Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 26 mars 2007
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit ce jour à 10 h 5 afin d'étudier, en vue d'en faire rapport, la politique de la sécurité nationale du Canada.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je m'appelle Colin Kenny et je suis président de ce comité dont je vais brièvement vous présenter les membres. Le sénateur Atkins, de l'Ontario, est vice-président du comité. Il est arrivé au Sénat après avoir passé 27 ans dans le domaine des communications. Il a été conseiller principal de l'ancien chef du parti Conservateur Canada, Robert Stanfield, du premier ministre William Davis d'Ontario et de l'ex-premier ministre Brian Mulroney.
À côté de lui se trouve le sénateur Day, du Nouveau-Brunswick. Le sénateur est président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Il est membre des barreaux du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec et membre de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Enfin, il a été président et chef de la direction de l'Association des produits forestiers du Nouveau-Brunswick.
À côté du sénateur Day se trouve le sénateur Moore, de Halifax. Le sénateur est avocat et il a beaucoup œuvré dans le milieu communautaire; pendant 10 ans, il a fait partie du conseil d'administration de l'Université St. Mary. Il fait aussi partie du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que du Comité mixte permanent du Sénat et de la Chambre des communes d'examen de la réglementation.
À ma gauche se trouve le sénateur Banks, de l'Alberta. Il est arrivé au Sénat après avoir passé 50 ans dans l'industrie du divertissement. Il est président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.
À côté du sénateur Banks, vous voyez le sénateur Zimmer, de Winnipeg. Celui-ci a eu une longue carrière dans les affaires et la philanthropie. Il a travaillé comme bénévole pour d'innombrables organismes caritatifs. Il siège au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ainsi qu'au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Chers collègues, nous accueillons tout de suite Margaret Bloodworth, conseillère nationale pour la sécurité auprès du premier ministre et Secrétaire associée du Cabinet, Bureau du Conseil privé.
Mme Bloodworth a commencé sa carrière professionnelle en 1979, à l'ancienne Commission canadienne des transports. En 1989, elle a été nommée au Bureau du Conseil privé à titre de secrétaire adjointe du Cabinet, Législation et planification parlementaire, ainsi que de conseillère. En 1994, elle a été promue au poste de sous-greffière et conseillère, Sécurité et renseignements. Elle a quitté le Conseil privé en octobre 1996 pour devenir sous-ministre déléguée aux transports. En janvier 1997, elle a été nommée sous-ministre des Transports, puis en mai 2002, sous- ministre de la Défense nationale.
Lorsque Sécurité publique et Protection civile Canada a été crée le 12 décembre 2003, Mme Bloodworth en est devenue la première sous-ministre. En mai 2006, elle a été nommée secrétaire associée du Cabinet au Bureau du Conseil privé et, le 10 octobre 2006, elle a assumé les fonctions de conseillère en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre.
Mme Bloodworth est accompagnée de Rennie Marcoux, secrétaire adjointe du Cabinet, Bureau du Conseil privé. Celle-ci a récemment été nommée à ce poste après avoir quitté le Service canadien du renseignement de sécurité où elle était responsable du secrétariat.
Margaret Bloodworth, conseillère nationale pour la sécurité auprès du premier ministre et secrétaire associée du Cabinet, Bureau du Conseil privé : Merci beaucoup de m'avoir invitée à me joindre à vous ce matin. Je suis accompagnée de ma collègue, Rennie Marcoux, qui est secrétaire adjointe du Cabinet pour les questions de sécurité et de renseignements.
[Français]
Je vais commencer par vous brosser un portrait général de mon rôle et de quelques-uns des grands défis que doit relever la collectivité de la sécurité et du renseignement à l'heure actuelle. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je vais vous parler un peu de mes antécédents.
[Traduction]
Le président a mentionné les postes que j'ai occupés au fil des années et je dois dire que la sécurité et le renseignement ont eu une place majeure dans une grande partie de ma carrière, que ce soit au ministère des Transports où je me trouvais quand les événements du 11 septembre sont survenus, ou au ministère de la Défense nationale où j'étais en poste quand nos premiers contingents de soldats sont partis pour l'Afghanistan. J'ai également été la première sous-ministre de la Sécurité publique et Protection civile Canada.
Comme vous le savez sans doute, le poste de conseiller à la sécurité nationale a été créé en 2003. Auparavant, le premier ministre était secondé par un coordonnateur à la sécurité et au renseignement qui le conseillait et le représentait aux réunions de haut niveau de la collectivité de la sécurité et du renseignement. La personne occupant ce poste était en outre chargée d'assurer la coordination des activités dans ce domaine entre les ministères et les organismes. Bien que ces activités représentent encore une partie importante de mon travail, les nouvelles responsabilités du conseiller en matière de sécurité nationale témoignent des changements qu'ont entraînés les événements du 11 septembre dans le milieu de la sécurité. Aujourd'hui, je consacre aussi du temps à des questions comme les mesures d'urgence, les cas liés à la sécurité nationale, l'établissement des priorités et le budget.
Je dirais toutefois que, dans l'ensemble, mes activités sont concentrées dans trois grands domaines : premièrement, favoriser la mise en place d'une approche cohérente et intégrée pour l'évaluation de la menace et du renseignement; deuxièmement, promouvoir une coordination efficace entre les ministères et les organismes responsables de la sécurité nationale — dont le nombre s'est accru ces dernières années; troisièmement, établir et entretenir des relations solides et productives avec nos alliés dans le domaine du renseignement.
Permettez-moi maintenant de vous dire quelques mots sur chacun de ces domaines.
Commençons par l'approche cohérente en matière d'évaluation de la menace et du renseignement. Dans le domaine du renseignement, on peut dire que la collaboration entre les organismes qui font partie de la collectivité s'est accrue considérablement depuis les événements du 11 septembre. La collectivité s'est donnée des priorités et des organismes se sont mis à travailler ensemble pour les atteindre en y consacrant les ressources nécessaires. Cette collaboration accrue a donné lieu à une amélioration significative de l'utilisation des ressources consacrées à la collecte du renseignement ainsi qu'à une production mieux coordonnée des évaluations du renseignement en provenance de toute source. Par exemple, le centre intégré d'évaluation des menaces est l'une des principales ressources de la collectivité pour évaluer les menaces qui planent sur le Canada. Sa mission principale consiste à produire des évaluations exhaustives à partir de renseignements recueillis auprès de tous les organismes. Ces évaluations sont ensuite distribuées au sein de la collectivité et aux intervenants de première ligne concernés, notamment aux organismes d'application de la loi.
Le CIEM est situé au siège social du SCRS. Les employés qui y travaillent proviennent de tous les secteurs d'activité de la collectivité. Le centre est opérationnel depuis octobre 2004. Bien qu'il joue un rôle indispensable dans le monde d'aujourd'hui et qu'il ait permis une intégration beaucoup plus efficace qu'autrefois des évaluations de la menace, il y a toujours place à l'amélioration. Le centre pourrait sans doute, par exemple, accroître sa capacité d'évaluer la menace qui pèse sur les infrastructures nationales essentielles et d'améliorer la diffusion des documents qu'il produit auprès des intervenants concernés, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Dans le courant de la prochaine année, nous nous pencherons sur ces questions et ferons le point sur la qualité des services que le CIEM offre à notre collectivité.
Un autre défi que nous devons relever au sein de la collectivité est celui du recrutement et du maintien en poste du personnel.
[Français]
Tout comme la plupart des autres secteurs de l'administration gouvernementale, celui de la sécurité et du renseignement fera face à une pénurie de personnel au cours des années à venir. Il existe donc un besoin impérieux de recruter et de maintenir nos employés en poste là comme ailleurs au gouvernement. Le secteur doit toutefois composer avec un problème additionnel : celui du temps requis pour procéder aux attestations de sécurité et pour former les nouvelles recrues dans les domaines spécialisés.
[Traduction]
Nous sommes conscients de ces défis qui touchent l'ensemble de la collectivité et nous nous employons à les relever.
Deuxièmement, il y a la coordination entre les ministères et les organismes. La coordination est un aspect important de notre travail au Bureau du Conseil privé. Comme les ministères et les organismes doivent se concentrer, à juste titre, sur les activités liées à l'accomplissement de leur mandat, il est important pour le BCP de veiller à ce que les efforts du gouvernement fédéral permettent, en bout de ligne, à la fois d'assurer la sécurité des Canadiens et de protéger leurs droits.
Les activités de coordination peuvent revêtir plusieurs formes : présidence de réunions périodiques ou spéciales de la collectivité, examen de documents à soumettre au Cabinet. Cette activité fait intervenir différents échelons, en ce qui me concerne et en ce qui concerne Mme Marcoux, de même que l'échelon des analystes, selon le dossier traité.
En ce qui concerne le cadre de fonctionnement de la collectivité, nous sommes conscients que le moment est venu de revoir le cadre législatif qui régit nos activités. Les nouvelles mesures législatives et les modifications qui ont été apportées aux lois existantes, au lendemain des événements du 11 septembre, sont maintenant en place depuis cinq ans. La Loi antiterroriste a, de toute évidence, besoin d'être peaufinée.
Le comité spécial du Sénat chargé d'examiner cette loi a publié son rapport le mois dernier; celui-ci contient plusieurs recommandations pertinentes sur les façons de la modifier. Je peux vous assurer que nous étudions ce rapport minutieusement. Nous attendons aussi le rapport final du sous-comité de la Chambre des communes sur la sécurité publique et la sécurité nationale qui examine cette loi. La Cour suprême du Canada a, par ailleurs, été claire dans la décision qu'elle a rendue sur la constitutionalité du régime des certificats de sécurité. Nous sommes déjà en train d'examiner les mesures que nous pourrions prendre pour remédier aux préoccupations de la Cour.
Nous examinons également les façons de donner suite aux recommandations du juge Dennis O'Connor concernant la surveillance et l'examen des activités de sécurité nationale. Nous ne voulons pas nous contenter d'ajouter de nouveaux examens qui risquent de faire double emploi avec les mécanismes existants, mais plutôt faire en sorte que le régime soit efficace, qu'il permette aux organismes de bien faire leur travail et qu'il procure les garanties nécessaires aux ministres responsables, au Parlement et au public.
Nous attendons de plus avec impatience le rapport du juge John Major sur la tragédie d'Air India. Celui-ci a notamment pour mandat de présenter des recommandations pour établir des liens valables entre le renseignement de sécurité et la preuve qui pourraient servir dans le cadre d'un procès criminel. Nous tenons également compte de ses recommandations dans nos travaux.
Ces décisions et rapports arrivent à point nommé à plusieurs égards, car ils nous permettront d'avoir une idée globale de la situation au moment de formuler nos recommandations et de choisir la meilleure formule à appliquer cinq ans après que la plupart de ces mécanismes ont été mis en place, bien que certains soient de beaucoup antérieurs à cette période, comme les certificats de sécurité.
En dernier lieu, pour ce qui est de nos relations avec nos alliés, il importe de mentionner que nous ne sommes pas le seul pays à nous poser ces questions et à chercher des façons de déterminer ce qui est réalisable à partir des ressources dont nous disposons ainsi que de tenter de trouver un équilibre entre la responsabilité du gouvernement de protéger la sécurité de ses citoyens et celle d'assurer leurs droits et libertés. À cet égard, nous pourrons donc profiter de l'expérience de nos alliés. Dans le cas des certificats de sécurité, par exemple, le Royaume-Uni a instauré un régime qui permet l'intervention d'amicus curiae; c'est donc un modèle qui nous intéresse au moment où nous revoyons notre propre régime. De plus, des pays comme l'Australie et le Royaume-Uni ont réorganisé de façon intéressante leurs organismes d'évaluation du renseignement et, depuis les attentats à la bombe de Londres, ils ont restructuré leurs activités de collecte du renseignement. Nous allons examiner les systèmes qui ont été mis en place par nos alliés ainsi que les leçons qu'ils ont tirées de leurs expériences au cours des dernières années afin d'améliorer notre propre système.
La collectivité de la sécurité et du renseignement au Canada entretient des liens avec ses partenaires internationaux et leur fournit des renseignements de haute qualité. Il faut donner pour recevoir et cela est d'autant plus important que nous importons plus de renseignements que nous n'en transmettons. Pour tout faire nous-mêmes, il nous en coûterait des dizaines, voire des centaines de millions de dollars de plus.
La collaboration internationale du Canada avec ses partenaires présente des avantages, puisque nous avons profité des enseignements tirés des récents attentats terroristes dans les réseaux de transport en commun. Comme vous le savez, ces dernières années, les attentats contre les transports en commun à Madrid, à Moscou, à Londres et à Mumbai ont fait passer à l'avant-scène la sécurité dans les transports en commun qui sont des cibles de choix pour les terroristes compte tenu de la nature de leurs opérations et de l'impossibilité de contrôler un grand nombre de passagers.
Au sein du G8, le Canada participe aux activités des comités de Rome et de Lyon en vue d'élaborer des cadres pour diffuser les pratiques exemplaires et évaluer les outils technologiques qui pourraient être utilisés afin d'accroître la sécurité dans ces réseaux de transport en commun. On envisage également d'établir une liste de pratiques standard reconnues à l'échelle internationale.
Comme vous pouvez le constater d'après ce que je viens de vous dire et d'après les travaux que vous avez menés jusqu'ici, les choses bougent énormément au sein de la collectivité de la sécurité et du renseignement. Comme je l'ai déjà mentionné, c'est un secteur d'activité où la victoire n'est jamais acquise. Le milieu n'a rien de statique et notre travail n'est jamais terminé, cependant, nous pouvons chercher continuellement — et c'est ce que nous faisons — des façons d'améliorer nos activités tout en étant conscients du fait qu'on ne peut demander aux gens et aux institutions de tout changer du jour au lendemain.
Les débats sur la question de l'équilibre entre le respect des droits et des libertés et la nécessité de disposer des outils dont nous avons besoin pour nous assurer la protection des citoyens sont importants pour notre démocratie. En bout de ligne, ils devraient nous guider sur la façon de nous acquitter de nos responsabilités.
Voilà qui met un terme à mon introduction. Mme Marcoux et moi-même serons à présent heureuses de répondre à vos éventuelles questions et nous attendons aussi avec impatience vos commentaires et suggestions.
[Français]
Le sénateur Day : J'aimerais tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de comparaître devant notre comité aujourd'hui et surtout, Mme Bloodworth, merci pour vos commentaires préliminaires.
[Traduction]
Voilà par où je compte commencer. Merci d'avoir souligné le travail et les recommandations du comité sénatorial permanent qui a été chargé d'étudier la Loi antiterroriste.
Madame Bloodworth, vous avez parlé de l'arrêt rendu par la Cour suprême au sujet des certificats de sécurité en vertu de la loi qui régit les appels en matière d'immigration et de statut de réfugié. Les lignes directrices émises par la Cour suprême à ce sujet sont très semblables aux recommandations du comité sénatorial spécial et j'espère que le gouvernement va prendre certaines mesures à ce sujet. Bien qu'il soit prématuré de poser la question, j'aimerais savoir si vous vous attendez à ce que le comité sénatorial spécial formule certaines recommandations au stade où nous en sommes? J'aimerais beaucoup entendre ce que vous avez à dire à ce sujet, bien que cela soit peut-être prématuré.
Mme Bloodworth : Il est effectivement prématuré pour moi de me prononcer à ce sujet, mais la Cour suprême a été très claire en précisant qu'il faudrait agir dans les plus brefs délais. Nous sommes en train d'examiner les différentes solutions susceptibles de nous permettre de répondre aux questions soulevées par la Cour suprême. La cour a reconnu le bien-fondé des certificats de sécurité qui permettent d'expulser du Canada des non Canadiens considérés comme persona non grata chez nous. Vous avez raison, sénateur, de dire que les conclusions de la cour ne sont pas différentes de celles du comité sénatorial spécial, mais il est des aspects que nous allons devoir améliorer et nous sommes en train d'y travailler.
Le sénateur Day : J'ai une dernière question à vous poser au sujet de la législation et des rapports du comité. Estimez-vous généralement important de maintenir le principe des certificats de sécurité?
Mme Bloodworth : Oui. J'estime personnellement que nous avons besoin d'un mécanisme d'expulsion des indésirables, quand deux ministres et un tribunal judiciaire déterminent que tel est le cas, tout en reconnaissant que nous détenons parfois des informations que nous ne sommes pas disposés à rendre publiques. Le fait de rendre publiques de telles informations peut ne pas toujours aller dans le sens de l'intérêt de la sécurité nationale du Canada. Le système a bien fonctionné la plupart du temps, malgré certaines difficultés quand le pays vers lequel la personne a été extradée n'appliquait pas les mêmes normes que nous. Que faire alors dans de telles situations? C'est là, essentiellement, que ce situe le défi auquel nous faisons face. Je me rends compte que ce ne sont pas des choses faciles et que, s'il y avait eu des réponses faciles, quelqu'un les aurait trouvées avant moi. On nous a communiqué de bonnes idées qui devraient nous être utiles à partir d'ici.
Le sénateur Day : Afin que les gens qui suivent nos délibérations ce matin comprennent bien ce dont il retourne, il faut préciser qu'un certificat de sécurité permet d'arrêter une personne sans mandat et de la détenir sans l'avoir inculpée.
Mme Bloodworth : Ce n'est pas la définition du certificat de sécurité. Le certificat de sécurité est un mode de détention en vertu de la Loi sur l'immigration. On émet un tel certificat quand on a des raisons de penser que quelqu'un risque de constituer un risque pour la sécurité nationale. Habituellement, l'information dont nous disposons est une donnée du renseignement qui constitue une preuve pouvant être utilisée dans une procédure au criminel. Les personnes visées par le certificat de sécurité ne sont pas inculpées, mais nous voulons les expulser du pays. On a dit des certificats de sécurité qu'ils sont une « cellule à trois murs ». Autrement dit, les gens sont détenus au Canada, mais s'ils décident de partir, ils peuvent le faire n'importe quand. Toutefois, certaines personnes visées par un certificat de sécurité pourraient courir un risque important après leur retour dans leur pays.
Le sénateur Day : Merci. J'aimerais que vous me précisiez votre rôle de conseillère en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre. Ces mots « auprès du premier ministre » semblent impliquer un rôle plus limité que celui qui vous incombe en réalité. Pourriez-vous nous expliquer ce rôle?
Nous connaissons celui du directeur du renseignement national aux États-Unis auquel votre poste ne correspond pas vraiment. Pourriez-vous nous expliquer votre rôle en matière de renseignement en ce qui concerne le premier ministre, d'une part, et la collectivité du renseignement au Canada, d'autre part?
Mme Bloodworth : Le directeur du renseignement national aux États-Unis est sans doute mon homologue américain le plus proche dans le domaine du renseignement. Celui-ci ne s'occupe cependant pas de certains volets qui m'incombent. Comme les États-Unis sont plus gros que le Canada, toutes les tâches que j'assume ici sont réparties entre différents services chez nos voisins. Le directeur du renseignement s'adresse à une collectivité beaucoup plus importante que la mienne.
La mention « auprès du premier ministre » indique qu'en sa qualité de chef d'État, le premier ministre doit veiller à ce que la collectivité du renseignement travaille à l'unisson et non pas de façon compartimentée. Il est toujours difficile de tendre vers ce mode de fonctionnement quand on a affaire à des informations délicates dont il faut parfois restreindre la diffusion, même au sein du gouvernement. Le rôle que j'assume pour le compte du premier ministre consiste à coordonner les opérations globales de la collectivité du renseignement. En fait, je n'aurais pas dû parler d'« opérations », parce que je ne coordonne pas les opérations du SCRS ou du CST, mais plutôt la façon dont ces organismes sont appelés à travailler ensemble.
Le gouvernement fixe les priorités et moi, je conseille le premier ministre sur ce que ces priorités devraient être. D'ailleurs, en cas d'incident, je serais appelée à conseiller le premier ministre. Les conseils que je lui prodiguerais alors ne se limiteraient pas au seul domaine du renseignement qui est un volet de mes activités. J'espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Day : Je n'en suis pas certain pour l'instant. Nous essayons de voir plus précisément ce qu'est votre rôle de conseillère en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre. Nous devrions peut-être parler de votre relation avec celui-ci. Le rencontrez-vous souvent sur les questions de renseignement?
Mme Bloodworth : J'ai pour habitude de ne pas dire combien de fois je rencontre les ministres. Je dirais que je rencontre le premier ministre aussi souvent que nécessaire, c'est-à-dire assez souvent. En ma qualité de secrétaire associée du Cabinet, il m'arrive de le rencontrer sur d'autres sujets également, outre que je communique souvent par écrit avec lui.
Le sénateur Day : Qui décide que vous devez établir la communication?
Mme Bloodworth : Pour les questions de renseignement, c'est moi. Bien sûr, le premier ministre pourrait souhaiter que je ne prenne pas la décision, mais cela ne m'est jamais arrivé. Quand j'ai quelque chose à lui dire, je vais le rencontrer en personne ou je l'appelle au téléphone.
Le sénateur Day : Ainsi, quand vous apprenez quelque chose de l'un de vos contacts au gouvernement, vous décidez si vous devez aller en parler au premier ministre, n'est-ce pas?
Mme Bloodworth : Dans le domaine du renseignement en particulier?
Le sénateur Day : Oui.
Mme Bloodworth : Parfois, ce n'est pas simplement à la suite d'une information que je recueille auprès d'un contact, parce que je vois passer énormément de données du renseignement sous forme écrite. Toutefois, si j'estime qu'une information peut intéresser le premier ministre, je la lui transmets.
Le sénateur Day : Je vous demande de me préciser la nature de votre relation. Est-ce que vous faites remonter l'information? Est-ce que vous décidez de l'information dont il convient de faire part au premier ministre? Est-ce que le premier ministre vous contacte au sujet de ce qui se passe?
Mme Bloodworth : Les deux sont possibles.
Le sénateur Day : Et habituellement, comment ça se passe?
Mme Bloodworth : Je ne pense pas qu'on puisse parler d'habitude en la matière. Les relations que j'entretiens avec le premier ministre ne ressemblent pas à celles que j'ai eues avec des nombreux ministres. Dans mon rôle, on souligne énormément de choses aux ministres. Dans certains cas, le premier ministre ou le BPM peuvent me demander de rassembler davantage d'informations sur telle ou telle question qui l'intéresse plus particulièrement.
Le président : Nous vous posons cette question parce que votre prédécesseur a dit que l'essentiel de son travail consistait à informer l'échelon supérieur et qu'il était rarement appelé à répondre à des demandes émanant de sa hiérarchie. C'est pour cela que nous vous posons ce genre de questions.
Mme Bloodworth : Ce n'est pas ce que j'ai constaté personnellement. Quand vous êtes celui ou celle qui en connaît le plus dans un domaine, il est normal que vous ayez à décider, dans le cadre de vos fonctions, de ce que le premier ministre doit savoir. Personnellement, j'ai eu à répondre à des questions du BPM ou du premier ministre. C'est à peu près tout ce que je peux vous dire à ce sujet.
Le sénateur Day : Pouvez-vous nous décrire la nature de l'information que vous communiquez au premier ministre dans le domaine du renseignement? De quoi parlez-vous avec lui?
Mme Bloodworth : Nous parlons parfois de questions propres au renseignement et parfois aussi des priorités de la collectivité du renseignement. Nos discussions portent sur tout un éventail de sujets.
Je suis désolée, mais il nous faut revenir sur une chose que vous avez dite. Il est vrai que, si l'on fait une comparaison par rapport à la situation qui régnait dans le milieu des années 1990, quand j'étais au Conseil privé, les parlementaires y compris les ministres s'intéressent beaucoup plus aux questions de renseignement et de sécurité nationale.
Le sénateur Day : On nous a dit que l'ancien premier ministre avait demandé à être informé quotidiennement sur les questions de renseignement et que cela a duré un certain temps. Est-ce que cette pratique existe encore?
Mme Bloodworth : Il existe effectivement des notes du renseignement qui sont envoyées quotidiennement au premier ministre. C'est un document qui s'apparente à celui qui était envoyé au premier ministre Martin.
Le sénateur Day : Savez-vous ce que contient ce document?
Mme Bloodworth : Oui, j'en prends connaissance.
Le sénateur Day : C'est vous qui le rédigez?
Mme. Bloodworth : Non.
Le sénateur Day : Est-ce un membre de votre équipe?
Mme Bloodworth : Oui.
Le sénateur Day : Êtes-vous occasionnellement appelée à rédiger davantage que des notes d'information à l'intention du premier ministre? Je parle ici de questions touchant au renseignement.
Mme Bloodworth : Oui.
Le sénateur Day : En plus des communications quotidiennes adressées au premier ministre, à quelle fréquence est-ce que vous l'informez, personnellement?
Mme Bloodworth : C'est un peu comme pour la batterie de dossiers dont le gouvernement doit s'occuper. Les notes concernant une multitude de dossiers sont adressées quotidiennement au premier ministre. Les questions de renseignement du jour sont envoyées assez régulièrement au premier ministre. Ce sont les ministres qui approuvent les priorités une fois par an. Au moins une fois par an, il faut préparer des documents plus complets sur les questions de renseignement. Ce n'est pas très différent de tous les dossiers qui intéressent le premier ministre. Des informations sont communiquées régulièrement, selon l'importance des enjeux du moment.
