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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 7 - Témoignages du 28 février 2008


OTTAWA, le jeudi 28 février 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, qui doit examiner le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, se réunit aujourd'hui, à 8 h1, pour étudier le projet de loi et pour examiner la pauvreté en milieu rural au Canada et faire rapport à ce sujet.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, sénateurs, et bonjour à tous ceux qui écoutent ce matin les audiences du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts sur la pauvreté rurale et le déclin des régions rurales.

En mai 2006, notre comité a été habilité à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale et le déclin des régions. Il a, depuis, publié un rapport intérimaire. Nous nous sommes rendus dans chaque province et chaque territoire du Canada, nous avons visité 20 collectivités rurales et discuté avec près de 300 personnes et organismes. Nous en sommes maintenant à la fin de nos audiences sur ce sujet, et nous souhaitons découvrir de quelle façon d'autres pays ont lutté contre la pauvreté en régions et le déclin des régions rurales afin de déterminer si le Canada pourrait profiter de l'une ou l'autre des mesures adoptées à l'étranger.

Nous entendrons ce matin M. Mark Shucksmith, professeur de planification à l'Université de Newcastle, au Royaume-Uni. Le professeur Shucksmith possède des connaissances qui devraient nous être utiles. Ses sujets de recherche touchent bon nombre des thèmes que nous étudions : la pauvreté et l'exclusion sociale en régions rurales, le développement rural, les politiques agricoles et le logement abordable en régions rurales.

Mark Shucksmith, professeur, Université de Newcastle, à titre personnel : Je vous remercie infiniment de m'avoir invité à vous aider dans votre enquête. Je vous ai envoyé quelques documents, et j'espère que vous avez au moins eu l'occasion de les parcourir. Je pourrais probablement écrire plusieurs livres et vous parler pendant des jours pour répondre à vos questions; les documents que je vous ai envoyés constituent seulement un survol de tout ce que je pourrais vous dire.

Je sais que votre temps est compté. Si cela vous convient, je vais présenter quelques-uns des sujets les plus importants pendant quatre ou cinq minutes, puis je vous laisserai la parole.

La présidente : C'est parfait.

M. Shucksmith : Votre première question portait sur le ralentissement du déclin des régions rurales, et vous voulez savoir si d'autres pays avaient réussi à freiner le déclin de la population rurale. C'est un peu une drôle de question pour nous, au Royaume-Uni, puisque nos régions rurales sont en croissance. Ce sont les régions urbaines qui connaissent un déclin. Cette situation s'explique principalement par le fait que les gens souhaitent vivre en régions et sont prêts à payer cher pour y parvenir. D'ailleurs, en Angleterre, le prix moyen des maisons en régions rurales est beaucoup plus élevé que celui des maisons en ville.

Ça n'a pas toujours été le cas. On a constaté que la situation avait commencé à changer autour des années 1970. Depuis, on constate cette tendance dans toutes les régions du Royaume-Uni, que ce soit l'Angleterre, l'Écosse, le pays de Galles et l'Irlande du Nord.

Certaines tendances se dessinent. Si l'on examine la situation en détail, on constate que les régions rurales les plus accessibles, soit la plupart de nos régions rurales, sont en croissance, et que leur croissance est plus rapide que celle des régions rurales éloignées. Dans ces régions rurales éloignées, plus particulièrement en Écosse, la situation est plus variable puisque certaines connaissent une croissance tandis que d'autres connaissent un déclin.

Si l'on observe les statistiques pour l'Union européenne, on constate que la situation est beaucoup plus variable, puisque les régions rurales accessibles des pays riches connaissent une croissance, tandis que les régions éloignées voient leur population diminuer. Cette situation est particulièrement frappante dans le Grand Nord, mais aussi dans la plupart des régions agricoles du Sud et de l'Est, dans les pays pauvres.

On constate aussi des écarts à l'échelle micro-spatiale, même dans les régions qui connaissent une croissance en général. C'est peut-être parce qu'il y a un déplacement de l'arrière-pays vers les villes. Ce déplacement semble être le résultat de politiques de planification particulières qui, au Royaume-Uni, à tout le moins, tentent d'empêcher les gens de vivre en régions rurales. Je pourrai vous en dire plus à ce sujet, si vous voulez.

Vous avez aussi posé une question sur l'évolution de la nature des politiques rurales, et sur le fait que l'accent, qui était mis sur les politiques agricoles, est maintenant mis sur ce que l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, prône dans son nouveau paradigme rural. On a effectivement beaucoup parlé de ce changement au sein de l'Union européenne, et bon nombre de personnes affirment qu'il est en cours. Toutefois, en pratique, les intérêts agricoles sont encore ceux qui ont la plus grande influence sur le budget, et l'argent va en majeure partie aux agriculteurs. Les programmes de développement du territoire rural du type de ceux décrits par l'OCDE comme le paradigme de l'avenir reçoivent très peu de financement.

Cependant, de nombreuses études ont révélé que les politiques agricoles ne permettaient pas de régler le problème de la pauvreté rurale. Ces politiques s'adressent principalement aux agriculteurs, et non à la plupart des habitants des régions rurales, puisque les agriculteurs comptent pour moins de 5 p. 100 de la population rurale. L'argent est aussi souvent versé dans les régions rurales riches, ce qui fait que les politiques ne sont pas non plus efficaces en matière de justice sociale.

Certaines politiques, accompagnées de budgets modestes, ont tenté de faire progresser le paradigme de l'OCDE, notamment le programme communautaire de développement rural de l'Union européenne, que l'on appelle le programme LEADER. Je crois qu'il ressemble à votre Programme de développement des collectivités, au Canada. Je serai heureux de vous parler plus en détail du programme LEADER quand je répondrai à vos questions.

De nombreuses études ont évalué ces programmes — pas seulement le programme LEADER, mais aussi des programmes semblables. Nous avons tenté d'en extraire les principaux facteurs de réussite de ces politiques territoriales. Je les ai décrits dans la documentation. Encore une fois, je serai heureux de vous fournir plus de détails. Cela résume en grande partie le sujet des politiques rurales fructueuses.

Il y a une autre politique rurale qui semble fonctionner et qui pourrait vous intéresser; il s'agit de la législation adoptée en Écosse pour favoriser la réforme agraire. Elle est en vigueur depuis trois ou quatre ans. Du financement a été offert aux collectivités pour les aider à acheter les intérêts des propriétaires terriens dans les domaines où elles sont situées de façon à ce qu'elles deviennent propriétaires des ressources primaires. La situation évolue plus ou moins vite, selon l'endroit, mais les résultats semblent très prometteurs et correspondent à une approche du développement rural fondé sur le patrimoine.

En ce qui concerne la pauvreté rurale, qui est votre principale préoccupation, j'aimerais d'abord établir une distinction entre les régions en croissance et les autres. Les régions qui connaissent une croissance au Royaume-Uni sont celles qui sont les plus fortunées et les plus accessibles. Il n'y a pas, de façon générale, de régions rurales pauvres. Les termes « pauvreté » et « rural » ne sont pas synonymes.

Malgré tout, dans ces régions rurales en croissance plutôt riches, on trouve beaucoup de pauvreté. Le problème, c'est que la pauvreté n'est pas visible parce qu'elle n'est pas concentrée à un endroit. Elle est disséminée et se trouve dans des régions essentiellement riches. Je dirais donc qu'il s'agit d'une « pauvreté au sein de la richesse ». Pour régler ce problème, il faut donc peut-être abandonner les mesures axées sur des régions au profit de mesures axées sur les clients ou les consommateurs. Je pourrai vous parler de quelques-unes de ces mesures.

Dans les régions éloignées où la pauvreté est plus répandue, les méthodes qui ciblent une région sont plus appropriées. Cependant, même dans ces régions, on trouve des gens qui ne sont pas pauvres et qui s'en sortent très bien. Il faut donc déterminer qui profite de ces mesures axées sur les régions, particulièrement s'il s'agit de mesures pour lesquelles le financement est difficile à obtenir. Profitent-elles aux habitants pauvres de ces régions?

J'ai inclus des statistiques dans le document qui vous a été remis. Je peux fournir des détails sur la façon dont nous définissons les mesures du revenu utilisées pour tenter de lutter contre la pauvreté dans les régions éloignées, expliquer les enjeux en matière d'emploi, de chômage et, plus particulièrement de chômage caché, et vous parler de l'admissibilité à l'aide sociale et du fait que celle-ci est moins réclamée dans les régions rurales, ainsi que des raisons qui l'expliquent. J'aborde aussi la question du logement et de l'incidence de la pauvreté sur les gens en fonction de l'étape de leur vie à laquelle ils sont rendus.

