Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations
Fascicule 2 - Témoignages du 28 mars 2007
OTTAWA, le mercredi 28 mars 2007
Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 21 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, et en faire rapport.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous avons aujourd'hui le grand privilège d'accueillir comme témoins d'éminents spécialistes qui ont pris une partie de leur temps pour venir faire notre éducation et nous aider dans notre étude. Nous allons commencer par le Dr John Lynch, qui est président de la Chaire de recherche du Canada en santé des populations, de l'Université McGill.
Vous avez la parole.
Dr John Lynch, président de la Chaire de recherche du Canada en santé des populations, Université McGill : Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant vous. Je suis épidémiologiste et spécialiste en santé publique. Je ne suis ni un expert ni un champion des grandes orientations stratégiques. Mes commentaires sont ceux d'un travailleur de terrain qui cherche à déterminer quelles sont les interventions les plus efficaces pour améliorer la santé des populations.
À mon avis, il est acquis que les conditions sociales en général ont une incidence sur la santé. Des facteurs comme l'éducation, le revenu, le logement et les conditions de travail influencent sans doute la plupart, mais non la totalité des résultats en matière de santé. Pourquoi est-ce important? Il est important de savoir qu'ils ne déterminent pas tous les résultats en matière de santé car cela signifie qu'il n'y a rien d'inévitable au sujet de ces résultats et qu'ils peuvent potentiellement être modifiés.
À mon sens, les cadres stratégiques existent pour bâtir une approche exhaustive et cohérente en vue d'améliorer la santé des populations par le biais des déterminants sociaux. Cela dit, nous disposons d'un ensemble de données plutôt mince sur ce qui constitue les interventions les plus efficaces et les plus rentables. Je pense que nous pouvons constituer une base de données pertinente au plan des orientations stratégiques et que cela devrait être une priorité de recherche au Canada. Toutefois, il y a un domaine où nous disposons de meilleures données scientifiques prouvant combien il est avantageux d'investir dès les premières étapes de la vie. Je suis sûr que vous avez entendu ce message auparavant et j'espère vous le présenter sous différents angles aujourd'hui, mais l'investissement dans le capital humain en bas âge portera fruit au niveau du développement du capital en santé.
Vous avez peut-être déjà vu ceci. C'est le genre de données dont les gens se servent pour montrer que les conditions sociales, définies de façon générale, influent sur la santé. Vous voyez ici la courbe de Preston et les pays répartis selon leur PIB par habitant. Le Canada se situe approximativement au même niveau que le Royaume-Uni, l'Italie et la France. Dans les pays nantis, l'espérance de vie est plus longue. Il s'ensuit, d'après ces données, qu'à mesure que les pays s'enrichissent, l'état de santé de leur population fait de même. En général, cette affirmation est véridique, mais on peut aussi voir de multiples variations par rapport à cette courbe. Certains pays font mieux qu'ils le devraient selon leur richesse moyenne et d'autres font moins bien.
À l'intérieur même des pays — c'est un exemple tiré du Canada —, on constate encore là des variantes en matière de santé selon le revenu. En l'occurrence, il s'agit du revenu des citoyens. Vous pouvez constater une différence quadruple ou quintuple pour ce qui est du gradient du revenu. En l'occurrence, il est question de la prévalence des maladies cardiovasculaires. La conclusion qui s'impose peut-être ici, comme dans la diapositive précédente, c'est que si les gens à faible revenu avaient des revenus élevés, ils afficheraient la prévalence des maladies cardiovasculaires des mieux nantis. C'est sans doute une conclusion légitime. Nous ne savons pas, si c'était le cas, dans quelle mesure leur santé s'améliorerait. Elle s'améliorerait certainement, mais son niveau se rapprocherait-il de celui des riches? Nous ne le savons pas avec certitude.
Le cadre stratégique que je veux vous montrer a été élaboré par l'un de mes collègues, Finn Diderichsen, et il a été appliqué sur une grande échelle dans les pays nordiques. Il se fonde sur le principe voulant que les conditions sociales, définies au sens large, aient une influence sur les niveaux et la répartition des facteurs de risque au sein des populations. Par facteurs de risque, j'entends le tabagisme, l'obésité, l'hypertension, et cetera. À leur tour, ces facteurs de risque sont les précurseurs d'un mauvais état de santé. Et une fois ce mauvais état de santé établi, il faut vivre avec ses conséquences.
Fondamentalement, cela ouvre la porte à trois types d'interventions stratégiques que l'on pourrait adopter en vue de se doter d'une approche exhaustive. Il y aurait une politique publique visant à modifier les conditions sociales : emploi, éducation, pauvreté, logement, transport, autrement dit le genre de décisions stratégiques que prend déjà le Parlement.
J'estime qu'il est aussi possible dans le cadre d'une politique de santé publique d'intervenir sur les mécanismes qui relient les conditions sociales à la santé. Ces mécanismes sont très importants et nous fournissent des occasions supplémentaires d'intervenir. En l'occurrence, nous réduirions les facteurs de risque, comme le tabagisme et l'obésité au sein de la population. Nous déployons déjà énormément d'efforts en ce sens, mais nous ne savons pas grand-chose des effets sur l'équité de ce type d'interventions.
En dernier lieu, notre action dans le domaine des soins médicaux est importante car à mesure que l'espérance de vie augmente, les conséquences liées aux maladies chroniques sont de plus en plus présentes. En fait, nous sommes de plus en plus assurés de devoir composer avec la maladie chronique. D'où la question suivante : Comment réussirons-nous à composer avec cela et quelles sont les différences sociales que cela entraînera au plan de la qualité de vie? À mon avis, les soins de santé et les soins médicaux jouent ici aussi un rôle crucial.
Permettez-moi de vous présenter brièvement une brochette d'interventions. Je vous donnerai des exemples choisis pour souligner à quel point nos connaissances sont limitées en ce qui concerne l'efficacité et la rentabilité de nos interventions. Cette situation est en partie attribuable au fait que le milieu de la recherche n'a pas généré des données pertinentes pour les politiques publiques. À mon avis, c'est un domaine prioritaire.
Ici, vous pouvez lire le titre suivant « Incidence de la politique de santé publique sur les inégalités ». En conclusion, cette étude vient étayer l'opinion selon laquelle il existe un manque d'information sur l'efficacité et la rentabilité des politiques.
D'autres exemples sont tirés d'études portant sur des programmes de revitalisation du milieu urbain en vue d'améliorer la santé publique et de diminuer les inégalités en matière de santé. La conclusion, c'est qu'il existe bien peu de données sur l'incidence d'un investissement national dans la revitalisation du milieu urbain sur les résultats socioéconomiques ou la santé. Lorsqu'on a évalué leurs répercussions, on a constaté qu'elles étaient souvent minimes et positives. Ce n'est pas que ces programmes ne fonctionnent pas; c'est simplement qu'il est très difficile de réunir des preuves factuelles. Et si le gouvernement est en quête de données observables pour fonder sa politique publique, il faudrait que la preuve factuelle soit plus solide.
Il y a aussi d'autres exemples ici. En 2000, le British Medical Journal s'est penché sur une série d'interventions dans le domaine du logement. Les données étaient fragmentaires. Il y a eu des études sur l'incidence d'un changement d'alimentation. Une étude particulièrement intéressante portait sur des interventions d'envergure dans les commerces d'alimentation de détail pour modifier le régime alimentaire. On s'était fondé sur l'idée que l'une des façons de modifier les habitudes alimentaires des gens était de leur offrir un meilleur choix d'aliments. Malheureusement, si cela a eu un effet quelconque, il a été minime. Pourquoi? Parce que les gens n'ont pas acheté ces nouveaux aliments. Il nous faut réfléchir à la question de savoir pourquoi les gens développent ces habitudes alimentaires au cours de leur vie. Leur offrir simplement des aliments différents ne semble pas faire de différence, ce qui est logique. Les goûts se développent au fil du temps dans les familles et dans les milieux de vie. Nous devons orienter notre réflexion sur les premières étapes de la vie.
Si je peux me permettre d'intercéder en faveur de la constitution d'une meilleure base de données, le Canada est bien placé pour jouer un rôle de premier plan dans la collecte de données pertinentes au plan des politiques publiques. Certains d'entre vous ont peut-être entendu parler du programme de Statistique Canada appelé LifePaths. Aucun ministre des Finances d'un pays du monde industrialisé ne proposerait d'initiatives de politique publique sans se servir de modèles de simulation pour mettre à l'épreuve différentes options stratégiques. Nous devrions faire la même chose pour ce qui est de la santé des populations. Ces outils existent déjà à Statistique Canada. Nous sommes très bien placés pour mener de tels travaux. Le Canada est l'un des rares pays au monde qui dispose de cette technologie et, à mon avis, nous devrions mieux réussir à étoffer ce lien entre les données épidémiologiques et de santé publique et les options stratégiques susceptibles de façonner les choix de politique publique.
Je sais que vous avez beaucoup entendu parler de l'importance d'investir tôt dans la vie, et je vais moi aussi insister là-dessus. Voici quelques exemples tirés d'un rapport de l'OCDE publié il y a deux ans environ. Il s'agit des pourcentages des enfants ayant moins de six possessions éducatives. On entend par là des choses comme un pupitre, un endroit tranquille pour étudier, un ordinateur pour les travaux scolaires, et cetera. Au Canada, 20 p. 100 des enfants âgés de 15 ans ont moins de six possessions éducatives.
Dans le même rapport, on s'intéresse aux enfants qui disent manger des fruits tous les jours. Encore aujourd'hui, 35 p. 100 des enfants au Canada affirment manger des fruits tous les jours. Nous pouvons sûrement faire mieux.
Si l'on considère la répartition sociale de ces résultats sur la santé des enfants, on note un lien avec le comportement délinquant selon le revenu au Canada. Encore là, on constate que les gradients sociaux ont une incidence sur l'état de santé des enfants.
Je vous recommande un rapport intitulé Success By Ten, publié le mois dernier aux États-Unis par le Brookings Institute, dont la réputation n'est plus à faire. On peut y lire l'énoncé suivant :
Les gens prennent constamment des décisions face à l'incertitude : quel emploi accepter, comment investir, qui épouser. Les responsables des orientations politiques du gouvernement sont eux aussi contraints de prendre des décisions avant de disposer de données scientifiques irréfutables.
J'ai déjà mentionné que notre bagage de connaissances laissait à désirer.
En se fondant sur les données disponibles, nous estimons que l'état des connaissances actuelles vient étayer notre proposition d'augmenter les investissements dans la petite enfance, de la naissance à l'âge de 10 ans.
Je trouve ce rapport des plus intéressants et je vous en recommande la lecture.
Un autre domaine où nous pouvons en faire plus, c'est la pauvreté des enfants. Ici, j'ai disposé les pays européens, les États australiens, les provinces canadiennes et les États américains selon leur niveau respectif de pauvreté infantile. Les provinces canadiennes sont en rouge. Comme vous le voyez, la plupart des pays européens font mieux à ce chapitre que nous, au Canada, mieux qu'en Australie et assurément mieux qu'aux États-Unis.
Faisons maintenant une ventilation par structure familiale. Voici le taux de pauvreté infantile parmi les familles monoparentales. J'ai mis en relief le Canada à 12 p. 100, les États-Unis à 17 p. 100 et la Suède à 21 p.100. En fait, la Suède a une plus grande proportion de familles monoparentales. La question est de savoir quel est le taux de pauvreté dans ces familles. En Suède, il y a 21 p. 100 de parents seuls, mais seulement 7 p. 100 de ces familles ont des enfants pauvres. Aux États-Unis, 55 p. 100 des familles monoparentales ont des enfants pauvres; au Canada, le taux est de 52 p. 100.
C'est le résultat de certains choix politiques que nous faisons. Il n'y a rien d'inévitable là-dedans. On peut constater d'énormes variations d'un pays à l'autre.