Le sénateur Day : Bien des ministères et des organismes du gouvernement du Canada produisent d'importants volumes de données du renseignement dans leur domaine de responsabilité respectif. Est-ce qu'une partie de ces informations aboutit directement sur le bureau du premier ministre sans que vous le sachiez nécessairement?
Mme Bloodworth : Tous les renseignements passent par mon bureau. Aucun ministère ou organisme n'adresse directement de document au premier ministre, sur quelque sujet que ce soit. Il faut que ces documents transitent par un ministre. Je ne me rappelle pas un seul cas où des renseignements aient été directement envoyés au premier ministre. Les organismes s'adressent soit au bureau de Mme Marcoux soit au Bureau de l'évaluation internationale, et l'information remonte à partir de là.
Le sénateur Day : Est-ce que certaines de ces informations vont au-delà du besoin de savoir du premier ministre? Qui décide du tri à faire dans l'information qui lui est destinée?
Mme Bloodworth : Le Bureau du Conseil privé décide de ce qui est important et de ce qui doit servir à informer le premier ministre ou n'importe quel autre ministre.
Si, dans votre question, vous songez à d'importantes masses de données du renseignement de nature opérationnelle, il vaut effectivement mieux que le nombre de personnes au courant soit le plus faible possible. Ce tri est effectué par l'organisme émetteur qui ne communique pas le nom de ses sources, ce qui est normal, celles-ci devant être protégées par le plus grand succès. Ça dépend du dossier.
Le sénateur Day : Mes questions ne sont pas aussi précises qu'elles le devraient, parce que nous essayons en fait de comprendre la façon dont toute l'information circule et de définir l'étendue de vos responsabilités. D'après ce que vous nous avez dit jusqu'ici, j'ai l'impression que vos responsabilités ne cessent d'augmenter.
Mme Bloodworth : J'essaie de vous donner des réponses qui soient les plus exhaustives possibles. Je comprends que vous essayez d'appréhender la façon dont les choses fonctionnent. J'espère répondre à vos attentes. Je ne dirais pas que la portée de mes activités ne cesse d'augmenter. Le poste implique davantage que dans le milieu des années 1990; j'occupais alors des fonctions semblables, mais davantage axées sur le renseignement. Aujourd'hui, mes activités portent sur la gestion des situations d'urgence et sur toute une gamme de questions qui ne relevaient pas de la sécurité nationale dans le milieu des années 1990, et cela à cause de ce qui s'est produit depuis. On peut donc dire que le poste a pris de l'envergure depuis, mais les choses ne bougent plus maintenant.
Le sénateur Day : Expliquez-nous l'importance, sur le plan du renseignement de sécurité, du second volet de vos responsabilités dont vous nous avez parlé, c'est-à-dire la coordination entre les ministères et les organismes et l'établissement de priorités. Comment les choses fonctionnent-elles? Imposez-vous vos vues — celles du Bureau du Conseil privé, les vôtres et celles de votre service — en consultation avec le premier ministre, ou travaillez-vous en collaboration avec les différents ministères et organismes qui ont peut-être un rôle à jouer dans leur domaine particulier de la recherche de renseignement?
Mme Bloodworth : J'espère ne pas vous avoir donné l'impression que le premier ministre ne rencontre jamais les administrateurs généraux des organismes, parce que ce n'est pas le cas. Par exemple, si le terrorisme devenait une préoccupation majeure, eh bien, nous organiserions des séances d'information qui seraient données par l'administrateur général du SCRS. Ce que je veux dire, c'est que le responsable du SCRS ne s'adresserait pas directement au premier ministre sans d'abord être passé par le Bureau du Conseil privé. Le premier ministre et les ministres seraient donc ponctuellement informés par le patron du SCRS sur différentes questions, et c'est d'ailleurs ce qui se fait. Il est évident que le ministre responsable est beaucoup plus souvent informé que les autres, bien que ceux-ci le soient également. Je voulais être certaine d'être bien claire à cet égard.
Les priorités sont établies à la faveur d'échanges réciproques. Nous ne sommes pas meilleurs que nos alliés en la matière, mais nous nous améliorons. Il serait stupide de ma part de fixer des priorités dans le domaine du renseignement sans d'abord m'entretenir avec les responsables des services de concernés. Dans un premier temps, Mme Marcoux et son personnel rassemblent les différents organismes. Les organismes de collecte du renseignement et certains de leurs principaux clients commencent à échanger sur les priorités, ce qui débouche en général sur une liste beaucoup plus longue que ce qu'il est possible de réaliser. Les priorités ne sont pas véritablement établies avant que nous n'en arrivions à une liste restreinte, ce qui nécessite toute une série d'échanges. Je préside les réunions des sous- ministres lors desquelles nous recommandons des ensembles de priorités. S'il arrivait que nous ne nous entendions pas sur les priorités, ce qui ne s'est jamais produit, j'indiquerais au premier ministre que, même si je ne suis pas d'accord avec eux, mes collègues estiment que telle ou telle question doit être traitée en priorité. En cas de divergence de vues sur les priorités, je ne ferais certainement pas fi de l'opinion des autres. J'estime que les ministres ont le droit d'être mis au courant. Nous aurions un débat entre nous. Sur le plan pratique, nous tiendrions compte de l'avis des ministères et des organismes clients, comme le MAECI. Ce ministère est demandeur de données du renseignement. On peut également penser à Sécurité publique Canada qui administre le Centre des opérations. Nous tenons compte de ce que ces ministères considèrent comme étant des priorités essentielles. D'ailleurs, à l'échelon des sous-ministres, nous ne polémiquons pas beaucoup sur ce que devraient être les priorités. Il peut y avoir beaucoup de discussion avant, mais à un moment donné le consensus est établi. C'est ce que j'espère dans tous les cas et je ne cherche pas à arracher un consensus à tout prix en cas de désaccord profond. Je ne crois pas que l'objectif ultime soit de dégager un consensus. Nous devons essayer de réconcilier nos différences, mais si les points de vue divergent vraiment, alors il faut en parler aux ministres qui en débattront.
Le sénateur Day : À quelle fréquence révisez-vous les priorités ou déterminez-vous qu'elles doivent demeurer telles quelles ou être modifiées?
Mme Bloodworth : En général, nous nous livrons à cet exercice de révision une fois par an, sauf quand les élections viennent perturber les choses.
Le sénateur Day : J'aimerais parler du Centre de la sécurité des télécommunications et des relations que vous entretenez avec cet organisme.
Le sénateur Banks : Comme je le disais plus tôt, félicitations ou condoléances pour vos responsabilités!
Je vais reprendre une des questions du sénateur Day. Connaissez-vous le jeu du téléphone auquel se livrent les enfants? On murmure un message à l'oreille de son voisin qui fait la même chose avec son voisin immédiat et ainsi de suite jusqu'au dernier qui répète ce qu'il entendu et qui est complètement différent du message de départ.
Quand les responsables des différents organismes concernés font monter l'information, êtes-vous certaine que les patrons du SCRS, de la GRC ou du SCC ont la certitude que leur message — important et devant faire l'objet d'une intervention immédiate — parvient aux oreilles auxquelles il est destiné?
Mme Bloodworth : Je n'en doute pas personnellement, mais vous avez raison de poser la question. Nous devons, en permanence, être conscients de cela. Le renseignement est constitué d'une multitude de petits éléments d'information et il est important de sélectionner très prudemment ce que l'on va communiquer à un décideur ainsi que le contexte dans lequel on va le faire, ce qui explique les évaluations du renseignement auxquelles nous nous livrons. Il s'agit effectivement d'un aspect particulier auquel notre Bureau de l'évaluation internationale consacre beaucoup de temps.
Nous assurons essentiellement un contrôle. Le gros des données de renseignement est également communiqué aux administrateurs généraux des organismes, par exemple sous la forme de comptes rendus d'évaluation. Les contrôles sont très importants. Des erreurs peuvent être commises dans la sélection de ce qui doit être communiqué et de ce qui doit être supprimé. Je n'ai pas vu d'erreur dans les six mois qui se sont écoulés depuis mon arrivée dans ce poste, mais nous sommes très vigilants à cet égard. Mme Marcoux et Greg Fyffe, le directeur exécutif du Bureau de l'évaluation internationale, y font très attention.
Le président : Les responsables des organismes nous disent qu'il s'écoule parfois des mois avant qu'ils aient la possibilité de parler de quoi que ce soit même avec leur propre ministre et c'est encore pire avec le premier ministre.
Mme Bloodworth : Je n'ai pas entendu dire cela ces derniers mois. Je ne dis pas que ça ne s'est jamais produit, mais je n'ai pas entendu ce genre de plainte.
Le président : La prochaine fois que quelqu'un se plaindra, nous lui demanderons de s'adresser à vous.
Mme Bloodworth : Tout à fait. Il ne faut pas hésiter. Je suis absolument certaine qu'aucune de ces personnes n'hésitera à me faire vigoureusement part de son opinion.
Le président : Pour vous dire la vérité, ils nous ont semblé gênés de soulever le problème.
Mme Bloodworth : Je n'en ai jamais connu un seul qui soit gêné de me faire part d'un problème, sénateur. Il y en a beaucoup que je connais bien, et depuis longtemps, ce qui nous en dit long d'ailleurs sur l'âge moyen du personnel à la fonction publique. Il y a un bon côté à tout cela, c'est que je ne pense pas que Jim Judd, ni John Adams n'hésiteraient à me faire part de leurs préoccupations.
Le sénateur Banks : Il en va ainsi de ceux qui regardent en haut de la pyramide et qui ne sont pas toujours convaincus que le sommet comprend bien ce qu'ils veulent dire.
Mme Bloodworth : Tout à fait, et j'ai sans doute éprouvé parfois, dans ma carrière, le sentiment de ne pas être comprise par ma hiérarchie. Il m'est arrivé de ne pas être comprise et que mes supérieurs ne soient pas d'accord avec moi; parfois ils avaient raison et parfois c'est moi qui avait raison.
Le sénateur Banks : En fait, vous nous avez fait vivre une situation du genre tout à l'heure.
En réponse au sénateur Day, vous avez indiqué que le premier ministre était le chef d'État. Or, le premier ministre est le chef de gouvernement, mais pas le chef d'État. C'est la gouverneure générale qui est notre chef d'État.
Mme Bloodworth : Je reconnais mon erreur; vous avez tout à fait raison.
Le président : J'ai apporté cette correction pour les écoliers qui nous regardent.
Mme Bloodworth : Il est effectivement le chef du gouvernement et non le chef d'État.
Le sénateur Banks : Nous devons veiller à ce que les gens ne doutent pas que nous comprenons bien tout cela. Je sais que vous le savez.
Vous nous avez parlé de l'examen de la surveillance dans le domaine du renseignement qui a été confié au juge O'Connor. Certains d'entre nous étaient membres du comité multipartite qui a fait le tour du monde en vue de conseiller le gouvernement précédent sur la question de la surveillance que le Parlement doit exercer dans le domaine du renseignement de sécurité. Un plan d'application de la surveillance avait même été mis préparé. Comme nous l'avons mentionné et comme le gouvernement le savait, puisque c'est lui qui nous invité à entreprendre ce travail, le Canada est l'un des seuls pays, si ce n'est le seul, où le Parlement n'exerce pas de contrôle dans le domaine du renseignement de sécurité.
Comme vous avez suivi le dossier, pouvez-vous nous dire si ce projet va se concrétiser d'une façon ou d'une autre afin que le Parlement exerce un contrôle sur le renseignement de sécurité?
Mme Bloodworth : Je crois que l'actuel gouvernement a prévu de le faire dans son programme et, de toute façon, cela fait partie de l'examen que nous effectuons avec le juge O'Connor. Jusqu'ici, aucune décision n'a encore été prise et je ne peux donc pas vous parler du résultat de toutes ces démarches. Il en sera question dans notre compte rendu d'examen.
Le sénateur Banks : Nous l'espérons, parce que c'est quelque chose qui manque au Canada.
Le président : Certains d'entre nous espèrent toutefois que ce que vous allez produire sera radicalement différent de la proposition du gouvernement précédent.
Le sénateur Banks : Il faut que ce soit su.
Le sénateur Day avait commencé à poser une question sur le Centre de la sécurité des télécommunications. Le CST a un directeur général, mais vous êtes responsable de cette organisation en vertu de responsabilités différentes de celles qui vous incombent dans le cas du SCRS ou du service de renseignement de la GRC. Pouvez-vous nous les décrire?
Mme Bloodworth : Comme vous le disiez, il s'agit d'une responsabilité inhabituelle. Le Centre de la sécurité des télécommunications fait partie du portefeuille de la défense depuis de nombreuses années. Le responsable de cette organisation a le bonheur de relever de deux sous-ministres.
Le sénateur Banks : Je suis certain que ça l'emballe.
Mme Bloodworth : Je n'en doute pas! Le sous-ministre de la Défense, poste que j'ai occupé à un moment donné, est responsable du budget et des opérations du CST. La conseillère nationale pour la sécurité est la sous-ministre responsable des opérations et de la politique. Ces modalités remontent à 20 ou 25 ans et elles avaient pour objet de s'assurer que l'Établissement de sécurité du Canada, à l'époque, travaille généralement dans le sens des politiques et des orientations du gouvernement.
J'ai occupé ce rôle jusqu'au milieu des années 1990. À ce moment-là, le responsable de l'organisation avait rang de sous-ministre adjoint et, jusque-là, il était toujours sorti des rangs du Centre de la sécurité des télécommunications. Cela a été modifié il y a quelques années quand il fut décidé de nommer par décret un sous-ministre délégué. Trois personnes ont été nommées ainsi depuis. Cela étant, on peut affirmer que ce service exige de moi une attention moins soutenue au quotidien que dans les années 1990.
Le sénateur Banks : C'est parce qu'il s'agit d'un poste de sous-ministre.
Mme Bloodworth : Effectivement, car avant cela, il s'agissait davantage d'un sous-ministre et d'un sous-ministre adjoint relevant d'un sous-ministre. De nos jours, il y a un sous-ministre et un sous-ministre associé qui peuvent donc en faire davantage. L'obligation de rendre compte demeure une responsabilité.
Le sénateur Banks : Nous comprenons bien. Nous comprenons tout à fait les fonctions et les devoirs du Secrétariat du renseignement et de la sécurité ainsi que du Bureau de l'évaluation internationale, au Conseil privé.
Est-ce que le Bureau du Conseil privé joue un rôle complémentaire à celui des autres membres de la collectivité de la sécurité et du renseignement, comme le SCRS, par exemple?
Mme Bloodworth : Je vais vous répondre, après quoi je demanderai à Mme Marcoux de vous donner son point de vue. Je commencerai par le Bureau de l'évaluation internationale, parce qu'il est plus facile de le définir par comparaison avec les structures de nos alliés, comme les Britanniques, les Australiens et les Néo-zélandais. Ce bureau comporte un personnel de 50 employés dont une trentaine sont des analystes, des spécialistes dans divers domaines. Ils produisent des évaluations qui ne sont pas fonction de la politique. La situation actuelle du gouvernement en Iran pourrait être un problème intéressant ces gens-là. Ce n'est pas vraiment un problème, mais ça pourrait le devenir.
Le sénateur Banks : J'estime que c'est déjà un problème.
Mme Bloodworth : Je ne pense pas qu'ils travaillent là-dessus en ce moment. Je vais faire un distinguo. Ces analystes et spécialistes fonctionnent au niveau stratégique national, pas au niveau du renseignement tactique qui les amèneraient, par exemple, à se prononcer sur ce que nos troupes devraient faire en Afghanistan. Ils travaillent donc sur le plan de la stratégie nationale. Ils peuvent toujours produire une évaluation globale, mais ils ne diront pas au gouvernement ce qu'il devrait en faire. Ils préciseraient simplement qu'il s'agit d'une évaluation concernant les différents acteurs du gouvernement, ce qu'ils font et ainsi de suite. Pour cela, ils sont en liaison avec des analystes qui travaillent dans d'autres branches de la collectivité du renseignement. Ils se fondent aussi sur toutes les informations qu'ils recueillent de droite et de gauche et produisent des évaluations régulières.
Le Secrétariat de la sécurité et du renseignement s'apparente davantage aux autres secrétariats du Bureau du Conseil privé, puisqu'il a pour mission de veiller à ce que le premier ministre soit tenu au courant des dossiers importants pour le gouvernement. Ce secrétariat est l'un de ceux qui apportent son appui au comité du Cabinet sur les affaires étrangères à la sécurité nationale. Il m'aide également dans mon rôle de sous-ministre responsable des opérations et de la politique et il dirige le processus d'élaboration de la politique. Voilà, c'était mes notes façon Coles.
Rennie Marcoux, secrétaire adjointe du Cabinet, Bureau du Conseil privé : J'ai une quarantaine de collaborateurs. Comme Mme Bloodworth vous l'a indiqué, deux cellules sont spécialisées dans les politiques. Elles font donc de la formulation de politiques à l'appui du comité sur les affaires étrangères et la sécurité nationale. Je chapeaute un autre module qui s'occupe de la sécurité physique au Bureau du Conseil privé et qui travaille en étroite relation avec la GRC afin d'assurer la protection du premier ministre. Ce même service coordonne les vérifications de sécurité avec la GRC et le Service canadien de sécurité du renseignement dans le cas des nominations par décret.
Le sénateur Banks : Quand vous dites que ces gens-là élaborent des politiques, cela revient-il à dire qu'ils conseillent le gouvernement sur les politiques à adopter?
Mme Marcoux : Par exemple, ils formulent des politiques relativement aux initiatives législatives dont Mme Bloodworth vous a un peu parlé, comme dans le cas de la Loi antiterroriste, des changements apportés à ce texte et des certificats de sécurité.
Mme Bloodworth : On pourrait faire la comparaison avec d'autres types d'instrument de politique, comme la Loi antiterroriste. Le ministre responsable dans ce cas est le ministre de la Justice. L'essentiel du travail de fond, c'est-à-dire les analyses des différentes options, est effectué par ce service. À un moment donné, il faut informer le Cabinet ou le premier ministre et nous envoyons alors quelqu'un qui aura participé à tout le processus pour éventuellement présenter le point de vue de l'équipe, si point de vue il y a. Le cas échéant, c'est le sous-ministre qui informe le président du comité du Cabinet ainsi que le premier ministre.
Le sénateur Banks : Dans les années 1950, par exemple, le Canada était fort bien vu de la communauté internationale du renseignement parce qu'il possédait une compétence extraordinaire en matière d'analyse, d'évaluation et de fusionnement des données du renseignement, du moins d'après ce qu'on nous a dit. Vous avez parlé des échanges avec nos alliés. Sommes-nous aussi bien vus de nos jours? Que doit-on déposer dans la corbeille de mariage? Quand on échange au niveau du renseignement international, il faut augmenter la mise sinon on n'obtient rien en retour. À quoi ressemble notre contribution?
Mme Bloodworth : Je ne peux pas comparer la situation d'aujourd'hui avec celle des années 1950, mais je peux le faire par rapport aux années 1990. Pour répondre brièvement à votre question, je dirai que nous sommes effectivement bien perçus. Des représentants de pays alliés du Canada — surtout de nos proches alliés — m'ont déjà dit qu'ils apprécient beaucoup ce que nous faisons. Vous avez tout à fait raison de souligner qu'il ne faut pas négliger cet aspect. Cela fait d'ailleurs partie de mon travail. Nous devons faire ce qu'il faut pour protéger le Canada. Il se trouve que nous devons faire beaucoup de choses auxquelles nos alliés ne s'intéressent pas forcément, mais nous pouvons aussi produire certaines choses bien particulières qui vont beaucoup intéresser nos alliés, à condition que cela aille également dans le sens de nos propres intérêts. Nous cherchons à poursuivre du mieux possible toutes ces choses-là, parce que c'est très important. Des représentants de pays alliés m'ont aussi donné l'impression que nous nous en sortons beaucoup mieux aujourd'hui qu'il y a 10 ans. Cela tient peut-être aux sommes importantes que nous avons injectés dans nos organismes, depuis le 11 septembre 2001 afin que ceux-ci soient en mesure de faire plus et mieux. Je n'ai plus la possibilité de m'entretenir avec des alliés moins proches de nous, mais je peux vous garantir que nos alliés les plus proches sont très reconnaissants pour ce que nous faisons.
Le sénateur Banks : Si nous voulions hausser un peu la barre et contribuer davantage, ne devrions-nous pas insister davantage sur le renseignement étranger?
Mme Bloodworth : Nous sommes assez actifs dans ce que beaucoup appellent le renseignement étranger. Le CST est une organisation qui fait du renseignement étranger, tout comme le SCRS. Dans le milieu, il arrive souvent que nous donnions au renseignement étranger une définition différente de celle qu'en retiennent la plupart des gens. Les initiés disent que le renseignement de sécurité et le renseignement étranger sont deux choses différentes et que le renseignement étranger, qui est de nature essentiellement politique et économique, ne présente aucune dimension « sécurité ».
Il va surtout falloir que insistions sur la recherche de renseignements de sécurité en ce qui concerne le volet étranger de nos interventions, ce que nous avons la possibilité de faire. En faisons-nous assez? Je ne pense pas être jamais en mesure d'affirmer que nous recueillons suffisamment de renseignements bruts de ce genre. Dans le domaine du renseignement, on n'a, par définition, jamais assez d'informations, mais je pense que nous nous débrouillons pas mal. La question est de savoir si nous devons recueillir davantage de données du renseignement étranger, surtout de nature politique et économique. Le gouvernement a déclaré qu'il examinerait la question, comme d'autres l'ont fait, mais aucune décision n'a encore été prise à cet égard.
Le président : Pour cela, il faudrait cependant modifier la Loi sur le SCRS, n'est-ce pas?
Mme Bloodworth : Si nous voulions rechercher, à l'étranger, des données du renseignement de nature politique ou économique, il faudrait effectivement modifier la loi.
Le sénateur Atkins : Êtes-vous investie d'une responsabilité de gestion en ce qui concerne les programmes de renseignement administrés par toutes les composantes du Comité de sécurité et du renseignement du Canada?
Mme Bloodworth : Non, je n'ai pas ce genre de responsabilité, puisqu'elle incombe au patron du SCRS. Je suis investie d'une certaine responsabilité en ce qui concerne l'orientation et l'administration du CST, comme je vous l'ai indiqué plus tôt. J'ai également une responsabilité de coordination assortie de la capacité de conseiller le premier ministre, ce qui me permet au moins d'être entendue. Quand je dis « entendue », je ne prétends pas administrer toutes ces organisations.
Le sénateur Atkins : Pouvez-vous établir une communication directe avec le premier ministre afin de le conseiller en cas de menace grave dont vous seriez mise au courant?
Mme Bloodworth : Oui, je peux prendre le téléphone et l'appeler directement, s'il y a eu urgence.
Le sénateur Atkins : Et s'il est en déplacement, pouvez-vous également le contacter?
Mme Bloodworth : Je suis certaine que je pourrais le contacter si j'avais une raison très importante de le faire.
Le sénateur Atkins : Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la menace actuelle?
Mme Bloodworth : Je vais vous donner mon point de vue, mais je commencerai par préciser que la personne à qui il faut vraiment poser cette question, étant donné que c'est lui le grand responsable de ce dossier en vertu de la loi, c'est l'inspecteur général du SCRS. Je vais essentiellement reprendre ses propos dans ce que je vais vous dire, puisque que c'est lui qui est chargé de cette mission au Canada.
Il est évident que le Canada est la cible de nombreuses organisations terroristes. Je vais commencer par celle d'Oussama ben Laden, c'est-à-dire al-Quaïda. Le Canada se trouve sur la liste de cette organisation, même si celle-ci est aujourd'hui beaucoup plus égaillée que par le passé. Certains disent que c'est devenu une franchise. Malheureusement, elle n'en est que plus difficile à retracer, à cause d'un phénomène de radicalisation locale. On a vu ce que cela donne au Royaume-Uni et nous ne sommes pas à l'abri du phénomène au Canada. Des terroristes ayant adhéré à l'idéologie d'al-Quaïda seraient prêts à porter un coup contre le Canada, s'ils en avaient l'occasion.
Je ne pense pas que nous soyons une cible de premier ordre; d'autres pays seront visés par ces mouvements, s'ils ont l'occasion d'agir. Il y a des terroristes potentiels, chez nous, qui pourraient déclencher un attentat n'importe quand. Il y a ceux qui en parlent simplement, mais tout commence par de simples paroles. Il ne suffit pas que quelqu'un parle de commettre un attentat pour que nous puissions l'accuser au pénal. C'est là où intervient le SCRS et c'est pour cela que nous avons un tel organisme chargé de la sécurité. Celui-ci peut recourir à des mandats et cibler certains individus. C'est à cela que sert le SCRS et ça suffit pour qu'il soit très occupé.
Voulez-vous que nous parlions de contre-ingérence?
Le sénateur Atkins : Oui.
Mme Bloodworth : Malgré la fin de la guerre froide, certains pays aimeraient arracher des secrets au Canada, que ce soit des secrets d'État ou des secrets commerciaux. Le programme de contre-ingérence du SCRS a été grandement réduit depuis la fin de la guerre froide, mais il continue d'exister.
