Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 6 - Témoignages du 21 février 2008 - Séance du matin
IQALUIT, le jeudi 21 février 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 7 pour examiner, afin d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
[Certains témoignages présentés en inuktitut ont été entendus par l'intermédiaire d'un interprète.]
La présidente : Bonjour à tous ceux qui se joignent à nous par ce temps merveilleux. Bonjour chers collègues, en déplacement depuis plusieurs jours maintenant.
Nous allons commencer nos délibérations par une prière dite par un des aînés qui s'est joint à nous aujourd'hui, Enopik Sigeatuk.
[Prière d'ouverture dite par l'aîné Enopik Sigeatuk]
Merci beaucoup, Enopik Sigeatuk, de participer à l'ouverture de la séance d'aujourd'hui. Je sais que tous mes collègues conviendront que c'est une très bonne façon d'ouvrir la séance de notre comité dans ce coin merveilleux de notre pays.
Je tiens d'abord à saluer mes collègues et tous ceux qui sont venus écouter les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts sur la pauvreté rurale et le déclin rural ou qui vont y participer. Je tiens à remercier tout particulièrement notre collègue, le sénateur Willie Adams, qui ne cesse de nous aider à mieux comprendre cette région du pays. Chaque fois que nous avons besoin de lui, il est là et c'est un très très bon ami depuis bien des années. Merci, Willie, de tout ce que vous avez fait.
En mai 2006, le Sénat a autorisé le comité à examiner, pour en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. Depuis lors, nous avons diffusé un rapport intérimaire. Nous nous sommes rendus dans chaque province du Canada. Nous avons entendu les représentants de 19 collectivités rurales et nous nous sommes entretenus avec 270 particuliers et organisations, y compris des experts d'autres pays.
Nous avons trouvé très important de venir dans les territoires, à l'est comme à l'ouest. Nous sommes sur le point de terminer notre rapport et nous devons nous assurer de ne pas nous tromper. Voilà pourquoi nous sommes venus en personne entendre le récit de vos expériences et de vos inquiétudes ici dans vos collectivités, notamment l'expérience de ceux qui y éprouvent des difficultés.
Nous voulons également écouter attentivement ce qu'ont à dire ceux qui travaillent très fort pour donner aux citoyens la chance de bâtir une vie confortable pour eux-mêmes, leur famille, dans cette magnifique région du pays. J'ajoute que c'est notre dernier jour de séance dans le Nord. Notre voyage a été tout à fait épatant. Aujourd'hui marque une façon toute spéciale de le conclure. Soyez assurés que le récit de vos expériences et de votre situation unique trouvera sa place dans notre rapport final, que nous espérons publier au printemps.
Coordonnateur de l'extension des services pour la paroisse St. Simon et St. Jude, Soupe populaire d'Iqaluit; nous accueillons également le lieutenant Carol-Anne Scott, directrice de l'Armée du Salut du Nunavut, Iqaluit, et directrice du refuge pourles sans-abri. M. Nettleton est également avec nous.
Cyrus Blanchet, coordonnateur de l'extension des services, Soupe populaire d'Iqaluit, paroisse de St. Simon et St. Jude : Bonjour. C'est un honneur d'être ici. Je ne verrai jamais les sénateurs de plus près.
Je suis arrivé ici à l'autonome de 2006 pour travailler à l'extension des services de l'Église anglicane, notamment à la soupe populaire et à la prison. Là-bas, j'officie au service du dimanche. Nous avons une librairie et une boutique de cadeaux de même qu'une église. J'aide également aux services réguliers à l'église.
La soupe populaire fournit un repas quotidien à quiconque en a besoin. La plupart des clients de la soupe populaire sont des sans-abri, presque sans-abri ou des pauvres. Pendant la semaine, le repas du midi est servi et il comprend des sandwiches et une soupe nourrissante. En fin de semaine, un repas chaud plus nourrissant est préparé et peut être constitué d'un ragout, d'un plat de poulet ou de dinde avec pommes de terre et légumes, de lasagne ou de spaghetti. Au jour le jour, nous servons entre 25 et 40 habitants d'Iqaluit. Pour beaucoup d'entre eux, c'est probablement leur seul repas de la journée. C'est un repas complet servi à la table. Nous servons des enfants également, des enfants qui parfois sont accompagnés d'adultes.
Nous recevons pour l'achat de nourriture des fonds du programme Grandir ensemble et du Programme pour des collectivités en santé. Nombre de nos bénévoles participent à la préparation de la nourriture pendant la semaine et la fin de semaine. Ce matin même ils s'affairent à préparer les sandwiches.
La Société Qikiqtaaluk a été très généreuse et par le passé elle a nous fourni gratuitement un local dans l'immeuble 1041, qui est juste derrière nous, à un pâté de maisons environ. La société a également payé les charges, les réparations et l'entretien de l'immeuble dont le coût est partagé en collaboration avec la société Qikiqtani inuit. La Société Uqsup, a un marchand de mazout local, fournit gratuitement l'immeuble en mazout. Actuellement, nous sommes en train de construire une nouvelle soupe populaire située sur des terres appartenant à l'église, données par la paroisse de St. Simon et St. Jude. Nous aurons également un magasin d'aubaine. Bien des gens nous ont aidés. À part ceux que j'ai cités, il y a également North Mart.
Les repas quotidiens sont préparés à la salle paroissiale, passée l'église, juste à côté. Les bénévoles vont chercher la nourriture, l'apportent sur place, servent les repas et font le nettoyage ensuite. Quand je suis arrivé, je n'en croyais pas mes yeux. J'étais dehors par un jour froid et venteux, en train de mettre la soupe dans le coffre d'une Suzuki, et je me suis dit qu'il y avait peut-être moyen de faire autrement.
La Société Qayuqtuvik est constituée de bénévoles qui participent activement à toutes les activités de la soupe populaire. C'est un programme d'extension des services de St. Simon et St. Jude et nous offrons aussi d'autres services. Nous parlons avec nos clients et nous offrons de l'aide quand c'est possible. Le local actuel n'est pas propice à la prestation d'autres programmes si bien qu'ils sont dispensés de façon temporaire. Dans le nouvel immeuble, nous offrirons plus de counselling et de formation.
Le programme a démarré suite à des consultations avec les aînés et des citoyens intéressés car il y avait un besoin croissant d'offrir de la nourriture aux sans-abri d'Iqaluit. Préparer la nourriture et trouver un local approprié ont été les deux premiers défis. Avec les années, la nourriture a été préparée par diverses compagnies et hôtels en ville, Nunavut Catering, le Frobisher Inn et Canada Catering. C'était exorbitant. Pendant un certain temps, la nourriture était distribuée à partir de l'arrière d'un camion quand il n'y avait d'autres installations disponibles.
Les nouvelles installations comporteront une cuisine pour la préparation de la nourriture et le service. Nous pourrons accueillir 60 personnes assises. Le magasin d'aubaine sera un partenaire, pour vêtir ceux qui en auront besoin.
Des entrepreneurs locaux et des bénévoles nous aident à la construction de l'édifice. Le Collège de l'Arctique nous aide par le biais du programme de formation du Centre correctionnel de Baffin. Ils ont fait un travail remarquable. La Société Kakivak a un programme de formation à l'intention des Inuits et elle nous a aidés également.
Nous fournissons un endroit non seulement pour que les gens y trouvent un repas mais également pour qu'ils puissent se réunir, surtout ceux qui traînent au North Mart ou au café, ceux qui n'ont pas où aller et qui n'ont pas beaucoup d'argent. D'ordinaire, l'atmosphère est très agréable. Les gens sont reconnaissants et certains sont d'une aide précieuse. Les enfants mangent un bon repas à midi avant de retourner en classe.
Grâce au suivi que nous avons fait, nous avons constaté qu'il y a moins de chapardage dans les magasins et que les gens sont en meilleure santé, puisqu'ils peuvent compter sur un repas fortifiant au moins une fois par jour.
Lieutenant Carol-Anne Scott, directrice de l'Armée du Salut du Nunavut à Iqaluit, et directrice du refuge pour les sans- abri : Bonjour. C'est un privilège de me trouver ici pour discuter avec vous de la situation de la pauvreté au Nunavut.
Je m'appelle Carole-Anne Scott et je suis un officier de l'Armée du salut. Je dirige le refuge Oqota pour sans-abri. Avec une capacité de 20 lits, le refuge est actuellement utilisé à pleine capacité. Ceux que nous accueillons n'ont plus de choix et comptent sur nous pour avoir un endroit sécuritaire et chauffé où se loger.
Certains habitants ont des emplois occasionnels, à temps partiel ou à temps plein, mais pour travailler il faut avoir une résidence. D'autres habitants ne peuvent travailler à cause de troubles psychologiques et de déficiences physiques, ou encore à cause d'un manque de compétences. Les travailleurs ne gagnent pas suffisamment d'argent pour se payer un logement, même si de tels logements existaient.
L'Armée du Salut a un centre de services communautaires et à la famille à Iqaluit. Nous aidons quelque 30 familles de diverses façons. Un certain nombre de ces familles logent chez d'autres gens parce qu'elles ne peuvent trouver un logement abordable.
Le logement est une préoccupation urgente aux yeux des habitants d'Iqaluit, même au Nunavut. Des femmes communiquent souvent avec nous à la recherche d'un abri. Nous les aidons en les logeant dans un hôtel pendant quelques jours, et tout récemment, nous avons logé une femme à l'hôtel pendant une semaine.
Les hommes, les femmes et les enfants errent d'une maison à l'autre, se cherchant un abri de fortune. Certaines femmes vont même se donner en échange d'une place dans un lit chaud. Ce comportement de survie est dégradant pour les habitants. Les femmes à la recherche de chaleur et de sécurité ne devraient pas avoir à renoncer à leur dignité à cause d'un manque de logements abordables. Dans bien des cas, lorsque les femmes sont obligées de partager un logement, elles-mêmes et leurs enfants sont exposés à des sévices.
Le gouvernement fédéral doit aider les gens en leur fournissant non seulement une stabilité financière mais également des logements abordables. Quand le gouvernement fédéral écoutera-t-il le peuple afin de freiner l'engrenage de la pauvreté avant qu'il ne touche une autre génération? Combien de victimes de plus faudra-t-il avant que ce soit trop? Quand verrons-nous l'aide et la guérison commencer?
Le coût de la vie est insoutenable au Nunavut. En ce qui concerne les classes sociales, la classe moyenne du Nunavut a déjà du mal à joindre les deux bouts, et on ne parle même pas des groupes à faible revenu, c'est-à-dire les chômeurs et les assistés sociaux.
Il existe au Nunavut un besoin pour certains programmes. Il faut des refuges et des maisons de transition pour les femmes ainsi que les mères et leurs enfants. Les hommes ont également besoin de maisons de transition, ce qui aiderait les gens dans le besoin et leur donnerait une orientation pour acquérir des compétences d'autonomie.
Le financement offert par le gouvernement fédéral est une source de préoccupations graves. Le manque de soutien financier pour les programmes existants pourrait menacer les programmes en cours.
Dans le chapitre 13 de l'épitre aux Romains, on indique que nous devons tous être soumis aux autorités supérieures. Les pauvres payent les impôts et essayent de respecter la loi. Le gouvernement est serviteur de Dieu et doit œuvrer pour le bien du peuple. Dieu vous a choisis pour gouverner de façon juste et équitable. Vous avez été choisis pour accomplir les grandes œuvres de Dieu, c'est-à-dire œuvrer pour le bien et servir le peuple.
On devrait accorder la priorité à la pauvreté au Canada lorsqu'on tente de trouver des solutions aux problèmes. On a effectué de nombreux sondages dans le Nord sur la question de la pauvreté. L'heure est venue d'agir et d'affecter les fonds là où ils seront les plus efficaces et où les besoins sont les plus criants.
J'aimerais terminer par un petit récit. Il y a quelques semaines, on m'a présenté une femme. On m'a dit qu'elle souffrait d'un cancer et qu'elle refusait les soins. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle refusait d'être soignée, elle m'a répondu qu'elle n'avait pas de logement et qu'elle couchait chez des parents et des amis. Elle ne veut plus être un fardeau et elle est d'avis qu'il serait mieux que la maladie l'emporte. Ma gorge se noue lorsque je parle de cette femme dont le sort est si lamentable.
Les habitants du Nord ne devraient pas souffrir de l'itinérance ni être obligés à errer chaque soir pour se trouver un abri. Il faut agir immédiatement pour aider les personnes malades et les sans-abri. Nous vous demandons de nous fournir un financement suffisant pour répondre aux besoins du peuple du Nunavut et pour continuer à offrir des programmes.
Je vous remercie de votre ouverture de cœur et d'esprit. Que Dieu vous bénisse.
La présidente : Merci, Carol-Anne. Je peux confirmer à vous et à Cyrus que nous nous déplaçons dans toutes les régions du Canada parce que l'heure est venue d'agir.
Paul Nettleton, avocat spécialisé en droit de la pauvreté, Commission des services juridiques du Nunavut : Je suis heureux de comparaître ici aujourd'hui devant le Comité sénatorial permanent sénatorial de l'agriculture et des forêts dans le cadre de votre étude pancanadienne sur les causes et les conséquences de la pauvreté rurale au Canada et sur les solutions aux problèmes.
À titre d'avocat spécialisé dans le droit de la pauvreté des Services juridiques du Nunavut, j'ai hâte de participer à un échange constructif avec vous, les membres du comité, après nos exposés. J'ai été député de l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique pendant presque dix ans, et j'ai eu l'honneur de siéger à divers comités permanents, y compris les comités de la réforme parlementaire, des affaires autochtones, des sociétés de la Couronne et des forêts et des mines. Je crois comprendre l'importance de votre comité, de votre étude, de votre rapport final et de vos recommandations. J'espère que votre étude permettra d'améliorer les conditions de vie des habitants du Nunavut, notamment les habitants de notre beau territoire qui vivent actuellement dans la pauvreté.
Je suis un résident relativement récent du Nunavut, puisque j'habite la capitale depuis un an et demi environ. J'ai l'honneur d'occuper le seul poste d'avocat spécialisé dans le droit de la pauvreté à la Commission des services juridiques du Nunavut qui dessert tout le territoire. Les tâches liées à mon poste, qui est nouveau et nécessaire, touchent, entre autres, aux domaines suivants : assistance dans le domaine du logement, cour des petites créances (depuis la fin de l'année dernière), Commission des accidents du travail, congédiements injustifiés, réclamations pour préjudices corporels (il est souvent question de motoneiges), plaintes auprès du Tribunal des droits de la personne et assistance à la rédaction et au dépôt d'avis. Je réponds généralement à toute demande concernant le droit civil sauf quand il s'agit du droit de la famille et du droit pénal, et ce sont ces deux derniers domaines du droit qui pèsent le plus lourd sur les ressources limitées des Services juridiques du Nunavut.
Mon expérience est certes limitée, mais j'aimerais vous faire part de quelques observations quant à la résistance et la force de mes clients, qui sont essentiellement des Inuits, et ce malgré leur pauvreté accablante. Je suis un ancien élu du Sud qui est devenu avocat œuvrant dans le domaine de la pauvreté dans le Nord. Pour la plupart, mes clients sont incroyablement pauvres sur le plan matériel. Ils ont cependant le sourire facile. Ils acceptent, sans porter de jugement. L'opinion qu'ils se font de nous n'a rien ou très peu à voir avec notre richesse relative. Ils sont toujours prêts à partager leurs maigres possessions avec ceux qui sont dans le besoin. Ils sont reconnaissants à l'égard de l'aide fournie par les Services juridiques, car ils sont confrontés sur une base quotidienne à une bureaucratie, des règles, des règlements, des formulaires, des tribunaux, la police ainsi que divers organismes gouvernementaux. Leur chaleur et leur aptitude au pardon est en contraste direct avec le climat froid et intransigeant.
Les attentes des habitants du Nord sont aux antipodes de celles des habitants du Sud. Ils sont rarement exigeants ou difficiles. Le renouveau physique, affectif et spirituel est intimement lié à la relation permanente avec la terre. Vous avez peut-être entendu la référence aux besoins d'aller vers la terre.
Les Services juridiques du Nunavut dépendent d'un financement territorial et fédéral pour respecter leur mandat, c'est-à-dire offrir une représentation juridique à ceux qui n'ont pas les moyens de se procurer une telle représentation. Ce mandat vise la majorité des habitants du Nunavut qui, dans bien des cas, ne sont pas salariés mais qui sont néanmoins confrontés au coût de la vie, qui est très élevé. Le budget des Services juridiques du Nunavut pour la prestation de conseils juridiques, par le biais d'avocats en poste ou encore d'avocats du secteur privé, ne correspond pas à la demande croissante.
Les avocats, les préposés inuits aux tribunaux, ainsi que le personnel du système d'aide juridique du Nunavut sont des personnes compatissantes et dévouées qui sont motivées par de bonnes raisons. Elles cherchent à fournir aux résidants de ce grand et vaste territoire des conseils compétents et compatissants, que ce soit devant les tribunaux ou non. Elles cherchent à offrir de l'espoir à ceux qui souvent n'en ont pas, un espoir quant à leur avenir personnel et collectif, un avenir meilleur dans lequel ils recevront les services qu'ils méritent du gouvernement et des organismes gouvernementaux.
Nous conjurons le comité, issu de la grande chambre de réflexion, de faire connaître le besoin grandissant de financement afin que les Services juridiques du Nunavut puissent relever correctement et adéquatement les défis du dernier territoire du Canada. La contribution fédérale au financement des services juridiques a diminué au cours des dernières années tandis que la demande à l'égard de ces mêmes services a augmenté. Vous aiderez à améliorer considérablement les conditions des pauvres en facilitant le renouvellement de l'engagement du gouvernement fédéral à l'égard d'un financement suffisant.
