Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 9 - Témoignages du 8 mai 2008
OTTAWA, le jeudi 8 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 8 h 33 pour étudier et faire rapport sur de nouvelles questions concernant son mandat.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je m'appelle Tommy Banks et je suis un sénateur venant de l'Alberta. J'ai l'honneur d'être le président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.
Avant de commencer, j'aimerais rapidement présenter les membres du comité qui sont ici ce matin. Le sénateur Dennis Dawson est du Québec; le sénateur Ethel Cochrane de Terre-Neuve et Labrador; le sénateur Bert Brown vient de l'Alberta — c'est le seul sénateur en quelque sorte élu qui siège au Sénat. Des Territoires du Nord-Ouest, nous avons le sénateur Nick Sibbeston; du Nunavut, le sénateur Willie Adams; du Manitoba, le sénateur Mira Spivak; et de l'Ontario, le sénateur Lorna Milne.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude en vue d'être mieux informés lors de notre visite prochaine du Nord canadien, pendant laquelle nous étudierons deux sujets : d'abord, l'adaptation au changement climatique et l'incidence du développement économique dans le Nord canadien sur l'environnement; et deuxièmement, l'adaptation au changement climatique dans le Nord en général.
Pour continuer de nous aider dans nos préparatifs, nous avons le plaisir d'accueillir le Dr Martin Fortier, directeur exécutif d'ArcticNet, et M. Bernie Boucher, président de JF Boucher Consulting Ltd. et président du conseil d'administration d'ArcticNet.
Nous vous remercions de bien vouloir prendre le temps de témoigner aujourd'hui devant notre comité. Nous aimerions entendre vos observations préliminaires, et nous espérons que vous voudrez bien ensuite répondre aux questions des sénateurs.
Martin Fortier, directeur exécutif, ArcticNet : Nous vous sommes reconnaissants, sénateurs, de nous avoir invités à témoigner devant votre comité. J'ai lu les procès-verbaux des rencontres récentes que vous avez eues avec des gens que je connais bien, qui font partie d'ArcticNet, et c'est un sujet important et tout à fait à propos pour vos délibérations.
Je vais commencer par expliquer ArcticNet et ce que nous faisons, et ensuite nous répondrons avec plaisir à vos questions.
ArcticNet est un réseau de centres d'excellence du Canada. Ces réseaux sont financés par trois conseils de subvention du Canada. Il n'y en a que 18 au pays qui se penchent sur toutes sortes d'enjeux, des vaccins au cancer en passant par les automobiles, et notre réseau est le seul à s'intéresser à l'Arctique.
Nous avons obtenu un financement pour une période de sept ans, avec possibilité de renouvellement pour une autre période de sept ans. Cela nous donne 14 ans pour étudier ces enjeux. C'est une période d'une durée sans précédent de financement universitaire au Canada, mais ainsi cela nous permet d'établir tous ces partenariats et ces rapports avec les intervenants qui s'intéressent au changement climatique.
Le mois dernier, on vous a exposé la teneur de ce rapport, l'évaluation qu'a récemment faite le ministère des Ressources naturelles du Canada des scénarios les plus récents d'impacts et d'adaptation, particulièrement dans le Nord. Je ne vous ferai donc pas l'exposé formel que je présente généralement sur le changement climatique en Arctique. Vous avez déjà été bien renseignés par des membres d'ArcticNet, Chris Furgal et Terry Prowse, les coauteurs de ces chapitres, ainsi que par Mark Corey, le sous-ministre adjoint de Ressources naturelles Canada. Ils font tous partie d'ArcticNet, à titre soit de membres du conseil d'administration, soit de chercheurs.
Cette incidence du changement climatique et de la modernisation de l'Arctique est la véritable raison d'être d'ArcticNet. ArcticNet a été financé en 2004 quand ont été diffusés les résultats de l'évaluation de l'impact du changement climatique dans l'Arctique. Cette étude a eu d'énormes répercussions et s'est révélée un important ouvrage qui résume les effets circumpolaires du changement climatique, particulièrement pour le Canada. Depuis lors, nous avons observé d'autres effets et causes du changement climatique, surtout dans le Nord du Canada.
ArcticNet a de vastes objectifs. Nous sommes un énorme réseau. L'un de nos buts principaux est de créer une synergie entre les divers secteurs scientifiques du pays. Les secteurs des sciences naturelles, des sciences de la santé et des sciences sociales doivent s'unir pour s'attaquer aux problèmes. Ce sont là de grands enjeux pour l'écosystème, auxquels nous sommes confrontés dans le Nord et partout ailleurs.
L'un des plus grands défis qui se posent à nous est de changer la manière dont la recherche se fait en Arctique en faisant participer les intervenants à cette recherche. Ce changement s'amorcera dans les collectivités du Nord, les organisations et les communautés. Comme vous allez le constater, ArcticNet se concentre surtout sur l'Arctique canadien côtier, dont la plus grande partie est le territoire inuit du Canada. Nous nous efforçons aussi d'établir des ponts entre l'industrie et les organismes publics dans une optique de collaboration pour faire face à ces enjeux.
L'un des plus grands défis, non seulement pour ArcticNet mais pour la communauté canadienne de l'Arctique dans son ensemble, consiste à entreprendre d'augmenter les observations. Vous savez bien que l'Arctique canadien est une région gigantesque, qui compte pour environ 40 p. 100 de la superficie de notre pays, et qui est plus vaste que la plupart des pays. Nous n'avons pour l'instant que très peu d'observations qui nous permettraient de faire un suivi des changements qui sont en train de survenir en Arctique. Ces observations on augmenté ces dernières années grâce à des investissements récents dans la recherche, mais il nous faudra faire beaucoup plus dans le futur si nous voulons contrer ce problème.
L'une des grandes difficultés que pose l'augmentation de la capacité de recherche vient du fait que pendant les années 1980 et 1990, nous n'avons pas formé de nouveaux et jeunes scientifiques; ce fut une période difficile pour la recherche en Arctique. Les coûts, comme vous devez le savoir si vous planifiez un voyage en Arctique, son prohibitifs. Il est difficile pour les jeunes chercheurs de rester dans le domaine scientifique. Il y a des enjeux énormes, mais ils sont coûteux et il est plus facile de se bâtir une réputation dans le domaine scientifique hors de l'Arctique. Nous devons changer cette conjoncture pour contribuer à garder ces nouveaux scientifiques qui sont formés en recherche sur l'Arctique.
Enfin, notre but principal est de réellement contribuer au développement de ces connaissances et d'essayer de les disséminer aux responsables des politiques et des décisions pour essayer de nous préparer aux changements qui surviennent dans l'Arctique.
ArcticNet est un réseau de recherche. Nous finançons maintenant une trentaine de programmes menés dans l'intégralité de l'Arctique côtier canadien, dans tous les domaines de la recherche concernant l'Arctique. Nous avons désormais plus de 110 chercheurs, qui sont professeurs d'université ou scientifiques du gouvernement. Ils communiquent entre eux et sont employés dans 27 universités du pays et cinq ministères fédéraux. Ces scientifiques assurent la formation de plus de 450 étudiants de cycles supérieurs, que nous appelons le « personnel hautement qualifié » dans le jargon des conseils de subvention. Il est rassurant de voir ces jeunes diplômés et futurs chercheurs. Nous créons la capacité de faire face aux enjeux du climat changeant en Arctique, mais nous avons réellement besoin de créer l'environnement qui favorisera leur maintien en poste et les incitera à rester.
Quand on parle de changement de l'Arctique et de changement climatique, c'est un enjeu international et non l'affaire du Canada seulement. Nous devons l'aborder selon une perspective internationale et nous avons pour cela établi des rapports de collaboration à l'échelle internationale, particulièrement cette année avec la tenue de l'Année polaire internationale, dans laquelle le Canada a fait d'importants investissements et ArcticNet s'est largement engagé.
En ce qui concerne l'infrastructure et l'accès à l'Arctique canadien côtier, vous connaissez l'ampleur de l'Arctique. Si on voulait tenter d'y aller par voie aérienne seulement, ce serait quasiment impossible. La Fondation canadienne pour l'innovation nous a versé une subvention pour réaménager le brise-glace de recherche du Canada, l'Amundsen. Depuis 2004, il constitue notre principale infrastructure de recherche et il a nettement accru notre présence dans le Nord, du moins en Arctique maritime, non seulement pour les chercheurs en sciences naturelles, mais aussi pour ceux du domaine de la santé.
Cette diapositive illustre un exemple de l'ampleur du programme de recherche et des différents types de projets que nous menons. Le premier thème est centré sur l'Extrême-Arctique. Nous y avons des chercheurs du Manitoba, par exemple, Dave Barber, qui travaillent sur les aspects de la glace marine et des changements phénoménaux qui survienne dans l'hémisphère Nord, particulièrement dans certaines régions de l'Arctique. Ensuite nous avons des chercheurs qui se penchent sur les effets des contaminants sur les pêches côtières et sur la santé des habitants du Nord. Il y a aussi des gens comme Michael Byers, qui s'intéressent aux enjeux de la souveraineté, ainsi que des gens qui tentent de cartographier précisément le passage du Nord-Ouest. C'est un réseau de recherches multidisciplinaires et intersectorielles que nous nous efforçons d'amplifier.
J'ai parlé de l'Amundsen. Il a constitué un important investissement du gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de la FCI et du ministère des Pêches et des Océans depuis 2003, qui nous a permis d'accroître notre capacité de recherche en Arctique.
Cette diapositive illustre l'ampleur de la présence d'ArticNet depuis quatre ans. Nous couvrons un énorme territoire. Chacune de ces lignes indique les expéditions annuelles, qui sont de l'ordre de 15 000 à 25 000 kilomètres, pour vous donner une idée de l'envergure du territoire que nous devons couvrir.
Les étoiles, sur la carte, indiquent nos activités de recherche à long terme, ou observatoires. Nous avons des observatoires terrestres, notamment sur la pointe septentrionale du Canada, sur l'île Ward Hunt, où nous observons la désintégration des plateformes de glace dans la mer. Nous avons des observatoires partout autour de la baie d'Hudson, et nous sommes maintenant actifs au Nunatsiavut, ou le Labrador du Nord. De plus, les chercheurs se rendent chaque année dans la plupart des collectivités de l'Arctique pour étudier les enjeux sociaux et des sciences sociales. Nous récoltons d'énormes quantités de données de recherche et avons publié plus de 1 000 articles dans des revues scientifiques, mais nous devons transformer ces données pour les mettre à la portée des responsables des politiques.
L'une des stratégies que nous adoptons consiste à former des études intégrées d'impact régional pour offrir un apport et un encadrement au niveau régional et, éventuellement, au niveau communautaire. L'évaluation de l'impact du changement climatique dans l'Arctique qu'on vous a présentée, qui est une évaluation nationale, est excellente. Le chapitre du Nord est aussi très bien, mais aux niveaux communautaire et régional, on nous demande de réduire ces prédictions et projections. On sait qu'il y a hétérogénéité à grande échelle des impacts dans les diverses régions de l'Arctique, et nous voulons nous pencher sur eux dans le cadre des travaux d'ArcticNet, en collaboration avec les régions.