Voyons maintenant le rapport entre la pauvreté infantile, les impôts et les transferts; on peut voir que la Suède est à 23 p. 100. C'est un taux de pauvreté créé par le marché, essentiellement par les salaires avant impôts et transferts. Nous avons donc 23 p. 100 de pauvreté infantile en Suède; 24 p. 100 au Canada, ce qui est très proche; et 35 p. 100 au Royaume-Uni. La Suède abaisse ce taux à 3 p. 100 grâce aux impôts et aux transferts. Au Canada, nous l'abaissons à 17 p. 100. Au Royaume-Uni, le taux baisse à 20 p. 100. C'est encore un exemple des choix politiques que nous faisons quant à la manière dont nous exposons les enfants à la pauvreté.
Des collègues du Royaume-Uni, je crois, ont écrit cette déclaration éloquente :
[...] c'est en mettant fin à la pauvreté infantile que l'on peut réaliser, proportionnellement, la plus grande réduction des inégalités en santé.
Mettre fin à la pauvreté infantile, c'est peut-être l'objectif le plus difficile à atteindre, mais c'est celui qui aurait les plus profondes répercussions.
Combien cela coûterait-il? Le Centre Innocenti, qui est le centre établi par l'UNICEF à Florence, estime qu'il en coûterait moins d'un demi pour cent du PNB au Canada.
Un autre aspect auquel nous devrions réfléchir pour ce qui est d'investir dans les premières étapes de la vie, c'est la manière dont nous dépensons notre argent consacré à l'éducation. Dans un autre rapport publié par l'OCDE ces derniers mois, on fait observer que les pays ne consacrent pas toujours énormément d'argent à l'éducation préscolaire, ce qui fait peut-être perdre de précieuses occasions au niveau de l'apprentissage précoce des enfants.
David Cutler, éminent économiste de Harvard, a récemment écrit pour le National Bureau of Economic Research un document qui m'a beaucoup frappé.
La valeur monétaire du rendement de l'éducation en termes de santé est peut-être de 50 p. 100 du rendement de l'éducation sur le plan du revenu, de sorte que des politiques qui influent sur la réussite scolaire peuvent avoir une incidence profonde sur la santé des populations.
Personne ne songerait à nier l'importance de l'éducation pour le revenu gagné. En l'occurrence, on estime que le rendement de l'éducation en termes de santé est égal à environ la moitié du rendement exprimé en termes de revenu gagné. Il semble bien que l'incidence soit importante.
En conclusion, je crois qu'il est possible d'élaborer un cadre de politiques complet et clair grâce auquel on pourrait s'attaquer aux déterminants sociaux de la santé et aux inégalités en santé.
Le président : Merci beaucoup, docteur Lynch.
Notre témoin suivant est la Dre Jody Heymann, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la santé et les politiques sociales dans le monde.
[Français]
Dre Jody Heymann, chaire de recherche du Canada sur la santé et les politiques sociales dans le monde : Monsieur le président, je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui.
Les déterminants sociaux de la santé les plus importants sont la pauvreté et les inégalités sociales. Les politiques visant à réduire leur incidence seront celles qui auront le plus grand impact sur la santé des Canadiens. Et parmi ces politiques, celles qui amènent des changements durables sont les programmes qui mettent en œuvre la qualité du travail et de l'éducation.
Comme vous pouvez le constater, mon français n'est malheureusement pas encore assez élégant pour faire justice à cette belle langue. Je dois donc continuer ma présentation en anglais, mais le texte de cette présentation est disponible dans les deux langues officielles.
[Traduction]
J'ai une grande expérience des déterminants sociaux de la santé. Au cours de la dernière décennie et demie, j'ai dirigé des études systématiques, d'abord à l'Université Harvard et maintenant aux Universités Harvard et McGill, sur plus de 55 000 ménages à l'échelle mondiale pour chercher à comprendre l'effet des conditions sociales sur la santé des personnes et celle de leurs familles. J'ai servi notamment à titre consultatif à l'Organisation mondiale de la santé, à l'UNESCO, à l'UNICEF, à l'Organisation internationale du travail et au Sénat des États-Unis. Nous avons examiné les politiques publiques dans 177 pays. Au Canada, j'ai eu le grand plaisir de participer pendant cinq ans au Réseau du Fonds pour la santé de la population de l'Institut canadien de recherches avancées, après quoi j'ai poursuivi mon travail, en tablant sur les relations établies à cette époque, en dirigeant la rédaction d'un volume, de concert avec des chercheurs canadiens de pointe, sur les déterminants sociaux de la santé. Je suis maintenant au Canada depuis deux ans et j'ai fondé un nouvel institut de l'Université McGill sur la santé et la politique sociale. Merci de m'avoir invitée à témoigner sur les façons de progresser dans l'étude des déterminants sociaux de la santé.
La plupart des nations consacrent beaucoup plus de temps et de ressources à traiter des maladies et des traumatismes qu'à s'attaquer aux conditions qui occasionnent la mauvaise santé. À l'heure actuelle, le Canada ressemble à la plupart des pays à cet égard. Cependant, le Canada est depuis longtemps un chef de file dans la recherche sur les déterminants sociaux de la santé et il a maintenant l'occasion de devenir l'un des chefs de file pour ce qui est de passer à l'action. C'est un grand honneur pour moi de m'adresser à vous au moment où vous vous efforcez de lancer des efforts en ce sens.
L'argument principal que je veux faire valoir aujourd'hui, c'est que vous serez en mesure de faire la plus grande différence au niveau de la santé des Canadiens si vous réduisez la pauvreté et les inégalités, qui sont les principaux déterminants sociaux de la santé. Vous avez entendu un message semblable de la part du Dr Lynch et, comme nous venons de la même université, vous penserez peut-être que nous avons coordonné nos interventions. J'ai également eu le plaisir de travailler avec le Dr Frank au fil des années. Si son intervention va dans le même sens, vous penserez peut- être que c'est concerté. En fait, nous en sommes arrivés de manière indépendante aux mêmes conclusions.
Je vais vous présenter des faits qui expliquent pourquoi vous devez à mon avis mettre l'accent sur la pauvreté. Si vous êtes d'accord pour vous attaquer d'abord et avant tout à la pauvreté, je vais montrer qu'il n'existe vraiment que trois voies pour faire sortir les familles et les particuliers de la pauvreté : premièrement, améliorer les conditions de travail et les salaires; deuxièmement, améliorer les possibilités de s'instruire pour que les gens obtiennent de meilleurs emplois; et troisièmement, transférer des revenus. Des trois, l'amélioration de la qualité du travail et de l'éducation sont les seuls qui entraînent un changement durable pour la plupart des adultes en âge de travailler et pour les enfants dans le monde.
Alors pourquoi la pauvreté? De mon point de vue, moi qui ai étudié pendant longtemps les déterminants sociaux, la réponse est simple. Les gens peuvent vous donner une longue liste de déterminants sociaux et je pourrais en faire autant. Beaucoup de ces déterminants débouchent sur la pauvreté et il est probable qu'aucun déterminant n'est aussi important que la pauvreté et l'inégalité. Au Canada, les adultes faisant partie des ménages les mieux nantis sont deux fois plus susceptibles de se déclarer en excellente santé que les adultes qui font partie des ménages à faible revenu. Ces effets marqués de la pauvreté sur la santé sont bien documentés dans d'autres pays à revenu élevé. Aux États-Unis, le fait de vivre dans un secteur désigné par l'administration fédérale « secteur de pauvreté » augmente le risque de mortalité de 1,7 fois. Même en Finlande, où le régime de bien-être social est bien ancré — c'est le seul autre pays que je vais nommer —, une grande étude représentative à l'échelle nationale a révélé que les gens faisant partie du groupe de revenus le plus bas avaient des taux de mortalité de 1,7 à 2,4 fois supérieurs à ceux des personnes qui se situaient dans la tranche des revenus les plus élevés.
Ces écarts sont avérés pour divers indicateurs. En fait, il y a 31 indicateurs de la santé et du développement mesurés aux États-Unis et au Canada et, dans tous les cas, les résultats pour les enfants empirent en suivant la courbe de diminution du revenu familial. Ce n'est pas vrai pour toutes les mesures de la santé que l'on peut trouver, mais c'est vrai dans la majorité des cas.
La pauvreté se répercute directement sur la santé; elle influe aussi indirectement sur d'autres déterminants sociaux de la santé, comme un logement sûr et une bonne alimentation.
Étant donné l'importance centrale de la pauvreté pour la santé et le bien-être, la situation actuelle du Canada est profondément inquiétante. En dépit de la croissance économique, très peu de progrès ont été accomplis depuis 1989 quant au nombre de familles et de particuliers qui vivent avec un faible revenu au Canada.
Il y a toutefois de bonnes nouvelles et je pense que c'est ce qui devrait nous encourager à aller de l'avant. Le Canada a obtenu de bons résultats dans le dossier des personnes âgées. Le taux de pauvreté des personnes âgées a diminué, passant de 59 p. 100 à 8 p. 100 après impôts et transferts. Si l'on compare aux autres pays de l'OCDE, on constate que le Canada a mieux fait que l'Australie, l'Autriche, la Belgique, la Finlande, l'Allemagne, l'Irlande, l'Italie, la Norvège, le Royaume-Uni et les États-Unis.
Toutefois, le Canada n'a pas eu autant de succès pour ce qui est des enfants. En fait, des 24 pays de l'OCDE, le Canada se classe au 15e rang, donc dans la moitié inférieure, quant au taux d'enfants qui vivent dans des familles à faible revenu. De plus, bien que les revenus moyens des Canadiens aient augmenté au cours des dernières décennies, non seulement ne progressons-nous pas au chapitre de la pauvreté, mais l'écart entre les riches et les pauvres au Canada a continué de s'élargir.
Étant donné que la pauvreté a une incidence aussi dramatique sur la santé, joue un rôle tellement central dans d'autres déterminants sociaux, et que le Canada n'a pas progressé autant qu'il aurait pu le faire pour ce qui est de réduire la pauvreté chez les enfants et les adultes en âge de travailler, que pouvons-nous faire pour y remédier?
Cela m'amène aux trois grands domaines de politique. Je sais que vous en êtes aux premières étapes des travaux de votre comité, mais je veux m'attarder à ces trois domaines parce qu'en définitive, au cours des deux prochaines années, il vous faudra décider à quels éléments précis vous voudrez consacrer la plus grande partie de votre attention et de vos efforts.
Le premier de ces trois domaines est celui de l'amélioration de la qualité des emplois. Diverses mesures peuvent être prises pour améliorer les emplois, par exemple s'assurer que le salaire minimum est un salaire viable; s'assurer que des conditions de travail convenables et des avantages de base soient accessibles à tous les Canadiens, c'est-à-dire garantir un minimum suffisant pour tous les Canadiens qui sont au travail; encourager les compagnies à créer des cheminements de carrière pour les travailleurs peu spécialisés. Les travailleurs spécialisés en bénéficient, mais c'est rarement le cas des travailleurs peu spécialisés. C'est pourtant nécessaire si l'on veut qu'ils réussissent à se sortir de la pauvreté en travaillant. Nous pourrions aussi donner accès à la formation aux travailleurs peu spécialisés et encourager les employeurs qui viennent s'installer au Canada à offrir de bonnes conditions de travail, des encouragements de nature à faire venir les meilleurs emplois au Canada. Tous ces efforts peuvent être déployés dans le domaine du travail.
Le deuxième grand domaine est celui de l'éducation. En particulier, nous devons mettre l'accent sur l'amélioration de la qualité de l'éducation, l'acquisition de compétences et la réussite de programmes d'éducation à des niveaux avancés. Ce qui est particulièrement important, c'est le pourcentage de Canadiens qui terminent leurs études secondaires et qui font des études postsecondaires. Dans ce domaine, le Canada peut être très fier de sa réussite. Les meilleures universités au Canada sont relativement abordables. Ce sont des universités publiques. Beaucoup d'efforts ont été déployés dans ce domaine. En même temps, les réductions des subventions gouvernementales ont fait augmenter les frais de scolarité, ce qui nuit à l'accès aux études supérieures.
En outre, l'éducation des adultes a connu une hausse moins marquée. L'éducation des adultes, c'est l'occasion pour la génération actuelle d'adultes au travail de sortir de la pauvreté. C'est crucial. Environ le quart des Canadiens y participent, mais ceux qui en ont le plus grand besoin, ceux qui n'ont qu'un diplôme d'études secondaires ou moins sont les moins nombreux à participer à l'heure actuelle à l'éducation permanente, ce qui a beaucoup à voir avec le coût abordable et les responsabilités familiales, autre domaine dans lequel on peut agir.