Pour ce qui est de la menace qui pèse sur la sécurité nationale, nous ne sommes pas différents des autres pays occidentaux, et je me propose donc de vous parler des fluctuations de la menace constatée dans ces pays. On ne peut pas imaginer pouvoir, un jour, parvenir à éliminer complètement toute menace pesant contre un pays à cause de la présence, parmi nous, de gens qui veulent s'attaquer à nos sociétés. La question est donc de parvenir à maîtriser cette menace. Je regretterai probablement d'avoir employé ces mots. Je ne veux pas dire que nous aurons, un jour, la garantie que rien n'arrivera, mais plutôt que nous en faisons assez pour posséder une connaissance suffisante de la menace.
Je crois que nous faisons de notre mieux dans ce domaine pour l'instant, mais nous ne devons pas baisser la garde. Il est important de se poser régulièrement la question suivante : est-ce que nous dépensons notre argent à bon escient ou est-ce que nous nous intéressons à ce qui compte? La réponse à la question varie dans le temps, ce qui est normal étant donné que les circonstances changent.
Le sénateur Atkins : Disposons-nous de ressources humaines suffisantes dans le domaine de la sécurité?
Mme Bloodworth : Je ne connais personne au gouvernement qui vous dira avoir suffisamment de ressources pour faire tout ce qu'il doit faire.
Au cours des cinq dernières années, nous avons bénéficié d'une importante augmentation de nos ressources. Je crois que le budget du CST a doublé. Celui du SCRS a augmenté de 75 p. 100 en cinq ans et il vient d'être augmenté de nouveau à l'occasion du dernier budget. Nous avons sans doute reçu tout ce que nous sommes capables d'absorber à court terme.
Le sénateur Atkins : Et la GRC?
Mme Bloodworth : Le budget de la GRC a aussi été considérablement accru depuis le 11 septembre. Il est évident que la Gendarmerie pourrait toujours nous dire qu'elle manque de personnel ici ou là. Une partie du problème tient à la formation, parce que nous n'avons pas les installations nécessaires pour former tout le monde à l'heure actuelle. La GRC n'a pas encore utilisé tout l'argent qu'elle a reçu. Ce n'est pas une critique, mais il se trouve que c'est une importante organisation qui prend son temps pour former son personnel. Je ne veux pas jouer les malines, mais je pense que nous ne pourrons pas absorber plus d'argent pour l'instant. Cela ne revient pas à dire que, dans un an d'ici ou même plus tard, je ne demanderai pas au gouvernement en place, quel qu'il soit, de mettre plus de ressources ici ou là. Nous devons continuer d'évaluer la situation sur ce plan, comme nous le faisons avec tout le reste.
Le président : Madame Bloodworth, tout s'est accéléré depuis le 11 septembre. Pourquoi ne pas replacer les choses en contexte pour nous à partir de 1990, afin de nous donner une idée de ce qui s'est passé depuis lors?
Mme Bloodworth : Le SCRS n'en est pas encore là où nous en étions en 1990, mais nous n'en sommes pas loin. Mme Marcoux pourra peut-être vous fournir des données à ce sujet.
Comme le budget du CST a été doublé, je pense qu'on s'approche de ce que nous connaissions avant 1990. Le Centre a vécu un énorme changement parce que, durant la guerre froide, il s'intéressait exclusivement à l'Union soviétique et à ses alliés. La situation a changé depuis.
Je n'ai pas les chiffres ici, mais je pourrais sans doute vous les obtenir.
Le président : Pourriez-vous faire une comparaison entre la situation de 1990 et celle qui règne aujourd'hui pour l'ensemble des organismes du renseignement et pour la GRC?
Mme Bloodworth : Bien sûr.
Le président : Malgré une amélioration sur ce plan depuis le 11 septembre 2001, rien ne pourra compenser les réductions d'effectif des années 1990. Toute une génération de cadres intermédiaires a disparu et il est malheureusement impossible de la remplacer malgré l'augmentation du financement des dernières années.
Mme Bloodworth : C'est vrai partout au gouvernement et je suis d'accord avec vous.
Le président : C'est particulièrement vrai dans les organismes dont le fonctionnement repose essentiellement sur des ressources humaines.
Mme Bloodworth : Il est vrai que c'est la même chose dans nombre d'organisations gouvernementales. Je ne suis pas en désaccord avec vous. Je ne suis, cependant, pas d'accord sur le fait que le renseignement soit forcément plus mal loti que les autres secteurs gouvernementaux.
Le président : Quand on vous a demandé de commenter la situation actuelle, vous avez dit que ces organismes ont obtenu plus d'argent après le 11 septembre. Ce genre de réponse à des accents politiciens; c'est ce qu'on entend des représentants du gouvernement quand ils affirment que les choses vont bien mieux depuis le 11 septembre. Toutefois, silence sur ce qui s'est passé avant le 11 septembre!
Mme Bloodworth : Je ne suis pas d'accord avec vous, ma réponse n'est pas politicienne, parce qu'elle décrit une réalité. Je vous concède, par ailleurs, qu'il faut du temps pour former les gens, ce qui revient à ce que je vous disais il y a un instant, et que le simple fait d'accroître les budgets d'un service ne veut pas dire que vous aurez des policiers dûment formés du jour au lendemain ou que vous pourrez compter sur un organisme du renseignement disposant d'un personnel dûment qualifié.
La majorité de ceux et de celles qui sont partis après le milieu des années 1990 — et je vous parle au sujet de ministères que je connais — appartenaient à mon groupe d'âge et nous aurions donc dû les remplacer à un moment donné. Quoi qu'il en soit, il est certain que nous avons perdu tout un groupe de gens expérimentés dans le milieu des années 1990. C'est une réalité. Le simple fait d'accroître les budgets d'un service ne va pas nous permettre de remplacer l'expérience perdue. C'est tout ce que je voulais indiquer au sénateur Atkins.
Le sénateur Atkins : Pour poursuivre dans la même veine, pensez-vous que les ressources communautaires sont suffisantes? Je veux parler des services qui assurent le renseignement et la sécurité à l'échelon local, dans des villes comme Toronto ou Vancouver.
Mme Bloodworth : Vous voulez parler des services de police?
Le sénateur Atkins : Oui.
Mme Bloodworth : Je ne connais pas vraiment la situation du côté des corps policiers municipaux. Il est évident qu'étant donné leur situation, des grandes villes comme Toronto, Montréal et Vancouver s'intéressent aux questions de sécurité nationale. À en juger d'après mes relations avec mes correspondants dans ce secteur, tout ce que je peux vous dire c'est que ces gens-là m'ont semblé en mesure de traiter avec moi. Cela étant, je ne peux pas vous dire s'ils ont suffisamment de ressources.
Le sénateur Atkins : De quelle façon ces services se mettent-ils en relation avec vous?
Mme Bloodworth : Ils passent par la GRC, mais dans certains cas, ils passent aussi par le SCRS, surtout les corps policiers importants.
Le sénateur Moore : Le président vous a parlé de la recherche de renseignement étranger et de la nécessité de pratiquer ce type d'activité à l'extérieur du Canada. Il a également mentionné la nécessité de modifier la loi. Est-il exact que le SCRS recueille à présent des données du renseignement étranger dans les limites du Canada?
Mme Bloodworth : Le SCRS est effectivement en mesure de recueillir cette information dans les limites du Canada.
Mme Marcoux : Cela se fait à la demande, soit du ministre des Affaires étrangères, soit du ministre de la Défense nationale.
Le sénateur Moore : On nous a dit, en Grande-Bretagne, que nous devions nous doter d'une capacité de recherche du renseignement étranger. Que répondez-vous à cela?
Mme Bloodworth : Je vais me répéter. Pour l'instant, nous recueillons beaucoup de données du renseignement étranger et l'on a certainement dû vous parler du renseignement humain par opposition au renseignement d'origine électromagnétique, parce qu'il se trouve que nous avons une organisation SIGINT qui nous permet de recueillir des données du renseignement étranger. Pour ce qui est des données d'origine humaine, nous avons la possibilité d'en recueillir à l'étranger, dans le domaine du renseignement de sécurité; le néophyte parle à se propos de renseignement étranger. La question est de savoir si nous devons étendre cette pratique aux renseignements de nature politique et économique.
Vous ne vous étonnerez pas de ce que je vais vous dire, étant donné le travail que je fais, mais j'estime qu'il faut mettre la priorité sur la recherche de renseignements, au Canada et à l'étranger.
Mme Marcoux : Dans bien des cas, le problème que nous avons avec le renseignement politique et économique, c'est que nous ne voulons pas forcément le communiquer à nos alliés. Même si nous nous dotons d'une capacité dans ce domaine, nous ne voudrons pas forcément communiquer à d'autres des données du renseignement susceptibles de bénéficier au gouvernement du Canada.
Le sénateur Moore : Autrement dit, vous ne voudriez pas partager cette information.
Mme Bloodworth : Mme Marcoux dit que la collecte de données du renseignement politique ou économique obéit davantage aux intérêts des Canadiens et donc du pays.
Le sénateur Moore : Est-ce parce que cela pourrait nous mettre dans l'embarras?
Mme Bloodworth : Non, c'est qu'il n'est pas forcément de notre intérêt de communiquer ce genre de renseignement; ce n'est pas parce que nous pourrions nous retrouver dans l'embarras, mais parce que ces données du renseignement doivent nous être utiles, à nous. Il s'agit davantage d'information de nature politique et économique que d'information de sécurité.
Le sénateur Moore : Pour en revenir aux questions du sénateur Atkins au sujet de la menace actuelle d'al-Quaïda et des pays qui sont ciblés à cause de leur participation à la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, le Canada est le seul pays visé à n'avoir pas encore été le siège d'un attentat terroriste.
Mme Bloodworth : C'est effectivement le cas en ce qui concerne la liste des six pays ciblés.
Le sénateur Moore : Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Nos organismes de collecte du renseignement ont-ils pour mission de nous mettre en garde contre toute menace potentielle? Est-il question de filer et d'intercepter les terroristes potentiels?
Mme Bloodworth : J'hésite beaucoup à vous dire que nous y arrivons parce que nous sommes meilleurs que nos alliés pour retracer les suspects, bien que nos alliés soient excellents.
Je ne sais pas pourquoi nous n'avons pas encore été ciblés. Nous avons toutefois été ciblés en ce sens que des Canadiens sont morts dans l'attentat du World Trade Center et que nous avons des ressortissants à l'étranger.
Nous n'avons encore inculpé personne, mais il y ne faut pas perdre de vue toutes les accusations qui ont été portées. Je ne sais pas comment raisonnent les gens d'al-Quaïda, ni pourquoi ils ne s'en sont pas pris au Canada. Il demeure que nous ne devons pas tomber dans l'insuffisance face à cette menace.
Mme Marcoux : Quand on envisage la menace à l'échelle planétaire, il est évident que nos soldats canadiens en Afghanistan ont été attaqués par des éléments d'al-Quaïda.
Le sénateur Moore : Nous sommes en Afghanistan et nous sommes conscients que ce conflit fait des victimes.
Je veux en revenir à la question du sénateur Day au sujet du renseignement brut que vous recevez et triez. Vous avez dit que ce tri est effectué par le BCP. Recevez-vous les documents venant du patron du SCRS et que le BCP caviarde?
Mme Bloodworth : Je suis le BCP. Précisons une chose. Nous ne recevons rien directement du patron du SCRS que nous mettons de côté en vue de le traiter. Pour ce qui est du renseignement, nos gens sélectionnent ce qui peut être intéressant pour le premier ministre; personne ne va caviarder une note émanant du patron du SCRS.
Celui-ci peut m'envoyer des notes, ce qu'il fait de temps à autres, pour me signaler une question importante; certaines de ces notes sont transmises au premier ministre, certaines sont simplement destinées à m'informer que quelque chose se passe, et dans d'autres cas, c'est un peu des deux. Le renseignement dont je parlais émane de la piscine du renseignement brut qui regorge d'informations. Nous en trions une partie afin d'informer le premier ministre parce que personne, moi y compris, ne pourrait tout lire.
Le sénateur Moore : Vous avez dit que les patrons du SCRS et de la GRC, entre autres, ne rencontrent pas régulièrement le premier ministre et, que pour le faire, ils doivent passer par le BCP. Ces demandes de rencontres en personne transitent-elles par votre bureau?
Mme Bloodworth : Oui, et il n'est pas inhabituel que ces gens-là rencontrent le premier ministre, même si ce n'est pas de façon hebdomadaire. Leurs demandes passent par moi ou par le greffier, mais je suis toujours consultée.
Le sénateur Moore : Vous parliez du Bureau de l'évaluation internationale et du Secrétariat de la sécurité et du renseignement, qui sont deux services distincts au sein du BCP et qui relèvent de vous.
Qui est chargé du Bureau de l'évaluation internationale?
Mme Bloodworth : Greg Fyffe qui en est le directeur exécutif.
Le sénateur Moore : Il est sous-ministre adjoint?
Mme Bloodworth : Il est effectivement sous-ministre adjoint, comme Mme Marcoux.
Le sénateur Moore : Madame Marcoux, vous êtes vous-même responsable du Secrétariat de la sécurité et du renseignement, n'est-ce pas?
Mme Marcoux : Oui.
Le sénateur Moore : Parlez-moi du comité du Cabinet sur les affaires étrangères et la sécurité nationale. À quelle fréquence se réunit-il, qui y siège et quelles sont ses responsabilités?
Mme Bloodworth : Les comités du Cabinet et leur composition sont publics; un certain nombre de ministres du Cabinet siègent à celui-ci. Il se réunit une fois par semaine ou deux fois par mois, selon l'ordre du jour, comme les autres comités du Cabinet.
Le sénateur Moore : Est-ce que le premier ministre y participe parfois?
Mme Bloodworth : Le premier ministre est autorisé à participer à n'importe quelle réunion du Cabinet.
Le sénateur Moore : Je vous demande s'il y participe.
Mme Bloodworth : J'hésite à vous répondre, parce que je ne pense pas que nous puissions communiquer la liste de ceux qui participent effectivement aux réunions du Cabinet.
Le sénateur Moore : Vous venez juste de publier la liste de ceux qui y sont admis.
Mme Bloodworth : Nous publions la liste des membres.
Le sénateur Moore : Y a-t-il d'autres comités qui soient chargés d'examiner et d'intercepter les données du renseignement susceptibles d'intéresser le gouvernement?
Mme Bloodworth : Il existe un comité spécial sur le renseignement, présidé par le premier ministre.
Le sénateur Moore : On l'appelle comité spécial sur le renseignement?
Mme Bloodworth : Je ne suis pas certaine de son titre exact.
Mme Marcoux : Je pense qu'on parle de la réunion des ministres sur la sécurité et le renseignement.
Le sénateur Moore : À quelle fréquence cette réunion a-t-elle lieu? Est-ce à l'appel de la présidence?
Mme Bloodworth : Oui, les réunions sont convoquées par le président.
Le sénateur Moore : Et le président, c'est le premier ministre. Que fait ce comité? Y participez-vous?
Mme Bloodworth : Oui, je prends part à ces réunions de comité qui ont notamment pour objet de fixer les priorités.
Le sénateur Moore : Les priorités sont-elles différentes de celles établies par le Comité du Cabinet sur les affaires étrangères et la sécurité nationale?
Mme Bloodworth : Non, les priorités sont établies par ce comité, pas par celui du Cabinet sur les affaires étrangères et la sécurité nationale.
Le sénateur Moore : Le comité du Cabinet sur les affaires étrangères et la sécurité nationale ne fixe-t-il pas de priorités?
Mme Bloodworth : Pas en matière de renseignement.
Le sénateur Moore : Son rôle se limite-t-il donc aux seules questions de sécurité?
Mme Bloodworth : Non, c'est un comité qui s'occupe d'affaires étrangères et de sécurité nationale.
Le sénateur Moore : Toutefois, ça n'inclut pas le renseignement. Comment faire de la sécurité sans faire du renseignement?
Mme Bloodworth : Tout ce que j'ai dit, c'est que ce comité ne fixe pas de priorités dans le domaine du renseignement, mais il peut, par exemple, donner suite à une demande du SCRS d'obtenir plus d'argent.
Il y a d'autres comités qui traitent des détails de ce genre de demande, mais au bout du compte les décisions sont ratifiées par le comité.
Le sénateur Zimmer : Merci beaucoup de vous être déplacée.
Il y longtemps, dans les années 1970, j'ai eu la possibilité de travailler avec le ministre de la Défense en qualité d'adjoint spécial et j'ai donc une idée de ce que sont votre rôle et vos responsabilités. Pendant cette période de que j'ai passée au côté du ministre, j'ai appris que les Canadiens ont un rôle à remplir dans le domaine de la défense et de la sécurité du Canada.
Je vais enchaîner sur la question qu'ont abordée successivement le sénateur Atkins et le sénateur Moore au sujet de l'évaluation de la menace. La politique de la sécurité nationale prévoit la création d'un centre intégré d'évaluation de la menace. Pourriez-vous nous décrire la structure de gestion et de responsabilité qui régit ce cadre et nous indiquer si le Bureau du Conseil privé est représenté au Centre?
Mme Bloodworth : Je crois que nous sommes effectivement représentés. Nous y avons deux ou trois représentants. J'ai quelques doutes à cause des rotations occasionnelles. Normalement, le BCP est représenté au Centre, comme bien d'autres organisations gouvernementales.
Celui-ci fait partie du SCRS; je vous apporte cette précision parce que le patron du SCRS est donc la personne responsable de l'évaluation de la menace. La relation est un peu particulière en ce sens que le financement du Centre est fondé sur une entente entre moi-même — en fait mon prédécesseur — et le patron du SCRS. On estime que le Centre est une ressource commune à laquelle les différents membres de notre collectivité détachent des employés pour s'assurer que nous travaillons tous dans le même sens. Ce n'est pas différent de ce que nombre de nos alliés ont fait ces dernières années.
Le sénateur Zimmer : Quels autres ministères sont représentés?
Mme Bloodworth : Le Centre de la sécurité des télécommunications, le SCRS, la GRC, si je ne m'abuse, l'Agence des services frontaliers du Canada, Transports Canada, les Forces canadiennes, et j'ai l'impression d'en oublier.
Mme Marcoux : Nous vous ferons parvenir la liste complète des ministères.
Le sénateur Zimmer : Est-ce que tous ceux et toutes celles qui travaillent au CIEM ont reçu une formation spéciale dans ce domaine?
Mme Bloodworth : Je ne peux pas vous assurer que chacun d'eux a reçu cette formation. Cependant, il est vrai qu'une formation spéciale est dispensée. Le Centre intégré d'évaluation de la menace a été le premier à offrir une formation dans le domaine de l'évaluation de la menace.
Il demeure qu'il reste beaucoup à faire, surtout parce que nous accueillons en permanence de nouveaux participants dans cette collectivité. Nous allons voir ce que donne le CIEM qui existe maintenant depuis deux ans et demi.
Le sénateur Zimmer : La politique relative à la sécurité nationale précise que le Canada fait face à huit menaces : le terrorisme; la prolifération des armes de destruction massive — expression devenue familière ces dernières années; les États en déroute et les États défaillants; l'espionnage étranger; les catastrophes naturelles; la vulnérabilité des infrastructures essentielles; le crime organisé, et les pandémies.
Le CIEM produit-il des évaluations dans tous ces domaines?
Mme Bloodworth : Non, il s'intéresse essentiellement aux menaces physiques. Par exemple, il n'a aucune compétence en ce qui concerne l'évaluation des pandémies. Je ne suis pas en train de dire que nous ne devons pas nous intéresser aux pandémies, mais il se trouve que le Centre ne produit pas d'évaluation sur ce sujet. La prolifération des armes de destruction massive relève davantage des Affaires étrangères. Le CIEM s'intéresse essentiellement aux menaces de nature physique qui pèsent contre le Canada, principalement d'origine terroriste. Malheureusement, le renseignement sur les catastrophes naturelles ne nous apprend rien sur le sujet et je serais très surprise que le Centre ait produit quoi que ce soit sur les menaces que constituent les catastrophes naturelles. Cette institution s'intéresse au premier chef au terrorisme, à l'instar de nos alliés.
Le sénateur Zimmer : Le CIEM pourrait sans doute améliorer sa capacité d'analyse des questions de sécurité nationale. Dans quelle mesure le gouvernement est-il mis au courant des travaux du CIEM?
Mme Bloodworth : Que voulez-vous dire par-là?
Le sénateur Zimmer : Dans quelle mesure l'information remonte-t-elle a priori, plutôt que d'être réclamée par le gouvernement?
Mme Bloodworth : Vous voulez dire par les ministres?
Le sénateur Zimmer : Il faut améliorer la capacité du Centre de s'intéresser aux questions de sécurité nationale au Canada.
Mme Bloodworth : Son auditoire principal n'est pas constitué par les ministres, mais plutôt par le personnel de première ligne afin que celui-ci soit en mesure de réagir en cas de crise. C'est là où, selon nous et nos alliés, se situait le besoin le plus important; il n'est pas très utile que je sois la seule à être informée d'une menace, si, advenant que celle-ci concerne la ville de Toronto, le service de police local n'est pas mis au courant. C'est un aspect sur lequel nous allons devoir travailler, mais de grands progrès ont été réalisés par rapport à la situation qui régnait avant la création du CIEM. C'est donc le principal objectif de ce service qui doit communiquer l'information non seulement aux provinces et aux corps policiers, mais aussi aux douaniers et à la GRC, à tous ceux qui sont confrontés à la menace sur le terrain.
Le sénateur Zimmer : Nous savons que le SCRS recueille des données du renseignement de sécurité par des moyens humains, grâce à des sources situées au Canada. Est-ce que le SCRS recherche ce genre de renseignement à l'étranger; avons-nous encore des espions?
Mme Bloodworth : Le SCRS compte un certain nombre d'agents de liaison dans le monde qui sont en contact avec d'autres services de sécurité. De plus, le SCRS a mené des opérations relativement limitées dans le domaine de la sécurité ailleurs dans d'autres pays.
Le sénateur Zimmer : Selon vous, est-ce que notre nouveau rôle en Afghanistan, qui ne correspond plus à une mission de maintien de la paix, mais qui est plus actif, nous expose davantage sur le plan de la sécurité?
Mme Bloodworth : Vous voulez dire au Canada, parce qu'il est évident que nos militaires en Afghanistan sont très exposés?
Le sénateur Zimmer : Je veux dire ici.
Mme Bloodworth : Je n'ai rien vu allant dans ce sens. Je l'ai entendu dire, mais je n'ai personnellement vu aucune preuve à cet égard, et c'est quelque chose que je surveille. Je n'ai jamais vu quoi que ce soit indiquant que certains intriguent contre le Canada à cause de notre présence en Afghanistan. Je n'écarte pas cette possibilité, mais je vous dis que je n'ai personnellement rien vu à ce sujet.
Il y a toujours des groupes radicaux qui sautent sur toutes les occasions. Ils pourraient, par exemple, dire que c'est à cause de l'Irak, même si nous ne sommes pas là-bas, parce qu'ils ne font pas toujours la distinction entre les différents pays occidentaux en cause. Il pourrait s'agir de l'Afghanistan, mais je n'ai personnellement vu aucune preuve allant dans ce sens et je surveille la chose. En revanche, cette hypothèse est du domaine du possible.
Le sénateur Zimmer : D'après des reportages télévisés, certains pensent que nous pourrions subir les représailles de notre participation plus active en Afghanistan. Il est possible que ce soit simplement les médias qui imaginent cela. Ils donnent toutefois l'impression qu'à cause de notre participation plus active là-bas, nous risquons de subir une vendetta terroriste.
Mme Bloodworth : Je ne dis pas que c'est impossible, mais je n'ai rien vu m'indiquant que nous courrons le risque de subir des représailles. Nos soldats sont ciblés en Afghanistan parce que les insurgés veulent qu'ils s'en aillent. Je n'ai rien vu me portant à conclure que nous sommes ciblés ici par les mêmes groupes. Je me répète, je ne dis pas que c'est impossible et c'est d'ailleurs pour cela que je surveille la situation. Toutefois, je ne dispose d'aucune preuve allant dans ce sens.
Le président : Et l'inverse? Autrement dit, est-ce que la destruction des camps d'entraînement en Afghanistan va réduire la possibilité que des terroristes viennent frapper en sol canadien?
Mme Bloodworth : Très certainement! Dans les années 1990, ces camps-là entraînaient des terroristes. Leur disparition se traduit par une amélioration de la sécurité au Canada et dans d'autres pays. Ce n'est pas un état de sécurité parfait, parce que rien n'est jamais entièrement sûr. Néanmoins, il est évident, quant à moi, que la sécurité a été améliorée, ici et ailleurs dans le monde.
Le sénateur Moore : Il y a actuellement un problème aux États-Unis à cause de la surveillance prétendument abusive que la CIA exerce sur les Américains. Savez-vous si cet organisme recueille des données du renseignement sur des Canadiens ou des Américains résidant au Canada?
Mme Bloodworth : Pas à ce que je sache.
Le sénateur Moore : S'il se livrait à ce genre de surveillance, cet organisme vous le dirait-il?
Mme Bloodworth : Je l'espère. Cela dit, je ne contrôle pas les organismes américains. Ils travaillent en étroite relation avec nos propres organisations, mais je n'ai pas entendu parler d'une telle surveillance.
