Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 8 - Témoignages du 31 octobre 2006
OTTAWA, le mardi 31 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 17 h 20 pour examiner la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999, ch. 33) conformément à l'article 343(1) de ladite loi.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, au cours des derniers mois, notre comité a tenu, à l'égard de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement de 1999, la LCPE, un certain nombre de réunions visant à circonscrire notre examen de cette loi et à déterminer la meilleure façon de procéder.
Le comité a décidé d'examiner cette imposante loi en analysant trois études de cas pour déterminer à quel point la loi protège les citoyens canadiens contre les effets néfastes connus de l'exposition à certaines substances sur la santé. La première étude de cas concerne le mercure.
Ce soir, nous accueillons comme témoins M. Hugh Wilkins et le Dr Kapil Khatter, qui a déjà témoigné devant nous. Nous sommes heureux de vous revoir, docteur.
Hugh Wilkins, avocat-conseil à l'interne, Sierra Legal Defence Fund : Monsieur le président, je commencerai par un bref survol des enjeux qui, selon nous, sont importants et qui devraient être envisagés par votre comité dans le cadre de son examen de la question du mercure dans le contexte de la LCPE.
Les émissions de mercure au Canada ont de graves répercussions sur la santé des Canadiens ainsi que sur l'économie et l'environnement. Un certain nombre d'études mettent en relief les effets du mercure, en particulier sur les enfants. La National Academy of Sciences américaine affirme que l'un des risques liés au mercure consiste en une augmentation du nombre d'enfants qui ont du mal à suivre à l'école. L'Environmental Protection Agency américaine, ou EPA, avance que les enfants exposés au mercure avant leur naissance courent un risque accru de faire mauvaise figure à l'occasion des preuves sur le comportement neurologique. La Commission mixte internationale déclare que, selon de nombreuses études, les bébés de femmes qui ont consommé certains poissons de sport pendant la grossesse sont susceptibles d'accuser un retard au chapitre du développement neurologique.
En 1978, le gouvernement canadien s'est engagé, dans le cadre de l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, à assurer la quasi-élimination de déversements de substances toxiques persistantes, y compris le mercure, dans les lacs.
D'autres administrations sur le continent ont pris des mesures musclées à l'égard du mercure : le Connecticut a récemment pris un règlement selon lequel les centrales thermiques alimentées au charbon doivent réduire leurs émissions de mercure de 90 p. 100 d'ici 2008; le Massachusetts a pris un règlement exigeant une réduction des émissions de mercure de 85 p. 100 d'ici 2008 et de 95 p. 100 d'ici 2012.
Toutefois, au Canada, nous ne sommes dotés d'aucun règlement ayant force exécutoire visant à réduire de façon importante les émissions de mercure et leurs effets, outre la réglementation relative aux émissions des fabriques de chlore, laquelle ne s'applique plus qu'à un seul établissement au pays.
Le problème ne tient pas tant aux lacunes de la LCPE qu'à l'absence de volonté politique à l'égard de la prise de mesures. Nous nous sommes engagés, dans le cadre de l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, à assurer la quasi-élimination des émissions de mercure, et la LCPE nous procure les outils dont nous avons besoin pour assurer la quasi-élimination des émissions de mercure causées par l'humain. Mais nous n'avons pas utilisé ces outils.
Dans le cadre de l'examen de la LCPE, on doit envisager des façons de renforcer les mécanismes de la LCPE qui soutiennent la volonté politique de prendre les mesures réglementaires nécessaires pour assurer la quasi-élimination des émissions de mercure d'origine humaine au Canada. Plus précisément, on devrait chercher à renforcer les outils de la LCPE qui encouragent le public à prendre part au processus décisionnel touchant la réglementation, étendent la portée des options réglementaires et favorisent l'application des règles adoptées.
Les deux principaux outils de la LCPE utilisés dans le passé pour contrôler la pollution au mercure sont les plans de prévention de la pollution — ou plans P2 — et les standards pancanadiens, ou SP. Le plan de prévention de la pollution est un code de conduite qui n'a pas force exécutoire et qui vise à encourager les pollueurs à prendre des mesures pour réduire leurs émissions dans l'environnement.
Le gouvernement actuel se targue d'avoir pris des mesures musclées à l'égard des émissions de mercure dans le cadre de son initiative de planification P2 relative aux émissions de mercure des fonderies de métaux de base. Bien qu'il s'agisse effectivement d'une première intervention du gouvernement fédéral à cet égard, on ne saurait qualifier cette intervention de musclée ou d'importante. Le plan P2 relatif aux fonderies de métaux de base, qui n'a pas force exécutoire, ne vise qu'un seul émetteur, soit la Compagnie minière et métallurgique de la Baie d'Hudson, à Flin Flon, au Manitoba. L'entreprise est tenue d'élaborer un plan de prévention de la pollution et de rendre compte de sa mise en œuvre, mais aucun mécanisme ne permet de veiller à ce que l'entreprise atteigne ses cibles ou prenne des mesures efficaces.
Il est certainement indiqué de s'attaquer à cette fonderie, car c'est l'un des premiers émetteurs de mercure en importance sur le continent. Toutefois, il faut bien plus qu'un code de conduite n'ayant pas force exécutoire pour contrer efficacement les répercussions des émissions de mercure sur la santé, sur l'économie et sur l'environnement, partout au pays.
L'autre méthode qu'on utilise actuellement pour contrôler les émissions de mercure au Canada, c'est-à-dire les standards pancanadiens mis au point par le Conseil canadien des ministres de l'Environnement, est un autre mécanisme qui n'a pas force exécutoire. On a convenu de standards pancanadiens relatifs aux émissions provenant des fonderies et des incinérateurs, aux lampes contenant du mercure, aux résidus d'amalgames dentaires ou, plus récemment, aux centrales thermiques alimentées au charbon.
Chaque province est responsable de la mise en œuvre de ces normes, de sorte que le degré d'exécution peut varier d'une province à une autre. Toutefois, en ce qui concerne le mercure, tous les standards pancanadiens sont facultatifs. Par conséquent, on encourage les émetteurs de mercure à déployer des efforts soutenus pour respecter les normes, même s'il n'existe aucun outil d'exécution.
De fait, avant que les standards pancanadiens relatifs aux émissions de mercure de centrales thermiques alimentées au charbon ne soient adoptés, le ministre de l'Environnement de l'Ontario déclarait que sa province n'arriverait pas à remplir ses engagements.
Du fait que, tout comme les plans de prévention de la pollution, les standards pancanadiens soient non exécutoires, leur entrée en vigueur a une incidence minime. Les standards pancanadiens sont essentiellement des objectifs auxquels on adhère de façon volontaire, et à l'égard desquels les mesures de contrôle ou de responsabilisation sont limitées.
Toutefois, la LCPE prévoit certains outils qui peuvent être efficaces et qui peuvent produire des résultats. Le mercure est inscrit à titre de substance toxique à l'annexe 1 de la LCPE, ce qui veut dire qu'on peut le réglementer en vertu de la loi. L'article 93 de la LCPE permet au gouvernement de prendre des règlements à l'égard d'un large éventail d'enjeux touchant une substance toxique donnée, y compris : la quantité ou la concentration de la substance qui peut être rejetée dans l'environnement; les endroits ou les zones où la substance peut être rejetée; la quantité de la substance qui peut être fabriquée, traitée, utilisée, offerte en vente ou vendue au Canada; et la quantité ou la concentration de la substance que peut contenir tout produit fabriqué, importé, mis en vente ou vendu au Canada ou destiné à l'exportation.
Malgré l'existence de ces outils, le gouvernement fédéral n'a pris qu'un seul règlement à l'égard du mercure. Comme je l'ai déjà mentionné, il s'agit du règlement relatif aux fabriques de chlore. Encore une fois, il n'y a qu'un seul établissement au Canada visé par cette réglementation.
La LCPE s'assortit également de dispositions relatives à la quasi-élimination de certaines substances toxiques. En vertu du paragraphe 77(4) de la LCPE, les substances qui satisfont aux critères suivants peuvent faire l'objet d'une proposition de quasi-élimination : la substance doit être persistante et bioaccumulable; la présence de la substance dans l'environnement doit découler principalement de l'activité humaine; et la substance ne doit pas être une substance inorganique d'origine naturelle ou un radionucléide d'origine naturelle.
Le mercure satisfait à tous ces critères et devrait être ajouté à la liste de quasi-élimination. On dit que le mercure n'a pas été inscrit à cette liste parce qu'il s'agit d'une substance d'origine naturelle, de sorte qu'il ne satisfait pas au deuxième critère, selon lequel la présence de la substance dans l'environnement est due principalement à l'activité humaine.
Toutefois, Environnement Canada déclare que la moitié du mercure dans l'environnement découle de l'activité humaine. Je crois qu'il serait fâcheux d'attendre qu'il s'accumule encore davantage de mercure dans notre environnement avant qu'on prenne des mesures.
Il faut suivre l'exemple d'autres pays, comme la Suède, et réglementer le mercure afin qu'on puisse éliminer les sources de mercure liées à l'activité humaine. À l'heure actuelle, pas même une substance n'a été inscrite sur la liste de quasi-élimination prévue dans la LCPE. Le temps est venu de faire en sorte que le mercure soit la première substance inscrite. Mais, encore une fois, c'est une question de volonté politique.
Le 19 octobre de cette année, le gouvernement fédéral publiait son avis d'intention de réglementer plusieurs polluants atmosphériques, y compris le mercure. Cette initiative dénote peut-être une certaine volonté politique de prendre des mesures réglementaires à l'égard des substances toxiques. Toutefois, l'avis ne fournit aucun détail concernant la réglementation relative au mercure, et les délais proposés pour la mise en vigueur de la réglementation relative à ce polluant atmosphérique et à d'autres sont très longs.
Le 19 octobre, le gouvernement fédéral déposait un projet de loi visant à modifier la LCPE et à créer une Loi canadienne sur la qualité de l'air. Dans ce projet de loi, le mercure est désigné à titre de polluant atmosphérique. Bien qu'aucune proposition visant à supprimer le mercure de l'annexe 1 de la LCPE ne soit mise de l'avant pour l'instant, une telle initiative pourrait miner la capacité du gouvernement de réglementer cette substance de façon efficace.
L'ex-juge de la Cour suprême du Canada, Gerard La Forest, a insisté sur le fait que le gouvernement ne devrait pas modifier les dispositions actuelles de la LCPE relatives au mercure. Il a déclaré ce qui suit :
La tâche qui consiste à élaborer de nouvelles dispositions environnementales prévoyant la création d'outils de protection de l'environnement équivalant à ceux que prévoit la LCPE n'est pas sans danger.
Certains ont fait valoir que la désignation du mercure à titre de polluant atmosphérique pourrait occasionner tout un débat constitutionnel sur la compétence du gouvernement fédéral en matière de législation relative aux polluants de l'air. La Constitution n'habilite pas le gouvernement fédéral à promulguer des lois relatives à l'environnement, car l'environnement n'était pas un enjeu important à l'époque de la Confédération.
Des arrêts antérieurs de la Cour suprême du Canada montrent que le gouvernement fédéral a le pouvoir d'adopter une loi relative aux substances toxiques. Mais, encore une fois, aucun tribunal n'a été appelé à déterminer si le gouvernement fédéral est habilité à promulguer une loi sur les polluants atmosphériques, telle que définie dans le nouveau projet de loi. Il serait inutile et peut-être problématique de soumettre les lois environnementales régissant le mercure à une telle épreuve en désignant cette substance à titre de polluant atmosphérique.
Nous estimons que l'amélioration de la LCPE passe par la volonté politique. Autrement dit, il faut enchâsser dans la LCPE les mécanismes nécessaires pour stimuler la volonté politique d'agir de façon dynamique et de mettre de l'avant une réglementation qui va changer les choses. Il y a à l'égard de la LCPE deux grands problèmes qu'il nous faudra régler afin de renforcer la volonté politique de prendre des règlements efficaces et d'atténuer les répercussions des émissions de mercure sur la santé, sur l'économie et sur l'environnement.
Premièrement, les dispositions de la LCPE relatives à la participation publique et à la transparence doivent être renforcées. Il faut mettre sur pied des mécanismes permettant aux citoyens de présenter une requête invitant le gouvernement à prendre des règlements et à prescrire des plans de prévention de la pollution et des accords d'équivalence sous le régime de la loi, et de prendre part aux consultations relatives à l'élaboration de ces instruments. Il faut également créer des mécanismes qui permettent au public de suivre les activités s'inscrivant dans les processus de planification de la prévention de la pollution et d'élaboration de standards pancanadiens ainsi que d'application des règles.