J'ai dit qu'il y avait deux grands domaines, mais en fait, il y en a un troisième qui se trouve à l'intersection du travail et de l'éducation. On pourrait le placer dans l'une ou l'autre de ces catégories, mais c'est important parce que les avantages se font sentir sur les deux plans. Ainsi, les adultes qui travaillent peuvent se sortir de la pauvreté et les enfants qui vivent dans la pauvreté ont les meilleures chances d'en sortir. L'impact est multigénérationnel. Je veux parler des soins éducatifs à la petite enfance. Comme l'incidence se fait sentir sur les deux plans, il n'y a probablement rien de plus important que de renforcer l'accès à des soins éducatifs à la petite enfance de grande qualité disponibles de zéro à cinq ans. Les avantages des programmes destinés à la petite enfance sont bien documentés en termes de résultats cognitifs et sociaux, de résultats obtenus à l'école primaire et secondaire et ensuite dans le monde du travail. Nous savons que le nombre de places est beaucoup trop limité pour les enfants jusqu'à l'âge de cinq ans. Le Québec est la seule province qui ait enregistré des progrès sensibles à cet égard, mais dans l'ensemble du Canada, des centaines de milliers d'enfants qui pourraient en bénéficier sont actuellement laissés pour compte.
Ayant exposé tout cela, je vous invite instamment à prendre en considération que, pour lutter contre la pauvreté et élaborer des programmes qui ciblent les pauvres, il faut que les programmes soient universels. J'espère réussir à vous convaincre que ce n'est pas paradoxal et que vous devez appuyer des programmes d'application universelle. En termes de salaire minimum ou d'avantages sociaux minimums, pour ce qui est d'offrir l'accès universel aux enfants âgés de zéro à cinq ans et aux adultes qui veulent suivre des cours, nous savons que tout programme d'application universelle avantage les pauvres de manière disproportionnée. Ce sont eux qui ont les pires conditions de travail et qui ont le moins accès à l'éducation. L'universalité les avantage.
Pourquoi adopter des programmes à accès universel? Il importe de signaler que la recherche internationale sur les politiques a démontré que les pays où les programmes ciblent les pauvres ont des résultats moins intéressants pour ce qui est d'atténuer la pauvreté. Nous avons pourquoi c'est le cas. Ces programmes ont moins de chance d'être financés durablement par les gouvernements; ils sont moins soutenus; et ils sont généralement de qualité moindre. J'espère que vous ferez une bonne place dans vos discussions à la question de savoir si de tels programmes devraient être de portée universelle.
En résumé, je vous exhorte à vous attacher en priorité aux principaux déterminants sociaux de la santé, nommément la pauvreté et l'inégalité. Les seuls moyens efficaces à long terme d'agir dans ce domaine sont l'amélioration du travail et des résultats scolaires et le recoupement des deux. Deuxièmement, je vous exhorte, tout en étant bien conscient des besoins particuliers de certains sous-groupes de la population, à essayer de répondre à ces besoins au moyen de programmes à accès universel.
Je crois savoir que les travaux du comité se poursuivront tout au long de l'année et même l'année prochaine. À l'Institut de la santé et de la politique sociale de McGill, nous sommes également activement engagés dans un programme visant à traduire ce que nous connaissons en matière de déterminants sociaux de la santé dans des politiques et programmes efficaces. C'est le coeur même de notre mission.
Nous avons entrepris deux initiatives pluriannuelles dont les constatations peuvent vous être utiles et je voudrais donc les mentionner brièvement en terminant. Dans la première, nous examinons les politiques publiques dans 180 pays du monde en ce qui concerne les conditions de travail, l'éducation et la lutte contre les inégalités. Nous avons choisi ces domaines parce que nous croyons qu'ils sont au coeur même des déterminants sociaux. Nous en examinerons l'incidence sur les résultats en matière de santé, sur le plan économique et en termes d'autres résultats de succès et de bien-être national. Deuxièmement, nous avons une initiative pluriannuelle dans laquelle nous effectuons des études de cas des politiques nationales et provinciales les plus efficaces, dans le but d'améliorer les conditions de travail des plus défavorisés, d'élargir les possibilités d'éducation et de réduire la pauvreté et les inégalités. Je me ferai un plaisir de donner plus de renseignements sur ces initiatives au comité et d'en apprendre davantage sur la façon dont ce que nous faisons peut être le plus utile à vos efforts pour améliorer la santé des Canadiens.
Je vous remercie pour votre détermination à vous attaquer aux répercussions importantes des conditions sociales sur la santé des Canadiens.
Le président : Merci beaucoup pour cet excellent exposé.
Nous entendrons maintenant le Dr John Frank, directeur scientifique des Instituts canadiens de recherches en santé. Il témoigne aujourd'hui à titre de représentant de l'Institut de la santé publique et des populations, et il peut donc nous être extraordinairement utile.
[Français]
Dr John Frank, directeur scientifique, Instituts de recherche en santé du Canada, Institut de la santé publique et des populations : Monsieur le président, je suis très heureux d'être ici pour vous présenter quelques idées importantes en ce qui a trait à la santé des populations, un domaine auquel je m'intéresse depuis plus de 20 ans, soit à titre d''omnipraticien, de médecin en santé publique, de professeur ou de chercheur.
[Traduction]
Je vais faire le reste de mon exposé en anglais, mais il me fera plaisir de répondre aux questions posées en français. Je serai en mesure d'éviter d'utiliser toutes mes diapositives, à cause du degré important de chevauchement et, en fait, de convergence entre nous. Nous avons décidé de ne pas nous concerter, comme la Dre Heymann l'a dit; il nous a plutôt semblé utile de réfléchir chacun de notre côté aux messages les plus importants à vous transmettre, et il y a eu convergence entre nous trois sans qu'il y ait eu vraiment consultation.
Voici un cadre conceptuel qui, bien qu'il soit simpliste comme le sont tous les diagrammes, me semble intéressant parce qu'il présente les déterminants de la santé comme les idées clés dans le domaine appelé la santé des populations, qui fait l'objet de recherches au Canada comme partout ailleurs. Ce diagramme montre simplement que, à mesure que nous cheminons de l'utérus à la tombe, nous sommes exposés à une série de facteurs qui influent sur notre patrimoine biologique, génétique et épigénétique. Nous nous retrouvons avec des résultats pour la santé qui apparaissent dans le coin supérieur droit. Je sais, pour avoir pratiqué la médecine générale dans différents cadres un peu partout dans le monde pendant 20 ans, qu'il est difficile d'aller vers l'amont dans la plus grande partie de l'exercice des soins de santé. Le Dr Keon s'est dit d'accord avec nous là-dessus tout à l'heure. Un praticien a beau être déterminé, 95 p. 100 des patients que l'on voit tous les jours ont des plaintes, des problèmes, des médicaments à réviser. On ne peut pas tirer beaucoup de prévention de ce système. Cependant, en amont, les forces que l'on voit ici conspirent pour changer les éléments auxquels on est exposé dans les familles, les quartiers, les communautés, les provinces, les pays dans lesquels nous vivons, et tout cela change d'une certaine manière les politiques nécessaires pour s'attaquer au problème en amont. Je suis certain que ce n'est pas une idée neuve.
Où se situent les disparités en santé? On peut trouver sur le site web des IRSC une version plus fouillée de ce graphique. Il montre que les inégalités se trouvent plus haut sur la page parce qu'elles sont attribuables au fait que les résultats pour la santé sont déterminés de manière différentielle par la race, l'ethnie, la situation socioéconomique, la géographie et même par le sexe, pour ne nommer que quelques facteurs.
Le premier message que je veux vous transmettre en est un que vous avez déjà entendu. Je vais utiliser deux diapositives tirées d'études longitudinales qui montrent à quel point le début de la vie est important. On dit parfois que le début de la vie a une longue portée et nous rejoint dans notre santé et notre fonctionnement. Nous avons ici la fameuse cohorte de naissances britanniques de 1958, tirée des travaux de Chris Power. Cela illustre simplement qu'à l'âge de 33 ans, les gens devraient être à l'apogée de leur santé, avant le début du déclin de l'âge mûr. Le graphique illustre la fréquence des problèmes les plus courants, le plus répandu à cet âge étant lié à la santé mentale. La « santé autoévaluée » est un questionnaire de portée générale par lequel les gens comparent leur santé à celle d'autres personnes du même âge, mais il permet de prédire de graves problèmes de santé qui surgiront par la suite. Ce graphique montre aussi le pourcentage de gens obèses.
On constate un taux différentiel marqué, à partir d'environ 5 p. 100 pour les gens dont les parents appartenaient à la classe sociale la plus élevée. C'est une étude du Royaume-Uni et l'on utilise donc les chiffres romains de I à V. Les gens qui manifestent les taux les plus bas de ces problèmes avaient des parents privilégiés, et ce n'est pas un facteur que les gens choisissent. Cela n'a rien à avoir avec les bébés, mais plutôt avec les parents. C'est la classe sociale des parents qui est illustrée ici. Les taux de ces résultats négatifs pour la santé varient du simple au double et même au triple. Dans certains cas, les écarts sont importants en chiffres absolus.
Pour les problèmes de santé mentale, surtout la dépression et un degré d'angoisse suffisant pour nuire au fonctionnement, les différences sont très marquées. Pour les femmes, le taux oscille entre une femme sur douze qui éprouve ce problème à peut-être une femme sur six dans le cas de celles qui viennent du groupe social le plus défavorisé.
Bien sûr, je répugne à le dire, mais tout dégringole à partir de là. En fait, on n'est jamais mieux portant qu'à l'âge de 33 ans.
Ceci est tiré d'une très vieille étude. Je m'excuse pour les couleurs, mais il y a une ligne jaune dans le milieu, entre la ligne verte du bas et la ligne rouge. Ce sont de très vieilles données, mais c'est intéressant parce que ce sont les travaux de Emmy E. Werner, qui a suivi un grand nombre d'enfants dans l'île de Kauai. Il y avait des différences socioéconomiques, en dépit du fait qu'elle travaillait dans un environnement de plantations. Elle a montré que lorsqu'il y a déficience biologique sous forme de stress périnatal, par exemple l'asphyxie partielle ou un indice d'Apgar faible, l'effet sur le quotient de développement — c'est l'axe vertical — à l'âge de 20 mois est très marqué. L'effet de la classe sociale est tellement marqué et les enfants des familles privilégiées ont été tellement stimulés par l'interaction paternelle — verbale, le fait de se faire faire la lecture, aptitudes sociales, stimulation permettant de développer la motricité fine et la motricité globale — que les facteurs périnataux ont été presque complètement effacés. Autrement dit, la classe sociale peut effacer un désavantage biologique même relativement majeur subi au début de la vie.
Comme mes collègues l'ont dit, il ne sert à rien de vous parler de choses que nous ne pouvons pas changer. Attardons-nous à deux éléments que nous pouvons changer, même si l'on dit souvent que nous ne pouvons rien faire contre l'un des deux, à savoir la pauvreté. Je vais reprendre le fil de leur argumentation.
Les pauvres ne restent pas toujours pauvres. En fait, nous prenons chaque année dans tous les pays occidentaux des décisions en matière de fiscalité et de transferts qui changent massivement la répartition des revenus après impôts et transferts. Nous le faisons essentiellement pour des raisons fiscales sans accorder beaucoup d'attention aux conséquences sociales et pour la santé, parce que les scientifiques de la santé ne participent jamais aux discussions du Conseil du Trésor. Les participants à ces discussions viennent plutôt d'une autre discipline que nous ne nommerons pas aujourd'hui.
