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Sous-comité sur les villes


Délibérations du Sous-comité sur les villes

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le vendredi 13 juin 2008

Le Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour examiner les questions d'actualité des grandes villes canadiennes et en faire rapport.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Bienvenue au Sous-comité sur les villes.

C'est avec plaisir que je préside le comité. Cela fait déjà environ un an que nous travaillons au dossier de la pauvreté, du logement et du sans-abrisme. Nous continuerons probablement de le faire jusqu'au début de l'année prochaine, moment où, nous l'espérons, nous aurons un rapport entre les mains.

Voici donc un autre jalon important de notre cheminement; il s'agit des débats concernant le « Revenu annuel garanti : le moment est-il venu de l'implémenter? »

Ce sujet est dans l'air et fait l'objet de débats depuis longtemps. En effet, il remonte à 1971, année où l'idée a été proposée pour la première fois dans le rapport Croll du Sénat. Depuis, beaucoup d'études et de rapports lui ont été consacrés. Il fait également l'objet d'une motion que mon collègue, le sénateur Segal, qui est présent parmi nous aujourd'hui, a inscrit au Feuilleton du Sénat relativement à l'application d'un impôt négatif sur le revenu à un éventuel revenu annuel garanti.

Le sous-comité a entendu 80 témoins et quelque 60 organisations. En fait, certaines personnes ici présentes ont déjà témoigné devant le Sous-comité. Nous sommes sur le point de publier un document sur les problèmes et les solutions possibles découlant de nos constatations. Il comptera environ 100 pages; c'est un sujet de taille. Après avoir discuté de la pauvreté, du logement et du sans-abrisme, étant donné que nous sommes après tout le Sous-comité sur les villes, nous examinerons tous les autres aspects de la vie dans nos villes en ce qui a trait au transport, à l'économie, à la régie, et cetera.

Cette première étape est importante. Le document sur les problèmes et les solutions possibles paraîtra, nous l'espérons, d'ici quelques semaines. Nous organiserons des réunions dans les principales villes du pays — pas toutes, mais certaines, de manière à couvrir chaque région d'un océan à l'autre. Nous débuterons en août, donc en été. Vous ne pensiez pas que les sénateurs travaillent en été, mais ils le font.

Comme je l'ai déjà mentionné, nous espérons pouvoir présenter au début de l'année prochaine un rapport de recommandations au gouvernement. Bien sûr, ça dépend de deux choses : premièrement, si une élection est déclenchée, il y aura un retard et, deuxièmement, s'il y a une nouvelle prorogation de la Chambre, il y aura également un retard. Nous avons déjà perdu six mois en un an à cause de ça.

Aujourd'hui, nous examinerons la notion de revenu annuel garanti sous l'angle, d'une part, de la pauvreté, et d'autre part, de la participation sur le marché du travail. Nous aborderons les questions d'administration et de conception, puis nous discuterons de la marche à suivre pour régler la question de l'insuffisance du revenu, qu'il s'agisse du revenu annuel garanti sous quelque forme que ce soit, ou de modifications.

Mme Carol Goar, éditorialiste au Toronto Star, a accepté d'agir à titre de modératrice. En tant que résidant de Toronto et lecteur du Toronto Star, je suis bien au courant des connaissances et des antécédents qu'elle possède ainsi que de la passion qui l'anime dans ce domaine. Je suis ravi qu'elle ait accepté, car ainsi je peux participer au débat et poser des questions embarrassantes et ainsi de suite, plutôt que de présider la réunion.

Je passe maintenant aux présentations. À ma gauche, se trouve mon collègue le sénateur Segal, de l'Ontario — nous procédons par province — plus particulièrement sénateur représentant la région de Kingston. Ensuite, nous avons Mme Christa Freiler, directrice de la recherche, Association d'éducation canadienne. L'organisation qu'elle représente vise à influer sur les questions de politiques publiques et d'éducation, aux fins du développement continu d'une société démocratique solide et d'une économie prospère et durable. Dans ses écrits, Mme Freiler argumente que le gouvernement fédéral devrait augmenter les prestations pour enfants et familles afin d'atteindre un seuil de revenu adéquat.

À côté d'elle, M. Derek Hum, professeur au département de science économique de l'Université du Manitoba, qui a sillonné la planète ces derniers temps mais qui semble en pleine forme ce matin. M. Hum est diplômé de l'Université Mount Allison, d'Oxford et de l'Université de Toronto. C'est un ancien boursier Rhodes. Spécialiste des questions touchant les politiques sociales, en particulier les programmes de maintien du revenu et les questions liées aux transferts fiscaux, il a été le directeur de la recherche dans le cadre d'un essai expérimental à grande échelle portant sur un système de revenu annuel garanti au Canada. Il s'agit du projet mené dans la région de Winnipeg. On lui doit de nombreuses publications traitant d'économique, de sociologie et de gestion des affaires publiques, dont sept ouvrages et plus de 100 articles. Il possède cette expérience d'un système modèle.

M. David Gray, professeur agrégé du département de science économique de l'Université d'Ottawa, n'est pas encore arrivé. Il est l'auteur de multiples études sur l'assurance-emploi pour le compte de l'Institut C.D. Howe et d'autres publications savantes. Son travail porte surtout sur les répercussions du passage de l'assurance-chômage à l'assurance- emploi sur la participation au marché du travail, notamment en ce qui a trait aux facteurs incitatifs et aux facteurs dissuasifs.

Puis, il y a ma collègue, le sénateur Marilyn Trenholme Counsell, qui est médecin. Elle s'intéresse vivement à la question de l'éducation préscolaire et des garderies. Elle participe également à l'élaboration d'un rapport sur ce sujet précis qui, encore une fois, devrait être publié en septembre, sous la responsabilité de notre comité principal, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. C'est un rapport à ne pas manquer.

M. David Northcott est directeur général de la banque alimentaire de Winnipeg Harvest, dont il a été le cofondateur en 1984. Il a également fondé l'Association canadienne des banques alimentaires et siège au conseil d'administration de l'Organisation nationale anti-pauvreté, l'ONAP.

Vient ensuite Mme Sheila Regehr, directrice du Conseil national du bien-être social. Depuis plus d'un quart de siècle, le Conseil analyse divers aspects de la pauvreté, notamment dans le cadre de deux séries de publications : Profil de la pauvreté et Revenus de bien-être social.

M. Rob Rainer est le directeur général de l'Organisation nationale anti-pauvreté, une organisation apolitique et sans but lucratif œuvrant à l'éradication de la pauvreté au Canada. L'ONAP estime que la pauvreté va à l'encontre des droits de la personne à sa propre sécurité.

À ma droite, il y a mon collègue, le sénateur Wilbert Keon, qui habite ici à Ottawa, en Ontario. Il est vice-président du comité principal. Je suis le président, il est le vice-président. Nous avons deux sous-comités : celui-ci, sur les villes, que je préside, et un autre, sur la santé de la population, qu'il préside. Il y a beaucoup de questions qui se chevauchent. Le sénateur Keon se penche sur les facteurs sociaux qui influent sur la santé. De toute évidence, il est très bien renseigné dans ce domaine. La pauvreté est également un facteur déterminant à cet égard, mais nous essayons autant que possible d'éviter le travail redondant. Je voudrais également ajouter que l'un des autres comités du Sénat, le Comité de l'agriculture, se penche sur la pauvreté en milieu rural. Là encore, nous travaillons en coordination.

Le Dr Keon a également très hâte d'entendre ce que vous avez à dire sur ce sujet.

[Français]

François Blais est professeur à la faculté des sciences sociales de l'Université Laval et il est l'auteur de l'étude intitulé Un revenu garanti pour tous.

[Traduction]

Vient ensuite M. Lars Osberg, professeur au département de science économique de l'Université Dalhousie. Il mène actuellement des recherches qui portent, entre autres choses, sur les facteurs de pauvreté et d'exclusion sociale et la façon de les mesurer, de même que sur la mesure du bien-être économique et de l'insécurité sur le plan économique.

Nous avons ensuite M. Philip Robins, professeur au département de science économique de l'Université de Miami. M. Robins a travaillé au Canada comme aux États-Unis dans le cadre de programmes d'essai portant sur l'impôt négatif. Il a assumé la direction de la recherche à l'intérieur des projets pilotes d'impôt négatif sur le revenu menés à Seattle et à Denver. Nous lui souhaitons la bienvenue.

Le sénateur Jim Munson partage son temps entre l'Ontario et le Nouveau-Brunswick. Il est également très intéressé par la question des villes et a participé activement à cette discussion.

Vient ensuite M. Michael Mendelson, chercheur émérite au Caledon Institute of Social Policy. Avant de travailler au Caledon Institute, il a occupé plusieurs postes élevés au sein de la fonction publique. Il a été sous-secrétaire du bureau du Conseil des ministres en Ontario, et il fait partie de l'équipe d'éminents universitaires qui se penche sur la possibilité d'instaurer un programme de revenu de base équivalent à ceux de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti, qui serait appliqué dans le cadre du régime fiscal. M. Mendelson doit nous présenter un modèle de réformes à apporter au programme, et nous avons hâte d'entendre ce qu'il a à dire à ce sujet.

Nous avons ensuite Mme Chandra Pasma, analyste politique pour les Citizens for Public Justice, un organisme qui fait la promotion de la justice publique au Canada en suscitant des débats clés en matière de politique gouvernementale à la faveur de la recherche et de l'analyse, de publications et d'échanges au sein du public.

Mme Marie White, présidente nationale du Conseil des Canadiens avec déficiences, un organisme d'envergure nationale réunissant des représentants d'organisations provinciales qui œuvrent auprès des handicapés à la défense de leurs droits de consommateurs ainsi que d'autres organisations nationales qui veillent spécifiquement aux intérêts des personnes souffrant de déficiences. Mme White est conseillère principale en recherche et évaluation à St. John's, Terre- Neuve-et-Labrador, et, depuis plusieurs années, elle a contribué à la réussite de plusieurs projets à l'échelle locale, provinciale et nationale.

Enfin, mais non le moindre, M. Jim Mulvale, professeur agrégé au département d'études de la justice de l'Université de Regina. Il est l'auteur de l'ouvrage intitulé Reimagining Social Welfare : Beyong the Keynesian Welfare State.

Permettez-moi de vous présenter le personnel. Barbara Reynolds est la greffière du comité, et elle a été au cœur de l'organisation de la présente rencontre, de même que Rob Meinzer, de mon bureau, et Laura Corbett. Nos recherchistes sont les analystes de la Bibliothèque du Parlement Brian O'Neal, Havi Echenberg et Tyler Kustra.

Je passe maintenant la parole à Mme Goar, qui présentera le premier exposé.

Carol Goar, éditorialiste, The Toronto Star : Merci beaucoup, sénateur Eggleton. Je me sens privilégiée et reconnaissante d'avoir été invitée ici. Mon rôle consiste à agir comme modératrice impartiale et occasionnellement, et gentiment j'espère, à interrompre nos invités si leurs interventions se prolongent un peu trop.

Quand j'ai accepté de jouer ce rôle, on m'a demandé si je croyais pouvoir demeurer impartiale, ce à quoi j'ai répondu en toute honnêteté que cela allait être relativement facile pour moi, puisque je n'ai jamais pris position sur la question d'un revenu annuel garanti. Je comprends qu'on m'ait posé la question, car mon journal s'est fait l'ardent et tenace défenseur de la lutte à la pauvreté. Toutefois, le Toronto Star n'a pas de position officielle sur la question du revenu annuel garanti, de sorte que je suis ici pour apprendre.

J'aimerais maintenant inviter le professeur Osberg à donner le coup d'envoi en nous présentant un bref historique du revenu annuel garanti.

Lars Osberg, professeur, département de science économique, l'Université Dalhousie : C'est un immense plaisir que d'être ici. J'ai apporté un document à distribuer. Je crois qu'il est utile, quand on parle du concept du revenu annuel garanti, d'avoir toujours à l'esprit une idée claire de l'objectif et du contexte.

Le tableau du haut présente simplement l'évolution du taux de pauvreté au Canada depuis la fin des années 1970. La leçon que j'en tire, c'est qu'il y a eu des hausses et des baisses du taux de pauvreté au Canada mais qu'essentiellement, aucune tendance ne peut s'en dégager. Si l'on prend la même courbe de pauvreté, qu'on la rajuste en fonction du taux d'inflation et qu'on s'interroge sur le pourcentage de Canadiens qui vivent dans la pauvreté, on constate des hausses et des baisses en fonction du cycle économique, mais essentiellement aucune augmentation sur une période de plus ou moins 31 ans.

Le second tableau est également important, car il présente le degré de dénuement des gens pauvres — l'écart de la pauvreté. C'est un point de vue souvent négligé. Si l'on ne s'arrête qu'au nombre de personnes pauvres, on passe à côté de la question cruciale du degré de dénuement des gens pauvres au Canada. À ce chapitre, on constate une tendance chronologique. Du point de vue de ceux qui vivent dans l'opulence, cela ne ressemble peut-être pas à une tendance chronologique. Toutefois, du point de vue des personnes indigentes, cela représente une hausse appréciable, soit d'environ 3 300 $ à environ 4 000 $ en 2006. Tous les chiffres sont exprimés en dollars de 2006, de sorte qu'ils ont été rajustés en fonction du taux d'inflation. Il s'agit d'une augmentation d'environ 20 p. 100, ce qui représente un montant de 2 800 $ pour une famille de quatre personnes, soit un changement aux répercussions appréciables sur leur bien-être.

Ce qu'il faut retenir, c'est que la situation des pauvres au Canada s'est considérablement détériorée, en termes absolus, et est pire que ce qu'elle était il y a 30 ans. Un objectif valable que nous pourrions tenter d'atteindre avec le revenu annuel garanti, ou toute politique de lutte contre la pauvreté, serait de tout simplement réduire cette indigence et d'avoir une incidence sur le taux de pauvreté. C'est un point crucial dont nous reparlerons.

Si vous tournez le document qu'on vous a remis, vous verrez un tableau qui présente plusieurs des seuils de pauvreté dont on a parlé au Canada au cours des 30 dernières années, en dollars indexés. Ces seuils correspondent tous à des époques différentes, où la valeur du dollar était différente. Dans le tableau, ils sont tous présentés selon la valeur qu'avait le dollar en 2006. Ce sont des données liées à l'extrême pauvreté mais, selon moi, le message à retenir est qu'il existe un consensus de base au Canada : dans le cas d'une famille de quatre personnes vivant dans une ville de taille moyenne, un revenu de 30 000 à 35 000 $ est instinctivement l'idée qu'on se fait du seuil de pauvreté.

Pendant toute cette période, toutes les méthodes utilisées pour définir la pauvreté donnent des résultats relativement semblables, la seule exception étant l'Institut Fraser.

Je tiens à parler de ce point en premier lieu parce que c'est notre objectif. Il est important de garder en tête que la réduction de l'indigence est un objectif primordial des politiques de lutte contre la pauvreté. C'est à partir de là que nous en sommes venus à nous demander s'il était temps de lancer un programme de revenu annuel garanti.

Lorsqu'il s'agit de programmes de transfert, deux questions se posent : qui en bénéficie et quel est le montant reçu? La caractéristique qui distingue les revenus garantis est le fait qu'aucune condition n'y est associée. Ce n'est ni en fonction des ressources ni en fonction des richesses. Lorsqu'on se demande s'il est temps d'introduire un revenu annuel garanti au Canada, la réponse est qu'il existe déjà des revenus garantis. En fait, il en existe plusieurs, mais ils sont limités du point de vue des destinataires et des montants. Par exemple, nous avons le système SV-SRG destiné aux personnes âgées au Canada, dans le cadre duquel tout le monde d'un certain âge est admissible à des prestations. Le système réunit les deux éléments des revenus garantis : une subvention accordée par le Programme de la sécurité de la vieillesse et un Supplément de revenu garanti qui permet la récupération fiscale. C'est un bon exemple parce que le niveau de base du SRG est d'environ 630 $ par mois ou 7 600 $ par année, et le taux de récupération fiscale est de 50 p. 100. Ces deux paramètres — le niveau de base du revenu garanti et le taux de récupération fiscale — sont les paramètres clés de tout régime fiscal négatif. Ensemble, ils définissent le point limite au-delà duquel les prestations cessent, c'est-à-dire que les gens paient des impôts nets au lieu de toucher des prestations.

Dans le cas du SRG, il s'agit d'un montant de l'ordre de 15 000 $ provenant d'autres revenus. C'est le paramètre clé parce qu'il permet de déterminer le coût du programme ainsi que le nombre de personnes qui y sont admissibles.

Les deux paramètres illustrent également la tension qui existe dans l'élaboration du concept. C'est une tension entre les personnes qui souhaitent considérer le niveau de garantie et la question de la suffisance du montant pour ceux qui ne peuvent ni travailler ni toucher un revenu, et les personnes qui se concentrent sur le taux de récupération fiscale, qui s'inquiètent à propos des gens qui ne travailleront peut-être pas et qui veulent garder les incitatifs. C'est pour cette raison qu'il existe une tension au sujet du taux peu élevé de récupération fiscale, qui nécessite un point limite élevé — un niveau de garantie élevé implique également un point limite élevé et d'importants coûts pour le programme.

La recherche, la conception du programme et la controverse liée au programme sont principalement axées sur ces deux dimensions, soit la question de la suffisance du montant, des paramètres concrets, comme le niveau de base du revenu garanti, et la question des incitatifs, où le taux de récupération fiscale joue un rôle important.

De nombreuses générations de chercheurs en économie ont étudié la question suivante : à quel point cela a-t-il une influence sur le comportement des gens? Nous savons que ça aura une influence sur le bien-être des gens à cause des transferts, mais quelle sera l'incidence sur leur comportement?

En ma qualité de professeur chevronné d'économique du travail, je suis ici en partie pour vous révéler le secret bien gardé de cette discipline, soit que les incitatifs financiers pour encourager le travail n'expliquent pas vraiment le comportement des gens. Des générations d'économistes ont été formées avec les courbes d'offre et de demande. En fait, toutes les régressions que nous faisons ne permettent pas vraiment d'expliquer la variance. La variance qu'il est possible d'expliquer est surtout liée aux autres variables, et non pas aux variables de l'équation qui portent sur l'impôt ou le salaire.

Comme l'ont constaté les spécialistes de l'impôt dans des situations expérimentales ainsi que de nombreuses personnes dans des situations non expérimentales, le nombre de travailleurs et le nombre d'heures de travail par année varient énormément dans le monde réel. Il y a beaucoup de variation lorsqu'il s'agit de décider si on veut intégrer le marché du travail, et il y en a bien moins lorsqu'il s'agit du nombre d'heures de travail une fois sur le marché du travail. L'énorme variation que nous observons par rapport au comportement humain peut difficilement être expliquée par les incitatifs du régime fiscal, d'un régime fiscal négatif ou de la rémunération avant impôt. La variation est surtout due aux caractéristiques personnelles, au hasard et à d'autres variables que nous ne pouvons mesurer.

Lorsque Derek Hum et Wayne Simpson résument les résultats de l'expérience Mincome et expliquent qu'en gros, il y a de faibles répercussions sur l'offre de main-d'œuvre, ils sont conséquents avec de nombreux ouvrages selon lesquels les incitatifs des programmes influent très peu sur le comportement. Cependant, « très peu » ne signifie pas zéro. Zéro est un nombre magique dans ces écrits parce que dès qu'un impôt négatif ou un revenu annuel garanti a un impact sur l'évolution de l'offre de main-d'œuvre, les éditorialistes s'en donnent à cœur joie. La distinction à faire entre « très peu » et « beaucoup » est reléguée aux oubliettes.

Un très petit effet sur l'offre de main-d'œuvre a beaucoup de poids du point de vue politique, même si ce n'est pas le cas du point de vue économique.

D'un point de vue pratique, lorsque nous avons instauré nos différents programmes de revenu garanti au Canada, nous l'avons fait uniquement pour un montant appréciable destiné aux personnes âgées qui, selon nous, n'occuperont pas d'emploi rémunéré sur le marché du travail. C'est le grand succès de la politique sociale canadienne au cours des 30 dernières années. Le taux de pauvreté chez les personnes âgées canadiennes a connu une forte baisse au cours des 30 dernières années. C'est sans équivoque la réussite des politiques sociales canadiennes, même si elle se fond dans la tendance à long terme, soit le maintien d'un quasi-statu quo en ce qui concerne la pauvreté en général.

La leçon que nous devrions tirer de cet accomplissement est que nous pouvons le faire. Nous pouvons avoir un grand impact sur l'ampleur de la pauvreté et le nombre de personnes aux prises avec ce problème grâce à un programme comme un programme de revenu garanti ou d'impôt négatif sur le revenu. Tout dépend du niveau auquel on établit le revenu garanti de base.