Deuxièmement, on devrait étendre la portée de la réglementation qu'on peut établir à l'égard du mercure afin d'accroître la souplesse des démarches réglementaires. Ces démarches doivent viser à éliminer toute émission de mercure issue de l'activité humaine.
Les mesures de réglementation devraient habiliter les ministres à offrir des incitatifs liés à l'utilisation de substituts du mercure dans des produits, à la consommation et à la conservation d'énergie renouvelable et à l'intégration des coûts de production et des coûts liés à l'environnement et à la santé. Si les mesures de réglementation proposent des méthodes de réglementation nouvelles ou innovatrices et exécutoires à l'égard du mercure, la volonté politique de recourir à de telles méthodes peut s'accroître.
La fourniture d'incitatifs liés à l'exécution de plans de prévention de la pollution, des standards pancanadiens et des règles doit également être renforcée sous le régime de la LCPE. On devrait prendre des dispositions qui encouragent les citoyens à participer à l'exécution de la loi. On devrait créer des mécanismes de contrôle et d'examen de la mise en œuvre des standards pancanadiens, des plans de prévention de la pollution et des règles, de façon à encourager la participation du public, la transparence et la responsabilisation de la société et des entreprises.
Il faut déterminer ce qui empêche les citoyens de prendre des mesures de prévention de la pollution en vertu de la partie 10 de la LCPE, et éliminer ces obstacles. Il faudrait réduire les seuils à partir desquels on peut prendre de telles mesures et intenter une action en dommages-intérêts.
On suggère aussi que soient enchâssées dans la LCPE des dispositions relatives au partage d'amendes analogues à celles qu'on trouve dans le Règlement de la Loi sur les pêches. On devrait mettre de l'avant des lignes directrices concernant le droit du procureur général de suspendre et de prendre en charge des poursuites intentées au privé à l'égard de violations du règlement, ce qui inciterait les citoyens à engager des poursuites au privé. Les tribunaux devraient aussi être habilités à ordonner, dans le cas de poursuites au privé, le recouvrement des coûts engagés aux fins de l'enquête et des poursuites judiciaires relatives à des infractions à la loi.
En somme, vu l'absence de volonté politique de prendre en vertu de la LCPE des mesures relatives au mercure, les objectifs de la loi relativement à la prévention de la pollution au mercure et à la protection de l'environnement et de la santé humaine contre ses effets néfastes n'ont pas été réalisés. Il n'est pas nécessaire d'apporter des changements importants à l'égard du mercure; on devrait plutôt envisager de renforcer la loi, de façon à accroître la volonté politique de prendre des mesures réglementaires décisives à l'égard du mercure.
La prise de mesures ciblées pour encourager la participation du public au processus décisionnel réglementaire, l'élargissement de la portée des mesures réglementaires exécutoires et la promotion de l'exécution des règles adoptées sont autant de mesures importantes pour générer la sensibilisation et la volonté politiques nécessaires pour réduire les émissions de mercure et leurs effets néfastes sur notre santé, sur l'économie et sur l'environnement.
Dr Kapil Khatter, directeur de la santé et de l'environnement, Pollution Watch : Je suis médecin de famille, et je représente Pollution Watch. Pollution Watch est un projet lancé par deux groupes environnementaux : Environmental Defence et l'Association canadienne du droit de l'environnement.
Je suis l'examen de la LCPE de près, et je m'intéresse énormément aux façons d'améliorer la loi pour qu'on puisse prendre des mesures à l'égard de substances toxiques comme le mercure. Mon exposé sera différent du mémoire que vous devriez avoir en main : les renseignements que j'ai à vous fournir sont légèrement différents.
Le mercure est un grave problème dans notre environnement. Malgré tout ce que nous avons fait pour réduire les émissions, nos émissions sont toujours d'une ampleur supérieure à ce que nous pouvons nous permettre.
Le mercure est extrêmement toxique. Lorsqu'on parle d'exposition toxique au mercure, il n'est question que de microgrammes. Au Canada, la dose de mercure acceptable pour un enfant de 10 kilogrammes est de cinq microgrammes, mais nous émettons toujours des tonnes et des tonnes de mercure, et une tonne, c'est un billion de fois plus que le tout petit microgramme qui peut à lui seul faire du mal.
Nous ne devrions pas croire que nous en avons fait assez. De fait, si on se penche sur ce qui a été fait en vertu de la LCPE à l'égard du mercure, on constatera qu'à peu près rien n'a été fait. Ce n'est pas grâce à la LCPE que nous sommes passés d'épouvantables à médiocres, pour ce qui est des émissions de mercure. La majeure partie de la réduction des émissions de mercure est une conséquence indirecte de mises à niveau visant à réduire les émissions d'autres substances, comme l'anhydride sulfureux, pour prévenir les pluies acides. Une part importante du reste des réductions découle de la réglementation prise par d'autres pays. Les États-Unis ont établi des contraintes légales à l'égard de l'utilisation du mercure dans la peinture et dans les piles, et les Canadiens tirent avantage de cela.
Où cela nous a-t-il menés? Plus de 97 p. 100 des quelque 2 000 avis sur la consommation du poisson émis au Canada à chaque année concernent le mercure. Dans 30 p. 100 des lacs de l'Ontario, même les petits poissons vont au-delà du seuil acceptable. Plus le poisson est gros, plus il est probable que sa teneur en mercure soit supérieure à la limite acceptable.
Les régions arctique et atlantique du Canada sont des points particulièrement chauds en ce qui concerne la contamination au mercure. Le poisson de certaines zones arctiques destinées au commerce affiche toujours une teneur en mercure supérieure aux lignes directrices de Santé Canada; 16 p. 100 des gens qui vivent dans les collectivités autochtones du Nord ont plus de 100 microgrammes de mercure par litre de sang. Autrement dit, leur niveau de mercure est cinq fois plus élevé que le niveau où, selon Santé Canada, il y a un risque accru.
Des études sur la faune du Canada atlantique montrent que les huards et d'autres animaux sauvages affichent le niveau de mercure le plus élevé en Amérique du Nord. La pollution au mercure du Canada atlantique ne provient pas des usines asiatiques. Il s'agit de mercure émis localement dans les Maritimes, dans les Grands Lacs et dans d'autres lacs d'Amérique du Nord.
Nous ne pouvons pas nous permettre de hausser les épaules et de blâmer l'Asie. Nous faisons partie du problème. Près de 40 p. 100 de la pollution au mercure en Amérique du Nord commence en Amérique du Nord. Certes, nous devons conclure des accords internationaux en vue de protéger les Canadiens contre les sources mondiales de mercure, mais nous ne pouvons exiger des autres que ce que nous exigeons de nous-mêmes.
Or, nous continuons de permettre l'utilisation et l'émission de grandes quantités de mercure. Nous utilisons plus de cinq tonnes de mercure pour l'obturation dentaire; dix tonnes de mercure se retrouvent dans des produits de consommation chaque année; et les émissions atmosphériques des établissements tenus de produire une déclaration se situent autour de cinq tonnes depuis cinq ans.
Comment peut-on améliorer la LCPE afin que nous puissions nous attaquer plus efficacement au problème du mercure? Premièrement, il faut y recourir pour éliminer les substances toxiques, comme le mercure, qui se retrouvent dans des produits de consommation et des produits médicaux. Rien ne justifie le fait que Santé Canada continue d'autoriser la vente de thermomètres au mercure lorsqu'il y a des solutions de rechange tout à fait acceptables et abordables. Un thermomètre brisé qu'on jette aux ordures ou qu'on vide dans l'évier contient suffisamment de mercure pour causer des dommages.
Deuxièmement, il faut remanier les dispositions de la loi relative à la quasi-élimination. On ne s'est pas prévalu de la quasi-élimination depuis la promulgation de la LCPE de 1999, et une seule substance a été proposée à cette fin.
Nous devrions nous affairer à éliminer les sources humaines de mercure, car le mercure est toxique, il est persistant dans l'environnement, et il s'accumule dans notre corps. Malheureusement, la définition établie dans la LCPE aux fins de la quasi-élimination exclut le mercure parce qu'il s'agit d'une substance d'origine naturelle. Cela ne devrait pas nous empêcher de procéder à la quasi-élimination des émissions de mercure découlant de l'activité humaine.
Enfin, le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, comme c'est le cas pour de nombreux autres polluants, est l'une de nos principales sources de mercure — et l'une des principales sources de pollution au mercure dans le Canada atlantique — en raison de l'ampleur du développement industriel et de la densité de population.
Nous estimons que la LCPE devrait reconnaître ces points chauds et prévoir des mesures spéciales visant à éliminer nos pires sources de pollution. Merci.
Le sénateur Cochrane : La semaine dernière, deux médecins ont témoigné devant notre comité au nom de l'Association dentaire canadienne. Concernant votre dernier commentaire au sujet des thermomètres, vous dites qu'il y en a qui ont été vidés dans l'évier et jetés de cette façon. On nous a dit qu'une telle chose n'arrive pas.
Il y a une façon particulière d'éliminer ces articles, et on les combine avec plusieurs autres substances. Après cela, on les place dans des épurateurs, et aucune substance toxique n'est rejetée. Avez-vous quelque chose à ajouter à cet égard?
Dr Khatter : Quand j'ai mentionné les thermomètres, je parlais de la vente privée aux citoyens du Canada. Puisqu'il existe des thermomètres numériques tout aussi précis et abordables, il n'y a aucune raison de vendre des thermomètres qui contiennent des substances toxiques.
Le sénateur Milne : Parlez-vous de la présence de mercure ou d'amalgame dans les thermomètres?
Dr Khatter : Je parlais de thermomètres. Voulez-vous qu'on aborde la question des amalgames?
Le sénateur Cochrane : Il est question du mercure dans les thermomètres. Vous avez dit qu'on jette le mercure dans l'évier de la cuisine ou de la salle de bain, et qu'il se retrouve dans notre sol et dans notre eau. N'est-ce pas ce que vous vouliez dire?
Le président : Je crois que le Dr Khatter dit que si nous jetons le mercure d'un thermomètre dans l'évier ou si nous jetons le thermomètre aux ordures, alors le mercure se retrouve dans l'environnement.
Le sénateur Cochrane : Mais on ne fait plus cela.
Dr Khatter : J'ose espérer que les établissements de santé et les cabinets dentaires prennent toutes les mesures nécessaires à l'égard du mercure, et le traitent comme un produit dangereux.
Mon commentaire concerne plutôt le Canadien moyen qui brise accidentellement un thermomètre au mercure en le nettoyant dans l'évier. Il n'y a aucune raison de continuer d'utiliser ces thermomètres à la maison. C'est risqué. La possibilité d'inhalation et la présence de cette substance dans l'environnement sont dangereuses.
Le sénateur Cochrane : Êtes-vous satisfait des méthodes d'élimination des thermomètres préconisées par l'association dentaire?
Dr Khatter : Je n'ai pas suivi cela de très près. Nous avons réalisé des progrès au chapitre de ce que nous appelons le contrôle au point de rejet où l'on prévoit un filtrage et l'on applique des méthodes pour réduire la quantité de mercure rejetée par les dentistes.
Je crois savoir que la réglementation ne vise pas tous les dentistes. Il y a des dentistes indépendants qui ne suivent pas les mêmes règles. Je ne suis pas absolument certain de cela.
Le sénateur Cochrane : Ils parlaient du contenu en mercure dans les amalgames.
Dr Khatter : On a fait beaucoup de progrès. Certains font valoir que, s'il y a des solutions de rechange à l'amalgame, au lieu d'assurer un contrôle au point de rejet en vue de tenter de réduire la pollution occasionnée par la dentisterie, nous ne devrions tout simplement pas utiliser d'amalgame aux fins de l'obturation.
D'autres pays, comme la Suède et d'autres pays d'Europe, ont pris des mesures en vue d'interdire l'utilisation d'amalgame, en partie pour des raisons de santé et en partie pour des raisons environnementales. Je crois que nous pouvons faire mieux que tout simplement tenter de réduire la pollution. Nous finissons tout de même avec cinq tonnes.
Parce que le mercure est un élément, il se conserve. Il ne disparaît pas. Même si nous captons le mercure et nous l'empêchons de couler dans l'évier, il faut tout de même l'enfouir dans un lieu d'élimination de déchets dangereux ou le mettre ailleurs.
