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REFO - Comité spécial

Réforme du Sénat (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Réforme du Sénat

Fascicule 1 - Témoignages du 6 septembre 2006 - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mercredi 6 septembre 2006

Le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat se réunit aujourd'hui à 14 h 01 pour étudier la teneur du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs), et la motion pour modifier la Constitution du Canada (la représentation des provinces de l'Ouest au Sénat).

Le sénateur Daniel Hays (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos invités et à nos téléspectateurs à cette première réunion avec témoins du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat. Pour le bénéfice de nos auditeurs, j'expliquerai brièvement le but de nos travaux.

[Traduction]

Durant la dernière campagne électorale, le Parti conservateur avait promis que, s'il était élu, son gouvernement allait prendre des mesures pour réformer le Sénat. Le 30 mai dernier, il a présenté le projet de loi S-4 visant à limiter le mandat des futurs sénateurs à huit ans.

Notre comité a hâte d'entendre l'avis d'experts à ce sujet.

De plus, le 27 juin, le sénateur Murray, appuyé par le sénateur Austin, a déposé une motion visant à augmenter la représentation des provinces de l'Ouest au Sénat.

[Français]

Il s'agit de la première fois depuis 1992 que notre Parlement est saisi d'une question touchant la réforme du Sénat. Or, vu l'importance pour l'avenir de notre pays et de nos institutions et des modifications proposées, le Sénat a créé un comité spécial pour étudier en profondeur cette réforme et toutes autres questions connexes. Notre comité envisage de déposer son rapport à la fin de septembre, alors que nous présenterons nos conclusions et recommandations au Parlement et aux Canadiens.

[Traduction]

Pour obtenir de plus amples renseignements sur le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, sa composition, ses futures réunions et la transcription de ses délibérations, nous invitons les téléspectateurs à visiter son site web.

Cet après-midi, nous avons le privilège de recevoir Janet Ajzenstat et Roderic Beaujot. Mme Ajzenstat est professeure émérite au département des sciences politiques de l'Université McMaster. Actuellement, ses recherches portent sur le droit constitutionnel comparé, la démocratie et l'histoire politique au Canada. M. Beaujot enseigne la sociologie à l'Université de Western Ontario, où il dirige également le Population Studies Centre.

[Français]

Nous prévoyons siéger jusqu'à 16 heures plus ou moins et j'inviterai tous les participants à formuler des questions, commentaires et réponses aussi concises que possible. J'invite le vice-président du comité, mon collègue, le sénateur Angus, à ajouter quelques mots.

Le sénateur Angus : Merci monsieur le président, je suis d'accord avec vos paroles préliminaires, mais j'aimerais ajouter quelques mots en ma qualité de vice-président du comité et du parti gouvernant.

[Traduction]

À mon humble avis, le Sénat du Canada sert bien les Canadiens depuis son établissement en 1867. Des centaines, voire des milliers, d'éminents Canadiens ont siégé à notre Chambre haute, rendant ainsi, de diverses façons, de précieux services à la population.

Toutefois, nos institutions doivent, et elles le font souvent, évoluer avec leur temps. C'est maintenant au tour du Sénat de se renouveler.

Le projet de loi S-4 n'est rien de moins que la première étape de cette réforme nécessaire du Sénat envisagée par le gouvernement actuel. Nous avons bon espoir que ces délibérations donneront aux Canadiens une occasion unique d'entendre un débat éclairé sur les questions abordées dans le projet de loi S-4 et, évidemment, sur bon nombre d'autres questions liées à la réforme du Sénat.

Il est grand temps de faire entrer le Sénat de plein pied dans le XXIe siècle et de lui permettre d'aller de l'avant pour qu'il puisse remplir son rôle de façon efficace, efficiente et équilibrée dans notre système démocratique.

[Français]

Nous espérons sincèrement que ces séances ne sont qu'une première étape dans un processus qui résultera dans un Sénat réformé et renouvelé qui sera capable d'exécuter son rôle de chambre de réflexion en ce qui concerne la législation et la production d'excellentes politiques publiques pour tous les Canadiens de toutes les régions, toutes les circonscriptions et toutes les provinces du Canada.

Le premier ministre du Canada, le très honorable Stephen Harper, s'est engagé à atteindre ces résultats et il a confirmé sa présence à ce comité demain afin de partager avec nous sa vision de la question générale de renouvellement et de réforme du Sénat.

[Traduction]

Je vous remercie de cette occasion, monsieur le président, et, sans plus attendre, reprenons les travaux du comité.

Janet Ajzenstat, professeure émérite, Sciences politiques, Université McMaster, témoignage à titre personnel : Sénateurs, je me spécialise dans l'étude des débats des Pères de la Confédération responsables de la ratification du texte législatif parce que, comme vous le savez sans doute — et vous seriez étonnés d'apprendre combien de politicologues l'ignorent, moi-même l'ayant seulement appris dans les années 1990 —, après la rédaction des résolutions de Québec, on a présenté une ébauche aux assemblées législatives provinciales. Pour les provinces qui se sont jointes plus tard, le document était, bien entendu, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Pour les provinces d'avant 1867, il s'agissait des résolutions de Québec.

Ils n'avaient pas à approuver les résolutions; ils devaient approuver l'union de leur colonie, de leur province aux autres. Ils passaient au vote. S'ils votaient « non », la province ne pouvait pas entrer dans la fédération; la ratification reposait donc sur la lecture qu'ils faisaient des résolutions originales.

Avec ces résolutions, on a conféré deux rôles au Sénat : celui de représenter les régions du pays au Parlement national et celui de servir de contrepoids — un terme employé couramment durant les débats des assemblées provinciales — aux pouvoirs du Cabinet et de la Chambre des communes.

Penchons-nous d'abord sur la représentation des régions. La notion de représentation qu'avaient les pères fondateurs ressemblait beaucoup à celle d'Edmund Burke, c'est-à-dire que les députés parlent au nom d'un territoire donné; les sénateurs servent les intérêts d'une région; et tous représentent le pays dans son ensemble.

Pendant les débats sur la Confédération à l'Assemblée législative canadienne, en 1865, Joseph Cauchon disait que notre Constitution s'inspirait du modèle britannique, que chaque représentant, même s'il était élu par un comté donné, représentait l'ensemble du pays — c'est-à-dire les colonies britanniques du Haut et du Bas-Canada réunies dans une confédération — et devait assumer une responsabilité législative envers tout le Canada. Les députés représentent une circonscription et les sénateurs, une région, mais tous représentent le pays dans son ensemble.

Dans un débat sur le Sénat, en 1908, le sénateur Ambroise Comeau a fait la remarque suivante :

L'utilité de cette Chambre-ci —

— le Sénat —

— repose sur son « caractère national », sur la « largeur de vues » de ses membres, sur le maintien juste et équitable non seulement des droits de toutes les classes d'hommes, mais de toutes les parties du Dominion.

On dit parfois que les premiers ministres provinciaux réussissent mieux à défendre les intérêts des provinces. Ils expriment certes leurs intérêts avec véhémence, mais ne le font pas dans un forum qui représente chaque partie du Dominion dans la Constitution canadienne. Le Sénat est un lieu de débat. L'obligation de représenter à la fois la localité et la nation pose certaines difficultés — que vous connaissez sûrement —, mais on aurait tort de considérer cet aspect fondamental de la représentation parlementaire comme une faiblesse. Cette obligation permet — suprêmement — aux sénateurs de défendre leurs intérêts régionaux dans les débats nationaux. Quand j'ai lu les débats de juin dernier entourant ce projet de loi, il me paraissait évident que les sénateurs savaient qu'ils parlaient autant au nom de leur région que de la nation. Les premiers ministres des provinces font part de leurs intérêts; les sénateurs délibèrent dans les institutions compétentes et constitutionnelles du pays.

La deuxième fonction du Sénat est de servir de contrepoids, notamment de retarder ou d'empêcher l'adoption d'une mesure législative lorsque le gouvernement semble vouloir utiliser sa majorité à la Chambre pour étouffer le débat et supprimer les minorités politiques.

John Stewart Mill parle d'une belle époque dans son ouvrage, Representative Government, publié en 1861. Presque tout le monde ayant examiné les résolutions de Québec, et plus tard l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, connaissait l'opinion de Mill. C'est quelque chose qu'il fallait avoir lu à l'époque. « Lorsqu'elle prend un caractère permanent — parce que composée des mêmes personnes qui travaillent régulièrement ensemble et sont toujours assurées de triompher — une majorité au sein d'une chambre d'assemblée devient facilement despote et outrecuidante dès qu'elle n'a plus à se préoccuper de faire entériner ses décisions par une autre autorité constitutionnelle. »

Voici ce qu'a déclaré James Gray Stevens, à l'Assemblée du Nouveau-Brunswick, en juin 1866 : « La Constitution de la Grande-Bretagne a été acclamée par tous les écrivains de l'histoire. Et tout cela en raison du puissant contrepoids qu'apporte le Sénat aux pouvoirs de la Chambre des communes. Nous devrions donc tâcher de barrer le chemin à toute tentative visant à jeter le discrédit sur son autorité. »

Il est faux de prétendre, comme les historiens le font souvent, que les Pères de la Confédération n'étaient pas démocrates. Le système de freins et contrepoids dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 est sans aucun doute une formule pour une démocratie libérale. Ni parti, ni clique, ni faction, ni supposée oligarchie ou gouvernement populiste incontesté.

John A. Macdonald a dit ce qui suit :

Nous profiterons de l'ultime liberté constitutionnelle : les droits de la minorité seront respectés. Sous la plupart des gouvernements, les droits de la majorité seuls comptent; il n'y a que dans les pays comme l'Angleterre, qui jouissent de la liberté constitutionnelle et vivent à l'abri de la tyrannie du despote absolu ou de la démocratie sans frein, que les droits des minorités sont respectés.

C'était en mars 1865, devant l'Assemblée législative canadienne.

Par « minorités », il entendait non pas les groupes ethniques ou religieux — comme certains observateurs l'ont pensé —, mais bien l'opposition politique, c'est-à-dire le ou les partis d'opposition.

Autrement dit, le grand avantage du Parlement est de pouvoir préserver la liberté d'opinion et donc de favoriser des débats législatifs fructueux.

Nous savons tous que le Parlement du Canada n'a souvent pas rempli ses obligations. Aucune institution créée par l'homme n'est sans faille. Il n'en demeure pas moins que le régime parlementaire de freins et de contrepoids, garant du bicaméralisme, est la plus grande invention qui soit sur le plan politique. Tous les pays libres ont aujourd'hui un modèle de gouvernement inspiré du Parlement britannique du XVIIe siècle. J'inclus le Congrès américain, une grosse branche de l'arbre parlementaire. Bien entendu, je ne veux pas dire par là que le régime parlementaire mérite notre allégeance parce qu'il est inspiré du modèle britannique. Il mérite notre allégeance et notre respect pour son efficacité. Il a fait ses preuves. Nul besoin de penser ou de rêver en anglais pour tirer profit des vertus de cette vieille constitution britannique.