Si on prend les autres programmes au Canada qui sont déjà conçus sur le modèle du revenu garanti, comme le programme de Prestation fiscale canadienne pour enfants ou le crédit pour TPS, qui sont inconditionnels, on voit qu'à la base, ils sont conçus comme un programme de revenu garanti, mais avec de petits montants insignifiants. Ils possèdent les mêmes caractéristiques structurelles que les transferts inconditionnels et des mécanismes de récupération fiscale sont prévus; ils sont assez bas pour faire une différence dans l'écart de pauvreté, mais c'est une différence minime. Si on observe la tendance, on s'aperçoit que ce n'est pas suffisant pour empêcher cet écart de s'accroître avec le temps.

Voilà où je veux en venir, en quelque sorte. Nous avons déjà un cadre de revenu garanti au Canada. Le problème, avec la pauvreté qui prend de l'ampleur et la déchéance des pauvres qui s'accroît au Canada, c'est qu'il s'agit de montants minimes. Nous pourrions faire mieux et contribuer à améliorer le sort des pauvres simplement en majorant les programmes déjà en place, ce qui ferait réaliser le peu d'effets néfastes sur l'offre de travailleurs. Prenons le programme qui fait la fierté du gouvernement, le régime universel de soutien du revenu pour enfants de 100 $ par mois : nous pourrions l'accroître. Cela comprend aussi certains des aspects d'un revenu garanti.

Voilà l'essentiel de mon message. Nous pourrions et devrions en faire beaucoup plus.

Mme Goar : Pour ce qui est de la question de la suffisance, que M. Osberg a définie comme l'un des principaux aspects du revenu annuel garanti, je demanderais à M. Rainer, de l'Organisation nationale anti-pauvreté, d'ouvrir le débat.

Rob Rainer, directeur général, Organisation nationale anti-pauvreté : Merci, madame Goar et monsieur Osberg, pour vos graphiques. Ils sont révélateurs et utiles à cette discussion.

On m'a demandé de répondre à trois questions pour entamer cette partie de la séance, mais j'ai également quelques documents à distribuer après mon intervention. Ces documents proviennent d'un groupe de féministes qui se sont réunies en 2004 pour élaborer une déclaration en faveur de l'adoption d'un revenu garanti suffisant. Vous y trouverez une page extraite du programme préélectoral du Parti vert du Canada, qui exprime son appui à l'égard d'un réexamen de l'impôt négatif sur le revenu. Il y a également une déclaration émise en 2006 par le Nouveau Parti démocratique de l'Alberta, qui donne son appui au revenu annuel garanti. Nous sommes une organisation non partisane, mais nous voulions donner quelques exemples de partis politiques qui manifestent un certain intérêt à cet égard. Évidemment, il y en a d'autres.

Enfin, j'ai une copie de cette brochure, que je confierai à la greffière ou à l'équipe de recherche, le Women's Economic Justice Report on Guaranteed Livable Income de Victoria. C'est un recueil de réflexions livrées par des femmes à faible revenu de Victoria sur les répercussions qu'un revenu annuel garanti pourrait avoir dans leur vie. Ce sont des témoignages percutants rédigés à la première personne qu'il serait utile pour le Comité de prendre en considération.

L'Organisation nationale anti-pauvreté se fera un plaisir de présenter une brève déclaration préliminaire, à la demande de la Bibliothèque du Parlement, en réponse à trois questions : revenu annuel garanti permettrait-il de réduire la pauvreté? Aggraverait-il le problème de la pauvreté? Serait-il aussi efficace qu'une série de programmes?

L'ONAP appuie le revenu garanti, et ce, depuis la création de l'organisation en 1971. Nous sommes heureux de constater que la possibilité d'un revenu garanti au Canada est reconsidérée, notamment par le Sous-comité sénatorial sur les villes.

Comme certains de mes collègues ici présents, nous participerons au congrès international sur le revenu de base, qui aura lieu dans exactement une semaine à Dublin et qui sera précédé d'une journée entière consacrée à l'expérience récente des Irlandais en ce qui a trait au revenu garanti.

Pour répondre à la première question, qui est de savoir si le revenu garanti permettrait de réduire la pauvreté, l'ONAP croit qu'un cadre ou un programme de revenu garanti bien conçu pourrait non seulement contribuer à réduire la pauvreté, qui place aujourd'hui quelque 3 ou 4 millions de Canadiens dans une situation tragique et qui a des effets désolants à l'échelle nationale, mais également à éradiquer une fois pour toutes la pauvreté et apporter de nombreux autres avantages à la société en assurant à tous un revenu suffisant pour combler leurs besoins fondamentaux.

Selon notre analyse préliminaire, étant donné l'incidence et l'ampleur de la pauvreté, son élimination pourrait nécessiter la redistribution d'une autre part du revenu national équivalant à un montant de 20 à 25 milliards de dollars, soit environ 1,5 p. 100 du PIB. Un financement de cette envergure semble être nécessaire pour assurer un revenu suffisant à tous les Canadiens afin qu'ils vivent au niveau ou au-dessus des seuils de la pauvreté reconnus officieusement au Canada, comme le seuil de faible revenu et la mesure de la pauvreté fondée sur un panier de consommation. Nous pourrions même envisager, en tant que pays, de redistribuer des montants encore plus généreux.

Le Canada pourrait fournir ce montant de 20 à 25 milliards de dollars simplement en se rétractant, du moins en partie, des priorités budgétaires à l'égard des réductions d'impôt prévues dans le cadre de l'exercice en cours et des cinq prochains exercices. On estime que les réductions d'impôt prévues dans les budgets fédéraux de 2006 et 2007 empêcheront l'apport de près de 190 milliards de dollars dans le Trésor fédéral, c'est-à-dire 31 milliards de dollars par exercice.

L'annulation de la réduction largement critiquée de la TPS de 7 à 5 p. 100, pratiquement imperceptible pour la majorité des Canadiens, permettrait à elle seule de réinjecter environ 72 milliards de dollars dans le Trésor au cours de cette période de six ans, soit environ la moitié du montant nécessaire pour atteindre l'objectif de 20 à 25 milliards de dollars.

Comme autre solution, le Canada pourrait établir une structure fiscale qui obligerait les sociétés rentables à partager davantage leurs richesses. Au cours du premier trimestre de 2008 seulement, les sociétés canadiennes ont réalisé des profits avant impôt de près de 68 milliards de dollars; à ce rythme, elles obtiendront environ 270 milliards de dollars en profits avant impôt pour l'année entière, soit plus de dix fois le montant nécessaire pour assurer à tous les Canadiens un revenu supérieur au seuil de la pauvreté.

Entre 1996 et 2006, les profits avant impôt réalisés par les sociétés ont pratiquement doublé, alors que leur taux d'imposition est passé de 28 à 21 p. 100, et le gouvernement fédéral compte réduire ce taux à 15 p. 100 d'ici 2012.

Ces choix stratégiques laissent entendre que le Canada a la latitude voulue afin de s'assurer que tous les Canadiens ont un revenu suffisant pour combler leurs besoins fondamentaux. Nous soutenons que la sécurité du revenu doit être considérée comme un droit fondamental faisant théoriquement partie de la notion de sécurité de la personne en vertu de la Charte, qu'il faut donc protéger avec la même vigueur que l'on défend les autres droits établis, comme la liberté de religion, la liberté d'expression, la liberté de réunion et la participation électorale.

À la deuxième question, qui vise à savoir si le revenu garanti pourrait aggraver le problème de la pauvreté, je réponds par l'affirmative, si le revenu provenant de cette seule source est insuffisant pour combler les besoins fondamentaux et si, pour permettre l'introduction de la garantie en question, d'autres formes de revenus ou d'aide sociale doivent être éliminées.

D'après ce que nous comprenons, c'est pour cette raison que la proposition de la Commission Macdonald de 1985 visant un programme universel de sécurité du revenu a fait l'objet de contestations. L'ONAP s'opposera à toute proposition de revenu garanti qui risque d'aggraver la situation actuelle et future des Canadiens à faible revenu.

Au sujet de la troisième question, qui est de savoir si le revenu annuel garanti serait aussi efficace qu'une série de programmes, nous estimons qu'un cadre ou un programme universel de revenu garanti qui serait adéquat ou suffisant et qui harmoniserait les exigences administratives, serait plus efficace que le ramassis confus de programmes de soutien inadéquats, souvent stigmatisants et parfois divergents. Il pourrait permettre de rationaliser le soutien du revenu en remplaçant certains programmes. On pense ici surtout aux programmes provinciaux et territoriaux d'assistance sociale, dont les coûts de planification, d'administration et d'application liés à l'examen des ressources doivent être considérables.

Nous tenons à être clairs sur un point, cependant, et le tableau qui accompagne la déclaration l'illustre bien : le revenu garanti n'est pas une formule magique qui permettra de résoudre le problème de la sécurité sociale. Nous croyons plutôt que le revenu garanti viserait à assurer un revenu suffisant pour répondre aux besoins fondamentaux et devrait être bien ancré dans un système modernisé de sécurité sociale offrant d'autres programmes, notamment en ce qui concerne la garde d'enfants et le développement de la petite enfance, qui touchent d'autres aspects de la sécurité sociale.

Étant donné qu'il existe déjà des amorces, si je peux dire, de revenu garanti, par exemple la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti pour les aînés, le défi ne consiste pas à introduire un concept innovateur au Canada, mais à trouver un moyen de renforcer les fondements déjà en place. L'ONAP croit que le Canada peut et devrait renforcer ces fondements dans l'optique d'un respect accru envers les droits sociaux. Il serait ainsi en voie d'établir un nouveau contrat social. Ce contrat engagerait le pays à assurer la sécurité sociale pour tous et renforcerait la pratique de la citoyenneté et le sens communautaire dans la population canadienne.

Merci beaucoup. Je ferai circuler une copie de ma déclaration et les autres documents dont j'ai parlé.

Mme Goar : Merci beaucoup, monsieur Rainer. J'invite maintenant les sénateurs à faire des observations. Je vous demande instamment de limiter vos commentaires à ce stade-ci aux répercussions possibles d'un revenu annuel garanti sur la pauvreté. Nous discuterons plus tard des questions de conception et autres.

Le sénateur Segal : J'aimerais poser une question à M. Osberg au sujet des deux seuils qu'il nous a montrés dans ses deux tableaux. Pourriez-vous conclure de manière empirique, avec les effets des programmes actuels de lutte contre la pauvreté sur le marché, l'aide sociale et tout le reste, qu'il n'y a pas eu d'incidence mesurable sur la trajectoire de ces seuils? Je ne conteste pas l'effet positif qu'ils peuvent avoir sur certains segments de la population. En ce qui concerne le mouvement de ces seuils ou l'absence de variation de la trajectoire selon le cas, ou la détérioration, dans certains cas, de la situation des familles, peut-on conclure raisonnablement que les programmes actuels n'ont pas d'incidence positive mesurable sur la situation de ces familles? Est-ce là une réaction excessive?

M. Osberg : À mon sens, jusqu'à la période de 1995-1996, le Régime d'assistance publique du Canada était axé essentiellement sur les besoins, par exemple. L'assurance-chômage était encore un véritable programme jusqu'au début des années 1990. Il y avait alors un régime qui aidait à faire front aux cycles économiques ou aux tendances séculaires défavorables.

À la suite d'une série de compressions budgétaires importantes au milieu des années 1990, le Canada a pris une toute autre direction.

La politique sociale du Canada n'a pas eu les conséquences qu'elle aurait pu et qu'elle aurait dû avoir, plus particulièrement depuis une douzaine d'années.

Je ne considère pas cette période comme étant uniforme, mais je dirais qu'elle a été marquée d'un changement important au milieu des années 1990.

Le sénateur Segal : Ces tableaux tiennent-ils compte des revenus avant ou après impôt?

M. Osberg : Ce tableau en particulier reflète le seuil de faible revenu déterminé par Statistique Canada selon les revenus après impôt.

Vous obtiendrez pratiquement le même résultat à partir de tous ces seuils de pauvreté. Ils augmenteront ou diminueront, mais un point est mis en évidence de l'autre côté, à savoir qu'il est remarquable de constater à quel point les seuils de pauvreté n'ont pas changé pendant toutes ces années et se situent tous encore plus ou moins au même niveau.

Le sénateur Segal : Doit-on comprendre que le régime fiscal, avec ce qu'il a d'efficace et de moins efficace, de juste ou de moins juste, ne permet pas de redistribution appréciable, tel qu'il est présentement constitué?

M. Osberg : La fonction principale du régime fiscal, bien entendu, c'est de générer des recettes, ce qui n'est possible qu'à partir du revenu des gens fortunés. Cela a peu d'incidence sur la situation des pauvres, simplement parce que leur revenu imposable est si faible. Le régime a cependant un rôle crucial à jouer pour générer des recettes, ce à quoi on a renoncé, comme on vient de le faire remarquer, et qui aurait pu avoir des répercussions considérables sur les programmes de lutte contre la pauvreté.

Le sénateur Segal : Merci beaucoup.

Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur Rainer, lorsque vous avez parlé de limiter la réduction de l'impôt sur le revenu, j'ai immédiatement pensé à ceux que nous appelons les travailleurs à faible revenu. Je ne connais pas précisément les réductions pour chaque catégorie d'impôt sur le revenu, mais il me semble que cette mesure joue un rôle extrêmement important dans la lutte contre la pauvreté et les grands combats que les gens et les familles doivent livrer, même s'ils ont un emploi.

Vous ne vouliez peut-être pas laisser entendre que ces personnes ne bénéficieraient pas des réductions d'impôt que beaucoup d'entre nous préconisons.

M. Rainer : La remise en place d'un régime fiscal plus progressif pourrait contribuer à résoudre le problème de la pauvreté. Si les déclarants qui se situent dans les 10 p. 100 supérieurs, pour ce qui est du revenu, payaient plus d'impôt qu'ils n'en payent actuellement, cela générerait certainement une augmentation des recettes, et cela pourrait être redistribué aux personnes qui sont à l'autre extrémité de l'échelle.

Malgré toute la croissance que nous avons observée au pays, seuls les 10 ou 15 p. 100 des Canadiens qui touchent les revenus les plus élevés ont gagné du terrain, du point de vue économique, au cours des dernières décennies. C'est ce qu'ont révélé les études sur l'augmentation de l'écart, par exemple. Un rapport récemment produit par Statistique Canada signalait cette tendance. Il y a lieu de se demander si les Canadiens qui s'en tirent bien, en particulier ceux qui se situent dans le premier dixième de pour cent, pourraient contribuer davantage au régime fiscal et à une redistribution qui aiderait ceux dont les revenus sont les moins élevés. On peut certainement envisager une diminution des réductions d'impôt pour les personnes à revenus faibles ou même moyens, mais il semble qu'il y aurait assurément lieu d'accroître la contribution fiscale de ceux qui se situent au sommet de l'échelle.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous ne voulez pas parler d'une diminution des réductions d'impôt au bas de l'échelle. Vous êtes plutôt en faveur des réductions d'impôt à ce niveau, n'est-ce pas?

M. Rainer : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : À votre avis, il serait donc bénéfique de réduire l'impôt sur le revenu des gens qui se situent au niveau le plus bas?

M. Rainer : Oui. De manière générale, cela fait partie de ma vision d'un régime fiscal plus progressif.

Michael Mendelson, chercheur principal, Caledon Institute of Social Policy : Le sénateur Segal a posé une question importante et je ne suis pas sûr que M. Osberg y ait répondu de manière assez précise. Je vais vous donner une réponse plus directe : ces graphiques ne permettent pas de déduire quelle aurait été la situation sans les transferts du gouvernement fédéral.

Ce qu'on observe à l'échelle internationale, d'après ce que je comprends, est que, sauf pour les quelques dernières années du moins, le revenu des Canadiens aurait été moins uniforme — et j'insiste sur le fait qu'il faut distinguer pauvreté et inégalité des revenus — si le régime des transferts fiscaux n'avait pas été en place. On ne peut pas conclure, comme l'ont fait certains aux États-Unis, que tout le système ne fonctionne pas parce que la pauvreté ne décroît pas.

Cela fait ressortir une question cruciale, qui est celle de l'inégalité du revenu marchand. Je voudrais que toutes les discussions sur les programmes de sécurité du revenu se fondent avant tout sur le postulat que le régime fiscal et les transferts de revenus fédéraux ne sont pas la référence absolue en ce qui concerne la pauvreté et l'inégalité des revenus. Le revenu marchand est un déterminant beaucoup plus important que les revenus provenant du gouvernement, pour ce qui est de la pauvreté et de l'inégalité des revenus. Le problème peut devenir un véritable casse-tête si on se concentre exclusivement sur les revenus gouvernementaux.

Hier ou avant-hier, au Royaume-Uni, les grands titres des journaux indiquaient que la pauvreté chez les jeunes et les personnes âgées s'était accrue dans ce pays, et ce, en dépit de crédits d'impôt considérables. Le système des crédits d'impôt et le système de redistribution du Royaume-Uni ont beaucoup plus d'envergure que ceux du Canada. Malgré le fait que le gouvernement de ce pays a entrepris très activement de réduire la pauvreté chez les enfants, cette pauvreté s'est accrue, d'après les mesures que les Britanniques ont utilisées, et que nous n'accepterions peut-être pas. L'inégalité du revenu marchand a aussi augmenté.

Malgré le fait que leurs programmes ont beaucoup d'ampleur et qu'ils gagnent encore en importance, les Britanniques tentent de colmater une brèche qui s'élargit au moyen de paiement de transferts. Ce n'est pas nécessairement la bonne façon de procéder. Il faut qu'ils cessent de s'enfoncer.

Dans la situation actuelle, nous devons nous interroger sur notre conjoncture économique. Quelle est la nature de l'économie canadienne? Il y a des exemples, dans le monde, d'économies prospères, dans lesquelles la pauvreté a été réduite, et qui sont caractérisées par une très faible incidence de la pauvreté. Je parle des économies des pays nordiques.

Si on examine attentivement la situation dans ces pays, on constate que leur succès n'est pas attribuable à un revenu garanti ni à un régime de transferts gouvernementaux, mais plutôt à un éventail de programmes qui ont été conçus pour répondre à des besoins particuliers et, ce qui est encore plus important, à un revenu marchand qui, dans ces économies, est plus égalitaire que dans la nôtre.

Les gens qui travaillent dans les restaurants, là-bas, ne sont pas des jeunes qui touchent le salaire minimum ou un salaire inférieur avec pourboires. Ce sont des professionnels, souvent syndiqués, qui touchent un salaire qui suffit à élever une famille. Ce sont essentiellement les biens non échangeables qui sont concernés, surtout dans le secteur des services, de même que les salaires très bas.

Je crois que les programmes gouvernementaux ont toujours un rôle critique à jouer, mais la première étape d'un programme contre la pauvreté est une économie anti-pauvreté. Nous ne pouvons pas ignorer ce fait.

Sénateur Segal, vous avez posé une question très importante, ayant un lien avec le revenu marchand qui, si je ne me trompe pas, est devenu beaucoup moins uniforme au Canada au cours de la période dont nous parlons.

Christa Freiler, directrice de la recherche, Association canadienne d'éducation : Il s'agit d'une initiative très importante, et je suis d'accord avec M. Mendelson sur le fait qu'il est important de la mettre en contexte de manière à tenir compte de l'économie. Dans cette optique, j'aimerais insister sur le fait que dans le dossier du revenu garanti, les questions de mise en œuvre doivent être distinguées de la question du principe ou de l'objectif.

Une chose qui est claire, au sujet du revenu garanti, est que cette idée soulève la question de savoir s'il incombe à la société ou au gouvernement de garantir un revenu de subsistance ou de base adéquat. Un revenu garanti est, à l'évidence, une manière d'atteindre cet objectif.

Nous devons nous pencher sur ces problèmes en nous demandant en quoi consiste un revenu de subsistance ou de base adéquat, et de quelle manière un tel revenu devrait être garanti. Je suis d'accord avec M. Mendelson et avec tous ceux qui affirment qu'un certain nombre de moyens différents devraient être mis en œuvre pour en arriver à cette fin, notamment des salaires suffisants et des programmes de soutien du revenu qui interviendraient aux différentes étapes de la vie.

Comme l'a mentionné M. Osberg, des programmes de revenu garanti sont déjà en place pour certaines situations et circonstances de la vie; on peut par exemple penser aux prestations pour l'éducation des enfants, aux prestations de vieillesse, « et cetera ».

Nous devons maintenant nous demander si ce qui est actuellement en place — c'est-à-dire la combinaison d'un emploi rémunéré pour les personnes qui sont en mesure de travailler et dont on s'attend à ce qu'elles soient sur le marché du travail, d'une part, et nos programmes de revenu garanti, d'autre part — suffit à procurer un revenu garanti adéquat, qui permet à ceux qui le touchent de subvenir à leurs besoins.