Le deuxième facteur auquel on peut remédier est l'absence d'un environnement stimulant sur le plan cognitif. Ce facteur est tellement important qu'il a en fait été inscrit en tête de liste comme l'une des quatre causes principales du développement sous-optimal des enfants dans le monde entier. Une remarquable série de communications — le Dr Keon peut veiller à vous les faire parvenir par l'entremise du personnel — a été publiée le 6 janvier dernier dans The Lancet. Ces études montrent que, même au niveau mondial, quoique l'on peut s'attendre à ce que la malnutrition et l'infection aient des conséquences marquées dans les pays pauvres, ce qui est d'ailleurs le cas, la deuxième cause du développement humain sous-optimal demeure toujours une stimulation cognitive insuffisante.
Où nous situons-nous au Canada en matière de santé et d'égalité selon la situation socioéconomique? Nous avons ici des données de Russell Wilkins à Statistique Canada. La ligne rouge est l'espérance de vie. Ce graphique illustre les taux de décès à tous les âges après la naissance; autrement dit, l'espérance de vie à la naissance. La ligne du haut représente les gens les plus riches selon le revenu du quartier où ils habitent, et la ligne du bas les femmes les plus pauvres. Vous remarquerez que l'écart n'a pas diminué du tout sur une période de 25 ans. Il va publier bientôt des données mises à jour pour les cinq années suivantes.
Chez les hommes, l'écart semble plus grand. C'est un peu faussé par le fait que la véritable classe sociale des femmes n'est pas toujours bien saisie par le revenu familial selon le quartier. À mon avis, la véritable classe sociale des femmes n'est pas toujours bien identifiée. Quoi qu'il en soit, même dans le cas des hommes, pour lesquels nous avons un portrait fidèle, l'écart n'a pas diminué du tout. L'écart quant à l'espérance de vie au cours des 25 années de la période observée n'a pas changé du tout.
Bien sûr, comme Robin des Bois le savait, les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent. Le graphique suivant est tiré du rapport de l'Initiative pour la santé de la population canadienne intitulé Améliorer la santé des Canadiens — j'ai eu le privilège de coprésider le comité consultatif il y a deux ans — et montre simplement que c'est encore plus vrai au Canada qu'on aurait pu le croire. Sur une période de 29 ans, les plus pauvres, c'est-à-dire les trois déciles les plus pauvres, n'ont pas fait le moindre gain en termes de richesse. L'accroissement de richesse a été concentré en totalité dans les quelques déciles regroupant les gens les plus riches au début de la période.
Vous vous dites peut-être que nous ne pouvons pas y faire grand-chose et, en fait, je ne propose pas un impôt sur la richesse, mais le revenu est un élément que nous changeons constamment. Cependant, un récent rapport de la Commission des droits de la personne de l'ONU — je vous ferai parvenir la référence — dénonce essentiellement le Canada parce qu'il a l'un des pires bilans, surtout pour la pauvreté infantile, en comparaison de tout autre pays ayant le même niveau de richesse et de n'importe quel pays partageant les mêmes valeurs apparentes.
J'ai dit « valeurs apparentes ». Creusons un peu cet aspect. On pourrait dire que c'était inévitable, la manière dont la croissance du revenu a eu lieu à divers niveaux de revenu. En 2004, nous avons atteint une situation peu enviable. Ce graphique montre le revenu moyen des 10 p. 100 les plus riches. Nous nous sommes éloignés de la richesse. La richesse devient un peu plus difficile à atteindre. Cependant, ce revenu était 82 fois plus élevé que celui de la tranche des 10 p. 100 les plus pauvres. Sur le plan des revenus, l'inégalité atteint aujourd'hui un record de tous les temps dans notre société. Ces données sont tirées d'un rapport de Armine Yalnizyan, du Centre canadien de politiques alternatives, qui a été publié il y a quelques semaines et que je vous invite à lire. Vous y trouverez un exposé clair et complet sur la richesse et les revenus au Canada, les tendances et les inégalités. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'à chaque fois que nous publions un budget, nous changeons en profondeur les revenus après impôt.
Le graphique suivant a déjà été décrit et commenté par le Dr Lynch. Il est un peu trop chargé. Il montre que même sans avoir vraiment essayé, nous avons réussi à réduire la pauvreté chez les personnes âgées, qui passe d'environ 60 p. 100 de toutes les personnes âgées avant impôts et transferts à beaucoup moins de 10 p. 100 après impôts et transferts. Le taux varie selon l'année précise. C'est une magnifique réussite, mais elle n'est pas très délibérée. Je reconnais qu'il y a eu sur la colline parlementaire des moments forts, dont certains d'entre vous se rappellent peut-être, quand des personnes âgées coriaces ont confronté divers premiers ministres et leur ont dit : « Vous êtes mieux de ne pas nous laisser tomber, parce qu'au moment du scrutin, nous sommes un groupe de plus en plus important. »
Malheureusement, personne n'en a fait autant pour les enfants ou, en tout cas, le lobby extraordinairement nombreux et sophistiqué des défenseurs des enfants bien intentionnés n'a pas eu le même résultat. Comme vous l'avez entendu de la bouche de mes collègues, nous sommes classés dans ce graphique à peu près au cinquième rang des pires pays pour la mesure dans laquelle nous réduisons la pauvreté des enfants au moyen des mêmes impôts et transferts. Nous avons seulement réussi à faire passer ce taux du quart des enfants à environ un sixième des enfants, et la situation ne s'est pas améliorée.
Il y a quelque chose qui manque; il y a quelque chose qui cloche. Je vous invite à considérer que cela tient à nos valeurs. Nous ne croyons pas que le problème des enfants pauvres est le problème de tout le monde, mais nous en serons convaincus une fois que nous aurons réfléchi au coût intégral, sur la vie entière, des conséquences dont on vous a déjà parlé.
Ce n'est pas comme si ces problèmes étaient insolubles. On vous a déjà montré les faits quant aux impôts et aux transferts. Si d'autres pays comme la Suède peuvent ramener la pauvreté infantile à moins de 5 p. 100, pourquoi pas nous?
Il y a en fait un déblocage, surtout dans la province d'Ontario, pour ce qui est d'agir dans le dossier du logement. Cependant, si l'on additionne les montants en dollars de toutes les initiatives annoncées en Ontario la semaine dernière, on arrive à un chiffre plutôt dérisoire. On prévoit bâtir seulement 1 000 logements avec l'argent annoncé, dans une province de plus de dix millions d'habitants.
Et que dire des changements cognitifs? Jetons un bref coup d'oeil à une situation que Fraser Mustard et Margaret McCain ont rendue célèbre dans leur rapport publié il y a quelques années. Nous devons contrôler régulièrement les progrès que nous faisons, non seulement l'indice de développement humain, y compris l'alphabétisation, mais aussi le gradient. Nous avons ici le niveau moyen montrant que le Canada se débrouille assez bien en termes d'espérance de vie, mais pas aussi bien qu'il le devrait, en comparaison par exemple des pays nordiques dans le coin supérieur gauche, la Suède et la Norvège. Le bas du graphique représente le pourcentage des gens qui se situent aux niveaux les plus bas d'alphabétisation. Nous avons plus de 40 p. 100 des gens qui se trouvent à un niveau très bas de capacité de lecture. Ces gens-là seraient incapables de lire les petits caractères apparaissant sur un formulaire publié sur Internet pour acheter quelque chose au moyen du système PayPal, par exemple. Vous me direz peut-être que ce n'est pas important, mais je soutiens que c'est révélateur d'une société qui attend cela de ses membres, faute de quoi leurs droits ne sont pas protégés.
La Suède a presque la moitié de ce pourcentage des gens aux niveaux les plus bas de la capacité de lecture de textes schématiques. Nous devons comprendre comment les Suédois ont atteint ce niveau. Nous devons cesser d'invoquer comme excuse que nous avons des immigrants et pas eux. C'est vraiment pourri comme excuse. Un enfant, c'est un enfant. Le problème peut être résolu. On peut voir qu'il y a une forte corrélation entre ces données et l'espérance de vie; cela a quelque chose à voir avec la nature des sociétés.
Les graphiques que Fraser Mustard et Margaret McCain ont intégrés dans leur rapport intitulé Étude sur la petite enfance et dans le volume qu'ils ont publié ensuite — à compte d'auteur, parce que le gouvernement ne voulait pas attirer l'attention du public sur le fait qu'on n'avait pas fait suffisamment pour donner suite à ce rapport — font ressortir que nous devons suivre non seulement le niveau moyen. Ici, nous avons la Suède dont le niveau moyen d'alphabétisation mesuré d'après la norme internationale est plus élevé, comme l'indique la ligne bleue, mais quel est le gradient? Dans quelle mesure la pente est-elle accentuée en abscisse, qui représente le niveau d'éducation des parents? Quel score obtiennent les enfants à un test standardisé de lecture de textes schématiques? Nous pouvons voir que notre gradient n'est pas mauvais. La pente n'est pas beaucoup plus accentuée que celle de la Suède, mais elles se chevauchent au sommet. Les enfants issus des familles ayant un niveau d'instruction élevé au Canada obtiennent en moyenne les mêmes scores que les familles suédoises ayant une situation socioéconomique élevée.
Si vous suivez la ligne jaune, le Canada, et la ligne bleue, la Suède, qui laissons-nous tomber? Nous ne laissons pas tomber les privilégiés. Ils ont d'aussi bons résultats que les Suédois. Nous laissons tomber les gens qui sont au bas de l'échelle, et plus particulièrement leurs enfants. Nous n'obtenons pas les résultats que nous serions certainement capables d'obtenir.
Je crois que l'argument soulevé par mes collègues mérite d'être répété. C'est le troisième point ici. La pauvreté n'est pas le seul facteur en cause. Nous devons faire mieux pour ce qui est de mettre fin à la pauvreté infantile, mais je vais terminer en présentant une ou deux diapositives sur la stimulation cognitive avant l'école.
Mettre fin à la pauvreté des enfants serait une grande réussite, et c'est tout à fait abordable. Au cas où vous n'auriez pas suivi le calcul mathématique présenté dans la diapo du Dr Lynch expliquant pourquoi c'est abordable, la raison en est que chaque année, les bébés représentent seulement 1 p. 100 de la population. Dans certaines provinces, le pourcentage n'est même pas aussi élevé. C'est pourquoi c'est tellement bon marché de mettre fin à la pauvreté des enfants. Ce n'est pas comme en 1952, quand le taux de natalité était trois fois plus élevé. Il ne coûte pas cher de mettre fin à la pauvreté des enfants. Quel est notre excuse? Il faut en avoir la volonté.
Mon dernier point porte sur les interventions cognitives. Comme cette documentation est largement diffusée, je n'ai pas besoin de m'y attarder tellement, mais il y a certaines études importantes qui sont quasi apocryphes. Je tiens à vous rappeler une étude ridiculement limitée que nous avons tous vu le Dr Mustard utiliser. C'est randomisé. L'étude n'aurait pas dû pouvoir montrer les effets qu'elle a effectivement montrés, mais elle a été faite dans le ghetto noir de Ypsilanti, au Michigan, au début des années 1960. On voulait améliorer les résultats scolaires des enfants. On leur a donné deux heures après l'école, plusieurs jours par semaine, pour améliorer les aptitudes sociales, la conversation, la motricité fine, pour faire des jeux de rôle, en particulier en faisant intervenir les parents. Les auteurs ont montré aux parents comment stimuler les cerveaux de leurs enfants aussi bien que leurs corps. Ils espéraient constater un impact important sur la réussite et la persévérance scolaire. Cet impact a seulement été évident pendant quelques années, après quoi l'environnement dans lequel les enfants baignaient a noyé les effets du programme et plus rien n'était visible après la première moitié de l'école primaire.
Dr Lawrence J. Schweinhart a refusé de baisser les bras. Il a continué à suivre les personnes en cause et, 27 ans plus tard, il a pu montrer d'énormes différences en faveur du groupe qui avait bénéficié de cette très modeste intervention à l'âge de trois et quatre ans dans cette petite école, la maternelle Perry. Je reconnais que ces changements ne se situent pas au niveau des résultats en matière de santé, mais ce sont des changements dans ce que j'appellerais les critères de succès du citoyen, surtout sur le plan financier. Il y avait certains résultats criminologiques, qui étaient épouvantablement mauvais dans le groupe témoin parce que c'était dans un ghetto, mais on pouvait s'attendre à ce que ces résultats permettent de prédire, comme nous vous l'avons déjà fait remarquer, l'état de santé plus tard dans la vie, à l'âge où nous commençons tous à coûter plus cher au Trésor public au Canada.