Enfin, au sujet de l'effort de recherche, cette année est l'Année polaire internationale; elle a commencé en mars dernier et prendra fin en 2009. Le Canada a investi quelque 156 millions de dollars dans ces programmes, soit plus que tout autre pays, et une grande partie des programmes sont dirigés par des chercheurs d'ArcticNet, ou encore ils y participent. C'est une énorme poussée de l'effort de recherche au Canada dans le contexte international. Rien n'est actuellement prévu pour qu'il y en ait d'autres, ou on n'a pas défini d'héritage réel de l'API, à part l'annonce récente, dans le discours du Trône, d'un poste de recherche en Extrême-Arctique.
Nous travaillons fort pour faire en sorte que cet investissement indispensable dans la recherche en Arctique soit renouvelé dans le futur pour laisser un héritage à ces gens et aux jeunes chercheurs que le Canada est en train de former.
Pour terminer, et pour orienter les questions, il ne fait aucun doute que le changement climatique et l'évolution industrielle, particulièrement ces derniers temps, ont déjà d'énormes répercussions, tant positives que négatives, sur l'environnement et sur les habitant du Nord. Ces répercussions vont sûrement s'accélérer dans un proche avenir.
L'investissement récent dans la recherche en Arctique, que ce soit par l'intermédiaire d'ArcticNet, de l'Amundsen ou de l'API, ont ranimé notre présence scientifique dans l'Arctique canadien, mais il faudra beaucoup plus pour nous préparer pour l'Arctique de demain.
L'approche de réseautage que nous prônons, l'établissement de partenariats avec l'industrie et les régions et la collaboration internationale sont la solution. Cela a été prouvé dans bien des pays, et le Canada doit suivre leur exemple et aborder la question dans un contexte de collaboration.
Une chose manque, surtout quand on parle de changement climatique et d'évolution industrielle, et c'est la création de meilleurs liens entre l'industrie et le secteur de la recherche. L'industrie embauche normalement des sociétés d'experts-conseils, tandis que le meilleur de la recherche se fait dans les universités ou le secteur public. Il n'y a pas de raison de ne pas plus collaborer dans l'intérêt commun de la planification et du développement dans le Nord. Il faudra y voir. Nous faisons de notre mieux sur ce plan à ArcticNet, mais ces efforts doivent être encouragés.
Si nous devons nous attaquer aux enjeux du changement climatique, nous devons aussi faire d'importants investissements dans nos modes d'observation du changement climatique en Arctique. Il n'y a là que peu de stations météorologiques et peu d'efforts de recherche y sont déployés. Tous les efforts de modélisation, au Canada, se concentrent sur la région du Sud; il y en a peu dans le Nord. Il faut que cela change si nous voulons savoir ce qui se passe dans le Nord et, peut-être, dresser des plans pour l'adaptation. Nous devons savoir à quoi nous devrons nous adapter. Pour l'instant, notre capacité est limitée à ce chapitre.
À propos du MPO, de RNCan et d'Environnement Canada, ces ministères fédéraux devront se remettre à investir dans la recherche en Arctique. Ils se sont retranchés de la recherche en Arctique, et ce mouvement doit vite cesser.
Nous devons trouver un moyen de créer un héritage pour la recherche en Arctique. Le Canada a repris son rôle de chef de file en matière de recherche en Arctique, compte tenu de notre responsabilité en notre qualité de l'un des plus vastes pays de l'Arctique. Nous devons assurer plus de présence non seulement au Canada, mais aussi sur la tribune internationale pour tenter de comprendre les changements que connaît la planète.
Je n'en dirai pas plus. Vous avez reçu notre plus récent rapport annuel. II contient encore bien plus de renseignements, et aussi tous les liens et les sites web qui existent.
Nous répondrons volontiers à vos questions, dans la langue de votre choix — pas l'inuktitut, je suis désolé — mais en français ou en anglais.
Le président : Vous devrez bientôt pouvoir recevoir une traduction en inuktitut si notre projet se réalise.
Le président : Avant de passer à la liste des personnes qui veulent poser des questions, nous entendons toujours parler du pire, du genre le ciel nous tombe sur la tête, les effets désastreux du changement climatique et les catastrophes environnementales qui ne manqueront pas de survenir. Vous avez dit qu'il y a des avantages au changement climatique dans le Nord. Quels sont-ils?
M. Fortier : Il y a des effets économiques et, encore une fois, il faut toujours les pondérer. Il y a des gens qui pensent que le développement économique est fabuleux pour l'emploi. En même temps, il y en a aussi qui disent que c'est bien beau, mais tout le monde travaille dans les mines et il y a pénurie d'emplois dans d'autres secteurs. Il y a aussi l'accroissement du tourisme. Selon l'angle sous lequel on voit les choses, il y a des aspects positifs au changement climatique pour le Nord et ailleurs. Toutefois, ce qui change, particulièrement dans les Nord, c'est le mode de vie traditionnel. Il n'est pas modifié seulement par le changement climatique. Le changement climatique n'est que l'un des facteurs qui influent sur le mode de vie traditionnel des peuples nordiques. Les réalistes savent que c'est inévitable et ils s'y préparent. L'un des mandats du comité est de s'assurer que le développement se fasse au mieux des intérêts de la population nordique et qu'elle en tire parti.
Le sénateur Dawson : Je peux comprendre la frustration du sénateur Adams à propos de la traduction. Me voici, qui viens de Québec, de l'Université Laval, en train de parler avec quelqu'un d'autre de l'Université Laval. À toutes fins utiles, je pourrais m'exprimer en français et m'arranger pour passer un message, mais je tiens à reconnaître la frustration que peuvent ressentir les gens qui doivent communiquer de devoir faire que ce soit pratique. Il est toujours utile d'être pragmatique. Hier, le sénateur Spivak témoignait devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications et nous avons eu des problèmes de traduction. Je me suis exprimé en anglais et j'en ferai tout autant aujourd'hui.
Le sénateur Spivak : C'était seulement à cause de mon oreille. Je parle très bien le français.
Le sénateur Dawson : Je sais, mais je suis une personne pratique. Je le serai encore aujourd'hui. Je tiens à souhaiter la bienvenue à M. Fortier.
Tout ce qui est politique est local. J'ai fait mes études à l'Université Laval. Je passe tous les jours devant son centre de recherche quand je suis à Québec.
[Français]
Je suis fier de mon université, de ma ville et des gens de mon milieu. Je suis également fier de ce projet de recherche au cours des dernières années à l'Université Laval. Ce qui me préoccupe plus particulièrement est le financement.
[Traduction]
C'est un projet pratique. Vous avez sept ans pour vous en acquitter. C'est ce qui compte. Normalement, tous ces projets de recherche ne sont financés qu'à court terme, et quand on commence seulement à obtenir des résultats, on doit consacrer plus de temps à assurer la transition à la phase suivante du financement plutôt que de faire la recherche pour laquelle on a obtenu un financement. Si je comprends bien, en 2011, ce qui pour vous est demain en termes pratiques, le financement prendra fin.
M. Fortier : Pour être précis, le financement est pour une période de sept ans. Un examen est fait à mi-parcours. Nous venons seulement de passer avec succès cet examen, qui portait sur les trois dernières années. En 2011, nous pouvons faire une demande pour une autre période de sept ans, alors il y a possibilité de financement jusqu'en 2018.
Ce que vous avez dit est vrai, sur le fait qu'il faut toujours rédiger une proposition de subvention au lieu de faire de la recherche. Nous venons à peine de recevoir les résultats positifs de l'examen de mi-parcours, mais nous nous préparons déjà pour la demande de renouvellement de 2011, que nous devons déposer d'ici à 2010. Ce n'est pas le cas seulement d'ArcticNet. Vous savez que cela fait partie intégrante de tout le programme de recherche ici, au Canada, surtout de recherche universitaire. En fait, nous avons de la chance. Sept ans, c'est très long en recherche universitaire. J'ai déjà dirigé des réseaux de recherche pour le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, et c'était pour des périodes de cinq ans. Là aussi, il y avait examen à mi-parcours et présentation de rapports; et là encore, nous avons passé beaucoup de temps à présenter des rapports et rédiger des propositions au lieu de faire de la recherche. Je suppose que certaines personnes doivent plus se concentrer sur cet aspect, et d'autres doivent se consacrer à la recherche.
La difficulté, quand on essaie de créer ces programmes, vient de ce qu'on n'est jamais sûrs d'avoir des fonds le lendemain. Nous avons travaillé fort pour établir des relations avec Mary Simon, Duane Smith et d'autres dirigeants inuits qui siègent à notre conseil d'administration.
C'est pareil avec l'industrie. Il faut montrer qu'on sera là demain; que cela vaut la peine de fournir l'effort pour établir ces relations et des rapports de coopération. Il faut avoir ce financement à long terme. C'est difficile à faire en ce moment, dans la conjoncture actuelle au Canada.
Le sénateur Dawson : Monsieur Fortier, pouvez-vous dire au comité quel ministère finance l'Amundsen?
M. Fortier : C'est une bonne question. La Fondation canadienne pour l'innovation finance l'infrastructure, mais pas l'exploitation de l'infrastructure. Nous avons reçu 30 millions de dollars pour ragréer l'Amundsen, mais nous éprouvons encore des difficultés, chaque année, à trouver les fonds nécessaires à son exploitation. Nous sommes, nous aussi, aux prises avec le coût du carburant. Nous mettons deux millions de litres de carburant dans le navire chaque année, et nous devons le payer à même notre budget de recherche.
Le navire est là; ils fournissent les fonds. C'est un autre budget et un autre concours, mais ArcticNet est le principal client de ce navire maintenant, sauf cette année, parce que le navire est dans l'ouest de l'Arctique dans le cadre du programme de l'API. C'est un énorme défi chaque année que de trouver l'argent pour pouvoir envoyer ce navire au Nord faire nos activités de recherche.
Le sénateur Dawson : Je suis sûr que vous pourrez compter sur ce comité quand viendra le moment où vous estimerez qu'il faut exercer des pressions. Que ce soit l'actuel gouvernement ou tout autre gouvernement du passé, il faut toujours un appui politique pour assurer le succès de ces projets.
J'aimerais bien recevoir un rapport d'étape sur ces questions. Si vous pensez, n'importe quand, que nous devrions être informés, peut-être par l'intermédiaire du président, vous pourrez nous annoncer que vous avez eu un rapport favorable au lieu d'attendre trop longtemps pour nous appeler à l'aide.
Je tiens à offrir mon soutien, et je pense que la plupart des personnes qui sont ici, autour de cette table, iront vous offrir le leur à la fin de la réunion.
Le sénateur Spivak : Bravo, bravo!
M. Fortier : Je l'apprécie. Le financement, et le financement à long terme, est un grand défi pour nous, tout comme pour la plupart des grandes infrastructures de recherche au Canada. Même quand on remporte de grands succès, il est très difficile de planifier pour l'avenir.
Le président : Avant de continuer, j'aimerais que nous soyons tous mieux informés sur l'aspect du financement du navire.
De toute évidence, on ne peut faire de recherche sérieuse dans le Nord sans brise-glace. Le brise-glace appartient à la Garde côtière, mais vous parlez de trouver les fonds nécessaires pour exploiter un navire de la Garde côtière. Veuillez vous expliquer.