Le sénateur Moore : Avons-nous conclu un accord ou une entente en fonction de laquelle les Américains devraient vous informer s'ils entendaient se livrer à ce genre de chose?
Mme Bloodworth : Le FBI est un service de sécurité intérieur et je serais surprise qu'il mène des actions à l'étranger. Cela ne revient pas à dire que le FBI ne cherche pas bénéficier d'informations de provenance canadienne; les services policiers ont effectivement conclu des accords bien définis portant sur l'échange d'informations avec les Américains. Dans ce volet du renseignement, il existe aussi des ententes de réciprocité.
Le sénateur Moore : J'ai parlé de cet organisme, parce que c'est celui-ci dont le nom revient le plus souvent dans les rapports. Il est possible que la CIA s'intéresse à ce que font les Américains résidant à l'étranger, comme au Canada.
Mme Bloodworth : À ce que je sache, la CIA ne surveille pas les Canadiens.
Le sénateur Moore : Seriez-vous au courant sinon? Existe-t-il des modalités ou des ententes entre les organismes canadiens de la sécurité et du renseignement et la CIA?
Mme Bloodworth : Bien sûr, nous sommes en relation avec l'antenne de la CIA à l'ambassade des États-Unis, à Ottawa. Nous échangeons des données du renseignement, et cetera. Je ne peux pas vous affirmer que nous sommes au courant de tout ce que les Américains font au Canada, mais je ne m'attendrais pas à ce que la CIA conduise des opérations sur notre territoire à moins sans nous en informer d'abord et sans avoir obtenu notre accord. Je n'ai pas entendu dire qu'un tel accord a été donné, ni que ce genre d'activité se déroule au Canada.
Le sénateur Banks : Je vais revenir sur la question que le sénateur Zimmer vous a posée à propos des espions; je sais qu'en bonne compagnie, on ne doit pas les appeler ainsi, mais plutôt utiliser le titre d'agents de liaison, comme vous l'avez fait.
Mme Bloodworth : Non, ces gens-là sont des agents secrets. Les agents de liaison ne mènent pas d'actions clandestines, sans quoi ils auraient de la difficulté à conserver leur statut diplomatique.
Le sénateur Banks : S'il n'en tenait qu'à vous, demanderiez-vous au SCRS ou à une autre organisation de recueillir davantage de renseignement d'origine humaine? Consacreriez-vous davantage d'espions pour recueillir des données du renseignement de sécurité, plutôt que du renseignement politique ou économique? Insisteriez-vous davantage sur ce genre d'activité en recourant à du personnel travaillant au SCRS ou pour le SCRS?
Mme Bloodworth : Je ne vous étonnerai pas en vous disant qu'à mes yeux le renseignement est un élément très important de la sécurité nationale, mais les choses ne sont pas parfaites. En ce sens, ce que nous faisons s'apparente à du papotage mondain.
Le sénateur Banks : En l'absence de données du renseignement, nous ferions des erreurs.
Mme Bloodworth : Premièrement, même si nous avions un très solide système de collecte du renseignement, nous ferions encore des erreurs, parce que le système est humain. Il demeure que c'est un élément très important de la sécurité nationale, au Canada comme ailleurs dans le monde. Deuxièmement, il est bon que le Canada ait investi davantage dans le SCRS ces dernières années. Troisièmement, je vais revenir à ce que je disais tout à l'heure : en fin de compte, une augmentation rapide des budgets ne donne pas forcément de meilleurs résultats parce qu'une grande organisation a besoin de temps pour bien vivre sa croissance. Je vous ai parlé de recrutement et de formation et je vous ai dit que nous sommes limités à ce qu'il est possible de faire dans le temps. Pour l'instant, les services ont reçu le maximum de ce qu'ils peuvent raisonnablement utiliser.
Le sénateur Banks : Si le gouvernement décidait de renforcer notre capacité de collecte du renseignement en dehors du Canada, est-ce que vous lui conseilleriez de mettre sur pied un organisme distinct ou est-ce que vous confieriez ce mandat au SCRS à la faveur d'une modification de la loi?
Mme Bloodworth : Je ne vais pas répondre directement à cette question, sénateur, parce que je m'efforce de donner d'abord mes conseils aux ministres pour leur permettre ensuite de décider de ce qu'il faut faire. Toutefois, je peux vous parler de certaines choses. Ce gouvernement, comme le précédent, a dit qu'il allait se pencher sur cette question. Il ne fait aucun doute que la plupart, si ce n'est tous nos alliés ont des organisations spécialisées dans le renseignement étranger, et c'est d'ailleurs l'argument que nous servent ceux qui ont de telles organisations.
Le sénateur Banks : S'attendent-ils à ce que nous les imitions? Est-ce qu'ils se demandent pourquoi nous n'avons pas ce genre d'organisation?
Mme Bloodworth : La réponse ne m'apparaît pas clairement. Ce n'est pas une remarque que l'on m'a souvent faite, même si j'ai entendu cette suggestion d'un ou deux de mes interlocuteurs.
Le sénateur Banks : Les membres du comité en ont entendu parler.
Mme Bloodworth : Je ne l'ai pas entendu dire au cours des six derniers mois. Ça, c'est une chose. L'autre chose, c'est que le renseignement de sécurité est notre principale priorité, ce qui est normal. Bien que chaque pays dispose de ressources limitées et que nous n'échappions pas à cette règle, notre priorité doit aller à la collecte des données du renseignement de sécurité.
Comme la création de nouvelles organisations coûte cher et prend du temps, il faut tenir compte des avantages qu'on peut retirer d'une telle entreprise. C'est vrai pour le renseignement étranger tout comme pour n'importe quel type d'organisation. Un gouvernement devrait d'abord conclure que les avantages associés à la mise sur pied d'une telle organisation dépasseraient les coûts de l'opération. L'organisation d'un tel service prend du temps, surtout dans le domaine du renseignement où il est impossible de produire quoi que ce soit de façon instantanée quand on ne sait pas ce que l'on recherche au départ. Même le SCRS qui sait à propos de quoi il veut obtenir des données du renseignement, ne peut pas y arriver du jour au lendemain. Il faut du temps pour former le personnel, développer les sources et ainsi de suite.
Le sénateur Banks : C'est le même raisonnement pour tous les ordres de gouvernement, comme à l'échelon municipal quand il s'agit de se doter d'un service de lutte incendie constitué de gens mieux formés. Si le rapport entre le coût et les avantages associés à la mise en place d'un meilleur service incendie apparaît clairement pour la plupart des gens, à ce moment-là, l'argent ne revêt plus une aussi grande importance.
Mme Bloodworth : Je parlais de l'avantage qu'il y aurait de mettre sur pied une organisation distincte, plutôt que d'élargir le mandat du SCRS. Même dans l'exemple du service incendie, les ressources sont limitées et l'on ne peut pas absorber tout le budget disponible dans un temps limité.
Dans le domaine du renseignement, vous devez considérer que la division entre le renseignement intérieur et le renseignement extérieur est une conséquence de la guerre froide. Il existait une différence entre le renseignement étranger et le renseignement intérieur. Cette distinction s'est estompée avec le temps et nos alliés nous le confirment. Un grand nombre des menaces actuelles, qui prennent leur origine à l'étranger, se manifestent sur le territoire national des pays occidentaux. C'est un aspect dont il faut également tenir compte.
Le sénateur Banks : À cet égard, il est fort probable que le changement de conception associé aux changements de conjoncture soit tout aussi valable pour la collectivité du renseignement que pour les autres domaines de l'activité humaine. Avant, nous estimions que les menaces ayant pour origine un certain extrémisme religieux étaient exclusivement extérieures au Canada. Toutefois, nous avons appris depuis que tel n'est pas forcément le cas et que ces menaces peuvent se transporter chez nous. Cela ne prêche-t-il pas en faveur d'un examen de la question par une seule organisation, plutôt que par des organisations distinctes?
Mme Bloodworth : Je ne dirais pas que cette menace a toujours été importée. L'un des éléments les plus troublants dans le domaine du renseignement, c'est qu'une partie de la menace est en progression, pas uniquement ici, mais aussi ailleurs dans le monde. Je ne pense pas que nous soyons en mesure de parfaitement appréhender ce phénomène autour de cette table.
Le sénateur Banks : La menace a-t-elle plus d'une source?
Mme Bloodworth : Si, en parlant de la frontière qui s'est estompée entre le renseignement extérieur et le renseignement intérieur, vous vouliez dire que nous devons réfléchir à tout cela, je suis d'accord avec vous. Il est difficile de changer sa perception quand on évolue dans un certain domaine. Ce n'est pas toujours facile à faire. Nous avons entamé cette démarche il y a quelques années déjà et nous devons garder le cap. Le monde évolue, ce qui peut paraître banal, mais c'est une réalité dans mon domaine de compétence. Nous devons, en permanence, nous remettre en question pour ne pas supposer que, les choses s'étant toujours faites d'une certaine façon, il n'y a pas lieu d'en changer. Comme nous l'ont appris nos alliés et comme nous l'avons appris par nous-mêmes, nous ne sommes pas les seuls sur ce plan.
Le sénateur Day : J'aimerais avoir une précision au sujet de la surveillance et de votre rôle au sein du Bureau du Conseil privé et de conseillère auprès du premier ministre. Le sénateur Atkins vous a posé une question au sujet de la transmission de l'information dont les collectivités et les premiers intervenants ont besoin pour faire leur travail. La plupart des données du renseignement, susceptibles d'avoir des répercussions à l'échelle locale, sont recueillies par un organisme fédéral. Nous sommes confrontés à des problèmes d'interopérabilité et de différence entre le fédéral, les provinces et les administrations locales à ce sujet. Surveillez-vous ce qui se passe pour chercher à combler ces écarts? Votre rôle consiste-t-il notamment`a encadrer les différents organismes qui échangent des données du renseignement avec des organisations étrangères?
Notre comité s'est penché sur la Loi sur la sécurité publique, il y a deux ans, et sur l'importance de conclure des protocoles entre les organismes canadiens et étrangers avant qu'ils ne commencent à s'échanger des données. Êtes-vous investie d'un rôle de supervision visant à garantir l'application de la loi à l'échelon local ou à encadrer les gestionnaires pour s'assurer que tout est fait comme il se doit?
Mme Bloodworth : Merci pour votre question, parce qu'elle laisse entendre qu'il existe différentes sortes de surveillance. Normalement, la surveillance est exercée par un organisme de contrôle ou une organisation du Parlement qui examine les choses en détail. Il est un fait que les ministres et moi-même avons un rôle très important à jouer au nom du premier ministre. Je dois être prudente. Il est évident que je ne fais pas la même chose que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ni que l'inspecteur général dans le cas du SCRS. Ces gens-là passent leurs journées à examiner le détail des opérations au regard des politiques d'ensemble. Je vais vous donner deux exemples. L'information est transmise aux provinces, puis aux municipalités. J'hésite toujours à parler au nom des provinces et des municipalités, mais à ce sujet, elles vous diront sans doute que nous n'en faisons encore pas assez et je suis plutôt d'accord avec elles. Nous avons amélioré les choses grâce au CIEM et au réseau de diffusion du Centre des opérations du gouvernement qui est connecté un peu partout et qui assure la communication du renseignement pour le compte du CIEM.
Nous devons donc faire bien davantage. Nous avons énormément de travail à faire sur ce plan. Il n'est pas question de simplement transférer le renseignement brut, parce qu'on risquerait d'inonder les corps policier locaux, surtout les plus importants d'entre eux, à coup d'informations qu'il leur faudrait ensuite trier en mobilisant pour cela un personnel très important. Notre travail doit consister à faire beaucoup plus que de simplement transférer l'information. Nous devons aller chercher ce qui peut être utile à nos correspondants et ce n'est pas facile à faire. Nous nous sommes nettement améliorés sur ce plan. C'est l'un des aspects qui ressort quand on examine le CIEM. Pourrait-on faire davantage à cet égard?
S'agissant du partage du renseignement avec des agences étrangères, j'estime qu'une partie de mon travail consiste à veiller à ce que des accords aient été conclus. Reste ensuite à savoir si ces accords sont bien respectés, mais c'est là qu'interviennent les organisations de surveillance qui peuvent entrer davantage dans le détail. Je pense que le Commissariat à la protection de la vie privée a également un rôle très important à jouer en la matière. Je dois dire que mon expérience a été très positive avec la commissaire à la protection de la vie privée. Cela ne veut pas dire que nous sommes toujours d'accord. Mme Stoddart s'est montrée très disposée à collaborer avec nous pour mettre les systèmes sur pied. C'est là qu'il faut travailler les échanges, surtout les échanges par voie électronique. Si l'on intervient après coup, le résultat n'est pas aussi efficace. C'est à ce stade qu'il faut tout concevoir. Nous ne sommes pas toujours d'accord, mais la commissaire à la protection de la vie privée est prête à travailler sur ces questions et elle nous a beaucoup aidés pour nous permettre de travailler de la façon la moins indiscrète possible.
Le sénateur Day : Si le renseignement dont vous disposez vous indique une montée d'un terrorisme d'origine canadienne, votre rôle consiste-t-il à veiller au déploiement de ressources suffisantes pour faire face à ce nouveau danger en pleine évolution? Êtes-vous satisfaite de ce qui se fait? Est-ce le genre de suivi que vous assurez?
Mme Bloodworth : Cela fait partie de mon rôle, mais je ne suis pas la seule. Je ne suis pas convaincue que nous en savons suffisamment à ce sujet. Nous devons, entre autres choses, communiquer entre nous, parce que je pense que personne n'a la réponse à cette question. La table ronde interculturelle nous a été très utile parce qu'elle nous a permis de nous faire une idée des répercussions possibles des mesures susceptibles d'être prises par les collectivités. Les universitaires aussi peuvent nous aider, et ils ont d'ailleurs fait des recherches à ce propos. Je ne vous ferai pas croire que je sais exactement où investir les ressources.
Le sénateur Day : Qui dirige la coordination? Je suis d'accord avec vous pour dire que les ressources ne manquent pas.
Mme Bloodworth : Dans l'ensemble, c'est moi qui m'en occupe. Toutefois, le gros du travail s'accomplit au quotidien. Le SCRS en effectue une partie, la GRC en a fait beaucoup et Sécurité publique appuie la table ronde interculturelle. Il y a beaucoup d'intervenants. Il demeure que, dans l'ensemble, c'est à moi qu'incombe la responsabilité de désigner quelqu'un pour faire le travail, si personne ne s'en occupe.
Le sénateur Banks : Pourriez-vous faire parvenir au greffier un document nous donnant une idée du nombre de fois où la table ronde interculturelle s'est réunie?
Mme Bloodworth : Très certainement. Sécurité publique pourrait vous fournir cette information.
Le président : Vous avez parlé du Centre des opérations du gouvernement. Vos prédécesseurs aussi nous en ont parlé quand celui-ci en était à la phase de lancement. Avez-vous eu l'occasion de vous réunir dans ce centre et d'y travailler?
Mme Bloodworth : Bien sûr, parce que celui-ci faisait partie de Sécurité publique et Protection civile, et j'y ai passé beaucoup de temps pendant que j'étais au ministère. J'ai rencontré le patron du centre, mais je n'y suis pas retournée depuis que j'ai assumé mes nouvelles fonctions au BCP.
Le président : Il nous a également invités à le visiter. Cette invitation tient-elle toujours?
Mme Bloodworth : S'il vous a invité, je suis sûre qu'elle tient toujours.
Le président : Il l'avait fait à titre de conseiller national pour la sécurité.
Mme Bloodworth : Est-ce mon prédécesseur que vous voulez rencontrer? Je pensais que vous vouliez rencontrer le responsable de l'organisation. Bien sûr, il n'y a aucune raison pour laquelle votre comité ne pourrait pas aller visiter le Centre des opérations.
Le président : Il nous avait demandé de l'appeler 24 heures à l'avance pour organiser la visite.
Mme Marcoux : Comme je le rencontre cette semaine, je pourrai lui en parler.
Le président : Je voulais juste confirmer la visite.
Merci beaucoup d'être venues nous rencontrer et sachez que nous avons apprécié cette visite. Merci beaucoup de nous avoir communiqué toutes ces informations. Nous devrions vous réinviter avant la fin de nos travaux, mais je pense que nous sommes bien partis.
Nous accueillons maintenant Reed Morden, de Reed Morden et associés, qui va nous faire part de conseils et de remarques sur le renseignement, la sécurité et les questions de politique gouvernementale.
M. Morden est un ancien fonctionnaire qui a occupé plusieurs postes élevés dans la hiérarchie, notamment celui de directeur du Service canadien des renseignements, celui de sous-ministre des Affaires étrangères et celui de président et de pdg d'Énergie atomique du Canada Ltée. Par la suite, il a passé quatre ans dans le secteur privé à s'occuper essentiellement de questions de renseignements commerciaux et de sécurité et de renseignement. Il est actuellement directeur général de la Commission d'enquête indépendante sur le programme nourriture contre pétrole des Nations Unies, et cela dans le cadre d'une désignation avec exclusion.
Monsieur Morden, c'est un privilège que de vous accueillir aujourd'hui.
Reid Morden, Reid Morden et associés : Le professeur Frank Harvey de l'Université Dalhousie a écrit un jour que, peu importe l'importance du budget consacré à la défense intérieure du Canada, nous serons toujours jugés durement, chez nous comme à l'étranger, et uniquement sur nos échecs. C'est ainsi que vont les choses dans un monde où l'on entretient de plus en plus d'attentes. C'est aussi pour cela que le mandat et les activités de votre comité sont tellement importants pour le Canada.
Nous vivons de toute évidence dans un monde complexe et dangereux. Depuis la tragédie du 11 septembre, nous avons connu les attentats terroristes de Bali, de Madrid et de Londres et avons assisté à nombre d'arrestations en Asie, au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis. On note des tensions un peu partout dans le monde, en Afghanistan, en Corée du Nord, au Soudan et au Moyen-Orient.
Dans un sondage réalisé l'automne dernier, les Canadiens se disaient résignés à l'inéluctabilité d'une attaque terroriste contre le Canada et, pis encore, très peu disent accorder foi aux déclarations des politiciens à ce sujet. Je ne sais pas si ce constat est pire ou meilleur que de voir des Canadiens baisser la garde en se disant que ça n'arrive qu'aux autres.
Il est certain que, depuis le 11 septembre 2001, nous avons fait du rattrapage tant sur le plan financier que sur celui des ressources en personnel dans le domaine du renseignement et de la sécurité. Mais est-ce assez? L'effort a-t-il été suffisamment ciblé? A-t-on raisonnablement dépensé les budgets qui ont été débloqués et l'a-t-on fait aux fins prévues? Personnellement, je dirais que nous avons apporté à ces questions des réponses canadiennes par excellence, du genre : peut-être; probablement; oui, la plupart du temps. Cela me porte à conclure que nous avons pris un départ raisonnable dans ce qui s'annonce être un long, lent et coûteux processus de remise sur pied après des années de laissez faire.
Votre comité a publié deux rapports importants sur la sécurité dans les aéroports et les ports. J'espère que le gouvernement y apportera toute l'attention voulue. Je dois dire que la recommandation visant à modifier la responsabilité du ministère des Transports a jeté un peu de lumière sur cette zone grise notamment constituée par la relation qui existait entre le ministère et ce que j'appellerais une société d'État captive, l'ACSTA ou Administration canadienne de la sécurité du transport aérien. Si votre recommandation devait être adoptée, il ne resterait plus qu'un seul gros joueur du secteur du renseignement à ne pas faire partie du portefeuille de Sécurité publique Canada, je veux parler du Centre de la sécurité des télécommunications qui demeure au MDN.
Avant le 11 septembre, la collectivité de la sécurité et du renseignement au Canada était divisée entre le renseignement étranger, le renseignement de sécurité, le renseignement militaire et le renseignement criminel. Ces différentes dimensions relevaient des « suspects » habituels, autrement dit le ministère des Affaires étrangères, le SCRS, le SCT et la GRC. Après le 11 septembre, la structure n'a guère changé, si ce n'est qu'elle a été étayée par de nouveaux pouvoirs et de nouvelles ressources. Par ailleurs, on a vu apparaître un nombre considérable de nouveaux ministères et organismes qui jouent un rôle plus ou moins important dans l'univers du renseignement.
En fin de compte, le premier ministre demeure responsable de la sécurité du pays. Le premier ministre est toujours très peu intervenu directement dans ce domaine. Son ministère, le Bureau du Conseil privé, coordonne les activités de la collectivité de la sécurité et du renseignement, mais d'un point de vue administratif. À l'époque où il n'y avait pas de crise, avant que le rythme des événements s'accélère, ce mode de fonctionnement était satisfaisant. Cependant, l'époque a changé et il est maintenant temps de nommer un grand responsable à la tête de tout le secteur.
Je parle ici de principe, mes commentaires ne se voulant pas une critique des deux fonctionnaires qui ont témoigné avant moi. Je les connais d'ailleurs toutes deux et je dois dire qu'elles sont capables et compétentes.
De plus, le BCP est trop près de l'appareil politique. Il est à présent nécessaire de conclure des ententes portant sur la coordination et la production de données du renseignement pour s'assurer que tout le système de renseignement et de sécurité est dirigé contre les menaces qui, de l'avis général, pèsent sur le pays. Pour cela, il faut pouvoir s'appuyer sur des informations qui devront être interprétées par des spécialistes plutôt que par des politiciens. Les modèles ne manquent pas à l'étranger. En Grande-Bretagne, c'est le président du Joint Intelligence Committee qui dirige la structure du renseignement. Les Américains ont leur directeur du renseignement national ainsi que le département de la Sécurité intérieure. Ces deux modèles ont leurs défenseurs et leurs détracteurs. Loin de moi l'intention de minimiser les complexités de tout changement d'envergure, mais l'expérience nous montre que les structures importées ne donnent pas forcément de bons résultats quand on les applique à des milieux différents. Tout changement que nous allons apporter à la structure de notre collectivité du renseignement de sécurité devra être entièrement conçu chez nous. Peu importe la forme que revêtira la nouvelle structure, celle-ci devra être dirigée par un responsable de haut rang connaissant le domaine et étant respecté dans la collectivité du renseignement et dans le milieu gouvernemental. Afin de souligner le caractère central de son rôle, le patron de cet organisme, quelle que soit sa place dans l'organigramme, devra pouvoir accéder sans entraves aux membres du Cabinet y compris au premier ministre, ainsi qu'au greffier du Conseil privé.
Je terminerai par deux choses. D'abord, il est question d'ajouter une dimension d'espionnage à l'étranger à l'arsenal de sécurité canadien. La nature internationale du terrorisme nous a amené à nous demander si les pays qui sont actifs dans le domaine du contre-terrorisme doivent mener leurs propres opérations de collecte du renseignement étranger. Contrairement aux pays avec lesquels il s'associe traditionnellement, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, le Canada ne dispose d'aucun service de renseignement étranger. En a-t-il besoin? Jusqu'à récemment, je vous aurais répondu par la négative et je suis encore d'avis que ce genre d'entreprise serait une erreur très coûteuse.
Tout d'abord, le Canada pratique déjà la collecte de renseignements étrangers commerciaux, surtout grâce à des activités de recherche et d'analyse à l'étranger, sous l'égide du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Défense nationale ainsi que du SCT. Deuxièmement, ces ministères et le SCRS ainsi que la GRC ont des partenaires et des contacts un peu partout dans le monde avec qui ils travaillent en étroite relation et qui leur fournissent des données essentielles. Troisièmement, la loi sur le SCRS est très souple, puisqu'elle permet aux Affaires étrangères et au MDN de recueillir les données qui les intéressent. Enfin, il semble que la combinaison de nos ressources et de nos réseaux avec ceux de nos alliés et de nos autres partenaires internationaux nous permet de répondre adéquatement aux menaces terroristes qui pèsent sur le Canada, surtout à celles des extrémistes sunnites. Quoi qu'il en soit, le moment est peut-être venu d'examiner la question.
Tout d'abord, force est de constater que la création d'un service du renseignement étranger est un thème porteur du programme de l'actuel gouvernement. Deuxièmement, l'ancien patron de l'espionnage britannique, plus couramment connu sous le vocable MI-6, sir Richard Dearlove, a reproché au Canada, — de façon provocante et, selon moi, injustifiée — de profiter du renseignement recueilli par ses alliés. Troisièmement, étant donné l'engagement très sérieux que les Forces canadiennes ont pris en Afghanistan, il est nécessaire de leur fournir les meilleures données du renseignement tactique possible.
Cela étant posé, la mission centrale ne devrait pas être différente de celle consistant à identifier la menace et à garantir la sécurité du Canada. D'ailleurs, depuis le 11 septembre 2001 et après les attentats qui ont suivi, la plupart des organisations du renseignement admettront que la différence entre le renseignement de sécurité et le renseignement étranger s'est progressivement estompée et que nombre de pays ont opté pour la formule dite du service de renseignement hybride ou mixte.
Il faut songer à la valeur ajoutée qu'apporterait un nouvel organisme sur les plans de la recherche et de l'analyse des données. Deux questions semblent particulièrement importantes à cet égard. Premièrement, les Forces canadiennes recueillent-elles des informations brutes adéquates grâce à leurs propres opérations et aux efforts de leurs alliés? Deuxièmement, si nous obtenons l'essentiel du renseignement militaire de nos alliés, n'y a-t-il pas lieu de se demander si celui-ci ne risque pas d'être volontairement biaisé ou destiné à servir les intérêts du pays qui en est la source.
