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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 2 - Témoignages du 3 décembre 2007


OTTAWA, le lundi 3 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 15 h 35 pour examiner la politique de sécurité nationale du Canada et faire rapport à ce sujet.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Colin Kenny et je suis président du comité. Je vais vous présenter les membres du comité. Le sénateur Rod Zimmer, de Winnipeg, a eu une longue carrière en affaires et en philanthropie, marquée par de nombreuses distinctions. Il a été extrêmement actif au sein de sa collectivité, travaillant bénévolement pour un grand nombre de services et d'œuvres de charité.

Le sénateur Nancy Ruth, de Cluny, en Ontario, est une militante féministe qui a joué un rôle capital dans son domaine en cofondant des organismes travaillant à l'évolution de la situation sociale et juridique des femmes au Canada. Sénateur depuis mars 2005, elle siège au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration ainsi qu'au Comité sénatorial permanent des finances nationales. Elle est également membre du Sous- comité des anciens combattants.

Le sénateur Moore représente la division sénatoriale de Stanhope, en Nouvelle-Écosse, depuis son arrivée au Sénat en septembre 1996. Il a été actif dans les affaires municipales à Halifax et à Dartmouth, et a siégé au conseil d'administration de l'Université St. Mary, dont il détient un doctorat honorifique en droit. C'est un ancien membre de l'escadron de réserve de l'Aviation royale canadienne. Aujourd'hui, il siège au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi qu'au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation.

Le sénateur Tommy Banks, originaire de l'Alberta, a été nommé au Sénat en avril 2000 à la suite d'une carrière de 50 ans dans l'industrie du spectacle. En ce moment, il préside le Comité permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles et fait partie du Sous-comité des anciens combattants.

Le sénateur Michael Meighen, qui a été nommé au Sénat en 1990, est avocat membre des barreaux de l'Ontario et du Québec. Il est chancelier de l'université de King's College et a déjà été président du festival de Stratford. En ce moment, il est président du Sous-comité des anciens combattants et membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

Le sénateur Joseph Day, du Nouveau-Brunswick, a eu une carrière fructueuse à titre d'avocat dans le secteur privé. Il siège au Sénat depuis octobre 2001. En ce moment, il est président du Comité sénatorial permanent des finances nationales et vice-président du Sous-comité des anciens combattants. Il a déjà été président et directeur général de la New Brunswick Forest Products Association.

Le sénateur Grant Mitchell, d'Edmonton, est tenu depuis longtemps pour une figure de proue du monde politique, du milieu communautaire et du secteur des affaires en Alberta. Il a siégé à l'assemblée législative de l'Alberta, représentant la circonscription d'Edmonton-McClung de 1996 à 1998. Il a été nommé au Sénat en mars 2005. Le sénateur Mitchell siège aussi au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles ainsi qu'au Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Chers collègues, nous accueillons aujourd'hui le Senlis Council, groupe de réflexion sur le développement et la sécurité dans le monde. Fondé en 2002, le groupe compte des bureaux à Bruxelles, Paris, Londres, Ottawa et Kaboul ainsi que des antennes dans les villes afghanes de Lashkar Gah et Kandahar. L'organisme propose des analyses et des recommandations à propos des liens qui existent entre politique étrangère, politique de sécurité, politique de développement et politique de lutte antidrogue.

Nous accueillons MmeNorine MacDonald, présidente, fondatrice et chercheure en chef sur le terrain. Depuis 2004, MmeMacDonald dirige en Afghanistan un important programme global de sécurité et de développement. L'expérience internationale de MmeMacDonald en droit, en recherche, en politique gouvernementale, en défense des intérêts et en philanthropie permet à l'organisme de mieux saisir les synergies qui existent entre le développement, la sécurité, la santé publique et la politique de lutte antidrogue.

Elle est accompagnée de M.Almas Bawar Zakhilwal. Depuis qu'il s'est joint au Senlis Council, M.Zakhilwal a présenté sur de nombreuses tribunes des communications scientifiques sur la sécurité, le développement et la lutte antidrogue en Afghanistan. Membre fondateur de Senlis Afghanistan, il avait entrepris d'importantes recherches sur le terrain dans les provinces méridionales de Helmand et de Kandahar avant d'être nommé directeur pour le Canada du Senlis Council en 2007.

Bienvenue à Ottawa. Il paraît que le vol que vous avez pris depuis Paris a été long. Nous sommes très heureux de vous accueillir. Il semble que vous avez une déclaration préliminaire à présenter.

Norine MacDonald, présidente et fondatrice, chercheuse en chef sur le terrain, The Senlis Council: Merci beaucoup de nous accueillir aujourd'hui. Comme on l'a dit, je suis chercheure en chef sur le terrain pour Senlis Afghanistan. Je vis et je travaille dans le sud de l'Afghanistan depuis trois ans. Même s'il est afghan, mon collègue, M.Zakhilwal, est notre directeur pour le Canada, ce qui est un peu un renversement des rôles.

Nous avons remis aujourd'hui un dossier qui renferme des renseignements de base sur la situation et un exemplaire de notre dernière mise à jour sur la sécurité à Kandahar. Je crois comprendre que vous étudiez particulièrement le problème de la sécurité à Kandahar; les courtes observations que je vais formuler s'articuleront autour de cette question. Je peux répondre à d'autres questions portant sur l'Afghanistan dans son ensemble aussi, si cela intéresse le comité.

Nous croyons à l'application de la théorie classique de la lutte contre les insurrections de sorte que nos observations au sujet des questions liées à la défense en Afghanistan se rapportent aux politiques en matière d'aide au développement et de lutte antidrogue. Ce qui nous intéresse particulièrement chez Senlis Afghanistan, c'est de faire des recherches sur le terrain. Comme je l'ai dit, je vis et je travaille dans le sud de l'Afghanistan, et nos rapports reposent sur des entrevues réalisées auprès d'Afghans ordinaires dans les camps et les villages, dans la ville de Kandahar et les secteurs avoisinante, surtout là où il s'agit en particulier de la province de Kandahar.

Nous avons inclus dans le dossier des entrevues filmées en vidéo, des entrevues réalisées auprès d'Afghans locaux qui parlent des problèmes en question; je vous les recommande. Si le comité est intéressé, nous avons d'autres interviews vidéo d'habitants de Kandahar et autres Afghans locaux, que nous pourrons faire parvenir au comité.

Vous trouverez dans le dossier trois cartes laminées auxquelles je vais me reporter pour décrire ce qui se passe depuis quelques mois en matière de sécurité dans la province de Kandahar.

Les conclusions que nous tirons dans notre rapport sont que les insurgés talibans contrôlent maintenant d'importantes étendues de territoire incontesté dans le Sud, y compris des zones rurales, des zones frontalières, certains centres de district et d'importantes artères routières. Ils règnent de fait sur des parts importantes du territoire dans le Sud et ils commencent à contrôler des éléments de l'économie locale et de l'infrastructure de base comme les routes et l'approvisionnement en énergie. Les talibans exercent également sur les gens une emprise psychologique notable; de plus en plus, ils acquièrent une légitimité politique aux yeux des Afghans.

La conclusion troublante est la suivante: malgré l'injection d'importantes sommes de capitaux internationaux dans le pays et les efforts militaires importants qui y sont déployés, dont ceux de nos troupes à nous, et la volonté universelle de mener le projet à terme, l'État menace encore une fois de se fractionner, le Sud tombant entre les mains des talibans.

Sur la carte que vous avez devant les yeux, on voit la ville de Kandahar et, plus à l'ouest, un drapeau canadien devant la base d'opérations avancée Wilson. La route est en rouge. Autour de Kandahar, les districts du Sud — Reg, Shorabak, Daman, Panjwai — ont tous une importante présence talibane, tout comme Maywand. Khakrez est sous contrôle taliban depuis septembre. Le district de Zhari a connu des combats même au cours des dernières semaines. Le district d'Arghandab était le lieu d'une bataille au moment où nous effectuions nos recherches. Spin Boldak est le seul district dont nous pourrons dire qu'il est relativement libre de toute présence talibane.

Si vous souhaitiez vous rendre par la route dans le sud de l'Afghanistan, disons que le chemin de Kaboul à Kandahar, que nous empruntions librement jadis — il faut compter environ sept heures en voiture — ne connaît presque plus de convois de réapprovisionnement ou de circulation internationaux. Les gens s'arrêtent à Ghazni, à une heure et demie ou deux heures au sud de Kaboul. Un emplacement des talibans a été bombardé à Ghazni au cours des deux dernières semaines

La route qui mène de Kandahar à Herat et à Lashkar Gah est maintenant déserte. Aucun convoi international n'y circule. Les villages et les boutiques dans cette zone sont fermés. Il n'y a pas d'enfants qui y jouent; des embuscades y sont tendues régulièrement.

Les talibans contrôlent maintenant un grand nombre de ces districts. Dans la province de Helmand, ils en contrôlent quatre sur 13. Sur le terrain, on nous dit que les familles envoient un fils chez les talibans et un autre dans l'armée afghane.

Il y a des stations de radio talibanes et, cela m'attriste de le dire, des passeports talibans qui circulent. Je fais circuler moi-même un document qui a été repéré à Arghandab; vous en trouverez la traduction dans le rapport. Nous croyons qu'il a été imprimé au Pakistan. Il permet aux talibans d'imprimer leurs propres passeports, pour la circulation dans le sud de l'Afghanistan.

Comme nous évoluons sur le terrain, nous connaissons très bien la situation. L'armée canadienne fait un travail remarquable dans des circonstances de plus en plus difficiles. Cependant, étant donné le nombre insuffisant de troupes de l'OTAN au total — de l'OTAN, pas du Canada — sur le terrain, nous n'arrivons pas à prendre et à conserver le territoire dans le sud de l'Afghanistan. La Force internationale d'assistance à la sécurité de l'OTAN, la FIAS, doit revenir combattre dans des zones d'où les talibans avaient auparavant été expulsés. Maintenant, elles font face à un ennemi qui peut se regrouper sans cesse depuis le Pakistan et qui profite d'un flux presque illimité de recrues éventuelles.

Dans notre dernier rapport, nous avons affirmé qu'il faut une initiative dite OTAN «plus». Je peux vous donner de plus amples précisions là-dessus durant la période de questions. Nous recommandons que l'on double le nombre de soldats prêtés par les pays dont la contribution n'est pas à la hauteur et que soit éliminée toute limite touchant les mouvements des troupes. En particulier, nous recommandons une incursion au Pakistan, aux côtés de l'armée pakistanaise, pour faire face aux bases des talibans et d'al-Qaïda.

À notre avis, la réaction inadéquate de plusieurs pays membres de l'OTAN à la montée de la résistance talibane revient à abandonner le gouvernement Karzai et le sud de l'Afghanistan.

Étant donné le manque de soldats sur le terrain et l'incapacité de conserver l'emprise sur les zones d'où les talibans avaient auparavant été expulsés, l'alliance doit s'en remettre à des opérations cinétiques ou à des frappes aériennes, c'est-à-dire au bombardement de villages dans le sud de l'Afghanistan qui, je suis sûre que vous en avez entendu parler, ont fait augmenter le nombre de pertes civiles dans le sud de l'Afghanistan. C'est une crise humanitaire, mais c'est aussi une bataille perdue dans la campagne livrée pour conquérir le cœur et l'esprit des Afghans. De même, cela facilite le recrutement des talibans.

Nous croyons qu'il faut accroître le nombre de soldats pour prendre et conserver tout le sud de l'Afghanistan, en guise d'appui au gouvernement Karzai, et aussi pour qu'il ne soit plus nécessaire de mener des campagnes de bombardement et, de ce fait, d'entraîner des pertes chez les civils.

Dans la section sur le développement, qui, je crois, s'inscrit dans une stratégie avisée de lutte contre l'insurrection, nous n'avons constaté aucun signe d'aide ou de développement digne de ce nom dans le sud de l'Afghanistan. Il y a d'ailleurs là une crise qui s'étend: la famine. Nous avons demandé au gouvernement de mettre sur pied des agences d'aide armées, pour que l'aide humanitaire puisse être livrée par nos soldats et par ceux des Britanniques et des Néerlandais dans le Sud, et pour que l'armée prenne en charge le budget d'aide dans le sud de l'Afghanistan. Nous croyons que le financement de l'aide humanitaire et du développement devrait être aussi important que le financement des opérations militaires.

Enfin, vous trouverez dans le dossier un exposé sur la lutte antidrogue. Nous croyons que la politique antidrogue est extrêmement importante pour le combat mené dans le sud de l'Afghanistan. Comme vous le savez peut-être, le sud de l'Afghanistan produit désormais 95p.100 de l'héroïne dans le monde, et c'est ce qui finance les talibans et al-Qaïda. Nous proposons que les cultivateurs de pavot afghans puissent produire la plante pour la fabrication de morphine utilisée à des fins médicales, dont il y a pénurie mondialement. Nous avons posé la question aux Canadiens, et huit répondants sur dix se sont dits en faveur d'une telle mesure. En octobre, le Parlement européen a avalisé le projet de production de pavot à des fins médicales par une majorité écrasante.

Je vais terminer en vous montrant deux cartes. Sur celle-ci, nous faisons voir la fréquence de l'activité des insurgés talibans depuis le début de 2007. Nous indiquons les zones où il semble y avoir une présence talibane permanente, là où les insurgés mènent des attaques régulières et où l'OTAN combat les insurgés. Après avoir établi le diagramme, nous avons déterminé le pourcentage du territoire afghan que cela représente. Nous avons conclu que 54p.100 de l'Afghanistan connaît une présence talibane permanente, et 38p.100, une présence notable.

Depuis que nous avons fait ce calcul, il y a eu des bombardements dans le Nord. Les talibans ne peuvent revendiquer les bombardements en question, mais, cela ne fait aucun doute, l'instabilité gagne la partie nord du pays. Comme je l'ai dit, un repaire taliban a fait l'objet de raids aériens à Ghazni la semaine dernière, à une heure et demie au sud de Kaboul.

La dernière carte illustre les impressions des Afghans au sujet du contrôle exercé par les talibans. Nous avons demandé aux villageois, aux chefs de police et aux dirigeants locaux de délimiter ce qu'ils perçoivent comme étant les zones sous contrôle taliban et les zones sous contrôle du gouvernement Karzai et de l'OTAN. Nous avons comparé toutes les cartes ainsi établies et mis au point un diagramme qui laisse voir les impressions des Afghans eux-mêmes concernant l'emprise des talibans. Le rose indique les zones sous contrôle taliban, et le vert, les zones sous le contrôle du gouvernement et de l'OTAN. Je crois que nous pouvons tous dire que c'est troublant. Ce graphique montre avec exactitude les impressions des Afghans eux-mêmes à propos du contrôle des talibans.

J'ai un dernier document à faire circuler. Je suis sûre que vous avez beaucoup entendu parler des attentats-suicides perpétrés dans le Sud. Les insurgés ont commencé à mettre des roulements à bille dans la veste des kamikazes. Ceux que j'ai ici proviennent d'un quartier... C'est ce qui a atterri dans la Chambre d'un Afghan. De plus en plus, les vestes sont pleines de petits projectiles comme ceux-là, de sorte que les bombardements sont encore plus mortels. Je rapporte cela de Lashkar Gah, dans la province de Helmand.

J'ai fait cela à la vitesse de l'éclair, monsieur le président. J'ai couvert les points principaux de notre rapport, pour bien susciter, je l'espère du moins, les questions.

Le président: Vous avez bien fait cela, et nous vous sommes gré d'avoir présenté un exposé concis. Chers collègues, nous disposons de 40 minutes.

Le sénateur Day: Ces cartes-là sont utiles. Vous ne brossez pas un tableau encourageant de la situation, vu l'investissement que le Canada a fait à Kandahar par l'entremise de l'OTAN, au nom des Nations Unies. Je crois qu'on a fait l'annonce vendredi: l'armée en est rendue à 3,1 milliard de dollars. Pouvez-vous estimer la part qui a été consacrée au développement?

MmeMacDonald: Dans nos derniers rapports, nous avons étudié cette question. Nous croyons que l'investissement militaire est dix fois plus élevé environ que l'investissement en aide et en développement, raison pour laquelle nous avons déclaré que le budget d'aide et de développement devrait être l'égal du budget militaire. Nous ne disons pas qu'il faut réduire les dépenses militaires; nous disons simplement d'augmenter les dépenses en aide et en développement.

Le sénateur Day: J'ai entendu cela. Je comprends bien ce que vous dites.

Le Senlis Council reçoit-il des fonds gouvernementaux? Êtes-vous entièrement financés par des fondations?

MmeMacDonald: Nous sommes financés par le Network of European Foundations. Nous ne recevons pas d'argent des États.

Le sénateur Day: Soumissionnez-vous en vue d'obtenir des contrats gouvernementaux, vous ou un de vos organismes affiliés?

MmeMacDonald: Non, nous ne le faisons pas.

Le sénateur Day: Combien d'employés comptez-vous en Afghanistan?

