Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 17 - Témoignages du 7 février 2007
OTTAWA, le mercredi 7 février 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 15 afin de faire une étude sur l'avenir des programmes d'alphabétisation, la consolidation du financement de ces programmes par le gouvernement fédéral et le rôle des organisations vouées à l'alphabétisation dans la promotion de l'instruction et de l'acquisition de compétences professionnelles.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue à la première réunion du comité au sujet de l'alphabétisation. Aujourd'hui, nous entendrons des représentants du gouvernement fédéral et du groupe national d'alphabétisation.
[Traduction]
J'ai modifié l'ordre de comparution des témoins pour que nous puissions d'abord entendre les représentants de deux organismes nationaux d'alphabétisation qui sont parmi nous aujourd'hui. Cela suscitera peut-être des questions que vous pourrez ensuite poser aux fonctionnaires qui seront ici à 17 heures.
Malheureusement, les représentants de Frontier College ont dû se décommander. Je connais très bien cette organisation depuis l'époque où j'étais maire de Toronto. Son président, M. John O'Leary, devait comparaître, mais comme il n'a pas pu, il nous a fait parvenir un mémoire, que les sénateurs devraient avoir devant eux. M. O'Leary appuie le plan d'action pancanadien pour l'alphabétisation, un document publié en octobre 2005, que les sénateurs devraient également avoir entre les mains.
L'objectif de ces deux, ou peut-être même trois séances est d'examiner l'avenir des programmes d'alphabétisation au Canada, la consolidation du financement fédéral — qui est devenue une préoccupation l'automne dernier — et le rôle des organisations vouées à l'alphabétisation dans la promotion de l'instruction et de l'acquisition de compétences professionnelles. D'abord, nous entendrons le témoignage de Mme Priscillia George (Ningwakwe), de la National Indigenous Literacy Association, ou NILA, qui a été fondée en février 2002. Il s'agit d'un organisme canadien à but non lucratif qui fournit des services adaptés à la culture autochtone et comble les lacunes en matière d'alphabétisation chez les membres des Premières nations. Il est le seul à s'occuper de ce besoin particulier, ce qui en fait un leader dans le domaine.
Nous allons ensuite entendre Mme Gay Hamilton, de la Laubach Literacy of Canada. Cette organisation fait partie d'un mouvement international lancé par un pionnier en matière d'alphabétisation, M. Frank C. Laubach. Américain vivant aux Philippines, M. Laubach a développé une méthode pour enseigner aux adultes à lire et à écrire dans leur langue. Depuis les années 1930, la méthode de lecture Laubach s'appuie sur le slogan « each one, teach one », car ce type d'alphabétisation est direct et personnalisé. Cette organisation créée en 1981 au Canada, à Lunenburg County, en Nouvelle-Écosse, a son bureau national à Ottawa. Elle est aussi propriétaire de la librairie des nouveaux lecteurs de Saint John, au Nouveau-Brunswick.
Madame George, veuillez commencer, je vous prie.
Priscillia George (Ningwakwe), porte-parole nationale, National Indigenous Literacy Association : Je pense être la seule Ojibwa dans la pièce, aussi vais-je vous expliquer comment prononcer mon nom; cela ressemble à « jingle bells » et signifie « femme arc-en-ciel ».
Honorables sénateurs, merci de mener cette étude et de nous avoir invités à y participer en vous transmettant nos points de vue. Vous avez mon mémoire entre les mains, je vais donc parler des points principaux. Certains documents portant sur l'alphabétisation sont parus récemment, en particulier celui du Conseil canadien sur l'apprentissage, publié le vendredi 27 janvier. Je vous lis une citation de la National Indigenous Literacy Association, qui va comme suit : « Les Autochtones considèrent l'apprentissage comme un moyen pour atteindre des objectifs communs à leurs collectivités. » Autrement dit, il ne s'agit pas seulement d'obtenir des emplois ou une éducation. Ces éléments sont importants, mais ils ne sont qu'une partie de l'ensemble. On nous a également recommandé d'élargir notre définition des mesures de succès en matière d'apprentissage chez les Autochtones, et au fil des ans, j'ai maintes fois fait valoir la nécessité d'adopter une approche globale face à l'apprentissage. Nous considérons que les effets de l'alphabétisation vont au-delà de l'aspect cognitif.
Ben Brunnen, l'auteur de quelques bons rapports « Bâtir le nouvel Ouest » sur les moyens d'atteindre l'excellence et l'équité, a fait quelques recommandations intéressantes — ou fait ressortir plusieurs points très intéressants. Il a dit que l'éducation n'est pas le seul facteur déterminant pour la réussite des Autochtones sur le marché du travail, et que nous devons aussi tenir compte d'autres facteurs comme le contexte économique et les occasions d'emploi. J'entendais continuellement la même chose lorsque je m'entretenais avec des gens de divers organismes d'alphabétisation partout au pays : nous ne pouvons garantir un emploi aux gens simplement parce qu'ils ont suivi un programme. Souvent, il n'y a pas de travail dans la communauté. Ce sont des questions sérieuses dont il faut tenir compte.
Brunnen poursuit en disant que les étudiants autochtones auront probablement abandonné l'école entre la neuvième et la dixième année. Il semble que ce soit le système d'éducation qui, à bien des égards, sert mal nos peuples, et les programmes d'alphabétisation prendront la relève là où l'on a échoué. À ce propos, j'aimerais souligner certains aspects essentiels. Apparemment, il existe un fossé culturel sur le marché du travail, qui semble être à l'origine du fort taux de roulement chez les employés autochtones. Brunnen a observé que les communautés autochtones avaient un taux de participation à la population active similaire à celui de la population en général, mais un taux de chômage plus élevé.
Il y a là une contradiction intéressante : apparemment, le problème, c'est qu'on a du mal à décrocher puis à conserver un emploi dans nos communautés. Il existe beaucoup de projets de travail entrecoupés de périodes de chômage. Brunnen a constaté que la Saskatchewan et le Manitoba enregistraient les meilleurs résultats en matière d'éducation des Autochtones, et aussi les plus hauts taux de chômage. Ces résultats prouvent qu'éducation n'est pas synonyme d'emploi.
Brunnen affirme qu'il nous faut tenir compte d'autres facteurs. Il existe un ensemble de circonstances comme les conditions sociales, les influences de la famille et de la collectivité et la transition d'une existence dans la réserve à une vie hors réserve. J'en ai fait personnellement l'expérience. Issue de la Première nation Chippewas de Saugeen, j'ai été embauchée par le Conseil scolaire de Toronto. Quand je suis arrivée dans cette ville, j'étais perdue. Toutefois, j'ai bénéficié d'un bon soutien qui m'a aidée à évoluer dans le système.
L'identité autochtone semble aussi être le facteur le plus important qui ressort des programmes d'alphabétisation. Les Autochtones doivent être fiers de leur identité; lorsque ce n'est pas le cas, il se crée un blocage à l'apprentissage. C'est là-dessus que nous devons travailler avant tout : les amener à croire en eux-mêmes pour qu'ils arrivent à croire en leurs capacités d'apprentissage.
Je recommanderais que la NILA, au moyen de son indice de bien-être communautaire, commence à examiner ce qu'on appelle cet ensemble de circonstances, même si ce n'est pas ainsi qu'elle l'appelle. Le travail, l'éducation — au moins jusqu'en neuvième année — et l'alphabétisation contribuent au bien-être communautaire. L'alphabétisme compte pour les deux tiers de l'indice de bien-être. Il faut également tenir compte de la population active, du revenu et du logement. Tous ces éléments font partie de l'ensemble de circonstances que les spécialistes de l'alphabétisme doivent considérer lorsqu'un apprenant se présente devant eux.
À la NILA, nous avons effectué des recherches et avons de nombreuses aspirations quant aux moyens de contribuer à l'alphabétisation de la main-d'œuvre et à l'alphabétisation en milieu de travail. L'an dernier, nous avons effectué un rapport dans le cadre duquel nous avions fait parvenir un questionnaire à 20 organismes d'alphabétisation, qui préparaient des Autochtones au marché du travail ou faisaient de l'alphabétisation en milieu de travail, notamment à la BHP Billiton Diamonds et à la mine de diamant d'Ekati, dans le Nord. Après avoir recueilli les réponses, nous les avons compilées en fonction de sept facteurs principaux de réussite des programmes d'alphabétisation. Vous pourrez les voir dans le rapport que j'ai préparé.
Nous voulons donner suite à cette étude; nous avons une proposition et attendons la réponse à une demande de financement. Nous recommandons l'établissement de normes nationales régissant les programmes d'alphabétisation de la main-d'œuvre et d'alphabétisation en milieu de travail. Nous voulons également créer des normes pertinentes et éthiques pour les processus d'admission et d'évaluation, ainsi qu'une sorte de passeport des aptitudes fondamentales. Nous adoptons une approche élargie en matière d'alphabétisation de base et d'alphabétisation en milieu de travail.
En ce moment, l'éditeur Ningwakwe Learning Press en est à l'étape finale de production d'un livret intitulé Making Work Work, qui porte sur le mélange réussi des Autochtones et non-Autochtones ainsi que des cultures en milieu de travail. J'ai moi-même rédigé ce livret; je suis donc au courant. J'ai interrogé des apprenants qui exploraient des projets de travail et des programmes d'alphabétisation. J'ai aussi demandé à des employeurs et à des formateurs en milieu professionnel de préciser les trois principaux problèmes qui se présentaient avec les apprenants. Il en est ressorti que les employés autochtones devaient avoir une meilleure connaissance d'eux-mêmes ainsi que des aptitudes ou points forts qu'ils pouvaient apporter aux employeurs. Il leur faut savoir pourquoi ils acceptent un emploi et développer une capacité à communiquer à l'employeur les éléments de leur situation personnelle susceptibles d'avoir une incidence sur leur rendement au travail. Nous tenons compte de tous ces éléments dans le cadre des programmes d'alphabétisation que nous appuyons.
Il y a quelques années, la NILA a produit un exposé de principe sur l'alphabétisation chez les Autochtones et a effectué un examen exhaustif de tous les documents produits par les organismes autochtones nationaux au cours de l'Année internationale de l'alphabétisation, et elle a passé en revue des documents portant sur l'alphabétisation des Autochtones du monde entier. Certains universitaires ici, au Canada, étudient la question de l'alphabétisation chez les Autochtones. Ainsi, nous avons rassemblé une série de recommandations dans notre exposé de principe. Nous demandons que le gouvernement du Canada élabore une politique globale pangouvernementale en matière d'alphabétisation ainsi qu'une stratégie d'alphabétisation distincte pour les Autochtones. Celle-ci serait évidemment mise en œuvre de concert avec la stratégie pangouvernementale, que nous avons élaborée avec d'autres organisations nationales.
De plus, nous devons revoir la définition de l'alphabétisation, car celle qui existe maintenant est axée sur les résultats cognitifs, qui ne sont qu'une partie des objectifs visés par notre travail. Ainsi, en raison de la profondeur des problèmes que connaissent les communautés autochtones, nous recommandons un financement stable et continu.
J'ai annexé ces recommandations à l'étude que vous menez, et j'ai proposé certaines solutions que je souhaiterais voir appliquer. Mon conseil m'a confié le mandat de rédiger ces recommandations. Nous affirmons que l'alphabétisation intéresse tous les partis. Les 42 p. 100 de Canadiens qui n'atteignent que les premier et deuxième niveaux en matière de compréhension de textes suivis et de textes schématiques sont des électeurs potentiels pour tous les partis. Les gens qui les appuient — famille, spécialistes en matière d'alphabétisation — sont de toutes allégeances politiques également. Nous voudrions la création d'un comité mixte. Je tiens à préciser qu'il y a quelques années, un comité multipartite a formulé des recommandations sur la façon de traiter l'alphabétisme, y compris des stratégies pancanadiennes. La NILA voudrait qu'un comité soit créé pour surveiller l'application des recommandations du rapport.
L'alphabétisation est la responsabilité de tous les ordres de gouvernement ainsi que de tous les secteurs de la société. J'aimerais que l'on développe une approche pangouvernementale coordonnée en matière d'alphabétisation, assortie d'objectifs clairs quant à la participation de tous les pans de la société. Nous avons beaucoup de connaissances et d'expérience, et nous serons très heureux de vous offrir notre collaboration.
L'alphabétisation touche tous les domaines de la vie, y compris la vie sociale et la santé. Nous voyons beaucoup de gens ayant un faible niveau d'alphabétisation dans le système d'éducation; nous estimons donc qu'il est important d'adopter une approche pangouvernementale d'alphabétisation, au lieu que des spécialistes en la matière essaient de trouver où présenter une demande de financement pour ensuite avoir à adapter leurs projets aux critères des bailleurs de fonds. C'est trop de travail pour eux.
Lorsque j'ai effectué mes recherches en vue de l'exposé de principe, j'ai découvert qu'en moyenne, les programmes d'alphabétisation obtenaient entre 40 000 et 60 000 $ par année, montant devant servir à réparer les échecs du système scolaire traditionnel. J'ai déjà enseigné, alors je connais les salaires. Celui d'un enseignant de ce système équivaut au budget entier d'un programme d'alphabétisation autochtone pour un an, budget qui doit couvrir tant l'administration que la prestation des services entourant le programme.
Pour finir, j'aimerais faire valoir qu'investir dans l'alphabétisation a des retombées phénoménales. Je propose que le gouvernement prévoie un financement soutenu et adéquat de l'alphabétisation plutôt que de rechercher des effets mesurables à court terme liés aux cycles gouvernementaux comme il le fait.