Le corollaire de cette question est de savoir à qui il revient de s'assurer que ce revenu adéquat est garanti? L'un des aspects particulièrement intéressants de ce débat, c'est qu'il soulève à nouveau la question du rôle que joue le gouvernement fédéral à titre de seul gouvernement au pays à pouvoir garantir que tous les Canadiens et que toutes les familles du Canada disposent d'un revenu de base adéquat grâce à l'éventail des mécanismes qui sont en place.

Mme Goar : Je suis consciente qu'il est difficile de ne pas déborder du tout du sujet, mais nous nous pencherons plus tard sur les questions de conception et de mise en œuvre.

Sheila Regehr, directrice, Conseil national du bien-être social : J'aimerais ajouter quelques mots au sujet des propos qu'ont échangés le sénateur Segal et d'autres personnes ici présentes au sujet de certaines de ces questions.

J'ai moi aussi apporté un diagramme, qui illustre assez clairement ce qu'a dit M. Mendelson au sujet des revenus tirés du marché du travail. Je ne l'expliquerai pas en long et en large parce que c'est une représentation très graphique. Il s'agit des seuils de faible revenu avant impôt. Cela permet vraiment de mieux comprendre la tendance du marché du travail.

La ligne rouge qui descend brusquement représente le revenu des personnes âgées. Ces deux autres lignes représentent toutes les personnes de moins de 18 ans; c'est donc ici que se situent les enfants. Enfin, la ligne du dessous représente le reste de la main-d'œuvre d'âge adulte, et les taux de pauvreté qui y sont associés se sont accrus. Cela montre clairement qu'il y a un certain nombre de problèmes.

J'aimerais également parler des répercussions du système actuel et de ce qui doit être rectifié. Un de mes chercheurs a mis au jour des données que je trouve assez alarmantes. Dans une de nos publications, nous avons examiné une espèce de pseudo-mesure du dénuement : l'extrême pauvreté. Nous avons pris comme point de départ le SFR réduit de moitié, c'est-à-dire que nous avons examiné la situation des personnes qui vivent avec un revenu correspondant à moins de 50 p. 100 du seuil de pauvreté, abstraction faite des personnes âgées.

De 1989 à 2005, le pourcentage des mères seules qui vivent dans une telle situation d'extrême pauvreté est passé de 8 à 11 p. 100; c'est une petite augmentation. Le pourcentage des familles biparentales a augmenté de 8 p. 100, pour s'établir à 21 p. 100; c'est une hausse considérable. Ce chiffre est passé de 13 à 31 p. 100 pour les couples mariés, et il est passé de 17 à 38 p. 100 pour les personnes seules. Ces données révèlent qu'un très grand nombre de personnes vivent avec pratiquement rien dans notre société, ce qui, à mon sens, a certainement de quoi nous alarmer.

J'aimerais également revenir sur une ou deux questions liées aux répercussions, pour étayer ce que M. Mendelson a dit au sujet de la différence entre le Canada et les pays nordiques. Je suis récemment tombée sur une étude de Shelly Phipps que j'ai trouvée assez intéressante. Il n'y a pas seulement le revenu qui est mieux distribué en Suède qu'au Canada; il y a aussi le temps. La Suède a un des taux de participation des femmes au marché du travail les plus élevés au monde. Cependant, personne n'y fait de semaines de travail excessivement longues et personne ne s'y rend fou à travailler pour parvenir à joindre les deux bouts, en particulier dans les familles biparentales. En outre, à revenus égaux, les gens bénéficient d'une meilleure qualité de vie en Suède.

Le dernier point que je veux aborder concerne la théorie économique. Je ne suis pas économiste, mais je suis également tombée là-dessus récemment. Cela provient d'un ouvrage intitulé The Persistence of Poverty, dans lequel l'auteur, Charles Karelis, met sens dessus dessous la théorie de la diminution de l'utilité marginale. Je vais vous faire part de l'exemple concret qu'il donne.

Il prend comme exemple une personne relativement aisée. Si cette personne mange des cornets de crème glacée, elle aura probablement plus de plaisir en mangeant le premier qu'en en mangeant un dixième car, à ce moment-là, elle aura probablement mal au ventre.

Il donne par ailleurs l'exemple d'une personne qui a six piqûres d'abeille mais qui n'a assez de baume ou d'onguent que pour en soulager une ou deux. Il prétend que cette petite quantité d'onguent, que ces maigres moyens que l'on peut donner à quelqu'un ne suffiront pas à atténuer sa douleur, à avoir des effets réels. L'auteur donne un autre exemple, soit celui d'une personne qui s'est fait piquer par deux abeilles et à qui l'on donne une quantité d'onguent qui lui permettra de soulager seulement une de ses deux piqûres. Ménager l'onguent pour qu'il dure deux jours n'aurait aucun sens. En toute logique, cette personne se soulagerait et se détendrait un certain jour, et elle vivrait avec la douleur tous les autres jours. Ce que l'auteur veut nous faire comprendre, c'est qu'à moins que l'on donne aux gens suffisamment de ressources pour qu'ils soient en mesure de subvenir à leurs besoins vitaux, toutes ces incitations à travailler et à gagner plus d'argent seront vaines.

Le président : Revenons-en, si vous le voulez bien, à la question des conséquences du revenu annuel garanti sur la pauvreté. J'aimerais ajouter quelques mots à certaines observations formulées par Ken Battle, du Caledon Institute, pour lequel travaille également M. Mendelson, bien entendu.

La Bibliothèque du Parlement a tenu une séance, une courte séance préliminaire qui a eu lieu avant celle-ci, et certains d'entre vous y avez participé. Lorsqu'il a été question du RAG, M. Battle a reformulé comme suit l'ancien slogan de Mackenzie King : le RAG si nécessaire, mais pas nécessairement le RAG. M. Battle a dit assez clairement qu'il n'existe aucune solution tout-en-un qui serait viable, bien qu'en injectant une certaine quantité d'argent, j'imagine qu'on pourrait obtenir les résultats visés. Il a cependant souligné, en parlant de ce document, que les mesures de RAG — que nous avons appelées entre nous des mesures de type SV, comme le SRG et la Prestation fiscale canadienne pour enfant — constituent une approche qui pourrait donner de bons résultats si on l'appliquait à d'autres domaines, que ce soit aux travailleurs, aux personnes handicapées ou à d'autres groupes. Cependant, il faudra toujours accorder de l'importance aux services : la question du logement et des sans-abri, l'apprentissage et la garde des jeunes enfants, tout cela fait partie de la solution. On ne peut pas mettre tous nos œufs dans le même panier et se concentrer exclusivement sur ce programme de sécurité du revenu. Ce n'est pas une solution adéquate au problème de la pauvreté.

Et puis, beaucoup des résolutions dont nous entendons parler relativement à l'établissement d'un impôt négatif sur le revenu, y compris celle du sénateur Segal, avec tout le respect que je lui dois — si j'ai mal interprété votre résolution, dites-le moi — indiquent qu'il faut conserver le même niveau de dépenses au titre de la sécurité du revenu. Autrement dit, je présume que le régime se situerait en gros au même niveau qu'aujourd'hui. On ne ferait que le refondre pour en faire un régime d'impôt négatif sur le revenu.

Selon l'article publié par le Caledon Institute, avec un tel scénario, il y aurait plus de perdants que de gagnants. De plus, même s'il est possible que le régime réduise légèrement le taux de pauvreté, il n'en réduirait pas l'ampleur. Par conséquent, si nous utilisons à peu près la même enveloppe fiscale, dois-je présumer qu'il est impossible d'avoir une incidence positive sur la réduction de la pauvreté?

Derek Hum, professeur, département d'économie, Université du Manitoba : Je ne présenterai pas d'exposé, mais j'aimerais faire quelques commentaires sur l'incidence qu'un revenu garanti aurait sur la pauvreté.

J'ai moi aussi apporté des tableaux, pour ne pas être en reste par rapport à mes collègues des Maritimes. J'ai travaillé pour le gouvernement à quelques reprises par le passé, et il faut croire que j'ai appris, parce que j'ai remis mon dossier de présentation à l'avance et qu'il est dans les deux langues.

Consultez le tableau intitulé « Estimation : Ampleur de la pauvreté et coût des régimes de revenu de base et de revenu garanti au Canada. » Ces chiffres, si nous y croyons, peuvent nous éclairer dans notre discussion. Je reprends l'idée de M. Osberg, qui est excellente : nous devons examiner l'ampleur de la pauvreté et pas uniquement le taux de pauvreté. La deuxième chose qu'il a faite, et je crois que ça sera utile au comité, a été de répertorier toutes les variations du seuil de pauvreté et de montrer que, sauf une valeur aberrante, il y a seulement une petite variance. Il y a une grande uniformité.

Gardez à l'esprit cette information et utilisez-la avec mon tableau. Celui-ci illustre deux seuils de pauvreté particuliers, c'est-à-dire le faible revenu et le panier d'épicerie. Examinez ensuite les deux situations, qui, selon moi, intéresseront les deux sénateurs. Cette étude a été effectuée en 2006; elle est donc relativement récente.

Si l'on utilise le faible revenu comme mesure, la première ligne montre que, si aucun transfert n'est effectué, le taux de pauvreté au Canada est de 28,8 p. 100 et l'écart, de 40,2 milliards de dollars. La ligne suivante montre quelle serait la situation si nous dépensions la même somme que celle que nous dépensons actuellement et pas plus, ce qui représente le niveau de transfert actuel. En d'autres termes, il s'agit de ne pas dépenser plus que nous le faisons actuellement, mais d'utiliser cette somme pour lutter contre la pauvreté. Pour cette situation, le taux de pauvreté diminue pour atteindre 15,3 p. 100, et on obtient un écart de 11,6 milliards de dollars. Si l'on utilise le panier d'épicerie comme mesure, puisque ce seuil de pauvreté est inférieur, on obtient simplement des chiffres différents.

J'ai ensuite effectué une série de simulations. Mettons de côté celles portant sur le revenu de base puisque nous n'avons pas encore abordé le sujet.

Je me suis ensuite penché sur les régimes de revenu garanti. Comme l'explique M. Osberg, il est possible de les classer selon leur générosité, le niveau du G — la garantie — et l'importance du taux de récupération fiscale. Si on établit différents niveaux pour le taux de récupération fiscale, on obtient diverses incidences sur le taux de pauvreté et l'écart de la pauvreté.

J'ai fait cet exercice sans connaître les détails du régime, mais ça donne une bonne idée de ce qu'il est possible de faire si nous dépensons comme nous le faisons actuellement, et dans un tel cas, nous arrivons à réduire la pauvreté. Si nous augmentions nos dépenses, selon la conception du régime, nous obtiendrions des résultats plus importants.

J'ai élaboré ce tableau de manière à créer un débat. Certaines personnes diraient que le régime coûte trop cher tandis que d'autres diraient qu'il donne trop. Puis, je me suis dit : « Soyons plus raisonnable. »

Le tableau suivant, qui présente, selon moi, l'information la plus plausible, est celui qui s'intitule Estimations additionnelles. Encore une fois, nous ne tiendrons pas compte du revenu de base. On constate qu'il y a deux niveaux de garantie en ce qui a trait au seuil de pauvreté : 0,7 et 0,85. Ce sont des chiffres arbitraires, mais il y a une certaine logique derrière leur choix.

J'ai pris le groupe le plus faible, c'est-à-dire le groupe 0,7, parce qu'il y a des gens — M. Osberg a établi qu'il s'agissait d'une minorité — qui croient que les seuils de pauvreté sont trop élevés. Nous devrions plutôt prendre un seuil de pauvreté de base, appelé seuil de survie ou quelque chose du genre, le seuil associé à l'Institut Fraser et que défend ardemment Chris Sarlo au Canada. Nous les appelons les seuils Sarlo-Fraser. En les examinant, nous remarquons qu'ils sont établis à 0,7 pour la mesure du faible revenu. J'ai inclus cette information pour dire à ceux qui veulent qu'on établisse un seuil de pauvreté minimum, un régime judicieux de racines comestibles et d'herbes canadiennes, c'est ce qu'il en coûterait : 0,7.

Par ailleurs, comme l'affirmait M. Mendelson, il faut reconnaître que ce ne sont pas tous les gens pauvres qui restent à la maison à regarder La Soirée du hockey. Ils travaillent. Ces gens ont souvent un salaire peu élevé et ils ne travaillent pas toujours à temps plein, mais quelle quantité de travail les gens qui vivent sous le seuil de la pauvreté abattent-ils en moyenne? J'ai pris en considération le nombre d'heures de travail qu'ils effectuent ainsi que le salaire qu'ils reçoivent, et on obtient ainsi environ 15 p. 100 du seuil de la pauvreté.

J'ai ensuite fixé la garantie à 85 p. 100 du seuil de pauvreté en appliquant — et ça vient de moi — la norme sociale implicite selon laquelle les gens pauvres devraient travailler un peu, et c'est ce qu'ils font actuellement. Comme je l'ai dit, les chiffres sont arbitraires, mais il y a une raison pour laquelle je les ai choisis.

Si vous prenez ces chiffres ainsi que les données actuelles relatives au panier d'épicerie — la mesure qui appuie le plus RHDSC actuellement — en prenant en considération le fait que les personnes visées travaillent un peu à 0,85, nous obtenons un écart de pauvreté — c'est la notion de M. Osberg — de 2,9 milliards de dollars. Il faut replacer ces chiffres en perspective. Je n'irais pas jusqu'à dire que ce n'est rien, mais je ne crois pas non plus que ce soit un gros montant d'argent.

Ce que j'essaie d'expliquer, c'est qu'avec une conception ingénieuse et un peu de bonne volonté, ce n'est pas aussi impossible que certaines personnes le croient. Ce n'est pas comme lorsque Thomas d'Aquin parlait des pauvres qui seront toujours parmi nous. Nous pouvons faire mieux que ce que nous faisons maintenant. Voilà mes chiffres.

M. Mendelson : Je voudrais préciser ce qu'on entend par coût. S'agit-il du coût différentiel du programme, ou du coût total? Est-ce que la somme de 49,4 milliards de dollars représente le coût total du programme?

M. Hum : Malheureusement, les tableaux ne sont pas numérotés.

M. Mendelson : Dans le tableau Estimations additionnelles, que voulez-vous dire par « coût »?

M. Hum : C'est le coût total.

Mme Goar : Merci beaucoup. Il y a beaucoup de personnes qui désirent parler. Je vous demanderais donc, si possible, de faire en sorte que vos interventions soient relativement brèves. Il se peut que je doive, avec votre indulgence, mettre un terme à cette partie du programme et demander à certaines personnes de remettre leurs commentaires à un peu plus tard.

Le sénateur Munson : Sans vouloir faire de cette réunion un séminaire d'études supérieures pour économistes, j'aimerais ramener le débat à un niveau plus terre à terre, si je peux. C'est quelque chose que je comprends. Beaucoup de graphiques sont très complexes, et il serait difficile de tous les passer en revue ce matin.

Voici certaines de mes observations sur le plan des droits de la personne. Je me demande si des études ont été effectuées sur les personnes que j'appelle la génération perdue, les centaines de milliers de Canadiens âgés de 45 à 65 ans qui ont travaillé dans le secteur privé, ou dans tout autre secteur, qui sont au chômage et qui ne peuvent plus travailler.

C'est avec beaucoup de fierté que nous avons parlé ce matin du succès obtenu en ce qui a trait aux personnes âgées et à d'autres groupes et avec l'impôt visant à réduire la pauvreté infantile. Pourtant, à mesure que nous avançons dans notre société, et sur le plan économique, nous filons à toute allure, nous rencontrons — j'ai des amis dans cette situation — des gens qui n'ont nulle part où aller. Ils ont travaillé dans le secteur privé pendant 30 ans, mais c'est tout. Il n'y a pas de place pour eux. Je crois qu'il y a une génération perdue.

Dans ce contexte, au sujet du RAG, je vais mettre sur le tapis une question que nous pourrons peut-être examiner plus tard, concernant l'exécution et la conception du régime : quelle sera la place de ces gens? Ils sont tellement nombreux. Ils crient à l'aide, comme le font les travailleurs pauvres.

Il y a aussi la question de l'incidence sur les femmes, un RAG et l'égalité des femmes sur le plan économique. Je pose ces questions parce que, dans le cadre de mon ancien travail comme reporter, j'ai constaté que les gens accordent de l'attention à ce genre de nouvelles. C'est à la source du problème; c'est la base. Au bout du compte, comme l'a dit M. Rainer, le droit à un revenu est un droit de la personne. Je jette ces idées sur la table.

David Northcott, directeur général, Winnipeg Harvest : Je suis content que vous remettiez dans la mire ce qui doit y être, c'est-à-dire les familles. J'apprécie également le cadre sur le changement de comportement dont a parlé M. Osberg. Le changement de comportement que je souhaite doit s'opérer au sein du gouvernement. Si nous devons porter notre attention sur cette question, portons donc autant d'attention aux personnes qu'au gouvernement.

Je travaille dans une banque alimentaire au Manitoba. Là-bas, au cours de l'année qui vient de s'écouler, environ 60 p. 100 des gens qui vivaient dans la pauvreté étaient des travailleurs pauvres. Environ 20 p. 100 étaient des chefs de famille monoparentale, et environ 10 p. 100, sont des personnes handicapées.

Une de mes amies est mère monoparentale de deux enfants. Elle est aux prises avec des problèmes de logement : elle doit se rendre dans des logements sociaux et se battre pour obtenir de petites augmentations à la pension alimentaire qu'elle reçoit. Elle doit s'occuper de l'éducation de ses enfants, dont l'un est handicapé. Par conséquent, elle doit affronter le gouvernement ainsi que des organismes à but non lucratif pour faire avancer la cause des personnes handicapées. Elle mène un grand combat pour pouvoir continuer à travailler alors qu'elle fait partie des travailleurs pauvres.

Lorsqu'il est question de sa famille, elle a une éthique de travail rigoureuse. En outre, elle doit faire face à des problèmes de santé. Elle fait affaire avec les Services à l'enfant et à la famille, parce que l'organisme examine les enjeux qui touchent son enfant handicapé. Elle traite constamment avec les organismes à but non lucratif, notamment la banque alimentaire, pour laquelle elle est aussi bénévole. Elle a donc déjà une très bonne éthique de travail. Elle doit également trouver le moyen de payer ses frais de transport. Personne dans ce système paternaliste n'est prêt à donner trop d'argent pour assurer le transport d'une personne d'une réunion à une autre.

Pour nous, du côté de la banque alimentaire, ce que l'on voit de l'autre côté de l'objectif, c'est l'incidence du revenu annuel garanti. Un tel revenu lui assurerait un seuil de base et donc un niveau de revenu de base. Quand nous parlons des personnes qui se situent à environ 70 p. 100 du seuil de pauvreté, nous ne les voyons pas à la banque alimentaire. M. Hum a parlé de 85 p. 100, chiffre qui, pour nous, a beaucoup de sens.

Notre défi, lorsque nous apportons des changements, qu'ils soient majeurs ou mineurs, est de prendre en considération le fait qu'ils ont des répercussions importantes sur les gens à faible revenu que je rencontre dans mon milieu de travail. Nous devons nous poser les questions suivantes :

Peut-on accepter qu'une personne qui travaille pour gagner sa vie doive vivre sous le seuil de pauvreté?

Peut-on accepter que des parents seuls qui élèvent des enfants vivent sous le seuil de pauvreté? Environ 92 ou 93 p. 100 des chefs de famille monoparentale sont des femmes. L'éducation des enfants est une des tâches les plus importantes dans notre société.

Peut-on accepter que des personnes qui ne gagnent pas un revenu suffisant en raison d'un quelconque handicap vivent sous le seuil de pauvreté?

Au Manitoba, ces trois groupes représentent environ 90 p. 100 de la population qui vit dans la pauvreté.

Nous voulons attirer l'attention sur la manière de faire en sorte que le gouvernement modifie assez rapidement ses stratégies afin de garantir une allocation de fonds suffisante et de redéfinir le problème de la pauvreté, car la situation est beaucoup trop complexe pour qu'on puisse se contenter de suivre le cheminement des sommes d'argent versées aux familles.

David Gray, professeur agrégé, département de science économique, Université d'Ottawa : J'enseigne l'économique du travail comme M. Osberg, bien que ce soit depuis moins longtemps que lui.

M. Osberg a parlé des incitatifs financiers. Si l'on considère la main-d'œuvre disponible et la population qui participe déjà au marché du travail, il est vrai que les impôts perçus influent peu sur les incitations à travailler. Il est impossible d'établir un lien clair entre le comportement de ces personnes ou le phénomène économique en cause, d'une part, et les modifications apportées aux mesures d'incitation, d'autre part.

