtes-vous cette personne et puis-je vous poser la question?

M. Hooper : Il s'agit de moi en effet.

Le sénateur Baker : Alors je vais vous poser une question simple et vous n'avez pas besoin de me donner une réponse longue, parce que il va en découler d'autres questions. C'est au sujet des citoyens canadiens qui sont détenus ailleurs dans le monde pour des allégations de meurtres et d'activités terroristes.

Seriez-vous d'accord pour dire que deux ou trois articles de la Charte canadienne ont été violés pendant les interrogatoires menés à la prison de Guantanamo?

M. Hooper : Je ne suis pas d'accord. Je connais la décision du juge Finkelstein à ce propos. Dans mon témoignage, je dis que nous ne pouvons forcer quelqu'un à parler. Ce qui a lieu à Guantanamo, par exemple, n'est pas bien différent de ce qui se passe dans d'autres villes canadiennes. Quand nous frappons à une porte et demandons aux gens de coopérer avec nous, ils ont la possibilité de nous fermer la porte au nez et souvent ils le font.

Dans sa première série d'entrevues, Omar Khadr était très coopératif. Il a été d'accord pour nous voir et pour nous parler. Dans sa seconde série d'entrevues, il a refusé de coopérer. C'est toujours la même chose, on parlait à un mur donc on a abandonné ces entrevues.

Le sénateur Baker : Je vois ce que vous voulez dire. Je ne suis pas complètement contre vos méthodes, cependant, il faut qu'elles soient conformes à la loi canadienne. Un citoyen canadien ne peut être détenu sans que la personne qui le questionne respecte l'alinéa 10a) de la Charte, c'est la raison de la détention, ensuite, son droit à consulter un avocat, puis, en troisième lieu, d'une manière générale, l'article 7 de la Charte.

D'une manière générale, quand les Canadiens sont détenus à l'étranger, menez-vous les interrogatoires de la même façon, c'est-à-dire, si quelqu'un est prêt à parler, vous l'interrogez?

M. Hooper : Tout d'abord, je voudrais dissiper toute impression que c'est quelque chose que nous faisons couramment. Vous pouvez compter sur les doigts d'une main le nombre de fois où nous avons parlé à des détenus, à des fins d'enquête. Nous le faisons rarement, nous l'avons fait dans le cas de M. Khadr et d'autres détenus de Guantanamo, car nous croyons qu'ils avaient des éléments d'information sur des menaces à la sécurité du Canada. Quant à M. Khadr, il savait pourquoi il était détenu et il n'a pas demandé à être représenté par un avocat.

Dans bien des cas, je parle de manière générale sans référence particulière à un détenu, nous ne les voyons pas tant qu'ils n'ont pas reçu la visite d'agents consulaires de notre ministère des Affaires étrangères. C'est eux qui ont le mandat de les informer. De toute façon, si quelqu'un ne veut pas coopérer avec nous, nous ne pouvons pas faire grand- chose pour forcer cette coopération.

Le sénateur Baker : Je comprends votre argument juridique. Puisque la personne ne fait pas l'objet d'accusations au Canada, la Charte ne s'applique pas. Mais, la Cour suprême du Canada dit constamment que ce n'est pas le cas et vous en avez informé les autorités américaines qui sont la partie poursuivante dans ce cas. Vous en avez donné copie au commissaire de la GRC également. Monsieur Hooper, vous connaissez la loi comme votre poche et vous avez beaucoup d'expérience en ce qui concerne les enquêtes. Vous savez pertinemment que les renseignements que vous avez donnés à la GRC ne peuvent être utilisés dans des procédures juridiques ultérieures. Il s'agit d'une preuve dérivée, provenant de trois affaires que la cour a jugées comme étant des violations de la Charte. Pourquoi faire ces entrevues, si vous savez que ces renseignements ne peuvent être utilisés au Canada? Est-ce que c'est parce que vous avez un accord réciproque avec une nation étrangère que vous interrogez les Canadiens détenus à l'étranger et que si nous détenons un résident américain au Canada, les autorités américaines peuvent venir au Canada et interroger cette personne? Un tel accord existe-t-il? Pourquoi donneriez-vous ces renseignements à la GRC?

M. Hooper : Tout d'abord, il n'existe pas d'un accord réciproque. Deuxième chose, ces entrevues ont lieu parce que nous croyons, et c'est le cas pour toute entrevue d'un détenu, qu'ils ont des renseignements actuels à propos de menaces à la sécurité du Canada. C'est pourquoi nous procédons ainsi, mais l'entrevue dépend de la coopération et si une personne ne veut pas nous parler, nous ne le ferons pas.

Quant au fait que nous transmettions des informations à la GRC, comme vous le savez, monsieur le sénateur, la GRC a un mandat parallèle d'application de la loi contre les atteintes à la sûreté de l'État. Selon nous, les informations que nous avons tirées de ces entrevues pouvaient aider la GRC pour renforcer certaines enquêtes qu'elle faisait à ce moment-là.

Le sénateur Baker : Je dois poser maintenant ma question au commissaire de la GRC, parce que je n'ai pas beaucoup de temps.

En Afghanistan et dans d'autres pays, vous avez participé au contre-terrorisme — la falsification des passeports, et cetera — et vous menez des enquêtes actives, les officiers de la GRC parlent de temps à autres aux médias. Dans nombre de cas, c'est vous qui avez dû prendre une décision définitive de mettre à la porte ou non l'agent de la GRC qui a parlé aux médias. Je crois que c'est l'article 45 de la Loi sur la GRC qui vous donne ce pouvoir, est-ce exact?

M. Zaccardelli : Monsieur le sénateur, j'ai beaucoup de pouvoirs en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, comme certains le diraient, mais je n'ai certainement pas celui de congédier des agents de la GRC simplement parce qu'ils ont parlé aux médias.

Le sénateur Baker : Non, effectivement, mais vous avez le pouvoir, et vous l'avez déjà exercé, de mettre à la porte des agents de la GRC, parce qu'un tribunal d'arbitrage de la GRC, lors d'une instruction préliminaire, avait décidé qu'une personne avait violé le sceau du secret en parlant aux médias. Vous avez été saisi du cas, vous l'avez présenté à un organisme d'examen externe à la GRC, si je ne m'abuse. Il s'agit d'un organisme indépendant mis sur pied...

M. Zaccardelli : Sénateur, vous ne me donnez pas de cas précis et vous faites...

Le sénateur Baker : Prenons l'affaire Reid. L'affaire Stenhouse? Vous connaissez ces affaires. Vous y avez été mêlé.

M. Zaccardelli : Tout à fait, et je peux vous dire clairement que dans toutes les affaires de discipline, ou toute autre en vertu de la Loi sur la GRC, qui touchent quelque employé que ce soit de la force, nous appliquons régulièrement la loi et je prends chaque décision avec le plus grand soin. Ils ont droit à un examen par plusieurs organes en vertu de la Loi sur la GRC et peuvent aussi s'adresser à la Cour fédérale. Ces deux affaires ont d'ailleurs été entendues par la Cour fédérale, comme vous le savez, sénateur Baker.

Le sénateur Baker : La Cour fédérale n'a pas le droit de modifier vos constatations des faits. Il y a trois niveaux d'examen administratif : le premier est la justice des faits, le deuxième est le caractère raisonnable en soi et le troisième est le caractère manifestement déraisonnable. Les tribunaux sont arrivés à la conclusion qu'ils ne peuvent pas contester les faits constatés par le commissaire.

M. Zaccardelli : Encore une fois, nous sommes en terrain miné faute d'être précis, sénateur, mais les tribunaux ont statué que comme commissaire et administrateur de la GRC en vertu de la Loi sur la GRC, à moins que je prenne une décision manifestement erronée, ils m'accorderont une grande latitude quand je prends ces décisions. C'est ce que les tribunaux ont statué, pas moi, sénateur.

Le sénateur Baker : Je sais. Ma dernière question est la suivante. Recommanderiez-vous que nous recommandions de supprimer le pouvoir que vous détenez en vertu de l'article 45.14 de la Loi sur la GRC et de laisser à un organisme d'examen extérieur ou à la Cour fédérale le soin de prendre une décision définitive? Pour moi, il est manifestement déraisonnable de laisser une décision aussi importante entre vos mains.

M. Zaccardelli : Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point. Je pense que le commissaire, ou quiconque qui est à la tête d'un organisme, doit avoir le pouvoir et les moyens de s'occuper de cet organisme et de le gérer. De toute évidence, quand ces décisions sont prises, et surtout lorsqu'il s'agit d'une question aussi importante que le licenciement de quelqu'un, ce n'est pas moi qui devrais avoir le dernier mot. C'est pourquoi il existe un mécanisme d'appel et pourquoi je reçois des recommandations. Cela me semble un juste équilibre. À un moment donné, par contre, il se peut que l'on veuille m'enlever ce pouvoir. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée parce que de cette façon je m'en lave les mains; ce n'est pas pour ça que vous me payez au prix fort.

Le sénateur Baker : Monsieur le commissaire, vous avez cassé les décisions de l'organisme d'examen externe. Que ce soit dans l'affaire Stenhouse ou dans l'affaire Reid, vous avez nommé un commissaire adjoint pour qu'il prenne la décision. N'est-ce pas vrai? Il a cassé la décision de l'organisme d'examen externe, composé d'un avocat, qui préside, et de quatre autres membres.

M. Zaccardelli : Sénateur, entendons-nous bien. Je n'ai pas cassé la décision du comité d'examen externe. En vertu de la loi, le comité d'examen externe me formule des recommandations. Je les accepte ou je ne les accepte pas. Je n'ai pas renversé sa décision. Que ce soit clair.

Sénateur, j'accepte 90 p. 100 des recommandations venant du comité d'examen externe et de la Commission des plaintes du public contre la GRC; je pense donc que mon bilan est plutôt bon. Il arrive que nous ne soyons pas du même avis et c'est pourquoi la Cour fédérale est là.

Le président : Merci. Peut-être pourrais-je rappeler à mes collègues que nous sommes ici pour discuter de l'Afghanistan.

Le sénateur Campbell : Je suis plus chevronné que ces deux messieurs. Je n'ai pas été congédié de la GRC. Je suis parti parce que je me suis rendu compte que j'étais dans un milieu où les gens avec qui j'essayais de traiter n'avaient aucune règle tandis que nous avions des règles par-dessus la tête. Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas vivre avec cela. Et puis, à une certaine époque, la GRC et le SCRS opéraient bien en mode cloisonné. Je m'intéresse aux opérations de police et au SCRS depuis que j'ai quitté la force en 1981. Je peux vous dire que la collaboration des services de police entre ces deux organismes est aujourd'hui une chose admise et acceptée. De fait, la coopération avec tous les organismes susceptibles de produire des renseignements ou de porter des accusations au criminel est désormais la norme.

Commençons par parler de Guantanamo. Détenons-nous des Canadiens à Guantanamo?

M. Hooper : Nous ne détenons personne à Guantanamo.

Le sénateur Campbell : Qui les détient?

M. Hooper : Les Américains.

Le sénateur Campbell : Avons-nous quoi que ce soit à voir avec ça? Quel est le problème ici? Je ne comprends pas. Nous sommes allés parler à quelqu'un qui était détenu à Guantanamo. Ils ont dit qu'ils ne voulaient pas parler et ça a fini là; c'est ça?

M. Hooper : C'est juste.

Le sénateur Campbell : Avez-vous déjà battu l'une ou l'autre de ces personnes?

M. Hooper : Non.

Le sénateur Campbell : Deuxièmement, quelqu'un ici a-t-il de l'information à propos du meurtre en Grande- Bretagne?

M. Zaccardelli : Je n'ai absolument aucun renseignement à propos de la fusillade qui a eu lieu dans le métro.

Le sénateur Campbell : Et c'est bien le mot juste, n'est-ce pas? Quelqu'un est mort dans cette fusillade. Aucun tribunal n'a statué qu'il s'agissait d'un assassinat et aucune enquête n'a eu lieu en ce sens, n'est-ce pas?

M. Zaccardelli : À ma connaissance, aucun tribunal n'a été saisi d'une affaire par suite de cet incident.

Le sénateur Campbell : Comme policier, combien de temps avez-vous pour prendre cette décision?

M. Zaccardelli : D'après ce que je sais, la décision a été prise en une fraction de seconde.

Le sénateur Campbell : Moi aussi je me suis retrouvé en pareille situation. Je récuse tout à fait l'idée que nous examinions un assassinat qui est survenu en Grande-Bretagne, ou même que nous l'évoquions.

J'ai deux questions. Une des choses qui m'inquiètent, c'est l'inclusion du mot « terroriste » ou bande organisée et criminalité organisée. J'aimerais savoir si c'est quelque chose qui vous préoccupe et si nous comme parlementaires ou comme sénateurs devrions chercher à vous aider face à cela?

M. Hooper : Il y a des organisations terroristes ou des phénomènes terroristes qui se livrent aussi à des actes criminels. Nous avons observé ce recoupement par le passé et nous nous attendons à le revoir dans l'avenir. En ce qui concerne précisément l'Afghanistan, les sénateurs savent qu'il y a un lien puissant entre la culture de l'opium et le commerce de l'héroïne et l'insurrection en Afghanistan. Le trafic de drogue sert, de bien des façons, à soutenir l'insurrection là-bas.

Il y a souvent une différence d'évaluation entre nous et les corps policiers quant au degré de recoupement entre le terrorisme et la criminalité dans une organisation. S'agit-il d'une organisation terroriste impliquée dans la criminalité ou une organisation criminelle qui soutient le terrorisme? Ce n'est pas un débat productif. Je pense que nous admettrons tous qu'il y a un lien, visible dans beaucoup d'organisations, et je demanderai au commissaire Zaccardelli de répondre à la question de savoir s'il faut une solution d'ordre législatif.

M. Zaccardelli : Nous n'avons pas de preuves précises de l'existence d'un lien entre le crime organisé et le terrorisme au Canada mais les deux cas qui viennent immédiatement à l'esprit sont ceux de l'Afghanistan et de la Colombie. Il y a quelques semaines, j'ai participé à une conférence où l'on soupçonnait vivement que ces liens existaient dans plus de 20 pays.

Si vous prenez le cas de l'Afghanistan, puisque c'est ce dont on parle surtout ici aujourd'hui, quand plus de 90 p. 100 de l'héroïne vient de l'Afghanistan, quand plus de 50 p. 100 de l'héroïne au Canada — et ce sont des estimations grossières utilisées avec les toxicomanes — vient de là, je ne pense pas que c'est sauter aux conclusions que d'établir le lien entre des associations de malfaiteurs, qui assurent la distribution de l'héroïne ici et dans d'autres pays, et l'argent qui revient à ces associations terroristes, qui ont la haute main sur l'Afghanistan. Malheureusement, nous ne pouvons pas établir de lien direct à cause de toutes les étapes de filtration et de blanchiment.

Il en va de même pour la cocaïne qui vient de la Colombie. Il est clair que des organisations criminelles au Canada ont recours à des courtiers en Colombie et dans d'autres pays pour obtenir leur drogue. Ce n'est pas sauter aux conclusions non plus que de dire que l'argent de la drogue aboutit dans ces immenses territoires contrôlés par des groupes terroristes, qui favorisent la production. Le danger, c'est qu'aujourd'hui plus de pays s'engagent dans cette voie parce qu'il est plus difficile pour l'État de parrainer ces groupes terroristes. Il y a eu de la répression dans certains cas.

Le sénateur Campbell : Monsieur Hooper, en 1998, le directeur de l'époque, Ward Elcock, a déclaré devant le comité que le SCRS enquêtait sur peut-être 50 groupes terroristes et 350 cibles terroristes distinctes dans le programme de lutte contre le terrorisme. Huit ans plus tard, ces chiffres valent-ils toujours et, deuxièmement, l'un ou l'autre de ces groupes provient-il de l'Afghanistan ou a-t-il des liens avec ce pays?

M. Hooper : En réponse à la première question, j'ai en fait été frappé par la similitude des chiffres de M. Elcock en 1998 et ceux de notre liste actuelle de cibles. Ils sont virtuellement les mêmes. Cela m'étonne parce que d'habitude les chiffres sur les cibles fluctuent, si bien qu'il peut s'agir d'une anomalie, mais les chiffres sont quasiment les mêmes que ceux de 1998.

Il y a un certain nombre d'individus et d'organisations qui ont un lien avec l'Afghanistan ou avec Al-Qaida.

Le sénateur Campbell : L'an dernier, la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Anne McLellan, a déclaré devant le comité que le SCRS recueille des renseignements de sécurité étrangers et « devrait en recueillir davantage ». Voici mes questions. L'activité du SCRS à l'étranger tient-elle exclusivement à la collecte de renseignements sur les menaces pour la sécurité du Canada? Comment répond-on aux besoins en renseignements étrangers du Canada?

M. Hooper : En fait, la loi ne nous permet pas de recueillir des renseignements étrangers à l'extérieur du Canada — par renseignements « étrangers », on entend des renseignements concernant les intentions et les capacités de personnes ou d'États étrangers. Habituellement, quand les gens parlent de renseignements étrangers, dans notre modèle juridique en tout cas, ils parlent de renseignements politiques, économiques et militaires. En réponse à votre première question, sénateur, tout ce que nous faisons à l'étranger a pour but de recueillir des renseignements de sécurité.

Quant à la façon de le faire, nous sommes en train de passer d'un modèle à un autre. Par le passé, le service — et le service de la sécurité de la GRC avant lui — affectait ce que nous appelons des agents de liaison de sécurité dans de nombreux pays. Le rôle premier de ces agents est d'assurer la liaison avec d'autres services de renseignements et d'autres corps policiers en qui nous avons confiance.

Le cas de l'Afghanistan a modifié notre façon de penser au sujet de ce que doit être notre activité à l'étranger. Cela nous a appris qu'une grande partie de l'information sur les menaces au pays doit être obtenue à l'extérieur du pays.

Nous nous y employons de diverses façons. Par l'intermédiaire d'agents de collecte étrangers, des officiers traitant de passage au pays et d'éléments que nous chargeons de recueillir des renseignements à l'étranger. Il existe divers moyens, l'un des plus importants étant notre interaction avec les services de renseignements alliés dans une instance internationale.

Le sénateur Campbell : Combien avez-vous de gens à l'étranger qui rassemblent de l'information? Il doit s'agir de vos agents de liaison, j'imagine.

M. Hooper : Nous avons moins de 50 agents de renseignements à l'étranger.

Le sénateur Campbell : Comme le nombre de terroristes et de groupes terroristes est resté relativement constant, avons-nous grossi nos moyens depuis 1998? Même si le nombre est resté stable, la menace, elle, je pense, a grandi. Avez-vous pu augmenter votre personnel à l'étranger depuis 1998?

M. Hooper : Pas autant que nous l'aurions voulu. Nous avons reçu du financement dans deux enveloppes ces deux dernières années pour renforcer notre programme de collecte à l'étranger et une grande partie de cet argent était destinée à envoyer du personnel à l'étranger.

Depuis quelques années, nous empruntons aux programmes nationaux de collecte et ceux qui font ce travail sont envoyés à l'étranger pour y faire de la collecte de renseignements. Nous avons investi l'argent que le gouvernement nous a donné au début, dans diverses formes de soutien aux infrastructures, que nous pouvons dépenser cet argent immédiatement. Il faut un peu plus de temps pour recruter et former quelqu'un qui puisse ensuite aller à l'étranger ou remplacer quelqu'un qui travaille déjà à l'étranger.

Le sénateur Moore : Monsieur Hooper, deux fois dans votre allocution vous avez parlé de l'idéologie d'Al-Qaida. Pouvez-vous nous dire pour les besoins du compte rendu ce que vous entendez par là?

M. Hooper : J'évoquerais une observation du sénateur Stollery. Il a dit qu'Al-Qaida ne signifie rien d'autre que « la base ». Al-Qaida est une organisation qui s'est métamorphosée depuis sa formation en 1988. Quand nous rencontrons d'autres professionnels du renseignement et commençons à parler d'Al-Qaida, il importe de s'entendre sur ce que cela signifie pour chacun d'entre nous parce qu'Al-Qaida aujourd'hui n'est pas l'organisation qu'elle était le 11 septembre. Elle ne dispose pas d'une structure claire de commandement et de contrôle dotée de moyens de communication. Elle n'a pas d'infrastructure de formation comme c'était le cas avant le 11 septembre.

Elle n'a pas beaucoup des attributs que l'on associe normalement à une organisation terroriste. Il ya toutefois des organisations qui étaient ou sont affiliées à al-Qaïda qui ont adopté son idéologie, qui proclament entre autres que l'influence de l'occident doit être extirpée des pays islamiques, que les régimes laïques doivent être remplacés par des caliphats et que la sharia doit régner dans les pays islamiques.

À son apogée, Al-Qaida a employé une méthodologie opérationnelle d'attaque contre les intérêts occidentaux en occident, en sélectionnant des cibles à pertes élevées, par exemple, et en ciblant l'infrastructure critique des pays occidentaux. Elle a aussi acquis une doctrine de sécurité opérationnelle. Beaucoup de caractéristiques de ce que j'appelle l'idéologie d'Al-Qaida ou sa doctrine opérationnelle ont été adoptées par des militants ou des éléments aux vues semblables sans lien connu avec Al-Qaida sous l'un ou l'autre de ses avatars.

Le sénateur Moore : Vous avez dit dans votre déclaration qu'il y a une masse critique d'enquêtes que vous pouvez conduire à un moment donné. Quelle est cette masse critique? Quelqu'un vous a posé une question à propos de vos moyens humains et financiers. Est-ce 1 000 à faire ou est-ce 10? Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur?

M. Hooper : Cela me ramène à la question du sénateur Campbell et de ce que j'ai dit à propos de la nature relativement stable de notre liste de cibles. Je sais que depuis 1998, lorsque le directeur Elcock a donné ces chiffres, nous avons fait des compressions importantes dans plusieurs domaines d'enquête. Nous avons diminué le nombre de cibles individuelles et organisationnelles mais le nombre de cibles lui-même reste stable. Nous avons bien augmenté notre base de cibles dans un certain nombre de domaines terroristes, en particulier.

Il y a peut-être une autre interprétation, et cela m'inquiète. Peut-être avons-nous atteint notre capacité critique et est-ce à ce niveau que nous opérons. Cette capacité critique n'a pas vraiment été améliorée au fil des années.

Le sénateur Moore : Y a-t-il un chiffre? Est-ce de l'ordre de ceux donnés par Elcock?

M. Hooper : Nous parlons d'environ 350 cibles de haut niveau et de 50 à 60 cibles organisationnelles.

Le sénateur Moore : Pour ce qui est du terrorisme indigène, j'imagine que vous savez de qui il s'agit et où ils sont.

M. Hooper : Nous savons qui et où sont certains d'entre eux.

Le sénateur Moore : Entendu. Si nous savons où et qui sont certains d'entre eux, les renvoie-t-on du Canada? Vaut-il mieux qu'ils soient ici pour pouvoir les tenir à l'œil? La loi nous empêche-t-elle de les renvoyer? Sont-ils plus dangereux de retour en Afghanistan, par exemple?

M. Hooper : Il y a moins de solutions dans le cas des terroristes indigènes que dans celui des terroristes étrangers qui viennent au Canada. Avant, on avait ce que l'on appelait le ciblage en trois temps. On essayait d'abord de tenir les terroristes connus à l'extérieur du pays; en cas d'échec, nous les bloquions au point d'entrée; et en cas d'échec, ce n'est qu'à ce moment-là qu'on lançait contre eux une enquête énergique. Quand on parle de terrorisme indigène, dans la plupart des cas, il s'agit de citoyens canadiens. On ne peut les renvoyer nulle part.

Le sénateur Moore : La plupart d'entre eux sont citoyens canadiens?

M. Hooper : Oui. La plupart d'entre eux sont très jeunes. Beaucoup sont nés ici. Beaucoup de ceux qui ne sont pas nés ici ont immigré en bas âge au Canada avec leurs parents.

Nous avons deux options. Nous pouvons collaborer avec les corps policiers pour les poursuivre ou essayer de perturber leurs activités.

Le sénateur Atkins : J'aimerais poser une question au commissaire.

La plupart des Canadiens considèrent la GRC comme la police nationale. Pourtant, vous avez envoyé de vos officiers en Haïti, en Bosnie et en Afghanistan. D'où vous vient ce mandat? Y a-t-il eu un changement du mandat et de vos fonctions et en quoi sont-ils reliés au SCRS en Afghanistan?

M. Zaccardelli : Sénateur, nous sommes en Namibie depuis 1989, lorsque le gouvernement a prêté main-forte à la transition du régime d'apartheid en Afrique du Sud. Il s'agissait de notre première mission à l'étranger.

Depuis, nous avons participé à de nombreuses missions. D'abord, ce n'était que la GRC, mais depuis 1995, nous procédons en partenariat intégré avec d'autres services de police dans le monde. Comme vous le savez, notre plus grande mission à l'heure actuelle est en Haïti. Nous sommes présents en Afghanistan, en Bosnie et en Côte d'Ivoire.

Notre participation est conforme à la politique étrangère du gouvernement, quel qu'il soit, lorsque le gouvernement du Canada décide d'intervenir pour venir en aide à un pays, pour quelque raison que ce soit. D'habitude, il s'agit soit d'un État déliquescent ou qui a besoin d'une aide considérable. On fera appel à nous.

Dans d'autres cas où il existe un besoin précis — il ne s'agit peut-être pas d'un État déliquescent mais qui a besoin du savoir-faire canadien en techniques policières — et l'on apportera notre aide. Nos missions ont surtout pour but d'aider les pays à instaurer l'État de droit, à renforcer leur contingent policier à l'aide de formation et à mettre sur pied l'infrastructure nécessaire au fonctionnement d'une force de police. Il va sans dire que nous insistons beaucoup sur la doctrine canadienne du service de police, à savoir être intégré au milieu et lui apporter son aide. C'est ce que nous faisons chaque fois que le gouvernement nous en fait la demande.

Cela nous ramène à une question qui a été posée souvent, dès le début : Pourquoi sommes-nous là? Pourquoi sommes-nous dans certains de ces pays déliquescents? C'est parce que dans le monde d'aujourd'hui, ce qui se passe là- bas nous touche directement.

Évidemment, dans le cas de la sécurité nationale et du terrorisme, il y a un lien direct. Dans le cas de la criminalité organisée, il suffit de songer à l'effondrement de l'Union soviétique, à l'origine d'un exode de grands criminels du milieu autour du monde. Le Canada a reçu plus que sa part. Je regrette d'avoir à le dire, mais nous n'y étions pas prêts.

Aider les pays à s'aider eux-mêmes c'est aider le Canada. C'est un bon investissement. Nous faisons suite à une décision du gouvernement qui est judicieuse à mon avis.