L'alphabétisation est un domaine caractérisé par un manque de financement et des salaires peu élevés, mais nous arrivons quand même à produire des résultats positifs. Des apprenants coordonnent actuellement des programmes d'alphabétisation et parcourent le pays pour enseigner à d'autres personnes comment parvenir à se faire confiance afin de pouvoir elles aussi apprendre à lire et à écrire.
À titre de vice-présidente de la National Aboriginal Literacy Foundation, je veux mentionner une initiative très importante à laquelle participe notre association, et qui n'en est qu'à l'étape embryonnaire. Nous espérons obtenir assez de financement de sources non gouvernementales pour pouvoir inviter les gens à nous soumettre des propositions. Car il y a non seulement un manque de financement, mais aussi des activités et des programmes d'alphabétisation importants qui ne sont pas admissibles aux subventions que nous recevons actuellement du gouvernement. La fondation se penchera sur ces problèmes.
Le président : Avant de céder la parole à Gay Hamilton, j'aimerais revenir sur ce que j'ai dit au début de la séance, à savoir que nous tiendrions deux, ou peut-être même trois réunions sur l'alphabétisation; je peux maintenant confirmer que nous en aurons trois. Nous avons obtenu la permission des deux whips d'organiser une table ronde vendredi de la semaine prochaine, le 16 février, de 9 à 13 heures. Les diverses organisations de coordination de l'ensemble des provinces et territoires seront invitées, soit la Literacy Alberta; la Literacy British Columbia; la Literacy Coalition of New Brunswick; la Literacy Nova Scotia; le regroupement Literacy Partners of Manitoba; le Northwest Territories Literacy Council; le Nunavut Literacy Council, la Coalition de l'alphabétisation de l'Ontario, de Toronto; la Prince Edward Island Literacy Alliance; le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec et le Saskatchewan Literacy Network. Toutes seront invitées, mais on ignore encore lesquelles viendront. Le sénateur Fairbairn veillera à ce qu'elles soient nombreuses à comparaître.
Le sénateur Cook : Vous n'avez mentionné aucune association de ma province. N'en compte-t-elle aucune?
Le président : Je suis désolé; comment ai-je pu passer à côté de Terre-Neuve-et-Labrador en lisant la liste? Nous nous assurerons d'inviter l'association concernée.
Gay Hamilton, directrice générale, Laubach Literacy of Canada : Honorables sénateurs, je tiens à vous dire que l'ensemble des bénévoles et du personnel de Laubach Literacy of Canada, ou LLC, et surtout les apprenants, apprécient l'occasion qui nous est donnée de comparaître devant vous aujourd'hui. J'aimerais spécialement remercier le sénateur Eggleton d'avoir présenté notre organisme. Un jour, je vous raconterai comment la méthode « each one, teach one » a vu le jour; c'est une histoire assez amusante.
À la LLC, nos activités de formation et d'apprentissage nous tiennent à cœur. Nous utilisons un système d'attestation pour nos formateurs et les manuels qu'ils utilisent. Nous voulons non seulement appliquer les méthodes de M. Laubach, mais aussi y intégrer, comme l'ont fait beaucoup de nos collègues partout au pays, les pratiques exemplaires de certaines méthodes reconnues d'enseignement aux adultes. Notre créneau consiste à former des spécialistes en alphabétisation et à recueillir les avis des apprenants quant à la forme que devraient prendre les programmes.
En ce moment, notre organisme cherche à offrir un programme plus complet et à établir des liens avec le milieu de l'alphabétisation pour offrir de meilleurs programmes de formation. Comme vous le verrez au cours des prochains mois, nous changerons beaucoup de choses, y compris notre nom. Vous n'aurez plus à nous demander comment le prononcer.
En ce qui concerne les trois sujets dont le comité voulait que nous parlions aujourd'hui, j'aimerais préciser que j'ai eu de la difficulté à y inscrire une question relative à l'alphabétisation, dont je traiterai en premier lieu, car elle est déterminante du point de vue des organisations avec lesquelles nous travaillons. Nous collaborons avec des organisations d'alphabétisation communautaires et régionales; c'est notre créneau. C'est ce dont je vais vous parler aujourd'hui.
Plusieurs groupes et des personnes ont participé à des études et siégé à des comités de consultation. Nous avons donné suite aux rapports issus de ces consultations, et de façon constante, la nécessité d'une stratégie pancanadienne se fait ressentir. J'ai été heureux qu'on y fasse allusion aujourd'hui.
Pour Laubach Literacy, l'alphabétisation constitue le fondement de l'apprentissage permanent et devrait être considérée comme un investissement. Elle a des retombées économiques, mais aussi sociales et humaines. Une stratégie pancanadienne s'inscrirait probablement dans un mandat d'éducation et de développement des compétences; cependant, elle n'est pas — et ne peut être — limitée à ces secteurs. Une stratégie fondée sur un argument économique, qui transcende également des enjeux de société très variés, peut constituer le cœur même de la politique sociale au Canada; voilà ce que je réclame aujourd'hui.
Nous voulons un milieu axé sur l'alphabétisation. Il faut aussi tenir compte d'un un autre élément — que vous avez abordé par le passé, et brièvement aujourd'hui — à savoir l'ensemble des circonstances. Cet environnement axé sur l'alphabétisation, que nous souhaitons créer au moyen d'une stratégie pancanadienne et plurisectorielle, touche à un certain nombre d'aspects, comme le passage de la théorie à la pratique et l'affirmation des raisons pour lesquelles l'alphabétisation est importante. De plus, il offre toute une série d'avantages sur les plans humain et politique.
L'un des éléments importants de la stratégie pancanadienne est le maintien du dialogue permanent avec les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que des ententes qui ont eu cours. Nous espérons pouvoir continuer dans le même sens et élargir ainsi les voies de financement, non seulement à partir du gouvernement fédéral, mais également jusqu'aux intervenants locaux. C'est ainsi que les choses se déroulent actuellement; on passe par les ministères provinciaux dans le cadre d'ententes de ce genre. Il est impossible de s'intéresser à une stratégie pancanadienne, sans parler de ces ententes.
Pour ce qui est de l'avenir des programmes d'alphabétisation au Canada, je peux vous dire qu'ils sont issus des efforts collectifs de Canadiens qui ont cerné un besoin réel et qui sont intervenus, comme dans de nombreux dossiers, pour aider des concitoyens qui devaient acquérir une compétence particulière — la capacité de lire et d'écrire, en l'espèce.
Le Secrétariat national à l'alphabétisation, qui a été créé il y a une vingtaine d'années, a été un partenaire incontournable dans la mise en place des fondations requises avec les organisations locales et les bénévoles — des organisations qui croissent, comme je me plais à le dire, de l'intérieur vers l'extérieur, c'est-à-dire à partir du cœur des gens vers les communautés.
Le Secrétariat national à l'alphabétisation a été présent non seulement pour les organisations nationales, régionales et locales mais aussi pour réunir les partenaires du milieu de l'alphabétisation et de l'extérieur, à savoir ces établissements qui peuvent intervenir pour nous aider à offrir les programmes au pays.
Deux enquêtes internationales ont été menées de 1994 à 2004. De nombreux rapports ont été produits. Je peux vous citer par exemple le rapport unanime déposé en 2003 par le Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées. Une abondance de preuves empiriques laissent entendre que les taux d'alphabétisation demeurent inacceptables au Canada. Il serait facile de présumer que, malgré les investissements consentis par le gouvernement fédéral au cours des deux dernières décennies, nous avons échoué, étant donné que les indicateurs n'ont pas bougé. Je ne crois pas que cela soit entièrement vrai.
Les groupes Laubach interviennent aux niveaux les plus bas — niveau 1 et niveau 2 — pour aider les personnes qui ne peuvent pas lire ou écrire ou qui y parviennent difficilement. C'est essentiellement ce que vise notre système axé sur l'individu ou l'étudiant pour lui enseigner à lire et à écrire.
En 2005, j'ai pu assister à un exposé sur les résultats de l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes (EIAA). Il y avait des indicateurs. Ce n'était pas toujours très évident, mais certaines personnes avaient quitté le niveau le plus bas, le niveau 1, pour passer au niveau 2. C'est précisément à ces niveaux que les organismes communautaires ou les groupes d'alphabétisation ont un impact réel; c'est à ce niveau qu'ils interviennent et c'est là que l'on peut trouver bon nombre d'entre eux.
Les groupes locaux sont toutefois aux prises avec plusieurs facteurs qui entravent leur efficacité dans toutes les fonctions liées à l'administration de leur organisation et certes quant à leur capacité d'offrir les programmes.
Depuis 2003, on observe chez les bailleurs de fonds — et je ne parle pas uniquement du gouvernement, mais aussi des entreprises et des fondations — une tendance à délaisser le financement de base au profit d'un financement fondé sur les projets. Certains ont parlé d'un financement et d'un fonctionnement en dents de scie et je pense que cela illustre bien la situation.
Les organisations se retrouvent à réaliser des projets pilotes pour lesquels il n'y a aucune continuité, comme des projets à court terme et des initiatives ponctuelles. Ces projets ne permettent pas d'obtenir la durabilité voulue. Les groupes qui doivent s'en remettre à cette solution doivent s'adapter à ce mode de financement, ce qui les amène à détourner une partie de leurs efforts, de leurs fonds et de leurs énergies vers des activités visant la durabilité et, malheureusement, de plus en plus la simple survie.
En outre, les organisations sont de plus en plus tenues de respecter leurs obligations et de répondre à des attentes rigoureuses de la part de la population. Personne ne conteste l'importance de ces questions. Les organisations ont tout intérêt à atteindre un niveau de responsabilisation plus élevé. C'est ce que souhaitent les bailleurs de fonds pour justifier leurs investissements, mais les organismes peuvent accomplir un travail beaucoup plus efficace s'il leur est possible de mieux planifier et de mesurer si leurs programmes produisent les résultats escomptés. C'est le véritable coût à assumer à cet égard. Les résultats ne peuvent pas être évalués si personne ne s'en charge ou s'il n'existe pas de mécanisme de mesure, lesquels entraînent nécessairement certains coûts. Encore là, les organisations doivent détourner leurs ressources budgétaires très limitées. Ningwakwe nous a parlé du budget réduit d'une organisation d'alphabétisation au sein des communautés autochtones, mais la situation est assez semblable dans bien des collectivités du Canada.
Si nous voulons un processus de reddition de comptes significatif et utile, il nous faut bâtir un système. Nous avons besoin d'aide pour ce faire. Un tel système doit pouvoir s'appuyer sur une certaine uniformité; des mécanismes sont requis. En plus des coûts associés à sa mise en place, il faut penser à former des gens qui pourront l'utiliser. Encore là, il ne faudrait pas obliger les organisations à utiliser d'importantes portions de leur budget et de leurs heures de travail pour de telles activités au détriment de leur rôle premier qui consiste à offrir des programmes d'alphabétisation. On entend souvent dire que les organismes sans but lucratif dépensent trop pour leur administration et voilà qu'on nous demande justement d'utiliser nos fonds à cette fin. Nous sommes tout à fait disposés à le faire, mais nous avons besoin d'aide. Les gens qui nous appuient ont souvent l'impression que nous perdons du terrain et que nous n'accomplissons pas vraiment du bon travail.
Il est bien évident que les coupures dans le financement fédéral annoncées en septembre ne font qu'aggraver la situation. Il ne s'agit pas seulement de déterminer combien d'argent sera alloué, mais aussi quand ces fonds pourraient être affectés. Un climat d'incertitude s'est développé au sein de la communauté alors que les groupes d'alphabétisation soumettent des propositions et peuvent ensuite attendre pendant de longues périodes, ce qui crée parfois des périodes creuses entre les moments où le financement est reçu et où les projets sont réalisés. Des employés partent, des bénévoles déménagent ailleurs et les apprenants se démotivent. C'est encore là le résultat du financement par projets.
Je vais maintenant vous parler de la consolidation du financement fédéral. C'est l'un de mes sujets de prédilection. Nous sommes une organisation en grande partie axée sur le bénévolat. Nous embauchons du personnel lorsque cela est possible. Bon nombre des organismes d'alphabétisation au Canada sont dans la même situation. Le travail bénévole n'apparaît pas dans les états financiers; on ne peut pas y retrouver les heures de bénévolat ou les contributions non financières. Lorsqu'on fait valoir qu'une organisation est en mesure de s'administrer à faible coût ou encore qu'elle dépense trop à ce chapitre, il ne faut pas oublier les efforts considérables déployés par les bénévoles de tout le pays qui ne ménagent pas leurs heures pour apprendre aux gens à lire et à écrire.
Les bénévoles de Laubach sont formés. Ils ont droit à une formation initiale de 15 heures, puis suivent différents ateliers. Ce sont ces personnes qui forment ensuite les tuteurs. Cela représente un travail gigantesque qui influe sur nos résultats globaux. D'une certaine façon, on pourrait même prétendre qu'ils nuisent à nos résultats, parce qu'ils ne figurent nulle part. Nous devons trouver des moyens plus efficaces pour prendre en considération les heures de bénévolat et rendre des comptes à cet égard. C'est à nouveau une question de durabilité et de coûts qui s'y rattachent. Nous avons besoin d'un financement accru et surtout pas de réductions ni de délais d'attente. Il faut que les lignes directrices changent, mais elles ne devraient pas être modifiées sans cesse; il faut simplement les adapter en fonction de ce que nous pouvons réaliser avec le financement disponible. L'incertitude est un problème majeur pour les organisations soumises au financement par projets.