Enfin, je présente des statistiques qui portent sur l'Union européenne. Le problème, c'est que la plupart des statistiques sur l'UE n'établissent pas de distinctions entre les régions rurales et urbaines. Vous disposerez donc peut- être de statistiques sur la pauvreté dans les divers États membres de l'Union européenne, ainsi que sur les tendances dans ceux-ci, mais ces statistiques porteront rarement sur les régions rurales et urbaines en particulier selon des définitions uniformes.

J'ai terminé récemment un projet de recherche qui analysait le sondage sur la qualité de vie des Européens, dans le cadre duquel les répondants devaient préciser s'ils habitaient dans une région rurale ou dans une région urbaine. Il s'agissait donc d'une définition personnelle et subjective de la ruralité et de l'urbanité. Le sondage a révélé que, dans les pays riches, comme le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France, il n'y avait pas de différence entre les résidents des régions rurales et des régions urbaines en ce qui concerne la pauvreté et la qualité de vie. Cependant, plus un pays était pauvre, plus l'écart était large entre les résidents des régions rurales et des régions urbaines en ce qui concerne la pauvreté. Dans les pays pauvres qui se sont joints récemment à l'Union européenne, les revenus, dans les régions urbaines, sont environ trois fois plus élevés que dans les régions rurales.

Je vais arrêter ici, et je vais vous laisser poser les questions qui vous intéressent.

La présidente : Merci, vous abordez des questions qui nous préoccupent depuis plus d'un an. Votre témoignage se révèle très utile.

Le sénateur Segal : Monsieur Shucksmith, je veux vous remercier de nous avoir envoyé cet excellent document qui résume les aspects que vous avez abordés ce matin dans votre témoignage. Il s'agit d'une analyse intégrée de la politique de développement rural dans votre coin du monde, et cela nous est très précieux.

J'aimerais avoir votre point de vue sur la structure des revenus faibles, en diminution et inexistants dans les régions rurales du Royaume-Uni, puisque vous faites, dans votre document, un bon tour d'horizon des diverses méthodes employées à ce jour. Ces méthodes incluent la méthode adoptée par le gouvernement travailliste, selon laquelle la croissance dans les grands centres finira tôt ou tard par rejaillir sur les régions rurales, l'indemnité versée aux agriculteurs en fonction du prix des produits agricoles, qui met l'accent sur le rôle agricole plutôt que sur le revenu en tant que tel dans les régions rurales, et, plus particulièrement, les programmes qui semblent fonctionner dans certaines régions de l'Écosse. Vos collègues de l'OCDE se sont présentés à nous la semaine dernière et nous ont parlé en détail de la réussite de l'Écosse en ce qui concerne certains aspects de l'immigration interne et la croissance des régions rurales.

Votre document réussit exceptionnellement bien à présenter une analyse des diverses méthodes sans jamais donner votre point de vue. Il est remarquablement impartial. Je serais personnellement incapable de produire un document aussi impartial et cohérent sur le plan analytique.

J'aimerais beaucoup connaître votre point de vue, vous qui avez étudié les divers programmes, particulièrement en ce qui concerne deux options : la méthode qui a recours à une assurance fondée sur le prix des produits agricoles et sur la protection du volet agricole de la collectivité par rapport à une méthode qui repose sur un revenu de base minimum. M. Churchill disait qu'il ne devrait pas y avoir de limite à la richesse des personnes, mais qu'il devrait y avoir un seuil en dessous duquel personne ne devrait tomber. Il disait toutefois cela quand il était dans l'opposition, et non quand il formait le gouvernement.

J'aimerais savoir si vous avez un point de vue, vous qui avez étudié ces programmes et qui possédez des compétences et des connaissances aussi vastes. Que croyez-vous qu'il faille faire si l'on veut percer le voile de la pauvreté rurale et obtenir des résultats le plus rapidement possible? Que vous dicterait votre instinct, selon tout ce que vous connaissez sur le sujet?

M. Shucksmith : Je vous remercie de vos bons mots.

La situation est claire, autant au Royaume-Uni que partout dans l'Union européenne : l'aide fondée sur le prix des produits agricoles est habituellement plus profitable pour les ménages agricoles riches que pour les ménages agricoles pauvres. Elle profite habituellement aux régions riches plutôt qu'aux régions pauvres.

Cette situation ne s'explique pas nécessairement par l'établissement du prix des produits agricoles. C'est peut-être à cause de la façon dont l'aide est offerte. En effet, si vous versez une subvention en fonction de la production, ceux qui produisent plus reçoivent plus.

En outre, il faut regarder quelles sont les entreprises qui reçoivent de l'aide. Dans l'Union européenne, les entreprises qui reçoivent le plus d'aide sont celles qui sont situées dans les six États membres à l'origine, lesquels comptent parmi les pays les plus riches du continent. En conséquence, les producteurs de produits laitiers, d'œufs, de céréales et de lait reçoivent de l'aide, tandis que les producteurs d'huile d'olive, par exemple, n'en reçoivent pas.

C'est pourquoi il y a des inégalités entre les régions, en fonction du type de biens produits et de la taille des exploitations agricoles. Dans une région, ce sont les grandes exploitations agricoles ou les importantes entreprises agricoles qui reçoivent le plus d'aide. Je crois que l'agriculteur qui reçoit l'aide la plus importante en Écosse est un multimillionnaire, qui est aussi président de la société de chemin de fer. Il reçoit plus d'un million de livres par année en soutien agricole.

Vous pourriez, en principe, offrir aux agriculteurs une aide qui ne soit pas autant touchée par ces problèmes. Vous pourriez modifier l'aide offerte en fonction du prix des produits agricoles de façon à favoriser les agriculteurs qui se trouvent dans des régions pauvres. Vous pourriez fixer une limite maximale à l'aide pouvant être versée à un agriculteur. Cela serait toutefois impossible en utilisant seulement le mécanisme fondé sur les prix. Il faudrait adopter une méthode administrative. Vous pourriez, par exemple, offrir une aide progressive de façon à ce que les petits producteurs reçoivent plus d'aide au prorata que les producteurs importants.

Une idée qui fait actuellement l'objet de débats dans l'Union européenne et qui est mise en pratique au Royaume- Uni, mais au Royaume-Uni seulement, c'est d'établir un montant maximum pouvant être versé directement aux agriculteurs et d'utiliser l'argent en plus pour financer des mesures de développement rural territoriales et pour soutenir le bien public de nature agroenvironnementale. Encore une fois, si cette mesure était fondée sur les résultats plutôt que sur le manque à gagner en matière de profit, on pourrait aider les agriculteurs pauvres dans les régions à grande valeur.

En ce qui concerne l'autre méthode que vous avez proposée, soit celle d'aider les personnes qui ont un revenu ou un salaire minimum, je crois que les données prouvent qu'elle est très efficace. Au cours des dix dernières années, le Royaume-Uni a adopté un salaire minimum légal. Tous les autres pays de l'UE l'avaient déjà fait. Les données dont nous disposons révèlent que cette mesure est particulièrement efficace dans les régions rurales puisque les salaires sont plutôt faibles dans les industries de l'agriculture, du tourisme et des forêts. Cette mesure les aide. Elle leur permet de gagner plus que le salaire minimum et a une véritable incidence sur leur revenu.

L'autre élément clé de cette politique a été le revenu minimum garanti pour les familles et les pensionnés. Cette mesure a été particulièrement efficace auprès des pensionnés du Royaume-Uni puisqu'elle a permis d'en sortir plus d'un million de la pauvreté au cours des trois ou quatre dernières années. Grâce à cette mesure, les gens reçoivent non seulement la pension prévue par la loi, mais aussi cette rémunération supplémentaire qui permet à leurs revenus de dépasser le seuil minimum.

Ces mesures ont un autre avantage : comme elles ciblent des clients plutôt que des régions, elles sont particulièrement efficaces pour aider les personnes qui se trouvent dans des régions rurales où la pauvreté est dispersée parmi la richesse. Il faudrait toutefois peut-être faire connaître davantage ces mesures pour que les personnes qui doivent présenter une demande d'aide, au lieu de l'obtenir automatiquement, connaissent les possibilités qui leur sont offertes.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie, monsieur, de nous avoir présenté cet exposé et transmis ces documents, qui seront très utiles.

