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Sous-comité sur la santé des populations

 

Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations

Fascicule 1 - Témoignages du 28 février 2007


OTTAWA, le mercredi 28 février 2007

Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 12 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, et en faire rapport.

Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Messieurs, nous sommes profondément heureux de votre venue, particulièrement en cette semaine précédant le congé parlementaire. Les avis et l'information que vous allez nous donner, compte tenu de votre immense expérience, nous seront énormément utiles dans la poursuite de nos travaux au cours de la période de relâche.

Comme je ne voudrais pas abuser de votre temps précieux, nous allons débuter dès maintenant avec le témoignage du Dr Millar.

Dr John Millar, directeur général, Surveillance de la santé des populations et contrôle des maladies, Provincial Health Services Authority, Colombie-Britannique : J'aimerais tout d'abord vous remercier de me donner cette occasion de comparaître devant votre sous-comité. Il est merveilleux que le Sénat ait décidé d'entreprendre cette étude. Je suis on ne peut plus ravi de pouvoir y participer aujourd'hui.

Je vais d'abord vous faire part de certaines données que nous avons colligées récemment à propos de la santé des populations. Je viens de la Colombie-Britannique. Comme vous le savez peut-être, je suis directeur général de la surveillance de la santé des populations et du contrôle des maladies en Colombie-Britannique, une direction générale qui relève de la Régie provinciale des services de santé.

Le président : Docteur Millar, permettez-moi de vous interrompre un instant. Je tiens à ce que les sénateurs sachent que le Dr Millar a une formidable expérience dans ce domaine et qu'il a œuvré au sein de l'Institut canadien d'information sur la santé, l'ICIS, dès l'étape de sa création. Il en a d'ailleurs été l'un des inspirateurs. Le fait que vous en soyez conscients aura probablement une incidence sur les questions que vous allez lui poser en cours de route.

Veuillez poursuivre, docteur Millar.

Dr Millar : J'apprécie votre intervention. Ces données ont été compilées par certains de mes statisticiens et épidémiologistes. Le premier ministre de la Colombie-Britannique a dit qu'il souhaitait que notre province soit, de tous les endroits où se sont tenus les Jeux olympiques par le passé, celui où les gens sont le plus en forme. Nous avons colligé ces données pour montrer où se situent le Canada et la Colombie-Britannique parmi les grands pays industrialisés du monde dont la population jouit du meilleur état de santé.

On note certaines tendances inquiétantes au Canada. Sur la diapositive où se trouve le curseur, la ligne bleue montre la trajectoire de l'espérance de vie au Canada en comparaison avec celle qu'on observe dans d'autres pays. Vous pouvez y constater qu'un certain nombre de pays s'améliorent plus rapidement que le Canada à ce chapitre. Le rang relatif du Canada est en régression dans le cas des hommes. D'après les projections, qui sont, soit dit en passant, sérieusement validées, le Canada se situera en 2010 derrière la Suisse, l'Australie, la Suède et l'Italie dans le cas des hommes. Je vous signale que, comme par hasard, la Colombie-Britannique, une entité considérée comme comparable aux autres entités visées par l'étude, sera alors bonne première à cet égard. Elle dépasse déjà le Japon, ce qui est plutôt exceptionnel.

La diapositive suivante affiche des données encore plus inquiétantes, particulièrement en ce qui concerne l'état de santé des femmes. Vous pouvez voir ici, en observant la ligne bleue, la trajectoire de l'espérance de vie chez les femmes canadiennes. Vous pouvez constater que l'espérance de vie dans le cas des femmes régresse, et qu'elle se situe derrière celle que l'on observe dans de nombreux pays. Les pays qui ont été sélectionnés ont une population d'au moins un million d'habitants. En 2010, au moment de la tenue des Jeux olympiques, le Canada aura vu son rang baisser dans ce classement, et il se situera alors derrière la Suisse, le Japon, la France, l'Italie, l'Australie, l'Espagne et la Suède. Ce sont là des tendances inquiétantes.

Pourquoi en est-on rendu là? Dans une certaine mesure, cette situation peut s'expliquer par les données relatives aux cancers et aux maladies cardiaques. Naturellement, ces dernières sont elles-mêmes influencées par des facteurs de risque comme l'obésité, et vous savez très bien ce qui arrive lorsque les taux d'obésité augmentent.

Je tiens cependant à vous faire remarquer, et d'autres vous le diront aussi, que ces facteurs de risque comportementaux sont eux-mêmes déterminés par les conditions sociales qu'on observe dans notre société. L'obésité, de l'avis de bien des gens, est causée par l'environnement obésogène dans lequel nous vivons et est souvent considérée comme un échec de l'engouement, dicté par le marché, pour la malbouffe, entre autres choses. Ce phénomène est raisonnablement bien connu. La question qu'il faut se poser, c'est : qu'allons-nous faire pour remédier à ce problème?

Je tiens également à ce que vos délibérations soient axées sur le système de santé. L'état de santé de la population a des incidences importantes et intéressantes sur le système de santé. La courbe de l'espérance de vie va en montant. Si vous regardez ici, vous verrez que les femmes vivent encore de nos jours plus longtemps que les hommes, bien que l'amélioration en ce sens soit moins rapide chez les femmes au Canada. C'est une bonne nouvelle de constater que l'état de santé de la population s'améliore dans l'ensemble. Cela veut également dire que nous vivons plus longtemps et que, de ce fait, comme le Dr Keon le sait bien pour avoir pris connaissance d'autres études, à mesure que la population vieillit, l'incidence des maladies cardiaques augmente, tout comme la demande de chirurgies cardiaques, de poses d'endoprothèses, de remplacements de hanches, de transplantations de cornée, de chirurgies du cristallin, et ainsi de suite. Mais, étant donné l'augmentation des facteurs de risque comportementaux — moindre niveau d'activité physique, mauvaise alimentation et aggravation de l'obésité —, la prévalence des maladies est en progression. Qui plus est, en améliorant l'efficacité des soins dans le cas de maladies comme la maladie cardiaque et le cancer, nous transformons en états chroniques bien des maladies qui auparavant étaient mortelles. Ces facteurs conjugués font que nous nous retrouvons avec une énorme croissance de la prévalence des maladies chroniques.

L'image que voici fait état des données de la Colombie-Britannique en ce qui touche la projection des nouveaux cas de cancer jusqu'en 2017. Si vous ajoutez à cela les cas prévalents de cancer ainsi que le fait que le nombre de cas de cancer augmente en raison du faible niveau d'activité physique et de la mauvaise alimentation, vous constaterez que cette courbe va même s'accentuant.

Cette projection dans le cas du cancer s'apparente à celle qu'on observe dans le cas de nombreux états chroniques. Nous constatons exactement le même genre d'évolution dans le cas de la maladie cardiaque, du diabète, de l'hypertension, de la dépression et des maladies musculosquelettiques. Tous ces états chroniques connaissent cette même progression, ce qui exerce une énorme pression sur la demande de services de santé. La réalité, c'est qu'il y a entre la santé de la population et la viabilité du système de santé un lien auquel nous nous devons de porter attention.

La diapositive que voici en est une que Carole Taylor, la ministre des Finances de la Colombie-Britannique, aime bien utiliser depuis quelque temps pour montrer qu'en pourcentage, les soins de santé accaparent actuellement environ 42 p. 100 de l'ensemble du budget de la Colombie-Britannique et qu'au rythme d'augmentation que nous connaissons aujourd'hui, cette part du budget atteindra 71 p. 100 d'ici 2017, ne laissant que 27 p. 100 pour l'éducation et rien pour les 18 autres ministères que compte le gouvernement de la Colombie-Britannique. Il s'agit là d'une situation qui préoccupe tous les ministres et sous-ministres ainsi que le premier ministre de la Colombie-Britannique, qui se demandent ce qu'ils peuvent faire pour y remédier.

Que peut-on faire? Nous savons beaucoup de choses à propos de ce qui peut être fait. Il y a d'abord la façon dont nous pouvons intervenir auprès de la population pour inciter les gens à améliorer leur état de santé. La détection précoce des maladies chroniques et la prévention de leur progression sont la deuxième chose importante à laquelle il nous faut songer. Je vais vous parler de ces deux aspects.

Ces projections ont été effectuées par le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique. La ligne noire montre, pour chaque année, le nombre de femmes qui subissent un infarctus aigu du myocarde, et vous pouvez voir qu'on prévoit que ce nombre, qui était de 50 000 en 1971 — il s'agit des données officielles jusque tout récemment —, monte graduellement pour atteindre les 80 000 en 2016 si rien n'est fait pour changer la situation. En dessous, on peut voir comment ces courbes peuvent être inversées si nous prenons les mesures qui, selon les données les plus probantes dont nous disposons actuellement, seraient nécessaires en ce qui touche l'alimentation, le tabagisme, l'exercice, la réduction de l'obésité et la diminution de la consommation de boissons alcoolisées. Nous savons que ces courbes pourraient être inversées, de sorte que nous pourrions dès lors commencer à nous attaquer au problème de la viabilité de notre système de santé.

De même, la diapositive suivante concernant le diabète montre que, si nous réduisons l'obésité et ainsi de suite, nous pouvons faire baisser parallèlement les coûts liés au traitement du diabète. Cela veut dire que les données dont nous disposons nous permettent de croire que nous pouvons commencer à réduire ce lourd fardeau que représentent pour nous les maladies chroniques.

Je veux vous convaincre qu'il nous faut adopter, comme je l'ai déjà dit, une vision de la santé de la population axée sur la prévention de ces maladies chroniques avant qu'elles n'apparaissent. Il nous faudra pour cela changer nos habitudes sociétales afin que d'opter pour un mode de vie sain au regard du tabagisme, de l'alimentation, de l'activité physique, de l'obésité, de la consommation de boissons alcoolisées, de la consommation de drogues et ainsi de suite devienne chose facile. Pour y arriver, il nous faudra également réformer notre système de santé pour qu'il nous permette de mieux gérer le traitement des maladies chroniques et de prévenir les incidents malheureux liés aux soins de santé, question sur laquelle je reviendrai.

Voici les principaux messages que je veux vous transmettre. Ils répondent pour la plupart, d'une façon ou d'une autre, aux questions que vous avez fournies comme lignes directrices. Premièrement, le domaine de la santé de la population est hautement complexe; il n'est pas simple. Il comporte de nombreux déterminants qui interagissent les uns avec les autres et nous ne comprenons pas entièrement toutes ces interactions.

Deuxièmement, il faut que vous sachiez entre autres que le Canada, par l'entremise de ses institutions d'enseignement, particulièrement l'Institut canadien des recherches avancées, a amené le monde à comprendre les liens de causalité entre ces déterminants, la santé et le bien-être de la population. Nous savons maintenant qu'il y a un lien de causalité. Par exemple, il y a un lien de causalité entre le fait que des gens vivent dans la pauvreté et le fait qu'ils sont en mauvaise santé; il ne s'agit pas uniquement d'une association statistique. Tel qu'indiqué dans un récent document publié à Harvard, l'inégalité sociale tue. Nous savons maintenant qu'il s'agit d'un lien de causalité.

Il va sans dire que le contraire est également vrai, c'est-à-dire que les gens dont la santé laisse à désirer ont souvent une capacité limitée de gagner leur vie et peuvent de ce fait tomber dans la catégorie des gens à faible revenu. Au Canada, le lien de causalité prédominant est celui qui existe entre le faible revenu et la mauvaise santé.

Cela dit, le troisième point ici est essentiel, et vous allez en entendre parler à maintes et maintes reprises. Les gradients constituent une importante contribution canadienne à la compréhension entre les déterminants sociaux et la santé. Ce ne sont pas uniquement les gens à faible revenu qui ont la plus mauvaise santé; les gens à revenu moyen ont également plus de problèmes de santé que les gens à plus haut revenu. Par conséquent, il y a un gradient qui s'applique notamment au revenu, à l'éducation et au type d'activité professionnelle. Il y a également des gradients géographiques dans ce domaine. Le Canada a fait figure de chef de file pour ce qui est de la compréhension de cette réalité, mais il a été exceptionnellement lent à mettre en œuvre les connaissances acquises. De nombreux pays sont allés de l'avant; je les mentionnerai dans un instant.

Nous ne savons pas tout ce qui concerne les déterminants, mais nous savons comment fournir une base d'intervention. Ce sont les principaux secteurs d'intervention que je vous proposerai en matière de santé de la population; d'autres témoins vous en parleront également.