MmeMacDonald: Au moment où nous y étions tous, une cinquantaine. Nous avons réalisé une enquête auprès de 17000 hommes afghans; à ce moment-là, nous avons engagé d'autres travailleurs comme sous-traitants. Nous étions peut-être une centaine à ce moment-là. Il y a quatre non-Afghans dans tout le groupe — moi-même et trois hommes; c'est donc principalement une organisation afghane.

Le sénateur Day: Vous dites avoir passé les trois dernières années dans le sud de l'Afghanistan; c'est bien cela?

MmeMacDonald: En janvier, cela fera trois ans que j'ai mis les pieds pour la première fois en Afghanistan. J'ai passé la majeure partie de mon temps dans le sud de l'Afghanistan au cours des deux dernières années.

Le sénateur Day: Êtes-vous en mesure de circuler librement, sinon êtes-vous protégée par les Forces armées canadiennes et contrainte de demeurer avec elles dans une zone ainsi protégée?

MmeMacDonald: Non. J'ai visité la base deux fois et les installations de l'EPR, l'Équipe provinciale de reconstruction, une fois. Je travaille aux côtés de mes collègues afghans; nous voyageons à la manière de civils afghans.

Le sénateur Day: Nous aimerions nous concentrer sur le sud de l'Afghanistan: c'est là que se trouve l'opération canadienne. Évidemment, il est entendu que le gouvernement a son siège à Kaboul. Quand je vais vous interroger à propos de la stabilité du gouvernement, vous allez devoir inclure les directives qui proviennent de Kaboul.

Pouvez-vous nous dire quelles sont les principales épreuves que le gouvernement doit surmonter en ce moment pour s'établir en tant que gouvernement directif fonctionnel?

MmeMacDonald: Il y a trois choses qui se passent en même temps. Le gouvernement Karzai risque de tomber si nous n'augmentons pas sensiblement le nombre de soldats sur le terrain dans le Sud. Ça, c'est d'un point de vue militaire.

Le gouvernement Karzai risque de tomber si nous ne réalisons pas nos projets d'aide et de développement au profit des gens dans le sud de l'Afghanistan, qui font face à une famine. Nous avons vu des personnes âgées et des bébés qui mouraient de faim, aux côtés de nombreux jeunes hommes sans travail.

Enfin, la politique antidrogue menée sous l'impulsion des Américains dans le sud de l'Afghanistan, qui se caractérise surtout jusqu'à maintenant par l'éradication de la culture du pavot chez les agriculteurs les plus pauvres, a fait que les gens des milieux ruraux se sont tournés contre la communauté internationale. Ils ne peuvent faire la distinction entre nous et le gouvernement Karzai. L'éradication forcée de la culture du pavot doit cesser, et les agriculteurs doivent se voir offrir un autre gagne-pain, par exemple la culture du pavot à des fins médicales comme je l'ai mentionné.

Le sénateur Day: Avez-vous dit que le gouvernement Karzai n'a pas accepté l'éradication en tant que politique officielle du gouvernement?

MmeMacDonald: Le gouvernement n'avait d'autre choix que d'accepter l'éradication forcée de la culture du pavot. Il s'agit d'une politique américaine, financée par les États-Unis d'Amérique. Jusqu'à maintenant, le gouvernement afghan a résisté à l'idée d'un recours à des produits chimiques, mais les Américains aimeraient épandre des produits chimiques.

Le sénateur Day: J'aimerais mieux saisir encore le gouvernement Karzai. Selon vous, il nous faudrait envoyer plus d'aide en Afghanistan. Nous avons entendu dire que, étant donné la corruption qui existe, l'argent qu'on envoie a Kaboul — j'ai oublié le nom du ministère — se perd; il n'y a rien qui se rend jusqu'au gouverneur des divers provinces ou des divers États, là où l'argent devrait aboutir. Pourriez-vous analyser le commentaire qui est fait à cet égard? Comment cette filière financière se compare-t-elle à celle des militaires dans le secteur qui, s'ils avaient davantage de fonds, pourraient investir dans des projets dont les collectivités ont besoin et qui feraient que le public verrait un lien direct entre le projet et leur vie?

MmeMacDonald: Une des raisons pour lesquelles nous avons recommandé que ce soit l'armée qui livre les produits de l'aide — et en particulier, la nourriture — à court terme, c'est pour appliquer une stratégie de lutte contre l'insurrection tout en assurant la livraison. Je ne mettrai pas la question de la corruption sur le dos des Afghans. Ils vivent une situation tout à fait désespérée. C'est une situation extrêmement instable.

Nous devons assumer la responsabilité de la gestion de nos projets d'aide et de développement, nous assurer que les choses se rendent là où elles doivent se rendre. Cela m'inquiète toujours d'entendre que c'est le peuple afghan ou le gouvernement Karzai qui est responsable de l'absence de développement et d'aide. Prenons nous-mêmes la responsabilité de livrer les choses correctement.

Le sénateur Day: N'avez-vous pas affirmé que nous devons envoyer de l'aide au gouvernement Karzai pour qu'il ne tombe pas? N'est-ce pas ce que vous disiez justement — que le gouvernement va tomber s'il ne reçoit pas d'autres fonds de développement?

MmeMacDonald: À court terme, nous devons nous assurer que l'aide arrive à bon port. Nous proposons qu'elle soit livrée, dans le cas de Kandahar, par notre armée à nous.

Il y a des problèmes de corruption, mais cela tient en partie au fait que nous ne gérons pas correctement la distribution de l'aide, ce qui comprend les projets de développement. Bien entendu, il est vrai que certains Afghans sont corrompus, mais nous devons assumer la responsabilité d'y faire face. Mon souci, c'est qu'on dise que les Afghans créent leurs propres problèmes. Si nous arrivions à mieux distribuer l'aide et à mieux réaliser les projets de développement, nous pourrions éviter cela.

Dans le sud de l'Afghanistan, la nourriture est comme l'argent. Il ne nous viendrait pas à l'idée d'envoyer un camion plein d'argent à quelqu'un au Canada sans prendre les mesures de sécurité qui s'imposent; nous ne devrions pas le faire en Afghanistan non plus.

Le sénateur Day: Comment le gouvernement Karzai est-il perçu par la majorité des Afghans dans le Sud? Karzai est-il considéré comme la marionnette des Nations Unies, de l'OTAN, des Américains, ou encore est-il considéré comme une personne qui se trouve légitimement à la tête du gouvernement afghan?

MmeMacDonald: Les réponses viennent en deux catégories. Les gens qui sont extrêmement pauvres — les villageois qui se demandent comment ils vont nourrir leur famille — vivent tout à fait en retrait du gouvernement. Ce n'est pas une question pour eux; ils se demandent simplement comment ils vont faire pour nourrir leur famille. Ils ne se soucient pas de savoir qui forme le gouvernement.

Aux yeux de ceux qui ont une vision plus complexe des choses, les talibans et al-Qaïda profitent des points que vous avez mentionnés pour miner la légitimité de Karzai. Ce dernier a besoin de plus de temps pour établir une démocratie fonctionnelle en bonne et due forme et pour nouer la relation qu'il faut avec le peuple afghan. En ce moment, le temps lui manque. Les Afghans commencent à peine à apprendre ce qu'est une démocratie. Ils ont besoin de temps pour comprendre les idées que cela suppose et pour voir en quoi cela pourrait leur être utile concrètement.

Le sénateur Day: En mettant de côté al-Qaïda et l'objectif international des terroristes, les talibans cherchent-ils seulement à former un gouvernement légitime du peuple en Afghanistan? Est-ce que nous leur imposons un gouvernement dont ils ne veulent pas?

MmeMacDonald: Les gens qui appuient les talibans?

Le sénateur Day: Eh bien, vous nous dites que les talibans contrôlent de plus en plus de territoires et qu'ils gagnent du terrain dans le Nord. Est-ce que nous assistons simplement à une reprise de l'expérience vécue là-bas par les Britanniques il y a 100 ans et par les Russes il y a 20 ans?

MmeMacDonald: Je ferais la distinction entre le contrôle des talibans et le soutien des talibans. Je ne vois pas d'appui largement répandu à l'idéologie des talibans. Les talibans acquièrent le contrôle de diverses zones en manipulant les gens de manière futée, en véhiculant leur propagande et en terrorisant les habitants locaux. Quiconque est pris à coopérer avec les forces internationales se fait couper la tête ou est pendu d'une manière horrible. Cela produit un effet très dissuasif sur la population locale.

Le sénateur Day: C'est une bonne technique dissuasive.

MmeMacDonald: Parmi les gens ordinaires, personne ne souhaite voir le retour des talibans. Dans les hautes sphères, là où il y a des liens avec les préceptes d'al-Qaïda, ce n'est pas la même réponse qu'il faudrait donner selon moi.

Le sénateur Day: Êtes-vous convaincue que l'administration Karzai est plus juste, qu'elle sera plus juste?

MmeMacDonald: Oui, certainement.

Le sénateur Day: Vaut-il la peine de la soutenir?

MmeMacDonald: Certainement.

Le sénateur Meighen: Dites-vous qu'en adoptant un meilleur système de distribution de l'aide, surtout en le confiant à l'armée, ce qui permettra de conquérir l'esprit et le cœur des Afghans, nous allons pouvoir alors remporter la bataille au sens militaire, alors que, aujourd'hui, nous ne remportons une bataille qu'à l'occasion? C'est bien cela? Ai-je trop simplifié?

MmeMacDonald: Non, vous venez d'énoncer la théorie classique de lutte contre l'insurrection.

Le sénateur Meighen: Est-ce que vous y adhérez?

MmeMacDonald: Oui. Les guerres ne se gagnent pas uniquement par des moyens militaires; il faut conquérir l'esprit et le cœur des gens aussi.

Le sénateur Meighen: Vous avez sûrement lu le rapport que nous avons produit après être allés en Afghanistan. Nous avons affirmé la même chose. Le sénateur Day a parlé de ce que nous entendons dire au sujet de la corruption dans la police nationale afghane, en particulier, dans les hautes sphères du gouvernement et dans certaines administrations provinciales. De ce fait, nous avons déterminé, comme vous l'avez fait vous aussi, je crois, qu'il faut distribuer l'aide plus directement en recourant à l'armée canadienne. Si modeste qu'il ait pu être, le budget d'aide a été doublé. Que ce soit l'effet de notre rapport ou non, je ne saurais vous le dire.

MmeMacDonald: J'ai vu moi-même les résultats sur le terrain.

Le sénateur Meighen: Votre organisme n'a pas de vocation militaire. Est-il juste de la part de Senlis de proposer, comme vous le faites, de doubler le nombre de soldats que nous avons déployés là-bas ou d'en augmenter sensiblement le nombre? Pourrait-on dire: «Que savez-vous donc des tactiques et des procédures militaires? Ne devriez-vous pas vous en tenir à vos propres affaires?»

MmeMacDonald: Dans le rapport en question, nous avons fait appel à Paul Burton, qui est à la tête de notre bureau de Londres et qui était directeur du service de renseignement de Jane's concernant l'Asie centrale. Chez Senlis Afghanistan, nous comptons parmi nos employés trois hommes qui ont combattu dans l'Alliance du Nord contre les talibans. Le rapport se fonde également sur des entrevues réalisées auprès de chefs de police et de commandants militaires locaux qui ont participé à plusieurs batailles. Enfin, nous avons consulté en privé plusieurs commandants de l'OTAN qui ont déjà été chargés d'opérations en Afghanistan; nous avons sollicité leur réaction à notre proposition qui consiste à doubler le nombre de soldats. Avant de publier les rapports dont il est question, nous estimions avoir sondé tant les militaires afghans que les autres.

Le sénateur Meighen: Dans votre rapport, vous avez conçu une formule pour établir le nombre de soldats appropriés.

MmeMacDonald: Oui.

Le sénateur Meighen: Cela représente 2,3 soldats par tranche de un milliard de dollars du PIB du pays. Le résultat du Canada est légèrement inférieur à cela. Les Pays-Bas ont atteint l'objectif, les Américains devraient envoyer 15000 autres soldats, ce qui ne se fera pas à moins qu'ils quittent l'Irak. Vous allez peut-être vouloir réagir à cela. Comment a- t-on établi la formule en question?

MmeMacDonald: Nous avons examiné plusieurs formules. Elles ont toutes quelque chose d'intéressant. Nous avons cru que cette formule permet d'avoir une certaine équité d'un pays membre de l'OTAN à l'autre. Tous les pays membres de l'OTAN ont choisi d'envoyer des troupes en Afghanistan, mais tous n'ont pas déployé des troupes sur le terrain dans le sud du pays. Il n'est pas utile de dire: nous devrions appuyer le gouvernement Karzai — mais en ne déployant des soldats qui s'activent seulement le jour, dans le nord de l'Afghanistan.

Le sénateur Meighen: Pourquoi ne sommes-nous pas parvenus à convaincre un plus grand nombre de nos alliés dans l'OTAN à participer aux opérations dans le Sud?

MmeMacDonald: Pour ce qui est des Américains, l'augmentation réelle du pourcentage de soldats qui est proposé est très modeste par rapport au déploiement en Irak. Selon l'articled'un journal récent, les marines eux-mêmes aimeraient quitter l'Irak pour être déployés en Afghanistan. C'est une idée que nous appuyons sans réserve.

Nous sommes d'avis que d'autres pays membres de l'OTAN n'apportent pas une contribution adéquate à l'opération parce que, chez eux, le degré d'urgence de la situation est mal saisi, le danger que court le gouvernement Karzai et le danger que nous perdions le sud de l'Afghanistan pour nos propres desseins du point de vue de la défense nationale. C'est peut-être aussi le cas au Canada.

Nous essayons de relayer des informations recueillies sur le terrain aux politiciens des pays qui participent aux décisions prises au sujet des troupes déployées dans le cadre des opérations de l'OTAN. Ce n'est pas le commandement militaire de l'OTAN qui détermine le nombre de soldats; ce sont les politiciens des pays membres de l'OTAN qui le font. Nous souhaitons seulement renseigner nos maîtres politiques sur la question, pour qu'ils puissent avoir une idée juste du degré d'urgence nationale que représentent ces questions.

Le sénateur Meighen: Nous ne semblons pas faire de grands progrès sur ce front. Pouvez-vous me dire quelque chose qui me ferait croire l'inverse ou qui me donnerait de l'espoir?

MmeMacDonald: J'espère que notre gouvernement va aider à faire saisir le degré d'urgence nationale et la responsabilité nationale qui sont associés à cette situation à nos collègues de l'OTAN. Je crois que nous en avons la responsabilité en tant que Canadiens.

Le sénateur Meighen: Nous nous essayons à cela depuis un certain temps, sans succès apparent. De votre point de vue, sur le terrain, pouvez-vous nous dire pourquoi c'est à ce point difficile, autrement qu'en disant que personne ne souhaite mettre ces soldats dans une situation dangereuse s'il peut l'éviter?

MmeMacDonald: Soit que les pays en question ne comprennent pas la situation qui règne dans le sud de l'Afghanistan et le danger que court le président Karzai, soit qu'ils préfèrent laisser à d'autres pays comme le Canada la responsabilité des combats dans le sud de l'Afghanistan. Notre organisme est d'avis que cela n'est pas convenable.

Le sénateur Meighen: Pour ce qui est du programme d'éradication de la culture du pavot, au moment où nous étions en Afghanistan, on nous a dit qu'un des projets proposés consistait à acheter la récolte et encourager les gens à cultiver l'arachide ou autre chose. La réponse a été que c'est là une idée merveilleuse, sauf deux fois... il y aura une culture du pavot parce que les gens qui cultivent le pavot en ce moment continueront de le faire, illégalement, étant donné que le prix obtenu est si attrayant.

Votre programme propose la culture du pavot à des fins médicales. Si l'idée précédente est juste, n'est-ce pas la même chose qui risque de se produire? C'est-à-dire que les agriculteurs vont cultiver le pavot à des fins médicales dans un champ et encore du pavot dans un autre champ, celui-là destiné au trafic illégal?

MmeMacDonald: Nous étudions la question de la culture du pavot à des fins médicales depuis trois ans; j'y suis allé moi-même pour mettre en branle le travail nécessaire. Nos diverses études techniques sur la question nous ont permis de découvrir que le programme de culture du pavot à des fins médicales procurerait à l'agriculteur un prix intéressant à la ferme et un revenu net intéressant. Nous avons demandé au gouvernement canadien d'appuyer la réalisation de projets pilotes qui permettraient de mettre à l'essai l'idée en question.

Peut-être que les agriculteurs peuvent cultiver l'arachide ou l'ananas, mais il faut compter trois à cinq ans pour se convertir à ces autres cultures; or, le pavot, c'est ce qu'ils savent cultiver d'ores et déjà En sachant le choix qu'il veut faire d'ici cinq ans, le gouvernement peut déterminer qu'il ne souhaite pas œuvrer dans le domaine pharmaceutique, qu'il tient à d'autres récoltes. Cependant, il faut une récolte de transition dès maintenant.