Il n'en demeure pas moins que les incitations ont des incidences sur divers sous-segments de la population active. Il existe un phénomène que les économistes du travail appellent « réponse hétérogène ». Ce terme désigne une situation dans laquelle les incitatifs et les modifications qu'on y apporte ont des incidences différentes sur les décisions et les mesures prises par différentes personnes relativement au marché du travail.

Il est possible que des changements apportés aux salaires, aux impôts, aux mesures de protection sociale et aux prestations d'assurance-chômage ou d'aide sociale aient une incidence sur certains travailleurs. La majorité des études concrètes ont seulement permis d'observer des effets globaux sur l'ensemble de la population visée. Il est cependant possible que les modifications apportées aux incitatifs aient un impact sur certaines personnes mais pas sur les autres.

Mme Goar : Nous reviendrons bientôt à la question des incitations à travailler.

Nous allons dépasser quelque peu le temps prévu pour cette partie de la discussion parce que les commentaires sont des plus intéressants et que nous commençons à peine à nous mettre en train. Je ne veux pas empêcher qui que ce soit de s'exprimer.

Marie White, présidente nationale, Conseil des Canadiens avec déficiences : Mes observations seront résolument axées sur la population. Vous avez de la chance : je ne suis pas économiste.

Je travaille et je fais du bénévolat auprès de tout un éventail de personnes vulnérables. Je travaille avec des familles à faible revenu, avec des sans-abri et avec des personnes handicapées. Comme vous pouvez le constater, je vis moi-même avec un handicap; je parle donc en connaissance de cause. J'ai vécu de l'aide sociale pendant deux ans — deux longues et horribles années — après avoir contracté mon handicap. Avant cela, j'exerçais ma profession d'enseignante.

Peu importe que l'on parle de revenu annuel garanti ou de revenu de base, de gens qui vivent dans la pauvreté ou de gens qui vivent dans la pauvreté et qui travaillent, on a toujours affaire à des gens qui vivent dans la pauvreté. Nous devons absolument tenir compte de certains éléments lorsque nous élaborons de nouvelles mesures. Nous devons tenir compte de l'apprentissage et de la garde des jeunes enfants, de la disponibilité de logements à prix abordables, des systèmes de santé qui se rattachent actuellement à l'aide sociale, ainsi que du recouvrement. Voilà les autres éléments essentiels à toutes nos discussions sur la question du revenu.

Nous devons veiller à ce que les initiatives ou les programmes ne visent pas un groupe en particulier, quel qu'il soit — mères seules, personnes handicapées ou Autochtones sans abri. Aucun programme ne devrait viser expressément un groupe en particulier. Si nous visons un groupe, nous mettons déjà en place la première barrière, parce que certains se diront forcément que le programme a été mis en place pour ces personnes-là.

Nous devons nous assurer que personne n'est pénalisé. Je le dis avec une pointe d'ironie, car je sais que dans au moins une province, des personnes handicapées célibataires comptent sur un revenu d'environ 8 000 $ par année. Pensez un instant à votre propre revenu; pourriez-vous vivre avec 8 000 $ par année?

Enfin, j'aimerais revenir au commentaire de M. Northcott. Je crois que rien ne se fera tant que la politique sociale ne trouvera pas une place au sein du gouvernement fédéral. En ce moment, je crois que personne n'a « adopté » ce dossier. D'un point de vue philosophique, je crois que la question que nous devons nous poser n'est pas de savoir ce qu'il en coûtera, mais ce qu'il en coûtera sur les plans social et économique dans les années à venir, si nous ne faisons rien.

[Français]

François Blais, professeur, faculté des sciences sociales, Université Laval : Je voudrais revenir sur un commentaire qu'a fait le président plus tôt. Dans un pays comme le Canada, où les transferts sont extrêmement importants entre les personnes, il est possible, comme le propose le sénateur Hugh Segal, de réaliser un revenu garanti à un coût nul.

Vous avez raison lorsque vous dites que la question est de savoir qui va gagner et qui va perdre. Si le coût est nul, le gouvernement ne perd rien et n'ajoute rien. Mais qui va gagner ou qui va perdre, cela dépendra bien sûr des choix qui seront faits sur le plan de l'abolition de certains programmes et du remplacement de ces programmes par un revenu annuel garanti.

Deux exemples très simples démontrent la complexité du problème et une des conclusions paradoxales à laquelle je suis arrivé. Vous pourriez décider de remettre en question, comme je le propose, l'exemption personnelle de base du gouvernement fédéral sur le plan de la fiscalité. Cette exemption a aujourd'hui une valeur fiscale de milliards de dollars et elle est accordée à tous les contribuables canadiens. Elle a presque un siècle, on pourrait peut-être la moderniser et la transformer en un crédit d'impôt remboursable pour l'ensemble des Canadiens.

À ce moment-là, cette exemption ne vaut pas uniquement pour les contribuables, mais pour l'ensemble des Canadiens. Nous venons de répartir l'effet redistributif de cette mesure. Comme je suis un contribuable, je vais perdre un peu au change et, bien sûr, les plus pauvres canadiens gagneront puisqu'en ce moment, ils ne reçoivent rien de cette exemption personnelle de base. Il s'agirait d'un petit montant de base qui serait le début d'un revenu minimum garanti.

Contrairement à cela, maintenant, si vous décidez que l'assistance sociale dans les provinces doit être abolie pour financer un revenu minimum garanti, ce programme étant très sélectif et s'adressant en ce moment uniquement aux plus pauvres de la société, si vous prenez la valeur de ce programme et l`accordez à l'ensemble des citoyens canadiens, ceci occasionnera une perte nette et un appauvrissement, bref une augmentation du nombre de pauvres au Canada. Nous avons des choix importants à faire et probablement qu'il faudra procéder de manière extrêmement progressive compte tenu de la complexité de la structure de transfert au Canada.

Cela m'a amené à une conclusion un peu paradoxale et je reviendrai sur certains propos lancés ici , soit qu'il est possible de diminuer davantage la pauvreté en commençant par un petit revenu minimum garanti plutôt que par un revenu minimum garanti important. J'ai fait un certain nombre de simulations avec mon collègue Jean-Yves Duclos, du département d'économie de l'Université Laval. Nous avons effectué des simulations en abolissant, par exemple, le programme d'assurance-emploi au Canada; il s'agit de milliards et de milliards de dollars transférés dans un programme de revenu minimum garanti. Le résultat de cette analyse nous a permis de constater qu'on arrivait à un revenu minimum garanti important, mais que cela appauvrissait énormément certaines régions du Canada, parce que la valeur de ces programmes y est plus importante que d'autres.

Donc, les choix que nous ferons sont importants. Nous n'avons pas besoin d'avoir un niveau important de revenus pour obtenir un effet positif sur la pauvreté. Et oui, il est possible d'augmenter la pauvreté et les inégalités avec un revenu minimum garanti si nous ne faisons pas les bons choix.

[Traduction]

Mme Goar : Je m'excuse auprès de ceux qui ont d'autres questions et qui devront attendre. Je demanderais au sénateur Keon de conclure cette partie.

Le sénateur Segal : J'aimerais apporter une précision qui ne prendra que quelques secondes. Ce que je voulais dire à propos de la résolution qui a été adoptée, c'est exactement ce dont M. Northcott a parlé dans son exposé : rassembler les morceaux de façon à traiter les citoyens avec respect et à leur donner automatiquement le soutien dont ils ont besoin. Il ne s'agit pas de réduire ce qui est offert, mais de l'administrer de manière plus efficace du point de vue des gens, sans se limiter au point de vue du gouvernement. C'est tout ce que je voulais dire.

Le sénateur Keon : J'aimerais souligner la complexité de l'effet du revenu garanti sur la pauvreté. Dans le cadre de mon étude sur la santé de la population, je vais dans des réserves des Premières nations. J'ai demandé à des spécialistes de m'indiquer quelle est la meilleure réserve au Canada du point de vue de la santé de la population, et quelle est la pire. J'ai vu les deux. Ces réserves ont essentiellement le même revenu de base par habitant. L'une d'elles est une entreprise florissante qui s'est constituée en personne morale. On peut y tenir des congrès, on y vend de la nourriture, on y trouve des restaurants et d'autres services offerts à une grande collectivité qui ne se limite pas à la réserve; seulement 17 p. 100 de ses revenus proviennent du gouvernement. La réserve qui se trouve dans la pauvreté la plus totale, dans des conditions épouvantables, reçoit tous ses revenus du gouvernement, mais elle touche aussi le même revenu de base. Quelle est la différence entre les deux? Je vais vous le dire. Les habitants de la réserve qui est prospère ont un haut niveau d'études postsecondaires. Les gens au pouvoir sont des avocats, des ingénieurs, des enseignants, des gens d'affaires, leurs propres médecins, infirmières, « et cetera ». Dans la réserve où règne la pauvreté, les gens au pouvoir n'ont pratiquement aucune éducation.

Mme Goar : Merci beaucoup. Nous avons entendu plusieurs interventions qui suscitent une bonne réflexion dans la première partie.

Nous passons maintenant aux liens entre un revenu annuel garanti et le comportement des gens sur le marché du travail. Pour lancer cette partie, j'invite M. Hum à prendre la parole, suivi de M. Robins.

M. Hum : Merci beaucoup. Je serai bref.

Je suis d'accord avec M. Osberg lorsqu'il dit que la question de la contre-incitation au travail n'est pas une question importante pour les chercheurs en économie. Cela ne veut pas dire qu'il ne s'agit pas d'une question très importante ou passionnante parmi les politiciens ou les responsables de l'élaboration des politiques ou la population en général, qui croient que si le chiffre n'est pas zéro, ça reste un obstacle de taille à la progression. Cela étant dit, j'aimerais examiner ce qui s'est passé depuis l'arrivée sur la scène politique, du revenu annuel garanti et de la question de l'incitation à travailler, expliquer ma position, et vous donner un aperçu des chiffres. C'est probablement la meilleure information que je peux donner au Comité.

Pour vous mettre en contexte, avant les essais expérimentaux sur le revenu annuel garanti, un grand nombre de chercheurs ne s'entendaient pas du tout sur la portée de la contre-incitation au travail. C'était une préoccupation très légitime parce que nous ne savions pas vraiment ce que ce serait. Beaucoup de grands chercheurs en économie et de grands économétriciens se sont réunis aux États-Unis à l'époque et ont longuement débattu de la meilleure façon de procéder. Comme je l'ai mentionné dans les documents que j'ai présentés, il faut remercier Heather Ross, une stagiaire qui travaillait à Washington à l'époque, pour qui les notions complexes de l'économétrie n'étaient pas un frein. Elle leur a simplement dit : « Si vous voulez savoir quelque chose au sujet d'un programme qui n'existe pas, pourquoi pas simplement l'essayer? » Bien que son idée initiale ne soit pas celle qui a été mise en œuvre, elle était à la base du concept de la guerre contre la pauvreté aux États-Unis.

Je me dois de commenter l'idée derrière les expériences. Prenons tout simplement un groupe de personnes au hasard, donnons-leur un revenu annuel garanti pendant quelques années et comparons leur comportement à celui d'un autre groupe de personnes au hasard qui ne le reçoivent pas. Sans être très technique, c'est une expérience très intéressante parce que, essentiellement, elle enlève une bonne partie des détails accessoires et des événements historiques uniques qui peuvent être déroutant pour la plupart des recherches économiques.

Afin d'illustrer comment l'expérience a été réalisée et quelles ont été les répercussions, je vous renvoie à l'un des graphiques.

Mme Goar : Pourriez-vous être plus précis? Les gens ont de la difficulté à vous suivre.

M. Hum : « Estimations des élasticités ». Vous n'avez pas besoin d'étudier le graphique en détail, mais je veux que vous ayez une image visuelle. Les estimations dans le tableau du haut par année de publication fournies par des chercheurs du monde entier montrent que l'estimation de cette chose que nous essayons de mesurer est éparpillée, en haut et en bas. Voilà l'image visuelle dont je veux que vous vous rappeliez.

Par ailleurs, si on regarde en bas, j'espère que vous retiendrez que cette image représente les estimations issues des expériences. Selon les économistes, les estimations seraient plus précises et la variance serait moindre, alors il y a un plus grand consensus si vous croyez que les expériences étaient utiles par rapport à ce que nous savons maintenant. En partant de ce que nous savons maintenant au sujet de ce consensus professionnel, on peut se demander : « Quel est le chiffre? ». M. Robins parlera des données américaines.

Regardons la réaction face au travail entre les personnes qui ont obtenu un revenu annuel garanti, qu'on appelle « sujets », et celles qui n'ont pas obtenu de revenu annuel garanti, les « témoins ». Aux États-Unis, on a fait la moyenne de toutes les expériences — pour ce qui est des hommes dans la force de l'âge qui ne sont pas retraités, en établissement, dans l'armée, ou handicapés — et la différence était de 6 p. 100. Au Canada, je l'évalue à 1 p. 100; vous pourrez remettre ce chiffre en question plus tard.

Le principal message que j'aimerais transmettre au comité, c'est que les données canadiennes, pour beaucoup de raisons que je n'exposerai pas pour l'instant, sont moins élevées que les données rapportées aux États-Unis.

Le tableau du bas dans ce graphique concerne les femmes. Le titre « 2 » fait référence aux femmes dans les familles où il y a une autre personne, dans ce cas un homme, généralement, qui est également sur le marché du travail. L'offre de travailleurs a chuté de 19 p. 100. La colonne « 1 » fait référence aux ménages dirigés par des femmes, c'est-à-dire des femmes qui sont seules, des mères. L'offre de travailleurs chute alors de 15 p. 100. C'est ce à quoi il faut s'attendre d'un économiste qui dirait que si une personne est la seule source de revenu, alors l'offre de travailleurs sera moins élevée. Comme je l'ai dit, nous pourrons parler de ces données ultérieurement.

Je résume beaucoup d'information dans ces deux petits diagrammes. Je crois que les chiffres sont moins élevés pour le Canada que pour les États-Unis, et j'ose espérer que les activités de recherche ont été menées avec autant de professionnalisme. Toutefois, la diminution du travail est plus importante chez les femmes que chez les hommes. Je vais m'arrêter juste un peu ici parce que je sais que je voudrai parler davantage des aspects relatifs au concept.

Si on a recours au revenu annuel garanti pour réduire la pauvreté, le problème, c'est que même si c'est une initiative louable, il s'agit d'une solution partielle, et que la voie à suivre n'est pas bien définie.

Si on regarde certains cas dans ces groupes où le retrait du marché du travail est important, on pourrait vouloir ou non reconsidérer l'effet de cette mesure sur le comportement. Par exemple, souvent, chez les travailleurs autonomes et les exploitants agricoles, lorsqu'on garantit un certain revenu annuel, l'une des personnes du ménage, généralement la femme, quitte le marché du travail, pour s'occuper des enfants, travailler à la ferme, et cetera. D'autres retournaient aux études ou suivaient une formation. Du point de vue de la contre-incitation au travail, ce phénomène était considéré comme une réduction de la main-d'œuvre. D'un autre côté, une interprétation plus nuancée de la situation peut faire naître des doutes par rapport à cette question partiellement définie.

Le phénomène se produisait principalement chez les femmes et les jeunes. Il n'y avait pas de retrait massif du marché du travail dans le groupe des hommes d'âge moyen. Je pense que ces chiffres sont exacts et que les diagrammes sont assez bien faits, mais il faudrait aller plus loin dans cette interprétation. C'est tout ce que je vais dire.

Mme Goar : Merci beaucoup. J'invite maintenant M. Robins à brosser le tableau de la situation du côté américain.

Philip Robins, professeur, Département d'économie, Université de Miami : Je vous remercie, monsieur le sénateur, de m'avoir invité à témoigner. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui.

Hier, M. Rainer m'a téléphoné pour me demander si je pouvais faire une déclaration de cinq minutes. J'ai donc préparé quelque chose que j'aimerais vous lire. Mais d'abord, j'aimerais préciser que, évidemment, je parle du point de vue des États-Unis, car c'est là que je mène mes recherches. Toutefois, j'ai collaboré récemment avec le Canada, et je vais parler brièvement de ce travail.

J'évalue des programmes d'impôt négatif sur le revenu depuis près de 30 ans. Comme l'a mentionné M. Hum, j'ai participé au plus grand projet expérimental sur l'impôt négatif qui a été réalisé aux États-Unis, au début des années 1970. Récemment, j'ai aussi mené des travaux se rapportant à une variante de l'évaluation de l'impôt négatif.

Je vais donc lire ma déclaration, et je pourrai ensuite vous donner des détails sur les points que j'aurai abordés. J'ai une idée bien précise de la forme que devrait prendre un système de maintien du revenu. Je pourrai vous donner des précisions après ma déclaration.

Depuis plus de 40 ans, en Amérique du Nord, on établit des politiques qui visent expressément à mettre fin à la pauvreté. L'impôt négatif compte parmi les premières solutions qui ont été suggérées. Cette mesure a été proposée à l'origine par les économistes Milton Friedman, James Tobin, James Meade et Robert J. Lampman.

L'impôt négatif sur le revenu permet d'assurer un revenu annuel garanti au moyen d'une garantie de revenu qu'on réduit graduellement en fonction de ce qu'on appelle aux États-Unis un taux de réduction des prestations, ou de ce que vous appelez ici un taux de récupération fiscale. Des projets expérimentaux portant sur l'impôt négatif ont été réalisés aux États-Unis et au Canada au cours des années 70 et 80. Aux États-Unis, quatre projets expérimentaux ont eu lieu : un projet sur le revenu mené au New Jersey, un projet de maintien du revenu lancé à Gary, un projet de maintien du revenu agricole, et un projet sur le maintien du revenu mené à Seattle-Denver. L'expérience réalisée à Seattle-Denver est celle qui avait le plus d'envergure. En fait, sa portée était plus vaste que celle des autres combinées, et elle a permis de mettre à l'essai 11 programmes différents d'impôt négatif. Les chercheurs s'entendent en général pour dire que c'est l'expérience qui a fourni les résultats les plus fiables.

Quand on conçoit un programme d'INR, on doit spécifier une garantie de revenu et un taux de réduction des prestations. Ce n'est pas facile, en raison de ce qu'on appelle maintenant le « triangle de fer » de la conception de programme. Du point de vue de la société, le programme social idéal devrait atteindre trois buts, soit réduire ou éliminer la pauvreté, offrir une incitation ou réduire la désincitation au travail, et garder les coûts de programme à un niveau raisonnablement bas.

Au fil des années, on a accordé différents degrés d'importance à chacun de ces buts, selon le climat politique et économique du moment. Dans les années 1960 et 1970, le premier but, réduire ou éliminer la pauvreté, était le plus important, et on se souciait moins des deux autres. Des années 1980 au milieu des années 1990, le deuxième but, offrir une incitation au travail, était le plus important.

L'expérience montre que les trois buts de la conception de programme sont souvent en conflit les uns avec les autres. Pour éliminer complètement la pauvreté, on pourrait évidemment fixer la garantie de revenu du programme d'INR au seuil de la pauvreté, mais cette mesure serait très coûteuse et pourrait offrir une désincitation au travail considérable.

Je me suis penché sur des travaux que j'ai effectués il y a un certain nombre d'années et j'ai tenté de convertir les données en dollars courants. Je ne veux pas vous effrayer avec ce chiffre, mais un programme d'INR promulgué aux États-Unis vers la fin des années 1970 qui garantit à tous un revenu égal au seuil de la pauvreté coûterait aujourd'hui, selon mes estimations, entre 150 et 200 milliards de dollars US. Par contre, les coûts pourraient être réduits en abaissant la garantie de revenu à peut-être 70 p. 100, comme il a déjà été mentionné. Cependant, un tel programme n'aurait probablement que peu d'effets sur la réduction de la pauvreté.

Peu importe la garantie de revenu et le taux de réduction des prestations choisis, la plupart des programmes raisonnables d'INR ou de garantie de revenu annuel entraînent une importante réduction de l'effort, de 5 à plus de 30 p. 100, du moins selon mon évaluation, fondée en grande partie sur les expériences menées à Seattle et à Denver. Le caractère inévitable de la désincitation au travail causée par un programme d'INR pur et simple est, à mon avis, une des raisons pour lesquelles un INR pur et simple n'a jamais été promulgué, toutefois, plusieurs versions ont été proposées par divers gouvernements.

Comme je l'ai indiqué, la politique de lutte contre la pauvreté des dernières années a mis l'accent sur l'importance des incitatifs au travail. Aux États-Unis, le plus important programme de lutte contre la pauvreté est actuellement le Crédit d'impôt sur les revenus salariaux, qui combine en fait des éléments d'un programme de subventions salariales pour les personnes à faible revenu et un programme d'INR. Le Crédit d'impôt sur les revenus salariaux offre des incitatifs au travail par l'entremise de subventions salariales pour les personnes à faible revenu, et les coûts sont contenus grâce à une élimination graduelle des subventions pour les personnes dont le revenu est plus élevé, qui est calculée à l'aide d'une formule d'INR.