Le sénateur Cochrane : Vous avez mentionné la présence de mercure dans la faune du Canada atlantique. D'où avez- vous dit que provient ce mercure?
Dr Khatter : Puisque les vents dominants en Amérique du Nord soufflent généralement d'ouest en est, le Canada atlantique est le plus à risque de recevoir tout ce qui vient de l'ouest. Environnement Canada attribue une partie de la pollution du Canada atlantique à des sources locales, mais le reste vient du bassin des Grands Lacs, du nord-est des États-Unis et de toutes les autres régions nord-américaines situées à l'ouest du Canada atlantique.
Le sénateur Cochrane : Êtes-vous au courant d'un examen ou d'un bilan permettant de déterminer quelles provinces ont adopté les divers standards pancanadiens relatifs au mercure? Les provinces font-elles bonne figure au chapitre de la mise en œuvre de la réglementation relative à la réduction des émissions de mercure?
M. Wilkins : En ce qui concerne les standards pancanadiens relatifs au mercure, toutes les provinces ont pris des mesures volontaires en vue de réglementer le mercure. Nous ne disposons d'aucune norme susceptible d'être exécutée par le gouvernement.
L'Ontario est un bon exemple de cela. À l'époque où on s'engageait à réduire les émissions de mercure, cette province prévoyait éliminer graduellement les centrales thermiques alimentées au charbon. On a depuis renoncé à faire cela d'ici une date cible. Par conséquent, l'Ontario est incapable même de s'approcher du niveau de réduction qu'il comptait atteindre.
En l'absence d'exigences réglementaires rigoureuses dans toutes les provinces, nous ne pourrons réaliser autant de progrès que si nous pouvions miser sur une réglementation obligatoire relative aux émissions de mercure.
Dr Khatter : J'aimerais ajouter quelque chose à cet égard. Les standards pancanadiens sont un exemple patent de la façon dont le Canada se dérobe à la responsabilité que lui confère la LCPE de prendre des mesures concrètes pour régler le problème.
Bien souvent, nous nous croyons supérieurs aux Américains pour ce qui est de gérer les problèmes environnementaux; or, de nombreux Canadiens sont déconcertés d'apprendre que les États-Unis ont tendance à recourir à des instruments législatifs pour réglementer les substances, comme le mercure dans la peinture et les piles.
Grâce à notre utilisation d'ententes volontaires et à la lenteur du processus prévu dans la LCPE, nous accusons un retard important. Si nous avons tiré un quelconque avantage, c'est uniquement grâce à l'initiative de pays comme les États-Unis qui ont réagi avant nous.
Le sénateur Cochrane : Que pouvons-nous faire au sujet du mercure qui part d'autres pays et monte jusqu'à l'Arctique. Est-ce que nous travaillons à la réduction des émissions de mercure à l'échelle internationale?
M. Wilkins : On parle actuellement, sur la scène internationale, de créer une convention mondiale sur le mercure, et l'Union européenne et un certain nombre de pays en développement en font activement la promotion.
Le Canada a adopté une position différente. Je crois savoir que le Canada privilégie l'adoption d'une démarche volontaire aux fins de la réglementation du mercure à l'échelle internationale. On cherche à établir des partenariats, et ce genre de choses.
Il y a un certain mouvement international à l'égard de la création d'une convention, mais tout cela est très préliminaire.
Le Canada, sur la scène internationale, pourrait servir d'exemple pour d'autres pays. La Chine, exemple souvent soulevé, connaît une telle expansion économique, est confrontée à une demande d'énergie si élevée, qu'on y bâtit d'innombrables centrales thermiques alimentées au charbon.
Si le Canada montrait l'exemple au chapitre de la réduction des émissions de mercure, d'autres pays, comme la Chine, le Brésil et l'Inde, auraient un modèle à suivre, ou un objectif à atteindre.
Déjà, une bonne proportion — environ 47 p. 100 — du mercure que nous recevons vient de l'Asie. Si nous adoptons des normes rigoureuses, d'autres pays emboîteront le pas, et les effets néfastes au Canada seront réduits.
Le sénateur Cochrane : Avez-vous constaté des améliorations dans des pays comme la Chine récemment?
M. Wilkins : Je n'ai pas suivi la situation en Chine, mais je crois savoir que ce pays connaît une croissance économique explosive. En vue de composer avec la demande d'énergie, les centrales thermiques au charbon se multiplient. Par conséquent, vu l'absence de règles rigoureuses en Chine, nous subissons les contrecoups de cette croissance.
Le sénateur Cochrane : A-t-on récemment imposé de telles règles quelque part?
M. Wilkins : Pas à ma connaissance. Je peux m'informer et assurer un suivi auprès de vous, si vous voulez.
Le sénateur Milne : Je ne comprends pas, monsieur Wilkins, ce que vous entendez par « adopter des normes rigoureuses ». Le mercure, c'est le mercure. De quel type de normes voulez-vous parler?
M. Wilkins : Je parle de normes relatives aux émissions de mercure. Si le Canada était en mesure, en vertu de la LCPE, de prendre un règlement selon lequel les centrales thermiques au charbon, par exemple, ne peuvent émettre qu'une certaine quantité modeste de mercure, des pays comme la Chine verraient ce qui se fait au Canada, constateraient que de telles réductions sont possibles et que la norme internationale correspond à celle du Canada, et ils emboîteraient le pas. Ils installeraient à leur tour des épurateurs dans leurs centrales alimentées au charbon et réduiraient leurs émissions de mercure. Ainsi, l'impact de leurs émissions sur le Canada sera réduit.
Le sénateur Milne : J'ai bien l'impression que ce sont des paroles en l'air, pour ne pas dire du mercure dans l'air. Je doute fort que la Chine se préoccupe de ce que fait le Canada à cet égard.
M. Wilkins : Si vous me permettez de répondre : par le passé, le Canada a travaillé dur pour se doter de normes plus rigoureuses que celles des États-Unis à l'égard des émissions. Il est difficile pour le Canada de simplement dire à d'autres pays qu'ils devraient se doter de normes plus rigoureuses lorsque les siennes sont faibles. Si nous voulons que les autres pays établissent des normes rigoureuses, nous devons faire de même.
Le président : Monsieur Wilkins, il y a officiellement 155 centrales au charbon aux États-Unis. Certaines sont en cours de construction, et d'autres sont prévues. Disposez-vous d'informations montrant que ces établissements sont dotés d'épurateurs permettant d'obtenir une réduction des émissions de mercure de l'ordre dont vous avez parlé? Le combat est-il perdu d'avance? Avec ces 155 nouvelles centrales, la consommation de charbon à grande échelle aux États-Unis va remplir l'air de mercure. On pourrait aisément comprendre que les Canadiens se demandent à quoi bon prendre des mesures ici, car nos efforts seront rendus inutiles par les Américains.
M. Wilkins : Le Massachusetts et le Connecticut ont mis de l'avant des règlements qui exigent des réductions des émissions de mercure de l'ordre de 90 à 95 p. 100. D'autres États appliquent également des normes rigoureuses à l'égard des émissions. Je crois savoir qu'il y a eu, sous le gouvernement Clinton, une initiative visant à réduire de façon considérable les émissions de mercure, mais cette initiative a été mise sur la glace récemment. Aux États-Unis, on est très sensibilisé à ce problème. Cela me peine de le dire, mais les États-Unis font bien meilleure figure que nous à l'égard d'un grand nombre d'enjeux liés à la pollution.
Le sénateur Adams : Monsieur Wilkins, vous mentionnez dans votre mémoire qu'on devrait enchâsser des dispositions relatives au mercure dans la Loi sur les pêches. Pourriez-vous nous expliquer un peu ce qui se passe à l'égard du mercure dans les poissons et ce que nous pourrions faire par l'entremise de la Loi sur les pêches pour réduire ces quantités de mercure?
M. Wilkins : L'une des façons d'encourager les poursuites au privé en vertu de la LCPE, afin que le public puisse veiller à ce que la réglementation soit respectée, consiste à recourir au partage des amendes. Dans le Règlement de la Loi sur les pêches, il y a une disposition selon laquelle une personne qui intente des poursuites au privé en vertu de la Loi sur les pêches et qui obtient gain de cause a droit à sa part des amendes qui seront versées. Elle recevra la moitié des amendes versées par la partie fautive, et le gouvernement recevra l'autre moitié. Ce partage des amendes encourage le public à surveiller l'exécution de la Loi sur les pêches, et un tel mécanisme pourrait également inspirer le public à assurer l'exécution de la LCPE et à s'intéresser activement aux enjeux.
Le président : Est-ce que cela ne va pas encourager certains opportunistes à tirer profit des lois relatives à l'environnement?
M. Wilkins : D'une certaine façon, on pourrait présenter la situation sous cet angle, mais les gens qui engagent au privé des poursuites en vertu de la LCPE prennent la chose au sérieux. Les antécédents de poursuites en vertu de la Loi sur les pêches ne permettent pas de conclure que de telles choses se produisent. On pourrait présenter la situation de cette façon, mais cela ne reflète d'aucune façon la réalité.
Le sénateur Kenny : J'ai une question supplémentaire sur le même sujet, si vous permettez. À combien se chiffrent les amendes?
M. Wilkins : J'ignore le montant des amendes prévues dans la Loi sur les pêches, mais je pourrais obtenir ces renseignements pour les membres du comité.
Le sénateur Kenny : S'agit-il de sommes négligeables?
M. Wilkins : Non.
Le sénateur Kenny : Qu'arrive-t-il à la personne qui engage des poursuites lorsque le tribunal conclut que les accusations portées sont non fondées?
M. Wilkins : Dans le cas de poursuites en vertu de la LCPE, les tribunaux disposent de nombreux mécanismes leur permettant de suspendre les procédures futiles et vexatoires. Ce genre de poursuites ne se rendraient jamais jusqu'à l'étape où on conclut qu'elles sont non fondées.
Le sénateur Kenny : Quelle est l'ampleur de l'effort que doit déployer une personne qui prépare sa défense à l'égard d'accusations qui finissent par être annulées? Qui va l'indemniser à l'égard de cet exercice?
M. Wilkins : Le problème procède du manque de ressources du gouvernement fédéral pour appliquer le règlement de la loi. Il n'y a pas suffisamment d'agents affectés à l'exécution, de sorte que peu de poursuites sont engagées en vertu de la Loi sur les pêches.
Le sénateur Kenny : Monsieur Wilkins, je suis d'accord avec vous sur cette question. Nous avons fait le calcul un jour, et nous sommes arrivés à une poursuite et quart par province. Le comité n'était pas impressionné par la détermination du gouvernement d'assurer l'exécution de cette loi. Cela dit, vous recommandez au comité de recourir à des chasseurs de prime qui réclameront la moitié des amendes. À un moment donné, avec des amendes considérables, quelqu'un va finir par qualifier cela d'exploitation, ce qui m'incite à tenir compte des pauvres personnes qui feront les frais du processus. Nous ne le saurons que lorsqu'elles subiront le processus, bien sûr, et elles apprendront qu'il est très coûteux de préparer sa défense contre de telles accusations.
Vous pouvez les rassurer en disant que les tribunaux vont les protéger et surseoir aux accusations, mais de nombreuses étapes du processus doivent avoir lieu avant que cela ne se produise. Une personne prudente retiendrait les services d'un avocat ou d'avocats, qui, à leur tour, feraient appel à des experts, et on consacrerait énormément de temps simplement parce qu'elle a été citée à comparaître devant un tribunal. Les conséquences possibles sont si graves qu'elle ne voudrait pas prendre le risque de se présenter devant le tribunal sans se préparer. Il est bien possible que le juge annule les poursuites, mais, en attendant, l'accusé a perdu du temps et de l'argent. Quant à la personne qui porte les accusations, elle ne subit aucune conséquence fâcheuse s'il s'avère qu'elle a engagé des poursuites à des fins opportunistes.
M. Wilkins : Ce n'est pas la bonne façon de décrire la situation.
Le sénateur Kenny : Ils le font parce qu'ils tentent de faire de l'argent. C'est un terme péjoratif, et je n'aurais pas dû l'utiliser.