Nous aidons la police nationale afghane à réinstaurer sa présence et à bâtir ses infrastructures. De toute évidence, nous travaillons très étroitement avec les militaires. C'est l'Allemagne qui se charge du gros de la reconstitution des forces policières. Plusieurs pays sont là et nous appartenons à une équipe internationale.

Les aider eux, c'est nous aider nous. Quand nous obtenons un renseignement sur des activités criminelles ou autres, nous le communiquons aux autres ministères et organismes canadiens et à nos partenaires à l'étranger. Il est de la plus haute importance, à mon avis, d'y être au sein d'une équipe canadienne.

Le sénateur Atkins : Cela obère-t-il vos ressources humaines et exige-t-il une formation différente?

M. Zaccardelli : Nous avons appris au fur et à mesure. C'est une ponction sur nos ressources, mais le jeu en vaut largement la chandelle. Cette année, avec le budget, pour la première fois, nous avons obtenu un financement permanent pour notre présence à l'étranger. Nous en sommes très satisfaits. Auparavant, je devais jongler avec mes ressources et laisser des postes vacants ici pour aider là-bas. Je l'ai fait avec plaisir parce que cela a rapporté au Canada. Avec l'infusion de nouveaux fonds, nous pourrons être là-bas de manière plus permanente.

Nous avons évidemment appris beaucoup. La formation est importante. Le Canada se rend là-bas parce qu'il veut vraiment apporter de l'aide. Nous travaillons avec des ONG et d'autres ministères d'une manière globale pour aider ces pays à retrouver leur aplomb.

Le président : Commissaire et monsieur le directeur adjoint, merci à tous les deux d'être venus aujourd'hui. Les messages que vous nous avez donnés cette semaine et il y a deux semaines préoccupent beaucoup le comité — le fait que vous ne puissiez lutter que contre le tiers des associations du crime organisé au pays; le fait que vous n'êtes satisfaits que de 10 p. 100 de vos enquêtes sur les immigrants qui viennent au pays. Ce sont de gros sujets de préoccupation pour le comité sur lesquels nous allons nous étendre davantage. Je vous remercie tous les deux d'être venus aujourd'hui et d'avoir aidé le comité dans ses travaux.

J'invite les téléspectateurs qui veulent poser des questions ou faire des observations à consulter notre site Web à l'adresse : www.sen-sec.ca. Ils y trouveront le compte rendu des témoignages ainsi que l'horaire des audiences. Il est aussi possible de joindre la greffière du comité au 1-800-267-7362 pour tout complément d'information ou pour savoir comment communiquer avec les membres du comité.

Notre prochain témoin ce matin est le ministre des Affaires étrangères, M. Peter MacKay. Élu pour la première fois député en 1997, M. MacKay a été réélu en 2000, 2004 et 2006. Il a été porte-parole de la sécurité publique et de la protection civile, chef du Parti progressiste conservateur et leader à la Chambre. Monsieur le ministre, c'est avec plaisir que nous vous accueillons pour la première fois devant le comité. Vous êtes accompagné de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères : M. James Fox, sous-ministre adjoint intérimaire, Relations bilatérales, et Wendy Gilmour, directrice, Groupe des opérations de maintien de la paix, Secrétariat pour le groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction. Monsieur le ministre, je vous cède la parole.

L'honorable Peter MacKay, C.P., député, ministre des Affaires étrangères : Messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, je suis heureux d'être parmi vous pour aborder un certain nombre de questions clés concernant le rôle de leader du Canada en Afghanistan. Merci de m'avoir invité à vous rencontrer aujourd'hui. Pourquoi nous sommes là- bas, qu'est-ce que nous y faisons, qu'est-ce que nous avons accompli, qu'est-ce qu'il reste à faire, voilà autant de questions dont les sénateurs voudront sans nul doute débattre. Je serai heureux de répondre à ces questions après avoir fait ma déclaration.

Je suis allé en Afghanistan au début du mois. J'en suis revenu convaincu plus que jamais que l'instauration d'un Afghanistan stable, sûr, autonome et démocratique qui ne sera jamais plus un refuge de terroristes est une priorité pour le Canada et la communauté internationale. Je suis convaincu que le Canada réalise des progrès positifs et importants et apporte une contribution à cet objectif. La question posée le plus souvent est la suivante : pourquoi sommes-nous là- bas?

Notre but est clair. Nous sommes là pour défendre les intérêts nationaux du Canada en protégeant les Canadiens contre la menace du terrorisme. L'Afghanistan était le plus important incubateur et exportateur de terrorisme au monde. S'il existe la moindre interrogation quant aux raisons pour lesquelles le Canada doit être là-bas, il suffit de se rappeler que des Canadiens ont été tués lorsque les avions ont frappé les tours jumelles du World Trade Center à New York le 11 septembre. Nous sommes aussi là pour démontrer le leadership du Canada sur la scène internationale et promouvoir des valeurs canadiennes telles que la démocratie, la règle de droit et le respect des droits humains. Nous sommes là également pour contribuer à la reconstruction de l'Afghanistan avec les Afghans eux-mêmes et plus de 60 autres pays, dont des collègues de l'ONU et de l'OTAN. Il s'agit vraiment d'un effort multinational.

[Français]

Le Canada est en Afghanistan à la demande du gouvernement afghan et avec l'autorisation des Nations Unies. Nous contribuons avec fierté à un effort multinational. Cette mission n'est pas facultative. La sécurité des Canadiens et du Canada a été mise en péril par les attentats du 11 septembre 2001. L'Afghanistan est central dans la lutte contre le terrorisme. Cette mission comporte des risques, et les sacrifices des Canadiens ne seront pas en vain. Nous devons nous assurer que l'Afghanistan ne sera jamais plus un nid de terroristes.

[Traduction]

Que faisons-nous en Afghanistan? Le défi que nous avons à relever est énorme et exige un effort concerté sur le plan de la sécurité, de la gouvernance et du développement. Ces trois volets sont indispensables. Toutefois, sans sécurité, nous ne pourrions faire aucun progrès sur les plans de la gouvernance et du développement. Sans bottillons sur le terrain, la démocratie ne se bâtit pas, il n'y a pas de bâtiment ni de biberon.

Plus de 14 000 membres des Forces canadiennes ont été déployés à l'appui de notre mission en Afghanistan depuis les attentats du 11 septembre. Le dernier contingent canadien, comprenant quelque 2 200 membres, apporte la sécurité dans le sud de l'Afghanistan, avec une centaine d'autres officiers à Kaboul, où le Canada a assumé le commandement de l'état-major de brigades multinationales. Le rôle du Canada dans cette région ouvre la voie au transfert des opérations locales au commandement de l'OTAN, probablement cet été. Lors du débat parlementaire de ce mois-ci sur l'engagement canadien en Afghanistan, le premier ministre a annoncé que nous allions prolonger de février 2007 à février 2009 le déploiement des Forces canadiennes présentes à Kandahar, y compris dans l'équipe de reconstruction provinciale (ERP) composée de personnel militaire et diplomatique en fonction des cycles de rotation prévisibles de la force internationale d'assistance à la sécurité de l'OTAN.

Le Canada se préparera aussi à assumer le commandement de la brigade multinationale à Kandahar de novembre 2007 à mai 2008.

Le Canada comprend que la force militaire ne pourra pas à elle seule assurer le succès; il faudra aussi appuyer en même temps la gouvernance et le développement. Le Canada est un leader sur tous ces fronts.

Nous avons ouvert une ambassade à Kaboul en 2003 et nous y avons doublé notre présence depuis. Nous procéderons à l'acquisition d'un terrain et à la construction d'une chancellerie, d'une résidence officielle et de logements de fonction pour l'ambassade permanente du Canada à Kaboul. Je pourrais d'ailleurs vous dire quelques mots sur l'état d'avancement de cette ambassade, puisque j'ai eu l'occasion de la voir.

Ceci nous permettra de renforcer notre engagement diplomatique et notre action en faveur du développement en Afghanistan. Grâce à la qualité des échanges et des relations que nous entretenons avec le gouvernement et les hauts fonctionnaires afghans.

En assurant la sécurité, nous renforcerons la gouvernance et réduirons la pauvreté qui se manifeste dans les rues de Kaboul. L'Afghanistan est le plus gros bénéficiaire de l'aide bilatérale au développement du Canada. Comme l'a dit le premier ministre dans son annonce du 17 mai, le gouvernement du Canada appuie les efforts de reconstruction de l'Afghanistan en affectant 310 millions de dollars de plus à l'aide au développement, en maintenant un engagement de 100 millions de dollars par an jusqu'en 2011 et en rehaussant sa contribution totale à près de un milliard de dollars sur dix ans.

Nous tenons nos promesses. Le Canada, en tant qu'allié fidèle et fiable, possède un bilan exemplaire en matière de versement des sommes promises et de consolidation du leadership afghan par l'appui aux programmes gouvernementaux et aux institutions de l'Afghanistan. J'en atteste pour l'avoir vu de mes yeux vu.

C'est seulement en développant les capacités locales que nous pourrons garantir que notre investissement durera longtemps après la fin de notre engagement. C'est cette devise qui sous-tend nos activités quotidiennes.

[Français]

Qu'avons-nous accompli? C'est une autre question importante. Durant mon récent séjour en Afghanistan, j'ai pu constater personnellement les progrès impressionnants de ce pays et l'excellence du travail de nos citoyens. Le président Karzaï m'a demandé d'adresser aux Canadiens sa profonde reconnaissance personnelle pour l'appui que nous accordons au peuple afghan.

Le Canada a contribué à l'instauration d'un processus de rassemblement des armes lourdes en Afghanistan — les armes mêmes qui ont servi à détruire une bonne partie du pays. Onze mille armes lourdes ont ainsi été placées en sécurité. Nous sommes les deuxièmes collaborateurs en importance au processus de désarmement, d'immobilisation et de réintégration. Soixante-trois mille anciens combattants ont été désarmés et démobilisés. On leur a enseigné de nouvelles compétences pour qu'ils puissent repartir dans la vie.

[Traduction]

Nous sommes déterminés à appuyer les valeurs fondamentales du Canada que sont la démocratie, la primauté du droit et le respect des droits de la personne. Nous avons appuyé le développement démocratique de l'Afghanistan par le truchement d'une contribution financière de 33 millions de dollars, par le déploiement d'observateurs des élections et en assurant la sécurité durant le processus électoral. En effet, il y a eu des élections à deux reprises dans la période visée.

Les Afghans, hommes et femmes, ont démontré leur résolution en se rendant aux urnes, malgré les menaces à leur sécurité, lors de deux élections historiques : 582 femmes ont présenté leur candidature aux élections provinciales et parlementaires et 27 p. 100 des sièges au Parlement sont aujourd'hui occupés par des femmes. Notons que celles-ci sont mieux représentées qu'au Parlement canadien.

Nous sommes l'un des premiers donateurs de microfinance, ce qui aide des milliers d'Afghans — surtout des femmes — autrefois reléguées en marge de la société à obtenir du crédit et des fonds pour se lancer en affaires et bâtir leur avenir. Des 157 000 clients, 78 p. 100 sont des femmes. Nous avons nous-mêmes pu constater qu'un changement s'opère dans la société afghane. J'ai même appris l'existence d'une entreprise située non loin de l'ambassade du Canada qui avait été lancée grâce au financement canadien. Ainsi, on peut dire qu'un grand nombre de segments de la société afghane a progressé. C'est ainsi que cinq millions d'enfants vont maintenant à l'école, dont un tiers sont des fillettes, que 3,7 millions de réfugiés sont rentrés chez-eux et que dans 1 200 villages, les habitants ont accès à l'eau potable. Plus tôt, j'ai précisé le nombre de soldats qui avaient été désarmés ainsi que le nombre d'armes légères et d'armes lourdes rassemblées.

Voilà des succès en Afghanistan dont le Canada peut être fier mais, il est clair qu'au bout du compte, nous voulons que ce soit les Afghans eux-mêmes qui se prennent pleinement en main. Nous serons à leur côté pour les y aider.

L'Afghanistan réalise des progrès dans tous les secteurs et le Canada a toujours été présent.

Permettez-moi de citer le président Karzai, que nous espérons accueillir très prochainement au Canada :

Aujourd'hui, l'Afghanistan a une constitution, un président élu et un parlement élu. Nous sommes fiers que les femmes occupent plus du tiers des sièges de notre assemblée nationale. Alors que le système d'éducation était totalement effondré il y a quatre ans, plus de six millions de filles et de garçons vont aujourd'hui à l'école. Notre économie nationale se rétablit peu à peu; au cours des quatre dernières années, nous avons enregistré un taux de croissance réel du PIB de 85 p. 100 alors que le taux d'inflation était maintenu à environ 10 p. 100.

Que reste-t-il à faire? Les progrès réalisés sont encourageants, certes, mais nous ne pouvons pas relâcher nos efforts.

[Français]

L'Afghanistan est encore confronté à de graves défis, notamment en ce qui concerne la sécurité et la faiblesse des institutions de gouvernance. Les menaces auxquelles il est encore exposé sont reliées à l'argent et la drogue qui nourrissent la corruption, arment les insurgés et entravent aux règles du droit.

Un Afghanistan sûre, autonome et démocratique signifie ceci : assurer le leadership afghan, développer les capacités de gouvernance et entreprendre une action de développement économique, le tout dans un climat de sécurité. Tel est notre but.

Nous ne sommes pas seuls dans cette entreprise essentielle. Les Nations Unies ont des bureaux partout en Afghanistan, y compris à Kandahar. Plus de 60 pays contribuent aux efforts de développement dont plus de 35 à la sécurité.

[Traduction]

Nous ne sommes pas seuls dans cette entreprise essentielle qu'est la reconstruction de l'Afghanistan. Les Nations Unies ont des bureaux partout en Afghanistan, y compris à Kandahar. Actuellement, plus de 60 pays contribuent aux efforts de développement, dont plus de 35 à la sécurité en particulier.

J'ai cru comprendre que la communauté internationale s'était engagée à débourser près de 10 milliards de dollars. À la conférence de Londres coprésidée par MM. Kofi Annan et Tony Blair en janvier, des jalons importants ont été établis, dont je vous reparlerai plus tard. Notre engagement collectif est guidé par un cadre international intitulé le Pacte pour l'Afghanistan. Formulé par le gouvernement afghan, ce pacte contient 40 indicateurs de progrès concrets et mesurables qui guideront notre action durant les cinq prochaines années dans les domaines critiques de la gouvernance, du développement et de la sécurité. Il s'agit d'objectifs mesurables et raisonnables.

Permettez-moi de vous citer quelques exemples de ces indicateurs : l'adoption d'une loi contre la corruption d'ici la fin de 2007; l'augmentation de 20 p. 100 de l'emploi des femmes d'ici la fin de 2010; un mécanisme national clair et transparent pour toutes les nominations aux postes supérieurs de gouvernement d'ici la fin de 2006; et l'inscription de 100 000 étudiants, dont 35 p. 100 de femmes, dans les universités d'ici la fin de 2010. Il y a des groupes qui ont été établis spécialement pour suivre l'évolution de ces dossiers.

La stratégie du Canada est d'aider l'Afghanistan à atteindre les objectifs clairs qu'il s'est fixés dans ce pacte. En mesurant les progrès réalisés par rapport aux indicateurs du Pacte pour l'Afghanistan, c'est notre propre succès dans le cadre de la mission en cours que nous mesurons.

Pourquoi devons-nous maintenir le cap? Nous sommes en Afghanistan pour défendre notre intérêt national, démontrer notre leadership, mais avant tout pour aider les Afghans à reconstruire leur pays. D'assurer la stabilité dans une des régions les plus pauvres et les plus déchirées par la guerre est un objectif louable. Nous avons déjà fait des progrès importants dont tous les Canadiens peuvent être fiers. Nous avons entrepris une mission que nous comptons terminer. L'histoire afghane a été longue et difficile, comme en témoignent les différents conflits ayant eu lieu dans ce pays. Il faut en tirer des leçons, aussi difficiles soient-elles, comme dans les Balkans ou en Haïti. Nous ne pouvons pas abandonner les Afghans, nos alliés, ou nos soldats canadiens courageux, c'est-à-dire les hommes et les femmes qui arborent l'uniforme canadien, en Afghanistan. Chacun, à sa manière, fait des sacrifices et travaille fort. Ils méritent nos remerciements et notre gratitude. Monsieur le président, je serais maintenant ravi de répondre aux questions des sénateurs.

Le président : Merci, monsieur le ministre, de votre allocution.

Le sénateur Moore : Monsieur le ministre, c'est dans le Toronto Star, je crois, que j'ai lu que vous aviez dit que notre mission doit être définie, non en termes d'années, mais plutôt en termes de réussite. Avez-vous une liste d'éléments qui constitueraient une « réussite »? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous la donner?

M. MacKay : Tout à fait, monsieur le sénateur. Je vous remercie de votre question. Le succès, c'est le renforcement de l'État, la stabilité et la réalisation de certains, voire tous, les objectifs tangibles dans les divers domaines établis dans le Pacte pour l'Afghanistan. Parmi les indicateurs et les jalons qui y figurent, on trouve la mise en place de forces de sécurité au pays, à savoir une armée et des forces policières. La police frontalière fait également partie de ces forces de sécurité parce que l'une des plus grandes problématiques, c'est le va-et-vient des talibans et des stupéfiants. Ce n'est un secret pour personne que 90 p. 100 de l'héroïne mondiale vient d'Afghanistan. Il s'agit d'une héroïne particulièrement forte qui se retrouve non seulement en Europe mais également au Canada. De plus, le désarmement des combattants illégaux et des groupes armés sur le territoire afghan est un autre objectif clair par rapport auquel des progrès ont été réalisés. J'ai également mentionné les mesures antistupéfiants, anti-mines et anti-munitions. Des progrès importants ont été réalisés dans le domaine du désarmement. Le déminage, dont les Canadiens sont des experts mondialement reconnus, suit son cours. De plus, l'administration publique a fait l'objet d'une réforme et la démocratie se propage comme en témoigne l'élection de gouverneurs et d'autres officiels dans des régions autres que Kaboul. Les Nations Unies, pour leur part, ont élaboré une série de conventions et de résolutions ayant trait à la lutte contre la corruption, qui seront appliquées an Afghanistan. Des progrès ont également été réalisés dans les domaines suivants : le recensement et la collecte de statistiques, qui avaient disparu depuis bien longtemps; les élections, la neutralité sexuelle, le respect des droits de la personne, la primauté du droit, la mise en place d'un système judiciaire qui garantit des procès équitables, le recensement des terres, le développement économique et social et les infrastructures. En avion, nous avons survolé et Kandahar et Kaboul et ce que j'ai vu m'a vraiment frappé, c'était comme un retour dans le temps. Un grand nombre d'Afghans vivent dans des maisons qu'on ne qualifierait même pas d'étables. Les campagnes ont été dévastées, les feux de forêts brûlent toujours. La reforestation est donc critique.

Le secteur énergétique afghan traîne de la patte, c'est le moins qu'on puisse dire. Nous offrons de l'aide dans les domaines des ressources naturelles et des mines, de la gestion des ressources en eau, du développement urbain et de l'environnement en général. En outre, j'ai eu l'occasion de me rendre dans les écoles parrainées par le Canada et j'ai été témoin de l'enthousiasme et de la soif de vie de ces enfants. Les jeunes filles de 14 et 15 ans qui ont toujours été interdites d'école prennent trois ou quatre ans pour rattraper leur retard par rapport aux garçons de leur âge. La santé, l'agriculture, le développement rural, les protections sociales et la réduction de la pauvreté sont tous extrêmement importants et des jalons précis, accompagnés d'échéanciers, figurent dans le Pacte pour l'Afghanistan que le Canada a aidé de très près à modeler. D'ailleurs, la soixantaine de pays qui ont participé à son élaboration se sont engagés à déployer des ressources monétaires et humaines non négligeables afin qu'on atteigne les objectifs visés. Soyez assurés qu'il existe un plan et que le Canada ne travaille pas seul.

Le sénateur Moore : Monsieur le ministre, quand le président Karzai tentera-t-il de se faire réélire?

M. MacKay : Je pense que son mandat se termine en 2009 et qu'il y aura des élections régionales en vue d'élire des gouverneurs entre-temps.

Le sénateur Moore : L'engagement du Canada se termine en février 2009.

M. MacKay : C'est exact.

Le sénateur Moore : Quand y aura-t-il des élections en 2009?

M. MacKay : Je ne pourrais vous le dire.

Le sénateur Moore : Les fonctionnaires qui vous accompagnent le savent-ils? Est-ce avant le mois de février?

M. MacKay : Je ne sais pas si on a fixé une date précise, mais c'est en 2009 que se termine son mandat. Je ne sais pas si en Afghanistan les dates des élections sont fixes.

Le sénateur Moore : Un des objectifs dans le Pacte pour l'Afghanistan c'est une augmentation de 20 p. 100 du nombre de femmes qui travaillent d'ici la fin de 2010. Les Forces canadiennes seront-elles présentes en 2010?

M. MacKay : Notre mandat ne va pas au-delà de février 2009, donc on ne le sait pas pour le moment. C'est quelque chose qui se décidera démocratiquement, par le biais du Parlement.

Le sénateur Moore : Quelles sont les conditions qui, une fois remplies, permettront aux troupes canadiennes de se retirer d'Afghanistan?

M. MacKay : L'évolution dans le sens des jalons établis dans le Pacte pour l'Afghanistan pour créer un pays stable et autosuffisant.

Le sénateur Moore : Certains de ces objectifs ne seront pas atteints d'ici février 2009.

M. MacKay : C'est exact.

Le sénateur Moore : Doit-on comprendre qu'on risque de prolonger notre mandat afin d'être victorieux ou du moins d'atteindre nos objectifs?

M. MacKay : C'est effectivement possible, bien que la décision ne sera pas prise par une seule personne.

Le sénateur Moore : D'après votre réponse, monsieur le ministre, aucune date n'a été fixée pour le retrait des troupes canadiennes.

M. MacKay : Au contraire, il existe un échéancier. Vous savez pertinemment qu'il y a eu un vote au parlement canadien qui s'est soldé par la prolongation de la présence canadienne en Afghanistan jusqu'en février 2009 à l'instar de la première mission, créée par le gouvernement précédent et soutenue par notre parti, qui a été prolongée, c'est une éventualité, qui dépend des progrès réalisés dans la plupart des domaines dont j'ai parlé.

Le sénateur Moore : Diverses publications font état de corruption, dont vous avez-vous-même parlé dans vos remarques ce matin. Comment devons-nous procéder pour éliminer la corruption? C'est bien beau d'avoir nos valeurs canadiennes, c'est-à-dire la primauté du droit et le respect des droits de la personne. Mais, et je ne prétendrai pas être expert en histoire de l'Afghanistan, j'ai plutôt l'impression qu'il existe des façons dirigées par des généraux, chacun responsable de son propre fief et de ses ressources monétaires. Comment le Canada fera-t-il pour mettre fin à cela? Les Russes et d'autres ont tenté de le faire avant nous. Comment procéderons-nous? Est-ce un objectif envisageable?

M. MacKay : Monsieur le sénateur, vous avez raison de me dire qu'il s'agit d'un défi de taille. Par contre, permettez- moi de vous rappeler que les tentatives précédentes n'ont pas été menées par les forces multinationales comme c'est le cas aujourd'hui. Il est clair que ces interventions n'étaient pas chapeautées par les Nations Unies. J'ose penser que nous devrions être encouragés par les progrès qui ont été réalisés en peu de temps, pour ainsi dire. Les forces policières et militaires, qui permettront à l'Afghanistan d'assurer sa propre sécurité, sont en train d'être bâties pour leur permettre d'assurer leur propre sécurité. Voilà un exemple des objectifs visés dont on a parlé. Cet objectif est tout à fait atteignable.

Le sénateur Moore : Ça fait quatre ou cinq ans qu'ils essaient de mettre en place une force policière afin que les lois soient respectées dans le but justement de mettre fin à la corruption.

M. MacKay : C'est exact.

Le sénateur Moore : On n'y est pas arrivé.

M. MacKay : Je ne voudrais pas être impertinent, mais je vous ferai remarquer que dans notre pays nous n'avons pas pu non plus nous débarrasser complètement du crime. Il est clair que nous ne pourrons pas éradiquer le crime en Afghanistan en quatre ans.

Le sénateur Moore : Il serait injuste de comparer les situations canadienne et afghane.

M. MacKay : Je ne dis pas le contraire. Mais la reconstruction d'un État ne peut pas se faire du jour au lendemain. Au cours des quatre dernières années, si l'on retourne en arrière, on constate que les choses ont beaucoup progressé, surtout pour ce qui est de réduire la corruption et le commerce de l'héroïne et du pavot. Il est clair que la tâche est loin d'être facile. Mais ce matin vous avez accueilli le commissaire Zaccardelli qui vous a parlé du rôle de la GRC qui travaille avec nos partenaires et nos alliés. Il existe une force policière multinationale qui est en place pour aider à l'établissement de forces locales. Peu à peu un système judiciaire et juridique fonctionnel se taille une place dans le pays. En effet, nous luttons contre la corruption sur tous les fronts. Je suis d'avis, monsieur le sénateur, que le chemin parcouru dans le cadre de cet exercice est impressionnant. Le combat n'est pas terminé, mais le Canada peut être fier de sa participation à bien des niveaux, notamment dans le domaine de la sécurité.

Le sénateur Moore : Parlons maintenant des coûts. D'après l'Institut Polaris, la mission afghane a coûté au Canada 4,1 milliards de dollars depuis 2001, à savoir 68 p. 100 des 6,1 milliards de dollars dépensés dans le cadre de missions internationales entre 2001 et 2006. Pendant cette même période, il me semble que le Canada a déboursé 214 millions de dollars dans le cadre d'opérations de l'ONU. N'engageons-nous pas toutes nos ressources en Afghanistan au détriment de l'aide internationale que nous accordons traditionnellement à d'autres pays? N'en pâtiront-ils pas en raison de l'accent mis sur l'Afghanistan?

M. MacKay : Tout d'abord, les 4,1 milliards de dollars dont le sénateur Moore a parlé ne sont pas assumés par le Canada, mais plutôt par la communauté internationale, je pense. La contribution du Canada se chiffre plutôt à un milliard de dollars pour la période se terminant en 2010. Je ne pourrais pas vous en dire davantage sur les engagements pris ou l'argent dépensé précédemment parce que je n'étais pas encore ministre à l'époque. L'aide accordée à l'Afghanistan a été établie en fonction des autres engagements pris par le Canada, notamment envers Haïti et le Soudan. En deux mots, je dirais que non, je ne pense pas que l'engagement pris par rapport à l'Afghanistan, qu'il soit monétaire ou militaire, empêche le Canada d'accorder de l'aide à d'autres pays.

Le sénateur Moore : Merci.