Le premier concerne la famille et la pauvreté infantile au Canada. Nous accusons un retard considérable par rapport à nombre d'autres pays à cet égard. Je crois que le Canada arrive au quinzième rang dans le monde au chapitre de la pauvreté. En tant que professionnel de la santé publique, je suis renversé de voir que nous continuons à accepter une telle situation au Canada alors que nous savons qu'elle engendre des problèmes de santé. Nous savons également ce qu'il est possible de faire pour remédier à la situation, notamment augmenter le salaire minimum, bonifier le soutien au revenu, les prestations pour enfants et la prestation universelle pour la garde d'enfants et accroître le nombre de logements sociaux disponibles. Nous savons que de nombreuses possibilités s'offrent à nous.

Par exemple, nous pourrions offrir à l'ensemble de la population des services de haute qualité en matière de développement de la petite enfance et d'éducation et nous pourrions nous pencher sur les problèmes liés à la santé scolaire. Nous savons que l'école n'offre pas l'activité physique et la nutrition aux enfants.

En ce qui concerne le milieu de travail, la preuve n'est plus à faire qu'en y réglant les problèmes de santé, il est non seulement possible de réduire l'absentéisme et le roulement de personnel mais aussi d'augmenter la productivité. Au Canada, la mise en œuvre des principes de santé au travail laisse à désirer.

De plus, on pourrait entre autres examiner le secteur du logement et du milieu bâti et la construction des habitations, offrir des logements sociaux et concevoir les collectivités de façon à promouvoir l'activité physique, la saine nutrition et un environnement plus sain, accroître la sécurité et réduire la criminalité et les blessures.

Le système de soins de santé lui-même constitue un autre élément sur lequel je reviendrai dans un moment. J'ai fait valoir cet argument plus tôt. Les comportements à risque sont largement associés aux politiques de commercialisation et aux conditions sociales. On en sait suffisamment pour faire changer certaines choses, notamment réduire le tabagisme, augmenter l'activité physique, améliorer la nutrition, réduire l'obésité, diminuer la consommation de drogue et d'alcool.

L'infrastructure est un autre secteur d'intervention. Pour mettre en œuvre le programme que j'ai présenté, il faut non seulement de meilleurs systèmes d'information mais aussi des technologies et des analyses de données supérieures. Il faut également davantage de recherches. J'attire votre attention sur un nouveau programme, en l'occurrence l'Initiative de recherche interventionnelle en santé des populations du Canada, que je vous exhorte à appuyer.

D'autre part, je vous rappelle qu'il ne faut pas oublier que le système de soins de santé constitue un déterminant de la santé. Le système de soins de santé est un déterminant positif; il ne fait aucun doute qu'il permet de sauver de nombreuses vies. Toutefois, il faut garder à l'esprit que le système de soins de santé cause également de nombreux décès qu'il serait possible de prévenir. D'après les données canadiennes figurant sur cette diapositive, on estime qu'il y a chaque année 10 000 décès dans les hôpitaux où on compte également 18 000 autres décès non attribuables à des erreurs liées à des infections et à des médicaments et qu'il y a probablement 20 000 autres décès dans la collectivité. Ce sont les chiffres canadiens. Si on fait le total, on arrive à 48 000 décès par année. Ce bilan fait du système de soins de santé la deuxième grande cause de décès. Or, il est possible de remédier à cette situation attribuable au fait qu'on ne se concentre pas comme il se doit sur la qualité. On peut compter sur l'Institut canadien sur la sécurité des patients. À mon avis, cet organisme fait du bon travail, mais pas assez rapidement. Cela pose un problème de taille. Personne n'a établi le taux d'avantages lié au système de soins de santé. J'aimerais que vous vous rappeliez que si le système de soins de santé permet de sauver de nombreuses personnes, il en tue cependant un grand nombre.

Au sujet du système de soins de santé, il faut également souligner la nécessité d'améliorer la gestion des maladies chroniques, question dont j'ai fait mention précédemment. Je sais que ce n'est pas au comité qu'il incombe de s'en occuper, mais il doit néanmoins être conscient de la nécessité de procéder à une réforme du secteur des soins primaires où la plupart des maladies chroniques sont traitées. Ce sont les problèmes cardiaques et rénaux, les cas de diabète et de dépression ainsi que diverses autres maladies mises ensemble qui épuisent le système. Dans son état actuel, le système ne peut pas répondre adéquatement à la demande.

Je conclus en donnant des exemples précis de progrès. La Suède fait figure de chef de file. Elle a établi des politiques officielles à l'égard de l'ensemble des déterminants de la santé. Elle s'est attaquée à la pauvreté et l'a presque éliminée, mais pas complètement. Par conséquent, la Suède obtient des résultats nettement supérieurs au chapitre de la santé des enfants, notamment en ce qui a trait au taux de mortalité infantile, et, par surcroît, il n'y a pas de gradient. Ils ont éliminé le gradient qui caractérise la situation au Canada, aux États-Unis et dans la plupart des autres pays.

En Colombie-Britannique, nous avons le programme ACT NOW dont vous entendrez parler davantage. Cette initiative s'applique à l'ensemble du gouvernement. L'approche en matière d'application de la santé de la population exige une action coordonnée dans l'ensemble de la structure gouvernementale. C'est précisément ce que fait la Suède.

En Colombie-Britannique, le premier ministre a demandé à tous les membres de son Cabinet de voir quelles mesures il est possible de mettre en oeuvre pour accroître l'activité physique, améliorer la nutrition et réduire le tabagisme et la consommation d'alcool pendant la grossesse. Un comité de sous-ministres adjoints se rencontre tous les mois pour faire avancer ce programme. Voilà un modèle inspirant. C'est un modèle qui prend en compte les facteurs de risque. Si on l'envisageait sous un autre angle pour tenir compte des conditions de risque et des déterminants, ce serait encore mieux.

Le British Columbia Progress Board, composé d'éminents hommes d'affaires nommés par le premier ministre, a dit que pour améliorer la qualité de vie en Colombie-Britannique, il faut s'attaquer à la pauvreté. En Nouvelle-Écosse, on a mis sur pied un programme provincial sur la santé à l'école et il existe de nombreuses autres initiatives dont je ne parlerai pas maintenant. Sur ce, je passe la parole à mon collègue.

Le président : C'était fort instructif, docteur Millar. Le prochain témoin que nous entendrons est M. Dennis Raphael, professeur de santé publique à la School of Health Policy and Management de l'Université York. M. Raphael a écrit des articles fort pertinents que nous avons déjà examinés. Nous voulons entendre ce qu'il a d'intéressant à nous dire aujourd'hui.

Dennis Raphael, professeur, School of Health Policy and Management, Université York : Je vous présente un aperçu de ce que sont les déterminants sociaux de la santé et de ce que nous savons sur la façon dont ils influencent la santé. Je suis d'avis que nous en savons énormément au sujet des mécanismes et des moyens empruntés. J'exposerai certains renseignements connus sur les effets des déterminants sociaux, puis je mettrai la situation dans un contexte de politique publique. Je signalerai ensuite certains obstacles; je souligne d'ailleurs que la résolution du problème pose de véritables défis. Je suggérerai ensuite certaines façons d'envisager l'avenir.

Que sont les déterminants sociaux de la santé? Ce sont des conditions économiques et sociales. Pour la plupart, ces conditions sont indépendantes de la volonté des gens. Elles sont liées à l'organisation de la société et à la quantité et à la qualité des ressources qu'une société met à la disposition de ses membres.

Quand on parle de santé de la population, il est intéressant de garder en tête que l'objectif est entre autres d'améliorer la santé de la population et qu'il faut prendre en compte non seulement les déterminants sociaux de la santé mais aussi les inégalités sociales. Dans les efforts pour améliorer la santé de la population, il arrive parfois qu'on perde de vue les profondes différences qui existent entre les Canadiens.

Premièrement, le principal message c'est que cette réalité n'est pas du tout nouvelle. En fait, si on remonte aux années 1840, on constate que Rudolph Virchow et Frederick Engels parlaient déjà de l'incidence des conditions de vie sur la santé.

Si on revient à une époque plus récente, on constate que, en 1986, l'honorable Jake Epp a signalé la nécessité de coordonner les nombreuses politiques qui influencent la santé. D'une certaine façon, en 1986, on avait déjà établi une liste assez pertinente de certains déterminants sociaux de la santé. Y figuraient entre autres la sécurité du revenu, l'emploi, l'éducation, le logement, les affaires, l'agriculture et le transport. Dans le même ordre d'idées, la Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé propose une autre liste de conditions préalables à la santé, en l'occurrence la paix, un abri, l'éducation, de la nourriture, un revenu, un écosystème stable, la justice sociale, l'équité et des ressources durables. Cette liste a d'ailleurs été reprise par l'Organisation mondiale de la santé.

Plus récemment, soit en 2004, au terme d'un examen de la documentation, on a établi une liste de déterminants de la santé explicitement inscrite dans un contexte de politique publique. On est parti de l'hypothèse que ces conditions peuvent s'appliquer au niveau individuel. On peut faire lire des histoires à nos enfants le soir. Toutefois, si on est sérieux au sujet du développement de la petite enfance, par exemple, on veut probablement s'assurer que les enfants n'auront pas à fréquenter les banques alimentaires, qu'ils pourront avoir accès aux livres et qu'ils auront une éducation acceptable.

Je pense qu'il faut éviter, pour utiliser une formule non équivoque, de détourner une approche de politique publique vers une approche individualisée. Autrement dit, on aurait tort de considérer les problèmes comme étant individuels. Je soutiens qu'ils ne sont pas individuels.

En matière de connaissances, je signale que les Britanniques ont fait énormément de recherches. En 1995, ils en sont arrivés à la conclusion qu'une des plus grandes injustices sociales contemporaines est que les plus désavantagés au point de départ sont également ceux qui sont confrontés au plus grand nombre de maladies et de problèmes de santé et qui vivent le moins longtemps.

Comment les déterminants sociaux influencent-ils la santé? Comme des éléments de base, tout simplement. Les déterminants sociaux de la santé, qu'il s'agisse des conditions de travail, du revenu ou de la qualité du logement, constituent les conditions préalables élémentaires à la santé. Quand j'ai commencé à travailler dans le domaine dans les années 1980, j'ai pensé que ce qu'on disait au sujet des refuges et de la faim était un peu exagéré. Cependant, en voyant l'augmentation des banques alimentaires et du sans-abrisme, j'ai changé d'avis. De toute évidence, bon nombre de Canadiens ne bénéficient pas des conditions préalables à la santé.

On connaît également les effets du stress et de l'anxiété. De toute évidence, comme Mel Hurtig l'a si bien dit, la question se résume souvent au choix entre payer le loyer ou nourrir les enfants. Il va sans dire qu'un tel dilemme nuit à la santé. On veut que les gens cessent de fumer, mangent mieux et ne restent pas assis devant la télévision pendant de longues périodes de temps, mais il est très difficile de changer les habitudes de vie. Ainsi, si c'est difficile même pour les gens de la classe moyenne élevée, ça l'est encore plus pour les gens qui sont extrêmement stressés et dont la vie est marginale.

Il y a des modèles. Ceux-ci sont tirés d'un ouvrage sur les déterminants sociaux de la santé, plus précisément du chapitre de Bruner et Marmot. Quand je vois le modèle qui commence en haut à gauche avec la structure sociale et qui passe par le milieu professionnel et le milieu social et qui établit un lien clair entre la structure sociale et la maladie, ce que je trouve le plus intéressant c'est que les comportements liés à la santé ne correspondent qu'à un seul lien dans ce schéma. Cependant, si on jette un coup d'œil aux politiques publiques canadiennes et aux centaines de millions de dollars qu'on dépense, tout semble concentré sur les comportements liés à la santé au détriment absolu de ces questions qui, d'après moi, sont plus importantes.

Quels sont les mécanismes et les moyens? Encore une fois, ce n'est que la première partie d'un long cheminement pour nous tous. Selon l'approche matérialiste, les déterminants sociaux ont une influence tout simplement parce que les gens ont des conditions de vie différentes. Comme le disait John Lynch, quand une personne se présente dans une unité cardiaque pour subir un pontage, elle apporte avec elle les expériences accumulées au cours de toute une vie. De nombreux modèles ont été élaborés dans cet ordre d'idées. Encore une fois, c'est un modèle britannique qui expose très clairement comment les conditions de vie adverses engendrent des problèmes de santé.