Nous vous remercions du temps et de l'attention que vous avez consacrés aux besoins, aux espoirs et aux aspirations des résidants du Nunavut dans le cadre de votre étude de la pauvreté rurale au Canada.
La présidente : Merci beaucoup, Paul. C'est justement grâce à de vos visions touchantes que nous sommes ici.
[Interprétation]
Enopik Sigeatuk, aînée, à titre personnel : Je fais partie d'un groupe d'aînés et on m'a demandé de comparaître. Je participe également aux activités de l'église. Je fournis du counselling aux détenus. Mon travail ne relève pas de la police.
Il y a parfois des aînés qui sont dans le besoin et on demande à d'autres aînés d'aider. J'aide toujours les personnes qui viennent me voir. Je suis toujours prêt à aider lorsqu'on m'en fait la demande.
Il y a beaucoup plus d'adolescents que d'aînés ici. Comme vous le savez peut-être, le gouvernement canadien nous a dit que lorsque nous obtiendrions l'autonomie gouvernementale nous serions en mesure d'employer nos propres gens, mais pour ce faire, il faudrait que ces gens aillent à l'école.
Comme mon collègue l'a indiqué, nous avons des refuges pour les sans-abri. Il y a même des enfants qui vivent dans la pauvreté. Même s'ils ont des parents, ils vivent dans la pauvreté. Il y a tant de jeunes qui sont au chômage. Ils doivent parler deux langues. Certains d'entre eux peuvent travailler, mais parce qu'ils ne se présentent pas au travail ou n'ont pas l'estime de soi nécessaire, bon nombre d'entre eux se retrouvent au chômage. Certains d'entre eux trouvent de l'emploi, mais beaucoup plus n'en ont pas.
Certains jeunes ont des parents, mais ils sont sans abri parce qu'ils ont commis des crimes ou font des choses qui fâchent leurs parents, et les parents les maltraitent.
Je suis né lorsque les familles inuites faisaient encore preuve de beaucoup d'amour. J'ai dû expulser mes deux adolescents mais ils étaient suffisamment âgés pour être autonomes. C'était notre système et je continue d'aider mes enfants.
Il y a tant de pauvres ici. Tout coûte tellement cher et pourtant, certaines de nos mères ou de nos grands-mères ne reçoivent qu'une allocation par mois et ce n'est pas suffisant pour nourrir des enfants.
On a dit plus tôt que les gens peuvent faire appel à de nombreux organismes. Si vous êtes sculpteur, par exemple, vous n'avez pas droit au soutien du revenu puisque vous êtes travailleur autonome. Ce n'est pas assez et on le voit partout. La population croît rapidement. Si vous vous rendez au North Mart, vous rencontrerez de nombreuses personnes qui sont au chômage et qui mendient. La mendicité est à la hausse.
Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez accordée. Certaines choses ont déjà été dites par mes collègues.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, Enopik. Il est très important que vous soyez ici pour nous faire part de votre point de vue quant aux besoins de cette magnifique région du Canada. Nous vous remercions d'être venu.
Si j'ai bien compris, vous allez rester pour les questions.
Le sénateur Adams : Je vais poser une question à Enopik en inuktitut.
[Interprétation]
Je vous remercie de votre exposé. Nous savons tous qu'il y a beaucoup de pauvres même parmi les générations plus jeunes. J'ai été ému lorsque vous en parliez. Il y a des problèmes de drogue et d'alcool. De plus, ces jeunes ne s'entendent pas avec leurs parents. Les jeunes parlent-ils leur langue autochtone?
Mme Sigeatuk : C'est une excellente question. Certains ne parlent plus l'inuktitut chez eux. Certains des parents parlent même à leurs enfants en anglais. Dans mon cas, nous parlons l'inuktitut, mais certaines personnes perdent leur langue maternelle.
Le sénateur Adams : À Rankin Inlet, d'où je viens, les personnes qui ne chassent pas sont habituellement aidées lorsque vient le temps, par exemple, de chasser le caribou. Je me demandais si la tradition était la même ici.
Mme Sigeatuk : Je suis très chanceuse. Je demande normalement à quelqu'un de cueillir ou de chasser pour moi. On m'aide toujours. J'ai même reçu de la viande de caribou de Rankin Inlet. C'est pour vous dire à quel point les gens sont bons pour les aînés.
Le sénateur Adams : Vous avez une association de chasseurs et de trappeurs. Le gouvernement du Nunavut offre un certain soutien, mais je me demandais ce qu'il en était des habitants qui ne sont pas chasseurs ou trappeurs, quelle aide reçoivent-ils?
Mme Sigeatuk : Les aînés peuvent recevoir des dons des associations de trappeurs et de chasseurs. Je ne sais pas pourquoi elles n'aident pas d'autres habitants pendant l'hiver. C'est ce que je sais. En été, les chasseurs et les trappeurs aident les aînés, mais ils ne répondent pas à tous nos besoins en hiver.
[Traduction]
Le sénateur Adams : Monsieur Nettleton, je suis heureux que vous aidiez les gens du Nunavut. Il y a des cultures différentes. Nous légiférons à Ottawa et parfois, notre travail crée des difficultés pour d'autres cultures. Qu'en est-il des habitants du Nord et les lois issues d'Ottawa? À titre d'exemple, cette semaine le gouvernement étudie le projet de loi C-2, qui porte sur la criminalité, le contrôle des armes à feu, et ainsi de suite. Votre expérience est peut-être suffisante. Vous, qui avez vécu en Colombie-Britannique et qui êtes venu ici, qu'en pensez-vous? Devrait-t-on modifier notre façon de faire en ce qui concerne la législation au Nunavut?
M. Nettleton : Sénateur Adams, l'une des choses qui m'a frappé lorsque je suis venu m'installer dans votre territoire, c'était la dépendance des habitants à l'égard du gouvernement, que ce soit pour le logement, le logement subventionné, le logement du personnel, une dépendance pour toute une gamme de besoins. La plupart des emplois relèvent du gouvernement. Bon nombre de mes clients éprouvent des difficultés à la suite de congédiements injustifiés par divers organismes gouvernementaux.
Je ne sais pas si je réponds à votre question. Comme vous le savez, divers organismes gouvernementaux dépendent du financement fédéral. Il faut que les gouvernements, territorial et fédéral, assument leurs responsabilités à l'égard des habitants de ce grand territoire. Nous voyons que le gouvernement fédéral est particulièrement préoccupé par des questions de souveraineté. Cet été, devant votre immeuble, toute la collectivité a participé à des manœuvres militaires importantes. Vu l'intérêt accru du gouvernement à l'égard de l'Arctique, il me semble que le gouvernement fédéral doit assumer ses responsabilités, notamment à l'égard des pauvres.
Comme vous dites, il y a des différences importantes, j'estime que ce sont là quelques-unes de ces différences.
Le sénateur Mercer : C'est un plaisir et un honneur d'être ici au Nunavut. Cyrus, vous dites que vous servez de 25 à 40 personnes par jour, dont des enfants. Donnez-moi plus de détails. Qui sont ces personnes? Pourquoi ont-elles besoin de services? Évidemment ces gens sont pauvres, mais s'agit-il majoritairement de femmes? Si oui, ces femmes viennent- elles surtout de familles monoparentales? Quel âge ont les enfants? Sont-ils à l'école, notamment? Donnez-moi un meilleur portrait de ces 25 à 40 personnes.
M. Blanchet : La plupart de ces personnes-là sont des hommes, majoritairement des jeunes hommes dans la vingtaine, d'après moi, même s'il y en a quelques-uns qui sont plus âgés. Les enfants sont en âge d'aller à l'école primaire. Certains enfants, d'âge préscolaire, viennent avec leur mère. Certains viennent du refuge des hommes, et beaucoup viennent pour le déjeuner. D'autres viennent d'autres habitations. Certains sont des pauvres qui travaillent, comme je l'ai déjà mentionné.
Le sénateur Mercer : Carol-Anne, vous avez tous parlé de logement, et du manque de logements. J'ai quelques questions sur le logement. Avez-vous une idée du loyer qu'il faudrait payer pour un petit logement à Iqaluit, si un tel logement était disponible, bien sûr? Savez-vous combien de logements publics il y a dans la collectivité? Si vous le savez, pouvez-vous me dire combien de logements sont conçus pour les aînés et combien sont conçus pour des familles?
Mme Scott : Pour répondre à votre dernière question, je ne le sais pas. J'espère que vous avez invité quelqu'un du secteur du logement au niveau fédéral.
Le sénateur Mercer : Ce sont des questions que je continuerai à poser pendant la journée, jusqu'à ce que je reçoive une réponse.
Mme Scott : Voilà tout ce que je sais : étant donné le financement fédéral que je reçois, on m'a dit que je devais limiter les périodes que 20 personnes peuvent passer chez nous. Ils ne peuvent rester que quatre mois — et là, bien sûr, ça devient un cycle parce qu'ils n'ont nulle part où aller. Ils sont en difficulté quand ils essaient de survivre dans la collectivité alors qu'ils n'ont nulle part où aller. Oui, là je les reprends. Que puis-je faire? Je ne peux pas les laisser dans la rue. C'est un grave problème, un problème qui est engendré par ces limites sur la durée de leur séjour avec nous.
Le sénateur Mercer : C'est la première collectivité que nous visitons sans qu'on nous parle de la garde d'enfants dès les premiers exposés. Nous nous sommes rendu compte que la garde d'enfants est un problème important. Nous savions que le problème existait. Cela a été prouvé dans tout le Canada. Avez-vous ce problème ici, dans votre région?
Mme Scott : J'estime que oui. Personnellement, je ne travaille pas beaucoup avec la garde d'enfants. Moi, je me concentre sur l'aspect social de l'aide à la population. Je leur indique peut-être des ressources vers lesquelles ils peuvent se tourner, mais je ne travaille pas dans le secteur de la garde d'enfants.
Le sénateur Mercer : Paul, hier nous avons quitté Yellowknife. Il nous a fallu toute une journée pour arriver ici par avion, et cela a fait ressortir pour moi les vastes distances qui existent ici dans le Nord. Je regarde une carte de Nunavut. Vous êtes ici, à Iqaluit, et vous êtes le seul avocat dans ce territoire à s'occuper des droits des pauvres. Il est grand, ce territoire.
C'est remarquable, comment desservez-vous la population à Cambridge Bay et à Alert, ainsi que la population d'Iqaluit, de là où vous êtes?
M. Nettleton : Un très bon commentaire et une très bonne question, sénateur. En fait, desservir tout ce territoire c'est un grand défi, non seulement pour moi mais pour tous ceux qui sont impliqués dans la prestation de services juridiques. Prenez ceux qui travaillent dans les tribunaux inuits — moins de 50 p. 100 des collectivités du territoire sont desservies par des travailleurs de tribunaux, parce que nous n'avons simplement pas le financement. Trois avocats œuvrant dans le droit de la famille desservent le territoire entier. Des centaines de demandes nous arrivent au bureau principal — qui est situé à Gjoa Haven — et beaucoup d'autres demandes nous arrivent chaque jour de toutes sortes de clients qui ont des problèmes touchant le logement, l'accès à la garde d'enfants, et la pension alimentaire. Pour ce qui est de notre capacité de financer les services qu'il faut pour desservir ce vaste territoire, nous sommes dans une situation de crise.
Le sénateur Mercer : J'ai l'impression que certains de ceux qui traitent avec ces trois avocats du droit de la famille, et peut-être certains qui traitent avec vous, sont à risque. Et s'ils sont des personnes à risque, ces risques sont exacerbés par le fait que vos mains sont liées car vous êtes si peu à les desservir, est-ce que c'est un commentaire juste?
M. Nettleton : Oui. Savez-vous, sénateur, je pense que si ces restrictions et ces limites sur notre capacité de desservir ces gens-là existaient dans une autre partie du Canada, il y aurait beaucoup de protestations. Les médias seraient très intéressés, et je suis sûr que le gouvernement fédéral serait assez embarrassé pour faire quelque chose. Ici, ce n'est pas le cas.
Le sénateur Mercer : Peut-être que notre rapport vous aidera un peu.
M. Nettleton : Ce serait magnifique.
Le sénateur Peterson : Merci beaucoup. Vos commentaires nous aident à cerner la question tragique de la pauvreté, particulièrement dans votre région.
Cyrus, vous disiez que vous servez de la nourriture à 25 à 40 personnes par jour, dont certains enfants. Carol-Anne, vous dites que vous avez une capacité de 20 lits, mais quel est le niveau d'itinérance, 20 personnes, ou beaucoup plus?
Mme Scott : Il y a en a beaucoup plus. Il y a de l'itinérance invisible que je ne vois même pas, mais ceux qui cherchent quelque part où loger m'en parlent. Ils passent d'un canapé à l'autre, d'un parquet à l'autre, d'un ami à l'autre, d'une famille à l'autre. Certains dorment dans les corridors arrière des appartements pour avoir un endroit chaud, à l'abri des éléments.
Le sénateur Peterson : Quand le temps est comme ça, ils doivent être à l'intérieur.
Mme Scott : Absolument. Moi j'ai 20 lits, mais il y a des gens qui dorment par terre une fois que ces lits sont occupés.
Le sénateur Peterson : Vous avez aussi parlé de déficiences mentales. Y a-t-il des installations ou des ressources pour s'occuper de ceux qui en souffrent?
Mme Scott : Oui. Nous avons un foyer de groupe pour les adultes et les enfants. Nous avons un foyer de groupe pour ceux qui ont des problèmes de santé mentale, mais ce foyer accueille seulement à peu près 15 personnes. Ce n'est pas assez. J'ai certains gens avec des problèmes au refuge. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de les aimer et de nous occuper d'eux.
Le sénateur Peterson : Avez-vous aussi un foyer pour les victimes de violence, ou est-ce que tout le monde est accueilli de la même façon?
Mme Scott : Moi, je n'ai aucune tolérance pour la violence. Tout le monde a le droit d'être en sécurité et d'avoir un endroit chaud où habiter. Si les choses ne sont pas sous contrôle, si une bagarre qui se produit ou quelque chose de semblable, nous appelons la GRC.
Le sénateur Peterson : Je ne pensais pas à vos installations. Je pensais à ceux qui sont les victimes de violence physique. Est-ce qu'ils ont quelque part où aller?
Mme Scott : Il y a un refuge pour les femmes qui sont victimes de violence conjugale. Mais nous n'avons rien pour les femmes ou les femmes avec des enfants qui ne sont pas victimes de violence conjugale.
Le sénateur Peterson : Paul, vous nous dites qu'il y a de moins en moins de financement pour les services juridiques. Quel financement vous faudrait-il? Pour bien comprendre, combien vous faudrait-il pour vous permettre de faire le travail que vous devez faire?
M. Nettleton : Je ne sais pas si je peux vraiment répondre à cette question. Une des questions que nous devons régler c'est l'arriéré, particulièrement dans le domaine du droit de la famille. C'est tout à fait inacceptable que des centaines de demandes d'aide soient tout simplement posées sur un bureau à Gjoa Haven. Nous n'avons même pas les ressources qu'il faut pour attribuer ces dossiers.
L'année dernière, étant donné notre budget limité, le manque à gagner était de quelque 700 000 $. Là encore, nous avons pris plus d'engagements. Je m'attends à ce que le manque à gagner s'accroisse avec le nouveau budget. Il faut premièrement qu'on reconnaisse que le gouvernement fédéral doit s'occuper de nos besoins financiers, et deuxièmement, il faut que le gouvernement collabore avec nous pour voir le financement qui serait nécessaire pour appuyer les services juridiques dans le territoire.
Je ne peux pas vous donner de chiffres précis, sénateur, mais c'est certainement un aspect sur lequel nous devons nous pencher avec le gouvernement fédéral.
Le sénateur Peterson : Ma question s'adresse à l'aînée. Que devient le mode de vie traditionnel ici? Est-il en voie de disparition et, le cas échéant, que pouvons-nous faire pour préserver la langue et la culture?
[Interprétation]
Mme Sigeatuk : Contrairement à ce qui se passait quand j'étais enfant, la culture et les traditions sont moins présentes. La langue elle-même est en train de se perdre. Comme vous pouvez le constater, la population ne cesse de croître et il y a désormais des gens que nous ne connaissons même pas. Les petits groupes qui vivent ensemble arrivent à se connaître les uns les autres. Quand des gens viennent en grand nombre de régions éloignées, on ne peut pas apprendre à les connaître. On ne sait même pas ce qui se passe. Voilà pourquoi nos propres traditions et notre propre culture se perdent car il n'y a pas d'interaction avec nos voisins puisque la population ne cesse de croître ici et que nous vivons dans une agglomération centrale.
Nous n'utilisons pas l'écriture de façon aussi répandue que vous. Le papier n'est pas omniprésent pour nous. Pour enseigner aux jeunes générations, nous utilisons notre mémoire. C'est ainsi que mes parents m'ont enseigné car ils gardaient tout en mémoire. À l'époque, c'était plus facile de collaborer les uns avec les autres, de communiquer, de parler la langue mais désormais, tout cela est voué à la disparition.
Quand nous étions enfants, on nous apprenait l'entraide dès le plus jeune âge, car c'était gage de longévité.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Ma première question s'adresse à l'aînée.
Je suis venu pour la première fois à Frobisher Bay il y a 30 ans. Je suis venu pour la journée. C'était dans un avion nolisé parti de Toronto. J'ai été témoin d'un repas au phoque cru. Cette tradition est-elle encore maintenue?
[Interprétation]
Mme Sigeatuk : Oui, c'est notre tradition. Les gens qui nous rendent visite sont obligés de la partager avec nous. C'est la tradition culinaire qui nous a été inculquée. Quand j'étais enfant, je me nourrissais de plats traditionnels.
Je trouve tout à fait dommage qu'on nous ait imposé le mode américain de se nourrir car ils avaient des stations où l'on nous nourrissait et nous nous sommes habitués à cette nourriture. Dans mon enfance, la nourriture surgelée n'existait pas dans les magasins car il n'y avait pas de congélateurs. Les conserves et la nourriture quotidienne que nous consommions étaient différentes de celles d'aujourd'hui. Nous consommions une nourriture traditionnelle du pays.