J'en arrive à parler de la réforme ou du renouvellement. J'aime particulièrement ce mot « renouvellement » qui, je l'ai remarqué, plaît aussi au sénateur Fraser, assis à l'autre bout de la table. Cette réforme devrait principalement nous permettre autant d'analyser le passé que de nous tourner vers l'avenir. Nous devrions être en mesure d'abolir des réformes introduites au nom de l'efficacité aussi souvent que nous y apportons des améliorations. Les tyrans préconisent l'efficacité et le Parlement favorise des délibérations ouvertes. Je me suis permis d'écrire que la constitution d'une chambre haute au niveau provincial permettrait de contenir les ambitions démesurées des premiers ministres. Cela n'a rien à voir avec ce comité, mais ne serait-ce pas une bonne idée?

Dans un court article que j'ai rédigé pour la Canada West Foundation, j'ai fait valoir que l'élection des sénateurs était peut-être la chose à envisager en ce moment. Beaucoup de gens sont pour et attendent cette réforme plus ou moins patiemment depuis longtemps. Par contre, nous ne devrions pas introduire cette réforme au nom de la démocratie. Une deuxième chambre élue ne rendra pas le Canada plus démocratique qu'il ne l'est présentement. À titre de chambre indépendante de second examen objectif, le Sénat devrait savoir résister aux demandes irréfléchies émanant de la Chambre des communes.

Je serai heureuse de répondre à vos questions tout de suite après le deuxième exposé.

Roderic Beaujot, professeur, Sociologie, Université de Western Ontario, témoignage à titre personnel : Faisant suite à la motion des sénateurs Murray et Austin, mon exposé portera sur le bien-fondé de la reconnaissance de la Colombie- Britannique et des provinces des Prairies comme régions devant être représentées de manière distincte au Sénat.

Mon exposé comporte deux volets. Tout d'abord, je veux aborder la question du régionalisme au Canada, c'est-à- dire comment nous définissons les régions, puis je traiterai ensuite de l'évolution démographique passée et à venir des différentes régions canadiennes.

Je m'intéresse beaucoup à ces questions, étant moi-même originaire de la Saskatchewan. Je suis d'ailleurs allé visiter mes parents à Kipling il y a peine quelques semaines. Vous connaissez sûrement cet endroit, devenu célèbre pour ses trombones. J'ai également deux frères et deux sœurs qui exploitent une ferme dans cette localité. J'ai obtenu mon diplôme à l'Université de l'Alberta, mais j'ai toujours travaillé en Ontario.

Je me sens également attaché au Québec puisque je parle français, ayant suivi le cours classique au Collège Mathieu de Gravelbourg, en Saskatchewan.

J'ai rédigé deux ouvrages sur l'évolution de la population au Canada : Population Change in Canada : The Challenges of Policy Adaptation et Growth and Dualism : The Demographic Development of Canadian Society.

J'ai débuté ma carrière à Statistique Canada, où j'ai travaillé avec la première génération de projections démographiques, fondées sur le recensement de 1971.

Parlons d'abord de la définition des régions du Canada. Dans Growth and Dualism, mon coauteur et moi-même nous sommes attachés aux différences d'évolution démographique au Québec et dans le reste du Canada, surtout sur les plans de l'histoire, de la fécondité et de l'immigration.

Cependant, dans un chapitre intitulé « Population and the problem of regionalism », nous avons fait observer que le régionalisme peut être étudié de différents points de vue, et qu'il existe en fait des ouvrages sur la question au Canada portant sur la géographie, l'économie, l'histoire, la politique et la sociologie.

Inspirés par certains spécialistes, en particulier des géographes, nous avons divisé le Canada en six régions : l'Atlantique, le Québec, l'Ontario, les Prairies, la Côte et le Nord. Ce sont les divisions que nous avons utilisées dans notre ouvrage publié en 1982.

En soulignant ce que nous avons appelé le « facteur démographique dans l'équation régionaliste », nous nous sommes centrés sur les schémas de peuplement au fil de l'histoire et le fait que la longue bande de peuplements au nord de la frontière américaine est interrompue deux fois, par le Bouclier et par les Rocheuses.

Dans ce même ouvrage, nous avons souligné qu'en raison de l'histoire de peuplement du pays, les populations des diverses régions sont assez diversifiées. Par exemple, à cette époque, 94 p. 100 de la population de Terre-Neuve était d'origine britannique, tandis que 79 p. 100 de celle du Québec était française, et que la moitié environ de celle des provinces des Prairies n'était ni britannique ni française.

Nous avons conclu que les mouvements de population par migration interne n'ont pas servi à mélanger les populations des diverses régions. Les mouvements de population se sont rarement faits à travers l'Ontario vers l'Ouest ou l'Est.

Par ailleurs, les déplacements entre régions urbaines se sont effectués en grande partie selon quatre axes : l'Ouest vers Vancouver, l'Ontario vers Toronto, le Québec vers Montréal, les villes atlantiques constituant un ensemble relativement fragmenté.

Nous en sommes arrivés à la conclusion, et je la maintiens, qu'il y a quatre facteurs interreliés qui sous-tendent le régionalisme au Canada : premièrement, le facteur géographique, surtout les ruptures dans le peuplement dues au Bouclier canadien et aux Rocheuses; deuxièmement, le facteur économique, la disparité sur le plan des ressources naturelles; troisièmement, le facteur politique, l'inégalité sur le plan du pouvoir, surtout entre le centre et la périphérie; et quatrièmement, le facteur démographique, l'importance inégale des populations, l'absence d'échanges migratoires dans tout le pays et la répartition inégale des groupes ethniques.

Dans notre deuxième ouvrage, publié en 1991, le chapitre s'intitule : « Population distribution, internal migration, and the regions ». Tout en relevant des facteurs du même ordre qui sous-tendent les questions régionales, l'étude a porté sur les provinces.

Nous avons fait observer que la répartition inégale de la population est au cœur même des problèmes régionaux. Selon nous, ce phénomène ne sera pas plus facile à régler, étant donné que le mouvement naturel de la population deviendra un facteur qui contribuera moins à la croissance démographique, et que nous ne penserons plus en termes de croissance relative mais plutôt d'essor de régions au détriment d'autres.

Dans la seconde édition de Population Change in Canada, mon coauteur Don Kerr et moi-même nous sommes concentrés sur les quatre grandes régions urbaines qui, selon le recensement de 2001, marquent le caractère géographique du pays. Il y a tout d'abord le Golden Horseshoe, où vivent 22 p. 100 des Canadiens; Montréal et sa périphérie, avec 12 p. 100; les basses-terres continentales de la Colombie-Britannique et le sud de l'île de Vancouver, avec 9 p. 100; et le corridor Calgary-Edmonton, avec 7 p. 100.

Comparée à l'ensemble de la population, qui a augmenté de 4 p. 100 entre 1996 et 2001, la population de ces quatre régions a affiché une progression de près de 8 p. 100. En fait, les provinces qui ne font pas partie de l'une de ces régions urbaines ont vu leur population décliner ou augmenter de moins de 1 p. 100 au cours de cette période.

Le recensement de 2001 souligne également le rôle de l'immigration dans la dynamique démographique et régionale. Entre 1991 et 2001, les migrations internationales nettes représentaient 60 p. 100 de l'ensemble de la croissance démographique, alors que ce pourcentage avoisinait les 25 p. 100 au cours des décennies précédentes.

Entre 2001 et 2004, l'immigration internationale nette représentait les deux tiers de la croissance démographique. Étant donné que les immigrants sont attirés par des régions spécifiques, les migrations internationales continuent de jouer un rôle important dans l'inégalité de la répartition des populations et des groupes ethniques sur le plan géographique.

Parlons maintenant de la population et des sièges au Sénat. Vous avez sûrement constaté que le document fourni renferme six tableaux. Le tableau 1 montre la répartition de la population par province en 1871, en 1915 et en 2005. J'ai choisi 1915 car c'est l'année de la dernière grande nouvelle répartition des sièges au Sénat.

Comme nous pouvons le voir, entre 1915 et 2005, le taux de croissance de la population varie beaucoup entre les différentes provinces. C'est la Colombie-Britannique qui connaît la plus forte augmentation, sa population s'étant multipliée par neuf, contre sept en Alberta et 4,6 en Ontario. Pour toutes les autres provinces, la croissance démographique a été inférieure à la moyenne, puisqu'elle s'est multipliée par 3,5 au Québec, un peu plus de deux à Terre-Neuve, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick, et environ un et demi en Nouvelle-Écosse, en Saskatchewan et à l'Île-du-Prince-Édouard.

Le tableau 2 regroupe les données concernant les quatre régions reconnues par le Sénat actuel. Ici, c'est l'Ontario et l'Ouest qui se distinguent, leur population s'étant multipliée par 4,6 au cours des 90 dernières années, comparativement à 3,5 pour le Québec et 1,9 pour les provinces maritimes.

Le contraste entre les provinces maritimes et l'Ouest du pays est frappant, étant donné que ce dernier concentre maintenant 30 p. 100 de la population canadienne.

Le tableau 3 montre les mêmes données, avec des régions distinctes pour les provinces des Prairies et la Colombie- Britannique. Ceci indique que la population des Prairies a augmenté à un rythme presque identique à celui du Québec, se multipliant par 3,3 contre 3,5 respectivement. La Colombie-Britannique se distingue nettement du fait que la population s'y est multipliée par 9,5; l'Ontario venant derrière pour ce qui est de la croissance la plus importante au niveau de la région; la population s'y étant multipliée par 4,6.

Le tableau 4 illustre les sièges au Sénat par région et par province pour 1867, 1915 et 2006.

Si l'on compare les tableaux 3 et 4, on pourrait dire que la Colombie-Britannique est une région pleine avec 24 sièges, puisqu'en 2005, elle comptait de deux à trois fois plus d'habitants que les Maritimes. Parallèlement, les 12 sièges proposés pour la Colombie-Britannique permettent une plus grande conformité de cette région proposée avec l'Alberta, qui aurait 10 sièges en tant que partie de la région des Prairies. Quoi qu'il en soit, en 2005, il y avait en Alberta 1,8 fois plus d'habitants que dans les Maritimes.

