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REFO - Comité spécial

Réforme du Sénat (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Réforme du Sénat

Fascicule 4 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le mercredi 20 septembre 2006

Le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat se réunit aujourd'hui à 9 heures pour étudier la teneur du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs), et la motion pour modifier la Constitution du Canada (la représentation des provinces de l'Ouest au Sénat).

Le sénateur Daniel Hays (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je tiens tout d'abord à souhaiter la bienvenue à nos invités et à nos téléspectateurs à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat. Pour le bénéfice de nos auditeurs, j'expliquerai brièvement le but de nos travaux.

Au mois de juin dernier, le Sénat a demandé à notre comité spécial d'examiner le projet de loi S-4, la proposition du gouvernement de fixer le mandat des futurs sénateurs à huit ans, et la motion du sénateur Lowell Murray, appuyée par le sénateur Jack Austin, visant à augmenter la représentation des provinces de l'Ouest au Sénat.

[Traduction]

Nous invitons les téléspectateurs à visiter le site Web du comité dont l'adresse apparaîtra au bas de l'écran de télévision pour en connaître davantage sur nos travaux. Nos premiers invités sont le professeur Peter McCormick et M. Gordon Gibson; après leurs exposés, nous entendrons le témoignage de M. Peter Hogg.

Le sénateur Angus : J'aimerais ajouter quelques mots en tant que vice-président du comité.

À mon humble avis, le Sénat du Canada a très bien servi les Canadiens depuis sa création en 1867. Plus de 850 distingués Canadiens se sont succédé à la Chambre haute pour rendre à la nation canadienne des services inestimables et ce, de différentes façons. Comme dans la plupart des domaines de notre vie socio-économique, nos institutions doivent évoluer avec le temps, et y parviennent généralement. Le projet de loi S-4 est la première étape d'une réforme depuis longtemps nécessaire que le gouvernement actuel a entreprise dans le but de renouveler le Sénat.

Les audiences d'aujourd'hui visent à permettre aux Canadiens d'assister à un débat éclairé sur les enjeux particuliers de cette réforme, sur l'objet même du projet de loi S-4 et, en fait, sur de nombreuses autres questions concernant la réforme du Sénat.

[Français]

Nous espérons sincèrement que ces séances ne seront qu'une première étape dans un processus qui résultera en un Sénat réformé, capable d'exécuter son rôle de chambre de réflexion en ce qui concerne la législation et la production d'excellentes politiques publiques pour tous les Canadiens de toutes les régions, circonscriptions et provinces du Canada. Merci, et je vous donne la parole, monsieur le président.

[Traduction]

Gordon Gibson, attaché supérieur de recherche en études canadiennes, Institut Fraser (à titre personnel) : Honorables sénateurs, participer au débat d'aujourd'hui, débat que j'ai suivi au Sénat et au sein de ce comité, est un véritable privilège. La discussion est excellente et s'imposait depuis longtemps.

J'éprouve également du plaisir à comparaître accompagné de mon vieil ami, M. McCormick. Avec Ernest Manning, qui était alors sénateur, nous sommes les auteurs de l'ouvrage intitulé Regional Representation : The Canadian Partnership, publié par la Canada West Foundation en 1980, ouvrage que l'on peut considérer comme le parent intellectuel de l'idée d'un Sénat Triple-E. M. McCormick et moi n'avons pas vraiment discuté du Sénat depuis. Je sais que mon opinion a évolué et j'ai bien hâte de l'entendre exprimer la sienne actuellement.

Pour ce qui est du contexte, le projet de loi S-4 du gouvernement et la motion déposée par les sénateurs Murray et Austin peuvent être envisagés dans un contexte politique et dans un contexte constitutionnel. J'ose avancer que du point de vue constitutionnel, le Sénat fonctionne assez bien et que la réforme de cette institution n'aurait pas fait l'objet d'une priorité de mon point de vue, lequel est non politique. Il y a d'autres réformes qui s'imposent, comme celle de la Chambre des communes, la réforme des lois sur l'accès à l'information, la réforme électorale et la réforme du processus de nomination des juges à la Cour suprême qui sont plus pressantes et plus faciles à réaliser, mais vous avez un mandat, et je vais en parler.

Pendant les audiences, vous entendrez des experts des deux côtés de la question, c'est-à-dire la constitutionnalité de l'utilisation de l'article 44. Ce sera le premier sujet que j'aborderai. La vérité, et je pense que nous l'admettons tous, est que personne ne sait ce que la Cour suprême du Canada pourrait dire à ce sujet. C'est comme ça avec les tribunaux. On ne sait jamais. La Cour suprême pourrait poursuivre son histoire d'amour avec la « doctrine de l'arbre » énoncée par Lord Sankey et estimer que le Canada a évolué au point où il doit avoir un Sénat démocratique et élu; la Cour suprême pourrait aussi s'appuyer sur le raisonnement qu'elle a tenu dans le renvoi de 1980 et dire que le projet de loi S-4 changerait, ce que l'on a appelé dans ce jugement, une caractéristique fondamentale du Sénat et sa place dans l'équilibre constitutionnel. Ainsi, elle exige qu'il faut obtenir le consentement des provinces. Le fait est qu'ici même, aujourd'hui, personne n'en sait rien. La sagesse dans une telle situation, à mon avis, est de demander une décision en s'en référant à la Cour.

Ce qui importe, c'est l'intention des auteurs de la Constitution. À mon avis, l'intention des auteurs était que le mandat soit « à perpétuité » pour que les sénateurs n'aient aucun motif ultérieur quand ils prennent des décisions sur des questions d'ordre public. Ils devraient être libres d'écouter leur conscience sans s'inquiéter de la prolongation de leur mandat, de leur réélection ou d'une nomination dans un autre poste fédéral si leur mandat n'est pas renouvelable. La même logique s'applique à la nomination des juges.

Si l'intention des auteurs était bel et bien de mettre les sénateurs à l'abri des influences pernicieuses d'avantages espérés pour l'avenir, si telle était bien l'intention des auteurs dans l'établissement de l'équilibre parlementaire, alors la seule façon de respecter cette intention est de nommer les sénateurs à perpétuité. Si on n'est pas d'accord avec les auteurs de la Constitution à cet égard, la Constitution peut être modifiée, mais dans ce cas, les provinces doivent donner leur consentement.

Permettez-moi maintenant de parler du raisonnement voulant que le projet de loi S-4 soit un projet de loi distinct. Le projet de loi doit être examiné en fonction de son seul bien-fondé puisque c'est tout ce qui vous est soumis. Le gouvernement a exprimé l'espoir d'élaborer un processus consultatif électoral quelconque pour la sélection des sénateurs, mais nous ne savons pas si cela se produira ni sous quelle forme. Nous devons examiner ce qui se produirait si le projet de loi S-4 était adopté sans autres considérations. Selon moi, les conséquences sont inimaginables.

La nomination des sénateurs pour des mandats de huit ans signifierait que tout premier ministre en poste pendant huit années ou plus aurait la possibilité de nommer tous les sénateurs. C'est sûrement, de prime abord, une hypothèse absolument inacceptable.

Au cours des 100 dernières années, les premiers ministres qui ont été au pouvoir pendant huit années ou plus sont MM. Chrétien, Mulroney, Trudeau, St-Laurent, King et Laurier, dont la durée totale des mandats représente 76 de ces 100 années. Les premiers ministres Borden et Diefenbaker auraient nommé les trois quarts des membres du Sénat; M. Pearson, en cinq ans, 60 p. 100, et ainsi de suite. L'impensable se serait réalisé si le projet de loi S-4 avait fait partie de la Constitution initiale du pays.

Quant à mon deuxième commentaire sur l'hypothèse du projet de loi distinct, je vais répéter les divers motifs énoncés ci-dessus si le mandat des sénateurs devait être limité à huit années. Les sénateurs nommés pour de brefs mandats prendraient toujours des décisions en songeant à améliorer leurs chances d'être nommés à nouveau ou réélus, si le mandat était renouvelable; sinon, ils tenteraient d'assurer leur avenir d'une autre façon en obtenant un poste au sein de la fonction publique fédérale au bon gré du gouvernement. Cela fait partie de la nature humaine — on n'y peut rien — et aucune loi ne peut la changer.

Ce genre de « primes au rendement » existe dans d'autres offices gouvernementaux, notamment pour les députés, et il est habituellement très difficile d'y échapper. La question est de savoir s'il y a lieu de les importer au Sénat alors que les auteurs de la Constitution se sont donné tant de mal pour arriver à l'équilibre actuel. À mon avis, un Sénat fondé sur un projet de loi S-4 distinct serait un énorme recul, et pourtant, c'est tout ce que l'on vous a soumis.

Passons maintenant au projet de loi S-4 plus les élections de nature consultative. Faisons un pas de plus sur la ligne imaginaire, au-delà de l'obstacle de la constitutionnalité, au-delà du projet de loi S-4, et voyons ce qu'il en est d'un Sénat élu.

Premièrement, se pourrait-il, étant donné que le gouvernement actuel est un gouvernement minoritaire, que le gouvernement suivant ne soit pas du même avis?

Deuxièmement, les futurs premiers ministres accepteraient-ils d'être liés? La loi, bien sûr, serait de nature consultative. Que se passerait-il si le Québec « élisait » un groupe de sénateurs qui seraient tous séparatistes? Le premier ministre procéderait-il à ces nominations? Nous n'en savons rien.

Troisièmement, quel serait le cadre électoral? Ce point soulève plusieurs questions — quel système électoral, administré par qui, quand?

Le Sénat est souvent comparé à une espèce de représentant des provinces même si, évidemment, les premiers ministres se réclament de cette fonction. Mais si on suit cette logique, les provinces devraient-elles déterminer le moment et la façon de tenir des élections consultatives pour le Sénat? Serait-il permis à la province A d'avoir un système électoral différent de celui de la province B tandis que la province C pourrait utiliser les membres de son assemblée législative comme électeurs?

Par contre, si le système doit être uniforme et géré par Ottawa, comme M. Harper a semblé vous l'indiquer l'autre jour, cela constitue-t-il un déplacement inacceptable du pouvoir attribuable à la création d'une nouvelle institution « démocratique » au centre? Des élections au Sénat organisées par Ottawa ne laisseraient-elles pas nécessairement de côté des questions provinciales essentielles en faveur de questions nationales et partisanes?

Ce qui est très important, c'est que le Sénat, tel que ses membres sont nommés actuellement, a fait la preuve qu'il est capable d'offrir une assez bonne représentation des femmes et des minorités. En science politique, c'est une évidence que si on devait tenir des élections au Sénat selon le même système uninominal que celui qui est utilisé à la Chambre des communes, cette diversité serait considérablement réduite.

Qu'arriverait-il si on instaurait une forme de représentation proportionnelle pour trancher la question des minorités? Il y a problème ici. La représentation proportionnelle, de quelque nature que ce soit, exige des circonscriptions comptant plusieurs membres pour être possible. Que se passerait-il si un seul poste de sénateur pour la province X était vacant au moment d'une élection? Qu'en serait-il des 24 circonscriptions sénatoriales du Québec, lesquelles sont enchâssées dans la Constitution? Il est difficile de voir comment la proportionnalité pourrait être mise en place sans une véritable modification constitutionnelle.

La liste des questions d'ordre technique est longue et il n'est pas étonnant que le gouvernement n'ait toujours pas résolu ces problèmes. Cependant, je vous pose la question suivante : est-ce agir de façon responsable que d'adopter le projet de loi S-4 qui limite la durée des mandats sans savoir ce que sera le processus électoral? Il est clair pour moi que des élections au Sénat seraient absolument inacceptables si la durée du mandat n'était pas limitée, et c'est sans doute pourquoi le gouvernement a déposé le projet de loi S-4, mais il est tout aussi clair qu'imposer une limite à la durée du mandat est inacceptable sans un système électoral.

Cela ne nous mène-t-il pas à insister pour que les questions soient examinées ensemble plutôt que séparément? À mon avis, le respect que l'on doit au Sénat exige que ces questions soient examinées ensemble.

Mettons maintenant de côté toutes ces objections, et prétendons qu'un système électoral nous donne un Sénat élu grâce au projet de loi S-4. Qu'obtiendrions-nous? À mon avis, nous obtiendrions une horreur constitutionnelle qui disposerait de la possibilité d'offrir un gouvernement exécrable et d'imposer à la fédération des contraintes telles qu'elles pourraient mener à sa rupture.

Pour décrire ce Sénat reconstitué, il faudrait dire que ses pouvoirs seraient inchangés et qu'ils seraient virtuellement égaux à ceux de la Chambre des communes. La répartition des sièges serait inchangée. Plus particulièrement, et d'un point de vue financier, les sept provinces qui reçoivent des paiements de péréquation continueraient d'avoir plus de votes au Sénat que les provinces contributrices : soit 69 contre 30. Je n'inclus pas la Colombie-Britannique dans ce calcul pour l'instant parce qu'elle est actuellement à un point tournant. Les provinces atlantiques, avec 7,5 p. 100 de la population, continueraient d'avoir environ 29 p. 100 des votes au Sénat.

C'est bien dans le contexte actuel, mais le Sénat, selon cette hypothèse, serait un Sénat élu, démocratique et, par conséquent, légitime. Un sénat élu prétendrait normalement, et aurait le droit de le faire, qu'il représente le peuple, aussi sûrement que la Chambre basse, et un sénateur représenterait en effet beaucoup plus de gens que n'importe quel député, comme cela a été précisé souvent ici. La légitimité conférée par une élection est immense, et le Sénat deviendrait par le fait même, pour ce qui est des pouvoirs, l'égal de la Chambre des communes ou même davantage, comme c'est le cas aux États-Unis.

Je m'abstiendrai de soulever les problèmes d'impasses entre deux chambres démocratiquement élues, qui ont tracassé les auteurs de la Constitution, mais je souligne que l'Australie réussit à fonctionner avec un système où s'exercent deux pouvoirs égaux. Cependant, il y a un autre problème. Avec un Sénat élu selon la répartition actuelle des sièges, nous entrerions dans une période que je qualifierais de tyrannie des petites compétences — problème dont est affligé actuellement le Sénat des États-Unis. Le Sénat américain repose sur un compromis constitutionnel adopté il y a plus de 200 ans et n'est absolument pas représentatif de la population.

En général, on ne réalise pas ce que cela a fait à la politique américaine. Par exemple, pendant les 50 années qui ont précédé la guerre civile américaine, la Chambre des représentants élus a voté à six reprises l'abolition de l'esclavage, mais le Sénat a chaque fois empêché cette réforme. Aujourd'hui, les grands problèmes sociaux des États-Unis sont dans les grandes villes et les grands États, mais le Sénat est contrôlé par les petits États qui n'éprouvent pas ces problèmes.

Je dis ceci : il est très dangereux de permettre à un puissant intervenant démocratique d'être aussi peu représentatif. Et pourtant, c'est ainsi qu'on décrit la répartition actuelle des sièges au Sénat canadien.

Dans le système actuel de nomination et faute de légitimité démocratique, le Sénat fait montre de retenue dans l'exercice de ses pouvoirs. Il n'en serait plus question si les sénateurs étaient élus. La tyrannie des petites compétences ferait surface.

Et toutes les mesures soumises au Sénat par la Chambre feraient l'objet de tractations et de magouillages de tous calibres, pour aboutir à une courroie de transmission d'argent des provinces plus productives et plus populeuses vers les provinces moins productives. C'est une recette infaillible pour détruire le fédéralisme, lequel est essentiellement fondé sur la perception du traitement équitable de ses parties constituantes.

Le Canada, tel qu'il est constitué actuellement, a pour tradition de faire de très grands efforts pour aider les provinces moins fortunées grâce au programme de péréquation, notamment. Il ne faudrait pas abuser de cette bonne volonté.

Certains prétendent qu'il ne s'agit là que de problèmes hypothétiques — c'est un peu ce que j'ai décelé dans les observations du premier ministre l'autre jour — parce qu'ils seraient résolus à l'aide de modifications constitutionnelles avant de trop s'aggraver. Mais la tyrannie des petites compétences s'applique aussi à la formule d'amendement et empêche les solutions.

Je conclus donc comme suit : si le processus prévu dans le projet de loi S-4 est constitutionnel, s'il est adopté au Sénat et à la Chambre, si un système électoral pour le Sénat est éventuellement convenu — si toutes ces situations épineuses et même improbables se produisent — qu'aurions-nous alors réussi? À créer d'immenses problèmes. Je n'arrive pas à croire que telle soit l'intention du gouvernement du Canada ni celle de ceux qui appuient la réforme du Sénat, comme c'est mon cas.

Que devons-nous faire si nous voulons la réforme du Sénat? Dans mon texte de 2004 rédigé pour l'Institut Fraser et intitulé « Challenges in Senate Reform », je soulève les difficultés ci-dessus et nombre d'autres relativement à la réforme du Sénat, notamment l'opposition inconditionnelle des premiers ministres des provinces qui veulent demeurer maître à bord dans leur province. À mon avis, il est fort peu probable que notre formule traditionnelle de négociation pour modifier la Constitution afin de réformer le Sénat permette de surmonter ces difficultés.

Par conséquent, je propose l'adoption de l'outil que nous avons utilisé en Colombie-Britannique et qui a permis d'élaborer une proposition de réforme électorale — l'assemblée populaire. Un exercice semblable se déroule actuellement en Ontario. Les assemblées populaires peuvent examiner objectivement les questions constitutionnelles de cet ordre et elles ont la grande légitimité démocratique nécessaire pour surmonter les obstacles inhérents à la réforme du Sénat. À un moment donné, grâce aux audiences publiques ou autrement, le Sénat pourrait éventuellement se pencher sur cette possibilité, compte tenu de l'ouverture dont vous faites preuve à l'égard des nouvelles idées pour cette entité.