On connaît également les effets du stress. Le fait d'avoir été psychologue dans une vie antérieure me donne entre autres l'avantage de posséder des connaissances considérables au sujet des réactions au stress et du fonctionnement du cerveau. On a découvert depuis longtemps les mécanismes qui font que les conditions de vie adverses atteignent l'intégrité des gens et causent des maladies et des problèmes de santé.

L'approche néomatérialiste est intéressante parce que ses tenants soutiennent que les gens tombent malades à cause des conditions de vie adverses auxquelles ils peuvent être confrontés, mais il semble que dans certains pays et territoires, les gouvernements atténuent ces conditions adverses ou ne les laissent tout simplement pas exister. La Suède est un exemple de pays où on compte très peu de gens à faible revenu. Toutefois, on note des investissements considérables dans tous les aspects de la vie des gens, que ce soit l'éducation de la petite enfance, la formation professionnelle suite à un licenciement et des droits de scolarités peu élevés ou inexistants pour les étudiants qui fréquentent l'université. Selon l'approche néomatérialiste, il faut prendre en compte non seulement l'incidence du revenu sur les personnes au bas de la hiérarchie sociale, autrement dit en situation de pauvreté, mais également la quantité d'infrastructures communautaires dans lesquelles les gouvernements investissent et qui, comme on le sait, appuient la santé individuelle et celle de la population en général.

John Lynch est l'une des personnes qui vient de s'installer au Canada. Il travaille à l'Université McGill.

Ce tableau qui vient de l'enquête sur la santé en Ontario illustre un point clé. Quand on demande aux gens si leur santé est faible ou mauvaise, on constate que si l'absence d'activité physique régulière double le risque de problèmes de santé et que le tabagisme l'augmente de 38 p. 100, c'est le faible revenu qui ressort constamment comme le facteur ayant la plus grande incidence sur la santé. Le risque de problèmes de santé est quatre fois supérieur pour les gens dont le revenu se situe dans le tiers inférieur de l'échelle que pour ceux dont le revenu se situe dans le tiers supérieur.

De même, si on veut jeter un coup d'oeil à un indice très concret de la santé, quelque chose qui est vraiment réaliste — l'indice de l'état de santé pose toute une série de questions, entre autres sur la douleur et la capacité de monter un escalier — le premier conseil pour être en meilleure santé est de ne pas vieillir parce que c'est le plus grand facteur de risque lié aux problèmes de santé. À défaut de ne rien pouvoir contre ce processus d'ailleurs inéluctable, le conseil suivant est de ne pas être pauvre. Dans un modèle statistique à variantes multiples, le faible revenu d'une personne est de loin le meilleur prédicteur de la santé, notamment par rapport à l'activité physique régulière et au tabagisme. Le revenu est un déterminant incroyablement important.

Certains exemples incluent la santé fonctionnelle, à partir de l'étude longitudinale nationale sur les enfants. Cette étude sur une réalité concrète peut même susciter un vif intérêt chez les médecins. La vue, l'ouïe, la parole, la mobilité et la dextérité sont des indicateurs réels de la santé. On constate que les enfants pauvres sont considérablement plus à risque d'avoir des problèmes à ces égards que les autres enfants canadiens. Il va sans dire qu'il y a un gradient dans cette réalité, le plus on descend dans l'échelle du revenu, le plus les problèmes de santé augmentent. On constate souvent que les gens au bas du gradient présentent une accumulation nettement supérieure de désavantages et de problèmes de santé.

Voici un exemple de crises cardiaques. On peut voir que les gens qui se situent dans la tranche de 20 p. 100 inférieure des quartiers à faible revenu sont non seulement presque trois fois plus à risque d'avoir une crise cardiaque que ceux de la tranche supérieure mais aussi que les gens qui se situent dans la tranche suivante des mêmes quartiers.

Diverses études révèlent que quand on prend en compte la probabilité que les gens au bas de l'échelle fument, consomment de l'alcool et ont un excédent de poids et qu'on fait un ajustement statistique en fonction de ces facteurs — comme l'a montré Michael Marmot en 1980 — les risques associés à la classe, à l'occupation et au revenu demeurent en grande partie présents. Par conséquent, si les gens des quartiers les plus pauvres au Canada se retrouvaient soudainement minces, n'avaient jamais fumé ni consommé de l'alcool, ils mourraient quand même à un rythme considérablement plus rapide que les autres Canadiens.

Ce sont les données que nous avons utilisées pour recevoir une subvention. Lorsque je suis venu ici au milieu des années 1970, je me suis dit que je n'étais plus à New York. C'était en partie dû au fait que quel que soit le quartier de résidence, le taux de mortalité chez les diabétiques était assez similaire; les conditions se sont améliorées jusqu'au milieu des années 1980 environ. Maintenant, il y a une explosion de décès attribuables au diabète de type 2 dans les quartiers à faible revenu.

Nous menons actuellement une étude sur ce facteur. Nous nous demandons entre autres s'il faut préciser chaque déterminant social. Dans la plupart des cas, tout cela se rejoint. Très peu de gens qui vivent dans de grandes maisons fréquentent les banques alimentaires; très peu de gens riches ont un emploi vraiment inintéressant. Tout cela se rejoint sur tout le gradient.

Qu'est-ce que les politiques publiques? Je présente un exemple relevé à Toronto depuis 1981. Si on regarde en haut du tableau, les zones colorées correspondent aux quartiers où on a dénombré un nombre considérable de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté. On peut voir que de 1981 à 2001, le revenu des Torontois a subi une profonde détérioration. C'est également le cas dans bon nombre d'autres villes. Ce n'est pas de bon augure. Encore une fois, je soutiens que cette situation ne tombe pas du ciel mais qu'elle est le résultat des politiques publiques.

En termes de revenu, les dix dernières années ont été très bonnes pour certains Canadiens. Dans le cas de nos concitoyens qui se situent dans la tranche de 20 p. 100 supérieure de la population, le revenu — c'est-à-dire le revenu total — a augmenté, passant de 119 000 $ à 142 000 $. Dans le cas des Canadiens que nous savons le plus à risque, plus particulièrement en ce qui concerne les maladies et les problèmes de santé, le revenu a virtuellement stagné, passant de 12 400 $ en dollars constants à 12 900 $. Ces données viennent de la Fédération canadienne des municipalités et les lignes descendantes illustrent l'écart entre le coût des logements bon marché dans les villes canadiennes et l'argent dont disposent les Canadiens à faible revenu. Ces données disent essentiellement que, à Winnipeg, le faible revenu a augmenté en fonction de la hausse des loyers dans les quartiers pauvres. Comme on peut le voir, il y a un écart de 60 p. 100 à Toronto et dans les alentours immédiats des régions de York et de Peel. Par conséquent, les locataires qui éprouvaient déjà des difficultés en 1991 ont ni plus ni moins vu leur loyer augmenter alors que leur revenu n'a pas suivi le mouvement.

Quelle est la réponse? En 1998, au terme d'une enquête indépendante, les Britanniques ont conclu qu'à défaut d'une réaffectation des ressources pour favoriser les moins bien nantis, les interventions axées sur les influences en aval ne donneraient que peu de résultats au chapitre de la santé et des autres inégalités. Encore une fois, d'un point de vue de politique publique, il y a une similitude remarquable entre les objectifs du Conseil national du bien-être social, les priorités politiques des banques alimentaires canadiennes et la Campagne 2000 puisque tous ces organismes visent à offrir davantage de ressources aux éléments les plus vulnérables de la société.

Du même coup, cela a une incidence sur la classe moyenne. Lorsqu'on améliore les avantages sociaux des moins bien nantis, cela aide l'ensemble des Canadiens de la classe moyenne qui à l'heure actuelle ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi, par exemple.

Quels sont certains des obstacles à la prise de mesures? L'épidémiologie comme facteur de risque en est un. Cela vient du jargon inquiétant du New England Journal. L'idée c'est que chaque jour on obtient un nouveau résultat; c'est presque comme si les résultats étaient complètement arbitraires. C'est un peu comme si une journée vous vouliez dormir plus de 8 heures et qu'un autre jour, vous voudriez dormir moins. Le même jour, le Toronto Star a présenté les deux théories. Ainsi, à la page 4, on a pu lire que le fait de dormir plus de 8 heures par jour constitue un facteur de risque et, à la page 14, on a appris que selon une autre étude, il faut dormir moins de 8 heures par jour. Par conséquent, on en arrive à la conclusion qu'il faut absolument dormir 8 heures par jour. Cela est étroitement lié à la façon d'appliquer l'épidémiologie comme facteur de risque.

On ne veut ni que les gens soient gros, ni qu'ils consomment de l'alcool. Cependant, les Canadiens, à l'instar des Américains, ne comprennent pas que les conditions de vie constituent les principaux déterminants de la santé. Dans ce cas en particulier, tiré du magazine The New Yorker, on nous parle d'un homme de 30 ans qui commence le muffin au son de 25 000 livres qu'il devra manger pendant plus de 40 ans pour réduire de façon substantielle son risque de décéder à cause d'un niveau de cholestérol trop élevé. On accorde une telle attention au style de vie que les grandes questions sont complètement évacuées des politiques publiques.

Il ne faut pas oublier la politique. Quand j'ai regardé la composition du comité, j'ai vu qu'il y avait des libéraux et des conservateurs et je me suis rappelé que vous êtes nommés au Sénat par le premier ministre au pouvoir. Il ne faut pas oublier la politique. Voici environ six suggestions en matière de politique faites par Campagne 2000 pour réduire la pauvreté infantile. Lors de la dernière campagne électorale fédérale, le Parti conservateur du Canada s'est opposé à toutes ces suggestions, le NPD y était favorable, le Bloc québécois en appuyait la majorité et, bien sûr, les libéraux étaient d'accord avec certaines mais pas avec d'autres. Or, cette question est indéniablement politique. En fait, l'amélioration des conditions de vie dépend des choix politiques du gouvernement.

Dans un récent rapport, le Conference Board du Canada range le Canada parmi les 12 pays qui se classent en tête de file à l'égard d'une variété de facteurs dont la santé, les déterminants de la santé, l'éducation et les compétences. Les auteurs du rapport attirent l'attention sur les pays scandinaves, les démocraties sociales, desquelles nous sommes portés à attendre de meilleurs résultats en ce qui concerne les déterminants de la santé et la santé, comme c'est le cas de la plupart d'entre eux, dont l'économie est actuellement plus dynamique que celle du Canada. Quand le Conference Board du Canada commence à exprimer de sérieuses inquiétudes à l'égard de questions comme la pauvreté et la formation professionnelle, on sait alors qu'il y a un problème. J'ai rédigé mon ouvrage. Il a été très bien reçu. C'est fantastique que maintenant, par l'entremise du Sénat, le gouvernement du Canada commence à se pencher sur ces questions.

Ronald Labonté, chaire de recherche du Canada sur la mondialisation contemporaine et l'égalité en matière de santé, Institut de recherche sur la santé des populations : À l'instar des deux collègues qui m'ont précédé, je remercie le comité de m'avoir invité à témoigner et je souligne l'importance du travail qu'il fait. M. Raphael a dit que la question qui nous préoccupe n'est pas nouvelle. Je m'entretenais avec le sénateur Eggleton juste avant le début de la séance et je lui ai rappelé les années 1980. À l'époque, il était maire de Toronto et j'étais consultant en santé communautaire au ministère de la Santé publique. Nous nous employions à certains égards à contrer les effets de certains des changements que M. Raphael a si éloquemment illustrés en parlant de l'augmentation de la pauvreté dans les villes.

Le problème n'est pas nouveau, mais nous devons constamment nous rappeler de son importance parce qu'il est lié aux choix politiques que les citoyens d'un pays ou la communauté internationale décident de faire concernant l'avenir. Ces choix ne seront pas invariablement bénéfiques pour tous dans le sens classique; ils tiendront compte de la nécessité de redistribuer ou de partager les ressources dont nous disposons. Voilà ce que nous disent les preuves accumulées depuis 2 000 ans sur les déterminants de la santé et du bien-être des populations.

Je me sens un peu comme si vous aviez déjà mangé. Vous devez digérer énormément d'information et j'espère que vous n'en ferez pas une indigestion. Vous êtes sur le point de recevoir encore un peu d'information. Je me sens un peu comme Monty Python. Maintenant, vous êtes sur le point d'entendre quelque chose de complètement différent; j'imagine que vous ne vous attendiez pas à ce qu'on présente la mondialisation comme déterminant de la santé. Je me penche sur cette question depuis dix ans. Comme j'ai décidé que j'avais besoin d'un centre d'intérêt dans la vie, je n'étudie pas les extraterrestres, mais c'est à peu la seule exception.