Avant de présenter les projections démographiques, j'aimerais préciser qu'elles sont entachées d'une grande incertitude. Dans le tableau 5, j'ai tiré certains résultats de la première génération de projections démographiques allant jusqu'à 2001 pour montrer, qu'au niveau national, les projections médianes de Statistique Canada étaient presque exactes, soit 1,2 p. 100 de moins que la population réelle de 2001. Comme vous pouvez le constater, les projections démographiques sont moins justes à l'échelle provinciale et régionale. Néanmoins, on n'était pas très loin pour ce qui est des projections régionales, et je dirais que les projections démographiques sont beaucoup plus exactes que les projections économiques qu'on a pu faire pour cette période de trente ans.

Le tableau 6 renferme la dernière génération de projections démographiques pour toutes les provinces réunies en cinq régions. Cette projection prévoit un recul pour Terre-Neuve et la Saskatchewan. Par régions, la croissance totale serait de 4 p. 100 pour les Maritimes, de 11 p. 100 pour le Québec, de 29 p. 100 pour l'Ontario, de 19 p. 100 pour les Prairies et de 29 p. 100 pour la Colombie-Britannique. Ceci montre encore une fois que la Colombie-Britannique et l'Alberta méritent tout particulièrement d'être mieux représentées au Sénat.

Je vais terminer en faisant remarquer que la variation démographique n'est qu'un des facteurs qui ont une influence sur les intérêts des citoyens et l'orientation des politiques canadiennes. J'estime que les différences qui existent entre les régions rurales et les petites villes, d'une part, et les grandes villes et les régions métropolitaines, d'autre part, sont souvent aussi importantes, sinon davantage, que celles qui existent entre ces quatre ou cinq régions du pays.

En particulier, dans les régions métropolitaines, il est plus facile pour les familles d'avoir deux revenus. Il est également plus facile pour les enfants de faire leurs études sans avoir à quitter le domicile familial et de vivre près de leurs parents lorsqu'ils entrent sur le marché du travail. En ce qui a trait à la conciliation travail-famille et à la façon dont les gouvernements doivent soutenir les familles, le point de vue des gens à ce sujet varie selon qu'ils habitent une région rurale ou une petite ville ou bien une région métropolitaine, en raison surtout des possibilités qui existent pour gagner sa vie et avoir deux revenus, notamment.

Je vous laisse sur ces commentaires au sujet de la répartition régionale et la croissance des diverses régions du pays.

Le président : Merci. Je vais maintenant laisser mes collègues poser des questions et faire leurs commentaires.

Le sénateur Austin : Étant donné que mon temps est restreint pour la première ronde, je vais poser mes questions à Mme Ajzenstat. S'il y a une deuxième ronde, j'aurai bien des questions à poser à notre deuxième témoin.

J'ai bien aimé votre exposé madame Ajzenstat. Je dois vous dire que j'ai lu attentivement l'article que vous avez rédigé dans la publication Dialogues. Je comprends tout à fait le rôle essentiel de contrepoids que joue le Sénat, que j'appuie d'ailleurs, et je crois que la représentation des régions de même que la motion que le sénateur Murray et moi- même avons présentées traduisent ce rôle. La question principale est de savoir si le projet de loi S-4, qui vise à établir un mandat de huit ans, qui peut être renouvelé indéfiniment, vient miner ce rôle de contrepoids, car il diminue l'indépendance des sénateurs, dont la responsabilité est d'exercer un contrepoids. Pourriez-vous commenter le lien entre le rôle essentiel de contrepoids et le mandat renouvelable de huit ans?

Mme Ajzenstat : Vous voyez juste. Lorsque j'ai lu le projet de loi S-4, je n'ai pas bien compris si les sénateurs nommés, voire même élus, si nous en arrivons là, pouvaient obtenir un second ou un troisième mandat. Ce n'était pas clair dans mon esprit, et au cours des débats du mois de juin, cela n'a jamais été clarifié à ma satisfaction.

Le sénateur Austin : Je croyais que le sénateur LeBreton nous avait assuré avec certitude que c'était de cette façon qu'il fallait interpréter le projet de loi.

Mme Ajzenstat : Si c'est le cas, pourquoi cela n'est-il pas mentionné?

Le sénateur Austin : D'un autre côté, il n'y a rien dans cette mesure qui l'empêche.

Mme Ajzenstat : C'est vrai. Dans l'article que j'ai rédigé, j'ai pris le risque d'affirmer qu'un mandat non renouvelable de neuf ans serait convenable. Je conviens entièrement avec le professeur David Smith qu'un mandat non renouvelable de 12 ans serait excellent, mais en réfléchissant à ce qui est probable et possible, j'ai penché pour neuf ans au lieu de huit ans. Comme le sénateur Fraser l'a fait remarquer, à l'instar d'autres personnes, la fin du mandat des sénateurs coïnciderait fort probablement avec la fin du mandat des députés. En ajoutant seulement un an, cela ferait certainement en sorte que les mandats des sénateurs se termineraient en dehors des périodes d'élections nationales.

Il faut un élément qui rende la Chambre haute plus indépendante. Il y avait une question de richesse et de durée du mandat. Nous proposons maintenant de réduire cette durée, mais nous devons être très prudents. Aussi, depuis toujours, les nominations sont fondées sur le mérite. Nous ne pouvons pas éliminer tous ces éléments de distinction.

Je ne me sens pas à l'aise avec l'idée d'établir un mandat de huit ans ni même avec l'idée d'un mandat renouvelable, car cela peut donner à penser que certains sénateurs n'agissent pas de façon indépendante parce qu'ils se préoccupent d'obtenir un deuxième ou un troisième mandat.

L'objectif du Sénat, tel qu'il a évolué au fil du temps, n'est pas tant de surveiller la Chambre des communes, mais plutôt de faire réfléchir à deux fois les gouvernements ambitieux et audacieux. C'est ce que sa nature lui permet de faire. Un gouvernement doit toujours penser que son projet de loi doit être examiné par la deuxième Chambre. En réalité, les sénateurs ont très peu à faire, mais je peux vous dire qu'après avoir lu l'excellent livre du sénateur Joyal, je sais qu'ils en font beaucoup.

Les deux Chambres du Parlement doivent exister et elles doivent être distinctes. Je partage votre préoccupation à ce sujet.

Le sénateur Austin : Quant à la mémoire institutionnelle, le système actuel de nomination, je ne sais pas si c'est par hasard ou non, fait en sorte que les sénateurs ont des mandats de durée différente. Cela fait 30 ans que je suis au Sénat. Certains sénateurs ont été nommés après avoir atteint l'âge de 70 ans. Un sénateur a été nommé alors qu'il avait déjà 74 ans. Cette variété contribue à créer une mémoire institutionnelle, et je suis d'avis qu'un mandat plus long — et je ne parle que des nominations, car c'est seulement dont il est question dans le projet de loi — favorise, par sa nature, une indépendance sur le plan des actions et de la personnalité. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

Mme Ajzenstat : On dit que les mandats des députés sont trop courts et que la Chambre des communes n'a pas, par conséquent, une grande mémoire institutionnelle. Cela n'est pas vrai par contre en Grande-Bretagne, quoi qu'il y ait certaines merveilleuses exceptions à la Chambre des communes.

Je suis d'accord avec vous. Je connais un aspirant sénateur de l'Alberta qui possède déjà une assez grande mémoire institutionnelle puisque depuis plusieurs années il se tient au courant de ce qui se passe, mais il ne siègera probablement jamais au Sénat.

La question de la mémoire institutionnelle est excellente. J'ai l'ai relevée en lisant le compte-rendu des débats du mois de juin.

Le sénateur Austin : J'ai une dernière question à vous poser relativement à votre article au sujet de la représentation des régions. Je ne vais pas répéter vos propos, mais je tiens à dire que je les approuve en majeure partie. J'aimerais obtenir votre point de vue sur le rôle des premiers ministres provinciaux. Laissez-vous entendre qu'ils n'ont pas à représenter les intérêts nationaux, mais bien le Conseil de la fédération, qui est assez récent et qui, de par sa composition, est incapable d'adopter un point de vue national parce qu'il est essentiellement un lieu de négociation — n'est-ce pas un lieu d'échange de bons procédés? Je ne veux pas vous prêter des propos, mais je veux que vous compreniez la nature de ma question et je voudrais avoir votre avis sur le rôle des premiers ministres par rapport au rôle du Sénat sur le plan national.

Mme Ajzenstat : Ce serait une erreur pour moi d'affirmer que les premiers ministres provinciaux ne pensent jamais à l'intérêt national. Je ne veux pas dire cela. Je sais qu'ils en sont capables, mais ils ne le font pas dans une enceinte où c'est exigé et où c'est attendu, et ce depuis trois siècles, soit depuis 1688. Je crois que les premiers ministres ont facilement tendance à exiger des changements d'abord et à déclarer ensuite que c'est dans l'intérêt du Canada. Je sais que les sénateurs peuvent parfois négliger le pays au profit de leur région, mais la structure du Sénat et sa place au sein du système parlementaire signifient que les sénateurs doivent plus souvent penser à leur pays, et c'est ce qu'on exige d'eux.

Je vais me contenter de dire qu'il a été proposé durant le débat sur la modification, le 28 juin 2006, que certains sièges soient réservés aux Autochtones. Il n'a jamais été dans la tradition parlementaire britannique que le gouvernement représente des intérêts particuliers. On part du principe que les peuples autochtones sont assujettis à toutes les lois, qu'ils sont punis s'ils commettent des crimes, bref, qu'ils sont des citoyens à part entière; les sénateurs et les députés, eux, peuvent légiférer. On a aussi fait valoir cet argument à l'égard des hommes et des femmes. Est-ce qu'en 1867 les hommes légiféraient pour eux-mêmes uniquement? Non, je ne crois pas. Ils avaient à cœur les intérêts de tous les citoyens canadiens, qui sont tous assujettis aux lois. De même, si les femmes étaient majoritaires à la Chambre des communes, ce qui pourrait se produire, ou bien à la Cour suprême, ce qui pourrait aussi arriver, elles ne seraient pas incapables de légiférer de manière réfléchie au nom de la population masculine du pays.

Le sénateur Austin : Vous avez fait valoir un point intéressant. La réponse à ma dernière question peut pratiquement se limiter à un oui ou à un non. Vous avez digressé de façon intéressante en parlant de la représentation distincte, madame, mais je veux revenir à la question des premiers ministres. Je déduis, par conséquent, que vous n'êtes pas en faveur de la création au Canada d'un organe comme la Bundesrat, ce qui signifierait la nomination des sénateurs par les assemblées législatives provinciales ou par les premiers ministres des provinces.