Pour le moment, je soumets respectueusement les recommandations ci-après : premièrement, le Sénat ne devrait pas adopter le projet S-4 avant de l'avoir renvoyé à la Cour suprême et obtenu un certificat de constitutionnalité. Le délai n'a aucune importance dans le cadre général de l'histoire constitutionnelle. Par contre, on pourrait ajouter une disposition exécutoire exigeant l'obtention d'un certificat avant que le projet de loi n'entre en vigueur. Deuxièmement, que la question soit ou non soumise à la Cour suprême, le projet de loi S-4 ne doit pas faire l'objet d'un examen plus poussé ni d'un scrutin tant qu'il n'est pas jumelé avec un projet de loi sur les élections consultatives. Aux dires du gouvernement, le délai ne serait pas très long et les deux mesures sont inextricablement liées. Troisièmement, il faut s'opposer à toute « horreur constitutionnelle » d'un Sénat élu doté des pouvoirs existants et de la répartition régionale. Quatrièmement, l'assemblée populaire pourrait être une autre façon de procéder.

Il y a une règle afférente aux systèmes complexes : il est impossible de ne changer qu'une seule chose. La théorie a été énoncée par les biologistes à propos de l'environnement, mais elle est tout aussi vraie des régimes politiques. Beaucoup de modifications apparemment simples et sans conséquences introduites dans des systèmes complexes peuvent avoir des conséquences imprévues. La fonction gouvernementale et démocratique de la fédération canadienne est un tel système, et le projet S-4 serait une modification de ce genre. Monsieur le président, à mon avis, il faut en user avec toutes les précautions qui s'imposent.

Peter McCormick, président, Département des sciences politiques, Université de Lethbridge (à titre personnel) : Comme j'ai remis un exemplaire de ma présentation, je vais simplement en tracer les grandes lignes et réagir ensuite à certains des commentaires de M. Gibson.

Je remercie les sénateurs de me donner l'occasion de comparaître devant le comité. La réforme du Sénat est en chantier depuis quelque 30 ans. Nous en discutons avec nos compatriotes parce que les Canadiens parlent de la réforme du Sénat depuis longtemps également. Ce que l'on raconte toujours également, mais qui n'a jamais été vérifié, c'est que la réforme du Sénat a été discutée lors de la première session de la première législature, mais nous n'avons pas beaucoup de résultats pour ces 139 années de discussions. Nous nous amusons, à l'occasion, à redéfinir la base de la représentation, ce que sont les régions et ce que chacune d'entre elles obtient. Nous avons échappé aux nominations à vie au Sénat, qui ont été remplacées par la retraite obligatoire à l'âge de 75 ans. Ironie du sort, les deux seules choses dont on discute actuellement sont le mandat des sénateurs et la base de la représentation au Sénat en jouant avec les divers groupes régionaux.

À mon avis, le Sénat, tel qu'il a été constitué, comporte trois lacunes, même si elles n'ont peut-être pas été perçues clairement comme telles à l'époque. La première erreur a été de modeler le Sénat canadien sur la Chambre des lords. Nous y avons nommé des gens pour des mandats extrêmement longs afin qu'ils siègent à cette chambre où l'on procède à un second examen objectif des projets de loi. En cette ère de démocratisation de plus en plus grande, cette mesure est venue miner la crédibilité du Sénat et a fait ressortir sa lenteur par rapport à l'autre endroit.

La deuxième erreur, et la plus importante a posteriori, a été d'accorder au gouvernement fédéral un pouvoir de nomination unilatéral. Je ne dis pas qu'il aurait été préférable d'accorder ce pouvoir unilatéral aux gouvernements provinciaux, mais qu'il aurait mieux valu d'adopter un mécanisme interactif qui n'aurait pas coupé le Sénat des réalités de la politique provinciale. Cela veut dire qu'au lieu d'être un organe de critique à l'échelle régionale, le Sénat, à maints égards, en est réduit à se faire l'écho de ce qui se passe au niveau national, parfois avec un délai d'une ou deux décennies. Quel triste gaspillage!

La troisième erreur a été d'inventer une formule de représentation fondée sur les groupes régionaux. Peu importe la réalité qui existait en 1867, les régions n'ont plus tellement de sens au Canada aujourd'hui. M. Roger Gibbins nous a dit il y a 25 ans que le régionalisme était en déclin. C'est là une réalité décrite en termes polis parce que, en fait, le régionalisme est mort alors que les provinces sont toujours vivantes.

Je suis Albertain et, en ce qui me concerne, la Saskatchewan est la seule province des Prairies. Les régions sont une façon pratique pour d'autres personnes de nous mettre tous dans le même panier et ce, à leurs fins. C'est une façon de créer des provinces de première et de seconde classe. Au mieux, ce sont des termes qu'on utilisait pour décrire la réalité d'hier. Hier, il y avait les régions, aujourd'hui, les provinces et demain, qui sait, les villes? La combinaison de ces trois erreurs explique pourquoi nous parlons de réforme du Sénat depuis 139 ans.

La seule grande proposition du gouvernement consiste à limiter le mandat des futurs sénateurs à huit ans. Je ne suis pas du tout d'accord avec mon collègue, ce qui nous arrive à l'occasion, car je crois que le Parlement seul a la compétence nécessaire pour modifier cette partie de la Constitution. Le Renvoi du Sénat en 1980 concernait un document différent et s'est effectué dans un contexte différent. Il y avait un pouvoir général de modification assorti de deux ensembles particuliers d'exceptions, et ce dont nous parlons ne cadre pas avec les exceptions, alors passons à autre chose. D'après mes lectures, le Parlement a le pouvoir unilatéral de modifier cette partie de la Constitution.

À mon avis, cette proposition est une idée modérément intéressante parce qu'elle permettrait un roulement plus rapide au Sénat. J'ai été surpris de voir à quel point ce roulement est lent et mes estimations étaient bien à côté de la plaque. Un roulement plus rapide ne serait pas une mauvaise chose en cette époque où les gens considèrent que ce qui s'est passé il y a trois ans s'est produit il y a très longtemps. Le Sénat est branché sur une horloge différente, et des mandats plus courts remettraient les pendules à l'heure à la condition d'y adjoindre cette description sérieuse qu'a faite M. Gibson de façon si éloquente tout à l'heure. Sans cette deuxième étape, le Sénat deviendrait encore plus rapidement l'écho et la marionnette du gouvernement en place, minant ainsi sa contribution potentielle.

On nous a dit que cela n'est que la première de plusieurs étapes et que la prochaine sera un genre d'élection qui engagera d'une façon ou d'une autre à tout le moins les populations provinciales et peut-être, les gouvernements provinciaux. Il existe bien des façons de tenir des élections, mais, plus particulièrement quand les chiffres sont petits, je n'aime pas la plupart d'entre elles. Si vous ne pouvez saisir la perspective d'une élection, vous n'avez aucune idée de ce que représentent les résultats. Je comprends pourquoi le remaniement régional a été proposé au Sénat maintenant. Il s'agissait d'un pari lorsque le groupe dont je faisais partie a persuadé l'ancien premier ministre Don Getty, d'abord, et ensuite l'ancien premier ministre Ralph Klein, d'élire des sénateurs — cette « attraction bizarre » en Alberta.

Nous savions à l'époque que le pari était colossal. Nous misions sur la possibilité que le public continue de s'intéresser à la réforme du Sénat. Nous avons pris le risque que tout le monde entre dans la ronde et commence à élire des sénateurs, que le gouvernement fédéral commence à les nommer et qu'ensuite, il soit impossible de remettre les choses en place. Les chiffres à l'échelle régionale sont un problème au Sénat. Au train où vont les choses, j'ai vraiment beaucoup plus l'impression que nous avons perdu le pari, et que le prix à payer pour obtenir une certaine forme d'élection pourrait ne pas être d'apporter une correction majeure dans les chiffres.

Je suis moins favorable à l'idée de retravailler la représentation au Sénat de façon à faire de la Colombie-Britannique une semi-région autonome. Je ne veux pas ici manquer de respect à la seule province plus folle que la nôtre. Mais c'est parce que, en tant que professeur de science politique, lorsque j'enseigne à mes étudiants de première année la façon dont les sièges sont répartis au Sénat du Canada, ils rient. Mauvais départ. Maintenant, ce sera encore plus drôle. Nous aurons quatre régions, mais pas tout à fait quatre, plus deux qui s'ajouteront, plus six catégories différentes de nombre de sièges qui seront accordés aux dix provinces. Je me suis dit en passant, pourquoi ne pas tout remettre en question et établir un nombre différent de sénateurs pour chaque province? Cela ne serait pas plus rigolo que ce que nous avons actuellement. Mon point de départ, c'est que les régions sont mortes. Nous devrions simplement faire face à la musique et parler de représenter les provinces en tant que provinces plutôt que de continuer à inventer et à réinventer des formules régionales qui pourraient avoir déjà fonctionné mais qui ne fonctionnent plus depuis un quart de siècle.

Puisque vous me permettez d'avoir ma minute de gloire, j'aimerais revenir en arrière pour un moment et dire que j'aimerais que nous abordions le problème de la réforme du Sénat en ayant moins le nez collé sur la réalité. Nous discutons ici de modifications mineures à apporter à un système existant qui a ses forces et ses faiblesses. Puisque nous vivons à une époque où, depuis 20 ans, on assiste à une pertinence de plus en plus grande des sénats, à un nombre de plus en plus grand de sénats dans le monde et à une crédibilité accrue des chambres hautes dans bien des pays, peut-être devrions-nous faire un pas en arrière et repenser un peu ce que l'on veut faire.

La fonction sur laquelle vous vous concentrez, c'est cette Chambre de second examen objectif. L'expérience d'autres pays semble indiquer que ce système n'a de véritable crédibilité que s'il est assorti d'un système précis et efficace de représentation alternative. L'argument historique que l'on a toujours utilisé pour les chambres hautes, c'était la représentation multiple. Vous représentez un ensemble de personnes de deux façons différentes, et ces deux façons différentes nécessitent un dialogue. Il n'est pas nécessaire d'avoir un pouvoir législatif égal pour les deux interlocuteurs, mais ça, c'est un tout autre panier de crabes dans lequel je ne vais même pas mettre la main. Bien sûr, nous devons changer les pouvoirs, mais si nous voulons avoir une chambre haute véritablement efficace, son action doit manifestement reposer sur la représentation alternative, ce qui lui donne une voix pour intervenir. Au Canada, nous n'en sommes jamais véritablement arrivés là.

La seconde fonction d'un Sénat, d'un Sénat Triple-E, est d'être un organisme autonome et puissant qui défend les intérêts des régions dans une chambre d'un gouvernement national. C'était là un rêve dont il valait la peine de parler il y a environ 30 ans. Les pouvoirs des premiers ministres provinciaux commençaient à prendre de l'importance. Les premiers ministres commençaient à jouer un rôle plus important au sein du gouvernement national. Je crois que l'espace institutionnel était vaste et peut-être — probablement pas — aurait-on pu créer un Sénat élu qui aurait pu s'installer dans cette zone. Même si les gens continuent d'alléguer, lors de conférences, que je n'ai vraiment pas compris, j'ai toujours compris quand même que la croissance d'un Sénat élu se ferait à tout le moins autant au détriment des prétentions futures des premiers ministres qu'aux dépens du gouvernement national ou de la Chambre des communes. À mon avis, cela a toujours été le cas. Aujourd'hui, 30 ans plus tard, je crois que nous avons raté le coche. La fenêtre est fermée. Je crois que les premiers ministres ont manifestement occupé tout l'espace à leur disposition. Je ne pense pas qu'il y ait de place pour un Sénat Triple-E. C'est comme planter vos fleurs trop tard au printemps. Celle-ci n'a pas suffisamment de place pour s'épanouir parce qu'elle est déjà dans l'ombre. Eh bien, il n'y a rien d'autre que de l'ombre actuellement. Je pense encore que c'est dommage. Je n'aurais pas détesté voir un Sénat Triple-E, mais je pense que cela n'est plus possible.

L'autre modèle proposait d'utiliser le Sénat de style allemand pour intégrer les gouvernements fédéral et provinciaux. Là encore, l'intégration s'est faite trop rapidement. La nécessité que l'on aurait pu invoquer il y a 30 ans n'existe plus. Les institutions qui ont évolué sont déjà en place. À nouveau, l'espace dans le jardin est déjà occupé.

Mais qu'est-ce qu'il nous reste? J'aimerais vous laisser jongler avec une idée — pas un modèle bien étoffé ou une proposition sérieuse, mais simplement une « petite hypothèse » de professeur. Nous pourrions peut-être aller lorgner du côté du Sénat de la France, que vous avez peut-être étudié. Les sénateurs français sont choisis d'une façon véritablement étrange que je n'ai jamais vraiment tout à fait comprise, sauf que le processus implique la participation d'institutions gouvernementales au niveau municipal et urbain à un type de chambres électorales qui interagissent avec les membres de l'Assemblée nationale pour donner le Sénat.

Le grand échec constitutionnel du fédéralisme canadien, et du fédéralisme américain, est son incapacité de représenter les régions urbaines de façon générale, et ce, autant la multiplication des mégapoles où résident la plupart de nos citoyens que les plus petites collectivités rurales des diverses provinces. Il y a là double défi. Nous ne répondons pas très bien aux besoins ni de l'un ni de l'autre. Je me demande si quelqu'un ne pourrait pas proposer — je ne l'ai donc pas proposé moi-même — une façon de miser là-dessus et de faire du Sénat l'organe capable d'exprimer cette voix. Si la double représentation est l'élément clé d'un Sénat viable, peut-être que notre quête de double représentation ne devrait pas viser les régions, parce que je crois que nous n'en trouverons plus, mais il serait peut-être préférable de porter notre choix sur les villes. Peut-être est-ce là une meilleure vision de l'avenir.

Le message de base, c'est que la réforme du Sénat mérite d'être effectuée parce que les chambres hautes jouent un rôle important dans de nombreux pays. Le livre que j'ai consulté fait état de 61 pays qui ont des chambres hautes. J'ai lu dans les délibérations de votre comité l'autre jour que quelqu'un avait une source plus récente et parlait de 73 pays. En soi, ce nombre est intéressant. Il y a plus de Sénats dans le monde que jamais. La généralisation qu'en tirent les universitaires, c'est qu'ils sont des composantes plus actives de leur pays qu'ils ne l'ont jamais été, et qu'ils ont plus de crédibilité et une plus grande capacité de se faire entendre. Par conséquent, la réforme du Sénat est une bonne idée parce que les Sénats font des choses utiles. J'espère simplement que nous pourrons mettre en place certaines réformes pour permettre au Sénat canadien de se trouver un rôle plus important à jouer de sorte qu'il puisse faire la même chose pour notre pays.

Le sénateur Austin : Je remercie MM. Gibson et McCormick pour leurs précieuses présentations ce matin et pour les questions très pertinentes qu'ils ont portées à notre attention. J'ai trop de questions à poser et pas assez de temps pour le faire.

Je vous soumets cette proposition, professeur McCormick. Vous avez décrit certaines orientations très intéressantes en ce qui concerne la réforme du Sénat. J'aimerais bien que nous discutions de questions plus générales. Mais ce que nous examinons, c'est la viabilité du projet de loi S-4 et la viabilité de la résolution concernant la représentation de l'Ouest qui a été déposée par mon collègue, le sénateur Murray. Comme nous n'avons pas beaucoup de temps, je tiens à me concentrer avec vous sur ces deux questions.

Comme M. Gibson l'a fait remarquer dans son document, les provinces maritimes, avec environ 7,5 p. 100 de la population, auraient 29 p. 100 des voix dans un Sénat réformé, si la motion concernant la représentation de l'Ouest devait être adoptée. Selon la formule du Triple-E, les provinces maritimes auraient 40 p. 100 de la représentation. Ici, vous tentez de vous éloigner des régions et d'opter plutôt pour une représentation par les institutions qui feraient valoir des enjeux concernant la plupart des Canadiens.

Croyez-vous, professeur McCormick, comme c'est le cas de certains témoins, que la réforme du Sénat doit nécessairement passer par une démarche graduelle? Vous nous avez soumis des idées qui sont très emballantes, mais dans notre monde pratico-pratique, vous avez toujours cherché une façon quelconque de réformer le Sénat. Soit qu'on aborde toutes les questions en même temps et qu'on les règle, ce que très peu de gens estiment possible, soit que l'on entreprenne une démarche graduelle. À cet égard, êtes-vous d'accord pour dire que la représentation de l'Ouest est un enjeu important dans la réalité politique de l'Ouest canadien d'aujourd'hui, et si une démarche graduelle, malgré vos préoccupations au sujet des régions et des divisions, aurait une certaine utilité? M. Gibson l'a dit clairement, et je suis d'accord avec lui, que nous ne devrions pas examiner le projet de loi S-4 tant que nous ne connaissons pas le régime électoral que le premier ministre nous a dit qu'il présenterait à l'automne. À votre avis, est-ce que le projet de loi S-4 pourrait être abordé sur son seul bien-fondé, et vous paraît-il intéressant comme tel?

M. McCormick : Le premier problème, c'est que le fait d'aborder la représentation régionale vous oblige certainement à examiner la formule d'amendement général.

Le sénateur Austin : C'est là où nous en sommes.

M. McCormick : C'est un véritable marécage. Dans ce processus, les compromis se font très tôt.

Le projet de loi S-4 en tant que tel, dans sa forme actuelle, en proposant simplement de nommer les sénateurs pour des mandats de huit ans et en ne changeant rien d'autre, n'est absolument pas utile. L'idée d'avoir des mandats plus courts à long terme est modérément intéressante, mais si le prix à payer est que les premiers ministres ont en partie leur mot à dire dans leur deuxième mandat, alors non, cela ne vaut pas la peine. Je veux voir quels seront les régimes électoraux, et comme je l'ai dit, je ne m'attends pas à aimer la plupart d'entre eux. La plupart des options ne sont pas efficaces. Moins on élira de personnes, plus il sera difficile d'établir des mécanismes qui généreront une vaste représentation.

Tel qu'il est, je n'aime pas tellement le projet de loi S-4. J'ai dû piétiner l'aspect régional parce que c'est ma réaction spontanée — c'est un réflexe.