La voie fédérale, provinciale et territoriale a longtemps été associée, non seulement au soutien des initiatives des organisations considérées individuellement, mais également aux partenariats entre le milieu de l'alphabétisation et des tiers qui ont intérêt à mener des activités d'alphabétisation. Nous devons continuer d'établir de tels partenariats. Des organisations régionales, comme les coalitions d'alphabétisation provinciales, ont réussi à rassembler des sommes de renseignements considérables. Je suis très heureuse d'apprendre aujourd'hui que vous allez rencontrer ces gens la semaine prochaine. Ce sont eux qui assurent la coordination entre les organisations locales d'alphabétisation et leur permettent de compter sur un réseau pour la mise en commun des pratiques exemplaires en vue d'être encore plus efficaces. Si nous voulons que toutes les organisations travaillant dans ce domaine adoptent une philosophie axée sur l'innovation et l'apprentissage continu, il nous faut appuyer les réseaux de ce genre.
J'en arrive au rôle des organismes d'alphabétisation dans la promotion de l'éducation et de la formation professionnelle au Canada. Comme Alphabétisation Laubach du Canada œuvre principalement auprès des apprenants de niveau 1 et de niveau 2 via les organismes communautaires, nous sommes très conscients du rôle important que jouent les groupes locaux dans la vie des apprenants. Nous estimons que l'alphabétisation fait partie intégrante d'un grand nombre de questions sociétales. L'alphabétisation intervient au sein des communautés ainsi que du système d'éducation, non seulement à titre de programme de rattrapage, mais aussi comme mesure complémentaire. Les programmes d'alphabétisation ciblent notamment les particuliers qui doivent acquérir des connaissances de base, les groupes qui présentent des besoins importants, la main-d'œuvre en déficit d'alphabétisation — par main-d'œuvre, j'entends tous ceux qui ont un emploi de même que ceux qui n'en ont pas, mais qui en voudrait un —, les familles comme milieux d'alphabétisation et différents autres besoins. Ils s'appuient sur l'hypothèse de base voulant que tous soient capables d'apprendre et que c'est notre devoir de les aider.
L'alphabétisation fait partie d'une équation. Les organismes ne travaillent pas seuls; ils travaillent avec la communauté, pour la communauté, et vont aider les apprenants là même où ils se trouvent. Les groupes communautaires d'alphabétisation répondent aux besoins locaux; ils sont parfois mis sur pied par les apprenants eux- mêmes.
Enfin, nous devons établir le lien entre tous ces organismes, subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs communautés et les considérer comme une partie intégrante et impérative de notre tissu social. J'ai quatre recommandations à vous adresser à ce sujet.
Je propose de faire d'une stratégie pancanadienne sur l'alphabétisation le point central d'une philosophie sociale marquée par une participation intersectorielle et par des ententes avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. Je vous prie d'encourager le Cabinet à rétablir le financement de l'alphabétisation qui a été touché par les coupures fédérales de septembre, et de l'inciter à élargir les priorités de financement et prévoir des fonds pour l'infrastructure nécessaire à l'accroissement de la viabilité.
Pour ce qui est de la responsabilisation, il faut appuyer les activités à ce chapitre en aidant le milieu de l'alphabétisation à établir un système de mesure des résultats et à soutenir la formation afin d'en assurer une utilisation efficace.
Le président : Avant de passer aux questions, je vous signale que je vous ai distribué une feuille où vous trouverez des renseignements importants. Il s'agit de la terminologie relative aux différents niveaux pour la capacité de lecture de textes courants et de textes schématiques, les compétences en calcul et la résolution de problèmes. Vous pourrez ainsi mieux savoir, ou vous rappeler, le cas échéant, ce que signifient ces termes qui seront utilisés fréquemment par nos témoins.
Vous avez également les statistiques dont il a été question qui indiquent que 42 p. 100 des Canadiens n'atteignent pas le niveau 3 pour ce qui est de la capacité de lire des textes courants et des textes schématiques. Pour les compétences en calcul et en résolution de problèmes, vous pouvez voir que la proportion de Canadiens aux niveaux 1 et 2 est encore plus grande.
Je dois ajouter que nos analystes ont parlé d'une proportion de 48 p. 100 des Canadiens. Cet écart est dû à l'inclusion des personnes de plus de 65 ans. Les chiffres que vous avez en main, soit le 42 p. 100, n'incluent pas les aînés.
Le sénateur Fairbairn : J'ai l'impression de me retrouver en famille, aussi bien à cette table que dernière nous. Nous avons travaillé ensemble pendant si longtemps. Je me réjouis que vous soyez tous présents.
Il est incontestable qu'il ne s'agit pas d'un dossier politique. L'alphabétisation est présente partout dans nos vies et toutes les personnes ici présentes s'y consacrent depuis très longtemps. La dernière année a été source de préoccupations; nous verrons bien ce qu'il adviendra dans ce dossier.
L'important dans tout cela, c'est de pouvoir être effectivement sur le terrain pour appuyer ces gens qui ont besoin d'apprendre et qui ont besoin d'aide pour y parvenir. Je voudrais que vous nous disiez toutes les deux quelle est la situation de vos groupes respectifs à cet égard actuellement. Êtes-vous en mesure de faire le travail? Est-ce que beaucoup d'activités ont dû être interrompues?
On espère toujours recevoir des nouvelles encourageantes au cours des prochains mois. Depuis septembre, est-ce que vos organisations ont eu de la difficulté à aller aider les gens? Je sais que vous comptez beaucoup sur le travail des bénévoles, mais avez-vous été capables de garder la flamme allumée?
Mme George : C'est grâce à l'intérêt des gens pour l'alphabétisation que la flamme ne s'est pas éteinte. Il est vrai que le taux de roulement est très élevé en raison des faibles salaires et du manque de financement. Cependant, les gens qui restent ont vraiment à cœur la cause de l'alphabétisation.
Je crois avoir discuté avec vous lorsque NILA a été privée de fonds pendant une période de quatre mois. Nous avons travaillé bénévolement pendant ces quatre mois car nous ne voulions pas perdre le momentum que nous avions réussi à imprimer. Certaines personnes en étaient venues à compter sur notre soutien et nous avons continué à œuvrer auprès d'elles.
J'ai parlé aux responsables de différents programmes d'alphabétisation au pays et ils ont été en mesure d'étirer leurs budgets et de s'en sortir avec le strict minimum et une grande quantité d'heures de travail bénévole. Bon nombre d'organisations soutiennent qu'elles ne pourront pas durer bien longtemps à ce régime; si de nouvelles mesures ne sont pas annoncées sous peu, elles sont condamnées à disparaître.
Mme Hamilton : Quelques-unes de nos organisations provinciales — il y en a deux qui me viennent à l'esprit — ont fermé leurs bureaux et sont maintenant administrées à partir de la cuisine d'un dirigeant.
Le sénateur Fairbairn : C'est un retour aux sources pour Laubach également.
Mme Hamilton : Oui. Je parle des tâches administratives.
Dans bien des cas, il s'agissait d'organisations qui étaient très petites au départ. Elles ont fermé leurs portes, mais quelques tuteurs continuent de travailler auprès des étudiants. Il est toutefois difficile d'établir la liaison avec eux. Au bout de quelques mois, voire de quelques années, ils perdent tout contact avec la communauté de l'alphabétisation et la possibilité de tenir leurs compétences à jour.
Dans certains cas, des employés qui sont inquiets en raison de l'absence d'information sur le financement à venir vont accepter un autre poste qui leur est offert. Les organisations, qui sont actuellement en mode d'attente, n'embauchent personne pour les remplacer. Il est bien certain que tout le monde est sur ses gardes.
Nous apprenons que certaines organisations qui s'efforcent de diversifier leurs modes de financement, à grands coups de baguette magique, doivent utiliser tout le temps de travail de leurs administrateurs et de leurs bénévoles à cette fin, au détriment de l'exécution du programme. Leurs énergies sont donc entièrement consacrées à la survie.
Le président : Malheureusement, nous disposons de très peu de temps. Je vous demanderais donc d'être brefs dans vos questions et réponses de manière à ce que nous puissions procéder plus rapidement.
Le sénateur Munson : Recevez-vous des fonds du gouvernement fédéral?
Mme Hamilton : Oui. L'organisation nationale reçoit des fonds fédéraux.
Le sénateur Munson : Quelle proportion de ce financement a été éliminée?
Mme Hamilton : Nous ne le savons pas encore. Laubach approche de la fin de son dernier contrat. Il arrive à échéance en juin. Parmi les changements apportés, on nous a dit qu'il y aurait un appel d'offres à l'échelle nationale. Auparavant, lorsque notre financement prenait fin, nous pouvions présenter une nouvelle proposition parce que les contrats ne se terminaient pas tous en même temps.
Le sénateur Munson : Combien recevez-vous en fonds fédéraux?
Mme Hamilton : Nous recevons 400 000 $.
Le sénateur Munson : Est-ce que votre organisation reçoit du financement du gouvernement fédéral, madame George?
Mme George : Oui. Nous avons du financement jusqu'à la fin mars, mais nous sommes censés négocier une entente de contribution. Nous ne connaissons pas les montants en cause parce que les négociations n'ont pas encore été amorcées. Personnellement, je ne sais pas si je pourrais survivre à une autre période sans financement, si peu de temps après la précédente.
Mme Hamilton : Nous ne savons pas quelles seront les priorités, pas plus que les lignes directrices en matière de financement.
Le sénateur Munson : Vous a-t-on dit que des réductions sont à prévoir?
Mme Hamilton : On nous a dit qu'il y aurait un appel de propositions. Nous ne savons pas si les activités que nous devons mener correspondront aux priorités établies dans les lignes directrices en matière de financement.
Le sénateur Munson : Je veux revenir à la déclaration de Mme George qui nous a indiqué que les groupes devaient moduler leurs projets en fonction de ce que voulait entendre le bailleur de fonds sollicité. Je voudrais savoir ce que vous entendez exactement par cela. Devez-vous réécrire sans cesse vos propositions? Qu'est-ce que cela signifie exactement?
Mme George : Si nous présentons une proposition en ciblant un bailleur de fonds, il faut tenir compte des priorités qui lui sont propres et utiliser les termes qui lui conviennent pour obtenir le financement. Si nous présentons une demande à un autre bailleur de fonds, celui-ci aura également ses propres priorités et nous devrons adapter notre proposition en fonction de ce qu'il veut entendre. C'est autant de temps que nous ne pouvons plus consacrer aux apprenants, même s'il n'est pas garanti que nous obtiendrons le financement demandé.
Mme Hamilton : Cela entraîne également une évolution de la mission organisationnelle. Un organisme est mis sur pied pour une certaine raison et est chargé d'une mission bien précise. Cette mission peut changer en fonction de l'évolution des besoins. Cependant, il arrive parfois que des organisations s'égarent dans des champs d'activité où elles ne devraient probablement pas se retrouver, simplement pour avoir accès à des fonds.
Le sénateur Munson : Y a-t-il chevauchement entre les gouvernements fédéral et provinciaux quant au financement de vos deux groupes, ou de n'importe quel groupe, en ce sens que vous demandez d'abord des fonds provinciaux avant de vous adresser au gouvernement fédéral?
Mme Hamilton : Nous ne demandons aucun financement provincial.
Le sénateur Callbeck : Je vais être bref et concis. Madame Hamilton, vous avez indiqué que les taux d'alphabétisation avaient peu évolué au cours des dernières années. Des études l'ont confirmé. Dans ce contexte, comment pouvons-nous inciter davantage de Canadiens à apporter leur contribution aux programmes d'alphabétisation?
Mme Hamilton : Le recrutement des apprenants à l'échelon local pose un problème important. Cela relève partiellement des enjeux intersectoriels dont je vous ai parlé, car il importe d'obtenir la participation des bureaux d'emploi, des services de santé et de tous les secteurs touchés par l'alphabétisation. Cela n'est pas chose facile. On s'entend pour dire que l'alphabétisation touche tous les aspects de la vie, mais il serait notamment souhaitable de pouvoir compter sur une stratégie pancanadienne qui intégrerait tous ces autres intervenants et servirait de modèle pour la mise en œuvre par le truchement des provinces et des territoires.
Mme George : Malgré toutes nos années d'efforts en matière d'alphabétisation, celle-ci fait toujours l'objet de préjugés. Les gens ne veulent pas être considérés comme stupides parce qu'ils participent à un programme d'alphabétisation. Nous leur faisons valoir que la lecture et l'écriture sont simplement deux compétences qu'ils ajoutent à celles qu'ils possèdent déjà. Nous allons effectuer une tournée de sensibilisation à l'alphabétisation. Nous avons embauché Susan Aglukark, l'une de nos gagnantes d'un prix Juno, pour une série d'ateliers où l'on essaiera de faire comprendre aux gens de toutes les régions du pays qu'ils possèdent déjà de nombreuses compétences. Nous allons leur dire qu'ils peuvent ajouter des outils à cet ensemble de compétences et que l'alphabétisation est une bonne chose.
Le sénateur Callbeck : Les préjugés ne sont-ils pas moins marqués qu'ils l'étaient auparavant?
Mme Hamilton : Ils sont encore bien présents.
Le sénateur Callbeck : Madame Hamilton, vous avez parlé des ententes fédérales-provinciales qui doivent être renouvelées. Vous avez laissé entendre qu'il fallait en élargir la portée.
Mme Hamilton : Je voudrais que toutes les mesures de financement soient élargies pour viser également la durabilité des organisations. À l'heure actuelle, le financement par projets entrave l'exécution ininterrompue des programmes et ne permet pas la présence continue que nous préconisons auprès des apprenants.
Le sénateur Callbeck : C'est ce que vous entendiez par l'élargissement de la portée des ententes?