Le partage est également un élément très très important chez les Inuits. Par exemple, si l'un d'entre eux attrape un phoque, une grande partie de ses voisins est invitée à le partager.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Je vois mais je constate que les traditions du Nord évoluent. N'avez-vous jamais songé qu'une école autochtone serait une bonne idée car les aînés ont de moins en moins le temps de faire l'éducation des jeunes?
[Interprétation]
Mme Sigeatuk : Il est capital de ne pas perdre nos traditions et nous sommes conscients que c'est en train de se produire. Je me pose la même question. Si le gouvernement pouvait entreprendre l'établissement de certaines écoles, cela nous aiderait car nous ne pouvons pas le faire nous-mêmes. Les autres paliers de gouvernement nous appuieraient. Nous en sommes sûrs.
Nous n'avions pas d'écoles et nous avons maintenu nos traditions. Quant à moi, sachez que j'ai reçu cet enseignement et que je l'ai transmis à d'autres. Je voudrais vous poser une question. Qui vous a offert de la viande de phoque?
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : C'était une jeune fille qui, assise, dépeçait la viande et m'en a donnée. C'était peut-être vous!
[Interprétation]
Mme Sigeatuk : Ce n'était certainement pas moi car je suis beaucoup trop vieille.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Cyrus, les hommes que vous aidez et qui prennent des repas sont-ils très instruits? Ont-ils été instruits ou vivent-ils tout simplement du produit de la terre?
M. Blanchet : Non, ils ne sont pas très instruits. Les hommes qui viennent à la soupe populaire, pour la plupart, ont au maximum une dixième année et sans doute que le plus grand nombre n'a même pas fait autant d'études.
Ils s'adonnent peut-être un peu à la chasse, mais pour la plupart ils n'ont pas de motoneige. Ceux qui en ont une font tous de la chasse. Je songe à quelqu'un en particulier qui vient à la soupe populaire régulièrement et je suis sûr qu'il n'a pas accès à une motoneige. Il n'a peut-être même pas de vêtements assez chauds pour aller à la chasse. Je ne pense pas qu'il souffre d'une maladie mentale. Je ne pense pas qu'il parle très bien l'anglais. Il a environ 30 ans. Je ne connais pas sa véritable situation. Il habite au refuge. Il rend visite aux membres de sa famille et à des amis. Je ne pense pas qu'il ait un emploi.
Comme l'a dit l'aînée, il a sans doute grandi dans un foyer où on ne parlait pas beaucoup l'anglais de sorte qu'il n'a jamais appris la langue. Il a peut-être vécu dans une localité éloignée, car beaucoup d'hommes à qui j'ai parlé avaient grandi dans ce genre de camp. Ils savent chasser et pêcher.
Le sénateur Mahovlich : Ils peuvent donc survivre.
M. Blanchet : Ils n'habitent plus là-bas, et ils habitent dans des villes. Ils ont du mal à s'adapter à la vie moderne.
Le sénateur Mahovlich : Nous faisons face au même problème à Toronto. On trouve des gens qui dorment dans la rue même, sur les bouches d'égout. Le problème a pris des proportions dans la ville. Parfois ces gens vont à Don Valley et on peut y voir des tentes toute la nuit, par groupes. Dans les grandes villes, nous rencontrons des problèmes semblables. Il est très difficile de réadapter ces gens, une fois qu'ils s'enferment dans leur mode de vie. On ne peut pas les convaincre de se loger dans une maison. C'est tout un problème.
M. Blanchet : Il y a sans doute plusieurs points semblables entre notre situation et celle de là-bas, mais il y a aussi de grandes différences.
Le sénateur Mahovlich : Je sais qu'il y a eu une croissance en superficie et une croissance démographique. Je suis sûr qu'on a songé à des logements supplémentaires. Est-ce que cela suffit à la demande? Y a-t-il assez de logements ici?
Mme Scott : Non, il n'y en a pas assez. Je me suis rendue à l'agence du logement pour prendre des formulaires de demande à l'intention des gens du refuge et l'agent responsable m'a dit qu'il y avait une liste d'attente de deux ou trois ans.
Le sénateur Mahovlich : Le gouvernement peut-il aider en matière de logement?
Mme Scott : Il va falloir poser la question au gouvernement, sénateur.
M. Nettleton : Je ne prétends pas être expert en matière de logement, mais je peux vous dire qu'un certain nombre des dossiers dont je m'occupe ont trait au logement. Comme Carol-Anne l'a dit, dans bien des localités, la liste d'attente pour un logement social, dans certains cas, peut être de cinq ans.
Il y a une tendance qui se dessine. Ceux qui perdent leur maison par forclusion ont plus de mal à obtenir un logement social. Ils ne peuvent même pas se faire inscrire sur la liste d'attente, et ce, pendant des années. Les gens à l'agence du logement ont pour politique d'écarter ceux qui ont perdu leur maison de toute possibilité d'obtenir un logement public. Vous pouvez imaginer ce que cela donne dans l'Arctique, vu l'hiver que nous avons connu cette année. Je sais que l'hiver a été rigoureux dans tout le Canada.
Le sénateur Mahovlich : Aux États-Unis également, il y a eu de graves difficultés et on essaie d'y remédier.
M. Nettleton : Le logement est en crise, sénateur, je peux vous l'assurer. L'administration actuelle à Ottawa n'a pas engagé de nouvelles sommes pour le logement dans notre territoire. Les seules nouvelles sommes auxquelles nous pouvons nous attendre, et j'en ai parlé avec le PDG de la Société de logement du Nunavut, sont des sommes qui avaient été engagées par l'administration précédente. L'administration actuelle est plus ou moins forcée de les verser. Il n'y a pas de nouveaux engagements, aucune nouvelle somme d'argent alors qu'il y a un besoin croissant et pressant en matière de logements dans le territoire.
La présidente : Merci beaucoup. Je tiens à ce que vous le sachiez, sénateur Mahovlich, j'ai mangé de la viande de phoque crue sur le rivage aux alentours de Rankin. C'est très bon.
Le sénateur Mahovlich : Il va falloir que nous essayions cela la prochaine fois que nous reviendrons.
La présidente : Merci beaucoup de votre présence ici, et merci aussi de tout ce que vous faites.
Veuillez nous excuser du fait qu'il n'y avait pas d'interprétation au début, mais tout est branché maintenant.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui un de mes amis de longue date, le ministre de l'Éducation du Nunavut, Ed Picco. Nous accueillons également Bill Riddell.
L'honorable Ed Picco, M.A.L., ministre de l'Éducation, ministre responsable du Collège de l'Arctique du Nunavut, ministre responsable de l'immigration et des sans-abri et leader parlementaire du gouvernement à la Chambre, gouvernement du Nunavut : Tout d'abord, je vous remercie beaucoup d'être venus nous voir, et je vous souhaite la bienvenue à Iqaluit et au Nunavut.
Permettez-moi tout d'abord de vous dire comme je suis ravi que les membres du comité sénatorial aient pu venir chez eux dans le Nord. Je dis cela parce que, lorsque nous avons entendu dire que certains des membres conservateurs du comité ne pouvaient pas venir parce qu'ils trouvaient que cela coûtait trop cher, nous en avons été attristés. Le Nunavut représente le tiers du territoire canadien. Nous devons pouvoir être entendus. Si l'on parle du Canada, il faut en parler d'un océan à l'autre, et à l'autre encore. Bienvenue chez vous, sénateurs.
Je suis très heureux de voir le sénateur Fairbairn, qui est une collègue de longue date. Nous nous connaissons depuis bien des années. Je connais le sénateur Mahovlich et je connais aussi, bien sûr, le sénateur Adams. Je sais que les autres sénateurs qui font partie du comité apportent aussi une expérience pertinente.
Je m'appelle Edward Picco, et je suis député élu de l'Assemblée des Territoires du Nord-Ouest et aussi du Nunavut depuis 1995. Je vis au Nunavut depuis 25 ans. J'y ai élevé ma famille. Ma femme est d'ici. J'ai un fils qui étudie maintenant dans un collège du Sud, et j'ai deux enfants qui fréquentent toujours l'école ici, au Nunavut. Je ne suis pas né au Nunavut, mais le Nunavut, c'est chez moi. Je suis très fier et heureux de pouvoir présenter un exposé au comité permanent ce matin.
Comme vous le savez, le Nunavut a de nombreux défis à relever et de nombreuses batailles à livrer qui lui sont propres et qui diffèrent de ce que l'on voit dans le reste du Canada. Nous n'avons pas de routes qui relient nos collectivités. Cependant, nous sommes de plus en plus reliés entre nous par le téléphone, la technologie par satellite et Internet. Plus de la moitié de nos collectivités ont une population de 1 000 habitants ou moins. Iqaluit est la seule collectivité ayant une population qui atteint presque 7 000 habitants.
Sur le plan économique, le revenu par habitant au Nunavut est de presque 27 p. 100 inférieur à ce qu'il est dans le reste du Canada. Beaucoup de nos collectivités tombent dans la catégorie des endroits où il n'y a aucun emploi disponible. Par conséquent, le chômage atteint son niveau le plus élevé dans certaines de nos collectivités les plus petites. Les seules possibilités économiques qui se présentent chaque année dans nos collectivités sont attribuables à la construction saisonnière de maisons et aux autres projets de construction.
Le gouvernement du Nunavut a mis en place un programme énergique d'enseignement postsecondaire et d'apprentissage. Nous offrons des programmes qui conduisent à l'obtention d'un diplôme d'enseignement. Nous avons commencé à offrir des programmes — et c'est une première au Canada — qui conduisent à l'obtention d'un diplôme en soins infirmiers inuits. Il s'agit d'un diplôme qui est reconnu dans tout le pays. Quand une infirmière inuk reçoit son diplôme ici à Iqaluit, elle peut travailler comme infirmière à Edmonton, à Yellowknife ou à Iqaluit. Il en va de même pour nos enseignants qui obtiennent leur baccalauréat en éducation : ils ont des titres de compétence qui leur permettent d'enseigner n'importe où. Voilà ce que nous voulons pour le Nunavut. Nous voulons que nos étudiants, quand ils terminent leurs études secondaires, puissent aller au Collège de l'Arctique et rester à Iqaluit ou bien aller à Edmonton et y réussir. C'est quelque chose qui se voit de plus en plus souvent.
Parce qu'il n'y a pas de routes qui relient nos collectivités au Nunavut, notre infrastructure, c'est essentiellement nos aéroports. Dans le Sud, sénateurs, c'est un luxe que de prendre l'avion pour se rendre quelque part. Dans le Nord, c'est une nécessité. Tout doit être amené par avion.
Par exemple, la femme enceinte qui vit à 500 milles au nord d'ici, à Hall Beach ou à Clive River, doit quitter sa collectivité un mois avant son accouchement. Elle doit se rendre à Iqaluit ou dans quelque autre localité du Sud si sa grossesse présente le moindre problème. Pouvez-vous imaginer que votre femme, votre sœur, votre mère ou votre fille de 17, 18 ou 20 ans doive quitter la collectivité pour avoir son bébé? Dans le Sud, c'est sûr, vous n'avez qu'à conduire pendant quelques heures pour vous rendre à un hôpital ou même quelques jours, puis vous pouvez rentrer chez vous. Dans le Nord, la femme qui attend un bébé pourrait être partie pendant un mois. Pouvez-vous imaginer qu'une maman ait à faire 500 milles en avion et qu'elle doive parfois laisser ses autres enfants à la maison? Les besoins en infrastructure du Nunavut sont très sérieux.
Quand le Nunavut a été créé en 1999, aucune étude n'a été faite sur ce que cela coûterait. À l'époque, le gouvernement fédéral — et je le sais parce que j'étais là pour les discussions entre 1995 et 1999 — a dit qu'il n'en coûterait pas plus cher d'avoir deux territoires plutôt qu'un. Essentiellement, le budget des Territoires du Nord-Ouest de l'époque a donc été divisé en deux, et le gouvernement du Nunavut a reçu quelque 100 millions de dollars de plus pour les coûts supplémentaires liés à l'infrastructure. Or, il en coûte très cher pour offrir les services comme ceux dont je viens de vous parler. C'est une des raisons qui expliquent que certains de nos collègues sénateurs n'aient pas voulu être là aujourd'hui; ils disaient que cela coûterait tout simplement trop cher. Eh bien, cela fait partie de notre réalité à nous au Nunavut. Nous devons tenir compte de ces coûts-là.
Je vous donne des exemples. À Iqaluit, chaque kilowattheure d'électricité coûte 37 cents. Je sais que beaucoup des sénateurs qui sont là aujourd'hui ne savent pas ce que coûte l'électricité dans leur région. Pour le sénateur Mahovlich, par exemple, à Toronto, le coût moyen de l'électricité à Toronto est de 7 cents le kilowattheure. Ainsi, notre électricité au Nunavut coûte cinq fois plus cher que la vôtre. Pensez-y, cinq fois plus que le coût de votre électricité.
Nous avons entendu dire à CBC Newsworld, à CTV et à toutes les émissions de radio que nos amis canadiens étaient en état de choc parce que le prix du litre de pétrole et d'essence était passé à 1,10 $. Au Nunavut, nous devons subventionner le prix de l'essence, et il atteint pourtant en moyenne plus de 1,20 $ le litre. C'est le prix subventionné. Il faut que les gens puissent payer le prix exigé à la pompe, alors le gouvernement du Nunavut doit subventionner le prix de l'essence.
Pensez-y un peu dans le contexte de notre discussion sur la pauvreté et les autres problèmes dans le Nord. Un des témoins précédents a parlé de la pénurie de logements ici. Le gouvernement du Nunavut, de concert avec le gouvernement fédéral, construira 700 nouveaux logements sociaux dans le territoire au cours des 18 à 24 prochains mois, mais il nous manque 3 000 logements. Même si c'est un bon début — et nous remercions le gouvernement fédéral de son aide à ce chapitre — vous pouvez voir à quel point les besoins sont criants.
Je suis ministre de l'Éducation, mais je suis aussi le ministre responsable des sans-abri. On parle de sans-abri dans le Sud, mais il y a deux types de sans-abri. Il y a les sans-abri absolus, ceux qu'on voit sur la rue Yonge, à Toronto, qui n'ont pas de logement et qui dorment dans la rue. Il y a aussi les sans-abri relatifs, et c'est ce que nous avons chez nous au Nunavut. Quand on vit à 15 dans une maison de trois chambres à coucher, quand les enfants doivent dormir chacun leur tour ou dormir sur la galerie, quand il y en a qui doivent dormir dans la garde-robe, on peut dire que ces gens-là sont des sans-abri. Chez nous, les sans-abri ne sont pas dans la rue, car le fait est que s'ils l'étaient, ils mourraient de froid.
Le gouvernement du Nunavut est le seul gouvernement au Canada, à part le gouvernement fédéral, à avoir un ministre ou un secrétariat chargé des sans-abri.
Quand on cherche la véritable cause de la pauvreté et qu'on se reporte à la définition de la pauvreté dans le dictionnaire, ce qu'on lit n'a rien à voir avec le niveau de revenu minimal qui permettrait d'avoir un niveau de vie acceptable. Au Nunavut, le coût de l'essence et de l'électricité et l'absence de routes font en sorte que la vie est horriblement chère. La véritable cause de la pauvreté au Nunavut, c'est notre contexte socioéconomique.
Vous aurez la chance aujourd'hui de parler avec M. Bill Riddell, qui vit au Nunavut depuis plus de 30 ans et qui a eu à traiter de tellement de problèmes différents, qui s'est notamment occupé du dossier des sans-abri et qui a été un militant social. Je suis sûr que Bill pourra vous donner une bonne vue d'ensemble de certains de ces enjeux bien réels.
À ma droite, vous voyez Kathy Okpik. Kathy est née au Nunavut et elle y a grandi, elle est Inuk et elle est sous- ministre au ministère de l'Éducation. Kathy pourra vous apporter des informations utiles.
Je m'empresse de conclure car je sais que nous avons un peu de retard. Je me suis éloigné de mes notes pour vous parler avec le cœur, pour vous dire que nous avons besoin que le gouvernement fédéral fasse sa part.
Dans le Sud, il existe divers mécanismes de développement économique régional. Ainsi, au Canada atlantique, il y a l'APECA, l'Agence de promotion économique du Canada atlantique. Si l'on a besoin d'une route ou d'un brise-lame au Canada atlantique, le gouvernement fédéral verse au Nouveau-Brunswick ou à Terre-Neuve des paiements de péréquation. On peut également se présenter devant l'APECA et dire qu'on a besoin d'un nouveau port ou d'une nouvelle route asphaltée et présenter une demande en ce sens. Dans l'Ouest, qui est actuellement la région la plus riche du pays, il y a Diversification de l'économie de l'Ouest, qui joue le même rôle. Dans le Nord de l'Ontario, il y a FEDNOR, qui fait la même chose. Or, au nord du 60e parallèle, c'est-à-dire au Yukon, dans les Territoires du Nord- Ouest et au Nunavut, dans la zone rurale la plus isolée de notre pays, il n'y a rien, absolument rien. Il n'y a aucun moteur économique, il n'y a aucun mécanisme pour stimuler l'économie.
Si nous avions, par exemple, une APECA dans le Nord, en sus des paiements de transfert que nous recevons du gouvernement fédéral, nous pourrions présenter une demande à cette agence de développement économique du Nord en vue de la construction du port de Bathurst et d'une route pour créer des possibilités économiques. Nous pourrions demander à cette agence des fonds pour notre port à nous, à Pond Inlet ou à Iqaluit. Nous pourrions améliorer notre infrastructure.