En ce qui concerne l'établissement des chiffres, c'est habile. J'ai examiné les chiffres et je me suis dit que c'était en quelque sorte amusant. Je sais que mes étudiants vont rire encore plus si je dois entamer la partie de mes cours qui porte sur le Sénat avec toute une série de chiffres qui ne peuvent être expliqués que présentés un par un parce qu'ils n'ont pas de sens s'ils arrivent en vrac.

En ce qui a trait aux préoccupations de l'Ouest, montrer que vous écoutez, changer un peu la dynamique au Sénat, tout cela fait en sorte que les chiffres sont intrigants. Mis à part la composante régionale, j'aime bien le modèle proposé. Je viens tout juste de le reconnaître en public si bien que je ne peux pas dire le contraire en public, mais cela n'aurait pas été mon premier choix. Mon premier choix aurait été de revenir à Charlottetown. Nous avons tous subi cet exercice une fois, et c'était une fois de trop, n'essayons pas une autre fois. Progresser par étape, voilà ce qu'il faut faire.

Le sénateur Austin : Je sais que je vous oblige à commenter l'idée proposée par M. Gibson d'un Sénat qui serait élu par une assemblée populaire, pour examiner toutes les questions que vous avez tous les deux présentées. Croyez-vous qu'il s'agit là d'un processus viable?

L'une de nos préoccupations, que vous avez soulevée tous les deux, est de savoir quel genre de Sénat est pertinent pour le Canada d'aujourd'hui et le nouveau Canada? Quels devraient être nos pouvoirs? Bien sûr, tout cela dépend de l'avenir du projet de loi S-4 — un processus électoral et le défi qui sera posé à la chambre basse, et cetera.

Est-ce qu'une assemblée populaire parviendrait à susciter le genre de débat sur le Sénat et la gouvernance nationale qui serait progressiste et de nature tout à fait analytique? À votre avis, cela pourrait-il se produire à l'échelle nationale?

M. McCormick : L'assemblée populaire de la Colombie-Britannique est l'une des choses les plus emballantes qui soit survenue en politique canadienne au cours de la dernière décennie. Ça a été une expérience merveilleuse. Tous les sceptiques ont été confondus.

Certains de mes collègues se sont impliqués à divers niveaux. Ils ressortaient toujours des séances de travail étonnés de la façon dont les choses avaient fonctionné — le professeur ne pouvait pas simplement arriver et semer la panique chez les pauvres ploucs. Il n'en était pas question; les péquenots avaient leur propre dynamique. Certains universitaires avaient l'impression que de la façon dont l'assemblée avait été préparée, elle s'orienterait vers une destination en particulier. Eh bien, cela n'a pas été le cas.

Tous ceux à qui j'ai parlé et qui ont participé à cette assemblée ont dit qu'il s'agissait là d'un investissement énorme de temps, mais la majorité de cet investissement s'est faite sous forme de temps que les citoyens ont voulu y consacrer. Il était incroyable de voir à quel point les conversations étaient ciblées, c'était comme participer à un colloque de haut niveau. Pas question de bluffer avec ces gens ou de leur faire peur. Le processus a été extraordinaire. Ils en sont tous ressortis en se disant : « La démocratie est extraordinaire et nous devrions l'essayer une fois de temps en temps. » Je pense que ce serait une chose très emballante à faire.

Et c'est le même thème qui se dégage de tous les travaux de recherche qui sont réalisés sur les chambres hautes dans le monde aujourd'hui. C'est la chose dont personne ne parle ou que personne n'étudie. Nous ne savons même pas comment certaines chambres hautes dans le monde fonctionnent. Personne n'a encore fait de travail descriptif à ce sujet, ce que nous tenons tous pour acquis, de sorte que nous pourrions commencer à énoncer de grands principes.

Des chambres hautes sont créées et réformées dans le monde chaque année ou à peu près. Beaucoup d'idées en ressortent. Il serait bon d'avoir l'occasion de les explorer de façon à pouvoir susciter l'intérêt des Canadiens et faire ressortir des enjeux comme la question des pouvoirs, les relations entre la chambre haute et la chambre basse.

Mais le problème, c'est que ça ne fonctionne jamais rondement. Aucune réponse ne permet véritablement de régler tous les problèmes, mais il y a différentes façons de les aborder et de réfléchir à la question.

Le sénateur Austin : Le processus devrait être un système de poids et de contrepoids quant au pouvoir que l'autre possède de sorte que nous ayons un débat public sur des enjeux d'importance pour l'administration politique du pays. Voilà le genre d'équilibre institutionnel que nous devrions avoir.

Moi je pense, et je crois que vous le dites tous les deux dans vos hypothèses implicites, que le public a des opinions sur le Sénat mais qu'il ne comprend pas véritablement le Sénat d'aujourd'hui ni le genre de pouvoirs d'une chambre haute au pays. J'ai été intrigué par la suggestion de M. Gibson, mais je ne sais pas comment nous la structurerions. Ce serait là une autre question, mais je suis intrigué par le projet de débat public qui se tient à l'extérieur de la communauté politique professionnelle.

Je remarque, monsieur Gibson, que vous n'avez pas abordé la résolution sur la représentation de l'Ouest. M. Gibbins hier, et le professeur McCormick aujourd'hui, reconnaissent tous les deux, tout comme vous, que la représentation de l'Ouest cause un problème grave au sein de la Confédération comme c'est le cas à la chambre haute — peu importe ce qu'elle serait. Le sénateur Murray et moi-même tentons de trouver un moyen, de façon très pragmatique, de retirer cette question de la table pour que l'on puisse faire avancer le reste du processus de réforme du Sénat. Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires au sujet de la représentation de l'Ouest? Je ne veux pas trop vous diriger. J'aimerais bien, mais je sais que je ne peux pas le faire.

M. Gibson : La motion renferme quelques éléments que j'aime beaucoup. Premièrement, le Sénat en tant que tel utilise le pouvoir dont il dispose pour participer au processus de modification constitutionnelle, et je pense que c'est une bonne chose. Je crois que le sénateur Murray ou le sénateur Austin a dit l'autre jour que c'était une première pour le Sénat, et je trouve que c'est merveilleux.

En tant qu'habitant de l'Ouest, je suis naturellement heureux de l'objet de la motion, qui viserait à accroître la représentation de l'Ouest. Cependant, je dois dire que je suis inquiet de savoir que vous ne pouvez pas faire seulement une chose. Originaire de l'Ouest, en tentant d'aborder les problèmes sous un angle national et en mettant mon chapeau de la Colombie-Britannique, cette proposition visant à accroître la représentation de la Colombie-Britannique pourrait très bien s'intégrer à un Sénat qui disposerait de ce genre de pouvoir. Cependant, avec un Sénat qui dispose des pouvoirs qu'il a, je ne sais pas si j'aimerais tellement cela.

Le sénateur Austin : Vous en voudriez peut-être plus?

M. Gibson : Malheureusement, pour répondre à votre question, je crains qu'une réforme sérieuse du Sénat ne puisse se faire de façon graduelle. Ces choses sont tellement interreliées, il y a tellement de compromis en jeu, il faut tout examiner en même temps. Je conçois que c'est un problème constitutionnel grave qui est embrouillé et complexe. C'est pourquoi, en y réfléchissant, je suis arrivé avec l'idée d'une assemblée populaire parce que c'est le seul outil démocratique qui me vient à l'esprit pour trouver une solution.

Si vous me permettez de faire un peu de publicité pour l'assemblée populaire, cela a très bien fonctionné. Cent soixante Canadiens ordinaires qui ne connaissaient rien au processus électoral se sont réunis pour en discuter. Après plusieurs mois, ils en sont ressortis comme de véritables experts et ont concocté une bonne solution qui a obtenu 58 p. 100 des voix des habitants de la Colombie-Britannique lors d'un référendum. La réforme du Sénat est plus complexe que la réforme électorale, mais je pense qu'une assemblée pourrait y parvenir.

Le sénateur Angus : Messieurs, vos présentations ont été très intéressantes. Il me semble comprendre que vous êtes tous les deux d'avis que le gouvernement est sur la mauvaise voie dans son initiative visant à entamer un renouvellement du Sénat. Est-ce que j'ai raison?

M. Gibson : Pas en ce qui me concerne. Je crois que le gouvernement doit être félicité pour s'être intéressé à la réforme du Sénat. Je crois tout simplement que le projet de loi S-4 n'est pas un bon départ.

Le sénateur Angus : C'est ce que j'ai compris que vous disiez.

Professeur McCormick, êtes-vous du même avis?

M. McCormick : Vous restreignez trop notre argumentation. Si le projet de loi S-4 ne contenait pas seulement la notion de mandat de huit ans, mais également une indication plus claire de la façon dont les gens seraient choisis pour ces mandats de huit ans, je pourrais plus facilement m'intéresser à cette proposition dichotomique. J'ai peur que nous nous retrouvions seulement avec le projet de loi S-4 et qu'on ne s'y intéresse pas à nouveau pendant un certain temps, ce qui serait un recul.

Le sénateur Angus : Vous avez lu les commentaires du premier ministre. Il fait preuve de souplesse sur la question des mandats de six, huit ou 12 ans. Il avait en tête une limite maximale de 10 ans, peut-être, mais le gouvernement est flexible quant au renouvellement du mandat.

Que penseriez-vous d'une version du projet de loi S-4 qui dirait que les sénateurs seraient nommés pour un mandat non renouvelable de 10 ans, projet de loi qui n'entrerait pas en vigueur tant que le projet de loi complémentaire, qu'on nous affirme imminent, serait également mis en vigueur?

M. McCormick : Premièrement, le mandat doit être non renouvelable, sinon, on est aux prises avec la question de son indépendance. Deuxièmement, j'ai oublié de mentionner que j'accepte l'idée du mandat de huit ans. J'ai consulté un tableau portant sur les mandats des membres des chambres hautes d'autres pays et, à huit ans, le Canada viendrait au second rang des pays dont les sénateurs sont nommés pour les mandats les plus longs. Un mandat de 10 ans donnerait aux sénateurs canadiens le mandat le plus long. Actuellement, c'est la France qui détient ce record avec des mandats de neuf ans. La moyenne est de cinq ans, et les mandats de quatre ans étant les deuxièmes mandats les plus fréquents en longueur.

Je ne vois rien de mal à donner des mandats de huit ans. Il serait préférable de ne pas faire un pas en arrière dans le but de faire un pas en avant. J'aimerais voir certains systèmes électoraux adoptés, d'autres pas. La circonscription de vote pluraliste à membre unique est une aberration. Avoir une autre série de telles élections, ce serait vraiment trop. La version modifiée à laquelle je souscrirais serait conditionnelle parce que trop de choses peuvent aller de travers.

Le sénateur Angus : Je crois vous avoir entendu tous les deux dire, mais dans des termes différents, que vous êtes tous en faveur d'un Sénat Triple-E.

M. McCormick : Nous avons été les principaux instigateurs de ce régime; s'il vous plaît, ne nous rétrogradez pas.

Le sénateur Angus : Exactement. Je crois comprendre que ce mouvement n'existe plus. Les principes enchâssés dans le régime initial de Sénat Triple-E, comme nous l'a clairement expliqué le ministre Mar de l'Alberta, ne sont plus des principes auxquels vous, messieurs, vous souscrivez. Est-ce que j'ai raison de dire cela?

M. McCormick : Le mouvement concernant le Sénat Triple-E existe encore et il est porté par M. Burt Brown. Ma compréhension des réalités de la réforme institutionnelle est telle que j'ai, à regret, passé à autre chose.

Le sénateur Angus : Ni l'un ni l'autre n'a dit, et je ne peux pas non plus en déduire de ce que vous avez dit, que la proposition concernant le statu quo n'est pas acceptable à votre avis. Est-ce exact?

M. McCormick : Absolument.

M. Gibson : Certainement pas à mon avis. Selon moi, comme je l'ai dit dans mon document, si l'on compare la Chambre des communes et le Sénat, on voit que le Sénat est une chambre de beaucoup supérieure en ce qui concerne le travail qu'elle fait par rapport à son mandat et à la Chambre des communes. Si vous voulez réformer une chambre du Parlement, il faut commencer par la Chambre des communes.

Le sénateur Angus : Cela a été soulevé par quelqu'un d'autre, et c'est intéressant, mais le public n'a pas embarqué. Peu importe la dynamique de l'opinion publique, c'est le Sénat qui est la cible de changements. C'est ce que nous essayons de voir, mais il se pourrait bien que dans notre rapport on dise que l'autre endroit devrait également être réformé. Le statu quo au Sénat n'est pas acceptable pour ni l'un ni l'autre d'entre vous, n'est-ce pas?

M. Gibson : Pour moi, oui. Je préférerais que le Sénat soit réformé, mais il faudrait que ce soit une réforme générée par une assemblée populaire, une réforme qui obtienne un large appui du public, plutôt que d'être une réforme à la pièce.

Le sénateur Angus : À votre avis tous les deux, préféreriez-vous l'abolition au statu quo?

M. Gibson : Pas moi.

M. McCormick : Moi non plus.

Le sénateur Angus : J'ai demandé au premier ministre ce qui arriverait si le projet de loi S-4, dans une version modifiée, peut-être, mais basée sur une démarche graduelle visant à moderniser l'institution ne nous convenait pas, et il a répondu qu'il a été déposé au Sénat plutôt qu'à la Chambre des communes de sorte que les sénateurs puissent participer au processus et donner leur aval à ce processus de renouvellement. D'après ses indications et sa compréhension de la réalité des premiers ministres provinciaux, il n'aurait jamais le consensus sur rien d'autre, sauf sur l'abolition s'il n'arrivait pas à franchir les premières étapes décrites d'abord dans le projet de loi S-4. C'était en quelque sorte une menace voilée. Avez-vous remarqué cela?

M. Gibson : Certes, on l'a vu, mais cette position comporte une difficulté constitutionnelle. L'abolition du Sénat nécessiterait l'approbation complète des provinces et des territoires et cela ne se produira tout simplement pas, à mon avis.

M. McCormick : Cela ne serait pas souhaitable. On assiste depuis 20 ans dans le monde à une reviviscence des chambres hautes. C'est l'une des tendances les moins visibles, les moins publicisées et la moins étudiée par les universitaires depuis 20 ans, mais c'est la réalité. Ce serait dommage d'avoir gardé notre Sénat actuel pendant tout ce temps pour ensuite, au moment où les gens commencent à se former une idée de ce que devraient être les chambres hautes, même dans les systèmes dominés par une chambre basse, que nous décidions d'abolir notre chambre haute. Ce serait très malheureux et peu souhaitable.

Le sénateur Angus : Vous pensez tous les deux qu'une chambre haute pour le Canada est une bonne chose, que nous devrions en avoir une, que l'abolition du Sénat n'est pas dans les cartes, et que le statu quo, même rempli d'imperfections et à la traînée des tendances modernes, est préférable à l'élaboration d'un processus qui pourrait donner naissance à une atrocité constitutionnelle, en nous laissant avec différents processus à régler pour concevoir quelque chose qui fonctionnerait pour le Canada.

Je trouve tout ce concept d'assemblée populaire fascinant, même si je n'en connais rien. Je crois que le sénateur Austin l'a trouvé intéressant lui aussi. Je n'ai simplement pas le temps d'aborder cette question. J'espère que d'autres exploreront la notion d'assemblée populaire que nous pourrions peut-être recommander comme faisant partie du processus.

M. Gibson : J'aimerais inviter les sénateurs à consulter une source documentaire. La Kennedy School of Government à l'Université Harvard, qui est l'une des principales organisations de recherche théorique sur la démocratie au monde, s'est intéressée particulièrement à l'idée d'assemblée populaire. Vous pourriez consulter des documents rédigés par M. Dennis Thompson ou d'autres et trouver des études exhaustives et complémentaires sur le processus de la Colombie-Britannique et des idées pour savoir comment cette notion pourrait être élargie et appliquée à d'autres secteurs.

Le sénateur Harb : Messieurs Gibson et McCormick, vous avez fait tous les deux des commentaires très impressionnants ce matin et je vous en remercie. Vous semblez non seulement comprendre les enjeux, mais avoir aussi à cœur les intérêts supérieurs des institutions démocratiques, tant ceux de la Chambre des communes que du Sénat.

Ma question porte sur un commentaire que vous avez fait, monsieur Gibson, dans un de vos documents, je crois en 2004. Vous avez dit qu'un plan visant à élire les sénateurs à la chambre existante créerait une horreur constitutionnelle. Cela semble bien rejoindre votre commentaire sur le projet de loi S-4. Si je vous comprends bien, vous dites que le dépôt et l'adoption du projet de loi S-4 tel qu'il est n'ont pas tellement de sens parce que cela créerait un instrument de pouvoir pour les premiers ministres des provinces. Cependant, déposer le projet de loi S-4 avec l'intention d'y ajouter un autre projet de loi visant à élire les membres de la chambre existante, comme y a fait allusion le premier ministre, constituerait aussi une horreur sur le plan constitutionnel. De même, vous avez parlé d'assemblée populaire qui, à mon avis, est une idée merveilleuse si elle est bien planifiée. D'après vos commentaires, j'ai compris que nous ne sommes pas en conflit, mais vous participez aujourd'hui aux travaux d'un comité sénatorial qui se penche sur un projet de loi qui pourrait influer sur notre bien-être. Nous sommes un peu en conflit d'intérêts en décidant de ce qui nous arrivera.

Par contre, si on regarde la Chambre des communes, et en particulier le premier ministre, et ce qu'il essaie de faire avec le projet de loi S-4, il est lui aussi en conflit d'intérêts. Essentiellement, si le projet de loi S-4 est adopté, cela lui donnera beaucoup plus de pouvoirs.

Je crois que vous tentez de nous trouver une « porte de sortie ». Vous êtes en train de nous dire que peu importe ce qu'on adoptera, ce ne sera pas la bonne chose. Un groupe de particuliers ou d'experts ou de représentants de la population pourrait très bien s'en charger sans subir la pression ou sans les conflits potentiels qui pourraient en découler. Ai-je raison de dire que le projet de loi S-4 est un conflit d'intérêts pour nous, de même que pour le premier ministre, et qu'il devrait être renvoyé à une tierce partie?