Mme Hamilton : Tout à fait. Il ne s'agit pas nécessairement de renouveler ces ententes, mais il ne faut pas laisser de côté le volet provincial-territorial dans le cadre d'une stratégie pancanadienne. Ce volet a toujours constitué la voie privilégiée d'accès aux fonds fédéraux pour les organisations locales et régionales.
Mme George : Sur la liste des groupes que vous invitez le vendredi 16 février, on retrouve deux organisations provinciales d'alphabétisation des Autochtones. Je n'ai pas entendu leurs noms lorsque vous en avez fait l'énumération, alors je me demandais si des dispositions avaient été prises pour qu'elles soient incluses.
Le président : Je vais vérifier cela. La liste que j'ai en main est seulement préliminaire. La tenue de cette réunion n'a été approuvée qu'aujourd'hui, alors nous allons procéder rapidement à partir de maintenant.
Le sénateur Trenholme Counsell : Comme mes collègues, j'ai posé plusieurs questions à ce sujet au Sénat. Le problème semble venir de la valeur que l'on attribue aux coalitions, si je puis dire, ou aux organisations, à vos organisations nationales en quelque sorte. On nous dit que les projets et les programmes vont continuer, mais lorsque nous posons des questions au sujet des organisations ou des coalitions en tant que telles, c'est une toute autre histoire; on nous parle de bureaucratie ou d'un autre palier qui n'est pas nécessairement requis.
J'aimerais aborder le rôle important que jouent ces organisations pour rassembler les intervenants. Par exemple, dans ma province, la coalition vous réunit tous, probablement deux fois par année, pour mettre en commun vos expériences et évoluer en tirant des enseignements les uns des autres. Dans quelle mesure jugez-vous que cela est utile, voire essentiel?
Mme Hamilton : Laubach compte environ 121 bureaux affiliés qui offrent les programmes conçus par Laubach, entre autres, dans toutes les régions du pays. Dans certaines provinces, nous avons également des groupes provisoires. Mais les coalitions agissent vraiment comme le ciment qui lie l'information provenant de toutes les organisations nationales pour permettre des recherches dont les résultats sont ensuite transmis aux différents groupes. Dans une province, tous les organismes d'alphabétisation sont membres de la coalition. La coalition sert vraiment de carrefour pour l'échange d'information entre les différents intervenants d'une province et pour la réponse aux besoins particuliers pouvant émerger.
Au Nouveau-Brunswick, par exemple, Laubach Literacy New Brunswick a participé à quelques tables rondes sur l'alphabétisation en tant que membre de la coalition.
Les groupes échangent vraiment entre eux et avec différents niveaux d'organisation. La coalition est également la pierre de touche de très petites organisations, qui ne sont peut-être pas enregistrées comme des organismes sans but lucratif. Il s'agit peut-être de groupes bénévoles ne disposant d'aucun personnel et employant diverses méthodes d'alphabétisation auprès d'étudiants dans leurs petites collectivités, souvent rurales. La coalition permet à ces groupes de découvrir les nouvelles tendances, les méthodes à intégrer dans leur collectivité et les diverses activités ou de déterminer la nécessité d'avoir le point de vue de l'étudiant, et cetera. C'est un réseau.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je veux vous parler d'espoir. J'ai bon espoir que le problème s'atténuera dans 10 ans ou peut-être plus tôt. Nos ministères de l'éducation provinciaux s'y sont s'attaqués. Je parle de ma province, mais je crois que cela doit valoir pour le reste du pays. Au cours des premières années de scolarité, on insiste énormément sur la lecture et l'écriture. Vos organisations s'occupent des troubles à ce chapitre, si je peux m'exprimer ainsi, et les gouvernements provinciaux envisagent de plus en plus la prévention. Partagez-vous mon espoir?
Mme Hamilton : Tout à fait, mais je suis convaincue que les groupes d'alphabétisation font partie de cette équation et doivent travailler de concert avec les responsables des systèmes éducatifs dans les collectivités. Cependant, ils doivent pouvoir compter sur des appuis solides, notamment financiers.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pour que les choses fonctionnent, il faut que les parents participent au développement de leurs jeunes enfants sur le plan de l'alphabétisation. Il est toujours possible de détecter les personnes analphabètes, et il sera probablement encore possible de le faire.
Mme Hamilton : Des personnes se retrouvent analphabètes, et Laubach s'occupent d'alphabétisation des adultes. Bien des groupes s'occupent d'alphabétisation familiale et d'alphabétisation de la petite enfance. Ils s'attaquent au cycle de la pauvreté, à ses répercussions sur l'alphabétisme et à plusieurs problèmes sociétaux.
Mme George : Je voudrais ajouter un point que j'ai abordé dans mon mémoire. Il nous faut une stratégie à deux volets. Nous avons besoin de ce que vous proposez pour que le nombre de cas n'augmente pas, mais il faut également s'attaquer à l'autre volet, c'est-à-dire les personnes qui sont analphabètes et pour lesquelles le système ne s'est pas révélé une expérience positive.
Je voudrais vous raconter une histoire. En Colombie-Britannique, j'ai assisté à une conférence qui portait notamment sur l'alphabétisation. Il était question des 42 p. 100 de Canadiens qui se trouvent aux niveaux 1 et 2 en lecture courante et en lecture de textes schématiques. Pendant la pause du midi, nous avons pris une photo de la foule massée dans les marches, devant l'édifice. Nous nous sommes dit que, selon les statistiques, 42 p. 100 de ces personnes éprouvaient des difficultés de lecture et d'écriture dans leurs activités quotidiennes. Parmi nous aujourd'hui, qui font partie de ces 42 p. 100? C'est peut-être votre frère, votre sœur ou votre patron, qui ne l'ont peut-être pas encore admis. Nous sommes au courant de gens qui ont admis leur analphabétisme après avoir appris pendant des années à contourner et à dissimuler ce problème. Je préconiserais fortement une stratégie à deux volets.
Le sénateur Keon : Il y a environ une semaine, M. Solberg a annoncé l'octroi d'un montant pour l'alphabétisation. Vos organisations sont-elles visées?
Mme Hamilton : Non. Si je ne fais pas erreur, ce montant était destiné aux programmes d'alphabétisation dans les municipalités. Les municipalités voudront peut-être mettre en œuvre des programmes et recourir à un groupe d'alphabétisation pour ce faire. C'est tout à fait possible.
Le sénateur Keon : Vous n'y êtes pas admissibles?
Mme Hamilton : Je ne le croirais pas. Les organismes nationaux n'ont pas droit aux crédits destinés aux activités locales ou provinciales.
Le sénateur Chaput : Combien y a-t-il de bénévoles au Canada et combien d'heures consacrent-ils au bénévolat annuellement? En avez-vous une idée?
Mme Hamilton : Je parlerai au nom de Laubach. L'an dernier, nous avons mis à jour notre base de données. Mes chiffres reflètent donc davantage la réalité. Notre base de données compte 5 000 bénévoles qui sont des tuteurs qualifiés. À tout moment, 3 000 bénévoles font office de tuteurs, et beaucoup travaillent au sein de conseils ou collectent des fonds. Nous n'avons pas encore établi les statistiques pour l'année courante, mais celles de l'exercice antérieur font état d'environ 192 000 heures de tutorat. J'ai abordé cette question avec des responsables du Collège Frontière, qui s'attendent à des chiffres supérieurs. Si nous doublons ces chiffres, cela ne représente que deux organisations canadiennes qui ont des bureaux locaux. Au Canada, bien des programmes d'alphabétisation ne relèvent pas de nous. Leur nombre est exponentiel.
Mme George : Dans certains de nos programmes, nous employons des bénévoles; dans d'autres, nous recourons à un coordinateur qui doit s'occuper de tout. Une certaine partie des 40 000 à 60 000 $ obtenus est affectée à l'administration et à l'enseignement. Le coordinateur gagne de 30 000 à 40 000 $, un salaire de misère.
Le sénateur Cochrane : J'ai été associée à ces organisations. Il s'y accomplit beaucoup de travail, ce qui, pour une raison que j'ignore, n'est pas connu du public. Je suis sidérée d'entendre que 42 p. 100 des Canadiens sont analphabètes. C'est un signal qui nous indique l'existence d'un problème.
J'ignore comment nous y parviendrons, mais nous devons trouver un autre moyen de montrer que nous accomplissons des progrès. Je compte sur vous qui êtes des experts en la matière. Cependant, devrions-nous compter sur d'autres modèles? Y en a-t-il?
Mme Hamilton : Il faut s'inspirer des autres pays qui se sont penchés sur le problème de l'alphabétisation, notamment le Royaume-Uni. En outre, certains des pays scandinaves ont des taux d'alphabétisation élevés et remportent la palme lors de chaque enquête. Ils ont pris des décisions éclairées, investissant dans l'alphabétisation en général et mettant à contribution les différents intervenants. Ils se sont rendu compte que cet investissement rapportait énormément sur les plans économique, social et humain. Nous devons envisager certains de ces modèles et inciter le gouvernement à intégrer l'alphabétisation à notre politique sociale et à engager les fonds nécessaires.
Les modèles varient, mais ceux qui ont cette question à cœur font les investissements qui s'imposent. Je ne saurais le dire autrement.
Le sénateur Cochrane : Dans le cadre de votre travail, avez-vous remarqué des collectivités qui se tirent mieux d'affaire? Elles emploient peut-être une méthode différente.
Mme George : Il y a quelques années, la Première nation de Conn River a commencé à administrer les montants affectés à l'éducation des siens. Elle décide de la répartition et de l'utilisation de ces montants. Le directeur responsable de l'éducation nous a appris que leur taux de chômage a baissé considérablement.
Pour répondre à votre première question, je vous dirai que nous devons modifier ce que nous mesurons. La Nouvelle-Zélande a tenu une enquête pour déterminer les répercussions sociales de l'un des modèles envisagé, et on espère pouvoir transposer cette enquête au Canada. Cette enquête a fait ressortir les nombreux changements qui sont survenus dans la vie des familles qui ont suivi les cours d'alphabétisation à la télévision. Modifions ce que nous mesurons.
Le sénateur Cochrane : Je crois que les modèles de rôle constitueraient une méthode efficace. Vous avez indiqué que des gens dissimulent leur analphabétisme, mais ils réussissent et se tirent très bien d'affaire. Il serait utile que nous les amenions à parler publiquement de leur problème pour faire avancer les choses.
Mme Hamilton : M. Demers serait certes un modèle de rôle valable. Je lui ai parlé quelques jours après la publication de son histoire aux actualités, et il n'avait pas la moindre idée des répercussions de son histoire dans le monde de l'alphabétisation. Il a été renversé d'en constater les retombées. Cependant, je crois bien qu'il est tout disposé à en parler.
Le sénateur Cochrane : Nous devrions nous servir de lui à bon escient. Il n'est pas le seul dans cette situation, j'en suis certaine. Ces personnes pourraient faire évoluer les choses au Canada en amenant les gens à réaliser que nous devrions nous attaquer à ce problème.
Le président : Nous accueillerons demain des témoins qui l'ont fait.
Le sénateur Champagne : Je ne peux pas croire qu'encore aujourd'hui nous soyons aux prises avec ce problème dont l'ampleur est telle que le Conseil canadien sur l'apprentissage et Statistique Canada ont affirmé que nous n'avons rien fait et que la situation ne s'est pas améliorée. Entre 1994 et 2005, la situation n'a pas vraiment évolué. Certaines choses ont changé, mais nous pouvons faire mieux.
C'est pourquoi le gouvernement propose maintenant une nouvelle stratégie. Il ne s'agit pas d'investir moins d'argent dans ce domaine. Il s'agit plutôt de collaborer avec les gens pour déterminer la meilleure façon d'utiliser cet argent pour obtenir des résultats. C'est ainsi que j'envisage les changements auxquels nous assistons actuellement. J'espère que, grâce aux mesures que nous prenons et à l'aide offerte par des gens comme vous, nous pourrons favoriser une affectation des crédits là où les besoins sont les plus profonds, de sorte que, dans 10 ans, les choses n'auront pas stagné.
Qui devrait recevoir les crédits? Est-ce les personnes qui donnent les cours de lecture ou la formation dans les bibliothèques? À la Bibliothèque Atwater de Montréal, des bénévoles enseignent à lire et disposent de livres pour ce faire. Comment pouvons-nous utiliser ces crédits le plus judicieusement possible?
Mme Hamilton : Je ne suis pas d'accord. Je ne crois pas qu'il faille réaffecter les crédits. Tout d'abord, je ne pense pas que les montants accordés soient suffisants. Je ne saurais trop insister là-dessus. Nous vous avons expliqué aujourd'hui les programmes qui sont nécessaires dans l'ensemble du pays : ce sont les programmes mis en œuvre dans les collectivités, là où les gens ont besoin d'acquérir ces compétences. Ils satisfont aux besoins locaux : groupe autochtone ou petit village rural au Québec. Les besoins sont exprimés, et les bénévoles sont mis à contribution, recevant la formation et dispensant les cours. Les bénévoles assument certains coûts. Ils ne sont pas rémunérés, mais ils doivent s'acquitter de certaines fonctions de gestion et ont besoin de matériel.
Alphabétisation Laubach du Canada exploite le New Readers Bookstore. Nous n'en avons pas parlé. Nous vendons du matériel d'alphabétisation pour subvenir à nos besoins. Cependant, cela demeure un service que nous offrons. Nous avons 500 volumes destinés aux intervenants en alphabétisation et aux analphabètes apprenants, et nous augmentons notre contenu canadien tous les ans. Cela nous donne le pouls de ce qui se passe dans notre domaine. La librairie nous aide à subvenir à nos besoins, mais la vente de volumes aux groupes d'alphabétisation a diminué de 30 p. 100 au cours des six derniers mois.