Pourtant, dans les territoires, où 92 cents de chaque dollar de revenu nous viennent de notre partenaire fédéral, nous n'avons aucun mécanisme de ce genre. Comment cela se fait-il? Il me semble que cela contribuerait énormément à nous sortir de la pauvreté. Cela accroîtrait les possibilités économiques et nous permettrait d'avoir ainsi un effet de levier. Deuxièmement, j'aimerais vous parler de crédit fiscal : en 1987-1988, le gouvernement de M. Mulroney a institué pour la première fois un crédit d'impôt pour les résidants du Nord. Ce crédit d'impôt a eu pour effet de stimuler l'économie du Nord, mais il a aussi contribué à attirer chez nous des infirmiers, des infirmières, des médecins et d'autres personnes et il a aidé les résidants du Nord en tenant compte du fait qu'il en coûte plus cher pour vivre ici, comme nous venons de le dire. Mais depuis qu'il a été institué en 1987-1988, le crédit n'a augmenté que de façon minime, soit 0,1 p. 100 en 20 ans.
Les divers gouvernements qui se sont succédé dans le Nord, au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et nos députés fédéraux et notre assemblée législative ont tous écrit au ministre des Finances de l'époque, que ce soit M. Flaherty, M. Martin ou M. Chrétien, pour demander que l'allocation fiscale pour les résidants du Nord soit augmentée. Nous demandons cela pour les quelque 100,000 personnes qui vivent dans les trois territoires. Pourtant, on n'a rien fait.
Le simple fait de faire passer cette déduction d'impôt de 5,400 $ à 7 000 $ ou 8 000 $, ou à tout le moins de l'indexer sur les 20 dernières années, augmenterait considérablement le revenu des habitants du Nord parce qu'ils auraient ainsi un revenu disponible accru. Si c'était là quelque chose que le comité pouvait faire dès maintenant, cela aiderait tous les habitants du Nunavut qui produisent une déclaration de revenus.
Nous voulons notre juste part. Nous voulons participer à part entière, mais à l'heure actuelle, nous ne sommes que des spectateurs qui observent le jeu depuis les gradins. Infrastructure, réseau routier et services d'infrastructure et de santé de base, voilà ce que nous demandons en tant que territoire. Nous ne demandons pas le monde; ce que nous voulons, c'est un coup de pouce.
Je tiens à remercier les membres du comité pour le courage dont ils ont fait preuve en venant ici au Nunavut, même s'ils savaient que cela allait coûter cher, réalité qui n'échappe pas aux habitants du Nord dans leur quotidien, et je dis honte à nos collègues fédéraux à Ottawa, à vos collègues, qui n'ont pas voulu venir ici.
Je suis allé à New York à plusieurs reprises. J'ai un frère qui vit là-bas. Je n'ai jamais été témoin d'activités criminelles à New York. Je n'ai jamais été témoin d'un meurtre ou d'un vol où la victime est agressée, ni d'aucun autre acte criminel. Je sais pourtant qu'il y en a. Parfois, il faut se rendre dans un endroit pour savoir ce qui s'y passe. On peut lire ce qu'on en dit ou écouter des reportages à la télévision, mais il faut parfois se rendre sur les lieux pour savoir vraiment ce qui s'y passe. C'est bien ce que vous avez fait.
Je tiens à vous remercier encore une fois, sénateur Fairbairn, d'avoir amené le comité ici. Je voudrais donner à mes collègues qui sont ici à la table avec moi la possibilité d'adresser la parole au comité. Qujannamiik.
La présidente : Merci beaucoup de ces remarques, Ed. Finalement, il s'agit de vous donner des chances égales, et c'est pour cela que nous sommes ici. Nous verrons bien ce que nous pourrons obtenir, mais nous ferons de notre mieux.
Bill Riddell, agent de location résidentielle, magistrat, gouvernement du Nunavut : Tout d'abord, je tiens à préciser que mes propos m'ont été inspirés en grande partie par le père de Kathy, qui était un très bon ami à moi jusqu'à sa mort il y a quelques années. Abe Okpik a été mon guide : c'est lui qui m'a aidé à comprendre ou à mieux saisir certaines des choses que j'ai vues et que j'ai vécues ici.
Vous entendrez beaucoup parler du fait que nous avons besoin de logements. Soit dit en passant, quelqu'un a demandé tout à l'heure combien de logements publics il y avait à Iqaluit. Il y a quelque 450 unités de logement social. Je vais toutefois me concentrer sur autre chose, puis, pendant la période des questions, nous pourrons aborder certains autres aspects qui pourraient vous intéresser.
Je vais vous parler de l'incidence de la pauvreté sur la culture et sur le mode de vie ici. On a tendance à penser que les problèmes que nous avons sont liés au manque de logements et d'infrastructures, et ils le sont, mais je veux vous parler un peu de la culture de la pauvreté. Il me semble que nous devons faire appel à notre imagination ici, car nous ne savons pas vraiment ce dont nous parlons quand nous parlons de la culture de la pauvreté. Nous ne pouvons qu'imaginer à quoi elle pourrait ressembler.
Tout d'abord, on ne m'a jamais posé de questions au sujet de ma culture jusqu'à ce que je vienne ici. On ne m'avait jamais demandé de parler de mes antécédents ou de mes traditions. Je les tenais simplement pour acquis. Ce sont des choses que j'ai acquises en voyant comment mon père et ma mère se comportaient avec les autres ou que j'ai apprises par ce que j'ai moi-même vécu, ainsi de suite. Pourtant, les Inuits ont été appelés à décrire leur culture. Ils ont cherché à le faire — ils le font depuis au moins dix ans à ma connaissance —, alors je vais maintenant essayer de vous en parler en tant que personne qui ne croit pas être une autorité en la matière.
La première chose que j'ai constatée quand je suis arrivé ici, c'est que, en règle générale, les Inuits ont une capacité incroyable de s'adapter à leur environnement et à leurs conditions de vie. Pour nous, c'est une question de survie, mais pour eux, c'est simplement une adaptation. Ils s'adaptent au froid ou à l'absence de nourriture, ils s'adaptent à tout le reste. Par conséquent, ils utilisent leurs ressources à bon escient. Ils font preuve de créativité et d'intuition pour s'adapter à leur milieu : cela se voit notamment à leur architecture, à leurs outils, à leurs véhicules, à l'utilisation qu'ils font des animaux, du carburant, des bateaux, du matériel de chasse, et cetera. Ils se sont adaptés; ils n'ont pas survécu, ils se sont adaptés. Malheureusement, les changements récents et l'avènement de la pauvreté exigent une adaptation à laquelle les gens d'ici réagissent avec confusion.
Nous ne savons pas trop comment nous adapter à la pauvreté. De nos jours, les gens ont un petit peu plus peur de s'adapter. Ils ont peur de s'adapter à cause peut-être des règles et des politiques du gouvernement qu'il n'est pas facile de contester. L'adaptation n'est pas chose facile, si bien que ceux qui vivent dans la pauvreté depuis deux ou trois générations ont peur de l'adaptation. C'est la conclusion à laquelle j'arrive.
Le partage des ressources est une autre valeur qu'on retrouve chez les Inuits. Comment partager les ressources quand on n'a rien à partager? C'est impossible. Quand on vient d'une famille traditionnelle et que la tradition veut qu'on partage ce qu'on a, mais que cela veut dire qu'on va mourir de faim, après un certain temps, on cesse de partager. On commence à garder tout pour soi. Au lieu de partager, on cherche à amasser. Les gens n'ont vraiment plus grand-chose à partager. Ils vivent dans la pauvreté. Ils n'ont pas de quoi se nourrir.
Ils peuvent peut-être partager leurs maisons, et il y a des maisons qui abritent deux ou trois familles différentes, mais ceux qui croient à l'importance de partager sont bien souvent victimes d'abus. Quand quelqu'un vient ici pour fréquenter le Collège de l'Arctique, nous lui offrons le logement. Si un des membres de sa famille qui vit à Pangnirtung ou dans un autre endroit se voit éjecté de sa collectivité à cause de sa mauvaise conduite et de ses démêlés avec la justice, il arrive que cette personne vienne partager le logement de l'étudiant au Collège de l'Arctique du Nunavut, sans contribuer quoi que ce soit aux dépenses du ménage. L'étudiant doit alors partager sa nourriture, son logement et son temps, et il doit supporter l'inconduite de son hôte et être abusé par lui. Ainsi, le partage conduit à l'abus. Que font alors les gens? Ils se referment un petit peu. C'est donc une valeur qui est contestée maintenant.
Tout comme les femmes noires américaines, les femmes d'ici semblent avoir ce qu'il faut pour se trouver un emploi. Les hommes, qui étaient prisés pour leurs compétences comme chasseurs et comme pourvoyeurs de leur famille, restent à la maison. Ils n'arrivent pas à se trouver un emploi aussi facilement que les femmes, tout comme c'était le cas des noires dans le Sud, à l'époque où la révolution a commencé. Les hommes se sentent laissés pour compte; ils sombrent dans le désespoir. Ils ne savent pas quoi faire. Ils restent à la maison pour s'occuper des enfants, mais ils ne savent pas comment le faire, ou bien cela ne fait pas partie de leurs traditions que de s'occuper des enfants. Alors, ils tombent dans la détresse. Nous avons beaucoup d'hommes au Nunavut qui ne savent plus où ils s'en vont. Ils ne peuvent pas s'accrocher aux valeurs qui les guidaient auparavant. En outre, ils mettent fin à leurs jours. Le suicide est un gros problème ici. Ils deviennent désespérés et ils se tuent.
Le respect d'autrui est une valeur très importante. Je l'ai bien senti quand je suis arrivé ici. Je pensais qu'on allait peut-être m'écarter, mais ce ne fut pas le cas. Les gens m'ont ouvert les bras. Ils ont été tellement accueillants. Jamais je n'ai senti que je n'étais pas le bienvenu. Je me suis présenté dans deux élections, soit dit en passant, aux deux dernières élections fédérales, et jamais je n'ai senti que les gens se détournaient de moi parce que j'étais blanc ou que je ne parlais pas inuktitut. L'expérience a été formidable.
Le respect d'autrui est une valeur importante, mais elle est en train de perdre du terrain. Nous avons maintenant le problème des aînés qui sont victimes d'abus, et je le sais pour l'avoir vu. Les aînés ne sont plus respectés. Les opinions et le mode de vie sont tellement différents maintenant. Ceux qui ont vécu de la terre n'ont pas les compétences ou les connaissances, ils n'ont pas les antécédents ou les traditions qui leur permettraient d'aider les jeunes à comprendre ce qui se passe dans leur collectivité. Les rapports amoureux, par exemple, les jeunes qui se courtisent, ce sont là des choses qui sont importantes maintenant, mais les aînés n'ont jamais connu cela. Quand ils étaient jeunes, leurs mariages à eux étaient arrangés, et ce, en fonction de considérations pratiques et de critères bien précis. De nos jours, le respect des aînés est une valeur qui bat de l'aile chez les jeunes.
Je vais vous dire ce qu'il en est du respect des aînés de nos jours. Il y a des aînés dont les enfants vont prendre leur chèque de pension au bureau de poste pour le dépenser. La personne aînée ne voit jamais la couleur de son chèque. Il y a des aînés au Nunavut qui meurent de faim parce qu'ils ne sont pas nourris convenablement, et ce, parce que les jeunes de leur famille ne les respectent plus. C'est une valeur qui est en train de disparaître.
Le soin des enfants est une autre valeur. J'en ai parlé un peu tout à l'heure. Même cette valeur-là est en péril depuis qu'on ne vit plus dans une collectivité ou un groupe familial capable de subvenir à ses propres besoins. Qui s'occupe des enfants? Auparavant, les tantes, les oncles, les cousins et les frères et sœurs s'occupaient de tous les enfants. Ils s'en occupaient très bien. De nos jours, cette valeur est en train de se perdre parce que nos collectivités ne sont pas organisées de manière à appuyer les familles. Elles sont organisées par rue et les familles ne vivent plus dans la même maison. Elles ne sont plus proches, et cela pose des problèmes.
Une des valeurs les plus importantes chez les Inuits est le rétablissement de l'harmonie familiale, et cette valeur est en train de se perdre.
Je me tourne ici vers Ed pour parler de la prise de décisions par la voie de la discussion et du consensus. Il se trouve que ce ne sont pas que des particuliers qui sont durement touchés par la pauvreté. Nous avons un gouvernement qui est aux prises avec la pauvreté. Au lieu que l'on cherche à s'entendre par voie de consensus, nous assistons chaque jour aux querelles entre les deux partis au Nunavut et entre le Cabinet et les simples députés. Il n'est pas très agréable de faire partie du gouvernement au Nunavut. On serait censé procéder par la voie du consensus, qui veut qu'on se réunisse pour discuter des choses et s'entendre, mais quand on a très peu de ressources, même cette valeur-là est menacée.
La patience fait place à la panique, à la colère et au désespoir. Partout, les gens sont désespérés. Ils sont en colère, et cette colère les ronge de l'intérieur.
Quand je suis arrivé ici, je savais que l'honnêteté était une valeur très prisée. J'en étais épaté. Quand on demandait à quelqu'un si c'était lui ou elle qui avait fait telle chose, il ou elle répondait « oui ». Cette valeur est en train de changer, et les gens sont de plus en plus sur la défensive parce qu'ils ont trop à perdre. Ils évitent de dire la vérité. Ils refusent d'assumer leurs responsabilités.
La médiation par une tierce partie en cas de conflit est une autre valeur inuite. Si j'en voulais à Ed pour quelque chose, j'irais peut-être voir Kathy pour qu'elle en parle à Ed. C'est comme cela qu'on faisait autrefois. Maintenant, je ne fais même plus cela. La résolution de conflit par un tiers est une valeur qui est en train de se perdre et il n'y a rien qui l'a remplacée.
Ce sont simplement là quelques-unes des valeurs dont j'ai pu constater qu'elles avaient changé. Ce qui se passe à mon avis, c'est que la culture est en train d'être détruite, non pas seulement à cause de la langue, mais à cause de la pauvreté. La pauvreté ne permet pas aux gens de vivre comme ils vivaient avant.
Je crois que je vais m'arrêter là. Quand vous poserez des questions, vous voudrez peut-être en poser une au sujet de la TPS.
Kathy Okpik, sous-ministre, ministère de l'Éducation, gouvernement du Nunavut : Qujannamiik. Je ne vais pas vous adresser la parole bien longtemps, je dirai simplement quelques mots. Je veux réitérer ce qu'a dit le ministre, à savoir que je suis née ici et que j'y ai grandi. J'ai eu le privilège de pouvoir aller à l'école ici et aussi d'avoir fait mes études postsecondaires au Nunavut. Après avoir enseigné pendant dix ans, j'ai décidé de me lancer dans l'administration.
Je vais changer l'orientation de la discussion, car quand on parle de pauvreté, on sort beaucoup de statistiques peu reluisantes. Quand on parle du Nord et du Nunavut en général, c'est toujours pour dire que la situation est pire ici qu'ailleurs. Nous avons le taux de suicide le plus élevé, le taux de natalité le plus élevé et nous manquons de logements. Il me semble qu'il faut aussi parler des possibilités incroyables qui s'offrent à nos jeunes.
Nous faisons des choses merveilleuses. Nous accomplissons des choses fantastiques dans notre territoire, dans notre système scolaire même si, récemment, il y a eu des rapports négatifs sur l'éducation. J'ai entendu une question sur la perte de notre culture. Notre système scolaire compte 98 enseignants inuits détenant un baccalauréat en éducation. Ce sont eux qui enseignent à nos jeunes. De plus, nous avons presque 300 enseignants détenteurs de certificats qui enseignent la langue et la culture dans noter système scolaire. Quelqu'un a demandé s'il devrait y avoir des écoles culturelles distinctes. Notre système scolaire vise à offrir une scolarité autochtone-inuite.
Notre population est à 85 p. 100 inuite. Même si le système scolaire est public, il se repose sur la culture inuite. Nous recrutons activement des enseignants de langue inuktitut qui dispenseront des cours en inuktitut et en anglais.
Les mines représentent un secteur économique très prometteur pour notre territoire. Je suis fier de vous annoncer que nous avons reçu un prix national dans le domaine de l'innovation et de la technologie pour notre travail avec les collectivités. Quel est le rapport avec la pauvreté? Ce sont les perspectives économiques. Des perspectives pour les jeunes. Nous avons un très bon système d'allocations pour les jeunes qui souhaitent fréquenter des établissements postsecondaires, que ce soit dans le Nord ou dans le Sud.
Il existe un lien entre un faible niveau d'alphabétisation et la pauvreté et nous devons investir davantage dans ces domaines. Ici, dans le Nord, nous devons investir dans les programmes d'alphabétisation pour l'inuktitut première langue ainsi que pour l'anglais langue seconde.
Pour terminer, j'aimerais dire qu'il existe bien sûr des problèmes socioéconomiques au Nunavut, mais nous devons également penser aux excellentes occasions qui nous sont offertes. Je suis prête à répondre à vos questions. Qujannamiik.
La présidente : Il est rare que je ne pose pas de questions, mais j'aimerais faire une observation. Bill, Kathy et Ed, vos propos sur l'apprentissage et l'alphabétisation m'ont touchée profondément. Mes liens d'amitié avec les gens d'ici, de Rankin et d'ailleurs dans le Nord remontent à l'époque il y a déjà beaucoup d'années où je suis devenue sénateur. Après avoir parcouru le pays, j'ai épousé ma toute première cause, l'alphabétisation. Je me souviens des débuts du Collège de l'Arctique, et du besoin de vivre pour les enfants en inuktitut parce qu'on ne pouvait pas obtenir les livres recherchés du Sud.
Il est donc très encourageant de constater les progrès réalisés. La gouvernance et l'opportunité sont à la base de tout ce que nous faisons. Je vous félicite de votre travail. Vous n'avez qu'à m'appeler si vous voulez de l'aide.
