Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 20 - Témoignages du 5 juin 2007
OTTAWA, le mardi 5 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui a été saisi du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi sur la capitale nationale (création et protection du parc de la Gatineau), se réunit aujourd'hui à 18 h 35 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui pour examiner le projet de loi S-210. J'aimerais signaler que nous avons dépassé l'heure à laquelle la réunion était censée commencer. Les sénateurs présents sont les sénateurs Lavigne, Milne, Peterson et moi-même, le sénateur Banks. J'ai l'honneur d'être le président du comité.
Nous accueillons aujourd'hui le maire de la municipalité de Chelsea, Jean Perras. Il est accompagné d'Hélène Couture-MacTavish, présidente de l'Association des propriétaires de Kingsmere, et de Chris Frank, de l'Association des résidants du lac Meech.
Nous allons entendre vos présentations, puis ensuite nous vous poserons des questions.
[Français]
Jean Perras, maire, municipalité de Chelsea : Honorables sénateurs, j'apprécie le temps que vous nous accordez pour entendre notre témoignage.
Le projet de loi S-210 est d'une importance capitale pour la municipalité de Chelsea. En effet, le parc de la Gatineau représente 60 p. 100 du territoire de la municipalité. Par conséquent, la Commission de la capitale nationale est notre plus important propriétaire foncier. Toute modification au mandat, à la structure financière, à l'organisation risque d'avoir des répercussions sur notre communauté.
La CCN est un citoyen corporatif avec lequel nous partageons plusieurs intérêts dont la préservation du parc, l'entretien et l'amélioration du réseau routier, la protection des lacs et des cours d'eau, la santé et le bien-être des gens qui y résident et la saine exploitation du centre de ski Camp Fortune.
Nous avons intégré nos mécanisme d'aménagement du territoire et avons appuyé récemment le nouveau plan directeur du parc de la Gatineau. La présence de la CCN sur notre territoire et l'achalandage généré par l'attrait que le parc représente sont le principal moteur de développement économique de la municipalité.
Pour toutes ces raisons, nous croyons sincèrement que la municipalité peut être qualifiée de partie intéressée relativement au projet de loi S-210. Par conséquent, nous vous remercions de nous avoir invités.
La municipalité espère que le récent exercice de la révision du mandat de la CCN aura comme résultat de rapprocher encore plus cet organisme des acteurs locaux, politiciens, usagers, résidants, groupes d'intérêts et citoyens en général. L'objectif est de maintenir des liens entre les résidants du parc de la Gatineau et la CCN. Cette relation directe avec les autorités du parc s'est avérée très efficace et sa continuité devrait être assurée.
Selon nous, les groupes d'intérêts doivent pouvoir s'exprimer individuellement sur les orientations du nouveau plan directeur du parc de la Gatineau.
La problématique soulevée par l'honorable Mira Spivak et M. Paul Dewar, soit de resserrer la gestion du parc de la Gatineau en s'inspirant des dispositions de la Loi sur les parcs nationaux omet de traiter des véritables enjeux du parc, à savoir la conciliation des objectifs de conservation, les besoins des résidants qui l'habitent et des municipalités à l'intérieur desquelles le parc se situe. Les habitants du parc et nos communautés partagent ces objectifs et agissent à titre de gardien du parc, au même titre que la Commission de la capitale nationale.
Nous avons formulé nos commentaires sur le projet de loi S-210 dans une correspondance transmise à l'honorable Lawrence Cannon, député de notre comté, en date du 29 mai dernier.
Voici les questions qui sont soulevées. On se questionne sur les conséquences qu'a cette loi sur les propriétés privées situées à l'intérieur du parc. Il y a des possibilités de complication pour les municipalités en cas de cession de terrains. On souligne l'importance de l'expression des commentaires de tous les organismes publics et non publics — tels la MRC, le gouvernement du Québec et les associations de propriétaires.
On s'objecte à tout projet qui vise à limiter le droit de propriété et même à exproprier les propriétaires de terrains situés à l'intérieur du parc, tout en soulignant que ces propriétaires agissent de façon respectueuse envers l'environnement du parc.
Le droit de premier refus peut compliquer les choses. Quelles sont les conséquences de cette loi sur les limites actuelles du parc? Qu'en est-il des terrains jugés excédentaires et de leur vente? La municipalité aura-t-elle le droit de premier refus? La municipalité peut-elle obtenir le droit de second refus après la CCN?
On se questionne sur les répercussions de la réduction du nombre de propriétés privées et du manque à gagner associé à l'entretien des infrastructures sur le budget municipal. On s'interroge sur les conséquences de cette loi dans le cas où le projet d'élargissement d'un chemin ou d'exclusion d'une piste cyclable est proposé, comme c'est le cas, par exemple, avec le chemin de la Mine ou le chemin de la Montagne.
On se questionne sur les conséquences du droit de refus et comment il sera géré. Qu'en est-il des chemins existants dans le parc qui sont la propriété de Chelsea? Cette loi permettra-t-elle l'achat par Chelsea de propriétés connues où sont stationnés nos camions? Qu'en est-il de la taxe de vente? Comment sera basée la valeur du parc? Quelles sont les conséquences de cette loi sur le droit au morcellement et sur les droits acquis des immeubles?
Je vous ferai grâce des autres points, mais pour résumer, je crois qu'il y a des questions importantes comme la question de la gouvernance, de l'organisation de la Commission et de la relation de la municipalité avec le parc. Le mandat est de planifier et d'aménager le territoire de la capitale qui est un des éléments du plan d'aménagement de la municipalité régionale de comté.
Enfin, le financement nous concerne tous. Vous savez que bon an mal an, nous avons dans le parc de la Gatineau des visiteurs qui passent par Chelsea. Selon les dernières statistiques de la Commission, il y a entre 1,7 et 2 millions de visiteurs et tous ces gens utilisent les routes de la municipalité. Cela a un impact considérable sur nos infrastructures municipales et cela occasionne des pressions qui nécessitent souvent des travaux d'entretien.
De plus, les services municipaux qu'on doit fournir au parc ne sont pas toujours à la hauteur, mais ils y sont de toute façon. Il s'agit de la police, de la sécurité publique, des services d'incendie, des sauvetages en hauteur, de la recherche de personnes perdues, de la gestion des plaintes, de la nuisance, de la paix et du bon ordre, de la gestion de la circulation et du stationnement et de la vitesse et des mesures d'atténuation.
Tout cela fait partie du quotidien et nous considérons que ces questions sont importantes, sinon plus importantes que d'identifier les limites. Pour toutes ces raisons, monsieur le président, nous considérons que ce projet de loi est prématuré parce que les municipalités environnantes telles La Pêche, Chelsea et Pontiac n'ont pas vraiment été consultées.
La MRC des Collines, dont je suis le préfet-adjoint, n'a pas vraiment été consultée et n'a donc émis aucun avis relativement à ce projet de loi. Et selon les informations que j'ai, je doute que le gouvernement du Québec ait été consulté relativement aux terrains qui constituent encore, selon nous, à peu près 18 p. 100 de l'ensemble du territoire, et dont les titres de propriété appartiennent encore au gouvernement du Québec.
L'Assemblée nationale du Québec n'a pas été consultée non plus et je crois qu'elle est aussi une partie intéressée. Au cours des prochains mois, nous allons nous assurer que tous ces gens, que l'on considère comme étant des parties intéressées, soient informés des démarches entreprises par le Sénat. Je vais maintenant céder la parole à mes deux collègues.
[Traduction]
Le président : Avant de passer à vos collègues, monsieur le maire, vous avez parlé d'un mémoire.
M. Perras : Oui, je l'ai remis au greffier.
Le président : Nous en avons une copie. Nous allons en faire des copies et les remettre aux membres du comité.
Vous avez parlé de parties intéressées qui n'ont pas été consultées au sujet du plan. Par « le plan », entendez-vous ce qui est dans le projet de loi?