M. Fortier : C'est une question complexe, je suppose. Pour répondre à votre question sur l'impossibilité de faire de la recherche sérieuse sans brise-glace, j'ai des collègues qui seraient vexés rien que par cette suggestion. On peut encore mener d'excellentes recherches terrestres, et nous avons des lacunes sur ce plan aussi. Pour l'effort maritime, cependant, nous avons besoin d'un brise-glace de la Garde côtière; ce sont les seuls dont nous disposons. Nous avons le Louis St- Laurent, le plus gros, mais la plupart des brise-glace du Canada ne sont pas adaptés pour la recherche. L'Amundsen est le seul brise-glace qui ait bénéficié d'un financement spécifique pour une transformation complète — pour l'équiper et le mobiliser pour la recherche scientifique. C'est maintenant l'un des meilleurs brise-glace de recherche du monde. La Garde côtière n'en voulait plus. Il s'appelait Sir John Franklin et il avait été déclassé. Grâce à l'argent de la FCI et notre demande à la FCI — les 30 millions de dollars — il a réintégré la flotte. Ils ont aussi investi pour complètement le ragréer, le moderniser et l'équiper pour la science. Nous avons conclu une entente de partage des coûts avec la Garde côtière. Elle l'utilisera pour les opérations hivernales dans la région du Québec — les phoques et le déglaçage. De mai à octobre, toutefois, le navire est sous le contrôle des scientifiques. Nous devons payer l'intégralité des coûts pendant la période où nous exploitons le navire. Nous payons les salaires, le carburant, la nourriture, tout. Cette année, tout cela a coûté environ 45 000 $ par jour. Le secteur scientifique doit trouver cet argent pour exploiter le brise-glace. C'est extrêmement difficile, et un défi pour nous. La Garde côtière, pas plus qu'aucun ministère, n'a le financement de base nécessaire à l'exploitation de ces navires pour la recherche. D'autres pays ont ce financement de base, pour que leurs scientifiques puissent se concentrer sur l'obtention de fonds de recherche, pas rien que pour ravitailler le navire en carburant. En tant qu'organisation, nous sommes maintenant confrontés à ces deux défis.
Le président : Vous payez les salaires des agents de la Garde côtière, n'est-ce pas?
M. Fortier : Nous ne les payons que pendant les mois d'été, parce que la Garde côtière n'avait pas prévu d'exploiter ce navire. Elle l'a ajouté à son budget. C'est une entente que nous avons conclue. En été, quiconque veut affréter l'Amundsen doit pouvoir payer 45 000 $ par jour, ce qui est un défi. Ce navire a été financé grâce à l'initiative internationale, alors nous avons des collaborateurs à l'étranger. ArcticNet reçoit le financement de base pour exploiter le navire — soit environ 2 millions de dollars par année — mais ce n'est pas assez. Nous devons trouver des partenaires, et cela représente pour nous beaucoup de travail.
Le sénateur Spivak : De quel ministère est-ce que le navire de la Garde côtière relève en été? Est-ce que c'est le ministère des Pêches et des Océans? Qui a le mandat de son exploitation en été?
M. Fortier : Le mandat est détenu par le consortium scientifique qui a reçu la subvention pour remettre l'Amundsen en état. Ce consortium est composé d'une vingtaine d'universités et de quelques ministères, dont le MPO, qui est un gros ministère. Le navire appartient encore à la Garde côtière, mais le mandat de son exploitation est détenu par le consortium de recherche qui a reçu la subvention pour faire de la recherche à bord de l'Amundsen. Bien des ministères en font partie. Tout comme pour ArcticNet, les ministères fédéraux ne dirigent pas la recherche menée sur l'Amundsen, ce sont les chercheurs financés par les universités qui dirigent les travaux en partenariat avec les ministères, comme le MPO et d'autres.
Le sénateur Spivak : Est-ce qu'il y a eu des démarches de défense ou de promotion pour attirer l'attention sur cette question, parce que ce devrait être financé par le gouvernement?
M. Fortier : D'énormes pressions sont exercées au sein des conseils de subvention pour avoir une plus grande participation de certains ministères qui collaborent avec nous pour payer le temps-navire. Vous savez bien que d'autres ministères ont d'autres problèmes, et leurs propres problèmes de financement. Il y a aussi d'autres navires qui font de la recherche dans le Nord, qu'ils exploitent en grande partie. L'Amundsen est peut-être l'exception. Pendant l'été, le coût de son exploitation est à part du coût réel de la flotte de la Garde côtière et il est exploité par le secteur scientifique.
Le sénateur Sibbeston : Je suis heureux d'entendre que des peuples inuits sont impliqués et siègent à votre conseil d'administration. Les peuples du Nord ont toujours l'impression que ceux du Sud leur jouent des tours politiques. C'est pourquoi la première question que je vous ai posée ce matin, c'est où vous situez-vous?
Je suis heureux d'apprendre la participation des Inuits. Bien évidemment, c'est une occasion pour eux d'exprimer leurs préoccupations et, peut-être, d'influencer le type de recherche et où elle se fait. C'est positif.
La question précise que j'ai à poser concerne l'exploitation des sables bitumineux et son incidence en aval. Les eaux de cette région finiront un jour dans le fleuve Mackenzie et en haut, dans la région de la mer de Beaufort. J'ai appris qu'il y a deux ou trois ans, votre navire a effectué de la recherche, laquelle a conclu à un plus haut niveau de mercure que jamais auparavant.
Certainement, pour la partie occidentale des Territoires du Nord-Ouest, à part le problème général du changement climatique, le plus grand problème est la pollution émanant d'un grand projet comme l'exploitation des sables bitumineux. Quel effet cela a-t-il et aura-t-il sur les Territoires du Nord-Ouest — le bassin du fleuve Mackenzie et la région du delta de Beaufort? Est-ce un aspect de votre recherche?
M. Fortier : Oui. Au Canada, à part ArcticNet, nous collaborons étroitement avec le Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord, que mène le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. C'est l'un des meilleurs programmes du monde. Il est d'une durée de 15 ans, et nous collaborons étroitement avec eux.
Pour répondre à vos questions, nous nous concentrons sur l'Arctique côtier. Toutefois, comme vous l'avez signalé, nous sommes en aval du fleuve Mackenzie, le plus grand fleuve qui soit au Canada, et il a une incidence énorme sur la mer de Beaufort. La mer de Beaufort est et a été en grande partie le point de mire de notre recherche.
Certaines personnes du ministère des Pêches et des Océans dirigent la recherche. Ils n'ont pas directement de lien avec les sables bitumineux. Pour le fleuve Mackenzie, les problèmes viennent de l'érosion des berges provoquée par le changement climatique, la fonte du permafrost et un plus grand apport de sédiments dans les rivières qui se déversent dans la mer de Beaufort. Ils l'ont constaté. Ils travaillent aussi spécifiquement sur l'incorporation de contaminants dans les mammifères marins, particulièrement les bélugas qui vivent dans l'Arctique de l'Ouest, et ils ont observé une augmentation anormale de contaminants chez les bélugas, comparativement à ce qui se trouve dans l'environnement.
C'est un travail très récent, dont les résultats viennent seulement d'être publiés. Nous les étudions. Pour l'instant, vous le savez peut-être, l'Amundsen est littéralement pris dans les glaces de la mer de Beaufort. Il y a passé toute l'année dans le cadre du plus important programme de l'API du monde, sous la direction d'un professeur du Manitoba, Dave Barber. Vous devez le savoir. Les médias en ont beaucoup parlé. Ils étudient ces aspects pendant un cycle de toute une année. Au Canada, nous n'avons pas les moyens d'étudier l'Arctique toute une année. Les Nordistes appellent les scientifiques des oies parce que nous arrivons au printemps et repartons à l'automne, et ils ont bien raison. Vos observations initiales sont certainement justes, et nous devons faire plus pour avoir une plus grande participation et une plus grande présence dans le Nord.
En ce qui concerne vos questions sur la mer de Beaufort, il est vrai qu'on observe des hausses. Je ne peux en tout cas pas affirmer que c'est à cause des sables bitumineux. Je ne suis au courant d'aucun lien.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je vous remercie de votre présence ici aujourd'hui et d'avoir suscité cette discussion des plus informatives. J'aimerais vous interroger au sujet de l'étude que vous avez faite sur la santé des Inuits. C'est l'une de peut-être huit ou dix études que vous avez faites dans le cadre de la recherche que mène ArcticNet et de vos démarches de monitoring. Je suis médecin, alors je m'intéresse beaucoup à cette étude.
M. Fortier : Je ne suis pas médecin, mais je m'expliquerai de mon mieux. C'est certainement l'un des grands succès d'ArcticNet et de l'Amundsen, et de la collaboration jusqu'à maintenant. En 2004, en partenariat avec le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec ainsi que des organisations régionales, quelques chercheurs d'ArcticNet, sous la direction d'un professeur de l'Université Laval, ont fait de l'Amundsen une clinique ou un laboratoire flottant et on rendu visite aux 14 collectivités de Nunavik. Comme vous le savez, presque toutes les collectivités inuites sont sur la côte, alors le bateau est le meilleur moyen pour leur rendre visite et d'avoir ces vastes installations. Nous avons mené des essais cliniques, prélevé des échantillons sanguins, mesuré l'épaisseur de la carotide, tout. Le navire est devenu un laboratoire flottant, les analyses se faisaient sur place et des services étaient fournis, comme des tests de dépistage du cancer du sein, qui ne sont pas offerts dans certaines collectivités. Ce n'était pas l'objet de l'étude, mais un service qui a aussi été fourni.
Cette initiative a remporté un énorme succès, à en juger par la participation. Nous avons eu plus de 1 200 participants adultes sur une population d'environ 14 000 habitants, et cela a constitué un important échantillon. Les résultats viennent seulement d'être publiés dans 17 rapports thématiques, et je peux vous donner le lien pour les consulter, sur toutes sortes de sujets — pas seulement la maladie ou les nouvelles maladies, mais aussi la maladie mentale, la surpopulation des logements et les effets des contaminants. Ils ne se sont pas contentés de faire des essais cliniques, mais ils ont aussi mené des entrevues sur les habitudes, les habitudes alimentaires et le changement d'habitudes. Les équipes ont appris que les Inuits ne consomment plus autant leurs aliments traditionnels à cause de l'évolution de la culture et du changement climatique. Elles ont observé les bénéfices des aliments traditionnels, comme le poisson, le phoque et le muktuk pour certains, et évidemment les méfaits de la consommation de trois Coke par jour pour les enfants.
Cela s'inscrivait dans le cadre d'une étude internationale de cohortes, et nous avons démontré que l'exécution du travail sur le navire était un excellent mode de fonctionnement. Maintenant, le Danemark a suivi l'exemple avec un navire et une étude de sa propre côte Est du Groenland. Cette année, à l'occasion de l'Année polaire internationale, le deuxième projet en importance est financé sur l'Amundsen, et l'étude sur la santé s'élargit à toutes les régions du Nord. Depuis octobre dernier, le navire est allé partout au Nunavut. Il a commencé à Churchill, a fait Rankin Inlet et Fox Basin, l'île de Baffin, est allé jusqu'à Grise Fiord, et il s'est arrêté à Resolute, et maintenant le navire hiverne. Dès septembre, prochain, il ira dans toutes les collectivités côtières d'Inuvialuit et repassera encore par les collectivités du Nunavut situées aux abords du passage du Nord-Ouest, et en octobre 2008, il ira aussi dans les collectivités du Nunatsiavut.