Le Crédit d'impôt sur les revenus salariaux a augmenté le revenu et l'effort de travail de millions d'Américains, mais ses effets sur la pauvreté ont été modestes, principalement parce que la subvention est modeste. La subvention maximale du Crédit d'impôt sur les revenus salariaux aux États-Unis est actuellement 5 000 dollars, et elle n'est pas accordée aux personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas travailler.

Une autre approche, que j'ai mentionnée et qui a été mise à l'essai dans deux provinces au Canada durant les années 1990, en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, est le Projet d'autosuffisance. Ce projet était essentiellement un programme d'INR, mais comportait une obligation de travail.

Le Projet d'autosuffisance fournissait d'importantes prestations aux personnes qui travaillaient plus de 30 heures par semaine, doublant leur revenu dans certains cas, et les coûts associés étaient raisonnables. Toutefois, parce qu'il ne fournissait pas de prestation aux personnes qui ne travaillaient pas à temps plein, le Projet d'autosuffisance a eu peu d'effets sur la réduction de la pauvreté, bien que ces effets aient été considérables pour les personnes qui ont participé au programme, les travailleurs à faible revenu. Le Projet d'autosuffisance était un programme volontaire qui offrait une alternative à l'aide au revenu, mais ne la remplaçait pas. Une garantie de revenu existait encore pour les personnes incapables de travailler à temps plein.

Je crois que le programme idéal ferait essentiellement la distinction entre un système axé sur les personnes incapables de travailler — et j'en ferais un concept dynamique, car je crois que toute personne est capable de travailler, dans une certaine mesure — et un système qui répond aux besoins des travailleurs à faible revenu. Un crédit d'impôt sur les revenus salariaux ou un programme semblable au Projet d'autosuffisance combiné à un vaste programme de revenu garanti et d'INR pour les personnes incapables de travailler, et qui serait temporaire, pourrait aider à résoudre la question du triangle de fer dont j'ai parlé un peu plus tôt.

Chandra Pasma, analyste politique, Citizens for Public Justice : J'ai des questions à propos des deux études.

Est-ce qu'on a examiné ou tenté d'examiner ce que faisaient les personnes qui ne travaillaient pas? Ou est-ce qu'on a simplement constaté que ces personnes ne faisaient pas partie de la main-d'œuvre rémunérée et qu'on n'a pas poussé l'étude plus loin?

Est-ce qu'on a tenté de déterminer si les femmes célibataires avaient des enfants ou non?

Est-ce que les participants savaient, dès le début, que le programme serait de courte durée?

M. Hum : Je répondrai aux deux premières questions et je laisserai M. Robins répondre à la troisième.

Nous avons examiné une vaste gamme de comportements. Je parle davantage de l'effet de la désincitation au travail, car c'est ce qu'on m'a demandé de faire. Merci beaucoup d'avoir posé la question, car j'ai maintenant l'occasion de dire ce que j'allais dire plus tard, que le revenu annuel garanti suscite toutes sortes de comportements qui ne sont pas à l'étude aujourd'hui.

Par exemple, durant la SIME/DIME, on s'est grandement intéressé, aux États-Unis et au Canada, à l'effet du revenu annuel garanti sur la stabilité matrimoniale, ou ce qu'on pourrait appeler la dissolution du mariage. On voulait savoir si les personnes se sentaient plus libres de quitter leur conjoint parce qu'elles bénéficiaient d'un revenu annuel garanti et si le revenu annuel garanti raffermissait les liens des familles unies qui avaient du mal à joindre les deux bouts. J'ai effectué des recherches et publié un rapport sur le sujet.

Nous avons aussi examiné le rendement scolaire des jeunes et des autres dans un domaine auquel les économistes ont attribué l'appellation plutôt stérile « d'accumulation du capital humain ». De plus, de très nombreuses études sur la consommation ont été menées. C'est peut-être James Tobin qui a déclaré que la question que se posaient les membres du Congrès à propos de la désincitation au travail visait à savoir si les gens travailleraient moins.

Les études sur la consommation ont répondu aux questions des membres du Congrès qui voulaient savoir si les bénéficiaires d'un revenu annuel garanti dépenseraient ce revenu sur des choses inutiles du point de vue social. Je vous laisse y penser. Des études ont été menées sur les habitudes de consommation des participants au programme. En bref, les participants ont dépensé leur revenu annuel garanti plus ou moins de la même manière que les autres ont dépensé leur revenu à une exception près : le logement.

L'opinion générale sur le logement était que les expériences sur le revenu annuel garanti, à l'exception de la SIME/ DIME, étaient assez courtes, de sorte que les participants ont peut-être été en mesure de se qualifier pour une hypothèque ou ont atteint un plus haut degré de sécurité, ce qui aurait essentiellement eu pour effet de faire devancer le moment auquel ils auraient normalement acheté une maison, s'ils prévoyaient déjà en acheter une. Leur réaction n'a pas été : « J'ai un revenu annuel garanti, je peux maintenant acheter une maison. »

Nous avons aussi examiné la question de la mobilité. Si vous aviez un revenu annuel garanti, vous sentiriez-vous plus à l'aise d'aller ailleurs pour trouver un emploi?

Nous avons constaté qu'une des grandes questions de l'examen de la sécurité sociale portant sur l'allocation familiale visait à savoir si un revenu annuel garanti favoriserait excessivement la natalité. Quelqu'un pensait que cela encouragerait les femmes à avoir une ribambelle d'enfants, parce que leur revenu annuel garanti serait plus élevé. Nous étions d'avis qu'un programme de trois ans était probablement de trop courte durée.

Je mène actuellement une recherche non orientée pour savoir si le revenu annuel garanti a des effets sur le recours aux services de santé. En particulier, 25 ans après les faits, est-ce que le revenu annuel garanti a eu un effet sur le taux de fécondité des femmes? Les premières expériences menées aux États-Unis tentaient surtout de déterminer si le revenu annuel garanti accroîtrait suffisamment la nutrition de sorte que les nouveau-nés soient plus en santé, en se fondant sur le poids et la circonférence à la naissance et sur toutes les autres mesures médicalement approuvées à l'époque.

Une vaste gamme d'études ont été menées. Je n'ai pas le temps de vous donner une vue d'ensemble de nos études. On me pose toujours des questions sur les incitatifs au travail, alors je ne parle que de cela.

En ce qui concerne la dernière question, la SIME/DIME avait un concept unique. On se disait qu'on ne pouvait pas en faire un sujet d'étude, car les personnes à qui on donne un revenu annuel garanti temporaire ne se comporteront pas de la même façon que les personnes à qui on donne un revenu annuel garanti pour la vie. Personne ne pensait qu'un programme pourrait être lancé au Canada pour une courte période, puis arrêté.

La SIME/DIME parle d'elle-même. Cependant, le Canada a fait quelque chose d'unique. Toutes les autres expériences, y compris la SIME/DIME, étaient conçues de sorte que les participants « jouaient seuls au curling », pour utiliser la métaphore de Robert Putnam. Personne n'aime jouer seul au curling. Pourquoi devrais-je accroître mon temps libre et comment puis-je jouer au curling si tous mes amis travaillent à temps plein? La mesure ne sera pas exacte. Mais si tous mes amis reçoivent aussi un revenu annuel garanti, nous pourrons alors former une ligue de curling.

L'idée est qu'une personne isolée se comporte très différemment d'une personne au sein d'une collectivité. Au Canada, ce n'est pas très connu, mais nous n'avons pas seulement fourni un revenu annuel garanti à des personnes. Nous en avons fourni un à une municipalité complète pour voir ce qui se passerait.

En tous cas, je vais vous laisser parler des aspects temporaires et permanents, car la SIME/DIME a été la première à aborder la question.

M. Robins : Je serais heureux de fournir des références à ce sujet. À peu près tous les comportements imaginables ont été étudiés.

Fait intéressant, l'effet de la SIME/DIME sur la dissolution du mariage aura vraisemblablement décidé de son sort dans les politiques américaines.

Mme Goar : Nous ne comprenons pas très bien le terme « SIME/DIME ».

M. Robins : Il s'agit de l'expérience menée à Seattle et Denver.

Il y a eu d'importants effets sur la dissolution des mariages, mais je n'appliquerais pas cette situation à l'environnement d'aujourd'hui. Je ne crois pas que ces résultats soient très pertinents.

La nature temporaire de l'expérience a été étudiée. Malheureusement, je dirais que les résultats n'ont pas été concluants du point de vue scientifique. On a étudié un échantillon de la population et on lui a donné un revenu garanti pendant 20 ans. Les participants compris dans cet échantillon étaient si peu nombreux qu'il était presque impossible de déterminer si leurs comportements étaient vraiment différents des comportements des personnes qui ont reçu un revenu garanti pendant trois ou cinq ans. Je dirais que c'était non concluant. Toutefois, je ne crois pas qu'un programme permanent ait des effets totalement différents de ceux que nous avons observés dans le cadre de programmes de plus courtes durées.

Le terme clé est l'autosuffisance. Je crois que quelqu'un a mentionné plus tôt que le revenu d'emploi est nécessaire pour éliminer la pauvreté.

Vous ne pouvez pas avoir une politique sociale qui n'aborde pas les aspects du marché de l'emploi. Vous ne réussirez pas à moins qu'elle soit combinée à une politique de revenu garanti pour les personnes qui ne peuvent pas travailler.

Mme Pasma : Je désire expliquer pourquoi j'ai posé ces questions. Je crois qu'il est dangereux de n'examiner que la question de la participation au travail sans contexte. On en tire alors deux conclusions. La première est que si une personne ne fait pas partie de la main-d'œuvre rémunérée et ne travaille pas 40 heures par semaines, 50 semaines par an, elle ne fait rien de bon ou d'utile pour elle-même, sa famille ou la collectivité en général.

La deuxième est que les gens ne travaillent que pour l'argent — ils n'ont un emploi que s'ils peuvent gagner davantage que ce que leur procure le revenu garanti — plutôt que de travailler pour avoir la chance de participer à un grand projet, d'utiliser leurs capacités et leurs talents, d'avoir une interaction sociale très particulière, ou même de pouvoir exprimer leur identité d'une certaine façon.

En se demandant seulement si les gens vont « travailler » s'ils reçoivent un revenu garanti, on ignore complètement le contexte beaucoup plus vaste dans lequel ces décisions sont prises.

Mme Goar : Vous nous avez aidés à élargir le contexte.

M. Osberg : J'ai quelques commentaires rapides à faire.

Quand on pense aux conséquences possibles, par exemple, au cas de la dissolution du mariage, on doit se rappeler qu'on peut aborder la question de différents angles sur le plan de l'aide sociale. Par exemple, si cela permet à des personnes qui se trouvent dans une relation abusive de quitter leur conjoint, on pourrait alors considérer cela comme une bonne chose. Bon nombre des comportements dont M. Hum a parlé ont une incidence positive en bout de ligne.

Il est aussi important, quand on examine les résultats des expériences, de penser jusqu'à quel point on peut généraliser, pour passer d'une expérience à un programme géré pour la société en général.

On doit se demander, comparativement à quoi? On doit tenir compte de l'incidence générale de l'adaptation du projet à grande échelle. Si on choisit un seul projet et qu'on examine ses incidences, on constatera qu'il n'a pas vraiment d'incidences sur la demande de main-d'œuvre parce qu'il ne s'applique qu'à une petite partie de l'économie. Cependant, un projet s'appliquant à l'ensemble de l'économie aura une incidence. S'il a une incidence sur l'offre de main-d'œuvre de chacun, il aura une incidence sur le taux de rémunération, qui, à lui seul, aura une incidence sur le bien-être des ménages.

Une des véritables raisons pour lesquelles certains ont exprimé leur inquiétude plus tôt, est qu'il y a une idée de ne pas dépenser un sou de plus pour des programmes globaux, l'inquiétude est qu'il y aura beaucoup de coupures dans les autres programmes. Et quels programmes seront supprimés?

Durant les expériences, nous maintenons en arrière-plan tous les autres programmes sociaux, comme les programmes de formation et de counselling, qui aident à rendre les gens aptes au travail et à leur donner des choix, car les incitatifs ne sont pas pertinents si vous n'avez pas de choix. Si vous n'avez pas de choix parce qu'il n'existe pas de programme de formation pour vous aider à surmonter votre incapacité à entrer sur le marché du travail, ou si vous n'avez pas de choix parce que vous êtes dans un marché où il n'y a aucune offre d'emploi, alors le retrait de ces types de services aura des conséquences désastreuses.

Je suis tout à fait d'accord avec tous ceux qui disent qu'il faut des politiques du marché du travail pour lutter efficacement contre la pauvreté.

Je ne sais pas qui croit qu'on pourrait adopter une solution miracle qui remplacerait tout le reste.

Le problème de l'écart de pauvreté est lié au minimum de soutien du revenu en arrière-plan, qui accroît le bien-être des personnes au bas de l'échelle, peu importe leur capacité et la situation du marché du travail, et qui vise aussi à réduire cet écart de pauvreté avec le temps.

Je ne crois pas que nous devrions les considérer comme des solutions de remplacement.

Le problème, lorsqu'on évalue des informations de source expérimentale, c'est que l'on manque de contexte. Il s'agit essentiellement de savoir ce qui est remplacé lorsqu'on institue un programme de revenu et qu'on ne l'utilise pas comme supplément aux autres programmes sociaux.

Les droits humains sont une dimension essentielle de ce problème. Vous avez parlé de la nécessité de changer le comportement des gouvernements canadiens. L'une des façons de le faire serait de mettre en pratique certains des grands principes énoncés dans les traités concernant les droits de la personne et qu'ont signés nos gouvernements depuis 1948. Nous voulons que les pauvres aient un revenu afin qu'ils bénéficient de certains des droits fondamentaux auxquels nous avons souscrit, du moins en principe, depuis 60 ans. Le problème relève en partie d'une question de revenu, mais il réside aussi dans le fait qu'on ne veut pas que certains services soient éliminés à cause du revenu annuel.

Mme Goar : Merci beaucoup. Nous allons passer bientôt aux caractéristiques nominales d'un revenu annuel garanti. Peut-être qu'on pourra alors revenir à plusieurs des points que vous avez soulevés.

Jim Mulvale, professeur agrégé, Département des études en droit, Université de Regina : Dans un certain sens, c'est une question de conception, mais cela se rattache directement à ce que disait M. Robins un peu plus tôt au sujet de la question de savoir qui est apte ou inapte à intégrer le marché du travail.

À en juger par notre expérience en Saskatchewan, c'est une question très problématique. En Saskatchewan, la distinction que l'on a faite suit de très près le modèle à trois niveaux proposé par Caledon concernant le soutien aux adultes. J'ai beaucoup de respect pour nos collègues de Caledon, mais franchement l'approche qu'ils recommandent ne fonctionne pas en Saskatchewan.

L'idée de base est que l'on peut aisément distinguer les gens qui, à un moment donné, sont prêts à intégrer le marché du travail de ceux qui ne le sont pas. Nous avons toujours eu deux filières de soutien du revenu : l'assistance sociale, pour ceux qui sont considérés inaptes au travail, et une allocation de transition à l'emploi, pour ceux qui sont considérés aptes à travailler. Nous avons eu toutes sortes de problèmes : certaines personnes ont été mises dans le mauvais programme, d'autres ont été privées du soutien dont elles avaient besoin, et d'autres ont été jugées aptes à travailler alors qu'elles ne l'étaient pas et vice-versa.

Il y a ce problème de l'employabilité, où l'on donne ce qu'on appelle une allocation inconditionnelle à des gens jugés inaptes au travail, alors que l'on force les autres à trouver un emploi. Selon notre expérience en Saskatchewan, ce type de politique est très difficile à mettre à exécution et ne donne pas de bons résultats.

Je pense que c'est l'un des principaux arguments à l'appui du modèle du revenu garanti ou du revenu de base garanti. C'est inconditionnel. Cela permet d'avoir une base minimale. Et cela implique que la sécurité financière est un droit humain. De fait, je pense que dans un contexte non expérimental, c'est-à-dire dans la vraie vie, cela ouvre toutes sortes d'opportunités. Cela permet de reconnaître que la situation d'une personne peut changer avec le temps — maladie ou invalidité, arrivée des enfants, et cetera.

Bref, ce que je dis, c'est — et nous y reviendrons lorsqu'on parlera de la conception du programme — qu'il faut simplifier et fournir aux gens une garantie de revenu inconditionnelle. Cela les aidera à intégrer la vie active tout en ayant peut-être un effet bénéfique sur les conditions du marché du travail — en incitant les employeurs à offrir des salaires suffisants et des conditions de travail acceptables.

M. Northcott : Merci de vos commentaires. Je tiens à souligner que le marché du travail est un facteur critique. La banque alimentaire de Winnipeg est membre du comité d'orientation de la Chambre de commerce du Manitoba; nous sommes donc très intéressés à ce que les moteurs de l'économie fonctionnent efficacement. Pour nous, la main-d'œuvre s'entend aussi de la main-d'œuvre bénévole.

S'agissant du travail et de l'éthique de travail, il faut reconnaître qu'il y a deux avenues possibles pour arriver à un travail rémunéré et que l'une de ces avenues est le bénévolat. La plupart des bénévoles de la banque alimentaire sont aussi clients de Winnipeg Harvest. Mais ils ont peur de dire à leur agent d'aide sociale qu'ils travaillent comme bénévole parce qu'ils savent que cela n'est pas bien vu; ce qui n'est pas trop pour encourager une éthique de travail.

On peut accompagner quelqu'un durant des années pendant qu'il développe ses capacités psychiques, son estime de soi, et autres « compétences molles dont il est difficile de parler et qu'il est difficile de mesurer. Je vais parler de l'administration de cet aspect un peu plus loin. C'est un aspect qui peut être pris en charge par le bénévolat et qui peut mener à l'employabilité.

Pour ce qui est du volet transition, le Manitoba est tombé dans le même panneau. Si l'on est mal orienté et que l'on tombe dans le mauvais programme, on n'est pas sorti du bois. C'est là que réside tout l'intérêt du revenu annuel garanti : il permet d'avoir un seuil de base.

Lorsqu'on a ce seuil, on est beaucoup mieux à même d'intégrer la population active — et les programmes de formation, d'études, et cetera. On n'a pas besoin de se demander comment on arrivera à payer le loyer, on n'est pas obligé de payer la facture d'épicerie avec sa prestation fiscale pour enfants, ou encore de s'inquiéter de ne pouvoir payer des billets d'autobus pour les enfants alors qu'on est au beau milieu de l'hiver.

De mon point de vue, il ne s'agit pas ici de bagatelles. Il s'agit des droits fondamentaux dont doit pouvoir jouir tout citoyen canadien : le droit à l'eau, à la nourriture, à l'énergie et au logement. Le revenu annuel garanti permet d'assurer ce seuil minimal.

Au plan des moyens d'incitation, le tout est de valoriser la motivation de la personne qui veut travailler et pour cela, la décision de faire du bénévolat est extrêmement significative.

Environ 60 p. 100 de la population du Manitoba vivant au-dessous du seuil de pauvreté a un emploi. Quel est le message que l'on envoie à ces gens-là? J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Je vais relayer une partie de l'information — que j'ai trouvée par ailleurs très utile — s'agissant du seuil de transition — pour motiver les gens à intégrer la population active.

Il faut aussi que l'on cesse d'utiliser des termes fallacieux comme « salaire minimum ». Cela ne sert qu'à indisposer les entreprises et les organisations à but non lucratif et c'est un contentieux où personne n'a rien à gagner.

Pour moi, le revenu annuel garanti modifierait le rôle du dispositif d'indemnité; il permettrait au citoyen d'avoir beaucoup plus d'influence sur les politiques avec lesquelles il aurait à composer. Cela permet de changer l'optique du gouvernement. Il ne s'agit pas seulement d'aider les pauvres à s'adapter à la nouvelle donne; il s'agit d'aider le gouvernement à s'adapter aux pauvres, comme l'a si bien dit Mme White. Et ce que j'en dis, c'est du point de vue du marché du travail, car c'est aussi important de ce point de vue-là que de l'autre.

M. Mendelson : Je pense que la question est posée de la mauvaise façon; nous devons la retourner dans l'autre sens.

La question est de savoir ce qui suit : comment un programme d'assistance économique peut-il aider des gens qui sont en âge de travailler et dont on devrait normalement s'attendre qu'ils gagnent leur vie en travaillant? Comment un tel programme peut-il fournir non pas des moyens d'incitation passifs — qui selon moi et selon les études ne sont pas du tout importants — mais plutôt des opportunités, notamment des opportunités d'éducation et d'apprentissage. Parfois, le bénévolat est un point de départ. Mais ce qui est encore plus fondamental, c'est la préparation à l'emploi, notamment l'acquisition d'un niveau de littératie fonctionnel.