Mme Ajzenstat : Ce serait là un changement extraordinaire. Mais qu'y a-t-il de mal à conserver la constitution établie au XVIIe siècle? Nous pouvons bien entendu la modifier d'une certaine façon. L'élection des sénateurs ne serait pas un si grand changement, mais il s'agirait d'un processus qui serait extrêmement bénéfique pour la fédération.

Le sénateur Angus : Je vais poser ma question à Mme Ajzenstat parce que M. Beaujot a parlé exclusivement de la répartition démographique liée à la motion Murray-Austin, à propos de laquelle j'aimerais l'interroger plus tard.

Quant au projet de loi S-4, si je vous ai bien compris, vous estimez que le mandat de huit ans pose certains problèmes. Vous avez signalé que cela diminuerait l'indépendance des sénateurs et l'efficacité de la Chambre. Mais supposons que le gouvernement décide d'adopter le projet de loi tel qu'il est rédigé à l'heure actuelle. Vous êtes-vous demandé si le Parlement détient la compétence et le pouvoir nécessaires pour faire cela s'il le souhaite?

Mme Ajzenstat : Selon moi, et on pourrait ne pas être de mon avis, je pense que oui dans ce cas-ci.

Le sénateur Angus : J'ai lu certains de vos articles, et je déduis que le projet de loi S-4 ne vous convient pas tel qu'il est rédigé en ce moment à cause du mandat de huit ans. S'il s'agissait d'un mandat non renouvelable de 12 ans, que penseriez-vous?

Mme Ajzenstat : Je serais ravie.

Le sénateur Angus : Et que penseriez-vous d'un mandat non renouvelable de huit ans?

Mme Ajzenstat : Je croyais que le projet de loi S-4 prévoyait un mandat non renouvelable de huit ans.

Le sénateur Angus : Alors seriez-vous en faveur de cela? Ce n'est pas aussi bien qu'un mandat de 12 ans.

Mme Ajzenstat : Ce n'est pas aussi bon qu'un mandat de neuf ans ou dix ans. Je trouve que 11 ans, c'est ridicule, mais 12 ans, c'est bien.

Le sénateur Angus : Je comprends. Le seul autre point que je veux aborder c'est la question de l'indépendance. Supposons que le mandat est de huit ans et qu'il est renouvelable. C'est ce que l'on propose. Êtes-vous d'avis que les sénateurs nommés ou élus pour huit ans, souhaitant un renouvellement de leur mandat, ne seraient pas objectifs? Est- ce pour cette raison que cette mesure ne vous convient pas ou y en a-t-il une autre?

Mme Ajzenstat : Je ne voulais pas formuler mes propos de cette façon dans cette salle-ci. J'ai dit c'est ce que certaines de leurs actions pourraient donner à penser.

Le sénateur Angus : D'autres personnes l'ont dit ce matin, alors ne vous en faites pas.

Mme Ajzenstat : D'accord.

Le sénateur Angus : Y a-t-il d'autres raisons que je ne connais pas?

Mme Ajzenstat : Dès les débuts de la Confédération, on a bien pris soin d'établir que les sénateurs seraient choisis parmi le peuple. Cette phrase a été répétée à maintes reprises. Ce ne sont pas des gens extraordinaires. Ils n'ont aucun titre de noblesse. Quand les sénateurs rentrent chez eux, ils sont comme tous les autres citoyens et doivent respecter les lois qu'ils ont eux-mêmes ratifiées.

En 1867, le critère sur la propriété visait à leur conférer un certain respect. Ils ne devaient représenter aucune entreprise ni les intérêts d'aucune société. Tout cela visait à les mettre à l'abri. Il existe une longue histoire de corruption dans les pays dotés d'une constitution, qu'il s'agisse entre autres de soudoyer les députés de la Chambre des communes et sans aucun doute les membres de l'autre Chambre. Ce critère visait donc à faire en sorte que les sénateurs soient véritablement indépendants. Nous devons veiller à ce que rien ne ternisse cette réputation.

Le sénateur Angus : On a entendu quelques explications possibles quant à la raison pour laquelle on a fixé ce montant de 4 000 $, somme qui est maintenant évaluée entre 750 000 $ et 1 million de dollars, mais n'avons-nous pas confiance en la sagesse et le bon jugement des personnes qui éliraient les sénateurs? S'ils ne faisaient pas un bon travail ou s'ils n'agissaient pas de façon indépendante, les électeurs s'en rendraient compte; ils ne sont pas stupides du tout.

Mme Ajzenstat : Non, ils ne le sont pas du tout. Mais quoi qu'il en soit, c'est le système qui existe actuellement.

Le sénateur Angus : En effet.

Mme Ajzenstat : Le Canada a été fondé par l'entremise de la souveraineté populaire. Ce n'est pas ce que les historiens affirment, mais c'est la réalité. C'était le sujet du débat, à savoir la notion d'égalité; nous devons respecter le peuple. Je dois dire qu'on ne les présente pas toujours très bien à l'émission Cross Country Checkup.

Le sénateur Angus : Il ne se présente pas toujours aux urnes non plus.

Mme Ajzenstat : Je ne crois pas qu'un taux de participation élevé aux élections témoigne nécessairement de l'intérêt des gens envers la politique. Je n'en suis pas sûre. Un mandat renouvelable de huit ans me conviendrait mieux si les sénateurs étaient élus.

Le sénateur Fraser : Ma question porte sur un détail, monsieur Beaujot, et vous pouvez m'envoyer promener si vous le voulez. En tant que personne dont les ancêtres proviennent de la Nouvelle-Écosse, je me demande si dans le tableau 1, dans les colonnes relatives à 1871, les chiffres concernant l'Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse n'auraient pas été inversés.

M. Beaujot : J'ai envoyé une version révisée.

Le sénateur Fraser : Je ne l'ai pas reçue, mais c'est très bien.

M. Beaujot : Les trois chiffres ont été inversés.

Le sénateur Fraser : Vous avez de toute évidence réfléchi longuement sur la dynamique du Parlement, et je me demande si vous pourriez m'expliquer quelle serait selon vous l'incidence sur cette dynamique d'un Sénat élu doté des pouvoirs actuels. Un certain nombre de personnes, dont quelques membres éminents de cette Chambre, sont d'avis que si nous passons à un Sénat élu sans rien changer d'autre, le Sénat revendiquerait rapidement au moins la même légitimité que la Chambre des communes puisque chaque sénateur compterait davantage d'électeurs dans sa circonscription peu importe le système électoral et siègerait pour une plus longue période.

Ma question est la suivante : sans aucune modification des pouvoirs, un Sénat élu minerait-il le système de gouvernement responsable actuel selon lequel le gouvernement est comptable devant la chambre habilitée à prendre un vote de confiance, soit la Chambre des communes?

Mme Ajzenstat : John A. Macdonald et George Brown ont débattu de cette question à l'Assemblée législative de la province du Canada. M. Brown était en faveur d'un Sénat nommé. Il était de gauche, mais il souhaitait que les sénateurs soient nommés. De son côté, John A. Macdonald, un conservateur, préconisait un Sénat élu. M. Brown décrivait la Chambre des communes comme étant davantage démocratique, la qualifiant de chambre du peuple. Il était bien entendu extrêmement fier du renversement des oligarchies coloniales, la victoire de 1848 sur le Pacte de la famille et la Clique du château. M. Macdonald s'est rallié à M. Brown, et c'est pourquoi nous avons un Sénat nommé.

L'argument qu'on faisait valoir, c'était que si le Sénat est élu, il obtiendra seulement le pouvoir de rejeter. Les articles 53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 décrivent le système de gouvernement responsable en ce qui a trait à l'impôt et aux dépenses. Ils prévoient que les projets de loi de finances doivent être présentés à la Chambre des communes. Cette protection est-elle suffisante? Il s'agit là d'une bonne question, et je ne sais pas quel serait l'effet sur la dynamique.

J'ai entendu des sénateurs parler de cela, des sénateurs éminents d'une génération un peu plus vieille, et ils affirment toujours que le Sénat s'en remet naturellement à la Chambre des communes au bout du compte après avoir espéré des réformes, insisté et ralenti les choses, car il n'est pas élu. J'en prends donc bonne note; un Sénat nommé est plus sûr.

Le sénateur Comeau : Madame Ajzenstat, je ne peux pas m'empêcher de mentionner le nom d'Ambroise Comeau, qui a été nommé au Sénat au début du XXe siècle par sir Wilfrid Laurier. Il était originaire de mon village, Meteghan Station, et c'est pourquoi je voulais le mentionner.

Ma question s'adresse à M. Beaujot et concerne la proposition des sénateurs Murray et Austin. Quelqu'un a-t-il déjà examiné la réforme du Sénat non pas en se fondant sur la géographie, mais plutôt sur les communautés d'intérêts? Je pose cette question parce que souvent des régions éloignées l'une de l'autre peuvent avoir davantage en commun entre elles qu'avec des régions situées à proximité. Par exemple, les régions côtières de la Colombie-Britannique ont beaucoup plus en commun avec les régions côtières de l'Atlantique qu'avec celles du sud du pays.

Ce n'est pas ce que je veux préconiser, mais je me demande si on ne devrait pas envisager de nous pencher sur les communautés d'intérêts plutôt que simplement sur la géographie dans le cadre de la réforme du Sénat.

M. Beaujot : Oui, c'est ce que je pense. Lors des débats à la fin juin, j'ai bien aimé entendre dire que le Sénat cherche à représenter la diversité du Canada, y compris les différents intérêts. Il est plus difficile de grouper les régions selon leurs intérêts, quoique je parle dans mon texte de la distance, notamment entre le centre et la périphérie, comme étant un des principaux facteurs qui sous-tendent le régionalisme. Les régions situées loin du centre ont un intérêt en commun, qu'elles appellent ce centre l'est ou Ottawa ou quoi que ce soit d'autre.

Le sénateur Comeau : Si vous suivez les débats de la Chambre et du Sénat, vous remarquerez que souvent les gens issus des collectivités rurales du Canada ont tendance à partager le même point de vue peu importe la région d'où ils viennent, contrairement aux personnes des régions urbaines, dont les problèmes et les préoccupations sont différents.

Je voudrais revenir sur ce point. Je crois savoir qu'à l'heure actuelle entre 75 p. 100 et 80 p. 100 de la population canadienne vit en milieu urbain tandis que de 20 p. 100 à 25 p. 100 habite une région rurale. Les problèmes que vivent les collectivités rurales sont largement différents de ceux des régions urbaines. Devrions-nous plutôt examiner la réforme du Sénat sous cet angle?