Le président : J'aimerais quelques éclaircissements, si vous le permettez, monsieur le ministre. Nos inquiétudes portaient sur le choix de l'année 2009. D'après les membres du comité, il aurait été plus logique que le gouvernement fasse une liste de conditions qu'il faudrait remplir avant que le Canada ne puisse passer à autre chose. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas opté pour cette solution?

M. MacKay : Vous voulez dire pour la séance d'aujourd'hui?

Le président : Non, de façon générale. Il est difficile de dire que les forces canadiennes seront présentes de telle date à telle date alors qu'on ne sait pas comment les choses vont évoluer. Le gouvernement, sachant les conditions qu'il veut mettre en place, ne devrait-il pas plutôt mettre de l'avant une résolution pour dire que le Canada assurera une présence en Afghanistan jusqu'à ce que les conditions définies soient remplies?

M. MacKay : Ces conditions sont précisément décrites dans le Pacte pour l'Afghanistan. Le Canada a participé à l'établissement des jalons, des échéanciers et des objectifs visés. Le Canada adhère entièrement aux 40 objectifs qui figurent dans le Pacte pour l'Afghanistan, que les sénateurs connaissent.

Le président : M. l'ambassadeur Alexander nous a dit qu'il faudrait attendre cinq générations. Le général Leslie, pour sa part, a parlé de 20 ans. Voilà pourquoi nous estimons qu'il serait judicieux de parler d'objectifs plutôt que de fixer une date précise.

M. MacKay : Je dirais qu'avec le temps le fruit de nos efforts se fera sentir dans certains domaines, que ce soit le secteur militaire ou le développement des ressources humaines. Mais je ne dis pas que ces deux dossiers ont préséance sur les autres. Par contre, la première chose à faire, c'est d'assurer une certaine stabilité. Ainsi, il faudra qu'on maîtrise les nombreuses insurgées qui sévissent toujours afin de réaliser des progrès dans les autres zones du pays. Ce serait vous induire en erreur que de dire que les progrès réalisés à Kaboul se traduiront par un climat de sécurité dans la région toute entière. Un processus de surveillance a été mis en place pour qu'on puisse suivre l'évolution des progrès réalisés dans les domaines de l'aide humanitaire, de la purification de l'air, et des logements et de la démocratie, ce dernier étant plus facilement mesurable étant donné que nous avons assisté aux élections et avons pu constater qu'il existe un Parlement qui fonctionne. Il n'en va pas de même pour la sécurité et il est donc difficile d'établir un échéancier.

Permettez-moi de faire référence au domaine sportif. Dans un match, il y a un moment où le vent tourne, où certains éléments deviennent imprévisibles. Je suis d'avis que personne n'est en mesure de dire combien de temps il faudra pour assurer la sécurité. C'est uniquement avec le recul qu'on pourra dire combien de temps il a fallu.

Le président : Voilà pourquoi on estimait qu'il ne serait pas judicieux...

M. MacKay : On vient de me rappeler que l'aide financière au développement visant la période se terminant en 2011 ne se limite pas au domaine militaire et qu'elle émane de la communauté internationale en entier.

Le président : Avant votre intervention j'essayais de dire qu'il semblait peu judicieux de fixer une date précise qui marquerait la fin de la participation militaire du Canada étant donné que votre objectif, c'est que toute une série de conditions soient mises en place.

M. MacKay : Si, au nom de l'opposition, vous nous dites que vous accepteriez qu'on prolonge notre participation, on pourrait déposer une autre motion.

Le président : Je ne parle pas au nom de l'opposition puisqu'il s'agit d'un comité du Sénat du Canada. Nous vous avons invité pour nous aider à mieux cerner la problématique. Je vous ai posé une question, à savoir : serait-il plus logique de décrire les conditions visées plutôt que de fixer une date précise, ce qui ne peut pas être fait avec grande précision, comme vous venez tout juste de nous l'expliquer.

M. MacKay : Nous avons opté pour une prolongation de deux ans ce qui nous semble raisonnable, rapportant ainsi la date finale à février 2009. Vous auriez procédé différemment.

Le président : Effectivement et vous semblez confirmer la validité de notre argument, dans la mesure où vous avez dit que vous ne savez pas quel sera l'état d'avancement des choses en 2009.

M. MacKay : Personne n'est en mesure de dire quel sera l'état d'avancement des choses en 2009. J'espère que des progrès significatifs auront été réalisés dans les 40 domaines pour lesquels des indicateurs ont été fixés dans le Pacte pour l'Afghanistan. Je pense d'ailleurs que c'est là l'objectif ultime de l'ensemble des participants de la communauté internationale.

Le président : J'aimerais soulever brièvement deux questions, la première étant la culture du pavot. D'après ce que l'on nous a dit, elle a atteint des niveaux record depuis le départ des talibans. Par contre, j'ai cru comprendre que vous disiez qu'elle avait été réduite. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements?

M. MacKay : C'est en Afghanistan que 90 p. 100 de l'héroïne mondiale est produite. Il s'agit là d'une des sources de financement des talibans les plus importantes, sinon la principale. Ainsi, le commerce des stupéfiants s'accompagne de beaucoup d'intimidation. Il ne faut pas non plus oublier la réalité économique. En effet, pour les trafiquants, rien n'est aussi rentable que le commerce des stupéfiants. De plus, ils travaillent souvent avec les talibans, ce qui complexifie davantage la problématique. Au chapitre des obstacles, on compte les bénéfices, l'instabilité et la lenteur qui caractérisent la mise en place de forces policières dans les vastes campagnes où on cultive le pavot par le gouvernement afghan. C'est un problème d'envergure qui ne pourra pas être résolu du jour au lendemain. Comme je l'ai déjà dit, nous mettons vraiment l'accent sur la stabilisation du pays en premier lieu.

Il est certain qu'on a réalisé des progrès. On a déployé des efforts stratégiques concrets ciblés et séquentiels sur le terrain pour lutter contre le commerce du pavot mais il reste énormément à faire.

Le président : Je ne comprends pas comment on peut parler de progrès si le commerce du pavot continue à se développer depuis que l'on s'en occupe.

M. MacKay : Parce qu'il n'y a plus autant de monde qui s'y livre mais que c'est financièrement de plus en plus rentable.

Le président : Je crois que vous avez dit que d'ici à 2010, cela représenterait un milliard de dollars de dépenses, ce qui comprendrait l'aide, les troupes, et cetera.

M. MacKay : C'est le chiffre estimatif.

Le président : Merci.

Le sénateur Moore : Est-ce que c'était jusqu'en 2009?

Le président : Non, la date qu'on nous a donnée, c'est 2010.

M. MacKay : Non, 2009.

Le président : Je croyais que vous parliez d'aide allant au-delà de cette date.

M. MacKay : Non, l'aide jusqu'en 2011, c'est l'engagement international, auquel prend part le Canada.

Le sénateur Campbell : J'aurais plusieurs questions. Serait-il juste de dire que votre ministère est chargé d'aider à améliorer la situation sociale en Afghanistan plutôt que l'aspect militaire? J'ai un peu de mal à comprendre où et comment ces deux fonctions sont liées.

M. MacKay : Elles sont en effet conjointes et liées, sénateur. Il y a l'aspect coordination des Affaires étrangères et un aspect militaire, qui relève de la Défense. Au sein des équipes de reconstruction provinciales, les éléments civils et militaires s'entraident. Pour ce qui est de l'aide internationale et du développement, l'ACDI est le principal responsable de ces programmes. Il s'agit d'une démarche multiple et interministérielle. En deux mots, tous les ministères, y compris le BCP, coordonnent leurs efforts afin que les hauts fonctionnaires puissent travailler en étroite collaboration.

Le sénateur Campbell : Puis-je vous demander qui est le ministre responsable de la mission sur le terrain?

M. MacKay : Vous parlez de la mission militaire?

Le sénateur Campbell : Les missions sont liées si bien que je me demande s'il y a un ministre qui est responsable de l'ensemble. Je comprends les complications que cela représente mais je n'essaie pas de compliquer encore les choses mais j'aimerais savoir qui surveille tout votre personnel sur le terrain.

M. MacKay : Ma foi, si vous parlez de l'ensemble du « personnel » — une décision collective prise par ces ministères — je vous répondrai le conseil des ministres et le premier ministre.

Le sénateur Campbell : Êtes-vous le ministre responsable?

M. MacKay : Pour certains aspects de la mission, oui.

Le sénateur Campbell : Cela comprendrait-il de voir à l'évolution sociale afin d'aider les gens à faire des études et à obtenir de l'eau potable?

M. MacKay : Pour cela, sur le plan pratique, c'est surtout l'ACDI, qui fait partie du ministère des Affaires étrangères.

Le sénateur Campbell : Qui est le responsable sur le terrain? Je n'ai pas besoin de nom, mais qui serait responsable, sachant que c'est un rôle conjoint? Je comprends que les choses sont coordonnées. Est-ce un militaire, quelqu'un de l'ACDI ou de votre ministère?

M. MacKay : Du côté militaire, c'est le général Fraser qui est sur le terrain, qui rend compte au chef de l'état-major. Pour ce qui est du développement, c'est l'ambassadeur du Canada en Afghanistan David Sproule. D'autre part, un certain nombre de hauts fonctionnaires de l'ACDI s'occupent non seulement de l'effort administratif et de la coordination mais également de la prestation de certains de ces services, ce qui représente un défi énorme pour eux. Cela me semble bien montrer combien il serait nécessaire d'augmenter le soutien apporté.

Le sénateur Campbell : Peut-on dire que lorsque vous assurez des services, une composante militaire assure la sécurité des responsables de l'ACDI et des gens de votre ministère chargés des aspects sociaux?

M. MacKay : En effet.

Le sénateur Campbell : Comme vous le savez, il y a quelque 37 ans que je m'intéresse au commerce de l'opium. Sous les talibans, la culture du pavot pour le commerce de l'opium a considérablement diminué. Je trouve intéressant, si ce que vous dites est exact, que les talibans aient repris le commerce de l'opium pour financer leur philosophie. Est-ce bien cela?

M. MacKay : C'est ce qu'on m'a donné à croire. Ils exercent des pressions sur les agriculteurs pour qu'ils y participent, soit en les intimidant, soit en les payant pour le faire.

Le sénateur Campbell : Au milieu des années 1990, il y a eu une surabondance d'héroïne sur le marché qui provenait principalement de l'Afghanistan et du triangle d'or. Depuis, la quantité d'héroïne a diminué de façon considérable mais nous constatons maintenant que le marché est à nouveau inondé. Est-ce un problème de maintien de l'ordre?

M. MacKay : Oui, sans aucun doute.

Le sénateur Campbell : Est-ce qu'une force policière nationale a déjà existé en Afghanistan, équivalente à la GRC au Canada?

M. MacKay : Je crois qu'il en existait une mais elle n'était pas présente partout. Elle était davantage concentrée à Kaboul, et je ne suis pas sûr dans quelle mesure elle était présente dans les zones périphériques, là où la production de l'opium présente les plus graves problèmes.

Je crois qu'il est inutile de vous rappeler que le maintien de l'ordre sous le règne des talibans ne correspondait pas à ce que nous considérerions comme la primauté du droit. Il s'agissait davantage de tactiques de justiciers plutôt que de l'application régulière de la loi.

Le sénateur Campbell : Ou plutôt la primauté de la religion.

M. MacKay : C'est une autre façon de le dire.

Le sénateur Campbell : Je crois comprendre qu'en périphérie des grandes villes de l'Afghanistan, c'est la loi du Far West qui règne.

M. MacKay : Ce n'est qu'une observation de ma part, mais la situation allait bien au-delà de la religion. Il s'agissait d'une interprétation stricte de la doctrine religieuse. Je ne crois pas que leurs agissements pouvaient être considérés conformes à la pratique religieuse.

Le sénateur Campbell : Il y a autre chose qui me préoccupe. Sommes-nous en guerre?

M. MacKay : Nous participons à un effort mondial visant à vaincre le terrorisme.

Le sénateur Campbell : Nous sommes donc en guerre même si je ne veux pas dire par là que le Canada ait déclaré la guerre à l'Afghanistan. Je dis cela parce que les guerres n'ont pas de date limite. Les guerres se poursuivent jusqu'à ce qu'un des deux camps remporte la victoire. En 1939, personne n'a dit qu'on ferait la guerre jusqu'en 1945 et que si à ce moment-là on n'avait pas atteint ses objectifs, on se retirerait. Les échéanciers proposés m'inquiètent. On s'attend qu'à un certain moment, le Canada se retirera de l'Afghanistan, et personne ne veut être accusé de s'être défilé. Peut-on établir un échéancier pour la guerre?

M. MacKay : Comme vous le savez, vu que l'échéancier de février 2007 approchait à grands pas, le premier ministre et le nouveau gouvernement tenaient à le prolonger.

Le sénateur Campbell : Je n'ai pas l'intention d'aborder cet aspect du débat, quant à savoir si nous sommes d'accord ou non avec une telle mesure. Dans votre rôle à titre de ministre de premier plan, bien informé et possédant une grande expérience, croyez-vous qu'il soit raisonnable, lorsque l'on fait la guerre, d'établir des échéanciers? Ne serait-il pas plus raisonnable de dire simplement qu'on restera là-bas jusqu'à ce qu'on atteigne les objectifs visés? Ces objectifs pourraient être axés sur les aspects sociaux ou le terrorisme ou le commerce de l'opium ou surtout ces aspects. Est-ce que cela ne serait pas plus réaliste en temps de guerre?

M. MacKay : Je conviens que l'édification d'un État et l'établissement de repères dont nous avons discuté sont des moyens plus précis d'évaluer les progrès et d'établir un échéancier possible. Je ne crois pas qu'en plein milieu du processus, on puisse prédire avec exactitude la date à laquelle prendra fin notre participation. Je suis d'accord avec ce principe parce que nous n'en sommes pas encore là; il s'agit d'un processus continu. De toute évidence, dans tous ces domaines, on constate des résultats tangibles dans la vie des enfants en Afghanistan, dont la capacité du pays a commencé à fonctionner de façon pacifique et productive; dans le domaine du maintien de l'ordre, qui se fonde sur l'obligation de rendre des comptes, le respect mutuel et la règle de droit. Comme je l'ai déjà dit, je suis extrêmement fier du travail accompli en Afghanistan par la GRC qui contribue à établir une force policière nationale; et par les militaires, de concert avec les civils et les ONG, qui travaillent à stabiliser le pays.

Toutes ces initiatives sont tellement interdépendantes et, dans bien des cas, tellement complexes qu'il est difficile d'établir des échéanciers précis.

Le sénateur Campbell : Est-il juste de dire que nous ne faisons pas une guerre pour obtenir un jour la capitulation d'un ennemi mais plutôt que nous tâchons d'édifier une nation capable de lutter contre le terrorisme de l'intérieur?

M. MacKay : Je conviens que le scénario idéal, dans ce cas, serait de doter le peuple afghan d'une force policière nationale, d'une armée nationale et d'une agence frontalière qui leur permettraient de se défendre eux-mêmes. J'ignore si nous pourrons dire un jour que c'est terminé, que l'ennemi a capitulé et qu'il y a armistice. Il est possible que ce jour arrive en Afghanistan. Comme nous l'avons constaté, et comme je l'ai mentionné plus tôt dans mes remarques préliminaires, dans des pays comme Haïti, le Kosovo et autres, il y a toujours un risque de recul.

J'espère que nous aurons l'occasion, dans un avenir pas trop éloigné, de voir le dernier membre des talibans capitulé afin que le peuple afghan puisse accéder à la qualité de vie que nous avons la chance de connaître; et je crois que c'est réalisable. Je dirais que cela est certainement plus réalisable aujourd'hui que jamais auparavant dans l'histoire de leur pays.

Le sénateur Campbell : Si par la suite la situation dérape, est-ce que nous retournons là-bas?

M. MacKay : Il ne s'agit pas de retourner là-bas parce que nous y sommes.

Le sénateur Campbell : Je reviens à l'exemple que vous avez donné du Kosovo et d'Haïti, où nous étions présents, et nous sommes partis et la situation a dérapé.

M. MacKay : À ce moment-là, nous ferions une évaluation en collaboration avec la communauté internationale. Nous sommes en train de retourner en Haïti et dans d'autres régions pour poursuivre nos efforts. Les Canadiens sont fondamentalement généreux et ouverts vers l'extérieur. À mon avis, les Canadiens ne voudront jamais refuser d'intervenir s'ils ont l'impression qu'ils peuvent être d'une utilité quelconque.

Le sénateur Atkins : Monsieur le ministre, c'est un honneur de vous accueillir ici. Votre présentation était empreinte d'optimisme. Vous avez répondu à un certain nombre de questions que se posent bien des gens. J'ai une autre question à vous poser : est-ce une situation perdante?

M. MacKay : Je ne le crois pas. Nous remportons des victoires chaque jour en améliorant la vie du peuple afghan grâce à notre présence-même là-bas et au travail important qui est accompli. Nous remportons des victoires chaque jour même si, Dieu nous en garde, il n'y aura jamais de capitulation définitive. Nous pouvons constater cette amélioration dans les yeux des enfants qui fréquentent l'école aujourd'hui et qui auparavant n'avaient jamais été autorisés à aller à l'école; et dans les maisons que l'on construit, qui ont l'eau potable, des installations sanitaires et des systèmes d'égout, autant d'éléments que nous tenons pour acquis.

Je ne souscris pas au principe selon lequel il s'agit d'une situation perdante. Il s'agit d'une mission longue et difficile, tout comme l'ont été les engagements précédents pris par les Canadiens sur de nombreuses générations. Je considère qu'il s'agit d'un effort valable, et même si cela peut sembler ésotérique, le renforcement des capacités permet d'exporter et de promouvoir les valeurs canadiennes qui nous tiennent à cœur. Cela représente une grande valeur ajoutée à la mission. Les Canadiens croient que nous avons le meilleur pays au monde et en sont fiers, et nous sommes prêts à partager nos ressources pour les aider à atteindre le même niveau de vie. Oui, je suis un optimiste.

Le sénateur Atkins : Êtes-vous un optimiste lorsque vous parlez de l'échéance de 2009? Compte tenu des problèmes auxquels nous faisons face en Afghanistan — le terrain et la façon dont les talibans fonctionnent — ne pourrions-nous pas nous retrouver dans une situation semblable à celle qui existait à Chypre il y a des années ou dans d'autres régions du monde?

M. MacKay : Je dirais que 2009 est une date plus réaliste que 2007. Quant à ce qui sera accompli d'ici cette date, je dirais que nous serons nettement mieux en mesure d'évaluer l'ensemble de ces critères, plutôt que de nous précipiter dans une course folle contre la montre et risquer de décevoir l'attente du peuple afghan et de nos alliés internationaux. Comme vous le savez, sénateur, ces missions prennent du temps. Il existe de nombreux aspects plus pratiques que doivent prévoir d'autres pays. Les Britanniques et les Hollandais ont pris des engagements avant que nous votions à la Chambre des communes. Je dirais que les réalisations accomplis et la consolidation de l'État seront les meilleurs facteurs qui nous permettront de déterminer l'échéance finale.

Le sénateur Atkins : La taille de l'effectif militaire préoccupe le comité. Lorsqu'il a été décidé de prolonger notre engagement jusqu'en 2009, a-t-on envisagé la possibilité de rotations pour nos militaires? On s'interroge toujours sur la façon dont nous recrutons et augmentons notre effectif militaire. Ne craint-on pas que nous dispersions un peu trop nos ressources?

M. MacKay : Il ne fait aucun doute que c'est une question pertinente, sénateur, que votre président a posée à maintes reprises. Nous prenons des mesures énergiques pour recruter des membres des Forces canadiennes. La durée et la taille de la présente mission est certainement un facteur dans ces efforts de recrutement, tout comme la possibilité d'autres missions et responsabilités. Je ne peux pas parler au nom du ministre de la Défense et je ne prétends pas être la personne la plus qualifiée pour commenter sur l'état du recrutement et de notre capacité de déploiements futurs. Cependant, je sais que cela a été pris en considération et que des consultations étroites ont eu lieu avec le général Hillier. Cela fait nettement partie d'une question et d'une planification plus générale concernant cette mission et des missions futures.

Le sénateur Atkins : J'ai une dernière question : vous avez indiqué qu'Hamid Karzai a dit que l'économie nationale de l'Afghanistan connaît une croissance stable et qu'au cours des quatre dernières années, le pays a connu une véritable croissance totale du PIB de 85 p. 100. Pourriez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet?

M. MacKay : Sénateur Atkins, j'ai vu des chiffres qui semblent appuyer l'existence de cette croissance de leur économie. Tout cela est relatif, bien entendu, et je ne veux pas minimiser l'importance de l'économie qui existe dans ce pays, mais elle ne correspond pas à ce que nous considérerions comme une économie moderne, qui fonctionne bien. Ils continuent de dépendre d'une petite poignée de secteurs. Il faut donc évaluer le progrès en fonction de leur point de départ. Le pays a doublé son PIB en quatre ans et je dirais que c'est incontestablement un progrès remarquable.

Le sénateur Atkins : Quels sont les secteurs de développement de l'économie, mis à part le trafic de stupéfiants.

M. MacKay : Il s'agit du développement collectif du pays pour ce qui est de la totalité des recettes produites comparativement à la situation précédente, bien que les entreprises autorisées à exercer leurs activités n'aient pas l'envergure de l'industrie textile au Québec, par exemple. Les entreprises indépendantes ont la capacité de se développer et les femmes peuvent mettre sur pied leurs propres entreprises. J'ai parlé du programme de microcrédit, et les métiers sont enseignés dans les écoles. Nous avons vu des jeunes qui travaillaient à l'aide de machines à coudre, d'ordinateurs, et cetera, pour acquérir de nouvelles aptitudes sur le tas et apprendre également comment se comporter dans de nombreuses situations sociales. Les preuves tangibles se voient sur le terrain au niveau pédagogique. Je dirais que les travaux préparatoires effectués dans les écoles de métiers sont les meilleurs indicateurs de l'amélioration continue de leur économie.

Le sénateur Stollery : Je tâcherai d'être bref, monsieur le président. Je ne peux m'empêcher de me demander, après avoir écouté les questions posées par le sénateur Atkins sur l'économie, comment ils connaissent l'état de leur économie s'ils ne sont pas en mesure de faire un recensement. Il est probable qu'ils n'ont jamais fait de recensement en bonne et due forme. Notre présence en Afghanistan ne vise-t-elle pas à aider les Américains, qui veulent retirer les soldats de l'Afghanistan pour les envoyer en Irak? En particulier les Britanniques et les Hollandais considèrent que l'OTAN manque de pertinence. Nous avons parlé de recensement et d'économie. Feront-ils un recensement là où vit Oussama ben Laden avec sa machine à dyalise? Je n'ai entendu personne en parler. Pendant cinq ans, sa tête avait été mise à prix, mais il semble qu'il ait des milliers de partisans parce que personne ne l'a livré aux autorités. Est-ce qu'ils feront un recensement dans les régions tribales?

M. MacKay : Avez-vous des renseignements selon lesquels il se trouverait à l'heure actuelle en Afghanistan?

Le sénateur Stollery : J'ignore où il se trouve, mais tout le monde semble indiquer que c'est là où il se trouve.

M. MacKay : Je répondrai à quelques-unes de ces questions.

Le sénateur Stollery : Non, il est important d'établir d'abord le contexte, monsieur le président, parce que cela ne veut rien dire à moins que l'on pose la question suivante : Est-ce en fait pour aider les Américains et pour tâcher d'apaiser les préoccupations des Européens, qui craignent que l'OTAN n'ait plus de raison d'être parce que la guerre froide a pris fin en 1989? Est-ce que cela n'est pas plus logique que tous ces chiffres bidon qu'ils nous donnent?

Je ne veux pas laisser entendre que c'est ce que vous feriez, mais Karzai est un pantin mis en place par les Américains, et tout le monde le sait. L'autre question n'est-elle pas la véritable réponse? Pourquoi devrions-nous prolonger une mission si nous n'avons pas les réponses à ces questions?

M. MacKay : Je tâcherai de répondre à quelques-unes de vos questions. Tout d'abord, je ne crois pas que le président Karzai soit un pantin parce qu'il a été élu démocratiquement. Sénateur, sauf votre respect, il a été élu démocratiquement. Je l'ai rencontré et j'ai trouvé que c'était une personne dévouée, charismatique et convaincante, qui veut aider son pays. Est-ce que nous le faisons pour aider les Américains? Nous le faisons pour aider le peuple afghan en partenariat avec nos alliés internationaux, qui se trouvent à inclure les Américains, mais également les Britanniques, les Hollandais, les Espagnols, les Portugais, les Roumains, et cetera.

Est-ce que je crois que ces chiffres représentent réellement la situation? Avant d'aller en Afghanistan, j'aurais peut- être été d'accord avec vous sur certains de ces points, mais j'ai constaté les progrès réalisés et j'ai parlé à ceux qui participent de près à la mission — l'ambassadeur Sproule, les représentants de l'ACDI et le général Fraser — et qui sont en mesure de bien évaluer les progrès réalisés là-bas. Ces personnes sont les mieux en mesure d'évaluer le succès de la mission. C'est la raison pour laquelle j'espère que le président Karzai comparaîtra devant le comité. De nombreux Canadiens seraient impressionnés. Il ne fait aucun doute qu'il présentera des arguments convaincants en faveur du maintien de la participation du Canada.

Le président : Monsieur le ministre MacKay, je tiens à vous remercier d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui.

M. MacKay : Je tiens à remercier le comité pour son travail que les Canadiens apprécient.

Le président : Notre prochain témoin est le lieutenant général Gauthier, commandant du commandement de la Force expéditionnaire du Canada. Le lieutenant général Gauthier a été promu au rang qu'il occupe actuellement en avril 2006. Il a servi à titre de commandant du commandement de la Force expéditionnaire du Canada depuis le 12 septembre 2005. Il est le commandant de niveau opérationnel relevant du chef d'état-major et responsable de l'exécution des opérations militaires à l'étranger, y compris en Afghanistan.

Le lieutenant général Gauthier a comparu devant le comité il y a deux semaines. Nous lui souhaitons à nouveau la bienvenue et nous faisons un plaisir de l'entendre à nouveau. Je tiens à le remercier de la visite qu'il nous a faite de son quartier général, même si c'était à une heure extrêmement matinale, c'est-à-dire l'heure à laquelle il commence à travailler.

[Français]

Lieutenant général J.C.M. Gauthier, commandant, Commandement de la Force expéditionnaire du Canada, Défense nationale : Honorables sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je comprends que votre travail cet après-midi porte sur la mission des Forces canadiennes en Afghanistan et j'ai préparé mes remarques d'ouverture en conséquence.