Le sénateur Mercer : J'aimerais remercier les trois témoins. Le sénateur Fairbairn a raison, cela va au cœur de ce que nous tentons de faire et pour ceux d'entre nous qui sont de gauche, nous en sommes touchés et émerveillés.
Bill, vous avez répondu à ma question sur le nombre de logements subventionnés. Monsieur le ministre, vous avez indiqué que 700 nouveaux logements seront construits au cours des 18 à 24 prochains mois, mais qu'il manque toujours 3 000 unités. Ces 700 logements sont-ils subventionnés? Quel est le rapport entre les logements pour les aînés et les logements pour les familles?
M. Picco : À la suite des rencontres tenues à Kamloops il y a quelques années, nous avons obtenu des fonds pour l'infrastructure du logement dans le Nord. Nous nous sommes servis de ces fonds pour construire plus de 600 logements sociaux. La construction a commencé l'année dernière. En raison des impératifs de la saison, les matériaux arrivent par navire en juillet ou en août et la construction commence à ce moment-là. C'est la raison pour laquelle nous prévoyons une période de 12, de 14 ou de 16 mois.
Les 700 logements pourraient prendre la forme d'immeubles d'habitation ou de duplex, et il se peut que dans la collectivité, on décide que sur les cinq logements, trois seront affectés aux aînés, mais ces décisions sont prises à l'échelle locale. On tente de loger les personnes dont le besoin est le plus criant. Chaque collectivité a sa société du logement. Les décisions sont prises à partir de la liste de demandeurs. Sur la liste figurent des personnes méritantes, telles que les aînés, les personnes handicapées, les célibataires et les familles. C'est sur cette base que les logements sont alloués.
Le sénateur Mercer : J'ai posé la même question dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. Vous avez parlé du besoin de conclure avec le gouvernement du Canada une entente sur le développement du Nord. Je viens du Canada atlantique, et je reconnais que l'APECA est très importante. Nous nous inquiétons du manque d'enthousiasme du gouvernement actuel à l'égard de l'APECA, de FedNor ou encore de Diversification de l'économie de l'Ouest. Je ne suis guère étonné qu'il n'y ait rien qui se passe dans le Nord. Toutefois, je ne crois pas que vous puissiez vous permettre d'attendre. Il faut agir.
Le gouvernement du Nunavut, ainsi que les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon, les trois députés fédéraux et les trois sénateurs représentant le Nord, et d'autres gouvernements ont-ils pu se constituer dans un genre de grand conseil?
Avez-vous uni vos forces pour dire que vous avez besoin d'une agence de développement et que vous allez exercer des pressions sur le gouvernement, quel qu'il soit? Avez-vous déclaré que vous alliez exercer des pressions sur le gouvernement pour qu'il conclue une entente dont les dispositions seraient les mêmes ou meilleures que celles prévues par les ententes visant l'APECA, Diversification de l'économie de l'Ouest ou FedNor? Une agence québécoise s'occupe du Québec rural.
Avez-vous envisagé d'unir vos forces à celles de vos collègues à Whitehorse et à Yellowknife?
M. Picco : Tout d'abord, il existe une relation de travail merveilleuse entre le premier ministre du Yukon et ses homologues des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. En fait, M. Fentie, du Yukon, et M. Roland, des Territoires du Nord-Ouest, que nous connaissons très bien, rencontrent sur une base régulière notre premier ministre, M. Okalik, depuis plusieurs années déjà. En parallèle, Larry Bagnell, du Yukon, Dennis Bevington, des Territoires du Nord-Ouest, et Nancy Karetak-Lindell ont soulevé ces questions lors de rencontres territoriales, notamment la question de la réforme fiscale. Plus précisément, tous les territoires et toutes les instances du Nord travaillent sur le dossier du développement économique régional depuis plusieurs années déjà. Vous avez peut-être remarqué une note de frustration dans ma voix. Le dossier n'avance pas et vous nous avez fourni une idée des raisons du manque de progrès.
Pour résumer, il existe un partenariat solide ainsi que des relations très saines entre les territoires du Nord sur ces questions qui nous sont communes.
Le sénateur Mercer : Il y a des rumeurs qui courent selon lesquelles il y aura des élections bientôt. On verra bien. Il me semble que ce serait peut-être une belle occasion pour vous-même ainsi que pour vos collègues du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest d'obtenir des promesses de la part des candidats qui se présenteront dans les trois circonscriptions du Nord. L'heure est peut-être venue pour que les candidats s'engagent à l'égard d'une agence du développement du Nord.
Je sais que Larry Bagnell et Nancy Karetak-Lindell, qui sont membres de mon caucus, revendiquent ce dossier depuis plusieurs années déjà. Ce n'est qu'une suggestion de ma part.
Bill et moi avons trouvé intéressant le fait qu'on vous demande de décrire votre culture. Nous, les habitants du Sud, et surtout nous les hommes blancs, n'avons pas à fournir une telle description. Les gens pensent qu'ils connaissent notre culture et on ne nous demande pas souvent de la décrire. Lorsque vous avez abordé cette question intéressante, je me suis demandé comment je décrirais ma culture. Je ne crois pas pouvoir le faire.
Vous avez parlé des difficultés que rencontrent les aînés. Qu'en est-il des jeunes au Nunavut quand les gens contestent consciemment ou imposent des modifications culturelles? Est-ce bénéfique ou non, nous pourrions en discuter. Quelle incidence cela a-t-il sur les jeunes?
M. Riddell : Kathy a évoqué les efforts consentis dans le système scolaire pour activement inclure la culture dans le programme d'enseignement. Je pense que c'est extrêmement utile. J'essaie de voir ce qui se passe dans un foyer pauvre. La grande question que devraient se poser tous les enfants est de savoir où ils vont vivre une fois adultes. Un logement social ne peut pas être transmis. Vous ne pouvez pas hériter d'un logement social. À Arviat, par exemple, il y a un grand nombre de jeunes, un très très grand nombre de jeunes. Je ne sais pas ce que révèlent les statistiques mais en pourcentage, cela effraie. Ces jeunes deviendront adultes sous peu et ils devront vivre dans la maison de leurs parents. Une fois leurs parents décédés, à moins qu'il ne survienne quelque chose, ils n'auront pas d'endroit où vivre parce que les logements sociaux ne sont pas transmis d'une génération à l'autre. Ils sont accordés de façon ponctuelle.
Je dirais que je ne peux pas répondre à votre question. Je n'en sais vraiment rien. Je suis sûr que l'effet est dévastateur. J'ai pu le constater. Dans mon travail, j'ai pour tâche de m'occuper des différends entre propriétaires et locataires dans tout le Nunavut. Je dois aller sur place dans les diverses localités et je constate le sort réservé aux gens qui ne peuvent pas payer leur loyer. Certains parents ont des arrérages de loyer de 25 000 $, de 30 000 $. Au Nunavut, à Arviat ou ailleurs, si trois familles sont expulsées, ces trois familles se réfugient dans trois autres maisons. Il en résulte des maisons surpeuplées et cela menace littéralement de détruire la collectivité. Seulement trois cas de ce genre dans une petite collectivité suffisent à la bouleverser.
Nous sommes aux aguets, tâchant sans cesse de trouver des aménagements. Les enfants subissent certains remous dans ces situations et je ne sais absolument pas quelle incidence cela a sur eux.
Le sénateur Mercer : Ma dernière question s'adresse à Kathy. Vous avez parlé avec fierté, à bon droit, du système d'éducation que vous avez élaboré ici au Nunavut, système ayant reçu une motion honorable, et cetera. Quel est le taux des étudiants qui se rendent à l'obtention du diplôme? Quel pourcentage des jeunes obtiennent leur diplôme d'études secondaires et quel est le pourcentage d'entre eux qui poursuivent des études postsecondaires?
La question suivante s'adresse à tous nos témoins : une fois leur diplôme obtenu, que font-ils? Combien d'entre eux restent dans le Nord? Combien parmi ceux qui vont au sud du 60e reviennent? Il y a deux semaines environ, quelqu'un est venu nous exposer le programme australien visant à inciter les jeunes à retourner dans les régions rurales de l'Australie. Consacrez-vous des efforts monstres à instruire des gens qui iront travailler dans d'autres régions du pays et non pas au nord du 60e?
Mme Okpik : Quant aux taux d'obtention du diplôme, l'année dernière ou l'année précédente, il était de 25 p. 100. Je dois assortir ce chiffre d'explications contextuelles car il y a ici 25 collectivités et jusqu'aux années 1990, il n'y avait pas une école secondaire dans chaque collectivité. Les gens de ma génération devaient quitter leur localité, moi-même j'ai dû quitter Pangnirtung, pour intégrer une école secondaire ici. C'était la réalité des années 1970 et 1980.
Assurément, si dans les années 1980 on avait probablement 25 diplômés, actuellement, nous en avons en moyenne 140. Le système d'éducation au Nunavut est relativement tout jeune. Comme je l'ai dit, il y a des localités où pendant des années il n'y avait pas d'écoles secondaires. Au centre de notre stratégie d'éducation bilingue, nous mettons l'accent sur le développement des ressources, l'obtention du diplôme mais également sur la formation des enseignants, des enseignants connaissant l'inuktitut, cette stratégie revêtant une grande importance pour notre gouvernement.
Quand nos étudiants quittent le système scolaire, ils ont la possibilité d'aller au sud et, dans la plupart des cas, il leur faut y aller pour poursuivre des études postsecondaires. Nous avons des programmes menant à un diplôme dans le Nord, en soins infirmiers et en enseignement. À un moment donné, nous avions également un programme de droit en collaboration avec l'Université de Victoria, mais pour nombre de nos jeunes désirant poursuivre d'autres études, il leur faut aller dans le Sud et la plupart d'entre eux reviennent travailler au sein de leur collectivité dans le Nord. Par ailleurs, nous aimons bien recommander le gouvernement du Nunavut comme employeur d'élites.
Je tiens à ajouter que quel que soit le programme d'études suivi dans le Nord, il doit être de qualité égale sinon supérieure à ceux qui sont offerts dans le Sud au cas où les étudiants décideraient plus tard d'aller s'installer là-bas. Il arrive souvent que les gens prétendent qu'un programme offert dans le Nord n'est pas de qualité égale mais certains de nos diplômés, qui ont étudié dans notre système, ont prouvé qu'ils pouvaient travailler comme infirmiers ou infirmières en Alberta. C'est arrivé. Certains étudiants du programme conjoint avec l'Université de Victoria font leur cléricature à la Cour suprême du Canada.
Il y a beaucoup d'exemples de cas de réussite dans le Nord. On peut rappeler le taux d'obtention du diplôme de 25 p. 100 mais quand on sait d'où nous sommes partis dans les années 70 et 80, et où nous en sommes aujourd'hui, on constate qu'il y a eu une croissance remarquable.
Je reconnais par ailleurs qu'il y a encore beaucoup à faire. Nous nous attelons vigoureusement à la tâche de repenser notre programme d'enseignement pour y incorporer la langue et la culture inuites. Des aînés travaillent avec nous. Nous avons des documents sur le quotient intellectuel axé sur les connaissances inuites en tant que base de notre programme d'enseignement et de notre travail scolaire. Nous savons également qu'il nous faut progresser dans le domaine de l'évaluation. Nous avons déjà commencé. Nous avons entrepris des consultations sur l'apprentissage de la langue au sein de 19 collectivités, et dans les six dernières, nous attendons que la collectivité décide de la place qu'elles veulent accorder à la langue. C'est là le fondement de la stratégie d'éducation bilingue car les collectivités doivent décider des modèles qui leur conviennent.
Le sénateur Mahovlich : Je tiens à remercier nos témoins d'être venus.
Je voudrais parler des ressources minières de cette contrée et de l'avenir. Pour ma part, je viens d'une communauté minière. J'ai eu beaucoup de chance. L'exploitation minière a beaucoup apporté à notre région. Les sociétés contribuaient à couvrir les coûts de scolarisation. Nous avons eu ainsi une bonne instruction. Il nous fallait quitter la collectivité pour poursuivre des études secondaires et bien des gens l'ont fait. Les sociétés minières s'occupaient du moral de la population. Les mineurs ont construit des centres communautaires. Aux pavillons des patinoires pour le hockey, nous avions des salles de quilles. Nous avions des salles de danse. Nous avions beaucoup de chance. Timmins était un endroit épatant pour ceux qui y grandissaient dans les années 1940 et 1950. Un jeune garçon qui y vivait alors était comblé. On s'occupait des jeunes là-bas.
Si je dis cela au Nunavut c'est parce que je pense que le Nunavut va intéresser les sociétés minières. En Afrique, les sociétés minières n'ont pas laissé grand-chose dans leur sillage. Elles ont extrait les diamants et ont tout simplement laissé les choses en l'état. Je suis allé en Afrique. C'est très bien de construire des routes mais tôt ou tard, il faut les entretenir. Une route qui n'est pas entretenue se détériore à un point pire que si elle n'avait jamais eu de revêtement.
Il nous faut être prudent en l'occurrence. Il y a beaucoup de travail à faire. Ed, vous pouvez peut-être nous donner plus de détails sur la situation à cet égard.
M. Picco : Quand on songe à ce qui va se passer d'ici dix ou 15 ans au Nunavut, on se rend compte que ce sera rien de moins que spectaculaire. Nous sommes destinés à être un chef de file en développement économique, car nous avons une grande richesse au Nunavut. Par exemple, on a déjà dépensé cette année plus de 200 millions de dollars pour l'exploration minière. C'est une somme record en matière d'exploration minière au Canada sur un territoire comme le Nunavut. Nous avons de l'or. Nous avons des diamants. Nous avons beaucoup de métaux de base et de l'uranium. Leur présence dans le sol a été avérée. Au nord de l'île de Baffin, il y a dans une localité qui s'appelle Mary River le potentiel pour plus de 1 500 emplois grâce à un gisement de minerai de fer, probablement de la meilleure qualité qui existe actuellement dans le monde et il n'a pas encore été exploité. Cette mine a une durée de vie de 70 à 100 ans. On parle donc d'une mine dont l'exploitation s'étendrait sur plusieurs générations ce qui est un débouché épatant pour nos collectivités.
Nous possédons plus de 30 p. 100 des réserves pétrolières et gazières connues du Canada. Dans les années 1970 et 1980, le gouvernement fédéral a instauré un programme de forage du pétrole dans les régions pionnières et nous avons eu un puits de pétrole en exploitation au Nunavut, dans le champ de pétrole Bent Horn, jusqu'en 1985, 1986. Bien des gens l'ignorent.
Avec l'évolution des choses d'ici quelques années, le Nunavut sera en très bonne position sur le plan économique. Comme Kathy l'a dit tout à l'heure, le verre est-il à moitié rempli ou à moitié vide? Je pense qu'il y a lieu d'être très optimiste au Nunavut, le reste du Canada pouvant bénéficier de nos réussites économiques. Nous n'allons pas toujours quémander. Nous allons pouvoir aider les Canadiens dans le reste du pays.
Le sénateur Adams : J'aime beaucoup l'histoire du Nunavut. Je connais Kathy depuis qu'elle était haute comme trois pommes, quand elle avait trois ou quatre ans. Je suis ravi de la voir ici. Elle est Inuk et a un poste d'adjointe au ministère de l'Éducation.
Quand je suis arrivé à Rankin Inlet en 1960, il n'y avait que deux conseillers inuits, nommés par John Diefenbaker, qui, deux fois l'an, rencontraient les représentants du ministère des Affaires indiennes à Ottawa. Je cherche encore cette photo prise à Rankin Inlet du premier ministre Diefenbaker et de John Ayaruak, un vieil ami décédé il y a plus de 30 ans. Jamais je n'oublierai ces deux hommes. Le gouvernement du Canada commençait à reconnaître l'existence du Nord et du peuple inuit. Le père de Kathy est un pionnier pour ce qui est de l'aide à la population du Nunavut et de l'avenir du territoire.
Ma question s'adresse au ministre Picco. Vous avez voulu changer le système d'éducation au Nunavut. Au printemps dernier, vous étiez censé adopter une loi et pour une raison quelconque, certains citoyens n'étaient pas d'accord, car ils voulaient davantage sur le plan linguistique. Les deux projets de loi qui ont été adoptés entre-temps ont dû recevoir l'aval d'Ottawa pour que le système d'éducation du Nunavut puisse être amélioré. Qu'en pensez-vous? Vous et Kathy serez-vous aidés davantage si ces deux projets de loi sont approuvés?
M. Picco : Le sénateur a raison. Nous avons déposé trois très importants projets de loi à l'assemblée législative au cours des 12 derniers mois. Deux d'entre eux sont des projets de loi linguistiques et l'autre est notre nouvelle Loi en matière d'éducation. Pour la première fois au Canada, même dans toute l'Amérique du Nord, une langue autre que l'anglais, le français ou la langue de la majorité de la population, va faire l'objet de dispositions législatives. Pour la toute première fois, il y aura une langue autochtone légitimée dans une assemblée législative. En soi, c'est un précédent.
Les deux projets de loi linguistiques n'ont rien à voir avec la loi 101 au Québec. Toutefois, ils visent à intégrer la langue inuktitut, écrite et parlée, grâce à divers facteurs et dans diverses sphères de la société.
Selon la nouvelle loi, les aînés auront un rôle. Si un aîné se rend dans une salle de classe, on le paiera sans doute 10 $ ou 15 $ l'heure, car il ne possède pas une scolarisation classique. Par exemple, cette loi pour la première fois disposera qu'un aîné s'adressant à une classe est doté d'un diplôme de maîtrise en apprentissage perpétuel et il sera rémunéré en fonction de ce diplôme.
Pour toute première fois, nous allons garantir un ratio enseignant-élève inférieur à la moyenne nationale. Si la moyenne nationale est de 1 à 20 et nous en serons à 1 à 19. Nous allons financer cela. Avec la nouvelle Loi sur l'éducation, 14 millions de dollars supplémentaires seront injectés dans le système d'éducation.