Ces quatre dernières années, grâce à l'Amundsen et à l'investissement dans la recherche en santé, nous aurons étudié toutes les collectivités côtières inuites du Canada, ce dont nous pouvons être fiers. C'est une énorme démarche, et nous devons continuer sur notre lancée, parce que c'est une étude de cohortes. Ils veulent la refaire tous les cinq ou sept ans pour faire un suivi de l'évolution de la santé des Canadiens du Nord.
Pour ce qui est des résultats précis, je pourrais orienter le comité vers les rapports eux-mêmes.
Le président : S'ils existent, pourriez-vous en remettre un exemplaire au greffier?
M. Fortier : Oui. Les résultats ont été présentés d'abord aux collectivités elles-mêmes pour des raisons d'éthique, ils ont été approuvés et maintenant ils figurent dans 17 rapports distincts accessibles en ligne dans les deux langues officielle.
Le sénateur Cochrane : Quels sont les résultats spécifiques de ce travail que vous menez sur une période de quatre ans? Quelles mesures sont prises en conséquence des conclusions de vos observations?
M. Fortier : Évidemment, les résultats sont récents, et il faudra les communiquer au secteur des politiques et à divers niveaux de gouvernement. Par exemple, il circule bien des idées fausses sur les contaminants et la salubrité des aliments du pays dans le Nord, et la population ne veut pas manger les aliments qu'elle devrait consommer et qui sont très bons pour sa santé. Des études antérieures se sont conclues par une recommandation aux femmes enceintes de manger de l'omble chevalier. Le tabac a eu de grandes répercussions sur les peuples du Nord, et une campagne de publicité toute aussi importante s'efforce de limiter l'adoption de l'habitude de fumer. L'une des situations les plus frappantes est le suicide dans le Nord. Le taux de suicide chez les jeunes hommes est trois ou quatre fois plus élevé que dans le reste du Canada. C'est un problème très grave, lié à la santé et à la santé mentale.
En ce qui concerne les programmes, nous pouvons transmettre ces résultats, mais parfois la capacité d'intervenir dans certaines de ces collectivités isolées est inexistante. Même s'ils sont informés, ils sont dépassés, alors il est certain que cela pose problème. Les résultats, surtout quand ils sont fournis dans ces rapports qui ne sont pas rédigés dans un jargon scientifique, sont ciblés et s'accompagnent de recommandations, notamment en matière de politiques. Il faut les entrer dans le système. Il est évident que nous avons des lacunes, sur ce plan. C'est la même chose avec le changement climatique. Nous avons constaté les effets du changement climatique et nous avons transmis nos observations, mais ce comité sait mieux que moi combien de temps peut s'écouler avant que des mesures soient prises; quoi qu'il en soit, nous devons continuer d'agir.
Le sénateur Cochrane : Il ne sert à rien de faire de la recherche si elle n'engendre pas l'action.
M. Fortier : J'en conviens.
Le sénateur Cochrane : Qui sont vos intervenants? Vous avez parlé de la formation de la prochaine génération de jeunes spécialistes de l'Arctique. Qui compose la prochaine génération de spécialistes de l'Arctique, et combien de nordistes participent à cette formation? Quelles mesures de sensibilisation ont été entreprises pour inciter les nordistes à embrasser une carrière de spécialiste, comme vous-même?
M. Fortier : C'est une excellente question, et c'est l'un des grands thèmes de nos efforts. Notre coprésidente, Mary Simon, est la présidente de l'ITK, est c'est son principal objectif. Son message central porte sur l'éducation et les jeunes. En ce qui concerne ArcticNet, nous sommes un réseau universitaire, et il n'y a pas d'université dans le Nord, où le taux d'abandon scolaire est très élevé. Ce n'est pas qu'à ArcticNet qu'il revient de s'attaquer à ce problème, mais nous essayons d'encourager la participation des Nordistes et de les intéresser à la recherche en Arctique. Nous avons conçu un programme intitulé Schools on Board, en vertu duquel nous faisons monter des élèves du secondaire à bord de l'Amundsen pendant une période d'environ deux semaines. Sur les six ou sept écoles participantes, nous en avons toujours eu trois ou quatre du Nord. Plus d'une vingtaine d'étudiants sont maintenant montés à bord. Je suis normalement le scientifique en chef, là-bas, et je peux voir combien l'expérience leur ouvre les yeux et comment le fait de les mettre devant la situation et dans l'environnement peut vraiment les aider. C'est ce qu'il faudrait, mais le soutien est déficient, dans le Nord.
Nous déployons des efforts dans le cadre de différents programmes pour encourager les habitants du Nord à participer à un système d'éducation inspiré de ce qui se fait au Sud, mais ce n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder. La première chose à faire serait sans doute de les inciter à s'inscrire aux centres d'études arctiques. Encore là, jusque tout récemment, le financement accordé par le gouvernement ne permettait pas à ces centres de demander des bourses comme celles qu'offrent le CRSNG et la FCI. Et quand ils arrivent à présenter une demande, il est difficile pour eux de concurrencer les rédacteurs professionnels de demandes de subventions du Sud du pays; c'est donc un point à améliorer. En tant qu'organisme de recherche, nous travaillons à atteindre ces objectifs, mais la tâche n'est pas des plus faciles. L'ensemble du système d'éducation doit être revu dans le Nord, et pas seulement la portion recherche. Très peu de jeunes Inuits détiennent un baccalauréat en sciences au Canada; on peut probablement les compter sur les doigts d'une seule main. Une situation qui est peut-être attribuable à un système d'éducation mal adapté ou au manque d'options autres que l'université pour la formation de scientifiques dans le Nord.
Le sénateur Cochrane : Certains de ces jeunes Inuits vont à l'université en ce moment. Est-ce que nous concentrons nos efforts sur ces derniers pour les encourager à prendre part à un projet comme celui-là?
M. Fortier : Oui, et certains ont accepté d'y participer; par exemple, Jason Akearok, originaire d'Iqaluit, travaille maintenant pour Pêches et Océans Canada; c'est un garçon extraordinaire. Je lui lève mon chapeau d'avoir atteint ce niveau. C'est extrêmement difficile. Les obstacles sont énormes.
Le sénateur Cochrane : Nous avons besoin de gens de cette trempe.
M. Fortier : En effet, nous en avons grandement besoin.
Le sénateur Adams : Il m'apparaît évident que vous connaissez bien le travail que nous faisons et je vous remercie pour ce commentaire. Nous avons quelques questions à vous poser au sujet des activités de recherche au Nunavut, particulièrement celles réalisées sur le brise-glace Amundsen. Il est parti de Québec pour arriver à Rankin à la fin de l'automne dernier, avant de retourner à Ottawa. Le calendrier normal de travail reprendra en septembre.
Je crois que vous faites du bon travail; toutefois, je crains qu'il faille en faire plus pour les Inuits du Nunavut, de l'Inuvialuit, du Nunatsiavut et du Nunavik. Je suis au courant du début des recherches et je sais que l'Université de la Colombie-Britannique a entamé le processus pour effectuer de nouveaux travaux. Certains chercheurs se sont rendus en Arctique, notamment à l'île d'Ellesmere, pour étudier les changements climatiques. Chaque fois que je m'entretiens avec eux, ils me répètent qu'ils manquent d'argent et de matériel pour faire leur travail. Ce sont majoritairement des chercheurs arrivés d'autres pays qui les aident là-bas, car le gouvernement du Canada ne leur fournit pas tout ce dont ils ont besoin.
Trouvez-vous inquiétant que le gouvernement ne finance pas adéquatement la recherche sur les changements climatiques dans l'Arctique?
M. Fortier : Oui, et je me trouve probablement en conflit d'intérêts, parce que je demande moi-même plus de fonds de recherche. Tous les témoins vous l'ont dit, nous sommes dans l'ère arctique, et je peux répéter la même chose. Nous n'y consacrons pas suffisamment d'efforts et nous commençons à peine à prendre conscience du travail qui nous attend. Malheureusement, il a fallu la question de la souveraineté pour nous réveiller et nous inciter à investir davantage de ce côté. Indirectement, cela permet d'injecter plus de fonds dans la recherche, ce qui est une bonne chose. Peu importe sous quel angle nous considérons la situation, que ce soit en réaction aux changements climatiques ou pour assurer une plus grande présence à des fins de souveraineté, il est nécessaire d'investir davantage dans le Nord.
Dans le dernier discours du Trône, deux pages étaient consacrées à l'Arctique, et on parlait notamment de la recherche en Arctique; pour les chercheurs qui sont là depuis beaucoup plus longtemps que moi, c'était une première. Les chercheurs travaillant en Arctique ont été très heureux d'entendre qu'on s'intéresse davantage au Grand Nord et qu'on y construira une station de recherche qui servira le monde entier. Maintenant, cela soulève différentes questions : veut-on bâtir un immeuble grandiose ou faire un réel investissement visant à renforcer les capacités de l'Arctique? C'est le débat qui a lieu en ce moment et nous prenons également part aux discussions.
Il s'agit d'une importante initiative; même si elle ne paraissait pas dans le dernier budget, on en a fait mention dans le discours du Trône, et je crois que tous les partis sont d'accord pour investir dans la recherche qui se fait en Arctique. On a entrepris de mettre en œuvre cette initiative, mais notre investissement demeure modeste malgré les responsabilités et la richesse de notre pays, surtout si on se compare à d'autres beaucoup plus petits, comme la Norvège, qui investissent davantage et qui ont une capacité bien supérieure à la nôtre en Arctique. Toutefois, ils ont également une bonne longueur d'avance sur nous en ce qui a trait à l'exploration pétrolière. J'estime que la Norvège peut donner un avant-goût de ce que l'avenir réserve à l'Arctique canadien.
On manque d'argent. Il faut investir davantage. Nous avons injecté un bon montant récemment, mais je m'inquiète de ce qui arrivera plus tard. Nous devons poursuivre dans la même voie.
Le sénateur Adams : La NASA a détaché des chercheurs à l'île Devon. Je sais qu'ils ont quelques employés inuits qui étudient la vie sur Mars. J'espère que ces employés inuits pourront devenir des scientifiques et qu'ils travailleront au projet de recherche portant sur Mars. Je suis allé à l'île Devon il y a quelques années, et on m'a dit qu'on y construira cette année une serre où seront cultivées des plantes susceptibles de survivre sur Mars. Est-ce que des Canadiens participent à ces recherches ou s'agit-il, pour la plupart, de chercheurs américains?
M. Fortier : Non, c'est un programme mené par la NASA. Par contre, beaucoup de Canadiens y travaillent, et pas seulement à l'île Devon. Il y a également le Centre de recherche sur l'Arctique de l'Université McGill à l'île Axel Heiberg, dirigé par Wayne Pollard, qui fait également partie d'ArcticNet. Ils travaillent également au programme de la NASA en préparation aux missions d'exploration sur Mars.
L'Arctique canadien occupe une grande partie du territoire polaire et est ainsi extrêmement attrayant pour bien des pays, et pas seulement pour les autres pays circumpolaires, mais aussi pour des nations comme le Japon et la Chine. Ces pays investissent des sommes considérables en Arctique, que ce soit pour faire de l'exploration pétrolière ou pour mieux comprendre l'ensemble du système terrestre, car l'Arctique est l'endroit tout indiqué pour le faire. Le Canada doit les accueillir, compte tenu de tous les règlements qui doivent être établis. Nous devons favoriser la participation des autres pays, car nous ne pouvons tout simplement pas y arriver seuls. Il nous faut ouvrir nos frontières à la collaboration internationale dans l'Arctique.