M. Beaujot : Comme je l'ai dit tout à l'heure, il existe d'autres types de différences géographiques qui sont peut-être toutes aussi importantes. Par exemple, les trois plus grandes villes — Montréal, Toronto et Vancouver — ont des intérêts différents à de nombreux égards et des préoccupations sur le plan de la croissance de la population. À l'inverse, les régions rurales, notamment les régions éloignées du nord du Québec et de l'Ontario, ainsi que les régions rurales des Prairies, souffrent de dépeuplement. Mon frère pratique l'agriculture près de Kipling. Son enfant doit faire environ 20 kilomètres pour se rendre à l'école qu'il fréquente, où il y a trois ou quatre élèves par classe. Dans quelques années, il devra faire 40 kilomètres pour pouvoir trouver deux ou trois enfants du même âge que lui. Il existe toutes sortes de différences entre les régions rurales et urbaines.

Le sénateur Comeau : Je ne fais que soulever cette question aux fins du débat. La répartition des sièges à la Chambre des communes est fondée sur la population. En général, la Chambre s'occupe davantage des problèmes des régions populeuses et des grands centres urbains, tandis que le Sénat a toujours essayé de faire valoir les points de vue sur des sujets qui ne retiennent pas nécessairement l'attention des médias nationaux. Nous proposons de faire du Sénat une autre Chambre des communes dont la représentation est fondée sur la population. N'allons-nous pas à l'encontre du rôle traditionnel du Sénat?

M. Beaujot : Oui. Il est important de soulever cette question, et j'en ai d'ailleurs parlé dans mes commentaires. La taille de la population n'est qu'un des éléments à prendre en compte. J'ai été heureux d'apprendre au cours des débats de la fin juin que la proportion de femmes, de minorités visibles et d'Autochtones est plus élevée au Sénat qu'à la Chambre des communes.

En se concentrant sur les quatre ou cinq plus grandes régions, on pourrait facilement se retrouver dans une situation où ce serait des gens des régions métropolitaines qui se retrouveraient au Sénat en raison, comme vous l'avez dit monsieur le sénateur, de la taille de la population de ces régions. Je ne sais pas comment cela fonctionne sur le plan politique, c'est-à-dire selon quel principe les personnes sont élues ou nommées, mais je crois qu'il est important de souligner ces éléments, comme vous le faites.

Le sénateur Murray : Je crois que le sénateur Comeau fait valoir l'idée de faire du Sénat des États généraux, si je puis dire. Je ne sais pas comment on pourrait y parvenir dans un pays aussi diversifié que le nôtre, mais il s'agit d'une idée intéressante. Il serait intéressant de concevoir cela. Ce pourrait être un bon projet de retraite pour le sénateur Austin et moi-même. On a déjà parlé de ce concept.

Je n'ai pas d'autres questions pour le professeur Beaujot, mais je tiens à le remercier pour son exposé, la documentation qu'il nous a remise et les références qu'il a faites au livre et aux études qu'il a rédigés. L'information nous sera très utile, certainement au sénateur Austin, à moi-même et à d'autres, au cours du débat sur la modification que nous avons proposée.

Madame Ajzenstat, si j'ai bien compris votre argument, l'idée d'établir un mandat renouvelable de huit ans pour les sénateurs nommés pose des problèmes, car vous estimez que cela minera l'indépendance des sénateurs. Si c'est en effet le cas, il s'agirait donc là d'un changement fondamental au Sénat. Si c'est ce que propose le projet de loi S-4, comme je le crois, je dois dire que certains d'entre nous sont d'avis que le Parlement n'a pas le pouvoir d'agir seul; il lui faudrait obtenir l'appui de sept provinces et d'au moins 50 p. 100 de la population. Je vous laisse libre de commenter là-dessus.

Je veux revenir sur la question soulevée par le sénateur Fraser au sujet des pouvoirs. Même le Sénat prétendument égal que les Pères de la Confédération ont créé en 1867 s'en remettait, comme vous l'avez souligné, dans une certaine mesure, à la Chambre des communes, qualifiée de chambre du peuple, en particulier en ce qui a trait aux projets de loi de finances. En 1982, les Pères de la Constitution de l'époque ont accordé un rôle très limité au Sénat dans le processus de modification de la Constitution. Nous ne détenons maintenant qu'un droit de veto suspensif quant à la plupart des modifications constitutionnelles, comme vous le savez. De façon plus importante, au fil des ans, nous en sommes venus à nous en remettre généralement à la Chambre. Nous rejetons rarement une mesure législative, sauf dans certaines circonstances extraordinaires. Même lorsque nous modifions un projet de loi, si la Chambre des communes rejette à plusieurs reprises notre amendement, nous nous rangeons normalement de son côté.

D'après le sénateur Fraser et moi-même, le Sénat élu ne respecterait plus aucune de ces conventions. En effet, en raison de la durée et de la portée du mandat des sénateurs et du fait chacun d'eux représenterait davantage d'électeurs, le Sénat pourrait rapidement devenir un organe supérieur qui exercerait sa suprématie sur la Chambre des communes, à moins qu'on n'ajoute dans la Constitution des dispositions visant à restreindre les pouvoirs du Sénat et à réitérer la primauté de la Chambre des communes.

Mme Ajzenstat : Depuis toujours, le Sénat détient tous les mêmes pouvoirs que la Chambre des communes, mais il ne les a pas toujours exercés. Vous résumez admirablement bien et de façon succincte les deux préoccupations, à savoir que le Sénat ne sera plus suffisamment indépendant ou qu'il deviendra trop indépendant. Est-ce bien cela?

Le sénateur Murray : Oui

Mme Ajzenstat : Je ne crois pas que je devrais présenter une opinion là-dessus. Maintenant que nous en sommes là, peut-être que le dilemme est réglé. Il faut un Sénat indépendant, mais qui soit prêt à céder un peu de pouvoirs, mais pas n'importe lesquels. Il ne faut pas dire que le Sénat ne peut pas légiférer sur certaines questions. Il doit ressembler à une véritable deuxième chambre.

Le sénateur Murray : Un Sénat élu devrait à mon avis détenir des pouvoirs restreints afin d'assurer la primauté de la Chambre des communes à titre de chambre habilitée à prendre un vote de confiance. C'est ce que je crois.

Mme Ajzenstat : Quels seraient ces pouvoirs? Quels pouvoirs lui enlèveriez-vous?

Le sénateur Murray : Possiblement un droit de veto suspensif uniquement. Je ne sais pas. Je n'y ai pas bien réfléchi. C'est ce que la Grande-Bretagne a précisé, vous savez, au début du siècle précédent dans la Loi de 1911 sur le Parlement.

Mme Ajzenstat : N'oubliez pas l'histoire des premiers ministres provinciaux : ils ont éliminé la chambre haute parce qu'ils étaient en mesure de le faire. La Constitution leur conférait ce pouvoir. Il faut une mesure de protection pour empêcher cela en période de crise.

Le sénateur Murray : Je comprends. De temps à autre, on entend dire que telle ou telle disposition qui remonte à 1867 est désuète. Nous oublions qu'en 1982, les premiers ministres ont eu l'occasion d'apporter des changements. Ils ont choisi de ne pas modifier des institutions comme la monarchie. Ils ont apporté quelques légers changements au Sénat, mais ils ont établi que tout changement concernant la monarchie nécessitera le consentement unanime, et je crois que l'abolition du Sénat exigerait le consentement unanime. Ces décisions ont été prises en 1982, non pas en 1867. Je crois que c'est important de le souligner.

Mme Ajzenstat : D'autres erreurs ont été commises en 1982.

Le sénateur Murray : D'autres « erreurs »?

Mme Ajzenstat : Je ne vous dresserai pas une liste; ce serait ridicule.

Il est faux de dire que les premiers ministres et le gouvernement ont parlé au nom des habitants des provinces. On peut faire valoir l'argument solide que le Parlement, incluant les deux chambres lorsque possible, s'exprime au nom du peuple. Un référendum n'est pas nécessaire. C'est ce qu'on a conclu en 1867. Toutefois, en 1982, on a prétendu que l'approbation du gouvernement était requise. Il ne fallait pas nécessairement consulter les assemblées législatives.

Le sénateur Murray : C'était vrai en 1982, mais depuis, il faut consulter les assemblées législatives.

Mme Ajzenstat : Cette erreur a été corrigée.

Le sénateur Hubley : Je veux revenir aux propos du sénateur Comeau et à ceux du sénateur Murray. Je n'approuve pas tout à fait la représentation dont bénéficieront les régions. Mon point de vue sur les régions est peut-être différent du vôtre. Nous avons examiné les divisions de l'ensemble du pays, qui sont des régions géographiques. Vous avez mentionné que des livres ont été écrits sur les régions économiques, l'histoire des régions, la politique et la sociologie. Cependant, en ce qui concerne les communautés d'intérêts, ce qui me vient à l'esprit, c'est le cas de l'Île-du-Prince- Édouard. Cette petite province est aux prises avec un problème d'exode rural, qui a des répercussions dramatiques. Qui représentera cette province si les députés sont élus en fonction de la taille de la population? Qui sera alors responsable des régions à faible population? Seront-elles encore considérées comme des régions? Est-ce que les collectivités agricoles du pays seront considérées comme des régions? Les zones de pêche pourront-elles être des régions? Si c'est le cas, comment assurer une représentation au Sénat, car c'est cette chambre qui devra veiller à représenter les régions qui ont besoin de l'être.

Dans le présent débat, nous semblons parler de la taille des populations. Ce que je veux dire, c'est que la définition des régions ne s'effectue pas seulement en fonction de la géographie; nous créons des régions qui ont besoin de soutien et qui doivent être représentées.

Que signifie le mot « régional » pour vous? Quel est son sens?

Mme Ajzenstat : Même si officiellement les sénateurs représentent une région, il ne faut pas oublier qu'ils s'expriment au nom du Canada. Ils font valoir les intérêts nationaux. Ils ne représentent pas des intérêts privés dans l'enceinte du Sénat. Le problème en politique aujourd'hui, c'est que trop de gens veulent obtenir des choses dans l'immédiat et sans discuter. Il n'y a aucune délibération. C'est ce qu'on observe dans les universités.

C'est la peste des temps modernes. Nous n'avons aucun sens du dialogue et de la réflexion. C'est ce qui explique le plaisir que j'ai eu à lire le compte rendu des débats du mois de juin. J'avais oublié à quel point il est bien de lire des débats qui se tiennent dans une enceinte où chacun fait preuve de courtoisie. Quand les sénateurs ou les députés défendent des intérêts en particulier, que ce soit ceux des femmes ou d'autres, cela fait en sorte qu'on s'éloigne de l'aspect délibératif du Sénat. À mon avis, un sénateur provenant d'une ville se sentira obligé de veiller aux intérêts des régions rurales et d'attirer l'attention du Sénat sur les problèmes qu'elles connaissent. C'est ce que sa compréhension de la nature de ses obligations le portera à faire.