Le marché mondial de la morphine en tant qu'analgésique est énorme. La morphine est un produit que nous connaissons, et seuls les six pays les plus riches en ont des stocks suffisants. Or, l'Organisation mondiale de la santé a déterminé qu'il y a une crise mondiale de la douleur. C'est une grande occasion sur le plan juridique; cela permettrait aux agriculteurs de rompre les liens économiques qu'ils ont avec les talibans, qui font le trafic du pavot, et de nouer une relation économique avec le gouvernement Karzai. Ce serait une raison positive de soutenir le gouvernement Karzai, car les gens auraient besoin du gouvernement pour mettre les denrées qu'ils produisent sur le marché.

Le sénateur Meighen: Faut-il attribuer entièrement aux prix et aux encouragements des talibans le fait que la production de pavots ait doublé depuis la chute des talibans?

MmeMacDonald: Cela tient pour beaucoup à l'essor de l'insurrection, aux talibans et à al-Qaïda. Il est important de dire qu'al-Qaïda y est pour quelque chose aussi.

Le sénateur Zimmer: Votre exposé est à la fois instructif et honnête.

Vous recommandez ici, dans le rapport du 7 novembre 2007, que l'armée ait maintenant pour tâche de distribuer l'aide dans les zones ravagées du Sud et de l'Est, et qu'elle se voie affecter en zone de guerre les budgets du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le MAECI, et de l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI. Des ONG et d'autres groupes de réflexion ont manifesté leur opposition à cette recommandation. Qu'est-ce qui motive le Senlis Council à formuler cette recommandation et est-ce que ce serait un projet à court terme ou à long terme?

MmeMacDonald: Ce qui nous a motivé, c'est le fait de voir des enfants, des bébés et des personnes âgées qui mouraient de faim — des femmes et des hommes de l'âge de mon père qui ressemblaient à des squelettes — dans des camps dans le sud de l'Afghanistan. Je comprends les réticences du milieu de l'aide et du développement en ce qui concerne la participation de l'armée, mais il s'agit ici de circonstances extraordinaires. La réaction quelque peu théologique que les gens ont à l'idée ne représente pas une réponse satisfaisante pour les gens dont les enfants meurent de faim dans le sud de l'Afghanistan. Il faudrait que l'armée participe à l'exercice tant et aussi longtemps que les responsables de l'aide et du développement se sont réorganisés pour distribuer adéquatement l'aide alimentaire et l'aide au développement.

Le sénateur Zimmer: Dans l'analyse qu'elle fait du rapport du Senlis Council, la Conférence des associations de la défense affirme qu'une ACDI de combat et la prise en charge par l'armée de fonds de l'ACDI dans le domaine constitue une proposition controversée à laquelle il faudrait réfléchir plus à fond, en songeant notamment aux conséquences que peut avoir le fait de lier expressément les efforts politiques, militaires et humanitaires. Par ailleurs, Gerry Barr, président et directeur général du Conseil canadien pour la coopération internationale, CCCI, et Kevin McCort, directeur général par intérim de CARE Canada, ont affirmé que la mise en œuvre de cette recommandation ne ferait qu'aggraver le problème du flou qui existe déjà entre les objectifs militaires et les objectifs humanitaires. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

MmeMacDonald: J'invite les hommes en question à m'accompagner dans les camps que j'ai visités pour voir les enfants et les personnes âgées qui meurent de faim. Peut-être ont-ils une meilleure idée de ce qu'il faut faire pour distribuer l'aide à ces gens. Il n'y a pas d'aide alimentaire substantielle dans le sud de l'Afghanistan depuis mars 2006. Il y a des camps dans le sud de l'Afghanistan, à Kandahar même et en dehors de la ville, où des milliers de gens vivent sans toit, sans nourriture et sans aide médicale. Lorsque nous sommes contraints de bombarder un village parce que le nombre de soldats sur le terrain est insuffisant, il n'y a pas d'aide médicale qui s'ensuit, personne ne dénombre les morts ou ne porte secours aux blessés. Quand la famille même du blessé réussit à amener celui-ci à l'hôpital à Kandahar, elle constate que l'hôpital dispose de moyens nettement insuffisants pour dispenser des soins de base, encore moins les soins de santé qu'il faut dispenser dans une zone de guerre. C'est un cauchemar.

Je comprends les fondements des objections en question du point de vue des politiques gouvernementales et des théories en jeu, mais les gens n'ont aucun plan pour nourrir les Afghans. Ce sont nos sœurs et nos frères afghans qui combattent aux côtés de notre armée contre les talibans et al-Qaïda, pour qu'il y ait un Afghanistan pacifique et prospère, et un Canada en sécurité, et nous les abandonnons. Il faut faire quelque chose. En attendant qu'ils trouvent une meilleure idée, voilà ce que nous proposons, et je crois que l'armée est plus que prête et capable de prendre la situation en main. Quand je vois les jeunes assis au camp de l'armée, hommes et femmes, je leur dis que nous visitons ces camps, et ils savent que les gens ont besoin de nourriture. Les jeunes hommes du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan, par exemple, seraient heureux de s'y rendre pour apporter de la nourriture aux familles qui s'y trouvent.

Le sénateur Zimmer: J'ai une question supplémentaire au sujet du programme de culture du pavot à des fins médicales. Si le programme était mis en œuvre et que d'autres plantes étaient cultivées, quelles sont les conditions préalables qu'il faudrait avoir du point de vue de la sécurité, de l'infrastructure et de la gouvernance, avant de mettre en branle un tel projet en Afghanistan, pour en assurer le succès?

MmeMacDonald: Voilà pourquoi nous voulons réaliser les projets pilotes. Nous avons mis au point un protocole complet qui prévoit notamment le fait pour le village d'obtenir un permis, une entente de microcrédit et un système de garantie partagée; une punition pour tout manque aux conditions du permis; la marche à suivre pour que le pavot soit transformé en morphine au village même; et la façon de créer d'autres emplois. Après bien des recherches et bien des échos de la part des gens du village et d'autres organismes internationaux, nous avons mis au point un protocole complet que nous voulons mettre à l'essai. Nous ne disons pas qu'il faudrait tout convertir du jour au lendemain ou d'ici les prochaines semailles. Plutôt, nous voulons mettre à l'essai certains protocoles dans la province de Kandahar, en dehors de la ville de Kandahar, et dans la province de Helmand, en dehors de Lashkar Gah, et mettre à l'épreuve les théories que nous véhiculons depuis un certain temps.

Le sénateur Mitchell: J'ai deux questions à poser sur des points précis, puis une question plus générale sur l'aide au développement.

Pouvez-vous me dire s'il existe une façon d'estimer le nombre de combattants talibans qu'il y a à Kandahar et, de manière générale, en Afghanistan?

MmeMacDonald: Lorsque nous discutons avec les Afghans, les chiffres que nous entendons varient. Nos recherches se fondent sur des conversations qui auront lieu sur le terrain. Il est clair que les combattants talibans se déplacent beaucoup. Parfois, ils se séparent; parfois, ils partent de Helmand pour aller attaquer Arghandab; et, parfois ils investissent Khakrez. Khakrez se trouve à une heure environ de Kandahar. Les talibans détiennent Khakrez depuis septembre; à certains moments, nous entendons dire qu'il y a là 200 talibans, et à d'autres, qu'il y en a 1000. Je dirais que les gens ont l'impression qu'il y a des milliers de talibans dans la province de Kandahar, mais les talibans circulent beaucoup.

C'est le Pakistan qui sert de base. Lorsque nous demandons aux gens de quelle sorte de taliban il s'agit, nous vous entendons dire que c'est en partie des talibans d'Afghanistan et en partie des talibans du Pakistan. Ils parlent aussi de la présence d'autres étrangers. Les talibans sont en mesure de recruter et de regarnir leurs effectifs en travaillant de l'autre côté de la frontière, au Pakistan. Les talibans semblent profiter d'un afflux relativement infini de recrues.

Le sénateur Mitchell: Mais ils ne sont peut-être pas des centaines de milliers.

MmeMacDonald: Ils ne seraient pas des centaines de milliers. S'ils sont 10000, c'est vraiment beaucoup. Je crois savoir que, du point de vue militaire, pour chaque taliban — les insurgés locaux peuvent s'immiscer dans la foule avec une telle aisance —, il nous faut trois soldats. Il y a une dizaine de postes de police entre Kandahar et Lashkar Gah. Il faudrait trois fois plus d'effectifs pour prendre un des petits points de contrôle policier en question. Des responsables militaires m'ont expliqué que c'est là le ratio.

Le sénateur Mitchell: C'est ce qui fait que, théoriquement, une poignée de combattants talibans peuvent tenir en otage des millions de personnes et avoir la main haute sur ce pays, ou croire qu'ils ont la main haute sur le pays.

MmeMacDonald: C'est la nature perverse d'une insurrection.

Le sénateur Mitchell: Qui vous finance?

MmeMacDonald: Notre financement provient du Network of European Foundations, et je suis à l'emploi d'un philanthrope suisse.

Le sénateur Mitchell: Pour ce qui est du développement, j'aimerais savoir ce que devraient être selon vous les priorités du Canada en matière de développement en Afghanistan. Je préciserais la question dans une certaine mesure en vous demandant s'il y a lieu d'insister particulièrement sur les femmes. On pourrait faire remarquer que le développement dans le tiers monde se concrétise là où les femmes s'instruisent. Cela pose un problème particulier dans les pays comme l'Afghanistan, où on s'emploie agressivement à faire en sorte que les femmes ne soient pas instruites. Visiblement, c'est un phénomène qui reviendrait probablement.

Dans le contexte, j'aimerais savoir quelle est votre relation avec l'ONU, même si vous en avez déjà parlé un peu, je crois.

Enfin, vous avez fait remarquer que les talibans sont méchants et absolument impitoyables avec la population. Néanmoins, vous avez aussi fait remarquer qu'un développement appuyant le travail militaire peut commencer à contrer le phénomène. Comment faire le lien entre l'aide au développement et le fait de surmonter la crainte d'être victime d'une telle violence? Comment cela fonctionne-t-il? Y a-t-il un mécanisme pour que cela fonctionne? Y a-t-il une théorie à ce sujet?

MmeMacDonald: Ce qu'il faut d'abord aux gens, c'est de la nourriture, un toit, de l'aide médicale. C'est la hiérarchie classique des besoins selon Maslow. Je ne saurais trop insister sur la nécessité de prévoir une aide alimentaire d'urgence et une aide médicale d'urgence pour les gens du sud de l'Afghanistan.

Vous avez tout à fait raison pour ce qui est des femmes. À Kaboul, on voit la différence dans la vie de certaines femmes, mais, malheureusement, dans le sud de l'Afghanistan, la différence n'est pas si grande. À Kandahar, certaines filles fréquentent l'école. À Lashkar Gah, l'école des filles se trouve dans une situation difficile.

Quant à la question de savoir à quel moment le Canada devrait quitter l'Afghanistan, nous recommandons de fixer non pas une date, mais plutôt une liste de mesures témoignant du succès de l'initiative — des choses qu'il serait important pour nous d'accomplir avant de dire que notre travail est fait et de nous en aller. Dans le contexte, nous recommandons des mesures touchant non seulement la santé et la sécurité alimentaire, mais aussi la situation des femmes et l'accès à l'éducation pour les femmes.

Nous ne sommes pas officiellement liés à l'ONU. Je vous recommande de consulter mon compatriote Christopher Alexander, qui est représentant spécial adjoint pour l'Afghanistan auprès de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan, la MANUA. Nous ne sommes pas toujours d'accord, mais depuis la première fois où j'ai rencontré M.Alexander, et chaque fois que je le vois depuis, malgré nos désaccords, je suis très fière de lui en tant que Canadienne. Il a à cœur l'Afghanistan et le sort des Afghans. J'espère qu'il va continuer à vivre et à travailler en Afghanistan.

Lorsque nous parlons aux gens sur le terrain et leur demandons ce qu'ils pensent de Karzai par rapport aux talibans, nous apprenons que leur souci est de nourrir leur famille et de veiller à la sécurité de leur famille. Ils ne s'intéressent pas du tout à la politique. Si notre armée et le gouvernement Karzai pouvaient être vus comme s'attaquant aux problèmes urgents de tous les jours, ce serait important à leurs yeux, tout comme c'est important aux yeux des Canadiens. Ce sont des gens qui ont le sens de la famille comme nous, mais qui vivent une situation nettement plus désespérée.

Nous sommes allés chez eux leur dire: «Nous sommes ici pour vous aider à instaurer paix et prospérité. Nous sommes vos amis. Nous allons combattre à vos côtés.» Ils peuvent voir notre richesse. Ils peuvent voir notre base militaire, que les sénateurs connaissent probablement mieux que moi, dont ils ont entendu parler. Nous commençons à montrer aux gens du sud de l'Afghanistan la différence entre riches et être pauvres. Nous devons combler l'écart entre eux et nous.

Le sénateur Nancy Ruth: Je vais donner suite aux questions du sénateur à propos des femmes et des enfants. J'ai été très heureuse de vous entendre demander que le budget d'aide soit l'égal du budget militaire. Quiconque a affaire à l'approche dite des 3D croit que la diplomatie, la défense et le développement devraient tous avoir droit à un budget égal. Je vous appuie sur ce point.

Recueillez-vous des données ventilées par sexe? Savez-vous ce que disent les hommes et ce que disent les femmes?

MmeMacDonald: Notre enquête auprès de 17000 Afghans a été réalisée auprès de 17000 hommes afghans. Je m'excuse de devoir dire que, dans l'état actuel des choses dans le sud de l'Afghanistan, nous ne pouvons interviewer les femmes de manière scientifique. Nous avons affirmé très clairement le fait que nous allions interviewer seulement les hommes. C'était une enquête politique, et il est un fait triste et malheureux: en ce moment, l'avenir politique du sud de l'Afghanistan se trouve entre les mains des hommes. Les femmes ne sont pas du tout émancipées ni appelées à participer aux décisions touchant l'avenir du pays.

Le sénateur Nancy Ruth: Cela veut-il dire qu'il serait très difficile de recueillir des informations auprès des femmes, car il faudrait aller chez les gens en tant que tel?

MmeMacDonald: Il faudrait demander à des femmes de le faire, dans la mesure où leur famille leur permet de travailler. Senlis Afghanistan peine tout le temps à trouver des familles qui sont à l'aise à l'idée que la femme travaille au sein de notre organisme, à Kaboul. Il faudrait déployer beaucoup d'efforts pour mettre sur pied une équipe de femmes qui se chargerait d'une enquête et qui irait interviewer des femmes partout dans le sud de l'Afghanistan.

Le sénateur Nancy Ruth: Est-ce un effort qu'il vaut la peine de faire au moment d'élaborer une politique gouvernementale?

MmeMacDonald: Si j'avais la capacité de le faire, cela m'intéresserait, oui.

Le sénateur Nancy Ruth: Bonne chance au Network of European Foundations, alors.

Savez-vous quelle part de l'aide actuelle du Canada va aux familles, aux veuves avec enfants, savez-vous comment elle est répartie entre les groupes?

MmeMacDonald: Dans un rapport particulier, nous avons essayé d'établir l'impact de l'aide de l'ACDI en Afghanistan. M.Zakhilwal a participé à l'exercice. Nous avons baptisé ce rapport The Canadian International Development Agency in Kandahar: Unanswered Questions — l'Agence canadienne de développement international à Kandahar: questions laissées sans réponse. C'est que nous n'arrivions pas à trouver la trace des fonds de l'ACDI pour le développement et l'aide à Kandahar et nous ne pouvions confirmer sur le terrain les informations affichées sur le site Web ou celles que les représentants de l'ACDI nous ont données autrement; je dirais donc que cela me laisse aussi perplexe que vous, sénateur.

Le sénateur Nancy Ruth: Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui vous laisse ainsi perplexe — ce que vous avez constaté et ce qui ne correspond pas aux attentes?

MmeMacDonald: Par exemple, diverses personnes nous ont dit que l'Hôpital Mirwais qui doit traiter les victimes civiles des bombardements de l'OTAN a reçu trois millions de dollars ou cinq millions de dollars de la part de l'ACDI. Nous avons visité l'hôpital en question bon nombre de fois. Sur la vidéo que vous avez, nous interviewons les médecins, et nous n'arrivons pas à trouver signe que les trois millions de dollars ou les cinq millions de dollars en question ont bel et bien été utilisés.

On nous a dit que le Canada finançait un projet de maternité à l'hôpital en question, ce que le ministre des Affaires étrangères a affirmé à l'Assemblée générale de l'ONU. À la recherche de cette maternité, nous avons trouvé une tente vide et, le lendemain, j'ai constaté que la tente n'était plus là. Le projet de maternité n'a jamais fonctionné, et il ne fonctionne pas en ce moment.