M. Perras : Je veux dire le projet de loi, mais aussi la question plus vaste de ce que nous allons faire de la Commission de la capitale nationale. Je sais que nous attendons encore la nomination d'un nouveau directeur général, un nouveau président de la CCN. Nous aimerions discuter de tout cela dans le cadre de la nouvelle configuration du mandat de la CCN, plutôt que d'avoir en marge une discussion qui nous lierait les mains sur le contexte plus vaste de la relation de la CCN avec la municipalité, les municipalités régionales de comté, les MRC et le gouvernement du Québec.
Le président : Avant de distribuer la présentation et les documents aux membres du comité, ils doivent être traduits dans les deux langues officielles. Une fois que ce sera fait, ils seront envoyés à tous les membres du comité.
Le sénateur Lavigne : Si vous m'en donnez une copie en français, je le comprendrai très bien.
[Français]
Hélène Couture-MacTavish, présidente, Association des propriétaires de Kingsmere : Honorables sénateurs, l'Association des propriétaires de Kingsmere est heureuse d'avoir l'occasion de comparaître au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles sur la question du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi sur la capitale nationale.
[Traduction]
L'Association représente les intérêts des propriétaires de la collectivité de Kingsmere depuis plus de 50 ans. Toutes les propriétés privées actuelles de la collectivité étaient des propriétés privées au moment de l'établissement du parc de la Gatineau. En fait, un bon nombre appartient aux descendants des propriétaires au moment de la création du parc. Au fil des ans, l'Association a joué un rôle de premier plan dans les questions portant sur le parc et la planification municipale. Vous noterez que les commentaires liminaires sur le projet de loi S-210 ont été inclus et reflétés dans le mémoire de la municipalité de Chelsea, soumis par le maire Jean Perras à Lawrence Cannon, ministre des Transports et responsable de la Commission de la capitale nationale.
[Français]
L'Association a établi une relation productive avec la CCN et collabore avec elle sur des questions d'intérêt commun portant sur le parc de la Gatineau telles que la sécurité routière, le déblaiement annuel des terrains entourant Kingsmere, la surveillance de la qualité de l'eau du lac Kingsmere, les recherches sur la gestion des espèces envahissantes dans le lac et l'interdiction d'utiliser du sel de voirie sur nos chemins.
Ces gestes démontrent la bonne intendance de la KPOA de l'environnement naturel du parc de la Gatineau, ses aspects récréatifs et son importance historique pour notre collectivité et pour la région de la capitale nationale.
[Traduction]
Nous pensons que le projet de loi a deux orientations principales : l'établissement et la protection des limites du parc de la Gatineau et la cession de la Couronne d'un « droit de premier refus » sur la vente de propriété privée, au-delà de son droit ferme d'expropriation.
L'Association reconnaît qu'il est fondamental de clairement établir et protéger les limites du parc de la Gatineau. Cependant, nous notons que le projet de loi ne décrit pas clairement les limites en question. Les limites du parc de la Gatineau doivent être annexées au projet de loi afin que ses répercussions soient bien comprises. L'Association ne peut appuyer le projet de loi tel quel tant qu'elle ne disposera pas de ces renseignements et qu'elle ne les aura pas examinés.
En ce qui concerne le deuxième point, la Couronne détient actuellement le droit d'exproprier les propriétaires de propriétés privées et a déjà exercé ce droit depuis la création du parc pour acquérir des terres.
Nous constatons que l'acquisition de propriétés privées dans les limites du parc a toujours été un objectif précis des plans directeurs du parc de la Gatineau, tel qu'ils ont été conçus par la Commission de la capitale nationale. À cette fin, la CCN a acquis 1 050 hectares de propriétés privées d'intérêt écologique depuis 1989. Compte tenu de cela, l'Association croit que le « droit de premier refus » décrit dans le projet de loi S-210 serait une restriction inutile des droits des propriétaires et engendrerait des conséquences financières sur ces derniers. L'étendue de ces répercussions dépendra de la façon dont le droit de premier refus sera défini. Nous faisons valoir que le projet de loi n'est pas clair sur cette question.
[Français]
Nous remarquons qu'en vertu des dispositions de l'article 10.3, l'acquisition de propriétés privées à l'intérieur du parc pourrait prendre considérablement plus de temps que les 60 jours suggérés à l'article 13,2.
En conclusion, l'Association voudrait exprimer son appui à l'engagement de la CCN à continuer de faire de la conservation du parc de la Gatineau une priorité et à protéger son intégrité écologique.
J'aimerais souligner que l'association est favorable à une définition juridique des limites du parc de la Gatineau qui préservera et protégera ses ressources abondantes. Les membres de la collectivité de Kingsmere reconnaissent la valeur du parc et veulent s'assurer qu'il soit préservé pour les générations de Canadiens et de Canadiennes à venir. Cependant, nous ne pouvons pas appuyer le projet de loi avant qu'on ne se soit penchés sur les préoccupations que nous avons signalées.
Nos recommandations pour améliorer le projet de loi sont les suivantes. Il faut que l'on inclue une description claire des limites du parc et que l'on élimine la clause cédant le droit de premier refus à la Couronne, en sus de son droit ferme d'expropriation.
[Traduction]
Je voudrais vous laisser avec la pensée suivante, de l'article de B. Mitchell dans Stewardship and Protected Areas in a Global Context : Coping with Change and Fastering Civil Society :
Le principe le plus important de la conservation... est de se concentrer sur la relation entre les personnes et la terre, ce qui est le début de tout effort de conservation. Pour la politique de la terre, sentiment d'appartenance, impératifs d'intendance ou simplement amour de la nature, la conservation est une cause perdue si les gens n'ont pas un intérêt avec la terre et ses ressources.
Merci de nous avoir donné l'occasion de discuter de ces questions avec vous.
Chris Frank, directeur, Association des résidants du lac Meech : Merci, monsieur le président et membres du comité. Je suis heureux d'être ici, et compte tenu de l'heure, je serai aussi bref que possible.
Notre perspective est que ce projet de loi est prématuré et inutile pour l'instant. Le gouvernement fédéral procède à un examen du mandat de la CCN qui pourrait rendre ce projet de loi redondant et ce dernier pourrait autrement compromettre la nature et les résultats de l'examen du mandat.
Il n'y a pas de justification raisonnable à la réduction des droits des propriétaires envisagée dans ce projet de loi. Nous, les propriétaires de propriétés privées, ne représentons pas une menace pour les actifs immobiliers du gouvernement. De plus, nous respectons et observons toutes les règles et tous les règlements provinciaux et municipaux en matière d'utilisation de la terre, des édifices et de l'environnement. Nous ne demandons pas de statut ni de traitement spécial. Nous ne voulons que jouir en toute quiétude de nos propriétés, comme le font des millions d'autres Canadiens dans ce vaste pays.
L'Association des résidants du lac Meech représente quelque 80 familles qui vivent à proximité du lac. Nous sommes propriétaires, contribuables et résidants de la municipalité de Chelsea, au Québec. Nos membres sont, à parts quasi égales, des résidants à l'année qui vivent en permanence au lac Meech, et des propriétaires de chalets qui y séjournent selon les saisons. Nous pensons apporter une contribution matérielle à notre communauté tant au plan social qu'économique. Nos impôts contribuent à financer le capital de la municipalité et celui du budget d'exploitation, notamment pour les écoles, l'entretien des routes, les services d'incendie et de police et autres services précieux que la plupart des Canadiens s'attendent à recevoir et reçoivent de leurs administrations locales et de leur gouvernement provincial.
Nos familles sont de véritables intendants de terre, et contribuent à faire que le parc soit sûr, propre et beau. Nous coexistons harmonieusement avec les visiteurs de la CCN et le monde de la nature. Nous croyons qu'en dépit des pressions accrues que subit l'accès Gatineau-Ottawa, des solutions raisonnables, durables et économiques peuvent être trouvées pour protéger le patrimoine naturel et historique de notre secteur et du parc.
Les domiciles privés existent au lac Meech depuis les années 1800. Certains de nos résidants peuvent retrouver les racines de leur famille et leurs actes de propriété remontant jusqu'à ce siècle. D'autres qui n'ont pas cette longévité sont arrivés avant la CCN et son prédécesseur, la Federal Capital Commission.