M. Gibson : L'hypothèse de la Colombie-Britannique qui a motivé la mise en place de l'assemblée populaire était que discuter de la réforme de tout système électoral constitue clairement un conflit d'intérêts pour les politiques. Cela a été très clair.

Les institutions fondamentales de la démocratie appartiennent réellement au peuple, et non aux politiques. Par conséquent, dans ce cas en particulier, il a été dit que l'assemblée offrait aux gens un moyen d'examiner certains enjeux.

Je crois qu'il en va de même de la réforme du Sénat. Je ne veux pas critiquer le premier ministre ou tout autre politique qui la propose, au contraire, je les félicite. Mais je crois effectivement qu'il est essentiel que peu importe le processus qui sera adopté, il doit s'agir d'un processus qui peut tirer profit de la sagesse du Sénat, de la sagesse du cabinet du premier ministre et de la sagesse de la Chambre des communes pour développer ce qui en sortira. Parce que je crois que le processus appartient au peuple, en bout de ligne, je crois qu'il doit être validé par un référendum s'il doit y avoir un changement constitutionnel de ce genre.

Oui, je suis d'accord avec vous qu'il y a conflit d'intérêts, mais je ne le critique pas. C'est un conflit qui est tout simplement intégré au processus.

Le sénateur Harb : Mon collègue a soulevé un point intéressant. Si nous voulons éviter toute cette notion de conflit, nous pourrions approuver le projet de loi en principe ou approuver une résolution qui reporterait la promulgation de ce projet de loi jusqu'à ce qu'un ensemble adéquat de réformes soit mis sur la table. En outre, d'après vos commentaires, et M. McCormick voudra peut-être aussi commenter, peut-être que le projet de loi devrait être retiré complètement des mains des politiques parce que, peu importe la façon dont on regarde les choses, nous sommes en conflit. Une telle mesure nous dégagerait-elle du bourbier? Parce que nous sommes coincés. Le premier ministre est coincé parce qu'il est allé de l'avant avec sa proposition. Nous sommes coincés parce que nous sommes saisis d'une mesure législative qui influera sur notre bien-être en tant que sénateurs. Par souci de l'institution, ce qui pourrait peut- être fonctionner, ce serait que l'on nous retire ce projet de loi. Avez-vous une suggestion qui pourrait nous permettre de nous sortir de cette situation?

M. McCormick : Vous ne pouvez que le renvoyer à un organisme de l'extérieur qui mettra beaucoup de temps à l'étudier. L'assemblée populaire est une idée merveilleuse, mais cela ne se réalise pas en un week-end. Cela prendra un an à mettre en place, plus un an de délibérations, après quoi nous aurons un ensemble de mesures, si nous sommes chanceux, qu'il vaudra la peine d'examiner. Toutes les parties doivent convenir que cette question est suffisamment importante, suffisamment complexe et potentiellement gênante pour elles. Dans la logique normale de tout organisme démocratique, il y a certains éléments dont il faut se départir pour en confier l'étude à quelqu'un d'autre. Vous pouvez décrire la chose de façon cynique ou positive, cela n'a pas d'importance, la logique de base est toujours là.

M. Gibson : Je n'insisterai jamais assez sur ce point. Lorsque M. Campbell m'a engagé pour concevoir l'assemblée populaire en Colombie-Britannique, j'ai consulté tous les partis politiques. Tous étaient unanimes pour dire que c'était la façon de procéder. Je pense que si l'on veut que ce processus fonctionne, il doit y avoir consensus général au sein des classes politiques que c'est la bonne voie à prendre, autrement, je crains que l'on n'ait pas le bon mandat pour commencer le travail. C'est vous, les politiques, qui devez nous mandater de le faire, sinon cela ne fonctionnera pas.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais aborder la question des mandats de huit ans, de même que celle de l'indépendance que vous avez soulevée tous les deux.

Si nous sommes ici à siéger aujourd'hui pour discuter de cette question, c'est parce que le projet de loi a été déposé au Sénat. Cela a attiré notre attention. Je crois que le Sénat est en conflit d'intérêts s'il discute ces projets de loi. Je tiens également à souligner que je suis intrigué par la notion d'assemblée populaire.

Monsieur Gibson, vous avez dit que si un premier ministre était au pouvoir pendant huit ans ou plus, il y aurait un roulement au Sénat. Quelle est la différence entre un premier ministre qui est au pouvoir pendant huit ans et qui assiste à un roulement au Sénat et un premier ministre qui est peut-être au pouvoir pendant 12 ans et qui détient une majorité absolue de membres qu'il nomme?

M. Gibson : L'une des différences essentielles est la disparition d'une certaine mémoire institutionnelle, qui est irremplaçable. Je vous réfère au sénateur Austin, le doyen du Sénat, qui est ici depuis près de 30 ans.

Le sénateur Austin : Trente et un ans maintenant.

M. Gibson : Avec un mandat de huit ans, il est absolument garanti que vous n'auriez jamais ce genre de mémoire institutionnelle au Sénat. J'ai vu différents chiffres indiquant que la durée moyenne est de huit ou 11 ans, mais cette moyenne dissimule des mandats de longue durée qui peuvent être utiles et aussi, bien sûr, certains mandats plus courts.

La considération plus importante est que lorsqu'un sénateur sait que son mandat est limité, sa motivation ne sera pas la même et il commencera à songer à des considérations futures. Il n'y a pas la moindre critique dans mes propos ici. La nature humaine est telle que lorsque son travail est terminé, la personne se demande comment elle va gagner sa vie après. Cette mesure aura un impact sur la façon dont la personne fait son travail au cours de son mandat.

Les auteurs de la Constitution actuelle, à mon avis, voulaient supprimer cette idée de considération future dans l'esprit des sénateurs et par conséquent leur ont donné un mandat à vie. Peu importe si l'on est d'accord ou non aujourd'hui que c'était une bonne idée, je crois effectivement que c'était l'un des fondements de notre Constitution. Il me semble que changer le mandat actuel nécessiterait un amendement constitutionnel complet.

Le sénateur Tkachuk : Quel est le plus grand problème? Est-ce le fait qu'un premier ministre nommerait tous les sénateurs en huit ans, ou que la mémoire institutionnelle est importante, ou que toutes les autres questions corollaires que vous soulevez sont importantes? Est-ce une combinaison des trois?

M. Gibson : À mon avis, c'est une question de compromis : tant d'années, tel processus de sélection, telle représentation des pouvoirs des provinces dans tout le pays. Des modalités différentes fonctionneraient de façon différente. Par exemple, si le Sénat ne devait avoir qu'un veto suspensif, cela grugerait sérieusement ses pouvoirs, il y aurait peu d'intérêt à s'interroger sur toutes les autres choses, ce que je ne recommande pas, soit dit en passant.

Le sénateur Tkachuk : Dans le système actuel, le premier ministre, s'il obtient trois mandats, peut avoir une majorité absolue au Sénat en nommant la majorité des sénateurs. Cela s'est déjà vu dans le passé. En 1957, le sénateur Murray me rappelle, il n'y avait que six sénateurs conservateurs. Croyez-vous qu'avec un mandat raccourci, et que si le premier ministre faisait des nominations seulement pour huit ans, cela attirerait davantage l'attention du public sur le processus de nomination des sénateurs? Oublions la question des élections, qui je pense sera le deuxième volet du plan du premier ministre, et concentrons-nous seulement sur le projet de loi S-4 tel qu'il est. Ne croyez-vous pas que le premier ministre aurait plus de responsabilités à l'égard des électeurs en effectuant des nominations de courte durée au Sénat?

M. Gibson : J'aimerais bien le croire, mais je pense que les gens sont tellement cyniques au sujet des nominations des sénateurs qu'ils continueraient simplement d'afficher le même degré de cynisme. Des nominations pour un mandat plus bref pour la plupart des gens seraient perçues comme étant beaucoup plus du népotisme pour le premier ministre.

Le sénateur Tkachuk : Vous ne croyez pas que ce serait plutôt l'inverse? Les gens sont cyniques aujourd'hui parce que, une fois les sénateurs nommés, ils ne peuvent rien y changer. Au moins s'ils n'aiment pas les nominations qui ont été faites au Sénat, ils peuvent évincer le gouvernement et faire nommer d'autres personnes. Actuellement, il n'y a pas de choix parce que les sénateurs sont nommés à leur poste jusqu'à l'âge de 75 ans. Je crois que le public serait très intéressé par les nominations qui sont effectuées, et rendrait le premier ministre beaucoup plus responsable que ce n'est le cas actuellement.

M. Gibson : Je crois que c'est un bon argument du côté du gouvernement. Personnellement, je ne le trouve pas suffisant pour surmonter les difficultés.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais aborder la question de l'indépendance. Un sénateur à la retraite m'a dit que quelqu'un lui avait posé la question suivante : « Sénateur, vous êtes ici jusqu'à l'âge de 75 ans. Pourquoi votez-vous toujours avec le gouvernement? » Il a répondu : « Vous n'avez aucune idée de ce que c'est que de vivre dans cette ville quand personne ne vous parle. » Il y a beaucoup de vérité dans ses propos. On entend beaucoup parler de toute cette question d'indépendance. À mon avis, c'est un processus très difficile, la question du parti, du caucus, et ainsi de suite fait que le Sénat est un endroit très collégial, et cela est important. Nous sommes des êtres sociaux et, par conséquent, appartenir à un groupe est très important, surtout le groupe qui peut nommer les gens.

Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que le fait d'être nommés jusqu'à 75 ans nous rend plus indépendants. Ce n'est pas que nous ne prenons pas les enjeux régionaux à cœur, nous le faisons. Cependant, du même souffle, nous devons tenir compte de notre parti. Très peu de projets de loi sont stoppés par le Sénat dans sa forme actuelle; nous faisons certains amendements. Peut-être qu'un groupe de citoyens — des gens intelligents comme vous — pourraient examiner les projets de loi tous les deux mois pour s'assurer qu'ils sont bien rédigés et peut-être tenir des audiences.

Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que le Sénat est plus indépendant parce que nous sommes ici jusqu'à l'âge de 75 ans. Un mandat de huit ans rendrait la personne beaucoup plus responsable parce qu'elle devrait rendre des comptes à sa collectivité et à ses voisins au sujet de son comportement au Sénat lorsqu'elle ne serait plus sénateur et qu'elle rentrerait chez elle.

M. Gibson : Mon argument concernant le mandat de huit ans avait trait à l'article 44 et au point de vue que, à mon opinion, la Cour suprême voudra donner sur sujet. En ce qui concerne la question de l'indépendance, j'accepte certains de vos arguments. Ils sont très bons. J'ai soulevé ce point en particulier concernant l'article 44 et l'intention des auteurs, de mon point de vue.

[Français]

Le sénateur Dawson : Bonjour messieurs, j'ai bien apprécié le travail du comité consultatif de la Colombie- Britannique, lequel a émis le constat que la société civile était d'accord pour qu'il y ait un changement et que ce changement devait être amené, après consultation, auprès de la population.

Cependant, je crains qu'on ne puisse avoir de consensus sur la création d'un comité consultatif pancanadien, de Vancouver à Halifax en passant par le Grand Nord, avec des minorités culturelles et linguistiques ayant la même représentativité que celle que vous aviez en Colombie-Britannique.

Suites à ces consultations, il y a eu volonté politique d'aller de l'avant et de procéder selon les recommandations du comité, toutefois, j'ai de la difficulté à voir comment ce comité, avec les conclusions duquel je suis d'accord, pourra se mettre en branle efficacement en dépit des luttes de pouvoirs entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement canadien et entre la Chambre des communes et le Sénat. Le comité consultatif devra avoir un pouvoir de persuasion, ambition difficilement atteignable au Canada, afin de rallier tous ces paliers décisionnels. Tous se souviendront de la dernière tentative en ce domaine, la Commission Spicer. Dans cette ère pré-Internet, on s'était embourbé également parce qu'on avait décidé d'élargir la consultation en ayant recours à des assemblées électroniques de Vancouver à Halifax. Un comité consultatif pancanadien rencontrerait des contraintes similaires et mêmes différentes aujourd'hui.

Alors premièrement, comment pouvons-nous être sûrs que si l'on crée un comité de citoyens, les décisions qui y seront prises seront sanctionnées tant par les provinces que par le Parlement canadien et, deuxièmement, comment pourrons-nous mettre en branle un tel processus afin qu'il soit représentatif de la population?

[Traduction]

M. Gibson : J'ai beaucoup réfléchi à la question de savoir si l'expérience de la Colombie-Britannique peut être généralisée et appliquée à tout le Canada. Vous avez raison. Au Canada, les clivages sont plus importants que ceux que l'on constate en Colombie-Britannique. Cependant, je peux vous dire qu'en ce qui concerne notre expérience dans cette province, il y avait un clivage important entre les grandes circonscriptions du Nord, très peu peuplées, et celles du lower mainland. Il était intéressant de voir comment, au sein de l'assemblée, les gens du lower mainland ont tout fait pour essayer de tenir compte des besoins des circonscriptions du Nord alors que ces dernières défendaient vraiment leur position. J'ai été en quelque sorte rassuré de voir qu'il y aurait à l'interne le respect de la diversité, et c'était certainement le cas de l'assemblée populaire de la Colombie-Britannique.

Au départ, il doit y avoir une volonté politique. Si les gouvernements n'ont pas la volonté politique de constituer une assemblée populaire, celle-ci ne fonctionnera pas. C'est aussi simple que cela. Les gouvernements doivent accepter de créer une telle assemblée et de respecter les résultats, en supposant que les résultats sont validés dans le cadre d'un référendum.

Mais comment l'assemblée elle-même va-t-elle formuler ce que j'appelle des recommandations validées par référendum? À mon avis, il doit avoir un mécanisme de scrutin interne au sein de l'assemblée comme telle qui reconnaisse les régions « référendaires » du Canada. Ainsi, pour que l'assemblée adopte une proposition, elle a besoin de l'appui de sept provinces comptant 50 p. 100 de la population, ou de l'unanimité, selon le genre de proposition dont il est question. Si elle n'a pas ce résultat, la proposition disparaît simplement et n'est pas soumise par l'assemblée.

En Colombie-Britannique, notre règle de scrutin était la majorité simple, c'est-à-dire 50 p. 100 plus un. Nous avions peur de devoir en arriver là. Mais en bout de ligne, la règle n'a pas été utilisée. Ultimement, les résultats du vote en faveur du changement proposé de système ont été de 146 contre 7, soit un consensus renversant, étant donné que les gens avaient déployé tant d'efforts pour obtenir ce résultat et répondre aux besoins de chacun. Le scrutin de ballotage entre les deux finalistes, qui était un mélange de votes proportionnels et de votes uniques et transférables, a été également renversant. Le résultat a été de quatre contre un — 20 p. 100 de proportionnels et 80 p. 100 pour l'autre.

Ce que nous avons constaté en Colombie-Britannique, c'est l'établissement, une fois que les gens en ont parlé et y ont suffisamment réfléchi, d'un consensus assez renversant. Si l'on croit que cette communauté d'intérêts est bien ancrée au Canada, je commencerais à saisir cette occasion. Si vous croyez que les racines sont trop profondes pour résister à ce genre d'éclairage révélateur, ce pourrait être une expérience dangereuse. Le contraire est tout aussi vrai.

Cependant, je dois dire que si ce processus d'assemblée populaire échoue, il échoue, mais que les conséquences ne sont pas si graves. Par contre, quand le genre d'exercice comme le Lac Meech échoue, cela a des conséquences quand même assez sérieuses.

Le sénateur Dawson : Cela fait partie de notre dilemme. Je pense qu'il y a consensus en faveur d'un changement, et nous croyons également que nous devons commencer par quelque chose et que ce pourrait être l'occasion. Beaucoup croient fermement qu'il devrait y avoir un lien entre le mandat de huit ans et une élection. S'il n'y en a pas, nous nous retrouvons avec le problème de personnes qui pourraient être nommées par un gouvernement et avoir un Sénat sans opposition.

Cependant, nous devons savoir où nous allons. La première étape est toujours importante. Mais nous devons commencer à réfléchir à ce que sera le partage des pouvoirs. Nous allons partager les pouvoirs avec la Chambre des communes, ce qui est bien. Peut-être que la Chambre des communes pourra débattre de la question et en arriver à un genre de compromis sur la limite des pouvoirs de la seconde chambre.

Mais, inévitablement, si le Sénat doit avoir plus de pouvoirs, nous allons probablement soustraire certains pouvoirs aux provinces. À ce moment-là, l'affrontement ne se fera pas entre la Chambre et le Sénat, ou entre l'opposition et le gouvernement au Sénat, mais entre le gouvernement canadien et les provinces.

Croyez-vous que l'on devrait établir un lien entre le mandat de huit ans et les élections ou si nous devrions procéder étape par étape? Deuxièmement, devrions-nous commencer à obtenir un consensus sur le genre de pouvoirs que le Sénat devrait avoir si nous devons avoir une nouvelle base de pouvoirs?

M. Gibson : Malheureusement, je crois que vous devez réfléchir à toutes ces choses en même temps.

En ce qui concerne le transfert des pouvoirs des provinces au gouvernement central, vous vous souviendrez d'une évolution très intéressante qui s'est produite aux États-Unis. Jusqu'en 1913, les sénateurs américains étaient nommés par les assemblées législatives des États. Par suite de l'amendement constitutionnel no 17, les sénateurs sont élus. Il s'en est donc suivi une augmentation particulière de la légitimité de Washington et du gouvernement central, et un net transfert de pouvoirs — à cause d'un transfert de légitimité — vers le centre, ce qui est une autre chose qui doit inquiéter les gens qui réfléchissent à une réforme du Sénat, soient-ils centralisateurs ou décentralisateurs.

Le sénateur Murray : Comme il reste peu de temps, je vais faire plusieurs observations et m'en tenir à cela. Les témoins pourront ou non faire des commentaires s'ils le veulent.