J'ai quelques courtes questions. La première concerne l'immigration. Au Canada, 75 p. 100 des immigrants s'établissent dans les trois plus grands centres, Vancouver, Toronto et Montréal. La situation est-elle la même au Royaume-Uni, et avez-vous entendu parler de politiques qui réussiraient à attirer les immigrants dans les régions rurales?

M. Shucksmith : C'est une très bonne question. La situation au Royaume-Uni est la même qu'au Canada, c'est-à- dire que les immigrants en provenance de l'étranger s'établissent principalement à Londres. Cependant, les migrants internes s'en vont à l'extérieur de Londres. Plus les gens ont un revenu élevé, plus ils souhaitent s'éloigner de Londres et de nos autres villes, et plus ils en ont les moyens.

Si les immigrants en provenance de l'étranger s'établissent principalement à Londres, la situation a un peu changé au cours des dernières années depuis que de nouveaux États sont devenus membres de l'Union européenne et que la libre migration au sein de l'Union européenne est maintenant possible. Je crois que le Royaume-Uni a imposé un peu moins de restrictions que tous les autres pays de l'UE en ce qui concerne la migration entre les pays de l'UE.

Depuis les dernières années, un grand nombre de personnes en provenance particulièrement de la Pologne et de la Lituanie, et maintenant, et probablement pour un certain temps, de la Roumanie et de la Bulgarie, sont venues s'établir non seulement dans les villes, mais aussi dans les régions rurales pour travailler dans l'agriculture et dans le tourisme. Il arrive de plus en plus souvent que l'on soit servi par une personne originaire de la Pologne, de la République tchèque et de la Lituanie dans les hôtels ou les bars des régions rurales.

Vous avez parlé des politiques. Il est intéressant de souligner que la Highlands and Islands Enterprise, l'organisme de développement économique du Nord rural de l'Écosse, a tenté délibérément d'attirer des immigrants de l'Europe de l'Est, comme l'a fait toute l'Écosse. En Écosse, le mot d'ordre était que le pays devait accroître sa population et attirer des personnes qualifiées. On estimait que ces personnes posséderaient les compétences requises. Les immigrants de l'Europe de l'Est commencent habituellement par obtenir un travail manuel, habituellement peu rémunéré mais qui, vu la situation dans leur pays d'origine, est très bien rémunéré. Puis, à mesure qu'ils apprennent la langue du pays et qu'ils s'intègrent, ils décident de rester et réussissent, on le souhaite, à réaliser leur plein potentiel, ou ils retournent dans leur pays d'origine.

Il est encore un peu tôt pour prévoir ce qui se passera à long terme, mais la stratégie de la Highlands and Islands Enterprise consistait à attirer ces immigrants afin qu'ils restent dans la région, qu'ils se sentent appréciés et qu'ils entraînent une croissance de la population des îles et des hautes terres, qui s'établissait à environ 300 000 personnes en 1970. Elle atteint maintenant près de 400 000 personnes, et l'organisme espère que sa stratégie permettra à la région d'atteindre une population de 500 000 personnes.

Le sénateur Callbeck : Mon autre question concerne votre programme LEADER. Vous avez parlé de notre Programme de développement des collectivités, au Canada. Je crois qu'il a joué un grand rôle dans les régions rurales et qu'il a permis aux gens de demeurer dans ces régions en leur offrant davantage de perspectives d'emploi. Connaissez- vous bien notre Programme de développement des collectivités?

M. Shucksmith : Pas vraiment, non.

Le sénateur Callbeck : Votre programme LEADER a-t-il débuté en 1994?

M. Shucksmith : Je crois que la première étape a commencé en 1990.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous apporté des modifications au programme depuis 1990? Avez-vous appris des leçons au cours de ces 18 années, et, si c'est le cas, quelles sont-elles?

M. Shucksmith : Au départ, il s'agissait d'un programme de taille très modeste. Un chercheur a dit qu'il s'agissait presque d'un programme homéopathique puisque les montants d'argent en cause étaient minimes. Il a été perçu comme très réussi dès sa première étape, sans qu'il ait fait essentiellement l'objet d'une évaluation.

L'idée, avec ce programme, c'était d'offrir aux gens de l'argent pour poursuivre leurs propres projets. Il se distinguait nettement des projets antérieurs, qui fournissaient de l'argent pour construire des hangars, des clôtures, ou d'autres choses. Ce programme offrait de l'argent pour réunir les gens afin qu'ils collaborent. La Commission européenne a jugé que le programme avait beaucoup de succès. Il a donc reçu beaucoup plus de financement et a couvert de nombreuses autres régions pendant les deux étapes qui ont suivi et qui nous mènent en 2007.

Cependant, par le fait même, les États membres se sentaient négligés et menacés parce que l'argent était versé par Bruxelles directement aux collectivités rurales afin qu'elles fassent ce qu'elles veulent. Au cours des deuxième et troisième étapes, les gouvernements nationaux ont tenté de reprendre le contrôle et de réduire le pouvoir des collectivités. L'une des choses qu'il faut retenir, concernant ce programme, c'est qu'il semblait particulièrement efficace pendant la première étape, soit celle au cours de laquelle les collectivités avaient le plus de pouvoir.

Ce qu'il faut retenir, je crois, c'est que le raisonnement du programme LEADER, c'était de donner le pouvoir au peuple afin de favoriser un développement rural ascendant, à partir de la base, mais cela est impossible parce qu'il faut aussi une aide descendante. Bien souvent, dans les programmes conventionnels et les entreprises de financement, ce sont les autorités qui conservent le pouvoir et le contrôle.

La véritable question est la suivante : comment peut-on mettre en valeur le potentiel du peuple à l'échelle locale avec l'aide du gouvernement et des autres intervenants qui détiennent le pouvoir? Les leçons intéressantes, nous les avons apprises des expériences de ce type.

Je sais que je dois être bref, mais j'aimerais mentionner l'exemple de la Finlande, qui est probablement le pays qui a le plus tenté de populariser le programme LEADER. Ce pays a tenté de lui trouver une place entre les mesures prises à l'échelle des villages et les mesures prises par les administrations régionales et nationales, et il lui a donné comme rôle de concrétiser ces mesures. Chaque région du pays compte une initiative communautaire LEADER.

Le sénateur St. Germain : Monsieur Shucksmith, dans votre déclaration préliminaire, qui était concise et passionnante, vous avez parlé de la législation écossaise sur la réforme agraire. Je crois que vous avez affirmé que les terres appartiennent à la collectivité. Quelle est l'incidence de cette situation sur les secteurs pauvres de la société dans ces régions respectives?

M. Shucksmith : Il y a de nombreux aspects historiques derrière tout ça, et je ne vais pas entrer dans les détails. De façon générale, vous devez savoir que des personnes ont été chassées des portions les plus fertiles des hautes terres de l'Écosse, et bon nombre d'entre elles ont été transportées au Canada, aux États-Unis et dans d'autres pays.

Ceux qui sont restés derrière occupaient de petits lots que l'on appelait des « crofts » dans un rapport locateur- locataire avec les propriétaires fonciers, qui étaient habituellement de très grands propriétaires fonciers. La nouvelle législation a permis à ces locataires, qui étaient, en général, très pauvres, de pouvoir tenir un référendum et, s'ils obtenaient une majorité, d'acheter collectivement les droits du propriétaire sur toutes leurs immobilisations et sur les pâturages communs, aussi. Le propriétaire devenait alors une fiducie communautaire.

La position des locataires ne change pas, mais celle des propriétaires a changé; il ne s'agit plus simplement de particuliers qui peuvent se le permettre. Bon nombre de ces propriétaires fonciers se trouvent à l'étranger ou ont fait fortune dans l'industrie, par exemple. Les propriétaires fonciers sont devenus des fiducies communautaires, et celles-ci disposent de plans d'affaires et ont des visées de bienfaisance. L'objectif, c'est essentiellement de régler le type de problèmes qui occupent aussi votre comité. De nombreuses méthodes ont été adoptées à cette fin; on a, par exemple, mis sur pied des entreprises communautaires, récemment, des parcs d'éoliennes, mais aussi des centres de pisciculture, des hôtels et des entreprises touristiques. On tente aussi d'offrir aux gens la possibilité de construire leurs propres maisons sur les lots aménagés. Les recettes que cela entraîne sont réinvesties dans la collectivité de façon à ce que l'entreprise communautaire demeure viable. Il s'agit d'une façon directe de lutter contre la pauvreté rurale.