On nous a dit que l'ACDI dépensait des millions de dollars en aide alimentaire dans le sud de l'Afghanistan. Nous n'avons pu trouver de projet d'aide alimentaire digne de ce nom dans le sud de l'Afghanistan. Nous avons demandé aux divers dirigeants communautaires que nous avons interviewés s'ils avaient entendu parler d'un programme d'aide alimentaire. Nous avons parlé à l'homme qui est à la tête de la plus grande mosquée à Kandahar, à des chirurgiens et ainsi de suite, et les gens nous ont dit qu'ils n'avaient jamais entendu parler de cela, et qu'ils en auraient entendu parler si un tel programme existait.

Nous leur avons demandé où se trouvaient les points de distribution de l'aide alimentaire à Kandahar, pour que nous puissions interviewer les bénéficiaires de l'aide alimentaire financée par l'ACDI, et nous n'avons reçu à ce jour aucune information sur l'emplacement des points de distribution en question.

Le sénateur Nancy Ruth: Procédez-vous aux mêmes vérifications concernant l'aide provenant d'autres pays ou est- ce seulement parce que le Canada est là?

MmeMacDonald: Nous avons fait la même chose à Lashkar Gah et, malheureusement, je dois signaler que le DFID, le Department for International Development du Royaume-Uni, ne faisait pas mieux, et nous avons recommandé que l'armée britannique dirige un DFID de combat.

Le sénateur Nancy Ruth: Vous n'avez pas analysé pour nous les raisons pour lesquelles ces anomalies se produisent. Êtes-vous prête à spéculer?

MmeMacDonald: J'imagine que l'argent part bien d'Ottawa. Périodiquement, nous apprenons que l'ACDI va dépenser X millions de dollars supplémentaires en aide alimentaire ou en développement ou en aide générale, et j'imagine que, quelque part entre l'annonce et Kandahar, l'argent est détourné.

Le sénateur Nancy Ruth: Qui sont les agents avec lesquels l'ACDI traite habituellement dans la région de Kandahar?

MmeMacDonald: L'UNICEF, les agences de l'ONU et le Programme alimentaire mondial.

Le sénateur Nancy Ruth: Monsieur Zakhilwal, que faites-vous ici au Canada? Vous prononcez des conférences devant divers auditoires. Quel impact cela a-t-il? Qui écoute et est-ce que cela vaut la peine?

Almas Bawar Zakhilwal, directeur pour le Canada, The Senlis Council: Le Senlis Council me permet non seulement de m'exprimer au Canada, mais aussi d'aider mes compatriotes et mon pays depuis le Canada, en tant que Canadien. En tant qu'Afghan, je crois tout ce qu'a raconté le Senlis Council. En tant qu'Afghan, je dirai que si nous voulons réussir en Afghanistan, surtout dans le Sud, il faut plus d'aide pour les gens. Nous avons perdu la bataille visant à conquérir le cœur et l'esprit des gens.

J'ai parlé à bon nombre d'entre eux, je leur ai demandé: «Qu'est-ce qu'il vous faut de la part de la communauté internationale? Qu'est-ce qu'il vous faut de la part de votre gouvernement?» La seule réponse que j'ai obtenue est la suivante: «Le gouvernement et la communauté internationale sont au pouvoir depuis six ans. Je n'ai vu aucun changement dans ma vie. Ma vie est la même qu'elle était il y a six ans. Il n'y a pas d'école dans mon village ou dans mon district; je n'ai pas de travail. Mes routes restent mauvaises; mon système d'irrigation demeure le même. Les talibans sont encore là. S'ils ne sont pas au pouvoir, ils sont présents dans les villages. Qu'est-ce que la communauté internationale a fait pour nous? Rien. Comment puis-je l'appuyer?»

Quand il est question d'une stratégie qui vise à conquérir le cœur et l'esprit des gens, nous ne demandons pas qu'on fournisse des grosses voitures ou de grosses maisons. Nous demandons les nécessités. Pendant les entrevues que j'ai réalisées, j'ai demandé aux gens: «Quelles sont les trois choses que vous voudriez demander à la communauté internationale ou au gouvernement Karzai?» Des milliers d'entrevues que nous avons réalisées, les trois premiers éléments qui sont ressortis sont de l'eau potable, de la nourriture et un toit. En quoi est-il si difficile de donner cela aux gens pour réussir? Je ne crois pas que ça soit difficile. Ne sommes-nous pas prêts à faire cela? Est-ce que nous faisons de notre mieux pour y arriver? Je crois que nous n'essayons pas vraiment.

Nous devons regarder la question du point de vue des Afghans et de ce qu'ils pensent du gouvernement Karzai et des Canadiens, des Britanniques et des Américains. Sur le terrain, les Afghans affirment que les pays en question y sont pour servir leur propre dessein et qu'une fois cela fait, ils s'en iront. Avant cela, nous devons montrer à ces gens que nous ne sommes pas là uniquement pour combattre, pour détruire des maisons et des mosquées, pour tuer et blesser les gens. Nous devons leur montrer que nous sommes là pour les aider à développer leur vie et leur pays. Nous ne pouvons nous contenter de dire ça dans le journal ou à la radio. Les gens doivent pouvoir le voir. S'ils ne le voient pas, il est impossible pour eux d'y croire.

Nous en sommes rendus au point où, si nous n'agissons pas dès maintenant pour gagner le cœur et l'esprit de ces gens, Karzai et la communauté internationale vont perdre des appuis, et l'Afghanistan sera comme il était il y a six ans.

Le sénateur Nancy Ruth: Merci.

Madame MacDonald, je m'intéresse particulièrement à la Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU sur les femmes, la paix et la sécurité. Quelle preuve auriez-vous du fait que cette résolution serait appliquée dans la région de Kandahar?

MmeMacDonald: Nous avons récemment appuyé cette résolution nous aussi. Je m'excuse de devoir dire que l'application de cette résolution est à ce point minime qu'on pourrait dire que ce n'est rien.

Le sénateur Nancy Ruth: Avez-vous déjà entendu quelqu'un en parler, y compris mon bon ami de Toronto, Christopher Alexander, de la MANUA?

MmeMacDonald: Non, mais je dois insister pour dire que je vis dans le sud de l'Afghanistan, de sorte que je ne suis pas présente à nombre de réunions de l'ONU et trucs du genre; je crois que mon témoignage à cet égard n'a pas particulièrement de poids.

Le sénateur Nancy Ruth: En clair, dites-vous que personne ne vous a parlé de cela sur le terrain?

MmeMacDonald: Non, mais je travaille avec des civils afghans. Je ne fais pas partie du cercle de l'ONU. Je n'assiste pas à ces réunions. Mon témoignage à ce sujet n'est donc pas particulièrement intéressant.

Le sénateur Moore: Étant donné les données dont vous nous faites part, le sénateur Day voulait savoir si nous revivons simplement ce qui s'est passé avec les Britanniques et les Russes là-bas. Dans chaque livre que nous lisons à propos de l'Afghanistan, l'attitude fondamentale des Afghans envers les gens qui débarquent chez eux pour les aider ou pour leur nuire est la suivante: nous ne payons rien pour attendre. Tôt ou tard, vous vous en irez et nous aurons gain de cause. Est-ce cela qui est à la racine du problème?

Je ne vois pas guère de changement. Pourriez-vous me donner des précisions en répondant?

MmeMacDonald: Nous avons semé les germes de la paix, de la prospérité et de la démocratie en Afghanistan, mais nous n'arrosons, nous ne nous occupons pas du jardin. Les talibans et al-Qaïda ont tiré profit des vides dans notre politique à cet égard — les erreurs que nous avons commises en ce qui concerne la politique antidrogue, l'absence de développement et d'aide, la dépendance à l'égard des campagnes de bombardement. Pour les Afghans, cette version-là de l'histoire — que ça ne revient qu'à une question d'étrangers qui sont débarqués chez eux — est fausse, c'est une question de paix, de prospérité et de démocratie pour le peuple afghan.

Quant aux mouvements politiques populaires, nous permettons aux Afghans de définir les choses comme vous les avez décrites, ce que nous n'aurions pas dû faire. Nous devons lutter contre cette version de l'histoire pour le gouvernement Karzai et pour nos propres raisons liées à la sécurité nationale. Je m'inquiéterais de ce que la situation puisse être définie de cette façon, car ce serait alors un succès pour eux du point de vue de la propagande politique.

Le sénateur Moore: Vous avez dit que les dépenses militaires se chiffraient à 3,1 milliards de dollars, n'est-ce pas?

MmeMacDonald: Je crois que c'est un de vos collègues sénateurs qui a donné cette statistique.

Le sénateur Moore: Vous en convenez?

MmeMacDonald: Il faudrait que je vérifie nos statistiques à nous.

Le sénateur Moore: Je ne sais pas si c'était au total. J'espère que ce n'était pas que la part du Canada.

Le sénateur Day: Non, c'était un milliard de dollars.

Le sénateur Moore: Le comité s'était rendu sur place en décembre, comme vous le savez probablement. Nous sommes allés en septembre et avons essayé d'entrer, mais sommes arrivés en décembre. Le commandant de l'époque, le brigadier général Grant, nous a dit que l'exercice coûtait 30 millions de dollars par mois au Canada, en excluant les salaires. Avez-vous idée de ce que cela coûte? Ce n'est que la partie militaire, madame MacDonald.

MmeMacDonald: Nous avons des statistiques à ce sujet, mais nos chiffres portent sur l'ensemble des troupes de l'OTAN et non pas sur le contingent canadien en particulier.

Le sénateur Moore: En Afghanistan, l'ACDI nous a dit qu'elle allait investir 400000$ dans la construction et le fonctionnement d'une maternité. Vous dites que rien de tel ne s'est fait, c'est bien cela?

MmeMacDonald: Il n'y a pas de maternité à l'hôpital Mirwais.

M.Zakhilwal: J'ai interviewé le médecin du service d'obstétrique. Je lui ai demandé: «Où est la maternité que le Canada vous a promise il y a six mois?» Il a répondu: «J'en ai entendu parler, mais je n'en ai jamais rien vu.» C'est là que la maternité est censée avoir été aménagée, mais elle n'y est pas.

Le sénateur Moore: La corruption est un gros problème. Tout le monde nous l'a dit en Afghanistan. Vous dites qu'il ne faut pas mettre cela sur le dos des Afghans ou sur le dos du gouvernement Karzai. On nous a dit que l'aide du Canada, soit 100 millions de dollars par année, est acheminée à la Banque mondiale. À partir de ce moment-là, je ne sais pas où va l'argent.

On nous a dit qu'il n'était pas possible de mettre des petits drapeaux canadiens sur les fonds en question pour en suivre le cheminement. Nous ne voulons pas que ces gens sachent que nous sommes là pour les aider. Il faut que le mouvement vienne de la base, qu'il vient d'eux.

Où va l'argent, et qui est fautif? Nous avons entendu des histoires de corruption au gouvernement central, mais vous dites que non, il ne faut pas mettre ça sur le dos du gouvernement Karzai. Où va notre argent? Quelqu'un doit en être responsable. Il y a un gros trou là.

MmeMacDonald: Là où je veux en venir, c'est qu'il y a une liste de personnes qui contrôlent les fonds, qui en ont la responsabilité — disons que vous êtes ministre du Développement et...

Le sénateur Moore: Au gouvernement Karzai?

MmeMacDonald: Non, au gouvernement canadien. Le budget vous accorde donc 100 millions de dollars.

Le sénateur Moore: Les 100 millions de dollars en question ne sont qu'un élément du budget, mais utilisons ce chiffre quand même.

MmeMacDonald: D'accord, vous avez 100 millions de dollars et, d'une manière ou d'une autre, entre le moment où vous signez le chèque et celui où la personne doit le recevoir dans la province de Kandahar, les fonds disparaissent. À mon avis, en tant que Canadienne, je crois que vous êtes responsable. Les autres Canadiens qui font partie de la chaîne de gestion sont responsables de cela.

Personne ne laisse circuler dans le sud de l'Afghanistan des centaines de milliers de dollars en argent comptant sans adopter les mesures de sécurité qui s'imposent. Il ne faut pas faire cela non plus avec l'aide alimentaire: la nourriture est comme l'argent en Afghanistan. La nourriture donne du pouvoir dans le sud de l'Afghanistan. Le gouvernement est responsable de l'argent des contribuables canadiens. Vous devez trouver une façon de bien contrôler et gérer les fonds.

L'ACDI donne des centaines de milliers de dollars. Je ne sais pas ce qu'il en est de son processus de gestion. Tout de même, on ne peut injecter des centaines de milliers de dollars dans un système où abondent des gens extrêmement pauvres qui vivent dans un pays incroyablement instable, qui ont vu les gouvernements changer de main tous les cinq ans, sans appliquer des systèmes adéquats du point de vue de la gestion et du contrôle.

Quand je dis «Ne mettez pas ça sur le dos des Afghans ou du gouvernement Karzai», je pose la question: «À qui appartient cet argent et qui en est responsable?» L'ACDI, le ministre et, en dernière analyse, le premier ministre, assument la responsabilité de la gestion des fonds dans une zone de guerre, dans un pays instable. En Afghanistan, les fonctionnaires reçoivent un salaire de 60$ par mois. Si vous placez 500000$ dans un compte de banque ministériel et que vous dites: «Auriez-vous l'obligeance d'acheter une certaine quantité de nourriture et de la distribuer dans le sud de l'Afghanistan?» puis que l'argent disparaît, qui en est responsable? C'est tout simplement de la mauvaise gestion.

Le sénateur Moore: Je croyais que nous avions des guides et conseillers au gouvernement afghan, qui devaient enseigner aux gens la manière d'établir les structures voulues et de traiter ces opérations. Vous ne me parlez pas de ça.

MmeMacDonald: Si tel est le cas, les gens en question ne font pas leur travail, n'est-ce pas?

Le sénateur Moore: Visiblement pas, si ce que vous affirmez est juste.

MmeMacDonald: Il n'est pas question de l'Alberta ici — ni encore de la Nouvelle-Écosse ou de la Saskatchewan, ma province natale. Soyons raisonnables. Si l'argent manque à l'appel, ne montrons pas les Afghans du doigt.

Le président: Chers collègues, vous m'avez mis dans l'embarras. Nous avons un deuxième groupe de témoins à entendre, mais nous sommes en retard de dix minutes.

Le sénateur Moore: C'est intéressant, après avoir été en Afghanistan, d'entendre maintenant ce qui nous a été dit aujourd'hui. J'en suis ébahi.

Il y a un sujet auquel nous n'avons pas accordé beaucoup d'attention, mais qui occupe une place importante dans tout ce qui semble se produire en Afghanistan, soit le Pakistan. Quel est l'intérêt primordial du gouvernement du Pakistan dans tout cela? Est-ce d'assister à la création d'un État afghan stable et démocratique?

Tout ce que nous lisons laisse voir que l'ISI, les services secrets pakistanais, s'accommode très bien du soulèvement en Afghanistan et souhaite que les choses demeurent inchangées. Le Pakistan ne veut pas d'une démocratie solide chez le voisin. Quel est le rôle que joue cette question dans l'ensemble?

M.Zakhilwal: Je vais expliquer à nouveau ce que les Afghans pensent du Pakistan dans la région. Ce sont les gens qui sont importants. Leurs pensées sont importantes s'ils y habitent et que c'est leur pays.

Depuis la guerre avec les Soviétiques, au moment où les moudjahiddines ont pris le contrôle du gouvernement, suivis des talibans, il est dit que le Pakistan ne veut pas d'un gouvernement stable et fort en Afghanistan, qui ferait que les gens pourraient exiger le respect de leurs droits et faire la transition vers un pays démocratique. Les Afghans vous donneront toute une série de raisons pour cela — dont certaines peuvent être réalistes, d'autres non.

Cependant, le Pakistan joue un rôle important en Afghanistan. Il nous faut faire venir le Pakistan à la table. Il faut aller au Pakistan défaire l'insurrection. Les combats menés dans un village afghan ne permettront pas de contrer l'insurrection dans la mesure où les insurgés se sauvent et vont recruter d'autres éléments au Pakistan, où ils passent un mois, à se reposer, à dormir, à bien manger, pour ensuite revenir vous combattre.

Le sénateur Moore: C'est l'aide qu'ils obtiennent là-bas, en plus du fait qu'il y une frontière.

M.Zakhilwal: S'ils se sauvent, il faut les suivre. Les soldats de l'OTAN ne sont pas autorisés à traverser la frontière. Pourquoi ne pas laisser l'OTAN traverser la frontière et les suivre jusqu'à leurs camps de base et les vaincre là-bas avant de rentrer en Afghanistan?

Le sénateur Moore: Vous voudriez que l'OTAN intervienne au Pakistan dans les cas où c'est nécessaire?

MmeMacDonald: Oui, avec l'armée pakistanaise.

Le sénateur Moore: Avez-vous lu l'articledans lequel Nipa Banerjee réagit à votre rapport?

MmeMacDonald: Non, mais je connais MmeBanerjee.

Le sénateur Moore: Prenez mon exemplaire. L'articlen'est pas flatteur, en ce qui concerne votre travail, et vous devriez repartir avec cet exemplaire.