Cette petite étude a fait la preuve de la longue portée de l'intervention. Ce n'est pas une fatalité. La situation vécue dans l'enfance a une longue portée. Les interventions aussi ont une longue portée, mais elles doivent englober les bons éléments, comme la participation des parents et la stimulation cognitive. Elle doit être d'une durée et d'une intensité suffisantes, deux ou trois ans, en particulier à l'âge de deux à quatre ans, avant l'école maternelle.
Est-ce que le Dr Clyde Hertzman a pris la parole devant vous, docteur Keon?
Le président : Pas encore. Il viendra.
Dr Frank : Le Dr Hertzman a prouvé hors de tout doute au Human Early Learning Partnership de l'Université de Colombie-Britannique que l'on peut mesurer à très bon marché la capacité d'apprentissage de chaque enfant au moment où il entre à l'école maternelle. Il suffit d'obtenir de chaque commission scolaire qu'elle accorde aux enseignants de maternelle le temps voulu pour remplir ce petit formulaire. Cela fait une différence. Il sillonne constamment la Colombie-Britannique. Il montre aux gens où se situent leurs enfants en comparaison d'autres groupes du même niveau de revenu, et les gens disent : « Seigneur, nous devons faire mieux que cela pour nos enfants. » Nous pourrions le faire. Nous pourrions déterminer où se situent les enfants au moment où ils arrivent à l'école maternelle. Bien sûr, cela veut dire que nous devons agir plus précocement. Nous prendrions des mesures de rattrapage. Il faudrait que les commissions scolaires s'orientent dans cette direction. Vous devez travailler à une intervention plus précoce. On se trouve alors face à des collectivités qui disent : « Oui, venez voir notre bilan ». Le Dr Hertzman vous donnera tous les détails.
Voilà donc l'histoire que je suis venu vous raconter. Le début de la vie importe. Nous pouvons résoudre au moins deux problèmes, le manque de stimulation cognitive et la pauvreté familiale. Nous sommes nous-mêmes dans un état de développement national arrêté faute d'avoir mis en pratique des valeurs que les Canadiens tiennent pour acquises, mais auxquelles ils ne donnent pas suite politiquement. Il y a des interventions qui feraient une différence.
Le président : Franchement, ce fut un véritable régal. Je tiens à vous remercier tous les trois.
Je voudrais faire deux ou trois observations. Je remarque qu'aucun d'entre vous n'a parlé de la santé maternelle. La dernière fois que j'ai entendu Fraser Mustard, il a dit que si l'on commence à s'intéresser à un enfant après sa naissance, c'est déjà un peu trop tard. Il faut intervenir quand l'enfant est encore dans le sein de sa mère, et il faut s'assurer que la mère soit en santé. Il avait même des chiffres. Je pense qu'il vient de publier un autre rapport hier et j'essaie de me le procurer.
Il a des données montrant que non seulement les enfants nés d'une mère en mauvaise santé ont du retard du point de vue intellectuel, mais qu'ils ont aussi une plus forte incidence de cancer, de maladies cardiaques congénitales, et cetera. Ces enfants ont une moins bonne espérance de vie et une morbidité très forte qui les attend. Comme aucun d'entre vous n'a commenté cette étude, je voulais vous poser une question à laquelle vous ne vous êtes pas préparés à répondre. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire une tentative.
Dre Heymann : Quand nous nous penchons sur la pauvreté, nous ne devrions pas nous limiter à la pauvreté des enfants, quoique je pense que la pauvreté infantile a des répercussions particulièrement longues. Nous devrions nous inquiéter tout autant de la pauvreté des adultes, pour deux raisons. Premièrement, j'espère que nous ne renonçons pas à suivre les déterminants sociaux de la santé chez les gens qui sont déjà adultes. L'un des principaux est la pauvreté des adultes et nous pouvons faire beaucoup pour remédier à ce problème. Il y a plus d'adultes que d'enfants, mais nous savons que des interventions au niveau du travail et de l'éducation ont des répercussions sur leur santé et sur la santé de leurs enfants.
Ce qui m'amène à parler des mères. Il y a un gradient des revenus en rapport avec l'accès des femmes aux soins prénataux. Il y a un gradient de la santé pendant la grossesse qui est lié au revenu, à la pauvreté et à l'inégalité. Quand on se penche sur la santé familiale, la santé des adultes et la santé des mères, l'état de pauvreté influe sur la santé globale.
Devrait-on faire aussi des interventions de santé publique pour s'assurer que les gens reçoivent de bons soins prénataux? Absolument. Nous avons tous les trois mis l'accent sur les déterminants sociaux et il faut pouvoir compter en même temps sur d'importantes mesures de santé publique. Cependant, si vous voulez faire ne serait-ce qu'une seule chose pour les mères, assurez-vous qu'elles non plus ne vivent pas dans la pauvreté et vous les aiderez durant leur grossesse tout en améliorant les perspectives de leurs enfants.
Dr Frank : Une autre conclusion formulée dans cette série d'articles publiés dans The Lancet sur les causes les plus remédiables du niveau médiocre de développement humain dans le monde est que tout semble indiquer que nous devrions intervenir au niveau de la malnutrition et de la dépression maternelles. Comment faire cela bien, surtout avant la grossesse — et le Dr Keon a raison de dire que, d'après le discours actuel, ce serait la solution optimale —, ce n'est pas simple parce que, bien sûr, bon nombre de celles qui sont les plus à risque ont des bébés à un plus jeune âge, ce sont souvent des grossesses non planifiées, et il est difficile d'intervenir. Je ne crois pas que nous fassions de l'aussi bon travail que nous le devrions au début de l'école secondaire, parce que si l'on attend au milieu du cours secondaire, il est en fait un peu trop tard pour aider des jeunes qui ne sont pas préparés à assumer une parenté imprévue. Je pense que nous devons réfléchir à tout cela, en dépit des protestations de certains, dans la collectivité, qui soutiennent que cela risquerait d'accroître le taux de grossesse parmi les adolescentes. Cela ne m'inquiète pas tellement, en fait.
Chose certaine, nous ne sommes pas tellement bons pour ce qui est de donner une formation dans l'art d'être parent à toutes les personnes du groupe d'âge qui ont besoin de se préparer. Les données ne démontrent pas encore catégoriquement que les programmes de ce genre font une grande différence, mais je soutiens que pour un jeune de 17 ou 18 ans qui n'a même pas terminé l'école secondaire et qui devient parent, presque n'importe quel programme serait mieux qu'aucun programme du tout, s'il renferme un contenu psychologique solide visant à aider quelqu'un à se préparer à l'art d'être parent. Comme nous le savons tous, élever des enfants est le plus grand défi auquel nous sommes confrontés dans nos vies personnelles. C'est le travail que nous trouvons tous le plus difficile et c'est la tâche que nous pouvons le moins nous permettre de rater.
Le sénateur Cochrane : Ce sera toujours difficile.
Dr Frank : Vous avez raison, mais c'est beaucoup plus difficile pour les gens qui n'ont pas les ressources personnelles et matérielles voulues.
Dr Lynch : Je pense que tout le monde est d'accord pour dire que les caractéristiques maternelles sont extrêmement importantes sur le plan de la santé périnatale des bébés, mais que cette importance se poursuit sur le plan des valeurs, des habitudes de nutrition et de tout le complexe parental que nous transmettons à nos enfants à la fois socialement et biologiquement. Cela dit, la question que je me pose est celle-ci : qu'est-ce qui nous en donne le plus pour notre argent? Si nous essayons d'améliorer la santé des enfants, nous devons certainement réfléchir à la santé des mères.
Si nous devions nous pencher sur l'incidence réelle de la santé de l'enfant, je suis prête à parier que le meilleur ratio coût-efficacité en fait d'interventions se situe au niveau postnatal — les conditions dans lesquelles l'enfant grandit et se développe — et non pas périnatal. Cela ne veut pas dire qu'il faut laisser de côté la mère. Je ne dis pas cela, mais je crois que les conséquences les plus profondes se situent après la naissance.
Dre Heymann : Je veux ajouter un élément d'information sur cette question. L'âge de zéro à un an est une période cruciale. Nous avons beaucoup parlé des grandes questions générales, mais nous devons mettre en place une bonne législation jusque dans les moindres détails. Je vais donner deux exemples.
Des millions de Canadiens ne sont pas protégés par l'assurance-emploi parce qu'ils travaillent à temps partiel ou bien ont des emplois atypiques. En conséquence, ils n'ont pas de congés familiaux payés. Cela touche en particulier les parents à faible revenu qui ne peuvent pas se permettre de prendre des congés non payés pour s'occuper de leurs enfants durant cette première année vitale.
Le deuxième exemple est celui des pauses pour allaitement maternel. De toutes les interventions que les mères peuvent faire relativement à la santé des enfants, l'allaitement maternel réduit de trois à cinq fois l'incidence des maladies et décès. C'est le cas aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays riches. Notre niveau de mortalité et de morbidité commence plus bas, mais l'allaitement maternel n'en a pas moins une incidence spectaculaire sur la santé et sur le développement cognitif. Les principaux facteurs qui favorisent l'allaitement maternel, c'est que la mère puisse avoir des congés de maternité et des pauses d'allaitement. Cent sept pays du monde garantissent à leurs travailleuses des pauses d'allaitement. Les États-Unis ne le font pas; le Canada ne le fait pas. Ce problème pourrait être résolu simplement et à très bon marché. Il y a donc de petites interventions pointues qui sont immensément efficaces.
Le sénateur Fairbairn : Je dois dire que je suis quasiment sans voix. Je n'ai jamais assisté à une réunion où j'ai entendu expliquer pourquoi, dans un pays comme le Canada, nous avons des problèmes de santé et des problèmes d'apprentissage. Je voudrais que vous soyez tous les trois envoyés aux quatre coins du pays pour prendre la parole devant tous les gouvernements et tous les groupes politiques, parce que ce que vous dites est la base de ce que nous pouvons faire pour changer un système qui garde les gens au chômage. Il garde les gens en mauvaise santé. Il empêche les jeunes de recevoir les encouragements dont ils ont besoin pour apprendre. Il rend certains adultes très mal à l'aise, les empêchant de faire savoir qu'ils ne possèdent pas les aptitudes qui sont fondamentales pour élever des enfants et trouver un emploi, enfin tout ce qui contribue à une vie convenable.
Nous tous, autour de cette table, avons travaillé pendant longtemps au dossier de l'alphabétisation. C'est probablement l'un des domaines les plus frustrants dans lequel on puisse se lancer.
Vous avez parlé du Dr Mustard, qui est une idole pour ceux d'entre nous qui se sont intéressés à ces questions. Je suis content d'entendre dire qu'il a publié un autre rapport, mais celui qu'il a publié il y a de nombreuses années est vraiment à l'origine de la notion d'alphabétisation familiale et a lancé l'idée qu'il est absolument impératif de donner une longueur d'avance aux enfants dès leur plus jeune âge, en fait avant même leur naissance.
Quand vous prenez la parole devant divers groupes et que vous rencontrez vos homologues, avez-vous des réactions négatives en ce sens que les gens vous disent que c'est tellement difficile à croire que cela ne peut pas être vrai?
Dr Frank : Je pense que les gens sont bien intentionnés. Tant qu'on discute de ce qui doit être fait, la conversation coule facilement, mais dès qu'on se met à parler du coût réel et à rappeler que l'argent nécessaire devra être prélevé essentiellement à même les impôts, pour que le tout demeure abordable pour les personnes les plus à risque, on se heurte effectivement à des réactions négatives.