Le sénateur a tout à fait raison. C'est vers cet objectif que nous nous orientons. Il faut se rappeler, sénateur Fairbairn, que notre gouvernement n'existe que depuis neuf ans. Nous avons commencé en 1999. Nous allons faire bien des erreurs, mais nous avons la possibilité de prendre nos affaires en main au Nunavut, ce que nous n'aurions pas pu faire auparavant. Je sais de quoi je parle, car j'ai travaillé dans les Territoires du Nord-Ouest. Je peux faire la comparaison. Bien entendu, nous avons fait des erreurs, mais nous savions tous que nous allions en faire. Nous sommes en train d'apprendre et nous avons commencé à prospérer. C'est ce qu'expliquait Kathy. Vous comprenez la fierté que nous avons en songeant à certaines de nos réalisations. Le verre est-il à moitié plein? Je pense qu'il est à moitié plein.
Le sénateur Adams : Si ces projets de loi sont adoptés, pensez-vous que le gouvernement fédéral va donner son aval ou au contraire, affirmera-t-il qu'il n'y a que deux langues reconnues, l'anglais et le français? Qu'en pensez-vous?
M. Picco : Le sénateur soulève une question constitutionnelle épineuse. Dans notre cas, en tant qu'assemblée législative territoriale, toute loi improductive ou allant à l'encontre des lois actuelles ou fédérales peut être invalidée par le gouvernement fédéral, bien entendu. Nous ne pensons pas que ce sera le cas de ces projets de loi. Une fois qu'ils auront été adoptés par notre assemblée, nous pensons qu'elles survivront à toute contestation judiciaire. Ces lois ont été revues par Justice Canada. Une fois qu'elles auront été adoptées par notre assemblée législative, le gouvernement fédéral n'aura pas besoin de les ratifier. Nous pourrons nous en tenir à la décision de notre propre assemblée législative.
Le sénateur Adams : Je pense qu'elles seront valables, tout comme la loi québécoise. Leur validité sera reconnue par les tribunaux. Elles seront utiles et on peut espérer qu'elles seront adoptées pour permettre aux gens d'utiliser leur langue devant les tribunaux. Cela améliorera énormément le sort de la population de ce territoire.
Le sénateur Peterson : Monsieur Picco, vous avez parlé de la richesse économique du Nunavut, ce qui est très emballant, mais, si je ne m'abuse, l'essentiel des éventuelles redevances sera versé à Ottawa. Vous êtes en train de discuter de l'attribution de compétences. Comment vont ces discussions? Quand vous attendez-vous à ce qu'elles se terminent et quelle serait l'incidence sur le Nunavut?
M. Picco : Quand on parle de compétences au Canada, on parle des provinces et des territoires. Si on nous a désigné comme territoire, c'est parce que nous n'avons pas le contrôle des ressources terrestres. Par exemple, personne n'est propriétaire foncier au Nunavut. Dans le Sud, M. Mahovlich peut être propriétaire d'une maison qui aurait pu appartenir à sa famille pendant 100 ans et il peut être propriétaire du terrain sur lequel cette maison se trouve. Au Nunavut, les terres sont louées. Le commissaire possède les terres en conseil. C'est là une des grandes différences.
Quand on parle d'attribution de compétences, on parle de ce contrôle que possède une province sur ses ressources terrestres et aquatiques. Le premier ministre poursuit activement cette discussion avec son homologue fédéral. M. Penikett, ex-premier ministre du Yukon, a déjà été nommé principal négociateur dans le dossier. Il y a eu des progrès, mais ce genre de discussions prend beaucoup de temps. On ne règle pas ce genre de dossier en six mois ou en un an. Il y a eu des avancées même si elles n'ont pas été aussi prononcées ou rapides que je l'aurais souhaité.
Nous souhaiterions retenir au Nunavut une plus grande partie des redevances tirées de l'exploitation de nos ressources. Par exemple, en Ontario, si une mine rapporte 300 millions de dollars, le gouvernement peut retenir de 10 à 25 p. 100 de cette somme en redevances. Au Nunavut, c'est moins de 5 p. 100. C'est une vaste différence.
Le sénateur Adams : Je tiens à féliciter Bill. Je pense que ce qu'il avait à dire sur la pauvreté et la culture était fort intéressant. Nous sommes nous-mêmes des Inuits. Quelqu'un qui est sur le territoire comme Bill pourrait être appelé Inuk. D'une certaine façon, peu importe qui vous êtes, les Inuits accueillent tout le monde. Comme vous l'avez dit, on apprend au contact de ce peuple. Je n'ai pas de question à vous poser. Je veux tout simplement vous dire que vous me réconfortez. Je tiens à vous dire que vous avez fait du bon travail.
La présidente : Merci beaucoup. Nous venons de tenir une séance épatante avec nos témoins. L'avenir est entre vos mains. Merci pour ce que vous faites et continuez.
Sénateurs, nous accueillons maintenant David Wilman, directeur exécutif du Centre communautaire Tukisigiarvik à Iqaluit. Elisapi Davidee-Aningmiuq, coordonnatrice de programmes, au centre, l'accompagne.
Nous sommes très heureux que vous ayez pris le temps de venir cet après-midi nous apporter votre témoignage.
[Elisapi Davidee-Aningmiuq parle dans sa langue autochtone.]
Elisapi Davidee-Aningmiuq, coordonnatrice de programmes, Centre communautaire Tukisigiarvik à Iqaluit : Tout d'abord, comme je vous l'ai dit, je vous accueille avec un sourire. Les Inuits n'ont commencé que récemment à dire bonjour ou bonsoir. D'habitude, l'accueil se fait avec un sourire et c'est encore le cas. Nous accueillons les gens avec un sourire. Ainsi, bienvenue à tous et merci d'être venus à Iqaluit.
Monsieur Mahovlich, je dois vous avouer que j'ai eu bien des hourras pour vous. Je suis de cette génération qui vous acclamait. Si les gens savaient que vous êtes ici dans cette salle, la salle serait bondée. Bienvenue.
C'est un plaisir que de me présenter devant vous. J'ai grandi à Iqaluit. Je suis née dans un camp de pionnier où il y avait quatre huttes et nous sommes venus à Iqualuit parce que mon grand-père et mon père étaient pilotes pour le navire C.D. Howe et le Nascopie entre Lake Harbour et le Cap-Dorset, à l'époque. Mon père est venu à Iqaluit pour acheter une pièce de moteur pour son bateau Peterhead et on nous a persuadés de rester parce qu'il était un bon mécanicien. Ainsi, nous sommes restés sans jamais repartir.
J'ai vu Iqaluit grandir. J'ai constaté une grande évolution. Je ne savais pas parler anglais. Je continue toujours de l'apprendre. J'aurais préféré m'adresser à vous en inuktitut, mais je me mets au diapason de Dave aujourd'hui et je parle en anglais.
Nous sommes de la Société communautaire Tukisigiarvik à Iqaluit qui a été créée après consultation de la collectivité. Le centre a été créé en 2003 et il s'occupe des activités de la halte, du Centre Tukisigiarvik. Le centre offre des services de counselling, des programmes de traitement et de bien-être, un appui pratique, des programmes de développement des compétences culturelles et bien d'autres activités qui sont très populaires. Nous nous portons également à la défense de la population d'Iqaluit, en particulier ceux qui sont sans-abri, démunis et marginalisés pour une raison quelconque, y compris un grand nombre qui souffrent encore des bouleversements sociaux et culturels causés par l'imposition de programmes de bien-être social et de systèmes de justice, d'éducation et de santé par le gouvernement, il y a 50 ans.
David Wilman, directeur exécutif, Centre communautaire Tukisigiarvik à Iqaluit : Je suis un ancien éducateur. Je suis venu ici comme enseignant en 1970, pour un an, car j'étais en route pour découvrir le monde. Je suis encore ici. J'ai épousé une Inuk et je suis un proche ami d'Elisapi. J'ai deux enfants et quelques petits-enfants. Comme Elisapi, j'ai essayé d'apprendre l'autre langue pendant très longtemps mais elle est beaucoup plus douée en anglais que je ne le suis en Inuktitut, même si je persévère.
J'ai beaucoup aimé mon séjour ici. J'ai commencé dans l'enseignement. J'ai travaillé dans le domaine de l'éducation pendant 30 ans, puis j'ai terminé ma carrière comme directeur du collège communautaire qui a développé le principe fondateur du programme de formation des enseignants dont Kathy Okpik a parlé; ce programme lui a permis d'obtenir son baccalauréat en éducation. J'ai négocié la première entente sur l'octroi de diplômes avec l'Université McGill, et j'ai également négocié le programme de soins infirmiers avec l'Université Dalhousie. Je faisais partie du conseil consultatif qui a rencontré le corps professoral du collège à Inuvik juste avant l'ouverture de la faculté de droit. À ce moment là, j'ai pris ma retraite et j'ai fondé une société d'experts-conseils qui se spécialise principalement dans les questions d'ordre social et éducatif. Quelques années plus tard, Elisapi m'a demandé de créer la société Tukisigiarvik. Elle avait organisé le financement et la ville avait créé un programme de soins continus pour les sans-abri et d'autres personnes défavorisées. Nous sommes ici aujourd'hui pour parler de cela. Ni elle ni moi ne sommes des experts en la matière, mais nous participons dans des projets communautaires visant à aider les gens à améliorer leur sort et à participer plus activement dans notre société. Nous arrivons avec des perspectives différentes, mais nous sommes très passionnés.
Il y a environ un an et demi, la ville d'Iqaluit nous a demandé d'entreprendre des consultations approfondies au sein de la collectivité sur les questions sociales à Iqaluit. Nous aimerions discuter de nos résultats et de nos conclusions avec vous. Certains renseignements que nous allons partager avec vous ont été recueillies auprès de plus de 350 personnes, depuis des hauts fonctionnaires gouvernementaux jusqu'à des gens ordinaires, et cela, au cours d'une période de cinq mois.
Ce que nous avons découvert nous a surpris, mais c'était un reflet des statistiques très désolantes qui existent déjà. En fait, un jour après notre grande réunion publique, un article a paru dans le Globe and Mail, que je reprends dans ce document. J'aimerais vous montrer le parallèle qui existe entre les données statistiques rapportées dans le Globe and Mail et dans d'autres rapports, et ce que les gens d'Iqaluit nous ont dit. Bref, les gens qui vivent à Iqaluit connaissent les problèmes auxquels ils font face et ils connaissent les solutions. Nous essayons de nous concentrer sur les solutions, et non sur les aspects négatifs; quelles sont les solutions et comment y arriver.
La première constatation que nous avons faite à la suite des consultations publiques était que le manque de logements de qualité acceptable et à prix abordable était de loin le problème social le plus important. Cette constatation est appuyée par un rapport sur les sans-abri rédigé par RHDSC en 2006. Le rapport parlait également de l'impact du manque de logements abordables et de logements de qualité acceptable, ce qui créait beaucoup de sans- abri. Il y a aussi l'autre phénomène dont on a parlé un peu plus tôt : les sans-abri cachés, c'est-à-dire les gens qui n'ont pas de toit et qui se déplacent d'un endroit à l'autre, parfois de jour en jour, et qui essaient de se trouver un endroit chaud et sûr, car cela n'existe pas dans la rue. C'est un sérieux problème.
Le sénateur Mercer a demandé de connaître les chiffres. Il n'y en a pas, mais la Pauktuutit Inuit Women's Association a récemment estimé qu'à Iqaluit il y avait probablement plus de 300 femmes sans abri, ou presque, et qu'il n'existe pas de refuges d'urgence pour elles.
Le même rapport fédéral a conclu que pour résoudre le problème des sans-abri, il fallait tout simplement construire plus de logements. Un peu plus tôt, on s'est demandé combien de logements sociaux existaient à Iqaluit, et combien il en faudrait encore. Bill Riddell vous a répondu que nous avons besoin d'environ 450 unités de logement social immédiatement. Mais le rapport fédéral a dit que le besoin immédiat s'élevait à 1 000 chambres, des chambres et non des maisons. Étant donné la croissance de la communauté, dont la population a déjà doublé au cours des dix dernières années, on estime que d'ici 2022, le besoin s'élèvera à 2 243 nouvelles chambres. Cela représente 750 nouvelles maisons de trois chambres à coucher à Iqaluit seulement.
Le ministre Picco a dit qu'on allait construire 750 maisons. Ça, c'est pour les 25 collectivités du Nunavut, pour les deux prochaines années. On sera loin de régler ainsi le problème. En effet, cela ne tient pas compte de l'augmentation rapide du besoin de logement découlant de la grande jeunesse de notre population et du taux de natalité très élevé.
Passons maintenant à l'article du Globe and Mail qui, comme je le disais, a été publié le lendemain de notre séance publique. Il était intitulé Au Nunavut, une épidémie de violence et de désespoir. L'article donnait une longue liste de statistiques que vous avez sans doute déjà entendues. Les décès par suicides sont 8,3 fois plus élevés que la moyenne nationale, et 40 fois plus élevés que la moyenne nationale chez les hommes de 15 à 24 ans. Le revenu médian, à 49 000 $, est inférieur d'environ 10 000 $ au revenu médian national, qui est de 58 000 $. Cette statistique ne tient pas compte de tous ceux qui n'ont aucun revenu. Il s'agit simplement du revenu total des habitants du Nunavut, divisé par le nombre d'habitants. Or, beaucoup de gens n'ont aucun revenu. Pour le taux de diplomation au niveau secondaire, il est de 25,6 p. 100 comparativement à 75,6 p. 100 ailleurs au Canada. La mortalité infantile est de 16,1 par 1 000 naissances, comparée à 5,3 par 1 000 naissances, à l'échelle nationale. L'âge de la population est bien inférieur à la moyenne nationale et une très faible partie de la population est âgée de 65 ans ou plus. Je n'y suis pas encore, je pense que ce sera l'an prochain, pour moi. Plus de 50 p. 100 de la population a moins de 20 ans. C'est le facteur le plus important à considérer. Les taux de criminalité concernant les homicides, les voies de fait et les agressions sexuelles sont respectivement 3,5, 6 et 8 fois plus élevés que la moyenne nationale. Il n'y a que pour les vols à main armée que nos statistiques sont plus positives, soit moins du quart de la moyenne nationale. J'ignore pourquoi il en est ainsi.
Ces indicateurs socioéconomiques nous permettent d'évaluer la situation au Nunavut et de la comparer à celle du reste du Canada. Statistiquement, plus l'écart est grand par rapport à la moyenne nationale, plus les conditions sociales sont extrêmes et plus grave est le problème, plus complexe aussi, pour les Nunavummiut. On emploie le mot inuk « Nunavummiut » pour désigner les habitants du Nunavut. Pour les habitants d'Iqaluit, on se sert du terme « Iqalummiut ».
Il y a une relation étroite entre le logement et les autres conditions sociales et cette question a fait l'objet d'un autre rapport important sur le logement publié en 2006. Dans ce rapport, on insistait sur les effets négatifs des logements de mauvaise qualité sur les enfants, sur les jeunes, sur la santé, sur l'éducation, sur le bien-être de la collectivité, sur la santé mentale ainsi que sur la santé économique.
D'après les conclusions du rapport, à moins que des mesures énergiques soient prises immédiatement pour améliorer la situation du logement au Nunavut, et je cite parce que c'est très important : « les Inuits ne feront aucun progrès dans les domaines social, culturel et économique » et qu'à l'heure actuelle, la crise du logement « empêche les Inuits de progresser, dans tous les domaines socioculturels ». Cela fait peur à entendre.
Quand nous avons vu la liste des indicateurs économiques tirés de l'article du Globe and Mail et ceux tirés du rapport de NTI, le lien entre les deux groupes de données nous a sauté aux yeux. Il va de soi qu'il y a d'autres facteurs qui contribuent aux problèmes, mais des logements inadéquats ne font qu'alimenter les problèmes sociaux que sont le suicide, la violence interpersonnelle, les problèmes de santé, la violence familiale, la toxicomanie, le décrochage scolaire, le taux de criminalité élevé et les relations dysfonctionnelles au sein des familles et des collectivités.
Les 350 personnes qui ont participé à notre consultation ont soulevé les mêmes questions. Il ne s'agissait pas seulement de séances publiques, mais d'entretiens avec des personnes clés, qui disposaient de renseignements, des tribunes radiophoniques, des questionnaires et diverses rencontres, étalés sur cinq mois.
Je vais vous faire part des problèmes qui étaient cruciaux aux yeux des gens d'Iqaluit. La crise du logement et de l'itinérance était de loin celle qui a été le plus fréquemment soulevée dans le cadre de nos consultations. La plupart des problèmes d'itinérance pourraient être réglés par la construction de logements en nombre suffisant pour répondre à la demande. Une des répondantes, la juge Beverly Browne, la juge en chef de la Cour du Nunavut, a dit que si on construisait des logements, la moitié des problèmes de criminalité et de toxicomanie s'évanouiraient.
Le deuxième problème soulevé est celui des toxicomanies et de la surconsommation d'alcool et de drogues illicites qui étaient toutefois perçus comme des symptômes de problèmes sous-jacents qui touchent de nombreux Inuits. Même s'il ne s'agit que de symptômes, il ne fait aucun doute qu'ils jouent un rôle important dans l'exacerbation de la criminalité, de la violence et d'autres problèmes observés au Nunavut.
La troisième préoccupation signalée par les personnes consultées était la violence familiale et c'est une préoccupation importante pour le système judiciaire ainsi que pour les programmes des services de santé et des services sociaux. Dans ce cas aussi, nous pensons qu'il s'agit de symptômes de problèmes sous-jacents de surpopulation des logements, de pauvreté attribuable au chômage et au coût de la vie très élevé dont M. Picco vous a parlé ce matin. Il y a un autre facteur sous-jacent, le manque d'instruction, qui empêche les gens d'obtenir les emplois. Même quand il y a des emplois, ils n'ont pas les compétences nécessaires. Encore une fois, il y a les problèmes sous-jacents de la consommation d'alcool ou de drogues, entre autres.