Mon intervention fait également suite à celle de Mme Bégin parce que j'ai collaboré avec le groupe de référence canadien de la Commission des déterminants sociaux de la santé de l'OMS et que je préside le réseau de connaissances sur la mondialisation. En consultation, nous avons décidé que je devrais parler un peu de la mondialisation comme déterminant de la santé. La décharge de responsabilité habituelle que vous pouvez lire indique que je prends tout le crédit de ce que vous allez accepter et que je me dégage de toute responsabilité à l'égard de ce que vous trouverez choquant ou de ce que vous n'accepterez pas.

Je crois que Mme Bégin a peut-être mentionné lors de son intervention que pour ce qui est des travaux de la commission, les réseaux de connaissance viennent de terminer la synthèse des données. Je pense que votre comité y trouvera une incroyable source d'information. Par ailleurs, le travail du comité est extrêmement important pour créer une grande pression mondiale afin que l'OMS concrétise le projet sous une forme multilatérale. Il pourrait vraiment y avoir une sorte de synergie et je vous invite à favoriser cela autant que possible.

Bon nombre de réseaux de connaissances distincts existent maintenant. C'est ainsi que l'OMS a décidé de délimiter le secteur pour lequel il fallait élargir les connaissances. Je me pencherai sur certaines questions liées à la mondialisation. Le message à retenir de cette diapositive assez compliquée, que je ne présenterai d'ailleurs pas, se résume assez simplement à ceci : Pourquoi les Canadiens doivent-ils considérer la mondialisation comme un déterminant de la santé? Pour une série de raisons d'intérêt personnel, notamment la menace de nouvelles maladies résistant aux médicaments, le risque que le déclin de la santé et de l'économie dans certains pays ne déclenche des conflits régionaux qui auront des répercussions ailleurs. La croissance économique mondiale doit avoir des limites dans la mesure où on envisage son incidence éventuelle sur le changement climatique.

En outre, sur le plan canadien, nous avons un rôle à jouer dans ce qu'on qualifie parfois de course vers le bas qui se caractérise par une baisse des normes et des salaires, par une érosion de la protection et de la sécurité de la main-d'œuvre et, situation qui est bien documentée, par une réduction de la participation de la main-d'œuvre au revenu généré par le capital. Cette situation a une incidence sur bon nombre de travailleurs canadiens. Nous en avons quelques exemples notamment dans le secteur de la fabrication résiduelle dans les pays à haut revenu, c'est-à-dire les pays de l'OCDE dont le Canada fait partie, où on trouve désormais moins de sécurité d'emploi, un rythme de travail accéléré, des heures de travail plus longues, moins d'autonomie, une augmentation du stress psychosocial, plus de travail à temps partiel et de régimes de travail souples, tout cela pour donner davantage de souplesse au marché du travail afin de soutenir la concurrence mondiale. Un grand nombre de documents indiquent que cette situation est peut-être bonne pour l'économie mondiale ou pour le PIB, mais qu'elle est très mauvaise pour les travailleurs concernés. Elle entraîne énormément de conséquences néfastes pour la santé. Raison de plus pour que les Canadiens se préoccupent de la mondialisation et s'interrogent sur la façon dont les règles actuelles de l'intégration au marché menacent la santé des Canadiens.

J'aimerais en dire davantage parce que nous avons un réseau de recherche dont M. Raphael fait partie. Nous examinerons la question de façon nettement plus approfondie au Canada au cours des cinq prochaines années; nous poserons une série de questions pour connaître l'incidence des changements liées à la mondialisation sur certaines conditions dans les quartiers à faible revenu de Toronto et dans nombre d'autres régions métropolitaines. D'ici environ un an, nous devrions avoir fait une synthèse préliminaire de la documentation qui, combinée au travail du réseau de connaissances de la commission, vous fournira des données sur les recherches émergentes concernant la réalité canadienne.

Si à lui seul l'argument de l'intérêt personnel n'a pas suffisamment de poids, celui des engagements politiques et des obligations juridiques devrait en avoir davantage. Pour ce qui est des engagements politiques, le Canada s'est engagé à atteindre les objectifs de développement du millénaire. Si vous ne connaissez pas ces objectifs, je peux facilement vous faire parvenir de la documentation sur le sujet. Nous nous sommes engagés à faire en sorte que le monde soit meilleur pour tous.

Dans le cadre du G8, le Canada a pris divers engagements pour faire en sorte que la mondialisation serve les moins bien nantis. Le Canada a promis depuis longtemps déjà d'atteindre l'objectif d'aide au développement fixé à 0,7 p. 100 du revenu national brut, ou RNB, mais jusqu'ici, il n'y est pas arrivé. Cependant, le Canada a également des obligations juridiques en vertu de divers traités sur les droits de la personne et sur le droit à la santé. Or, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la santé indique que nombre des accords mondiaux auxquels le Canada est partie ou qu'il négocie risquent d'être contraires aux obligations du Canada au titre du droit à la santé. Il y a non seulement une raison normative mais aussi une raison juridique de tenir compte de la mondialisation comme déterminant de la santé.

Je signale que l'objectif de 0,7 p. 100 du RNB en matière d'aide au développement fait suite à une évaluation qui remonte à 2005. Je ne suis pas certain qu'elle tienne toujours dans les derniers budgets, mais elle indique qu'il faudrait peu en termes de recettes fédérales pour atteindre la cible comparativement aux réductions d'impôt annoncées dans les budgets précédents.

Comme bien des éléments liés aux déterminants sociaux de la santé, la question n'est pas de savoir si on possède les ressources, mais plutôt de savoir si on s'est assuré de la mobilisation politique nécessaire ou si on va le faire ou encore si on souhaite utiliser les ressources de façon différente. Voilà la question fondamentale qui revient constamment à la surface lorsqu'on aborde les déterminants de la santé.

Quant à la mondialisation, on peut la définir entre autres comme diverses formes d'intégration, de connaissances et de prises de conscience. Si on l'aborde du point de vue de notre réseau de connaissances et des recherches que j'ai faites, je souligne qu'elle comporte énormément d'aspects positifs notamment en ce qui concerne la diffusion des technologies dans le domaine de la santé et les droits à l'égalité entre les sexes. La mondialisation présente de nombreux éléments positifs. Toutefois, elle présente également nombre éléments assez négatifs.

Si vous vous adressez aux gens chargés de négocier les accords commerciaux internationaux pour le Canada ou aux employés des ministères des Finances, vous constaterez probablement qu'ils acceptent l'argument dominant selon lequel les pays qui adoptent le libéralisme économique dans le cadre de la mondialisation voient leur croissance augmenter et, de ce fait, leur richesse s'accroître, leur pauvreté diminuer et leur situation sanitaire s'améliorer. À son tour, la santé de la population favorise la croissance. On qualifie ce processus de cercle vertueux ou de courant qui fait avancer tous les navires. Bien que ce soit un argument très convaincant, le problème ici c'est qu'en pratique, il a été remis en question. Il comporte des failles dans chacun des rapports et de nombreuses raisons nous portent à nous interroger sérieusement sur cet argument dominant.

J'ai mentionné la propagation de maladies résistantes aux médicaments. Je crois que M. Raphael et le Dr Millar ont tous les deux parlé de la culture obésogène qui se propage maintenant au monde entier. Quand des pays relativement pauvres baissent leurs barrières tarifaires, ils accusent un manque à gagner en termes de recettes à investir dans d'autres types de dépenses sociales — cette situation est également bien documentée. Certains pays prospèrent, d'autres non. Ceux qui connaissent la prospérité grâce à leur intégration à la mondialisation au cours des deux dernières décennies l'ont fait précisément en ne suivant pas les règles figurant sur la dernière diapositive. Ils l'ont fait en empruntant une méthode différente. La réduction de la pauvreté n'est pas automatique et les inégalités augmentent.

M. Raphael a mentionné que le revenu est important. Je rappelle que Nelson Rockefeller a déjà déclaré que l'argent n'est pas tout. Il a dit qu'il le savait justement parce qu'en plus de l'argent, il avait tout. Or, ce « tout » correspond à la richesse qui souvent ne s'obtient pas grâce au revenu; il correspond également à la situation et aux privilèges associés à une position sociale particulière. À maints égards, le revenu est nécessaire pour des raisons matérielles mais également pour des raisons psychologiques car il représente aussi un véritable outil de pouvoir, notamment dans les rapports de pouvoir.

Utilisant un instrument erroné pour mesurer le revenu, soit l'étalon de 1 $ par jour de la Banque mondiale — je ne dirai pas pourquoi il est erroné, mais il l'est sérieusement et surévalue grossièrement l'étendue réelle de la pauvreté —, nous pouvons voir qu'il y a eu une légère baisse pendant cette période d'intégration économique depuis les années 1980, même si la hausse se poursuit en Afrique subsaharienne. Nous pouvons aussi voir qu'il y a eu une augmentation presque généralisée de la pauvreté selon l'étalon de 2 $ par jour, ce qui signifie que si une vague a provoqué une hausse du revenu, elle n'était pas très puissante. Comme nous le savons d'après d'autres analyses, une répartition plutôt inégale de la richesse s'est produite dans le monde ces 20 dernières années, et le Canada n'a pas été épargné. C'est une étude qui s'est penchée sur les changements — et qui rejoint en partie ce que M. Raphael disait plus tôt — concernant ceux qui ont le plus bénéficié de ces décennies de création de richesses sans précédent. Ce n'est pas le Canadien moyen. Ce n'est pas non plus le citoyen du monde moyen. Bob Evans aime parler de ce phénomène comme de la revanche des riches et de la façon dont une kleptocratie, ou petit groupe de personnes à l'échelle de la planète, s'est approprié la plus grande partie des gains économiques réalisés au cours des 20 dernières années.

En passant, le Centre canadien de politiques alternatives publiera demain une mise à jour de cette étude. J'ai entendu dire par ses auteurs que cette nouvelle version présentera des données encore plus inquiétantes au sujet des questions d'équité économique au Canada. Je vous encourage à la lire.

Pourquoi sont-elles importantes? Pour de nombreuses raisons. À l'échelle mondiale, à mesure que les inégalités augmentent, on constate des mouvements migratoires, autant de personnes désespérées à titre de réfugiés que de personnes qualifiées cherchant de meilleures occasions dans des pays plus fortunés et drainant, dans les faits, leurs pays respectifs du capital humain nécessaire à la croissance ou au développement intérieur. Dans un pays, plus les inégalités sont prononcées, plus il faut une croissance importante pour réduire la pauvreté résiduelle. À cela vient s'ajouter une détérioration de la cohésion sociale et, encore plus important, un déclin de la solidarité — ce que, en sociologie, nous appellerions la solidarité interclasses, où on reconnaît que nous sommes tous dans le même bateau, et qu'il faut donc tous contribuer à une certaine mise en commun des risques pour obtenir le genre de services que nous aimerions avoir quand nous en avons besoin. C'est le principe qui sous-tendait le régime d'assurance-maladie et bon nombre de nos programmes sociaux qui se sont considérablement érodés au Canada ces 20 dernières années.

Je vais passer cette diapositive. Le message à retenir est que, même sur le plan mondial, il existe une notion voulant que la croissance économique soit la façon de réduire la pauvreté et de faire du monde un lieu où il fait mieux vivre. Cette croissance est maintenant de plus en plus inefficace sur ce point. Il faudrait une croissance mondiale soutenue d'au moins 20 p. 100 par année pour en arriver au même niveau de réduction de la pauvreté que le simple fait de taxer de 1 p. 100 de plus la richesse des 20 p. 100 les plus riches pour la redistribuer aux 20 p. 100 les plus pauvres. Une redistribution minime est beaucoup plus efficace pour réduire la pauvreté qu'une croissance de 20 p. 100 par année. De toute façon, une telle croissance dans notre économie fondée sur les émissions de carbone nous ferait tous cuire. Nous le savons. Nous ne sommes plus confrontés à un problème empirique ou même éthique, autant à l'échelle mondiale que nationale, concernant l'allocation des maigres ressources dont nous disposons.