En passant, il faut dire que les établissements correctionnels sont eux aussi un grand facteur de pauvreté car on n'y offre quasiment aucun programme d'éducation. Si le gouvernement fédéral veut faire quelque chose, puisqu'il y a plusieurs sénateurs ici présents, il pourrait commencer par faire en sorte que ces établissement correctionnels offrent davantage de formation soit dit en passant.

À mon avis, le problème n'est pas de savoir quels sont les facteurs de désincitation au travail. Le problème est plutôt de trouver des moyens de faciliter l'accès au marché du travail. Je préférerais de beaucoup que l'aspect « revenu » de l'équation, pour les gens qui sont aptes à gagner leur vie par un travail rémunéré, soit assimilé à un mécanisme de bourse ou de rémunération plutôt qu'à un transfert de revenu, mécanisme qui accompagnerait un programme étudié pour rendre le bénéficiaire apte à gagner sa vie, quand bien même ce serait à long terme. Il faut que cela commence à un niveau basique.

Cela étant dit, j'aimerais faire quelques commentaires qui seront peut-être contraires à certaines idées reçues. J'ai commencé très jeune — il y a plus de trente ans — à travailler sur cette question, et j'en suis venu à la conclusion que la société canadienne n'est pas prête à accepter un programme qui permettrait à un jeune de 21 ou 22 ans de rester tranquillement chez lui ou chez elle en vivant des 8 000 ou 9 000 dollars d'allocations auxquelles il/elle aurait droit.

Il ne s'agit pas de dire que c'est bien ou que c'est mauvais. Il s'agit simplement d'être politiquement réaliste. Cela ne se fera jamais. On aura beau faire, cela ne sera jamais considéré comme une solution acceptable. Le parti politique qui proposerait une telle chose se ferait débouter à coup sûr, alors aucun ne prendrait un tel risque.

Il serait vain de s'acharner ad vitam aeternam à faire adopter une telle proposition. Mais qu'elle soit illusoire ou non relève d'un autre point de discussion. Je crois toutefois que cette proposition serait illusoire du seul fait qu'elle ne serait pas politiquement acceptable.

Je soutiens aussi que c'est une mauvaise idée, même si plusieurs diront le contraire. J'ai été l'un de ces jeunes qui passent tout leur secondaire à traîner dans les salles de billard. C'était dans le quartier nord de Winnipeg. Je suis sûr que si j'avais eu accès à un tel programme, je ne serais jamais allé à l'université. Il a fallu que je connaisse la galère des petits boulots pour décider d'aller à l'université. Pour moi, je ne pense pas que c'est rendre service à quelqu'un de 20 ou 22 ans que de lui proposer un programme où il n'aurait pas à étudier ou à travailler.

Malheureusement, ce genre de proposition peut être attrayante pour certains et les jeunes prennent souvent des décisions stupides. Tout le monde sait cela. En tout cas moi je le sais pour l'avoir fait souvent. Je ne sais pas si c'est une bonne chose.

Je me dis ceci : est-ce que l'on peut raisonnablement espérer que cette personne pourra arriver à gagner correctement sa vie en travaillant? C'est la question qu'il faut se poser. J'admets qu'il peut être difficile de distinguer ceux qui peuvent travailler de ceux qui ne le peuvent pas. Malheureusement, c'est ce qu'il faut faire pour pouvoir mettre en œuvre un programme qui permettra à ceux qui ne peuvent gagner leur vie en travaillant de sortir de la pauvreté. La seule façon de faire accepter l'idée selon laquelle les gens qui sont inaptes au travail aient droit à un revenu correct est d'instituer un mécanisme d'évaluation. Nous en avons la capacité. Et nous avons pour cela une proposition qui a été étudiée soigneusement et qui est prête à être mise en œuvre.

Le sénateur Keon : J'ai le plus grand respect pour ce que vous avez réussi à accomplir au plan professionnel, mais vous avez tort. Si un jeune de 20 ans qui ne veut pas travailler ou qui ne veut pas réussir dans la vie est soumis à une batterie de tests psychologiques, cognitifs, et autres, il échouera. Ce type de personne a besoin d'être suivi par un spécialiste pour pouvoir fonctionner dans la vie. Il arrive que des gens aient besoin de 30 ans de psychothérapie pour y arriver. C'est souvent le cas. Mais on peut les aider à se prendre en charge et à devenir des citoyens productifs.

C'est comme pour les toxicomanes et ce programme totalement fou et d'une stupidité navrante qui a été institué pour lutter contre la drogue. La toxicomanie est une maladie. Cela se traite comme une maladie. Pas en mettant les gens en prison ni en criminalisant les jeunes. C'est la même chose. Mais j'en ai assez dit. J'ai des opinions bien arrêtées là-dessus, autant que ceux qui sont de l'avis opposé.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'abonde tout à fait dans le sens de ce que vient de dire le sénateur Keon. J'ai écouté ce qui vient d'être dit et j'aimerais vous faire part de mon expérience en matière de mentorat.

J'ai eu le privilège de travailler avec Frank McKenna pendant 12 ans. Je crois que vous savez tous de qui je parle. Il croyait que ce dont les gens ont besoin, c'est qu'on les aide à se prendre en charge et non pas qu'on leur fasse l'aumône. Il a créé un programme intitulé « Nouveau-Brunswick au travail ». Il s'agissait d'un programme de trois ans destiné aux bénéficiaires de l'assistance sociale et qui leur permettait de recevoir le même montant qu'auparavant — souvent même plus. Ce programme apportait beaucoup d'espoir. La première année était entièrement axée sur l'éducation; la deuxième sur une combinaison de cours de formation et de stages de travail; et la troisième — quand elle était nécessaire — sur les besoins particuliers de la personne. Il ne s'agissait pas seulement d'éducation. Il s'agissait de toutes sortes de services destinés à faciliter l'intégration à la vie active, qu'il s'agisse des conditions de vie ou d'aide médicale comme l'a suggéré le Dr Keon.

Le taux de succès était de 30 à 40 p. 100, mais je n'en suis pas certaine. Bien entendu, ce n'était pas efficace pour tout le monde, comme vous pouvez l'imaginer, et ce, pour diverses raisons. Malheureusement, quant M. McKenna a quitté ses fonctions, le programme n'a pas été poursuivi.

Je voulais vous faire part de cela parce que c'est un exemple important. Il ne s'agit pas ici de personnes ayant une déficience physique ou mentale, bien que nous avons appris que beaucoup de personnes qui ont une déficience ou un handicap peuvent faire ce dont je parle. Il s'agit ici d'aider les gens à se prendre en charge, à leur donner espoir et à changer le cours de leur existence.

Mme Regehr : J'ai longuement hésité avant de venir raconter mon histoire. Je vais commencer en reprenant le commentaire qu'a fait Mme White un peu plus tôt sur la nécessité d'éviter que les programmes fassent une distinction entre « eux » et « nous ». Je fais partie d'« eux » et de « nous ». Je sais que d'une certaine manière je faisais partie de mon propre programme de revenu garanti. Je voudrais vous dire un mot à ce sujet et revenir à ce que disait M. Mendelson.

J'ai vécu de l'assistance sociale pendant environ un an et demi. Je l'ai fait de mon propre gré. C'était comme si j'avais un revenu garanti. Mon expérience est très différente de la vôtre mais c'était à l'époque où l'Ontario avait un programme de prestations familiales pour les mères monoparentales, ce qui était mon cas. On pouvait aussi obtenir des prêts étudiants, du fédéral et du provincial. En fait, j'ai décidé de vivre de l'assistance sociale pour pouvoir aller à l'université. Après-coup, on a tendance à oublier comment c'était. Aujourd'hui j'essaie de minimiser ce que c'était parce que je pense qu'il ne s'est pas passé une seule journée sans que je me demande si j'étais folle et ce que j'étais en train de faire à mes enfants. Nous n'avions pas d'argent, et ne j'ai pas beaucoup dormi pendant cette année-là non plus.

Mais depuis, j'ai probablement payé assez d'impôt pour financer chaque année deux ou trois familles vivant de l'assistance sociale. Mon message avec cette histoire rejoint les commentaires que faisait aussi M. Hum. Pendant un certain temps, j'ai délibérément décidé de ne pas travailler. J'avais un emploi décent, mais qui ne m'aurait pas permis de faire vivre mes enfants et de leur donner ce dont ils avaient besoin à ce moment-là. Nous avons accepté de faire des sacrifices à court terme pour pouvoir améliorer notre situation sur le long terme.

J'aimerais aussi revenir sur ce que disait le sénateur Munson au sujet de la parité hommes-femmes. Peut-être ne serais-je jamais devenue mère monoparentale si j'avais eu ma propre source de revenu et que j'avais eu davantage de contrôle sur ma situation. L'argent est un motif de dispute pour beaucoup de gens, en particulier pour les jeunes couples qui commencent à élever une famille.

L'autre point concerne la complexité de la situation. J'étais dans une situation particulière, semblable à celle du parent à revenu modeste dont parlait l'exemple donné par M. Northcott. Aucun administrateur du gouvernement ou des services sociaux ni personne d'autre ne peut vous aider à composer avec les réalités complexes qui forment votre lot quotidien. Il serait ridicule de croire que l'on puisse élaborer un système, avec tous les critères d'admissibilité que cela implique, qui pourrait répondre aux besoins quotidiens de chacun.

Avec le recul, je réalise que j'ai eu beaucoup de chance. La raison pour laquelle j'ai bénéficié d'une situation de revenu annuel garanti plutôt que d'assistance sociale était que la travailleuse sociale qui s'occupait de mon cas a décidé de me donner mes chèques sans se croire obligée de s'ingérer dans ma vie. Cela n'arrive pas très souvent. Et c'est ce qui a fait que c'était une situation de revenu garanti plutôt qu'une situation où l'on a l'impression d'être jugé, surveillé, et le reste. Et j'ai pu aller me réinstaller dans une autre ville, ce qui est une autre possibilité que permet la formule du revenu garanti par rapport à celle de l'assistance sociale, où l'on est plus surveillé.

M. Hum : Je vais faire deux mises au point pour le personnel des sénateurs. La première est que les économistes qui ont fait ces expériences n'ont jamais pensé qu'il suffirait de donner de l'argent pour résoudre tous les problèmes. Pour montrer que nous n'étions pas aussi bornés qu'on le prétend, dans l'une de nos expériences, on avait prévu un programme où l'on fournirait une allocation de revenu accompagnée de divers services sociaux. L'idée était de voir si le fait de donner de l'argent serait en soi préférable ou aurait davantage de retombées cumulatives si cela s'accompagnait de services. Je crois que dans le projet SIME/DIME, l'allocation de revenu était également accompagnée de formation pour voir si cela faciliterait l'accès au marché du travail. L'idée étant qu'on ne peut pas dire à quelqu'un qui ne sait ni lire ni écrire qu'il est tout à fait apte à travailler du fait qu'on lui verse un équivalent salarial.

Il serait très réducteur de penser que cette expérience se résumait à cette conception des choses.

Je n'entrerai pas dans les détails conceptuels. Mais, s'agissant du contrôle de la disponibilité, je suggère au personnel du comité, qui est beaucoup plus jeune que moi, d'aller dans les archives pour voir ce que disent les documents portant sur le tout premier examen qui a été fait du programme de sécurité sociale. Notamment le rapport de la Commission Castonguay, qui à mon avis, quand on pense à la politique sociale traditionnellement adoptée par les gouvernements du pays, proposait une approche très innovatrice pour lutter contre ce que M. Robins appelle « le triangle de fer ».

Mon interprétation est que le dispositif de contrôle de l'aptitude au travail — ou vérification de la disponibilité — à l'époque de la première revue de la sécurité sociale s'est révélé un échec parce que les gouvernements fédéral et provinciaux n'ont pas pu s'entendre sur la manière dont il devait être appliqué. C'est un thème récurrent dans l'histoire canadienne alors je n'ai pas besoin d'élaborer.

Si l'on retourne aux documents originaux de la Commission Castonguay, on y trouve une analyse exhaustive des questions concernées. La solution proposée correspondait à l'esprit du temps et ne pourrait probablement pas être appliquée telle quelle aujourd'hui, mais elle reflète assez justement les difficultés auxquelles nous sommes confrontés à l'heure actuelle. Le problème n'est pas d'hier.

M. Goar : Merci. Nous attendons depuis longtemps qu'on nous parle de la manière dont le programme devrait fonctionner, si tant est qu'il puisse fonctionner. Je demanderais à M. Mendelson de bien vouloir amorcer la discussion sur cette question.

M. Mendelson : Merci. Pour beaucoup de gens, la notion de revenu annuel garanti est très ambiguë. De quoi s'agit-il au juste?

D'après moi, il y a deux variables fondamentales qui définissent ce qu'est ou ce que pourrait être le revenu annuel garanti. D'abord, par revenu annuel garanti, entendons-nous un programme unique qui remplacerait tous ou presque tous les autres programmes, ce qui simplifierait considérablement un système de sécurité du revenu jugé complexe? Deuxièmement, entendons-nous par revenu annuel garanti un revenu annuel garanti offert à toute personne d'un certain âge qui est un résidant ou un citoyen du Canada, ou plutôt un programme spécifique grâce auquel seulement un type de personne ou des personnes ayant certaines caractéristiques, quelles qu'elles soient — qu'elles aient une invalidité ou qu'elles soient chauves comme moi —, auraient droit à un revenu annuel garanti?

Une fois ces deux variables définies, nous pourrions les circonscrire davantage afin de les rendre moins ambiguës. Je parlerai brièvement de ces variables et aussi d'une troisième, celle qui concerne le mécanisme administratif et les coûts.

Premièrement, par exemple, nous aimons parler de notre système de sécurité de la vieillesse et de la façon dont il a réussi à réduire la pauvreté. En effet, il a réussi à le faire, du moins jusqu'à récemment. Il importe, toutefois, de se rappeler que notre système ne se limite pas à la SV et au SRG. Au contraire, il s'agit d'un système à multiples facettes comprenant la SV et le SRG en tant que garantie de base, ainsi que le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec, qui fournissent des prestations d'assurance sociale obligatoires quasi universelles. À ces mesures s'ajoutent divers régimes d'épargne-retraite donnant droit à une aide fiscale, ainsi que les fonds de retraite offerts par les entreprises, les employeurs ou dans le cadre d'un REER. Il y a aussi les épargnes des particuliers.

Le système qui appuie nos aînés a plus d'un objectif. Il vise notamment à voir à ce que les personnes âgées ne vivent pas dans la pauvreté, de même qu'à veiller à ce que les Canadiens et les Canadiennes ordinaires qui sont à la retraite maintiennent leur niveau de vie.

Le gros de la superstructure — c'est-à-dire les deux couches supérieures — du programme vise à préserver le niveau de vie et à réduire le risque d'appauvrissement. Le RPC joue certainement un rôle plus important que celui de la SV et du SRG en ce qui concerne la réduction de la pauvreté.

Revenons au concept de RAG. La question qu'il faut se poser à l'égard des aînés est la suivante : qu'arrivera-t-il si nous remplaçons la structure entière, composée de l'assurance sociale et des régimes d'épargne-retraite donnant droit à une aide fiscale, par un programme de SV et de SRG plus généreux? La réponse, c'est que les personnes les plus pauvres — c'est-à-dire celles qui ont le moins de sources d'épargnes privées — auraient un revenu supérieur. Par contre, il y aurait de gros perdants, en particulier les familles à faible revenu et à revenu moyen qui dépendent du RPC et, dans une certaine mesure, des régimes de pension des employeurs, plutôt que de REER. En passant, les REER, tout comme les comptes d'épargne libres d'impôt, attirent presque uniquement des particuliers au revenu élevé. Ça, c'est une autre paire de manches.

Il y a d'autres questions semblables qui s'imposent. Si, par exemple, nous envisageons d'instaurer un RAG simple et unique, est-ce que cela signifie l'élimination de l'assurance-emploi? L'assurance-emploi remplit plusieurs fonctions. Certes, le programme a évolué, mais, initialement, il ne visait pas forcément à maintenir le niveau de vie des prestataires, mais plutôt à permettre aux travailleurs ordinaires qui traversent une période de chômage temporaire de jouir d'un niveau de vie suffisant en leur permettant de toucher, sans en avoir honte, un montant d'argent calculé en fonction des cotisations qu'ils versaient, lesquelles étaient liées aux revenus qu'ils gagnaient avant de perdre leur emploi. Ainsi, leur niveau de vie ne diminuant pas considérablement, ils peuvent faire le pont entre deux emplois. Éliminer ce programme signifie éliminer cet objectif.

Cela me rappelle le tout premier article que j'ai publié, intitulé « Many Programs for Many Purposes ». Dans cet article, j'ai posé la même question que celle que je vais poser maintenant : Pourquoi le système est-il compliqué? Eh bien, si le système est aujourd'hui compliqué, c'est parce que nous avons différents buts, et non pas uniquement un système compliqué d'objectifs en matière de sécurité du revenu et de lutte contre la pauvreté.

Essentiellement, remplacer tous les programmes par un RAG global signifierait sacrifier les autres objectifs au profit d'un seul objectif, ce qui risque d'être vu ou non comme étant la bonne chose à faire. Je ne crois pas que ce soit la bonne chose à faire. J'accepte qu'on ne soit pas d'accord avec moi.

La deuxième variable, c'est de savoir si le RAG serait un programme spécifique. Est-ce que tout le monde y aurait droit? Y aurait-il des critères d'admissibilité? Le critère le plus important que l'on puisse envisager serait lié à une sorte de test d'aptitude au travail. Je vois ce genre de test comme un test économique et non comme un test mesurant les capacités physiques d'une personne. Il s'agirait de déterminer si on peut s'attendre raisonnablement à ce qu'une personne puisse gagner un revenu suffisant, étant donné les conditions actuelles et prévues du marché du travail. Si elle ne le peut pas, est-ce que c'est parce c'est un pêcheur de 62 ans et que tous les poissons ont disparu, ou est-ce que c'est parce c'est une personne souffrant d'une déficience grave — comme une déficience mentale — et qu'on ne peut pas s'attendre à ce qu'elle gagne sa vie?

Voilà un exemple de programme spécifique où l'on pourrait dire qu'on vous offre un revenu annuel garanti seulement si vous réussissez à un test d'aptitude au travail. Le Caledon Institute a proposé un tel programme, que nous appelons « revenu de base ». Ce terme indigne beaucoup d'universitaires, mais nous croyons que c'est un bon terme.

Certaines personnes diront que le Caledon Institute a proposé un revenu garanti. Il y a quelques mois, j'en proposais un à ce comité pour les personnes souffrant d'une déficience grave. Vous pouvez appeler ce revenu un revenu annuel garanti si vous voulez, cela ne me fait rien, mais ce n'est probablement pas ce à quoi pensent la plupart des gens quand ils pensent à un revenu annuel garanti. Il y a la question de savoir si un programme est spécifique.

J'aimerais présenter un dernier point sur le concept d'un programme de revenu annuel garanti global et de grande portée et sur sa simplification. Un argument milite en faveur de la simplification : c'est qu'en remplaçant tous ces programmes compliqués, on économiserait considérablement sur les coûts administratifs, qui sont un poids mort, et on pourrait se servir de ces économies pour payer les coûts additionnels, s'il y en a, liés au revenu annuel garanti ou pour augmenter les prestations.

En effet, cette possibilité a été soulevée par Milton Friedman quand il l'a abordée dans Capitalisme et liberté en 1962. Quand j'ai entamé ma carrière au Conseil économique de l'Ontario, il y a bien des années de cela, j'ai lu cet ouvrage et je me suis demandé si ce que l'auteur disait était vrai. Je me suis renseigné et j'ai découvert que Milton Friedman ne citait personne relativement aux économies éventuelles. J'ai consulté toute la documentation et je n'ai trouvé personne qui ait analysé empiriquement les coûts. En fait, je n'ai trouvé qu'une seule étude, qui n'était pas du tout bonne, aux États-Unis.

Mon premier grand travail a donc porté sur les coûts administratifs des programmes de sécurité du revenu. Les coûts les plus élevés étaient liés à l'aide sociale municipale en Ontario. C'était à l'époque de l'Assistance générale en bien-être social et du Programme de prestations familiales, lorsque les coûts dépassaient un peu les 10 p. 100. Des programmes tels que l'allocation familiale, qui sont des subventions universelles, ne coûtaient vraiment pas cher. Les coûts administratifs étaient inférieurs à 1 p. 100. Je présume que ceux de programmes comme la Prestation fiscale canadienne pour enfants seraient également très peu élevés.

Un programme généralement administré dans le cadre du régime fiscal est très peu coûteux, mais, étant donné que même les coûts liés à un programme compliqué comme l'Assistance générale en bien-être social ne sont pas tellement élevés, la simplification ne devrait pas permettre de réaliser des économies considérables.