Tel que je l'ai mentionné lors de ma dernière présentation devant vous à titre de commandant du COMFEC et de membre des Forces canadiennes, je suis extrêmement fier de ce que nous avons accompli depuis que nous avons commencé à conduire les opérations terrestres en Afghanistan en 2002.

Selon une perspective du COMFEC, ceci est une mission qui ne peut échouer. Ce qui signifie essentiellement qu'au niveau des Forces canadiennes et à l'intérieur de mon commandement, nous avons fait tout ce qui était possible pour réduire le risque afin de réussir la mission et pour la sécurité de nos hommes et femmes déployés avec le strict minimum.

Vous savez tous que l'origine de cette mission se trouve dans la réaction internationale aux événements tragiques du 11 septembre 2001. Aujourd'hui, le Canada, ainsi que ses alliés, travaillent avec le gouvernement afghan pour étendre son autorité dans tout le pays et pour soutenir ses efforts pour reconstruire l'Afghanistan. Notre objectif collectif est d'assurer que l'Afghanistan ne servira dorénavant plus de pépinière à des terroristes.

La mission porte sur la défense du Canada contre des menaces terroristes possibles avant qu'elles n'atteignent nos rives, mais c'est également aider le peuple afghan à reconstruire leur vie et leur pays.

[Traduction]

Cette opération est aussi complexe que toutes celles que les Forces canadiennes ont entreprises au cours du demi- siècle passé. Je crois que plusieurs des défis inhérents à cette opération représentent la nature changeante des opérations militaires au XXIe siècle.

Au risque de répéter ce que j'ai déclaré lors de ma dernière comparution devant vous, la gamme complète des opérations ou ce qui est aussi appelé la guerre en trois blocs, porte sur les opérations de combat et de stabilité et les tâches d'aide humanitaire au développement, tout ceci effectué simultanément, contre des adversaires qui savent s'adapter, avec une multitude d'acteurs internationaux et dans une structure de pouvoir national complexe et sur un terrain impardonnable, en soutien à une population locale qui a été ravagée par plus de deux décennies de conflits et le tout dans un environnement de communication où les médias peuvent rapporter des incidents sur le terrain au public canadien en temps réel. Le succès de cette gamme complète des opérations exige que nous travaillions étroitement avec nos partenaires des autres ministères pour accomplir cette tâche et c'est précisément ce que nous faisons en Afghanistan aujourd'hui.

Les Forces canadiennes et leurs alliés militaires n'opèrent pas seuls en Afghanistan mais de concert avec nos partenaires des Affaires étrangères, de l'ACDI et de la GRC et d'autres. L'équipe de reconstruction provinciale dans la province de Kandahar qui relève du Canada depuis août 2005 est un point central de cet effort. Avec des représentants des Affaires étrangères, de l'ACDI et de la GRC, nous travaillons ensemble à renforcer l'autorité du gouvernement afghan dans cette importante province septentrionale.

L'orientation miliaire vise à améliorer la sécurité et à permettre la gouvernance et le développement économique et social. J'insiste sur le terme « permettre » parce que nous ne sommes pas les responsables de ces activités. Nous soutenons les efforts de nos partenaires.

Notre plan de campagne militaire a trois volets : la sécurité, la gouvernance et le développement économique et social, mais nous ne sommes chargés que de la sécurité. Et parce que les défis de la sécurité dans les approches sud et est de l'Afghanistan ont été aussi importants, faire des progrès dans les deux autres volets a été difficile mais ce progrès est impératif. Nous devons gagner la confiance du peuple afghan pour qu'il puisse nous aider avec la sécurité. Cette confiance ne se gagnera pas par des opérations de sécurité seulement; le gouvernement afghan et la communauté internationale doivent améliorer la qualité de vie des gens.

Donc, les Forces canadiennes font tout ce qu'elles peuvent pour fournir un environnement de sécurité qui permette à nos partenaires de travailler sur ces aspects et en même temps nos officiers et nos soldats discutent régulièrement avec les anciens des tribus et avec les dirigeants des communautés pour soutenir l'effort de la communauté internationale et notre propre effort 3D. Ce défi complexe de permettre la gouvernance et le développement en même temps que de diriger la sécurité est l'essence même de toute la gamme des opérations.

[Français]

Nous, Canadiens, ne sommes pas seuls en Afghanistan. Il y a en fait plus de trente nations qui, tout comme le Canada, sont engagées envers une Afghanistan stable, démocratique et économiquement viable.

La contribution des Forces canadiennes aux efforts internationaux en Afghanistan est importante. Aujourd'hui, un total d'environ 2 300 membres des Forces canadiennes sont déployés sur l'opération Archer en Afghanistan et à la base de soutien du théâtre des opérations. La vaste majorité de ceux qui sont en Afghanistan se trouvent dans la région de Kandahar, mais des éléments importants et significatifs de la mission demeurent à Kaboul.

Avant de vous décrire nos efforts dans la région de Kandahar, je voudrais souligner les efforts de deux organisations particulières à Kaboul : l'équipe consultative stratégique, ou SAT; et l'équipe du centre d'entraînement national afghan, communément désigné le NTC.

[Traduction]

Le SAT, c'est-à-dire l'équipe consultative stratégique, se compose de 13 membres des Forces canadiennes et d'un scientifique civil de recherche de la Défense. Le concept du SAT a été développé à partir d'un accord bilatéral entre le Canada et le gouvernement afghan dans lequel le Canada fournirait une petite équipe de conseillers pour aider à l'élaboration de la stratégie de développement national afghane (SDNA) et la Commission de la fonction publique (CFP). La principale ligne d'opération du SAT est d'aider à bâtir une capacité de planification stratégique à l'intérieur du gouvernement afghan. Il est important de noter que le SAT n'est pas directement impliqué dans la planification stratégique. Il agit à titre de mentor et fournit des conseils sur la planification stratégique pour le Groupe de travail sur la SDNA et la Commission de la fonction publique.

Bien qu'il s'agisse d'une petite équipe, le SAT a eu un impact profond en Afghanistan. Son succès est bien illustré par le fait que lorsque le conseiller économique du président Karzaï, M. Naderi, a assisté à la Conférence de Londres à la fin de janvier pour dévoiler le Pacte afghan; il a invité le leader du SAT, le colonel Mike Capstick, à assister à cet événement marquant avec lui. Plus récemment, le SAT a commencé à jouer un rôle important des facilitations pour lier l'effort de la SDNA à ceux de la coalition (OEF) et du leadership de la FIAS. Le SAT, conjointement avec les autres efforts de mentorat et le travail de l'ERP canadienne, sont les pierres angulaires pour reconstruire l'Afghanistan.

Selon moi, cette équipe relativement réduite a eu un impact incroyable pour son effectif.

Nous avons aussi 15 membres des Forces canadiennes qui forment une équipe d'instruction travaillant directement avec les soldats de l'armée nationale afghane alors qu'ils complètent leur formation individuelle de base au centre d'entraînement militaire de Kabul (KMTC). Les officiers et les sous-officiers graduent du KMTC et entrent sous les soins de l'équipe d'entraînement canadien du MTC chargée de l'entraînement collectif initial pour les compétences au niveau de section et de peloton. Le NTC est l'étape finale de l'entraînement que complètent les soldats de l'ANA avant leur déploiement opérationnel avec les unités militaires afghanes dans le pays.

Les soldats canadiens ont une réputation bien méritée d'excellents instructeurs et l'impact de cet élément relativement petit dans le cycle d'entraînement de l'ANA a été très important.

[Français]

Comme vous le savez tous, nous jouons aussi un rôle significatif avec une forte concentration de force dans le sud de l'Afghanistan. Le brigadier général canadien, David Fraser, a commandé la Brigade multinationale sud sous l'opération Enduring Freedom depuis le 28 février dernier. L'opération « Enduring Freedom » est, comme vous le savez tous, la coalition sous commandement des États-Unis qui a opéré en Afghanistan depuis 2001 et qui s'oriente désormais principalement sur les régions troublées du sud et de l'est du pays.

[Traduction]

Le brigadier général Fraser est à la fois un commandant multinational et le commandant de tous les éléments de la Force opérationnelle canadienne en Afghanistan. Vous me permettrez d'élaborer sur les directives nationales qui guident les efforts du brigadier général Fraser.

Au niveau national, notre intention stratégique primordiale est d'empêcher l'Afghanistan de retomber dans un état non viable dans lequel les terroristes et les organisations terroristes trouveraient un abri sûr. Les objectifs spécifiques assignés aux Forces canadiennes comprennent l'aide à maintenir un environnement sécuritaire dans la zone des opérations de la FIAS et le soutien pour la création des structures de sécurité afghane efficace et durable. Cette force opérationnelle aide le gouvernement de l'Afghanistan à assurer la sécurité et la stabilité du pays et à soutenir les activités de reconstruction. La Force opérationnelle a un autre objectif qui l'élimination d'Al-Qaida, des talibans et autres groupes armés qui peuvent présenter une menace à la paix et à la sécurité internationale. À cette fin, l'objectif de la Force opérationnelle est d'amener Oussama ben Laden et les leaders d'Al-Qaida, des talibans et autres groupes armés devant la justice. La Force opérationnelle soutien les efforts destinés à répondre aux besoins humanitaires des Afghans conformément aux directives internationales concernant l'usage des ressources militaires en soutien à des activités humanitaires.

À l'intérieur de cette réalisation, il y a trois lignes d'opération : La première, c'est la sécurité et la stabilité, la deuxième, c'est la gouvernance, et la troisième, c'est le développement. L'effort principal des Forces canadiennes est de bâtir la capacité des forces de sécurité nationale afghanes tout en venant à bout d'Al-Qaida, des talibans et d'autres éléments des groupes armés de concert avec eux.

Dans le contexte de ces objectifs et lignes d'opération, des tâches spécifiques ont été assignées au brigadier général Fraser, à savoir combiner et intégrer l'ERP et les éléments de manœuvre en étroite coopération avec nos partenaires et bâtir la capacité du gouvernement afghan dans le Commandement régional Sud en étroite coopération avec le SAT au niveau stratégique. La deuxième tâche consiste à permettre la transition de la FIAS de l'Opération Enduring Freedom dans la région sud. Le brigadier général Fraser, de concert avec les forces de sécurité afghane, mènent des opérations fondées sur les renseignements pour permettre des frappes mortelles et non mortelles contre Al-Qaida , les talibans et les autres groupes armés qui menacent l'autorité du gouvernement afghan. La quatrième tâche des FC est de soutenir la communauté internationale pour la reconstruction de l'Afghanistan et la contribution à l'amélioration de l'environnement sécuritaire et stable en l'Afghanistan.

[Français]

Le commandement du Canada : le leadership du brigadier général Fraser du quartier général de la Brigade multinationale pour le Commandement régional Sud est important. Le QG de la brigade est constitué principalement d'officiers et de sous-officiers canadiens, britanniques, hollandais et des États-Unis — dont environ 50 p. 100 sont Canadiens — et de l'Escadron de transmission en soutien qui provient aussi du Canada.

Nous avons pris le commandement d'une force opérationnelle principalement américaine. Bien que fonctionnant depuis plusieurs mois sous un mandat de l'opération Enduring Freedom et sous le commandement de la Force opérationnelle interarmées combinée 76, le brigadier général Fraser et son quartier général jouent un rôle absolument essentiel pour l'établissement de conditions pour une expansion réussie du mandat de l'OTAN dans le sud.

[Traduction]

Cette transition de l'opération Enduring Freedom à une force de sécurité internationale ne sera pas sans rencontrer de défis. Des opérations militaires transitionnelles comme celles-ci créent des occasions pour les forces d'opposition d'exploiter des joints entre les forces sortantes et entrantes. Dans plusieurs cas, c'est ce que nous voyons maintenant dans l'augmentation de l'activité des insurgés au cours des dernières semaines et le brigadier général Fraser a dû équilibrer soigneusement les exigences associées à la situation actuelle de la sécurité et les exigences OEF à court terme avec le besoin de soutenir le déploiement de nos nouveaux partenaires de l'OTAN dans la région. Selon mon opinion, il équilibre ces exigences opposées extrêmement bien.

Pour le Canada, qui est responsable de la province de Kandahar, le siège de la brigade multinationale, ce rôle essentiel de rapprochement en est un que nous avions prévu et c'est pourquoi nous avons déployé groupement tactique d'infanterie et le quartier général de la brigade plusieurs mois avant nos partenaires de l'OTAN. La tâche de soutenir l'influx de nos partenaires de l'OTAN — la Force opérationnelle britannique vers la province d'Helmand, à l'est de Kandahar, et la Force opérationnelle néerlandaise vers la province d'Ourouzgan, au nord de Kandahar — a largement reposé sur cette unité et ceci a dans un large degré dirigé les priorités et les domaines d'orientation pour le groupement tactique. Ces déploiements sont en cours en avance sur l'horaire et les nombreuses leçons tactiques que nous avons apprises dans nos opérations dans cette région volatile bénéficieront aussi à leur planification personnelle.

Outre cette orientation transitionnelle, notre groupement tactique a fait beaucoup de progrès dans ses propres objectifs. Les médias ont couvert les actions au contact avec l'opposition armée dans toute la province de Kandahar, alors que nous avons étendu notre présence dans des régions qui, jusqu'à maintenant, avaient été considérées comme des abris sûrs pour les talibans. Nous les avons dérangés dans leur propre zone, affaibli leur capacité, réduit leur nombre et les avons exposés pour ce qu'ils sont. Par le biais de ces opérations de sécurité, le groupement tactique canadien étend aussi la portée de l'ERP depuis la capitale vers les régions éloignées de la province, en très étroite collaboration avec le gouverneur de la province de Kandahar et les leaders au niveau provincial, des districts et de village. Encore une fois, l'orientation porte sur l'expansion de la légitimité et de la crédibilité du gouvernement de l'Afghanistan jusqu'à ces niveaux et nos efforts militaires sont fondés sur des programmes développés par l'ACDI, AEC et la GRC.

[Français]

Quelques mots sur le plan de transition à l'OTAN. La première phase était certainement de stabiliser Kaboul. Cela a débuté lorsque l'OTAN a assumé la responsabilité de la Force internationale d'assistance à la sécurité en 2003. Depuis, les forces de l'OTAN se sont dirigées vers le nord pour commencer à sécuriser cette région. Kaboul et le nord faisaient partie de l'étape I de la mission de l'OTAN. Le déplacement vers l'Ouest était l'étape II de la mission de l'OTAN et elle est en bonne voie. L'expansion vers la région du sud, qui est possiblement la région la plus troublée de l'Afghanistan, comprend la province de Kandahar et représente l'étape III de l'OTAN.

Tel que mentionné précédemment, le brigadier général Fraser demeurera le commandant de la Brigade multinationale Sud alors qu'elle effectuera la transition au commandement régional sud sous la FIAS plus tard cet été. Lorsque cette transition sera complétée, presque tout l'Afghanistan, à l'exception du commandement régional, sera sous l'autorité de l'OTAN.

[Traduction]

Comme vous l'avez entendu précédemment, la reconstruction de l'Afghanistan prendra un long moment. Le Pacte pour l'Afghanistan, un plan d'action de cinq ans accepté par la communauté internationale et le gouvernement de l'Afghanistan, est toujours dans son enfance en termes de mise en œuvre. La contribution récente du Canada à la FIAS entre 2003 et 2005 et le rôle de leadership qu'il a joué dans les premiers jours de l'implication de l'OTAN avec la FIAS ont été à la fois significatifs et hautement réussis en terme d'impact sur le gouvernement de l'Afghanistan et du peuple de Kaboul.

Étant donné que le Canada n'a été engagé dans le Sud que depuis trois mois, il est encore trop tôt pour faire rapport des résultats pratiques et visibles de nos efforts collectifs. Notre présence dans la province de Kandahar — la première présence de la coalition dans plusieurs régions sanctuaires — a déclenché les réactions prévues des talibans et d'autres forces d'opposition. Ceci présente une image de succès difficile parce que nos progrès dans la stabilité et la sécurité sont démontrés par les attaques croissantes contre nos forces.

Je dois aussi mentionner qu'à la fin de février, alors que les Canadiens assumaient les commandements à Kandahar, le lieutenant général Karl Eikenberry, le commandant supérieur de la coalition OEF, a déclaré publiquement qu'il s'attendait pleinement à ce que l'activité des insurgés augmente au printemps et au début de l'été, et c'est précisément ce que nous avons vu au cours des derniers jours et semaines. Le groupement tactique canadien, qui a été très actif pendant tout ce déploiement vient, de concert avec les forces de sécurité nationale Afghanes, d'augmenter son rythme opérationnel, ce qui va probablement précipiter une augmentation supplémentaire des attaques et de l'activité insurgée rapportée.

Kandahar et la région du Sud étaient au cœur du mouvement taliban dans l'Afghanistan d'avant 2001. L'insurrection aujourd'hui vise toujours à renverser le gouvernement national légitime et démocratiquement élu.

Puisque nous sommes-là pour aider ce gouvernement et ce peuple, nous allons continuer à être la cible des insurgés, bien que je doive dire que les attaques contre les Afghans sont beaucoup plus fréquentes que contre la coalition. Le progrès dans le Sud sera lent et ce n'est qu'au terme d'un engagement à long terme — probablement au-delà de l'échéance du Pacte pour l'Afghanistan — que la communauté internationale verra l'Afghanistan comme un pays capable de se ternir debout sur ses deux pieds.

[Français]

Par-dessus tout, la stabilité exigera un gouvernement national efficace et des forces de sécurité efficaces dont les effets seront ressentis dans tout le pays. Nous travaillons en étroite coopération avec des forces nationales de sécurité afghanes, avec la police nationale afghane et avec le gouvernement afghan pour augmenter la sécurité dans le Sud.

Ceci ne se produira pas du jour au lendemain, mais nous avons eu un succès croissant en conduisant des opérations interarmées avec des unités afghanes en réaction à du renseignement afghan sur l'activité des insurgés. Plus nous avons du succès, plus nous apportons la sécurité, ce qui aidera ultimement nos partenaires dans l'IRP à poursuivre leurs efforts dans les domaines de la gouvernance et du développement.

[Traduction]

Les commandants canadiens dans toute la chaîne de commandement, incluant moi-même, sont d'avis que le Canada apporte une contribution positive en Afghanistan. J'ai visité nos troupes en Afghanistan un certain nombre de fois depuis que j'ai pris le commandement du COMFEC et eu l'occasion de parler à des centaines de nos soldats déployés. Ils vivent souvent dans des conditions extrêmement spartiates « hors des files », ils opèrent dans un environnement exceptionnellement exigeant — physiquement et selon une perspective de sécurité — et le rythme de l'activité opérationnelle est extrêmement intense.

Malgré les défis auxquels ils font face, ils sont déterminés à réussir et ils sont positifs vis-à-vis ce qu'ils ont accompli. Ils ont ce que je considère être une compréhension très développée de leur mission et de ce qui doit être fait pour aider l'Afghanistan à récupérer et ils croient en ce qu'ils font.

Honorables sénateurs, je vous remercie de cette occasion de vous parler aujourd'hui. J'espère pouvoir répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup de votre exposé exhaustif. Avant de passer aux questions, j'aimerais avoir une précision sur une de vos remarques :

Notre présence dans la province de Kandahar — la première présence de la coalition dans plusieurs régions sanctuaires — a déclenché les réactions prévues des talibans et des autres forces d'opposition. Ceci présente une image de succès difficile parce que nos progrès vers la stabilité et la sécurité sont démontrés par les attaques croissantes contre nos forces.

Comment pouvez-vous dire que la stabilité et la sécurité s'accroissent alors qu'il y a de plus en plus d'attaques contre nos forces?

Lgén Gauthier : La sécurité et la stabilité accrues découlent de notre présence dans des régions où nous étions jusqu'à présent absents et où se trouvent des forces d'opposition. Malheureusement, pour créer cette stabilité et cette sécurité, le prix à payer, c'est la réaction à notre présence dans ces sanctuaires. De concert avec les forces de sécurité afghanes, nous l'emporterons sur les forces d'opposition. Nous devons éliminer cette menace de ces régions.

Le président : Si on lançait des pétales de roses sur votre passage à votre arrivée, je conviendrais que la stabilité et la sécurité se sont accrues. N'est-il pas un peu prématuré de déclarer que la stabilité et la sécurité règnent dans ces régions alors que, dans les faits, la violence a augmenté?

Lgén Gauthier : Je ne prétends pas que la sécurité et la stabilité règnent. J'affirme seulement que c'est la voie sur laquelle nous nous dirigeons. J'ose croire que dans certains villages au nord de Kandahar, en particulier, où nous avons établi une présence régulière, les villageois se sentent moins menacés par les talibans et autres insurgés qu'avant notre arrivée. Voilà pourquoi je dis que nous avons établi ou amélioré la stabilité et la sécurité.

Le président : Je comprends maintenant ce que vous voulez dire. Merci.

Le sénateur Campbell : Merci d'être venu, lieutenant général Gauthier. Quel est l'échéance du Pacte pour l'Afghanistan?

Lgén Gauthier : Le Pacte pour l'Afghanistan arrivera à échéance cinq ans après janvier de cette année.

Le sénateur Campbell : La violence accrue dont sont victimes nos soldats canadiens est-elle vue comme une contre- attaque découlant du succès de nos forces?

Lgén Gauthier : Le simple fait que nous entrions dans ce que les forces d'opposition considèrent comme leur territoire les amènent à croire que, si elles font des victimes, elles nous feront fuir et nous empêcheront de retourner dans ces régions.

Le sénateur Campbell : Qui dirige le commandement régional de l'Est?

Lgén Gauthier : Un Américain.

Le sénateur Campbell : Qui a pris cette décision?

Lgén Gauthier : Cette décision a été prise avant que l'OTAN n'arrive en Afghanistan et que la SIAF prenne de l'expansion à l'extérieur de Kaboul, dans le reste de l'Afghanistan, alors que les opérations étaient dirigées par les États-Unis dans le cadre de l'opération Enduring Freedom. La SIAF est maintenant dans les régions du Nord et de l'Ouest et se rendra bientôt dans le Sud.

Le sénateur Campbell : Ce qui inquiète les Canadiens, d'après ce que certains m'ont dit, c'est cette impression que nous sommes en Afghanistan parce que les Américains y sont. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec cette opinion, mais je peux la comprendre. Puisque le Canada prend la place de l'OTAN, on pourrait croire que ce serait dans tous le pays, et non pas seulement dans une région. Pourquoi un Américain commande-t-il les forces du commandement régional de l'Est alors que c'est le Canada qui commande les forces de l'OTAN dans le reste du pays?

Lgén Gauthier : Je me suis mal exprimé. Le Canada ne dirigera pas toute l'opération de l'OTAN. En fait, le commandement de l'opération de l'OTAN en Afghanistan se fait selon une rotation de six ou douze mois. Depuis environ un mois, c'est un officier britannique, le lieutenant général David Richards, qui commande la SIAF.

Ce sont différents pays qui sont responsables des opérations dans les régions du Nord et de l'Ouest, et le premier pays à assumer le leadership dans la région Sud sera le Canada. Le Canada assurera le commandement pendant la période de transition et pendant le premier mandat de l'OTAN dans le Sud de l'Afghanistan.

Le sénateur Campbell : Quand l'OTAN prendra en charge cette mission, le Canada ne sera pas responsable de toutes les forces de l'OTAN en Afghanistan.

Lgén Gauthier : Non, seulement dans le Sud.

Le sénateur Campbell : Mais c'est l'OTAN qui sera responsable dans les trois autres régions?

Lgén Gauthier : C'est exact.

Le sénateur Campbell : Pourquoi l'OTAN n'assume-t-elle pas le commandement dans toutes les régions au départ?

Lgén Gauthier : L'OTAN préfère prendre le commandement des différentes régions graduellement.

Le sénateur Campbell : L'OTAN sera-t-elle un jour responsable du commandement oriental?

Lgén Gauthier : J'imagine que peu de temps avoir assumé le commandement de la région méridionale, l'OTAN prendra en charge l'Est du pays. Toutefois, parce que les régions du Sud et de l'Est sont plus difficiles que celles du Nord et de l'Ouest, l'OTAN voudra s'assurer d'avoir la situation bien en main dans la région méridionale avant de s'engager dans la région orientale, qui présente tout autant de défis que le Sud.

Le sénateur Campbell : Ce matin, on nous a dit que la GRC et la police allemande sont en Afghanistan. Le Canada est-il le seul pays ayant une présence semblable à celle de l'ACDI en Afghanistan? Devrais-je poser cette question à la ministre?

Lgén Gauthier : Non, je peux vous dire, et c'est intéressant, que l'automne dernier, l'équipe provinciale de reconstruction à Kandahar comptait des représentants d'USAID, du DFID, le ministère britannique du Développement international, de l'ACDI et de notre ministère des Affaires étrangères. Il y a d'autres organismes nationaux de développement dans le Sud qui travaillent à partir de notre EPR.

Le sénateur Campbell : Peut-on alors dire que l'OTAN a adopté l'approche des trois D?

Lgén Gauthier : Absolument. Le Pacte pour l'Afghanistan, qui est intervenue entre le gouvernement afghan et la communauté internationale, comporte des objectifs établis par l'Afghanistan et la communauté internationale pour les cinq prochaines années.

Le sénateur Campbell : À votre dernière comparution, vous avez énoncé les huit critères de l'Énoncé de la politique de défense dont on doit tenir compte avant qu'on décide d'entreprendre un déploiement à l'étranger. Parmi ses critères, il y avait la nécessité de prévoir la dernière étape et la stratégie de retrait. Je ne crois pas que nous ayons reçu des informations à ce sujet.

Avez-vous envisagé l'étape finale de votre déploiement et, dans la négative, pourquoi?

Lgén Gauthier : Je précise d'abord que, lors de ma dernière comparution devant votre comité, je n'ai pas fait mention de huit critères.

Le sénateur Campbell : Excusez-moi, mais l'énoncé de politique comporte huit critères.

Lgén Gauthier : Je me souviens avoir répondu à une question sur la stratégie de retrait disant que les Forces canadiennes n'élaborent pas de stratégie de retrait. C'est le gouvernement du Canada qui prend de telles décisions. Les objectifs des Forces canadiennes découlent des objectifs nationaux. J'ai déjà décrit ces objectifs.

Quand on examine tous ces objectifs, on peut envisager certains types d'étapes finales. Du point de vue militaire, cette étape présuppose que les forces de sécurité nationale de l'Afghanistan sont suffisamment autonomes. C'est l'objectif de la communauté internationale ainsi que le nôtre et, en dernière analyse, il incombera au gouvernement du Canada de déterminer si nous avons atteint ces objectifs.

Le sénateur Campbell : Vous élaborez certainement des scénarios. Vous vous préparez sûrement à toutes sortes de possibilités différentes. Vous ne pouvez tout simplement dire que vous vous retirerez d'Afghanistan quand vous aurez la victoire en main. Vous devez avoir des stratégies de repli ou des facteurs dont vous devez tenir compte, ne serait-ce qu'en théorie.