J'ai été frappé par la manière dont le gouvernement de l'Ontario avait réagi à l'époque au premier rapport du Dr Mustard et de Mme McCain, l'Étude sur la petite enfance. Dans ce rapport, on disait très clairement ce qu'il fallait faire. On précisait qu'il fallait dans chaque quartier un centre offrant des services gratuits, où les femmes les plus à risque, autant pendant la grossesse qu'avant même de devenir enceintes, se sentiraient libres de venir régulièrement avec leurs amis pour y rencontrer des femmes dans la même situation qu'elles, mais qui possèdent une certaine formation, ainsi que quelques superviseurs possédant une formation assez poussée dans le domaine de l'éducation des jeunes enfants. Il y aurait beaucoup d'interaction et aucun obstacle. Si le centre était situé à plus de cinq rues de distance, il ne servirait à rien, surtout un jour d'hiver au Canada et pour une femme accompagnée d'un bambin.
Or qu'a fait le gouvernement en Ontario? Il a construit un centre dans chaque circonscription et s'est contenté de distribuer des feuillets d'information, à ma connaissance. Quel était le but recherché? De faire bonne impression sans dépenser un sou. Ce gouvernement-là avait un petit blocage idéologique l'empêchant de dépenser de l'argent et il vaut peut-être mieux l'oublier. Il n'existe plus. Cette époque est disparue, mais quelle excuse avons-nous aujourd'hui?
Je ne parle pas des garderies. N'allez pas mélanger ces deux dossiers. Les garderies constituent un dossier important et distinct et beaucoup d'entre vous en auraient long à dire là-dessus, beaucoup plus que moi. C'est une question cruciale et nous avons gaffé dans ce dossier également.
Je parle plutôt de stimulation. Ce qu'il faut, c'est d'obtenir que le cerveau réalise son plein potentiel dans l'ensemble de la société pour que nous soyons compétitifs internationalement.
Le sénateur Fairbairn : Absolument, et en examinant vos divers graphiques, nous remarquons que si l'on n'intervient pas très précocement, nous avons un grave problème par la suite en ce sens que les adultes ne sont pas en mesure de tirer profit des occasions qui s'offrent à eux et de se ménager une vie convenable pour eux-mêmes et leurs enfants. Compte tenu de tous les bienfaits que nous avons au Canada, c'est difficile de comprendre pourquoi nous ne sommes pas en tête de liste, mais plutôt très loin dans l'ordre hiérarchique des nations quand il s'agit des avantages sur lesquels peuvent compter nos citoyens adultes dans leur vie courante. Je le répète, il est difficile de comprendre pourquoi nous sommes à 40 p. 100 dans un pays comme le Canada, mais c'est pourtant la réalité.
Pouvez-vous nous donner des conseils pour nous aider à convaincre de ce qui nous semble à tous assez évident? Comment pouvons-nous expliquer, encourager et inciter les gouvernements à réagir de manière positive? Nous avons eu des hauts et des bas au cours des 20 dernières années et, à l'heure actuelle, nous sommes dans un creux partout au Canada. Pouvez-vous nous conseiller sur les moyens à prendre pour créer cette stimulation sociale nécessaire, pour que cela devienne un dossier de base pour tout gouvernement, tout Parlement ou tout groupe qui est appelé à prendre des décisions en matière de politiques et de lois partout dans notre pays?
Dre Heymann : C'est une question à laquelle il est difficile de répondre, mais je vais faire une tentative.
Je reviens d'abord à votre question initiale quant à la manière dont les gens réagissent, parce que c'est un élément de la réponse pour faire avancer le dossier. D'après mon expérience, quand nous discutons de cette question, le grand public comprend la situation. Partout où je vais, les gens comprennent. J'ai pris la parole à des tribunes et j'ai parfois remarqué des gens qui, au départ, étaient dans la salle comme employés d'entretien, mais qui sont restés pour écouter parce qu'ils comprenaient que je parlais de leur vie. Quand on en parle aux chauffeurs d'autobus, ils comprennent que cela les touche personnellement. Quand on parle aux professionnels qui sont présents dans la salle à titre de modérateurs, ils comprennent que c'est leur propre vie qui est en cause. Les journalistes en font l'expérience tous les jours. Ce n'est pas un problème de diffuser l'information et d'amener le grand public à comprendre. C'est un point important et c'est un grand atout pour nous.
Le défi est de traduire cela dans la sphère politique. Il est important de vous rendre compte que vous aurez à votre disposition quelques possibilités d'interventions faciles, bon marché ou même gratuites. Faisons-les tout de suite. Les obstacles sont minimes. Les mesures possibles ne sont pas toutes en place. Garantir à toute travailleuse le droit d'allaiter son enfant est une mesure importante et peu coûteuse. Ce devrait être simple et cela doit se faire.
Il y a par ailleurs les soins éducatifs à la petite enfance, dont nous vous avons tous dit la grande importance. Pour mettre cela en oeuvre, il faudra de l'argent au départ, mais ces mesures feront économiser à long terme. Elles s'autofinanceront en grande partie. On peut discuter des chiffres exacts. Cela ne coûtera pas aussi cher quand on commencera à en récolter les bénéfices, mais ce ne sera pas avant 10 ans ou 20 ans.
C'est le principal problème et j'ai deux ou trois observations à faire à ce sujet. Premièrement, le Canada a une longueur d'avance. Je suis certaine que vous avez parfois l'impression que c'est une tâche pénible, mais en comparaison du contexte des États-Unis, qui n'ont pas encore vraiment fait de démarrage dans ce domaine, le niveau d'engagement au Canada envers la santé publique et l'éducation est un atout énorme parce que le pays obtiendra des avantages économiques directs.
Il ressort très clairement de nos données mondiales qu'il faut notamment convaincre que c'est le seul moyen d'être compétitifs sur le plan économique. La plupart des économistes soutiennent que le seul moyen d'être compétitifs pour des pays à revenu élevé comme le Canada, c'est d'avoir la main-d'oeuvre la plus instruite. Il n'y a pas d'autres moyens de conserver nos salaires et notre niveau de vie élevé. Quand on parle de soins éducatifs à la petite enfance et d'autres interventions qui exigeront de l'argent, voilà de quoi il retourne, fondamentalement. C'est l'approche que je recommande et je peux vous fournir plein de données à l'appui de cet argument. Nous avons beaucoup à apprendre des pays qui investissent déjà dans ce domaine.
Dr Lynch : Quand je fais des exposés devant des groupes comme celui-ci, les gens auxquels je m'adresse se sentent gênés. Il y a un écart énorme entre les valeurs qui nous tiennent à coeur et les gestes que nous posons. Parfois, les gens ne sont même pas conscients que la situation est aussi mauvaise. Ils deviennent émotifs et se mettent en colère. Nous devrions faire mieux.
Le sénateur Fairbairn : Les gens ne croient-ils pas ce que vous leur dites?
Dr Lynch : Ils ne le croient pas. Quand je fais de tels exposés ailleurs dans le monde, je me heurte à une certaine incrédulité dans les pays nordiques. Ils n'arrivent pas à croire qu'un pays comme le Canada, qui est tellement différent des États-Unis, ressemble aux États-Unis ou s'en rapproche dans la manière dont il traite ses enfants et ses adolescents.
Cela dit, on vous a probablement proposé comme modèles des pays comme la Suède et la Finlande. On prend l'éducation très au sérieux dans ces pays. Il faut un diplôme de maîtrise pour enseigner en Finlande. Les enseignants y sont bien payés. Leurs écoles sont bien financées, mais contrôlées localement. Ils ne se contentent pas de paroles, mais n'hésitent pas à dépenser. Que constatons-nous? Les pays nordiques sont extrêmement compétitifs. Voyez les chiffres de l'OCDE : la Suède est très bien placée en termes de compétitivité internationale et c'est en partie grâce aux investissements à long terme que les Suédois ont consenti.
Le problème ne sera pas résolu facilement ni rapidement, mais il faudra investir à bon escient et à long terme.
Dr Frank : Quand on parle de compétitivité, il est important d'être réaliste quant au sort des gens qui se trouvent à l'extrémité gauche de la ligne jaune, ceux qui sont incapables d'occuper des emplois autres que ceux exigeant du travail manuel. Nous ne pouvons pas tous nous servir mutuellement des tasses de café à 5 $. Ce n'est pas une économie viable. Nous ne cultivons même pas cette denrée. Il nous faut des produits et des services que le reste du monde veut se procurer.
En Suède, qui correspond à la ligne bleue, on ne supporte pas un grand nombre de gens qui sont des illettrés fonctionnels. Nous les supportons et ils ne sont pas compétitifs. Chaque fois qu'une usine de pièces d'automobile quitte le sud de l'Ontario pour s'installer dans un pays où la main-d'oeuvre est moins chère, ces gens-là se retrouvent sans travail. Il n'y a plus un seul pompiste dans ma ville natale près de London, en Ontario, et ce sont des emplois de ce genre que ces gens-là occupaient.
Il faut voir la réalité en face. Il y aura collision entre nos aspirations à la compétitivité et notre approche visant à aplanir ce gradient.
Le sénateur Fairbairn : Ironiquement, j'ai souvent dit que s'il y a quatre adultes en Suède qui n'ont pas appris ou qui sont incapables d'apprendre, j'imagine que leur gouvernement s'efforce de les trouver et de leur enseigner ce qu'il faut. Nous n'avons pas cette même volonté au Canada, mais vos propos sont consignés dans notre compte rendu. Peut-être que nous pourrons trouver le moyen de transmettre votre message là où les décisions sont prises, pas nécessairement à partir de la base, mais plutôt quand vient le temps de prendre des décisions en s'inspirant des réalités que vous nous avez exposées ce soir. Merci beaucoup.
Dre Heymann : Je voudrais faire une brève observation sur la compétitivité. Nous sommes en train de mener une étude sur les pays les plus compétitifs du Forum économique mondial et leurs politiques dans chacun de ces domaines. Si nos travaux pouvaient vous être utiles dans vos futures délibérations, il nous ferait plaisir de vous les faire parvenir. Je pense qu'on y trouve matière à réflexion. Certains pays sont bien connus, notamment la Suède, mais d'autres pays qui offrent de tels avantages sont souvent moins connus. Au Mexique, par exemple, dans le cadre de la sécurité sociale, on offre des garderies en milieu de travail. Ce ne sont pas seulement les pays à revenu élevé qui le font, mais aussi des pays à revenu moyen, et le Canada peut certainement se le permettre.
Le sénateur Cochrane : Docteur Frank, j'ai une question sur l'éducation. J'espère qu'elle figure en tête de liste pour tout le monde, mais nous percevons un petit problème en Alberta, en ce sens que les enfants ne terminent pas leurs études secondaires parce qu'ils peuvent trouver un emploi dans le secteur pétrolier et gagner autant d'argent que s'ils avaient un diplôme.
Le sénateur Fairbairn : Ou même plus.
Le sénateur Cochrane : Que devrait-on faire à ce sujet?
Le sénateur Fairbairn : Vous avez absolument raison. En Alberta, quelque 35 p. 100 des nouveaux arrivants sur le marché du travail sont incapables de répondre aux exigences actuelles en matière de lecture, d'écriture et de productivité.
Le sénateur Cochrane : Ils trouvent des emplois dans le secteur pétrolier et gagnent beaucoup d'argent.
Dr Frank : J'inviterai la Dre Heymann à commenter les politiques précises qui ont été mises à l'essai pour réduire le décrochage scolaire. Dans certains pays, on va jusqu'à payer les gens pour rester à l'école, surtout dans des programmes d'apprentissage de métiers spécialisés. C'est l'un de nos points faibles au Canada. Il y aura un creux dans le cycle économique. Cela ne rate jamais.
Le sénateur Cochrane : C'est ce qui nous inquiète.
Dr Frank : Quand l'économie est dans le marasme, la plupart des gens veulent retourner à l'école. La question est alors de savoir s'ils peuvent le faire facilement, sans hypothéquer leur maison. Quels sont les obstacles qui les empêchent de retourner aux études et d'acquérir une formation plus poussée? Le programme d'études, bien qu'il ait été amélioré dans les collèges communautaires, rebute encore beaucoup de gens. Je pense qu'en Ontario, tout au moins, les collèges communautaires font de grands efforts pour faciliter le retour à l'école, mais nous devons en faire encore plus. Il ne devrait y avoir aucun sacrifice financier personnel. Peut-être un candidat devra-t-il demander un prêt, mais dans de bonnes conditions. Nous devons faire en sorte qu'il soit très facile pour les gens de retourner à l'école pour se perfectionner. Je soutiens que le secteur de l'éducation au Canada est une mosaïque d'établissements divers et qu'il n'y a pas de coordination permettant d'optimiser l'éducation des adultes.