M. Beaujot : Je suis assez d'accord avec ma collègue. J'aime bien sa façon d'expliquer les choses, c'est-à-dire que les sénateurs représentent l'ensemble du pays en plus de leur région, quoique je ne sois pas convaincu qu'ils veillent comme il se doit sur les intérêts des régions assez différentes de la leur. Ce n'est toutefois pas le principal commentaire que je veux faire.

Je ne remets pas en question le système actuel selon lequel les sénateurs représentent une région. C'est logique qu'un certain nombre de régions, quatre ou cinq, soient représentées à peu près également au Sénat. La taille de la population de ces régions pourrait varier considérablement, ce qui ne poserait pas de problèmes puisque la représentation à la Chambre des communes est davantage fondée sur la taille des populations.

Les divisions actuelles ont un fondement historique. Selon moi, la situation actuelle fait qu'il devrait y avoir aujourd'hui cinq ou six régions au Canada, la sixième étant le Nord.

Si on modifiait ce qui a été établi dans le passé, j'inclurais Terre-Neuve dans les provinces maritimes. Vous avez peut-être une opinion plutôt différente, sénateur, puisque vous êtes originaire de là.

Nous ne pouvons pas vraiment modifier le système, et c'est pourquoi la proposition n'est pas une mauvaise solution parce qu'elle fait de la Colombie-Britannique une autre région sans lui attribuer l'ensemble des 24 sièges. En outre, le nombre de sièges augmenterait en Alberta, dont la taille de la population est semblable à celle de la Colombie- Britannique. J'ai discuté de cela avec des membres de ma famille qui habitent en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan. Ces provinces font-elles partie des Prairies? Pourrions-nous parler des provinces des montagnes pour l'Alberta et la Colombie-Britannique et grouper le Manitoba et la Saskatchewan? C'est ce que je crois profondément, étant originaire de la Saskatchewan. J'estime que cette province est unique et devrait constituer une région en soi, ou bien avec le Manitoba. L'Alberta est une province plutôt différente à cause du pétrole. Elle ressemble davantage à la Colombie-Britannique, qui regorge de ressources naturelles. Elles sont côte à côte, alors durant l'hiver les gens d'Edmonton et de Calgary peuvent aller vers des lieux plus chauds, ou bien y passer leur retraite, comme c'est souvent le cas.

Il est difficile de diviser les régions. L'idée d'établir deux régions dans l'Ouest est logique.

Le sénateur Hubley : Comment faire pour avoir la meilleure représentation? Serait-il plus facile de se pencher sur les préoccupations régionales si nous avions plutôt un Sénat élu?

Mme Ajzenstat : Oui.

Le sénateur Munson : Madame Ajzenstat, je sais que vous avez parlé des minorités. Vous avez affirmé que nous représentons l'ensemble des Canadiens, ce qui est important. Vous avez aussi fait remarquer que la représentation des minorités et des femmes est plus grande au Sénat qu'à la Chambre des communes.

Dans l'éventualité d'un Sénat élu, êtes-vous inquiète de la place que les femmes et les membres des minorités occuperaient au sein des énormes organisations des partis politiques et de ce qu'ils devraient faire pour être élus? Autrement dit, il pourrait y avoir 100 hommes dans un Sénat élu et n'y avoir aucun membre des minorités.

Mme Ajzenstat : Telle était la situation auparavant, et les choses n'allaient pas si mal. Je suis désolée. Naturellement qu'il doit y avoir des femmes au Sénat, mais pensez-vous que vous allez les recruter de force à cette fin? Il est souvent difficile de convaincre une femme de se lancer en politique ou de gravir les échelons dans l'appareil judiciaire, celle-ci invoquant la carrière de son mari pour ne pas le faire. C'est certes-là un schéma qui m'est familier.

Les femmes ont parfois d'autres chats à fouetter sur le plan personnel plutôt que de se lancer en politique. C'est tout simplement ainsi. Nous voulons que davantage de perspectives s'offrent aux femmes, et je vous dirai que tous les partis politiques provinciaux ou fédéraux sans exception m'ont demandé de briguer les suffrages. Ce n'est pas l'orientation que je voulais donner à ma carrière. Les femmes sont des personnes occupées. Cela vous paraîtra une hérésie, mais je pense également que le fait de ne pas être tenus de toujours penser à la politique constitue l'un des avantages de la vie dans une démocratie libérale. Vous pouvez embrasser une carrière en sciences. Vous pouvez devenir une championne nationale au patinage artistique. Il y a plusieurs autres possibilités. Naturellement, vous devez apporter votre contribution en période de crise. Il faut alors s'engager. Cependant, je ne suis pas aussi inquiète que mes collègues politicologues à propos du faible taux de participation électorale.

Le sénateur Munson : Craignez-vous qu'un Sénat élu comprenne moins de femmes ou de membres des minorités? Les premiers ministres ont nommé au Sénat des femmes et des membres des minorités valables pour faire contrepoids aux nombreux sénateurs.

Mme Ajzenstat : Bravo! J'en suis ravie. Pourquoi pas, lorsqu'on vous y invite directement à le faire et que vous n'avez pas d'autres engagements? C'est très bien.

Le sénateur Angus : Êtes-vous disponible?

Le sénateur Munson : Selon un de nos témoins de ce matin, nous ignorons quelles seront les conséquences de la limitation du mandat. Partagez-vous cet avis? Autrement dit, certains croient qu'il s'agit-là d'une réforme à la pièce du Sénat, mais nous ignorons quel sera le résultat final.

Mme Ajzenstat : Les gens veulent un changement, une modification. Ils veulent une nouvelle raison d'avoir confiance au Parlement. J'ajouterai que les politicologues n'ont pas fait une faveur au Sénat. Ils n'abordent plus cette question dans leurs cours ni dans leurs discussions. On n'étudie plus les institutions, mais on se penche inlassablement sur les enjeux politiques. La sociologie politique est omniprésente. Dans les années 1960, nous avons adopté l'approche sociologique, et rien n'a changé depuis. C'est un facteur qui a contribué à l'érosion du respect à l'endroit du Parlement et du Sénat.

C'est tellement facile pour un professeur d'énumérer à ses étudiants tous les problèmes et toutes les erreurs. Il a l'impression d'être supérieur, et ses étudiants se demandent pourquoi ils devraient s'intéresser à la chose politique et respecter les politiques. Je constate que le problème remonte à 1908 et découle du sénateur Comeau.

Le sénateur Munson : Je veux surtout savoir si je pourrai briguer un mandat de huit ans lorsque j'aurai 75 ans.

Mme Ajzenstat : J'espère que vous serez alors en bonne santé.

Le sénateur Watt : Étant du Nord, mes propos tiendront compte de la situation de cette région. Je pense que, lorsque vous avez décrit les différentes régions du pays, vous avez signalé que le Nord était l'une des régions distinctes du reste des provinces. Nous parlons de représentation régionale. Nous ne provenons pas tous nécessairement de la même « région », selon le sens que nous donnons à ce dernier terme. J'ai essayé de trouver un moyen non seulement de nous donner davantage voix au chapitre, mais aussi de nous faire entendre au sein du système central et de la fédération, c'est-à-dire à la Chambre des communes et également au Sénat. Il est parfois difficile de faire passer son message, surtout lorsque la partisanerie entre en ligne de compte. Quels qu'ils soient, les problèmes sont ensevelis sous des questions d'ordre politique au lieu d'être examinés en toute objectivité. À titre de sénateur, je trouve personnellement que c'est un obstacle dans notre mode de fonctionnement.

Je suis enclin à penser que notre pays est doté d'une grande diversité qui ne se traduit pas aujourd'hui dans les moyens qui s'offrent à chacun de nous pour faire valoir à l'occasion un point de vue social et économique.

Parfois, on a tendance à oublier les gens du Nord. Pourtant, ils existent bel et bien et ils en ont le droit; leurs préoccupations sont les mêmes que ceux et celles qui vivent dans le Sud.

C'est à ce titre que le Sénat devient un instrument très important. Lorsque la Chambre des communes se penche sur les mesures à prendre au pays, elle a tendance à adopter une loi qui s'appliquera à tous. Le cas échéant, le Sénat devient un instrument très important permettant de dire : « Un instant! Ces gens tentent de joindre les deux bouts et de construire leur économie. Si vous adoptez cette mesure, vous les acculerez à la faillite. » C'est une situation à laquelle je suis confronté presque quotidiennement — en fait peut-être toutes les semaines ou les deux semaines, peu importe.

Selon vous, quelle devrait être la représentation des Inuits du Nord? Peuvent-ils davantage avoir voix au chapitre et être entendus? Il ne s'agit pas uniquement de réformer le Sénat. Que faut-il faire au sein de l'appareil central? Il faut aussi envisager la nécessité de réformer également la Chambre des communes, si nous voulons résoudre le problème.

Actuellement, la façon dont nous abordons la réforme du Sénat n'est, à mon avis, qu'une approche fragmentaire et superficielle qui ne va pas au fond des choses.

Qu'en pensez-vous et que devons-nous faire à cet égard? Quelles recommandations formuleriez-vous pour que les gens du Nord ne soient pas oubliés? Nous pouvons apporter beaucoup. Aujourd'hui, nous éprouvons même de la difficulté à faire comprendre que les changements climatiques ne se produiront pas demain. Ils sont bel et bien là. Nous faisons face à ce problème quotidiennement. Nous devons essayer de modifier nos besoins économiques, notre bien- être collectif et notre culture.

Le sénateur Comeau a évoqué la communauté d'intérêts. C'est une question qui me tient à cœur, tout comme celle de l'intérêt des citoyens. Je ne décrirais pas nécessairement une région de la même façon que ne le ferait un autre sénateur. J'aimerais savoir les recommandations que vous formuleriez.

Mme Ajzenstat : Je pense que vous me recommandez de réfléchir encore à cette question.

Le sénateur Watt : Je ne me suis pas fait bien comprendre.

Le président : Au contraire. N'hésitez pas à soumettre vos observations. Le temps de parole du sénateur Watt est loin d'être écoulé, si vous voulez apporter vos commentaires.

Le sénateur Watt : Je sais bien que cela ne résoudra pas le problème intégralement, mais aucun siège n'est garanti, étant donné que les sénateurs sont nommés. Autrement dit, les Autochtones n'ont aucun siège garanti. Auparavant, avant 1982, on avait proposé de garantir aux peuples autochtones des sièges au Sénat. Je ne parle pas uniquement des Inuits, mais également des Métis et des Premières nations. Ce serait peut-être une façon d'envisager les choses — garantir des sièges au Sénat —, car il n'y a aucune certitude que je pourrais être remplacé par un ou une Autochtone.