Nous sommes loin d'être des intrus, comme certains groupes d'intérêt qui ont comparu devant vous et qui écrivent dans la presse et le prétendent. Nous estimons, comme bien des millions d'autres familles canadiennes du pays, que nous sommes intégrés à notre région et que nous avons acquis le droit de vivre en toute quiétude dans nos maisons, sans la menace constante d'une expropriation partielle ou complète.
Ces droits acquis sont assortis d'une responsabilité que nous reconnaissons sans réserve et que nous acceptons. Nous avons voté pour des lois municipales en matière d'environnement et de construction qui compte parmi les plus rigoureuses de la province et peut-être même du pays, et nous les appuyons. Chelsea est respectueuse de l'environnement, tout autant que notre communauté.
Nos prédécesseurs ont créé dans le parc des possibilités de loisirs de calibre mondial, comme des pistes de ski et de randonnée. Nous aidons une CCN sous-financée à composer avec les effets de ses visiteurs dans le parc. Des déchets sont régulièrement ramassés, des incendies et autres menaces sont immédiatement déclarés et étouffés. Des services de santé et de sécurité sont offerts aux personnes que les forces naturelles du parc mettent en péril. Bien entendu, nous utilisons notre propriété de manière responsable et en encourageons d'autres à en faire autant lors de leur séjour dans le parc.
Nous ne voyons pas de raison valable à la menace ou à la promesse d'expropriation partielle ou complète. Le mandat de la CCN est à l'examen, alors ce projet de loi est, au mieux, prématuré et peut-être même redondant ou contreproductif.
Comme je l'ai déjà dit, les habitants du secteur sont respectueux de l'environnement, et il n'y a pas d'expansion. Depuis 50 ans, la densité d'habitation a diminué. Nous ne sommes ni une menace pour l'environnement, ni un obstacle à la jouissance du parc par le public. On pourrait facilement soutenir que nous sommes plus un bienfait qu'une gêne.
La plupart des Canadiens considèrent l'avoir propre foncier comme un élément important de leur actif financier durement gagné, et nous ne sommes pas différents. Toute loi qui menace nos droits fonciers et l'utilisation que nous faisons de nos propriétés, ainsi que notre capacité de la revendre, aurait immanquablement des répercussions sur notre portefeuille. Ces effets sont injustes et déraisonnables. D'aucuns ont suggéré, comme compromis raisonnable, ce droit de premier refus. Nous disons, avec tout le respect que nous vous devons, puisque nous ne sommes pas les seuls intéressés, qu'il ne s'agit nullement là d'un compromis.
En résumé, nous disons que le projet de loi est prématuré. S'il est maintenu, il ne devrait contenir aucune clause qui limite nos droits à la propriété, des droits qui devraient être les mêmes que ceux dont jouissent d'autres Canadiens dans le pays, en vertu des lois et règlements en vigueur des trois niveaux de gouvernement.
Le président : Merci beaucoup. Monsieur Frank, j'aimerais m'assurer de bien comprendre l'objet de votre intervention, au sujet de l'expropriation. Je ne pense pas, à moins que vous puissiez me corriger, que le terme « expropriation » figure dans ce projet de loi. Est-ce que je me trompe? L'expropriation est toujours une possibilité. Elle existe dans la loi maintenant, mais je ne pense pas que le terme « expropriation » ou quelque autre terme se rapportant à l'expropriation figure dans le projet de loi S-210.
M. Frank : Peut-être est-il vrai que le terme lui-même ne s'y trouve pas, mais l'intention d'acquérir des propriétés privées dans le parc est claire dans le préambule. Le droit de premier refus est une forme d'expropriation, et c'est pourquoi j'emploie l'expression « expropriation partielle ».
Bon nombre de nos membres ont été de cet avis et m'ont demandé de soulever cet élément à toutes les occasions possibles. Tout cet enjeu de notre droit à la propriété privée et à la libre jouissance de notre propriété est constamment remis en question, et dans une certaine mesure, menacé. Il n'est pas agréable de vivre avec une épée de Damoclès sur la tête. Certaines de nos familles vivent dans le secteur depuis plus de 100 ans. Mes enfants sont la cinquième génération de notre famille à jouir de la merveilleuse région du lac Meech.
Nous voulons seulement faire comprendre à ce comité et aux autres personnes présentes que nous n'avons aucune envie d'être poussés à partir, ni à ce que nos droits fonciers ou la valeur de notre propriété soient diminués par une décision arbitraire.
[Français]
Le sénateur Lavigne : Si j'ai bien compris, monsieur Perras, vous aimeriez que la ville puisse racheter les propriétés, si jamais elles étaient à vendre, au lieu que le gouvernement puisse en prendre possession, ou préfériez-vous qu'on puisse les revendre à des particuliers qui continuent à payer des taxes?
M. Perras : Nous préférons le statu quo. Les gens qui sont là actuellement le sont depuis des générations. Ils s'occupent de la forêt, de la faune et de la flore de façon très efficace. Ces personnes sont préoccupées par l'environnement et ont même parfois trouvé des gens qui s'étaient perdus dans le parc. Ces personnes sont réellement des gardiens du parc, au même titre que la CCN. Nous souhaitons le statu quo et trouvons que ce projet de loi est prématuré.
Si, toutefois, la CCN désirait vendre des terrains — contrairement à ce que vous désirez — nous aimerions préserver le parc et serions prêt à acheter. Il a déjà été question que la CCN vende des parties du parc situées à l'est de l'autoroute 5. C'est un peu ce que nous disions dans les mémoires que nous avons déposés.
Le sénateur Lavigne : Monsieur le président, a-t-on entendu des témoins qui étaient résidants du parc avant de passer à l'étude article par article du projet de loi S-210?
Le président : Non, c'est la première fois.
[Traduction]
C'est une première. Est-ce que nous allons entendre ce que d'autres ont à dire?
Le président : Nos invités, aujourd'hui, ont demandé que nous les invitions à discuter avec nous. Cette demande a eu l'appui du sénateur Cochrane, alors nous l'avons fait. Nous sommes prêts à accueillir toute autre requête du genre, mais nous n'en avons pas reçue d'autre pour l'instant. Ce serait au comité d'en décider.
J'ai bien dit que nos invités ont demandé à comparaître, et nous avons répondu par une invitation. C'est au comité de décider s'il veut entendre d'autres témoins. Quand nos invités d'aujourd'hui ont demandé à venir, nous avons répondu avec empressement.
[Français]
Le sénateur Lavigne : Monsieur Perras, est-ce que vous connaissez des résidants du parc de la Gatineau ou des propriétaires qui désireraient comparaître au comité afin de nous faire des recommandations ou de nous faire entendre leur point de vue?
M. Perras : Je crois que si vous lanciez l'invitation, certains intéressés s'avanceraient. J'ignore si le Sénat parfois se déplace, mais j'en profite pour vous lancer une invitation à venir à Chelsea.
À la municipalité de Chelsea, depuis 15 ou 20 ans, lorsque nous effectuons des changements législatifs — car nous aussi sommes législateurs — nous tenons des audiences publiques où tous peuvent venir s'exprimer. Il pourrait être intéressant pour vous d'entendre les citoyens de Chelsea. Nous pourrions même inviter les citoyens de La Pêche étant donné qu'ils sont touchés par ce projet de loi, et même les citoyens du Pontiac. Plusieurs groupes d'intérêts seraient intéressés à vous accueillir à Chelsea dans le cadre d'une audience publique. Vous auriez alors l'occasion d'entendre l'avis de ces personnes sur ce projet de loi.
[Traduction]
Le sénateur Lavigne : Pouvons-nous convoquer des gens de Chelsea et entendre ce qu'ils ont à dire?
Le président : On avait supposé que les propriétaires fonciers, du moins ceux de Kingsmere et du lac Meech étaient représentés par nos invités.
Le sénateur Lavigne : Est-ce que des représentants du gouvernement du Québec pourraient venir rencontrer le comité?
Le président : Ce serait au comité d'en faire la demande et, le cas échéant, d'identifier ces témoins. Le comité a entendu, au sujet de ce projet de loi, des représentants de la Commission de la capitale nationale, du Sierra Club of Canada, de la Société pour la nature et les parcs du Canada, le sénateur Spivak, l'auteur du projet de loi, la New Woodlands Preservation League et M. Perras, Mme Couture-Mactavish et M. Frank. Ce sont jusqu'ici les témoins que nous avons accueillis.