Premièrement, j'aimerais défendre en quelques mots le projet d'amendement constitutionnel que le sénateur Austin et moi avons déposé.

Bien sûr, nous reconnaissons que cela oblige à utiliser la formule d'amendement générale — on a besoin de l'appui de sept provinces comptant 50 p. 100 de la population — mais cet amendement ne pourrait pas être plus différent que celui de Charlottetown.

Qui sait pourquoi Charlottetown a échoué? C'est peut-être la société distincte, le droit inhérent des Autochtones ou la proposition de réforme du Sénat — ça peut être n'importe quoi. Nous ne savons pas pourquoi.

L'amendement que nous proposons est un amendement discret visant à remédier à ce que nous considérons être une grave injustice. Si le Sénat soumet l'amendement aux autres intervenants en cours de route, on peut concevoir que les provinces pourraient former un autre consensus. Elles voudront peut-être changer les chiffres que le sénateur Austin et moi avons proposés. Cela ne serait pas difficile à changer, alors que cela aurait été un cauchemar si les provinces avaient commencé à modifier l'amendement du Lac Meech après que plusieurs d'entre elles eurent donné leur approbation et que tous les premiers ministres avaient approuvé.

C'est un amendement singulier qui vise à régler une injustice importante. Si nous devons conserver le statu quo, il est impossible de justifier une situation dans laquelle la Colombie-Britannique ou l'Alberta aurait six sièges au Sénat. J'aimerais connaître les principes qui inciteraient une province à refuser d'accroître la représentation de la Colombie- Britannique et de l'Alberta.

Je crois qu'il s'agit d'une importante initiative du Sénat, et j'aimerais voir jusqu'où elle va aller si nous l'adoptons.

Deuxièmement, j'aimerais attirer votre attention sur ce que j'estime être une lacune grave dans le processus que le gouvernement a adopté ici. Lorsque le premier ministre est venu témoigner il y a quelques jours, voici ce qu'il a dit : « Adoptez le projet de loi S-4, adoptez ce mandat de huit ans pour un Sénat nommé et ensuite, à l'automne, nous allons déposer le projet de loi. » Cela n'est pas un amendement constitutionnel, mais une simple loi visant à créer un Sénat élu « de facto » grâce à un quelconque processus de consultation.

Le sénateur Segal était présent et il a dit : « Monsieur le premier ministre, supposons que tout cela fonctionne et que vous obtenez ce Sénat élu avec les sénateurs qui ont un mandat plus long que les députés de la Chambre des communes, qui ont un véritable pouvoir, qu'allez-vous faire des relations entre le Sénat et la Chambre des communes? » Autrement dit, qu'allez-vous faire des pouvoirs de ce Sénat nouvellement légitimé? Le premier ministre a dit : « Oh, en ce qui concerne les pouvoirs, je vais aller rencontrer les provinces. »

Il me semble que cela revient à une porte grande ouverte à tous les ennuis. Imaginez, il aura ce Sénat puissant, après quoi il ira trouver les provinces pour l'aider à restreindre leurs pouvoirs. Quel compromis!

C'est un secret de polichinelle qu'au Lac Meech, le premier ministre Mulroney a sondé les premiers ministres pour voir s'il y avait quelque consensus qui lui permettrait d'abolir le Sénat. Quelques-uns ont levé la main, mais pas tellement. L'un d'eux m'a dit : « Abolir le Sénat réglerait le problème de M. Mulroney, mais cela ne réglera pas notre problème tel qu'on le voit dans la fédération », donc, il n'en a plus été question.

Enfin, monsieur McCormick, en ce qui concerne les provinces et les régions, pour les fins du Sénat, l'Ontario est à la fois une province et une région, tout comme le Québec. En ce qui concerne les vetos régionaux — le projet de loi C-110 il y a quelques années — la Colombie-Britannique est à la fois une province et une région pour fins d'amendements constitutionnels.

Non seulement cela, je crois que vous ne voulez pas inclure l'Alberta avec les autres provinces des Prairies, mais je pense que votre objection est plus théorique que réelle parce qu'avec la loi sur les vetos régionaux, nous avons donné à l'Alberta un veto de fait. Nous en arrivons donc à abandonner les régions au profit des provinces.

M. McCormick : En un sens, vous reprenez simplement mon argument, à savoir que la sottise des régions du Sénat, ou les versions antérieures des régions assujetties à la formule d'amendement, est ébréchée. La seule différence entre nous, c'est que vous êtes disposé à respecter les paramètres de l'ancienne formule et à utiliser l'ancienne terminologie tout en y apportant des changements de sorte que ce n'est plus ce que l'on décrit.

Sur le plan théorique, j'aimerais revenir en arrière et dire : pourquoi s'en préoccuper? Pourquoi garder nos fringues au lieu de renouveler la garde-robe?

Il est difficile de réformer un pays comme le Canada parce que le nombre de ses composantes n'est pas particulièrement élevé, mais les variétés de tailles sont colossales. C'est la raison pour laquelle nous continuons de nous demander ce qui ne va pas avec la représentation égale. La Californie s'accommode bien du fait que le Nevada compte le même nombre de sénateurs qu'elle. D'accord, mais cela ne prouve rien parce qu'il y a 50 unités constituantes aux États-Unis et seulement 10 ici — et les problèmes s'enveniment davantage lorsqu'on est à l'étroit.

Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la démarche graduelle. En un sens, nous réglons d'abord les problèmes mineurs de sorte que lorsque nous arriverons aux questions difficiles, cela sera plus ardu, ce qui n'est pas la façon la plus logique de procéder. On devrait d'abord régler les gros problèmes pour résoudre après les problèmes mineurs plus aisément. Nous faisons exactement le contraire. Plus on avance, plus les questions deviennent difficiles à cause de la façon dont on a répondu à la précédente. C'est un problème que vous amplifiez à mesure.

Le pari que nous avons pris lorsque nous avons tenté de garder l'idée du Sénat Triple E vivante, c'était de commencer à élire les sénateurs et laisser aller les choses, et nous nous serions mis dans une impasse. Vous nous sortez du coin où nos stratégies nous ont piégés et nous devrions vous en être beaucoup plus reconnaissants, mais ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent.

On peut pratiquement imaginer un Sénat réformé qui conserverait de nombreuses caractéristiques du Sénat existant tout en essayant de régler l'ensemble des enjeux que nous brassons. Cependant, se précipiter avec un mandat de huit ans, des nominations unilatérales du premier ministre et voir ensuite à régler le reste est un drôle de départ. Il y a une différence avec une chambre qui est en grande partie dominée par un gouvernement qui se trouve au pouvoir depuis deux décennies. Depuis sir John A. Macdonald, nous n'avons pas eu de Sénat dont les membres étaient entièrement nommés par un seul premier ministre, et où chaque membre du Sénat reflète les priorités de celui qui l'a nommé et sa loyauté à l'égard d'un seul premier ministre. Cette situation ne ressemble en rien à une impasse dans laquelle nous voudrions nous mettre. Elle ressemble à un cauchemar pour quelque chambre que ce soit.

M. Gibson : Régler d'abord les problèmes mineurs avant d'aborder les mégaproblèmes et les amplifier — j'aurais bien aimé avoir dit cela, et je le dirai.

Le sénateur Hubley : Je vous souhaite tous deux la bienvenue. Je vais revenir à la notion de régions qui n'existent plus. Cela est probablement assez vrai au Sénat également. Je pense que nous sommes allés bien au-delà de ce que nous percevons comme des régions. Peu importe le système de réforme que nous adoptions au Sénat, il nous faut un mécanisme permettant de représenter les minorités et de représenter ce que je pense être une nouvelle définition des régions. Je pense au Nord, aux collectivités côtières et aux éléments d'une certaine réalité économique. Nous pourrions peut-être aussi nous pencher sur les forêts, si elles sont menacées. Certes, notre Nord comporte de nombreux problèmes.

Peu importe ce que nous faisons, je ne crois pas que le processus électoral que nous utilisons à la Chambre des communes assurera les Canadiens qu'ils peuvent faire entendre leur voix dans ce système parlementaire. C'est le rôle du Sénat, je crois, de s'assurer d'une telle chose. Je peux simplement dire, d'après mon expérience personnelle, que l'éducation des Canadiens peut très souvent commencer au Sénat s'il renferme ce genre de représentation parce qu'il examine les projets de loi qui proviennent de la Chambre des communes et leur accorde une attention spéciale de son point de vue; cela n'a pas de prix. À moins que le système de réforme inclue cela d'une certaine façon, nous n'allons pas atteindre l'objectif. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. McCormick : C'est le point sur lequel je voulais insister. Plus je lis au sujet des chambres hautes, pas seulement la nôtre, mais les nouvelles qui voient le jour dans le monde entier actuellement, plus je crois qu'elles doivent être établies en fonction d'un concept conscient de double représentation. L'argument à invoquer pour le Sénat, c'est qu'il ne doit pas être simplement une chambre chargée d'examiner les choses au cas où la chambre basse se tromperait, mais bien plutôt que les habitants du pays méritent d'être représentés d'une seconde façon.

La difficulté, c'est d'être conscient des bonnes modalités, de trouver ces bonnes modalités pour appliquer ce deuxième mode de représentation. Si vous regardez ce qui se passe dans le monde, la façon normale de procéder, c'est par les régions et les territoires, comme des blocs sur une carte géographique. Même dans les systèmes autres que fédéraux, il y a encore des régions ou des départements ou des zones du pays que vous représentez.

Le pire impact du Sénat Triple-E est qu'il est venu brouiller cet élément et faisait courir le risque de créer une représentation « doublée », plutôt qu'une représentation à deux volets. Vous faites les choses deux fois dans deux chambres différentes. Il faut s'efforcer d'éviter cela et préciser qui vous tentez de représenter exactement. Une fois que vous savez au juste ce que vous cherchez à défendre, vous pouvez alors établir les mécanismes vous permettant de vous assurer que cela se transmettra aux nouveaux membres qui seront nommés. C'est ce qu'il faut faire d'abord.

J'ai parlé des régions urbaines et rurales et des gouvernements locaux comme des niveaux laissés pour compte dans le débat. Vous mentionnez un autre aspect de la même chose. De nombreux aspects différents de la société canadienne seraient bien servis par un système plus conscient de représentation à deux volets. C'est là le potentiel exaltant que présentent les chambres hautes quand on en arrive à les voir comme des entités capables de faire autre chose que d'être des Chambres de lords qui n'ont pas encore été abolies. Il est possible de réaliser ces choses sous l'égide des chambres hautes et ensuite de créer la dynamique appropriée entre elles et la Chambre des communes.

M. Gibson : Vous avez parfaitement raison, sénateur, le genre de vote qui se tient à la Chambre des communes étouffe cette représentation des minorités. Pour représenter la diversité au Sénat, il vous faut un système différent avec un vote unique et transférable ou quelque chose, mais il y a un corollaire à cela. Vous allez devoir probablement élargir la taille du Sénat afin d'obtenir le genre de circonscriptions à plusieurs membres dont vous auriez besoin pour que ce système électoral fonctionne.

[Français]

Le sénateur Chaput : Je vais faire quelques observations et j'aurai une question très brève à poser. En tant que sénateur, je dois m'intéresser à la question de la réforme du Sénat. Le statu quo n'est pas une option pour moi. Nous sommes tous au courant de la perception que les Canadiens ont du Sénat et cela nous oblige à parler de la réforme, si ce n'est que pour cette raison. Nous sommes non élus et nous siégeons jusqu'à l'âge de 75 ans. Aux yeux des Canadiens, c'est insensé. Encore hier, nous avons reçu un témoin qui nous a dit que le Sénat était une risée. Au Manitoba, mon gouvernement provincial, le NPD, ne croit pas au Sénat. Si c'était un Sénat élu, peut-être qu'il y croirait.

Le gouvernement a choisi de déposer le projet de loi S-4 au Sénat. S'il y a conflit d'intérêts, il nous a été imposé, donc encore une fois, il faut se pencher sur cette question.

Je suis d'accord avec vous qu'il est difficile d'étudier le projet de loi S-4 sans connaître ce qui va s'ensuivre. Ma collègue a parlé du processus électoral qui sera proposé et j'ai plusieurs préoccupations à ce sujet. Comment mettre en place un processus électoral tout en conservant la représentativité que nous avons présentement? Il n'y a aucun doute que le projet de loi S-4 est délicat car nous ne connaissons pas ce qui s'en vient et nous devons tenir compte de plusieurs autres éléments.

Si vous croyez à une réforme du Sénat, quelle serait, d'après vous, la première étape à entreprendre? Ensuite, comment pourrait-on y intégrer le concept de l'assemblée populaire?

[Traduction]

M. Gibson : Voici ce que j'ai à répondre à ces questions : il n'y a pas de première étape comme telle. Les étapes doivent être interreliées. Ces choses sont toutes tellement entrelacées qu'elles doivent être examinées en même temps. Vraiment, la première chose à faire, c'est la deuxième, c'est-à-dire établir un processus légitime et fonctionnel.

M. McCormick : Tout le monde blague au Canada en disant que la réforme du Sénat est le sujet le plus ennuyant que l'on puisse aborder après un dîner. Pendant un court moment, nous avons été emballés, et maintenant nous nous ennuyons à nouveau. La façon souhaitable de procéder à la réforme du Sénat consiste à avoir une vaste discussion sur la question, pas du petit grignotage comme nous faisons ici, bien que cet amuse-gueule soit tentant pour ceux d'entre nous qui voulaient prendre tout un repas, mais bon. J'ai de la difficulté à expliquer aux gens pourquoi ils devraient se préoccuper du projet de loi S-4, et c'est seulement parce qu'il soulève un débat plus large, que nous avons besoin davantage de ce débat et pour que nous sachions clairement quand il se tiendra. Je comprends que nous devrons procéder par cette démarche graduelle et que les processus se suivent. Pour l'instant, les miettes sont minuscules et une trop grande partie est microscopique. Les hors-d'œuvre ne sont pas reliés à un ensemble qui pourrait inspirer l'enthousiasme. Par conséquent, cela ressemble à un éclair, soit à un triomphe publicitaire ou une saisie de pouvoir. Si la deuxième étape ne se concrétise jamais, alors le projet de loi n'est qu'une prise de pouvoir du plus haut niveau. Si la deuxième étape est honnêtement prévue, alors c'est un appât publicitaire et la deuxième étape fait sa publicité par elle- même, ce qui est bien parce que si c'est ainsi que les politiciens font du progrès, tant mieux. Pour l'instant, c'est ce qui m'inquiète. Ce que je vois à l'horizon n'est qu'une prise de pouvoir qui va endommager le Sénat dans un de ses mandats plutôt que de l'aider. À moins que d'autres étapes ne suivent, et nous connaissons tous les incertitudes de la vie politique au Canada, la réforme du Sénat va être consignée dans les livres d'histoire comme étant un exercice de pouvoir. Tout le monde commentera la sournoiserie du cabinet du premier ministre d'augmenter son pouvoir de façon aussi désinvolte. J'espère que cela ne se produira pas. Je ne crois pas que ce soit l'intention du premier ministre. Nous pouvons tous échafauder des scénarios qui donneraient ce résultat.

Le sénateur Watt : Que recommanderiez-vous au Sénat concernant la création d'une assemblée populaire? Serait-il opportun pour le Sénat d'introduire ce concept pour susciter la discussion publique, peut-être en déposant un projet de loi d'initiative parlementaire au Sénat? Quelle serait la meilleure façon de procéder parce que nous allons devoir commencer quelque part?

M. Gibson : Certes, le Sénat pourrait envisager l'idée avec beaucoup de respect et d'élan si les sénateurs souhaitent l'aborder. Je suppose que la direction du Sénat consulterait la direction de la Chambre des communes et les provinces sur l'opportunité de déposer un projet de loi à cet effet. Et l'enjeu pourrait être examiné dans le cadre d'un comité sénatorial qui tiendrait des audiences partout au pays sans mener quelque consultation que ce soit. C'est une idée intéressante, le genre d'idée qui justifie l'existence d'un Sénat.

Le sénateur Watt : Êtes-vous d'avis que l'on devrait engager cette discussion publique plus tôt que trop tard?

M. Gibson : Oui, particulièrement depuis que la question a été soulevée. Le gouvernement estime à raison que puisque la question a été soulevée, elle doit être discutée et l'assemblée populaire est un moyen de le faire.

Le président : Il existe une théorie économique qui s'appelle la « destruction créative », je crois, selon laquelle les choses sont si mal conçues qu'il faut concevoir les correctifs en même temps. Certains journalistes estiment que cette théorie pourrait s'appliquer à la réforme du Sénat. Elle offre un magnifique contraste avec la phrase du serment d'Hippocrate, « ... je m'abstiendrai de tout mal... ». Pourriez-vous donner votre opinion sur cette théorie?

M. McCormick : Si vous n'êtes pas suprêmement prudents avec ce genre de processus, vous ne découvrirez jamais à quel point vous en aviez tellement besoin jusqu'à ce que vous l'ayez réduit en miettes. C'est ce que je décris à mes étudiants comme étant le « syndrome du oups ». Cela prend beaucoup de temps pour bien structurer une institution politique et la rendre fonctionnelle, mais elle est incroyablement facile à détruire. C'est une leçon amusante à donner une fois dans un cours, mais je n'insisterais pas là-dessus.

M. Gibson : Je crois que c'est l'économiste Joseph Schumpeter qui a trouvé l'expression « destruction créative » mais qu'il faisait référence à certaines entreprises; il ne cherchait pas à détruire toute l'économie. Le politicien qui a été le plus grand champion de cette idée est Vladimir Lénine, qui croyait devoir empirer les choses pour inspirer leur révolution, ce qui s'est produit, bien sûr. Je suis d'accord avec M. McCormick : peu importe ce qui arrivera, le Sénat actuel fonctionne bien. Il faut l'améliorer de toutes les façons possibles, mais pas l'empirer.

Le président : Peut-être est-il inapproprié de poser ma question maintenant parce que nous manquons de temps et que notre prochain groupe de témoins attend. Cependant, le comité pourrait vouloir explorer, dans la rédaction de son rapport, la façon dont un système de représentation proportionnelle pourrait fonctionner avec une répartition des sièges au Sénat, peut-être selon les modalités de la motion Murray-Austin.