La directrice du bureau local de la santé et des services sociaux nous a dit qu'en fait, le personnel d'Iqaluit était débordé et qu'en raison de la prévalence de la violence familiale, tout l'effectif avait été affecté à la protection et à la prise en charge des enfants par l'État. Le personnel avait donc été retiré des services de counselling en santé mentale, du counselling social, et cetera. Elle s'est levée pour dire cela dans la réunion publique, ce qui montre, je crois, un certain courage.
Le manque de possibilités d'étudier est une autre préoccupation. Je rappelle que je suis un ancien enseignant et je pense, comme M. Picco et Kathy Okpik, que nous avons fait beaucoup de progrès et que les choses se sont grandement améliorées. Mais ce n'est pas encore suffisant et cela ne répond pas encore aux besoins des gens du Nunavut. Dans une grande mesure, le programme imposé est étranger. Je sais que les choses changent. Je sais que nous avons des enseignants inuits qui ont reçu la formation nécessaire, mais il reste que le système d'enseignement ne répond pas aux besoins des jeunes du Nunavut. Le juge Thomas Berger a écrit un rapport sur le progrès des revendications territoriales il y a un an et demi. Il a dit que la crise au Nunavut était en grande partie attribuable à la mauvaise qualité du système d'éducation et au fait qu'il n'était pas adapté.
Je sais qu'au ministère de l'Éducation, on apporte des changements et on élabore une nouvelle loi sur l'éducation, en s'efforçant de mettre en œuvre les recommandations du juge Berger, mais il y a encore beaucoup de besoins au niveau de la formation appropriée, de la formation professionnelle et de l'éducation à la vie familiale. Les besoins sont accablants.
Préoccupation suivante, la jeunesse à risque. On a déjà parlé de l'épidémie de suicide. Quand plus de 100 jeunes, surtout de jeunes hommes, s'enlèvent la vie chaque année, la crise ne fait aucun doute. Il faut comprendre que ces jeunes sont l'avenir du Nunavut. Ce sont les futurs employeurs. Ce sont les futurs parents. Il faut qu'ils fassent partie de l'économie, du tissu social de la collectivité et qu'ils aient un avenir possible.
Une de mes anciennes collègues enseignantes me disait qu'elle avait des craintes au sujet des jeunes, qui dans bien des collectivités du Nunavut apprennent en grandissant que ne rien faire peut être un mode de vie. La juge Brown a dit que l'ennui était probablement l'un des principaux problèmes du Nunavut.
Mme Davidee-Aningmiuq : Parce qu'Iqaluit est la capitale, elle ne jouit pas autant de nombreux programmes mis en œuvre dans les plus petites collectivités. Iqaluit est peut-être le centre du territoire, mais pour ce qui est des programmes, elle est laissée de côté faute d'être une petite localité. Or, il y a beaucoup de mouvement à Iqaluit. Dans nos consultations, nous avons souvent entendu des gens nous dire qu'il n'y avait pas suffisamment de programmes de prévention et de soutien social à Iqaluit. Je le répète, beaucoup d'Iqalummiut croient que la collectivité est pénalisée du fait qu'elle est la capitale du Nunavut et que beaucoup de gens n'y sont que de passage. D'autres parties du pays font augmenter la demande pour les programmes de soutien local, au point que les résidants à long terme d'Iqaluit ne peuvent obtenir les services dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin. Nous avons constaté que beaucoup de gens pensent qu'il faut souvent une crise avant que quelque chose bouge.
Iqaluit a grossi très vite, trop vite à mon avis pour nous tous, pour que nous puissions régler les problèmes sociaux qui découlent de cette croissance rapide. Depuis dix ans, la population d'Iqaluit a doublé. Il fut un temps où tout le monde se connaissait ici. Maintenant, nous ne connaissons même pas les autres membres de la communauté inuite qui vivent ici. Ce matin, j'ai justement demandé à un jeune homme depuis combien de temps il était là, et il m'a répondu que cela faisait six ans. Je lui ai dit : « C'est la première fois que je vous vois et vous allez quitter Iqaluit. » Bien des gens ne sont que de passage ici.
Même si nous parlons des éléments négatifs, il y a aussi des éléments positifs, mais nous sommes là pour vous dire dans quels sont les domaines nous aurions besoin d'aide. Nous devons agir de concert. Tous les paliers de gouvernement, municipal, territorial et fédéral, ont une part de responsabilité dans la prestation des services à Iqaluit et tous les paliers doivent s'attaquer de façon urgente à ces situations cruciales.
Vous l'avez entendu dire tout à l'heure, nous, les Inuits, nous savons nous adapter rapidement. C'est vrai. Parfois, nous nous adaptons sans vraiment comprendre ce à quoi nous nous adaptons. Les Inuits sont des gens qui font confiance aux autres. Ils vous croient sur parole et, bien souvent, ils croient qu'on fait des choses pour leur bien alors que les conséquences peuvent être néfastes plus tard. L'alcool est un exemple.
Je me souviens de cet aîné qui disait : « Si ce n'est pas bon, pourquoi nous l'avez-vous apporté? Nous ne comprenons pas. Pourquoi nous apportez-vous des choses qui ne sont pas bonnes? Pourquoi faites-vous des choses qui ne sont pas bonnes pour vous en tant que personne et pour les autres? » Il parlait du tabac et de l'alcool.
Ces citoyens sont particulièrement vulnérables aux conséquences délétères des problèmes sociaux dans notre communauté. C'est un fait bien reconnu dans la littérature et dans les rapports que nous avons examinés pour préparer le rapport sur la consultation publique de l'an dernier. Nous avons constaté que c'est un fait qui est bien souvent reconnu tant par les non-Inuits que par les Inuits.
Les conséquences du changement culturel rapide sont aussi une source de préoccupation. Beaucoup de répondants inuits ont parlé du rythme effréné des changements culturels qu'ils ont connu au cours des 50 dernières années. Certains Inuits sont capables de se sentir à l'aise dans les deux mondes et de profiter des deux mondes, mais il y en a beaucoup qui ne comprennent tout simplement pas et qui se retrouvent pris dans un engrenage négatif qui dicte leurs choix de vie.
Récemment d'ailleurs, des chercheurs qui travaillaient auprès d'Autochtones dont le mode de vie avait été complètement chamboulé par des mesures gouvernementales, comme cela a été le cas chez les Inuits, ont diagnostiqué chez ces Autochtones un état psychologique débilitant qu'ils appellent « traumatisme intergénérationnel ». C'est le phénomène qui se produit lorsqu'au fil du temps, un groupe de personnes est traumatisé par une assimilation forcée et par des pertes cumulatives au chapitre de la langue, de la culture et de la spiritualité. Il en résulte un éclatement des réseaux familiaux et des structures sociales.
Vous avez sûrement entendu parler du syndrome des pensionnats. Le syndrome des externats fédéraux est un gros problème ici. Je crois qu'il y a près de 100 survivants de ces externats qui vivent ici à Iqaluit. Il y a aussi le syndrome de l'épidémie de tuberculose qui a eu des conséquences très délétères pour les enfants dont les parents ont été contraints de partir ou qui sont peut-être décédés et qui n'ont appris que des années plus tard que leurs parents ou les membres de leurs familles étaient décédés parce qu'il n'y avait aucun moyen de communication.
Beaucoup des phénomènes qui ont traumatisé les Autochtones du Canada sont maintenant largement reconnus, ce qui est bien, mais il y a des générations entières qui souffrent de cette affection débilitante, qui conduit à un certain nombre de comportements aberrants. Signalons parmi ces comportements l'alcoolisme et la toxicomanie, la violence familiale et interpersonnelle, les problèmes de santé mentale, le piètre niveau de scolarisation, la dépendance et les tendances suicidaires. Malheureusement, nous n'avons pas su régler ces problèmes dont les racines sont très profondes. Nous considérons que l'affection psychologique appelée traumatisme intergénérationnel permet d'expliquer de façon très plausible les nombreux problèmes sociaux auxquels se heurtent les gens d'Iqaluit et notre communauté dans son ensemble.
Nous avons beaucoup d'espoir. Même quand nous parlons des choses négatives qui sont arrivées, les Inuits sont des survivants. Bien souvent, vous entendrez à la radio toutes les choses négatives que les gens disent au sujet des Autochtones, des Premières nations, des Inuits, qui ont le taux le suicide le plus élevé, le taux le plus élevé de ceci ou de cela. Le seul fait d'entendre ces choses est déprimant pour un Inuk.
C'est vrai que nous avons tous ces problèmes. Les statistiques le montrent, mais le fait est qu'il y a des choses qui fonctionnent bien dans notre communauté. Si nous pouvons tous travailler en partenariat pour aider ceux qui sont dans le besoin et pour aider ceux qui les aident, si tous les paliers de gouvernement font l'effort de se concerter, je crois que nous pourrons trouver une solution réalisable.
Nous avons vraiment de la chance que vous soyez là. Nous tenons à bien faire savoir au comité sénatorial qu'il est absolument essentiel que la communauté ait son mot à dire dans l'élaboration et la mise en œuvre des programmes et des services nécessaires pour régler les problèmes avec lesquels nous, les Inuits, sommes aux prises. Nous avons besoin d'un engagement financier stable et à long terme pour des gens comme moi. Nous passons beaucoup de temps, année après année, à élaborer des propositions, à tel point que je me demande si cela en vaut la peine. Nous savons tout le bien qui en découle dans les communautés, à très court terme, mais ce n'est pas facile.
Nous continuons à être motivés par les changements pour le mieux que nous voyons chez les gens. Je vois des changements pour le mieux chez ceux qui participent à certains des programmes de guérison et à certains des programmes de développement des compétences culturelles. Quand j'ai commencé à voir des jeunes femmes, des jeunes adultes et des jeunes hommes qui fabriquaient des outils ou qui confectionnaient leurs propres vêtements pour la première fois, quand je les ai vus racler leur première peau de phoque et la ramollir, je les ai vus verser des larmes de joie parce qu'ils retrouvaient en quelque sorte leurs origines. Les gens retrouvent ainsi leur fierté et leur dignité; on les entend dire : « Je ne savais pas que je pouvais faire ça. » Quand on entre dans le système scolaire, il faut parfois sacrifier les apprentissages culturels.
J'estime que nous avons beaucoup de chance de nos jours parce que beaucoup d'entre nous peuvent tirer partie des deux mondes. Je peux aussi bien m'adresser au Sénat du gouvernement canadien aujourd'hui, pour ensuite changer de vêtements demain et aller participer à une expédition de pêche sur la glace. Plus vite nous pourrons faire cela, mieux ce sera; nous voulons certains de vos changements climatiques dont nous entendons sans cesse parler.
Comme je le dis, nous avons beaucoup de problèmes, mais il y a des solutions. Il y a des gens qui sont prêts à donner de leur temps. Le financement est toutefois insuffisant et nous manquons parfois de fonds au bout de quelques mois à peine. Bien souvent, le financement ne nous permet pas de nous rendre jusqu'au bout de ce que nous voulions faire.
Pour ma génération, pour celle de mes enfants et de mes petits-enfants à naître, je veux qu'ils puissent avoir le meilleur des deux mondes. Nos enfants ne restent plus à la maison pour apprendre de leur mère ou de leur père, ils vont à l'école, ils comptent maintenant sur des programmes subventionnés pour apprendre ces compétences culturelles; nous le voyons. Nous avons beaucoup d'aînés qui sont très professionnels dans leur façon de faire; ce sont nos professeurs. Ils sont là pour servir de pont et pour apprendre ces coutumes à nos enfants.
Je pense que le gouvernement du Canada devrait reconnaître le travail de guérison qui ne fait que commencer. S'il ne peut pas se poursuivre ou réussir à long terme, il ne pourra pas être mené à bien à moins que des organismes nationaux comme la Fondation autochtone de guérison, l'Organisation nationale de la santé autochtone et les groupes comme la société Iqaluit Tukisigiarvik reçoivent les ressources dont ils ont besoin pour mener à bien le travail. Nous avons besoin d'un financement durable et permanent.
Nous avons confiance que la réussite des nombreux projets communautaires qui sont parrainés par ces organismes communautaires et nationaux financés à même les deniers publics convaincra le gouvernement du Canada de ces faits et que les membres du Sénat useront de leur influence pour assurer la survie de ces institutions communautaires et nationales d'une importance capitale grâce à un financement stable, à long terme.
Nous savons que ces choses sont possibles, mais nous avons besoin de financement. Nous savons qu'il y a des Inuits qui sont très forts, qui ont un fort sens de la famille, qui éduquent très bien leurs enfants et ce sont eux qui peuvent enseigner les compétences de parents, les compétences de survie et les autres compétences culturelles. Nous avons des spécialistes des prévisions météorologiques qui ont un mode de vie très professionnel.
Je suis heureux de dire qu'il y a de nombreux enfants, des jeunes garçons et des jeunes filles, qui apprennent à jouer au hockey, sénateur Mahovlich, mais malheureusement, un grand nombre de nos collectivités n'ont pas de glace artificielle. Je pense qu'il y a seulement une patinoire artificielle à Iqaluit et une autre dans une autre collectivité, mais on m'a dit qu'on ne pouvait patiner que pendant deux mois de l'année, ce qui est malheureux pour cette région du pays parce que les enfants ne peuvent pas apprendre à jouer au hockey; ils n'apprennent pas à patiner. Lorsque nous avons une patinoire, le programme fonctionne très bien. Sur une population de 7 000, on me dit qu'environ les trois quarts des enfants jouent au hockey, au hockey dans la rue, qu'il y a un joueur de hockey dans presque toutes les familles à Iqaluit. Cela vous donne une idée des choses positives, mais nous avons besoin de programmes pour appuyer les changements positifs pour lesquels nous demandons votre appui.
La présidente : Merci beaucoup. Vous nous avez fait un exposé très dur mais très utile. Nous vous remercions.
Le sénateur Mercer : Vous avez dit dans votre exposé que les gens sentent souvent qu'il doit y avoir une crise avant que de l'aide soit disponible et que dans une telle situation, les petits problèmes sont hors de contrôle. Je crois que vous nous avez dit que nous avons déjà atteint un état de crise et qu'il n'y a plus rien à attendre; nous sommes là. J'ai rencontré l'ennemi, et c'est nous.
Un taux de suicide huit fois plus élevé que la moyenne nationale, un revenu médian de 49 900 $ et un taux de diplomation au secondaire, et je reconnais qu'il s'améliore, de 25,6 p. 100 comparativement à 75,6 p. 100 pour le reste du pays. Un taux de mortalité infantile de 16,1 pour 1 000 naissances comparativement à 5,3 pour le reste du pays; si cela ne constitue pas une crise, je n'en ai jamais vu. Je ne citerai pas toutes les autres statistiques, mais cette étude est très utile. Quand l'avez-vous terminée?
M. Wilman : Nous l'avons terminée en mars de l'an dernier et nous l'avons présentée à la ville d'Iqaluit.
Le sénateur Mercer : Qu'est-ce que la ville a fait de ce rapport?
M. Wilman : Je pense qu'un des prochains témoins en début d'après-midi est une représentante de la ville et je sais qu'elle parlera de ce rapport également.
La ville a donné suite à certaines des recommandations. Elle a déjà nommé un coordonnateur pour le bien-être de la collectivité et elle a commencé à concentrer le financement très limité qu'elle reçoit sur certains des problèmes essentiels, y compris notre programme, la soupe populaire et la banque alimentaire et les refuges d'urgence, plutôt que de répartir un maigre financement parmi les autres groupes.
Quand un jeune homme a besoin de parler à quelqu'un et qu'on lui dit : « Tu peux avoir un rendez-vous avec un conseiller dans cinq semaines » et que trois jours plus tard, il se suicide, la situation est hors de contrôle.
Le sénateur Mercer : Tout le monde nous a dit que le problème social le plus important est le manque de logement abordable. C'est ce que nous avons entendu partout au pays, mais il semble que la situation soit encore plus critique dans le Nord.
Si le gouvernement avait un programme pour régler cette crise, quel type de logement devrait être construit? Est-ce que nous devrions offrir de l'aide pour construire des maisons unifamiliales, des appartements ou des triplex? Quel type de logement est nécessaire? Devons-nous encourager des entrepreneurs privés à construire du logement locatif et nous assurer que les loyers soient abordables pour les gens de la région? Si vous pouviez concevoir le programme, qu'est-ce qu'on construirait?
M. Wilman : Je laisserai Elisapi répondre, mais j'ai aussi quelque chose à dire à ce sujet.
Mme Davidee-Aningmiuq : Pendant l'une de nos consultations initiales au sujet des sans-abri à Iqaluit, nous avons constaté que les gens voulaient un refuge. Ils ne voulaient pas nécessairement une maison avec trois ou cinq chambres à coucher. Les gens voulaient tout simplement quatre murs où ils pouvaient dormir. De nombreuses personnes ont dit que l'endroit ne devait pas nécessairement être grand, mais une des choses que nous avons recommandée à ce moment- là a été de construire des logements traditionnels inspirés d'une qammaq, qui n'est pas très grande et dont les plafonds sont plus bas. Les gens veulent seulement un logement de base, un refuge.
Je ne pense pas que les gens veulent des grands immeubles d'habitation; ils veulent des petites maisons unifamiliales.
Le sénateur Mercer : Le gouvernement ne devrait pas s'opposer à un style de logement qui est acceptable pour les gens là-bas ou qui est adapté à leur culture. Nous avons parlé de culture.
En passant, une des statistiques qui se porte très bien dans votre culture est celle qui porte sur les vols, qui est inférieure au quart de la moyenne nationale. Le sénateur Adams nous a toujours dit que le partage faisait partie de votre culture. Si vous partagez, alors on n'a pas besoin de voler.