Tous ces gens ont été invités, à la suite d'une décision du comité directeur. Le comité directeur et le comité ont accueilli toutes les suggestions de témoins que nous devrions entendre.
Je dirais qu'il serait important que ces témoins soient entendus dans ce contexte afin que ce soit le même que celui qu'ont connu les autres témoins, par opposition, mais pas exclusivement, à une réunion à l'hôtel de ville comme ce que suggérait M. le maire. Nous avons réfléchi à la question et nous n'avons pu pas trouver de moment sur lequel tous les sénateurs pourraient s'entendre pour aller faire un tour dans le parc.
Le sénateur Lavigne : À les entendre, il est prématuré d'adopter le projet de loi S-210. Ce n'est pas tout le comité qui a pu entendre ces gens, puisque nous n'avons pas ce soir tous les membres du comité. Il est important que le comité les entende pour qu'il soit compris que ces personnes ont fait des recommandations valables, que nous devons examiner.
Je viens du Québec, et j'ai entendu ces personnes demander s'il était possible de suspendre ce projet de loi ou de l'adopter plus tard, pour qu'on puisse y apporter des changements ou y intégrer des recommandations. Je les ai entendues.
[Français]
Je pense que ce que ces gens ont à dire est important. Il est très important de protéger le parc de la Gatineau sur le plan environnemental. J'y suis allé fréquemment. J'ai un terrain sur le bord de la rivière Gatineau, à Wakefield, dans le comté de La Pêche, et je vais souvent manger à Chelsea. C'est un bel endroit et il faut le protéger.
Ces gens ont raison de vouloir protéger le parc et l'environnement. Ils ont raison de ne pas vouloir laisser certaines personnes accaparer l'endroit et le détruire.
Le témoignage de nos invités ce soir est important. Or, très peu de membres sont présents ce soir pour entendre la teneur de leurs propos. Leur désir de protéger l'environnement est sincère et important. Ces gens sont très impliqués dans le processus que nous voulons entreprendre.
Comme ils le disent, nous allons plutôt vite dans le processus. Peut-être n'y a-t-il pas eu assez de consultations. Peut- être que d'autres habitante de Chelsea aimeraient être entendus.
Je devais quitter à 19 heures, mais je suis resté car je considère qu'il est très important pour le Québec et pour l'environnement de protéger ce très beau parc. Si la municipalité de Chelsea est en mesure de prendre soin de ces terrains, je ne vois pas pourquoi le gouvernement s'en porterait acquéreur.
[Traduction]
Le président : Bien que tous les membres, on le regrette, ne puissent être là ce soir, les témoignages de nos invités, ainsi que les questions et les réponses qui auront suivi, seront distribués immédiatement — comme le sont tous les procès-verbaux de toutes les réunions — à tous les membres du comité, dans les deux langues officielles, probablement d'ici demain. Tous les membres auront la possibilité de lire la transcription de ce qui a été dit aujourd'hui, y compris la discussion que nous allons avoir maintenant.
Le sénateur Cordy : J'aimerais en savoir plus sur le droit de premier refus dont vous avez parlé. J'ai lu cela dans le projet de loi.
Monsieur Frank, vous avez parlé des difficultés que vous connaîtriez, en tant que propriétaires. Vous avez raison, les citoyens comptent sur la valeur de leur maison pour leur retraite. On pense toujours que la valeur de l'immobilier augmentera.
Pourriez-vous expliquer les difficultés que connaîtraient les propriétaires? Comment cela se passe-t-il dans d'autres parcs nationaux du Canada, en ce qui concerne le droit de premier refus, ou pour les personnes qui vivent dans les limites d'un parc national?
Le président : Sénateur, il n'existe pas de propriété privée dans aucun parc du Canada. Le parc de la Gatineau n'est pas un parc national, et ce projet de loi ne propose pas d'en faire un parc national. Le parc de la Gatineau est unique. Ce projet de loi créerait un parc qui est unique. Il ne propose pas d'en faire un parc national. Ce ne pourrait être un parc national, parce que le projet de loi prend en compte le fait qu'il y aura des propriétés privées dans le parc de la Gatineau pendant encore bien longtemps. Aucun parc national du Canada ne renferme de propriétés privées.
Je tenais à m'assurer que vous le compreniez.
Le sénateur Cordy : Je ne l'avais pas compris. Je vous remercie.
Mme Couture-MacTavish : Puis-je répondre, s'il vous plaît?
Le sénateur Cordy : Oui.
Mme Couture-MacTavish : Un membre de mon association qui travaille pour Parcs Canada m'a dit qu'il existe de nombreux parcs nationaux où se trouvent des collectivités ou des structures résidentielles. Je peux vous donner la liste qu'elle m'a remise, qui comprend Gros Morne, Terra Nova, Yoho, Banff, Jasper, Prince Albert, Riding Mountain, les îles Gulf, Waterton et la péninsule Bruce.
Le sénateur Cordy : J'avais aussi pensé au parc national des hautes terres du Cap-Breton, et c'est pourquoi j'en parlais.
Le président : Il y a une différence. Banff est un gros village, presque une ville. Dans bien des pays, ce serait une ville. À ce que j'ai compris, les occupants et propriétaires de ces entreprises et de ces maisons du parc national de Banff sont là à titre de locataires.
Le sénateur Cordy : Ils louent les terres.
Le président : Ils n'en sont pas propriétaires. On peut me corriger, mais c'est ce qu'il me semble.
M. Frank : Ce n'est absolument pas la même chose chez nous. Je peux vous assurer que ma femme et moi sommes dûment propriétaires du terrain sur lequel est construite notre maison. Ce terrain est dans ma famille depuis environ 1915. Comme je l'ai dit, mes enfants sont la quatrième génération à en avoir joui; mes petits-enfants y sont maintenant la cinquième génération.
Il y a là une longue histoire et un héritage. Vous seriez étonnés du nombre de personnes — des invités et des connaissances qui viennent nous voir — qui pensent que nous ne sommes pas propriétaires des terres, et qui sont surprises d'apprendre que c'est chez nous, de la même façon que leur maison est à eux et que des millions d'autres Canadiens du pays sont propriétaires.
Très franchement, nous, à l'Association, ne pensons pas qu'il soit juste que nos droits de propriété privée soient le moindrement entravés, tant que nous utilisons notre propriété conformément aux lois municipales, provinciales et fédérales qui sont adoptées, en tout temps. Nous résistons à l'idée de devoir offrir la propriété au gouvernement et de lui accorder le droit de premier refus. Je ne doute pas, si l'un de nous, ou plusieurs d'entre nous voulions vendre et que le gouvernement voulait acheter, que nous n'y verrions pas d'objection, mais nous voulons pouvoir vendre notre propriété sur le marché ouvert comme le font d'autres personnes, pour pouvoir réaliser la véritable valeur de la propriété.
Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il y a des propriétés privées au lac Meech, et je crois aussi à Kingsmere, depuis des générations et des générations — depuis des centaines d'années. Il semble injuste qu'il y ait toujours des rumeurs d'expropriation, dans la presse et les cercles politiques. Je n'ai pas fait à la légère l'analogie avec l'épée de Damoclès. Cette pensée est dans l'esprit de tous. C'est malheureux, parce que nous devrions pouvoir jouir en toute quiétude de notre propriété, comme n'importe qui d'autre.
Le président : Je suis désolé de cette digression, sénateur. Nous devrions revenir à votre question, mais il est important de souligner que ce projet de loi ne crée par un parc national. Il crée quelque chose d'unique, ce qu'est actuellement le parc de la Gatineau. Il n'y a rien de tel. Ce n'est pas comme Gros Morne ou tout autre parc national. Revenons à votre question.
Le sénateur Cordy : Puisque c'est dans la région de la capitale nationale, est-ce que ce ne serait pas considéré comme un parc national?
Le président : Ce ne peut seulement être un parc national que si, en vertu des dispositions de la Loi sur les parcs nationaux, c'est créé comme un parc national, et personne ne le propose.