Le sénateur Spivak : D'abord, je tiens à dire que je suis très heureuse que vous ayez accepté notre invitation. Le Canada possède une ressource formidable : nous avons des cerveaux, pas seulement de l'huile et du pétrole. Quel échéancier vous êtes-vous fixé? Si on pense aux résultats à long terme de la recherche — et le président a demandé des détails quant aux aspects positifs des changements climatiques —, disons dans 20 ans, on ne parle pas beaucoup de retombées positives dans les revues et les journaux que je consulte. Avez-vous établi différents échéanciers pour les questions qui seront étudiées à propos des changements climatiques? Évidemment, il y a des facteurs variables, qu'on se trouve dans des conditions normales ou non. C'est ma principale question.
M. Fortier : La question des échéanciers est primordiale. Comme nous l'avons indiqué, le temps prévu pour la recherche, à cause du contexte de financement, est parfois de très courte durée. Toutefois, quand on parle de changements climatiques, avec le GIEC, par exemple, il faut toujours voir à plus long terme, peu importe le scénario.
Je crois que vous avez entendu le témoignage de Rob Huebert la semaine dernière. Je ne sais pas à quel point il est entré dans les détails, mais l'indicateur le plus évident des changements climatiques en Arctique, c'est la glace marine, parce que nous pouvons l'observer à l'aide de nos propres satellites depuis une trentaine d'années. Lorsqu'on parle des effets des changements climatiques, la glace marine et l'élargissement des routes maritimes, il faut se projeter 20, 30 ou 40 ans dans l'avenir. On parle d'un siècle, alors que les politiciens parlent généralement de quatre années. Il est donc difficile de convaincre les gens qu'on en verra les répercussions au cours des trois prochaines années. Toutefois, je vivrai certainement pour voir les impacts majeurs des changements climatiques; ce ne sera peut-être pas le cas pour tout le monde, mais ce le sera pour mes enfants. C'est donc dans cette optique qu'il faut planifier nos interventions, parce qu'il est important de penser à long terme. Le même principe va pour le développement, une question que l'on devra aborder avant longtemps et qui s'avère de plus en plus importante.
Le sénateur Spivak : La glace marine fond deux ou trois fois plus vite que ce que nous avions prévu.
M. Fortier : Même les chercheurs les plus pessimistes ont été complètement abasourdis de constater à quelle vitesse la glace marine avait fondu l'an dernier. Nous perdons environ 10 p. 100 de la glace de mer par décennie. L'an dernier, nous en avons perdu 25 p. 100 en une seule saison, et les choses ne semblent pas s'améliorer pour la saison qui vient.
Vous avez peut-être entendu que la glace s'est reformée cet hiver pour revenir à son état initial; mais il s'agit là d'une glace mince de première année. La vieille glace, la calotte glacière qui ne fond pas, a même perdu du terrain par rapport à l'an dernier. Selon les grands experts du monde, on s'attend à en perdre 60 p. 100; on brisera donc encore une fois le record.
Nous sommes témoins d'une diminution radicale de la glace de mer, et de toutes les graves répercussions que cela implique pour le développement économique et la souveraineté. Fondamentalement, à long terme, on aura un nouvel océan ouvert au Nord du Canada. L'expression « d'un océan à l'autre » prendra vraiment un tout nouveau sens. La côte nord du Canada, qui est protégée à l'heure actuelle par la couche de glace la plus épaisse et la lourde au monde, sera dénudée de glace avant longtemps, un phénomène que beaucoup pourront voir de leur vivant. C'est un problème à long terme que nous devons veiller à résoudre.
Pour répondre à votre question, les recherches et les observations précises sont à court terme. Nous exerçons beaucoup de pression sur le gouvernement pour qu'il établisse des centres d'observation, parce que nous devons assurer ce genre de surveillance pour être en mesure de suivre l'évolution de la situation. Si nous n'avions pas investi dans ces satellites il y a 30 ans, nous n'aurions aucune idée des changements catastrophiques qui se sont produits pour ce qui est de la glace marine. Il faut investir davantage dans la surveillance, en plus de la recherche fondamentale.
Bernie Boucher, président, JF Boucher Consulting Ltd., président du conseil d'administration d'ArcticNet : Du point de vue économique, ce sera bien différent dans cinq, dix ou 15 ans. De nouvelles occasions de croissance économiques s'offriront à la population inuite. Certainement, cela entraînera aussi de nouveaux défis; par exemple, la saison de navigation ne sera plus la même.
Au Nord du Manitoba, c'est déjà très différent. L'an dernier, un premier navire est arrivé de Mourmansk. Il n'en faut qu'un pour partir le bal, et cela changera à jamais l'économie mondiale. Il y aura de fortes pressions dans les domaines de l'exploitation minière, de l'exploration et de l'exploitation pétrolière, et les routes de navigation seront plus achalandées que jamais. Tout le monde voudra sa part du gâteau, et on s'y prépare déjà. Les choses vont changer de façon radicale; nous devons être prêts à réagir. Les décideurs doivent se pencher là-dessus très rapidement.
Le sénateur Milne : Très brièvement, on vous a alloué 6,4 millions de dollars par année pendant sept ans; c'est ce à quoi se limitent vos ressources, et on espère qu'on vous en accordera d'autres plus tard.
M. Fortier : Pour être plus précis, c'est le financement de base que nous a fourni le programme des Réseaux des centres d'excellence. Les différents chercheurs peuvent avoir obtenu des subventions individuelles qui serviront à ArcticNet, mais le montant de base est de 6,4 millions de dollars. Comme vous pouvez le voir dans notre rapport annuel, nous obtenons aussi des contributions en nature et en argent, mais cet investissement de base permet à ArcticNet d'exister.
Le sénateur Milne : Les 156 millions de dollars investis dans l'Année polaire internationale sont-ils puisés dans vos fonds?
M. Fortier : Non, c'est un montant distinct; c'est pourquoi nous disons que le Canada a déployé des efforts notables, car il a investi de nouvelles sommes. De ce nombre, environ 100 millions de dollars ont été investis dans la recherche. Étant donné notre vaste participation à l'initiative, nous pouvons dire qu'environ 50 millions de dollars proviendront directement ou indirectement d'ArcticNet. Les données seront consignées dans nos bases, et nous participons activement à cet effort. Toutefois, il s'agit d'un investissement à court terme, valable pour un an seulement.
Le sénateur Milne : Quel pourcentage de vos fonds de subvention sont consacrés à la préparation d'un examen comme celui que vous avez mené, l'examen de quatre ans, et maintenant au processus de présentation d'une nouvelle demande et à l'exploitation d'un navire comme l'Amundsen? Quel pourcentage des fonds sont réellement voués à la recherche proprement dite?
M. Fortier : Je dirais que l'exploitation du bateau fait partie des frais de recherche. Dans l'Arctique, vous devez calculer les frais réels de fonctionnement, mais le navire entraîne des dépenses d'environ 2 millions de dollars par année. Pour les programmes et les activités de recherche financés directement, nous disposons d'à peu près 3 millions de dollars annuellement. Cela nous laisse environ 1 million, sur 6,4 millions, pour gérer le centre administratif, payer mon salaire — qui, rassurez-vous, n'est pas d'un million de dollars par année — et celui de tout le personnel, ainsi que pour couvrir les dépenses d'investissement pour d'autres partenaires. Ce qui est difficile, dans la préparation du renouvellement, ce n'est pas tant l'aspect financier que le fait que des gens comme Louis Fortier, qui dirige notre réseau, et moi doivent s'y consacrer.
Le sénateur Milne : Vous perdez du temps de recherche.
M. Fortier : Nous nous privons de scientifiques qui préparent des propositions au lieu de faire de la recherche. C'est la règle du jeu, malheureusement, pas seulement pour nous, mais aussi pour la recherche nordique au Canada — ou la recherche en général dans ce pays.
Le problème, c'est que la communauté de chercheurs sur l'Arctique compte très peu de membres. La plupart d'entre eux sont des personnes bien établies à qui on demande de siéger à tous les comités. Ce sont des spécialistes dans plusieurs domaines. Je fais partie d'environ six ou sept groupes d'experts — pour l'API, et cetera —, et c'est la même chose pour les autres. La communauté est petite et ses membres sont très sollicités.
C'est pourquoi il est si agréable de voir poindre cette nouvelle génération. À notre réunion annuelle, on compte habituellement environ 400 personnes. Il y a de jeunes étudiants, dont la plupart sont des filles — plus de 60 p. 100, ce qui représente un changement important. Les scientifiques plus âgés qui assistent à nos réunions sont très étonnés. Ce n'est plus le club des bons vieux scientifiques qui effectuaient des recherches sur l'Arctique. Nous avons maintenant un groupe très dynamique, qui a aussi une façon très différente de faire de la recherche, en tentant de faire participer les habitants du Nord.
Le sénateur Milne : C'est très encourageant, mais j'aimerais tout de même savoir quel pourcentage de vos subventions va à la recherche scientifique.
M. Fortier : Au moins 80 p. 100, si l'on considère que les frais afférents aux navires et les dépenses en carburant sont compris dans les fonds consacrés à la recherche. En fait, sans le carburant, le bateau ne peut se rendre dans le Nord et nous ne pouvons faire de la recherche. Cela dépend de quelle façon vous le voyez. Nous utilisons en réalité plus de 50 p. 100 de la subvention pour la recherche, et il y a aussi le bateau, qui nous coûte cher. Toutefois, cela permet d'effectuer beaucoup de travaux de recherche.
Le président : Nous parlons de beaucoup d'argent — 6,4 millions et 136 millions de dollars. Cependant, et je sais que ma question est délicate... Vous avez mentionné que nous ne faisions pas vraiment notre part comparativement à d'autres pays et en ce qui concerne les nouvelles initiatives prévues là-bas. Pour reprendre les paroles de M. Boucher, aurons-nous notre part du gâteau?
M. Fortier : Je crois que oui. Je ne veux pas brosser un tableau trop sombre. Si nous n'avions pas investi dans l'API, nous aurions manqué le bateau. Nous avons fait preuve de leadership en investissant dans l'Année polaire internationale. Même si 150 millions de dollars semblent peu, lorsqu'on regarde la participation générale, on se rend compte que le Canada a repris une certaine position de chef de file dans la recherche sur l'Arctique grâce à l'Année polaire internationale. Toutefois, c'est un investissement unique pour deux ans de recherche, qui nous servira d'assise.
ArcticNet n'est pas la réponse à tout. C'est un réseau qui se concentre sur certains aspects de la recherche, mais on a besoin de beaucoup plus d'investissements. Je suis convaincu que nous sommes sur la bonne voie, et le Canada fait sa part. Au début de ma carrière, j'arrivais aux réunions la mine basse, mais maintenant, je peux garder la tête haute. Un changement radical s'est produit depuis dix ans.
Le président : Nous devons faire en sorte que cela demeure ainsi.
M. Fortier : Oui, car d'autres pays commencent à investir. La Chine, notamment, y travaille fortement. La Russie n'investit manifestement pas autant dans la recherche qu'elle le devrait. Elle était une grande puissance auparavant, mais lorsqu'on se rend en Russie maintenant et qu'on visite leurs instituts de recherche, on peut voir une réelle dégradation. Néanmoins, ce pays possède de nombreuses données et a accès à beaucoup de régions, et cela représente un défi pour nous et pour la communauté internationale.