M. Wilkins : Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'argent à faire. Il y a quelques incitatifs pour encourager les protecteurs de l'intérêt public à engager des poursuites. Si on impose, en vertu de la Loi sur les pêches, une amende de 100 000 $, alors cette personne empochera 50 000 $. Est-ce que cela va couvrir les frais juridiques engagés par cette partie du secteur privé pour engager les poursuites? Probablement pas, alors je ne crois pas qu'il y a de l'argent à faire. Il s'agit d'un incitatif visant à couvrir les coûts de poursuites privées.
Le sénateur Kenny : Vous venez tout juste de recommander cette démarche aux membres du comité. Le président et moi-même faisons valoir que certaines personnes, peut-être pas la majorité, lancent des procédures futiles et vexatoires parce qu'elles veulent se donner un défi à relever.
Vous avez parlé du partage d'une amende de 100 000 $ par le gouvernement et le poursuivant, si ce dernier obtient gain de cause. Je dirais qu'une somme de 50 000 $ constitue un incitatif plutôt intéressant pour une personne qui fait des choses futiles au cas où cela fonctionnerait, d'autant plus qu'il n'y a aucune conséquence fâcheuse en cas de refus de la demande.
M. Wilkins : Il y a des conséquences. Si une personne engage une procédure futile, elle devra tout de même assumer des frais juridiques considérables pour amorcer le processus. Si elle ne gagne pas, elle ne sera pas indemnisée, et pourrait se faire imposer des sanctions pécuniaires par le tribunal. De nombreux facteurs contribuent à dissuader les opportunistes. Nous devons inciter les protecteurs de l'intérêt public à engager des poursuites, car si nous n'offrons pas un quelconque incitatif, il n'y aura pas de poursuites à l'égard de ces infractions. Le grand public ne devrait pas avoir à le faire lui-même, sans qu'on lui procure un moyen de couvrir ses frais juridiques. Il s'agit non pas d'un mécanisme lucratif, mais bien d'un incitatif ayant pour but d'encourager les protecteurs de l'intérêt public à engager des poursuites sans avoir à encourir des frais juridiques considérables.
Le sénateur Adams : J'ai une question qui porte tout particulièrement sur les pêches et le chalutage au fond de la mer. Il y a parfois du mercure sur le sol marin. Au Nunavut, cela nous préoccupe; nous ne voulons pas répéter l'erreur commise dans l'est à l'égard de la morue. Nous vivons dans l'Extrême arctique, où la température de l'eau est différente. Les chalutiers montent au Nunavut pour pêcher; les navires de pêche sont énormes, ils attrapent du poisson et agitent peut-être en même temps le mercure qui se trouve au fond. Nous ne voulons pas voir de chalutiers au Nunavut : nous ne voulons que des fileyeurs et des ligneurs.
On dit que 79 p. 100 des membres de la population de l'Arctique affichent un certain niveau de mercure dans leur sang. Cela a peut-être quelque chose à voir avec ce que nous mangeons. Il y a quelques semaines, nous avons entendu le témoignage de représentants de sociétés de l'industrie automobile et d'autres ministères et organismes. Je leur ai demandé d'où vient la majeure partie du mercure — du sol, de la viande ou autre. Il y a un certain nombre d'années, Sheila Copps, alors ministre de l'Environnement, s'était rendue à Broughton Island. On s'est étonné de trouver un niveau élevé de mercure dans le sang de femmes qui allaitent et qui se nourrissent de viande et de gras de baleine. J'aimerais bien savoir pourquoi 79 p. 100 de notre population dans l'Arctique a du mercure dans le sang, quand nous ne constituons que 9 p. 100 de la population canadienne. Nous vivons là-bas, dans un endroit où il n'y a pas de grosses usines, alors pourquoi notre niveau de mercure est-il si élevé?
Dr Khatter : On a parlé ici du fait que le Nord reçoit du mercure d'autres pays du monde et du sud du pays, de la région des Grands Lacs. Le mercure produit ailleurs que dans l'Arctique finit par se déposer là-bas en raison de la température. Les principales sources alimentaires de mercure sont toujours les fruits de mer et le poisson, mais puisque cette population se nourrit d'aliments traditionnels ou de gibier, c'est également une source. Les recherches de Santé Canada sur la contamination dans le Nord font état d'un degré de contamination inquiétant. Des chercheurs tentent de déterminer si l'allaitement et la consommation d'aliments traditionnels dans le Nord est encore acceptable. Nous tentons d'établir l'équilibre entre l'importance culturelle et nutritionnelle et le danger que pose le mercure.
Bien que ces questions soient importantes, il est très regrettable de devoir poser ces questions au lieu de retourner à la case départ et de nous demander pourquoi nous contaminons les poissons et les aliments traditionnels.
Le sénateur Adams : Le mercure provient non pas tant du sol, mais surtout des usines et d'autres industries. Est-ce parce que nous vivons dans un climat plus froid que le mercure se dépose plus facilement dans le Nord, dans l'eau?
Dr Khatter : À l'extérieur des réservoirs hydroélectriques, le taux de mercure s'accroît dans certains lacs, en raison des barrages. La majorité de cette contamination est de nature atmosphérique, de sorte que le mercure se déplace dans l'air et se dépose en raison du changement de température. Il se déplace dans l'air, et 40 p. 100 de la substance provient du territoire nord-américain et se déplace vers le nord, et un peu plus de la moitié provient d'autres pays du monde.
Le sénateur Adams : Combien de mercure faudrait-il avoir dans l'organisme pour que ce soit fatal?
Dr Khatter : Le taux que nous considérons comme sécuritaire, au chapitre de la consommation, est plutôt bas. Aux États-Unis, on a déterminé que le niveau sécuritaire de mercure dans le sang est inférieur à 6 microgrammes, alors c'est une très petite quantité. Vous pourrez lire dans mon mémoire qu'aux États-Unis, où la population arctique est très modeste, l'Environmental Protection Agency a conclu que 375 000 enfants courent le risque d'éprouver des problèmes de santé liés au mercure en raison du nombre de femmes dont le taux de mercure dans le sang est supérieur au seuil sécuritaire.
Nous n'avons pas effectué ce genre de recherche au Canada. Le débat entourant la biosurveillance au Canada concerne la tenue de telles recherches dans l'Arctique, dans le Canada atlantique et ailleurs. Nous nous attendons à ce que le nombre de mères et d'enfants à risque au Canada, par rapport à la population totale, soit plus élevé qu'aux États-Unis.
Le président : Je tiens à vous présenter le sénateur Tardif, depuis longtemps reconnue pour le rôle de premier plan qu'elle a joué au chapitre de la promotion et de la défense des droits linguistiques et culturels des minorités au Canada, et pour sa contribution considérable dans le domaine de l'éducation secondaire et postsecondaire. Elle a été nommée au Sénat en 2005, et elle siège au sein des Comités sénatoriaux permanents des langues officielles et du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement.
Le sénateur Tardif : Nous avons parlé du mercure dans les thermomètres, et je me demande ce que vous pensez d'autres produits contenant du mercure : selon vous, sont-ils convenablement réglementés sous le régime de la LCPE et de la Loi sur les produits dangereux?
Dr Khatter : Pour l'instant, aucune mesure n'a été prise en vertu de la LCPE à l'égard des produits contenant du mercure. La seule mesure prise en vertu de la Loi sur les produits dangereux concerne l'application d'un enduit sur les jouets visant à protéger les enfants contre un contact direct. De façon générale, la majeure partie du mercure provient des fongicides et de la peinture. Cela découle non pas de la réglementation canadienne, mais bien surtout de la réglementation des États-Unis et d'ailleurs.
Je crois comprendre, à la lumière de l'exposé présenté par Environnement Canada, que sa nouvelle stratégie relative au mercure va probablement s'attaquer à la question du mercure dans les produits de consommation, et nous attendons cela avec impatience. Nous faisions appel à une démarche qui miserait non pas sur la Loi sur les produits dangereux, mais bien sur la LCPE. La LCPE s'intéresse aux substances, alors que la Loi sur les produits dangereux s'attache aux produits. Ce que nous voulons, c'est que le mercure soit éliminé de l'ensemble des produits.
Il peut y avoir des exceptions où un produit donné doit contenir du mercure, car il n'y a aucune solution de rechange, et nous devons veiller à ce que ces produits contiennent le moins de mercure possible. Au lieu de lancer un processus en vertu de la Loi sur les produits dangereux selon lequel chaque produit devant contenir du mercure doit faire l'objet d'un règlement, adoptons une règle relative au mercure dans les produits de consommation, et établissons des exceptions au besoin.
Le président : À votre connaissance, y a-t-il des produits contenant du mercure à l'égard desquels il n'y a aucun substitut?
M. Wilkins : Je crois savoir qu'il y a des substituts pour la plupart des produits, mais ce n'est pas le cas des ampoules éconergétiques. Toutefois, il s'agit d'une innovation récente, et on espère que des solutions de rechange seront découvertes pour cela aussi.
Dr Khatter : L'une des principales catégories de produits contenant du mercure regroupe divers instruments de mesure, alors il s'agirait de déterminer s'il y a des solutions de rechange numériques. D'un côté, il existe souvent une solution de rechange abordable et disponible; de l'autre, il n'y a pas de solution de rechange. Il faut parfois prendre un règlement assorti d'un délai de mise en œuvre graduelle pour promouvoir l'innovation et favoriser des changements supplémentaires. C'est ce qui se produit lorsque d'autres administrations, comme l'Europe et les États-Unis, adoptent des règlements que le Canada, bien souvent, a trop peur d'établir.
Le sénateur Tardif : Recommandez-vous l'interdiction totale des produits contenant du mercure plutôt que la prise de mesures pour gérer l'élimination de produits qui contiennent du mercure?
Dr Khatter : Mon organisme adhère à l'idée selon laquelle il n'y a pas lieu de mettre sur le marché des produits contenant du mercure s'il y a des solutions de rechange rentables. Dans le cas des ampoules éconergétiques, il y a un avantage. Nous comprenons que les gens veuillent tout de même passer à l'éclairage fluorescent, même s'il contient une petite quantité de mercure. Le thermomètre au mercure est un parfait exemple de produit que nous tentons d'éliminer du marché, et Santé Canada ne veut pas interdire l'utilisation ou la vente de ces thermomètres.
Le sénateur Tardif : Je crois savoir que le projet de loi sur la qualité de l'air qui a été déposé récemment prévoit que le mercure demeurera à l'annexe 1, mais qu'il sera également considéré comme un polluant atmosphérique. Est-ce que cela va faciliter la réglementation du mercure?
M. Wilkins : Je ne crois pas que le projet de loi sur la qualité de l'air va changer grand-chose. Je crois comprendre que les nouvelles dispositions reprennent essentiellement les dispositions existantes de la LCPE et qualifient les substances actuellement inscrites sur la liste des substances toxiques de polluants atmosphériques. Le projet de loi sur la qualité de l'air ne prévoit aucun nouveau mécanisme qui n'existe pas déjà dans la LCPE. Il ne procurera au gouvernement aucun outil supplémentaire au chapitre de la réglementation du mercure. Cependant, l'avis d'intention de réglementer, déposé en même temps que le projet de loi sur la qualité de l'air, le 19 octobre, témoigne d'une volonté politique de réglementer. C'est un grand changement qui laisse présager que le gouvernement ira de l'avant et prendra des mesures réglementaires musclées à l'égard des substances toxiques, y compris le mercure.
Concernant la question antérieure sur l'élimination du mercure au Canada, je tiens à dire que c'est un but que se sont donné certains pays. La Suède veut éliminer le mercure d'ici 2007. C'est un but qui peut être atteint, et certains pays prennent des mesures pour y parvenir.
Le sénateur Tardif : Dans votre mémoire, vous faites appel à une plus grande souplesse au chapitre de la réglementation. Quelle forme prendrait cette souplesse?
M. Wilkins : L'article 93 de la LCPE actuelle dresse une liste plutôt étendue de façons de prendre des règlements relatifs aux substances toxiques. Toutefois, nous croyons que la portée de la réglementation pourrait être étendue afin qu'on puisse offrir des incitatifs au remplacement de produits contenant du mercure par des produits sans mercure. On pourrait offrir des incitatifs en faveur de la conservation d'énergie, par exemple, afin qu'il ne soit pas nécessaire d'exploiter des centrales au charbon. On pourrait établir des exigences relatives à l'internalisation de facteurs externes, de façon à ce que le coût de l'énergie produite au moyen d'une centrale alimentée au charbon tienne compte des coûts en matière de santé et d'environnement qui découlent de la production d'énergie à partir du charbon.