Le sénateur Cordy : Ce serait proposé par le Parlement.
Le président : Il faudrait aussi des ententes différentes de celles obtenues maintenant, au sujet des terres et des ressources du parc. Quoi qu'il en soit, Parcs Canada a affirmé n'avoir aucun intérêt à faire un parc national du parc de la Gatineau. Ils n'en veulent pas parce que c'est différent. Il a toujours été différent. Il est différent maintenant, et il le sera sous le régime de ce projet de loi.
Le sénateur Cordy : Je suis heureuse d'être venue ce soir.
Mme Couture-MacTavish : De fait, le concept du droit de premier refus n'est pas clair dans le projet de loi. Je ne suis pas experte en la matière, mais je pense qu'il faudrait clairement définir ce concept. Même s'il était clairement défini, il n'est pas sans coûts pour les propriétaires de biens fonciers, parce que tout acheteur intéressé devrait renoncer à toutes les conditions d'achat, par exemple, le financement et les permis de construction, d'après les recherches que j'ai effectuées, et attendre 60 jours pour savoir s'il y a convention liant les parties. Ces conditions obligeraient soit le vendeur, soit l'acheteur à dépenser de l'argent, et tout ce travail serait pour rien si la CCN décidait d'acheter la propriété.
Cela pose un autre problème qui fait qu'il est impossible d'établir la véritable valeur marchande de propriété, ce qui revient à ce qu'a dit M. Frank tout à l'heure.
C'est un sac de nœuds. Je sais que dans d'autres parcs nationaux, il y a eu une approche de vente à l'amiable, et si j'ai bien compris, c'est ce dont il s'agit ici. C'est-à-dire que si je veux vendre ma maison et que la CCN veut l'acheter, c'est bon, mais il n'y a pas d'autres conditions. Ils doivent venir me voir comme d'autres acheteurs le feraient.
M. Frank : D'après mon expérience des affaires, tout ce qui crée l'incertitude tend à réduire la valeur soit de l'action, soit du bien. Moi-même et nos membres ne pensons pas que ce soit raisonnable dans le contexte actuel, et compte tenu de l'histoire du parc. On ne peut effacer 200 ans d'histoire rien que parce qu'un petit groupe de personnes veut créer quelque chose qui n'a jamais existé auparavant.
Mme Couture-MacTavish : Notre famille est la quatrième génération à vivre à Kingsmere aussi, du côté de mon mari.
Le sénateur Cordy : Merci.
Le sénateur Lavigne : Je pense que vous avez raison.
[Français]
Si un particulier dont la propriété se situe dans le parc voulait la vendre, le gouvernement viendrait lui offrir 200 000 $ alors qu'elle en vaut le double. Le particulier serait obligé de recourir aux services d'un avocat pour essayer de récupérer la valeur réelle de sa propriété.
À ce moment, il serait condamné à dépenser beaucoup d'argent pour l'obtention de nouveaux certificats. Je sais que ces situations sont plutôt difficiles, pour quelqu'un qui possède une propriété et qui voudrait la vendre, surtout quand le gouvernement a le droit de premier refus sur un bâtiment. C'est plus facile pour un gouvernement de payer des avocats à même l'argent des contribuables. Mais pour le particulier, l'argent sort directement de ses poches. S'il a la chance de récupérer 300 000 $ sur la valeur de sa propriété, après avoir dépensé 100 000 $ de frais d'avocats, il lui reste encore 200 000 $.
Je pense que M. Frank a raison lorsqu'il dit que cela ressemble à une expropriation camouflée à l'intérieur du projet de loi.
[Traduction]
Le président : J'aimerais aller encore plus loin avec la question du sénateur Cordy. Monsieur Frank, si vous vouliez vendre votre propriété aujourd'hui à n'importe qui, vous le pourriez, n'est-ce pas?
M. Frank : Absolument, monsieur.
Le président : Madame Couture-MacTavish, supposons que le droit de premier refus signifie ce que nous pouvons tous supposer qu'il signifie, c'est-à-dire que je pourrais vous faire une offre de tant, et le gouvernement aurait le droit d'en offrir autant, sinon je pourrais acheter votre propriété, si j'ai bien compris.
Aux fins du compte rendu, si ce projet de loi devait être promulgué, dites-moi en quoi son application réduirait la valeur de votre propriété. Je suppose que la valeur d'une propriété privée dans le parc augmente au fur et à mesure qu'elles deviennent plus rares. La loi de l'offre et de la demande s'applique. Si vous êtes propriétaire de la dernière parcelle de terrain privé dans le parc, sa valeur augmenterait de manière exponentielle.
Comment cela fonctionnerait-il du point de vue du marché de l'immobilier?
M. Frank : Comme je l'ai dit avant, le droit de premier refus du gouvernement crée un contexte d'incertitude et de complication qui, dans bien des situations, réduit la valeur des maisons et d'autres biens. Quand on complique le processus et qu'on le rend incertain, les gens hésitent à s'y engager. Et alors, il n'y a pas d'arrangement entre l'acheteur et le vendeur.
Deuxièmement, le droit de premier refus fait se dresser le spectre d'une activité accrue du gouvernement. Comme je vous le disais tout à l'heure, la population pense qu'il n'y a pas de propriétés privées au lac Meech. Nous, ici, savons que ce n'est pas le cas. Le fait que le public le croit élimine probablement un grand nombre d'acheteurs de tout transfert potentiel de propriété. C'est ainsi que je répondrais à votre question.
Je déteste répondre à une question par une question, mais je poserais simplement la suivante : qu'est-ce qu'il y a de différent entre nous et notre propriété et les autres Canadiens du pays? Il n'y a pas de droit de premier refus qui soit appliqué par le gouvernement dans d'autres administrations de la région de la capitale nationale ni d'ailleurs. Nos familles étaient là avant le parc, comme je l'ai dit dans la présentation. Nous avons acquis certains droits, et ces droits concernent la jouissance complète et l'utilisation de notre propriété, conformément aux lois en vigueur. C'est certainement ce que nous faisons maintenant.
Je suis fermement convaincu que ces contraintes artificielles ont un effet de douche froide sur tout le contexte économique entourant notre région, et ce n'est pas juste.
Le président : Comme nous en avons discuté, il ne faut pas comparer le parc de la Gatineau avec un autre parc national; ce n'est pas la même chose. Cependant, les gens qui possédaient des biens dans les parcs nationaux ont, soit volontairement vendu ces biens au gouvernement fédéral ou provincial, soit été expropriés. C'est la réponse la plus courte qu'il y ait à votre question. La plupart des citoyens canadiens ne vivent pas dans quelque chose qui s'appelle un « parc », quel que soit le terme qui y est rattaché.
Madame Couture-MacTavish, je vous pose la même question : est-ce que vous préféreriez la certitude de l'expropriation, si c'était déterminé comme étant la meilleure solution, pour faire un parc définissable comme l'envisage ce projet de loi, sans oublier que l'expropriation existe déjà?
Madame Couture-MacTavish, comme vous l'avez dit, c'est déjà là. Est-ce que c'est mieux que le droit de premier refus dans cette loi? Est-ce qu'il devrait être question d'expropriation dans la loi? C'est-à-dire quand la propriété serait mise en vente, il n'y aurait qu'un acheteur possible. Est-ce que ce serait mieux?
Mme Couture-MacTavish : Non, je ne pense que ce soit mieux. Quoi qu'il en soit, l'État a toujours eu le pouvoir d'exproprier, donc ce serait redondant.
Le président : Est-ce que vous préférez cette situation à celle-ci?
Mme Couture-MacTavish : Non, je ne la préférerais pas. Dans tous les cas, ce que je dis, c'est que l'expropriation existe déjà, alors je ne vois pas la nécessité d'en parler dans cette loi-ci.
Je suis d'accord avec M. Frank. Je ne vois pas pourquoi nous devrions être obligés d'accorder ce droit au gouvernement. Normalement, un droit de premier refus, c'est quelque chose qu'un propriétaire décide d'accorder à quelqu'un d'autre. Ce n'est pas quelque chose qui est imposé au propriétaire par une autre partie. C'est à l'envers.