Afin d'en arriver à certains des points clés, je vais tenter de résumer le tout en disant que, jusque dans les années 1980, notre planète a connu une convergence des richesses et des revenus. Partout dans le monde, les écarts en matière de revenus et de santé s'amenuisaient. Ces écarts ont recommencé à s'accroître dans les années 1980, puis se sont amplifiés de façon dramatique à l'échelle planétaire dans les années 1990. Un des facteurs ayant contribué à cette situation a été le début de la mondialisation et des programmes de rajustement structurels, créés pour lutter contre la crise de l'endettement et permettre aux gouvernements les plus pauvres — c'est-à-dire les gouvernements endettés et pauvres — de rembourser leurs dettes. C'est le début de l'orthodoxie du modèle économique qui est maintenant remis en question multilatéralement.

Je vais vous donner un exemple de pays pauvre : la Zambie. Pour obtenir un prêt de la Banque mondiale et du FMI pour rembourser les intérêts courus sur des emprunts précédents, la Zambie a dû, au début des années 1990, ouvrir ses frontières aux textiles, y compris aux vêtements usagés, dont une grande quantité provenait de dons de pays comme le Canada. Ces vêtements ont envahi le marché et, comme aucun coût de production ne leur était associé, les industries textiles naissantes de la Zambie ont toutes fermé leurs portes en l'espace de huit ans. Tous les travailleurs ont perdu leur emploi. Ce phénomène a balayé toute la main-d'œuvre manufacturière. Par la même occasion, des travailleurs ayant perdu leur emploi sont passés au travail au noir, non imposé. Le pays a dû privatiser des sociétés d'État, instaurer des frais d'utilisation, et réduire le personnel dans le domaine de la santé ainsi que les salaires des travailleurs restants. Voilà des aspects de la mondialisation, qui se sont produits au moment où la pandémie du sida en Zambie devenait incontrôlable.

Sur une plus vaste échelle, on constate qu'en Afrique l'imposition de toutes ces politiques économiques globales ont coïncidé avec l'apparition du sida, la hausse des taux de mortalité et la baisse des taux d'espérance de vie. Les preuves à ce sujet sont assez éloquentes. Il faut porter attention à cela au Canada.

Je ne m'attarderai pas longtemps sur ces diapositives. Celle-ci est intéressante seulement parce que nous nous croyons souvent très généreux dans nos relations avec les pays plus pauvres. Un changement énorme s'est produit dans les années 1990. Auparavant, les pays en développement recevaient un peu plus d'argent de notre part que nous d'eux, mais en 2005 nous recevions 560 millions de dollars de plus par année de ces pays que ce qu'ils recevaient de nous. Il s'agit là d'une redistribution énorme, mal comprise et parfaitement scandaleuse de la richesse des pauvres aux riches à l'échelle planétaire. Cela reflète ce que nous constatons au Canada depuis quelques années au sujet de qui fait des gains et qui n'en fait pas. C'est là l'essentiel de la question dont ce comité sénatorial devra débattre, soit qu'est-ce qui stimule et qu'est-ce qui amortit ces inégalités.

Je vais passer les prochaines diapositives et dire que dans notre réseau de connaissance, nous avons un cadre analytique simple concernant la façon dont nous entreprenons notre approche visant la compréhension de la mondialisation. Il y a un cadre très compliqué, que vous avez. C'est avec plaisir que je reviendrai parler de nos résultats lorsque nous les aurons, mais dans un cadre simple de compréhension de la mondialisation et d'autres formes au Canada, la façon dont les déterminants sociaux de la santé deviennent des inégalités en matière de santé débute par la stratification des gens. Il se forme une stratification économique, selon la classe et le sexe. Dans le cas de la Zambie, en provoquant l'ouverture des frontières, la mondialisation a provoqué la stratification de travailleurs jusqu'alors salariés et les a transformés en travailleurs itinérants moins bien rémunérés, ce qui les a poussés dans une strate sociale différente.

Il y a également augmentation ou modification de l'exposition. Pour revenir à la Zambie, il y a soudainement eu un éclatement des familles, les hommes employés dans des usines de textiles rurales étant forcés de déménager en ville pour vendre de vieux vêtements donnés. Cela a dès lors augmenté le risque qu'ils se prostituent, ce qui a entraîné une hausse de la propagation du sida.

Il y avait une vulnérabilité différentielle : les femmes dont les maris étaient absents ou peut-être morts en raison du début de l'épidémie. Il n'y avait plus de services publics. Des frais d'utilisation ont été instaurés; elles ont dû payer pour envoyer leurs enfants à l'école; les prix ont augmenté; elles devaient contempler la possibilité de devoir se prostituer pour survivre. Comme elles ne pouvaient plus s'offrir des soins de santé, les résultats pour la santé ont changé. On peut commencer à établir comment les déterminants de la santé deviennent des inégalités en matière de santé en suivant ces différents processus sociaux.

Voici une liste de nos documents. Vous pourrez l'examiner à loisir. En conclusion, je voulais souligner que les politiques gouvernementales restent importantes, non seulement pour ce que le Canada peut faire au sujet de la mondialisation, mais aussi pour ce qu'il peut faire à l'échelle nationale.

Voici des tableaux qui vous seront peut-être familiers, car ils proviennent de l'Initiative sur la santé de la population canadienne. Ils illustrent les inégalités du revenu marchand et des post-transferts fiscaux. Le Canada fait piètre figure à ce chapitre. Ses résultats sont meilleurs que ceux de certains pays, mais très inférieurs à beaucoup d'autres. Prenons par exemple les aînés. Les programmes canadiens ont obtenu d'excellents résultats dans la réduction des inégalités du marché et des niveaux de pauvreté en ce qui les concerne. Toutefois, comme le Dr Millar l'a souligné, nos résultats sont bien moins reluisants en ce qui concerne les enfants. La Suède obtient d'excellents résultats à ce chapitre, car ce pays soumet chacune de ses politiques à une analyse fondée sur les droits de la personne afin de vérifier si elles respectent les obligations en la matière. Le Canada ne fait pas cela.

Je ne vais pas m'attarder aux incidences globales pour le Canada parce qu'il s'agit là d'un tout autre sujet, mais je vais quand même soulever ces questions provocantes afin de lancer notre discussion. La mondialisation réduit-elle l'espace alloué aux politiques et la capacité de tous les pays d'agir afin de réduire les inégalités dans les déterminants sociaux de la santé? Nous avons déjà répondu à cette question dans certains de nos travaux pour le réseau. Oui, des preuves tendent à démontrer que c'est le cas. Notre capacité à gérer les inégalités à l'intérieur de nos frontières est limitée par les règles de l'intégration au marché mondial. Nous devons changer cela.

L'engagement envers l'égalité sur le plan de la santé tant au pays qu'à l'étranger nécessite-t-il une politique fondée sur les droits, la redistribution et la réglementation? Je fais ici quelque peu écho au défi posé par M. Raphael. Je crois que les travaux de ce comité doivent s'élever au-dessus de la partisannerie, mais pas au-dessus de l'éthique ou des politiques.

Le président : J'aimerais vous remercier tous les trois pour vos exposés.

Professeur Labonté, j'espérais que vous présenteriez un tableau illustrant la convergence entre la santé et la richesse jusqu'en 1980, puis leur divergence. Avez-vous un tel tableau?

M. Labonté : Non, mais il serait probablement possible d'en établir un. Ce travail a été réalisé pour nous par Giovanni Cornia, qui a beaucoup travaillé pour l'ONU au fil des ans. Il a réalisé une incroyable analyse de régression multiple qui a révélé qu'au cours des 20 dernières années, contrairement aux 20 années les ayant précédées — l'approche contrefactuelle, comme on dit en modélisation économétrique —, nos politiques en matière de mondialisation ont en fait réduit l'espérance de vie à la naissance de 1,2 an en moyenne dans le monde. Ce résultat a été contrebalancé par des gains en matière de technologie de la santé, mais seulement jusqu'au point où nous avons obtenu un gain moyen global d'environ 0,2 an par rapport à si nous n'avions pas agi comme nous le faisons depuis 20 ans. Je pourrai vous transmettre une partie de ces données au fil des mois, mais nous avons été très occupés à gérer cette information dans le cadre de nos travaux pour l'OMS. D'ici le mois de juin, nous aurons beaucoup plus d'information à partager avec votre comité.

Le président : Merci beaucoup. Nous serons heureux d'en prendre connaissance quand vous serez prêts.

Quelqu'un a-t-il un comparateur direct entre le Canada et la Suède au sujet du rapport santé-richesse?

M. Raphael : Il appert qu'Andrew Jackson organise ce qu'il appelle les « olympiades du développement social. » Le livre que je publierai le mois prochain compare le Canada aux autres pays de l'OCDE en fonction de toute une variété d'indicateurs. On peut généralement conclure que quoi qu'il nous arrive, ou que quoi qu'il puisse nous arriver, il est préférable que ce soit en Suède, qu'il s'agisse d'être mis à pied, de décider d'aller à l'université, d'avoir des enfants ou de contracter une maladie. L'OCDE a rassemblé une variété d'indicateurs dans un rapport intitulé Panorama de la société — Édition 2005. Cet organisme a aussi publié Panorama de la santé. Une quantité impressionnante de renseignements sont disponibles auprès de l'OCDE. Il est même possible d'obtenir des fichiers Excel avec lesquels on peut faire des simulations.

Pour vous donner un exemple, j'ai préparé quelque chose l'autre jour. En ce qui concerne le taux de syndicalisation par rapport au taux de pauvreté chez les enfants, les États-Unis ont un taux de pauvreté de 26 p. 100, un sommet. Treize pour cent des travailleurs y ont une entente collective. Au Canada, le taux de pauvreté est de 15 p. 100, avec un taux de syndicalisation de 31 p. 100. Quant à la Suède, le taux de pauvreté y est d'environ 4 p. 100, alors que le taux de syndicalisation y est de 92 p. 100.

De nombreuses données sur la pauvreté portent non seulement sur la Suède, mais aussi sur plusieurs autres pays, et il se trouve que le Conference Board du Canada a lui aussi produit beaucoup de données.

Le président : Merci. Nous apprécions tout ce que vous avez dans ces lignes qui est relativement simple.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je me concentre beaucoup ces temps-ci sur les garderies et le développement des jeunes enfants. J'ai été heureuse de voir des références à ces sujets qui appuient ma cause et celle de plusieurs autres personnes.

J'ai une formation médicale, et je dois vous poser une question au sujet de la citation du Dr Millar concernant l'« iceberg de la qualité des systèmes de santé » et du fait que le système de santé est la deuxième cause de mortalité. J'ai peut-être mal entendu.

Dr Millar : Non, vous avez bien entendu. Ce chiffre, soit 10 000 décès dans les hôpitaux au Canada, est tiré d'une importante étude publiée dans le Canadian Medical Association Journal.

Le sénateur Trenholme Counsell : Il s'agit bien de 10 000 décès par année?

Dr Millar : Oui. Il s'agit bien de 10 000 décès par année dans les hôpitaux, décès qui auraient pu être prévenus car ils sont liés à des erreurs. Il y a de plus 18 000 autres décès dus à des événements défavorables non liés à des erreurs, ainsi que 20 000 décès estimés dans les collectivités. Ces données sont tirées de publications américaines, qui en sont arrivées à une conclusion similaire. Habituellement, lorsqu'on compare le Canada et les États-Unis, on multiplie les chiffres par 10 et on arrive aux mêmes estimations.

Aux États-Unis, le Journal of the American Medical Association a publié un article soulignant ces chiffres et suggérant que les événements défavorables dans le système de soins de santé sont une cause majeure de décès. Ces événements n'apparaissent pas régulièrement car ils ne font pas partie des causes de décès répertoriées dans la CIM9 ou la CIM10. Il s'agit d'événements associés à une autre cause de décès lorsqu'on rédige le certificat de décès. Il s'agit d'études portant sur des médecins ayant examiné les dossiers de patients décédés et conclu qu'il y avait eu erreur.

Le sénateur Trenholme Counsell : Cela vient donc en deuxième place derrière les maladies cardiovasculaires?

Dr Millar : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ces chiffres sont contestables, dans une certaine mesure. Je ne veux toutefois pas m'éterniser. Prenons le chiffre de 20 000, qui est le plus important illustré ici, concernant les décès dans la communauté dus aux médicaments et non causés par une erreur médicale. Vous voulez sûrement parler du phénomène de la toxicomanie?