Le sénateur Tardif : Essentiellement, vous dites que la démarche volontaire n'a pas permis de contrôler efficacement le mercure; nous devons passer à une démarche réglementaire, mais la rendre plus souple.
M. Wilkins : Je crois que la démarche devrait manifestement être de nature réglementaire. On devrait fixer des exigences strictes assorties de cibles de réduction des émissions de mercure favorisant la quasi-élimination du mercure. Le succès passe par l'adoption de mesures réglementaires. Les standards pancanadiens et les plans de prévention de la pollution que nous avons utilisés dans le passé n'ont pas donné les résultats escomptés. Au niveau où sont les émissions de mercure à l'heure actuelle, nous subissons toujours les répercussions au chapitre de l'environnement, de la santé et de l'économie.
Le président : Pour terminer sur cette question, nous avons vu, dans le cadre de témoignages présentés à l'occasion d'une autre réunion sur le même sujet, des diagrammes nous montrant que la réduction des émissions industrielles de mercure au pays est supérieure à 90 p. 100. J'ai sous les yeux un digramme illustrant la gestion du mercure au Canada, la tendance en matière d'émissions de mercure de 1970 à 2003. J'ignore si vous pouvez voir le diagramme, mais quand vous dites que le régime volontaire actuel n'a pas donné grand-chose, si ce diagramme est vrai, ne serait-ce partiellement, il semble que cela soit contradictoire. Quelqu'un a tort. Le diagramme reflète-t-il la réalité, ou a-t-on raison de dire que les mesures volontaires actuelles n'ont pas permis de réduire de façon considérable les émissions de mercure? Quelqu'un est vraiment dans l'erreur. Alors, qui est-ce?
Dr Khatter : Nous avons tous deux raison. Il y a effectivement eu réduction des émissions. Cependant, nous n'en sommes pas au point où nous pouvons affirmer que nous ne polluons pas l'environnement avec trop de mercure ou que nous ne risquons pas des problèmes de santé. Nous faisons valoir, preuve à l'appui, que les réductions indiquées sur ce diagramme n'ont rien à voir avec la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, ni avec les accords volontaires relatifs au mercure que nous avons conclus au Canada. Les réductions que vous voyez, à partir des années 1970, découlent de la fermeture de fabriques de chlore et de règlements pris à cette époque, bien avant la LCPE. Les réductions supplémentaires qui ont marqué les années 1990 découlent d'efforts pour réduire les émissions d'anhydride sulfureux et de dioxyde d'azote, substances responsables des pluies acides; cela a occasionné une réduction parallèle des émissions de mercure, mais ce n'est pas imputable à des mesures propres au mercure.
Une partie de ce qui est calculé dans ce graphique tient à la réduction des émissions découlant de la peinture et des piles. Cela s'est produit parce que les États-Unis ont établi une réglementation, de sorte que les sociétés qui se plient à la réglementation américaine ont appliqué la même norme sur le marché canadien. Les standards pancanadiens et les accords volontaires n'ont rien à voir avec cette réduction, et nous n'avons pris aucune mesure en vertu de la LCPE.
Le président : Cessons pour un instant de chercher des coupables ou d'attribuer du mérite; a-t-on vraiment réalisé des réductions très importantes — de l'ordre de 85 ou de 90 p. 100 — des émissions industrielles de mercure au Canada depuis les années 1970?
Dr Khatter : Il y a eu d'importantes réductions, mais on n'est pas sorti de l'auberge. La question qui s'impose à l'esprit est la suivante : si nous ne prenons pas immédiatement des mesures, est-ce que ces réductions vont continuer? Jusqu'à maintenant, nous avons profité des efforts des autres.
Le sénateur Cochrane : Pourquoi ces fabriques de chlore ont-elles fermé leurs portes?
M. Wilkins : Je crois savoir que les usines canadiennes n'étaient pas aussi concurrentielles que celles d'autres pays; cela tient partiellement à des motifs économiques. En ce qui concerne la LCPE, ces réductions sont antérieures à l'entrée en vigueur de la LCPE. Encore une fois, comme l'a déclaré mon collègue, ces réductions sont imputables non pas à la LCPE, mais bien à d'autres événements et à l'évolution du marché.
Le sénateur Milne : Si l'industrie canadienne cessait dès aujourd'hui d'émettre du mercure, combien de temps faudrait-il attendre avant que le mercure qui s'est accumulé dans les aliments traditionnels et dans le poisson des océans et des lacs se dissipe? Est-ce qu'il se dissipera un jour?
Dr Khatter : Je ne sais pas si on a effectué des calculs exacts. J'ai entendu dire que le niveau de mercure dans les Grands Lacs a baissé un peu. Pour ce qui est du but de la quasi-élimination, de ramener le mercure à un niveau naturel, il faudrait 100 ans à ne pas mettre de mercure dans les Grands Lacs. Ce n'est qu'une estimation grossière.
Le sénateur Milne : Docteur Khatter, vous dites qu'on devrait miser sur la LCPE en vue de réduire de façon considérable l'utilisation de mercure, qu'il faut prendre des mesures spéciales à l'égard des émissions et des transferts. Santé Canada doit commencer à prendre des mesures en vertu de la LCPE, mais, jusqu'à maintenant, la loi s'est révélée complètement inefficace. Que devrait-on faire pour la rendre efficace? Quelle forme devraient prendre ces mesures spéciales? Comment devrait-on utiliser la LCPE pour réduire considérablement l'utilisation de mercure?
Dr Khatter : Il y a trois aspects. Premièrement, la LCPE confère déjà des pouvoirs à l'égard des produits de consommation. Il y a une disposition qui rend cet aspect un peu plus confus. On nous a dit que Santé Canada estime que les thermomètres relèvent non pas des responsables de l'environnement, mais bien plutôt des responsables des dispositifs médicaux. Par conséquent, personne n'invoque la LCPE. Il faut clarifier la loi afin de prévoir très clairement qu'on peut prendre des mesures à l'égard d'une substance qui est toxique au sens où l'entend la LCPE — dans des produits de consommation, des produits médicaux, des produits pharmaceutiques ou autres choses — et qu'il l'est depuis des décennies.
Un autre aspect dont nous avons déjà parlé concerne la disposition de la LCPE relative à la quasi-élimination, qui exclut des substances comme le mercure — si toxique soit-il, malgré le fait qu'il est persistant et bioaccumulable. Nous savons que la disposition relative à la quasi-élimination ne fonctionne pas et doit être corrigée. Tout le monde s'entend sur cela.
Dans le préambule de la LCPE, on souligne l'importance d'adopter une approche basée sur les écosystèmes. Nous estimons que la LCPE doit prévoir des mesures musclées permettant de protéger des écosystèmes vulnérables, comme le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent et le Nord. Le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent est particulièrement important, en raison de l'imposante industrie qu'on y trouve. Quarante-cinq pour cent des polluants atmosphériques toxiques se retrouvent dans les Grands Lacs; ils contribuent donc, dans une large mesure, à la contamination du Nord.
Nous souhaitons que soit établi, en vertu de la LCPE, un bureau de coordination investi d'un mandat à l'égard des Grands Lacs et doté des ressources nécessaires.
Le sénateur Milne : Monsieur Wilkins, vous affirmez qu'il n'existe pas de solutions de rechange aux ampoules éconergétiques, du moins pour l'instant. De nombreuses personnes ont adopté ces ampoules; j'en ai dans toute ma maison. Elles consomment moins d'énergie, de sorte qu'on fait brûler moins de charbon.
Le président : Peut-être, mais il y a beaucoup plus de mercure dans votre maison.
Le sénateur Milne : C'est ce que je comprends. Que devrait-on faire pour encourager les gens à jeter ces ampoules de façon sécuritaire? Y a-t-il une façon sécuritaire de les éliminer?
M. Wilkins : D'abord, il faut offrir des indicatifs en faveur de l'innovation afin qu'on puisse remplacer le mercure dans les ampoules. Le Règlement de la LCPE pourrait offrir des incitatifs à la conception de nouvelles technologies.
Ensuite, il faudrait veiller à ce que les municipalités mettent au point des systèmes sécuritaires d'évacuation des déchets dangereux, comme le mercure. À Toronto, nous ne sommes pas dotés d'un système d'évacuation adéquat des produits contenant du mercure, et les gens ne sont pas au courant de la présence de mercure dans certains articles. On devrait améliorer l'étiquetage et veiller à ce que les gens sachent que ces produits sont dangereux.
Le sénateur Milne : Je crois savoir qu'il y a en Ontario et au Manitoba des lois qui exigent qu'on jette de façon sécuritaire les résidus d'amalgames dentaires. Cependant, cela n'est pas exigé dans le reste du Canada.
Docteur Khatter, vous avez dit que le taux de récupération des ampoules contenant du mercure au Canada est d'environ 7 p. 100. Parlez-vous d'ampoules de thermomètre ou d'ampoules pour l'éclairage?
Dr Khatter : Nous parlons d'ampoules éconergétiques.
Le sénateur Milne : Pour ce qui est de l'éclairage, le taux est probablement nul. Les gens ne sont tout simplement pas au courant.
Monsieur Wilkins, vous dites que la Suède s'efforce d'éliminer le mercure. Le Canada devrait-il imiter les efforts de ce pays pour ce qui est de gérer les déchets contenant du mercure jusqu'à ce que nous mettions au point des ampoules sécuritaires? Comment s'y prend-on en Suède?
M. Wilkins : Je ne suis pas certain. Je ne suis pas un expert du droit de l'UE ou de la Suède. Je peux m'informer de leurs méthodes d'élimination du mercure et vous en reparler plus tard.
Le président : Ce serait utile.
Le sénateur Kenny : Je ne comprends pas le principe de l'élimination sécuritaire. S'il s'agit d'un élément qui continuera d'exister et de persister, quoi qu'on fasse, la quantité de mercure que nous avons sur la Terre à l'heure actuelle est la quantité de mercure que nous avions sur la Terre l'an dernier, et nous aurons la même quantité de mercure sur la Terre l'an prochain.
Pourriez-vous nous expliquer, en termes simples, en quoi l'élimination sécuritaire change quelque chose?
M. Wilkins : Une part importante du mercure présent dans la nature se trouve dans le sous-sol, dans le charbon, par exemple. Nous extrayons le charbon du sous-sol, où le mercure, essentiellement, ne constitue pas un danger pour nous, car il ne se retrouve pas dans notre eau lorsqu'il est emprisonné dans une passée charbonneuse. Quand nous extrayons le charbon, nous laissons le mercure s'échapper dans notre air et dans l'eau. Nous laissons le mercure s'échapper d'un lieu sûr et le laissons aller à des endroits où il peut nous nuire de façon considérable.
Le sénateur Kenny : N'y a-t-il pas des endroits où une passée charbonneuse est en contact avec de l'eau, avec la nappe phréatique? N'y a-t-il pas d'exposition naturelle au mercure?
Dr Khatter : Il y a un très modeste niveau naturel de mercure. Cela soulève deux enjeux. Le premier concerne ce que les chercheurs appellent le bassin mondial de mercure, sur lequel nous pouvons avoir une incidence. Il s'agit du mercure qui n'est plus emprisonné dans la pierre; c'est le mercure que les gens ont libéré et qui est maintenant en circulation. Nous devons déterminer comment l'éliminer de façon sécuritaire, car nous ne pouvons pas le remettre dans la pierre.
L'autre enjeu concerne le fait que le mercure prend diverses formes. Le mercure inorganique — c'est-à-dire le mercure emprisonné dans la pierre — n'est pas aussi dangereux que le mercure soumis à l'action de bactéries dans un lac ou dans un site d'enfouissement. Il devient alors du méthylmercure, forme organique de mercure qui est plus nocive.
Pour ce qui est de l'élimination, on envisage certaines méthodes, comme celles qui consisteraient à injecter le mercure dans le sous-sol. Les fonderies et d'autres établissements réduisent leurs émissions grâce à l'extraction du mercure — au moyen d'un procédé d'épuration — et à l'enfouissement sur place ou à l'acheminement du mercure vers des installations d'évacuation des déchets dangereux.
Nous avons créé ce bassin mondial de mercure, et la première étape consiste à faire en sorte que nous cessions de libérer le mercure le plus possible.
Le sénateur Kenny : Vous parlez de la disparition du mercure des Grands Lacs dans 100 ans. Y a-t-il un dispositif qui vous permettrait de mesurer la quantité de mercure qu'il y a dans cette pièce?