L'article 5 et la section 13.2 du projet de loi stipulent qu'une offre inconditionnelle doit être faite à la commission. Pour moi, ces dispositions changent tout. Le parc de la Gatineau n'est pas un parc national. Comme vous l'avez dit, c'est une entité différente.
Nous sommes dans la municipalité de Chelsea : nous en payons les taxes. Notre argent contribue à l'entretien des routes qu'empruntent ces deux millions de visiteurs pour venir dans le parc. Tout est l'envers. Je ne vois pas pourquoi cette condition devrait m'être imposée, en tant que propriétaire foncier dans le parc.
Je vois un gros problème avec l'établissement de la juste valeur marchande, puisque n'importe quel acheteur éventuel pourrait venir me dire: « J'aime beaucoup votre maison. J'aimerais vous en donner tant. » Je devrais alors leur dire: « Ce serait vraiment bien, mais d'abord, je dois en faire l'offre à la CCN, alors peut-être pourriez-vous revenir dans deux ou trois mois voir s'ils la veulent ou non. » Cela change tout le marché. Ce n'est pas équitable.
Le président : Dans le scénario que vous avez décrit, si vous recevez une offre véritable d'un montant quelconque, et si vous êtes allé à la Commission de la capitale nationale, si vous en avez le temps, et qu'elle ne veut pas acheter votre propriété, vous pouvez l'offrir à cet acheteur potentiel. N'est-ce pas?
Mme Couture-MacTavish : Oui.
Le président : J'aimerais m'assurer de comprendre ce que vous préférez. Il n'y a que deux manières pour la CCN d'acquérir la propriété, si elle décide de le faire. L'une est par un mécanisme qui a un lien quelconque avec le marché et l'offre. L'autre, c'est l'expropriation qui aussi, bien entendu, tient compte de la valeur marchande. La CCN ne peut dire qu'elle paiera 3 $ pour votre maison, parce que ce ne serait pas accepté par la loi. J'aimerais m'assurer de comprendre que vos membres préfèrent ce processus si la propriété devait être acquise aux fins d'un parc — quelle que soit la nature du parc — comparativement au processus établi dans ce projet de loi. Est-ce que je le comprends bien?
Mme Couture-MacTavish : Je préfère le statu quo. Comme l'a dit le maire, la CCN peut venir me voir maintenant et acheter ma maison sur le marché libre. Si elle recourt à l'expropriation, elle en a toujours eu le pouvoir et peut encore le faire.
M. Frank : Ce pouvoir n'est pas absolu.
Mme Couture-MacTavish : Non.
M. Frank : Je ne suis pas avocat, mais le pouvoir d'expropriation n'est pas absolu. Il y a des principes dans la loi. Il doit y avoir des raisons impérieuses de politique publique pour exproprier quelqu'un de chez lui. Dieu m'est témoin qu'il s'agit ici d'un droit et d'un privilège — j'ai utilisé l'expression à maintes reprises — dont des millions de Canadiens jouissent. Le droit de propriété d'une maison est quelque chose que tous les Canadiens ont à cœur. Le gouvernement ne va pas exproprier par caprice. Bien entendu, il est possible de contester cette expropriation devant les tribunaux. Ce n'est pas un droit absolu.
Il s'agit de contrainte artificielle, ici. Mme Couture-MacTavish l'a très bien expliqué. C'est tout inversé; c'est alambiqué. Ce n'est pas la façon normale de faire des affaires dans le monde de l'immobilier.
Le président : Y a-t-il quoi que ce soit dans ce projet de loi qui vous pousserait ou pourrait vous pousser à vendre votre propriété?
M. Frank : Non.
Le président : Autrement dit, ce projet de loi ne deviendrait applicable qu'au moment où vous décideriez — de votre plein gré et sans scrupules — de vendre votre terre?
M. Frank : C'est ainsi que je comprends. Il m'oblige, le cas échéant, à sauter plusieurs cerceaux de plus que mes voisins de Chelsea, en-dehors des limites de ce « parc ». Je me demande pourquoi les membres de notre association de propriétaires de terrains de Kingsmere ou d'autres terrains privés dans le parc, ont ainsi été pris à partie. Dans bien des cas, la propriété est privée ou appartient à une famille depuis bien avant la CCN, avant son prédécesseur et, dans certains cas, avant même le premier ministre Mackenzie King.
J'ai du mal à comprendre toute cette équation.
Le président : C'est compréhensible. Je voulais m'assurer que votre intention et la représentation que vous faites de vos membres sont au compte rendu.
Le sénateur Lavigne : Je pense que Frank a raison. Si je veux vendre ma terre à La Pêche, je n'ai pas à en demander la permission à la ville. Si quelqu'un m'offre 500 000 $ pour ma terre, est-ce que je demande à la ville la permission de vendre ma terre? C'est injuste pour les gens qui veulent vendre leur maison qu'ils aient à en demander la permission à la CCN. C'est difficile à comprendre. Comme le dit le maire de Chelsea, c'est comme s'il leur faut demander la permission de vendre leur terre. Ils peuvent vouloir la vendre à madame et pas au Parlement du Canada.
Quand je travaillais avec Sheila Copps à Patrimoine Canadien, tout le monde avait un « vestige ». Un jour, Mme Copps a dit « Nous avons eu assez de ``vestiges'', cessons cela ». Le gouvernement pouvait prendre une roche et déclarer que c'était un « vestige ». Tout devenait un « vestige ». Il faut arrêter parce qu'à la manière dont va le gouvernement maintenant, on ne peut plus rien vendre sans lui demander « Vous voulez 400 000 $? Pas de problème : Nous vous donnons 400 000 $ et nous prenons la propriété ».
Demain, ce sera un parc national à coup sûr, parce que c'est ainsi que s'y prend le gouvernement. Si le gouvernement n'offre pas le prix que veut le vendeur, le gouvernement négociera la valeur marchande. Le dernier gars a offert 800 000 $, mais la valeur marchande est de 500 000 $, alors voyons qui va gagner. Le gouvernement prend l'argent du peuple pour embaucher un avocat. Il n'y a pas de problème. C'est ainsi que ça se fait. Je pense néanmoins que ce n'est pas ainsi qu'il faut faire les choses et dire: « Vous avez un couteau à la gorge. Si vous voulez vendre, vous devez d'abord me le demander. » En tant qu'acheteur, disons que je vous offre le prix demandé, mais ce n'est pas la valeur du marché. Je dis que j'achèterai votre terre et je vous en donnerai le double du prix que vous demandez, mais le gouvernement dira non, ce n'est pas la valeur marchande et nous avons droit de premier refus. Le gouvernement dit nous verrons ce qu'en diront les tribunaux. En tant que vendeur, je ne veux pas devoir aller devant le tribunal, alors je vendrai au gouvernement et je perdrai de l'argent.
Je pense que ce que dit M. Frank est vrai, et je pense, monsieur le président, que nous devons comprendre ce que ces gens disent. Il faut creuser un peu plus profondément le sujet. C'est ce que je pense. Peut-être est-ce que je me trompe.
Le président : Il est certain que nous allons nous pencher sur cet aspect dans le cadre d'un examen plus poussé de ce projet de loi. Pour être sûr de bien comprendre, cependant, sénateur, je ne pense pas que le scénario que vous avez décrit pourrait arriver parce que l'offre d'une tierce partie doit être inconditionnelle. Si ce projet de loi devait être promulgué, il n'y aurait pas de discussion parce que, si j'offre 2 millions de dollars à M. Frank pour sa propriété, l'offre doit être inconditionnelle alors, si la CCN devait dire: « Nous ne pensons pas qu'elle vaut 2 millions », tant pis pour la CCN, parce qu'alors j'achète la propriété pour 2 millions. Peut-être est-ce que je me trompe, mais je ne pense pas qu'il y aurait de recours aux tribunaux. Il y aurait recours, mais ce serait au sujet de la question de la valeur marchande de la propriété.