Le sénateur St. Germain : Est-ce que vous dites que le gouvernement local, dans la région, ne se contente pas d'acheter la terre, mais offre en plus du financement, que ce soit par l'entremise du programme LEADER ou d'un programme de développement des collectivités, pour aider les personnes qui occupent ces terrains?

M. Shucksmith : Les collectivités doivent acheter les terres au prix pratiqué sur le marché libre et reçoivent, pour ce faire, de l'argent provenant de la loterie. Le gouvernement utilise l'argent de la loterie pour financer le Fonds pour les terres de la collectivité. L'avenir de cette mesure est incertain, parce que nous arrivons à la fin du financement par la loterie, et que nous devons trouver une façon de financer les Jeux olympiques, ce qui signifie que nous devrons avoir recours encore une fois au fonds de la loterie. Le financement est donc actuellement menacé.

De plus, comme vous l'avez bien deviné, le gouvernement a utilisé l'argent de la loterie et une partie de son argent pour appuyer une unité de soutien des collectivités, que l'on appelle l'Unité des terres des collectivités. Cette unité fournit des spécialistes, des agents communautaires et des animateurs qui aident les collectivités à trouver une façon de se réunir pour décider de la marche à suivre, préparer un plan d'affaires et réunir des fonds.

Une fois que l'acquisition a eu lieu, l'Unité des terres des collectivités continue à exister pour offrir de l'aide, mais elle vise surtout à aider les collectivités pendant toutes les étapes qui précèdent le moment où elles décident d'acheter les domaines.

Le sénateur Peterson : Il y a quelques semaines, nous avons discuté, avec un représentant de l'Australie, du revenu correspondant au seuil de pauvreté. Il pensait que c'était environ 15 000 $. Nous avons examiné tous les programmes gouvernementaux et l'argent dépensé par le gouvernement et avons divisé ce montant par le nombre de familles admissibles, et cela donnait à peu près le même résultat. Est-ce que cela veut dire que nous devons offrir une aide plus précise et plus ciblée afin que ces programmes touchent les personnes qui en ont vraiment besoin?

M. Shucksmith : Le débat se poursuit. Il faut peut-être se demander quels sont les problèmes que nous souhaitons régler. Au Royaume-Uni, comme dans les pays de l'UE, le seuil de pauvreté est une mesure relative qui correspond à 60 p. 100 du revenu médian des ménages. Il s'agit là de la définition type. En termes absolus, cela varie grandement d'un pays de l'UE à un autre. Le seuil est moins élevé dans les pays pauvres que dans les pays riches.

Que vous optiez pour des mesures générales ou pour des mesures ciblées fondées sur les revenus, il y a des avantages et des inconvénients. Dans le cas d'une mesure fondée sur les revenus, l'argent est envoyé principalement aux personnes qui en ont vraiment besoin, ce qui est souhaitable. Cependant, les gens doivent habituellement faire l'effort de réclamer cette aide. Des données à jour publiées cette année en Angleterre révèlent que les taux de participation et de demande d'aide sociale par les personnes qui y ont droit sont beaucoup moins élevés dans les régions rurales que dans les régions urbaines, et ce, pour diverses raisons. D'abord, l'information est plus difficilement accessible puisqu'elle est plus présente dans les villes que dans les régions rurales. Ensuite, il est difficile d'entreprendre une campagne de sensibilisation en région rurale : les gens n'assisteraient pas aux séances d'information parce qu'ils savent que tout le monde les verrait s'y rendre.

Troisièmement, dans les régions rurales du Royaume-Uni, les personnes pauvres vivent habituellement dans des logements privés, tandis que dans les régions urbaines, les personnes pauvres vivent souvent dans des logements sociaux, dans des logements sans but lucratif ou dans des logements appartenant à l'État. Dans les logements appartenant à l'État et dans les logements sans but lucratif, les personnes sont en contact direct avec le système d'aide sociale puisque, en général, leur loyer est payé directement par le système d'aide au logement. Ce système peut informer tous les autres organismes, et ces gens reçoivent toute l'aide à laquelle ils ont droit. Les personnes qui vivent en région rurale et dans des logements privés n'entrent jamais en contact avec ces vecteurs, et c'est pourquoi il peut être avantageux de les cibler. Cependant, cela peut nuire aux personnes en région rurale; il faut donc prendre le temps de trouver une façon de surmonter ce problème.

Au Royaume-Uni, nous privilégions un mélange de ces deux types d'aide. Par exemple, les prestations pour enfants constituent un droit universel qui s'est révélé particulièrement efficace pour lutter contre la pauvreté chez les enfants puisqu'elles sont habituellement versées à la femme plutôt qu'à l'homme, même si ces prestations sont aussi versées aux personnes riches ayant des enfants. La plupart des autres prestations sont des prestations ciblées et fondées sur les revenus.

Le sénateur Peterson : Au Canada, comme dans d'autres pays, je suppose, les gens des régions rurales sont fiers et indépendants. Quand on parle de programmes contre la pauvreté, il est plus difficile de garder l'anonymat en région rurale qu'en région urbaine.

Le sénateur Mahovlich : Il y a un phénomène que l'on constate aux États-Unis : les gens d'affaires déménagent des régions urbaines vers les régions rurales parce qu'ils peuvent mener leurs activités sur Internet. J'ai passé quelque temps dans le sud de l'Angleterre récemment, et je n'ai vu aucune pauvreté. C'était très joli. Il y avait de nombreuses attractions, plus qu'on en trouve au Canada, et de nombreux jardins magnifiques à visiter. En fait, je suis tombé sur l'émission « Antiques Roadshow », qui se rendait à l'Île de Wight à ce moment-là.

Le sénateur Segal : Étiez-vous un invité ou un objet exposé?

Le sénateur Mahovlich : Je ne faisais que me balader.

Quoi qu'il en soit, je préférerais avoir mon bureau dans une région rurale de l'Angleterre plutôt qu'à Londres, à cause de la circulation et tout. Est-ce qu'il y a beaucoup de gens qui vivent à la campagne et qui y travaillent plutôt que de travailler dans un grand centre urbain comme Londres?

M. Shucksmith : Il y en a, en effet. C'est une tendance actuellement, qui, je pense, prendra de l'importance dans l'avenir. La Commission pour les collectivités rurales, qui est l'organisme qui s'occupe des régions rurales en Angleterre, et qui compte un conseil d'administration dont je fais partie, a publié récemment un rapport qui porte tout particulièrement sur ce phénomène, et qui s'intitule Under the Radar : Tracking and supporting rural home based business. Pour évoquer cette réalité, nous parlons d'une ville perdue : si vous regroupez toutes les personnes qui travaillent de la maison dans la campagne anglaise seulement, vous obtenez plus de gens que si vous combinez toute la main-d'œuvre de Birmingham et de Glasgow. Et il n'y a aucune politique qui cible ces personnes. Les planificateurs font face à un problème : ils ne savent pas s'ils doivent les traiter comme des entreprises ou comme des domiciles. C'est un véritable phénomène. C'est Internet qui l'a rendu possible, et il s'agit de l'un des facteurs de prospérité des régions rurales.

Nous avons envisagé la possibilité de fournir des unités d'habitation et de travail pour certaines des régions les plus éloignées afin de leur donner un nouvel élan. Une recherche a révélé que, dans notre pays, la plupart des nouvelles entreprises sont lancées par des personnes de l'extérieur qui viennent s'établir dans la région, et qu'un emploi est créé pour chaque personne qui s'établit dans la région. Cela signifie que les nouvelles entreprises embauchent de nombreuses personnes. Il s'agit d'un volet très important du développement économique rural.

J'aimerais revenir à l'exemple de Rye, dans le Sussex. Vous avez raison. La plupart des régions rurales de l'Angleterre se ressemblent : il s'agit de régions attirantes, et l'on y voit la prospérité. On ne voit pas, dans ces collectivités, les gens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Il y a des problèmes qui ne sont pas nécessairement liés à la pauvreté. Il peut y avoir des problèmes de transport, particulièrement pour les personnes âgées, parce que, comme tout le monde a deux ou trois voitures, les transports en commun ont tendance à disparaître. La grande affluence peut aussi devenir un inconvénient pour certains groupes sociaux.