Dr Khatter : Nous pourrions mesurer la teneur en mercure de l'air. Lorsqu'on parle de mercure dans les Grands Lacs, il est question du niveau de mercure dissous dans l'eau, de mercure dans le poisson, dans d'autres espèces sauvages et dans les sédiments, probablement le dernier aspect à jamais être épuré.
Le sénateur Kenny : Avancez-vous qu'il serait sécuritaire de stocker le mercure dans les sédiments, ou s'agit-il plutôt du fait qu'il suivrait le Saint-Laurent et finirait dans l'océan?
Dr Khatter : Mes connaissances scientifiques à cet égard sont limitées, mais, dans une certaine mesure, les éléments présents dans les sédiments sont plutôt inoffensifs. Ils restent où ils sont, mais il y a certainement une interaction avec l'eau.
Je suppose que les sédiments constituent le dernier endroit d'où le mercure serait libéré. Je suis certain que les sédiments rejettent une petite quantité de mercure dans l'eau, et qu'il finirait par partir. Le mercure présent dans les sédiments des Grands Lacs à l'heure actuelle ne serait pas à un niveau naturel; le niveau serait beaucoup plus élevé, en raison de nombreuses années de pollution. Nous voulons ramener cela à un niveau plus naturel.
Le sénateur Kenny : Vous semblez parler des sites d'enfouissement comme s'il y avait quelque chose qui empêche leur contenu d'aller ailleurs. Cela ne correspond pas à ma conception d'un site d'enfouissement. Je songe au stockage de déchets nucléaires, où on espère arriver, à un moment donné, à une demi-vie et constater finalement, après des centaines d'années, qu'il y a moins de radiation.
Le mercure restera le même, n'est-ce pas?
Dr Khatter : Oui.
Le sénateur Kenny : Les sites d'enfouissement n'empêchent pas l'eau de s'infiltrer et de faire son chemin ailleurs. Que suggérez-vous vraiment? Pourquoi cette solution est-elle meilleure?
Dr Khatter : C'est un problème de taille. On s'affaire à chercher des moyens d'isoler le mercure afin que les gens n'y soient pas exposés. Vous avez raison d'affirmer que les sites d'enfouissement habituels où sont déchargés des déchets contenant du mercure n'empêchent pas le mercure de s'infiltrer dans le sol; mais tous les déchets mercuriels d'un établissement donné doivent être confiés à des installations spécialisées dans l'élimination de déchets dangereux, placés dans des sites d'enfouissement dotés d'un revêtement spécialement conçu pour contenir le mercure. Je ne saurais dire à quel point de telles mesures sont fiables.
Le sénateur Kenny : Eh bien, alors, pourquoi abordons-nous la question? Si vous ne pouvez vous prononcer sur leur fiabilité, pourquoi dire aux gens d'éliminer convenablement leurs déchets et de recourir à des sites d'enfouissement si nous ne savons pas ce que cela va donner? Connaissez-vous des sites d'enfouissement fiables?
Dr Khatter : Encore une fois, cela renvoie à deux enjeux concernant les sites d'enfouissement réguliers et l'élimination des déchets dangereux, et c'est actuellement la meilleure technologie dont on dispose à l'égard du mercure. Il faut d'abord déterminer si nous allons continuer de rejeter du mercure de nos cheminées industrielles ou si nous allons veiller à ce que nos cheminées industrielles ne rejettent pas de mercure; ensuite, même si nous relevons la deuxième option, nous devons tout de même déterminer ce que nous allons faire avec le mercure. Pour l'instant, je crois savoir que les installations d'élimination des déchets dangereux constituent le lieu le plus sûr pour le mercure.
Le sénateur Kenny : Pourriez-vous nous donner un exemple d'établissement vraiment efficace?
Le président : On ne nous a pas donné de noms, mais d'autres témoins nous ont dit que de tels établissements existent. Les règlements provinciaux font une distinction entre les établissements qui le sont et ceux qui ne le sont pas. En ce qui concerne les résidus d'amalgames dentaires, les municipalités qui ne sont pas dotées d'un site d'enfouissement accrédité doivent acheminer ces déchets dans un établissement convenable, et c'est ce qu'elles font. Or, pour certaines d'entre elles, il s'agit d'établissements situés aux États-Unis.
Dr Khatter : Selon l'Inventaire national des rejets de polluants, les installations au Canada qui sont tenues de produire une déclaration éliminent chaque année 45 tonnes de mercure, sur place ou ailleurs. Pour savoir comment on élimine le mercure, il faudrait que vous vous adressiez à ces établissements et à Environnement Canada. Je crois savoir que même Environnement Canada ne sait pas clairement ce qu'il advient de ce mercure.
Le sénateur Kenny : Si nous voulions vraiment faire quelque chose, nous pourrions faire défiler au bas de l'écran une liste d'endroits, de façon à dire aux gens qui regardent l'audience : « voici l'établissement le plus près de chez vous. » Loin de moi l'intention de vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais il semble que vous ne sachiez pas vraiment où se trouvent ces établissements, et la plupart des gens ne savent pas où acheminer le mercure.
Dr Khatter : Une partie du problème, c'est que ces établissements ne sont pas accessibles à M. Tout-le-monde. Les entreprises savent où elles envoient leurs déchets de mercure. Mais lorsqu'il s'agit de se débarrasser d'une ampoule fluorescente, les installations d'élimination des déchets dangereux de Toronto disent qu'ils n'acceptent pas ce genre de choses. Il n'y a aucune autre réponse pour ce qui est de l'endroit où le simple citoyen devrait acheminer ses déchets contenant du mercure. Il y a peut-être des réponses, mais je ne les connais pas.
Le président : Je vais vous en donner une. Vous pouvez venir à Edmonton et voir comment on procède, car nous le faisons.
Le sénateur Kenny : À vrai dire, vous pouvez aller à Edmonton et voir comment on fait tout.
Le président : C'est vrai. Il y a à Edmonton des établissements désignés aux fins de l'élimination d'ampoules contenant du mercure.
Le sénateur Kenny : Je tiens à ce qu'il soit mentionné au compte rendu, monsieur le président, que, si nous examinons la loi, il semble que ce soit une lacune dans la plupart des endroits, sauf à Edmonton.
Le président : Envoyez vos vieilles ampoules à Edmonton.
Le sénateur Kenny : C'est vous qui avez suggéré cela, monsieur le président, pas moi.
Le sénateur Milne : Pendant combien de temps doit-on les garder? Jusqu'à ce qu'elles se brisent.
Le sénateur Kenny : C'est une question sérieuse.
Le président : Oui, c'est sérieux.
Le sénateur Kenny : Si nous doutons du fait qu'il y a un endroit sûr où les envoyer, et il semble que personne ne sait où elles pourraient aller, il serait peut-être indiqué de signaler ce fait dans notre rapport.
Le président : Il n'y a pas que ça; nous allons peut-être vouloir aussi poser la question aux gens qui sont censés le savoir ou qui devraient le savoir.
Le sénateur Kenny : Nous voulons des noms.
Le sénateur Milne : Vous dites que 45 tonnes sont rejetées tous les ans. Il faut présumer que les 45 tonnes en question alimentent quelques procédés de fabrication, dont cinq tonnes entrent dans la composition de produits d'obturation dentaire tous les ans, puisque vous avez dit que cinq tonnes de mercure entraient dans la composition des pâtes d'obturation dentaire tous les ans.
Dr Khatter : Oui.
Le sénateur Milne : L'écart est énorme. J'ai la certitude que ce ne sont pas 40 tonnes qui sont utilisées dans les ampoules électriques tous les ans. Quels sont les autres usages majeurs?
Dr Khatter : Je crois que nous ne parlons pas du même bassin. L'essentiel de cela se trouve dans les statistiques d'Environnement Canada. Les cinq tonnes que nous employons dans la composition des amalgames dentaires, ce sont les cinq tonnes de mercure qui sont vendues dans le commerce au Canada, sinon importées pour être utilisées dans les amalgames dentaires. Dix autres tonnes entrent dans la composition de produits de consommation — l'estimation est probablement exagérée; en réalité, c'est probablement plus proche de cinq tonnes. Au total, dans le cas des produits de consommation, il y a dix tonnes. C'est peut-être un peu moins que 45 tonnes : selon l'Inventaire national des rejets de polluants, chaque établissement présente une déclaration, mais il y a peut-être des cas de déclaration double. Autrement dit, là où le mercure est envoyé à une autre partie, il peut être déclaré à nouveau; le total est peut-être légèrement inférieur à ce que l'on dit. Les 45 tonnes de mercure en question sont simplement des déchets qui n'ont rien à voir avec les cinq tonnes et les dix tonnes dont il est question par ailleurs. C'est le mercure pris en charge sur place ou ailleurs dans le cas d'établissements qui en produisent suffisamment pour devoir le déclarer aux responsables de l'Inventaire des rejets.
Le sénateur Milne : La différence entre les deux chiffres... le mercure devenu déchet, est-il pris en charge de manière sécuritaire? Si les établissements peuvent le déclarer, ils doivent savoir combien il y en a et où il est envoyé.
Dr Khatter : Je cherche encore des précisions là-dessus aussi. Si j'ai bien compris, il est soit stocké sur place dans une installation quelconque prévue pour les déchets dangereux, soit envoyé à quelqu'un d'autre qui se charge de cette tâche. Je ne sais pas très bien ce qu'il en est de la qualité du stockage, si c'est bien fait.
Le sénateur Milne : Le mercure est-il plus nocif pour les êtres vivants s'il est rejeté dans l'air ou s'il est enfoui dans un site quelconque où, présume-t-on, il finira par se stabiliser ou se consolider ou infiltrer la nappe phréatique? Qu'est-ce qui est le moins dangereux pour les êtres humains?
Dr Khatter : Le mercure rejeté dans l'air par opposition au mercure enfoui sous la terre?
M. Wilkins : Brièvement, c'est un élément redoutable. Il peut se transformer en méthylmercure. Il se retrouve dans l'air et il se retrouve dans l'eau, puis il peut se retrouver dans l'air à nouveau, d'après ce que j'en sais. Quand il est enfoui, par exemple, dans la mesure où il s'infiltre dans la nappe d'eau, alors ce sont les cours d'eau et les poissons qui finissent par en contenir.
Le sénateur Milne : C'est ce qu'il finira sans aucun doute par faire, car les sites d'enfouissement sont poreux.
M. Wilkins : Tout à fait. Comme rien ne l'arrête, il poursuit son cycle dans l'environnement. À moins qu'il ne s'agisse d'un lieu sûr, à de grandes profondeurs sous terre ou à un endroit où il ne pourra pas se transformer en quelque chose de différent, il poursuivra son cycle dans l'ensemble de l'environnement.
Le sénateur Milne : Vous dites que c'est les deux?
M. Wilkins : Les deux, oui.
Dr Khatter : C'est pourquoi il faut le stocker dans autre chose qu'un site d'enfouissement ordinaire.
Un des problèmes que posent les sites d'enfouissement, du point de vue du méthylmercure, c'est que l'action bactérienne rend le mercure plus toxique et le transforme en mercure méthylé et en mercure diméthylé. Quand le mercure est enfoui dans un dépôt de déchets municipal, de fait, il devient plus dangereux.
Le sénateur Cochrane : Les dentistes nous ont dit la semaine dernière que si le mercure qui entre dans la composition des pâtes d'obturation dentaire est combiné à d'autres substances, il devient inerte. Le saviez-vous?
Le sénateur Milne : La liaison est solide. Le mercure devient stable.
Dr Khatter : Je ne m'y connais pas beaucoup en chimie. C'est possible. Je crois que les dentistes parlent de l'amalgame dentaire et de la pâte d'obturation dentaire qu'ils utilisent et du fait qu'il n'y aura qu'une certaine partie du mercure qui sera rejetée dans l'atmosphère, car il y a la liaison chimique. Nous savons que les gens ayant une obturation dentaire rejettent toujours dans l'atmosphère du mercure quand ils mâchent des aliments ou quand quelqu'un y touche, mais le rejet n'est pas aussi rapide parce qu'il y a une liaison chimique.
Le sénateur Kenny : Mais est-il difficile de savoir la température?