Peu importe la façon dont on répond à ces questions, celles-ci touchent à des préoccupations plus vastes. Premièrement, on rejoint évidemment le commentaire de Dearlove : apportons-nous une contribution raisonnable en matière de renseignement aux termes des ententes de partage que nous avons conclues avec nos alliés? Deuxièmement, allons-nous sensiblement améliorer notre valeur d'allié en déposant sur la table commune des données du renseignement étranger d'origine canadienne?
Bien sûr, la décision de créer un service du renseignement étranger sera subordonnée à des aspects comme la qualité, la portée, l'utilité par rapport à la tolérance et les coûts.
Nous devons supposer que le Canada voudra se doter d'un service du renseignement étranger de grande qualité et que, malgré les petites unités expertes qu'on trouve au ministère des Affaires étrangères et au Bureau du Conseil privé, il faudra entreprendre un vaste programme de recrutement et de formation qui s'étendra sur un certain nombre d'années.
J'insiste aussi sur le fait que tout examen devra porter sur la qualité et la quantité de nos ressources que nous consacrerons à l'analyse. Avons-nous su attirer au gouvernement, que ce soit au SCRS, à la GRC, au CST, au BCP ou au MAECI les meilleurs éléments aptes à assumer cette fonction vitale? Qui plus est, nos analystes exploitent-ils pleinement toute la gamme des données non secrètes actuellement accessibles? Pourquoi ajouter une structure à ce qui est déjà un enchevêtrement bureaucratique, quand on sait que la plus grande partie de ce qui est nécessaire pour se faire une idée de la situation est facilement accessible sur Internet, par exemple, ou peut être acheté sous une forme de produit « fait sur mesure » auprès de différentes sources générale à qui l'on peut faire confiance? Par ailleurs, certains disent qu'afin de limiter les coûts, le Canada n'a pas besoin de se doter d'un service de recherche du renseignement étranger qui aurait une envergure internationale, mais qu'il devrait pouvoir compter sur un service occupant un créneau correspondant à ses intérêts immédiats. L'argument n'est pas convaincant. Tant que nous aurons une politique étrangère concernant le monde entier, tant qu'il existera une menace terroriste venant de n'importe où dans le monde, tant que nous continuerons d'ouvrir les portes à ceux et à celles qui sont véritablement opprimés, et tant que nous estimerons que nos forces armées peuvent être des agents de consolidation de la paix et de la stabilité dans le monde, j'estimerai qu'il y a peu de raisons de limiter un éventuel service de renseignement étranger à une vocation régionale, comme l'ont fait l'Australie et l'Italie.
Cela nous amène à la question de l'utilité par rapport à la tolérance au risque. Les opérations du renseignement étranger sont synonymes de risques très élevés et il faut se demander si les Canadiens ou le gouvernement auront le cran nécessaire pour faire face à un environnement truffé de risques.
Les options sont simples. Premièrement, nous avons la possibilité d'en rester au statu quo, qui nous permet de disposer d'énormément de données que nous pouvons analyser. Deuxièmement, nous pouvons créer un service du renseignement étranger complètement indépendant ou simplement abrité dans les locaux des Affaires étrangères, comme c'est le cas du Foreign Office en Grande-Bretagne. Troisièmement, nous avons la possibilité d'adapter un organisme existant, comme le SCRS dans ce cas, pour l'amener progressivement à faire du renseignement étranger.
Tant qu'à faire, c'est cette dernière solution que je préférerais. Un modèle fort simple consisterait à créer une branche distincte et autonome au sein du SCRS qui pourrait utiliser les infrastructures de formation et d'administration existantes et donc bénéficier de gains d'efficacité et de coûts. Cette formule permettrait à ce service d'atteindre plus rapidement sa vitesse de croisière sans que nous écartions pour autant la possibilité de mettre un jour sur pied un organisme exclusivement consacré à la recherche de renseignement étranger.
Enfin, m'importe quel nouvel organisme aura besoin d'une assise législative. L'article 16 de la Loi sur le SCRS permet à ce service de recueillir des données du renseignement dans les limites du Canada, à la demande expresse des ministres de la Défense nationale et des Affaires étrangères. Les agents du SCRS ont donc acquis, au cours des 20 dernières années et même plus, une vaste compétence dans le domaine du renseignement étranger et du renseignement de défense. Le simple retrait des mots « dans les limites du Canada » de l'article 16 de la Loi sur le SCRS permettrait de transformer le mandat de cet organisme pour lui permettre de répondre parfaitement à nos besoins dans le domaine du renseignement étranger.
Parlons très brièvement de la dernière question, soit le retour de la GRC dans l'univers opérationnel du renseignement de sécurité. Les corps policiers contribuent à la recherche du renseignement, mais ils en sont également d'importants clients. Cela soulève la question du degré de recoupement que l'on peut tolérer entre le domaine du renseignement et celui de l'application de la loi, du moins la question du resserrement entre ces deux pôles institutionnels.
Au Canada, le tout débute essentiellement par la GRC et le SCRS. Le fond du problème réside dans la différence entre les objectifs du renseignement de sécurité et ceux de l'application de la loi. On pourrait dire plus simplement que le renseignement de sécurité est affaire de prévention, tandis que l'application de la loi est affaire de poursuites, comme deux commissions royales nous l'ont enseigné. Pourtant, comme l'ont fait ressortir les travaux de la commission Arar ainsi que l'arrêt Juliet O'Neill, la GRC est pleinement de retour dans l'arène. Il va falloir que le gouvernement prenne le taureau par les cornes et répartisse les tâches entre le SCRS et la GRC avant qu'une autre erreur grave ne soit commise.
Pour conclure, je dirai que le 11 septembre a mené le gouvernement fédéral à faire front autour d'un objectif commun : protéger le pays et ses citoyens. Nous nous trouvons dans une situation inégalée dans l'histoire où il est à la fois nécessaire et possible de mieux coopérer et de mieux coordonner nos actions avec les provinces et les municipalités. Afin d'exploiter ces synergies potentielles, nos dirigeants canadiens au Parlement, toutes allégeances confondues, devront garder le cap pour essayer de bien comprendre la menace et de bien faire savoir à la population que celle-ci est réelle. Elle est en effet tout aussi réelle pour le Canada qu'elle l'est pour les autres pays occidentaux. Le Canada et ses gouvernements ne doivent pas se rendormir. Le danger est réel et l'adversaire, comme la presse quotidienne nous l'apprend, est patient et impitoyable.
Le président : Merci, monsieur Morden, pour cette déclaration d'ouverture qui n'a pas manqué de nous intéresser et de nous interpeller.
Le sénateur Zimmer : Monsieur Morden, votre exposé était perspicace et débordant de sincérité.
Je vais revenir sur votre dernier paragraphe dans lequel vous dites que le 11 septembre a amené le gouvernement fédéral à faire front autour d'un double objectif commun : protéger le pays et ses citoyens qui sont en péril et favoriser la collaboration et la coordination entre les provinces et les municipalités.
Six mois avant le 11 septembre, j'ai eu le privilège de passer trois jours au quartier général du NORAD, au Mont Cheyenne. Après la visite, nous avons eu droit à un débriefing par les généraux. Il nous est apparu, après trois jours, que si tous les pays du monde décidaient d'utiliser leur arsenal de guerre, nous ne pourrions rien y faire. C'est effrayant. J'ai posé une dernière question au général : savez-vous où se trouve tout cet arsenal exactement? Il s'est tourné vers son collègue et a dit « rien ne peut nous surprendre », puis est arrivé le 11 septembre.
Cette anecdote a un lien avec ce que vous avez dit tout à l'heure, en ce sens que je veux vous parler de choses remontant à l'époque où vous étiez directeur du SCRS et je veux aussi parler de ce qui s'est passé à partir du 11 septembre. À quelle régularité rencontriez-vous le premier ministre ou les membres de son Cabinet sur les questions de sécurité et de renseignement?
M. Morden : Comme je l'ai dit en conclusion, j'ai été directeur du SCRS quelques années avant le 11 septembre, quand ce service faisait surtout de la contre-ingérence et non du contreterrorisme.
Nous ne sommes pas dans un mode de crise, nous sommes plutôt dans une phase d'attente où il nous faut être patients. Jusqu'au 11 septembre, les premiers ministres n'ont participé que très peu à ces questions-là, au quotidien.
Je rencontrais mon ministre au moins une fois par semaine, parfois plus souvent, et je pouvais répondre aux appels occasionnels des autres membres du Cabinet.
Le sénateur Zimmer : Vous avez été directeur du service avant le 11 septembre 2001, mais à l'époque, est-ce que le premier ministre bénéficiait de briefing quotidien sur le renseignement organisé par le SRCS?
M. Morden : Je suis heureux que vous posiez la question.
Je pourrais vous répondre très brièvement par la négative. Si je devais préciser, je vous dirais que les choses ont commencé à changer après mon arrivée à la tête du SCRS. Il nous était apparu nécessaire d'améliorer la capacité d'analyse du service. Nous avons donc pris les mesures voulues pour diffuser le produit de nos analyses. Eh bien, j'ai été très surpris de constater que mes collègues sous-ministres autour de la table ne réagissaient pas à ces documents d'information. C'est alors que nous nous sommes rendu compte que les fonctionnaires chargés de la sécurité dans les différents ministères, estimant que l'information était trop délicate, avaient décidé de la garder sous le coude. Ils ne la faisaient donc pas parvenir à ceux et à celles qui auraient pu s'en servir.
Pour ce qui est du renseignement, je crois que le premier ministre bénéficiait de briefings réguliers et qu'il recevait des mises à jour par l'intermédiaire du Secrétariat de la sécurité et du renseignement au BCP. À l'époque, il n'était pas vraiment nécessaire, étant donné l'insistance que nous mettions sur la contre-ingérence, d'envoyer des comptes rendus quotidiens ou même hebdomadaires au chef du gouvernement. En revanche, dès que j'estimais nécessaire de voir le premier ministre pour lui parler d'un problème ou d'un autre, il s'arrangeait toujours pour me recevoir.
Le sénateur Zimmer : À quoi ressemblait le genre de conseils ou d'informations que vous fournissiez au premier ministre et quel genre de conseils vous demandait-il?
M. Morden : À l'époque, je crois qu'il nous incombait, à nous, de décider de ce qu'il fallait communiquer au premier ministre. Pour parvenir à ce genre de conclusion, nous discutions des enjeux et de leur importance relative avec le ministre responsable qui, à l'époque, était le solliciteur général.
Le premier ministre ne réclamait pas vraiment de séances d'information au sujet du renseignement étranger. D'un autre côté, nous organisions régulièrement des séances de consultation faisant intervenir les différents membres de la collectivité du renseignement, au plus haut échelon, séances auxquelles participait le coordonnateur du renseignement du Bureau du Conseil privé. C'est à ce moment-là qu'on décidait du genre de renseignement à transmettre au premier ministre.
Le sénateur Zimmer : Cela se faisait-il verbalement ou par écrit?
M. Morden : Verbalement.
Le sénateur Zimmer : Quand vous étiez au SCRS, comment était décidé les exigences du gouvernement en matière du renseignement étaient-elles établies, approuvées, puis communiquées à tous les ministères et organismes aux fins de la recherche des informations nécessaires?
M. Morden : Nous nous appuyions sur un cadre des « exigences du renseignement ». Ces exigences étaient élaborées dans le cadre d'un processus sectoriel et interministériel portant sur le renseignement de sécurité. Compte tenu de son mandat, le SCRS préparait un premier document énonçant les priorités en fonction des menaces à la sécurité nationale et précisant comment y faire face. Ce document était distribué, nous en discutions et il était finalement approuvé par le comité du Cabinet responsable du renseignement de la sécurité.
Le sénateur Zimmer : Quelle procédure était en place à l'époque afin de vous assurer que les comptes rendus étaient exacts? Essayiez-vous de confirmer la véracité des sources et des informations?
M. Morden : Je n'en suis pas sûr. Il était possible de vérifier cela n'importe quand. Dans la phase qui précédait la communication au Cabinet de dossiers connu ou pas des autres parties de notre collectivité, les gens pouvaient poser des questions pour voir si le SCRS, dans ce cas, avait fait son travail et s'il présentait un document digne de foi. C'est ainsi que les choses se passaient.
Le sénateur Zimmer : La hiérarchie des responsabilités vous satisfaisait-elle? Estimiez-vous qu'il fallait en faire davantage ou étiez-vous satisfait des procédures en place?
M. Morden : À l'époque et compte tenu des circonstances, je pense que la procédure était adaptée aux événements de l'heure. J'insiste encore une fois sur le fait que, si quelque chose d'urgent survenait ou s'il se produisait quelque chose exigeant l'adoption de mesures immédiates, je pouvais toujours mettre la main sur mon ministre ou sur n'importe quel autre ministre concerné de même que sur le premier ministre pour discuter de la question et prendre les décisions qui s'imposaient.
Le sénateur Zimmer : Pouvez-vous dire au comité ce que vous pensez de la menace actuelle? Estimez-vous que les ressources attribuées à la collectivité de la sécurité et du renseignement sont suffisantes pour faire face à ces menaces?
M. Morden : Pour vous répondre, je dois retourner à l'époque des réductions budgétaires des années 1990 qui avaient pour objet de juguler le déficit. À cause de cela, la GRC et le SCRS ont perdu environ 25 p. 100 de leurs ressources humaines et financières. Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, nous sommes en train de revenir lentement sur les rails et cela va prendre du temps. Nous avons réalisé d'importants progrès, mais nous ne faisons qu'essayer de répondre à cette question impossible qui consiste à définir combien il faudra mettre pour que ce soit assez, je ne pense pas nous ayons rebâti notre capacité, ni que nous soyons allé assez loin. Il reste encore beaucoup de travail à faire. Les rapports que votre comité a rendus publics la semaine dernière précisent justement certains domaines dans lesquels un surcroît de travail s'impose.
Le sénateur Zimmer : Étant donné l'insistance que l'on place sur la menace en faisons-nous suffisamment pour contrer l'espionnage et lutter contre les menaces qui pèsent sur les infrastructures essentielles?
M. Morden : Nous allons dans le bon sens. Il y a eu le 11 septembre. D'après les contacts que j'ai eus avec des gens qui travaillent dans le domaine de la protection civile en Ontario, par exemple, je sais que les attitudes ont changé après le 11 septembre et ils m'ont dit que leurs homologues fédéraux font preuve de plus d'ouverture et d'une plus grande disposition à collaborer.
J'ai été frappé par les progrès très importants réalisés sur ce plan. C'est très évident dans une structure fédérale comme la nôtre où plusieurs paliers de gouvernement interviennent; il faut en permanence se demander si les gens ont fait ce qu'il fallait et s'il faut faire davantage pour les amener à collaborer entre eux. Quoi de plus important, en effet, que de s'occuper des premiers intervenants, des pompiers municipaux, des services de police et des hôpitaux? Un attentat terroriste pourrait occasionner une catastrophe d'envergure.
Est-ce assez? Eh bien, je me répète, c'est un début. Il demeure qu'au lendemain des attentats du 11 septembre, l'organisation de la protection civile du gouvernement fédéral — qui était affublée d'un sigle impossible à se rappeler — s'est rendu compte qu'elle n'avait pas fait l'inventaire des structures essentielles du pays, des gros bâtiments symboliques qui pouvaient être des cibles tentantes pour des terroristes désireux de faire passer un message. Il y a six ans, nous avons dû ramener à la surface bien des choses qui ne se faisaient plus, pour lesquelles il n'y avait pas de fonds, afin de recommencer à assembler le puzzle. Nous avons fait des progrès, mais il reste encore beaucoup à faire.
Le sénateur Zimmer : Pensez-vous que la collectivité du renseignement de sécurité est suffisamment prête et disposée pour identifier les menaces d'origine canadienne et pour y réagir?
M. Morden : Ce genre de capacité présente plusieurs facettes. D'abord, pour ce qui est des menaces à la sécurité associées à l'espionnage, il faut dire que le système est très bien rôdé. Quand le terrorisme est devenu l'enjeu dominant, et que les ressources ont été transférées à la lutte contre le terrorisme, après la fin de la guerre froide, les gens ont commencé à comprendre que la menace provenait d'endroits qui n'étaient pas bien compris par la collectivité de la sécurité et du renseignement au Canada, mais ailleurs également. Les gens se sont donc attelés à la tâche. Ils ont aussi entrepris un recrutement délibéré dans les milieux où se situait la menace afin que ces gens-là adhèrent aux institutions gouvernementales.
Bien sûr, le milieu du renseignement a toujours respecté des limites très strictes, celles du harcèlement ou de l'intrusion indésirable dans les différentes collectivités qui constituent la société canadienne. J'estime que c'est très bien. Qui plus est, j'espère que malgré tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés, nous ne cesserons jamais de respecter la vie privée des Canadiennes et des Canadiens, quelle que soit leur origine. Cela dit, il reste encore sans doute beaucoup de travail à faire pour comprendre les menaces présentes au Canada. En faisons-nous suffisamment pour le moment? Certains pourraient vous dire que non.
Le président : Monsieur Morden, un premier ministre a un jour déclaré, après avoir été critiqué au sujet de la composition de son cabinet, qu'il est difficile de constituer un cabinet parce qu'un premier ministre n'a pas toujours la possibilité d'en choisir les membres.
Vous avez servi sous plusieurs ministres en qualité de sous-ministre des Affaires étrangères et de responsable du SCRS. Nous savons tous que le solliciteur général — fonction qui n'existe plus — était le 16e, 18e ou 23e choix du premier ministre lors de la constitution de son cabinet. Pourriez-vous indiquer, pour les membres du comité, si les solliciteurs généraux avec qui vous eu affaire comprenaient en général votre travail et s'ils étaient suffisamment outillés pour transmettre à leurs collègues ce que vous leur disiez?
M. Morden : Je n'ai pratiquement jamais vu un nouveau ministre assumant la responsabilité de ce portefeuille ou du portefeuille des affaires étrangères qui ait été assez bien outillé pour composer avec toutes les nuances et les complexités de son ministère. Chaque fois qu'un cabinet est constitué ou qu'il y a eu un remaniement ministériel, les ministères consacrent beaucoup de temps et d'efforts pour mettre leur nouveau ministre au courant des dossiers le plus rapidement possible. Ils investissent énormément dans ces séances d'information. Évidemment, certains ministres apprennent plus vite que d'autres.
Le président : Et pour ceux qui apprennent lentement, de quel recours dispose le patron d'un organisme? Le greffier? Comment vous attaquez-vous à ce problème?
M. Morden : En cas de problème grave, j'aurais toujours pu m'adresser au greffier. Sans revenir sur ce que vous avez dit à propos du choix du solliciteur général — premier, deuxième ou vingt-troisième sur la liste du premier ministre —, ce n'était de toute façon pas un portefeuille très recherché. Je ne pense pas qu'un seul politicien ait été ravi qu'on lui dise que la bonne nouvelle était son entrée au Cabinet et que la mauvaise était sa nomination au portefeuille du solliciteur général.
Regardez la durée des mandats des solliciteurs généraux et vous constaterez qu'ils ne sont pas restés longtemps dans cette fonction, pour une raison ou une autre. Cela veut dire que les responsables du domaine de la sécurité et du renseignement passaient une grande partie de leur temps à informer les nouveaux ministres afin, on peut l'espérer, de leur permettre de mieux comprendre la situation. Et puis, dans ce genre de situation, on parle avec les collègues. En cas de problème grave, on se tourne vers le greffier. S'il y avait eu un problème très grave, parce que je n'ai jamais rencontré cette situation à mon époque, nous nous serions adressés au premier ministre.
Le sénateur Banks : Je suis heureux qu'il n'y ait jamais eu de problème grave pendant que vous étiez à la tête du SCRS. Je vais vous raconter une petite blague à ce sujet. Ma femme et moi sommes toujours ensemble parce que c'est moi qui prends les décisions vraiment importantes tandis qu'elle s'occupe de tout le reste; toutefois, nous n'avons jamais eu, jusqu'ici, à prendre de décisions vraiment importantes.
Dans votre introduction, vous avez dit que la frontière entre le renseignement étranger et le renseignement de sécurité est en train de s'estomper. Comme nous sommes des néophytes, pourriez-vous nous ramener à l'époque qui a précédé cette confusion des genres et nous expliquer la différence qui existait alors. Comment définissez-vous la différence entre ces deux volets de la collectivité du renseignement?
M. Morden : Il y a deux ou trois choses qui tiennent à la théorie de la constitution des services du renseignement.
Le sénateur Banks : C'est précisément la question que je vous pose.
M. Morden : Les gens du renseignement de sécurité, qu'il s'agisse de ceux du MI-5 ou de ceux des RG en France, sont très proches des services de police avec qui les transferts de dossier sont réciproques et faciles. D'un autre côté, les services de renseignement à l'étranger recueillent des données qui s'apparentent à du renseignement politique et, jusqu'à ce que le terrorisme occupe l'avant-scène, il s'agissait de deux mondes différents. Bien sûr, le MI-5 britannique fait partie du Home Office et du service de renseignement secret, et le MI-6 est plus ou moins rattaché au Foreign Office.
On disait aussi que ces différents services recrutaient des personnes différentes, celles devant travailler pour le renseignement étranger ayant un certain sens politique et étant peut-être plus aptes que les autres à se mêler à des diplomates et à des dignitaires étrangers. Quant aux spécialistes du renseignement de sécurité, ils étaient appelés à travailler dans l'ombre, à faire des analyses détaillées, importantes mais ennuyeuses, pour établir un lien entre différentes cibles éventuelles.
Comme vous le savez, le seul service regroupé au monde a été, pendant longtemps, le KGB soviétique, mais une cloison très épaisse séparait le côté renseignement de sécurité du côté opérations d'espionnage à l'étranger ou renseignement étranger, chaque service relevant d'une direction générale différente. Aujourd'hui, les Russes ne sont plus aussi intéressés aux aspects politiques qu'à cette époque et une nouvelle dimension est apparue. La plupart des pays occidentaux affirment que la lutte contre le terrorisme est leur grande priorité et qu'il convient donc d'y affecter des ressources suffisantes, notamment en matière de renseignement étranger et de renseignement de sécurité.
À cause de cela, certains ont décidé de modifier la façon dont ils ont structuré leurs services de renseignement et ont opté pour des organismes mixtes ou hybrides qui font les deux. À l'heure actuelle, une vingtaine de pays ont choisi cette formule, beaucoup d'entre eux sont petits au point que l'élément budgétaire a sans doute joué, mais d'autres sont très importants, comme la Chine. Parmi nos alliés occidentaux, les deux pays les plus remarquables à s'être dotés d'organismes hybrides sont la Nouvelle-Zélande et les Pays-Bas. Il est donc admis que les deux volets du renseignement peuvent être mariés. Voilà donc l'orientation que nous a imposée l'histoire.
Le sénateur Banks : Cette différence tient-elle au fait que les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande sont deux pays relativement petits? Je vous pose cette question parce qu'on peut se dire qu'il est certainement plus complexe de rechercher, de produire et de fusionner des données du renseignement dans un immense pays comme le Canada, n'est- ce pas?
M. Morden : C'est à la fois plus et moins compliqué parce que, comme l'a montré le dernier recensement, la population du Canada est concentrée dans un nombre relativement faible de régions urbaines. Cela étant, les ressources sont concentrées sur un territoire relativement plus petit.
On peut cependant affirmer que l'activité est sans doute moins compliquée dans des pays de petite taille. Toutefois, les Hollandais ont toujours été très actifs dans l'univers du renseignement. Ils ont un pays vulnérable qui défend ses propres valeurs, mais qui est une terre d'immigration et de transit, à cause de tous ses ports. Quand j'étais directeur du SCRS, j'ai eu l'occasion d'aller visiter les Pays-Bas et j'ai constaté que les Hollandais s'intéressent de très près à tout ce qui se passe en Europe. Ils ont décidé d'opter pour un service de renseignement hybride et je suis sûr qu'ils y ont réfléchi très sérieusement avant de prendre cette décision.
Le sénateur Banks : Pensez-vous que le Canada devrait suivre cet exemple? Si nous devions nous lancer dans le renseignement humain à l'étranger, estimez-vous que nous devrions le faire sous les auspices du SCRS?
M. Morden : J'ai émis cette hypothèse parce que, si le Canada décide de se lancer dans le renseignement étranger, il faudra qu'il le fasse le plus rapidement possible. Après sa séparation du Service de sécurité de la GRC, en 1984, le SCRS a connu de nombreux maux de jeunesse. Au risque de simplifier les choses à outrance, je vous dirai que ces gens- là, qui avaient été des agents du renseignement durant toute leur vie, ont dû, à partir de ce moment là, administrer une organisation qui avait relevé de la GRC. Un soir, par exemple, des agents avaient eu besoin de 20 radios pour une opération. Arrivés sur place, ils se sont aperçus que les radios n'étaient pas là, personne ne les ayant commandées au magasin central. C'est tout un apprentissage que de devoir administrer une organisation autonome. C'est à cause de ces difficultés que j'ai été invité à prendre la direction du service. Le premier directeur avait démissionné après avoir assumé la responsabilité d'un mandat émis sans fondement, mais il y avait bien d'autres problèmes à l'état latent.