Dr Lynch : Je ne me rappelle pas du chiffre précis, mais je pense qu'on a estimé que les enfants d'aujourd'hui vont occuper six ou sept emplois différents durant leur vie; leur objectif n'est pas de conserver le même emploi toute leur vie. Le creux de la vague viendra. Tout indique que les gens qui sont mieux préparés grâce aux études secondaires trouvent plus facile d'appliquer par la suite cette maxime de l'apprentissage tout au long de la vie. Nous devons réfléchir au développement du capital humain tout au long de la vie, et cela veut dire avoir la possibilité de retourner à l'école et de se recycler afin de pouvoir profiter des possibilités qui s'offrent. Telles seront les bases de l'économie moderne.
Le président : La prochaine intervenante est le sénateur Callbeck, qui a une perspective intéressante à offrir au comité, parce qu'elle a été première ministre de notre province la plus petite pendant un certain nombre d'années et qu'elle est capable d'un grand pragmatisme au chapitre de la mise en oeuvre, en comparaison du premier ministre de l'Ontario.
Le sénateur Callbeck : Je peux vous dire que la mise en oeuvre est difficile. Nous avons essayé d'établir des politiques en fonction des déterminants de la santé. Certaines ont été couronnées de succès, d'autres pas. Nous avons ouvert une clinique à Sherwood, qui fait partie de Charlottetown. Elle est encore ouverte, elle a une nombreuse clientèle et c'est une expérience réussie. Cependant, je pense qu'il faut beaucoup de temps pour amener les gens à changer d'opinion. Aux yeux de la plupart des gens, la qualité du système de soins de santé se mesure en nombre de médecins et de lits d'hôpitaux. Mais pour prendre les mesures dont on parle, il faut de l'argent et cela réduit d'autant le nombre de lits d'hôpitaux et de médecins.
Docteure Heymann, vous avez mentionné deux initiatives. La première consistait à examiner ce qu'on fait dans d'autres pays, et l'autre était que vous faites actuellement des études de cas portant sur les politiques nationales et provinciales, les programmes nationaux et locaux. Depuis combien de temps le faites-vous et qu'étudiez-vous exactement?
Dre Heymann : Nous en sommes aux premières étapes d'une nouvelle initiative dont je vais vous entretenir dans un instant et qui se poursuit depuis un certain temps. La partie de l'étude qui consiste à examiner les conditions de travail se poursuit depuis très longtemps. Nous nous sommes penchés sur le travail parce que nous croyons que c'est une voie centrale pour sortir de la pauvreté. Certaines personnes sortent de la pauvreté grâce au mariage, mais elles sont peu nombreuses. Les gens ont plutôt tendance à épouser des conjoints issus de leur même niveau de revenu. Encore plus rares sont les gagnants à la loterie qui réussissent à s'en sortir, mais la manière la plus courante de sortir de la pauvreté, c'est d'avoir un meilleur emploi et de travailler. Nous avons passé beaucoup de temps à étudier cet aspect.
Nous évaluons les politiques nationales depuis plusieurs années et nous avons étudié le secteur public dans 177 pays. Pour le secteur privé, depuis maintenant trois ans environ, nous examinons des compagnies partout dans le monde qui améliorent les conditions de travail de leurs travailleurs les moins qualifiés tout en réussissant sur le plan économique. Nous faisons cela pour deux raisons. Premièrement, nous pensons que la solution mettra en cause le secteur privé aussi bien que le secteur public, mais deuxièmement, nous trouvons que c'est important pour étayer notre argumentation. Les conditions de travail doivent être améliorées et il faut notamment légiférer pour augmenter les salaires et s'assurer que les travailleurs aient des congés familiaux ou de maladie payés. Nous devons convaincre les dirigeants du monde des affaires qu'ils peuvent se le permettre tout en ayant du succès. Nous avons lancé cette initiative à la fois pour mieux connaître le secteur privé et pour renforcer notre argumentation en faveur d'un changement du secteur public.
Cette étude se poursuit, mais en septembre dernier, nous avons lancé une nouvelle étude. C'est un programme de cinq ans qui nous donnera des résultats sur le travail et l'éducation d'ici deux ans. Nous examinons les exemples les plus réussis d'amélioration des conditions de travail. Cette année, nous mettons l'accent sur les travailleurs pauvres. L'année prochaine, nous étudierons les inégalités en matière d'éducation, l'objectif étant d'améliorer les résultats en éducation.
Le sénateur Callbeck : Étudiez-vous des cas dans toutes les provinces?
Dre Heymann : J'aimerais pouvoir vous dire que nous avons suffisamment d'argent pour mener des études dans toutes les provinces. C'est aussi un programme de bourses et nous avons tellement de demandes et de gens désireux de travailler avec nous que, si nous avions davantage de ressources, nous pourrions facilement étudier toutes les provinces. Actuellement, nous essayons d'examiner systématiquement quelles provinces semblent réaliser les meilleurs progrès et lesquelles ont des programmes particulièrement intéressants.
Nous menons aussi ces études à l'échelle mondiale parce que nous croyons que c'est crucial pour comprendre la compétitivité. Nous en avons fait dans toutes les régions du monde, mais je suis toujours prête à entendre parler de politiques et programmes particulièrement intéressants qui pourraient être évalués dans les diverses provinces. Si nous avions plus de ressources, nous pourrions certainement élargir notre éventail d'activités.
[Français]
Le sénateur Pépin : J'ai lu attentivement vos documents. Vous soulignez le fait que l'éducation, l'emploi et le logement sont des éléments importants. Lorsque qu'on regarde tous ces éléments, on remarque que l'éducation relève des provinces mais que les déterminants sociaux impliquent, quant à eux, différents paliers de gouvernement, différents ministères. C'est la même chose en ce qui concerne les taux d'imposition.
Comment les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral peuvent-ils travailler conjointement, conjuguer leurs efforts pour élaborer une politique? Quelles structures gouvernementales sont nécessaires pour arriver avec des déterminants sociaux? Pourriez-vous nous suggérer des solutions?
Il faut que les deux gouvernements puissent travailler conjointement, mais comment entrevoyez-vous cette approche? Vous pouvez répondre en anglais sans problème.
[Traduction]
Dr Frank : C'est une excellente question. Je sais que vous avez entendu Monique Bégin. Je pense que vous devriez lui demander de revenir pour vous parler de ce qui serait l'équivalent de la Loi canadienne sur la santé dans le domaine de l'éducation. La Loi canadienne sur la santé est une trouvaille géniale parce qu'elle utilise l'argent fédéral pour établir certaines normes et qu'il en coûte très cher aux provinces de ne pas maintenir les normes que nous connaissons tous.
L'électorat a indiqué à maintes reprises qu'aucun politicien ne peut se permettre d'y toucher. Vous pourriez en faire autant pour l'éducation. Il faudrait le faire à la fois pour l'éducation de base et celle des adultes. Les paiements de transfert ne sont probablement plus ce qu'ils étaient. Je suppose qu'ils sont aujourd'hui beaucoup plus limités, mais s'ils existent encore, vous avez un levier. Ce n'est pas comme si vous disiez aux gens ce qu'ils doivent faire. C'est seulement que si les provinces veulent toucher intégralement leurs paiements, elles doivent respecter les normes internationales. Il existe des normes. Par exemple, il doit y avoir en place des politiques visant à encourager l'achèvement des études secondaires et l'acquisition de certaines compétences pour ceux qui n'ont pas d'aptitudes scolaires. Il faut amoindrir ou éliminer les obstacles au retour à l'école, en particulier pour les métiers spécialisés qui sont en demande. Enfin, nous sommes une fédération, n'est-ce pas?
Le sénateur Pépin : Oui.
Dre Heymann : Sans aucun doute, vous avez mis le doigt sur l'un des domaines les plus cruciaux, à savoir que ce sont toutes des politiques sociales. Les politiques sociales sont appliquées par les provinces aussi bien que par le gouvernement fédéral.
Je voudrais mentionner deux autres rôles, en plus des transferts. Il y a divers moyens d'opérer les transferts. Vous connaissez les détails mieux que moi, mais en plus de l'actuel transfert pour les soins de santé, il y a toute une série d'autres transferts sociaux qui sont parfois ciblés. Ils ne ciblent pas des groupes précis de la population comme ce dont je parlais tout à l'heure, mais des programmes particuliers. C'est un mécanisme important. Il y a toutefois un autre mécanisme que nous ne devrions pas oublier, à savoir le rôle du gouvernement fédéral pour ce qui est de contrôler, d'évaluer et de faire valoir les mesures prises dans les différentes provinces. Il est dans l'intérêt national que toutes les provinces s'alignent sur une norme plus élevée pour l'ensemble de la population. Il est improbable que les provinces qui font moins bien le fassent remarquer elles-mêmes. C'est le cas dans n'importe quel pays. Cependant, il y a un rôle fédéral potentiel pour ce qui est de contrôler ce qui se fait et de diffuser publiquement les renseignements sur les succès relatifs et les lacunes des différentes provinces.
Nous avons le mécanisme des transferts sociaux, le mécanisme des programmes directs, le mécanisme de contrôle, et puis nous avons des programmes pilotes. Il faut injecter de l'argent pour que les modèles couronnés de succès puissent être imités dans d'autres provinces dans le cadre des compétences provinciales.
[Français]
Le sénateur Pépin : J'ai une autre question qui n'est pas du tout du même domaine. Le docteur Frank a parlé des soins aux femmes enceintes et des soins postnatals. Je dois avouer que je suis étonnée. J'ignorais qu'il y avait un impact pour des femmes enceintes ou pour celles des soins postnatals, si elles vivent à un certain niveau de pauvreté, mais je ne pensais pas que cela commençait au moment où les femmes étaient enceintes.
[Traduction]
Dr Frank : Vous avez abordé plusieurs points différents. Le fait d'avoir davantage accès à des soins médicaux pendant la grossesse ne fera probablement aucune différence. De bonnes études ont montré au Canada que nous dispensons des soins médicaux à un niveau suffisant dans le sens strictement médical du terme. Ce sont les soins traditionnels dispensés en tête à tête, du médecin à la mère, du médecin à la femme enceinte, il n'y a pas de sage-femme et pas beaucoup de temps pour faire du counselling, pour préparer les femmes à allaiter et les gens à être de bons parents. Tout est axé sur la détection et la gestion des facteurs de risque sur le plan biomédical. C'est important et nous le faisons probablement bien, mais les mères issues de milieux défavorisés peuvent souffrir de dépression clinique ou subclinique et d'autres problèmes. Pour les traiter, il faut beaucoup plus qu'un médecin qui voit la patiente pendant 10 minutes chaque mois pendant six ou huit mois. Il faut une approche plus globalisante.
Je pense que vous auriez intérêt à examiner ce qu'on appelle « la maternelle » en France. Je n'ai pas pris connaissance des documents comme tels et peut-être ne sont-ils pas facilement accessibles, mais on me dit que « la maternelle » est un programme qui a été lancé en France pour améliorer les résultats périnataux. On me dit également que c'est l'une des rares démonstrations vraiment convaincantes qu'on ait faites dans le monde, même dans des pays qui sont à un stade avancé de développement socioéconomique, d'un effort concerté pour donner à toutes les femmes enceintes un vaste éventail de soutien. L'universalité peut infléchir les résultats à la naissance. Nous ne prenons pas cela au sérieux au Canada. Nous aurions de meilleurs résultats si nous étions sérieux dans nos efforts.
Dr Lynch : J'ajoute seulement que ce ne sont pas seulement les mères qui influent sur leurs enfants, mais les grands- mères également. Nous avons acquis la preuve sur de multiples générations de privations que les grands-mères influent sur leurs petits-enfants au moyen de la transmission maternelle. On peut imaginer des cas où la grand-mère fume pendant que sa fille est enceinte. Cela influe sur la croissance et le développement de la mère et nuit à sa capacité de porter son enfant. Ces liens ont été démontrés à maintes reprises et la situation est donc encore plus compliquée.