Lgén Gauthier : Nous n'avons pas élaboré de stratégie de retrait officielle.

Le président : À votre dernière visite, lieutenant général Gauthier, vous avez parlé des repères que vous aviez établis et, aujourd'hui, vous avez fait mention de l'état militaire final. Pourriez-vous nous décrire cet état militaire final dont vous venez de parler, ainsi que les jalons sur la voie qui vous mènera à cet état militaire final?

Lgén Gauthier : Voulez-vous une réponse courte ou longue?

Le président : Nous voulons la meilleure réponse que vous pouvez nous faire.

Lgén Gauthier : Je répondrai à votre question en deux temps. Premièrement, le plan de campagne est classifié et l'état militaire final, tel qu'il y est décrit, est classifié. Toutefois, je peux vous dire une chose qui, je crois, vous sera utile. Puis, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vous toucherai quelques mots de l'évaluation du succès et des progrès dans le cadre que je vous ai décrit la dernière fois.

L'état final se définit en fonction des forces d'opposition et de leur capacité à exercer une influence sur le développement et la sécurité en Afghanistan. À notre point de vue, cette capacité doit être réduite au point où l'Afghanistan sera autonome. C'est-là l'état final en fonction des forces de l'opposition.

En ce qui concerne l'état final en fonction du gouvernement de l'Afghanistan, cet état se définit selon le progrès que les forces de sécurité afghanes auront réalisé dans l'édification de capacités opérationnelles, efficaces et fonctionnelles.

Le président : Autrement dit, l'état final est celui où l'armée afghane peut fonctionner sans aide militaire étrangère?

Lgén Gauthier : Oui.

Le président : C'est le point où les forces afghanes exercent le contrôle sur leur territoire sans l'aide du Canada ou de tout autre pays?

Lgén Gauthier : Oui, et c'est conforme aux plans internationaux. Notre plan se fonde en grande partie sur la stratégie du développement de l'Afghanistan. Il y a aussi le plan de la TIAF et le plan de l'opération Enduring Freedom. Il faut aussi tenir compte de la stratégie du gouvernement du Canada et du plan de campagne des Forces canadiennes.

Je l'ai peut-être dit la dernière fois, il y a convergence de ces plans, surtout en ce qui a trait aux trois échelons d'opération que je vous ai décrits. Ces trois échelons d'opération sont la sécurité et la stabilité, la gouvernance assurée par un gouvernement afghan légitime et crédible et le développement social et économique. Pour chacun de ces échelons d'opération, nous avons des objectifs stratégiques bien définis.

Permettez-moi maintenant de vous décrire comment nous évaluons les effets de nos opérations et leur efficacité. Des objectifs stratégiques ont fait l'objet d'un accord et, en fonction de ces objectifs stratégiques, nous avons établi les effets stratégiques. En nous fondant sur ces effets stratégiques — autrement dit, à l'échelle du pays, les effets sur le gouvernement afghan dans son ensemble, surtout dans le domaine de la sécurité — nous avons défini les effets opérationnels. Nous avons mesuré l'efficacité de chaque effet opérationnel. Nous sommes à élaborer une matrice qui décrit tout cela.

Pour chaque objectif opérationnel, des mesures ont été établies. Pour ces effets et mesures, il y a ensuite des niveaux. Moi, je suis un niveau opérationnel. Il y a les mesures tactiques et les mesures de rendement qui sont au niveau tactique. Les mesures de rendement, c'est par exemple le nombre de postes de police qui ouvrent ou ferment leur porte dans la province de Kandahar pendant une période donnée. Tout cela nous mène à un tableau de bord que j'utilise régulièrement pour gérer nos Forces qui appuient la mission et nos efforts en Afghanistan, en fonction des progrès que nous réalisons.

Il y a un autre élément important : les rapports sur nos progrès. Il ne sera pas facile de partir d'un document classifié pour faire rapport sur nos progrès, car le document classifié comporte des informations délicates. Néanmoins, nous devons l'utiliser pour faire rapport au public, au gouvernement et autres intervenants de concert avec nos partenaires des 3D.

Le président : Pourriez-vous nous transmettre cette matrice?

Lgén Gauthier : Elle est encore en voie d'élaboration. On me présentera plus tard cette semaine la première version qui sera mise à l'essai. Quand j'en serai satisfait, j'en extrairai ce que je peux sans mettre en jeu la sécurité opérationnelle et je pourrai alors vous présenter la matrice.

Le président : Voulez-vous nous remettre la liste de mesures de rendement? Vous avez fait mention de postes de police.

Lgén Gauthier : Nous le ferons dans la mesure où c'est prudent pour nous, du point de vue opérationnel, de montrer notre jeu à nos adversaires. Manifestement, armés de ces informations, ils pourraient faire certaines choses qui biaiseraient les résultats de nos évaluations.

Le président : Je comprends. Lors de votre dernière comparution, vous aviez parlé de repères au pluriel. Pourriez- vous nous parler des autres repères?

Lgén Gauthier : Bien sûr.

Le président : Allez-y.

Lgén Gauthier : Oh, les repères au pluriel. Je croyais que vous parliez de mesures d'efficacité et de rendement.

Le président : Vous aviez laissé entendre qu'à votre prochaine visite, vous auriez pour nous des repères. Vous venez de nous en donner un. J'aimerais bien que vous nous en donniez d'autres.

Lgén Gauthier : Monsieur le sénateur, je ne suis pas en mesure de le faire, car nous n'avons pas encore terminé notre travail à l'interne.

Le sénateur Campbell : Au niveau opérationnel, quels sont les cinq besoins les plus urgents? Si vous pouviez demander cinq choses, quelles seraient-elles?

Lgén Gauthier : Il faudrait que je consulte la chaîne de commandement pour vous donner une réponse précise.

Le sénateur Campbell : J'aimerais avoir votre réponse.

Lgén Gauthier : J'espère que vous ne m'en voudrez pas, sénateur, si je vous dis que nous n'aimons pas faire de demande hypothétique. Nous avons l'habitude de faire du mieux que nous pouvons avec les ressources dont nous disposons.

Le sénateur Campbell : Je ne veux pas vous mettre sur la sellette, mais si nous pouvions obtenir davantage de ressources opérationnelles pour vous, qu'en feriez-vous?

Lgén Gauthier : À l'heure actuelle, nous comptons sur les autres pour le transport lourd et moyen par hélicoptère, ce qui est important au niveau tactique. Ce n'est pas crucial, mais nous aimerions bien avoir cette capacité pour déplacer nos troupes plus rapidement.

Dans le domaine du transport en général, stratégique ou tactique, en aéronef à voilure fixe surtout, nous aimerions bien avoir davantage de ressources.

Le sénateur Atkins : Merci, lieutenant général, d'être venu encore une fois; votre exposé a été très complet. Vous avez dit :

Les commandants canadiens dans toute la chaîne de commandement, incluant moi-même, sont d'avis que le Canada apporte une contribution positive en Afghanistan.

Je suis sûr que personne n'en doute.

Le gouvernement a décidé de prolonger son engagement de deux ans. Croyez-vous que cela entraînera des pressions sur les forces armées qui pourraient ne plus être en mesure d'assurer la rotation?

Lgén Gauthier : Pas du tout. Quand nous avons commencé cette mission en 2002, et quand nous nous y sommes réengagés au sein de la SIAF en 2003, et plus récemment quand nous nous sommes engagés dans le Sud, nous l'avons fait sachant que ce serait pour une assez longue période, compte tenu de la nature de la mission. Il est certain que compte tenu de la capacité de l'armée et de l'aviation de constituer une force ce que nous offrons à l'Afghanistan en ce moment, à quelques exceptions près — car nous ne serons pas toujours en mesure de commander la brigade — on pourra être maintenant encore deux ans sans trop de difficulté.

Le sénateur Atkins : Vous ne vous inquiétez pas du nombre de recrues et de leur formation pour la rotation?

Lgén Gauthier : Vous abordez là un sujet qui n'est pas de mon ressort, car je ne constitue pas une force. J'emploie celles qui me sont données par d'autres.

Le président : Attendez le major général Leslie.

Lgén Gauthier : La question se posera si on envisage un deuxième échelon d'opérations, surtout s'il est de grande envergure. Serons-nous en mesure d'établir un second échelon d'opérations et cela nous permettra-t-il d'étendre nos opérations comme le souhaite le gouvernement? Je crois que vous connaissez bien la dynamique.

Le sénateur Atkins : Vous avez dit que votre principal objectif est d'amener les Afghans à se tirer d'affaire seuls. Croyez-vous que c'est un objectif réalisable d'ici 2009?

Lgén Gauthier : Il est clair à mes yeux que l'état final que je vous ai décrit n'existera pas d'ici 2009, mais cela ne signifie pas que notre contribution restera la même jusqu'à ce qu'on ait atteint cet état final. Je le répète, ce n'est pas à moi qu'il incombera de prendre cette décision. Toutefois, je crois pouvoir dire avec une relative certitude qu'il faudra plus de deux ans pour amener les forces de sécurité afghanes au point où l'aide internationale ne sera plus nécessaire.

Le sénateur Atkins : Combien de temps cela pourrait-il prendre?

Lgén Gauthier : Je n'ai pas de boule de cristal et je ne crois pas qu'il vous serait très utile que je la consulte si j'en avais une.

Le sénateur Atkins : La décision de prolonger notre mission en Afghanistan a polarisé l'opinion publique. Que répondriez-vous à celui qui vous demanderait si nous sommes dans une situation dont personne ne sortira gagnant, même si nos troupes font de l'excellent travail, et qui vous demanderait ce qui se passe là-bas? Dans le passé, personne n'est sorti gagnant de ce genre de situations. Pourquoi, soudainement, croyons-nous que les forces de la coalition peuvent réaliser ce que personne d'autre n'a réussi?

Lgén Gauthier : Encore une fois, vous me demandez mon opinion et mes observations sur une question qui ne relève pas de ma compétence.

Le président : Peut-être pourriez-vous répondre du point de vue militaire?

Lgén Gauthier : Certains auraient pu dire la même chose du défi auquel nous avons fait face à Kaboul en 2003; je soulignerais alors le succès qu'on a connu là-bas ces dernières années. Les Canadiens y jouent un rôle très important autant aux échelons supérieurs que sur le terrain.

La province de Kandahar et le Sud de l'Afghanistan constituent un territoire difficile, cela ne fait aucun doute. Cependant, il s'y trouve maintenant d'importantes forces de la communauté internationale, beaucoup plus que pendant l'opération Enduring Freedom, de sorte que les forces militaires internationales dans le Sud sont maintenant en mesure d'avoir une incidence réelle dans cette région. Je n'ai aucune raison de croire que nous ne réaliserons pas de progrès, mais je n'ai pas d'illusion : cela ne prendra pas un an ou deux, cela nécessitera un effort soutenu.

Le sénateur Atkins : Dans quelle mesure la topographie influe-t-elle sur la question de ses missions? Les talibans se cachent dans les collines et ne portent pas d'uniformes.

Lgén Gauthier : Nous composons avec cette situation. Nous avons diverses capacités. Nos soldats se rendent dans ces collines, parfois à pied, parfois là où les VBL III ou les RG31 Nyala ou les hélicoptères peuvent les amener.

La topographie influe beaucoup sur nos opérations. Nous en tenons compte dans nos plans et dans la façon dont nous équipons nos troupes. Nous en tenons compte dans nos méthodes d'opération et dans nos tactiques.

Le sénateur Atkins : N'avez-vous pas besoin d'aéronefs?

Lgén Gauthier : Nous avons des aéronefs. Il y a un nombre important d'hélicoptères qui appartiennent à la coalition.

Le sénateur Atkins : Pouvons-nous y déployer des CF-18?

Lgén Gauthier : Je suppose que oui, ce serait possible. Ce n'est pas vraiment une priorité pour l'OTAN, qui n'a pas jugé qu'il serait utile pour le Canada d'en fournir. Mais peut-être un jour, plus tard.

Le sénateur Atkins : Au bulletin de nouvelles, hier soir, on a parlé du déploiement de cinq nouveaux Sea King. Compte tenu du bilan des Sea King ces dernières années, je ne suis pas certain que cela rassure ceux qui suivent la situation de près.

Serait-il possible pour le Canada d'acheter des hélicoptères de série usagées pour cette mission?

Lgén Gauthier : Heureusement, moi, je dirige la mission outre-mer et je n'ai pas à acheter l'équipement. Je m'en remets à d'autres plus compétents que moi à cet égard, monsieur le sénateur.

Le sénateur Atkins : Vous souhaitez posséder les instruments vous permettant de remplir votre mission, n'est-ce pas?

Lgén Gauthier : Actuellement, en Afghanistan, nous avons affaire à une opération de coalition. Cela étant, qu'il s'agisse de l'opération Enduring Freedom d'aujourd'hui, ou de la FIAS de demain, les pays participants apportent diverses capacités à l'opération. Certains fournissent des hélicoptères. Ce serait très bien de pouvoir compter sur notre propre matériel d'appui garanti mais nos troupes se déplacent en hélicoptère.

Le président : Si vous aviez des hélicoptères canadiens sous la commande de Canadiens, mais tout d'abord, voulez- vous dire que vous avez à votre disposition tous les hélicoptères dont vous avez besoin actuellement?

Lgén Gauthier : Il vous faudrait poser la question au commandant de la coalition, car cela relève de lui sur le terrain. C'est lui qui réunit les partenaires de la coalition.

Le président : Voulez-vous dire qu'il ne vous le dirait pas?

Lgén Gauthier : Je soupçonne qu'il dirait qu'il a besoin de beaucoup plus d'hélicoptères, car on n'en a jamais assez.

Le président : Voici une deuxième question : si des hélicoptères étaient déployés par les Canadiens et si, Dieu nous en préserve, compte tenu des ressources limitées, il fallait choisir entre l'évacuation d'un Canadien blessé ou, par exemple, l'évacuation d'un Américain blessé, où l'appareil irait-il d'abord?

Lgén Gauthier : C'est une situation hypothétique que nous n'avons encore jamais rencontrée. Chaque fois que nous avons dû évacuer des blessés par la voie des airs et, malgré la géographie et la topographie dont le sénateur Atkins a parlé, quel que soit l'endroit où il fallait prendre charge d'un blessé et où il nous fallait un hélicoptère, nous l'avons obtenu en quelques minutes, tout comme ce fut le cas au cours des 12 dernières heures quand un de nos VBL III et un groupe de soldats ont fait face à des difficultés.

Le président : Manifestement, tout commandant préférerait que cet équipement relève de son commandement, n'est- ce pas?

Lgén Gauthier : Si nos hélicoptères participaient à l'opération, ce serait dans le cadre de la coalition. Ils seraient logés à la même enseigne que tous les autres hélicoptères de l'opération. Ils feraient partie des ressources de la coalition, sous le contrôle en dernier ressort du commandant multinational, qui est un Canadien, pour l'heure.

Le sénateur Atkins : Qu'est-ce qu'un hélicoptère élévateur à moyenne levée?

Lgén Gauthier : C'est un appareil qui peut transporter une pièce d'artillerie que l'on peut transporter par voie aérienne. C'est un appareil qui peut transporter ou soulever tout un peloton d'infanterie et son équipement. On peut comparer la taille d'un tel appareil à l'hélicoptère polyvalent de transport plus léger que les Forces canadiennes possèdent actuellement.

Le sénateur Atkins : Est-ce que le Sea King a cette capacité?

Lgén Gauthier : Encore une fois, il vous faudrait poser la question aux gens de l'armée de l'air. Je sais que c'est une chose que l'on a envisagée. Je ne connais pas très bien le dossier du Sea King auquel on a fait allusion au cours des 12 dernières heures dans les médias. Sénateur, je crains de ne pas pouvoir vous aider à cet égard.

Le sénateur Atkins : J'aurais toute une autre série de questions à poser. Pourquoi ne préparez-vous pas et ne diffusez-vous pas à l'intention du public canadien un communiqué militaire hebdomadaire sur ce qui se passe en Afghanistan?

Lgén Gauthier : C'est une question intéressante. Indirectement, car cela n'émane pas directement de nous, vous pouvez lire, certainement tous les deux jours, ce qui se passe sur le théâtre des opérations en Afghanistan et les opinions de nos soldats et de nos officiers. Vous pouvez lire des comptes rendus de notre mission en Afghanistan qui vous donnent une idée assez juste de ce qui s'y passe.

Cela dit, je reconnais que si nous avions une communication plus proactive et que si la chaîne de commandements donnait son opinion sur l'évolution de la situation, cela serait utile aux Canadiens et au gouvernement. Nous revenons à la question de la mesure de notre succès et de ce que nous en faisons.

Le sénateur Atkins : Les médias nous présentent leur propre point de vue des choses. J'aurais cru qu'il était important que nos forces armées présentent un communiqué officiel. Cela n'aiderait-il pas à former l'opinion publique?

Lgén Gauthier : C'est difficile à dire. J'ai été assez impressionné par l'objectivité de la couverture médiatique depuis quelques mois. Je ne pense pas qu'elle ait déformé la perception du public quant à notre façon de procéder pour accomplir notre mission en Afghanistan. De façon générale, les médias ont rapporté les faits et les comptes rendus sont essentiellement positifs.

Le sénateur Atkins : Jusqu'à présent, à mon avis, le public ne considère pas cela comme une guerre qui nous appartient. Le gouvernement va devoir demander des fonds supplémentaires pour augmenter les ressources en hommes et en équipement. N'est-il pas important que le gouvernement sache ce qui se passe, ce dont vous avez besoin et à quel point vous réussissez à atteindre vos objectifs?

Lgén Gauthier : Vous m'entraînez encore une fois dans des considérations qui échappent à mon domaine de compétence. En bout de ligne, le ministre, le CEMD et le sous-ministre, de concert avec les autres membres du gouvernement, décideront de la meilleure façon de communiquer les progrès en Afghanistan.

Le sénateur Moore : Merci d'être venu. J'essaie de comprendre ces sigles.

Qu'est-ce que la FIAS et qu'est-ce que l'ERP?

Lgén Gauthier : La FIAS est la Force internationale d'assistance à la sécurité, sous le commandement de l'OTAN. ERP signifie Équipe de reconstruction provinciale et il y en a une douzaine aux quatre coins de l'Afghanistan.

Le sénateur Moore : Y a-t-il plus d'une équipe par province?

Lgén Gauthier : Non, pas plus d'une par province, mais certaines opèrent actuellement dans le cadre de l'opération Enduring Freedom, mandat dont s'acquitte une coalition dirigée par les États-Unis, mais d'autres équipes dans le Nord et dans l'Ouest opèrent sous mandat de la Force internationale d'assistance à la sécurité. Toutes les ERP poursuivent essentiellement le même objectif.

Le sénateur Moore : C'est le volet développement des 3D, n'est-ce pas?

Lgén Gauthier : C'est cela. Il s'agit d'un développement qui ne se borne pas à l'aspect social ou économique. L'ERP met l'accent sur la constitution d'une capacité.

Le sénateur Moore : Une capacité à faire quoi?

Lgén Gauthier : La capacité d'aider la police nationale afghane ou le gouverneur à édifier des institutions gouvernementales au niveau provincial afin qu'elles puissent s'imbriquer dans les divers éléments nationaux qui sont basés dans la province de Kandahar. Il s'agit d'aider le ministre de l'Intérieur, le ministre de l'Éducation, et les autres — il s'agit d'aller dans le sens de ce que veulent accomplir les leaders provinciaux et d'y donner un prolongement dans les districts et les villages.

Le sénateur Moore : Petite question : Je suppose que le président Karzaï a des gardes du corps, n'est-ce pas?

Lgén Gauthier : Je ne peux pas vous confirmer quoi que ce soit à cet égard mais je suppose que logiquement, oui.

Le sénateur Moore : Est-ce que ce sont nos troupes ou les Américains qui fournissent ce service?

Lgén Gauthier : Ce ne sont certainement pas nos troupes. Nous n'avons rien à faire là-dedans.

Le sénateur Moore : Est-ce que ce sont les troupes afghanes qui fournissent cette protection?

Lgén Gauthier : Je ne saurais vous dire, monsieur.

Le sénateur Moore : À quel moment aura lieu la prochaine rotation des troupes canadiennes?

Lgén Gauthier : Vers le mois d'août.

Le sénateur Moore : Quelle unité sera déployée?

Lgén Gauthier : Le Premier bataillon du Royal Canadian Regiment, entre autres, partira en août. L'unité d'infanterie qui sera le noyau du groupe tactique d'infanterie sera dirigée par l'officier commandant du Premier bataillon du Royal Canadian Regiment de Petawawa. Toutefois, nombre d'autres unités, essentiellement de Petawawa, participeront au déploiement.

Le sénateur Moore : Y aura-t-il des forces d'opérations spéciales dans la zone de responsabilité canadienne en Afghanistan et qui ne relèveraient pas de sa compétence?

Lgén Gauthier : Des forces spéciales canadiennes? Absolument pas.

Le sénateur Moore : Y aura-t-il des forces spéciales d'autres pays avec lesquelles il devra compter?

Lgén Gauthier : En tant que commandant canadien, pas nécessairement. S'il y a des forces spéciales canadiennes sur le théâtre des opérations en Afghanistan, elles seront effectivement, du point de vue national, sous commandement national, de sorte qu'il sera certainement au courant.

Le président : Mon général, les membres du comité s'inquiètent énormément du chevauchement entre le commandement américain et celui de l'OTAN, car ce dernier va entrer en action sous peu. Il semble que les conditions soient bizarres, car il y aura deux forces sur le même territoire — en fait, sans doute trois forces, si on tient compte de l'armée afghane. Le comité envisage des défis extraordinairement difficiles pour les commandants qui voudront s'assurer qu'il n'y aura pas de tirs fratricides ou de situations où il y aurait des tirs amis.

D'une part, mis à part le fait que les Américains ne souhaitent pas que d'autres commandent leurs forces, pouvez- vous expliquer pourquoi on choisit une structure si compliquée? Deuxièmement, comment vos gens ont-ils l'intention de faire pour éviter ces accidents effroyables?

Lgén Gauthier : Sénateur, je tiens tout d'abord à dissiper un malentendu en ce qui concerne le refus des Américains que leurs forces soient commandées par d'autres. Aujourd'hui en Afghanistan, le brigadier général Fraser a sous son commandement un bataillon d'infanterie américain.

Le président : Je veux bien, mais nous sommes allés au Congrès et nous avons constaté que là-bas on fait un acte de foi. Il s'agit de sauver la face, de temps à autre, mais, au bout du compte, on vous expliquera également que hiérarchiquement, au-dessus du Canadien, il y a un Américain quelque part dans la chaîne de commandement.

Lgén Gauthier : C'est juste, mais votre remarque laissait sous-entendre que la principale source d'inquiétude provenait des Américains. Je ne vais pas essayer d'interpréter ce que vous avez dit.

Le président : Je vais m'exprimer autrement. Manifestement, en Afghanistan, les Américains ont des objectifs différents, qui vont au-delà de ceux que l'OTAN veut atteindre. Par conséquent, leur structure de commandement est différente mais, les uns et les autres doivent partager le même théâtre des opérations.

Lgén Gauthier : Encore une fois, vous m'amenez à parler de choses qui vont bien au-delà du domaine des opérations. Mais je répondrai volontiers à la question jusqu'à un certain point pour vous donner une idée de la situation.

L'Afghanistan est un endroit complexe, et comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, c'est l'opération la plus complexe que nous ayons entreprise au cours des 50 dernières années. Elle est d'une complexité sans borne étant donné les divers facteurs qui interviennent, qui sont liés essentiellement à l'Afghanistan et à toute la gamme des défis, ce que nous comprenons assez bien. À cette complexité, s'ajoutent des intervenants internationaux qui participent soit au développement, soit à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ces activités ne sont absolument pas liées aux opérations militaires de la coalition. L'imbrication des intérêts de l'OTAN et de ceux de la coalition qui participent à l'opération Enduring Freedom, dirigée par les Américains, donne lieu à une dynamique qui fera en sorte que cet été, il y aura une chaîne de commandement parallèle que l'OTAN souhaite tout autant que les Américains, étant donné la nature des opérations que l'organisation souhaite entreprendre en Afghanistan.

Il faut dire qu'il y a certains genres d'opérations que l'OTAN va s'abstenir d'entreprendre. Ainsi, pour les opérations antiterroristes — parce que nous faisons tous partie de l'OTAN — nous avons déclaré collectivement que nous ne nous sentions pas à l'aise en tant que pays de l'OTAN de nous engager à cet égard, ce qui signifie que les Américains de fait — et c'est tant mieux selon moi — ont accepté de continuer de les mener à bien.

Enfin, pour la dernière partie de votre question, l'essentiel est de savoir, et vous l'avez dit, comment tirer le meilleur parti de l'arrangement complexe qui existera cet été. À cette fin, nous avons pris diverses mesures. Cela fait assurément l'objet de discussions quotidiennes au fur et à mesure que nous nous approchons de la période de transition entre l'opération Enduring Freedom et la FIAS afin de garantir la pleine coordination des activités de manière à ce qu'une force, agissant parallèlement mais de façon non synchronisée avec l'autre, ne nuise pas trop à cette dernière. Tout le monde est conscient du danger et on en discute abondamment. On a discuté de la structure du quartier général de la FIAS et de ses rapports avec l'opération Enduring Freedom. Il y aura intégration des fonctions des officiers. Les Américains vont être intégrés à certains postes pour garantir l'harmonie entre les deux opérations. Il faudra faire de même pour la région Sud également.

Ce ne sera pas facile. Ce sera un défi.

Le président : Assurément, mais vous venez de dire qu'un commandant canadien saurait qu'une force spéciale canadienne opère sur son territoire mais qu'il pourrait ignorer qu'une force spéciale américaine ou autre opère au même endroit. Comment concilier cela avec ce que vous venez de décrire?

Lgén Gauthier : Encore une fois, cette question est hypothétique jusqu'à un certain point. S'agissant de l'avenir, les volets des forces d'opérations spéciales de la capacité partagée entre l'opération Enduring Freedom et la FIAS n'ont pas encore été complètement élaborés. Je ne vais pas développer davantage étant donné que nous sommes en séance publique. On a déjà prévu des mesures de coordination. Il faudra des mesures pour ceux qui assument des responsabilités multinationales afin de garantir la visibilité des activités.

Si j'ai répondu comme je l'ai fait à votre question précédente, c'est parce que dans la mesure où un officier canadien est en charge, et non pas un officier multinational, il n'aura pas nécessairement besoin de savoir si des opérations spéciales sont menées, à moins évidemment qu'elles le soient dans sa zone de responsabilité.