Le sénateur Lavigne : Il n'est pas facile de lutter avec le gouvernement parce qu'il a de l'argent plein les poches. Pour lutter contre la ville, ils doivent le faire avec leur propre argent. Ils payent des impôts et le gouvernement prend ces impôts pour lutter contre eux. Ils sont perdants de toute façon. Il vaudrait mieux pour eux qu'ils s'assoient et dialoguent avec le gouvernement plutôt que de se battre contre lui.
M. Perras : J'aimerais proposer quelques autres perspectives dans cette discussion. J'éprouve des difficultés avec le fondement philosophique de ce projet de loi, selon lequel les habitants du parc ne sont pas une bonne chose, et que nous devons les en chasser, eux et leurs maisons.
Il y a des années maintenant que je voyage de par le monde; j'ai vu des parcs en Afrique, en Asie et en Amérique latine et centrale. Partout, des gens habitent dans les parcs, à de rares exceptions près, et la plupart en sont de bons intendants, tout comme la majorité des gens de Chelsea. Cette idée de retirer les maisons de Kingsmere et du lac Meech a un fondement idéologique. J'aimerais soulever cette question.
Ce qui me dérange également, c'est que sur les plans politique et stratégique, cette idéologie est déconnectée de la réorganisation qui se déroule, ou qui se déroulera, au sein de la CCN. Avec ce projet de loi, on met la table pour certaines choses comme l'établissement de limites au parc et le droit de premier refus, alors que nous ne savons toujours pas ce que le gouvernement fera en ce qui concerne la réorganisation globale, conformément aux assemblées publiques qu'il a tenues l'an dernier. Je pense qu'il faudrait attendre d'en savoir plus sur la position du gouvernement.
L'autre problème est que la municipalité régionale de comté et la municipalité de Chelsea se tireraient dans le pied dans un tel scénario, parce que ces propriétés représentent une bonne partie de nos éléments d'actifs et de notre budget. Chaque année, nous tirons un petit budget de 9 millions de dollars des secteurs de Kingsmere et du lac Meech, parce que la valeur des biens est établie à 8 p. 100. Pourquoi renoncerions-nous à ce montant? Où trouverions-nous ensuite l'argent pour réparer les routes et envoyer des forces policières, au besoin, sans oublier tous ces pompiers qui sauvent les gens? Je pourrais continuer ainsi longtemps. Nous ramassons les ordures et assurons la sécurité des routes. Nous faisons tout cela dans la municipalité et la MRC grâce à nos forces policières et à notre aménagement du territoire.
Enfin, aucune autre municipalité ne présente une aussi bonne feuille de route que Chelsea. J'aimerais vous citer certaines obligations que les résidants des districts de Kingsmere et du lac Meech sont tenus de respecter en vertu de règlements, à commencer par le plan directeur. Les trois ou quatre derniers plans directeurs ont été réalisés grâce à des réunions publiques, et le dernier a fait l'objet de 12 de ces réunions pour que nous puissions nous entendre à son sujet. À la fin des années 1980, nous avons effectué des examens et des analyses portant sur l'aménagement du territoire en ce qui a trait à l'environnement et à la durabilité. Nous avons effectué des études sur la qualité de l'eau, et adopté des règlements relatifs au pompage des fosses septiques. Ainsi, toutes les fosses septiques de Chelsea sont maintenant pompées tous les trois ans. L'ensemble des propriétaires de la région de Kingsmere et du lac Meech sont assujettis à ce règlement. Rares sont les municipalités du Québec ou du Canada — corrigez-moi si je me trompe — qui appliquent de tels règlements contraignants.
Nous sommes également la seconde municipalité du Québec à avoir interdit les pesticides. Les résidants de Kingsmere et du lac Meech n'utilisent pas de pesticides qui pourraient s'écouler dans les deux lacs du même nom. Nous avons été les premiers à insister pour qu'on recycle et qu'on fasse du compostage, et les premiers à protéger tous les marais. À Chelsea, la totalité des marais, y compris ceux des environs du parc, bénéficient maintenant d'une protection. On ne peut rien construire à moins de 30 mètres des marais, qui sont protégés et répertoriés; beaucoup d'entre eux apparaissent sur le GPS. Les gens du lac Meech et de Kingsmere respectent cet état de fait.
Il y a trois ans, nous avons mis sur pied le programme H2O Chelsea, au moyen duquel on a entrepris une analyse approfondie de la surface hydrostatique ainsi qu'une évaluation de la quantité et de la qualité de l'eau à Chelsea. Ce programme englobe les lacs Meech et Kingsmere. Les résidants membres de l'association de propriétaires y ont participé.
L'an dernier, la municipalité de Chelsea a gagné un prix de la Fédération canadienne des municipalités pour ce programme, qui se démarque parmi tous ceux du Canada rural concernant la quantité et la qualité de l'eau. Tous les jours, on nous téléphone pour nous demander comment aller de l'avant avec cette initiative. La municipalité régionale a demandé que le programme H2O Chelsea adopte son nom, pour devenir H2O Collines-de-l'Outaouais.
Les habitants de Kingsmere et du lac Meech sont respectueux de tous ces règlements; dans le cas contraire, nous les traduisons en justice et ils doivent s'y conformer. L'idée est que les gens peuvent être une bonne chose pour les parcs, car ils en sont de bons intendants. Ils ont sauvé des gens et ont téléphoné à notre service des incendies lorsqu'un feu s'est déclaré. Ce n'est pas en retirant 200 maisons du parc qu'on résoudra le problème des 2 ou 3 millions de personnes qui le parcourent à pied ou en automobile.
Nous aimerions que le Sénat résolve pour nous le problème que représentent toutes ces automobiles en provenance d'Ottawa, Gatineau, Toronto et Montréal qui entrent dans le parc. Sur les 1,9 million de personnes qui visitent le parc, nombre d'entre elles le font en automobile. Nous en avons discuté avec Marcel Beaudry et Lawrence Cannon. Nous aimerions qu'un jour, il y ait moins d'automobiles dans le parc. Cela respecterait l'environnement et préserverait davantage le parc qu'un retrait des maisons.
M. Frank : J'aimerais ajouter une remarque à celles du maire et répondre à votre question de tout à l'heure en précisant que je n'ai pas entendu de raison convaincante quant à l'imposition de quelque restriction que ce soit à la revente de nos propriétés. Je crois fermement que cela vise uniquement à faire en sorte qu'il soit plus difficile d'avoir une propriété privée au lac Meech. Cette volonté ne correspond pas à l'histoire de la région ni à la composition socio- économique de notre collectivité, et il s'agit là d'une mauvaise politique publique.
Le président : Croyez-vous qu'il est indéniablement dans l'intérêt national de définir les limites du parc de la Gatineau et de lui donner le statut de parc qu'il n'a pas aujourd'hui? Est-ce dans l'intérêt national?
M. Frank : C'est une question intéressante. Je n'ai pas d'opinion là-dessus, ni dans un sens ni dans l'autre. Comme l'a dit le maire, je préfère le statu quo. J'estime que la CCN effectue un travail raisonnable de maintenance du parc. Mais à mon avis, il y a un sous-financement. Et je ne pense pas que cette partie de territoire appelée parc de la Gatineau soit un parc en tant que tel. Si la CCN devait choisir de le considérer ainsi, je crois qu'aucun des membres de notre association n'y opposerait de vive résistance, mais il en irait autrement si on portait atteinte à nos droits relatifs à la propriété de nos terres.
Le président : Vous dites à juste titre que le parc de la Gatineau n'a de parc que le nom. Il ne correspond nullement à la définition de ce terme.
M. Frank : Dans mon exposé, je me suis efforcé de souligner que nous vivions en coexistence avec les visiteurs du parc. Nous ne souhaitons en aucun cas éliminer ou entraver leur accès à ce dernier. Nous voulons seulement faire respecter nos droits pour ce qui est de l'administration de cette étendue de territoire particulière par la CCN.
Mme Couture-MacTavish : J'appuie tout ce que vient de dire M. Frank. J'aimerais ajouter qu'on m'a souvent répété que Parcs Canada n'avait pas intérêt à faire du parc de la Gatineau un parc national. Cette agence gère déjà le parc national de la Mauricie, qui représente le même type de territoire. Je vous inviterais respectueusement à recevoir des témoins de Parcs Canada pour connaître directement les points de vue de l'agence sur la conservation des parcs et les gens qui y habitent. Je pense qu'il y a eu une évolution au fil du temps.