Le président: Merci beaucoup. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir ici. L'intérêt des membres du comité ne laisse planeur aucun doute: nous pourrions continuer pendant deux ou trois heures et encore avoir des questions à vous poser.

Avant de passer à notre prochain groupe de témoins, nous devons nous pencher brièvement sur une motion concernant le budget du Sous-comité des anciens combattants.

Le sénateur Meighen: Je propose l'adoption du budget suivant pour le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, pour l'exercice prenant fin le 31 mars 2007, et je propose que le président présente ce budget au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Pour résumer, le budget contient les postes suivants: services professionnels et autres: 13 400$; transport et communications: 25 130$; autres dépenses: 11 500$; total: 50 030$.

Le président: Y a-t-il des commentaires? Qui est en faveur de la motion?

Le sénateur Tkachuk: Pour ce qui est des services de messagerie, est-ce que cela s'ajoute aux 10000$ du budget du comité?

Le président: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Nous disposons donc de 20000$ pour les services de messagerie?

Le sénateur Day: Le budget en question est prévu pour les travaux du sous-comité seulement. Nous ne pouvons pas prendre ces chiffres et les inclure dans le budget du comité, alors vous ne devriez pas les additionner.

Le sénateur Tkachuk: Je les additionne puisqu'il s'agit d'un seul comité.

Le sénateur Meighen: C'est un budget supplémentaire, mais s'il n'est pas utilisé, l'argent est remis.

Le sénateur Tkachuk: Je comprends. C'est bon. Merci.

Le président: D'autres commentaires? Qui est en faveur de la motion?

Des voix: D'accord.

Le président: Qui est contre la motion? Qui s'abstient? La motion est adoptée.

J'ai le plaisir de vous présenter le sénateur David Tkachuk, de la Saskatchewan. Il a été nommé au Sénat en 1993. Il est vice-président du comité, et il est également membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Il a été homme d'affaires, fonctionnaire et enseignant.

Nous sommes heureux d'accueillir des témoins qui représentent CANADEM.Le mandat de CANADEM est en partie d'aider des organisations internationales à trouver et à embaucher des Canadiens possédant certaines compétences particulières. Depuis 2001, le financement du travail de plus de 150 spécialistes de CANADEM par l'ACDI et le MAECI a contribué à la reconstruction de l'Afghanistan. CANADEM demeure pour le gouvernement du Canada un important point focal pour le recrutement de spécialistes canadiens intéressés à participer à la reconstruction de l'Afghanistan.

Nous recevons M.Paul LaRose-Edwards, directeur exécutif de l'organisation. M.LaRose-Edwards est avocat spécialiste des droits internationaux de la personne depuis 25 ans, et il s'occupe de l'aspect politique de la promotion de ces droits. Il a travaillé dans des zones de mission et dans des pays comme le Rwanda, le Kosovo, la Croatie, l'Afrique du Sud, le Zimbabwe et l'Indonésie. M.LaRose-Edwards a été officier au sein du Corps blindé royal canadien, il a obtenu un diplôme du Collège militaire royal et il a travaillé récemment auprès d'organisations militaires, notamment auprès du Bureau du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, dans le cadre de la rédaction du manuel de formation sur les droits de la personne, du Collège et du Centre de formation pour le soutien de la paix des Forces canadiennes, ainsi que du Commandement allié Transformation de l'OTAN.

MmeChristine Vincent, directrice exécutive adjointe de CANADEM l'accompagne. Elle a participé à la mise sur pied de l'organisation en 1997, et elle a depuis travaillé à la promotion de la vaste expertise des gens dont le nom figure dans le répertoire de la réserve civile. Elle est titulaire d'une maîtrise en sociologie, a suivi quelques cours de troisième cycle et elle travaille dans les domaines de l'immigration, des réfugiés et des causes humanitaires depuis plus de 20 ans, en se concentrant sur la situation des femmes et le rétablissement de la paix.

Je vous souhaite la bienvenue.

Paul LaRose-Edwards, directeur exécutif, CANADEM: Je suis très heureux d'être ici. Une autre de nos collègues, MmeFattana Atayee, qui est agente de programme, nous accompagne également. Elle est canadienne d'origine afghane.

CANADEM est une organisation non gouvernementale sans but lucratif qui joue le rôle de réserve civile du Canada pour le service international. Je vais vous donner quelques brefs exemples d'interventions du Canada en Afghanistan et vous parler d'une nouvelle initiative qui est en cours. Je vais ensuite vous parler d'une chose plus importante: le fait que, à la lumière de la mission souvent énoncée du Sénat et du comité d'envisager l'avenir dans une perspective générale, nos activités en Afghanistan témoignent du fait que CANADEM est un outil de plus en plus important pour la promotion de la sécurité et de la défense du Canada.

De mon point de vue d'ancien officier du Corps blindé — ce que, j'espère, vous n'allez pas retenir contre moi —, et comme le montre la situation en Afghanistan, je pense qu'il n'y a pas de solution militaire en tant que telle. En politique, les solutions civiles sont, comme toujours, d'une importance capitale. La meilleure façon de promouvoir et de défendre les valeurs et les intérêts du Canada, c'est de faire intervenir des civils et des militaires sur le terrain — les citoyens canadiens.

Le moyen utilisé dans le passé pour faire intervenir des civils sur le terrain, c'était de passer par les ambassades du MAECI et de faire appel à des représentants de l'ACDI. Cela demeure essentiel, mais c'est loin d'être suffisant. Je dirais que la composante opérationnelle de la communauté internationale ou celle qui intervient sur le terrain est essentielle, et qu'elle est probablement le moyen le plus important de préserver la sécurité du Canada.

Il y a davantage de citoyens canadiens qui travaillent sur les questions de la paix et de la sécurité à l'échelle internationale qu'il n'y a de fonctionnaires ou de membres du personnel militaire canadien qui le font. Ce groupe beaucoup plus nombreux de citoyens canadiens fait partie des Nations Unies, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, de l'OSCE, du Commonwealth, de la francophonie, de l'Organisation des États américains, de l'OES et d'une multitude d'autres organisations intergouvernementales. D'autres citoyens canadiens font partie d'organisations non gouvernementales, tant des ONG canadiennes dont les activités se déroulent à l'étranger que, de plus en plus, des ONG internationales. En outre, des citoyens canadiens participent à un petit nombre, qui est toutefois en croissance, d'initiatives pertinentes du secteur privé.

CANADEM compte 9000 réservistes civils, et il y a en tout temps 3 500 d'entre eux qui travaillent à l'étranger, d'après les estimations. Parmi les 9000 spécialistes membres de CANADEM, il y a 2 100 spécialistes des droits de la personne, 2 500 spécialistes de la gouvernance, 900 spécialistes de la réforme policière et 2 200 spécialistes du développement. Plus de la moitié d'entre eux — c'est-à-dire 4 500 Canadiens qui sont connus de nous — sont prêts pour un déploiement en situation de conflit. Plus de 30p.100 d'entre eux — c'est-à-dire 2 700 personnes — sont prêts à être déployés en Afghanistan en particulier.

En ce qui concerne spécifiquement nos activités, je vais parler de l'Afghanistan. Jusqu'à maintenant, CANADEM a proposé 1 522 candidats à plus de 70 organismes. Environ 150 personnes ont été embauchées pour travailler en Afghanistan, et 41 s'y trouvent actuellement. En 2002, CANADEM a prévu que le recours à des Canadiens d'origine afghane deviendrait nécessaire et a commencé à en recruter. Jusqu'à maintenant, 425 Canadiens d'origine afghane se sont inscrits auprès de notre organisation, et nous commençons à recruter des immigrants d'origine afghane un peu partout dans le monde, en vue de remettre un jour ce répertoire à un organisme afghan. Les organisations qui ont embauché des Canadiens d'origine afghane sont notamment le MAECI, l'ACDI, les Forces canadiennes, le gouvernement afghan, l'ONU et d'autres organismes internationaux.

En ce qui concerne les programmes exécutés en Afghanistan, CANADEM a effectué, grâce à du financement de l'ACDI, son premier déploiement là-bas en 2002, en envoyant une unité de réforme policière. Les premiers effets de son intervention ont été rendus possibles par la réaction rapide des intervenants du Fonds de consolidation de la paix de l'ACDI, dirigé par Susan Brown. Des procédures d'intervention rapide sont prévues dans le cadre de ce fonds, ce qui a permis à ses intervenants d'agir dans un délai de quelques semaines. Quatre semaines après avoir reçu notre proposition, l'ACDI nous a accordé une subvention d'un million de dollars, et trois semaines plus tard, des membres du personnel de mission de CANADEM étaient sur le terrain. Cette rapidité d'exécution extraordinaire de la part de l'ACDI, ainsi que la présence d'une unité canadienne de réforme policière elle-même, a bientôt été en butte à l'inertie des programmes normaux de l'ACDI. Par la suite, les programmes ont dû être soumis aux procédures normales de l'ACDI ce qui a embourbé le processus décisionnel de l'organisation dans la bureaucratie et qui a, dans les faits, interrompu le projet de réforme policière. Un seul membre de l'équipe de départ, Tonita Murray, demeure en Afghanistan et travaille au sein du ministre de l'Intérieur.

En ce qui concerne le rôle que jouera CANADEM dans l'avenir, nous en sommes aux dernières étapes du processus d'obtention d'un contrat pluriannuel dans le cadre duquel nous enverrons davantage de spécialistes canadiens en Afghanistan, qui travailleront au sein de différents ministères et qui seront des éléments importants de la présence internationale au pays. Le processus d'obtention du contrat aura cependant pris neuf mois. Le MAECI et le Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction, le GTSR, sont confrontés aux mêmes genres de problèmes sur le plan des délais.

Cela fait déjà un bon bout de temps que j'ai posé la question suivante: pourquoi le gouvernement du Canada a-t-il été si lent à effectuer le déploiement de citoyens canadiens en Afghanistan et ailleurs ou à le financer? Le pays compte d'excellents fonctionnaires parmi les rangs de l'ACDI et du MAECI. La volonté politique d'assurer une présence en Afghanistan est bel et bien là. Le gouvernement dispose des fonds nécessaires. Malgré tout, l'intervention civile parrainée par le gouvernement du Canada prend des millénaires. Je suis convaincu que le gouvernement du Canada, dans l'ensemble, a de plus en plus peur, depuis huit ans, de connaître l'échec sur la scène internationale et qu'il évite de plus en plus de prendre des risques.

Le comité a la capacité de sauver les politiciens, le MAECI et l'ACDI et, par extension, bon nombre d'entre nous qui travaillons un peu partout dans le monde. Le comité est bien placé pour convaincre l'ensemble du gouvernement que la promotion de la sécurité et de la défense nationale donne lieu à des changements à l'échelle internationale, et est par définition risquée. En prenant des risques pour faire une meilleure promotion des valeurs et des intérêts canadiens et pour engendrer des changements là où il y a des conflits ou dans les États qui sont instables, nous allons augmenter la proportion de succès et d'échecs que nous allons connaître. On peut dire que, si nous ne connaissons que peu d'échecs, c'est que nous ne faisons pas beaucoup d'efforts.

Le comité est particulièrement bien placé pour souligner le fait que, malgré l'importance de l'armée, il n'y a pas de solutions militaires en tant que telles, et que les délais d'intervention civile parrainée par le gouvernement doivent être moins longs. Remarquez que des délais moins longs d'intervention civile parrainée par le gouvernement signifient non pas qu'il faut envoyer davantage de bureaucrates sur le terrain, mais plutôt qu'il faut faciliter le déploiement d'organismes non gouvernementaux canadiens et de citoyens canadiens. La prise de décisions rapide, le déploiement rapide de civils sur le terrain, en plus des interventions habituelles, vont améliorer l'image et l'efficacité du Canada.

CANADEM est en train d'envoyer discrètement de plus en plus de civils sur le terrain. Depuis sa création, il y a onze ans, l'organisation a proposé 15000 candidats et a permis, directement ou indirectement, le déploiement de plus de 4000 personnes. D'après le Département des opérations de maintien de la paix de l'ONU, le DOMP, CANADEM est la plus importante et la meilleure réserve civile du monde. CANADEM a tellement bien joué son rôle en faisant augmenter la représentation civile du Canada dans le cadre des opérations de la paix de l'ONU que le Canada a maintenant le même pourcentage de représentation que les États-Unis, soit 6p.100. En d'autres termes, il y autant de civils canadiens que de civils américains qui participent aux missions de l'ONU. Comparativement à notre part du marché de 6p.100, les pays du monde occidental qui s'en rapprochent le plus sont le Royaume-Uni, avec 4p.100, la France, avec 4p.100, l'Australie, avec 2p.100, l'Allemagne, avec 2p.100, et l'Italie, avec 1p.100. Les taux de représentation des autres pays sont moins élevés que cela.

Pour conclure, le succès de CANADEM repose sur le fait d'envoyer les bonnes personnes sur le terrain. Nous aimerions que cela se fasse plus rapidement. Nous espérons travailler avec le comité à faire en sorte que l'effet des interventions canadiennes à l'échelle internationale soit plus important, ce qui permettra d'accroître notre sécurité et celle des autres pays.

Le président: Merci beaucoup, monsieur LaRose-Edwards.

Le sénateur Banks: Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. En ce qui concerne ce que vous avez dit en dernier, monsieur LaRose-Edwards, nous nous sommes rendus dans certaines régions de l'Afghanistan, et nous n'avons pas vu beaucoup d'ONG ou de civils faire grand-chose. On nous a expliqué que c'était parce qu'il y avait des gens là-bas qui les auraient tués, et qu'il fallait assurer une certaine sécurité avant que les ONG puissent faire quoi que ce soit.

Je ne sais pas combien de gens vous avez dit avoir envoyés en Afghanistan, mais y en a-t-il beaucoup, ou y en a-t-il tout court, près des points chauds? Sont-ils à Kaboul, où le problème est moins grave? Nous n'avons vu personne à Kandahar. Nous avons rencontré deux ou trois personnes de l'ACDI qui faisaient de leur mieux dans une situation impossible.

M.LaRose-Edwards: Pourvu qu'il y ait des fonds pour aller dans les zones de conflit, il y a beaucoup de civils qui sont prêts à être déployés. Nous comptons dans nos rangs beaucoup de gens prêts à être déployés. Le problème le plus important est bien souvent d'obtenir le financement nécessaire par les différents canaux propres au Canada, que ce soit ceux de l'ACDI ou du MAECI. Le problème est non pas de trouver suffisamment de gens prêts à se rendre dans des zones de conflit, mais plutôt de trouver des moyens de les financer.

D'après mon expérience, les ONG et les autres organisations finissent toujours par trouver le moyen de travailler malgré les situations difficiles. Il y aura toujours des civils canadiens, notamment des membres de différentes organisations canadiennes, qui seront suffisamment téméraires pour se rendre partout, peu importe le conflit, et peu importe que l'armée soit là ou non. Parfois, c'est plus sécuritaire si l'armée n'est pas là.

Le sénateur Banks: Pratiquement tout le monde avait quitté Kandahar lorsque nous y sommes allés.

M.LaRose-Edwards: Nous savons qu'une organisation, Development Works, y était. Development Works était à Kandahar en 2002.

Le sénateur Moore: Les représentants de cette organisation n'étaient pas là lorsque nous y sommes allés.

M.LaRose-Edwards: Je vous dirais de parler à Drew Gilmore de Development Works. Il a attendu pendant huit mois que le financement arrive par le canal de l'ACDI pour pouvoir retourner à Kandahar et terminer un projet.

Le président: Pourriez-vous nous donner ses coordonnées après la réunion?

M.LaRose-Edwards: Sans problème.

Le sénateur Banks: Nous allons le retrouver.

D'après notre expérience, le genre d'effort dont nous parlons n'est pas fait en réalité, mais nous parlerons de cela une autre fois.

Je dois admettre que j'ignore tout de CANADEM.Je suis au Sénat depuis sept ans, j'ai parcouru le Canada et je me suis rendu dans nombreux autres pays avec des membres du comité, et je n'ai jamais entendu parler de CANADEM.Comme le Sénat, votre service de relations publiques fait du très mauvais travail.

Je vais vous poser les questions de base, parce que je ne sais vraiment rien de tout cela. Vous dites que vous êtes un organisme sans but lucratif et que vous êtes la réserve civile, mais, officiellement, qu'êtes-vous? Êtes-vous une société? Êtes-vous un organisme gouvernemental?

M.LaRose-Edwards: Nous sommes une ONG. Lorsque j'ai proposé cette idée au ministère des Affaires étrangères vers la fin de 1995 ou le début de 1996, on a discuté du choix de créer l'organisation au sein du ministère ou en dehors de celui-ci. J'ai fait valoir que, pour un certain nombre de raisons, il serait beaucoup moins coûteux et beaucoup plus efficace de créer l'organisation en dehors du ministère.

Le sénateur Banks: S'agit-il d'une société?