Vous m'arrachez en quelque sorte les mots de la bouche, mais je dirais essentiellement que je ne mettrais pas sur pied un service du renseignement étranger. Toutefois, s'il était décidé d'en créer un, je pense que la façon la plus rapide consisterait à le placer sous le SCRS, mais en tant que service distinct. Moyennant une petite modification à la Loi, nous disposerions d'un cadre juridique nous permettant d'opter pour cette formule, outre que l'on pourrait compter sur les analystes des Affaires étrangères et du Bureau du Conseil privé ainsi que sur des agents du SCRS qui, depuis nombre d'années, travaillent en vertu de l'article 16 de la Loi. L'infrastructure pour créer un tel service existe également. Comme je le disais en conclusion, c'est, pour vous, la meilleure façon d'agir qui n'écarte pas pour autant la possibilité, pour le Canada, de se doter éventuellement d'un organisme distinct chargé du renseignement étranger.
Le sénateur Banks : Vous avez également indiqué qu'à certains égards vous préféreriez avoir un type de personnel différent pour ce genre de travail. Les gens auxquels vous pensez cadreraient-ils avec une organisation comme le SCRS? Vous avez dit qu'il existait des cloisons au sein du KGB pour bien faire la part entre deux fonctions.
M. Morden : Oui, et l'on retrouve le même type de séparation aux États-Unis, au Royaume-Uni ou dans d'autres pays alliés du Canada.
Le sénateur Banks : Certes, mais ces pays-là ont des organismes distincts.
M. Morden : C'est vrai et c'est l'une des raisons pour lesquelles ils emploient des personnes dont les profils sont différents pour assumer ces fonctions différentes.
J'ai également indiqué qu'il n'est pas toujours facile de transplanter des formules venant d'ailleurs et que nous devrions imaginer notre propre solution. Quand je suis arrivé à la tête du SCRS, trois ans après sa création, au moins 95 p. 100 des agents du renseignement provenaient du Service de sécurité de la GRC. À la base, il s'agissait de policiers qui avaient été transférés dans l'univers de la sécurité à un moment de leur carrière au sein de la GRC. C'est alors que nous avons commencé à recruter de plus en plus de civils dans le Service. J'irai même jusqu'à dire qu'à bien des égards nous cherchions des gens qui auraient été capables de se présenter à l'examen des Affaires étrangères. Nous recherchions des jeunes possédant une certaine maturité politique pour comprendre les valeurs et la structure du Canada. Bien que, traditionnellement, nous ayons recruté des hommes et des femmes d'horizons différents, nous avons aussi attiré des gens qui avaient assez de souplesse pour faire le saut dans le monde du renseignement de sécurité et pour devenir compétents dans leur travail.
Le sénateur Banks : Vous avez aussi indiqué que vous n'étiez pas totalement d'accord avec l'idée de doter le Canada d'une capacité de recherche du renseignement étranger, affirmant que, dans une certaine mesure, nous pouvions nous en remettre aux donnés du renseignement communiquées par nos alliés en échange de nos contributions. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet? Estimez-vous que nous recevons des informations tendancieuses?
Les informations recueillies par les États-Unis portent l'empreinte de ce pays, puisqu'elles ont été obtenues en fonction d'intérêts américains. Les services de renseignement américains ont pour mission de travailler dans le sens des intérêts de leur pays qui ne rejoignent pas forcément les nôtres. Peut-on raisonnablement et sans problème nous en remettre à des données du renseignement sur la Lituanie qui nous proviendraient des États-Unis?
M. Morden : Cette question nous ramène à notre capacité d'analyser l'information qui nous parvient. C'est pour cela qu'en deux ou trois phrases, j'ai voulu laisser entendre que la qualité de nos analyses est sans doute aussi importante que le reste. Il est possible de mettre la main sur des quantités incroyables d'informations en libre circulation. Cependant, quand j'étais au SCRS, avant la fin de la guerre froide, les Soviétiques et les Européens de l'Est avaient décidé que le Canada était un pays de haute technologie et qu'il valait certainement la peine d'aller y voler quelque secret dont leurs économies auraient pu profiter. Ils faisaient donc des pieds et des mains pour mettre en place des taupes dans des postes clés, à Canadair par exemple, afin d'obtenir le tout dernier produit en avionique. Je me disais qu'il devait y avoir un certain cachet à communiquer ce genre d'information à Moscou en disant qu'on l'avait obtenue secrètement. Or, la plupart de ces prétendus secrets étaient facilement accessibles dans les pages du magasine Popular Mechanics qu'on pouvait acheter au coin de la rue. Ça, c'était la réalité il y a plusieurs années de cela. Il est étonnant de constater aujourd'hui la masse d'informations que l'on peut se procurer à condition de faire un petit effort. L'explosion de l'information est faramineuse et les sources formelles regorgent de données fort intéressantes.
L'une des évolutions intéressantes des dernières années tient au fait que les États-Unis, et plus particulièrement la CIA, se sont rendu compte que les sources d'information et les informations provenant de différentes origines à l'extérieur du gouvernement pouvaient être valables. Ils ont investi énormément dans ce qu'ils ont appelé le Global Future Forum qui parraine des séries de réunions et de séminaires à laquelle participent des spécialistes d'active, d'anciens spécialistes, des universitaires, des gens d'affaires ainsi que des cadres supérieurs qui parlent de choses et d'autres, de façon tout à fait ouverte. Les réunions portent sur différents thèmes. Un certain nombre d'anciens spécialistes du domaine au Canada, dont moi-même, ont été appelés à participer à ces réunions au côté de représentants du Conseil privé, du ministère de la Défense nationale, du SCRS et de la GRC. Un coup d'œil sur les comptes rendus de ces réunions vous donnera une petite idée de la masse de documents auxquels les gens à l'extérieur du gouvernement peuvent avoir accès ainsi que des compétences qu'ils représentent. Il suffit de se servir dans cette masse d'informations pour faire le travail. Il suffit d'effectuer des analyses précises et assez intelligentes pour obtenir 90 p. 100 de ce que l'on recherche en matière d'information ou de renseignement, les 10 p. 100 restants devant être obtenus de façon confidentielle ou lors d'activités clandestines.
Le Canada est un importateur net de données du renseignement, tant pour le renseignement de sécurité que pour le renseignement étranger. Cependant, notre contribution n'est pas négligeable, que ce soit grâce au ministère des Affaires étrangères ou à un autre service du renseignement de sécurité. Si cette contribution devait décliner, nos alliés seraient nombreux à venir nous demander ce qui se passe.
Le président : La conseillère nationale pour la sécurité nous a parlé d'un comité spécial du renseignement, autre que celui du Cabinet qui traite régulièrement des questions concernant le SCRS. À votre époque, existait-il un petit groupe de ministres du Cabinet qui traitait des questions de renseignement et conseillait le premier ministre ou vous donnait des orientations?
M. Morden : Non. Cela se faisait à la faveur d'un exercice annuel qui consistait à formuler ce que nous appelions les exigences en matière de renseignement ou EMR pour l'année suivante. Ces EMR étaient ensuite approuvées par le comité du Cabinet sur la sécurité et le renseignement, présidé par le premier ministre.
Le président : C'est exact. Mme Bloodworth nous a expliqué ce processus et elle a dit que le comité spécial avait été créé pour fixer régulièrement des orientations et sans doute aussi pour réaligner les discussions en cours d'année.
M. Morden : Cela n'existait certainement pas quand j'étais au SCRS. Disons qu'on peut le comparer, mais pas à l'échelon politique, au comité fantôme composé des mêmes membres que le comité du Cabinet sur la sécurité et le renseignement, à l'échelon des sous-ministres, qui se réunissait plus fréquemment pour se pencher sur des dossiers comme la citoyenneté, l'immigration ou autres susceptibles de préoccuper ceux qui en étaient plus particulièrement chargés. Soit ils ont décidé qu'ils voulaient obtenir davantage de la collectivité du renseignement, soit ils ont pensé que celle-ci n'évoluait pas dans le bon sens. Il y a eu beaucoup de discussions comme celle-ci, mais il n'y avait pas de comité spécial du Cabinet.
Le sénateur Day : Merci beaucoup pour ces commentaires, monsieur Morden. Vous avez soulevé bon nombre de points intéressants auxquels nous allons réfléchir et que nous allons peut-être reprendre pour inciter d'autres témoins à aller dans le sens de vos suggestions fort intéressantes.
M. Morden : J'ai l'impression que je vais perdre le reste de mes amis à Ottawa.
Le sénateur Day : Eh bien, nous ne révélerons pas nos sources.
Le sénateur Day : Tout à l'heure, un témoin nous a décrit le renseignement étranger qui est subdivisé en renseignement politique et en renseignement économique. Ces deux volets sont-ils couverts par le renseignement étranger à la façon dont vous comprenez l'expression?
M. Morden : Oui.
Le sénateur Day : Il ne s'agit donc pas d'une nouvelle catégorie et l'on peut supposer que le renseignement de sécurité peut être à la fois national et étranger.
M. Morden : Bien évidemment. Tout va dans ce sens dans un pays comme le nôtre avec une population d'origine étrangère plus ou moins récente, qui a des liens avec l'étranger. De nombreux résidents canadiens ont de la famille et des amis à l'étranger, qu'ils vont visiter, et, en cette époque dangereuse qui est la nôtre, nous devons chercher à ériger des barrières de sécurité le plus loin possible de nos côtes. C'est là toute la raison d'être de la sécurité et du renseignement. Il faut donc sans doute intervenir le plus loin possible de nos côtes, d'où la dimension internationale du renseignement. Le terrorisme ne connaît pas de frontière. Prenez al-Quaïda par exemple, qui est une nébuleuse composée de multitudes de cellules plus ou moins indépendantes. Le modèle est tout à fait différent de celui d'organisations que l'on connaissait il y a 20 ans et que l'on considérait également comme des groupes terroristes. Je pense, par exemple, au Front populaire de libération de la Palestine de George Habash, qui était très hiérarchisé. Tout était décidé au sommet, les opérations terroristes comme les campagnes de financement. Le domaine est beaucoup plus complexe aujourd'hui que dans ces années-là et, pour essayer de comprendre ce qui se passe, il faut avoir conscience des événements qui se produisent ailleurs; d'où l'importance de maintenir des liens étroits avec nos différents partenaires et coreligionnaires.
L'Organisation des Nations Unies compte actuellement 193 pays membres. Le SCRS entretient des relations avec plus de 200 organismes oeuvrant dans le même domaine dans près de 140 pays. Nous ne considérons pas d'un œil favorable tous ces pays, mais il faut s'accrocher et se dire qu'ils sont bien placés pour observer des problèmes susceptibles de nous intéresser au chapitre de notre sécurité intérieure. Il faut un peu se boucher le nez pour collaborer et parler avec eux. Les chiffres que je vous ai cités vous donnent une idée du genre de rayonnement à l'étranger qui a été jugé à la fois souhaitable et essentiel pour comprendre le terrorisme d'aujourd'hui.
Le sénateur Day : Vous avez souligné l'explosion de la masse d'informations actuellement accessibles, pas nécessairement à la faveur d'opérations secrètes, mais simplement grâce à Internet, par exemple, et à de nombreuses publications et autres formes de communication. Vous avez aussi parlé du rôle international qui incombe traditionnellement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi qu'à la Défense nationale pour ce qui est du retour de l'information. J'aimerais que vous me parliez davantage du rôle traditionnel de ces deux institutions bien établies.
Avons-nous accordé suffisamment d'attention à l'analyse des informations de façon à les transformer en données du renseignement? L'explosion d'informations que vous décrivez semble être synonyme d'un débordement de données qu'il faut analyser et organiser d'une certaine façon pour s'en servir de données du renseignement.
M. Morden : Vous venez de faire une bonne description de ce que les choses sont censées être. Vous avez tout à fait raison. Je crois que nous sommes déjà en train de recueillir différents types de renseignements de nature économique susceptibles de favoriser notre prospérité et notre bien-être économique. Le ministère des Affaires étrangères a toujours eu un petit service chargé des questions touchant à la sécurité et un autre responsable des analyses en profondeur. Il faudrait sans doute investir davantage dans le renseignement politique susceptible d'avoir des répercussions sur le plan de la sécurité.
Le sénateur Day : Où devraient se faire ces analyses? Les différents ministères? Le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Défense nationale et celui de Citoyenneté et Immigration ont tous leurs analystes. Devrait-on essayer de rassembler tous ces gens-là?
M. Morden : Le modèle que nous appliquons actuellement consiste à regrouper l'information au niveau du BCP. Je ne vais certainement pas prêcher en faveur de la création d'un ministère mammouth comme le département de la Sécurité intérieure aux États-Unis, parce que je ne suis pas certain que cette expérience ait vraiment donné des résultats probants. Je favoriserais plutôt la formule consistant à confier un rôle plus marqué à un organisme qui serait placé sous la gouverne d'un patron influent susceptible de tirer les ficelles et ayant la capacité de fixer des priorités aux uns et aux autres. Nous avons affaire à toutes sortes de problèmes, notamment à cause de notre politique en matière d'immigration et de statut de réfugié. Différentes personnes pourront apporter des points de vue différents à la table. Il y aurait le point de vue des militaires et, bien sûr, celui des politiciens. Il y a peut-être également d'autres aspects de la sécurité qu'il faut considérer. Il faudrait que cette nouvelle organisation soit davantage dirigiste et qu'elle soit en mesure d'indiquer aux différentes composantes du gouvernement canadien ce sur quoi elles doivent se concentrer et quelle priorité elles doivent appliquer. Les fonctionnaires travaillent en fonction des priorités de leur propre ministère. Le BCP coordonne tout cela. Peu importe ce qui se passe ailleurs, le premier ministre devrait avoir auprès de lui un conseiller supérieur en matière de sécurité. Cela coule de source.
Nous avons sans doute davantage besoin d'une organisation autonome. Je crains beaucoup que le politique ne déteigne sur le renseignement. C'est pour cela que je suis plutôt favorable à la création d'un organisme distinct de l'appareil gouvernemental. Nous avons bien vu tout le tapage, au Royaume-Uni et aux États-Unis, qui a entouré les allégations de manipulation des données du renseignement à des fins politiques, dont certaines étaient peut-être fondées. C'est une importante pierre d'achoppement que nous devrons nous efforcer d'éviter, quelle que soit la structure pour laquelle nous opterons, si nous décidons de nous doter d'un service du renseignement étranger.
Le sénateur Day : C'est exactement ce à quoi je pensais. Nous avons tous entendu parler du fait que des données du renseignement avaient été modifiées à des fins politiques pour aider le chef de l'exécutif à étayer l'intervention qu'il projetait à l'étranger.
Vous laissez entendre, ici, que le BCP est trop proche du processus politique. C'est inévitable, puisque c'est le ministère du premier ministre. Nous ne critiquons l'action de personne au BCP, et j'ai dit la même chose que vous. Nous parlons en fait de l'appareil gouvernemental. Je me demande ce que représente la fonction de « conseiller national auprès du premier ministre ». Il est possible que le premier ministre ait besoin d'un conseiller dans les questions de sécurité, mais l'on n'a pas l'impression que cette personne ou son service va coordonner toutes les activités de renseignement au gouvernement.
M. Morden : Nous sommes tous deux d'accord, sénateur.
Le sénateur Day : Je vais revenir sur autres choses que vous avez dites, soit le retour de la GRC dans les opérations du renseignement de sécurité qui semble vous préoccuper.
Nous avons débattu le rôle que joue le crime organisé dans les activités terroristes de même que les liens entre criminalité et terrorisme. Il est évident que les activités terroristes sont financées grâce à des opérations de blanchiment d'argent et au trafic de la drogue. Il existe donc un lien très net entre les deux. Comment, dès lors, éviter le problème que vous avez souligné, autrement dit le retour de la GRC dans le domaine de la sécurité?
M. Morden : Je pense que cela doit se faire, à un certain point. La création du SCRS, à la suite des problèmes du Service de sécurité de la GRC, a été l'objet de moult débats et des travaux de deux commissions royales. Il est évident que la GRC a un rôle à jouer, surtout dans la lutte contre le terrorisme qui présente souvent une dimension criminelle. Cependant, le système a été mis sur pied et la Loi sur le SCRS est très claire. D'un côté, le SCRS se heurte à beaucoup moins d'obstacles que la GRC pour pénétrer ses cibles. Il lui suffit d'avoir un motif raisonnable de suspecter une activité douteuse.
Un service policier, lui, doit avoir un motif raisonnable de croire qu'une activité criminelle est en cours. Tout cela peut vous paraître de la pure sémantique, mais il y a une différence. La plus grande souplesse d'intervention du SCRS est équilibrée par le fait que ce service est soumis à une plus grande surveillance que la GRC, que ce soit par le comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, par l'inspecteur général ou par le ministre.
On peut donc supposer qu'au niveau opérationnel, aux échelons inférieurs, le SCRS soit en mesure d'investiguer avant que les choses ne s'aggravent. Si le SCRS soupçonne que l'activité à propos de laquelle il fait enquête peut être de nature criminelle, il lui incombe de prévenir la GRC.
La GRC, quant à elle, mène essentiellement des activités de lutte contre la criminalité et de collecte de renseignements à ces fins. Il lui incombe, en ce qui la concerne, d'informer le SCRS si elle pense que l'activité purement criminelle à laquelle elle s'intéresse a un lien avec le terrorisme. Les deux services doivent donc travailler en relation étroite et je crois que c'est ce qu'ils font; les deux organisations s'échangent d'ailleurs des agents de liaison par qui elles passent pour se parler. Il faudra peut-être renforcer ce dispositif.
J'estime que l'univers de l'agent du renseignement n'a rien à voir avec celui du policier. Les mentalités sont différentes. L'agent du renseignement est là pour interpréter un problème et pour l'éviter, tandis que le policier est là pour arrêter des suspects et les inculper. Il y a une distinction à faire et celle-ci doit être maintenue.
Le sénateur Banks : Les corps policiers ne pourraient-ils pas non plus prétendre qu'ils sont investis d'un rôle de prévention?
M. Morden : Sans doute. Je ne suis pas en train de dire qu'il faut les garder à l'écart. Je pense, toutefois, que le rôle de prévention de la police vise à empêcher la commission d'un acte criminel qui n'a peut-être rien à voir avec une activité terroriste. S'il y a un rapport entre ces formes de criminalité, la GRC doit en parler à l'autre organisation.
Le sénateur Atkins : Notre comité s'est rendu à Washington à quelques reprises. Au département de la Sécurité intérieure, nous avons eu l'impression que les organismes ne travaillent pas en relation les uns avec les autres. Pensez- vous que la structure dont nous nous sommes dotés nous a permis d'éviter ce piège et de ne pas faire face au même problème?
M. Morden : Permettez-moi une remarque au sujet du département de la Sécurité intérieure. Certains des problèmes auxquels le gouverneur Ridge a été confronté, quand il s'est retrouvé à la tête de la nouvelle structure, découlaient du fait qu'il avait affaire à un ensemble d'institutions mûres, bien financées et dynamiques qui avaient un passé bien établi et qui ne doutaient pas de leur valeur ni de leur autonomie. Sans avoir la possibilité de tirer sur les cordons de la bourse, le gouverneur Ridge a dû bricoler un énorme ministère composé de 33 organismes, ce qui revenait à rassembler des chats étrangers dans une même pièce. Il y a des fois où ça fonctionne et d'autres pas. Nous sommes beaucoup plus petits et je pense donc qu'il est plus facile de maîtriser ce genre de chose. Par ailleurs, notre gouvernement est organisé de façon qu'il pourrait sans doute mieux réagir à des directives centrales que nos voisins américains.
Je pense que nous devrions nous doter d'un organisme central qui coordonnerait les efforts dans le domaine du renseignement, et je ne suis pas certain que la solution actuelle soit optimale. Pour en revenir à certaines des remarques faites par le sénateur Day, je dirais qu'il est excellent que le premier ministre puisse s'appuyer sur une conseillère ou un conseiller en matière de sécurité. Il demeure, comme l'indique son titre, qu'on ne peut pas dire de cette personne qu'elle est responsable de tout l'appareil du renseignement. Cela est peut-être bien compris au sein du gouvernement, mais il faut penser à ce qui se passe à l'extérieur également. Même la nomenclature ne contribue pas à donner l'idée que nous sommes bien organisés et que quelqu'un, quelque part, mène la barque dans le domaine du renseignement.
Le sénateur Atkins : Il y a le ministère de la Sécurité publique du Canada. Pensez-vous que celui-ci travaille en liaison avec la conseillère nationale pour la sécurité afin de coordonner les activités importantes dans le domaine du renseignement? Il est possible que l'accent porte davantage sur la sécurité intérieure.
M. Morden : Je suis absolument persuadé que nous avons maintenant, après le 11 septembre 2001, des ministères beaucoup mieux outillés pour contribuer à l'effort global. L'information aboutit en un point central. J'estime que la création de Sécurité publique et Protection civile Canada a été un pas dans la bonne direction. Tout ce que nous disons à présent, c'est que certains joueurs demeurent sur la touche et qu'il faut imprimer des orientations plus fermes et mieux fondées pour tirer le meilleur de la façon dont nous avons structuré nos ressources.
Le sénateur Atkins : Comme vous le savez, notre comité a recommandé que la sécurité des aéroports soit confiée à Sécurité publique Canada. Je ne suis pas certain qu'il faudrait faire la même chose dans le cas des ports. Pensez-vous que les ports et les aéroports devraient relever d'une seule et même organisation?
M. Morden : Oui. D'après le rapport publié par le Bureau du vérificateur général il y a quelques années à peine, on sait que les aéroports souffrent de problèmes continus. Votre comité les a d'ailleurs soulignés la semaine dernière dans son rapport. Personnellement, j'estime qu'il serait logique de relever Transports Canada de ses responsabilités sur le plan de la sécurité pour les confier à Sécurité publique Canada.
Pour ce qui est des ports, je pense que ce devrait être la même chose, mais je n'en suis pas aussi sûr. Le problème des ports, c'est qu'il va falloir prendre des mesures sur le plan de la sécurité, surtout en ce qui concerne le contenu des conteneurs. Il est à espérer que les ports se doteront d'un meilleur matériel de détection et qu'ils commenceront à examiner davantage de conteneurs, plutôt que de se limiter à un faible pourcentage comme c'est actuellement le cas; cela étant, les choses devraient s'améliorer. Le véritable problème tient au crime organisé, à la présence de criminels dans les ports et aux problèmes que cela soulève. Je ne suis pas certain que l'on veuille forcément confier cette tâche à Sécurité publique Canada.
Le sénateur Atkins : Combien de temps faut-il pour former un agent du renseignement? Avons-nous le bon système en place pour dispenser ce type de formation?
M. Morden : La formation officielle s'étend sur 18 mois. Après cela, l'agent doit aller faire trempette dans le milieu opérationnel pour gagner en expérience et qu'il soit possible de le laisser évoluer avec une certaine indépendance, comme c'est souvent le cas dans l'univers du renseignement.
Le sénateur Atkins : Recrutons-nous les gens qu'il faut?
M. Morden : Je crois que nous recrutons effectivement les gens qu'il faut. Toutefois, quand on voit ce qui se passe dans d'autres pays auxquels nous aimerions nous comparer, je ne suis pas certain que nous ayons déployé suffisamment d'analystes, comme aux États-Unis, en Allemagne ou en France. On peut imaginer que votre comité tirera ses propres conclusions quant à l'adéquation de nos ressources dans le domaine. Si nous investissions directement sur ce plan, nous pourrions améliorer à la fois la qualité des analystes et leur nombre.
Le sénateur Atkins : Ils relèveraient du SCRS plutôt que du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, n'est-ce pas?
M. Morden : Vous pourriez décider de les mettre là où vous voulez. Il pourrait y avoir un avantage à constituer un corps d'analystes, un embryon du moins, au niveau du Bureau du Conseil privé, c'est-à-dire au sein d'un organisme central qui regrouperait les contributions des divers organismes afin d'établir les liens qui s'imposent.
Le président : Si l'on vous demandait combien de temps il faudrait pour former ces gens-là et s'assurer qu'ils sont efficaces, vous maintiendriez vos 18 mois?
M. Morden : On parlerait davantage de trois à quatre ans, au moins.
Le président : Autrement dit, nous n'aurions personne apte à piloter un dossier avant une bonne décennie.
M. Morden : C'est sans doute le délai auquel il faut s'attendre. Même sir Richard Dearlove, l'ancien patron du MI-6, en réponse à une série de questions destinées à lui faire dire comment le Canada pourrait corriger son manque de contribution, a reconnu que la mise sur pied d'un organisme autonome pleinement efficace nécessiterait une dizaine d'années.
Le président : J'ai été très heureux de vous accueillir au comité, monsieur Morden. Votre témoignage a été clair et riche d'enseignements. Au nom du comité, je tiens à vous dire à quel point nous l'avons apprécié. J'ai l'impression que nous allons vouloir vous faire revenir, peut-être pour nous aider à tester certains des renseignements que nous aurons recueillis à l'occasion de cette étude.