Le sénateur Champagne : Ressources humaines et Développement social Canada, RHDSC, disposait de 81 millions de dollars pour l'alphabétisation dans son budget de 2006, montant qui, espérons-le, sera majoré. Nous devons prendre des mesures immédiates pour changer de cap et vous aider afin que vous puissiez poursuivre votre travail avec plus d'efficacité.
[Français]
Le sénateur Pépin : Pour donner suite à ce que le sénateur Champagne a dit, probablement qu'ils veulent mieux s'organiser. Cependant, avez-vous été consultés sur la façon de procéder à une réorganisation? En fait, on vous a annoncé qu'il y aurait une diminution de budget, mais est-ce qu'on vous a demandé s'il y avait une meilleure façon de fonctionner?
Mme Hamilton : Je crois que les adultes au Canada qui ont des besoins de services en littératie sont bien servis là où on peut (en passant, vous pouvez maintenant dire littératie en français : alphabétisation et littératie).
On a parlé de la difficulté à faire comprendre aux gens que l'alphabétisation est quelque chose de très honorable. Il y aurait peut-être un besoin d'argent pour le service de recrutement, c'est-à-dire pour aller chercher des apprenants dans les communautés. Présentement, on peut former des professeurs et opérer un petit organisme pour 50 000 ou 60 000 dollars par année, mais il n'y a pas d'argent supplémentaire pour aller chercher d'autres apprenants. On dit souvent « Be careful what you wish for ». Si tout d'un coup on avait une centaine de nouveaux apprenants, est-ce qu'on serait capable de les servir avec les sommes que nous avons maintenant? Ce serait un beau problème.
[Traduction]
Andrew Treusch, sous-ministre adjoint, Politique stratégique et planification, Ressources humaines et Développement des compétences Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un grand honneur de comparaître devant le comité aujourd'hui avec ma collègue, Marie-Josée Thivierge, sous-ministre adjointe, Direction générale de l'apprentissage.
[Français]
Si je ne m'abuse, le comité désire examiner l'avenir des programmes d'alphabétisation au Canada, le regroupement des fonds fédéraux et le rôle des organismes d'alphabétisation dans la promotion de l'éducation et des compétences professionnelles au Canada.
[Traduction]
Pour mieux contextualiser nos observations, j'ai pensé qu'il serait utile de vous résumer le mandat de notre ministère. Ressources humaines et Développement social Canada a pour mandat de bâtir un Canada plus fort et plus concurrentiel en offrant des choix qui conduisent à une vie productive et satisfaisante tout en améliorant la qualité de vie de tous les Canadiens.
Grâce à RHDSC, les Canadiens sont mieux informés sur la façon d'avoir accès aux possibilités de formation et d'apprentissage, sur la façon de se protéger et d'être plus productifs au travail et enfin sur la façon d'entretenir des relations syndicales-patronales efficaces.
[Français]
Ils peuvent aussi compter sur nos programmes et notre soutien à toutes les étapes importantes de leur vie, de l'enfance à la retraite. Ils reçoivent les services dont ils ont besoin par l'entremise de notre ministère, y compris Service Canada.
[Traduction]
Le ministère a pour tâche de mettre en œuvre de nombreux nouveaux programmes et initiatives découlant du Budget 2006, notamment le lancement de la Prestation universelle pour la garde d'enfants, la mise en place de la nouvelle subvention aux apprentis et le lancement d'un nouveau programme fédéral-provincial-territorial pour les travailleurs plus âgés.
Deux faits récents ont influé sur nos priorités stratégiques dans le domaine de l'alphabétisation et des compétences essentielles. Vous êtes au courant qu'on a annoncé dans le Budget 2006 que le gouvernement entreprendra un examen de son système de gestion des dépenses. Dans le cadre de cet examen, le président du Conseil du Trésor a été chargé de dégager des économies de 1 milliard de dollars pour 2006-2007 et 2007-2008. Le 25 septembre 2006, l'honorable Jim Flaherty, ministre des Finances, et l'honorable John Baird, président du Conseil du Trésor, ont annoncé une stratégie visant à économiser 1 milliard de dollars cette année et l'année prochaine comme le promettait le budget du printemps. Les décisions prises figurent dans un communiqué émis à cette date.
RHDSC était du nombre des ministères qui ont participé à cet examen. Pour RHDSC, il s'agissait d'une diminution totale des dépenses de 32 millions de dollars en 2006-2007 et de 75,5 millions de dollars en 2007-2008 sur un budget total annuel d'environ 80 milliards de dollars.
Le Programme d'apprentissage, d'alphabétisation et d'acquisition des compétences essentielles pour les adultes a été amputé de 17,7 millions de dollars sur deux ans, ce qui laissera 81 millions de dollars pour l'apprentissage des adultes, l'alphabétisation et l'acquisition des compétences essentielles dans ce programme, cette année et en 2007-2008.
Il a été question plusieurs fois de l'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes, l'EIACA, qui a été menée en 1993 et en 2003. Notre ministère finance cette enquête au Canada et continue de mener des recherches très importantes sur les résultats de celle-ci.
Je vous laisserai quatre fiches de renseignements qui vous indiqueront quelques-uns des résultats dégagés du rapport, certains aspects des problèmes liés à l'alphabétisation et à l'acquisition des compétences essentielles pour les travailleurs canadiens et notre classement par rapport aux autres pays.
Pour aiguiser votre appétit, j'aborderai trois points. Le premier porte sur les immigrants. Même si les immigrants récents ont un niveau de scolarité supérieure aux Canadiens de souche, un pourcentage plus élevé d'entre eux sont au niveau 1, comparativement aux Canadiens de souche, pour ce qui est des capacités de lecture et d'écriture à l'égard de textes suivis.
Le deuxième est le marché du travail. Chez les adultes au chômage, ceux qui possédaient une forte capacité de lecture et d'écriture étaient plus susceptibles de réintégrer plus tôt le marché du travail que ceux qui affichaient de faibles capacités à ce titre.
Le troisième porte sur les résultats globaux. Il en a déjà été question. Le pourcentage d'adultes canadiens présentant une faible capacité de lecture et d'écriture n'a pas changé entre 1994 et 2003.
Avant de terminer, je voudrais attirer l'attention du comité sur La mise à jour économique et financière de l'automne dernier, qui a jeté les bases du programme économique du gouvernement, appelé Avantage Canada. Un des objectifs clés à long terme d'Avantage Canada est de procurer un avantage sur le plan du savoir qui nous aidera à nous doter de la population active la mieux instruite, la plus perfectionnée et la plus souple dans le monde.
[Français]
Il y a trois piliers sur la voie de l'amélioration du capital humain au Canada : quantité, qualité et efficience. Pour chacun de ces piliers, le gouvernement du Canada a dégagé d'importantes mesures de perfectionnement des compétences.
[Traduction]
Plus particulièrement, il faudrait revoir et éliminer les obstacles à la participation des groupes sous-représentés dans la population active, comme les Canadiens autochtones, les travailleurs âgés et les personnes handicapées. En outre, de concert avec les provinces, les territoires et le secteur privé, il faudrait rendre la formation et le perfectionnement des compétences plus accessibles aux travailleurs canadiens et mieux harmonisés aux besoins du pays. En fait, divers intervenants doivent se concerter pour que ces objectifs soient atteints : les provinces et territoires, les employeurs, les syndicats et le secteur bénévole.
[Français]
Je cède maintenant la parole à Mme Thivierge qui vous expliquera davantage les programmes fédéraux d'alphabétisation et de compétences essentielles, de même que le Programme d'apprentissage d'alphabétisation et d'acquisition des compétences essentielles pour les adultes.
Marie-Josée Thivierge, sous-ministre adjointe, Programmes d'investissement dans la personne, Ressources humaines et Développement des compétences Canada : Honorables sénateurs, merci. Tel que le mentionnait mon collègue, plusieurs intervenants sont concernés et se partagent la tâche très importante de résoudre les défis liés à l'alphabétisation et aux compétences essentielles des Canadiens et des Canadiennes, notamment les organismes communautaires, les entreprises, les syndicats et tous les paliers de gouvernement.
Je m'attarderai donc aux programmes d'alphabétisation et d'acquisition des compétences essentielles, et plus particulièrement à ceux qu'offre Ressources humaines et Développement des compétences Canada.
[Traduction]
Le survol des activités fédérales exécutées en 2005-2006 nous révèle que plusieurs ministères et organismes fédéraux ont investi directement dans des initiatives d'alphabétisation et d'acquisition de compétences essentielles. Voici une énumération partielle des ministères responsables de tels investissements : le Service correctionnel canadien, Citoyenneté et Immigration Canada, Statistique Canada, Bibliothèque et Archives Canada, Ressources humaines et Développement social Canada. Ces investissements visaient directement des groupes cibles fédéraux et comprenaient une gamme d'activités comme les compétences liées à l'employabilité, les clubs de lecture et la formation linguistique enrichie.
De plus, le gouvernement du Canada a accordé un fonds de dotation au Conseil canadien sur l'apprentissage pour appuyer la recherche et les meilleures pratiques en matière d'apprentissage continu, tel que mentionné dans son rapport récent sur la Situation de l'apprentissage au Canada.
[Français]
Ressources humaines et Développement social Canada offre un certain nombre de programmes et d'outils d'intervention qui répondent directement, ainsi qu'indirectement, aux besoins des Canadiennes et des Canadiens qui ont un faible niveau d'alphabétisation et de compétences essentielles.
Permettez-moi d'en nommer quelques-uns. La stratégie de développement des ressources humaines autochtones vise à aider les organisations autochtones à concevoir et à mettre en place des programmes axés sur le marché du travail pour les Autochtones qui veulent se trouver un emploi et le conserver. Cette stratégie favorise également des programmes qui visent les jeunes autochtones, leur permettant de passer de l'école au marché du travail et de les épauler dans leur retour aux études.
[Traduction]
La partie II de la Loi sur l'assurance-emploi prévoit du financement pour le perfectionnement des compétences, incluant la formation de base des adultes. La formation de base des adultes couvre l'éducation inférieure au niveau postsecondaire et elle englobe des cours de niveaux élémentaire et secondaire, du perfectionnement scolaire, ainsi que des cours de base en alphabétisation et en calcul. Le gouvernement du Canada assure cette formation de même qu'il exécute d'autres programmes d'emploi en vertu de la partie II dans cinq provinces et territoires, et il lui incombe également d'exécuter des programmes semblables transférés aux gouvernements provinciaux et territoriaux dans les huit autres provinces ou territoires.
L'Initiative sur les compétences essentielles, axée exclusivement sur le milieu de travail, vise à améliorer les compétences essentielles des Canadiennes et des Canadiens qui intègrent le marché du travail ou y sont déjà actifs. Cette initiative est réalisée en collaboration avec les intervenants du milieu de travail, dont les employeurs, les syndicats et les établissements d'enseignement afin de développer des outils et des moyens pratiques pour perfectionner les compétences essentielles de la main-d'oeuvre canadienne.
[Français]
Le programme d'apprentissage d'alphabétisation et d'acquisition des compétences essentielles pour les adultes, administré par le Bureau national d'alphabétisation et d'apprentissage, est un autre instrument important afin d'appuyer l'alphabétisation. Ce programme a vu le jour le 1er avril 2006 et il découle du fusionnement de trois programmes, soit le Programme national d'alphabétisation, le Bureau des technologies d'apprentissage et le Programme des initiatives d'apprentissage.
[Traduction]
Ce programme a été élaboré en considération des conclusions découlant de l'évaluation des trois programmes antérieurs qui corroborent que la contribution de RHDSC à l'égard de l'alphabétisation se devait d'être stratégique et dotée de priorités ciblées; que cette contribution était nécessaire pour établir un meilleur suivi des résultats, pour mieux déterminer l'aide aux groupes visés par l'équité en matière d'emploi et pour accroître le caractère mesurable des résultats.
[Français]
Le fusionnement de ces trois programmes, conformément à un ensemble unique de modalités, vise l'utilisation efficace des ressources, la réduction des frais administratifs et la mesure accrue des effets et des résultats. De plus, le programme devrait améliorer la coordination et l'uniformité des appuis offerts.
[Traduction]
Les objectifs du PAACEA sont les suivants : favoriser l'apprentissage continu en atténuant les obstacles autres que financiers liés à l'apprentissage des adultes, de même que faciliter la création de possibilités pour que les Canadiens puissent acquérir et perfectionner les aptitudes d'apprentissage, d'alphabétisation et de compétences essentielles dont ils ont besoin pour prendre part à une économie axée sur le savoir.
Le gouvernement, dans le cadre de son annonce afférente à sa décision de réaligner les fonds alloués au nouveau programme, a précisé qu'il ciblait les priorités nationales et l'atteinte de résultats concrets pour les Canadiennes et les Canadiens.
J'ai parlé des programmes d'alphabétisation et d'acquisition des compétences essentielles de RHDSC, mais il est important de souligner que les programmes de RHDSC comprennent d'autres aspects. L'alphabétisation a besoin de plusieurs partenaires et intervenants comme d'autres ministères fédéraux, les provinces et les territoires, les entreprises, les syndicats, les communautés, les familles, les organismes bénévoles et les établissements d'enseignement, pour ne nommer que ceux-là.
[Français]
Les occasions pour collaborer en matière d'alphabétisation entre le gouvernement du Canada et les partenaires sont nombreuses, ce qui démontre le rôle important de chacun.