Le président : Les témoins ne formulant aucune observation, je donnerai la parole au sénateur Dawson.

Le sénateur Dawson : Des sénateurs ont déjà siégé au Cabinet. Les sénateurs élus ou les sénateurs nommés pour un mandat de huit ans pourraient éventuellement devenir membres du Cabinet. Certains ministres deviennent très puissants. Nous pourrions donc nous retrouver dans une situation où un ministre très puissant siège au Sénat et n'est pas tenu de répondre aux questions à la Chambre des communes. Il aurait probablement l'avantage de ne pas devoir être élu après un mandat de quatre ans. Devant l'imminence d'une élection, il pourrait dire : « Cela ne me concerne pas. C'est le problème de la personne qui siège à l'autre endroit. »

Actuellement, un sénateur a été nommé ministre. Alors, comment pouvons-nous envisager la réforme du Sénat, sachant que des sénateurs ont été nommés ministres par le passé et comment pouvons-nous composer avec une telle situation compte tenu du fait qu'ils auront un mandat de huit ans? Les députés seraient élus pour quatre ans alors que les sénateurs le seraient pour huit ans. Comment peut-on essayer de concilier le tout?

Mme Ajzenstat : Ce sera hasardeux. Est-ce bien ce que le professeur Franks a évoqué ce matin?

Nous l'ignorons. Le Sénat est en mesure de réfléchir à ces enjeux et de poser au gouvernement les questions nécessaires à ce sujet.

Le sénateur Dawson : Nous en aurons peut-être l'occasion demain.

Le sénateur Angus : Vous pourriez être ministre un jour.

Le sénateur Dawson : Je n'ai pas dit que je m'opposais à cette idée.

Le président : Je souhaiterais poser une question. Elle s'adresse à M. Beaujot, mais Mme Ajzenstat pourrait peut-être y répondre également. Le Sénat a évolué au fil du temps, passant des trois divisions initiales à quatre. Le nombre de sièges au Sénat a varié au cours de cette période. J'ignore dans quelle mesure la démographie du pays a entraîné ce changement, mais j'estime qu'elle a peut-être bien joué un rôle important. Lorsque la Colombie-Britannique et le Manitoba sont devenus des provinces dans les années 1870, on a commencé par leur accorder quatre sièges, nombre qui est par la suite passé à six. Je pense que l'Alberta et la Saskatchewan n'avaient pas le nombre complet de sièges au Sénat en 1905. Nous avons ajouté des sièges pour les trois territoires du Nord. Lorsque Terre-Neuve est devenue une province, on lui a accordé six sièges.

Aujourd'hui, le sénateur Hubley, qui représente une province de l'Atlantique canadien, proposait d'ajouter des sièges au Sénat tout en diminuant l'influence des provinces qui ont obtenu un nombre de sièges leur procurant une surreprésentation, si vous examinez les données brutes. Ce sont, pour la plupart, les mêmes provinces qui jouissent d'une surreprésentation à la Chambre des communes.

Si je ne m'abuse, les provinces concernées ont convenu de passer des trois divisions initiales de 24 sièges chacune à quatre divisions et d'en accorder six à Terre-Neuve ainsi que trois autres. On peut donc s'attendre à ce qu'elles y souscrivent de nouveau, étant donné qu'il faudrait l'assentiment des provinces.

Le motif — et vous l'avez évoqué d'une façon pertinente — de la motion proposée par les sénateurs Murray et Austin a permis de s'attaquer à cet écart, la sous-représentation des provinces de l'Ouest. Professeur Beaujot, d'après votre opinion de statisticien ou de personne rompue aux statistiques, quel est le lien éventuel entre l'évolution démographique et le nombre de sièges au Sénat? J'ai essayé de citer quelques chiffres de mémoire, mais ils ne sont pas précis. Vous ne pouvez peut-être pas répondre à cette question.

L'autre question s'adresse à Mme Ajzenstat et porte sur le contexte historique de ces changements qui sont survenus au fil de notre histoire lorsque nous avons ajouté des sièges au Sénat.

M. Beaujot : La situation démographique n'est qu'un des facteurs. Comme vous l'avez indiqué, lorsque l'Ouest a été peuplé, des sièges y ont été attribués au fur et à mesure de la croissance démographique. Les trois régions initiales du pays étaient considérées comme ayant une taille égale, ou elles ont été à un moment donné d'une taille plus égale que jamais depuis.

J'aimerais revenir sur les propos du sénateur Watt qui disait que nous devons également envisager que le Nord est une région qui nécessite peut-être une définition plus exhaustive que celle en faisant simplement des territoires. Dans leur définition du Nord, les géographes ont déterminé que le vrai Nord, libre et fort, englobait une bonne partie du pays — le Labrador naturellement, et une grande portion de Terre-Neuve, le Nord de l'Ontario et du Québec, etc. On pourrait nous assimiler aux gens des régions éloignées — et même à ceux des régions autres que le Nord — avec lesquels nous partageons des intérêts analogues et qui essaient d'obtenir une juste représentation. Cependant, le Nord, où sont davantage concentrés les Inuits et les autres peuples autochtones, jouit d'un statut spécial à titre de région ayant des intérêts lui sont propres et étant aux prises avec des particularités qui lui sont propres, notamment les changements climatiques dont vous avez parlé.

Envisageant d'accroître le nombre de sièges de l'Ouest, cette chambre pourrait également songer à faire de même pour le Nord.

Mme Ajzenstat : Les Pères de la Confédération avaient envisagé une répartition étanche des pouvoirs législatifs. Les provinces étaient responsables du développement économique et de la vie culturelle, aspects épineux et contestables de notre vie collective.

Brown et Cartier avait insisté sur le fait que seules les questions concernant tous les citoyens du pays devaient être débattues — rien de particulier. Ils ont refilé, aux provinces, toutes les questions vraiment épineuses, celles qui leur tiennent réellement à cœur, notamment les différences religieuses, ethniques et d'origine. Ils ont clairement défini le tout. Lorsqu'on prenait la parole au Sénat ou à la Chambre des communes, on ne le faisait pas à titre de francophone ou d'anglophone, même si, naturellement, cela transparaissait. Écossais, Anglais, Irlandais, orangiste ou Gallois, l'origine ethnique ne comptait pas. On se considérait comme faisant partie d'un pays marqué par la diversité, ce qui était le cas dans un sens. Dans une certaine mesure, il fallait même faire abstraction de son origine provinciale, lorsqu'on examinait des questions comme les lois pénales qui devaient s'appliquer à l'ensemble du pays.

Brown et Cartier allaient pouvoir enfin se rencontrer amicalement au cours de la nouvelle législature, car les débats ne porteraient pas sur toutes les questions litigieuses pour lesquelles ils s'étaient affrontés pendant si longtemps.

L'administration locale est censée s'attaquer aux innombrables questions qui sont cruciales aux yeux de la population, et il faudrait établir une distinction nette. Nous avons embrouillé complètement le tout, et il est impossible de faire marche arrière. Nous ne le pouvons pas.

Cependant, je ne saurais vous dire à quel point cela leur tenait à cœur. Selon George Brown, le mode canadien allait permettre de montrer à l'Europe comment des gens d'origines différentes pouvaient coexister. Il a abordé les querelles nationalistes qui faisaient rage en Pologne, en Belgique, en France et en Italie. Nous avons résolu ces problèmes avec la Confédération.

En fait, nous y sommes parvenus, n'est-ce pas? Nous sommes une fédération prospère.

Le président : Nous le sommes, effectivement. Vous avez raison.

Mme Ajzenstat : Pour les autres pays, nous sommes une fédération prospère. C'est lorsque nous examinons ce qui se passe chez nous que nous constatons tous les problèmes.

Le président : J'en conviens, le Canada est un pays très prospère. Pourquoi? Il est difficile de répondre à cette question. Vous avez cependant évoqué que, sur le plan constitutionnel, le Sénat joue un rôle en exerçant le contrepoids. Sa forme et son sens ont évolué par rapport au libellé de la Constitution initiale. Sans que la Constitution n'ait été modifiée d'une façon officielle, nous assistons à ce que j'appellerais l'émergence de pouvoirs partagés ou concurrents qui n'avaient pas été envisagés à l'origine mais qui se sont révélés nécessaires dans la foulée des changements démographiques, économiques, sociaux et culturels. Le tout s'est bien déroulé, mais nous arrivons difficilement à déterminer précisément comment nous sommes parvenus aux différents résultats.

Nous en arrivons maintenant à la réforme des institutions, qui nous oblige encore une fois à essayer de démêler l'écheveau en tentant d'apporter les modifications nécessaires afin de moderniser graduellement notre Parlement et d'éviter les confrontations entre le gouvernement fédéral et les provinces d'une part et entre ces dernières d'autre part.

Souhaiteriez-vous formuler un dernier commentaire ou conseil sur l'attitude à adopter à l'égard de cet enjeu en ce XXIe siècle, même si nous en sommes encore aux tout débuts de celui-ci?

Mme Ajzenstat : Je ne m'y risquerai pas. Ne suis-je pas censée aborder le fédéralisme fiscal? Non, non!

[Français]

Le sénateur Prud'homme : Merci, monsieur le président, de me reconnaître. Je ne suis pas membre du comité. J'arrive du Comité de la sécurité, qui a siégé tout l'avant-midi et du comité du commissaire à l'éthique. Je m'excuse d'arriver ainsi vers la fin de la séance.

Après 43 ans au Parlement, j'ai siégé à peu près tous les comités sur la réforme du Sénat. Le plus grand comité, vous en avez certainement pris connaissance, c'était le comité présidé par le sénateur Molgat en 1970, qui a parcouru le Canada pendant un an. J'ai été membre de ce comité. Je dois dire qu'il y a eu une évolution sur la question du Sénat.

[Traduction]

À la création du Sénat, nous avions 24, 24 et 24 sièges.

[Français]

Vingt-quatre divisé en deux, 12/12 pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. J'ai remarqué que l'évolution graduelle de notre pays, c'est que les 24 de l'Ontario étaient tous — je ne sais pas maintenant, le sénateur Fraser me corrigera, je ne sais pas si je devrais dire des Anglais.

[Traduction]

Ils étaient tous anglophones. Les 24 sénateurs de la région de l'Atlantique étaient tous des anglophones. Il n'y avait alors aucun Acadien.