C'est aussi un avantage pour le Canada. En outre, la Russie ferme ses frontières aux scientifiques internationaux, mais pas le Canada. Si vous voulez un laboratoire pour étudier l'Arctique, c'est au Canada. Nous devrions en profiter, construire cette station et attirer ici les scientifiques du monde entier.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit à propos de la Russie; vous avez parlé de « dégradation ». Pourriez-vous nous exposer plus en détail votre point de vue sur la participation de la Russie dans la recherche sur l'Arctique?
M. Fortier : La Russie a une longue tradition de recherche dans cette région. Pourtant, l'année dernière, lorsque je suis allé à l'Institut de recherche sur l'Antarctique et l'Arctique de Saint-Pétersbourg, j'ai trouvé qu'il ressemblait à un édifice fantôme. Il y a eu très peu d'investissements récemment dans la recherche sur l'Arctique. Au bout d'un corridor très sombre dans lequel des personnes fumaient, on entrait dans un beau laboratoire moderne, financé par l'Allemagne et la Norvège grâce à la collaboration internationale. C'est probablement de cette façon qu'elle tente de s'y remettre. La Russie a beaucoup d'infrastructures de recherche. Elle possède des brise-glace à propulsion nucléaire. Sur le plan des infrastructures, elle a une nette longueur d'avance. Nous trouvons difficile de former la nouvelle génération, mais c'est certainement un grand problème pour la Russie également.
Nous essayons de la faire participer davantage. Par exemple, dans le cadre du projet en cours sur l'Amundsen, nous avons demandé des fonds au gouvernement du Canada pour être en mesure d'inviter les Russes à y prendre part. Si nous ne payons pas leurs frais, ils ne pourront pas venir. Ils n'ont pas l'argent nécessaire pour faire ce type de recherche. Lorsque nous nous rendons à des forums internationaux, la Russie est toujours absente. Elle possède beaucoup de connaissances non publiées qu'il est très difficile d'obtenir.
ArcticNet collabore avec les Russes pour examiner les changements circumarctiques, mais nous passons par les bureaux de l'Alaska, qui disposent de fonds. Il est très rare qu'une initiative dirigée et financée par la Russie suscite la collaboration internationale.
J'ai peut-être utilisé le mot « dégradation », mais je ne veux pas donner l'impression d'être négatif, car la Russie joue un rôle très important et c'est une grande puissance dans les secteurs pétrolier et gazier. Nous devons nous efforcer de faire participer la Russie à cet effort international.
Le président : Nous devons nous arrêter. Comme vous pouvez le constater, messieurs, nous aimerions continuer encore une heure, mais c'est impossible, malheureusement. Messieurs Boucher et Fortier, nous vous remercions beaucoup d'être venus. Nous aurons peut-être d'autres questions. J'espère que vous nous permettrez de vous les transmettre.
M. Fortier : Bien entendu. Je vous remercie beaucoup. Je vous souhaite bonne chance pour votre voyage dans le Nord.
Le président : Honorables sénateurs, nous allons poursuivre notre séance d'information sur le Nord en nous penchant maintenant sur le changement climatique et l'incidence du développement économique dans le Nord canadien sur l'environnement, avec notre invité, Mike Vaydik, directeur général de la NWT and Nunavut Chamber of Mines.
Mike Vaydik, directeur général, NWT and Nunavut Chamber of Mines : Je vous remercie. Je suis heureux de revoir ici deux vieux amis du Nord, les sénateurs Sibbeston et Adams.
La Chamber of Mines représente environ 1 000 membres qui travaillent dans l'exploration et l'exploitation minières dans le Nord. Cela comprend les exploitants de mines, les petites entreprises d'exploration minière, dont la plupart ont leur siège à Toronto et à Vancouver, ainsi que le secteur des services qui fait affaire avec les mines. Cela englobe même les prospecteurs et autres entrepreneurs qui œuvrent dans l'industrie minière.
L'industrie minière d'aujourd'hui diffère beaucoup de celle que l'on voit sur les photos, montrant des gens en train de creuser un trou dans le sol, de l'eau tombant sur leur casque muni d'une lampe. Nous avons des mines souterraines, mais elles sont très différentes de celles que nous voyons trop souvent dans la presse populaire.
Les mines ont une durée de vie limitée. Nos mines de diamant seront fermées d'ici environ 15 à 20 ans. Elles sont incroyablement profitables à la génération qui travaille là-bas actuellement et à ceux qui servent ces entreprises. Nous devons en faire une industrie multigénérationnelle qui dynamisera le tissu économique des communautés pour l'avenir.
L'industrie minière dépend de l'exploration. Toutes les mines ferment un jour, et la seule façon d'avoir une industrie minière durable, c'est de maintenir nos efforts d'exploration.
Cela comporte des risques. Il faut beaucoup de temps pour trouver une mine et la meilleure méthode pour surmonter les difficultés, c'est de s'assurer qu'il y a beaucoup d'exploration, afin d'améliorer les chances de découvertes de filons.
Pour ce faire, il faut des conditions propices à l'investissement et à l'exploitation. Malheureusement, dans le Nord, nous sommes confrontés aujourd'hui à l'incertitude liée aux revendications territoriales, à l'aliénation d'une trop grande étendue de terre pour les zones protégées et les parcs, et à des préoccupations relatives à la réglementation qui nuisent au développement.
J'aimerais donner au comité un aperçu de la performance économique des mines de diamant et parler un peu d'histoire. L'industrie minière domine l'économie moderne du Nord depuis les années 1930, époque où la construction d'avions sécuritaires a rendu l'exploration possible.
L'exploitation de la mine de Port Radium, sur le Grand lac de l'Ours, et le forage des puits de pétrole, à Norman Wells, ont marqué le début de l'ère industrielle du Nord. Toutes les mines exploitées dans le passé, à l'exception de celles de diamant, sont maintenant fermées. Je vous parle des mines d'or dans la région de Yellowknife, de la mine de nickel de Rankin Inlet, de la mine de plomb-zinc de Pine Point, au sud du Grand lac des Esclaves, ainsi que de Nanisivik et Polaris, qui étaient exploitées dans l'Extrême-Arctique.
J'ai pensé souligner le rôle important de l'industrie minière pour la souveraineté dans le Nord. Les plus grands drapeaux canadiens ayant flotté dans l'Arctique se trouvaient sur le toit de l'entrepôt de concentrés de Polaris et Nanisivik. Ils étaient un symbole puissant de la présence du Canada. Il y avait là des gens ordinaires qui faisaient des choses tout à fait banales.
Ces mines, même si elles sont fermées aujourd'hui, ont offert des possibilités de formation et d'affaires à plusieurs générations, généré des revenus pour le gouvernement par l'entremise de redevances et d'impôts, et ont eu des retombées bénéfiques qui ne sont peut-être pas visibles. Le système de barges sur le fleuve Mackenzie, que nous utilisons tous aujourd'hui, a été implanté en raison de la nécessité de transporter le pétrole de Norman Wells, ainsi que le matériel et les concentrés de Port Radium. Nous avons développé la production d'énergie électrique — toute la puissance hydroélectrique que nous avons dans le Nord — pour alimenter la mine de Pine Point et celles de Yellowknife. Ce type de production d'énergie peu polluante existe grâce à l'industrie minière.
En ce qui concerne les navires océaniques dont votre dernier témoin a parlé, le seul brise-glace de haute mer que nous connaissons a été construit pour desservir les mines de Nanisivik et Polaris. Il dessert maintenant d'autres mines. Le port de Nanisivik sera converti en base militaire pour protéger notre souveraineté. Le chemin de fer allant vers Hay River, qui permet l'acheminement de marchandises bon marché vers les Territoires du Nord-Ouest et l'ouest du Nunavut, a été construit grâce à la mine de Pine Point.
Depuis la découverte de diamants en 1991, on parle du rendement incroyable des mines et des efforts d'exploration sans précédent pour trouver de nouveaux gisements. Le dernier communiqué de Statistique Canada, publié il y a environ une semaine, révèle que l'exploitation des mines de diamant a permis d'injecter 1,2 milliard de dollars dans l'économie des Territoires du Nord-Ouest en 2007, de sorte que les Territoires du Nord-Ouest ont enregistré la plus forte croissance du PIB au Canada, soit 13,1 p. 100, suivis du Nunavut, avec 13 p. 100. Ce sont des chiffres que nous n'aurions pu imaginer il y a 10 ans.
Les gens du Nord savent que l'industrie minière a également stimulé les secteurs de la construction et du transport. Elle est à l'origine d'une croissance sans pareil de l'investissement privé. L'industrie minière du diamant a en effet investi plus de 7 milliards de dollars, engendrant des retombées pour toutes les entreprises du Nord. Les sociétés autochtones nordiques, les autres sociétés de la région et les entreprises du Sud en ont bénéficié à parts égales. On constate donc un effet positif considérable pour l'ensemble du pays, mais surtout pour les habitants du Nord.
Grâce à l'industrie diamantaire, la croissance cumulative de l'emploi en 2006 équivalait à environ 10 000 années- personnes, ce qui montre combien les possibilités d'embauche étaient nombreuses aussi.
L'exploration minière joue un rôle important dans l'économie du Nord. L'année dernière, plus de 500 millions de dollars ont été dépensés dans les deux territoires, soit 322 millions au Nunavut et 178 millions dans les Territoires du Nord-Ouest, pour acheter des biens et services fournis par les gens du Nord : des avions et des hélicoptères nolisés, des contrats d'exploitation ou des services d'experts-conseils en tous genres, des services dans les camps et autres, offrant ainsi une multitude de débouchés commerciaux et professionnels. Ces secteurs emploient de nombreux habitants du Nord à tous les niveaux de spécialisation.
Ensuite, je vais vous parler un peu de la performance environnementale. Nous savons que certains sénateurs siégeant à ce comité, et d'autres, ont visité les mines de diamant Diavik et Ekati et constaté de visu les précautions qu'on y prend au chapitre de l'environnement. Nous sommes fiers des réalisations des mines modernes. Nous reconnaissons nos erreurs du passé, mais savons que l'industrie d'aujourd'hui est très différente de celle qui nous a légué la mine Giant, où une énorme opération de nettoyage s'impose.
Les mines de diamants respectent maintenant les critères environnementaux les plus stricts — les normes internationales ISO 14001. Il n'y en n'a pas de plus élevées.
Malgré le climat, l'isolement et les autres difficultés qu'elles doivent surmonter, les entreprises minières du Nord appliquent des normes sévères en matière de sécurité industrielle. Dans ce domaine, les exploitations modernes ont relevé la barre, et les autres secteurs se voient contraints d'emboîter le pas. Deux mines de diamants ont d'ailleurs reçu la semaine dernière le plus important prix canadien en matière de sécurité, le trophée John T. Ryan.
Permettez-moi d'aborder également la participation autochtone, parce que dans le Nord, elle est automatique. Le gouvernement tlicho — qui représente les communautés à l'ouest de Yellowknife — a grandement bénéficié de l'exploitation des mines de diamants. En 2007, Tli Cho Logistics — l'une de ses sociétés — a conclu avec des mines de diamants des contrats d'une valeur de 60 millions de dollars. L'entreprise emploie plus de 300 personnes. Il y a 10 ans, les membres de ces communautés n'avaient aucun espoir d'obtenir un poste à temps plein bien rémunéré. Ces sociétés se sont lancées dans différents projets, y compris le nettoyage de la mine Colomac. Leur bilan en matière de sécurité est également impressionnant : elles ont dépassé le million d'heures travaillées sans absence résultant de blessure.