Dr Millar : Non. Il s'agit de médicaments sur ordonnance prescrits dans le cadre de soins de première ligne.

Le sénateur Trenholme Counsell : Des tests sur des médicaments menés dans la collectivité?

Dr Millar : Il s'agit d'interactions de médicaments, de réactions indésirables à des médicaments, ce genre de choses.

Le sénateur Trenholme Counsell : Combien de décès par année sont dus au cancer au Canada?

Dr Millar : Un peu moins de 48 000. Je ne me souviens pas du chiffre exact, mais il est facile de l'obtenir.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je dois m'y résoudre. J'ai été assez choquée. Je ne sais pas comment le Dr Keon s'est senti. Ça m'a certainement donné un choc.

Dr Millar : Le message que je tente de faire passer est qu'il ne faut pas oublier que le système de soins de santé est un déterminant de la santé, tant positif que négatif.

Le sénateur Pépin : On ne s'arrête jamais à cela. J'ai été choquée d'entendre que les soins de santé sont responsables de 48 p. 100 des décès.

Dr Millar : Non. Il s'agit de 48 000 décès, pas de 48 p. 100.

Le sénateur Pépin : C'est quand même un chiffre élevé.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ces chiffres sont-ils une extrapolation des données américaines?

Dr Millar : Le premier chiffre de 10 000 décès provient d'une vaste étude canadienne réalisée dans les communautés urbaines du pays.

Le sénateur Trenholme Counsell : En quelle année a-t-elle été complétée?

Dr Millar : Elle a été publiée en 2003 ou en 2004.

Le sénateur Trenholme Counsell : Quant aux deux autres chiffres, s'agit-il d'extrapolations des données américaines, ou ont-ils été obtenus au Canada?

Dr Millar : Il s'agit d'extrapolations des données américaines.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne peux que souhaiter que nous fassions beaucoup mieux que ce que ces chiffres indiquent.

Dr Millar : Malheureusement, les preuves ne vont pas dans ce sens. Ces études ont été réalisées au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Les résultats sont très semblables dans tous ces pays. Le Canada ne semble pas faire meilleure figure.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venu nous parler aujourd'hui. Vous nous avez certainement fourni beaucoup d'information.

Docteur Millar, j'aimerais vous poser quelques questions au sujet de votre exposé. Les chiffres utilisés dans le scénario des revenus et des dépenses proviennent-ils de la Colombie-Britannique?

Dr Millar : En effet.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que 71,3 p. 100 du budget sera consacré à la santé dans 10 ans. Parlez-vous seulement du système de soins de santé, ou des facteurs qui influencent les soins de santé comme le logement?

Dr Millar : Non. Je parle de dépenses directes du ministère de la Santé pour les hôpitaux, les médecins, les médicaments et les soins à la collectivité.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous des chiffres concernant d'autres provinces?

Dr Millar : Le résultat de 42 p. 100 en 2005, qui apparaît à la gauche de ce tableau, est semblable partout au pays. La majorité des provinces consacrent actuellement de 40 à 45 p. 100 de leur budget à la santé.

Le sénateur Callbeck : Savez-vous si d'autres provinces font de telles extrapolations de 10 ans dans le futur?

Dr Millar : Je n'ai pas vu de telles extrapolations de la part d'autres provinces, mais je suppose qu'elles seraient très semblables.

M. Labonté : J'étais en Saskatchewan jusqu'à il y a quelques années. Des extrapolations semblables y avaient été entreprises à l'époque. Certains affirmaient que si on ne procédait pas à une à réforme en profondeur du système de soins de santé, la capacité et la possibilité d'investir dans d'autres déterminants de la santé commenceraient à s'effriter. Les déterminants de la santé constituent un élément important quand il est question des systèmes de soins de santé.

Nous n'avons pas examiné un autre aspect, celui du financement des systèmes de soins de santé comme déterminant de la santé. Partout dans le monde, les dépenses liées aux soins de santé constituent la principale cause de pauvreté. On parle ici de pauvreté induite par la médecine. Dans le monde, il y a davantage de personnes plongées dans la pauvreté en raison de la médecine que de personnes tirées de la pauvreté grâce à la croissance économique. Le Canada n'a pas encore été sérieusement touché par cette tendance, mais les États-Unis en souffrent terriblement.

La nature du financement de nos biens publics, qu'il s'agisse des soins de santé, de l'éducation ou autre, joue un rôle indirect extrêmement important comme déterminant de la santé en termes de dépenses à prévoir et de ce que cela signifie. C'est pourquoi les mesures du revenu en elles-mêmes sont extrêmement importantes, mais ne permettent pas de saisir toute l'incidence des politiques publiques sur les capacités des gens en matière de santé.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais vous poser une autre question au sujet des messages. Vous dites d'abord que le Canada est chef de file mondial dans la compréhension des liens de causalité entre les déterminants de la santé et le bien-être. Puis, vous dites que le Canada a été lent à en arriver à cette compréhension. J'aimerais connaître votre opinion officielle concernant les raisons de cette lenteur.

M. Raphael : Revenons à 1986. La conclusion à laquelle je suis arrivé — et nous pouvons certainement obtenir la réaction d'autres personnes — est que John Myles, qui est économiste à l'Université de Toronto et un homme très intelligent, a dit qu'à la fin des années 1970, le Canada était un État-providence très semblable à la Suède.

Clyde Hertzman, dans un article qui vient de paraître dans Social Science & Medicine, a aussi déclaré que, comparativement aux États-Unis, le Canada avait maintenu son État-providence jusqu'au début des années 1980.

Puis est arrivée la crise de l'endettement. Au Canada, la lutte contre cette crise a surtout pris la forme de compressions dans les dépenses sociales. Pour leur part, les pays européens ont affronté des dettes bien pires de façons très différentes. Je répugne à utiliser du jargon technique, mais c'est la réalité. On a préféré ce que les gens ont appelé le néolibéralisme, soit une emphase sur le marché et les individus plutôt que sur la collectivité.

Je crois qu'un sénateur libéral a écrit un livre intitulé Hard Turn Right. Vous le replacerez peut-être, mais je ne me souviens pas de son nom. Pendant les années 1980 et 1990, le Canada vivait une situation qu'on pourrait appeler retranchement ou retrait. Les spécialistes en santé publique perçoivent maintenant, à moins de vivre dans certaines régions précises — nous pouvons nommer les bonnes, comme celle de Waterloo, de l'intérieur de Peterborough, de Chinook et d'Edmonton —, que le simple fait de parler de ces questions comme de risques contre la santé publique mette tout simplement leur carrière en danger. Cela semble mélodramatique, mais c'est la réalité.

Lorsque des services de santé abordent des sujets comme le logement, la pauvreté et l'utilisation des banques alimentaires, il y a une réalité ou une perception selon laquelle ils sont ensuite sévèrement réprimandés par les gouvernements provinciaux, pour ne pas dire le gouvernement fédéral, qui ne veulent pas en entendre parler.

Les politicologues ont parlé de la façon dont les politiques publiques ont changé ces 15 dernières années. Ce glissement vers le marché et une approche individualisée entre en conflit avec l'approche des déterminants sociaux de la santé. Les deux sont incompatibles. Nous avons constaté un recul du mouvement Villes et villages en santé des années 1970. Des gens comme Perry Kendall en Colombie-Britannique et d'autres médecins dénoncent cela à leurs propres risques car ça ne cadre pas avec l'approche de plus en plus dominante en matière de gouvernance.

Dr Millar : La question est la suivante : qu'est-ce qui sous-tend et se cache derrière cela? Comme plusieurs d'entre vous êtes des politiciens, vous savez que les politiciens ont tendance à suivre l'opinion publique. Les valeurs des Canadiens motivent jusqu'à un certain point les décisions. En retour, je suis certain qu'il s'agit là d'une conséquence de la proximité des États-Unis, qui ont une approche très individualiste des choses.

Je crois toutefois qu'un énorme changement est en train de se produire. J'ai mentionné en passant le Progress Board de la Colombie-Britannique, un groupe de gens d'affaires influents nommés par le premier ministre Campbell. Ce groupe en est venu à remettre en question la façon de croître dans cette province. Il a déclaré devoir réduire la pauvreté. C'est du jamais vu provenant de gens d'affaires.

Vous avez entendu que le Conference Board du Canada attire l'attention sur ce même problème. L'automne dernier, l'Alliance pour la prévention des maladies chroniques au Canada, qui est formée de 600 représentants de la santé publique, a émis un communiqué selon lequel le principal problème auquel il faut s'attaquer pour prévenir les maladies chroniques au Canada est la pauvreté chez les familles et les enfants. Nous constatons un changement dans les valeurs. Il y a donc encore place à l'optimisme.

M. Labonté : Je serai tout d'abord très neutre en affirmant qu'une des raisons pour lesquelles le Canada est si bon dans les analyses et les politiques provient de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et de la division du pouvoir entre les gouvernements fédéral et provinciaux. En essence, cela signifie que le gouvernement fédéral a été dans de nombreux cas un incubateur pour ces idées, tout comme les gouvernements locaux. Les provinces mènent le bal et s'empêtrent dans des disputes fédérales-provinciales qui s'éternisent.

Je me rappelle que Hugh Stretton, un collègue que j'ai connu en Australie alors que j'y étais consultant international, avait fait une prédiction. Il disait qu'en raison de cette étrange division des pouvoirs au Canada, notre pays a de merveilleuses idées mais ne possède pas le type de gouvernement monocaméral qui lui permet de les mettre facilement en œuvre. D'ici 2010, selon lui, le Canada deviendrait le plus grand exportateurs de consultants internationaux. Cela s'est produit alors que j'étais un de ces consultants en Australie, alors ça m'a frappé. Voilà un point.

Je crois que nous connaissons tous le concept du pendule ou du balancier lorsqu'il est question de grandes philosophies ou idées. Nous avons vécu une période de 20 ou 25 ans pendant laquelle il s'est produit une importante réorientation par rapport au genre d'évolution d'après-guerre ou du deuxième âge d'or du capitalisme, comme on l'a appelé, avec la création d'États-providence assez solides qui ont pris diverses formes selon les pays, la moins efficace étant celle de nos voisins du Sud, avec qui nous sommes le plus intégrés sur le plan économique. C'est là un de nos problèmes et la raison pour laquelle nous n'agissons pas en fonction des connaissances que nous créons. Nous vivons une tyrannie géographique en raison de l'endroit où nous sommes situés sur la planète.

Pour toutes sortes de raisons que divers théoriciens et historiens politiques ont élaborées, un changement a commencé à s'opérer dans les années 1970. L'élément déclencheur fut le quadruplement des prix du pétrole et la récession mondiale qui a suivi. C'est aussi à cette époque que des gouvernements plus néoconservateurs ont été élus, comme celui de Reagan aux États-Unis et de Thatcher au Royaume-Uni. Cela a créé un contexte où une série de nouveaux moyens de réaliser des profits ont été élaborés avec la libéralisation des marchés financiers, différents instruments dérivés, la technologie, qui a permis la création de richesses immenses, mais selon des moyens qui ne permettaient plus, que ce soit activement ou par la capacité des gouvernements, de les redistribuer pour le bien public par l'intermédiaire des mécanismes de transfert qui avaient été en place jusque-là. Les gouvernements ont alors tenté par divers moyens et à divers degrés de se surpasser ou de se concurrencer l'un l'autre sur cette lancée. Nous avons été témoins de cela à l'échelle mondiale par l'imposition d'institutions financières internationales aux pays les plus pauvres.

On note maintenant une tendance à s'éloigner de ce discours car, empiriquement, les profits prévus ne se sont pas matérialisés. Bob Evans disait que le gradient des profits d'une hiérarchie paraît toujours mieux du sommet. À moins de se trouver dans cette position plutôt élitiste, les bénéfices supposés de ce modèle ne se sont pas matérialisés, et bon nombre de ses défenseurs de la première heure s'en dissocient maintenant.

On note maintenant une tendance mondiale vers un retour à un besoin de protection sociale, de programmes d'assurance gouvernementale, de meilleurs programmes d'impôt et de transferts. Cette tendance n'est pas encore solidement ancrée dans de nombreux pays pour l'instant, mais cela fait partie du travail que la commission tente d'entreprendre avec les nations, à savoir comment faire progresser cette notion.