Comme dans le cas du logement dans le sud-est, le sud-ouest et l'est de l'Angleterre — et Rye serait un bon exemple — une recherche de la Commission pour les collectivités rurales mentionne que 70 p. 100 des nouveaux ménages qui se formeront au cours des cinq prochaines années seront incapables d'acheter une maison dans les zones rurales de ces régions du pays. Cette réalité aura des répercussions sur la composition sociale de ces collectivités. Les jeunes n'auront pas les moyens d'y vivre. On se retrouvera avec des collectivités riches mais vieillissantes. Quoi qu'il en soit, elles seront très différentes de ce qu'elles sont maintenant.

Il faut se demander : est-il avantageux pour le pays que des régions entières ressemblent à des collectivités grillagées, mais sans les grillages? Cela créerait un déséquilibre social important. Quelles seraient les conséquences pour les régions urbaines?

Le sénateur Mahovlich : Je n'aime pas dire cela, mais il y a 40 ans, je pense, je me suis rendu à Folkestone, dans la région de Douvres. Est-ce que la région est maintenant surpeuplée? Je sais que, à l'époque, de nombreux touristes s'y rendaient. Est-ce qu'on y trouve de nombreux retraités? C'est une région très attrayante, avec ses falaises blanches et l'océan.

M. Shucksmith : C'est une région qui attire de nombreux retraités et qui a été renommée « Costa Geriatrica », pour reprendre cette expression aux antipodes de la rectitude politique. Cependant, juste au nord de Folkestone, on trouve une ancienne zone industrielle où il y a de la pauvreté. La situation peut changer rapidement d'une zone à une autre.

La présidente : J'ai une brève question à ce sujet. Comment les régions rurales du Royaume-Uni s'y prennent-elles pour préserver leur ruralité si elles connaissent une croissance aussi importante que celle que vous décrivez? Nous pourrions faire face à une telle croissance, ici, au Canada. Ça n'est pas encore arrivé, mais cela pourrait être intéressant de savoir comment elles s'y prennent.

M. Shucksmith : Il s'agit probablement du débat le plus virulent actuellement. Depuis la Seconde Guerre mondiale, notre pays a adopté une politique de confinement urbain qui prend la forme de mesures de planification très strictes qui ont présumément empêché toute activité de développement dans les campagnes. Cette politique visait, au départ, à protéger les bonnes terres agricoles. Cependant, même si nous produisions des quantités excédentaires énormes dans l'Union européenne, la politique est demeurée en vigueur selon une nouvelle raison d'être : protéger la campagne pour son propre bien.

Il y a évidemment des rapports de force en cause. Les riches qui sont capables de se payer une maison à la campagne ont toutes les raisons d'appuyer des politiques de ce genre pour empêcher que de nouvelles maisons ne soient construites. Ces politiques permettent de s'assurer que les régions rurales demeurent rurales, ou, à tout le moins, qu'on ait l'impression que rien ne se construit dans ces régions.

C'est toutefois impossible de protéger tout à fait la campagne puisque les politiques qui empêchent les constructions entraînent aussi des changements sociaux. Comme je l'ai dit, les jeunes ne sont pas en mesure de s'établir à la campagne, et les commerces qui vendaient de la nourriture et des marchandises diverses deviennent des magasins d'antiquités et d'autres magasins spécialisés. Cela entraîne un inconvénient social pour ceux qui ne sont pas capables de se déplacer. La protection de l'apparence de la campagne constitue un véritable enjeu, et ce sous-produit entraîne un changement de la nature sociale et économique de la campagne.

Le sénateur Segal : J'aimerais connaître votre avis concernant la répartition de la population.

J'ai appris cette semaine que la Suisse disposait d'une politique très intéressante permettant de s'assurer une juste répartition de la population. Par exemple, près de 200 000 Albanais du Kosovo vivent maintenant en Suisse. Ils y ont immigré pendant la période d'agitation et, bien que certains d'entre eux soient retournés au Kosovo, ils sont encore nombreux en Suisse. Il s'agit d'un nombre très important d'immigrants pour un pays comme la Suisse. Cependant, ils sont répartis entre les divers cantons grâce à une politique qui favorise une telle répartition.

Vous avez parlé de la volonté de voir s'établir les Européens de l'Est qui ont immigré au Royaume-Uni comme résidents permanents dans les régions qu'ils ont choisies. Le Royaume-Uni dispose-t-il d'une politique qui incite les nouveaux arrivants à se répartir dans le pays et à aller vivre dans les régions rurales, grâce à des mesures incitatives ou des directives politiques? L'une des difficultés auxquelles nous faisons face, au Canada, c'est que les nouveaux arrivants ont tendance à s'établir dans des régions à forte concentration où ils trouveront des gens de la même origine qu'eux. Ils y trouvent des amis, mais aussi des possibilités économiques et sociales. Ils ne déménagent pas dans des régions comme les régions rurales de l'Ontario ou de l'Île-du-Prince-Édouard, où leur présence serait pourtant appréciée et précieuse, parce qu'ils n'ont aucune incitation naturelle à le faire. J'aimerais savoir si le Royaume-Uni a mis à l'essai des politiques de répartition qui ont connu du succès.

M. Shucksmith : Je ne crois pas qu'il y ait eu de politique explicite pour tenter d'atteindre ce résultat. Il faut que nous envisagions la question en tenant compte des différentes vagues d'immigrants que nous avons accueillies. Il s'agit, je dois le souligner, d'un brandon de discorde dans les milieux politiques, entre la droite politique qui souhaite que le Royaume-Uni mette un terme à l'immigration, ceux qui la tolèrent et d'autres qui seraient portés à l'encourager.

Il est certain que les Noirs et les autres minorités ethniques qui proviennent d'anciens pays du Commonwealth ont tendance à s'établir dans les grands centres urbains, particulièrement à Londres, à Birmingham et dans certaines villes du Yorkshire. On retrouve très peu de gens de couleur dans les régions rurales de l'Angleterre ou de l'Écosse. Comme vous l'avez dit, c'est peut-être parce qu'il est naturel pour les gens de s'établir dans des régions où habitent des personnes avec lesquelles ils peuvent s'identifier. Le fait que des immigrants s'installent dans un endroit où se trouve une personne qu'ils connaissent ou de la famille constitue l'une des caractéristiques générales de l'immigration. La répartition géographique des mosquées, entre autres, pourrait également peser dans la balance. Mais le gouvernement n'a mis en place aucune politique particulière pour corriger cette situation.

En raison de la nouvelle vague d'immigrants originaires de l'Europe de l'Est et de l'expansion de l'Union européenne, les immigrants sont maintenant davantage dispersés sur le territoire. De nombreux secteurs de l'industrie agricole dépendent des travailleurs migrants et ne pourraient survivre sans eux. Par ailleurs, on a réalisé des études sur les expériences et les difficultés vécues par les collectivités qui tentent d'aider les immigrants à s'adapter à leur nouveau milieu de vie. Il est difficile, par exemple, de faire comprendre aux immigrants qu'ils peuvent consulter gratuitement un médecin et qu'ils peuvent recevoir de l'aide dans leur propre langue.

À ce que je sache, au Royaume-Uni, seule l'Écosse a adopté une politique particulière pour tenter d'attirer les immigrants. Je ne crois pas qu'il s'agissait d'une politique explicite, mais le gouvernement a fait preuve d'une grande perspicacité. D'abord, il a orchestré une campagne contre le racisme qui a pris la forme de publicités télévisées. Puis, une fois que la population s'est faite à l'idée selon laquelle elle ne devait pas être raciste, le gouvernement a enchaîné avec une campagne expliquant pourquoi l'arrivée d'immigrants ou une augmentation de la population était nécessaire. Ensuite, on a présenté la solution : attirer des immigrants de l'Europe de l'Est. On avait donc préparé le terrain.

Toutefois, je ne suis pas au courant de la mise en place d'une quelconque mesure incitative dans une région ou une autre du Royaume-Uni.

Le sénateur Segal : Je crois que, dans le cas de la Suisse, un immigrant pouvait passer du statut de travailleur invité à celui de résident temporaire et, enfin, à celui de résident permanent. Au Royaume-Uni, s'est-on attaché, d'une manière ou d'une autre, à la situation des travailleurs invités et à leur transition vers un autre statut? Ou peut-être le Royaume- Uni n'a-t-il pas fait appel aux travailleurs invités dans la même mesure que les autres pays européens?