Le sénateur Moore : Vous avez dit que l'opération Enduring Freedom était une coalition dirigée par les Américains en opération en Afghanistan depuis 2001. Vous avez parlé de la stratégie canadienne de retrait de l'Afghanistan. L'opération Enduring Freedom est-elle soumise à un échéancier? Y a-t-il une date butoir?

Lgén Gauthier : Je ne peux pas répondre à cette question parce que cette opération est dirigée par les Américains et qu'en ce qui nous concerne, nous procéderons à la transition avec l'OTAN sous peu. Je ne me suis pas intéressé de très près à ce qu'il adviendra à long terme de l'opération Enduring Freedom.

Le sénateur Moore : Nous sommes sur le terrain en tant que participant depuis 2001, n'est-ce pas?

Lgén Gauthier : Oui.

Le sénateur Moore : Après le 1er janvier 2006, le Pacte pour l'Afghanistan durera encore cinq ans. Nous aurons été sur le terrain 10 ans. Je reviens à ce que le sénateur Atkins vous demandait tout à l'heure. Les troupes russes ont été sur place pendant 20 ou 22 ans. En 2011, nous aurons été là-bas pour la moitié de cette durée. Pensez-vous que nous réussirons là où les autres ont échoué? Le cas échéant, sur quoi fondez-vous votre opinion?

Lgén Gauthier : Oui je le pense, si non, à mon avis, nous ne ferions pas ce que nous faisons. Nous sommes en Afghanistan à l'invitation d'un gouvernement élu démocratiquement. Nous sommes là-bas pour aider la population d'Afghanistan et pour appuyer le gouvernement de ce pays. Ce n'était pas le cas des Russes.

Le sénateur Moore : Je comprends. Si, à la fin du Pacte pour l'Afghanistan, nous décidons que tous les succès escomptés ont été obtenus et que nous nous retirons, pensez-vous que la population afghane pourra compter sur l'aide nécessaire pour se gouverner et poursuivre dans une voie démocratique? Pensez-vous qu'elle évitera de régresser vers la domination de factions tribales constituées de seigneurs de la guerre comme par le passé? Nous sommes en butte à des milliers d'années de tradition.

Lgén Gauthier : Cinq ans, ce n'est pas bien loin.

Le sénateur Moore : Je sais.

Lgén Gauthier : Nous aurons envoyé des troupes à Chypre pour la première fois en 1964 et il y en a encore qui sont déployées là-bas. J'ai dirigé la première unité envoyée dans les Balkans en 1992, et nos forces sont encore présentes dans les Balkans. Il a fallu du temps pour réhabiliter ce qui était une société relativement avancée. Je ne m'étonne pas à l'idée qu'il faudra peut-être plus de 10 ans pour réhabiliter l'Afghanistan après tout ce que ce pays a connu. Selon moi, c'est logique. Je n'ai pas de boule de cristal pour prédire l'avenir de l'Afghanistan. Toutefois, je sais qu'il faudra beaucoup de temps.

Le sénateur Moore : Vous êtes allé là-bas et vous avez travaillé avec les dirigeants militaires et civils de sorte que vous savez s'ils sont confiants de pouvoir réaliser ce que nous essayons de les aider à accomplir.

Lgén Gauthier : Au niveau national, depuis 12 à 18 mois, nous avons constaté des succès considérables à Kaboul. Les défis se posent désormais dans le Sud. Je ne connais pas aussi bien les succès remportés dans le Nord et dans l'Ouest, mais nous devrons relever le défi qui est d'imposer le pouvoir dans les provinces de Kandahar, Helmand et Oruzgan. Cependant, dans la province de Zabul, qui se situe au Nord-Est de Kandahar, on a pu constater effectivement un succès considérable et cette province est sur le chemin de la relance. Il nous faut faire la même chose dans les provinces de Kandahar, Helmand et Oruzgan, où les forces de la coalition sont déployées.

Le sénateur Moore : En dehors des agglomérations très peuplées comme Kaboul, comment perçoit-on les troupes canadiennes? Nous considère-t-on comme des amis ou y en a-t-il qui pensent que nous sommes des terroristes nous- mêmes?

Lgén Gauthier : Je n'ai pas une solide appréhension de cette perception. Je pense que cela varie de village en village. Avant tout, cela dépend de ce que nous faisons pour eux. Si nous ne pouvons rien faire pour eux, ces populations appuieront quelqu'un d'autre, ce qui me ramène à la notion des 3D, c'est-à-dire que nous devons offrir tous les volets afin de faire une marque appréciable dans leur vie. Si nous ne pouvons pas, et si ces populations sont encore terrorisées par les talibans, cette terreur risque de la forcer à se ranger du côté des talibans.

Le sénateur Johnson : Je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Je m'intéresse à la reconstruction de l'Afghanistan. Le sénateur Moore a abordé le sujet. Pouvez-vous m'en dire davantage sur votre équipe consultative stratégique et l'équipe de reconstruction provinciale? Vous accordez à la très petite équipe le mérite d'un travail remarquable.

Cela est lié au travail que les Forces canadiennes font au centre d'entraînement militaire de Kaboul. Comment cela s'imbrique-t-il dans le processus de reconstruction?

Vous dites qu'ils aiment travailler avec les Canadiens une fois l'entrainement terminé. Au moment où il s'agit de reconstruction, j'aimerais savoir comment les relations s'établissent à cet égard.

Lgén Gauthier : L'équipe consultative stratégique, la SAT, est une équipe relativement restreinte de 13 personnes dirigées par le col Mike Capstick et quelques lieutenants colonels. Elle est constituée essentiellement de personnel militaire soutenu par un conseiller civil, même si cela pourrait changer avec le temps.

L'équipe s'intéresse avant tout au processus et elle a travaillé avec le groupe de travail national afghan pour le développement depuis presqu'un an, au départ pour les aider à cerner la stratégie nationale afghane de développement, qui a été lancée avec succès en tant que stratégie plutôt que plan détaillé. L'accent est mis sur le processus. Cela va de la chose la plus simple, c'est-à-dire les aider à préparer une réunion avec un ordre du jour et un compte rendu. Il s'agit de leur apprendre les étapes fondamentales d'un processus de planification stratégique. On a constaté que le groupe avec lequel l'équipe travaillait avait besoin d'aide à cet égard.

Le sénateur Johnson : Est-ce que cela trouve une prolongation dans le travail que nous faisons avec les villageois?

Lgén Gauthier : Ce sera la prochaine étape. Étant donné le succès remporté avec la SAT à Kaboul et parce que l'équipe comprend bien la stratégie nationale afghane de développement au niveau national, nous envisageons de l'utiliser au niveau provincial et au niveau des districts et des villages. Nous réfléchissons notamment à propos de la province de Kandahar, à la façon dont cette formule qui a réussi pourrait les aider dans leur processus. C'est un aspect sur lequel l'ACDI et les Affaires étrangères ont réalisé de bons progrès depuis quelques mois en particulier. C'est prometteur.

Vous avez également posé une question sur l'équipe qui travaille au centre d'entraînement national. Elle joue effectivement le rôle d'intermédiaire, car en même temps que l'entraînement individuel, on donne une formation pour la constitution d'équipes, c'est-à-dire l'apprentissage des exercices militaires et des procédures pour les opérations militaires au niveau de la section, soit un groupe de 10 individus, et du peloton, avec 40 à 45 personnes. Les Canadiens aident un groupe à acquérir le processus nécessaire à la constitution d'équipes et ils travaillent avec eux lors des exercices. Je ne sais pas combien de temps dure l'entraînement. Les groupes ainsi entraînés sont intégrés aux unités aux quatre coins du pays.

Le sénateur Johnson : Combien d'Afghans participent à ce programme?

Lgén Gauthier : Des centaines. Il y a rotation à ce centre d'entraînement qui se trouve juste à l'extérieur de Kaboul. Avec cette petite équipe, nous exerçons une influence directe sur un grand nombre de ces soldats qui suivent le cursus.

Le président : Mon général, pouvez-vous nous dire quel a été le coup financier jusqu'à présent de l'opération Archer?

Lgén Gauthier : Qu'entendez-vous par « opération Archer »?

Le président : Dans son contexte le plus vaste, du début à la fin.

Lgén Gauthier : Je peux vous donner des chiffres annuels.

Le président : Ça ira.

Lgén Gauthier : Il y a l'opération Apollo, l'opération Athena — sous le mandat de la FIAS — et l'opération Archer.

Le président : Si vous avez la portion canadienne des coûts de ces opérations, cela nous conviendra.

Lgén Gauthier : Voici les coûts différentiels assumés par les Forces canadiennes depuis 2001. L'opération Apollo : 2001-2002, 191 millions de dollars; 2002-2003, 234 millions de dollars; 2003-2004, 163 millions de dollars. L'opération Athena : qui représente notre contribution principale à la FIAS, 2003-2004, 455 millions de dollars; 2004-2005, 297 millions de dollars; 2005-2006, et l'année n'est pas finie, 88 millions de dollars. L'opération Archer : 2005-2006, coût estimatif, 286 millions de dollars et 2006-2007 — c'est-à-dire à la fin du mandat précédent — 286 millions de dollars.

Le président : Comment ces coûts sont-ils calculés et signalés?

Lgén Gauthier : Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question.

Le président : Qui surveille la situation? Est-ce que ce sont des gens qui portent des verres fumés?

Lgén Gauthier : Cela se fait de diverses façons. Certains des fonds sont comptabilisés par mon équipe de contrôleurs. D'autres, suivant la nature des dépenses, sont contrôlés par divers services. D'autres par le sous-ministre adjoint au matériel; d'autres par le sous-ministre adjoint à la gestion de l'information ou le sous-ministre adjoint à l'infrastructure et à l'environnement. Tout dépend de la nature précise des coûts et qui, cela étant, doit rendre des comptes pour ces fonds. Cela englobe tout, y compris les véhicules de patrouille blindés que nous avons achetés.

Le président : Cela engloberait également le matériel propre à la mission que vous venez d'acquérir, n'est-ce pas?

Lgén Gauthier : Potentiellement, oui, mais il y a aussi des coûts de maintien. La question semble simple, mais elle est en fait complexe, car elle touche les divers services des Forces canadiennes.

Le président : Pour un comité, c'est incroyablement complexe. Voilà pourquoi nous nous adressons à vous pour que vous nous aidiez.

Où trouve-t-on l'intégration de ces coûts?

Lgén Gauthier : L'intégration se fait au Quartier général de la Défense nationale, sous la responsabilité du sous- ministre adjoint (Finances).

Le président : Pouvez-vous nous communiquer l'énoncé de mission du brigadier général Fraser en Afghanistan?

Lgén Gauthier : Je suis en train de voir s'il n'y a pas des considérations de sécurité. Je n'ai pas de texte écrit sous la main, ce qui vous serait utile. Il s'agit de renseignements couverts par le secret de défense. Je vais prendre votre question en délibéré et vous fournir une version non classifiée.

Le président : Merci. Est-ce que nous pourrons déceler les parties qui seront biffées au crayon noir?

Lgén Gauthier : Je ne sais pas très bien comment on procède, sénateur.

Le président : Il est amusant d'essayer de deviner ce qui a été tronqué. Depuis qu'on lui a donné son énoncé de mission, a-t-on confié au brigadier général des tâches précises?

Lgén Gauthier : J'en ai parlé dans mon exposé liminaire.

Le président : Est-ce qu'elles y figurent toutes?

Lgén Gauthier : Oui.

Le président : La structure générale de son commandement et...

Lgén Gauthier : Excusez-moi de vous interrompre, mais à ce propos, il s'agit d'un plan de campagne élaboré des Forces canadiennes en Afghanistan, et c'est classifié. Il y a également une directive de 20 pages à l'intention du brigadier général Fraser, de ma part, qui est également classifiée. Ce sont des renseignements que nous ne souhaitons pas communiquer de façon trop claire à nos adversaires.

Le président : Mais nous sommes vos amis.

Lgén Gauthier : Il s'agit d'enjeux de sécurité opérationnelle en l'occurrence.

Le président : Je comprends.

Lgén Gauthier : Ce n'est pas aussi simple que la description que j'en ai fait dans mes remarques liminaires, mais je vous ai donné le gros des tâches que nous avons confiées au brigadier général Fraser.

Le président : Pouvez-vous nous donner un résumé de la Force opérationnelle en Afghanistan, de ses rôles, ses missions et ses diverses composantes?

Lgén Gauthier : J'ai déjà longuement abordé cela. Au niveau national, il y a le Centre d'entraînement national, que j'ai décrit, et l'équipe consultative stratégique, dont j'ai parlé. Il y a des militaires en poste à divers quartiers généraux, celui de la FIAS, celui de la coalition dirigée par les Américains et ailleurs. Ça c'est pour Kaboul même.

À Kandahar, il y a surtout les contributions canadiennes au quartier général du brigadier général Fraser, le Quartier général de la Brigade multinationale. Un escadron de soutien responsable des transmissions aide à la communication de ce quartier général. Nous avons une capacité importante que je n'ai pas décrite, il s'agit de ce que nous appelons les installations médicales de rôle 3, qui sont dirigées par le Canada. Elles se trouvent à l'aérodrome de Kandahar. Ce sont des gens qui font un travail énorme de soutien pour la coalition et les forces de sécurité afghanes. Ils ont les capacités d'effectuer des interventions chirurgicales. Pour le personnel des Forces armées canadiennes, cela signifie qu'ils peuvent stabiliser les patients afin de les déplacer.

Le bataillon d'infanterie consiste en un certain nombre de sous-unités, y compris les compagnies d'infanterie, un élément d'artillerie, un élément de génie, un élément de véhicule tactique aérien sans pilote ainsi que d'autres éléments. C'est la principale force de combat ou force opérationnelle, qui distribue les capacités dans l'ensemble de la province de Kandahar. Nous avons également un élément de commande nationale et un élément de soutien national. Il s'agit de modules de base de la force opérationnelle.

Dans l'ensemble, il y a environ 1 950 membres, plus 250 à la base de soutien du théâtre des opérations.

Le président : Qu'est-ce qui explique la différence de proportion, entre les 2 300 membres dont on a parlé et les 230 membres qui composent l'EPR? Par exemple, pourquoi l'EPR ne compte-elle pas deux fois plus de membres ou la moitié? Étant donné que la reconstruction est une grosse partie du contrat, pourquoi n'avez-vous pas besoin de plus de ressources?

Lgén Gauthier : Ce n'est pas le chiffre exact pour l'EPR. Il a dû y avoir une erreur lors de la révision de mon exposé. Au camp Nathan Smith, qui sert de base à l'EPR, nous avons un certain nombre d'éléments différents, y compris l'EPR et d'autres éléments qui travaillent avec l'EPR. Mais ils n'appartiennent pas tous à l'EPR.

À la dernière rotation, lorsque notre seule présence au Sud était l'EPR, il y avait plus de monde. Il y avait entre 230 et 250 membres. Le nombre exact de personnes qui participent physiquement à l'EPR est bien inférieur à cela, mais l'EPR fait intervenir et utilise toutes les capacités du groupement tactique afin de contribuer aux efforts de reconstruction dans la province de Kandahar. Il y a moins de 50 membres qui sont associés directement à l'EPR sous les ordres du commandant. Il n'en faut pas plus. Il suffit d'une relation claire entre le commandant de l'EPR et le commandant du groupement tactique pour qu'ils puissent soutenir leurs efforts mutuels. Ils sont complémentaires.

Le président : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi 50? En quoi est-ce le chiffre exact?

Lgén Gauthier : Le chiffre varie en fonction de notre évaluation des besoins. L'EPR comptait 250 membres avant. Mais je n'ai pas le chiffre précis. Je sais qu'il changera pour la rotation 2, à cause des leçons tirées de la rotation 1.

Le président : Est-ce qu'il augmentera ou il diminuera?

Lgén Gauthier : Il diminuera.

Le président : Pouvez-vous qualifier à l'intention du comité les relations qui existent entre les forces armées et les ONG qui travaillent dans la même région?

Lgén Gauthier : Est-ce que vous demandez si ce sont de bonnes ou de mauvaises relations?

Le président : C'est vous qui choisissez les adjectifs, mon général.

Lgén Gauthier : L'EPR travaille avec les administrateurs et les instances des provinces, puis au niveau des districts et, enfin, au niveau des villages, où les chefs des villages et les anciens des tribus jouent un rôle de décideur.

Ensemble, le groupement tactique et le leadership de l'EPR ont pour rôle de faire participer les autorités afghanes, de bien les connaître, de les soutenir, d'obtenir leur confiance et de travailler avec les ONG locales et internationales.

Nous sommes prêts à travailler avec tous ceux qui peuvent nous aider. Étant donné les problèmes de sécurité à Kandahar, la présence des ONG n'est pas très forte.

Le président : Nous avions l'impression qu'en général, les ONG et les militaires ne font pas bon ménage.

Lgén Gauthier : En théorie, c'est vrai. C'est ce que nous avons constaté par le passé. Avec le concept des EPR, nous voulons du changement. En fait, en Afghanistan, nous avons tous le même objectif, soit aider le gouvernement afghan, alors nous devrions pouvoir travailler ensemble.

Le président : Nous avions l'impression qu'ils se sentiraient compromis, comme s'ils renonçaient à leur neutralité, s'ils se rapprochaient trop des militaires.

Lgén Gauthier : C'est une théorie qui ne s'applique pas très bien à l'Afghanistan. Je ne comprends pas qu'on parle de prendre parti. Il y a le gouvernement et il y a ceux qui s'opposent au gouvernement légitimement choisi. Nous sommes là pour aider le gouvernement et nous présumons que les ONG, le milieu de l'aide internationale et du développement, sont là pour la même raison. Ce n'est donc pas comme pour une mission de maintien de la paix au sens où on l'entend habituellement, avec des belligérants des deux côtés et les ONG qui ne veulent être perçus comme favorisant l'un ou l'autre. Dans ce cas-ci, nous sommes tous là pour aider le gouvernement afghan.

Le président : Vous avez parlé de la coopération civilo-militaire. Dans l'ERT, combien de personnes ont cette spécialité?

Lgén Gauthier : Je dirais entre 15 et 20.

Le président : Sont-ils tous des réservistes?

Lgén Gauthier : Oui.

Le président : Pourquoi?

Lgén Gauthier : C'est parce que nous avons réussi à intégrer cela à la réserve. C'est toute une réussite. On y trouve des compétences qu'on ne trouve pas habituellement chez les militaires, ainsi que des compétences militaires qui permettent de faire ce qu'on demande aux officiers de COCIM et aux sous-officiers.

Le président : Lors de la dernière visite du comité en Afghanistan, nous avons rencontré un groupe de soldats canadiens. Vous dites qu'actuellement, 15 soldats assurent la formation des militaires afghans. À l'époque, nous avons rencontré un groupe de 25 Canadiens qui ne pouvaient pas former les militaires afghans, mais qui avaient été chargés de l'évaluation de la formation donnée par d'autres pays. Vous comprendrez que ce groupe de soldats canadiens était très frustré.

Les 15 soldats qui font actuellement de la formation peuvent-ils vraiment faire de la formation? Vont-ils sur le terrain avec des soldats afghans ou sont-ils plutôt des évaluateurs comme ceux que nous avons vus à Kaboul?

Lgén Gauthier : Je ne sais pas très bien qui vous avez rencontré à Kaboul, mais je peux vous dire que lors de mon avant-dernière visite en Afghanistan, j'ai passé du temps dans un secteur de formation avec des Canadiens qui assuraient la formation et le mentorat de leaders afghans et qui travaillaient avec les soldats. Ils circulaient dans les montagnes, par exemple.

Le président : C'est exactement la préoccupation des soldats que nous avons rencontrés. Ils ne pouvaient pas faire cela et trouvaient difficile d'obtenir le respect des militaires afghans du fait qu'ils ne pouvaient pas aller avec eux sur le terrain, alors que les soldats d'autres armées vivaient comme eux, prenaient les mêmes risques, gagnant ainsi, avec le temps, le respect des Afghans.

Est-ce que c'est le genre de formation que donne maintenant le groupe dont on parle?

Lgén Gauthier : Oui.

Le président : Nous trouvions que c'était un drôle d'arrangement et nous voulions savoir s'il existait encore.

Votre témoignage a été très instructif et très utile pour le comité. Je vous remercie beaucoup. Vous avez été très généreux, non seulement en témoignant deux fois mais aussi en nous laissant nous promener à votre quartier général du chemin Star Top. Cette visite en a valu la peine et nous l'avons beaucoup appréciée. Nous vous savons gré aussi de la patience et de la rigueur avec laquelle vous avez répondu à nos questions. Nous vous sommes reconnaissants de nous aider ainsi à accélérer notre apprentissage.

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir l'honorable Josée Verner, ministre de la Coopération internationale. Mme Verner a été élue à la Chambre des communes en 2006. Avant d'être députée, elle a passé près de 20 ans dans le domaine des communications et de la fonction publique. Pendant la dernière législature, Mme Verner s'occupait pour son parti des dossiers de l'Agence de développement économique du Canada, des régions du Québec ainsi que de la francophonie. Elle est aussi présidente du caucus du Québec du Parti conservateur.

Nous sommes vraiment ravis de vous accueillir aujourd'hui. C'est votre première comparution devant le comité et nous avons hâte de vous entendre.

Mme Verner est accompagnée de deux fonctionnaires de l'Agence canadienne de développement international : Hau Sing Tse, vice-président pour l'Asie, et Phillip Baker, directeur pour l'Afghanistan, l'Inde, le Népal et le Sri Lanka.

[Français]

L'honorable Josée Verner, C.P., députée, ministre de la Coopération internationale : Monsieur le président, il s'agit de ma première comparution devant ce comité et je suis heureuse de prendre la parole devant vous. Je suis très heureuse que vous ayez choisi de vous pencher sur la question de l'Afghanistan et je souhaite vous féliciter de l'excellent travail que vous réalisez.

Comme vous le savez, l'Afghanistan est un pays dévasté. Plus d'une vingtaine d'années de conflits, de violations graves des droits de la personne, de pauvreté généralisée et d'années successives de sécheresse ont conduit à la destruction de presque tous les secteurs de la société.

Depuis la chute du régime taliban, les Canadiens ont eu à cœur d'aider le peuple afghan à se relever de ses années sombres. Mais la reconstruction et le développement d'un pays ravagé comme l'Afghanistan est loin d'être une mince tâche.

Nombre de progrès ont été réalisés, mais aujourd'hui encore, les Afghans ont besoin d'appuis robustes et d'un engagement solide de la part de pays comme le Canada.

L'aide au développement que le Canada et la communauté internationale apportent à l'Afghanistan contribue au développement social et économique du pays. Elle s'inscrit dans une approche globale qui vise la création d'un État stable, démocratique et autonome.

Nous faisons partie des 36 nations qui, sous l'égide de l'ONU et de l'OTAN, ont réalisé beaucoup de progrès à ce jour. Mais jeter les bases du développement démocratique et économique prend du temps et nécessite un appui soutenu. À l'instar de nos 35 alliés, notre objectif est de faire en sorte que le gouvernement afghan puisse mettre en œuvre ses politiques et assurer la viabilité de son développement.

À cet effet, l'engagement du Canada comporte trois volets complémentaires indispensables et indissociables : l'appui à la stabilisation, la diplomatie et l'aide au développement.

Pour assurer l'atteinte de résultats durables en Afghanistan, le Canada travaille en accord avec les priorités énoncées par le gouvernement afghan dans sa Stratégie nationale de développement approuvée à Londres en janvier 2006.

Nous aidons le gouvernement afghan à étendre la portée de ces programmes aux collectivités éloignées ou vulnérables — là où la présence du gouvernement est plus faible et ne suffit pas à gagner la confiance des gens — et à faire profiter tous les Afghans des progrès positifs, palpables et durables, et ce, dans toutes les régions du pays. Ce faisant, nous favorisons la confiance dans le nouveau gouvernement, nous contribuons à rallier la population derrière celui-ci et à stabiliser le Sud de l'Afghanistan.

Notre appui au gouvernement afghan se fonde sur les valeurs canadiennes qui font notre fierté, notamment le respect des droits de la personne, l'égalité entre les sexes, la liberté de parole et la démocratie et la réduction de la pauvreté. Des principes envers lesquels le peuple afghan a démontré son engagement à maintes reprises, tout particulièrement, par l'élection d'un nouveau parlement composé par plus de 25 p. 100 de femmes.

Les progrès réalisés par les Afghans, avec le soutien de la communauté internationale, sont impressionnants. Et le Canada a été l'un des principaux partenaires à travailler à l'atteinte de ces résultats.

Le Canada contribue à changer de manière concrète et durable la condition des femmes en Afghanistan. Les Canadiens se souviennent que la Loi des talibans interdisait aux femmes de se réunir pour discuter ou d'aller à l'école. Or, aujourd'hui, grâce au soutien de l'ACDI, l'organisme Droits et Démocratie a pu ouvrir plusieurs centres pour femmes partout en Afghanistan.

Ces centres aident les femmes, en leur fournissant des services de base comme des cours d'alphabétisation et des services de santé, des services d'aide juridique ou un refuge. Ces centres travaillent également à renseigner les femmes sur leurs droits fondamentaux.

Sous le régime taliban, les femmes ne pouvaient pas subvenir au besoin de leur famille. On leur refusait l'accès au marché du travail. Aujourd'hui, grâce à l'apport du Canada, plus de 10 000 veuves ont reçu de l'aide alimentaire et plusieurs ont reçu de la formation pour les aider à obtenir des revenus et à subvenir aux besoins de leur famille. Le gouvernement actuel a récemment alloué sept millions de dollars pour ces projets.

Le Canada contribue également à améliorer la sécurité des Afghans. Chaque mois, les mines antipersonnel tuent et blessent plus de 100 personnes en Afghanistan. Elles empêchent l'accès aux terres agricoles et nuisent à la réfection des routes et des écoles. Le Canada est un chef de file de la destruction de mines. Il s'agit là d'un travail essentiel à la sécurité de tous ceux et celles qui circulent en territoire afghan. En effet, les munitions et les mines détruites grâce aux projets financés par le Canada sont de même type que celles utilisées pour attaquer les civils et les militaires, y compris des Canadiens, qui travaillent à rebâtir le pays.

De plus, le Canada, par l'entremise de l'ACDI a joué un rôle clé dans le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration en Afghanistan. Dans le cadre du programme Nouveau départ, plus de 63 000 anciens soldats ont rendu leurs armes et plus de 10 000 pièces d'artillerie lourde ont été déposées.

L'aide canadienne a permis à ces anciens soldats de réintégrer leurs familles et de reprendre une vie active au sein de leur milieu. Certains ont choisi d'ouvrir de petits commerces, d'autres travaillent à l'élimination des mines terrestres dans le pays, d'autres encore se consacre à l'enseignement pour permettre aux enfants de l'Afghanistan de bénéficier d'un avenir meilleur.