Pour conclure, nous ne devrions pas nous méprendre sur l'idée que les pays qui possèdent des niveaux d'imposition assez élevés, des systèmes d'aide sociale bien développés non fondés sur un modèle résiduel — on s'occupe seulement des plus pauvres parmi les pauvres, d'une façon assez mesquine — sont plutôt non concurrentiels sur le plan économique. Certains des pays d'Europe du Nord qui ont les niveaux d'imposition les plus élevés, les taux de pauvreté les plus bas et les meilleurs résultats pour la santé ont aussi les taux de chômage les moins élevés et les indicateurs de production économique les plus élevés. Il n'y a pas de contradiction intrinsèque entre certains des objectifs que nous aimerions voir sur le plan économique, le type de politiques qui amortissent ce que le marché ne peut produire par lui-même, et le genre de questions d'équité qui nous préoccupent et qui sont au cœur des déterminants sociaux de la santé.

Le président : En passant, madame le sénateur Pépin est vice-présidente de ce sous-comité. Elle est une grande politicienne et était infirmière avant d'entrer en politique.

[Français]

Le sénateur Pépin : Je dois avouer que je suis passablement bouleversée par tout ce que vous nous avez dit. J'ai noté bien des choses : que c'est par les choix que le gouvernement fera que notre population sera en santé; qu'il semble y avoir un mouvement dans certains pays pour rétablir les choses; que la mondialisation va évidemment affecter la santé, mais pas dans le sens que je le croyais; et que nos programmes sont érodés au Canada.

Je savais que le Canada n'était pas très haut placé dans le classement, mais après vous avoir écouté tous les trois, je suis passablement bouleversée par tout ce que j'apprends. Mais surtout, je réalise le travail et l'importance de notre comité.

Si j'ai bien compris également, en ce qui concerne la santé et la pauvreté, vous dites que les connaissances des différents gouvernements ne sont pas tout à fait actualisées par rapport à la réalité d'aujourd'hui; ou plutôt que nous le savons, mais ne faisons pas les liens nécessaires.

Quelle est pour nous la façon la plus efficace de vouloir faire quelque chose? On peut écrire un bien beau rapport, mais cela prend quelque chose de pratique. Par où commencer?

[Traduction]

M. Raphael : Parmi les choses que je conseille aux gens lorsque je visite un service de santé, c'est, tout d'abord, de ne pas oublier qu'ils ne sont pas seuls. Il y a un centre national de coordination qui s'occupe des déterminants de la santé. Cela fait partie de l'agence de la santé publique à St. Francis Xavier, et on y étudie la même question.

Pensez au tabac. En premier lieu, il nous a fallu éduquer les gens. Puis, nous avons dû effectuer les analyses et colliger des statistiques. Pour l'essentiel, il nous a fallu modifier les perceptions des gens.

Nous avons réalisé un magnifique sondage téléphonique, dans le cadre duquel nous avons demandé aux gens de nous indiquer à brûle-pourpoint ce qu'étaient pour eux les déterminants importants de la santé. Quatre-vingt-six pour cent des Canadiens ont répondu : le régime alimentaire, l'activité physique et le poids. Il n'y a pas eu de mention digne de ce nom de la pauvreté, même lorsque les gens se sont prononcés à partir d'une liste où on leur demandait l'importance du « revenu » et d'un « emploi » comme déterminant de la santé. C'est crédible, toutefois. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il faut réorienter quelque peu le discours.

Je propose ensuite la chose suivante : déterminez les gens qui sont disposés à vous appuyer. Il y en a beaucoup maintenant. Vous avez notamment posé la question suivante : qui serait en faveur de cette approche? Je vous conseille de jeter un coup d'œil sur mon curriculum vitae et de vous informer des organismes devant lesquels j'ai pris la parole : des associations d'infirmières et infirmiers autorisés, des cliniques d'aide juridique et des services municipaux de l'Ontario. Vous n'êtes pas seuls; je ne suis pas seul.

L'autre élément, c'est que c'est décourageant. Parmi les gens qui sont le plus découragés, il y a des gens comme moi qui sont venus s'installer ici pour s'éloigner de tout cela. Il s'agit donc d'une question d'éducation; il faut analyser les politiques; il faut étudier d'autres exemples et, au fond, se rendre compte que la plupart des gens qui se soucient les uns des autres sont réceptifs à ces idées. Ce qu'il y a, c'est qu'ils n'en entendent pas beaucoup parler. Ils n'en entendent pas parler. Vous savez de quoi ils entendent parler. Cela ne se retrouve pas dans les médias. Un journaliste m'a dit : « Je sais qu'il existe un lien entre la santé et la pauvreté. Si pensez pouvoir en convaincre mon chef de service, bonne chance. »

Beaucoup de forces sont à l'œuvre, mais je pense que, comme on l'a fait valoir, nous assistons à un renversement de tendance. Lorsque j'ai consulté la liste des membres de votre comité, dont certains étaient plus influençables que vous ne l'êtes peut-être maintenant, ces idées étaient largement répandues. Il suffit simplement de leur redonner droit de cité. L'une des diapositives que j'ai porte sur Pierre Trudeau et la Société juste, d'après ses mémoires, et je l'utilise. Ce courant de pensée existe toujours; il a simplement perdu un peu de terrain.

Dr Millar : Vous avez terminé sur la question suivante : où faut-il commencer? Je dirais, recherchez des exemples de succès dans d'autres pays. La Suède est un magnifique exemple. Vous devriez peut-être vous y rendre et vous entretenir avec les responsables. Qu'ont-ils fait? Ils ont fixé environ dix objectifs de première importance. Comme on vient de le dire, ils se sont déjà attaqués à la pauvreté. Ils ont pratiquement éliminé la pauvreté chez les enfants et dans les familles, mais dans leurs objectifs, ils continuent d'insister sur l'importance des enfants, l'importance du développement de la petite enfance et l'importance de l'éducation. Ils étudient l'importance du travail et des conditions d'emploi. Ils étudient l'importance du logement et des collectivités. Ils se penchent également sur les moyens à prendre pour faire reculer davantage le tabagisme; sur les moyens d'accroître l'activité physique; sur les moyens d'améliorer la nutrition, et de réduire la consommation d'alcool et de drogues. Ils ont fixé des objectifs nationaux pour chacun de ces volets.

Nous sommes très près de cette situation, mais la problématique semble s'être quelque peu estompée. Voilà une chose que nous pourrions faire : fixer des objectifs nationaux afin de nous attaquer aux déterminants et aux facteurs de risque. Il faut également déterminer les structures, au sein de l'administration publique, par lesquelles nous allons poursuivre ces objectifs dans tous les champs d'activité des pouvoirs publics. Les Britanniques ont appelé cela un gouvernement groupé; il faut donc se dégager des œillères.

Cela est en train de se faire en Colombie-Britannique en ce moment. C'est un bon exemple. Vous pouvez obtenir du premier ministre Campbell qu'il vienne vous en parler, car tous ses ministres unissent leurs efforts dans le but d'améliorer la santé.

La Suède a ce type de modèle. Le Royaume-Uni l'a. Ici, au Canada, nous avons ces modèles. Voilà pourquoi je suis d'avis qu'il y a beaucoup de choses très concrètes qu'on peut faire pour commencer.

M. Labonté : Encore une fois, c'est la trinité. Je dirais que la première chose, c'est d'être en colère. Rien n'est plus puissant qu'une colère étayée par des faits lorsqu'il s'agit de susciter du changement. Lorsque je tentais de répondre à la question de savoir qui s'intéresserait à ce sujet, je diverge quelque peu d'opinion avec M. Raphael au sujet de la compréhension qu'ont les gens des déterminants de la santé. Si vous demandez aux gens ce qui, dans leur vie, a des incidences sur leur propre santé, ils vont vous donner une réponse touchant les déterminants de la santé. Si vous leur demandez de manière abstraite ce qui fait que les gens sont en santé, ils vont vous donner une réponse stéréotypée, car dans l'abstrait, l'esprit se porte d'abord sur les perceptions dominantes.

Lorsque vous œuvrez avec les collectivités dans le cadre de votre initiative, lorsque vous entendrez les récits personnalisés à propos de ce qui est important du point de vue de la santé dans la vie des gens, vous obtiendrez probablement une riche compréhension des déterminants. Les gens, je pense, vont se mobiliser sur ces enjeux lorsque leurs propres intérêts sont en jeu. Vos propres intérêts sont en jeu si vous avez des enfants et vous n'avez pas accès à des services adéquats de garde d'enfants; si vous vous occupez d'un parent âgé et ne pouvez pas obtenir accès à un logement répondant à ces besoins; si vous tentez de faire de ce qu'il faut dans le domaine de l'éducation, mais ne pouvez vous permettre le coût des études postsecondaires. Voilà le genre d'enjeux sur lesquels les gens vont se mobiliser.

Lorsque nous nous penchons sur la répartition des ressources financières au Canada, comme ailleurs, nous constatons que ce sont les groupes qui possèdent le moins de ressources et le moins de pouvoir qui seront le plus touchés par les choix de politiques publiques que les gouvernements, de tous les ordres, font sur l'affectation des ressources. Comment leurs voix se font-elles entendre? On peut parfois entendre leur voix au moyen de personnes charismatiques qui prennent position publiquement, mais, habituellement, on les entend par l'intermédiaire d'une structure organisationnelle officielle, d'une organisation de la société civile, voix souvent soutenue par des organisations professionnelles, mais la clé réside dans leur propre voix organisée. L'une des difficultés qui se pose chez nous tient au fait qu'en ce moment, les lois canadiennes, pour l'essentiel, répriment la capacité de ces organisations de mener à bien quelque activité de défense de leur cause que ce soit. Une organisation ne peut pas obtenir de financement du gouvernement en ce moment si la notion de «défense d'une cause » fait partie de son mandat. C'est là une façon simple de réduire au silence tous les gens, sauf ceux qui ont besoin d'un gouvernement gouvernemental pour soutenir leurs prises de parole, ce qui s'applique à toutes les personnes qui peuvent s'en tirer sur le marché sans avoir recours au gouvernement pour qu'il atténue, en quelque sorte, les problèmes que crée le marché.

Le comité pourrait décider de s'intéresser aux politiques gouvernementales actuelles qui soutiennent ou entravent la capacité des Canadiens d'exprimer leurs préoccupations quant aux politiques qui ont des incidences sur les déterminants de la santé.

Je vais m'en tenir à cela, en guise de point de départ.

Le sénateur Fairbairn : Merci d'être des nôtres. Vous posez une question : Comment ce secteur de notre société se fait-il entendre? Comment retient-il l'attention? Je vis une journée très intéressante, après la journée intéressante d'hier. L'une des façons par lesquelles il se fait entendre, il me semble, dans cette année donnée, c'est par l'intermédiaire du Sénat du Canada. Je me suis présenté ici aujourd'hui, et je siège au sein du comité depuis un certain temps, et il y a autre chose à laquelle je m'intéresse depuis un certain temps. Je lis vos prises de position ici et je vois l'éducation et le développement de la petite enfance, l'éducation. Sur ce point, il s'agit du développement de la petite enfance et des systèmes de santé.

Je ne fais mention de cela que parce je m'occupe également d'alphabétisation. Il s'agit de commencer à apprendre depuis le tout début. Vous parlez de la Suède et d'autres pays similaires : leur système est différent du nôtre, complètement. Je crois qu'il y a peut-être quatre Suédois dans tout le pays qui ne savent pas lire et le gouvernement tente de les trouver pour les mettre dans le circuit, alors qu'il nous faut mener une lutte de tous les instants ici au Canada pour que ces programmes soient mis en place et acceptés, de manière à ce que nous aidions les gens à surmonter cette période difficile de leur vie.

Si on ne peut y parvenir, au moment où des gens comme vous, où tous nos médecins et toutes nos infirmières, font de leur mieux, nous avons un gros problème, car les gens qu'ils tentent d'aider ont beaucoup de mal à comprendre et à réagir. En ce moment — et le sénateur Callbeck était avec nous —, notre comité de l'agriculture, qui étudie la pauvreté rurale, vient de commencer sa tournée. Nous avons tenu des audiences comme celles-ci pendant une bonne partie de l'année dernière. Nous commençons notre tournée et nous avons fait un séjour dans les provinces de l'Atlantique. Ce que vous lisez dans vos journaux d'aujourd'hui, nous l'avons entendu dit dans d'autres mots, mais nous l'avons entendu partout où nous sommes allés. Si cela n'a pas été plutôt déprimant, c'est le sentiment de plaisir absolu et de ravissement des gens qui se sont présentés à nos audiences, parce qu'il y avait quelqu'un qui, au moins, les écoutait, ou, du moins, tentait de le faire. À tout le moins, nous nous efforcions de faire ce que nous pouvions faire.