Croyez-vous qu'il y a place pour un système de scrutin unique et transférable avec le peu de sièges qu'il y aurait dans les diverses provinces, en supposant que la motion Murray-Austin est adoptée et qu'il nous reste les trois territoires qui ont des sièges uniques? Est-ce que cela pourrait fonctionner? Monsieur Gibson, c'est vous qui avez le plus d'expérience en ce domaine et j'apprécierais un bref commentaire.

M. Gibson : Il vous faudrait certainement réduire votre représentation territoriale parce qu'il serait impossible d'obtenir quelque proportionnalité que ce soit avec un siège; il vous faudrait la réduire à au moins deux sièges. L'autre petit problème serait l'Île-du-Prince-Édouard. Si vous aviez des mandats échelonnés, vous pourriez élire deux personnes à chaque mandat. Ce n'est pas fatal pour l'Île-du-Prince-Édouard parce que c'est une société assez homogène. Dans les plus grandes provinces, vous devriez avoir au moins trois personnes par élection, en supposant des mandats échelonnés, ce qui est une bonne idée. Cela serait suffisant pour vous donner un certain degré de proportionnalité. Dans les grandes provinces, il n'y aurait aucun problème.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais une précision sur un commentaire. Monsieur McCormick, vous avez dit que le mandat de huit ans serait considéré comme une prise de pouvoir. Est-ce que vous voulez dire une saisie de pouvoir par l'institution du premier ministre ou par le premier ministre lui-même?

M. McCormick : Le projet de loi S-4 aurait pour effet, si la deuxième étape ne se concrétise jamais, d'accroître les pouvoirs du cabinet du premier ministre. À moins que la deuxième étape se matérialise de façon à limiter le pouvoir de nomination du premier ministre, il y aurait un gain net. D'abord, le premier ministre pourrait nommer plus de sénateurs, ensuite, ses nominations pourraient se faire plus tôt que plus tard.

Le sénateur Tkachuk : Autrement dit, tous les sièges des sénateurs actuels sont protégés.

M. McCormick : Je suis d'accord.

The Chairman : J'apprécie la patience des témoins et de toutes les personnes intéressées. Cette séance a été très utile.

Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à notre prochain témoin, M. Peter Hogg, universitaire en résidence au cabinet Blake, Cassels et Graydon.

Peter Hogg, universitaire en résidence, Blake, Cassels et Graydon (à titre personnel) : Merci beaucoup. J'ai remis au comité un mémoire qui, je crois, a été traduit en français. Tout le monde doit être écrasé sous le poids de mes mémoires. J'ai aussi remis un curriculum vitae au greffier du comité.

Je vais aborder le caractère constitutionnel des deux mesures. Je ne prétends pas être un spécialiste des avantages de la réforme du Sénat, mais j'espère pouvoir apporter ma contribution au débat sur les enjeux constitutionnels.

En ce qui concerne le projet de loi S-4, il me semble qu'en vertu de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, le Parlement a le pouvoir d'adopter des lois concernant le Sénat sauf dans quatre domaines. Vous en avez tous déjà entendu parler, mais permettez-moi de les parcourir rapidement avec vous.

En vertu de l'article 44, les pouvoirs du Sénat ne peuvent être touchés, pas plus que le mode de sélection des sénateurs. Le nombre de sénateurs représentant une province ne peut être touché et les critères relatifs à la durée du mandat des sénateurs non plus.

Puisque le projet de loi S-4 n'apporte aucun changement à l'un de ces quatre domaines, qui nécessitent le recours à la formule d'amendement 7-50, c'est donc en vertu de l'article 44 que des changements dans ce domaine devraient être apportés et, si le projet de loi est adopté, la loi serait valide. Par conséquent, je dis qu'une telle procédure est autorisée en vertu de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Je souligne que l'article 47 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui est la disposition permettant de passer outre aux pouvoirs du Sénat concernant les amendements constitutionnels, ne s'applique pas aux amendements adoptés en vertu de l'article 44. Par conséquent, le Sénat doit approuver le projet de loi S-4 si l'on veut que cette disposition soit intégrée à la loi.

Cela pourrait être une réponse aux préoccupations que j'ai décelées dans les témoignages antérieurs, à savoir que le gouvernement pourrait proposer des mandats trop courts pour les sénateurs. Mais le Sénat a son mot à dire parce qu'il devrait être d'accord sur tout ce qui est proposé à ce sujet.

J'aimerais parler brièvement du Renvoi de la chambre haute, la décision de 1980, que quelqu'un a mentionné lors d'un témoignage antérieur. Les membres du comité se souviendront que la Cour suprême du Canada, dans cet arrêt de 1980, a déclaré que le pouvoir de modification unilatéral que possédait à l'époque le gouvernement fédéral ne s'appliquerait pas aux éléments fondamentaux ou aux caractéristiques essentielles du Sénat. Cette décision a été rendue en 1980, elle a donc été rendue avant l'adoption des nouvelles dispositions de modification de la Loi constitutionnelle de 1982.

Il me semble que la meilleure interprétation que l'on puisse donner de ce qui s'est passé en 1982, c'est que la Loi constitutionnelle de 1982 a passé outre à la décision prise dans le Renvoi de la chambre haute. Autrement dit, les procédures d'amendement de 1982 précisent maintenant de façon explicite quels changements le Parlement du Canada ne peut imposer de façon unilatérale au Sénat; ce sont les quatre domaines que j'ai mentionnés dans l'article 42 tout à l'heure. Mais d'autres aspects du Sénat peuvent être changés en vertu de l'article 44.

J'ai réfléchi à l'argument, que j'ai décelé dans certaines questions des sénateurs lors du témoignage antérieur, que nous devrions peut-être interpréter que l'article 44 ne s'applique pas aux changements fondamentaux ou essentiels. Il est peu probable qu'un tribunal interpréterait l'article 44 de cette façon. Un tribunal dirait plutôt que nous avons établi des dispositions explicites qui sont suffisamment fondamentales ou essentielles pour qu'elles exigent l'utilisation de la formule d'amendement complète, et ce sont les quatre questions soulevées dans l'article 42. Je ne crois pas qu'un tribunal dirait que sont soustraits à l'application de l'article 44, non seulement les quatre domaines décrits à l'article 42, mais tous les changements fondamentaux ou essentiels. Cela serait une façon étrange d'interpréter les dispositions, à mon avis.

Ce que je dis, c'est que depuis 1982, les questions inscrites à l'article 42 sont les caractéristiques fondamentales ou essentielles qui ne peuvent être modifiées de façon unilatérale. Et le mandat des sénateurs n'est pas dans la liste. À mon avis, on pourrait peut-être légiférer à cet égard en vertu de l'article 44. J'en conclus que le Parlement du Canada a effectivement le pouvoir, en vertu de l'article 44, d'établir des limites au mandat des sénateurs.

La motion visant à accroître la représentation de l'Ouest au Sénat est l'une des questions englobées dans l'article 42, qui nécessite l'utilisation de la procédure de modification générale, parce que cela porte sur le nombre de représentants qu'une province a le droit d'avoir au Sénat. C'est là une des choses inscrites à l'article 42, c'est-à-dire qui exige l'utilisation de la formule 7-50.

L'article 42 exige que les changements soient adoptés en recourant à la formule 7-50 stipulée à l'article 38; cependant, la résolution requise, selon l'article 46 de la Loi constitutionnelle, peut être déposée par le Sénat. Par conséquent, la motion est légitime, bien que de façon évidente elle ne donnera pas lieu à un amendement effectif tant qu'elle ne sera pas adoptée par la Chambre des communes et ensuite par sept des assemblées législatives provinciales représentant au moins 50 p. 100 de la population des provinces.

Je suppose qu'une Loi sur le veto régional s'appliquerait aussi à cette résolution si elle devait être déposée à la Chambre des communes par un ministre. Si un ministre devait présenter la résolution à la Chambre des communes, alors il faudrait également se conformer aux stipulations d'une Loi sur le veto régional; on a besoin pour cela de l'Ontario, du Québec, de la Colombie-Britannique, de deux provinces atlantiques ou plus et de deux provinces des Prairies ou plus. Cependant, on peut supposer que si la résolution devait être déposée à la Chambre des communes par un député qui n'est pas ministre, une loi sur le veto régional ne s'appliquerait pas et ce recoupement d'exigences régionales serait évité.

En ce qui concerne la résolution constitutionnelle, j'en conclus que chaque voyage commence par une première étape et qu'il ne fait aucun doute que l'adoption par le Sénat de la motion à l'étude serait une première étape valide pour obtenir l'amendement désiré aux diverses dispositions de la Loi constitutionnelle qui portent sur la représentation.

Monsieur le président, cela conclut ma présentation.

Le sénateur Austin : D'abord, j'aimerais faire un commentaire préliminaire. Le premier ministre, lorsqu'il s'est adressé à nous ici, nous a dit que le projet de loi S-4 était une partie, et seulement une partie, d'un processus de réforme du Sénat qui inclurait un processus électoral quelconque. Il ne l'a pas défini à notre intention. Il a dit que ce processus était à l'étude.

J'aimerais savoir si vous pensez que cela a une incidence sur la méthode de sélection. Vous avez dit clairement que l'article 42 exclurait la création d'un processus électoral sans utiliser la formule 7-50. Vous avez été clair à ce sujet et je ne pense pas que quiconque j'ai entendu jusqu'à maintenant le contesterait. Cependant, le premier ministre ne propose pas de déposer une loi concernant l'élection des sénateurs, au moyen d'un amendement constitutionnel. Ça aussi, il l'a précisé clairement. Il a dit qu'il déposerait une forme quelconque de loi fédérale.

Compte tenu des dispositions de l'alinéa 42(1)h) de la Loi constitutionnelle, je me demande si vous nous prévenez que le premier ministre pourrait faire indirectement ce que l'alinéa 42(1)h) lui interdit ou ne diriez-vous pas simplement que le premier ministre peut consulter de quelque façon que ce soit qui il veut, pour faire ce qu'il veut en ce qui concerne la nomination des sénateurs? Pourriez-vous nous donner votre opinion sur cette dichotomie?

M. Hogg : J'ai lu attentivement le témoignage du premier ministre parce que je m'inquiétais de voir si cette mesure en particulier était simplement un volet essentiel de l'ensemble des mesures qui amèneraient à l'élection des sénateurs, et que cela puisse nous ramener à l'article 42 et ainsi rendre l'initiative inconstitutionnelle.

Le sénateur Austin : J'allais vous amener là avec ma prochaine question.

M. Hogg : Vous pouvez me ramener à l'ordre si je perds le fil de votre question principale.

J'ai accordé une attention toute particulière aux propos du premier ministre lorsqu'il a dit que ce changement en particulier est valable ou non selon son seul bien-fondé. J'ai abordé la question en fonction de ce qui est proposé, c'est- à-dire fixer le mandat à huit ans pour les nominations futures au Sénat, que cela pourrait devenir une étape en vue d'un Sénat élu, mais peut-être pas. C'est une mesure qui tient sur ses deux pieds. Cela dit, le projet de loi S-4 ne fait pas indirectement ce qui ne peut être fait directement. La seule chose qu'il fait lui est permise, c'est-à-dire limiter le mandat des sénateurs.

Le sénateur Austin : La mesure législative suivante, que le premier ministre a promis de présenter cet automne, pourra peut-être faire indirectement ce qu'il ne peut faire directement de façon unilatérale. Nous sommes face à une manœuvre — et je ne dis pas cela d'une manière négative — de réforme du Sénat ou d'un processus qui pourrait nécessairement fonctionner parce que le premier ministre a l'intention d'avoir deux approches — le projet de loi S-4 et un autre mode quelconque de réforme.

Ma question s'adresse à vous non seulement sur la politique mais sur l'aspect constitutionnel. En tant qu'avocat constitutionnel, ne souhaiteriez-vous pas avoir une vue d'ensemble de tout le plan avant de nous conseiller ce que nous devrions faire avec le projet de loi S-4?

M. Hogg : Je ne crois pas devoir adopter cette position. Le gouvernement nous dit que le projet de loi S-4 repose sur son seul bien-fondé. Nous savons d'après les aléas de la politique qu'il peut y avoir ou non une deuxième étape, donc il me semble que la première est valide.

Je suis tout à fait d'accord avec vous que nous allons devoir examiner très attentivement la deuxième étape parce que la question sera de savoir si cela change l'article 24 de la Loi constitutionnelle de 1867, lequel stipule que le gouverneur général doit à l'occasion nommer des personnes qualifiées au Séant. Ce qui veut dire, bien sûr, que le premier ministre conseillera la gouverneure générale.

Le sénateur Austin : Question corollaire, je pensais à votre témoignage et j'imaginais certaines circonstances qui sont propres aux avocats — c'est-à-dire imaginer des permutations et des combinaisons d'hypothèses bizarres seulement pour mettre nos théories à l'épreuve. Je me disais, qu'est-ce qui se produira si nous adoptons le projet de loi S-4 et que le premier ministre Harper nomme des sénateurs, et que tout à coup nous avons une élection et un premier ministre libéral revient au pouvoir? Un de ces sénateurs nommé en vertu du projet de loi S-4 entame alors une procédure en vue de l'adoption d'une déclaration constitutionnelle, affirmant que le projet de loi S-4 est inconstitutionnel, avec l'objectif, bien sûr, de rester en place pendant plus longtemps. Il s'agirait d'une personne de 45 ans qui aurait un mandat jusqu'à l'âge de 75 ans. Il n'est pas inconcevable qu'un tel événement puisse se produire si nous ne savons pas à l'avance si cette loi est constitutionnelle.

M. Hogg : Je crois que cela revient à la même chose qu'on ne nous dit pas — je n'ai aucune connaissance privilégiée et je ne sais que ce que j'ai lu dans le témoignage et dans le document — à savoir que ce n'est ici qu'une étape uniquement pertinente à la transition vers l'élection des sénateurs. Dans la mesure où il s'agit d'une réforme autonome qui peut être défendue sur son seul bien-fondé, je pense que l'hypothèse que vous échafaudez risque peu de tenir.

Le sénateur Angus : Monsieur Hogg, je suis intrigué par votre titre à votre cabinet, universitaire en résidence. Le président et moi sommes des sénateurs à temps partiel en résidence dans nos cabinets d'avocats. J'aimerais savoir si vous traitez en grande partie, ou seulement, de questions constitutionnelles.

M. Hogg : Je traite beaucoup de questions constitutionnelles. Le droit des fiducies est un autre de mes champs de compétence qui constituent ma pratique. Le cabinet me donne également le temps de poursuivre mes écrits. Je suis en train de rédiger une nouvelle édition de mon ouvrage sur le droit constitutionnel, je pratique donc une certaine polyvalence, d'un côté la pratique, d'un côté le travail universitaire.

Le sénateur Angus : Est-ce que vous êtes associé du cabinet?

M. Hogg : Non.

Le sénateur Angus : Je suppose que vous êtes en quelque sorte un conseiller, n'est-ce pas?

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Angus : Ai-je raison de dire que lors de la dernière nomination d'un juge à la Cour suprême, vous avez accepté d'aider le gouvernement dans son processus d'examen?

M. Hogg : Oui. Mes services ont été retenus par le Bureau du commissaire à la magistrature fédérale pour l'aider à préparer le juge en prévision de son audience et ensuite donner des conseils au comité quant aux questions qui étaient appropriées de lui poser. Ce fut une affectation très intéressante.

Le sénateur Angus : Un processus intéressant, qui faisait partie du désir du gouvernement d'être plus transparent et de moderniser certains éléments de notre démocratie. Maintenant, nous débattons de la question, et je suis heureux de savoir que vous êtes d'avis que le projet de loi S-4, à sa face même, relève des pouvoirs législatifs du Parlement.

Est-ce que je vous ai entendu dire que vous n'avez pas donné d'opinion au gouvernement? Êtes-vous totalement indépendant à l'égard de ce projet de loi?

M. Hogg : C'est exact. Le gouvernement ni personne d'autre n'a retenu mes services sur cette question.

Le sénateur Angus : Votre opinion est précieuse pour notre comité.

Y a-t-il d'autres éléments auxquels vous pouvez penser en vue d'une réforme du Sénat, comme ce qui est contenu dans le projet de loi S-4, qui seraient de la compétence du Parlement? Y a-t-il d'autres choses que l'on peut faire sans avoir à adopter tout un processus d'amendement constitutionnel?

M. Hogg : Je n'ai pas réfléchi à cette question. Je peux vous dire, même si ce n'est pas utile, que vous pouvez faire absolument tout avec le Sénat — selon ma théorie de la façon dont l'article 44 recoupe l'article 42 — dans la mesure où il ne s'agit pas de l'une des quatre choses énumérées à l'article 42. Tant que ça ne touche pas les pouvoirs du Sénat, que ça ne touche pas la méthode de sélection des sénateurs, que ça n'affecte pas le nombre des représentants d'une province et que ça n'affecte pas les exigences relatives au mandat des sénateurs, vous pouvez faire n'importe quoi. Quant à savoir ce que pourraient être ces autres choses, je n'en suis pas certain.

Le sénateur Angus : Par exemple, aujourd'hui, les sénateurs sont nommés par décret du gouverneur en conseil sur recommandation du premier ministre et à la seule discrétion de ce dernier, n'est-ce pas?

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Angus : Certains témoins ont dit que l'un des mystères de notre démocratie parlementaire est la façon dont les premiers ministres de l'époque nous ont tous nommés, par exemple. Ils ont dû s'imposer des séances personnelles de remue-méninges, et à leur personnel. Si la présente législature devait décider de créer un bassin de personnes où le premier ministre pourrait choisir et nommer les sénateurs encore à l'aide du gouverneur en conseil, cela serait-il constitutionnel? Est-ce une possibilité?