[Français]

Douze/douze, tous anglais et des 24 du Québec, il y avait 16 Canadiens français comme moi et le sénateur Dawson et huit Anglais. C'était le début. Il n'y avait pas de femmes et naturellement, malheureusement, pas de représentants des Premières nations. C'était le début.

L'Île-du-Prince-Édouard s'est jointe à nous et il n'y a pas eu d'ajout. Il y a eu une soustraction. On en a retiré deux au Nouveau-Brunswick et deux à la Nouvelle-Écosse et ces quatre ont été donnés à l'Île-du-Prince-Édouard. Cela a fonctionné jusque ce que Terre-Neuve arrive.

[Traduction]

Ce fut le début du déséquilibre.

[Français]

Au lieu d'en enlever, comme cela a été discuté à l'époque où j'étais étudiant, ils en ont enlevé mais ils auraient dû en ajouter. Puis il y a eu des ajouts comme le Nunavut, et cetera. Aujourd'hui nous sommes 105 membres. J'appuie le projet de loi qui encourage un mandat de huit ans.

Je ne suis pas d'accord avec la proposition de donner une plus grande représentation à l'Ouest, non pas que je m'objecte à cette population vibrante que j'ai visité au-delà de 250 fois depuis que je suis député et sénateur. Il est vrai qu'elle est sous-représentée au Sénat. Est-ce le véritable problème? J'ose vous dire que non, le problème n'est pas là. Le Sénat ne joue pas véritablement son rôle. Entretemps, cette proposition du premier ministre, que ce soit huit ou dix ans, je l'appuierai.

J'ai assisté comme simple jeune député à la première réforme sous M. Pearson. J'ai connu des sénateurs de 95 et 98 ans et, entre parenthèses, pour ceux qui vont se moquer de ces bons vieux, c'est un vieux bon sénateur, le sénateur Roebuck qui a réussi à faire modifier la Loi sur le divorce. Imaginez, à 92 ans, chaque divorce du Québec et de Terre- Neuve nécessitait un projet de loi du Sénat. Et les bons vieux sénateurs se gargarisaient parce qu'il fallait prouver l'adultère.

Il fallait des photos et le bon vieux sénateur Roebuck a décidé qu'il y aurait un amendement constitutionnel.

Bientôt, Radio-Canada va commencer une longue série sur René Lévesque. En 1960, j'étais supposé être le candidat et il y avait une pétition de divorce de M. René Lévesque — à qui j'ai donné mon comté. Cette pétition de divorce a été retirée. C'était la condition pour qu'il puisse se présenter chez nous. Mais Radio-Canada n'en parlera pas. On va les corriger en temps utile.

Les gens ne connaissent pas le Sénat et les sénateurs ne réalisent pas le pouvoir qu'ils pourraient avoir. Par exemple, j'étais en Colombie-Britannique et en Alberta. Quand on dit qu'il faudrait abolir le Sénat je dis : vous êtes le peuple, d'accord. Je suis toujours d'accord. Mais, comme dans la chanson, tout va très bien Madame la marquise.

Si on essayait d'expliquer ce que signifie l'abolition du Sénat pour les deux provinces principales de l'Ouest, c'est l'Ontario qui deviendrait le dominateur. Ceux qui parlent de l'égalité entre les provinces, je ne savais pas que l'Ontario accepterait d'avoir le même nombre de sénateurs que l'Île-du-Prince-Edouard.

Si on savait dialoguer avec le peuple canadien sur l'importance que pourrait avoir le Sénat dans son indépendance, d'être moins partisan et de laisser les choses évoluer dans les huit ans, peut-être qu'on pourrait trouver le juste équilibre à établir pour avoir une réforme du Sénat.

Au lieu de dire nous allons ajouter cela va régler le problème. Cela ne règlera pas le problème. On étudie la question depuis 40 ans. Prenez l'exemple de l'avortement. Tous les journalistes disent que la Cour suprême a aboli l'avortement. Ce n'est pas vrai. La Cour suprême a indiqué au premier ministre Mulroney d'agir. Il a agit. Premier terme, avortement libre. Lorsque le projet de loi est arrivé au Sénat, le projet de loi C-43, le vote a été 43 à 43, ce qui fait qu'il n'y a aucune loi sur l'avortement.

Pensez-vous que le Sénat se sert suffisamment des pouvoirs qu'il a ou on devrait commencer une série de discussions sur les changements du Sénat alors que c'est la Chambre des communes qui devrait être réformée? N'oubliez pas que j'y ai siégé pendant 30 ans.

[Traduction]

Mme Ajzenstat : C'est un excellent ouvrage que tous ici connaissent bien. Il a été publié sous la direction du sénateur Joyal, et plusieurs de ses auteurs sont parmi nous aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, il permet de remettre les pendules à l'heure dans certains départements de sciences politiques.

Vous avez proposé une idée intéressante : 10 sénateurs par province. Les États-Unis en comptent deux par État. Pourquoi pas un nombre égal de sénateurs par province? Nous ne nous querellerions plus de la même façon, n'est-ce pas?

Le sénateur Prud'homme : L'Ontario ne voudra jamais.

Mme Ajzenstat : Malgré sa croissance démographique, le Haut-Canada a accepté l'idée d'une représentation égale avec le Bas-Canada.

Le sénateur Austin : Je veux poser une question, et il ne s'agit pas d'un monologue intérieur. Si je ne m'abuse, il découle de la résolution constitutionnelle sur la représentation de l'Ouest et du projet de loi S-4 trois questions qui se posent au comité. La première est la représentation de l'Ouest, la deuxième consiste en la méthode de sélection des sénateurs et les pouvoirs du Sénat constituent la troisième. Le tout se résume à ces trois questions, et naturellement, les réponses abondent.

Professeur Beaujot, je veux vous remercier de votre exposé démographique d'aujourd'hui et, naturellement, je me fais l'écho des commentaires du sénateur Murray quant à sa valeur. En vérité, en raison de la croissance économique de la Colombie-Britannique et de l'Alberta en particulier, la population de ces deux provinces a exprimé le souhait qu'on essaie au moins de parvenir à un équilibre plus équitable sur le plan de la représentation régionale au Sénat.

Les chiffres que nous avons sont très analogues. La Colombie-Britannique et l'Alberta comptent 23,3 p. 100 de la population canadienne, tandis que les provinces de l'Atlantique en représentent 7,2 p. 100. La Colombie-Britannique et l'Alberta ont droit à 12 sénateurs, tandis que les provinces de l'Atlantique peuvent en avoir 30. Le sénateur Murray et moi ne proposons pas de réduire la représentation des provinces de l'Atlantique, mais de trouver une meilleure solution à la question de la représentation équitable. Il ne saurait tout simplement pas y avoir de réforme constitutionnelle possible sans qu'une proposition visant la représentation de l'Ouest ne soit acceptable aux yeux des provinces de cette région. C'est simple : il n'y aura pas de changement.

Le sénateur Murray et moi cherchons une solution de base favorisant le changement et essayons de débloquer le débat au pays. Nous avons entendu bien des points de vue. Par exemple, madame Ajzenstat, vous avez dit que le pays souhaite un certain renouvellement et qu'il faut s'attaquer à ce qui est évident : un Sénat élu. Me permettrez-vous de vous dire que le pays n'est pas prêt à une modification du Sénat? Dans vos observations, vous avez ajouté — il faut aviver le débat; les opinions abondent finalement dans les cercles universitaires et politiques. Devrions-nous adopter le projet de loi S-4 à titre de solution partielle, sans savoir ce qui nous pend au bout du nez? Nous en saurons peut-être beaucoup plus demain après-midi, mais d'ici à ce que soient précisés le sens de « Sénat élu » et ses conséquences sur la question des compétences, d'ici à ce que tout cela soit défini et à ce que le pays sache de quels pouvoirs il peut s'agir et quelle sera la représentation régionale adoptée pour traduire les différentes compétences, d'ici là, est-ce que le débat ne vient-il pas vraiment d'être à peine entamé ou avez-vous l'impression que le pays est prêt aujourd'hui à une modification du Sénat?

Mme Ajzenstat : En fait, il y a, à mon avis, pire que de discuter inlassablement de la réforme. Dans un pays, il peut survenir encore beaucoup pire. Ce fut un après-midi des plus intéressants. J'espère que le compte rendu sera fidèle. J'espère que les gens ont aimé cela et que les étudiants en sciences politiques y ont pris plaisir. Je n'ai pas pu répondre à toutes vos questions.

M. Beaujot : Je souhaiterais signaler que les autres et moi avons soulevé notamment diverses questions relatives à la motion préconisant davantage de sièges pour l'Ouest, à la nature différente des régions et à la représentation des divers intérêts au Canada. En fin de compte, vous devez prendre une décision politique. Je pense que cette motion est pertinente. Elle propose l'idée que la Colombie-Britannique dispose de 12 sièges et que 24 sièges soient attribués à la région des Prairies.

Le président : Avant que je formule mes derniers remerciements, le sénateur Hubley voudrait préciser un petit point.

Le sénateur Hubley : Je vous remercie de me donner la parole. Comme il est question de chiffres, je souhaiterais signaler que la province de l'Île-du-Prince-Édouard, avec une population d'environ 140 000 habitants, compte sur 27 personnes pour siéger au gouvernement provincial et faire partie des comités. Pour devenir un partenaire égal au reste du pays, il faut un seuil critique. Même si notre province est de taille réduite, les Pères de la Confédération se sont rendu compte que, pour de petites provinces comme l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau- Brunswick, un partenariat égal passait par un seuil critique. Il ne s'agissait pas simplement de dire : « Si vous donnez autant à cette personne ou à cette province, vous devez faire de même pour l'autre. » La sagesse veut que chaque province doive être représentée par une masse critique pour que le Dominion du Canada et les provinces puissent collaborer. Je crois que c'est la raison pour laquelle notre petite province délègue quatre députés et quatre sénateurs.

Je voudrais proposer cette idée pour le Nord et les régions qui sont sous-représentées, de sorte qu'ils puissent procéder à des changements et être représentés correctement au sein de nos institutions, ce que j'ai tendance parfois à défendre plus que d'autres.

Le président : Cela met fin à notre séance.

Je tiens à remercier les professeurs Ajzenstat et Beaujot de nous avoir fait profiter de leurs lumières, d'avoir pris le temps de préparer leur exposé, de nous en avoir fait part et d'avoir répondu à nos questions patiemment et avec obligeance.

Votre participation nous est très précieuse. Nous vous en savons gré. Je le répète, si l'on nous accorde du crédit pour le bon travail effectué au Sénat, c'est parce que des gens comme vous sont prêts à nous aider dans notre travail.

La séance se poursuit à huis clos.


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