Le sénateur Pépin : J'ai une question au sujet de l'allaitement maternel. Je suis d'accord quand vous dites que nous devrions avoir une loi stipulant que les femmes ont droit à une pause pour allaiter.
[Français]
Cela a diminué. Maintenant moins de femmes allaitent leurs enfants. Cela veut dire que s'il faut adopter une loi — je suis tout à fait d'accord — elles allaiteraient jusqu'à quel âge? Que faire si elles doivent retourner au travail?
[Traduction]
Dre Heymann : Le droit fondamental d'allaiter au travail permet aux mères de continuer l'allaitement maternel après le retour au travail. Quant à la durée, il existe de nombreuses recommandations différentes, mais neuf mois, 12 mois d'allaitement maternel suffisent pour entraîner des avantages marqués chez des enfants de moins de six ans.
Ces avantages apparaissent dans des études en cours. Il y a littéralement des dizaines d'études sur la question. Chaque nouvelle étude montre que les avantages subsistent même dans le contexte d'économies riches et de régimes de santé avancés. Il y a un effet protecteur qui diminue le taux de décès causés par la diarrhée et des maladies comme la pneumonie. Il y a d'excellentes études randomisées effectuées récemment. On n'a pas demandé aux mères d'allaiter de façon aléatoire, ce qui est évidemment impossible, mais on a randomisé les conditions permettant l'allaitement maternel et débouchant sur des améliorations marquées au chapitre des résultats cognitifs et des différences mesurables au niveau du QI. Nous savons que les avantages de l'allaitement maternel demeurent marqués. La recherche montre aussi de manière convaincante que les femmes peuvent allaiter tout en travaillant, la question étant de savoir si leurs conditions de travail le leur permettent. C'est pourquoi cette loi est tellement importante. De plus, les femmes peuvent allaiter avant de retourner au travail si elles peuvent prendre un congé de maternité ou parental payé. Il faut absolument modifier le régime d'assurance-emploi pour que ces avantages soient étendus à tout le monde.
[Français]
Le sénateur Pépin : Actuellement, la majorité des femmes qui nourrissent leurs enfants sont en congé de maternité parce qu'on n'a pas une loi sur le travail à cet effet, à moins que des employeurs très humains ne le permettent. À Montréal, il y a quelques garderies en milieu de travail. Il n'y en a pas plusieurs mais nous avons quelques unes. Je suis tout à fait d'accord qu'on ait un projet de loi semblable. Cela permettrait aux femmes défavorisées, qui ont besoin de retourner rapidement au travail, d'allaiter leurs enfants, ce qu'elles ne peuvent pas faire maintenant.
[Traduction]
Le sénateur Fairbairn : En écoutant vos interventions et les questions et réponses sur ce que nous pourrions faire pour faire avancer le dossier, des idées me viennent à l'esprit.
Depuis maintenant un certain temps, près de 10 ans, des efforts sont déployés, péniblement mais avec un certain succès, par les gouvernements fédéral et provinciaux pour établir une entente fédérale-provinciale sur la formation en cours d'emploi. Elle existe maintenant. On peut supposer que cette percée est due au fait que des gens en coulisses ont pris conscience des changements survenus dans notre société. Les emplois avaient changé très rapidement. Afin de rehausser le niveau de ceux qui font déjà partir de la population active, sans même parler de tous ceux qui arrivent sur le marché du travail sans aucune compétence particulière, le gouvernement fédéral et les provinces ont négocié cette entente, et elle fonctionne. Le revers de la médaille est qu'il y a en quelque sorte un vide parce que les gens qui doivent apprendre et qui ont un faible niveau d'alphabétisation vivent péniblement dans un monde très différent de celui qu'ils avaient connu au départ, à cause de la technologie.
Il y a quelques années a eu lieu à Toronto une conférence nationale à un niveau élevé portant précisément sur cette question. Il y a eu de nombreuses discussions en groupe. Les partisans de l'alphabétisation ont tenté d'expliquer ce que tout cela voulait dire, mais bien des gens ont refusé de l'accepter ou de le comprendre. À la fin, on a demandé à chaque groupe de proposer trois idées pour la formation en cours d'emploi. En tête de liste, on trouvait la création d'un programme pancanadien d'alphabétisation semblable à ce qui a été fait pour la formation liée au marché du travail.
On est revenu à la charge à maintes reprises dans ce dossier, mais il est constamment remis aux calendes grecques. Peu importe qui est au pouvoir, rien ne se fait. Il manque une pièce importante du puzzle.
Durant les audiences du comité sur l'alphabétisation, nous avons demandé plusieurs fois ce qu'il était advenu de l'idée d'un accord pancanadien. Il semble que la machine se soit enrayée quelque part. Si des propositions concernant l'apprentissage et la formation finissaient par se concrétiser, nous pourrions probablement faire beaucoup de bien.
Le concept est sur la table, mais il ne s'est pas matérialisé. Je ne suis pas certaine de savoir comment faire débloquer le dossier. En vous écoutant tous les trois aujourd'hui, j'espère que nous pourrons diffuser largement vos idées parce qu'il y a là matière à consolider l'argument voulant que l'on conjugue l'apprentissage et la formation. Nous constaterions alors que toutes les provinces de notre pays auraient un avenir beaucoup plus brillant. Cela touche également l'une des principales préoccupations de notre comité depuis longtemps, à savoir la santé. En bout de ligne, il est certain qu'une approche pancanadienne est un élément important d'un Canada en bonne santé. Si vous avez des idées sur la manière de faire comprendre ces suggestions aux gens que nous n'avons pas réussi à rejoindre, veuillez nous en faire part.
Le sénateur Cochrane : Premièrement, quelqu'un a dit qu'il faut développer le cerveau pour qu'il réalise son plein potentiel. Je voulais seulement dire que c'est le noeud du problème. Nous ne savons pas comment former le cerveau pour qu'il fasse tout ce qu'il est capable de faire.
Deuxièmement, je ne sais pas pourquoi, docteure Heymann, mais je ne vous ai pas tellement entendu parler dernièrement de l'allaitement maternel. Je n'ai même pas vu de mères en train d'allaiter. Il y a huit ou neuf ans, je voyais des mères au restaurant qui se plaçaient à l'écart pour allaiter leur enfant ou même le faisaient à table, mais je ne vois plus cela. A-t-on cessé de publiciser tous les bienfaits de l'allaitement maternel? J'ai été impressionnée par votre observation selon laquelle l'allaitement maternel a un impact sur le développement cognitif. Pourriez-vous nous en dire plus long là-dessus? Peut-être devrions-nous publier davantage de brochures pour faire connaître ce fait. C'est peut-être parce que je vieillis, mais je ne vois plus cela assez souvent.
Dre Heymann : Il y a quelques éléments de réponse. D'abord, il faut que les gens comprennent les conséquences. On dirait que, par période, il y a une érosion de la compréhension de l'importance de l'allaitement maternel, en particulier dans les pays à revenu élevé. L'idée se répand que l'allaitement maternel n'a pas tellement d'importance et qu'on peut avantageusement le remplacer par le lait maternisé. Dans la mesure où de telles idées fausses circulent effectivement, je dirais que oui, il est utile de diffuser cette information, et chaque nouvelle génération doit l'entendre.
En même temps, les obstacles sociaux et structurels se renforcent, à cause de l'augmentation, au Canada comme dans tous les pays que nous avons étudiés, du nombre des mères qui sont sur le marché du travail et qui ont des enfants de zéro à un an. L'augmentation du nombre de mères au travail ne devrait nullement faire obstacle à l'allaitement maternel, mais ce sera le cas à moins que nous ne mettions à jour nos politiques.
C'est pourquoi nous devons nous assurer que les mères qui veulent rester à la maison puissent se permettre de le faire, offrant ainsi l'allaitement maternel et des soins à leur bébé au cours des premiers mois de la vie, période pour laquelle il est le plus difficile de trouver des services de garde abordables et de qualité. Nous devons nous assurer que celles qui veulent ou qui doivent retourner au travail en aient le droit. Il y a eu une transformation spectaculaire depuis un quart de siècle quant au nombre de femmes qui prennent la décision de travailler tout en allaitant leur enfant pendant les premières années. La loi, au Canada comme ailleurs, n'a pas vraiment suivi cette réalité et nous devons vraiment y remédier.
Le sénateur Cochrane : Et le développement cognitif?
Dre Heymann : Je pense que la preuve se renforce avec chaque nouvelle étude dans le domaine du développement cognitif. Les premières études donnaient à penser que l'allaitement maternel favorisait le développement cognitif, mais ces études n'étaient pas menées selon les règles de l'art. Au lieu de créer des groupes témoins choisis au hasard, on demandait aux femmes si elles avaient allaité ou non, après quoi on examinait leurs enfants à l'âge adulte, bien des années plus tard. Ces premières études donnaient à penser depuis longtemps que l'allaitement maternel contribuait puissamment au développement cognitif, mais on ne savait pas si d'autres femmes exclues de l'étude allaitaient leur enfant ou non, et l'on ne pouvait donc pas considérer ces études comme entièrement fiables. Il y avait peut-être un parti pris dans le choix des sujets ou un problème de logique.
Aujourd'hui, cependant, nous avons vraiment des études menées de manière irréprochable. Je songe notamment à une étude récente dans le cadre de laquelle des chercheurs ont été envoyés visiter des hôpitaux. Dans une première série d'hôpitaux, ils ont fait une série d'interventions pour promouvoir l'allaitement maternel, tandis qu'ils n'ont rien fait dans les autres hôpitaux. Ils ont suivi les enfants et ont trouvé des QI plus élevés parmi les enfants qui étaient passés par les hôpitaux où l'on avait fait des interventions pour promouvoir l'allaitement maternel.
Dr Lynch : Cette recherche a été faite par un Canadien, en fait, et nous avons donc tout lieu d'en être fiers. Elle a été faite en Biélorussie par notre collègue le Dr Michael Kramer.
J'ajoute que nous faisons des comparaisons avec d'autres pays non pas parce que nous voulons être la Suède; il est impossible de transformer le Canada en Suède. Leur culture, leur histoire, leur contexte sont différents. Nous ne pouvons pas nécessairement transplanter ici ce qui se fait en Suède. Nous devons être sélectifs, mais nous pouvons nous inspirer des succès éclatants. Quatre-vingt-dix pour cent des Suédoises font partie de la population active; or leur taux d'allaitement maternel est plus élevé que le nôtre. C'est grâce au soutien culturel qui existe là-bas. Cela peut se faire.
Dre Heymann : Nous pouvons nous inspirer de différents pays. Quand on regarde autour du monde et qu'on constate que plus de 100 pays garantissent des pauses pour allaitement maternel, nous savons que cela n'a rien à voir avec un système politique en particulier, un modèle historique ou un système économique ou social. Un large éventail de pays ont trouvé le moyen de le faire et il est donc certain que nous pouvons en faire autant.
Le sénateur Pépin : Ce serait bien, parce qu'on aurait alors des garderies dans tous les lieux de travail.
Le président : La discussion a été fascinante cet après-midi. Je tiens à dire à nos témoins à quel point nous leur sommes reconnaissants de nous avoir consacré de leur temps.
Il y a un autre domaine que j'adorerais approfondir avec nos trois témoins, peut-être lors d'une téléconférence dans environ un an, ou peut-être encore plus loin dans le temps. Je constate certaines divergences entre vous trois quant à la manière de s'y prendre pour concrétiser certaines mesures. La Dre Heymann dit que les programmes de base comptent pour beaucoup, par exemple de meilleurs emplois, l'éducation et les soins éducatifs à la petite enfance. C'est parfois un peu difficile de convaincre les gens de la validité de cette suggestion. Je remarque aussi que si nous avons la volonté de le faire, nous pouvons éliminer les privations comme la pauvreté pour les jeunes enfants; nous devrions être en mesure d'élaborer des programmes qui donnent aux enfants l'égalité des chances.
Quand nous en serons à l'étape des recommandations de notre rapport, nous communiquerons de nouveau avec vous. Merci beaucoup.
La séance est levée.