[Traduction]
En terminant, je voudrais vous remercier de m'avoir fourni l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui et de vous avoir donné un aperçu des programmes canadiens d'alphabétisation. Nous nous ferons un plaisir de répondre aux questions que vous, honorables sénateurs, pourriez avoir sur le sujet.
[Français]
Le sénateur Champagne : Je voudrais d'abord émettre un souhait, celui que nous puissions recevoir une copie des textes que vous avez lus. Ils contiennent des précisions que j'aimerais bien relire. À l'écoute de votre exposé, on a presque l'impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que lorsque nous parlons avec des gens sur le terrain, tous en ce moment sont en panique. Ils s'inquiètent à savoir s'ils recevront à nouveau des fonds pour survivre ou poursuivre leur travail. Quand sauront-ils ce qu'il en est vraiment? Ont-ils raison de paniquer selon les programmes que vous avez à administrer?
Mme Thivierge : Ma présentation comprenait un survol des différents programmes qui contribuent à la question de l'alphabétisation fédérale.
En ce qui a trait au programme du ministère des Ressources humaines et du Développement social, particulièrement l'alphabétisation, lorsque le gouvernement a annoncé sa décision en septembre dernier, il a été très clair sur la direction que le programme allait prendre. Il demeure que le programme a actuellement un budget de 81 millions de dollars sur deux ans, c'est-à-dire cette année et l'année prochaine. Il a été aussi annoncé, au même moment, que tous les appels d'offres qui s'étaient terminés à la mi-septembre iraient de l'avant, c'est-à-dire que toutes les propositions reçues par le gouvernement en septembre 2006 allaient être évaluées et revues et c'est ce qui se passe au ministère actuellement. Nous sommes en train d'examiner les propositions par le biais des différents appels d'offres.
Le sénateur Champagne : Les gens demeureront donc dans l'incertitude. C'est le cas de Metropolis Bleu, à Montréal. Ces gens se demandent s'ils doivent tout effacer et recommencer. Le ministère n'est pas encore prêt à nous dire si nous pouvons continuer ou alors dommage, allez frapper à une autre porte. On en est là finalement.
Mme Thivierge : D'abord, dans un premier temps, la décision que nous sommes à mettre en œuvre, en tant que fonctionnaires, était très claire. Il y a un budget de 81 millions de dollars sur deux ans. Cela dit, les propositions ont été reçues et on se doit de revoir tout ce qui a été reçu au ministère.
Le sénateur Champagne : Je ne vous blâme pas en tant que fonctionnaire, la décision n'a pas été prise par vous. Vous devez maintenant étudier tous les projets qui vous ont été présentés. Je suis consciente que cela ne se fait peut-être pas du jour au lendemain. Mais je voulais vous transmettre le souhait de ceux qui attendent et qui ont hâte de savoir dans quelles eaux ils nagent tout simplement.
[Traduction]
M. Treusch : En tant qu'administrateurs de ce programme, nous savons avec certitude, depuis septembre et depuis l'été, combien de fonds seront alloués au programme pour les deux prochaines années. Nous avons de nouvelles règles d'administration. Évidemment, notre position actuelle est de faire des recommandations en vue d'une décision sur les demandes que nous avons en main. Pour nous, l'urgence de la situation est manifeste, à la lumière de la situation des groupes.
Le président : Pouvez-vous nous dire ce que ces 17,7 millions de dollars représentent? Comment en êtes-vous arrivés à ce chiffre? Où est la réduction?
M. Treusch : Dans ma déclaration d'ouverture, j'ai décrit la base du programme. Si l'on ajoute ces 17,7 millions aux 81 autres millions de dollars, on obtient la somme dont nous aurions disposé avant que cette modification ne soit apportée au financement pour l'ensemble des deux ans.
Pour arriver à ces chiffres, nous avons dû examiner la situation à l'échelle du gouvernement, de tous les ministères et des programmes, afin de trouver le moyen d'atteindre le but du gouvernement de réaliser des économies d'un milliard de dollars.
Le président : Il n'y avait pas de programmes ou de services particuliers visés. C'est un calcul pour essayer de réaliser des économies de tant à l'échelle du gouvernement, est-ce bien ce que vous me dites?
M. Treusch : Si je comprends bien, il n'y avait pas d'objectifs pour les ministères. C'était un examen des programmes en fonction des critères fixés par le gouvernement.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais poser ma question en deux parties. Je ne pense pas l'avoir écrite correctement. À combien s'élèvent les réductions totales que RHDSC a dû encaisser sur deux ans?
M. Treusch : Permettez-moi de vous répéter les deux phrases. Encore une fois, tous ces chiffres apparaissent dans le communiqué de presse que le gouvernement du Canada, plus précisément le ministre des Finances et le président du Conseil du Trésor, ont publié le 25 septembre, non seulement pour ce ministère, mais pour d'autres aussi. Pour RHDSC, les réductions de dépenses sont de 32 millions de dollars pour l'année en cours, 2006-2007, et de 75,5 millions de dollars pour l'année à venir, 2007-2008. Il faut mettre tout cela dans le contexte de notre budget, qui est d'environ 80 milliards de dollars pour l'année en cours. Le budget du Programme d'apprentissage, d'alphabétisation et d'acquisition des compétences essentielles pour les adultes, qui correspond clairement aux visées de ce comité, a été réduit de 17,7 millions de dollars. Cette réduction est répartie sur deux ans, soit la base de l'exercice, ce qui laisse 81 millions de dollars pour le programme au cours des deux mêmes années.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-il exact que RHDSC a vu son budget réduit d'environ 80 millions de dollars? Je me trompe. C'était de 108 millions de dollars.
M. Treusch : C'était de 107,5 millions de dollars, en effet, madame le sénateur.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il me semble que près de 20 p. 100 de cette réduction, ou du moins une grande partie, est allée à l'alphabétisation. Si la réduction est de 108 millions de dollars pour tout le ministère et que l'on réduit le budget de l'alphabétisation de 17,7 millions de dollars, cela représente une diminution totale de 17 ou de 18 p. 100. Le pourcentage de réduction pour l'alphabétisation représente quel pourcentage des réductions totales de RHDSC?
M. Treusch : Il s'agirait du chiffre qu'on obtient en divisant 107,5 millions de dollars par 17,7. Je pense que cela correspond à environ 17 p. 100.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je trouve que c'est une immense réduction et un énorme pourcentage. À RHDSC, je suppose que vous avez des centaines de programmes. L'alphabétisation n'en est qu'un. N'est-ce pas là un très grand pourcentage de vos réductions totales?
M. Treusch : C'est une excellente question, madame. J'ai donné le chiffre de 80 milliards de dollars. Pour un ministère comme RHDSC, environ 90 p. 100 des fonds — pour l'année en cours — vont à des programmes obligatoires comme l'assurance-emploi, le Régime de pensions du Canada, la Sécurité de la vieillesse, les prêts étudiants, dont la base de financement est obligatoire. L'examen de ces programmes est très axé sur les subventions et les contributions votées, ce qui nous laisse encore moins d'argent. De mémoire, il reste peut-être 1,2 milliard de dollars au ministère. Les fonctionnaires prodiguent des conseils aux ministres pour les aider dans ces décisions de réaffectation très difficiles. Aujourd'hui, notre sujet est l'alphabétisation et les compétences essentielles, mais il y a d'autres programmes qui visent les Autochtones, les personnes ayant des handicaps et d'autres, donc tous ces groupes ont leur clientèle. Le point central ici n'était pas la clientèle, mais l'efficacité des dépenses. C'est sur cette base que les décisions ont été prises.
Pour terminer, si cela peut vous aider, je vous dirai que cette réduction n'est pas la plus grande contribution de notre ministère à cet effort, ni la plus petite.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne suis pas certaine de comprendre ce que vous voulez dire. Y a-t-il d'autres programmes dont le financement a été réduit autant que celui pour l'alphabétisation?
M. Treusch : En montant réel ou en pourcentage?
Le sénateur Trenholme Counsell : En pourcentage.
M. Treusch : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pouvez-vous nous dire quel autre programme a été réduit de 17 p. 100?
M. Treusch : Le programme Placement carrière-été.
Le sénateur Trenholme Counsell : De combien de pourcentage a-t-on réduit le financement pour les emplois étudiants?
M. Treusch : Je ne connais pas le pourcentage par cœur, mais je connais le chiffre.
Le sénateur Trenholme Counsell : Le programme des étudiants a été réduit de plus de 17 p. 100 et celui pour l'alphabétisation est le deuxième qui a été le plus réduit. Est-ce bien cela?
M. Treusch : En chiffres, la plus grande contribution de RHDSC à ces réductions est celle du programme Placement carrière-été 2007-2008.
Le sénateur Fairbairn : Je connais bien toutes les activités importantes de RHDSC. Il s'agit d'un regroupement de divers ministères qui ont été fusionnés au fil des ans. Dans le domaine de l'alphabétisation, le Secrétariat national à l'alphabétisation illustrait bien le dicton « petit train va loin ». Il fait dorénavant partie de cet ensemble plus vaste.
Les sommes dont nous parlons ne semblent peut-être pas élevées, mais elles représentent beaucoup pour les personnes sur le terrain, qui travaillent à cet enjeu et qui ont reçu longtemps de l'aide directe du gouvernement au moyen d'ententes fédérales-provinciales et de diverses initiatives de collaboration. Cela semblait parfois bizarre, mais cette collaboration permettait à tout le monde de savoir exactement quels seraient les programmes et lesquels seraient les plus efficaces. C'était le fondement même de notre travail d'un bout à l'autre du pays, et il ne fait aucun doute que cela ne paraît pas à Ottawa. Cependant, sur le terrain, dans les villes et les villages, c'est l'un des programmes les plus importants. Le sénateur Trenholme Counsell le sait très bien, tout comme bien d'autres sénateurs qui sont ici aujourd'hui.
Ce qui me dérange, c'est qu'on semblait vouloir contribuer davantage à ces mesures, à la lumière des discussions qui ont eu lieu sur l'accord pancanadien avec les provinces pour essayer de faire mieux. Au Sénat, nous lisons ce qu'on nous écrit et nous écoutons ce qu'on nous dit. Le téléphone a donc commencé à sonner, et beaucoup nous ont exprimé leur grande angoisse sur le terrain. J'aimerais croire qu'il n'est pas nécessaire d'angoisser autant. J'aimerais savoir quelle est la position des coalitions, celles qui travaillent avec les organismes qui forment des personnes de tous les âges et de tous les milieux, si nous ne pouvons pas honorer cette partie de nos engagements passés.
Mme Thivierge : Lorsqu'il a pris sa décision, le gouvernement a également décidé que toutes les ententes signées seraient honorées et que le gouvernement respecterait les priorités qu'il s'était fixées conjointement avec les provinces et les territoires, afin d'autoriser des appels de propositions et d'examiner toutes les propositions reçues.
Ce programme est financé dans le cadre de projets. Les organismes nationaux, provinciaux et locaux sont admissibles conformément aux modalités du programme. Je ne sais pas si j'ai tout à fait compris votre question, mais comme je l'ai déjà dit, il y a un budget de prévu pour financer les programmes des organismes du pays. Cependant, le gouvernement a décidé de recibler le financement des programmes non seulement sur les priorités nationales, mais aussi sur les projets qui peuvent générer des résultats concrets et mesurables pour les apprenants. C'est l'orientation selon laquelle nous mettons en œuvre la décision du gouvernement.
Le sénateur Fairbairn : Merci beaucoup. Pour les gens sur le terrain, ce n'est pas très rassurant. Quelle que soit la perception qu'il y a à Ottawa sur ce qui est important, toutes ces personnes sont en apprentissage et craignent dorénavant de ne plus pouvoir poursuivre leur apprentissage pour avoir un emploi et une vie décents. Ils craignent, tout comme nous, que ces ententes et ces partenariats soient laissés de côté pour que l'argent soit utilisé de façon beaucoup plus serrée. Est-ce le cas? Nous savons toutes les deux qu'il y a beaucoup d'inquiétudes au pays. Tout le monde voit bien qu'il y a un gros morceau qui est parti et qu'il était au cœur même du mouvement de l'alphabétisation au Canada.
M. Treusch : Je vais souligner deux choses, madame le sénateur. Je vais comparer mon travail à cet égard avec le vôtre. En gros, il y a quelques éléments que nous essayons de faire valoir dans le témoignage du gouvernement aujourd'hui. Il y a d'abord la source du financement disponible. Il y a déjà des règles en place, de même que des paramètres de financement. Nous allons administrer ce programme en mettant l'accent sur l'efficacité, en tenant compte de la dernière évaluation et en aspirant à des résultats tangibles et concrets, à la lumière, bien sûr, des priorités nationales.
L'autre message que nous véhiculons, c'est que l'ampleur de cet enjeu, qui se dégage de l'étude, a été bien définie. Un problème aussi vaste et complexe ne peut être réglé par un seul ministère, un seul gouvernement, un seul programme ni par toutes les bonnes personnes membres de ces organismes et leur travail. Il faut plutôt que le gouvernement s'attaque au problème sur divers fronts. C'est la raison pour laquelle j'ai mentionné Avantage Canada et certaines des mesures que nous prenons au chapitre de l'éducation officielle, des compétences, des mesures déployées avec les Autochtones et de l'intégration des immigrants. Quand un problème est si vaste, il faut mettre le plus possible l'accent sur son ampleur afin de nous doter de stratégies pour le résoudre. Il n'y a aucun programme ni outil qui ne peut suffire à lui seul.