D'une part, il est possible d'administrer un programme de façon moins coûteuse, ce qui est important. D'autre part, les économies éventuelles ne sont pas si élevées que ça, bien qu'il soit possible que nous ne visions pas les bons endroits où faire des économies.

Si je ne m'abuse, les coûts administratifs liés à l'assurance-emploi sont d'environ 5 p. 100. Si nous estimons à 5 p. 100 les coûts qu'on économiserait sur les programmes existants, cela ne permettra pas d'augmenter considérablement les prestations.

Malheureusement, il ne semble pas y avoir de source d'argent disponible. Cela ressemble plutôt à la promesse que fait chaque parti de financer ses nouveaux programmes grâce aux économies découlant de l'élimination du gaspillage et de la mauvaise gestion.

Mme White : Permettez-moi de remettre les pendules à l'heure du point de vue des personnes. Ma première déclaration concernant l'administration, c'est qu'il ne faut pas créer un seuil qui se transformera en plafond. Je reviens aux termes « nous » et « eux ».

Quand j'ai été frappée d'invalidité il y a 20 ans, j'avais deux options : la pauvreté et le placement en établissement. J'ai été paralysée pendant deux ans. Si le revenu annuel garanti avait existé, il aurait été ma troisième option. Voici ma question : Aurais-je pu éviter ces situations? Nous ne devons jamais perdre cela de vue.

J'aime dire que personne n'est à l'abri d'une invalidité. Quand vous élaborez un programme, une prestation ou une initiative visant la pauvreté, demandez-vous si vous voudriez y être admissible. Si vous ne le souhaitez pas parce que cela vous priverait de vos droits ou vous marginaliserait, ils ne sont donc pas bons, ni pour « nous », ni pour « eux ».

Tout programme ou toute initiative qu'on élaborera ne devra pas être un autre système bureaucratique complexe ayant fait l'objet d'innombrables discussions et négociations fédérales-provinciales-territoriales et présentant de multiples complications. Les nouveaux programmes doivent tenir compte, notamment, des invalidités épisodiques. J'ai la sclérose en plaques, et je pourrais soudainement ne pas pouvoir travailler pendant trois semaines après avoir travaillé pendant trois ans. Qui m'aidera si je n'ai pas d'assurance privée, car en effet je n'en ai pas, étant donné que, comme je l'ai dit à la séance précédente, je risque de mourir? Je sais que vous pourriez tous mourir également, mais, dans mon cas, il paraît que c'est différent.

Pour ce qui est des jeunes ayant une invalidité, je reviens à ce que Michael a dit et à ce dont le conseil a parlé. Les jeunes sont un groupe particulier. Je crois fermement que ce groupe figure parmi ceux qui sont les plus à risque. Beaucoup de ces jeunes, au terme de leurs études secondaires, n'ont pas les compétences et les aptitudes que la plupart d'entre nous s'attendraient d'avoir à la fin de la 11e ou de la 12e année. Ils sont en transition vers des systèmes pour adultes. Si tout d'un coup on créait un revenu annuel garanti, ce système leur conviendrait-il? Créerait-on alors une autre génération de personnes isolées qui dépendraient d'un système à jamais?

Toute initiative devra reconnaître plus que les désincitations au travail. Commençons par les désincitations aux études. Les jeunes dont je viens de parler sont nombreux à ne pas faire d'études postsecondaires parce que les désincitations sont magnifiées à un niveau incroyable.

Qu'en est-il des personnes qui ne peuvent pas travailler? C'est une question très complexe du point de vue de l'invalidité, car il y a des gens qui pensent que tout le monde peut travailler. Je ne partage pas cet avis. Je peux vous assurer que, lorsque j'étais paralysée pendant deux ans, je ne travaillais au service de personne, je ne gagnais aucun salaire. Je ne pouvais pas travailler. Si j'étais restée comme cela toute ma vie, je me serais attendu à ce qu'on me fournisse un revenu raisonnable, car j'étais enseignante et je gagnais un revenu moyen, alors pourquoi mon invalidité m'a-t-elle soudainement appauvrie?

Enfin, on a parlé tantôt des droits de la personne, des conventions et des chartes qui nous entourent, et je suis très contente qu'on en ait parlé. La fin de semaine dernière, je participais à une réunion à Winnipeg où quelqu'un a proposé qu'on parle des personnes qui ont des droits, plutôt que des parties prenantes. C'est ce à quoi il faut penser quand on pense aux personnes qui vivent dans la pauvreté. Si je suis une citoyenne, alors je suis une citoyenne.

Le sénateur Munson : Revenons à l'objet de l'audience. La question posée au tout début était : Le moment est-il venu de l'implémenter? Je suis plus mêlé que jamais, même après deux heures et demie de discussion.

Nous avons parlé de l'allocation temporaire, et j'aimerais que les distingués économistes qui sont ici nous expliquent l'idée de subventionner les salaires et d'aider les jeunes à intégrer la société.

Par exemple, j'ai un fils qui vient de terminer ses études universitaires. Il cherche un emploi et il est prêt à accepter n'importe quoi. Est-ce que cela signifie que nous ajoutons une allocation temporaire à un salaire de 12 000 $ pour qu'il puisse atteindre un revenu annuel garanti? Comment une personne de son âge sans diplôme universitaire peut-elle atteindre un revenu annuel garanti?

Est-ce qu'une allocation temporaire, un concept intéressant, aiderait les personnes que je considère comme étant la génération perdue, c'est-à-dire celles de 45 à 60 ans dont nous n'avons pas parlé?

Est-ce que le revenu annuel garanti comporte un aspect de transition permettant à ces personnes de vivre avec dignité, un droit fondamental, de vivre dans ce pays et se rendre jusqu'aux autres services sociaux offerts à la population à partir de l'âge de 60 ans?

Je m'excuse, Carol, c'est le journaliste en moi qui parle. Je ne cesse pas de poser des questions, mais peut-être qu'on aura d'autres réponses cet avant-midi.

[Français]

M. Blais : Je veux revenir sur la présentation de Michael Mendelson, pour ce qui est du programme unique.

Premièrement, je crois que l'idée d'un programme unique n'est pas une fin en soi; si on peut faire mieux pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion par une diversité de programmes, je suis d'accord avec lui. Il a des avantages : la simplicité et la transparence, entre autres.

Deuxièmement, les sources de financement d'un revenu non garanti sont doubles, c'est-à-dire que, éventuellement et progressivement, c'est la récupération des transferts explicites? Donc directement aux personnes? Comme la Sécurité de la vieillesse, vous avez raison, mais aussi des transferts implicites nombreux, c'est à dire les transferts fiscaux. Il s'agit d'une capacité financière énorme. Bien sûr, depuis ses origines, l'astuce intellectuelle du revenu minimum garanti, c'est d'essayer de rallier les transferts fiscaux implicites, devenus très importants au Canada, et les transferts explicites monétaires.

Pour ce qui est des assurances sociales, je crois qu'un programme de revenu minimum garanti ne devrait pas toucher aux programmes d'assurance qui sont établis par, notamment, les travailleurs. Cependant, il est vrai qu'un programme de revenu non garanti pourrait inviter l'ètat à ne plus financer ces programmes d'assurance et laisser les travailleurs ou les organisations les financer eux mêmes, ce qui n'a pas toujours été le cas dans l'histoire du Canada. Pour toute personne, oui, cela pourrait prendre la forme de supplément de sécurité de la vieillesse pour les personnes âgées, ou encore d'allocations familiales universelles.

Vous avez parlé du Supplément de revenus garanti, je vous rappelle qu'il y a des échappées importantes depuis plusieurs années avec ce programme, parce qu'il y a des milliers de Canadiens âgés qui n'y ont pas accès ou qui ne vont pas chercher l'avoir auquel ils ont droit en ce moment avec ce programme. Ce problème revient à l'ordre du jour tous les deux ou trois ans.

Pour ce qui est des coûts administratifs, bien sûr, il peut y avoir des économies, mais vous avez raison d'insister sur le fait qu'elles demeurent quand même marginales, mais il peut y avoir économies! Pour quelle raison? Parce que, simplement, le revenu minimum garanti valorise le contrÎle par la fiscalité plutôÎt que le contrôÎle des transferts des différents programmes. Alors, on peut imaginer qu'il y aurait économie de coût, mais encore une fois, l'économie de coût et le caractère unique du revenu minimum garanti ne sont pas des fins en soi, cela doit être des moyens si on peut démontrer, bien sûr, qu'il y a une évolution positive du point de vue des inégalités et de la pauvreté.

[Traduction]

M. Rainer : Je veux souligner le message de Jim concernant l'importance du caractère inconditionnel dans un concept de revenu annuel garanti. C'est une question fondamentale pour nous. Sans vouloir offenser le Caledon Institute, le fait que les gens soient catégorisés comme « aptes au travail » nous met très mal à l'aise. L'idée que quelqu'un derrière un écran de plexiglas prenne une décision touchant la vie d'une autre personne — sur quoi fonderait-il sa décision?

Quand on pense aux problèmes de santé mentale, par exemple, qui, derrière cet écran de plexiglas, est capable de déterminer si une autre personne est apte au travail ou non? En effet, beaucoup de problèmes de santé mentale sont quasi invisibles aux yeux d'un observateur non qualifié. Ma fille souffre du syndrome d'Asperger. Il s'agit d'un trouble qui a été diagnostiqué cliniquement il y a une quinzaine d'années. Si ma fille était ici, vous verriez tous une enfant qui a l'air normale. En réalité, pourtant, elle a une invalidité assez importante qui nuira considérablement à sa capacité de gagner convenablement sa vie. Si ce n'était pas de ma femme et de moi-même, ma fille serait très susceptible de vivre dans la pauvreté.

Qui serait qualifié pour déterminer si ma fille est apte au travail ou non? C'est problématique. Par conséquent, quelle que soit la forme que prendrait un revenu annuel garanti, qu'il s'agisse d'une demi-subvention ou d'un impôt négatif, elle doit être, à notre avis, inconditionnelle. En tant qu'être humain et en tant que citoyen, on a droit à un revenu de base pour pouvoir satisfaire à nos besoins fondamentaux et vivre avec dignité.

Ceux d'entre nous qui vivent à Ottawa et fréquentent le marché By ont déjà vu l'homme en fauteuil roulant qui n'a pas de jambes et dont les mains sont tordues au point de ressembler à des moignons. Presque tous les jours quand il fait beau, quelqu'un le pousse jusqu'au coin de la rue, où il mendie. Voici les questions que je me pose : Où est le revenu de base de cette personne? Pourquoi fait-il cela? Il y a beaucoup d'autres exemples de ce genre.

Le caractère inconditionnel est très important quand on parle d'invalidités et du flou qui entoure la détermination de l'invalidité. Qu'arrive-t-il aux personnes qui ne sont pas considérées comme étant handicapées? Que sont-elles forcées de faire à cause des choix faits par des personnes qui sont payées pour prendre des décisions derrière un écran de plexiglas et qui ne connaissent peut-être pas leur problème de santé?

Il faut s'éloigner des critères d'admissibilité fondés sur les moyens. En théorie, la demi-subvention et l'impôt négatif seraient des exemples positifs. C'est le message, j'espère, que le sous-comité retiendra et auquel il accordera une grande importance.

Nous nous opposons vivement à ce que les mesures proposées soient assorties de conditions.

Le sénateur Keon : Les témoins qui comparaissent aujourd'hui sont tous des spécialistes de leur domaine. J'aimerais qu'ils répondent tous à la question suivante : quel est le problème du système en Norvège? Tout le monde reçoit un salaire suffisant et quand on commence à gagner plus d'argent, on en rembourse une partie sous forme d'impôts.

Mme Goar : Quelqu'un veut-il répondre à cette question?

M. Henderson : Je ne veux pas y répondre, mais j'aimerais dire que c'est un des points que j'ai soulevés tantôt, c'est- à-dire que la prémisse fondamentale de toute mesure doit être qu'une économie sans pauvreté est une économie où les gens qui travaillent reçoivent un salaire suffisant. Dans ce genre d'économie, on s'attend à ce qu'une personne travaillant à plein temps puisse faire vivre sa famille de façon raisonnable, étant donné le niveau de vie de la société. Les pays nordiques y parviennent. Ils le font pour des raisons culturelles et pour d'autres raisons, qu'il est difficile de reproduire ici. Je ne crois pas qu'on pourrait adopter ce principe tel quel au Canada.

Pour ce qui est de leurs systèmes d'aide sociale, ils sont en grande partie difficiles à comprendre parce qu'ils sont très organiques. Une bonne partie des systèmes sont administrés par les municipalités. Ce n'est pas tout à fait l'équivalent de notre système d'aide sociale. Ce n'est pas tout à fait ce qu'on verrait dans la société anglo-américaine.

Je suis d'accord avec le sénateur pour dire qu'un salaire suffisant est fondamental. Si une économie n'engendre pas la pauvreté, le gouvernement n'aura pas à s'occuper d'autant de pauvres.

M. Osberg : J'aimerais revenir à certains des points que vous avez soulevés concernant les politiques et les multiples objectifs dont elles sont assorties. Si nous pensons au genre de politiques efficaces qu'il faut adopter dans un pays comme la Norvège, nous verrions qu'il y en a qui portent sur la demande globale de travailleurs.

De plus, il y a des politiques fiscales et monétaires qui visent à favoriser le plein emploi et la disponibilité de certaines sortes d'emplois. Il y a aussi tout un ensemble de politiques sur les autorités responsables du marché du travail qui encouragent la non-discrimination auprès des employeurs, ainsi que l'amélioration du milieu de travail pour toutes les catégories de travailleurs en permettant la négociation collective et l'augmentation des salaires inférieurs à des niveaux raisonnables.

En outre, il y a des politiques à long terme, qu'on peut appeler politiques sur le capital humain, l'éducation ou la formation. Souvent, on oublie le facteur temps. On peut éduquer et former des gens maintenant, mais les retombées ne viendront qu'avec le temps. Il existe aujourd'hui des foules de gens qui ont été éduqués ou formés dans le passé, ou qui n'ont pas été éduqués ou formés dans le passé. Il faut aussi s'occuper de ces gens-là aujourd'hui, mais il existe depuis longtemps cette idée d'investissement en matière de politiques.

Il est question aujourd'hui de ce qui se produit lorsque toutes ces politiques commencent à donner des résultats. Nous avons parlé de l'importance d'avoir en place des programmes de transfert de revenus lorsque les politiques macroéconomiques font défaut et qu'il n'y a plus d'emplois, lorsque les politiques de l'État échouent, faisant en sorte que les salaires minimaux chutent à des niveaux aberrants et lorsque les gens ne possèdent pas les compétences recherchées aujourd'hui parce que les programmes d'éducation étaient inadéquats. C'est ce que les gens vivent.

Qui, à Ottawa, peut prédire ce qui arrivera aux citoyens partout dans notre vaste pays?

Au fond, nous discutons aujourd'hui de la nécessité d'établir un cadre de base qui servirait de filet lorsque toutes ces politiques auront ou non porté fruit. Il n'est surtout pas question de remplacer ces politiques.

Nous devons avoir des politiques à tous les niveaux, et non seulement pour combattre la pauvreté.

J'aimerais parler à nouveau de la nature inconditionnelle. Je tiens à rappeler que nous avons déjà une architecture en place. Celle-ci est efficace pour les personnes âgées, mais moins efficace pour les autres groupes d'âge. C'est ce sur ce plan que nous pouvons agir, en améliorant les mesures déjà en place, comme le crédit pour la TPS et la prestation fiscale pour enfants, afin de diminuer l'écart de pauvreté sans cesse croissant parmi les Canadiens les plus défavorisés.

M. Mulvale : Je voudrais reprendre le point abordé par M. Mendelson au sujet des coûts. Vous avez présenté des données intéressantes en parlant des coûts liés à la gestion des programmes d'aide sociale par rapport aux programmes de prestations familiales et d'autres approches.

Nous avons tenu une série de groupes de discussion en Saskatchewan afin de demander à des personnes défavorisées et à des agents d'organismes représentant les pauvres leur opinion quant à la faisabilité d'un revenu garanti, d'un revenu de base, et cetera.

Les participants ont formulé des observations très intéressantes, notamment en ce qui concerne le coût des efforts pour s'inscrire à un programme de lutte contre la pauvreté. D'autres ont soulevé la question, et je ne fais que rappeler ce point. Il n'est pas de tout repos de déterminer son admissibilité, d'obtenir des prestations, de parler aux travailleurs, et cetera. M. Rainer a mentionné qu'il n'est pas évident de parler à des personnes assises derrière une barrière de plexi- verre, qui prennent des décisions au sujet de déficiences dont elles ne sont même pas au courant.

En Saskatchewan, les gens téléphonent souvent au centre d'appel, où les employés sont censés différencier les personnes qui sont prêtes à travailler de celles qui ne le sont pas. Les personnes qui appellent se trouvent à parler à une personne qui travaillait auparavant pour la ligne d'information de Wal-Mart.

Les personnes défavorisées passent beaucoup de temps à chercher à s'inscrire dans des programmes précis et à déterminer si elles sont admissibles à tel ou tel programme, ce qui entraîne des coûts de renonciation. Il serait plus avantageux pour elles de passer ce temps à s'occuper de leurs enfants, à changer leur vie ou à obtenir une éducation.

Il est certes important de déterminer combien il coûte pour administrer ces programmes, mais il faut aussi établir les manques à gagner pour les personnes qui sont censées en tirer avantage.

Mme Freiler : J'aimerais répondre à quelques-unes des questions posées. D'abord à la question du sénateur Keon au sujet de la Norvège. J'estime d'ailleurs que la façon de présenter la question est fascinante.

Personne n'a parlé de la prévention de la pauvreté. Si les pays scandinaves, comme la Norvège et la Suède, ont un taux de pauvreté aussi faible, c'est entre autres parce qu'ils prennent des mesures efficaces pour prévenir la pauvreté, et non pas parce qu'ils excellent à réduire la pauvreté.

Ces pays préviennent la pauvreté en allant un peu plus loin que le Canada. En particulier, ils versent des prestations pour enfants généreuses, ils ont en place des programmes de prestation qui tiennent compte de la situation des gens et ils veillent à ce que personne ne passe à travers les mailles du filet.

Comme l'ont démontré l'UNICEF et d'autres organismes internationaux au cours des dernières années, le chômage était auparavant le principal facteur de pauvreté chez les enfants et les familles. De nos jours, ce sont les bas salaires. En effet, les salaires faibles sont maintenant responsables de la pauvreté dans les pays affichant un taux de pauvreté élevé.

Un revenu garanti peut prévenir la pauvreté et en réduire l'incidence et la gravité. Il faut faire de la prévention notre objectif, sinon nous continuerons, comme par le passé, à avoir ces réunions. Tous les dix ans ou plus, nous abordons la question du revenu garanti.

En second lieu, j'aimerais vous rappeler qu'il y a vingt ans, soit en septembre 1988, le Comité d'examen de l'aide sociale de l'Ontario a rendu public son rapport.

Ce comité a explicitement rejeté l'idée d'un seul programme axé sur le revenu garanti. Il s'est attaché à un bon nombre des problèmes que nous avons mentionnés, comme le manque de respect de la dignité en ce qui a trait aux programmes d'aide sociale, les difficultés liées à l'évaluation des moyens de subsistance et la complexité des programmes. Il a proposé un modèle d'aide sociale qui n'a jamais été mis en œuvre, mais il a aussi exigé le versement de prestations pour enfants, ce que le gouvernement a fait dans une large mesure. Il a aussi recommandé la mise en place d'un programme national d'invalidité. Ce comité n'a pas eu peur de proposer une solution complexe. Il n'a pas recommandé un seul programme, car il savait que ce n'était pas une solution. Il a aussi reconnu certains des problèmes soulevés aujourd'hui.

Les récits déchirants que nous avons entendus au sujet de programmes dégradants et des barrières de plexi-verre portaient surtout sur l'aide sociale ou les prestations en cas d'invalidité. Il est irréaliste de penser qu'un seul programme de revenu garanti réglerait tous les problèmes. Il faut se pencher sur les différents cas et garder à l'esprit, comme l'ont dit M. Mendelson et d'autres, que les gens sont pauvres pour différentes raisons. Il faut s'attaquer aux causes et miser d'abord sur la prévention.

J'ai sans doute présenté mes remarques préliminaires trop tôt, comme l'a avancé Mme Goar.

J'estime toutefois qu'il faut à un moment donné chercher à déterminer comment on peut garantir un revenu convenable. C'est mon premier point. Notre société est-elle prête à garantir un revenu convenable pour empêcher les gens de sombrer dans la pauvreté au lieu d'envisager un programme unique comme solution?

Mme Goar : Merci beaucoup. Je suis consciente que certaines personnes n'ont pas encore eu la chance de présenter leurs observations. Je vous promets que nous aurons le temps de tout voir après le tour du sénateur Segal. Afin de ramener la discussion sur la Colline, je demanderais au sénateur Segal de prendre la parole. Il est actuellement le principal défenseur du revenu annuel garanti.