M. Shucksmith : Non, mais cela pourrait effectivement se produire dans l'avenir. Toutefois, nous avons consenti à la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union européenne. L'Irlande et nous sommes les seuls à ne pas avoir tenté d'imposer des restrictions.

Ainsi, quiconque provient d'un autre pays de l'Union européenne peut venir au Royaume-Uni, trouver un emploi et profiter des prestations de l'État, de la gratuité des soins médicaux et de tout autre service que nous offrons. Au cours des deux à trois dernières semaines, le gouvernement a proposé l'adoption d'une période de probation. Je ne suis pas certain des détails parce que je n'ai pas eu l'occasion d'en prendre connaissance, mais je crois qu'il s'agirait d'une période de probation de cinq ans pendant laquelle un travailleur bénéficierait de certains droits et au terme de laquelle il jouirait de tous les droits.

Le sénateur Segal : Au Canada, nous disposons d'un programme de travailleurs invités très solide dans le secteur agricole. Nous attirons un flux relativement important de travailleurs provenant de nos cousins caribéens du Commonwealth et de certaines parties de l'Amérique centrale qui viennent travailler dans les secteurs des fruits tendres et du tabac ainsi que dans d'autres secteurs du sud de l'Ontario. Ils ont accès aux soins de santé et à d'autres services pendant qu'ils sont ici. Toutefois, je ne sais pas s'il existe des mesures visant à faire de ces travailleurs migrants des résidents permanents, quoique leur travail soit nécessaire à la viabilité de certaines activités agricoles.

Le sénateur Mahovlich : À l'intérieur de l'Union européenne, y a-t-il un exode d'une partie de la population du Royaume-Uni vers le sud de l'Europe, où le climat est plus agréable? Des résidents du Royaume-Uni achètent-ils des propriétés là-bas?

M. Shucksmith : Oui, certes. Cela ressemble à la tendance que j'ai décrite plus tôt, mais dans le sens inverse. Les Anglais se concentrent dans des régions particulières, comme la Costa del Sol, en Espagne, la Dordogne, en France, et d'autres endroits semblables. Au cours des dernières années, cette forme d'immigration a été favorisée par le fait que le pays est membre de l'Union européenne et par l'apparition de transporteurs aériens à tarif réduit comme Ryanair et easyJet qui rendent les déplacements abordables. Un nombre considérable de personnes possèdent une seconde résidence dans ces endroits et y passent l'hiver; il y a également des communautés d'expatriés qui habitent là-bas de façon permanente.

Le sénateur Mahovlich : Nous devons faire face au même problème au Canada : chaque année, des gens quittent le pays pour passer l'hiver en Floride.

La présidente : Merci, monsieur Shucksmith. Vos propos sont très utiles, étant donné que, par la force des choses, le Royaume-Uni a une longueur d'avance sur nous. Le contexte a certainement changé, sinon, nous ne tiendrions pas ces audiences. Divers aspects ont commencé à nous échapper au cours des dernières années. C'est flagrant dans notre vaste pays, où nous découvrons que ce que nous croyions être là n'y est plus.

M. Shucksmith : Merci. Si vous avez d'autres questions après vos lectures, n'hésitez pas à communiquer avec moi, et je ferai mon possible pour vous répondre.

La présidente : Nous le ferons certainement. Merci beaucoup.

Mesdames et messieurs les sénateurs, le prochain point à l'ordre du jour est le projet de loi C-44, qui vise à modifier la Loi sur les programmes de commercialisation agricole. Nous savons tous que l'industrie de l'élevage du bétail connaît des difficultés depuis un certain temps, en raison des coûts élevés des aliments du bétail et de la forte baisse des prix du bétail et du porc. Le comité s'est penché sur cette question l'automne dernier, et il a déposé un rapport assorti de recommandations visant à aider les producteurs.

Le projet de loi C-44 fait partie de la réaction du gouvernement pour s'attaquer à la crise actuelle. Monsieur le ministre, nous sommes très heureux que vous nous accordiez de votre temps. Je sais que vous êtes pressé, et je demande donc à mes collègues de poser leurs questions aussi brièvement que possible pour que nous puissions profiter pleinement de votre présence ainsi que de celle de vos collègues.

Outre M. Ritz, nous entendrons Mme Susie Miller, directrice générale du Bureau de la chaîne de valeur des aliments ainsi que Mme Jody Aylard, directrice générale de la Direction des programmes d'aide financière et de renouveau.

Je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes tous très heureux d'examiner ce projet de loi.

L'honorable Gerry Ritz, C.P., député, ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et ministre de la Commission canadienne du blé : C'est un plaisir d'être de nouveau parmi vous. J'ai un trou d'une demi-heure dans mon horaire. Je rencontre le premier ministre ensuite; donc, si je suis en retard, je lui dirai que c'est à cause de vous.

J'espère aujourd'hui vous convaincre de la sagesse de notre démarche, mais garder mon rhume pour moi. Ce projet de loi témoigne de l'urgence de la situation. Comme vous le savez, lundi, il a passé par toutes les étapes à la Chambre des communes. Nous espérons le faire adopter par le Sénat pour qu'il reçoive la sanction royale d'ici la fin de semaine. De cette façon, nous pourrons soumettre le projet de loi au Conseil du Trésor pour que l'argent soit versé au secteur de l'élevage le plus tôt possible en mars.

Un document se trouve devant vous. Je ne vous en ferai pas une lecture complète, à moins que vous ne le souhaitiez. Je suis persuadé que vous l'avez examiné. Je vous remercie du travail que vous avez fait l'automne dernier et du rapport que vous avez soumis. Il a été d'une grande utilité dans la création de cette initiative.

Les protagonistes du secteur de l'élevage nous ont mentionné deux choses lorsque nous avons commencé à travailler sur la situation, vers la fin de l'automne et au début de l'hiver, au moment où les choses se précisaient. Ils nous ont dit d'utiliser les programmes existants et de les exposer le moins possible à des mesures compensatoires. Voilà pourquoi nous avons opté pour la modification des programmes actuels.

Nous l'avons fait et avons trouvé le moyen suivant, qui nous en donnera le plus pour notre argent. Pour ce qui est du montant en jeu, dans une crise de cette envergure et du point de vue d'un gouvernement, il ne s'agit pas de sommes astronomiques. En tout, nous demanderons au Conseil du Trésor moins de 200 millions de dollars — 144 millions de dollars pour couvrir les modifications apportées à la Loi sur les programmes de commercialisation agricole dont fait mention le document devant vous, ce qui nous permet d'appeler cette crise une catastrophe et de faire passer les avances en cas de catastrophe de 25 000 $ à 400 000 $ par entité, montant dont la première tranche de 100 000 $ est exempte d'intérêts. Il s'agit d'un changement énorme.

Cette solution nous permet également de garantir une deuxième sûreté aux institutions financières et aux établissements prêteurs, de sorte qu'ils sont satisfaits. Selon ce que révèlent les mémoires précédents, dès que nous supplantons les établissements prêteurs, ils deviennent nerveux et commencent à exiger leur dû, ce qui fait que nos efforts sont vains. Ce projet de loi nous permet de prendre le second rang et d'être responsables de la deuxième moitié des stocks, et les établissements prêteurs en sont ravis. Ils travaillent de concert avec nous pour soutenir l'industrie du mieux que nous pouvons.

Ce sont donc les deux principales modifications apportées à la Loi sur les programmes de commercialisation agricole. Grâce à ces changements, je peux, en tant que ministre de l'Agriculture, et en collaboration avec le ministre des Finances, intervenir auprès d'une industrie qui se trouve dans l'impasse et, dans un même temps, mettre en place des mesures législatives semblables. Nous disposons de trois ans pour accomplir cette tâche.

Voilà l'essentiel du projet de loi. Comme je l'ai dit, la somme demandée n'est pas considérable : 144 millions de dollars pour couvrir les modifications apportées à la Loi sur les programmes de commercialisation agricole. Nous savons que le taux de producteurs en défaut sera plus élevé en raison de la crise. Nous savons également que la tranche de 100 000 $ exempte d'intérêts doit être assumée. C'est ce que nous entendons faire avec les 144 millions de dollars.