M. Hogg : Je crois que la réponse est oui. Le précédent auquel je pense, c'est lorsque le premier ministre Mulroney a nommé le sénateur Waters peu de temps après l'Accord du lac Meech. L'Accord du lac Meech prévoyait un certain délai avant qu'il n'entre en vigueur. Bien sûr, il n'est jamais entré en vigueur, et le sénateur Waters a été élu en Alberta.

Si le premier ministre se considère obligé de nommer la personne élue tout en n'étant pas légalement obligé de le faire parce que la Constitution n'a pas été changée ou qu'elle ne limitait pas son pouvoir de discrétion, je ne vois aucun problème constitutionnel à cet égard.

Le sénateur Angus : C'est là où je voulais en venir. Les mots clés dans votre réponse sont « tout en n'étant pas légalement obligé ». En d'autres termes, la Constitution aujourd'hui prévoit la nomination par le gouverneur en conseil sur recommandation du premier ministre, et un nouveau processus permettant de créer une assemblée de personnes qui pourrait être un peu plus responsable, à tout le moins, en apparence, auprès des électeurs, des citoyens du Canada, plus responsable que le processus mystérieux qui règne actuellement, et que cela relèverait de la compétence du Parlement dans la mesure où ce n'est pas obligatoire.

M. Hogg : Je crois avoir dit la même chose au sénateur Austin. Si la loi de la deuxième étape portant sur les élections réduit légalement le pouvoir discrétionnaire du premier ministre en l'obligeant à choisir la personne élue, je pense alors que nous aurions franchi la limite et apporté une modification à l'article 29, et que cette loi serait inconstitutionnelle. Si la loi n'entrave pas le pouvoir discrétionnaire du premier ministre, mais prévoit simplement l'établissement d'un bassin de personnes à partir duquel il peut choisir un sénateur, c'est probablement correct. J'utilise toujours le terme « probablement » parce que...

Le sénateur Angus : Parce qu'il y a un vide législatif.

M. Hogg : Un vide législatif. Je n'ai pas examiné toute la question, mais la loi prévoyant des élections doit découler d'un des pouvoirs du Parlement du Canada. Même si elle n'entrave pas son pouvoir discrétionnaire, ce sera une loi qui exigera l'engagement de fonds, la tenue d'une élection, et cetera. Je suppose que l'on trouvera un pouvoir justifiant cela. Je ne veux pas m'en remettre à l'article 44, mais peut-être qu'on va se retrouver avec la notion de paix, d'ordre et de bon gouvernement. Lorsque le deuxième volet législatif sera déposé, l'autre question à régler sera le pouvoir constitutionnel à cet égard.

Le sénateur Angus : Le premier ministre a expliqué la raison pour laquelle il veut combler les postes au Sénat, il y en a maintenant neuf, 10 ou 11. Il va y en avoir un autre très prochainement. Arrive-t-il un moment où le premier ministre enfreint son obligation constitutionnelle en tant que premier ministre de ne pas combler les postes vacants?

M. Hogg : Il n'existe aucune jurisprudence qui ait imposé aux gouvernements l'obligation, par exemple, de tenir des élections partielles dans un certain délai. Ces élections sont souvent retardées pour des raisons difficiles à comprendre. Les gouvernements retardent souvent les nominations à divers organismes et conseils. Il serait difficile d'établir un genre de délai raisonnable qui pourrait être appliqué légalement. Les tribunaux ne se sont jamais prononcés. Aussi troublant que cela puisse être de voir le nombre de vos confrères et consœurs diminuer, il n'existe probablement aucun recours juridique à cet égard.

Le sénateur Angus : Lorsque les premiers ministres sont assermentés, l'une des choses qu'ils font, c'est de s'engager à respecter fidèlement la Constitution du Canada. La Constitution prévoit qu'il doit y avoir un Sénat composé d'un certain nombre de sénateurs. Lorsque le nombre descend à 90 ou 85, il me semble qu'on peut dire que le premier ministre à l'obligation constitutionnelle de pourvoir ces postes vacants.

Le sénateur Tkachuk : Je suis certain que beaucoup de conservateurs invoqueront cet argument.

M. Hogg : Je crois que l'on peut apporter cet argument, mais je ne pense pas qu'il repose sur une base juridique bien solide. Un tribunal serait très réfractaire à l'idée d'élaborer des lignes directrices concernant les nominations à des postes de hauts fonctionnaires, qui sont en grande partie des questions de politique pour le gouvernement. Je pense qu'un tribunal ne se mêlerait pas de cela, même si je comprends totalement ce que vous dites, sénateur.

Le sénateur Angus : L'idée est là.

Le président : Avant de céder la parole au sénateur Watt, suivi du sénateur Murray, j'aimerais poser une question supplémentaire dans le même ordre d'idées que le sénateur Angus. Ma question porte sur l'article 24 de la Loi constitutionnelle, que vous avez cité il y a quelques instants. Cet article permet au gouverneur général de nommer les sénateurs.

D'après ce que je sais, la prérogative du premier ministre dans ce domaine repose sur un décret de 1935 qui énumérait les privilèges du premier ministre de nommer les ministres, les sous-ministres, les juges en chef et ainsi de suite, y compris les sénateurs. Il y a aussi un décret de 1896 qui, apparemment, porte sur la même chose, mais je ne suis pas arrivé à le trouver. Le décret de 1935, signé au nom du gouverneur général en conseil, semble toujours applicable aujourd'hui et constitue le fondement de la prérogative du premier ministre.

L'article 24 permet-il de changer l'entité? Je pense que le gouverneur général serait une possibilité évidente, mais y a- t-il moins que cela, et autre chose que la prérogative du premier ministre, que l'on pourrait accorder à une entité? Il pourrait y avoir une commission des nominations ou quelqu'un qui prendrait des conseils dans le cadre d'un processus permissif mené par les provinces ou par une entité du Parlement, par exemple.

M. Hogg : Sénateur, cette idée constituerait une modification de l'article 24. Je dis cela parce qu'il y a beaucoup de références, comme vous le savez, au gouverneur général dans la Loi constitutionnelle de 1867 et de 1982.

Ces références sont là à cause de conventions de gouvernement responsable, et l'une des conventions d'un gouvernement responsable, même sans le décret auquel vous avez fait référence, serait la fonction du premier ministre de prodiguer des conseils au gouverneur général, parce que l'on ne donnerait pas la permission à la gouverneure générale de prendre des décisions par elle-même. Elle ne peut agir que sur recommandation du premier ministre selon nos notions de gouvernement responsable.

Si nous devions changer la façon dont les conseils sont conçus et donnés à la gouverneure générale, cela constituerait une modification à l'article 24. L'article 24 précise les règles d'un gouvernement responsable qui font de l'article 24 une disposition démocratique acceptable, et ne confèrent pas seulement une capacité autocratique ou monarchique de choisir les membres de la chambre haute.

Le président : Si un premier ministre tentait de déléguer ce pouvoir de la façon dont je l'ai décrit, croyez-vous que cela serait perçu, en ce qui concerne les conventions que vous avez décrites, comme impliquant une modification à l'article 24?

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Watt : Comme vous le savez probablement, je suis du Nord. Je vais essayer de condenser mes préoccupations. Les habitants du Nord ont toujours beaucoup de difficulté à exprimer leur opinion et à se faire entendre dans le reste du Canada, surtout en ce qui concerne les changements climatiques dans l'Arctique, où nous sommes témoins de choses qui ne se sont jamais produites auparavant. C'est pourquoi je cherche des moyens pour que nous puissions augmenter notre représentation à la Chambre des communes. Je crois qu'il faut réformer non seulement le Sénat, mais la Chambre des communes également. Actuellement, nous ne traitons que de la réforme du Sénat, et je vais essayer de me limiter à cela. Je comprends les quatre éléments que vous avez mentionnés concernant la formule d'amendement. L'article 44 a la priorité et ne touche pas les articles 41, 42 et 43, comme vous l'avez décrit.

M. Hogg : C'est exact.

Le sénateur Watt : Dans ce cas, et si le projet de loi S-4 était jugé constitutionnel, le premier ministre pourrait quand même faire d'autres nominations si nécessaire, si une région ou un groupe de personnes ayant des intérêts communs pouvait être pris en compte et si le premier ministre jugeait nécessaire d'accroître le nombre de sièges au Sénat. Selon un nouveau processus, serait-il possible pour le premier ministre de nommer des Inuits, par exemple, des quatre régions du Nord en considérant que leurs sièges sont garantis.

Je suis sénateur et je représente les peuples du Nord. Rien ne me garantit qu'au moment venu, je serai remplacé par une personne autochtone ayant les mêmes connaissances. Au lieu de cela, je pourrais être remplacé par une personne de culture différente. Pourriez-vous éclairer ma lanterne à ce sujet? Quoi faire en pareil cas? Cela fait 23 ans que je me bats contre des projets de loi et des lois existantes qui, parfois, ont eu des répercussions économiques, sociales et culturelles négatives sur les habitants du Nord. Au lieu de nous faire progresser, ces propos nous font régresser. Cette situation doit cesser. Je tente de trouver une solution à ce problème, ce n'est pas bon pour le pays ni pour les habitants du Nord.

M. Hogg : Sénateur Watt, si je ne réponds pas à votre question, reprenez-moi et clarifiez ce que j'aurai manqué.

Le premier ministre est lié à un nombre de sénateurs pour chaque région, nombre qui est établi par la loi et que le premier ministre ne peut pas changer. En outre, un premier ministre ne peut faire adopter une loi qui entraverait le pouvoir existant à l'article 29, en vue de nommer des sénateurs. Cela laisse au premier ministre le pouvoir discrétionnaire de choisir quelqu'un lorsqu'un poste devient vacant. Je ne vois pas pourquoi le premier ministre ne pourrait pas adopter une politique non exécutoire précisant que des personnes autochtones provenant des régions du pays où il y a une forte représentation de peuples autochtones pourraient être nommées au Sénat en nombre suffisant.

Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas y avoir une sorte d'entente informelle, faute d'une obligation juridique. Néanmoins, une entente informelle de ce genre pourrait bien fonctionner.

Le sénateur Watt : Deux autres questions m'inquiètent également. Les gens qui vivent sur la côte vivent de la pêche qu'ils pratiquent au large des côtes. J'ai fait partie de cette communauté pendant plusieurs années et j'ai été témoin de la tendance du gouvernement à prendre des décisions sans consulter ceux qui ont besoin de l'économie de la région pour survivre ou pour espérer vivre mieux.

J'imagine que la question de la représentation s'appliquerait également aux gens qui vivent sur la côte parce qu'ils sont sous-représentés. Le terme « région » est désuet. Je crois qu'il ne faut pas oublier nos racines et ce qui fait que notre pays réussit à survivre. Si nous oublions notre passé, nous n'allons pas orienter notre pays dans la bonne direction. Certes, nos politiques ne connaîtront jamais leur origine.

Les gens qui vivent au Québec ont tendance à vouloir faire les choses à leur façon. Par exemple, ils ont adopté une loi sur la langue pour protéger la langue française. Beaucoup de personnes qui vivent à l'extérieur du Québec ont aussi besoin de protection. Elles ont besoin de services dans leurs collectivités, services qui, selon la loi et la façon dont je comprends les choses, sont censés leur être offerts. Cependant, nous avons appris avec le temps que ces gens-là ne reçoivent pas le genre de services auxquels ils s'attendaient au départ.

Le sénateur Murray : Professeur Hogg, vous avez été extrêmement généreux et utile pour les comités parlementaires dans le passé ainsi que pour les gouvernements, les fonctionnaires et les ministres. Nous vous remercions d'être là pour discuter de cette question aujourd'hui.

M. Hogg : Merci.

Le sénateur Murray : J'aimerais vous poser quelques questions rapides. D'abord, êtes-vous d'accord avec les témoins que nous avons entendus antérieurement qu'il faudra l'unanimité pour abolir le Sénat?

M. Hogg : C'est une question à laquelle je n'ai pas réfléchi.

Le sénateur Murray : Nous attendrons.

M. Hogg : Est-ce que je peux la laisser mijoter quelques minutes? D'abord, je dirais que cette question ne fait pas partie de l'article 41, qui porte sur l'obligation d'unanimité. Les seuls renvois au Sénat sont prévus à l'article 42, c'est-à- dire la formule d'amendement 7-50 qui est obligatoire. Il est vrai que l'article 42 ne prévoit pas l'abolition du Sénat.

Permettez-moi de vous donner une réponse provisoire, en tenant compte du fait que je n'y ai pas réfléchi profondément. La position par défaut, si vous voulez, c'est la formule 7-50. Cette formule est renforcée par les renvois au Sénat prévus à l'article 42 qui, bien sûr, fait référence à la formule 7-50.

J'aurais tendance à croire que l'on devrait restreindre l'unanimité aux cinq questions énumérées à l'article 41. Si tel était le cas, alors le Sénat pourrait être aboli en vertu de la formule 7-50. J'aimerais repenser à cette réponse, surtout si vous avez une opinion différente, sénateur Murray; je me demande si j'avais raison.

Le sénateur Murray : À propos d'une autre question, professeur Hogg, lorsque vous parliez du processus prévu dans la formule 7-50 concernant le Sénat, la Chambre des communes et les sept provinces, je veux simplement confirmer qu'il n'y a pas d'ordonnance préétablie précisant que cela doit être fait. Nous pensons être sur le point d'adopter une proposition d'amendement constitutionnel qui sera soumise aux provinces, et on pense que le gouvernement fédéral pourra vouloir faire son nid en fonction du niveau de consensus qu'il aura dégagé entre les provinces avant de décider quoi faire.

M. Hogg : Je suis certain que cela est correct.

Le sénateur Murray : Vous avez dit qu'il est probablement correct que les rédacteurs du gouvernement fédéral puissent rédiger une loi valide prévoyant la tenue d'élections au Sénat. Que pensez-vous des lois provinciales qui visent cet objectif? Le sénateur Waters a été nommé après une élection tenue en Alberta en vertu d'une loi provinciale et l'Alberta est fortement d'avis, comme l'a répété hier son ministre, que des élections consultatives sénatoriales doivent être tenues province par province et non selon un processus national, ce qui est, à mon avis, l'orientation qu'a prise M. Harper.

Même s'ils décidaient d'opter pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement, les rédacteurs fédéraux pourraient probablement rédiger une loi valide. En vertu de quel pouvoir les provinces pourraient-elles adopter une loi prévoyant une élection consultative?

M. Hogg : C'est là une question assez difficile. À première vue, il semble que ce soit une loi concernant une institution fédérale sur laquelle ils n'ont aucun pouvoir.

Là encore, c'est une autre question à laquelle je n'ai pas beaucoup réfléchi. Les provinces peuvent prévoir des référendums et des mesures de consultation populaire. Une province pourrait concevoir quelque chose qui ressemblerait à une consultation, mais qui ne serait pas exécutoire pour personne, même s'il en ressort quelqu'un qui, espèrent-ils, sera nommé au Sénat.

Je n'ai pas de réponse à la question. Je crois qu'il faudrait examiner la constitutionnalité des lois provinciales prévoyant une élection au Sénat. Ce n'est pas évident pour moi.

Le sénateur Murray : Est-ce que vous avez examiné la loi de l'Alberta?

M. Hogg : Non, je n'en ai pas pris connaissance.

Le sénateur Murray : Ça vaut la peine de le faire.

Je ne serai pas ici demain pour poser ma question à votre ami, le professeur Monahan, au sujet de la déclaration qu'il a faite dans son ouvrage intitulé Constitutional Law, au sujet de l'article 44. Il dit que l'article 44 visait à remplacer le paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il dit également que le paragraphe 91(1) a été interprété de façon extrêmement restrictive par la Cour suprême du Canada dans le renvoi du Sénat. Il poursuit en disant que les rédacteurs des nouveaux pouvoirs fédéraux de modification tentaient de codifier l'analyse de la Cour suprême dans le renvoi du Sénat.

Êtes-vous d'accord à ce sujet?

M. Hogg : Oui, même si je n'avais pas réalisé que cela se trouvait dans son ouvrage.

Le sénateur Murray : Les rédacteurs ne pourraient codifier ce que la Cour a déclaré en 1980 au sujet du mandat parce que, comme vous le précisez dans votre mémoire, elle a dit que cela dépendait. La Cour a dit à un moment donné que la réduction du mandat pourrait entraver le fonctionnement du Sénat et l'empêcher de faire ce que sir John A. Macdonald décrivait comme une deuxième chambre d'examen objectif sur les lois. Pour répondre à la question, nous devons savoir quel changement de mandat est proposé.

Si le professeur Monahan a raison, alors la question dans un renvoi, il me semble, serait de savoir si un changement de mandat valide jusqu'à l'âge de 75 ans à un mandat fixe de huit ans est simplement un changement administratif, comme l'a précisé la Cour suprême au sujet du paragraphe 91(1), ou s'il s'agirait d'un changement plus fondamental.

M. Hogg : Ce que j'ai tenté de dire dans mon témoignage, et c'est également dans mon mémoire, c'est qu'il est difficile d'imaginer la Cour suprême dire que les pouvoirs conférés par l'article 44 d'établir des lois concernant le Sénat sont assujettis non seulement aux quatre choses explicitement soustraites de l'article 42, mais également aux questions que l'on a décrites comme « questions fondamentales » dans le renvoi du Sénat. Il me semble plus plausible, à tout le moins — et je ne dis pas que cela est obligatoire — d'adopter l'opinion de M. Monahan, à savoir que ce que l'on a décidé de faire, c'est de prendre le langage plutôt vague de la Cour suprême et de cristalliser ces questions qui ne peuvent être en réalité décidées de façon unilatérale. On a mis les quatre éléments dans l'article 42. Le corollaire, c'est que tout a été laissé dans l'article 44.

Vous avez tout à fait raison, les rédacteurs n'ont pas suivi les suggestions qu'a faites la Cour suprême au sujet de la limite des mandats des sénateurs, parce que, d'après l'argument que j'apporte, on s'attendrait à les voir dans l'article 42 également, mais ils n'y sont pas.

Je crois qu'il faut en faire une meilleure lecture, et je ne dis pas cela par loyauté pour M. Monahan...