Voici un exemple des effets secondaires positifs du développement minier que j'ai pu constater : la hausse du taux d'inscription à des établissements d'enseignement postsecondaire dans les communautés tlicho l'année dernière. En 1998, à l'ouverture de la mine de diamants Ekati, trois membres des communautés tlicho suivaient des études postsecondaires. Cette année, on en compte plus de 150. C'est une augmentation incroyable. On l'attribue à un fort leadership communautaire, un engagement des collectivités envers l'éducation, des bourses d'études offertes par l'industrie et, ce qui est très important, la possibilité réelle d'obtenir un emploi digne de ce nom.
Au lac Baker, au Nunavut, on a ressenti les bienfaits du développement minier dès la mise en chantier du Meadowbank Gold Project. Pour construire une route menant jusqu'à l'exploitation, on a formé et engagé de nombreuses personnes sur place.
En réponse à une question posée récemment dans une tribune publique au sujet des répercussions et des avantages de la mise en valeur des mines, le président de Nunavut Tunngavik Incorporated, gestionnaire des revendications territoriales du territoire, a répondu : « Allez-y. Nous sommes prêts. »
Le gouvernement du Nunavut et le Nunavut Arctic College ont entamé la construction d'une nouvelle école de métiers à Rankin Inlet, afin d'offrir de nouvelles possibilités de formation. L'industrie a déjà engagé des discussions avec eux au sujet de certains programmes.
Un autre exemple qui prouve que les gens du Nord sont prêts à relever les défis du développement minier est celui de Nunavik Tunngavik Incorporated, NTI, et de sa participation au dossier de l'uranium. Dans les années 1980, en réaction aux préoccupations soulevées par l'extraction minière d'uranium près du lac Baker, on a imposé un moratoire sur les projets d'extraction de ce métal dans la région de Kivalliq. Depuis, la revendication territoriale a été réglée et un nouveau système réglementaire est en place pour aider les communautés à prendre elles-mêmes des décisions éclairées au sujet de l'uranium. NTI a rédigé un document de travail et tenu une série de réunions de consultation afin de discuter ouvertement des questions entourant l'extraction d'uranium. Par la suite, la communauté a voté en faveur de la levée du moratoire et s'est montrée disposée à mettre en œuvre des stratégies favorisant la prospection et l'extraction d'uranium, pour autant que ce soit fait d'une façon sécuritaire et écologique.
L'extraction et la prospection poussée ont eu une énorme incidence sur le taux d'emploi et le climat des affaires dans la région de Kitikmeot également, grâce à la mise en valeur d'une mine d'or à Hope Bay. Dans la région de Baffin, on a entendu parler de Baffinland Iron Mines Inc., à Mary River. Cette mine pourrait garantir de l'emploi dans la région septentrionale de Baffin à de nombreuses générations à venir. Une mine de fer est une ressource extraordinaire qu'il faut exploiter, et qui peut durer plusieurs générations.
J'aimerais souligner le travail de la Mine Training Society des Territoires du Nord-Ouest, qui a assuré la formation de nombreux Autochtones du Nord pour des emplois dans le secteur minier, mais dont les compétences sont transférables à d'autres domaines. Ce projet a été mis sur pied grâce au Partenariat pour les compétences et l'emploi des Autochtones. J'ai participé à l'élaboration de la stratégie, et nous sommes très fiers qu'elle ait servi de modèle à d'autres initiatives de financement partout au Canada. C'est dans le Nord que nous avons établi les critères de ce programme national. Nous offrons de la formation aux gens pour qu'ils puissent décrocher de vrais emplois. Trop de jeunes ont participé à des programmes de formation par rotation, pour se retrouver, au bout du compte, sans travail. Nous concentrons nos efforts sur des postes existants. L'initiative a remporté beaucoup de succès. Nous savons que d'autres projets semblables sont en cours au Nunavut, et que des entreprises d'extraction et de prospection ont déjà engagé des discussions avec des responsables de la formation.
L'une des difficultés auxquelles nous nous heurtons dans le Nord, surtout dans les Territoires du Nord-Ouest, c'est le développement minier dans les parcs nationaux. Au début, la réserve du parc national Nahanni — nous savons que le premier ministre de l'époque avait joué un rôle majeur dans son établissement — s'étendait sur une superficie d'environ 4 700 kilomètres carrés, mais elle en couvre maintenant plus de 42 600. C'est dix fois sa superficie initiale, et environ 77 p. 100 celle de la Nouvelle-Écosse. La création officielle de ce parc empêcherait à jamais l'exploitation d'une zone pourtant reconnue pour son fort potentiel minier, le long de la frontière entre le Yukon et les Territoires du Nord- Ouest. La récente évaluation des ressources minières et énergétiques révèle que ces régions sont extrêmement prometteuses, mais il n'y a pas eu de véritable discussion entre les membres de l'industrie qui comprennent bien ces concepts géologiques — souvent difficiles à saisir pour les profanes —, les collectivités et les autres intervenants du Nord qui s'intéressent à l'avenir économique de cette région. On n'a pas effectué d'évaluation socioéconomique, qui pourtant traduirait ces concepts géologiques en notions plus faciles à comprendre, comme des possibilités d'emploi, d'affaires, de formation et de construction d'infrastructures. Toutefois, le gouvernement semble pressé de délimiter le parc et de le rendre officiel. Nous croyons qu'il est temps de tenir de bonnes discussions pour assurer la prise de décisions éclairées. L'aliénation provisoire des terres demeure valide. Il ne se fait aucune exploration dans la zone proposée du parc. Rien ne presse pour empêcher l'exploitation de la région, alors pourquoi ne pas prendre un peu plus de temps pour en discuter de façon éclairée?
Une autre réserve de parc qui a connu une expansion incroyable au cours de la dernière année, c'est le projet de parc au bras est du Grand Lac des Esclaves. La terre déclarée inaliénable est passée d'une superficie de 7 400 kilomètres carrés en 1970 à 33 000 l'année dernière. En plus de la zone exclue à jamais des projets de mise en valeur à l'intérieur du parc — et nous savons que le parc regorge de ressources minières — à cause des règles du parc concernant les routes, les lignes de transport d'électricité, et cetera, qui traversent les parcs, une autre zone des Territoires du Nord-Ouest serait exclue des projets de mise en valeur, juste à cause de son emplacement. Les promoteurs ne pourraient pas y accéder de façon efficace ou économique pour faire de la mise en valeur au-delà des limites du parc. En fait, non seulement ce projet isole la zone à l'intérieur du parc, mais il entraîne aussi des répercussions à l'extérieur du parc.
Outre les projets de parc déjà mentionnés, il existe plusieurs projets d'aires protégées de diverses tailles qui totalisent 275 000 kilomètres carrés. Sans conteste, les Territoires du Nord-Ouest occupent une grande superficie, mais dans le cadre de cette stratégie, environ 28 p. 100 de nos terres deviendraient des parcs et des zones protégées. La deuxième entité en importance au Canada pour ce qui est des aires protégées, c'est la Colombie-Britannique avec 11 p. 100, suivie du Yukon avec 10 p. 100. Il y a donc une question d'équité.
Les autres zones de conservation, en plus de ces parcs et aires protégées, découlent du processus de planification de l'aménagement régional du territoire, et elles retirent 43 000 autres kilomètres carrés des projets d'exploration. Cela signifie qu'avec ces 28 p. 100 de terres réservées pour les parcs et les aires protégées, la superficie inaliénable totale dans les Territoires du Nord-Ouest se chiffre à 318 000 kilomètres carrés. À titre comparatif, les trois provinces maritimes couvrent environ 134 000 kilomètres carrés. Notre zone est plus de deux fois supérieure à la superficie des trois provinces maritimes.
Il s'agit de zones où les géologues et les prospecteurs ne pourront plus faire des recherches pour repérer des gisements minéraux. Nous tenons à souligner qu'il faut explorer une grande superficie de terres avant de découvrir des gisements exploitables, mais que seulement environ un sur 10 000 indices positifs de minéralisation devient une mine. L'exploration en tant que telle a peu d'incidence. Aujourd'hui, la plupart des opérations se font par hélicoptère; par exemple, on déplace les trépans par hélicoptère au lieu de les traîner dans les broussailles. Il y a peu d'endroits où défricher des bandes à travers les arbres, et encore moins de perturbation de la toundra.
L'exploitation minière, qui a un impact sur la terre, se limite à une très petite superficie. Toutes les mines qui existent ou qui ont déjà existé dans les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut n'occupent que trois millièmes de 1 p. 100 du territoire. Ce n'est qu'un tout petit point. Il est vrai que les répercussions sont importantes, mais nous améliorons sans cesse notre rendement environnemental. Par contre, nous avons besoin d'une grande superficie pour les recherches, qui n'ont que très peu d'incidence. Lorsqu'on tient compte des avantages que peut procurer l'exploitation minière, les habitants du Nord et le gouvernement fédéral doivent également se préoccuper de la superficie des terres exclues des projets d'exploration.
Un autre obstacle à la mise en valeur ordonnée, c'est notre système de réglementation dans le Nord. Dans les Territoires du Nord-Ouest, le système actuel est régi par la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Dix-sept commissions ont été créées en vertu de cette loi, et il y a eu diverses revendications territoriales dans le Nord pour régir le processus de réglementation sur un territoire de 40 000 personnes.
Le président : Monsieur Vaydik, pouvez-vous nous dire si la loi que vous venez de mentionner est une loi des Territoires du Nord-Ouest?
M. Vaydik : Non, c'est une loi fédérale. Elle existe depuis environ dix ans, et même la nomination des commissaires s'est avérée très difficile. C'est le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien qui les nomme, et il est difficile de repérer des gens intéressés, disponibles et qualifiés à partir d'une réserve de talents si petite.
On se retrouve avec du chevauchement et des systèmes qui prêtent à confusion à cause de ces organismes de réglementation régionaux et de l'autorité générale d'évaluation environnementale. Dans certains cas, des prospecteurs qui avaient obtenu un permis d'un office régional des terres et eaux ont quand même essuyé un refus de la part du Bureau d'examen des répercussions environnementales. Il règne donc une confusion.
Nous venons tout juste de participer à un examen du système de réglementation. Cela fait dix ans que nous le demandons. Notre rapport de 70 pages est affiché sur notre site web, à miningnorth.com. Je ne vais pas aborder son contenu. M. Neil McCrank est le représentant spécial du ministre, et il devrait rendre public un rapport sous peu. Nous espérons que ce sera utile.
Même s'il portait sur tout le Nord, l'examen s'est vraiment concentré sur les Territoires du Nord-Ouest parce qu'ils étaient considérés comme le plus gros défi. Au Nunavut, les problèmes sont un peu différents. Neuf ans après la création du Nunavut, les principales composantes de la loi ne sont toujours pas en place. À notre connaissance, on n'a pas encore rédigé une loi permettant à la Commission du Nunavut chargée de l'examen des répercussions et à la Commission d'aménagement du Nunavut de s'acquitter de leur mandat.
Cette situation provoque de l'incertitude aussi bien chez les organismes de réglementation que chez les promoteurs. Le rythme rapide de l'exploration au Nunavut dépasse vraiment les capacités des commissions actuelles de répondre aux demandes d'examens, de licences et de permis. La formation du personnel et la capacité posent toujours des problèmes de taille au Nunavut.