Le sénateur Fairbairn : Je le comprends bien, et certains de vos propos me laissent croire qu'il y a beaucoup d'argent et de mesures de soutien à un certain niveau. Cependant, il y en a un autre, soit celui qui fait l'objet de ces discussions. Nous entendons les témoignages des personnes qui seront touchées et nous sommes inquiets. Nous ne pointons pas RHDSC du doigt, mais nous nous inquiétons pour les personnes sur le terrain, qui sont bien loin des sentiers battus, qui font bien des tentatives et qui n'arrivent pas à réussir dans les écoles. Elles ont besoin d'un enseignement individualisé. En bout de ligne, ce seront les grands oubliés, de sorte qu'il sera encore plus difficile pour nous d'aider les plus mal en point à améliorer leur situation, comme nous en avons tellement besoin.
M. Treusch : Leurs témoignages sont importants.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais revenir à cette réduction de 17,7 millions de dollars. Cela signifie qu'on a perdu environ 8,9 millions de dollars cette année. À quoi correspondent ces 8,9 millions cette année? Où les réductions ont- elles frappé?
M. Treusch : Je vais essayer de préciser certaines choses. Aucun élément de programme n'a encore été touché directement. Il s'agit d'un fonds que les administrateurs du programme administrent, donc les sommes qu'ils administreront d'ici la fin de l'année et l'année prochaine seront réduites d'autant. Cette annonce pousse les administrateurs du gouvernement à mettre l'accent sur l'efficacité des projets. Comme au cours des années précédentes, les gens font des propositions, qui sont évaluées en fonction de leur mérite, on formule des recommandations et des décisions sont prises. Ma collègue a mentionné les changements par rapport aux conclusions de l'évaluation de 2002- 2003. En ce sens, il n'y a encore eu aucune réduction.
Le sénateur Callbeck : Quand saurons-nous à quoi correspondront ces 8,9 millions de dollars?
Mme Thivierge : Pour commencer, ces 17,7 millions de dollars sont répartis en 5,8 millions pour cette année et 11,9 millions pour le prochain exercice. Ce sont les chiffres officiels. Concernant ce que mon collègue vient de dire, les ententes qui ont été signées resteront en vigueur et seront honorées. Pour ses décisions futures quant au programme, le gouvernement a clairement indiqué qu'il aspirerait à des résultats tangibles et mesurables pour les apprenants. C'est dans cette optique que les décisions seront prises ou que les fonds restants seront attribués. Cependant, les ententes signées et les engagements juridiques qui ont cours seront honorés. Le financement est réduit de 5,8 millions de dollars pour les décisions futures qui seront prises au cours de l'exercice.
Le sénateur Callbeck : Parlons des décisions futures. Le sénateur Fairbairn a parlé des ententes fédérales- provinciales, qui fonctionnent bien. Parfois, nous entendons parler de programmes pour lesquels les relations fédérales- provinciales ne sont pas très bonnes, mais dans ce cas-ci, elles le sont. On peut dire que les relations entre les provinces et le gouvernement fédéral dans le contexte de ce programme sont excellentes. Vous avez dit qu'il y avait de nouvelles règles. Vous avez demandé des propositions. L'Île-du-Prince-Édouard obtient environ 300 000 $ tous les ans, et je pense que les gens de la province espèrent obtenir 325 000 $ l'an prochain grâce à une subvention fédérale-provinciale. Cette proposition est sur la table depuis longtemps. Il reste six semaines avant la fin de l'exercice. Quand l'examen des propositions selon les nouvelles règles sera-t-il terminé pour que la province de l'Île-du-Prince-Édouard, par exemple, sache si elle obtiendra cette subvention de 325 000 $?
Mme Thivierge : J'aborderai premièrement la question du partenariat entre les provinces et les territoires. Cette année, pour 2006-2007, les priorités ont été établies conjointement par le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires. Des appels de proposition ont été lancés partout au pays pendant l'été et ont pris fin à la mi-septembre. Nous en sommes maintenant à l'examen et à l'évaluation des propositions reçues.
Le sénateur Callbeck : En d'autres mots, vous n'avez aucune idée du moment où vous recevrez une réponse. Vous mettez ces gens dans une situation difficile, car ce n'est qu'une question de semaines avant que leurs fonds soient épuisés. Pensez-vous qu'ils peuvent le savoir dans une semaine ou seulement au mois d'avril?
Mme Thivierge : Des comités d'examen externes étudient toutes les propositions. Des spécialistes du domaine, des représentants des gouvernements provinciaux ainsi que quelques experts techniques sont à la disposition des comités d'examen composés d'experts pour répondre à leurs questions. Ces comités ont procédé à l'étude des propositions jusqu'en janvier. Je comprends votre point de vue, madame, mais les communautés, les provinces et le gouvernement fédéral ont jugé utile, comme lors des années précédentes, de former ces comités d'examen composés d'experts. Ce travail est terminé, et nous en sommes à la prochaine étape, qui consiste à faire l'évaluation finale.
Le sénateur Callbeck : Combien de temps cela prendra-t-il?
Mme Thivierge : On fait l'examen de toutes les propositions en ce moment même. Nous avons reçu — je n'ai pas en main le chiffre exact — plus de 400 propositions à la suite du lancement des appels. Elles ont été étudiées conformément au processus d'examen régulier. En tant que responsables du Bureau national d'alphabétisation, nous examinons les dossiers selon la procédure établie, comme cela a été le cas dans les années précédentes.
Le sénateur Callbeck : En d'autres mots, vous dites que les fonds peuvent s'épuiser — en fait, c'est ce qui arrivera à la fin du mois de mars — et que les gens ne sauront pas s'ils obtiendront un renouvellement ou non.
M. Treusch : Le ministère doit respecter les modalités régissant l'attribution des subventions et des contributions, ainsi que l'obligation de rendre des comptes. Nous demandons des propositions et, comme vous vous en doutez, nous devons les examiner et les évaluer de manière équitable selon des critères et en les comparant les unes aux autres. Ensuite, nous donnons une opinion et des décisions sont prises par rapport aux fonds qui nous sont affectés. Voilà la façon dont on procède généralement pour un programme de subventions et de contributions, que le budget soit important ou petit.
Dans le cas d'un organisme, comme celui que représente le témoin, dont le financement provient en grande partie d'une subvention ou d'une contribution du programme, la décision est importante. Nous comprenons cela, ainsi que l'angoisse qui y est rattachée, mais comme il a été dit, les modalités doivent êtres respectées, les décisions relatives au financement ont été prises et les demandes que Mme Thivierge a en main seront traitées.
Le président : Je vais poser une question complémentaire à ce sujet parce que la National Indigenous Literacy Association a signalé que ses fonds seront épuisés à la fin de l'année financière et qu'elle a présenté une demande de renouvellement, mais on nous dit que les négociations n'ont même pas commencé.
M. Treusch : Sans vouloir parler précisément de cet organisme ni de sa demande, je peux dire qu'il y a beaucoup de problèmes dans l'ensemble du gouvernement concernant la gestion des subventions et des contributions qui sont inhérents à deux impératifs. D'abord, il y a des attentes envers les gouvernements, les ministres et les fonctionnaires, soit d'améliorer la reddition des comptes et les mesures de contrôle — et ce pour des raisons dont le comité est bien au courant.
En même temps, il y a de plus en plus de préoccupations par rapport aux bénéficiaires des subventions et des contributions, particulièrement les organismes bénévoles et les petites organisations, tels que ceux représentés aujourd'hui.
Cela nous amène donc à parler du comité spécial dont le président du Conseil du Trésor a annoncé la mise sur pied. Il sera composé de spécialistes, qui se pencheront sur la façon dont les subventions et les contributions sont gérées dans l'ensemble du gouvernement et qui détermineront si on a créé un fardeau administratif excessif pour les bénéficiaires, en ayant établi des règles très strictes sur le plan de la reddition des comptes. Il a encore une fois été question du financement de projets, du respect des modalités variées des différents programmes et du financement changeant d'année en année. Ce sont de grandes questions pertinentes non seulement pour ce programme, mais aussi pour tous les programmes de subventions et contributions.
Mme Thivierge : Conformément à la politique du Conseil du Trésor, lorsqu'une décision est rendue concernant une aide financière, nous devons conclure un accord de subvention ou un accord de contribution, selon la nature du financement octroyé. Je suppose que lorsqu'on a parlé de négocier ou de discuter avec les responsables des programmes qui sollicitent un financement, on faisait allusion au fait que, une fois qu'on aura pris une décision, on communiquera avec un demandeur et on s'occupera de toutes les formalités conformément aux politiques du Conseil du Trésor sur l'octroi de financement et les conditions de reddition de comptes connexes.
Le président : N'empêche que cela suscite beaucoup d'anxiété et d'incertitude chez les organismes qui accomplissent un travail extraordinaire depuis longtemps.
Le sénateur Fairbairn : Qu'est-il arrivé à la stratégie pancanadienne élaborée lors d'une séance consacrée à l'enseignement et aux affaires il y a quelques années à Toronto? On avait fait une importante recommandation au Comité des affaires sociales de la Chambre qui, d'ailleurs, a été le tout premier dans l'histoire, il y a à peine quelques années, à mener une étude approfondie sur le sujet.
Je me demande si cette notion de stratégie pancanadienne fait toujours partie de vos plans. Je comprends que vous êtes dans une situation difficile, mais est-elle toujours à l'ordre du jour? Les provinces étaient très réceptives à l'époque.
M. Treusch : Il y avait différentes choses, sénateur. Parlez-vous du rapport de 2003 du comité permanent et de ses recommandations?
Le sénateur Fairbairn : Oui.
M. Treusch : Je sais qu'il y avait un rapport de comité parlementaire et des recommandations auxquelles le gouvernement de l'époque a donné suite. Depuis 2003, on a procédé à de nombreux changements au sein des gouvernements et des ministères, y compris à Ressources humaines et Développement des compétences Canada.
Nous avons fait des progrès à l'égard de certains aspects du rapport. Je peux difficilement dire si nous avons mis en œuvre toutes les recommandations contenues dans le rapport, mais ma collègue, Mme Thivierge, a passé en revue les programmes fédéraux. Par conséquent, nous avons essayé de renforcer nos liens en vue de l'adoption d'une approche fédérale plus vaste.
J'ai parlé du travail que nous avons fait à l'aide des données sur l'alphabétisation recueillies en 2003; je suis justement accompagnée d'un des experts en la matière. Nous avons consacré beaucoup de temps et d'efforts à rassembler les données et à les adapter à chacune des provinces. Nous avons beaucoup travaillé sur le volet international.
Plus concrètement, nous avons conclu qu'il y avait un taux élevé de sous-alphabétisation chez les nouveaux immigrants. Le gouvernement a pris des mesures et a fait plusieurs annonces concernant la formation linguistique améliorée. Il a investi dans le développement des compétences et de l'emploi des Autochtones — secteur où il est justifié d'intervenir, compte tenu de la gravité de la situation. À mon avis, le gouvernement a agi conformément au rapport du comité.
J'aurais dû également vous parler du rôle du Conseil des Arts sur l'apprentissage — dont ont fait mention certains députés et témoins — et du travail remarquable qu'il fait dans ce dossier.
Le sénateur Cochrane : Je veux attirer votre attention sur l'enquête qui révèle que 42 p. 100 des Canadiens n'atteignent pas le niveau d'alphabétisation nécessaire pour répondre aux besoins cognitifs de leur vie quotidienne. Pouvez-vous nous dire combien d'argent votre ministère a injecté dans les programmes d'alphabétisation entre 1994 et 2003 — soit les deux années où l'on a mené une EIACA?
Les résultats de l'enquête reflètent-ils exactement la réalité au Canada? Si oui, pourquoi ne voit-on pas d'amélioration dans le taux d'alphabétisation, avec tout l'argent investi dans les programmes? Où est le problème? Il y a forcément quelque chose qui cloche.
M. Treusch : C'est une excellente question, sénateur. Je vais toutefois vous décevoir avec la première partie de ma réponse. Malheureusement, je ne suis pas en mesure de vous donner le montant total consacré à l'alphabétisation de 1994 à 2003. Or, nous pourrions toujours vous en donner un aperçu en faisant un calcul sur le programme en question, mais il serait difficile d'aller plus loin.
Le sénateur Cochrane : Vous pourriez nous transmettre ce renseignement plus tard.
M. Treusch : Nous serons heureux de le faire, sénateur. Éplucher 10 années de dépenses fédérales ne sera pas une mince tâche, mais nous ferons de notre mieux pour vous trouver quelque chose de pertinent. Je m'y engage.
Le sénateur Cochrane : Quelque chose de concret?
M. Treusch : J'ai compris, sénateur — pas de tableaux.
Par ailleurs, j'ai écouté avec intérêt la question sur l'évolution de la situation au cours des dix prochaines années. Je ne vois pas sur quoi pourraient reposer ces prévisions.
Nous pouvons regarder ce qui s'est produit pendant la dernière décennie. Il y a différents facteurs en jeu ici. Nous savons, par exemple, qu'un nombre croissant de Canadiens reçoivent une éducation; et comme éducation rime avec lecture, écriture et calcul, il s'agit d'une tendance positive. Nous savons aussi que de plus en plus de gens poursuivent des études secondaires et universitaires; évidemment, cela contribue à réduire le taux de sous-alphabétisation. Il y a plusieurs autres facteurs qui laissent croire que la situation s'améliore.
Toutefois, le fait qu'il y a un taux élevé de sous-alphabétisation chez les nouveaux immigrants — et nous savons que le Canada est un pays d'immigration, ce qui nous différencie en quelque sorte des pays scandinaves — explique pourquoi les progrès sont moins spectaculaires que nous l'avions espéré.