Le sénateur Sibbeston : Dans le Nord, au Nunavut, nous avons toujours cru à un mythe — j'ai l'impression moi- même que c'est vrai — que nous vivons dans un beau coin du Nord; que, dans la nature sauvage, tout est parfaitement pur. Tout de même, en assistant aux audiences que nous tenons, je prends conscience de la mesure dans laquelle il y a de la pollution dans le Nord. Quand j'entends dire que 68 p. 100 des mères dans la région de Baffin — et je suis sûr que cela s'appliquerait à d'autres régions de l'Arctique — ont dans le sang un taux de concentration de mercure qui est supérieur à ce qui est considéré comme sûr par l'Environmental Protection Agency, je m'inquiète. Je suis sûr que c'est le cas aussi des hommes; ce ne sont pas que les femmes.
De même, 16 p. 100 des gens dans l'Arctique ont une concentration de mercure supérieure à 100, soit cinq fois le niveau jugé sûr. Nous apprenons également la façon dont cela se manifeste chez les gens, particulièrement les mères et les bébés. L'exposition au mercure méthylé par la consommation de poissons est associée à un piètre rendement en ce qui concerne les tâches liées au comportement neurologique, particulièrement l'attention, la motricité fine, le langage, l'aptitude visuelle et la mémoire verbale. Ce sont des troubles qui ont une incidence sur la capacité d'apprentissage et l'aptitude mentale des jeunes enfants. Je commence à constater que les effets de la pollution au mercure sont très graves.
La vie dans le Nord est dure; les gens dépendent de la pêche et de la chasse. Dans l'Arctique, la vie vient de la mer : morses, phoques, baleines, poissons. Les animaux qui alimentent la population viennent plus souvent de la mer que de la terre.
Nous croyions jadis que le fait de vivre des fruits de la terre, dans le Nord, et de manger des aliments traditionnels nous rendait plus forts et mieux aptes à endurer de difficiles conditions de vie. Les gens qui mangeaient des aliments transformés, achetés au magasin, étaient considérés comme faibles. Maintenant, à cause de la pollution au mercure, les aliments traditionnels ne sont pas aussi sûrs qu'ils l'ont déjà été. Les gens dans le Nord devraient être inquiets.
Quel est le degré de gravité de la situation? Cela semble effroyable, redoutable. En réalité, pour les gens du Nord, qui nous écoutent et nous regardent peut-être... jusqu'à quel point devraient-ils s'inquiéter? Les gens devraient-ils cesser de manger du poisson et des animaux provenant de la mer et des animaux terrestres, par exemple le caribou?
Dr Khatter : Le problème est grave; Santé Canada et d'autres scientifiques croient qu'il s'agit d'un problème grave. En même temps, il demeure vrai que manger des aliments traditionnels rend les gens forts et cela représente un moyen de subsistance important. En ce moment, les concentrations ne sont pas élevées au point où les spécialistes proposaient d'éviter de consommer les aliments en question.
On se demande s'il y a lieu d'éviter les aliments qui sont le plus contaminés. Il nous est recommandé de ne pas consommer certains poissons pêchés en mer et poissons de sport dont la contamination est jugée trop élevée. Nous pouvons aller chercher les protéines, les huiles et les aliments nutritifs importants qui proviennent des poissons en consommant les espèces plus sûres. Il faut éviter d'en arriver au point où l'allaitement comporterait plus de dangers que de bienfaits. Nous n'estimons pas en être rendus là.
Les effets que vous avez énumérés sont parfois difficiles à mesurer, et il est souvent difficile de faire un lien direct entre l'effet et la cause. C'est un peu comme le cas du plomb dans l'essence : nous ne savons pas jusqu'à quel point il aurait été avisé d'éliminer le plomb de l'essence à une époque antérieure; nous savons que le plomb a eu un effet sur nos enfants, mais il est difficile de dire jusqu'à quel point c'est le cas. La même situation se produit dans le Nord, au sens où il est difficile de déterminer le degré de gravité des effets du mercure en ce moment.
Le sénateur Sibbeston : Il y a une autre question qui nous touche dans le Nord : le réchauffement de la planète. Anciennement, nous disions dans le Nord : l'été, cette année, c'était quelle fin de semaine déjà? Cela se résumait à quelques jours. Certaines années, la neige et la glace ne fondaient jamais dans l'Extrême-Arctique, par exemple à la baie Resolute. C'était il y a des dizaines d'années, probablement, et, maintenant que le climat se réchauffe, la question serait, j'imagine, la suivante : Noël, c'était quelle semaine ou quel mois? L'été, c'était quel mois?
Récemment, des scientifiques à bord d'un navire de recherche ont constaté que les concentrations de mercure dans les baleines de la région de l'Arctique occidental étaient plus élevées que ce à quoi on s'attendait. Il a été déterminé que les concentrations en question ont quadruplé pendant les années 1990. Pour essayer d'expliquer pourquoi les concentrations de mercure étaient si élevées, les scientifiques affirment que cela provient peut-être du fleuve Mackenzie, qui prend naissance dans le sud, en Alberta. Nombre de rivières se jettent dans le fleuve Mackenzie, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, là où il y a abondance d'installations industrielles. Une bonne part des éléments utilisés par l'industrie sont rejetés dans la rivière, puis ils finissent par se retrouver dans la mer de Beaufort.
Le sénateur Adams : Également, dans la baie d'Hudson.
Le sénateur Sibbeston : Oui. L'autre facteur en ce qui concerne le réchauffement de la planète, c'est que la fonte du pergélisol rejetterait du mercure qui se trouve à l'état naturel. Savez-vous s'il s'agit d'un facteur grave?
M. Wilkins : Je n'ai pas vu d'études là-dessus, mais c'est possible. Cela ne m'étonnerait pas. S'il y a du mercure dans la neige, celle-ci fondrait; mais je ne suis pas sûr combien il y a de mercure dans le pergélisol.
Le sénateur Sibbeston : Je sais que vous n'êtes pas un responsable gouvernemental, mais vous représentez des groupes environnementalistes comme Pollution Watch et le Sierra Legal Defence Fund. Peut-être avez-vous pu étudier les mesures que le gouvernement a prises récemment en proposant la loi sur la qualité de l'air.
Croyez-vous que cette loi permettra bien de réduire la pollution dans le Nord?
M. Wilkins : Le projet de loi sur la qualité de l'air ne prévoit pas de mécanisme qui n'existe pas déjà sous le régime de la LCPE, mais je crois que la LCPE, sous sa forme actuelle, prévoit les mécanismes de réglementation nécessaires pour bien s'attaquer aux questions en jeu. D'après l'article 93 de la LCPE, tel qu'il est formulé en ce moment, le gouvernement est habilité à prendre les mesures énergiques en rapport avec les émissions de mercure. J'espère qu'il le fera bientôt.
Le sénateur Sibbeston : Toute la question de l'environnement et du réchauffement de la planète aura une incidence sur les gens dans le Nord; d'ailleurs, ceux-ci seront déjà touchés. Depuis quelques jours, j'entends parler de gens qui disent que, en temps normal, à ce moment-ci de l'année — le 1er novembre, demain —, la trappe commence. Les gens se sont préparés et se sont organisés; d'ordinaire, le 1er novembre, ils sont déjà sortis à trapper et à attraper des animaux pour leur fourrure. Cependant, dans des endroits comme Inuvik et Fort MacPherson, il a à peine neigé, et il n'y a pas suffisamment de glace pour s'aventurer sur le terrain.
Le réchauffement de la planète, pour les gens du Sud qui le remettent en question, est tout à fait réel dans le Nord. Dans le Nord, nous éprouvons véritablement les effets du réchauffement de la planète; il y a des signes que l'endroit n'est pas aussi froid qu'il l'a déjà été. Il n'y a pas d'autres régions ni d'autres peuples au Canada qui soient davantage touchés. Le gouvernement doit prendre très au sérieux cette question du réchauffement de la planète et de la pollution, car cela a un effet sur le Nord.
Tout le monde adore le Nord. Les gens veulent s'y rendre pendant l'été et voir la région extraordinaire du pays où les Autochtones vivent comme ils vivaient il y a des centaines d'années, et ils aiment la nature vierge. Dans mon secteur, dans le parc national Nahanni, nous accueillons des gens qui nous viennent de partout dans le monde pour visiter, qui se rendent jusque dans l'Arctique. Cependant, cela ne se produira plus si nous continuons à réchauffer la planète et si nous continuons à polluer le Nord.
En tant qu'habitant du Nord, je me demande parfois si la pollution est vraiment grave. Tout de même, quand il arrive aux gens du Nord de faire un voyage dans le Sud, ils le constatent vraiment. Peut-être que les gens du Sud tiennent cela pour acquis parce qu'ils y sont nés et qu'ils vivent là, alors ils ne le remarquent pas. Toutefois, nous voyons le degré de pollution, particulièrement la pollution qui provient des véhicules — les centaines de milliers de véhicules qui crachent des vapeurs et des émissions.
Tout cela s'est accumulé. De même, là où il y a des usines, il y a toutes les cheminées, par exemple — particulièrement en Alberta, dans le secteur des sables bitumineux qui rejettent tant de substances dans l'atmosphère; cela s'est en fait accumulé au point où il y a un effet dans le Nord, dans notre coin de pays.
Il nous faut vraiment être conscients du problème et être sensibles à la question, et aussi se mettre en colère. Il faut être sérieux et en colère, sinon nous allons tous mourir. Je ne peux imaginer que le Nord se réchauffe trop. Nous disons toujours que nous ne souhaitons pas que le Nord se réchauffe sinon les gens du Sud viendront s'installer chez nous. Nous aimons les choses comme elles sont, c'est-à-dire que les gens sont peu nombreux et que le paysage prend beaucoup de place.
Le président : Nous allons peut-être fréquenter des stations balnéaires dans l'Arctique si la planète continue de se réchauffer; il y aura peut-être donc des avantages à cet égard. Cela ne fait aucun doute, il y a des choses déplorables qui commencent à se manifester dans le Nord, notamment la désertification.
Le sénateur Kenny : J'ai une question qui découle des questions du sénateur Sibbeston. Mon expérience du Nord se limite à Inuvik et Tuktoyaktuk, et à la région avoisinant la mer de Beaufort. Je m'y suis rendu à plusieurs reprises, et mon impression, c'est que ce n'est pas un paysage vierge, et ce n'est pas un endroit où il est facile de gérer les déchets.
Les problèmes du pergélisol semblent rendre la situation exceptionnellement difficile. Il me semble que nous devrions accorder une attention particulière à cette question. Je ne sais pas s'il y a beaucoup de mercure qui est produit ou utilisé dans le Nord, et il semble tout de même qu'il y ait des problèmes de mercure dans les aliments dans le Nord.
Je ne peux imaginer comment on s'y prendrait pour s'occuper des déchets dans le Nord, car il y a le pergélisol, et même les ordures ordinaires posent un problème. C'est une question très particulière qui mérite d'être étudiée plus à fond. Je ne peux imaginer que, dans une collectivité comme celle d'Inuvik — où les conduits sont installés au-dessus du sol et où tout est prévu en fonction du pergélisol — les gens peuvent s'occuper des déchets comme nous le faisons dans le Sud.
Encore une fois, je n'ai pas entendu d'arguments selon lesquels le Nord produirait plus de mercure ou qu'il s'y trouverait plus de sources de mercure. Le climat ne permet pas de régler le problème du mercure dans le Nord. Ce sera peut-être le cas si le réchauffement de la planète dont vous parlez se poursuit, mais je ne peux imaginer comment les gens procéderaient. Est-ce que nous avons eu des témoignages à cet égard?
Le président : Nous n'avons rien reçu encore à cet égard de Santé Canada ou d'Environnement Canada, qui ont déjà témoigné devant nous et qui doivent comparaître jeudi. C'est une des questions que nous allons leur poser.
Le sénateur Kenny : C'est peut-être un niveau de granularité avec lequel ils n'arrivent pas à composer. Tout de même, le sénateur Sibbeston a soulevé la question plusieurs fois, et c'est de toute évidence une question que le comité devra prendre en considération. De même, le sénateur Adams a plaidé bruyamment pour qu'on s'y attache aussi.
Le président : Le problème dans le Nord tient non pas tant au fait qu'il faut composer avec les émissions de mercure provenant d'entreprises industrielles ou commerciales qu'au fait que, dans l'air comme dans l'eau, le mercure — y compris le mercure méthylé et le mercure diméthylé, qui provient d'autres usages faits à d'autres endroits — migre vers le Nord. Par conséquent, il se retrouve sous terre, dans l'air et dans l'eau. Je crois qu'il n'existe aucune façon de le retirer de ces sources, mais je vais poser la question à nos témoins. Il n'y a aucune façon de le retirer, n'est-ce pas? Ça se trouve dans l'air, dans l'eau.