M. Morden : Merci beaucoup de m'avoir invité.
Le président : Chers collègues, nous accueillons à présent Al Hensler qui a servi à la GRC de 1963 à 1984, surtout dans le domaine de la contre-ingérence, d'abord en qualité d'enquêteur, puis de cadre avec le grade de surintendant. Il a travaillé à la direction générale d'Ottawa, mais a également été agent de liaison en Allemagne de l'Ouest de 1974 à 1977 avant d'être détaché au ministère du Solliciteur général de 1979 à 1981. À partir de 1984 et jusqu'à sa retraite en 1995, il a occupé différents postes de cadre au SCRS où il a notamment été directeur général, Analyse et production, directeur général, Contre-ingérence et directeur adjoint, Besoins du renseignement, poste qui était assorti de certaines responsabilités en matière de contre-ingérence, de contreterrorisme et d'analyses. Dans sa dernière année de service, M. Hensler a été affecté au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international où il a collaboré à la rédaction d'un document de position sur la création d'un service de renseignement étranger au Canada.
Al Hensler, à titre personnel : Je tiens tout d'abord à vous prévenir que j'ai tendance à baisser le ton au fur et à mesure, ce qui est caractéristique de quelqu'un qui a passé 35 ans à travailler sur des données classifiées. Si vous ne m'entendez plus à un moment donné, je vous invite à me rappeler à l'ordre. Deuxièmement, je tiens à remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de venir le rencontrer. Après avoir vu la liste de vos éminents témoins, qui connaissent tous bien leur domaine, je me sens tout à fait honoré de faire partie du lot.
J'ai aussi l'impression de risquer de ne pas être tout à fait à ma place, parce que je ne pense pas arriver à la cheville des témoins qui m'ont précédé, pour ce qui est de l'expérience acquise, même si j'ai accumulé 35 ans de métier moi- même dont la majeure partie dans le secteur des opérations, mais je serai très heureux de vous part de tout ce que j'ai appris.
Vous m'avez invité à vous parler principalement de deux questions : la création d'un organisme du renseignement étranger au Canada et l'élargissement du rôle du SCRS pour y inclure la recherche du renseignement étranger.
La recommandation de créer une agence chargée du renseignement étranger remonte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale quand sir William Stephenson, baptisé « l'intrépide », a essayé de convaincre le gouvernement du bien-fondé d'une telle agence. Pour des raisons qui m'échappent, le gouvernement a plutôt décidé de conclure des accords de partage du renseignement avec d'anciens alliés du temps de guerre afin de répondre à ses besoins en matière de renseignement. Ces accords semblent avoir assez bien servi le Canada durant la période de la guerre froide, mais la Commission McDonald, en 1981, a rappelé que le Canada avait des intérêts distincts et uniques par rapport à ceux de nos alliés, intérêts auxquels un organisme de renseignement étranger aurait pu mieux répondre.
Depuis lors, nous avons appris que les difficultés rencontrées à l'occasion de deux missions de maintien de la paix étaient attribuables, du moins en partie, au fait que nos alliés ne nous avaient pas fourni les données de renseignement qu'ils étaient censés nous transmettre. Nous avons aussi pris conscience que nos alliés ne nous communiqueraient pas de données du renseignement dans le domaine de l'économie, du commerce et des échanges commerciaux si cela devait bénéficier au Canada et les désavantager. Dans tous ces autres domaines, nous sommes des concurrents et non des alliés.
C'est à croire que la Commission McDonald a entrevu d'une certaine façon ce qui nous attendait La question de la création d'un organisme du renseignement étranger a refait surface à l'occasion, surtout à la suite d'exercices de réflexion. Toutefois, en 2002, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense ainsi que le sous- comité des anciens combattants ont spécialement recommandé de créer un organisme distinct chargé du renseignement étranger. Je ne sais pas si le gouvernement a donné suite à cette recommandation, mais je me réjouis de constater que cette question est encore à l'ordre du jour et que vous vous y intéressez.
J'ai exprimé mon point de vue dans un article du Canadian Foreign Policy Journal, que je vais résumer. Premièrement, nous devons être conscients, et accepter l'idée, que le Canada est déjà en train de recueillir des données du renseignement étranger par l'intermédiaire d'organisations comme : le Centre de la sécurité des télécommunications qui pratique le renseignement électromagnétique; le ministère des Affaires étrangères, qui recueille des informations non secrètes ainsi que certaines informations par le truchement de ses ambassades à l'étranger; le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes, qui travaillent sur le terrain dans les régions où nos militaires sont déployés; le SCRS qui, en vertu de l'article 16 de la loi le régissant, recueille des informations ou des données du renseignement secondaires par l'intermédiaire de ses missions à l'étranger et qui rassemble aussi des données sur demande. Autrement dit, nous sommes de la partie.
Deuxièmement, il y a lieu de comprendre la différence entre le renseignement de sécurité et le renseignement étranger. Le premier concerne la menace qui pèse contre le Canada et qui est clairement définie dans la Loi sur le SCRS. Le renseignement étranger, lui, est beaucoup plus vaste, puisqu'il touche à des éléments qui ont un rapport avec la politique, l'économie et le commerce sans que ceux-ci posent nécessairement une menace contre le Canada, du moins pas au sens traditionnel du terme, et qui pourraient nous avantager.
Notre capacité actuelle en matière de collecte du renseignement étranger ne nous permet pas de travailler au niveau qu'il faudrait pour protéger les intérêts du Canada. Nous nous appuyons sur les données de renseignement que nous communiquent nos alliés, mais nous ne sommes pas informés dans les domaines de l'économie ni dans les domaines connexes dès que les données que nous convoitons correspondent à leurs intérêts, à moins que celles-ci ne soient avantageuses pour les deux parties.
Si nous voulons que les militaires que nous déployons connaissent bien le milieu dans lequel ils se retrouvent et si nous voulons aussi que les industries canadiennes soient sur un pied d'égalité avec leurs concurrentes étrangères pour décrocher des marchés internationaux, il va nous falloir renforcer notre capacité de collecte du renseignement étranger. Comment? Eh bien l'élément qui nous manque est le recrutement et l'utilisation des ressources humaines au sein de gouvernements étrangers, d'industries étrangères et d'autres entités étrangères. Les sources humaines étrangères pourraient également nous permettre de recueillir d'autres données du renseignement sur des thèmes qui intéressent actuellement le Canada. La prolifération d'armes de destruction massive, le crime organisé transnational, l'immigration illégale et les différents conflits dans le monde ne font qu'ajouter à la nécessité d'améliorer notre capacité d'analyser ce type de renseignement. Cela m'amène au deuxième point que vous m'avez invité à commenter. Pourquoi ne confirait-on pas un rôle élargi au SCRS qui a déjà une expérience considérable dans le développement et l'utilisation de ressources humaines?
La Commission McDonald a pris acte des préoccupations exprimées à propos du regroupement éventuel du renseignement étranger et du renseignement de sécurité au niveau d'un seul organisme, préoccupations qui sont encore valables aujourd'hui. Le SCRS doit agir en respectant les lois du pays. Un organisme du renseignement étranger pourrait enfreindre les lois d'autres pays. Afin d'éviter ce que M. McDonald a décrit comme étant les « dangers de contagion », soit le risque que la recherche de renseignement étranger ne se transforme en quête du renseignement de sécurité, il convient de confier ces deux responsabilités à des organismes distincts. Dans un article rédigé en 1994, John Harker, membre principal du centre des études politiques de l'Université Dalhousie, écrivait :
Les objectifs d'un service du renseignement étranger sont fondamentalement différents de ceux d'un service de sécurité intérieure. Comme le premier cherche à découvrir les capacités et les intentions d'autres pays, il doit aller recueillir ces données de renseignement en territoire étranger. Le second a une action plus limitée qui concerne le renseignement national et les objectifs de lutte contre le terrorisme.
Pour traiter de cette question, on pourrait demander aux autres gouvernements démocratiques et à nos alliés pourquoi ils maintiennent une séparation entre les deux fonctions. Tous nos alliés et bien d'autres pays appliquent en effet ce modèle de la séparation des services. Je m'attendrais à ce qu'ils nous disent que des objectifs différents exigent des procédures, des services et des contrôles différents. Je m'attendrais aussi à ce qu'ils nous disent craindre que le regroupement de deux fonctions ne donne lieu à une trop forte concentration des pouvoirs au niveau d'un seul et même organisme. Le modèle centralisé convient aux dictatures des régimes communistes, mais aux démocraties. Je dois souligner ici qu'une des toutes premières mesures prises par la Russie démocratique a consisté à subdiviser les responsabilités qui incombaient avant entièrement au KGB.
Le SCRS est un organisme du renseignement qui est efficace et efficient, respecté par les alliés du Canada dans le domaine du renseignement. La Loi du SCRS est une mesure législative unique qui réalise l'équilibre entre la nécessité d'enquêter au sujet des menaces qui pèsent contre la sécurité du Canada et la nécessité de protéger les droits de chacun. J'estime que si vous vous mettez le nez dans le mandat actuel du SCRS, vous risquez de modifier l'équilibre actuel pour le pire. Mieux vaut faire preuve de la même ingéniosité que celle dont vous avez usée pour rédiger la Loi sur le SCRS en vue de mettre sur pied un organisme distinct et efficace du renseignement étranger canadien.
Le sénateur Moore : Le sénateur Day me dit que vous venez de Dartmouth. Je suis heureux de rencontrer un compatriote néo-écossais.
Un peu plus tôt, Mme Bloodworth nous a indiqué que le premier ministre préside un comité spécial sur le renseignement. Elle a ajouté que ce comité est composé de certains ministres qui se réunissent à l'appel de la présidence.
Ce genre de comité existait-il quand vous étiez au SRCS?
M. Hensler : Au fil des ans, la collectivité du renseignement a pas mal évolué et je reconnais ne pas être en mesure de vous dire si ce qui existe aujourd'hui, 10 ans plus tard, est semblable à ce qui existait avant. Je sais qu'un comité a été éliminé, je pense que c'est le CISR, le Comité interministériel de la sécurité et des renseignements. Je crois que ce comité du Cabinet a été supprimé. On dirait donc que l'on revient à cette formule.
Pour que l'organisme soit efficace, il faut qu'il soit placé sous la gouverne d'un responsable de très haut niveau qui connaisse le milieu du renseignement. L'un des problèmes auxquels nous nous sommes heurtés au fil des ans, c'est que les gens ne savent pas ce qu'est le renseignement. Ils ne savent pas comment l'utiliser efficacement. Il faut donc lancer un processus d'éducation et commencer par le sommet.
Le sénateur Moore : Certaines de nos questions concernent évidemment l'époque à laquelle vous étiez directeur du SCRS. Quels processus existaient alors pour s'assurer de la véracité des évaluations du renseignement qui étaient communiquées au gouvernement? De quelles procédures disposiez-vous pour vous assurer que l'information transmise au gouvernement était exacte et fondée?
M. Hensler : Nous avions nos propres procédures de vérification des rapports au sein même du SCRS. Parfois, nous nous partagions la tâche. Il y avait un comité qui examinait les documents du renseignement, qui les évaluait et qui les traitait. Comme je le disais, au SCRS, nous avions nos propres procédures de vérification du contenu des rapports et si nous produisions un document contenant des données communes du renseignement, nous le faisons parvenir au Bureau du Conseil privé. C'était très efficace, parce que c'était des gens versés dans le domaine du renseignement qui posaient des questions, et l'on pouvait être certain de la véracité des informations.
Le sénateur Moore : Même si vous ne travaillez plus effectivement au SCRS, je suis certain que vous vous tenez au courant de ce qui se passe dans ce domaine et dans le monde.
Décrivez-moi un peu mieux le genre d'organisme du renseignement étranger dont le Canada devrait se doter, selon vous. Comment les choses fonctionneraient-elles compte tenu de l'existence du nouveau comité dont nous avons entendu parler aujourd'hui? Tout le monde semble penser qu'il faut bien faire la distinction entre les opérations des services de sécurité, du service de renseignement et du monde politique. Pourriez-vous nous en dire quelques mots? À quoi ressemblerait ce service et comment fonctionnerait-il? De qui relèverait-il et à quel genre de surveillance serait-il soumis?
M. Hensler : Je pourrais sans doute vous résumer tout cela dans un article de 30 pages. Mon point de vue a quelque peu évolué avec le temps. Au début, je pensais qu'il fallait rattacher ce genre d'organisme à un autre ministère. Mais j'ai changé d'avis. Je crois désormais qu'il doit s'agir d'un organisme distinct fonctionnant un peu comme le SCRS et relevant d'un ministre. Ce ministre pourrait être responsable de la sécurité publique et d'un autre ministère. Le fait de placer le nouvel organisme sous le même ministre que le SCRS permettrait au moins au deux entités de collaborer pour s'échanger des informations. Le ministre aurait accès au premier ministre et à tout comité ministériel spécial de haut niveau chargé d'examiner les questions de renseignement. Comme je vous l'ai dit, nous sommes déjà en train de recueillir des données du renseignement étranger. J'ai toujours pensé qu'il fallait commencer par regrouper au sein d'un seul et même organisme tous ceux et toutes celles qui travaillent actuellement dans le domaine du renseignement étranger.
Le sénateur Moore : Cet organisme serait-il principalement consacré au renseignement étranger?
M. Hensler : Oui, ce serait sa mission principale et cela constituerait l'amorce d'un organisme du renseignement étranger. Il suffirait ensuite de lui donner les moyens de travailler outre-mer.
Nous dépensons déjà des centaines de millions de dollars pour recueillir des données du renseignement étranger. Il suffirait d'évaluer les budgets que le CST, le MDN et les Affaires étrangères consacrent à cette activité pour se rendre compte que cela représente une somme coquette. Vous pourriez retirer tous ces budgets pour les investir dans une nouvelle entité et vous auriez les fondations d'un excellent organisme du renseignement étranger.
Pour ce qui est de la surveillance, il serait possible de s'inspirer de l'excellent mécanisme de surveillance qui a été mis en place dans le cas du SCRS. C'est ainsi que je vois les choses.
Le sénateur Moore : Le fusionnement des données du renseignement étranger semble être un peu plus délicat à faire que la recherche d'informations brutes sur les questions étrangères. Avons-nous le personnel nécessaire pour commencer ce genre de travail ou devrions-nous en former en ayant recours à nos alliés?
M. Hensler : Quand on considère le renseignement militaire, le SCRS et le ministère des Affaires étrangères, on peut se dire que nous avons des gens très compétents qui pourraient occuper ce genre d'emploi. Il est certain qu'une certaine formation serait nécessaire, mais on disposerait au moins d'un noyau compétent pour faire le travail.
Le président : Histoire de préciser la réponse que vous venez de donner, monsieur Hensler, vous avez mentionné le MDN, le CST et le MAECI, mais pas les agents de liaison du SCRS à l'étranger. Est-ce que le SCRS aurait encore besoin de ces agents de liaison pour s'occuper de questions liées à l'immigration ou estimez-vous que ces gens-là devraient être transférés au sein du nouveau service de renseignement étranger?
M. Hensler : J'estime qu'il ne faut pas les mélanger. La plupart des agents du renseignement étranger travaillant outre-mer le feraient dans le cadre d'opérations secrètes et, dans certains cas, ils ne travailleraient même pas à partir de nos ambassades. Ce groupe doit demeurer à part.
Le président : Est-ce que vous transféreriez des agents postés à l'étranger?
M. Hensler : Il est tout à fait normal que le SCRS traite avec ces agents s'ils servent à signaler les menaces éventuelles pesant contre la sécurité du Canada. Il ne faut pas rompre ce lien. Il s'agit de deux catégories d'agents bien différentes.
Si vous avez la chance d'avoir un agent qui a infiltré un groupe terroriste en Suisse, mieux vaut laisser le soin au SCRS de s'en occuper. En revanche, si vous voulez recruter et exploiter un agent qui est employé d'un gouvernement étranger pour savoir quelle est la position de ce gouvernement dans des questions économiques, à ce moment-là c'est très différent.
Le président : Vous faites la différence par rapport à une menace pesant sur la sécurité du Canada. Est-ce que ce nouvel organisme se préoccuperait de cette menace?
M. Hensler : Pas nécessairement. Si le SCRS ne parvenait pas à obtenir les informations dont il a besoin à l'étranger, les deux organismes pourraient collaborer sur ce plan.
Le président : Le nouvel organisme se concentrerait sur les menaces de nature politique.
M. Hensler : De nature politique, militaire et économique.
Le président : Il ne focaliserait pas sur les menaces pesant contre le Canada.
M. Hensler : Cela revient au SCRS.
Le président : Autrement dit, deux types d'opération seraient menés dans la même ville.
M. Hensler : Oui.
Le président : Par exemple, si l'on prend le cas du renseignement de défense, quel genre de service le ministère de la Défense nationale recevrait-il? Pour l'instant, un major général qui dispose de tout un personnel est chargé du renseignement militaire. Si ce personnel lui était retiré, comment les militaires pourraient-ils obtenir leurs données du renseignement?
M. Hensler : Je crois que les militaires ont besoin de deux types d'information. Ils ont besoin d'une certaine information recueillie sur le terrain, dans des pays comme la Somalie, le Rwanda ou autres. Ils doivent être en mesure de recueillir ce genre de renseignement à l'échelon local et je crois que cela devrait se poursuivre. Il faudrait donc qu'ils puissent compter sur un groupe qui soit en mesure d'effectuer ce genre de travail. Il faudrait aussi qu'ils aient une idée de la situation globale pour ce qui est des réalités politiques de ces pays, et cela bien avant qu'ils ne déploient des troupes. Le nouvel organisme serait donc appelé à se concentrer sur les points chauds de la planète.
Le président : L'élément des Forces canadiennes qui s'occupe actuellement de renseignement serait donc divisé en deux : une partie resterait chez les militaires et l'autre partie serait rattachée au nouvel organisme. C'est cela?
M. Hensler : Oui, parce que je recommande de regrouper tout le monde dans une même agence. Les militaires devraient continuer de recueillir l'information dans les régions où les troupes sont déployées, mais l'analyse de la situation d'ensemble, de la situation politique et militaire, reviendrait au nouvel organisme.
Le président : Voulez-vous dire que ces aspects-là seraient retirés à la Défense nationale?
M. Hensler : Oui.
Le sénateur Banks : C'est la première fois que quelqu'un me parle aussi clairement de la distinction entre des opérations concernant l'étranger et des opérations effectuées à l'étranger dans le cas du renseignement de sécurité.
J'imagine ce que pourrait donner le genre de situation décrite par le président, à Caracas par exemple, où un agent de la nouvelle organisation ferait de la recherche de renseignement étranger — laquelle porterait donc, si nous avons bien compris, sur les aspects économiques et politiques —, tandis que dans le bureau d'en face, un agent du SCRS se chargerait des menaces contre le Canada. Nous aurions donc deux agents sur place. Pour cela, ne faudrait-il pas modifier la Loi sur le SCRS? Le SCRS n'est pas autorisé à envoyer un agent à Caracas.
M. Hensler : Le SCRS peut le faire dans le cadre d'opérations concernant le renseignement de sécurité.
Le sénateur Banks : L'article 16 ne précise-t-il pas que le SCRS doit recueillir des données du renseignement étranger dans les limites du Canada?
M. Hensler : Il s'agirait d'une opération de renseignement de sécurité, en cas de menace pesant sur la sécurité du Canada. L'agent pourrait être envoyé pour échanger des informations avec le gouvernement sur place.
Le sénateur Banks : J'essaie de voir dans quel pays nous n'aurions pas de problème.
M. Hensler : Il n'y en a pas beaucoup. Tous nos alliés ont des représentants de leurs différents services à l'étranger. Ceux qui s'occupent de la sécurité travaillent surtout dans les ambassades où l'on ne retrouve pas forcément des agents du renseignement étranger, des agents de la CIA ou du MI-6.
Le sénateur Banks : Ces gens-là pourraient travailler pour une société d'import.
M. Hensler : Exactement et ils s'intéresseraient en priorité à autre chose. Cependant, ces deux types d'agent pourraient aussi se retrouver dans la même ambassade, mais avec des missions très différentes.
Le sénateur Banks : Ce que vous suggérez essentiellement c'est que la nature du travail à accomplir et la nature des personnels nécessaires pour faire ce travail sont tellement différentes qu'il serait mal avisé de regrouper ces gens-là au sein d'un seul et même organisme. Vous ai-je bien compris?
M. Hensler : La nature du travail est semblable, mais les cibles et les méthodes de recherche des données sont très différentes. Un service du renseignement étranger pourrait être appelé à soudoyer quelqu'un pour qu'il devienne une source, tandis qu'un spécialiste du renseignement de sécurité n'emploierait pas cette méthode.
Le sénateur Banks : Et puis, il pourrait arriver que certains changent de camp et que cela menace la sécurité du pays. Quelqu'un pourrait devenir un transfuge, tandis qu'un autre pourrait vouloir verser des pots-de-vin ou agir d'une façon qui ne soit pas entièrement conforme aux lois du pays.
M. Hensler : Cela pourrait effectivement arriver dans le cas du renseignement de sécurité, mais sur un plan strictement technique, aucun agent n'est censé enfreindre la loi.
Le sénateur Banks : Effectivement, personne n'est censée enfreindre la loi où que ce soit.
M. Hensler : Cela pourrait arriver. Par exemple, pour en revenir à la question posée par le président, l'agent du renseignement étranger qui recevrait une information faisant état d'une menace concernant le Canada communiquerait cette information au SCRS.
Le sénateur Banks : Cela nous inquiète, parce qu'on a souvent entendu dire, à ce comité, que le phénomène de partition et le fait que les gens détiennent des informations en exclusivité constituent un gros problème. Ce n'est pas rare et nous avons souvent eu l'occasion de constater cette situation. Estimez-vous que cela ne se produirait pas dans ce cas?
M. Hensler : Voilà qui plaide en faveur d'une structure où les deux services relèveraient d'un seul ministre, l'information pourrait circuler dans les deux sens et, dans le genre de circonstance que vous énoncez, il serait facile de la remarquer. Ainsi, on s'assurerait que l'information circule entre les deux organismes. Il ne faut pas oublier qu'une agence du service étranger aurait pour mandat de s'intéresser à des sujets bien particuliers, comme l'économie, le commerce, les échanges commerciaux, les questions militaires et la politique. Si cet organisme mettait la main sur des informations sortant de ce domaine, il devrait les communiquer au SCRS, le SCRS devant d'ailleurs faire la même chose dans la situation inverse.
Le sénateur Banks : Nous avons entendu des histoires d'horreur au sujet du FBI et de la CIA qui possédaient en exclusivité les informations recueillies et qui ne les communiquaient pas, ce qui a eu des conséquences désastreuses.
M. Hensler : Je suis d'accord. Il suffit de regarder l'organigramme de la collectivité américaine du renseignement pour se demander comment ces gens-là arrivent à faire quoi que ce soit. Il y a énormément de dédoublement. Au fil des ans, mes collègues et moi-même avons reçu des demandes identiques émanant de deux agents différents. Toutefois, n'oubliez pas que le rapport de subordination aux États-Unis est différent. Il y a encore un corps policier dans cette structure, le FBI. Nous, nous nous sommes débarrassés de cette formule il y a bien des années, mais les Américains n'ont pas eu le bon sens de faire la même chose
Le sénateur Banks : Vous êtes convaincu que la synthèse de l'information serait facilitée par le fait de placer les deux organisations sous un seul et même ministre.
M. Hensler : C'est effectivement ce que je crois.
Le président : Pour bien préciser les choses, tous les pays libres que vous nous avez cités en exemple disposent de deux organismes : un consacré à la recherche du renseignement étranger et l'autre voué au renseignement de sécurité. Vous avez parlé du FBI, de la CIA, du MI-6 et du MI-5. Le MI-6 relève du Home Office et le MI-5 du Foreign Office. Aux États-Unis, la CIA relève de chaque État, bien qu'elle soit maintenant chapeautée par un directeur national du renseignement, à l'échelon fédéral, et le FBI relève du secrétaire à la Sécurité intérieure. En Australie, les organismes du renseignement sont placés sous deux ministres différents.
Que pensez-vous du principe voulant que l'ambassadeur en poste dans un pays soit au courant de tout ce qui se passe sur place et que le renseignement étranger doit lui être communiqué en même temps qu'au ministre responsable de ce type de renseignement? Comment pouvez-vous réconcilier cela avec ce que vous proposez, soit d'abattre les cloisons actuelles en plaçant tout le monde sous le même ministre?
M. Hensler : La coordination et la synthèse sont des éléments importants et il est possible de les améliorer en plaçant les structures sous un seul ministre. Le modèle américain a montré des failles au fil des ans, essentiellement parce que tout ne dépend pas d'un seul responsable. On pourrait aussi entretenir des réserves face à la possibilité de regrouper les deux organismes et de les transformer en un pouvoir centralisé. Si cela vous inquiète, mieux vaudrait alors ne pas les placer sous une seul ministre. Il suffirait qu'un comité du Cabinet surveille ce genre d'opération pour que le ministre responsable ne puisse pas faire de coups en douce. Pour garantir ce genre de coordination, il faut que les deux organismes soient reliés d'une certaine façon et, selon moi, la meilleure façon d'y parvenir consiste à les confier à un seul ministre.
Le président : Vous avez acquis énormément d'expérience au gouvernement. Avez-vous tenu le compte du nombre de solliciteurs généraux qui ont été vos patrons au fil des ans?