De plus, il existe une forte corrélation entre l'alphabétisation et l'âge. Ce que je veux dire, c'est que plus les gens vieillissent, plus le taux est bas. Cela s'explique en partie par le niveau de scolarité moins élevé des personnes plus âgées.
On entre un peu plus dans les hypothèses, mais il y a aussi le fait qu'il faut utiliser ses connaissances au travail ou à la maison, sans quoi on finit par les oublier. Ce qui signifie qu'à mesure que la population canadienne vieillit, malgré une scolarisation accrue, elle est exposée à ce risque, qu'il ne faut pas négliger.
Je vais ajouter un autre facteur — qui est purement spéculatif, mais tout de même intéressant —, et c'est le fait que dans notre société, il y a toutes sortes de technologies, notamment la télévision et Internet, qui nuisent à l'acquisition de ces connaissances.
Par exemple, apprendre à faire des mathématiques à l'aide d'une calculatrice n'aura jamais été aussi facile, tout comme rédiger un texte à l'aide d'un vérificateur d'orthographe. On n'investit pas autant de temps et d'efforts dans l'apprentissage, et cela se reflète dans la société.
Le sénateur Cochrane : Lorsqu'on a annoncé, en septembre dernier, les changements concernant le financement, on a affirmé que le nouveau mandat du gouvernement fédéral visait les programmes nationaux. Vous avez affirmé que ces programmes auraient une incidence tangible sur les apprenants. Pourriez-vous nous dire ce que cela signifie? En quoi consistent ces programmes nationaux et dans quelle mesure le nouveau mandat permettra-t-il d'améliorer la situation?
Mme Thivierge : Le programme, lancé le 1er avril 2006, comporte quatre objectifs : la recherche et l'application des connaissances, le développement des capacités, l'élaboration de pratiques et d'outils innovateurs — d'autres témoins vous ont entretenu de la formation des alphabétiseurs et des nouveaux outils qui permettront aux apprenants d'acquérir des compétences dans des circonstances particulières —, ainsi que la promotion et la sensibilisation, dont nous avons parlé plus tôt.
Le gouvernement a indiqué qu'avec cette structure de programme et l'ensemble des activités prévues, il débloquera des fonds en fonction des résultats concrets obtenus. Le gouvernement fédéral n'a pas pour responsabilité directe première d'assurer la formation. En vertu du programme, nous avons ce que nous appelons des services complets. Nous fournissons à l'apprenant tous les outils nécessaires et les provinces veilleront à la formation. Dans son annonce, le gouvernement a également dit que pour les autres décisions concernant le financement, les responsables des programmes admissibles à un financement devront clairement démontrer en quoi ils peuvent venir en aide à l'apprenant. C'est la consigne qu'on a donnée.
Le sénateur Callbeck : Si je ne m'abuse, vous avez déclaré que 81 millions de dollars serviront à financer les programmes d'alphabétisation cette année, n'est-ce pas?
M. Treusch : Oui, mais c'est également pour l'année prochaine.
Le sénateur Callbeck : Une fois que vous aurez décidé à qui ces fonds seront alloués pour cette année — car la fin de l'exercice arrive à grands pas —, pourriez-vous en informer le comité, s'il vous plaît?
M. Treusch : Sans hésiter, je vous dirais « oui », sénateur, mais sachez que toute décision qui est prise concernant les subventions et les contributions visant des programmes est rendue publique. Toutefois, nous allons nous assurer que cette information vous aura bien été transmise.
Le président : J'ai une autre question, monsieur Treusch, concernant l'EIACA, au chapitre de l'immigration. Si une personne s'établit au Canada, elle a beau être alphabétisée et avoir atteint un niveau 3, ses compétences linguistiques ne seront pas nécessairement bonnes. Si, à cause d'un mauvais anglais ou français, des immigrants sont relégués au niveau 1 ou 2, font-ils partie des 42 p. 100 de gens qui ont des difficultés de lecture et d'écriture?
M. Treusch : C'est une question extrêmement importante, et j'espère être en mesure de bien y répondre. Un immigrant qui arrive au Canada doit démontrer une certaine maîtrise de l'une ou l'autre des deux langues officielles. C'est ce qu'exige notre système d'immigration. Notre pays a réussi à attirer un très grand nombre d'immigrants très scolarisés; en fait, cela dépasse même la norme canadienne. Je sais que c'est un peu paradoxal, d'autant plus que les données révèlent que beaucoup d'immigrants possèdent de faibles capacités de lecture, d'écriture et de calcul. D'après ces données, cela s'explique par un problème linguistique ou des normes de qualité et des exigences différentes dans d'autres pays. Toutefois, mes connaissances ne me permettent pas de me prononcer davantage là-dessus. C'est une information que nous pourrions vous transmettre plus tard.
Le président : Est-il possible qu'une personne réponde aux normes d'alphabétisation du niveau 3 dans son pays d'origine et, à son arrivée ici, se situe à un niveau inférieur simplement à cause de sa langue?
M. Treusch : Tout à fait.
Le président : Dans ce cas, beaucoup de personnes pourraient se retrouver dans cette situation.
[Français]
Le sénateur Pépin : Si j'ai bien compris, vous voulez un programme efficace. Quand on vous écoute, il semble que vous voulez un programme bien encadré. Est-ce que vous aurez suffisamment de lignes directrices pour que les gens sachent où ils s'en vont et comment ils peuvent faire une demande? Actuellement, ma perception est qu'il y a beaucoup de programmes, que tout le monde travaille, que c'est éparpillé, que vous avez décidé de resserrer les rangs. Aurez-vous des directives spécifiques pour que les gens sachent exactement où ils vont se loger et s'ils auront leur argent?
Mme Thivierge : Lorsque nous faisons des appels de proposition en vertu du programme, ces appels sont très clairs sur les priorités, sur les exigences, sur ce qui est recherché et sur ce que les organismes intéressés doivent démontrer en termes de précision. Oui, par le passé — et même dans les appels de proposition qui se sont terminés en septembre dernier —, pour chacune des provinces où il y a eu un appel, les priorités étaient très claires. Les exigences étaient quand même très précises. En septembre, le gouvernement a ajouté une lentille supplémentaire. Effectivement, un appel de proposition aura des précisions sur cette lentille supplémentaire.
Le sénateur Pépin : On sait tous qu'il y aura une diminution dans les budgets. Les gens sont d'autant plus angoissés. Vous nous avez dit que depuis septembre 2006 vous faites la révision des demandes d'application — et l'annonce a été faite un peu plus tard —, espérons que tout va bien fonctionner. Cependant, on a l'impression qu'il y a une restructuration suite à la diminution des budgets. J'ai peut-être mal compris, mais c'est ma perception.
Le sénateur Chaput : Je comprends très bien que vous avez reçu des indications très claires du gouvernement sur la direction qu'il voulait que vous preniez, et vous avez eu à faire votre travail. Je n'ai aucun problème avec cela parce que c'est la réalité. Ce que je comprends moins, c'est tout le temps que cela prend pour réorganiser, pour améliorer, pour parler de qualité, d'efficacité et de quantité. Vous dites qu'il n'y a pas de compressions budgétaires, je comprends, mais les groupes n'ont encore rien reçu et ils ne savent pas s'ils vont recevoir. Une dame me disait il y a quelques semaines : « Moi, le mois prochain, il n'y a plus d'argent pour que je puisse payer une telle personne. » Puis elle, elle a un loyer et la garderie de ses enfants à payer et elle ne peut pas payer, donc elle va partir. Effectivement, elle est partie. C'est une réalité qu'il faut envisager parce que c'est ce qui se passe. Ce n'est pas votre faute, je ne vous blâme pas, mais c'est une réalité.
Vous parlez de nouveaux focus et d'appels de propositions pour des projets. Le mot « projet » m'inquiète. Est-ce qu'un projet veut dire un projet ponctuel avec un début et une fin, très ciblé, une année à la fois? Si c'est le cas, nos organismes et nos groupes, qu'ils soient nationaux ou locaux, ne pourront plus planifier et penser à long terme. Ils vont être essoufflés à développer, continuellement chaque année, des projets en fonction de critères qui n'ont peut-être même pas été établis pour leurs propres besoins. J'ai peur des projets.
Je viens d'une communauté francophone dans une situation minoritaire. J'ai 30 ans d'expérience de projets chez moi au Manitoba avec les groupes communautaires et non seulement cela tue des initiatives, mais cela fait mourir les gens à petit feu.
Si c'est la direction que vous allez prendre, vous ne pourrez pas arriver à mesurer et à évaluer quelque chose, parce qu'ils ne seront plus là. Ce n'est rien contre vous, mais c'est ce qui m'inquiète.
Mme Thivierge : Je peux réagir brièvement en disant que les trois programmes fondateurs du programme actuel opéraient effectivement sur une base de projets. La direction actuelle d'opérer sur une base de projets avec un début et une fin, n'est pas une nouvelle réalité pour les organismes. Des projets peuvent et se sont échelonnés sur plusieurs années. Rien n'est prescrit dans les modalités du programme pour dire que ce n'est que pour une année. En vertu du programme, on a financé des initiatives ou des projets sur une période qui pouvait être de 18 mois, deux ans ou trois ans. Ce n'est pas dans la décision de cibler davantage sur l'apprenant la notion de projets, ce n'est pas une nouvelle réalité pour les organismes.
Le sénateur Chaput : Je comprends, mais vous nous dites que cette notion de projets continuera possiblement à être ce qu'elle était auparavant. Cela pourrait être une initiative de plus d'un an. Le groupe pourrait demander et recevoir du financement de un, deux ou trois ans, comme dans le passé ou est-ce que c'est fini?
Mme Thivierge : Il n'y a rien de prescrit actuellement dans les modalités du programme qui limite la durée d'un projet. Cela dépend de l'organisme qui fait une proposition de déterminer un projet dont la durée peut être plus ou moins longue avec des résultats bien concrets.
[Traduction]
Le sénateur Keon : Je ne voudrais pas sous-estimer l'ampleur de votre problème, mais jusqu'à présent, je n'ai rien entendu de particulièrement encourageant. Je trouve que ce que vous faites laisse un peu à désirer. Vous misez beaucoup trop sur les mesures sans pratiquement tenir compte des résultats. Rien ne m'indique que vous comparez des groupes, par exemple, d'Autochtones et d'immigrants de première génération, et que vous établissez des modèles expérimentaux et de contrôle pour mesurer vos résultats.
Je crains que le programme lui-même soit anachronique. Autrement dit, vous établissez une bureaucratie dans laquelle il sera impossible pour un immigrant de première génération ou un Autochtone d'obtenir un poste comme le vôtre par exemple. Vous évaluez leurs compétences, mais rien ne prouve que vous puissiez les améliorer.
Je suis désolé, mais je considère que c'est du déjà vu, et que cela ressemble à notre système de santé; tout notre argent sert à réparer les pots cassés plutôt qu'à le rendre réellement efficace. J'espère que vous prendrez un peu de temps pour y réfléchir et arriverez à élaborer un système qui vous permettra de mesurer ce que vous faites.
M. Treusch : C'est tout un défi. J'aimerais revenir aux deux questions que vous avez soulevées : tout d'abord, il y a les conclusions de l'évaluation auxquelles nous avons fait allusion. Il s'agit d'un document volumineux, qui a été rendu public. Malgré toutes ces dépenses, la mise en œuvre de ce programme et le bon travail des intervenants, nous n'avons pas encore vu le fruit de nos investissements et de nos efforts. Vous savez à quel point c'est difficile à faire dans ce domaine. Si c'est ce que vous dites, sachez que c'est aussi ce que nous pensons, et nous en avons parlé plus tôt.
Ensuite, j'espère avoir bien compris vos propos, mais je crois que tous ceux qui se sont penchés sur le problème savent qu'il faut d'abord et avant tout investir dans le développement de la petite enfance, si je puis dire, au lieu de s'efforcer de corriger le tir après coup, ce que beaucoup de personnes tentent de faire avec l'alphabétisation des adultes. Dans le fond, ce que vous dites, c'est qu'il faut faire les investissements appropriés dans le développement de la petite enfance; avoir en place un système scolaire primaire et secondaire qui permet aux gens d'apprendre à lire, à écrire et à compter; et continuer d'inciter les gens à poursuivre des études supérieures. De plus, il faut encourager la formation continue, c'est-à-dire l'acquisition et l'application de connaissances en milieu de travail et tout au long de la vie. Selon moi, c'est ce qu'il faut faire. Enfin, comme j'ai tenté de l'expliquer plus tôt, aucun établissement, gouvernement ou programme ne peut promouvoir cette approche ambitieuse d'apprentissage permanent.
L'idée de comparer des groupes et de réaliser des analyses expérimentales n'est pas mauvaise. Toutefois, en tant que fonctionnaire dans un ministère qui mène ce genre d'analyses, je peux vous dire qu'elles sont extrêmement coûteuses et ne donnent pas de résultats rapidement. Nous sommes justement en train de réaliser des expériences de calibre mondial. Nous devons investir énormément de temps et d'argent, et cela prend des années avant que nous puissions en tirer des conclusions. Les gens n'ont habituellement pas la patience pour ce genre d'investissements.
Le sénateur Keon : Je suis ravi d'entendre cela. Je sais qu'il n'y a pas de solution miracle et que cela prendra beaucoup de temps.
J'imagine que les candidats aux subventions doivent vous expliquer comment ils mesureront leurs résultats. S'ils n'arrivent pas à le faire, vous devriez créer une équipe pour leur venir en aide. De cette façon, nous réussirons à accomplir quelque chose de tangible.
M. Treusch : J'en prends bonne note, sénateur.
Le président : C'est tout le temps que nous avions. Merci beaucoup à vous deux.
La séance est levée.