Je suis accompagné de Mme Miller, qui dirigera le programme de réforme des porcs reproducteurs. Il s'agit d'une initiative de 50 millions de dollars, montant qui sera administré par le Conseil canadien du porc. Nous croyons que le conseil peut gérer cette affaire de façon plus expéditive que nous. L'argent lui sera donc versé par l'intermédiaire d'un contrat de fiducie, et il en assurera la gestion.

Le programme est rétroactif au 1er novembre de l'automne dernier, moment où la crise a commencé à s'intensifier et où les éleveurs ont dû se retirer de l'industrie. Ils ont alors mis un certain nombre de porcs sur le marché. Ces porcs reproducteurs n'intégreront aucunement la chaîne alimentaire, car cela pourrait donner lieu à des mesures compensatoires. Au mieux, ces porcs seront transformés en nourriture pour chiens. On les éliminera donc de cette façon.

Le programme prévoit un montant de 225 $ pour chaque truie. Si, l'automne dernier, des éleveurs ont reçu 100 $ par animal pour faire de la promotion, ce montant sera déduit des 225 $, et ces éleveurs recevront la différence, de sorte que chaque éleveur touchera un montant de 225 $ par tête. C'est la raison d'être du projet de loi. Je suis maintenant disposé à répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

Le sénateur St. Germain : Ma question se rapporte davantage à ce que nous pouvons faire à plus long terme, sans nous ingérer dans le marché libre, pour que le rendement des producteurs augmente. L'écart entre le coût de revient et ce que paie le consommateur pour le produit n'a vraiment aucun sens.

Je sais que d'intégrer le libre marché est dangereux, et qu'il s'agit, pour bon nombre d'entre nous, d'une forme de gestion qui n'est pas politiquement acceptable. Toutefois, en raison de l'augmentation du coût des produits fourragers, des pressions causées par la demande en biodiesel et en éthanol ainsi que d'autres facteurs, nous faisons face à un problème grave. Le gouvernement fait-il quoi que ce soit pour essayer de garantir un meilleur rendement aux producteurs? Le fait qu'il y ait si peu d'entreprises de transformation aggrave-t-il le problème?

M. Ritz : J'aurais souhaité que nous disposions de deux ou trois jours pour discuter de cette question. Il s'agit vraiment d'un casse-tête.

Dans ce pays, le plus gros problème, c'est que les entreprises du secteur de la vente d'aliments en gros et au détail n'appartiennent plus à des Canadiens. En effet, la grande majorité de celles-ci sont dirigées par des intérêts étrangers. Ces entreprises ne se limitent pas au marché canadien lorsqu'elles achètent leurs produits. En fait, elles importent de partout dans le monde.

De plus, les consommateurs souhaitent avoir accès à une diversité toujours croissante de produits étrangers. Je sais qu'il existe de nombreuses initiatives. Je me trouvais dans votre coin de pays il y a deux ou trois semaines, et on parlait de l'alimentation à l'échelle locale, c'est-à-dire la pratique selon laquelle les gens ne devraient acheter et consommer que des aliments cultivés dans un rayon de 100 milles d'où ils habitent. C'est une merveilleuse idée si l'on habite aux alentours d'Abbottsford, car la production y est diversifiée, et l'on peut donc se procurer une multitude d'aliments. Toutefois, dans cette optique, il est impossible de boire une bonne tasse de café.

Les consommateurs veulent des ananas frais, et nous n'en produisons pas. Nous pourrions nommer une foule de choses que nous ne cultivons pas. On retrouve quelque 10 000 importateurs de produits alimentaires au Canada, ce qui fait qu'il est difficile de limiter cette activité.

L'appréciation du dollar canadien est certainement le plus grand bouleversement qu'ait subi le secteur du bétail. Je ne sais pas comment un gouvernement pourrait arriver à faire baisser la valeur du dollar pour corriger la situation. C'est infaisable dans le contexte de l'économie mondiale.

Le mieux que l'on puisse faire, c'est de conserver nos droits économiques fondamentaux et de diminuer le fardeau fiscal et réglementaire. Nous réagissons à cette situation au moyen d'une initiative distincte qui sera mise en application par l'Agence canadienne d'inspection des aliments, sous ma surveillance, pour réduire les coûts attribuables à la réglementation et aux formalités administratives imposées à nos secteurs du bétail et de la transformation.

Nous en sommes aux dernières étapes d'une comparaison entre notre ministère et le Secrétariat à l'Agriculture des États-Unis. Dans un même temps, nous permettrons au secteur de l'élevage de vérifier si nous avons touché toutes les cibles que nous devions atteindre.

En ce qui concerne les aliments pour animaux, vous avez mentionné les biocarburants et le biodiesel. Personnellement, je considère que, pour l'instant, cet argument ne tient pas la route. Notre production n'est pas assez importante pour avoir une incidence sur le marché canadien. C'est plutôt l'initiative américaine qui a eu des répercussions, car toute leur production de maïs — chaque boisseau — est transformée en éthanol. Par conséquent, une partie de la production de maïs bon marché qui traversait la frontière pour se retrouver dans nos parcs d'engraissement reste du côté américain. De plus, cette initiative a fait bondir le coût des engrais parce que les États- Unis achètent chaque gramme d'engrais que nous produisons, ce qui fait que nos producteurs peuvent difficilement être concurrentiels.

Cela étant dit, certaines études réalisées par la Canadian Cattlemen's Association révèlent que, au Nebraska, un bouvillon prêt à l'abattage coûte 90 $ de moins qu'au Canada parce que les éleveurs ont accès à la drêche de distillerie. On ne peut soutenir que les biocarburants vont détruire l'industrie tout en affirmant qu'il en coûte moins cher de nourrir un bouvillon au Nebraska en raison de ces mêmes biocarburants.

Si c'est moins cher au Nebraska qu'au Canada, c'est que nous accusons un retard. Nous avons raté le train il y a cinq ou six ans, même si nous en avions alors discuté, mais maintenant, nous faisons du rattrapage. On procède à certains essais sur les drêches de distillerie. Peut-être pouvons-nous augmenter l'apport de drêche dans les céréales fourragères pour faire baisser leur prix?

J'ai incité l'Agence canadienne d'inspection des aliments à homologuer l'orge à faible teneur en phytates, ce qu'elle a fait l'an dernier. Pendant un certain nombre d'années, on refusait d'autoriser l'utilisation de cette orge pour nourrir les animaux parce qu'on jugeait qu'il s'agissait d'une variété dotée de caractères nouveaux. La question est maintenant réglée, et les agriculteurs pourront se procurer l'orge dès le printemps. Évidemment, nous allons devoir cultiver beaucoup plus d'orge cette année dans l'Ouest du Canada. Si nous pouvons le faire et si nous allons de l'avant avec le libre choix du mode de commercialisation de l'orge, nous pourrons semer une tonne d'orge de plus qui pourra servir à approvisionner le marché du bétail. Si, dans l'Ouest, nous ne tenons plus compte de l'exigence relative à la distinction visuelle des grains, la DVG, nous pourrons utiliser de nouvelles variétés de céréales fourragères, comme le blé d'hiver, le blé de printemps et le blé tendre, qui donnent un rendement de 70 à 80 boisseaux par acre dans un sol sec. Ces variétés sont mises au point par l'Université de la Saskatchewan, à Saskatoon, puis elles sont envoyées au Montana, au Dakota du Nord et au Dakota du Sud parce que la DVG nous empêche de les cultiver dans l'Ouest du Canada. Voilà donc un aperçu de certaines des initiatives.

Le sénateur Segal : Pourriez-vous décrire ce qui arrivera quand le projet de loi sera adopté? Par exemple, si j'étais un éleveur de porcs aux prises avec des difficultés financières, en quoi ce projet de loi, une fois sanctionné par la gouverneure générale, peut-être cette semaine, me faciliterait-t-il la vie? De quelles façons les dispositions du projet de loi pourraient-elles aider un éleveur de porcs — étant donné les problèmes liés à la valeur du dollar, au coût élevé des intrants et de l'énergie et à l'accès au marché — à rendre son entreprise viable?