Enfin le Canada contribue à assurer que le développement sera durable. Dans cette optique, nous contribuons à développer l'entrepreneuriat et l'agriculture. Le Canada est le plus important donateur au programme de microcrédit en Afghanistan. Ce programme a déjà profité à 157 000 clients, dont une majorité, soit 78 p. 100 sont des femmes. Ces mêmes femmes qui, il y a quelques années, avaient à peine le droit de sortir de chez elles, lancent maintenant des petits commerces de vente au détail, des épiceries ou des ateliers de confection. L'obtention de prêts et surtout le remboursement de ces prêts permet aux bénéficiaires de reconquérir leur dignité et de renforcer leur confiance personnelle.

L'ACDI appuie également le Programme national de solidarité, par l'entremise duquel les conseils de village élus, composés tant d'hommes que de femmes décident eux-mêmes des infrastructures à construire dans leur milieu. Ainsi, des écoles, des routes et des puits ont été construits là où les gens en avaient besoin.

Le Canada continuera d'offrir son appui aux programmes publics nationaux et aux initiatives de partenaires qui ont fait leurs preuves. Nous continuerons à jouer un rôle prépondérant dans la promotion du processus démocratique et nous continuerons de nous inspirer des réussites à l'égard de la sécurité, de la primauté du droit, du développement social et de l'amélioration du statut socio-économique des femmes, y compris l'éducation de base.

En s'engageant sur la voie de la démocratie, de la protection des droits de la personne et de la lutte contre la pauvreté, l'Afghanistan vie actuellement un chapitre déterminant de son histoire. Malgré les progrès qu'ils ont accomplis, ils ont toujours besoin de notre appui.

En aidant à la création d'un Afghanistan stable, démocratique, autonome et basé sur une économique légale, le Canada contribue à faire en sorte que plus jamais il ne serve de refuge aux terroristes et met en place les conditions favorables au développement durable.

Les Canadiens ont raison d'être fiers de toutes nos réalisations. Je suis impatiente de connaître vos observations et conseils relatifs à l'aide du Canada en Afghanistan.

Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Merci d'être venue aujourd'hui. Il y a une chose qui intéresse le comité, c'est l'engagement envers la stratégie des 3D. En repassant la documentation, je crois constater que nous avons dépensé beaucoup en Afghanistan, et pourtant, dans les textes de l'ACDI, on ne trouve pas grand-chose sur la façon dont cet argent a été dépensé. Pourriez-vous nous dire à quoi a servi cet argent, particulièrement pour les régions qui suscitent beaucoup d'intérêt, comme Kandahar.

[Français]

Mme Verner : L'ACDI complète présentement son exercice d'allocation pour l'Afghanistan pour l'année en cours. Le scénario présentement en discussion pour nos investissements de la somme de 90 millions prévus pour les programmes nationaux cette année, hors des programmes spécifiques pour Kandahar, est le suivant : pour les programmes nationaux de développement rural, 15 millions; pour le remboursement des coûts opérationnels du gouvernement afghan à travers un fonds d'affectation spécial de la Banque mondiale, jusqu'à 15 millions; sécurité, c'est-à-dire le déminage, destruction des munitions, jusqu'à dix millions; primauté du droit et gouvernance, jusqu'à 12 millions; microcrédit, qui bénéfice surtout aux femmes, jusqu'à 12 millions; les moyens de subsistance alternatifs et formation professionnelle pour les femmes, les programmes mis en œuvre par l'entremise de partenaires canadiens, cinq millions; initiative d'éducation de base pour les filles, trois millions; le restant alloué, 18 millions.

L'ACDI se doit de pouvoir répondre rapidement à de nouvelles initiatives qui pourraient être proposées par le gouvernement afghan ou des partenaires canadiens ou internationaux. C'est pourquoi une somme reste à allouer.

Je peux peut-être compléter, pour Kandahar. Voici : l'ACDI dépensera initialement six millions de dollars à la programmation de projets émanant de l'Équipe de reconstruction provinciale — l'ERP —, le programme de renforcement de la confiance envers le gouvernement fait partie du travail de l'Équipe de reconstruction provinciale du Canada à Kandahar.

En fait, je pourrais préciser que la contribution de l'ACDI à Kandahar représente environ dix p. 100 du budget total.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Pouvez-vous expliquer les 15 millions de dollars destinés à la Banque mondiale? Vous avez parlé d'un total de 90 millions de dollars; qu'est-ce que cette somme de 15 millions de dollars?

[Français]

Mme Verner : Pour la Banque mondiale? Des 15 millions de dollars, une partie va pour le microcrédit et, si vous voulez compléter, l'autre partie, c'est —

[Traduction]

Hau Sing Tse, vice-président, Direction générale de l'Asie, Agence canadienne de développement international : Il s'agit du Programme national de solidarité. Ces programmes sont destinés à soutenir la vie rurale. Ils sont conçus et mis en œuvre par le gouvernement afghan, en collaboration avec la Banque mondiale.

Le sénateur Campbell : L'argent va à la Banque mondiale, qui, avec le gouvernement afghan, décide de ce qu'on en fera. Est-ce que cette somme s'ajoute aux 10 millions de dollars destinés au microcrédit?

M. Tse : Oui.

Le sénateur Campbell : Au sujet de la stratégie des 3D, quand les militaires font leur travail dans un milieu rural, il me semble qu'immédiatement après, quand le calme est revenu, l'ACDI devrait arriver pour montrer qui nous sommes, pas seulement des militaires, mais aussi des bâtisseurs. Est-ce ainsi qu'on fait?

Vos collaborateurs peuvent très bien répondre.

[Français]

Mme Verner : Je peux dire, en introduction, que compte tenu de la fragilité de l'État, il n'y a pas d'aide au développement qui peut se faire en Afghanistan sans la sécurité apportée par nos troupes là-bas.

[Traduction]

Phillip Baker, directeur général, Direction de l'Afghanistan, de l'Inde, du Népal et du Sri Lanka, Agence canadienne de développement international : Il y a aussi ce concept du soutien ultérieur, soit celui de l'ACDI qui arrive après les militaires. Il y a le soutien simultané, comme nous faisons à Kandahar, où il y a des activités simultanées des militaires, des diplomates des Affaires extérieures et des agences de développement de l'ACDI. Tout dépend de la situation, côté sécurité, dans un contexte donné, dans un secteur de l'Afghanistan.

Le sénateur Campbell : L'ACDI ne rechigne pas à travailler avec les militaires, même si ce n'est pas de manière permanente. Est-ce ce que vous nous dites?

M. Baker : Oui. Je le répète, c'est une question de contexte. Ainsi, à Kandahar, c'est grâce aux militaires que les responsables de l'ACDI ont accès aux secteurs peu sûrs où il faut administrer des programmes de développement. Cette façon de faire a été choisie par le cabinet et par le Canada et prouve son efficacité.

M. Tse : J'aimerais ajouter que la principale raison d'être des ERT, c'est de créer un lien entre le gouvernement central et les régions. En soi, la stabilité ne suffit pas. Il faut que les gens voient leur vie s'améliorer. Il ne faut donc pas qu'un soutien ultérieur, mais simultané. À mesure que s'améliorent la sécurité et la stabilité, le développement peut aussi se faire.

Le sénateur Campbell : C'est une bonne nouvelle. Certains pensaient que si l'ACDI travaillait avec l'armée, elle serait perçue comme faisant partie de l'opération militaire plutôt que de l'opération civile, qui vise à reconstruire le pays et non pas à le contrôler.

Vous nous avez fourni la liste des programmes de l'ACDI. Pouvez-vous nous expliquer la structure organisationnelle de l'ACDI en Afghanistan?

M. Baker : Nous avons une équipe au quartier général et une autre sur le terrain. Au quartier général, il y a un groupe de gestionnaires de projets et d'analystes ainsi que des gestionnaires, de façon plus générale. Sur le terrain, nous avons à Kaboul un chef de l'aide — ce qui se produit généralement dans tous les pays où l'ACDI est présente — qui supervise l'application opérationnelle du programme. Sous les ordres de ce chef de l'aide, il y a deux autres agents de l'ACDI et quatre membres du personnel local. C'est l'équipe que nous avons à Kaboul, qui travaille évidemment en étroite collaboration avec l'ambassadeur du Canada en Afghanistan.

Il y a aussi une personne que l'on appelle le conseiller au développement, qui travaille avec le brigadier général Fraser à l'aérodrome de Kandahar. Cette personne est chargée de conseiller l'armée sur le volet développement des approches militaires et elle assure la liaison avec les autres conseillers au développement de la région. Enfin, il y a un directeur du développement qui est basé au sein même de l'EPR. Deux membres du personnel local l'accompagnent. Dans les deux prochains mois, deux agents de l'ACDI renforceront notre présence au sein de l'EPR.

Le sénateur Campbell : Comment l'ACDI se rend-elle dans les villages pour déterminer ce qu'elle peut faire pour les aider? Vous rendez-vous dans les villages avec l'armée pour parler aux anciens et aux chefs? Comment faites-vous pour déterminer quelle est la meilleure façon d'utiliser vos ressources et vos connaissances?

M. Tse : Le rôle le plus important pour les agents de l'ACDI, c'est celui de facilitateur. L'ACDI doit consulter les aînés et les collectivités, mettre en évidence les initiatives, écouter leurs priorités, gagner leur soutien et consulter les femmes, afin de prendre compte de leur avis dans ce processus. C'est pourquoi nous jouons un rôle de facilitateur.

[Français]

Mme Verner : En intégrant toute la communauté, toute la collectivité du village, pour être certain de répondre aux besoins du village, c'est comme cela que l'on convainc les gens de croire dans le processus démocratique, de croire dans les programmes nationaux du gouvernement.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Je crois avoir obtenu réponse à ma question, qui consistait à savoir si les agents de l'ACDI intervenaient avec les forces armées, rencontraient les chefs pour ensuite prendre des décisions. En réalité, ils sont sur le terrain lorsque les forces armées arrivent.

M. Baker : L'approche la plus efficace semble être lorsque les Afghans sont les facilitateurs et qu'ils obtiennent l'information des Afghans dans les villages. C'est comme ça que nous avons conçu nos programmes dans l'EPR. Le programme fonctionne mieux lorsque ce sont les Afghans eux-mêmes qui rapportent cette information, la partagent avec les villages et font participer les villageois. Ils travaillent avec l'ACDI, le gouvernement et les élus locaux afin de déterminer quelles sont les approches qui reflètent le mieux les priorités des villages.

Le sénateur Campbell : Je comprends. Est-ce que les agents de l'ACDI à Kandahar rapportent cette information au quartier général de Kaboul avant qu'une décision soit prise?

M. Baker : Il y a deux façons de prendre des décisions : le commandant du camp de l'EPR peut travailler en étroite collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, la GRC et l'ACDI pour prendre des décisions d'ordre opérationnel, et les décisions d'ordre politique sont renvoyées par le biais du quartier général. Le rôle de Kaboul, par le truchement de l'ambassadeur et de notre personnel de l'ACDI sur place, est un rôle de liaison avec les programmes nationaux. Il s'agit de nous assurer que les activités menées à Kandahar s'intègrent bien avec ce qui se fait ailleurs au pays.

Le président : Nous croyions qu'il n'y avait pas d'agents de l'ACDI à Kandahar pendant les quatre premiers mois de l'année. Est-ce exact?

M. Baker : Il y avait un agent de l'ACDI sur place. Le directeur du développement est parti en août 2005 et y est resté pendant l'automne. Ensuite, il a pris un court congé au milieu de l'hiver, mais il y est retourné depuis.

Le président : D'où vient l'information au sujet des quatre mois? Était-ce simplement une fausse rumeur? On nous a dit qu'il n'y avait personne de janvier à mars.

M. Baker : De la mi-janvier, pendant environ 6 semaines, notre directeur du développement était à Ottawa pour des consultations; il s'est absenté pendant six semaines.

Le président : Nous avons cru comprendre que c'était pour des raisons de sécurité; est-ce exact?

M. Baker : Ce n'était pas vraiment pour des raisons de sécurité, mais plutôt pour évaluer la situation. Il valait mieux que la personne la plus directement impliquée dans ce projet soit présente lors de nos consultations à Ottawa.

Le président : Nous avons eu énormément de difficulté à obtenir des détails sur le financement envoyé à Kandahar. Nous avons des chiffres pour l'ensemble du pays, mais nous avons du mal à obtenir les chiffres qui correspondent à la province seulement. Y a-t-il une raison pour cela? Nous avons présenté plusieurs demandes, sans succès, pour l'instant.

[Français]

Mme Verner : Tel que je le mentionnais tout à l'heure, l'ACDI dépensera six millions de dollars à la programmation de projets émanant de l'Équipe de reconstruction provinciale. Il y aura notamment le Programme de remboursement de la confiance envers le gouvernement qui fait partie du travail de l'équipe de reconstruction provinciale du Canada à Kandahar. C'est le processus qui était expliqué tout à l'heure, où l'on consulte l'ensemble de la communauté afin que la communauté elle-même décide quels seront les projets qu'elle veut mettre de l'avant.

[Traduction]

Le président : Serait-il possible de fournir au comité une liste des projets que nous finançons à Kandahar, ainsi que leur coût et leur durée?

[Français]

Mme Verner : Oui, d'accord.

[Traduction]

Le président : Ce qui nous inquiète, c'est qu'il y ait un décalage entre le moment où les troupes canadiennes arrivent sur place et le moment où les gens de la place perçoivent que leur vie s'améliore. Les chiffres que nous avons obtenus sont malheureusement nationaux. D'après ce qu'on avait compris, la majorité du financement canadien va en réalité à des programmes qui financent le pays tout entier, et non uniquement la province de Kandahar. Est-ce que j'ai raison de parler d'un manque de décalage et de dire que le financement ne va pas précisément à la province de Kandahar mais plutôt au pays tout entier?

[Français]

Mme Verner : Quatre-vingt-dix millions de dollars vont à l'ensemble des programmes nationaux, et 10 p. 100 sont consacrés à Kandahar. Je ne sais pas si vous voulez compléter ma réponse?

[Traduction]

M. Baker : En outre, il faut garder à l'esprit que les programmes nationaux atteignent Kandahar. Ainsi, lorsque le Canada et l'ACDI appuient les programmes nationaux, nous appuyons également Kandahar. Le Canada et l'ACDI ont également lancé plusieurs autres initiatives axées sur cette province qui ont cours actuellement. Ces projets impliquent une planification consciencieuse et efficace. Le programme visant à établir la confiance envers le gouvernement et les activités axées sur l'autosuffisance sont menés uniquement à Kandahar comme projets pilotes pour le reste du pays. Ils sont bien avancés et seront appliqués sous peu.

Le président : Lorsque vous nous fournirez les documents relatifs au projet, au calendrier et au financement, sera-t-il possible de fournir également au comité vos indicateurs de succès? De quelle façon déterminez-vous qu'un programme fonctionne, que vous obtenez les résultats escomptés et que les contribuables canadiens en ont pour leur argent?

[Français]

Mme Verner : Suite à l'entente de la communauté internationale avec le gouvernement afghan, des critères de performance ont été établis. Il y a une quarantaine de critères. Les projets sont évalués en vertu de ces critères qui ont été ciblés.

[Traduction]

M. Tse : J'ajouterais qu'une fois que l'on a établi une base comme celle de Kandahar et que nous avons obtenu des résultats, nous pouvons augmenter nos efforts proportionnellement. Nous travaillons avec prudence depuis le mois d'août de l'année dernière et nous faisons participer les personnes locales dans cette région, mais il faut du temps pour faire du réseautage et apprendre à connaître les anciens et les représentants provinciaux.

C'est à ce moment-là que nous commençons à mettre en place nos programmes et au fur et à mesure des résultats, nous nous tournons vers d'autres régions.

Le président : Pouvez-vous donner au comité des exemples d'indicateurs de succès? Prenez n'importe quel projet et donnez-nous des exemples des indicateurs que vous employez pour déterminer si des projets fonctionnent.

M. Baker : Nous tiendrions compte de plusieurs facteurs : la conception et l'application adéquate du projet compte tenu d'un calendrier précis; plusieurs intervenants de la communauté déterminerait si vous avez respecté ces calendriers; quelle est la part du projet qui est terminée à une date précise. En outre, des groupes indépendants, comme les ministères du gouvernement, se rendraient sur place pour vérifier que chaque étape a été complétée conformément au plan prévu. S'il y a des retards, ils chercheraient à savoir pourquoi. Nous utiliserions un système de localisation GPS et des méthodes de vérification comptable et budgétaire pour nous assurer que les fonds sont employés tel que prévu pour le projet déterminé. De plus, la communauté s'auto-surveillerait.

Lors de notre conférence sur le travail du gouvernement, les chefs des villages locaux ont dit que les projets étaient nécessaires dans leurs villages et qu'ils travailleraient fort pour s'assurer qu'ils soient livrés à temps et respectent le budget prévu.

Le président : Si 90 p. 100 de votre financement se fait à l'échelle nationale, a-t-on des statistiques ventilées de façon à mesurer quel financement va à la province de Kandahar?

[Français]

Mme Verner : Pour compléter, nous faisons affaire également avec des organismes telle la Banque mondiale, qui elle- même a des critères d'imputabilité très sévères. Ces organisations qui sont en partenariat avec nous ont elles-mêmes des critères très précis pour mesurer l'efficacité.

[Traduction]

Le président : Je répète ma question : si 90 p. 100 de votre financement va aux programmes nationaux, avez-vous des chiffres qui vous permettent de mesurer l'incidence de ces programmes pour la province de Kandahar uniquement?

M. Tse : À mesure que nous obtenons de l'information de la Banque mondiale et des pays donateurs au sujet du programme national, nous devrions pouvoir déterminer quelle proportion ira à Kandahar.

Le président : Pourrez-vous également déterminer quels seront les résultats de ces programmes?

M. Baker : Je vais répondre à votre question en vous donnant un exemple. Pour le Programme de solidarité nationale, un des programmes nationaux les plus fructueux de l'Afghanistan, nous gardons des chiffres rigoureux sur les projets prioritaires précis de chaque village. Par exemple, nous faisons un suivi du nombre d'écoles construites en Afghanistan, du nombre d'écoles construites par les projets militaires à impact rapide ou par d'autres et nous comparons ces chiffres à ceux du programme national. Nous comparons également les coûts et les moyens utilisés pour des projets comme la construction d'une école, par exemple, par le biais du Programme de solidarité nationale ou d'une autre méthode. Les résultats, y compris ceux de la province de Kandahar, sont surveillés.

Le président : Monsieur Baker, est-ce une réponse hypothétique ou est-ce que vous avez ces chiffres avec vous aujourd'hui?

M. Baker : Par exemple, 3 000 écoles ont été construites en Afghanistan ces dernières années. Parmi celles-ci, 700 ont été construites par le biais du Programme de solidarité nationale et environ 20 se trouvent dans la province de Kandahar.

Le président : Nous demandons à l'ACDI ce genre d'informations depuis plusieurs semaines afin de faire de cette réunion une réunion plus productive. Jusqu'ici, nous n'avons pas pu obtenir ces chiffres. Peut-être que nous frappions à la mauvaise porte. Pouvez-vous nous dire à qui nous devrions adresser nos demandes dorénavant, à moins qu'il ne s'agisse d'informations récentes de la dernière semaine?

M. Baker : Je reviens à peine de Kandahar et de Kaboul, où j'ai rencontré plusieurs ministres du cabinet du gouvernement afghan. Vous avez la primeur en ce qui concerne les chiffres que je viens de vous donner, en quelque sorte. Je pourrais consulter nos collègues du cabinet afghan pour obtenir davantage de statistiques, notamment celles qui vous intéressent.

M. Tse : Il existe également un comité de donateurs associé au gouvernement afghan qui surveille l'application de la stratégie nationale de développement. Par le biais de ce processus, nous aurions suffisamment de masses critiques pour surveiller plus précisément, au cours du temps, les résultats des différents programmes.

Le président : Avez-vous l'intention de rendre cette information disponible aux comités comme le nôtre ou au public canadien de façon permanente? Le cas échéant, à quelle fréquence sera-t-elle rendue publique? Tous les mois, tous les trimestres?

[Français]

Mme Verner : Je ne peux vous dire à quelle fréquence, mais il est certain que compte tenu de l'importance de cette mission, on a tout avantage à communiquer les résultats qu'on obtient là-bas. À quelle fréquence pourrait-on donner les chiffres au comité?

[Traduction]

M. Tse : Pour l'instant, c'est la Banque mondiale et les agences des Nations Unies qui nous fournissent un aperçu de la situation. À mesure que le comité dont j'ai parlé tout à l'heure fera de la surveillance et des rapports de façon plus régulière, nous saurons à quelle fréquence nous pourrons rendre ces chiffres publics. Je pense qu'ils seront rendus publics au moins une fois par an. Cependant, au cours d'une année, certains étalons et points de référence seront...

Le président : Je puis vous dire qu'une fois par année, c'est tout à fait insatisfaisant. Ce que nous voulons, c'est une fréquence bien supérieure. Ce qui nous inquiète, c'est que nos troupes soient considérées comme des troupes d'occupation si l'aide ne suit pas assez rapidement. Mais si l'aide arrive peu après les troupes, la population associera l'amélioration de ses conditions de vie à la présence des Canadiens. Nous croyons que l'amélioration des conditions de vie à Kandahar grâce à ces programmes aura un effet sur la sécurité des troupes.

Madame la ministre, pourriez-vous vous engager à ce que des rapports soient présentés plus d'une fois par année?

[Français]

Mme Verner : Oui, je peux m'engager à le faire.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Monsieur Baker, vous avez dit qu'on construisait 3 000 écoles en Afghanistan. Quand ce projet a-t-il été entrepris?

M. Baker : Depuis les événements du 11 septembre.

Le sénateur Moore : Quel autre chiffre avez-vous mentionné?

M. Baker : Sept cents écoles ont été construites dans le cadre du Programme de solidarité nationale.

Le sénateur Moore : Le Canada participe à ce programme, n'est-ce pas?

M. Baker : C'est l'un des programmes nationaux que le Canada appuie chaudement. Grâce à cette approche nationale, l'Afghanistan peut prendre à son compte ces initiatives.

Le sénateur Moore : Vous avez dit, je crois, que 20 de ces écoles construites par ce programme sont situées à Kandahar même. Est-ce exact?

M. Baker : C'est exact.

Le sénateur Moore : Quelle somme le Canada a-t-il versé à ce titre? Avons-nous payé ces 20 écoles à Kandahar? Avons-nous payé une partie des 700 écoles? Avons-nous conservé des chiffres à ce sujet?

M. Baker : L'argent versé par le Canada est centralisé dans les programmes nationaux. Au prorata, le gouvernement de l'Afghanistan veille à la distribution de cet argent en fonction des priorités, en étroite collaboration avec les organisations des Nations Unies ou avec la Banque mondiale. Dans le cas du Programme de solidarité nationale, par exemple, la directive prévoit un versement d'environ 50 000 $ US par village. C'est l'objectif que s'est fixé le programme pour tout l'Afghanistan. Jusqu'à présent, le programme a aidé environ 12 000 villages.

Le sénateur Atkins : Madame la ministre, merci d'être venue nous rencontrer cet après-midi. Êtes-vous allée en Afghanistan?

[Français]

Mme Verner : Pas encore.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Vos deux collègues s'y sont-ils rendus?

M. Tse : Oui.

M. Baker : Oui.

Le sénateur Atkins : Qui est chargé de distribuer les fonds dans les villages?

[Français]

Mme Verner : Ce sont les ONG.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Quelqu'un doit bien être chargé de prendre les décisions au sujet des déboursements, n'est-ce pas?

M. Baker : C'est probablement dans le cadre des choura de village — où les anciens du village établissent les priorités.

Le sénateur Atkins : Avez-vous un dossier quelconque sur les réussites obtenues grâce à l'utilisation de ces fonds?

M. Baker : Oui, les programmes nationaux ont remporté un grand succès tant pour ce qui est de l'utilisation des fonds que pour l'absence de détournement de ces fonds. Les chiffres ont été vérifiés par la firme Price Waterhouse Coopers, qui agit à titre de comptable pour la Banque mondiale, par le truchement de la fiducie de reconstruction de l'Afghanistan, organisme qui est chargé du Programme de solidarité nationale et du MISFA, c'est-à-dire le Mécanisme de microfinancement et de soutien en Afghanistan.

Le sénateur Atkins : Quel genre de réussite peut-on obtenir dans ces villages? Vous parlez des écoles, mais quels autres projets jugez-vous importants?

[Français]

Mme Verner : Il y a des projets d'alternative à l'agriculture, par exemple à la culture du pavot pour donner la chance aux agriculteurs qui ne veulent pas tomber dans le panneau de la drogue et subvenir à leurs besoins. Il y a des projets de ce genre. Le microcrédit a donné de l'aide à environ 157 000 personnes dont 78 p. 100 était des femmes. Des femmes en ont profité dans les villages pour démarrer de petits commerces ou encore des ateliers de confection. Dans un village, on nous a rapporté qu'une dame avait acheté une machine à coudre et a permis à quatre autres de le faire également et elles font de la couture dans le village. Ce sont des exemples de projets très concrets qui permettent aux villages de s'en sortir et de stimuler une économie à la hauteur du village.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Vous avez parlé du pavot. Quelles sont les cultures de remplacement?

[Français]

Mme Verner : Céréalières, en particulier comme le maïs, le blé, les légumes. Dans les villages évidemment, lorsque toute la communauté d'un village décide de se doter d'un projet d'irrigation, cela bénéficie à l'ensemble de ceux qui veulent s'adonner à l'agriculture.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Il y a beaucoup de mines terrestres dans cette région. Favorisez-vous des programmes de détection des mines?

[Français]

Mme Verner : Oui effectivement, nous avons un programme à ce sujet. Il est très important évidemment pour la population afghane qui est en reconstruction, de s'attaquer à ce problème. On a un projet de 30 millions de dollars pour le déminage de sol dans la période de 2002 à 2006, sur une période de quatre ans.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Travaillez-vous de concert avec l'armée locale et avec nos propres forces sur le terrain?

[Français]

Mme Verner : Avec les Nations Unies.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Que fait l'ACDI pour favoriser la démocratisation? Existe-t-il un programme qui va des échelons supérieurs jusqu'aux villages?

[Français]

Mme Verner : Oui, effectivement il y a des campagnes d'information et de sensibilisation. Le gouvernement à participé également aux dernières élections. Le groupe parlementaire en Afghanistan est composé de plus de 25 p. 100 de femmes, presque 27 p. 100. Or, les parlementaires ont tous été élus démocratiquement, le président également. On donne de l'information également sur le fonctionnement du Parlement.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Participez-vous à des programmes liés au développement durable? Flora MacDonald, une grande dame du Canada, a travaillé en Afghanistan. Votre organisation l'encourage-t-elle dans ses déplacements en Afghanistan?