M.LaRose-Edwards: Non, c'est une organisation non gouvernementale sans but lucratif. Nous avons notre propre conseil.

Le sénateur Banks: Est-ce une association sans but lucratif ou une fondation?

M.LaRose-Edwards: Une association.

Le sénateur Banks: C'est une association sans but lucratif. Qui la finance?

M.LaRose-Edwards: La majeure partie du financement provient du gouvernement canadien.

Le sénateur Banks: À qui l'organisation rend-elle compte de la façon dont elle dépense les deniers publics?

M.LaRose-Edwards: MmeVincent et moi rendons des comptes à un conseil. Nous obtenons du financement pour nos projets du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et de l'Agence canadienne de développement international.

Le sénateur Banks: Rendez-vous des comptes à un ministre?

M.LaRose-Edwards: Nous avons les obligations ordinaires envers l'ACDI, le MAECI ou le ministère de la Défense nationale lorsqu'ils concluent un marché avec nous pour que nous fassions un certain travail.

Le sénateur Banks: Est-ce que CANADEM rend des comptes directement au Ministre ou le fait par l'intermédiaire de l'ACDI?

M.LaRose-Edwards: Nous ne rendons de comptes à personne, hormis notre conseil.

Christine Vincent, directrice exécutive adjointe, CANADEM: Nous présentons des rapports trimestriels à des agents de programme de l'ACDI.

Le sénateur Banks: Est-ce que votre organisation fait l'objet d'une vérification de la vérificatrice générale du Canada?

M.LaRose-Edwards: C'est l'ACDI et le MAECI qui effectuent des vérifications.

Le sénateur Banks: Êtes-vous assujettis à l'ensemble des dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques?

M.LaRose-Edwards: Non. C'est l'avantage dont profitent toutes les ONG du fait qu'elles sont indépendantes du gouvernement.

Le sénateur Banks: Vous n'êtes pas assujettis à cette loi parce que vous êtes une association sans but lucratif?

M.LaRose-Edwards: Exact. L'une de nos forces, c'est que, lorsque nous recueillons des renseignements sur des personnes et que nous leur demandons des commentaires sur les gens avec qui ils travaillent sur le terrain, d'une certaine façon un peu bizarre, la confidentialité de nos renseignements est mieux assurée que si nous étions assujettis à la Loi sur l'accès à l'information.

Le sénateur Banks: Si je souhaitais consulter un rapport général annuel des activités de CANADEM ayant fait l'objet d'une vérification, est-ce que je pourrais le faire?

M.LaRose-Edwards: Assurément.

Le sénateur Banks: Où trouverais-je ce rapport?

M.LaRose-Edwards: Nous vous en enverrions un exemplaire en format électronique ou papier.

Le sénateur Banks: Ne s'agit-il pas de quelque chose qui est déposé devant le Parlement dans le cadre du rapport annuel du ministre?

M.LaRose-Edwards: Non.

Le sénateur Banks: Combien de personnes font partie du personnel de CANADEM?

M.LaRose-Edwards: En ce moment, 22 personnes.

Le sénateur Banks: Tout le monde est à Ottawa?

M.LaRose-Edwards: Il y a deux personnes à Perth.

Le sénateur Banks: Vous n'avez pas de filiale en Australie?

M.LaRose-Edwards: Non, c'est Perth tout près d'Ottawa.

Le sénateur Banks: Vous avez une liste très précise du genre de choses que les gens peuvent faire. Seriez-vous en mesure de fournir une analyse démographique ou géographique du groupe de gens dont les noms figurent sur votre liste et de l'endroit d'où ils viennent? S'agit-il de gens d'un peu partout au pays?

MmeVincent: Il s'agit d'un groupe qui est assez représentatif de la population canadienne. Le Québec et l'Ontario sont un peu mieux représentés que les autres provinces, mais, en proportion, il y a une assez bonne représentation des provinces de l'Ouest et des provinces maritimes. Environ 25p.100 des gens dont le nom figure dans la base de données sont francophones, mais près de 60p.100 d'entre eux parlent plusieurs langues, et, ensemble, ils parlent 60 langues différentes. Je pense qu'il y a environ 43p.100 de femmes.

Le sénateur Banks: Vous avez dit avoir fait ce genre d'analyse, notamment sur le sexe. Y a-t-il un document là- dessus que vous pourriez faire parvenir à notre greffière?

MmeVincent: Oui.

Le sénateur Banks: Je vous en serais reconnaissant.

Le salaire de ces gens est-il établi en fonction du salaire qu'ils obtiendraient au sein de la fonction publique, vu leurs qualifications?

M.LaRose-Edwards: Non. Il faut nous voir, dans la plupart des cas, comme des intermédiaires. Nous mettons les gens en contact avec les organisations qui ont besoin d'eux, que ce soit l'ACDI, le MAECI ou, le plus souvent, l'ONU, et ce sont ces organisations qui les embauchent. À l'ONU, par exemple, les salaires sont très bons pour le travail diplomatique, mais pas très bon pour les gens qui travaillent auprès des bénévoles de l'organisation.

Nous déployons des observateurs lorsqu'il y a des élections dans certains pays, nous déployons des spécialistes des services policiers en Haïti et au Soudan et nous déployons d'autres spécialistes dans les cas où le gouvernement canadien nous fournit les fonds pour le faire, comme, par exemple, en Afghanistan.

Le sénateur Banks: Dans ces cas, est-ce que les intervenants travaillent pour vous?

M.LaRose-Edwards: Nous concluons des marchés avec eux. MmeTonita Murray travaille actuellement pour le ministre de l'Intérieur à Kaboul, en Afghanistan. Nous négocions les salaires et les conditions d'emploi au nom du gouvernement canadien. Dans le cas de MmeMurray, nous avons obtenu un contrat pour elle, nous lui payons des assurances et nous faisons toutes les autres choses qu'on fait généralement pour des consultants contractuels.

Le sénateur Banks: Est-ce qu'il y a des gens que vous déployez et qui ont un contrat avec vous et sont payés par vous?

M.LaRose-Edwards: Oui.

Le sénateur Banks: Il y en a aussi qui travaillent pour l'ONU, pour l'UNESCO, pour le gouvernement haïtien ou pour d'autres organisations?

M.LaRose-Edwards: Oui.

Le sénateur Banks: Merci beaucoup. Je suis beaucoup mieux informé à votre sujet que je ne l'étais tout à l'heure.

M.LaRose-Edwards: Nous allons réfléchir à ce que vous avez dit au sujet d'améliorer nos relations publiques. Nous avons tendance à nous concentrer sur les efforts que nous déployons sur la scène internationale. Nous sommes très connus dans le monde, mais pas très connus au Canada.

Le sénateur Banks: Pour notre part, tous nos efforts ont pour objet le Canada, et pourtant, nous ne sommes pas très connus ici.

M.LaRose-Edwards: Nous pourrions peut-être mettre sur pied une équipe qui se chargerait des relations publiques de nos deux organisations.

Le sénateur Tkachuk: Je suis curieux de savoir comment les programmes voient le jour. Vous dites que tous ces gens — 9 500 personnes ou quelque chose du genre —, sont inscrits auprès de votre organisation, et qu'il y a tant de fonctionnaires, etcetera. Commençons par l'élaboration du programme. Est-ce que l'ACDI ou le MAECI vous appellent pour vous dire qu'ils veulent faire quelque chose? Comment est-ce que ça commence, surtout en ce qui concerne l'Afghanistan, qui est notre sujet d'étude?

M.LaRose-Edwards: En Afghanistan, évidemment, le gouvernement signale son intérêt pour certains types d'activités de programme. Dans certains cas, il lance un appel de propositions auquel nous répondons. Dans d'autres, nous prévoyons les besoins, les activités que le gouvernement pourrait vouloir financer, auquel cas nous formulons une proposition sans qu'il y ait eu d'appel. Nous l'avons fait à deux reprises en Afghanistan. Nous avons présenté la proposition concernant les services policiers par l'intermédiaire de l'unité de consolidation de la paix. Le gouvernement a examiné notre proposition et a indiqué que c'était le genre de chose qu'il souhaitait financer, et il nous a fourni des fonds.

Le sénateur Tkachuk: Avez-vous dit quelque chose comme la formation? Le gouvernement a-t-il d'abord élaboré le programme, c'est-à-dire exprimé le besoin de former des policiers en Afghanistan? Les ONG se battent-elles pour faire accepter leur proposition afin de se rendre là-bas? Je ne suis pas encore sûr de comprendre comment les choses fonctionnent.

MmeVincent: Le gouvernement a exprimé le besoin de former des policiers, et nous sommes le seul organisme qui le fait. Nous avons créé un répertoire de policiers civils en service ou à la retraite, d'une police municipale ou provinciale, pour la GRC. Plus de 900 spécialistes de la police sont inscrits auprès de notre organisation. Il n'y a pas d'autre répertoire comme le nôtre au Canada.

Au départ, on nous a demandé d'aller en Afghanistan parce qu'une personne canadienne d'origine afghane travaille avec nous et que nous suivions les événements. Nous avons communiqué avec des représentants de l'UNICEF et leur avons dit que nous comptions dans nos rangs un agent de sécurité ayant l'expérience du Pakistan. Il a été l'un des premiers à se rendre là-bas, et il a effectué une partie du travail sur le terrain qui a servi à préparer le retour de l'ONU en Afghanistan, après le Pakistan.

Nous avons ensuite travaillé avec les gens qui s'occupent du programme des bénévoles des Nations Unies. Nous avons envoyé des Canadiens d'origine afghane en Afghanistan pour qu'ils puissent aider les ministres du nouveau gouvernement et faire du travail humanitaire auprès du haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et aider les réfugiés qui rentraient chez eux. Nous sommes très proactifs. Nous cherchons à déterminer les endroits où la communauté internationale a besoin de spécialistes canadiens, puis nous nous rendons là-bas et nous disons aux gens que nous pouvons les mettre en contact avec ces spécialistes. Grosso modo, nous faisons la promotion de l'expertise canadienne.

Le sénateur Tkachuk: Avant la création de votre organisation, c'est-à-dire avant 1995, comment le gouvernement fédéral s'y prenait-il pour faire cela? Comment faisait-il pour envoyer des policiers en Haïti?

M.LaRose-Edwards: Il n'y arrivait pas très bien. En fait, tout cela vient de l'époque du Rwanda.

Le sénateur Tkachuk: La GRC serait-elle en mesure de le faire?

M.LaRose-Edwards: Les bureaucrates et les policiers civils, contrairement aux militaires, travaillent à temps plein de jour. Il est très difficile de trouver des civils, que ce soit des spécialistes de la police ou des fonctionnaires de l'ACDI ou du MAECI, qui soient prêts à prendre un avion et à partir dans de brefs délais. Ainsi, la communauté internationale recrute des gens pour garnir les rangs du personnel des opérations de l'ONU. La plupart des activités qui ont lieu à l'échelle internationale sont effectuées par des personnes embauchées directement par des organisations financées par le Canada et les autres gouvernements.

Le problème, c'est que, si on ne dispose pas d'un moyen de recruter rapidement, soit on n'arrive à trouver personne, soit on recrute les mauvaises personnes. CANADEM a vu le jour à l'époque du Rwanda. Je viens du domaine de la défense des droits de la personne à l'échelle internationale. Je parle non pas de la période du génocide, mais de l'année suivante, au cours de laquelle l'ONU a établi une opération au Rwanda. Je me souviens avoir reçu un appel du ministère des Affaires étrangères et de m'être fait demander si je pourrais me rendre au Rwanda ou si je connaissais quelqu'un d'autre qui était libre. J'ai sorti mon livre noir pour voir. Plus tard, j'ai rédigé un rapport pour le ministère des Affaires étrangères sur le succès de la mission, et j'ai critiqué l'ONU, qui, selon moi, avait embauché les mauvaises personnes. De même, j'ai critiqué le gouvernement du Canada, parce que nous ne savions pas qui nos spécialistes étaient ni où ils se trouvaient au moment où on avait besoin d'eux.

C'est ainsi qu'est né CANADEM.Les représentants de la section des droits de la personne du MAECI m'ont dit: «Paul, vous avez raison: nous devrions avoir notre propre répertoire de citoyens canadiens qui auraient pu répondre à cette demande de l'ONU. Pourriez-vous commencer à bâtir ce répertoire pour nous?»

On connaît la suite. CANADEM a pris de l'expansion, sur le plan tant de la taille que de la diversité de spécialistes qu'il regroupe. C'est l'idée qui est derrière l'organisation.

Le sénateur Tkachuk: En ce qui concerne votre liste, vous avez parlé de spécialistes des droits de la personne, de fonctionnaires, de gens qui font partie du gouvernement. Le groupe de témoins que nous avons reçu avant vous a cependant parlé des familles afghanes ordinaires qui ont besoin de nourriture, d'eau, de travail, de pouvoir cultiver la terre, etcetera.

Pensez-vous que vous envoyez les bonnes personnes? Les spécialistes des droits de la personne ont-ils vraiment quelque chose à faire là-bas? S'agit-il de spécialistes de l'agriculture, d'ingénieurs, et ainsi de suite ou est-ce que ce ne sont que des avocats? Pensez-vous que le Canada envoie des gens qui savent vraiment comment faire les choses qui peuvent aider le peuple afghan? En d'autres termes, est-ce que nous envoyons des gens qui s'y connaissent en agriculture, par exemple? Des agriculteurs, des spécialistes des égouts et des canalisations d'eau, des enseignants, des gens qui savent comment construire des choses, des charpentiers et des ingénieurs — les gens que je souhaiterais voir, si ma collectivité avait besoin d'un bon coup de main? Je suis obligé de dire que la dernière personne que je voudrais voir, à ce moment-là, c'est un fonctionnaire. Les gens que je voudrais voir, ce sont ceux qui sont vraiment en mesure de faire quelque chose. Le gouvernement fédéral se concentre-t-il suffisamment là-dessus? Accordons-nous suffisamment d'importance à cela?

M.LaRose-Edwards: Vous posez deux questions. Avons-nous ces gens à notre disposition? Oui. Est-ce que le gouvernement les envoie? Pas toujours. Ou est-ce que ce sont ces personnes que les autres organisations recrutent? Pas toujours.

Les choses s'améliorent beaucoup, mais je pense qu'il arrive parfois que certaines organisations cherchent les bonnes personnes ou recrutent de la bonne façon. L'ONU continue de faire face à un problème.

Le Canada est l'un des rares pays à posséder ce genre de répertoire; la plupart des pays n'en ont pas. Par conséquent, lorsqu'ils cherchent à recruter des gens d'ailleurs qu'au Canada, ils font face à un défi de taille. C'est un autre problème.

Je dirais que, parfois, le gouvernement canadien ne recrute pas les bonnes personnes. Je dois admettre que je suis un peu critique à l'égard de l'équipe d'orientation stratégique des Forces canadiennes en Afghanistan. Envoyer beaucoup de personnel militaire pour effectuer la réforme de la fonction publique n'était peut-être pas le meilleur choix à faire; ces gens n'étaient peut-être pas nos meilleurs candidats pour ce genre d'activité. Je peux vous assurer que nous comptons dans nos rangs plus de 2000 spécialistes de la gouvernance, et que bon nombre d'entre eux ont travaillé dans des pays en développement et savent comment amener le gouvernement afghan à franchir les premières étapes de l'élaboration d'une structure gouvernementale cohérente qui fonctionne en Afghanistan, et non au Canada. Nous connaissons ces gens.

MmeVincent: Il y a assurément parmi eux d'anciens fonctionnaires.

Le sénateur Tkachuk: Je ne voulais pas prendre cela trop à la légère. Je sais que le temps file, alors c'est tout pour l'instant.

Le sénateur Nancy Ruth: J'ai quelques questions à vous poser au sujet de la façon dont votre organisation est née et de ce qu'elle fait. Lorsque vous avez eu cette discussion avec des représentants du MAECI, au début des années 1990, et qu'on a décidé que votre organisation serait indépendante du ministère, est-ce que celui-ci vous a fourni des fonds pour la mise sur pied de l'organisation? Le cas échéant, combien vous a-t-on donné, et sur combien de temps?

M.LaRose-Edwards: Notre budget pour la première année d'activité a été de 126000$, et le financement est à la hausse depuis. Nous avons régulièrement obtenu des fonds du gouvernement canadien, de différentes façons, en fonction des projets.

Le sénateur Nancy Ruth: Est-ce que ce financement vous a été accordé pour l'administration de ces projets?

M.LaRose-Edwards: Non, nous recevions des fonds pour venir en aide aux Nations Unies. Quand je dis Nations Unies, j'englobe aussi les autres organisations intergouvernementales: le Commonwealth, la Francophonie, l'OSCE, ainsi que les ONG internationales. On nous a accordé des fonds pour répondre aux demandes de l'ONU lorsque l'organisation cherchait du personnel.

Le sénateur Nancy Ruth: Continue-t-on de vous accorder une subvention annuelle?