Le sénateur Segal : Je serai bref, parce que comme vous, j'ai beaucoup tiré des discussions. Je ne fais pas partie du présent comité, et je suis ici devant vous à titre de défenseur. J'ai bon espoir que le gouvernement saura faire le bon choix.

J'espère que le comité examinera attentivement les caractéristiques du programme, car si je me fie à ce qu'on a dit aujourd'hui, il n'est pas possible de s'entendre sur les principes sous-jacents sans en étudier les éléments. Manifestement, chaque changement a une incidence.

Je compte sur le comité pour s'appuyer sur les quelques principes mentionnés aujourd'hui.

Le premier de ces principes n'a pas été mentionné, mais il va de soi selon moi. Certes, la question est complexe, mais c'est le cas de toute entreprise valable. Il ne faut surtout pas s'empêcher de réaliser des progrès en raison de la complexité de la question comme on le fait déjà depuis 35 ans.

Les statistiques sont claires. Le pourcentage de personnes pauvres et défavorisées au sein de notre société est demeuré inchangé. Nous n'avons fait aucun progrès. Certains ont sombré dans la pauvreté, d'autres s'en sont tirés. Dans certains cas, la situation est temporaire, et dans d'autres, elle dure parfois depuis des générations. Notre société n'a pas réalisé les progrès auxquels on peut s'attendre. Le comité a raison de s'inquiéter.

Compte tenu des nombreux sujets abordés par le comité, qu'il s'agisse de la santé de la population ou des villes, personne ne risque de dire que le revenu annuel garanti ou l'impôt négatif sur le revenu, ou tout autre instrument proposé, est la solution miracle qui viendra régler tous les problèmes. Loin de là.

Certains suggèrent de partir de l'hypothèse selon laquelle il n'y a pas de pauvres. Essayons ensemble. Nous n'avons rien à perdre. Cependant, nous n'avons pas pris en considération que les personnes âgées entre 45 et 60 ans qui ont travaillé fort toute leur vie pour être frappées par la malchance ont le droit de vivre avec une certaine estime de soi. Nous n'avons pas non plus envisagé d'offrir aux personnes qui malencontreusement deviennent handicapées un revenu annuel garanti pour qu'elles n'aient pas à mendier sur le marché By.

Nous nous sommes penchés sur tout le reste, notamment en tentant de s'attaquer aux causes ou de rendre parfaite l'éducation des jeunes enfants. Je suis tout à fait d'accord avec cette proposition, mais les chiffres demeurent les mêmes, et il faut en tenir compte.

Je reprends les propos de M. Osberg, qui a déclaré qu'il ne faut pas éliminer tout le reste. Il faut nous demander ce que nous pouvons faire pour offrir un revenu additionnel convenable à tous les Canadiens pour empêcher qu'ils n'aboutissent en dessous du seuil de pauvreté.

M. Robins a indiqué que selon des données préliminaires obtenues dans les années 1970, la mise sur pied d'un programme d'INR à l'intention des Américains vivant en deçà du seuil de pauvreté aurait coûté entre 150 et 200 milliards de dollars. Si l'on divise par dix pour le Canada, on obtient 20 milliards de dollars. Le Régime d'assurance- maladie de l'Ontario, qui sert à payer le Viagra et les autres nécessités de la vie, coûte plus cher chaque mois.

Il faut se ressaisir et ne pas se laisser abattre. Il est important selon moi de se concentrer sur les personnes qui sont pauvres aujourd'hui. C'est à l'égard de ces personnes que nous avons un engagement moral.

Je ne veux pas dévaloriser les mesures prises à l'égard de l'éducation des jeunes enfants. Au contraire, je voudrais que l'on en fasse encore davantage, que l'on s'attache aussi au poids des nourrissons avant et après la naissance, ou encore à l'alimentation de base. Il faudrait sans doute aborder la question des coûts du chauffage et du pétrole.

Supposons que les pauvres aujourd'hui ont également le droit de faire des choix et qu'ils ont droit à la dignité. En abordant toute une gamme de questions causales, nous ne nous occupons pas de ces personnes. Nous ne leur offrons aucun choix en nous disant que cette situation est acceptable, parce que nous ne pensons pas être en mesure d'éliminer les obstacles, comme la paperasserie et les barrières de plexi-verre.

Au fil des ans, M. Mendelson et moi nous sommes entendus sur un grand nombre de questions, même si nous avons parfois été en désaccord. Selon moi, les Canadiens et Canadiennes accueilleront la proposition si nous faisons valoir que nous voulons aider les personnes qui, pour toutes sortes de raisons échappant à leur volonté, vivent en deçà d'un certain seuil. Le gouvernement devra faire preuve de courage et de leadership, mais je pense que c'est possible.

Il ne faut pas oublier qu'environ 25 p. 100 de la population est sans emploi. Il y a même des États américains le long de la frontière qui traitent beaucoup mieux que nous les sans-emploi. Où se retrouvent ces personnes, mis à part les banques alimentaires? Elles sont forcées de faire appel aux systèmes d'aide sociale provinciaux et municipaux, qui sont laborieux, humiliants et inefficaces. Si nous avions le programme d'assurance chômage mis en place par Bryce Mackasey, la situation serait différente. Or, ce programme remonte à il y a quinze ans, et un grand nombre de personnes passent à travers les mailles du filet.

J'espère que nous saurons à l'avenir tenir compte de la complexité de la question et que nous comprendrons l'importance des autres éléments essentiels au sein de notre système en ce qui concerne la civilité sociale et l'aspect humanitaire. Il faut reconnaître les lacunes et garder à l'esprit qu'il existe une solution abordable.

Dans le cadre de ses travaux, j'espère que le comité se penchera sur les caractéristiques du programme, les intervenants et les mesures à prendre pour faire avancer le dossier. À mon avis, les Canadiens sont plus prêts à accepter ce genre de programmes qu'il y a dix ou quinze ans.

M. Hum : Voilà qui termine bien les propos du sénateur Segal. J'aimerais simplement parler des difficultés sur le plan administratif.

J'ai remarqué que les documents transmis comportaient des biographies de tout le monde ici, précisant leur position sur le revenu annuel garanti. Or, personne ne m'a demandé ce que j'en pensais. Je vais vous le dire. J'appuie le concept, sous réserve de deux conditions. D'abord, je veux mettre sur pied le programme, ensuite, je veux que le sénateur Segal me fournisse tout l'argent dont j'ai besoin.

Je suis convaincu que la fonction publique saura régler avec brio les détails administratifs. Cependant, les politiciens risquent de se buter à une difficulté en particulier. J'ai écrit un article obscur, que seuls les membres de ma famille ont sans doute lu, dans lequel je précisais qu'au moment de la négociation de l'Accord de libre-échange nord-américain, le Canada a eu beaucoup de difficultés à évaluer l'incidence qu'aurait cet accord sur nos programmes d'aide sociale. Bien que les programmes de soins de santé et certains programmes précis soient exemptés, il n'y avait pas d'exemption générale semblable pour les programmes sociaux.

Sans m'attarder à l'exactitude des éléments économiques, je me suis interrogé au sujet de la mise en place éventuelle d'un programme de revenu annuel garanti par le Canada qui aurait pour effet à long terme de décharger les employeurs de l'obligation de satisfaire les exigences en matière de salaire minimal, à savoir si les Américains pourraient sur le plan politique contester un tel programme en invoquant qu'il s'agit d'une subvention injuste. Je ne me prononce pas sur le bien-fondé juridique de cet argument, mais les États-Unis pourraient affirmer qu'il s'agit d'un moyen détourné de subventionner le marché du travail.

L'idée n'est pas si farfelue si on comprend bien la position des États-Unis en ce qui concerne le droit de coupe. La question se pose aussi, car même si nous ne connaissons pas l'identité du prochain président américain, certains candidats ont laissé entendre qu'ils souhaitaient renégocier l'accord.

Je retrouverai ce vieil article si M. Mendelson sort le sien pour faire valoir son point de vue. Personne ne pense que les États-Unis peuvent nous créer des ennuis sur le plan administratif. Pourtant, c'est le cas.

M. Rainer : Quel plaisir de tenir cette discussion ce matin. Nous sommes heureux d'en faire partie. J'espère que le sous-comité sur les villes la poursuivra.

Le sous-comité relève du Comité des affaires sociales. Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, dont fait partie le sénateur Segal, étudie le problème de la pauvreté en milieu rural. Le Comité permanent des ressources humaines, du développement social et de la condition des personnes handicapées tient aussi des audiences sur la pauvreté et étudie la possibilité d'élaborer une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, ce qui est très encourageant. Tout cela montre que l'on commence à accorder plus d'attention en politique au problème de la pauvreté.

Or, tous ces comités ne devraient-ils pas s'asseoir et travailler ensemble? Chacun d'entre eux préparera un rapport pour présenter ses idées et des options. Il serait bon d'harmoniser les points de vue.

Le président : Je suis tout à fait d'accord. Le Sénat fait du bon travail sur le plan de l'élaboration des politiques. Je ne veux surtout pas que notre travail perdre de la valeur, car nous n'avons pas su en coordonner les différents éléments. Les délais varient. Le Comité de l'agriculture devrait présenter sous peu son rapport sur la pauvreté. Il faudra en tenir compte au moment de préparer notre rapport et le rapport sur la santé de la population. Nous devrons prendre en considération les travaux des autres comités. Je ne peux pas vous expliquer en détail les mesures que nous prendrons à cet égard, mais nous tiendrons compte de ce que les autres ont fait.

Le sénateur Segal : À ce sujet, je tiens à signaler que l'on espère présenter lundi soir au Sénat le rapport sur la pauvreté en milieu rural. Rien dans ce rapport ne limitera les activités des sénateurs Eggleton et Keon. Au contraire, le comité pourra profiter pleinement de la vaste gamme de recommandations sur les différents facteurs qui conduisent à la pauvreté dans les régions rurales canadiennes. Le rapport, sur lequel nous travaillons depuis deux ans, aborde un grand nombre de sujets, dont celui d'aujourd'hui. Le rapport sera accessible aux membres du comité et au public. Nous encouragerons les réponses du public, afin d'alimenter les débats. Le Sénat débattra de la question lorsque le président demandera l'approbation du rapport, ce qui suscitera d'autres discussions. Nous avons le vent dans les voiles. Nous ne savons pas jusqu'où nous pourrons aller, mais ce serait une erreur fondamentale d'arrêter maintenant.

Mme Pasma : Je remercie le sénateur Segal de nous ramener aux principes de base. Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous venez de nous rappeler. Il ne faut pas perdre de vue les principaux concernés. Je ne peux faire autrement que remarquer que je suis la plus jeune personne ici. Je ne peux pas parler au nom de tous les jeunes Canadiens, mais j'aimerais vous présenter mon point de vue personnel.

Un peu plus tôt aujourd'hui, nous avons parlé de l'accroissement des écarts de revenu et de l'inquiétude au sujet des inégalités toujours plus marquées au Canada. Ma génération est la première qui ne peut espérer vivre aussi bien sinon mieux que la précédente. Comme nous sommes aussi dans une situation où un emploi sur trois est précaire ou atypique, même ceux qui ont la chance de travailler ne peuvent échapper à la peur, à l'anxiété et à l'incertitude devant l'avenir. À de nombreux égards, notre génération n'a pas d'espoir et vit beaucoup de peur et d'anxiété.

Nous avons passé les 30 dernières années à apporter des modifications mineures qui n'ont rien changé du tout. Il serait peut-être temps d'accélérer le rythme en adoptant une stratégie radicale qui pourra réellement donner espoir à des millions de Canadiens, qu'ils vivent dans la pauvreté ou dans la peur que la pauvreté les guette.

M. Osberg : Il n'y a pas beaucoup d'avantages à vieillir, mais il y en a au moins un. C'est qu'on peut voir ce que deviennent les gens en fin de compte. Lorsqu'on a que 22 ou 23 ans, on en est au premier chapitre d'un livre; il en reste beaucoup à lire et on ne sait pas où ils nous mèneront. La vie de chacun est un livre différent.

Beaucoup de jeunes de 22 ou 23 ans se pensent maîtres de leur destinée, jusqu'à ce que quelque chose leur arrive. Ils se cassent le cou en sautant d'un quai. Tout à coup, leur meilleur ami pourrait se retrouver en fauteuil roulant. Ce sont des choses qui arrivent. Si nous vivons ensemble dans une collectivité, nous avons tous l'assurance de pouvoir y vivre décemment, peu importe ce qui peut nous arriver. En ce sens, la politique sociale comporte un aspect fondamental, qui consiste à nous rassurer dans un monde risqué et incertain où n'importe qui pourrait se casser le cou demain.

M. Gray : Je vais revenir sur une question posée par le sénateur Keon il y a un moment. Je ne connais pas vraiment la situation particulière de la Norvège, mis à part le fait qu'il s'agit pratiquement du pays le plus riche au monde et qu'elle compte quatre millions d'habitants. Je crois que la région du Grand Toronto compte plus d'habitants que la Norvège. Je ne connais pas vraiment ses institutions de protection sociale ni son réseau d'assurance sociale, mais je serais surpris que la structure des salaires permette à un travailleur norvégien non qualifié de gagner suffisamment d'argent pour faire vivre une famille de quatre personnes. Je ne crois pas qu'un seul pays au monde offre un salaire d'environ 35 $ canadiens l'heure à un travailleur peu instruit qui ne possède aucunes qualifications. Je ne suis toutefois pas certain de ces faits.

M. Mendelson : Je serai bref, car je sais que j'ai déjà beaucoup parlé. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre l'a remarqué, mais le sénateur Segal, dans son discours passionné, que j'ai beaucoup apprécié, a dit à mi-voix qu'il était sûr que les Canadiens seraient en faveur d'un programme qui garantirait un revenu aux gens qui, sans en être responsables... avez- vous tous remarqué cette phrase? Je ne sais pas si le sénateur Segal l'a lui-même remarquée. C'est une phrase critique. Son assurance et sa passion sont fantastiques, mais l'ajout de cette phrase comme restriction catégorique à un revenu garanti est contraire au type de programme inconditionnel qu'ont présenté M. Rainer et M. Mulvale. Il y a ici une différence qui doit être prise en considération et abordée ouvertement. C'est ce que je fais.

Cela dit, je voudrais seulement expliquer que ni moi ni l'organisme pour lequel je travaille n'avons pris position à ce sujet. Il ne s'agit pas d'une secte. Nous avons tous des avis différents. Je crois que nous devrions nous occuper de la pauvreté de manière à ce qu'elle ne touche aucun Canadien. Ce serait l'idéal. La question est de savoir comment y arriver. Quel genre de programme faut-il concevoir? Comment en arriver non seulement à l'élimination de la pauvreté, mais aussi, de manière tout aussi importante, à la participation à la société? Comment parvient-on à une société où les gens se sentent bien dans leur peau et aiment ce qu'ils font? C'est ce genre de questions que j'espère étudier.

Nous avons conçu un programme pratique et réalisable pour offrir un revenu de base aux personnes souffrant d'incapacité grave. Ce programme national permettrait à environ 500 000 Canadiens pratiquement tous pauvres de se sortir de cette condition. Mme Freiler m'a rappelé qu'il faisait partie des recommandations de la SARC (Saskatchewan Association of Rehabilitation Centres). Je recommande vivement à ce comité de se pencher sur ce que nous pouvons faire dans la pratique. Nous avons un programme pratique qui peut être mis en œuvre à l'aide des structures administratives actuelles du RPC ou du RRQ. Nous pouvons viser des objectifs idéalistes, cela me convient entièrement, mais nous devrions aussi chercher des solutions réalistes.

Le sénateur Segal : Monsieur Mendelson, je ne crois pas que les pauvres soient coupables de quoi que ce soit. Nous avons peut-être des opinions différentes à ce sujet. Je ne crois pas que notre système actuel d'aide sociale, dans lequel les agents de Sa Majesté font enquête sur la vie des gens, déterminent s'ils sont motivés, s'ils pourraient travailler, s'ils travaillent, s'ils devraient travailler, s'ils aiment travailler et si leur conjointe reste à la maison, reflète les valeurs que vous et moi avons en commun. La question est de savoir comment aller au-delà de ce système.

Le sénateur Munson : J'ai une petite observation sur la question de l'incapacité. Notre comité a publié un rapport sur l'autisme. Nous avions demandé l'élaboration d'une stratégie nationale. Nous avons entendu des témoins qui travaillaient sur le terrain dans chacun des domaines pertinents. En fin de compte, nous avons recommandé un leadership national et une stratégie nationale. Je crois que l'autisme n'a pas de frontière. Nous observons cette question dans un microscope, à l'échelle provinciale. On dirait que nous avons des œillères. Nous ne semblons pas porter attention à ce que les gens qui travaillent auprès de ces groupes, les personnes handicapées ou tout autre groupe, nous disent à la fin. Nous sommes au Canada. Il ne s'agit pas d'une déclaration politique, mais la résolution de ces problèmes relève d'un leadership national. Nous pouvons apprendre les uns des autres.

Je trouve plutôt alarmant que nous écoutions des témoignages, que nous y répondions, que nous les approfondissions, mais que nous ne prenions pas davantage de mesures à leur égard. Je tiens à le souligner, car nous vivons tous isolés dans notre propre province. Il s'agit d'apprendre les uns des autres. Nous parlons de la riche Alberta et de ses programmes en matière de revenu, que ce soit pour les personnes handicapées ou d'autres personnes. Nous nous tournons ensuite vers les autres provinces et voyons les habitants qui en réclament davantage à grands cris. C'est pareil pour le revenu annuel garanti. Nous y avons accordé notre attention ce vendredi matin et j'ai vraiment beaucoup appris. J'aimerais toutefois que nous le fassions plus souvent. Les provinces devraient elles aussi être représentées à cette table pour que nous puissions entendre ce qu'elles ont à dire. Nous pourrions ainsi connaître le point de vue du Québec, qui possède un immense programme social dans ce domaine. Je ne crois pas que nous soyons assez à l'écoute les uns des autres.

Mme Goar : Merci beaucoup. Je voudrais remercier tous les participants. Vous avez ouvert nos esprits et nos cœurs. Ce comité sénatorial n'aura pas la tâche facile.

Sur ce, je redonne la parole au président.

Le président : Merci beaucoup, madame Goar. Merci d'avoir présidé la table ronde d'aujourd'hui. Tout le monde a eu la chance de donner son avis sur le sujet. Je vous suis reconnaissant de toute l'information que vous nous avez apportée et des idées concernant la voie à suivre. Nous l'ajouterons à ce que nous avons et nous en servirons pour nous guider dans la poursuite de notre objectif, soit la recommandation d'une voie à suivre pour le gouvernement du Canada et les autres gouvernements de ce pays, dont peut-être même les administrations municipales.

Je suis ouvert à l'idée d'un revenu annuel garanti, particulièrement parce qu'il est possible de le mettre en œuvre à l'aide d'un impôt négatif sur le revenu. Je suis heureux de voir la motivation, les bonnes intentions et les principes fondamentaux sur lesquels reposent les efforts qu'a déployés le sénateur Segal à l'égard de cette mesure en inscrivant sa motion au Feuilleton du Sénat.

Je ne suis pas convaincu qu'il existe une solution simple, unique, un programme de sécurité du revenu exceptionnel, une réforme de fond en comble ou une panacée qui puisse réduire et prévenir toute pauvreté. Néanmoins, de nombreux éléments méritent d'être étudiés davantage.

Pour compléter la déclaration du sénateur Munson, je crois qu'il faut élaborer une stratégie nationale de réduction de la pauvreté — une stratégie de prévention de la pauvreté en fait — et qu'il faut travailler avec les divers ordres de gouvernement pour y parvenir.

En ce qui a trait au Caledon Institute, j'ai aimé une de ses idées. Si nous n'avons pas de réforme de fond en comble ou de panacée pour régler la situation, l'organisme prône une démarche appelée « gradualisme incessant », soit le changement graduel à défendre avec véhémence. C'est le moins que nous puissions faire à défaut de trouver une solution simple, unique.

Je voudrais aussi revenir sur une autre idée. Mme White a dit : « Il ne faut pas créer un seuil qui se transformera en plafond. » Nous devons être prudents lorsque nous examinons la pauvreté et prendre en considération tous les aspects qui méritent de l'attention, par exemple le logement, l'itinérance, l'apprentissage chez les jeunes enfants et leur garde, la santé ainsi que tant d'autres aspects qui entrent en ligne de compte. Je suis ouvert à ce discours et ce comité prendra en considération ce que vous lui avez dit pour l'aider à prendre sa décision.

Sur ce, la table ronde sur le revenu annuel garanti est officiellement terminée. Merci beaucoup.

La séance est levée.


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