M. Hensler : Nous avons fait le compte à un moment donné.
Le président : Pourrait-on dire que vous en avez connu une quinzaine en 35 ans de carrière?
M. Hensler : Peut-être 10 ou 12, souvent à cause de la succession de gouvernements minoritaires.
Le président : Combien d'entre eux connaissaient bien leurs dossiers? Dans combien de cas avez-vous eu la certitude que ces gens-là comprenaient les dossiers?
M. Hensler : Nous avons eu quelques bons solliciteurs généraux. Nous nous asseyions à la table avec eux et ils savaient ce que nous faisions. Et puis, il y avait ceux qui étaient personnellement moins bons, mais qui pouvaient compter sur un bon personnel. Le ministère pouvait compter un excellent personnel qui savait où aller chercher l'information. Il savait où la recueillir et comment la transmettre au service; il savait ce qu'il fallait faire. Chaque fois qu'un ministre changeait, il fallait relancer le processus d'éducation, mais en moyenne nous avons eu de bons ministres qui comprenaient bien et qui apprenaient vite. Nous n'avons jamais, ou plutôt rarement eu de la difficulté à faire autoriser des opérations parce que notre ministre mettait trop de temps à apprendre.
Le président : C'était le critère du bon ministre : comprendre et approuver les opérations.
M. Hensler : Effectivement, il fallait qu'ils comprennent les opérations, mais il était également important qu'ils les approuvent.
Le sénateur Atkins : M. Morden nous a dit que l'on pouvait facilement trouver une grande partie de l'information sur Internet ou l'acheter sous la forme de produits adaptés auprès de certaines sources fiables non secrètes.
Quelle place occuperait ce type d'information dans la conception que vous avez des choses, et comment serait-elle diffusée auprès des responsables appropriés?
M. Hensler : L'information non secrète est une dimension très importante de l'analyse du renseignement, et le modèle que je vous ai décrit comporte à la fois un aspect analyse et un aspect enquête. De toute façon, il existe un noyau de bons analystes au MDN et au BCP. Ils seraient compétents pour traiter des données du renseignement étranger recueillies par le nouvel organisme, données qui seraient ensuite regroupées avec des informations de nature secrète afin de les analyser ensemble. Le SCRS exploite les informations non secrètes, tout comme le fait n'importe quel bon organisme du renseignement.
En revanche, vous ne trouverez pas dans des informations non secrètes ce qui vous intéresse vraiment. Vous ne saurez pas ce que le président de tel ou tel pays entend faire dans le cas de son voisin. Vous pourrez toujours tirez des conclusions, mais vous devrez disposer d'informations venant de l'intérieur. L'information ouverte est très importante, elle joue un rôle important en ce qui concerne l'analyse des données du renseignement de sécurité et des données du renseignement étranger.
Le sénateur Atkins : Comment former ces gens-là?
M. Hensler : Il existe des cours pour devenir analyste. Certains pays offrent une formation et je crois qu'il existe des cours universitaires, mais ce n'est pas ainsi que ça se passait au SCRS de mon temps. Il est possible que le service recrute maintenant des gens formés, mais je n'en sais rien. À l'époque, nous apprenions sur le tas et si vous montriez un don, eh bien! on vous choisissait pour devenir analyste. L'essentiel de notre travail consistait à rechercher des données et, au départ, nous n'excellions pas en analyse; je pense, en revanche, que nous nous sommes améliorés avec le temps.
Le sénateur Atkins : Pensez-vous que la collectivité de la sécurité et du renseignement est suffisamment prête et préparée pour identifier les menaces d'origine canadienne et y faire face?
M. Hensler : Oui, je crois que nous sommes prêts et que les organismes concernés l'ont prouvé. Le SCRS est un organisme très compétent et le sang neuf apporté récemment n'a fait qu'améliorer ce niveau de compétence. Je vous réponds donc par l'affirmative.
Le sénateur Atkins : Pensez-vous que le SCRS a un personnel suffisant?
M. Hensler : Je ne sais pas. Je ne sais pas où en est le service à l'heure actuelle. On peut toujours se dire qu'il faut augmenter les effectifs, mais il y a déjà un certain temps que je suis parti. Je sais qu'au début des années 1990, nous aurions aimé avoir plus de personnel, mais le monde a changé, de même que les priorités, et je crois que nous nous sommes arrangés pour être en mesure de remplir parfaitement le mandat qui nous était confié.
Le sénateur Atkins : Il nous a récemment été donné, à Toronto, d'assister à l'exemple d'une opération combinée entre la GRC, le SCRS et le service de police local dans le cas d'une menace d'origine canadienne. Ne risque-t-on pas de trop solliciter ces ressources compte tenu de ce qui pourrait se passer dans d'autres grandes villes au Canada?
M. Hensler : Je ne sais pas quels sont les effectifs actuels du SCRS, mais je n'ai pas entendu dire que les ressources faisaient problème. En revanche, je ne m'avancerai pas sur ce sujet.
Le sénateur Atkins : Quelle est la principale menace qui pèse contre nous, selon vous?
M. Hensler : D'après ce qui se passe ailleurs dans le monde et d'après ce que nous avons constaté ici, il semble que la menace vienne de plus en plus de l'intérieur. Ce genre de menace obéit à une philosophie qui n'a rien à voir avec le Canada, ce qui est très préoccupant : les gens ont l'impression de ne pas appartenir au Canada, que ce pays ne les a pas bien traités ou qu'il ne les comprend pas. Les auteurs des attentats terroristes de Londres se sentaient dépossédés et ils étaient disposés à intégrer des groupes ou des organisations qui allaient leur permettre de se venger. C'est sans doute ce genre de changement d'attitude qui est à l'origine de la menace.
Le sénateur Zimmer : Le sénateur Atkins a parlé de menaces d'origine canadienne par rapport à une menace d'origine étrangère. Avez-vous constaté un basculement sur ce plan, la menace qui venait avant de l'étranger venant désormais de l'intérieur de nos frontières? Si tel est le cas, estimez-vous qu'il faille attribuer cette menace à l'immigration? A-t-on affaire à une menace qui serait une combinaison de menaces extérieures et de menaces canadiennes?
M. Hensler : La question du sénateur Atkins a porté là-dessus. Avant, nous étions davantage préoccupés par la menace extérieure qui demeure une source d'inquiétude. De nos jours, nous ne nous soucions peut-être pas autant des immigrés que de ceux qui sont nés ici.
Dans l'un des récents incidents survenus en Grande-Bretagne, les terroristes étaient nés là-bas, toutefois, le bagage culturel et la philosophie ethnique peuvent avoir leur racine à l'extérieur du pays. Cette situation est préoccupante. Il est toujours possible de soumettre les nouveaux immigrants à des vérifications de sécurité, mais il est difficile de faire enquête sur des néo-canadiens de deuxième génération qui prônent la violence.
Le sénateur Zimmer : Savez-vous si des groupes extérieurs font passer des ressources au Canada pour y établir des cellules terroristes?
M. Hensler : Je ne peux pas vous répondre à cette question avec certitude. Pour en revenir à ce qui s'est passé en Grande-Bretagne, je crois que c'était effectivement le cas. Ces gens-là avaient bénéficié d'un appui extérieur. En revanche, je ne sais pas si ça a été le cas au Canada.
Le sénateur Atkins : Nous disposons à présent du ministère de la Sécurité publique qui, en un sens, est un organisme- cadre. Êtes-vous impressionné par l'orientation prise par le gouvernement qui essaie de regrouper différentes composantes dans un seul et même ministère? Est-il allé assez loin?
M. Hensler : D'après ce que j'ai vu et lu, j'ai l'impression que cette formule donne de bons résultats. C'est pour cela que j'estime qu'on pourrait ajouter un organisme du renseignement étranger à Sécurité publique Canada qui serait le ministère idoine. L'existence d'organisations différentes donne de bons résultats de nos jours. Les choses fonctionneraient sans doute très bien si l'on ajoutait un autre organisme. Tout cela a l'air de bien marcher.
Le sénateur Day : Merci pour ces informations de base, monsieur Hensler. Il est très utile d'avoir quelqu'un qui est passé par le système et qui l'a vu fonctionner. Nous essayons de voir où il y aurait lieu d'apporter des améliorations.
Supposons que je dispose des données générales brutes dont j'ai besoin; encore faut-il, comme nous l'avons appris aujourd'hui, suivre un certain nombre d'étapes pour parvenir à des résultats. Il faut d'abord établir des priorités correspondant aux intérêts du Canada, après quoi il faut déterminer un ensemble de priorités par rapport à ce que nous recherchons et à ce que nous voulons savoir. Puis, il faut recueillir l'information, la regrouper et l'analyser pour la transformer en données du renseignement. Enfin, il faut transmettre ces données de renseignement aux ministères fédéraux intéressés. Ai-je bien énoncé toutes les étapes à suivre?
M. Hensler : Tout y est; la recherche, l'analyse, puis la diffusion.
Le sénateur Day : Tout à l'heure, vous nous avez dit que durant votre séjour au SCRS, le personnel se débrouillait assez bien pour rechercher les données, mais qu'il était peut-être un peu faible du côté de l'analyse. Puis, vous vous êtes amélioré en analyse des données, c'est cela?
M. Hensler : Effectivement. Quand le SCRS a été constitué, nous n'étions pas très forts sur le plan de l'analyse. Les choses se sont améliorées après que nous avons créé un service spécialisé dans l'analyse des données. En quelques années, ce service est passé de 12 à quelque 50 analystes très compétents. Des gens de la Défense nationale et des Affaires étrangères venaient nous aider. Je ne sais pas où en sont les choses actuellement, mais à en juger d'après les rapports que le service publie de temps en temps, tout semble indiquer qu'ils font du bon travail.
Le sénateur Day : Ces gens-là sont-ils au SCRS?
M. Hensler : Oui.
Le sénateur Day : D'après ce qu'on nous a dit aujourd'hui, il y aurait un groupe d'analystes de 40 à 60 personnes qui sont tous au Bureau du Conseil privé.
M. Hensler : Oui.
Le sénateur Day : S'agit-il d'un groupe différent?
M. Hensler : Ces gens-là font sans doute des analyses globales et je ne sais pas combien ils sont. Il y a toujours eu des analystes du renseignement au Conseil privé; ils reçoivent l'information des différents ministères et de nos alliés, puis ils fusionnent les données.
Le sénateur Day : Reprennent-ils l'information qui a déjà été analysée par le SCRS pour l'inclure dans une sorte d'agrégat?
M. Hensler : Ça, je ne le sais pas. Je sais que le SCRS produit ses propres rapports, et il est fort possible que le BCP en tienne compte et les reprenne dans ses rapports à lui.
Le sénateur Day : Nous avons posé beaucoup de questions au sujet de la différence entre le renseignement de sécurité et le renseignement étranger. Il est étonnant de voir la facilité avec laquelle vous faites la différence entre les deux. Personnellement, j'ai l'impression que les recoupements sont énormes. Vous nous avez dit que si l'on recueille des données du renseignement étranger portant sur des questions économiques ou politiques et que l'on constate un aspect susceptible de concerner la sécurité du Canada, l'information est transmise aux gens du SCRS.
M. Hensler : Il y a effectivement une zone grise dans le domaine du renseignement, tout n'est pas parfaitement tranché. Je suppose qu'un problème économique pourrait se transformer en menace à la sécurité du Canada. Dans la plupart des cas, on peut tout de même continuer à faire la différence. Il y a une toute petite zone grise, au centre, à propos de laquelle le gouvernement devrait préciser ce dont il retourne. Ce serait au gouvernement de décider de qui devrait faire enquête.
Le sénateur Day : Vous avez parlé du renseignement tactique et militaire. Vous avez fait allusion aux informations dont les commandants d'unité ont besoin pour protéger leurs troupes et remporter le combat. On pourrait imaginer qu'en récoltant des données du renseignement tactique, ils tombent sur des informations de nature stratégique qui seraient susceptibles d'intéresser le Canada, n'est-ce pas?
M. Hensler : Tout à fait.
Le sénateur Day : Êtes-vous satisfait de notre capacité actuelle en matière d'échange d'informations et êtes-vous convaincu que les systèmes sont en place pour s'assurer que l'information aboutit là où il faut?
M. Hensler : Vous me parlez de la situation actuelle?
Le sénateur Day : Oui.
M. Hensler : C'était le cas à mon époque et ce devrait encore l'être. D'après ce que j'ai cru comprendre, les choses se sont même améliorées. La coordination et le transfert du renseignement a toujours existé et il y a toujours eu des problèmes sur ce plan, mais à chaque fois, on dirait que le système s'est amélioré. Nous avons entendu parler des problèmes associés au transfert d'informations entre le SCRS et la GRC. Quant à moi, les choses n'ont jamais été aussi mal qu'on a voulu nous le faire croire. Je crois savoir que les choses se sont considérablement améliorées à l'époque où j'étais là-bas.
Le flux d'informations s'est généralement amélioré à l'échelle du gouvernement. Le grand problème tient au fait qu'il faut éduquer les hauts fonctionnaires. À l'occasion d'un certain nombre d'incidents, nous avons constaté que les destinataires de compte rendu du renseignement gardaient l'information sous le coude et ne la transmettaient à personne d'autre. Cette attitude a changé. Il faut toujours veiller à ce que le destinataire du renseignement sache d'où celui-ci émane, quelle valeur il représente et ce qu'il faut en faire.
Le sénateur Day : Qui doit veiller à cela?
M. Hensler : Le gouvernement, parce que cela concerne tous les ministères.
Le sénateur Day : Vous attendez-vous à ce que la conseillère en matière de renseignement auprès du premier ministre, qui est au Bureau du Conseil privé, soit intéressée à recevoir l'information?
M. Hensler : Tout à fait. Il faut cibler les sous-ministres pour s'assurer qu'ils comprennent.
Le sénateur Day : Quelle définition donnez-vous au mot « sécurité » dans sécurité et renseignement? Est-il question du bien-être de la personne, du risque de blessure et des dangers que peuvent courir les Canadiens ou parle-t-on plutôt de la sécurité de notre mode de vie, dans un sens plus général?
M. Hensler : Bonne question. Je dirais que le sens général s'applique.
Le sénateur Day : Cela s'applique-t-il à notre infrastructure politique tout comme à notre infrastructure physique?
M. Hensler : Oui, aux structures économiques, commerciales et politiques.
Le sénateur Day : Vous attendriez-vous à ce que le SCRS interprète de façon libérale le mandat qui lui est conféré en vertu de la loi. Ce faisant, intègrerait-il toutes les choses dont nous avons parlé aujourd'hui?
M. Hensler : Oui.
Le sénateur Day : Connaissez-vous l'article 16 de la Loi sur le SCRS qui précise que le Service peut être appelé à recueillir des données du renseignement étranger à la demande du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ou de la Défense nationale?
M. Hensler : Absolument.
Le sénateur Day : Cet article stipule que le renseignement étranger doit être recueilli dans les limites du Canada.
M. Hensler : Oui.
Le sénateur Day : Que signifie l'expression « dans les limites du Canada » dans le cas d'agents du SCRS travaillant à l'étranger?
M. Hensler : Je vais vous donner un exemple. Je ne vous parlerai pas d'un pays en particulier.
Supposons que le Canada accueille une délégation d'un pays donné et que celui-ci nous intéresse à cause de négociations en cours ou d'autres choses et, dès lors, que notre gouvernement désire obtenir le point de vue de ce pays sur le dossier qui nous préoccupe. Eh bien, le SCRS ne pourrait pas recueillir ce genre de données, mais le ministère des Affaires étrangères pourrait lui demander d'intercepter des messages pendant que la délégation est en visite au Canada. Ainsi, il serait possible de connaître la position du pays ayant envoyé la délégation. Voilà un exemple de ce qui pourrait se faire sur ce plan.
Le sénateur Day : Et cela, c'est dans les limites du Canada.
M. Hensler : Seulement dans les limites du Canada.
Le sénateur Day : Le SCRS peut-il filé quelqu'un en dehors du pays? Je pense à une personne qui, résidant au Canada, appellerait quelqu'un d'autre à l'extérieur du pays.
M. Hensler : Le SCRS pourrait intercepter les appels téléphoniques au Canada.
Le sénateur Day : J'ai cru comprendre que le Centre de la sécurité des communications peut intervenir à l'étranger.
M. Hensler : Oui.
Le sénateur Day : Dès qu'il y a un lien avec le Canada, le CSC peut intervenir n'importe où dans le monde.
M. Hensler : C'est ce que j'ai cru comprendre.
Le sénateur Day : Est-ce que le SCRS interprète de la même façon la mention « dans les limites du Canada »? Autrement dit, s'il y a un lien quelconque avec le Canada, peut-il intervenir n'importe à sa guise?
M. Hensler : En cas de menace pesant contre le Canada, ce n'est pas l'article 16 qui s'applique et le SCRS peut effectivement intervenir à l'étranger.
Le sénateur Day : Je vous pose la question en regard de l'article 16.
M. Hensler : Dans ce cas, le SCRS ne peut intervenir qu'au Canada.
Le sénateur Banks : Je suis confus à cause de quelques questions concernant la Loi sur le SCRS. J'ai l'impression que nous aurions dû la lire plus attentivement et je comprends deux choses à présent. D'abord, il est possible d'envoyer des agents du SCRS à Caracas pour recueillir des données du renseignement de sécurité, si c'est nécessaire. Ai-je bien compris? Ces agents peuvent travailler à l'étranger si les informations qu'ils recherchent concernent un danger pour la sécurité du Canada. Ai-je compris de travers?
M. Hensler : À ce moment-là, ils devraient passer par les autorités locales. Ils pourraient ne pas être autorisés à se rendre dans le pays parce qu'ils devraient le faire avec la permission des autorités locales, sans quoi ce serait très risqué pour eux. Dans certaines situations, ce pourrait être impossible et ils devraient s'en remettre aux autorités locales. Il vaudrait de toute façon mieux ne pas se rendre sur place sans y être autorisé par le pays d'accueil, parce qu'on s'exposerait.
Le sénateur Banks : Dit plus simplement, nous n'avons absolument aucune capacité pour conduire des opérations comme le fait la CIA. Nous n'avons aucune capacité pour aller chercher ce qui nous intéresse dans un pays dont les autorités ne nous inspireraient pas confiance. Nous n'avons aucune capacité pour aller chercher ce genre d'information sur des aspects susceptibles de constituer une menace à la sécurité du Canada, notamment à notre sécurité économique. Par exemple, la menace en question pourrait correspondre à un plan terroriste visant à abattre un avion. La Loi sur le SCRS nous empêche d'envoyer un agent canadien sur place afin d'aller chercher l'information nous intéressant. Est-ce que je comprends bien ce dont il s'agit? Nous ne pourrions pas envoyer dans un tel pays un agent qui pourrait se faire passer pour le représentant de la société d'import-export ABC.
M. Hensler : Effectivement pas pour y chercher du renseignement économique.
Le président : Ma question ne concerne pas un aspect économique, parce qu'il n'y a rien d'économique dans ce scénario. La sécurité du Canada serait menacée et, d'après ce que nous avons compris, les agents du SCRS peuvent aller n'importe où dans le monde, n'est-ce pas?
M. Hensler : Si la sécurité du Canada est en jeu, l'article 12 de la loi permet effectivement de faire enquête à l'étranger.
Le président : C'était là ma question.
Le sénateur Banks : Cependant, les agents doivent passer par les autorités locales.
Le président : Non.
Le sénateur Banks : J'ai cru comprendre de M. Hensler que tel est le cas.
Le président : Je pensais qu'il parlait de questions de nature économique.
M. Hensler : Un agent se rendant dans un pays, surtout un pays allié, doit s'identifier à l'arrivée. Je ne sais pas si cela se fait encore, il est possible que les règles aient changé, mais à ce moment-là ça devient dangereux. Par exemple, si vous avez une source qui appartient à un groupe terroriste présent au Canada et à l'étranger, cette source va se rendre dans le pays X et vous voudrez la rencontrer là-bas pour faire le point avec elle parce que vous ne pourriez pas le faire au Canada. Dans ce cas, vous y seriez autorisé par la Loi.
Quant à essayer de recruter quelqu'un à l'étranger qui détiendrait certaines informations, vous pourriez sans doute le faire aussi, mais à condition que cela corresponde à ce que dit l'article 12.
Le président : J'ai l'impression que vous aimeriez obtenir un avis juridique au sujet de la loi, sénateur Banks.
Le sénateur Banks : J'attendrai une autre fois.
Le sénateur Day : Je me demandais ce qui se passe sur le terrain, pas au sens d'une interprétation légale, et je dois dire que vous nous avez bien répondu. Nous avons parlé de deux articles de la loi — l'article 12 qui traite du renseignement de sécurité et l'article 16 qui traite du renseignement étranger. Vous avez reconnu avec moi qu'il peut y avoir recoupement entre les deux types de renseignement. Ainsi, quelqu'un qui voudrait interpréter la loi disposerait d'une assez bonne marge de manœuvre pour le faire.
Le seul autre élément à propos duquel j'aillais vous poser une question concerne l'emploi de Canadiens dans un pays étranger afin de recueillir du renseignement étranger. Est-ce nécessaire quand on sait qu'il existe Internet qui est une incroyable mine d'informations et qui renferme une telle richesse de données qu'il suffit d'analyser. Vous avez également parlé de la possibilité de passer par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, par la Défense nationale et par des ressortissants étrangers qui sont nos contacts. Nous recueillons donc des informations auprès de toutes ces sources. Cela étant, n'est-il pas nécessaire de déployer des efforts et d'investir notre argent pour analyser l'information actuellement disponible?
M. Hensler : Comme je le disais, il faut faire un peu des deux. Il faut améliorer la recherche du renseignement, mais aussi l'analyse. L'analyse est une activité permanente au Canada, mais il faut s'assurer que l'information recueillie est correctement analysée. Cela ne revient pas à dire que vous ne devez pas améliorer votre capacité de recueillir des données du renseignement à l'étranger.
Le sénateur Day : Comme le monde a changé et que la communication est omniprésente, toute information analysée vous dira presque automatiquement tout ce que vous avez besoin de savoir. En fait, nous avons besoin d'insister sur l'analyse, plutôt que de mettre sur pied une équipe de Canadiens chargés d'aller recueillir des informations en sol étranger.
M. Hensler : Non, je dirais que les deux ne s'excluent pas mutuellement. J'estime qu'il faut agir sur les deux plans. Vous devez veiller à faire des analyses, mais vous devez aussi améliorer la collecte du renseignement à l'étranger.
Il y a des organismes étrangers qui n'ont pas de personnel en poste hors de leurs frontières, qui fonctionnent entièrement depuis leur base nationale ou, qui envoient alors des agents secrets qui ont pour couverture une entreprise ou une autre activité. Ils ne restent à l'étranger que durant de courtes périodes. C'est là un autre modèle. Nous n'avons pas à déployer des centaines d'agents dans d'autres pays.
Il faut d'abord préciser ce qui vous intéresse et dans quel pays. Vous pourrez peut-être parvenir à vos fins en déployant du personnel à l'étranger, comme le veut le modèle traditionnel, mais il en existe d'autres. Je connais au moins un pays qui conduit la totalité de ses opérations du renseignement à l'étranger à partir de son territoire.
Le sénateur Day : Si je vous ai bien compris, vous estimez que nous n'analysons pas suffisamment les informations disponibles, en fonction des priorités que nous nous sommes fixées. Pouvez-vous me confirmer cela?
M. Hensler : Cela a toujours fait problème. Il y a déjà un certain temps que j'ai quitté le milieu, mais je vous ai dit que les choses se sont nettement améliorées. Vous avez un groupe de 40 ou 50 employés au Bureau du Conseil privé dont je ne connais pas la qualité, mais comme il existe un système, il faut pouvoir en extraire de bonnes analyses. Si le personnel est à la hauteur pour cela, tout va bien, mais encore faut-il que ces gens-là connaissent les questions qui intéressent le gouvernement ainsi que ses objectifs et ils doivent être compétents en la matière.
Le sénateur Day : Monsieur Hensler, vous nous avez fait penser à de nombreuses questions que nous allons poser à d'autres témoins dans le courant de cette étude. Merci d'être venu nous rencontrer pour nous aider dans nos délibérations.
M. Hensler : Je ne vous envie pas. Cela fait de nombreuses années que l'on parle de tous les problèmes entourant le renseignement et on dirait que les réponses diffèrent d'une fois à l'autre. Je suis heureux que votre comité ait entrepris de s'attaquer à ce dossier. Ne soyez pas contrarié par le fait que les réponses se recoupent et n'oubliez pas que tout n'est malheureusement pas noir ou blanc dans le domaine du renseignement.
Le président : Au nom du comité, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous avons apprécié votre témoignage et votre disposition à nous aider.
Ceux et celles qui, dans le public, souhaiteraient nous faire part de leurs questions ou de leurs commentaires, sont invités à se rendre sur notre site Web à l'adresse www.sen-sec.ca où nous affichons les retranscriptions des témoignages et où les horaires de nos audiences sont confirmés. Sinon, vous pouvez toujours communiquer avec le greffier du comité au numéro 1-800-267-7362 pour obtenir de plus amples informations ou vous faire aider pour contacter le comité.
La séance est levée.