M.LaRose-Edwards: Non, ce n'est pas une subvention. C'est un marché, une entente de contribution. Le financement a pris fin en avril. Nous nous finançons de plusieurs façons maintenant, mais nous obtenons aussi des contrats de création de répertoires spécialisés.

Le sénateur Nancy Ruth: De notre gouvernement?

M.LaRose-Edwards: Oui, du gouvernement canadien. Nous recevons aussi des fonds pour effectuer des déploiements. Nous avons récemment envoyé un deuxième groupe de 20 anciens agents de police en Haïti pour travailler sur le terrain dans le cadre de la mission de l'ONU là-bas. Nous avons conclu un marché dans le cadre duquel nous les avons choisis, leur avons fourni de l'équipement, des armes et de la formation, avant de les déployer en Haïti dans le cadre d'un détachement auprès de l'ONU pour une durée d'un an. Ils en sont maintenant à peu près à la moitié de leur mission.

Le sénateur Nancy Ruth: Serait-il juste de dire que le gouvernement canadien vous finance pour que vous trouviez des gens qui peuvent se rendre dans certains endroits où on ne serait pas en mesure de payer les frais exigés par une organisation pour trouver ces gens?

M.LaRose-Edwards: Oui, c'est exact.

Le sénateur Nancy Ruth: Est-ce que les organismes qui peuvent payer ces frais le feraient?

M.LaRose-Edwards: Oui. Nous avons tendance à nous occuper surtout des organisations qui ne sont pas en mesure de nous payer. L'ONU est un bon exemple. Pour un certain nombre de raisons, l'ONU n'est pas en mesure de payer les services que nous lui offrons. L'organisation nous décrit comme un modèle qu'elle espère que tout le monde va un jour suivre, mais elle n'est pas en mesure de payer nos services. Nous travaillons gratuitement pour l'ONU. Jusqu'à tout récemment, cependant, le recrutement pour l'ONU était financé par le MAECI.

Le sénateur Nancy Ruth: Quel pourcentage du montant du contrat exigeriez-vous à titre de frais des groupes qui sont en mesure de vous payer?

M.LaRose-Edwards: Nos frais varient énormément.

Le sénateur Nancy Ruth: Est-ce que ce serait entre 5 p. 100 et 30p.100?

M.LaRose-Edwards: De temps à autre, une organisation à but lucratif qui cherche quelqu'un s'adresse à nous. Il y a par exemple une entreprise américaine qui a conclu un gros contrat avec USAID, l'Agence américaine pour le développement international, pour l'exécution de projets en Haïti. Nous exigeons des frais de cette entreprise pour trouver les personnes dont elle a besoin.

MmeVincent: Dans ce cas précis, cela a été un tarif forfaitaire, puisqu'il s'agissait de recruter 500 personnes pour gonfler les rangs de la mission de l'ONU au Soudan. C'était un processus de recrutement très important. Pour quelque chose de plus petit, les frais seraient moindres. Ça dépend de l'ONG et du type de travail qu'elle effectue.

Le sénateur Nancy Ruth: Vous avez de la difficulté à répondre à la question, alors laissons tomber.

M.LaRose-Edwards: Ça varie. Nous disposons de cette ressource extraordinaire. Nous avons les noms de 9000 personnes fantastiques que nous essayons d'envoyer sur le terrain. Si une organisation s'adresse à nous et trouve que nos frais sont trop élevés, elle peut nous demander de lui fournir les noms de deux candidats seulement, plutôt que dix.

Le sénateur Nancy Ruth: Vous cherchez les bonnes affaires?

M.LaRose-Edwards: Nous essayons de trouver une juste équilibre, c'est-à-dire d'exiger des frais suffisamment élevés pour générer des revenus, tout en utilisant au maximum ce répertoire de 9000 noms. C'est pour ça que la question est difficile.

Le sénateur Nancy Ruth: Si je vous dis que j'ai telle et telle compétence et que je suis prête à travailler, est-ce que vous me demandez de payer quelque chose? Si vous placez mon nom sur la liste, est-ce que je dois payer quoi que ce soit pour obtenir un contrat?

M.LaRose-Edwards: Non.

Le sénateur Nancy Ruth: Est-ce que tout est déterminé au cas par cas?

M.LaRose-Edwards: Oui.

Le sénateur Nancy Ruth: Vous avez vu mon expression lorsque j'ai ouvert le dossier que vous avez fourni. J'ai passé beaucoup de temps dans le milieu des ONG, et ce qui me frappe, c'est votre utilisation du vocabulaire et d'images paramilitaires, ainsi que de l'expression «réserve civile». Ça me met mal à l'aise. Ce n'est pas une question. C'est simplement une observation.

Vous dites que vous vous occupez des questions de différences culturelles et de différences entre les sexes. Faites- vous quoi que ce soit en Afghanistan, à Kandahar par exemple? Le cas échéant, que faites-vous? Est-ce que ça fonctionne? Comment procédez-vous à l'évaluation? J'aimerais savoir comment vous évaluez l'ensemble de vos projets ou si c'est l'organisme sous-contractant qui fait l'évaluation? Comment est-ce que tout cela fonctionne?

MmeVincent: Nous avons une conseillère en matière de police et de différences entre les sexes à Kaboul. Elle y est depuis près de trois ans. Nous avons constaté de très importantes améliorations au fil du temps. Elle est là pour contribuer à l'exécution d'un programme sur les différences entre les sexes au sein du ministère pour en faire la promotion. Elle a fait en sorte que le nombre de policières qui obtiennent un diplôme augmente depuis trois ans. Elle fait du recrutement, et elle a rédigé une proposition qui a permis d'obtenir environ un million de dollars d'aide de la part de la Suisse, pour permettre au ministère de financer le travail de recrutement.

Le sénateur Nancy Ruth: De quel ministère s'agit-il?

MmeVincent: Le ministère de l'Intérieur, dont les bureaux sont à Kaboul.

Elle se déplace également en dehors de la région. Récemment, elle a rencontré des représentants de l'ACDI à Kandahar, ainsi que l'équipe provinciale de reconstruction et différents autres intervenants. Elle a également organisé une conférence internationale sur les policières musulmanes. Il s'agissait d'une première mondiale. L'organisation a fait venir des femmes d'Indonésie, d'Iran, du Pakistan et du Népal. Ces femmes se sont réunies et ont essayé de mieux comprendre les difficultés avec lesquelles les policières musulmanes sont aux prises un peu partout dans le monde. Il y aura maintenant une association internationale des policières musulmanes.

Le sénateur Nancy Ruth: Qui a payé pour cette conférence?

MmeVincent: L'Agence allemande de coopération technique, l'UNIFEM et le gouvernement du Canada. En fait, l'Association canadienne des chefs de police a aussi contribué. C'est un assortiment de bailleurs de fonds intéressant. Cette conseillère en matière de police et de différences entre les sexes est très persévérante.

Le sénateur Nancy Ruth: Comment intègre-t-elle dans son travail quelque chose comme la Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU? Est-elle en mesure d'appliquer cette résolution dans des domaines autres que son travail?

MmeVincent: Son rôle est d'accroître la sécurité des femmes et des enfants. C'est là-dessus qu'elle concentre ses efforts. Elle examine comment on peut, dans un pays musulman, recruter davantage de femmes pour travailler auprès des femmes, des enfants et des groupes vulnérables. Elle a joué un rôle essentiel dans la création d'unités d'intervention en cas de violence familiale. Ces unités ont été créées grâce à des fonds américains. L'une des premières unités a été associée au poste de police de Kaboul. Les femmes peuvent se rendre dans les locaux de l'unité en passant par une porte indépendante et faire état des cas de violence familiale. Depuis l'évaluation, qui a été très positive, il y a 13 unités d'intervention en cas de violence familiale. Le Canada a joué un rôle essentiel à l'appui de ces unités.

Il y a des parcs réservés aux femmes. La conseillère en question a joué un rôle essentiel à la prise de mesures de sécurité relativement à ces parcs, mais elle a constaté que le fait que les femmes s'occupent elles-mêmes de la sécurité posait problème, parce qu'elle n'avait pas reçu la formation adéquate. Elle travaille maintenant à faire en sorte que les femmes obtiennent cette formation. Dans les régions éloignées, les femmes qui terminent la formation pour devenir policières n'ont pas d'uniforme; il n'y a des uniformes que pour les hommes. La conseillère a aidé à coordonner une initiative à laquelle a participé la GRC pour fournir des uniformes aux policières. Ce sont là de petits pas vers l'accroissement de la sécurité des femmes et des enfants en Afghanistan.

M.LaRose-Edwards: Nous prenons la Résolution 1325 de l'ONU très au sérieux en ce qui concerne les gens dont le nom figure dans notre répertoire et que nous envoyons à l'étranger. Une femme inscrite à notre répertoire vient tout juste d'être nommée chef de la défense des droits de la personne en Afghanistan. Notre programme de stage est un exemple de ce que nous faisons pour promouvoir la présence des femmes à l'échelle internationale. Au cours des dix dernières années, nous avons envoyé 350 stagiaires sur le terrain, et environ 75p.100 d'entre eux étaient des jeunes femmes. Ce n'est pas que nous faisons consciemment de la discrimination envers les hommes.

Le sénateur Nancy Ruth: Très bien. Vous n'avez pas à être comme les universités avec leurs programmes.

M.LaRose-Edwards: Le système de répertoire contribue en fait à l'application de la Résolution 1325 de toutes sortes de façons.

Le sénateur Nancy Ruth: Quelle proportion des 9000 personnes que vous avez recrutées sont des femmes?

MmeVincent: Entre 30 et 40p.100.

Le sénateur Nancy Ruth: C'est très élevé.

MmeVincent: Nous y travaillons très fort. J'ai siégé au Comité sur les femmes, la paix et la sécurité. Je fais partie des membres fondateurs de ce comité.

Un groupe de travail d'une ONG devait compléter le travail du comité; nous avons travaillé à faire en sorte qu'on comprenne bien la Résolution 1325 au Canada. Il s'agit d'une résolution très précise qui touche l'ONU. Elle vise seulement l'ONU et ses partenaires, et elle a pour but d'inscrire les préoccupations des femmes dans le courant dominant. Nous avons tenté de recruter davantage de Canadiennes, de cerner les obstacles qui empêchent les femmes de travailler à l'étranger et de comprendre pourquoi nous n'arrivons pas à intéresser davantage de femmes.

C'est une femme avec qui nous travaillons depuis de nombreuses années qui est depuis peu à la tête de la défense des droits de la personne en Afghanistan et qui y veille à l'application de la règle de droit. Nous avons proposé sa candidature il y a un an, et nous avons été heureux d'apprendre qu'elle avait été choisie. Nous voyons de plus en plus de femmes être recrutées à l'échelle internationale. Le processus est lent, mais il est enclenché.

Le sénateur Nancy Ruth: La Résolution 1325 ne porte pas vraiment sur le fait d'inscrire les préoccupations des femmes dans le courant dominant. Nous pourrons en débattre plus tard. Je sais qu'un autre sénateur va aborder la question de l'évaluation des projets.

Le sénateur Mitchell: Votre objectif principal est d'être la plus grande agence d'emploi du monde. Ce que je veux dire par là, c'est que vous faites du placement.

MmeVincent: Nous disons à tous les gens qui s'inscrivent auprès de notre organisation que nous ne sommes pas une agence d'emploi. Nous ne répondons pas aux besoins particuliers des gens. Nous proposons des domaines d'expertise seulement en réaction aux besoins exprimés par l'ONU et par la communauté internationale. Nous nous rendons dans les collectivités, déterminons les besoins et trouvons la personne qui fera l'affaire. Nous ne faisons pas la promotion des candidats individuels.

M.LaRose-Edwards: Nous sommes plutôt comme des chasseurs de tête.

Le sénateur Mitchell: J'ai l'impression que vous lancez des projets et répondez à des demandes de l'ACDI, par exemple, lorsqu'il s'agit d'embaucher des gens dans le cadre d'un projet. Une fois que vous avez trouvé les gens, vous occupez-vous de la mise sur pied du projet ou est-ce que c'est l'ACDI qui gère le projet?

M.LaRose-Edwards: Pratiquement jamais. De temps à autre, nous le faisons, mais la plupart du temps, non. L'ONU a par exemple embauché une femme en Afghanistan à titre de conseillère principale en matière de droits de la personne. Elle travaille directement pour l'ONU. C'est l'ONU qui évalue ses qualifications et décide de l'embaucher ou de la renvoyer à sa guise. Dans l'autre cas, lorsque nous avons déployé des gens à titre de spécialistes de la police en Haïti, par exemple, nous avons un rôle à jouer dans le suivi de leurs déplacements, parce que c'est avec nous qu'ils ont conclu leur contrat et que c'est nous qui les payons. C'est cependant l'ONU qui a recours à leurs services au quotidien, alors c'est à cette organisation de nous donner une rétroaction, de nous dire si ces personnes sont efficaces ou non. Lorsque nous nous faisons dire qu'elles ne le sont pas, nous les ramenons chez eux. Nous laissons aux gens qui travaillent sur le terrain le soin de nous donner le genre de rétroaction dont nous avons besoin pour déterminer si nous les avons mis en contact avec la bonne personne ou si nous avons embauché ou détaché auprès d'eux la bonne personne.

Le sénateur Mitchell: D'après ce que vous dites, il est clair que vous vous intéressez de près à l'efficacité et à la qualité des gens que vous trouvez et que vous placez. Évaluez-vous les projets auxquels ils travaillent? Je vous donne un exemple qui a été donné pendant un autre témoignage. On nous a dit que l'ACDI avait financé l'établissement d'une maternité dans un hôpital de Kandahar. Rien n'indique cependant que cette maternité existe. À tout hasard, avez-vous connaissance de ce projet? Si vous aviez envoyé des gens dans le cadre de ce projet, fourniriez-vous une évaluation du projet? Êtes-vous préoccupé de ce que les gens participent à des projets qui n'aboutissent pas?

M.LaRose-Edwards: Non. Ce n'est pas notre rôle. Ce que nous voulons, c'est qu'on nous dise qu'une personne a fait un bon travail, un mauvais travail ou un travail quelconque, ce que nous inscrivons à son dossier. Nous évaluons constamment les gens, mais nous ne nous occupons pas de l'évaluation des programmes sur le terrain. Dans le cas des programmes de l'ONU ou de l'ACDI, nous devons présumer que ce sont les gens eux-mêmes qui décident de faire le travail ou non. Ils font une évaluation et s'en vont si le résultat ne fait pas leur affaire. Nous n'avons pas l'expertise nécessaire pour effectuer un suivi à cet égard.

MmeVincent: Nous évaluions cependant les résultats. Nous demandons aux gens de faire rapport des réalisations, des tâches et des résultats finaux de leur projet, et, jusqu'à maintenant, nous avons reçu des commentaires positifs.

Le sénateur Mitchell: Seriez-vous prêts à publier ces rapports?

MmeVincent: Oui. Nous publions des rapports trimestriels et annuels, et j'en ai un bon que je pourrais vous envoyer.

Le sénateur Mitchell: J'aimerais bien le lire. Merci.

Le sénateur Meighen: J'ai deux petites questions. Y a-t-il des endroits, des postes ou des organisations pour lesquels vous ne communiqueriez pas le nom des gens qui sont inscrits à votre répertoire? Si, par exemple, un entrepreneur s'occupant de construire des routes en Iran exprimait le désir d'embaucher d'anciens policiers pour s'occuper de la sécurité, quelle serait votre réponse?

M.LaRose-Edwards: L'un des membres de notre conseil est Warren Allmand. Ceux d'entre vous qui le connaissez savent ce que je veux dire si j'affirme qu'il surveille d'un œil d'aigle avec qui nous faisons affaire. Oui, il y a des organisations avec lesquelles nous ne faisons pas affaire, mais il y a aussi d'autres organisations pour lesquelles nous devons faire preuve d'un peu de prudence, faire quelques vérifications et décider de la réponse appropriée. Nous n'avons pas beaucoup de ressources, ce qui fait que, au bout du compte, nous devons évaluer les demandes, les unes en fonction des autres, par exemple une demande de l'ONU par rapport à une demande de l'entrepreneur chargé de construire des routes en Afghanistan. L'ONU a priorité, alors nous lui accordons la priorité. Très souvent, ce processus élimine les éléments nuisibles.

Le sénateur Meighen: Accepteriez-vous de répondre aux besoins d'expertise d'une entreprise privée?

M.LaRose-Edwards: Parfois oui, et ils paieraient assez cher, pour répondre à une question que vous avez posée tout à l'heure. Nous voyons cela comme une façon de subventionner ce que nous faisons pour l'ONU.

Le sénateur Meighen: Y a-t-il des gens de votre organisation sur le terrain à Kandahar?

M.LaRose-Edwards: Non, il n'y a personne de notre organisation à Kandahar, quoique Drew Gilmore, dont nous avons parlé tout à l'heure, est sur le terrain. Nous allons vous fournir ses coordonnées.

Le sénateur Meighen: Nous serons peut-être là-bas dans un avenir proche.