Le président : Nous avons entendu des témoins de Parcs Canada à maintes reprises. Nous leur avons posé cette question particulière pour savoir ce qu'il en était du parc de la Gatineau, et ils ont répondu qu'à leur connaissance, ils n'avaient aucun intérêt, que ce soit maintenant ou dans l'avenir, à en faire un parc national.
Mme Couture-MacTavish : Je pense qu'il serait intéressant de les entendre témoigner au sujet des sciences de la conservation.
Le président : Ils ont comparu pour nous parler de la création des parcs nationaux, entre autres. Nous connaissons très bien la différence.
M. Perras : J'approuve votre question. Il y a un besoin urgent de protéger le parc. Je suis dans le milieu de la politique municipale depuis 1993. Pendant les huit premières années, j'ai été le conseiller municipal pour le lac Meech et Kingsmere. J'ai rencontré plusieurs aînés — dont certains sont décédés — qui vivent là depuis des générations. Plusieurs ont même connu Mackenzie King et parlaient beaucoup des discussions qu'ils avaient eues avec lui à propos de ce que devrait être un parc à proximité d'une capitale.
Je pense que jusqu'ici, la CCN a fait du bon travail. Est-ce que tout a été parfait? Non. La biodiversité du parc dans son ensemble a-t-elle été protégée? Probablement pas. Il y a des pertes ici et là. Quoi qu'il en soit, de façon générale, M. King serait content de la façon dont nous avons fait les choses.
Nous avons des règlements. Nous protégeons le parc. Les citoyens de Kingsmere et du lac Meech s'occupent bien de l'environnement. Comme je l'ai dit, le problème n'est pas nécessairement les limites du parc ou le nombre de maisons qui s'y trouvent, mais plutôt le nombre d'automobiles qui y circulent et le nombre d'incidents qui s'y produisent.
Puis-je vous poser une question? Le projet de loi que vous adopterez inclura-t-il le domaine Mackenzie King et la résidence du premier ministre, la maison O'Brien et la maison Wilson?
Le président : Notre comité n'adoptera pas de projet de loi. Nous formulerons une recommandation au Sénat quant à l'adoption de cette mesure législative, qui sera ensuite présentée à la Chambre des communes afin d'être soumise au même examen.
D'après ce que j'ai compris, oui, le projet de loi comprendra le domaine appelé Kingsmere, je crois, qui fut la propriété de Mackenzie King. Je pense que c'est déjà inclus dans ce que la CCN considère comme faisant partie du parc de la Gatineau. C'est la meilleure réponse que je puisse vous donner.
M. Perras : Si je suis la logique derrière ce projet de loi, un jour, il n'y aura plus de maisons dans le parc. En poussant ce raisonnement jusqu'au bout, la résidence du premier ministre serait-elle comprise là-dedans? Elle se trouve à la fin du chemin du lac Meech, et le projet de loi devrait peut-être la viser aussi. Ici, je suis un peu cynique.
Le président : Je ne peux être d'accord sur le fait que le principe derrière le projet de loi est qu'il ne devrait y avoir aucune maison, ni même aucune propriété privée dans le parc, car il y a des édifices publics à caractère historique dans pratiquement tous les parcs nationaux du Canada. Comme vous l'avez dit, peu d'entre eux sont inhabités; ils ne sont que trois ou quatre. La plupart des parcs requièrent des habitants, et les protecteurs de l'environnement en sont conscients.
Monsieur Frank, puisque vous représentez la population du lac Meech, je présume que vous êtes d'accord pour dire qu'un résidant d'Ottawa, ou même un visiteur britanno-colombien, devrait avoir accès au lac Meech, n'est-ce pas?
M. Frank : Cela ne me pose aucun problème.
Le président : L'association du lac Meech, et peut-être la municipalité à laquelle elle appartient, ont-elles exercé des pressions pour faire fermer la plage Blanchette et la rampe de mise à l'eau au lac Meech, ou nous a-t-on mal informés?
M. Frank : Je vais laisser le maire parler au nom de la municipalité. Néanmoins, j'ai mentionné il y a quelques minutes que la CCN nous paraît manquer de ressources financières pour la maintenance et la supervision du parc. À cause de ce sous-financement et de la grande quantité de personnes qui fréquentent la zone du lac Meech, la plage Blanchette et la rampe de mise à l'eau ont été surutilisées et, dans certains cas, mal utilisées. Selon l'ordre naturel des choses, cela a entraîné une détérioration. La solution en question a été préconisée par notre association il y a quelques années. On ne devrait pas en tirer l'interprétation que nous sommes hostiles aux visiteurs, ou que nous souhaitons limiter d'une manière quelconque l'accès aux terres de la CCN. Ce fut tout un choc lorsque Peter Fullarton a fait cela il y a 40 ans, mais ce choc a diminué jusqu'à devenir pratiquement inexistant. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, nous coexistons harmonieusement avec les visiteurs.
Les seuls irritants ont lieu lorsque les visiteurs croient que nos propriétés font partie des terres publiques et ne se gênent pas pour les utiliser comme aires de pique-nique, ou encore se servent de nos quais pour nager ou pêcher ou de nos canots ou bateaux à voile comme s'il s'agissait de ressources publiques. Cela crée des soucis, mais on peut y remédier facilement. Les gens raisonnables peuvent trouver des solutions raisonnables.
Le président : Lorsque vous avez comparu devant le comité de revue du mandat du parc de la Gatineau, vous avez fait valoir qu'au lieu de le fermer, on devrait faciliter l'accès au lac en ce qui a trait à la plage Blanchette et à la rampe de mise à l'eau.
M. Frank : Nous avons dit qu'un certain désordre régnait dans ces deux zones, et que sans supervision ni maintenance adéquates, les choses ne pouvaient que se détériorer.
Je vous reporte à l'engagement initial de M. Fullarton envers l'Association du lac Meech, monsieur — et je ne crois pas trahir les propos de mon beau-père, car il a participé à la rencontre avec M. Fullarton. On entrevoyait non pas une circulation constante sur le chemin du lac Meech jusqu'aux installations publiques, mais plutôt des stationnements à un bout du lac, des bus-navettes pour transporter les gens, des pistes cyclables et des chemins de randonnée.
Tout cela ne s'est jamais matérialisé et, comme le maire l'a dit, en été, la circulation sur le chemin du lac Meech rappelle parfois celle de la rue Yonge après l'une des rares victoires de la saison des Maple Leafs. Vous aurez compris, monsieur, qu'il y a beaucoup de va-et-vient. Il est tard, et j'ai cru bon de glisser une plaisanterie dans notre soirée. Je ne voulais pas passer pour un être dénué d'humour.
Le président : Ce n'était l'impression que vous donniez.
Monsieur le maire, pourriez-vous nous parler des observations concernant l'accès au lac Meech en particulier que vous avez exprimées devant le comité de revue du mandat du parc de la Gatineau?
M. Perras : Nous avons discuté de toutes sortes de questions reliées aux parcs et à leurs environs, aux routes, et cetera. Nous avons répété plusieurs fois que le 1er juillet ou le jour de la Saint-Jean-Baptiste, nous trouvions la circulation routière si congestionnée que nous ne pouvions, comme municipalité, assurer la sécurité de nos citoyens. S'il nous fallait envoyer des camions à incendie au lac Meech, à l'autre bout du chemin, ils ne s'y rendraient jamais, pas plus que des ambulances ou des voitures de police, parce que les embouteillages sont terribles. Nous avons demandé un contrôle de la circulation à la CCN et, ces dernières années, nous y sommes parvenus grâce à nos représentants de la route et aux policiers. Cela a toujours été un irritant. Nous ne manquons jamais de le mentionner à nos réunions avec la CCN. C'est l'histoire de nos relations avec elle.
Le président : Aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Frank : Merci pour votre temps et votre patience.
Le président : Ce fut un plaisir. Je suis navré que nous ayons commencé si tard.
Merci de votre présence.
La séance est levée.