M. Tse : Oui, j'ai eu un grand nombre de réunions et de moments très agréables avec Mme MacDonald au cours des dernières années. Nous avons beaucoup parlé de l'Afghanistan. Elle connaît très bien le développement durable. Nous participons à certains projets du secteur de l'agriculture, mais pour l'instant, nos efforts et les efforts internationaux sont principalement concentrés sur la question de la subsistance. Il est certain que même dans un tel travail de développement communautaire, nous tenons compte des aspects environnementaux.

Le sénateur Atkins : Que pense l'ACDI de l'efficacité du principe des EPR? Est-ce un bon programme ou avez-vous des réserves à ce sujet? Qu'en pensez-vous?

[Français]

Mme Verner : C'est un beau concept qui intègre les différentes vues du travail qu'on veut faire en Afghanistan et notre employé qui est présentement dans l'équipe de reconstruction s'affaire à créer des liens avec la population. L'important pour nous, c'est de donner confiance à la population, de lui montrer que la démocratie fonctionne. On me dit également que la population afghane apprécie notre intervention là-bas, évidemment.

[Traduction]

M. Tse : Dans un pays comme l'Afghanistan, si l'on veut des équipes de ce genre, c'est principalement pour faire le lien entre le centre, d'une part, et les provinces et les districts locaux, d'autre part. Il faut que le développement et la stabilité soient instaurés dans ces régions pour que le pays puisse bénéficier d'un gouvernement stable, pour que la guerre cesse, et cetera. C'est une très bonne solution, compte tenu de l'absence d'un soutien militaire général de l'OTAN dans tout le pays. À l'heure actuelle, il y a 22 EPR, et d'autres viendront s'y ajouter dans les prochains mois.

M. Baker : Permettez-moi d'ajouter un dernier facteur. Nous avons rencontré des représentants du Royaume-Uni et de la Hollande afin d'étudier l'approche de développement que ces pays utilisent dans leurs EPR qui sont présentes dans la province de Helmand et à Uruzgan. Les Hollandais et les Britanniques sont forts intrigués par le programme canadien visant à établir la confiance envers le gouvernement afghan, mis en œuvre par nos EPR. L'ambassadeur américain à Kaboul vient d'annoncer que cette initiative canadienne est l'approche la plus innovatrice en matière de développement pour une EPR. Nous estimons que nous sommes sur la bonne voie dans ce domaine.

Le sénateur Atkins : Deux de vos collègues sont allés sur le terrain, mais vous n'avez pas dit combien de représentants de l'ACDI sont actuellement en Afghanistan.

[Français]

Mme Verner : Nous avons trois employés permanents basés à Kaboul et quatre engagés au niveau local. À Kandahar, nous en avons deux.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Y sont-ils postés de façon permanente?

M. Tse : Oui.

Le sénateur Atkins : Ces personnes ont-elles besoin d'une formation spéciale?

[Français]

Mme Verner : On s'assure que les employés qui sont là-bas ont l'entraînement nécessaire et requis pour travailler dans des conditions plus difficiles.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Reçoivent des cours de langue?

M. Baker : Notre but est surtout de les entraîner à travailler dans un milieu hostile afin qu'ils puissent comprendre les risques qu'ils prennent, de même que les protocoles et réactions à appliquer en fonction de ces risques. Nous nous entraînons également conjointement avec le ministère de la Défense nationale, le personnel des Forces canadiennes qui sera aussi déployé à Kandahar, ainsi qu'avec des collègues des Affaires étrangères et de la GRC. L'idée, c'est de bâtir une équipe dynamique et que chacun comprenne la mission des autres avant même d'arriver sur le théâtre des opérations à Kandahar.

Le sénateur Atkins : Vous avez expliqué à mon collègue comment l'argent était distribué. Pourriez-vous nous donner de nouveau cette explication, d'où vient ce financement et comment il aboutit au niveau local?

[Français]

Mme Verner : De façon globale, ce qu'on a dit c'est qu'on assure un financement de 100 millions de dollars par année. Quatre-vingt-dix millions de dollars vont dans les programmes nationaux; ceux-ci couvrent l'ensemble du territoire, y compris Kandahar. En complément, 10 p. 100 du budget va à Kandahar. C'est le portrait global du financement qu'on a en Afghanistan. Peut-être que mon collègue peut répondre de façon plus pointue.

[Traduction]

Le sénateur Atkins : Je comprends la situation pour ce qui est de l'amont.

M. Baker : Vous voulez savoir ce qui se fait en aval?

Le sénateur Atkins : C'est exact.

M. Baker : Il est essentiel de comprendre ce qui se fait en amont, car l'objectif, c'est que ces programmes soient conçus par l'Afghanistan et que le pays les prend à son compte. C'est ce qui assure leur viabilité. Si vous suivez la chaîne, vous constatez que des ministères gouvernementaux sont chargés de différents portefeuilles de secteurs, comme au Canada. Par exemple, la reconstruction rurale est chargée de mettre en œuvre le Programme de solidarité nationale. Par le truchement des administrateurs nationaux et provinciaux, ils approchent les villages pour déterminer quelles sont les priorités. Cette information est ensuite compilée par les districts, puis par les provinces, avant d'être acheminée au niveau gouvernemental. Tout cela relève des bureaucraties des ministères du gouvernement afghan.

Le sénateur Atkins : Les ONG au niveau local doivent faire leur proposition à qui?

M. Baker : La choura du village détermine quels projets seront adoptés et le confirme avec le chef du programme — par exemple, la reconstruction rurale correspond à un ministère — puis l'ONG locale choisie fera une soumission et sera le contacteur qui mettra en œuvre le programme.

Le sénateur Atkins : Qui vérifie que l'argent est utilisé à bon escient?

M. Baker : Le Fonds d'affectation spéciale pour la reconstruction de l'Afghanistan et la Banque mondiale, par exemple, pour les programmes nationaux sous leur gouverne. Le ministère chargé de l'activité dans le village intervient également. Songez, par exemple, au ministère de la reconstruction rurale et du développement.

Le sénateur Atkins : Est-ce que la Banque mondiale a une équipe en Afghanistan?

M. Baker : La Banque mondiale travaille avec une entreprise de vérification et de comptables indépendants, comme Price Waterhouse Coopers.

M. Tse : Nous examinons la question du point de vue de la comptabilité et de la capacité d'octroyer des fonds reliés aux programmes nationaux. La Banque mondiale en a la capacité et l'infrastructure. De plus, elle a les moyens de faire intervenir bon nombre d'entreprises comptables pour mettre en œuvre l'infrastructure nécessaire à l'évaluation, pour contrôler les reçus et toutes sortes de questions connexes en Afghanistan. Au fil du temps, lorsque les programmes nationaux entreront dans la prochaine étape, nous allons pouvoir considérer d'autres capacités institutionnelles et initiatives gouvernementales.

Le sénateur Norman K. Atkins (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Je viens d'assumer le rôle de président suppléant, et je cède la parole au sénateur Johnson.

Le sénateur Johnson : Je suis ravie de vous rencontrer aujourd'hui, madame la ministre. Vous avez parlé de beaucoup de choses. J'aimerais féliciter l'ACDI pour son travail hors pair.

Quelle formation donne-t-on au personnel de l'ACDI avant qu'il soit envoyé en Afghanistan? Reçoit-il de la formation? Est-ce que ces personnes proviennent des domaines dans lesquels nous nous impliquons et nous engageons? Comment sont-elles formées?

[Français]

Mme Verner : Pour ce qui est de l'entraînement général que les gens reçoivent, comme M. Baker le disait, on les entraîne à travailler dans un milieu de travail difficile, à anticiper les réactions. Peut-être que M. Baker peut donner plus de détails sur les formations spécifiques aux employés. On s'assure, cependant, que les employés aient la bonne formation avant de les envoyer travailler là-bas.

[Traduction]

M. Baker : Notre efficacité commence dès le processus de recrutement, lorsque les employés de l'ACDI travaillent sur le programme afghan. Particulièrement à Kandahar, et aussi en quelque sorte à Kabul, le milieu est très hostile.

L'expérience des spécialistes en développement est cruciale. Nous faisons appel à des intervenants qui ont une expérience. Ils ont souvent travaillé en Asie du Sud, dans nos programmes au Pakistan ou au Bangladesh. Ils s'agit de spécialistes en développement aguerris. Ils travaillent à divers niveaux du programme, et nous avons aussi des personnes novices qui nous appuient à l'administration centrale. Ils y collaborent avec des personnes expérimentées, telles que le directeur de l'aide et le personnel de Kaboul, qui connaissent très bien le développement. Grâce à leur formation en développement, leur formation académique et leur expérience, ils sont tout à fait prêts à relever ces défis.

M. Tse : De plus, nos collègues du ministère de la Défense nationale ont des programmes destinés au personnel civil qui doit travailler dans des milieux à haut risque et à haute sécurité. Nous nous appuyons sur ces programmes. Nos homologues britanniques leur fournissent également une formation, car ils travaillent dans le même milieu à haut risque. Les forces armées ont plusieurs modules. Au besoin, nous y envoyons également nos jeunes agents.

Le sénateur Johnson : Combien de femmes prennent part à ce type de travail?

M. Baker : Les femmes sont majoritaires pour le moment. Notre directeur d'aide est une femme, ses deux agentes sont également des femmes et notre conseiller au développement à l'aérodrome de Kandahar est également une femme. Près de la moitié de mon équipe à l'administration centrale est féminine.

Le sénateur Campbell : Ça fonctionne.

M. Baker : Elles comptent parmi les membres les plus intelligentes de l'équipe.

Le sénateur Johnson : Merci beaucoup pour vos observations. Ainsi, le travail dans les centres de femmes fonctionne très bien.

Je ne m'étais pas rendu compte qu'il y avait près de 29 millions d'habitants en Afghanistan. Leur moyenne d'âge est d'environ 17 ans. L'espérance de vie est d'environ 42 ans. Est-ce exact?

M. Baker : Environ 44.

Le sénateur Johnson : Les femmes ont également un taux de mortalité élevé au cours de leur grossesse. Est-ce toujours le cas?

M. Baker : Oui.

Le sénateur Johnson : Y a-t-il des programmes de l'ACDI dans les centres pour femmes? Je sais que nous consacrons beaucoup de temps à ces programmes. Étant donné que ce sont les femmes qui mènent la maison et élèvent les enfants, les familles de demain, je crois qu'il faudrait se concentrer sur elles dans la reconstruction de l'Afghanistan. Pouvez- vous m'en parler davantage?

Je sais également qu'il y a du travail effectué en ce qui concerne l'aide juridique, le droit des femmes, les foyers sécuritaires, les veuves, il doit y avoir énormément de veuves en Afghanistan, ainsi que les services médicaux.

Est-ce qu'il y a beaucoup de filles qui retournent à l'école? Pouvez-vous m'en parler davantage ou avez-vous dit tout ce que vous aviez à dire?

[Français]

Mme Verner : Avec plaisir. Pour ajouter à vos remarques, on dit aussi qu'une femme afghane sur cinq décède de complications reliées à la grossesse. Je pense que tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut améliorer les conditions de vie des femmes là-bas.

Nous avons, entre autres, le programme de micro-financement en Afghanistan. Tout d'abord, je pense que la première chose à faire c'est encore d'informer les femmes sur leurs droits. On a un organisme, qui s'appelle Droit et démocratie, qui fait ce travail-là. Les femmes elles-mêmes en parlent ensuite à d'autres, le disent à leurs filles; elles envoient leurs filles à l'école, c'est comme cela que, entre autres, les femmes prennent leur place tranquillement en Afghanistan. Nous avons un programme de micro financement en Afghanistan de l'ordre de 52 millions de dollars, comme nous l'avons dit tout à l'heure; plus de 157 000 clients s'en sont prévalus, 78 p. 100 étaient des femmes. Cette donnée est extrêmement importante.

Vous avez raison, l'espérance de vie d'une femme en Afghanistan est de 44 ans. Il y a évidemment toute une éducation à donner en matière de soins de base.

Rappelons aussi qu'il y a plus de quatre millions d'enfants inscrits à l'école dont le tiers représente des filles. Ces filles reçoivent toutes les informations relatives à leurs droits. Il y a également le Fonds de promotion des droits de la femme jumelé à une contribution de l'ACDI de 1,75 million de dollars. Le Centre des droits de la personne et du développement démocratique fait valoir les droits des femmes par l'entremise de ce fonds de promotion.

L'appui aux médias reçoit une contribution de l'ACDI de 2,8 millions de dollars. Ce projet a formé des femmes dans le domaine des communications et des médias et ce, dans les régions rurales où la plupart des familles ont accès à une chaîne radio.

Les 90 millions dollars dont nous parlions plus tôt comprennent aussi un fonds d'initiative d'éducation de base pour les filles de l'ordre de trois millions de dollars. Beaucoup de travail se fait présentement et nous nous attendons à des résultats. Ce sera un long processus mais nous n'avons pas le droit d'abandonner les femmes afghanes. Je vous rappelle que plus de 25 p. 100 des parlementaires sont des femmes.

[Traduction]

Le sénateur Johnson : C'est encore plus que ce que nous avons. C'est fantastique. Ces données m'encouragent parce que nous ne savons jamais dans quelle mesure ces programmes fonctionnent, ici. Il faut que Canadiens connaissent ces données, parce que nous appuyons cette mission de tout notre cœur pour le bien-être des Afghans et la démocratisation du pays.

En ce qui concerne la sécurité, j'ai été ravie de voir les initiatives mises en œuvre pour les mines antipersonnel. C'est essentiel. Y a-t-il moins de blessures et moins d'enfants qui sont mutilés par ces mines terrestres? Avons-nous fait des progrès? J'espère que oui. J'imagine que s'ils sont sensibilisés, ils comprendront mieux comment agir. Qu'en est-il de ce dossier?

[Français]

Mme Verner : J'ajouterais qu'il y a aussi un programme de 10 millions de dollars qui vise le déminage et la destruction des munitions.

[Traduction]

Le sénateur Johnson : J'ai lu sur la démobilisation de 63 000 anciens combattants. Une personne moyenne aurait vécu environ 25 ans de guerre. Qu'en est-il du retour à la vie de simple citoyen? Pouvez-vous nous en parler?

[Français]

Mme Verner : Différents programmes d'information visent à accueillir ces anciens combattants. Il y en a maintenant 63 000 et parmi eux, certains se sont dirigés en agriculture, d'autres ont intégré le village au niveau commercial, tandis que d'autres occupent d'autres fonctions. Peut-être que M. Baker dispose de plus d'informations.

[Traduction]

M. Baker : Le Canada a travaillé de très près avec le Japon, un des chefs de file en matière d'appui du gouvernement afghan. Il existe un programme intitulé Programme Nouveau départ pour les Afghans, qui est axé sur le désarmement et la démobilisation, et sur la réintégration dans la collectivité. En effet, il faut préparer les collectivités à recevoir ces personnes ainsi qu'à préparer les personnes à réintégrer les communautés.

De plus, il existe également un programme sur le désarmement des groupes armés illégaux. Des combattants et des milices armés et illégaux qui circulent dans le pays. Il s'agit d'un programme de suivi afin de réintégrer ces individus et d'encourager le désarmement. Le Canada est un joueur clé dans ce programme.

Le sénateur Johnson : Ce sont d'excellentes nouvelles.

Maintenant, en ce qui concerne le trafic de stupéfiants. Allons-nous encourager les Afghans à pratiquer d'autres types d'agriculture? Bien que les pavots soient magnifiques, est-ce que les Afghans font encore majoritairement pousser du pavot ou procèdent-ils à un type d'agriculture plus diversifiée. Qu'en est-il de ce dossier? Je suis particulièrement intéressé à savoir ce qui se passe au niveau local avec les Afghans.

[Français]

Mme Verner : Le commerce de la drogue en Afghanistan représente une sérieuse menace et un défi. Cependant, nous avons récemment annoncé que nous investirions 27 millions de dollars pour offrir aux Afghans et aux habitants de la province de Kandahar d'autres moyens de subsistance que la culture illégale du pavot.

Le montant de 27 millions de dollars est distribué de la façon suivante : une contribution au fonds d'affectation spécial pour la lutte contre les narcotiques, un programme de moyens de subsistance alternatifs à Kandahar. Il s'agit d'un projet de 18,5 millions sur une période de trois à cinq ans. Enfin, il y a un projet de renouvellement communautaire en Afghanistan et des moyens de subsistance alternatifs de 7 millions de dollars sur trois ans.

Comme je le mentionnais précédemment, des alternatives s'offrent aux Afghans pour l'agriculture. On a parlé du blé et des légumes et ces alternatives ont pour but de leur montrer les bienfaits d'une agriculture saine.

[Traduction]

Le sénateur Johnson : Est-ce que l'infrastructure est renforcée par le développement d'un accès aux marchés pour les récoltes? J'imagine que tout ça est interrelié.

M. Tse : Oui, ça aide. À la lumière de notre expérience en Colombie et dans le Nord de la Thaïlande, nous savons qu'il faut des interdictions, une réforme de la justice criminelle, une diminution de la demande ainsi que des moyens de subsistance alternatifs. Ces éléments doivent coexister et le travail doit s'échelonner sur une période de 15 à 25 ans pour qu'il réussisse. Nous sommes d'ailleurs en train de travailler sur ces activités économiques de remplacement.

Le sénateur Johnson : Ma dernière question concerne le programme de microcrédits. Je ne suis pas sûr de comprendre comment il fonctionne. Pourriez-vous m'expliquer les avantages de ce programme pour ses clients? S'agit- il d'un service d'épargnes et de crédits pour le démarrage d'entreprises?

[Français]

Mme Verner : Effectivement, ces sources de financement sont disponibles. La majeure partie du financement provient de la Banque mondiale si je ne m'abuse, et le financement aide les Afghans à débuter une petite entreprise.

Je donnais l'exemple tantôt d'une Afghane qui s'est achetée une machine à coudre et qui en a convaincu trois ou quatre autres. Ensemble, elles ont bâti un petit atelier de confection dans leur village. Les données disponibles présentement confirment que 99 p. 100 des prêts sont remboursés par les Afghans parce que, pour eux, c'est une question de fierté.

[Traduction]

Le sénateur Johnson : La fierté, bien entendu, serait engendrée par le Programme de solidarité nationale, n'est-ce pas? Car, en matière de construction, ils ont leur mot à dire quant au réaménagement de leurs collectivités. Est-ce que tout est en place et fonctionnel?

[Français]

Mme Verner : C'est déjà en place et cela fonctionne bien. En intégrant l'ensemble de la communauté, les aînés ainsi que les femmes dans la prise de décisions concernant les projets de structures de leur village, on obtient de meilleurs résultats. Par exemple, un village afghan qui choisit de construire son école la protégera très certainement contre quelque bris que ce soit.

[Traduction]

Le sénateur Johnson : Il serait intéressant de s'y rendre et de le constater. Je vous remercie beaucoup de vos réponses.

Le sénateur Moore : En mars 2006, 40 millions de dollars supplémentaires ont été affectés par l'ACDI à l'Afghanistan. Cela a fait passer le montant total versé entre 2001 et 2009 à 656,5 millions de dollars, ce qui établit le niveau de financement de l'exercice financier en cours à 100 millions de dollars. S'agit-il de nouveaux fonds ou d'un prolongement de l'engagement financier fait par le gouvernement précédent?

[Français]

Mme Verner : Il s'agit d'une réallocation budgétaire à l'intérieur de notre budget. Nous nous sommes engagés pour l'année 2006-2007, mais également jusqu'en 2011, pour un montant de 100 millions de dollars par année. Il faut comprendre que ce qui avait été consenti dans les dernières années, c'est une aide décroissante, c'est-à-dire 100 millions de dollars; cette année aurait dû être de l'ordre de 60 millions de dollars, l'année d'après de 50 millions de dollars, et finalement de 40 millions.

Or, les sommes supplémentaires investies et annoncées visent à combler la différence pour atteindre les 100 millions de dollars par année jusqu'en 2011.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Ces montants, qui font passer le total à 100 millions de dollars par an, sont-ils de nouveaux fonds ou plutôt une réaffectation?

[Français]

Mme Verner : C'est une réallocation à l'intérieur de notre...

[Traduction]

M. Tse : Une partie est attribuable à la croissance habituelle, qui se situe à 8 p. 100, et une partie provient d'une affectation interne.

Le sénateur Moore : Il ne s'agit donc pas d'une nouvelle affectation mais plutôt d'un remaniement de vos propres fonds.

M. Tse : Ce sont de nouveaux fonds dans la mesure où ils découlent d'une croissance annuelle de 8 p. 100.

Le sénateur Moore : J'étais un peu perplexe. Vous, madame la ministre, ou quelqu'un d'autre, a indiqué, à un moment donné, que Kandahar bénéficie de 6 millions de dollars par an aux fins des EPR, et que 10 p. 100 de l'enveloppe globale est affectée à Kandahar. Est-ce exact que le montant total versé au pays par an est de 100 millions de dollars et que Kandahar en reçoit 10 p. 100? S'agit-il de 10 p. 100? C'est-à-dire de 10 millions de dollars? J'ai entendu parler d'un montant de 6 millions de dollars.

M. Baker : Il faut se rappeler que jusqu'à présent, c'est nous qui utilisons ces chiffres. N'oubliez pas qu'on vient de mettre sur pied l'EPR. Jusqu'à présent, environ 90 p. 100 des 100 millions de dollars versés par l'ACDI ont été affectés aux programmes nationaux. On commence tout juste de verser ces fonds à l'EPR. On prévoit débourser 6 millions de dollars dans le cadre de ces programmes cette année financière. Jusqu'à présent, environ 90 millions de dollars ont été versés aux programmes nationaux et à peu près 10 millions de dollars ont été affectés à d'autres fins.

Le sénateur Moore : Est-ce que les 10 millions de dollars comprennent les 6 millions de dollars?

M. Baker : Les 10 millions de dollars ne comprennent pas les 6 millions de dollars. L'affectation de 6 millions de dollars est nouvelle, car l'EPR est nouvelle. Cette année, on prévoit affecter, en gros, 6 millions de dollars à l'EPR, en plus, comme l'a indiqué la ministre, du programme de subsistance alternative, qui vise uniquement Kandahar et qui s'élève à 18,5 millions de dollars sur trois ans. Vous allez constater tous les ans une affectation d'environ 8 à 10 millions de dollars au profit de l'EPR.

Le sénateur Moore : Si 90 p. 100 du financement accordé par l'ACDI est versé aux programmes nationaux, comment le citoyen afghan moyen saura-t-il qu'une partie du financement dont il bénéficie provient du Canada et des Canadiens?

M. Baker : Nous avons précisé qu'il s'agit, d'abord et avant tout, de programmes nationaux de propriétés et de gestion afghanes. Ce qui importe plus, c'est que les Afghans sachent qu'il existe un gouvernement central et démocratique et qu'il y a des avantages qui atteignent même leur village.

De plus, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Il y a le président Karzaï lui-même et son cabinet qui félicitent le Canada de son rôle de leader dans des secteurs comme le micro-financement et le déminage. Les membres du cabinet eux-mêmes travaillent avec leurs directeurs à Kandahar, dans le secteur du développement rural, par exemple — et eux aussi communiquent l'idée que le Canada a une approche différente.

L'initiative sur le gouvernement est une nouvelle façon de faire innovatrice et elle est meilleure que d'autres approches déjà utilisées. Vous entendrez sans cesse les instances féliciter le Canada, même l'ambassadeur américain à Kaboul. On est très heureux de cette initiative, y compris au niveau des villages. Lorsque nous visitons les villages, ils collaborent avec nos représentants de l'ACDI. Ce qu'ils aiment du Canada, c'est le simple fait que nous les laissons parler, nous respectons leurs priorités et nous collaborons avec eux pour que les programmes offerts soient en fait des programmes « afghans ». Les Afghans sont en quelque sorte les auteurs des programmes, ce qui a avantagé dans une large mesure nos activités en Afghanistan.

Le sénateur Moore : Les fonctionnaires savent que les ressources financières viennent du Canada, tout comme le président, le cabinet et les membres du conseil du village. Mais qu'en est-il des citoyens? Le savent-ils? Dans l'affirmative, comment l'ont-ils appris? Comment les renseigne-t-on?

M. Tse : Vous venez d'identifier un des éléments du fonctionnement des 3D. Nous avons des troupes canadiennes qui sont là pour assurer la stabilité du Sud du pays; nous avons une aide au développement qui finance les programmes assurés par les Afghans. C'est le genre d'images et de messages que nous devons véhiculer, pas simplement au Canada, mais également en Afghanistan.

Le sénateur Moore : Je comprends le principe, mais comment les simples citoyens de l'Afghanistan, ceux qui ont accès à l'aide, peuvent-ils savoir que la source de financement est le Canada?

Et qu'est-ce qu'une choura?

M. Baker : Une choura, c'est le nom qu'on donne au conseil de village qui est composé d'anciens de la tribu; et la participation à ce conseil n'est pas fondée exclusivement sur l'âge. Les villages sont administrés par ces anciens. Lorsqu'ils se réunissent, on appelle ça une choura. Lors des choura, on discute de l'ordre de priorité des programmes qui seront financés. Lorsqu'un ancien se rend à une choura, il a déjà consulté la population du village. Quand il retourne dans son village, il fera part aux villageois des discussions qui ont eu lieu. C'est une façon de communiquer et de diffuser l'information et c'est un aspect culturel unique que l'on retrouve en Afghanistan.

Le sénateur Moore : Lorsqu'ils retournent dans leur communauté, ils rendent compte de ce qui s'est passé.

M. Baker : Comme M. Tse l'a signalé, lorsque vous avez une approche à 3D, le secteur diplomatique, le ministère de la Défense nationale et l'ACDI travaillent de façon cohérente et concertée, et à chaque fois qu'ils se rendent dans les villages, ils répètent le même message : « Livré de façon afghane par le Canada. Nous appuyons vos priorités. »

Le sénateur Moore : J'aimerais aborder quelque chose qu'a mentionné le sénateur Johnson en ce qui a trait au microfinancement. Lorsqu'un citoyen qui a reçu un petit prêt le rembourse, cet argent est-il réacheminé vers la collectivité? Vous faites signe que oui. Dites quelque chose à voix haute, s'il vous plaît, parce qu'on enregistre. Cet argent est recyclé.

M. Baker : Le programme comporte aussi un volet « économies ». Les organisations qui accordent ces prêts sont institutionnalisées au niveau local pour qu'elles deviennent indépendantes à long terme.

Le président suppléant : Au nom du comité, je tiens à remercier la ministre et ses collègues d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Espérons que vous pourrez revenir témoigner devant le comité pour nous faire part des réalisations de l'ACDI. Les renseignements que vous nous avez fournis aujourd'hui seront fort utiles.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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