M.LaRose-Edwards: M.Gilmore est excellent. Il va vous présenter la vérité sans fard. C'est un curieux personnage. Son organisation est une organisation à but lucratif, mais il fait tellement de bonnes choses et aborde la vie d'une façon telle qu'on dirait qu'il s'agit plus d'une ONG que certaines ONG que je connais. Il fait cela dans le cadre de sa propre entreprise.

Le sénateur Meighen: Pourriez-vous fournir ses coordonnées à la greffière? Quel lien entretenez-vous avec le Service d'assistance canadien aux organismes et avec le CUSO?

MmeVincent: Ces deux organisations s'adressent à nous lorsqu'elles ont besoin d'aide pour trouver des gens.

Le sénateur Meighen: N'est-ce pas l'inverse?

MmeVincent: Nous nous sommes adressés au SACO, mais l'organisme voulait nous faire payer des frais, et nous n'avions pas beaucoup d'argent.

Le sénateur Meighen: Vous n'exigez pas d'argent du SACO.

MmeVincent: Non.

Le sénateur Moore: Est-ce que CANADEM avait envoyé des gens pour former des policiers sur le terrain en Afghanistan en 2006?

M.LaRose-Edwards: Nous avions envoyé Tonita Murray.

Le sénateur Moore: Était-elle là-bas en décembre 2006?

MmeVincent: Elle est partie à la fin novembre, pour un congé, et elle y est retournée par la suite.

Le sénateur Moore: Y avait-il quelqu'un d'autre de votre organisation?

M.LaRose-Edwards: Non, et c'est ça le point. Les choses se sont rapidement mises en branle en 2002, grâce à ce mécanisme de financement rapide dans le cadre du Fonds de consolidation de la paix de l'ACDI, mais ça s'est embourbé. La dernière fois que nous avons vérifié, 400 de nos spécialistes de la police, qui sont près de 800 au total, étaient prêts à partir en Afghanistan, mais personne n'a recours à eux. Nous essayons de faire la promotion de leur candidature auprès des Américains et d'autres, en leur faisant savoir que nous avons le nom de gens prêts à faire quelque chose. Il faut que quelqu'un soit prêt à les embaucher, mais, pour l'instant, la réponse longue, c'est non.

Le sénateur Moore: Intéressant. Nous nous sommes rendus là-bas en décembre 2006, et nous avons rencontré des agents de la GRC chargés de la formation des futurs policiers afghans. Personne n'a parlé de votre organisation. Nous avons entendu dire que les Américains et les Allemands étaient là-bas et s'occupaient de former des policiers. Une entreprise de la Californie consacrait 5 milliards de dollars par année à la formation des policiers. Pour sa part, le Canada dépensait autour de 2 millions de dollars; je ne me rappelle pas le chiffre exact. La formation durait plusieurs semaines, mais la plupart des gens abandonnaient après cinq semaines. Nous leur avons demandé pourquoi ils ne suivaient pas la formation au complet, et ils nous ont répondu qu'ils trouveraient l'argent ailleurs, d'un chef de guerre ou des talibans. Certains d'entre eux étaient des talibans, mais pas des membres convaincus. Encore là, ils auraient pu obtenir de l'argent d'un ministre à Kaboul en échange de leur loyauté.

Êtes-vous au courant de tout cela?

M.LaRose-Edwards: Oui.

Le sénateur Moore: Saviez-vous que ce genre de choses se passait?

M.LaRose-Edwards: Oui.

Le sénateur Moore: Il s'agit d'une somme énorme, et je suis surpris qu'une entreprise de ce genre dépense autant d'argent.

M.LaRose-Edwards: Il s'agit de DynCorp International.

MmeVincent: DynCorp International est financée par le gouvernement des États-Unis, alors l'embauche de Canadiens pose problème. Tonita Murray a rédigé un articledans lequel elle critique la formation des policiers à Kaboul, et je serais heureuse de vous en fournir un exemplaire. MmeMurray a été à la tête du Collège canadien de police, et elle a travaillé au sein du ministère du Procureur général; elle a donc beaucoup d'expérience. Elle a rédigé une critique de la formation policière en général, dans laquelle elle dit que la communauté internationale a laissé tomber la police nationale afghane.

Le sénateur Moore: Voilà qui ressemble, je trouve, à une histoire tirée des Confessions d'un tueur à gages économique, c'est-à-dire que les Américains disent: «Vous avez besoin de former des policiers: ça va vous coûter 5 milliards de dollars. Nous allons vous donner les 5 milliards de dollars et vous allez payer l'entreprise californienne pour le faire.» L'argent transite, mais il n'y a aucun avantage pour l'économie afghane.

M.LaRose-Edwards: C'est quelque chose qui se produit souvent.

Le sénateur Moore: Ah oui?

MmeVincent: On a beaucoup critiqué DynCorp International pour sa présence au Kosovo.

M.LaRose-Edwards: C'est toujours le gros défi que pose le travail dans les pays en développement, lorsqu'il faut y envoyer des spécialistes. J'ai souvent travaillé avec l'ONU. Dans le cadre du dernier poste que j'ai occupé, celui de représentant du haut-commissaire aux droits de la personne en Indonésie, j'ai été très critique à l'égard du programme dont j'ai repris les commandes, parce que la majeure partie de l'argent servait à faire venir des gens d'un peu partout dans le monde. J'ai dit que beaucoup d'Indonésiens pourraient faire le même travail, et j'ai réorienté le programme de façon marquée.

C'est toujours un défi, et la formation de policier est un bon exemple. S'il n'y a pas déjà de police en Afghanistan, comment faire pour commencer — c'est l'œuf ou la poule? Qui faut-il envoyer là-bas? Ça coûte très cher d'envoyer des expatriés, que ce soit des Canadiens, des Américains ou des Allemands. Mais si on ne le fait pas, qui peut mettre en place le programme de formation? S'il faut payer aussi cher, il vaut mieux choisir les gens les plus compétents. Nous faisons beaucoup d'efforts pour trouver des gens qui non seulement ont été policiers au Canada, mais qui savent aussi comment renforcer les capacités dans un pays du tiers monde. C'est le genre de candidats que nous cherchons lorsqu'on nous demande de trouver des spécialistes de la police ou d'autres domaines.

Le sénateur Moore: Vous avez les noms de 400 personnes prêtes à se rendre en Afghanistan pour soutenir la formation des policiers, mais vous n'arrivez pas à les envoyer là-bas?

M.LaRose-Edwards: Pas en ce moment, et c'est ça le problème. Si une organisation obtenait les fonds nécessaires pour embaucher ces 400 personnes ou une partie d'entre elles, elles seraient prêtes à partir.

Le sénateur Moore: Que fait le gouvernement à Kaboul avec les centaines de millions de dollars que lui verse la Banque mondiale? Ne pourrait-il pas en utiliser une partie pour ça?

M.LaRose-Edwards: Cela touche le Fonds d'affectation spécial pour l'ordre public en Afghanistan, et il y a toutes sortes de facteurs qui interviennent.

Le sénateur Moore: Il s'agit d'argent qui provient du Canada.

M.LaRose-Edwards: Oui. C'est un défi énorme, et c'est risqué. J'ai entendu ce que vous avez dit aux témoins précédents. Nous allons connaître des échecs. Nous allons essayer de faire certaines choses qui ne vont pas fonctionner. Si la communauté internationale ne connaît pas 50p.100 d'échecs pour l'ensemble de ses projets en Afghanistan, cela signifiera que nous ne faisons pas beaucoup d'efforts. Lorsque nous faisons face à des échecs, nous devons admettre que nous avons fait ce que nous pouvions, puis passer à autre chose.

Le sénateur Moore: Le temps passe. Nous devrions être en train de constituer un dossier et d'améliorer nos chances de réussite, mais je pense que ce n'est pas ce qui est en train de se produire.

M.LaRose-Edwards: Je travaille dans le domaine des droits de la personne à l'échelle internationale depuis 25 ans, et cette situation est très semblable aux autres. Lorsqu'on y est confronté, on se dit: «Les choses vont-elles jamais s'améliorer?» Cependant, je travaille beaucoup avec l'OTAN, les Forces canadiennes et d'autres organisations sur l'interaction entre les civils et les militaires et ce genre de choses, et je constate des améliorations remarquables un peu partout dans le monde. Le genre de programmes qu'on essaie de mettre en place en Afghanistan se trouvent à des années-lumière de ce qui se faisait il y a dix ans. C'est quelque chose que nous devons tous admettre, et nous devons donner une bonne marge de manœuvre à des organisations comme la MANUA, la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan. Les chances de succès en Afghanistan ne sont pas très bonnes. Ça ne veut pas dire que nous n'allons pas essayer de faire quelque chose, mais nous devons être conscients du fait que nos efforts ne vont peut-être pas aboutir, à tout le moins, pas pendant les 20 premières années.

Le sénateur Moore: Lorsque nous étions là-bas l'an dernier, on nous a dit que ça pourrait prendre de 20 à 100 ans.

Le sénateur Day: Avez-vous assez travaillé en Afghanistan pour être en mesure d'évaluer si les Nations Unies jouent le rôle qu'elles devraient jouer? Nous examinons la situation de pays dont s'occupe l'OTAN, et l'aspect développement n'était pas le principal moteur de la contribution de cette organisation. Les Nations Unies ont sanctionné cela. L'OTAN a accepté d'aller là-bas et de s'occuper de l'aspect militaire. Les Nations Unies doivent s'occuper de l'aspect développement. Est-ce le cas?

M.LaRose-Edwards: Vous connaissez l'histoire, en ce qui concerne l'OTAN. Au départ, les Américains ont dit à l'OTAN de ne pas s'occuper du sud du pays, qu'ils s'en occuperaient eux-mêmes. Évidemment, ils ont changé d'idée et demandé à l'OTAN de s'occuper de l'ensemble du pays. Il est de plus en plus admis qu'il n'y aura pas de solution militaire pour l'Afghanistan, ce qui veut dire que, par définition, l'ONU et d'autres organisations internationales devront y jouer un rôle plus important.

Il est difficile de prévoir comment les choses vont se passer. Nous n'avons pas l'expertise nécessaire pour formuler des observations plus précises là-dessus. Il faut que vous puissiez parler avec des gens qui font partie de la MANUA et d'autres organisations qui se trouvent sur le terrain, c'est-à-dire avec des gens qui ont un point de vue nuancé sur le fait que nous allons dans la bonne direction ou non. C'est probablement la meilleure chose que vous puissiez faire.

Le sénateur Day: Je vous félicite des placements que vous faites pour essayer de reconstruire la société civile. Vous avez entendu notre discussion tout à l'heure sur la reconstruction de l'infrastructure, sur les transferts d'argent et sur le fait que le salaire des policiers n'arrive pas jusqu'à eux. Ils n'ont ni uniforme ni salaire. Ils restent en poste six ou sept semaines, puis ils s'en vont.

Est-ce votre point de vue général sur la situation, mis à part pour ce qui est des gens que vous placez et qui sont payés par les organisations d'ici? Ce sont de bonnes personnes, et elles sont là-bas pour essayer de reconstruire la société civile par altruisme, mais il y a du travail à faire sur l'infrastructure physique, et ce travail ne se fait pas autant que nous le souhaiterions. Est-ce ainsi que vous évaluez la situation actuelle?

M.LaRose-Edwards: Nous dépensons beaucoup d'argent du côté militaire, mais nous ne consacrons pas autant de ressources du côté civil pour transformer l'Afghanistan, et il faut peut-être rétablir l'équilibre.

Le sénateur Day: Faut-il que ce soit les mêmes pays, ou est-ce que davantage de pays devraient contribuer à la reconstruction, par opposition à l'intervention armée de l'OTAN? Le Canada devrait-il s'occuper de l'aspect développement en plus des 3 milliards de dollars qu'il investit du côté militaire?

M.LaRose-Edwards: Il est logique, dans une certaine mesure, que le Canada et d'autres pays s'occupent de l'intervention militaire pendant que d'autres pays s'occupent d'autres aspects. L'un des défis les plus importants auxquels sont confrontés les Afghans, que ce soit le gouvernement ou la société civile, c'est de traiter avec la pléthore d'organisations et de personnes de partout dans le monde qui se succèdent régulièrement au pays. Les Afghans sont continuellement en train d'essayer de déterminer qui sont ces gens et ce qu'ils font. Aussitôt qu'ils commencent à connaître une personne, une autre arrive. Réduire le nombre de pays ne serait pas une mauvaise idée. Faire en sorte que le Canada ne travaille que dans ce pays pour les 20 prochaines années pourrait donner lieu à la création d'un modèle intéressant. Ça ne se produira pas, mais il pourrait s'agir d'un modèle intéressant.

Le sénateur Day: Est-ce que le Canada intervient en Afghanistan dans le cadre d'une entente bilatérale ou est-ce que c'est par l'intermédiaire des Nations Unies?

M.LaRose-Edwards: Cela se produit déjà. L'ACDI se préoccupe de plus en plus de la destination des fonds qu'elle consacre à l'aide internationale. La Norvège, avec un budget d'aide plus important que le nôtre, n'intervient que dans huit pays, je pense. Au fil du temps, au fur et à mesure que nous avons pris de l'expérience dans ce domaine, nous nous sommes aperçus que, lorsqu'il y a trop de pays dans une zone de mission, ça ne fait que semer de la confusion. La façon d'envisager la prestation de l'aide humanitaire à partir d'un noyau consiste à toujours désigner une organisation pour diriger une activité, ou encore désigner un bailleur de fonds principal ou un petit groupe de bailleurs de fonds, et les autres peuvent ne pas intervenir ou simplement faire une contribution financière. Cela se produit de plus en plus souvent dans les zones de mission.

Le sénateur Day: Si l'ACDI décide qu'il est trop dangereux d'envoyer des gens sur le terrain, vous pourriez envoyer des gens prêts à faire face aux risques et vous assurer que l'argent sert aux fins prévues, plutôt que d'aboutir au ministère de l'Intérieur, à Kaboul, où il disparaît. Est-ce exact?

M.LaRose-Edwards: Savoir précisément où tout l'argent va sera toujours difficile. Il faut faire confiance aux Afghans et les laisser vivre comme ils l'entendent. C'est leur pays, et ce sont eux qui doivent en être responsables. Ils vont faire des erreurs. Nous allons leur donner de l'argent et il va y avoir de la corruption. Mais il y a de la corruption partout, à différents degrés. En soi, ce n'est pas un mauvais signe. Ce sont des erreurs qui vont être commises, et il faut passer outre.

Le sénateur Day: J'aimerais poursuivre cette discussion, mais le temps dont nous disposions est écoulé.

Le sénateur Zimmer: Je veux poursuivre dans la même direction que le sénateur Moore. Vous avez parlé d'échecs. Nous entendons des choses différentes au sujet des succès et des échecs, et j'aime bien votre idée selon laquelle si nous ne subissons pas d'échecs, c'est que nous ne faisons pas suffisamment d'efforts.

En ce qui concerne les succès et les échecs dans l'instauration d'une démocratie en Afghanistan, à votre avis, quels sont les indicateurs réalistes de la progression de la démocratie dans ce pays, et est-ce que les attentes de la communauté internationale sont trop élevées?

M.LaRose-Edwards: Mes attentes face à l'Afghanistan sont très peu élevées. Je suis surpris de voir que le pays s'en sort relativement bien, et je suis toujours étonné. Mon Dieu, les choses s'améliorent bel et bien. Bizarrement, je suis optimiste au sujet de l'Afghanistan, malgré tous les échecs dont nous sommes témoins. Pour avoir travaillé pendant 27 ans dans le domaine des droits de la personne à l'échelle internationale, je sais qu'il faut voir les choses à long terme. Si vous essayez d'évaluer les choses au jour le jour, une semaine à la fois ou une année à la fois, vous allez avoir des problèmes. Il faut envisager une décennie à la fois. Si nous examinons la situation en Afghanistan en 2002, nous constatons que nous avons réalisé beaucoup de progrès. Je ne sais cependant pas encore si ça va être un succès.

Le sénateur Zimmer: Lorsque ce genre de choses se produit, nous pensons tout de suite que nous allons connaître le succès du jour au lendemain, et lorsque cela ne se produit pas, nous commençons à être anxieux. Maintenant que vous avez expliqué que nous connaîtront peut-être le succès plus tard, la perspective est plus réaliste.

Le président: Merci, monsieur LaRose-Edwards et madame Vincent, de votre témoignage. Vous avez fait une contribution de grande valeur à l'étude du comité. Ce que vous avez dit nous a tous éclairés, et nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous aider dans notre travail.

Aux membres du public qui nous regardent à la télévision, si vous avez des questions ou des observations, n'hésitez pas à consulter notre site Web au www.sen-sec.ca. Nous y affichons le témoignage aussi bien que les ordres du jour révisés. Sinon, vous pouvez communiquer avec la greffière du comité en composant le 1-800-267-7362 pour obtenir de plus amples renseignements ou communiquer avec les membres du comité.

La séance est levée.


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