M. Ritz : Cela dépend s'il s'agit d'un éleveur de porcs ou d'un propriétaire de parc d'engraissement. Si un éleveur de porcs a vendu une partie de sa production après le 1er novembre 2007, à raison de 60 à 70 $ par tête au lieu des 225 $ que nous offrons actuellement, l'éleveur recevra un paiement complémentaire. Il n'aura qu'à nous montrer le montant des recettes tirées du marché, qu'il aura obtenu du Conseil canadien du porc, et il recevra un paiement complémentaire tiré de ce fonds de 50 millions de dollars. Nous prévoyons appliquer cette mesure à 10 p. 100 du cheptel. Au pays, beaucoup trop de truies produisent beaucoup trop de porcelets en santé. Notre travail au chapitre de la génétique est si efficace que nous surproduisons, quoique je ne sois pas certain du taux de surproduction, et c'est ce qui contribue à la diminution du prix du marché. En fait, il s'agit de réduire notre production porcine.

Grâce à ce programme, un parc d'engraissement bénéficiera d'une rentrée d'argent, ce qui lui assurera les liquidités nécessaires pour qu'il tienne le coup jusqu'à ce que le marché se redresse. Même à court terme, soit au cours du prochain cycle, on parle d'une augmentation de 20 à 30 $ par tête. Cette hausse nous aidera à reprendre le dessus. Elle nous donnera le temps de nous occuper de la question de l'alimentation des porcs. Le projet de loi envoie le message selon lequel l'industrie a un avenir. Quiconque souhaite sérieusement rester dans l'industrie disposera des outils nécessaires pour tenir à distance le secteur financier, ne serait-ce qu'un peu.

Évidemment, si on considère chaque cas individuellement, certaines entreprises agricoles ne pourront être sauvées parce qu'elles sont tellement embourbées dans les problèmes que de telles mesures ne pourront les sortir de là. Toutefois, la grande majorité des producteurs qui croient que l'industrie a devant elle un avenir prospère et durable resteront dans l'industrie et continueront de produire les porcs de qualité supérieure que nous élevons au Canada.

Le sénateur Peterson : Nous nous entendons tous sur le fait que le projet de loi est nécessaire et que la situation est urgente. Seulement, même si nous sommes animés des meilleures intentions, je me demande si nous pourrons agir à temps. Les producteurs pourront-ils vraiment bénéficier de ce projet de loi?

M. Ritz : Certainement. C'était justement la raison d'être du travail que nous avons réalisé avec le Conseil canadien du porc et la Canadian Cattlemen's Association. Il y a deux ans, lorsque nous avons fait nos premiers pas comme gouvernement, nous nous étions engagés à abolir le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole, le PCSRA. Il ne se prête à aucun concours bancaire, n'est pas prévisible et ne fonctionne pas. Nous l'avons donc remplacé par la nouvelle série de programmes de gestion des risques de l'entreprise : Agri-investissement, Agri-relance, Agri-stabilité et Agri-protection. Grâce à ces programmes, les producteurs pourront miser sur le concours des banques et sur des liquidités prévisibles advenant un problème.

J'ai écouté vos commentaires lorsque le projet de loi a été présenté. Pour ce qui est de l'urgence de la situation, je suis entièrement d'accord avec vous. Je dirais que la balle est dans votre camp. C'est vous qui avez la possibilité de faire adopter ce projet de loi le plus rapidement possible. La Chambre des communes l'a adopté. Je serais très heureux si le Conseil canadien du porc et la Canadian Cattlemen's Association profitaient de l'occasion pour vous dire à quel point la situation est urgente. J'aimerais que le projet de loi reçoive la sanction royale demain, si c'est possible. Nous pourrions alors soumettre les présentations au Conseil du Trésor, qui ont déjà été rédigées, et nous serions prêts à tout mettre en place. Nous sommes prêts à aller de l'avant.

Le sénateur Peterson : Les institutions financières ont-elles donné leur accord?

M. Ritz : Oui, elles l'ont fait.

Le sénateur Callbeck : Quand les producteurs peuvent-ils s'attendre à obtenir des résultats?

M. Ritz : Nous estimons pouvoir mettre en œuvre le programme en mars. Mais il faut soumettre la présentation au Conseil du Trésor, et vous connaissez le processus.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que le programme peut être mis en œuvre en mars et que les producteurs pourront en profiter dès le mois de mars.

M. Ritz : Oui.

Le sénateur Callbeck : C'est merveilleux. Lorsque votre secrétaire parlementaire a présenté ce projet de loi à la Chambre des communes, il a affirmé, selon ce qu'on m'a dit, que les producteurs bénéficieront d'un soutien supplémentaire grâce aux paiements provisoires et aux avances ciblées fournies par le programme Agri-stabilité. Vous avez entendu les inquiétudes soulevées par la Canadian Cattlemen's Association et le Conseil canadien du porc au sujet de ce programme. On m'a dit que les producteurs attendent toujours les paiements au titre de ce programme pour 2006 et 2007.

M. Ritz : Oui.

Le sénateur Callbeck : Prévoyez-vous accélérer l'exécution de ce programme pour que les producteurs qui en ont actuellement besoin puissent en bénéficier le plus tôt possible?

M. Ritz : C'est en partie ce que nous avons fait, madame le sénateur. Le programme de 2008 prévoit également des avances ciblées. Notre programme informatique et la modélisation nous indiqueront environ 50 p. 100 de ce à quoi un producteur aura accès. Nous avons accéléré autant que nous le pouvions l'application de ces programmes. Nous subissons encore les séquelles des deux dernières années où le PCSRA a été en place.

L'avance de fonds que les producteurs recevaient pour 2007 était dépensée dès le dernier paiement de 2006, ce qui posait un problème pour l'industrie de l'élevage. Une telle situation ne se produira plus une fois que le projet de loi sera adopté. C'est la raison même de son adoption. L'ancien programme n'offrait pas les liquidités dont les agriculteurs et les producteurs avaient besoin. Voilà pourquoi il est nécessaire de modifier la Loi sur les programmes de commercialisation agricole : pour que nous puissions avoir assez de latitude pour leur donner les liquidités qui leur permettront d'aller de l'avant. Il y a urgence.

Le sénateur Mahovlich : Le comité a visité quelques exploitations porcines, et certains éleveurs ont baissé les bras. Au Canada, quel est le pourcentage d'éleveurs de porcs qui ont laissé tomber l'élevage pour se reconvertir? Par exemple, un des éleveurs a opté pour l'élevage de colombes, et il obtient un prix garanti pour ces oiseaux.

M. Ritz : Dans quel laps de temps? Nous avons connu une crise en 1998 et une autre en 2003. Jusqu'à quand voulez- vous que je remonte?

Le sénateur Mahovlich : Jusqu'en 2003, cela suffira.

M. Ritz : En 2003, le taux d'abandon était d'environ 12 p. 100, si je me rappelle bien. L'an dernier, le taux était de 1,2 p. 100.

Le sénateur Mahovlich : Ce projet de loi aurait-il pu faire en sorte que ces éleveurs de porcs soient épargnés?

M. Ritz : Je ne suis pas certain que nous aurions pu les sauver tous. La moyenne d'âge des agriculteurs est de 61 ans. Pour nombre d'entre eux, le type de programme n'aurait aucune incidence parce qu'ils pensent à leur retraite et non à leur salut. La décision leur revient. Ils lisent les indices du marché et s'ajustent en conséquence. Le problème, c'était que nos programmes faussaient les données et ne permettaient pas aux producteurs d'apporter les changements appropriés en se fiant à de réels signaux du marché.

La présidente : Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir honorés de votre présence ce matin.

M. Ritz : Tout le plaisir était pour moi.

La présidente : Votre témoignage a joué un rôle déterminant. Nous réglerons cette question. Je crois que nous sommes tout aussi impatients que vous de mettre en œuvre ce projet. Nous ferons de notre mieux.

Jessica Richardson, greffière du comité : Madame Aylard, pourriez-vous rester parmi nous au cas où il y aurait des questions?

La présidente : Oui, il pourrait y avoir des questions pendant que nous étudions le projet article par article.

Êtes-vous d'accord pour que le comité procède à l'examen du projet de loi C-44, Loi visant à modifier la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, article par article?

Des voix : D'accord.

La présidente : Merci. Le titre est-il réservé?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 1 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 4 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 5 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 6 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 7 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 8 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 9 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Puis-je faire rapport du projet de loi adopté au Sénat?

Des voix : D'accord. Immédiatement.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, chers collègues. Il s'agit d'un projet très important, et nous le mènerons à bien. Je vous remercie beaucoup, madame Aylard. Je suis certaine que vous n'avez pas d'objection à répondre à quelques questions.

La séance est levée.


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