Le sénateur Murray : Il va venir soutenir, comme vous le faites, que c'est dans l'article 44.

M. Hogg : Oui. Je crois qu'il a raison et que cette façon de s'exprimer est exacte.

Le sénateur Murray : Je n'aurai pas la chance de le confronter sur sa déclaration antérieure, et je le regrette.

M. Hogg : Je vais lui transmettre votre désir de le faire.

Le sénateur Murray : J'aimerais vous poser une question au sujet de la Cour suprême. Rappelez-vous en 1960 lorsque le gouvernement Diefenbaker s'est adressé à Westminster pour fixer à 75 ans l'âge de la retraite des juges des cours supérieure, de district et de comté. M. Diefenbaker a obtenu le consentement unanime des provinces avant d'aller de l'avant; c'était avant 1982.

Je crois que c'est en 1927 que l'âge de la retraite des juges de la Cour suprême a été établi à 75 ans. Cela a été fait par le Parlement, je suppose, dans une modification à la Loi sur la Cour suprême. Avez-vous songé à ce que le Parlement pourrait faire concernant le mandat des membres de la Cour suprême du Canada actuellement? Serait-il légal d'établir un mandat fixe de huit ou 10 ans ou de ramener l'âge de la retraite à 65 ans?

M. Hogg : La Constitution n'est pas très claire au sujet de la Cour suprême du Canada. L'article 41 fait référence à sa composition.

Cependant, la Cour suprême du Canada ne figure nulle part dans la Constitution du Canada. Il s'agit simplement, comme vous l'avez dit, d'une Loi sur la Cour suprême adoptée en vertu de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui permet au Parlement d'établir la « constitution, le maintien et l'organisation d'une Cour générale d'appel pour le Canada ».

Si vous prenez le seul article 101, vous conclurez probablement que tout comme le Parlement pourrait établir l'âge de la retraite des juges de la Cour suprême, il pourrait aussi limiter le mandat des juges de la Cour suprême du Canada.

À mon avis, c'est la conclusion que l'on pourrait tirer si l'on regarde seulement l'article 101. Comme vous le savez, la Cour suprême a élaboré certains principes non écrits de droit constitutionnel. Certains d'entre nous n'aiment pas les principes non écrits de droit constitutionnel, mais les juges les aiment beaucoup. L'un de ces principes est l'indépendance du système judiciaire.

Je crois que nombre des arguments au sujet de l'indépendance du système judiciaire sont tout à fait capricieux, mais la Cour n'est pas toujours d'accord avec moi. Certains pourraient prétendre que limiter le mandat des juges de la Cour suprême pourrait entraver leur indépendance puisqu'ils devraient penser à leur avenir tout en rendant leurs décisions. À mon avis, cela n'aurait aucune incidence sur leur jugement, mais certains prétendraient que cela pourrait nuire à l'indépendance du système judiciaire et entraver le principe qui sous-tend cette indépendance.

Le sénateur Murray : Le même argument pourrait être invoqué pour les sénateurs.

M. Hogg : C'est exact. Il me semble, cependant, que le Sénat est un organe indépendant mais pas au même titre qu'un juge est censé l'être. Les sénateurs ont des affiliations politiques; il n'y a rien de mal à ce qu'un sénateur vote pour le parti auquel il est affilié. Je ne crois pas que l'argument d'indépendance concernant les juges soit très solide, mais à mon avis, il ne l'est pas plus en ce qui concerne le Sénat.

Le président : Il ne serait pas difficile de trouver des mandats renouvelables pour les juges dans les dispositions non écrites que la Cour aura mises de l'avant concernant son indépendance.

M. Hogg : Les dispositions sur le renouvellement des mandats deviennent difficiles parce qu'elles reposent sur la discrétion du gouvernement qui doit décider ou non de renouveler la nomination d'un juge. Et même là, il est probablement fantaisiste d'imaginer que les juges changeraient vraiment leurs décisions pour améliorer leurs chances d'être nommés à nouveau. Cependant, une nomination renouvelable serait un critère plus sévère d'indépendance qu'une simple limite du mandat.

Le président : D'après ce que je comprends de vos commentaires antérieurs, vous êtes d'avis que le gouvernement ne pourrait prendre le projet de loi S-4 comme une initiative établie en vertu de l'article 42 pour contourner le veto du Sénat. Autrement dit, en tant que changement apporté à l'article 44 — c'est-à-dire administratif, si l'on veut utiliser la terminologie du renvoi à la Cour suprême, qui à mon avis est maintenant dépassée — en vertu de l'article 44, il ne fait aucun doute que le pouvoir du Sénat est tel qu'il est en comparaison avec toutes les autres lois. Il est restreint aux questions énoncées à l'article 42. Est-ce que le gouvernement peut spéculer, c'est-à-dire présumer que le Sénat ne l'adoptera pas et s'adresser ensuite aux provinces pour mettre la modification en place? Je pense que vous avez dit que cela ne pourrait être fait.

M. Hogg : Est-ce que vous me demandez si une loi que j'estime être valide en vertu de l'article 44 pourrait être adoptée en vertu d'un pouvoir de modification plus élevé, prévu à l'article 44?

Le président : Vous me devancez. J'allais en venir à l'abolition ultimement, et je voudrais savoir quelles dispositions sont prépondérantes, l'article 44 ou les articles 42 et 38 réunis, si on veut abolir le Sénat? Je crois qu'on dit moins que si on oublie le terme « administratif », l'abolition du Sénat est un changement qui peut être incorporé à l'article 44.

Vous interprétez la Constitution en assumant que la règle de 7-50 couvre précisément les choses énoncées à l'article 42 et seulement ces choses-là. Par conséquent, pour les autres, il faut s'en remettre à l'article 44. J'allais en venir là, mais avant de le faire, est-ce que le gouvernement peut « magasiner » cette initiative — soit considérer le projet de loi S-4 comme faisant partie soit de l'article 44, soit de l'article 42? A-t-il ce choix?

M. Hogg : De toute évidence, c'est là un point de vue respectable, tel que l'a exprimé le sénateur Murray, c'est-à-dire que l'on peut invoquer l'article 42 de toute façon parce qu'il s'agit d'un changement fondamental en ce qui concerne le renvoi du Sénat. Je ne suis pas d'accord; mais si l'on adoptait cette opinion, il faudrait probablement s'en remettre aux procédures de la formule 7-50 parce que l'on serait en dehors de la portée de l'article 44.

Si vous convenez avec moi que cela tombe sous la compétence de l'article 44, je n'ai aucun problème à soumettre cela aux provinces. Cela serait inutile, selon ma théorie, parce qu'elles n'auraient pas besoin d'être d'accord. Cependant, je ne crois pas que l'on pourrait empêcher le gouvernement de le faire s'il le voulait. Je ne le crois pas.

Le président : Il aurait pu simplement soumettre le projet de loi S-4 aux provinces et ne pas se préoccuper de tenter de le présenter en vertu de l'article 44, s'il l'avait voulu. Est-ce exact? Je veux simplement m'assurer de vous comprendre.

M. Hogg : Je ne suis pas certain de vous comprendre. Si vous dites que le gouvernement du Canada aurait pu d'abord consulter les provinces au sujet du projet de loi S-4 avant qu'il ne soit présenté au Sénat, je ne vois pas pourquoi il n'aurait pas pu le faire.

The Chairman : Si le gouvernement avait procédé ainsi et déposé le projet de loi à la Chambre — parce qu'il aurait consulté les provinces et respecté le critère du projet de loi C-110 — qu'il l'avait adopté à la Chambre et renvoyé au Sénat, le Sénat n'aurait eu qu'un veto suspensif de six mois, en supposant que les provinces aient donné les approbations nécessaires.

M. Hogg : Cela dépend de la description exacte de l'amendement. Si la description juridique exacte est, comme je l'ai dit, que c'est une question qui relève de l'article 44, alors le veto suspensif du Sénat ne s'applique pas et le Sénat devrait être partie...

Le président : Je crois que c'est ce que vous avez dit au début, si je vous ai bien compris.

La question suivante est celle-ci : si cela fait partie d'un ensemble plus large qui nécessite effectivement l'article 42, alors est-ce que ce serait la procédure à adopter?

M. Hogg : Oui. C'est l'opinion que j'ai tenté de préciser tout à l'heure avec le sénateur Austin. S'il s'agissait simplement d'un élément essentiel d'un ensemble plus vaste qui était une question relevant de l'article 42, alors cela exclurait le recours à l'article 44.

Tout ce que je peux dire, c'est que j'ai examiné attentivement le témoignage du premier ministre et le préambule du projet de loi. Bien que le préambule ne soit pas extrêmement éclairant, il n'implique certainement pas que cela fait partie simplement d'un ensemble plus large et, bien sûr, le premier ministre a dit clairement que c'était une réforme qui reposait sur son seul bien-fondé.

J'ai basé mon témoignage sur cette hypothèse. Cependant, je reconnais que si c'était simplement partie d'un ensemble unique qui était une question relevant de l'article 42, alors, on ne pourrait procéder à la réforme en vertu de l'article 44.

Le sénateur Fraser : N'étant ni avocate ni ancienne ministre constitutionnelle ni spécialiste de ces questions, j'ai été fascinée par la discussion qu'a provoquée la question du sénateur Angus quant à savoir s'il y a obligation constitutionnelle de combler les sièges vacants au Sénat.

Je suis allée consulter la Loi constitutionnelle de 1867, qui stipule ceci à l'article 32 :

Le gouverneur général pourvoit aux sièges devenus vacants au Sénat pour cause de démission ou de décès ou pour toute autre cause par nomination de personnes compétentes et remplissant les conditions requises.

Cela ne voudrait-il pas dire, sous réserve des délais normaux auxquels nous sommes tous habitués en ce qui concerne le pourvoi d'un certain pourcentage de sièges, qu'à un moment donné, ces sièges doivent être pourvus et qu'on ne peut pas laisser les sièges vacants s'accumuler?

M. Hogg : C'est un commentaire assez juste. On dit « pourvoit » aux sièges devenus vacants. Le problème auquel on n'est jamais arrivé est qu'on n'a jamais eu, à ce que je sache, de gouvernement qui ait dit qu'il n'allait pas pourvoir les postes devenus vacants.

Le sénateur Fraser : Nous en avons un maintenant.

M. Hogg : Pour revenir à la réponse que j'ai donnée au sénateur Angus, je pense qu'une cour serait très hésitante à stipuler quelque délai que ce soit pour ce genre de nomination parce que nous savons que les nominations sont souvent retardées pour diverses raisons politiques. Les tribunaux hésiteraient à émettre une injonction à un gouvernement pour le forcer à effectuer des nominations.

Je suppose que si le gouvernement du jour faisait une déclaration absolument non équivoque, à savoir qu'il n'allait pas pourvoir les postes vacants, peut-être serait-ce là une question qui pourrait être soumise à un tribunal. Cela équivaudrait à changer la Constitution.

Le sénateur Fraser : Je me demandais en particulier ce qui se produirait si, par exemple, en raison des postes devenus vacants normalement, une province se retrouvait sans sénateurs. À ce moment-là, on enfreindrait la Constitution, n'est-ce pas?

M. Hogg : C'est exact. Là encore, il me semble que si une province se retrouvait sans sénateurs et que cela était simplement le résultat de délais relativement normaux pour effectuer les nominations, je ne crois pas qu'il y aurait quelque remède que ce soit. Si, par contre, le gouvernement de l'époque disait : « Nous en avons marre des sénateurs de l'Île-du-Prince-Édouard, nous n'allons donc plus faire de nominations », cela pourrait équivaloir à enfreindre l'article 32.

Vous avez tout à fait raison de dire que je n'ai pas été suffisamment clair et que j'ai été trop catégorique dans ma réponse aux questions du sénateur Angus. Il se pourrait qu'en situation extrême, on soumette la question au tribunal lorsque le gouvernement a établi clairement qu'il n'allait tout simplement pas faire de nominations.

Le sénateur Fraser : Même si un tribunal n'agit pas, cela laisserait quand même sous-entendre qu'il y a obligation.

M. Hogg : Il y a certainement obligation morale et politique.

Le sénateur Austin : Je vais revenir, tel que promis, sur la question soulevée par le sénateur Fraser, le sénateur Angus et le sénateur Murray, parce que c'est déterminant pour notre examen du projet de loi S-4.

J'ai bien aimé votre expression « en des cas extrêmes ». J'aimerais examiner avec vous les situations où vous estimez que la loi permet au tribunal de faire des choses dans des cas extrêmes. C'est sans doute en référence à une loi sur les conventions constitutionnelles, parce qu'il n'y a pas de loi écrite qui dit « en des cas extrêmes, telle ou telle chose doit se faire ».

Vous avez reconnu, je crois, qu'il y a le droit conventionnel et le droit constitutionnel, mais la question est de savoir où et quand ces deux types de droit s'appliquent. Est-ce que je peux vous amener jusque-là?

M. Hogg : Dans ma réponse au sénateur Fraser, je ne pensais pas particulièrement aux conventions. Je me concentrais vraiment sur le terme « pourvoit » à l'article 32 et j'ai établi une distinction entre les délais politiques normaux, auxquels nous sommes habitués de la part des gouvernements de toutes allégeances, et les cas où je dis qu'un tribunal serait peu susceptible d'intervenir, et un cas clair de gouvernement qui annoncerait qu'il ne fera plus de nominations. Je dis alors que l'on pourrait soutenir que le terme « pourvoit » utilisé à l'article 32 n'a pas été respecté. Je ne m'en remets pas à une convention lorsque je dis que c'est un cas tellement extrême qu'il pourrait enfreindre l'article 32.

Le sénateur Austin : Permettez-moi de vous interroger sur l'indépendance judiciaire à laquelle le sénateur Murray a fait référence. La Loi sur la Cour suprême du Canada est une loi du Parlement fédéral. Le Parlement peut abroger cette loi et abolir la Cour suprême du Canada. À votre avis, y a-t-il des limites constitutionnelles qui pourraient empêcher d'abolir la Cour suprême du Canada? Autrement dit, votre strict énoncé permet au Parlement d'effectuer un changement essentiel à la façon dont notre Constitution fonctionne depuis 1874, je crois.

M. Hogg : Pour vous donner une réponse semblable à celle que j'ai fournie au sénateur Murray, bien sûr, nous n'avions pas de Cour suprême du Canada en 1867 lorsque le pays a pris forme. Je pense que la Loi sur la Cour suprême a été adoptée en 1875, de sorte que pendant cette période, le Canada n'avait pas de Cour suprême. Théoriquement, si l'on agit en vertu de l'article 101, nous pourrions revenir aux premières années de la Confédération et cesser d'avoir une Cour suprême.

Cela pose deux problèmes. Premièrement, il est fait mention de la Cour suprême du Canada à l'article 41, et c'est une mention qui est un peu obscure. Bien sûr, l'article 41 est la disposition sur l'unanimité, et il mentionne la composition de la Cour suprême du Canada, indiquant que même si la Cour suprême est un organisme purement réglementaire, elle est relativement protégée par la Constitution. Ce que je dis, c'est qu'il n'est pas très facile de comprendre cette référence, mais elle est là et je pense que cela serait un problème.

Un deuxième problème pourrait être cette règle non écrite de l'indépendance du système judiciaire qu'affectionne particulièrement la Cour suprême du Canada. Elle l'utilise pour protéger les salaires et les à-côtés des juges, malheureusement. Je pense qu'abolir la Cour suprême du Canada susciterait certainement des arguments au sujet de l'indépendance du système judiciaire.

Le sénateur Austin : Diriez-vous que la règle non écrite est une convention de notre Constitution?

M. Hogg : Ça va au-delà. On a utilisé la règle non écrite pour abroger des lois, mais je ne pense pas qu'une convention n'ait jamais été utilisée pour ce faire. Plutôt, la convention changera la façon dont une loi est appliquée. On a donné à ce principe non écrit, qui a été inventé par les tribunaux, un statut plus élevé qu'une convention.

Le sénateur Austin : J'aimerais bien vous faire décrire le tout étape par étape, mais notre temps aujourd'hui est limité.

À plusieurs reprises dans les causes de droit constitutionnel au Canada, nous avons été en mesure de constater l'imposition de la doctrine de l'arbre de Lord Sankey dans une cause du Conseil privé, dont j'ai maintenant oublié le nom.

M. Hogg : L'affaire Edwards.

Le sénateur Austin : La Cour suprême du Canada a appliqué la doctrine de l'arbre à bien des causes. Nous avons entendu le témoignage du juge Willard Estey lorsque nous examinions le projet de loi concernant les Nisga'a et il nous a décrit la doctrine. M. Gibson a soutenu que la doctrine de l'arbre s'appliquerait à l'interprétation du caractère essentiel du Sénat et que la Cour examinerait l'article 44 et dirait quand même qu'il y a ici une énumération. Vous avez dit qu'il y avait un corollaire voulant que l'article 44 serait inclusif, mais un corollaire équivalent affirme que cela n'est qu'un exemple et que l'on ne soutient pas qu'il faut changer le caractère essentiel du Sénat par voie unilatérale — et par là j'entends le seul Parlement. La Cour a été claire en 1980 et a dit que les provinces avaient un rôle à jouer. Vous dites que les provinces ont abandonné ce rôle lorsqu'elles ont accepté l'article 44.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Austin : Acceptez-vous qu'il y a une autre interprétation de la Constitution avec laquelle vous n'êtes pas d'accord?

M. Hogg : Oui, je l'accepte. Je ne crois pas que mon opinion soit péremptoire même si je pense que c'est la meilleure interprétation. Je suis d'accord avec Patrick Monahan à ce sujet.

Non, certains soutiennent que des éléments résiduels de l'ancien renvoi du Sénat continuent de s'accrocher aux dispositions actuelles. Je ne rejette pas cet argument. Je dis simplement qu'à mon avis, il est peu probable qu'il soit accepté par un tribunal.

Le président : Une fois de plus, nous avons assisté à une présentation et à un échange de vues remarquables. Merci, monsieur Hogg, de votre temps et d'avoir répondu à nos questions.

La séance est levée.


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