S'agissant de cette appellation impressionnante de sous-comité sur la santé des populations, d'après vous, est-il équitable de supposer qu'un des facteurs qui sera et qui devra..., et espérons que nous y arriverons, et il faut que nous y arrivions par l'intermédiaire d'une instance gouvernementale ou d'une autre, mais il faut habiliter notre pays et ses habitants à communiquer, à lire et à comprendre le sens de nos propos? Estimez-vous que la maîtrise de la lecture et de l'écriture, ainsi que le développement de l'éducation, figurent parmi les principaux fondements de votre action et de ce que nous tentons de faire ici?

M. Raphael : L'Institut de recherche en politiques publiques, que j'appelle toujours l'organisme de Hugh Segal, est confronté à un défi sur le plan des politiques. Il tient une conférence dans deux semaines et il a cerné sept défis de première importance. Il a demandé à Clyde Hertzman et à Bob Evans de lui indiquer les trois éléments qui amélioreraient les résultats dans le domaine de la santé. Ils ont mentionné en premier lieu un programme de développement de la petite enfance. Encore une fois, les choses se regroupent.

Il y a une constante dans les rapports de l'OCDE sur les dépenses gouvernementales en matière d'éducation : le Canada est en queue de peloton. Pour ce qui est des dépenses gouvernementales relatives à une politique active dans le domaine de la main-d'œuvre, nous sommes en queue de peloton. Chose certaine, nous avons entendu parler récemment de compressions touchant l'éducation des adultes. Eh! oui, le gouvernement n'arrive même pas à mettre cette fondation en place. Nous sommes confrontés à de réels enjeux. Il y a un petit problème qui se pose. Si tout le monde maîtrise bien la lecture, mais si nous ne changeons pas la structure du travail — en d'autres termes, les gens ont toujours des emplois très mal rémunérés et n'offrant pas de sécurité —, la maîtrise de la lecture et de l'écriture, en elle-même, n'améliorera pas les choses. On aimerait pouvoir se dire que la société va réagir, qu'au fur et à mesure que la maîtrise de la lecture et de l'écriture va progresser, les conditions de travail vont s'améliorer. Je le répète, la maîtrise de la lecture et de l'écriture est absolument essentielle; elle est une fondation. Il se trouve que les pays qui obtiennent de bons résultats dans le domaine de la santé obtiennent également de très bons résultats en matière de lecture et d'écriture. Carl Hertzman fait remarquer que si vous avez décroché de l'école secondaire au Canada, votre enfant va très mal maîtriser la lecture et l'écriture. Toutefois, si vous êtes un décrocheur en Suède, la maîtrise qu'aura votre enfant de la lecture et de l'écriture sera probablement similaire à celle des enfants d'un diplômé universitaire. Les responsables de ce pays écrasent cette courbe de la lecture et de l'écriture, et ils le font en se montrant raisonnables. C'est le côté tellement ahurissant de toute cette question. C'est ce qu'il y a de plus raisonnable au monde. On ne veut pas que trois familles vivent dans un appartement à St. Jamestown. Oui, c'est une fondation absolue.

Dr Millar : Pour ajouter à cela, la réponse à votre question est manifestement affirmative. La lecture et l'écriture, ainsi que le développement de la petite enfance, revêtent une importance cruciale. Toutefois, il faut se garder d'une approche de type remède miracle en ce qui concerne la santé des populations. Nous avons appris, au cours des 10 ou 20 dernières années, qu'en matière de promotion de la santé et de santé des populations, les problèmes complexes appellent des solutions complexes. Vous devez réfléchir à tous ces éléments. L'enfant qui bénéficie d'un bon développement de la petite enfance, mais qui vient d'une famille pauvre, qui n'a pas les moyens de le nourrir, n'apprendra pas une fois arrivé dans le système scolaire, car il a faim. Cela est lié au logement, au travail et à tout le reste. Ce qui compte, c'est qu'il ne faut pas mettre l'accent sur un seul domaine, mais nous connaissons la demi-douzaine de domaines importants sur lesquels le gouvernement devrait mettre l'accent. Alors, le défi qui se pose consiste à mener une action coordonnée dans tous les champs d'activité du gouvernement et dans d'autres secteurs de la société afin d'agir sur ces facteurs.

M. Labonté : Je veux intervenir sur cette question. La tâche de ce comité posera d'énormes défis, car chaque fois que nous parlons d'un déterminant important et d'une éventuelle solution nationale, les travaux que j'ai effectués moi-même ces dix dernières années viennent frapper mon esprit et me disent : « Non, c'est nécessaire, mais c'est loin d'être suffisant. » Le problème auquel nous sommes confrontés, et M. Raphael y a brièvement fait allusion, c'est que nous savons déjà qu'il y a une inflation des titres de compétence. Pour faire le travail qu'ils accomplissaient auparavant avec un diplôme d'études secondaires, ils ont maintenant besoin d'un baccalauréat; pour le travail qu'ils accomplissaient par le passé avec un baccalauréat, ils ont maintenant besoin d'une maîtrise; et là où une maîtrise suffisait, on exige maintenant un doctorat. Les étudiants doivent maintenant mener à terme non pas un, mais deux ou trois cycles d'études postdoctorales avant de pouvoir intégrer le marché du travail. Notre demande de main-d'œuvre est insuffisante. Nous avons un excédent énorme, écrasant, de main-d'œuvre à l'échelle locale à tous les niveaux de compétence, des emplois les moins qualifiés aux plus qualifiés. Dans l'Union européenne, des travailleurs très qualifiés acceptent maintenant d'énormes concessions en Allemagne, parce qu'en raison de la consolidation de l'UE, les entreprises disent : « Nous allons déménager en Hongrie. Ce pays compte déjà de nombreux titulaires de doctorat. Ils vont nous coûter la moitié du prix. » Nous allons être confrontés à ce problème dans les cas de la Chine et de l'Inde. Même dans le cas de la main-d'œuvre très qualifiée, si nous étudions la situation du point de vue des retombées économiques ou des retombées qui reviennent à l'éducation, par le passé, l'éducation ouvrait la porte à un meilleur emploi, un meilleur revenu, à de meilleurs déterminants de la santé. Il n'en sera pas de même à l'avenir, du moins pas dans la même mesure que par le passé.

Il nous faut réécrire les contrats sociaux dont nous observons l'érosion depuis 25 ans. Ils n'auront pas le même aspect qu'avant, mais il faut qu'ils aient le même effet, essentiellement un effet de médiation et d'atténuation des inégalités qui sont une conséquence intrinsèque des marchés, inégalités qui, de l'avis même des économistes, vont inévitablement surgir. Il ne s'agit pas seulement des inégalités sociales, mais aussi des facteurs externes d'ordre environnemental. Nous devons réécrite nos contrats sociaux en tenant compte de ces résultantes. Nous ne pouvons pas le faire simplement au sein du Canada. Le Canada doit le faire à l'échelle mondiale. Nous pourrions mener la meilleure action à l'échelle locale, mais c'est un peu comme le cas des villes qui ont d'excellents programmes et la province, tout simplement, efface 20 ans de progrès dans les villes; ou encore, les provinces font beaucoup de bonnes choses, et le gouvernement fédéral s'en mêle. Je ne sais pas, mais j'ai un peu de difficulté à comprendre la Loi sur l'Amérique du Nord britannique. Toutefois, à l'échelle mondiale, nous savons que le Canada pourrait tisser des relations internationales qui saperaient ses capacités sur le plan interne.

Nous avons besoin d'un nouveau contrat social national et mondial. On reconnaît de plus en plus que c'est ce dont nous avons besoin pour survivre. C'est ce que nous devons faire. Ce qu'il contiendra et comment nous y parviendrons, je n'en suis pas sûr. Il y a beaucoup de débats, mais cela, pour moi, est la partie la plus exaltante des travaux des comités. Lorsque Monique et moi avons commencé à parler de ce comité et de ce qui résulterait pour nous de notre dialogue avec la Commission sur les déterminants sociaux de la santé, de ce sur quoi nous nous sommes entendus et de ce que j'ai dit, sans ambages, c'est qu'au bout du compte, nous avons des gens au Canada qui parlement sérieusement, passionnément et honnêtement de l'importance de l'équité dans notre pays, sans craindre que des tabloïdes de droite ne nous disqualifient comme rappelant vaguement les années 1960, ou un autre épouvantail de ce type, si nous pouvons réhabiliter ce discours sur la vie politique, où l'équité compte, nos réalisations seront loin d'être négligeables. Cela nous amène aux détails de ce contrat social donné.

Je souhaite faire une autre observation que je vous invite à garder à l'esprit dans vos travaux. Nous avons beaucoup parlé des pays nordiques. Il n'y a pas seulement la Suède; il y a la Norvège, la Finlande et les pays d'Europe du Nord. De manière générale, ils obtiennent toujours de meilleurs résultats, mais ils sont soumis à des contraintes considérables en ce moment. Il y a une chose qui distingue les pays nordiques — et cela nous ramène aux raisons pour lesquelles il nous faut maintenant modifier notre contrat social. À l'origine, l'État-providence à l'érosion duquel nous avons assisté au cours des 25 dernières années était fondé, en fait, sur deux phénomènes. Le premier était la solidarité par-delà les classes, ce qui signifie qu'à l'époque où il a été créé, les inégalités scandaleusement énormes que nous observons maintenant entre la tranche supérieure des 0,001 p. 100 de la population et tous les autres citoyens n'existait pas. Il n'y avait pas ce petit nombre de gens über-riches qui détenaient une aussi grande partie de la richesse nationale. Il y avait moins d'inégalités et un plus grand sentiment de solidarité, à savoir que ce qui vous arrivait à vous pouvait m'arriver à moi. Il existait également, à cette époque, une homogénéité culturelle beaucoup plus grande, le sentiment d'être liés les uns aux autres, le sentiment que nous étions plus ou moins tous les mêmes.

L'une des raisons que l'on a avancées pour expliquer comment les pays scandinaves ont pu préserver leur système de bien-être social dans la mesure où ils l'ont fait tient à ce qu'ils ont des populations beaucoup plus culturellement homogènes que les pays anglo-américains à marché libéral qui, en plus de leur libéralisme des marchés, ont eu tendance à avoir des politiques d'ouverture à des migrants en provenance de pays qui sont maintenant des pays à revenu faible et intermédiaire. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas rechercher un nouveau contrat social qui ait les mêmes effets, mais nous devons reconnaître le fait que nous sommes aux prises, à de nombreux égards, avec un milieu social plus complexe que celui qui caractérise certains de ces pays modèles dans le Nord de l'Europe. Nous pouvons absorber ce qui nous est utile, mais également épouser le défi que nous pose une politique des portes ouvertes au sujet des migrants, qui crée de la richesse, mais suscite un défi plus important relativement à la notion de solidarité sociale.

Le président : Avant que nous ne nous ajournions, je veux vous ramener, parce que vous avez beaucoup parlé du développement de la petite enfance, et c'est là un sujet favori du sénateur Trenholme Counsell. Fraser Mustard prêche cet évangile depuis des années en s'appuyant sur l'Institut canadien de recherches avancées.

Docteur Millar, particulièrement à vous parce que vous avez un lien dans ce domaine car, la dernière fois que j'ai parlé à Fraser Mustard, il a affirmé que nous devons nous appuyer bien au-delà de cela. En d'autres termes, nous devons nous appuyer bien au-delà du développement de la petite enfance, car l'enfant né d'une mère pauvre a un risque énormément plus élevé de cancer, d'anomalies congénitales, de retards, et la liste s'allonge et s'allonge. Les probabilités que cet enfant ait une bonne chance de réussir sa vie sont très minces. L'intervention doit commencer par la mère. Veuillez nous présenter vos observations à ce sujet.

Dr Millar : Je suis d'accord. C'est absolument juste. Si nous ne nous occupons pas de la préconception, nous aurons un problème intergénérationnel qui ne cessera de se répéter. Nous ne le réglerons pas si nous ne suivons pas cette approche.

Le président : Merci beaucoup à tous. Nous vous savons profondément gré d'avoir comparu devant nous avec un préavis si court. Il est d'une importance énorme pour nous d'avoir tenu cette audience aujourd'hui. Cela a été tout à fait formidable.

La séance est levée.


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