Le sénateur Kenny : Je ne saurais dire d'où ça vient — même que ça chemine le long du fleuve Mackenzie.
Le sénateur Sibbeston : Ça vient des sables bitumineux et du développement industriel dans le Sud.
Le président : C'est au nord d'Edmonton. Le sénateur Kenny a soulevé une question intéressante. Nous avons déjà entendu cette histoire. Le mercure qui se retrouve dans le Nord, qui représente un grand problème, ne provient visiblement pas des entreprises commerciales ou des usines de fabrication qui emploient le mercure dans la région. Il y est transporté, il y migre.
Existe-t-il des façons d'aller chercher le mercure qui se retrouve dans l'air, sinon faut-il l'arrêter à la source même? Cela semble injuste : les gens n'ont pas produit le mercure en question, mais ce mercure se retrouve chez eux.
M. Wilkins : C'est ce que je comprends. Notre scientifique au Sierra Legal Defence Fund, Elaine MacDonald, est venue témoigner il y a quelques semaines. Je peux lui poser la question. D'après ce que je comprends, une fois la fumée sortie de la cheminée et la substance entrée dans le cycle de l'environnement, il est impossible de la récupérer — sauf quand nous mangeons du poisson, je suppose.
Le président : Ce n'est pas une très bonne façon de la récupérer; encore là, on ne la récupère pas vraiment. Ce serait un argument en faveur de l'idée d'en prévenir l'utilisation au sein de l'industrie plutôt que d'essayer, comme le sénateur Tardif l'a dit plus tôt, de s'attaquer au problème du mercure qui s'accumule au bout de la filière.
M. Wilkins : Voilà. La façon de régler le problème du mercure, c'est de cesser d'en faire usage, et de s'assurer que le mercure utilisé dans les procédés industriels est récupéré au moyen d'un dispositif d'épuration ou autrement.
Le sénateur Kenny : Cela ne règle pas le problème qui survient dans le Nord.
M. Wilkins : Non, cela ne le règle pas.
Le sénateur Adams : Nous avons vu bon nombre de choses étranges et inédites — des insectes, des oiseaux et ainsi de suite. Cela n'a rien à voir avec le mercure; cela a à voir avec les changements climatiques.
L'an dernier, j'ai vu un merle à Rankin Inlet, chose que je n'ai jamais vue en 40 ans, là-bas. Cet été, un petit oiseau est né dans mon entrepôt de Rankin Inlet; j'ai une photo. Malheureusement, il n'y a pas de vers là-bas. C'est la même chose avec les oies et les autres genres d'oiseaux que nous n'avons jamais vus auparavant. Ce doit être le signe que le climat change et qu'il se réchauffe.
Les gens là-bas ont remarqué ces changements. Et encore, cette année, habituellement, à la mi-octobre, il y a une marée haute; c'est la dernière marée haute dans la baie d'Hudson. Il y a un mois environ, le quai s'est déformé et a été immergé. Les gens nous ont appelés pour que nous attachions le quai à la rive. Nous n'avions jamais vu le quai si hautement perché. Il y a des chiens husky qui ont disparu de ce fait. Nous ne savons pas pourquoi. Les gens là-bas sont étonnés de ce qui se passe avec les marées.
La marée la plus haute, je l'ai vue quand j'étais jeune. Nous avions l'habitude de placer le bateau dans une position surélevée au moment de la marée haute. C'était la dernière grande marée, et, cette année, elle a été trois ou quatre fois plus grande que celle de l'an dernier.
Le président : Je suis sûr que nous allons traiter bientôt, dans le cadre d'une autre étude, de la question de l'augmentation du niveau de la mer en raison du réchauffement de la planète.
Le sénateur Sibbeston : Comme c'est aujourd'hui l'Halloween, j'ai une question à l'intention des téléspectateurs du Sud. Le sénateur Adams sera au courant — dans l'Arctique, où il fait très froid l'hiver, tout devient très gelé avec le pergélisol.
Quand quelqu'un meurt pendant l'hiver, que fait-on du corps, selon vous?
Le président : Ça dépend de quelle partie du Nord il est question.
Le sénateur Sibbeston : Présumons que nous sommes en Extrême-Arctique, là où il y a le pergélisol et où les températures demeurent entre -30 et -40 ºC tout l'hiver durant. Nous ne pouvons creuser la terre, et il n'y a pas de crématoire dans le Nord. Les gens ne croient pas à l'incinération; le corps doit demeurer intact. Selon vous, comment s'y prend-on pour enterrer le corps, qu'est-ce qu'on en fait?
Le président : Dans certaines parties du Nord, on construit des structures de bois où le corps est placé jusqu'à ce qu'on puisse creuser le pergélisol.
Le sénateur Adams : Anciennement, on ensevelissait les corps sous les roches. Aujourd'hui, nous avons des cimetières, si quelqu'un meurt pendant l'été. Si quelqu'un meurt pendant l'hiver, c'est la municipalité qui prend les choses en main. Il est impossible de creuser six pieds sous terre.
Le sénateur Sibbeston : Là où j'habite, dans la région de Fort Simpson, région subarctique, la terre est habituellement gelée jusqu'à deux ou trois pieds de profondeur. Une fois cela passé, on peut creuser là où ce n'est pas gelé.
Heureusement, dans ma région, les gens sont enterrés, et on peut aller au moins jusqu'à six pieds sous terre. Dans d'autres régions, là où il y a le pergélisol pendant toute l'année, les gens sont mis dans des cercueils et dans des boîtes au-dessus du sol. Ensuite, on met des roches et d'autres trucs.
Il y a longtemps, et le sénateur Adams est peut-être mieux à même d'en parler, il n'y avait ni enterrement ni cercueil. Que faisait-on des corps?
Le sénateur Adams : On se contentait habituellement de les couvrir de roches. C'est de cette façon qu'on faisait les choses dans le Nord.
Le président : Permettez-moi de poser quelques questions d'ordre juridique. Il y a toute une série de ministres de l'Environnement qui ont fait valoir ici que l'approche volontaire relative au règlement du problème du mercure au Canada est souhaitable, par rapport à l'approche obligatoire adoptée dans d'autres pays, et particulièrement les États- Unis.
L'exemple donné est le suivant : en droit environnemental, les poursuites en justice deviennent si nombreuses et les répercussions des poursuites en question — appels, contre-poursuites et ainsi de suite — que tout cela est en train d'engorger les tribunaux américains. Ça ne se réglera jamais, et il est plus judicieux, plus efficace et plus rapide, à long terme, de régler ces questions au moyen de mesures volontaires.
Vous avez donné à entendre aujourd'hui que cela n'est pas vrai. Je ne sais pas si l'actuel ministre de l'Environnement nous dira si c'est vrai ou non, mais nous avons reçu le témoignage de trois ministres précédents. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Wilkins : Au Canada, nous avons une culture qui n'est pas tout à fait la même que celle des États-Unis en ce qui concerne les poursuites en justice. Les gens là-bas sont peut-être davantage encouragés à lancer des poursuites civiles. Les dommages-intérêts accordés par les tribunaux sont souvent plus importants; de ce fait, les litiges sont plus nombreux aux États-Unis qu'au Canada.
À observer les approches volontaires que nous avons appliquées au problème du mercure, nous constatons qu'elles n'ont pas eu l'impact nécessaire pour réduire les méfaits de la substance du point de vue de l'environnement, de la santé et de l'économie.
Une réglementation serait utile pour atteindre les objectifs que nous nous fixons. Nous ne sommes pas d'avis que cela entraînerait une augmentation importante du nombre de litiges, du nombre d'actions en matière civile. S'il y avait un plus grand nombre de condamnations, ce serait merveilleux. Si c'est le genre d'action en justice dont vous parlez, je crois qu'il serait utile d'avoir un plus grand nombre de condamnations sous le régime de la LCPE.
Le président : Je parle de poursuites lancées à l'initiative de l'État sous le régime des lois américaines en matière d'environnement à l'encontre, présumerait-on, de gens qui auraient transgressé les lois en question. Ce serait — selon ce que certains témoins sont venus nous dire — ces actions-là qui créent un engorgement dans le système judiciaire américain, au point où ce sont des causes qui ne se régleront jamais, que d'autres n'arrivent pas à intenter leur propre action en justice et que c'est un beau fatras. Avez-vous la même impression?
M. Wilkins : Non, je ne l'ai pas. Au Canada, nous en sommes au point où il faut adopter une mesure réglementaire et faire respecter les lois. Il importe d'établir le précédent, pour que les entreprises se conforment au règlement et réduisent les émissions de mercure.
Le sénateur Kenny a demandé si la réduction des émissions aura un effet dans l'Arctique. J'affirme que cela n'aura aucun effet.
Tout de même, à titre de précision, je dirais que si nous adoptons une approche axée sur la réglementation et que nous nous assurons de réduire les émissions, nous n'allons pas aggraver la situation dans l'Arctique. C'est là le problème; progressivement, les choses empirent. Nous devons arrêter cela, empêcher que ça devienne une catastrophe.
Le président : Dans l'actuel projet de loi sur la qualité de l'air, comme le sénateur Tardif l'a mentionné, le mercure et plusieurs variantes du mercure figurent dans la liste des substances polluantes jugées toxiques dans l'annexe 1.
D'autres nous l'ont dit, il n'est pas difficile d'imaginer que, à un moment donné, dans l'avenir, il sera facile de faire adopter une modification pour dire que nous n'avons pas à inscrire le mercure sur deux listes. Inscrivons-le dans la liste des polluants et retirons-le de l'autre liste.
Deuxièmement, par le passé, si la Loi canadienne sur la protection de l'environnement a résisté à une contestation devant les tribunaux, la seule et unique raison en est, selon la décision rendue par le tribunal, que le terme « toxique » y est utilisé et c'est le degré d'importance de la toxicité, par opposition à l'état de simple polluant, qui a permis au tribunal de déterminer que la Loi canadienne sur la protection de l'environnement est légitime.
Croyez-vous que cela met en péril la LCPE sous le régime de la Constitution ou sous l'effet d'une autre forme quelconque de contestation judiciaire si le mercure ou d'autres substances semblables, inscrites à l'annexe 1 de la LCPE, devaient être éliminés et qualifiés d'autre chose que de « toxiques »?
M. Wilkins : Il y a très nettement le danger qu'une contestation judiciaire voie le jour.
Une fois la réglementation en place et une entreprise condamnée, les chances sont très bonnes que les tribunaux soient saisis d'une affaire qui remet en question la compétence du gouvernement fédéral quand il s'agit de réglementer l'utilisation des polluants atmosphériques.
Par le passé, la Cour suprême du Canada a déterminé que les substances toxiques relèvent de la compétence du gouvernement fédéral en matière de droit criminel et également de sa compétence à l'égard de l'article de la Constitution sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement. Cela donnerait au gouvernement fédéral la compétence nécessaire pour s'attacher à la question des substances toxiques. Les tribunaux n'ont pas été appelés à déterminer si les substances polluantes relèvent de la compétence fédérale. L'ex-juge de la Cour suprême Gerard La Forest a affirmé qu'une loi fédérale en la matière risquerait de ne pas tenir la route, que les tribunaux l'invalideraient peut-être. Il y a certes ce danger.
Le président : Si je ne m'abuse, les juges ont tranché à quatre voix contre trois dans la décision qu'ils ont rendue en rapport avec la contestation dont le témoin précédent a parlé.
M. Wilkins : Il y a eu deux décisions. À la fin des années 1980, l'affaire R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd. portait sur un cas où des substances toxiques avaient été déversées dans l'eau. Selon la décision rendue, en l'application de la disposition relative à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement de la Constitution, le gouvernement fédéral était compétent pour agir. Il y a moins longtemps, dans l'arrêt R. c. Hydro-Québec, le tribunal a déterminé que la réglementation fédérale en matière d'environnement relevait du droit criminel. Par conséquent, le gouvernement fédéral était compétent pour agir.
Le président : La décision n'a-t-elle pas été serrée?
M. Wilkins : Dans l'affaire Hydro-Québec, c'était serré, mais il faudrait que je vérifie l'autre pour en être certain.
Le président : Je remercie les deux témoins d'être venus comparaître ce soir. J'ai l'impression que nous allons vous demander de revenir une fois réglés le deuxième et le troisième aspects de l'étude du comité.
La séance est levée.