Mme Davidee-Aningmiuq : Nous avons aussi vu certaines familles qui n'utilisaient pas les chambres à coucher, mais qui mettaient plutôt les matelas dans la salle de séjour, idée issue de cette culture où les gens vivent dans une qammaq ou vivent proches les uns des autres. Nous avons vu que les gens, que les familles aimaient bien cela; c'est quelque chose que certaines personnes font.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Wilman, vous vivez ici depuis déjà quelques années et vous n'avez toujours pas un accent canadien.
M. Wilman : C'est parce que je vis ici et il y a tellement de gens de la baie d'Hudson que je peux pratiquer ma propre langue. Je ne subis pas l'influence de Toronto ou d'Ottawa. J'ai déménagé temporairement aux États-Unis pour faire mes études de doctorat. Je suppose qu'un bel accent de North Yorkshire's Moors est difficile à perdre.
Le sénateur Mahovlich : Si nous sortons de nos frontières, nous pouvons penser aux Sami de la Norvège, de la Russie et de la Suède. Ils ressemblent beaucoup aux Autochtones d'ici. J'ai passé quelque temps en Suède, à l'intérieur du cercle arctique. La vie sociale n'est pas la même dans le nord que dans la partie sud du Canada. Vous n'avez pas la même situation alors vous devez être différents. Je pense que leurs gouvernements leur viennent en aide.
Vous avez mentionné que vous n'avez pas de patinoire artificielle. Paul Henderson m'accompagnait et nous sommes allés jouer une partie de tennis dans un centre communautaire dans la collectivité. Pour un dollar, on pouvait jouer au tennis, on pouvait jouer au basketball. Ils offraient toutes sortes d'occasions aux jeunes et c'était comme s'ils étaient membre d'un club privé à Toronto ou ailleurs. C'était aussi bon.
Nous avons besoin de cela ici parce que vous parlez des jeunes qui se suicident. Ça ne se produit pas seulement ici. J'étais au Québec dans une ville qui s'appelle Drummondville, où en l'espace d'un mois, il y a eu neuf suicides dans des écoles secondaires. On me dit que ces jeunes se suicident parce qu'ils ne voient rien devant eux. Le gouvernement doit faire quelque chose pour les encourager, pour leur offrir des perspectives d'avenir. Je suis certain qu'il y aura beaucoup de bonnes choses à l'avenir et que nous pourrons présenter à nos jeunes de meilleures perspectives.
M. Wilman : Je connais très bien le nord de la Suède et le nord de la Norvège. En fait, j'ai enseigné en tant que chercheur invité au Sami Teacher's College à Kautokeino. Je suis allé là-bas. Le développement là-bas est incroyable comparativement à ce qu'on voit ici et tout cela est en grande partie parrainé par le gouvernement.
Dans les consultations dont nous avons fait rapport, la version la plus longue du rapport, la collectivité nous a parlé de certaines choses qu'elle n'avait pas. Presque au sommet de la liste de priorités figuraient des installations de loisirs de bonne qualité. Nous avons quelques gymnases en ville. Nous avons une patinoire pour le hockey, une patinoire pour le patinage, nous avons de nombreux clubs, mais essentiellement toute une gamme d'activités de loisirs n'est pas disponible. Je dirais que les installations de loisirs ne devraient pas se concentrer uniquement sur les sports, mais qu'elles devraient se concentrer également sur les compétences et activités culturelles. Les gens qui ne s'intéressent pas beaucoup aux sports peuvent vouloir apprendre d'autres choses comme les danses traditionnelles ou des compétences particulières en couture et de la formation en art, en production artisanale.
Je pense qu'une des plus grandes difficultés, si l'on parle du fait de grandir et de n'avoir rien à faire, c'est l'ennui. C'est ce qui cause tous ces problèmes et qui mène au suicide.
M. Picco a parlé de toutes ces occasions d'affaires potentielles, mais pour que les jeunes profitent de ces occasions, qu'ils participent à ces occasions, ils ont besoin de formation. C'est à ce niveau qu'il doit y avoir des changements et des modifications dans notre système d'éducation, dans le système économique. Nous devons nous assurer que les jeunes obtiennent les compétences dont ils ont besoin pour participer de façon efficace dans ce qu'ils veulent, et ce n'est pas ce que nous faisons.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce qu'il y a un pays que nous pourrions utiliser comme exemple, que ce soit en Europe ou dans le Nord, ou est-ce qu'ils ont tous des problèmes?
M. Wilman : Je pense que le modèle des Sami et surtout le niveau d'appui gouvernemental sont meilleurs que les nôtres. Ils ont aussi l'avantage que, bien qu'ils soient dans l'Arctique, ils ont un réseau routier. Bien que les difficultés soient grandes, elles ne sont pas aussi grandes qu'ici. Il y a certains bons exemples au Groenland, mais il y a de graves problèmes là-bas aussi.
J'en reviens au message que nous voulons vous transmettre. Les gens dans ces collectivités, des personnes comme Enopik Siegeatuk, l'aîné qui était ici plus tôt, connaissent beaucoup de réponses. Mais ils n'ont tout simplement pas les ressources pour mettre en place les solutions. Une des raisons expliquant le succès du Centre Tukisigiarvik, c'est que nous avons délibérément essayé d'établir un partenariat avec le gouvernement. M. Picco nous offre l'édifice, d'environ 4 000 pieds carrés, gratuitement. Nous devons payer les services publics. Nous devons amasser les fonds et tout le reste, mais le gouvernement met cet espace à notre disposition gratuitement.
Le refuge d'urgence Oqota doit payer un loyer et s'en sort à peine avec les fonds qu'il réussit à recueillir. Nous négocions avec toutes sortes d'organismes de financement afin de nous en sortir et nous avons très bien réussi. Presque chaque année, il y a des périodes où nous devons congédier une personne ou une autre, où nous devons mettre fin à un programme, où nous ne pouvons pas nous permettre ceci ou cela. Parfois, les fonds sont épuisés.
Un des besoins importants dans notre collectivité est un service de counselling efficace dans le domaine de l'alcool et les drogues et un centre de désintoxication. Nous en avions un auparavant, financé par le gouvernement. Une décision arbitraire prise il y a dix ans a mis fin au financement et toutes les personnes employées par le centre ont été congédiées. Ces coupures comprenaient la mise à pied des conseillers inuits sur la drogue et l'alcool. Nous avons désespérément besoin d'un tel centre.
Nous avons aussi besoin d'installations de loisirs. La crise du logement pourrait être résolue avec une simple injection d'argent. Si cela se faisait, il faudrait que ce soit lié à une exigence relative à un programme de formation auquel les gens de la région participeraient pour apprendre à construire des maisons et les entretenir. Une collectivité, Sanikiluaq, a élaboré un programme scolaire où les étudiants de 11e et 12e année construisent une maison ou, dans un cas, une garderie, à chaque année. Ils développent ces compétences pendant qu'ils sont à l'école et ils obtiennent des crédits pour leur diplôme. Automatiquement, ils ont des emplois lorsqu'ils terminent l'école ou ils ont accès à un programme d'apprenti. Mais nous manquons ces bateaux. Nous manquons ces connexions.
[Interprétation]
Le sénateur Adams : Je connais Elisapi. Elle est une bonne amie de ma deuxième fille, la plus âgée; ils sont allées à l'école secondaire ensemble à Iqaluit. Maintenant, elle me rappelle ma deuxième fille qui est maintenant à Rankin Inlet.
Je suis content que vous ayez expliqué aux sénateurs que nous devions tous travailler ensemble et il serait bien que différents comités du Sénat viennent ici pour voir ce qui se passe au Nunavut et dans les territoires.
Je me souviens de la création du siège du gouvernement territorial à Yellowknife en 1967. La ville de Yellowknife est devenue la capitale d'un immense territoire. J'ai siégé au conseil des Territoires du Nord-Ouest de 1970 à 1974. La superficie de ce territoire était trop vaste. À l'époque, le gouvernement du Canada n'a reconnu qu'une seule culture même s'il y avait de nombreuses cultures différentes dans les territoires, comme la culture des Dogrib et des Chipewyan.
Il y a une certaine confusion chez les Inuits en ce qui concerne le fonctionnement du système. Avant le déménagement du gouvernement à Yellowknife, le ministère des Affaires indiennes s'occupait du logement et de l'éducation. Il construisait tout le logement dans le Nord, qui comprenait des appartements d'une seule pièce qui ne coûtaient rien à louer. Il n'y avait aucun frais d'électricité, de carburant, de collecte de déchets, et cetera. Maintenant, tout d'un coup, les territoires deviennent le Nunavut qui ne relève plus du ministère des Affaires indiennes. Du jour au lendemain, les Inuits ont été obligés de payer le loyer, l'électricité, alors qu'ils ne disposaient d'aucun revenu. C'est un cas extrêmement typique. Entre-temps, le ministère des Affaires indiennes ne nous dit pas combien il en coûte pour construire ces logements. Soudainement, tout a changé. Maintenant, tout le monde est obligé d'avoir un emploi.
Certaines personnes désiraient conserver leur culture. Elles ne voulaient pas aller à l'école. Elles voulaient vivre de la terre, avoir du bon temps à chasser et à pêcher. Entre-temps, en 1970, les défenseurs des droits des animaux sont arrivés. Avant leur arrivée, la Compagnie de la Baie d'Hudson ou le gouvernement versait 70 $ pour une peau de renard arctique. À l'époque, une peau de phoque valait environ 40 $. La valeur d'une peau de renard a baissé à 3 $ à cause des règlements interdisant la chasse et des défenseurs des droits des animaux qui disaient que vous ne pouvez pas tuer des renards et des phoques. Les ainés ne pouvaient plus faire la chasse parce qu'à 3 $ la peau de renard, ils n'avaient plus les moyens de pratiquer cette chasse. Les fils et les filles ne pouvaient plus accompagner leur père à la chasse. C'était très difficile.
Quand j'étais jeune, il n'y avait qu'un magasin de la Compagnie de la Baie d'Hudson, la mission et la GRC. Nous n'avions rien. Nous vivions bien. D'une certaine manière, je crois que le gouvernement aurait dû faire quelque chose, voir présenter des excuses pour ce qui s'est passé dans les pensionnats. Je crois que c'est à partir de ce moment-là que les problèmes ont commencé pour les Inuits. Nous ne vivons plus de la même manière que dans le passé et nous sommes en train de perdre notre culture et notre langue. Il sera très difficile de retrouver notre culture et notre langue, surtout parce que nos enfants doivent maintenant aller à l'école. Comment va t-on s'y prendre? Je sais que nous avons besoin de plus d'argent du gouvernement.
Dans ma ville natale de Rankin Inlet, il y a eu trois suicides en l'espace de deux ans. Une des victimes n'était pas jeune; elle était dans la cinquantaine. Je ne sais pas comment les gens peuvent avoir plus l'espoir dans l'avenir.
[Interprétation]
Mme Davidee-Aningmiuq : Depuis dix ans, j'amène des familles défavorisées, des mères célibataires, et leurs enfants dans la nature. Ce que j'ai appris et ce que j'ai vu des programmes culturels axés sur la nature, c'est que bon nombre d'enfants désirent être proches de la nature. J'ai constaté que les enfants doivent être mis en contact avec la nature et avec leur culture en très bas âge. Je vois d'autres jeunes que j'appelle des citadins parce qu'ils n'ont pas été exposés à notre culture pendant leur enfance. Il faut semer le désir de faire partie de notre culture lorsque les enfants sont jeunes. C'est le seul moyen de les motiver à conserver nos coutumes. Plus on débutera ces programmes tôt dans la vie des enfants et plus les résultats seront positifs.
Je vois ces jeunes, à qui j'ai enseigné il y a dix ans lorsque j'ai inauguré ces programmes, enseigner à nos enfants. On peut constater des changements positifs si on travaille avec de très jeunes enfants. Si on ne leur donne pas ces outils, nos jeunes n'apprendront jamais nos coutumes. Il en est de même de nos propres enfants; il faut leur enseigner quand ils sont très jeunes; il faut leur montrer nos coutumes quand ils sont très jeunes. Comment peuvent-ils apprendre si nous ne leur enseignons pas ces choses? Si nous étendons ce constat, les mêmes principes s'appliquent à l'ensemble de la collectivité.
[Traduction]
Le sénateur Peterson : À chaque réunion, il est troublant de constater qu'on arrive à cerner le problème, et pourtant rien ne se passe. On se demande si quelqu'un a déjà quantifié le problème en termes financiers et humains. Est-ce que quelqu'un s'est donné la peine d'établir ce qu'il en coûte de ne rien faire? On tourne en rond. Que faut-il faire pour changer les choses? Qu'est-ce qui mettra fin à cette tragédie? S'agit-il simplement d'une question d'argent? Ce serait alors une véritable tragédie. S'agit-il de la souveraineté de l'Arctique? Est-ce que ce serait là l'élément déclencheur qui va transformer la situation? Il doit y avoir une solution.
M. Wilman : Sénateur, je crois qu'il y a trois volets dans la réponse à votre question. Premièrement, le bourbier dans lequel nous nous trouvons a été causé dans une grande mesure par les programmes parrainés par le gouvernement. Ces programmes visaient peut-être de bons objectifs. Par exemple, lorsque le gouvernement a décidé il y a des années d'envoyer les jeunes dans les pensionnats, il l'a fait avec de bonnes intentions. Il n'avait aucune idée des conséquences horribles qu'ont entraîné la perte de la culture, la perte de la langue, les sévices et les abus sexuels. Il ne s'y attendait pas, ce n'était pas prévu, mais c'est ce qui s'est produit.
D'autres programmes dans les écoles et les hôpitaux ont été inaugurés. Ces institutions ont forcé les gens à quitter la nature et les ont privés de leurs activités traditionnelles. On leur a donné du logement, et ils étaient loin de leurs activités traditionnelles, et ils ont commencé à avoir de la difficulté à poursuivre ces activités.
Naturellement, les gens sont plus sceptiques face à l'idée que d'autres programmes gouvernementaux viendront peut-être régler le problème. C'est précisément la raison pour laquelle nous faisons valoir aujourd'hui qu'il nous avons besoins d'une coopération entre la collectivité et le gouvernement. Le gouvernement doit appuyer les collectivités dans la mise en œuvre des solutions; ils doivent travailler ensemble.
Les gens sont sceptiques également parce qu'il semble y avoir un va-et-vient de programmes et qu'avec ces programmes viennent de nouvelles personnes. Les gens voient de nouveaux programmes gouvernementaux qui mettent un certains temps avant de démarrer. Au bout de cinq ans environ, un programme peut commencer à donner des résultats, mais à ce moment-là, les priorités du gouvernement pourront avoir changé, et le programme sera abandonné. Les priorités changent ou le gouvernement change, et le financement est éliminé, et il faut recommencer le processus. Lors de nos consultations publiques, nous avons entendu de façon répétée que les gens en ont assez de répéter la même chose encore et encore. Les participants en ont assez de voir leurs plaintes négligées. Le manque de durabilité de ces programmes est un gros problème ici. Des programmes bien conçus et financés à long terme aideraient les gens qui vivent ici. Les collectivités ont besoin de durabilité.
Mme Davidee-Aningmiuq : J'ajouterai que lorsqu'il y a une perte d'identité culturelle, les gens subissent des conséquences négatives, ce qui mène à de mauvais choix de vie. Comme je le disais plus tôt, j'ai vu des gens parmi ceux qui participent à mes programmes de perfectionnement culturel commencer à avoir une bien meilleure estime de soi. Dans le cadre de ces programmes, les participants acquièrent des compétences qu'ils ne pourraient pas acquérir à l'école ou ailleurs. J'ai vu leur sentiment de satisfaction et leur étonnement en constatant qu'ils pouvaient faire quelque chose qu'ils n'auraient jamais cru pouvoir faire. J'ai vu des larmes de joie, surtout chez les femmes, qui disaient : « Je suis capable de faire quelque chose que je croyais impossible ». J'ai vu des gens partir à la recherche d'un emploi même s'ils n'avaient jamais travaillé de leur vie, parce qu'ils avaient plus d'estime de soi.
Je crois que la perte d'identité culturelle mène à la dépression.
Le sénateur Peterson : Je siège au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, et nous rentrons d'un voyage au Nouveau-Mexique. Là-bas, nous avons rencontré les nations Apache, Navaho et Pueblo. Elles éprouvent les mêmes problèmes que nous avons ici, quant à l'éducation, la santé, et cetera. Cependant, elles mises beaucoup sur la culture. Elles font valoir que les jeunes doivent savoir qui ils sont, et elles leur apprennent à se sentir bien dans leur peau. À défaut d'autre chose, elles inculquent aux jeunes un sentiment d'appartenance à une culture particulière, dont ils peuvent être fiers. Elles le font par l'entremise de leurs écoles, et elles l'ont fait pour leur langue et leur culture. J'ai été beaucoup impressionnée par tout cela.
M. Wilman : J'ai fait mon doctorat au Nouveau-Mexique, et j'ai tenté d'élaborer un programme de formation des enseignants pour le Nunavut fondé sur le programme de formation des enseignants des Navaho. Vous avez parfaitement raison. Ils savent et ils ont pris les choses en main. Ils travaillent par l'intermédiaire des écoles où l'on enseigne la culture et la langue d'une manière extraordinaire.
Le sénateur Peterson : Ça se voit dans leurs yeux.
La présidente : Je viens du sud-ouest de l'Alberta, nous avons une nombreuse population d'Autochtones, et certains des points que vous soulevez ici s'appliquent là-bas également. Certaines choses que vous avez dites au cours des 10 dernières minutes sont extrêmement importantes et j'espère que nous pourrons les faire progresser. J'espère que le gouvernement et ceux qui sont liés au gouvernement auront le courage et la générosité de faire ces choses.
Vous nous avez présenté un exposé merveilleux aujourd'hui. Nous sommes très fiers que vous soyez parmi nous, et nous vous remercions beaucoup.
La séance est levée.