Dans le Nord, nous avons besoin d'une vision qui fournit aux résidents la certitude que l'exploitation minière peut procurer des avantages significatifs en matière d'emplois, de formation et de débouchés réguliers à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Nous avons besoin d'un système et d'une vision qui garantissent les engagements des pouvoirs publics et ceux des gouvernements autochtones pour créer un contexte de réglementation attrayant, à l'appui des programmes d'éducation publique et de formation et qui précise quelles zones sont ouvertes à l'exploration et à la mise en valeur et lesquelles ne le sont pas.
Nous espérons qu'ensemble, nous pourrons élaborer une approche du genre de celle adoptée pour nos mines de diamants. Nous espérons obtenir des débouchés et des retombées tangibles et valables pour les habitants du Nord; instaurer la confiance en amenant les gouvernements, les communautés et l'industrie à participer à un dialogue solide et constructif; créer des possibilités en investissant dans des moyens de transport essentiels et dans d'autres infrastructures; et investir dans les géosciences pour encourager la découverte de nouvelles ressources minières qui peuvent être mises en valeur au profit de tous les Canadiens.
Le sénateur Milne : Monsieur Vaydik, vous avez parlé de l'impact sur les jeunes Tlichos; en dix ans, leur fréquentation scolaire au niveau secondaire est passée de trois à 150.
M. Vaydik : Ces chiffres concernent les collèges, les écoles techniques, les universités, bref les établissements d'enseignement postsecondaire.
Le sénateur Milne : Y a-t-il eu des études sur le taux de suicide dans les communautés tlichos pour voir si ces chiffres ont baissé en comparaison?
M. Vaydik : À ma connaissance, les communautés tlichos n'ont pas été aux prises avec un important problème de suicide. Ce problème semble être accepté dans d'autres cultures. Je ne connais pas cette statistique.
J'ai travaillé un peu avec une aspirante au doctorat qui fait sa thèse sur les répercussions des mines de diamants sur les communautés dans cette région. Elle a défendu sa thèse, mais celle-ci n'a pas encore été publiée. Il y aura une étude approfondie. Elle a suivi des travailleurs et leurs familles pendant deux ans et demi pour en savoir plus sur le défi qui consiste à travailler dans un site minier éloigné, à partir pendant deux semaines, puis à revenir chez soi. C'est un défi pour les familles, il n'y a pas de doute.
Le sénateur Milne : Cela m'amène tout droit à une question sur les problèmes sociaux répandus dans ces communautés où il y a maintenant un taux de chômage plus élevé à cause des mines. L'industrie minière fait-elle quelque chose pour y donner suite, sous forme d'une action sociale dans les communautés afin d'aider à résoudre les problèmes sociaux qui pourraient survenir?
M. Vaydik : Pour pouvoir obtenir la licence pour les mines de diamants, les entreprises étaient tenues de conclure des ententes sur les retombées et les avantages avec les communautés. Il s'agit d'ententes privées entre une entreprise et la communauté, donc je ne connais vraiment pas les détails; personne ne les connaît. Je sais que les communautés touchées reçoivent un financement considérable pour administrer leurs propres programmes. Je sais que les communautés, en particulier dans la région des Tlichos, ont consacré beaucoup de temps et d'attention à des activités comme les initiatives culturelles et la préservation de la langue autochtone. Même si les entreprises ne le font pas directement, elles accordent un financement par le biais d'ententes sur les retombées et les avantages.
Le sénateur Milne : Quelle est l'incidence du changement climatique sur les activités minières dans le Nord?
M. Vaydik : Je crois qu'elle est double. Bien entendu, l'aspect technique de l'aménagement en fonction des niveaux réduits de pergélisol est un facteur que les ingénieurs prennent en considération dans la conception des mines. Je crois qu'un passage du Nord-Ouest sans glace ouvre des marchés aux projets miniers. Les métaux de base susciteront probablement un intérêt accru, particulièrement dans les îles de l'Arctique et le long des côtes arctiques.
Le président : Les coûts liés aux mines en exploitation — non pas les coûts d'exploration, mais d'exploitation minière proprement dite — seront-ils considérablement touchés par la réduction, et peut-être même la disparition, des routes de glace?
M. Vaydik : Oui, nous avons eu notre lot de problèmes avec les routes de glace pour les mines de diamants. La courte saison que nous avons connue il y a deux ans a causé une défaillance du réseau de routes de glace qui sert à acheminer vers les mines deux de leurs principales denrées : le carburant et les explosifs.
Le président : Elles en ont absolument besoin.
M. Vaydik : Je crois que la facture de fret a été de l'ordre de 130 millions de dollars pour le transport aérien du carburant, de l'équipement et des explosifs dans certaines des mines. C'est un grave sujet de préoccupation qui sera réglé par l'aménagement d'une route à partir de la région de Bathurst Inlet au centre de l'Arctique, au sud des mines. Il s'agit du projet de port et de route de Bathurst Inlet. Une autre route fait l'objet d'une étude de faisabilité : elle traverserait le Nord, le long de la route de glace actuelle, mais ce serait sur une voie terrestre. Autrement dit, ce serait une route saisonnière, qui ne serait pas utilisée à l'année longue, mais seulement l'hiver. Les principaux points de passage ne seraient pas inclus; la route comprendrait uniquement des traverses de glace pour traverser certaines masses d'eau. L'idée serait de prolonger la route terrestre à partir du Sud jusqu'à ce que nous atteignions les terres stériles, où la saison des glaces est plus longue.
Le sénateur Sibbeston : Je suis d'accord avec M. Vaydik sur certains points, surtout en ce qui concerne la réserve du parc national Nahanni. Je crois que s'il n'en tenait qu'aux environnementalistes et aux responsables de parcs du Sud, toute la région septentrionale deviendrait un grand parc. Honnêtement, c'est ce qu'ils pensent. Ils ont détruit le Sud, et maintenant ils considèrent le Nord comme un endroit qui pourrait être gardé propre et en parfait état, bien préservé pour l'avenir, mais ils ne sont pas conscients du fait qu'il y a des gens dans le Nord qui ont besoin de travailler.
Pour ce qui est de l'expansion de Nahanni, j'ai écrit aux gens des Premières nations Dehcho, pour les avertir de faire bien attention. Je leur ai déconseillé de céder les terres à Parcs Canada parce que dès que le ministère en prendra possession, il le contrôlera comme un petit fief. Le ministère devient le roi de ces terres : personne ne peut les utiliser, sauf lui et les gens du Sud qui se rendent dans le Nord quelques semaines par année.
Malheureusement, l'expansion du parc se poursuit, et je demande à notre peuple de penser à l'avenir parce qu'un jour, nous aurons besoin de ces ressources pour notre propre développement. Nous aurons besoin des ressources et des fonds pour gérer notre propre gouvernement lorsque nous aurons le contrôle, l'autonomie gouvernementale et la mainmise sur tout ce qui se trouve sur notre territoire. Malheureusement, les gens n'ont pas fait preuve de prévoyance. On trouve encore des vestiges de la mentalité anti-développement dans certaines régions du Nord.
Je sais que M. Vaydik est né dans le Nord et qu'il y habite depuis longtemps. L'industrie minière a-t-elle constaté un changement d'attitude chez les gens du Nord à l'égard de l'exploitation minière et d'une telle mise en valeur, c'est-à- dire sont-ils parvenus à endosser cette activité et à en tirer profit ces dernières années?
M. Vaydik : Je crois que c'est ce qui se produit, mais lentement. À titre d'exemple, les gouvernements fédéral et territorial ont établi la Stratégie des zones protégées des Territoires du Nord-Ouest. Cette stratégie est administrée sous le volet environnement et conservation du gouvernement; nous savons donc ce que disent les représentants gouvernementaux lorsqu'ils vont à la réunion. Par contre, on ne trouve pas de représentants gouvernementaux du développement économique ou de la mise en valeur des ressources minérales dans ces réunions. La responsabilité incombe à ma petite organisation qui, jusqu'à très récemment, comptait deux personnes et qui en compte maintenant trois. Je ne peux pas assister à toutes les réunions. Notre organisation n'en a pas les moyens.
La pression est là. Les ONG environnementales établies dans le Sud — le Fonds mondial pour la nature, la Société pour la nature et les parcs du Canada, Canards Illimités, et cetera — participent aux réunions; elles sont bien financées. Comprenez-moi bien : ce sont des gens bien intentionnés et dévoués et de bonnes organisations, mais mon problème, c'est que les communautés n'entendent souvent qu'une seule version des faits. Nous essayons de transmettre ce message. Ça prend du temps, mais nous observons des revirements peut-être dans des endroits surprenants comme à Déline, où les résidents ont traversé une longue période d'incertitude avant de connaître les effets que la mine d'uranium de Port Radium avait sur leur santé. Le gouvernement fédéral a réalisé une étude et les membres ont pris connaissance des conséquences réelles pour leur communauté, qui étaient très minimes, voire inexistantes. Ils préconisent maintenant un secteur d'exploration dans leur communauté et les environs. Il y a beaucoup d'activité là- bas. Là encore, ce n'est pas sans débat. La dernière chose, c'était qu'un moratoire est imposée sur l'exploration de nouvelles mines d'uranium; nous ferons donc participer ces communautés.
Une chose que j'ai trouvé des plus incroyables et frustrantes, et elle ne concernait pas vraiment mon industrie, s'est produite lors des discussions sur le gazoduc tenues un peu partout dans la vallée du Mackenzie. Un groupe de jeunes se présentait pratiquement à chaque audience communautaire. Je crois qu'il s'appelait le comité des jeunes autochtones. À chaque réunion, ils disaient : « Nous ne voulons pas de gazoduc; nous voulons des emplois et des occasions d'affaires et de formation. » J'étais très frustré, et nous avons manqué de vision en ne faisant pas participer ces jeunes. Nous devons aller leur parler et tâcher d'en arriver à une entente avec eux. L'une de mes grandes frustrations concernant la participation des jeunes, c'est que nous ne pouvons tout simplement pas être partout en même temps.
Le président : Puisque nous traitons de la question des jeunes et que vous avez parlé de la vallée du Mackenzie, votre organisation, la Northwest Territories and Nunavut Chamber of Mines, représente-t-elle les prospecteurs et les spécialistes de l'extraction de pétrole et de gaz?
M. Vaydik : Non.
Le président : Ils sont séparés.
Le sénateur Adams : Je connais bien M. Vaydik. Nous avons travaillé ensemble à Rankin Inlet. Je ne suis pas certain si c'était au ministère des Travaux publics.
M. Vaydik : Oui, et le gouvernement local et l'exécutif. J'ai fait le tour.
Le sénateur Adams : C'était avant que j'aie les cheveux gris. Merci d'être venu. Je connais Mike depuis plus de 40 ans.
Je suis ravi que vous parliez des parcs. Vous n'avez pas mentionné le parc national Tuktut Nogait. J'ai essayé d'aider Falconbridge. Elle en voulait plus pour le pétrole qu'elle découvrait. Il savait déjà que la zone s'étendait jusqu'au Nunavut et nous avons dit que c'était assez; et pour ce qui est du caribou, nous n'y allons pas chaque année, mais de temps en temps peut-être. Avez-vous une idée de ce qui se passe là-bas?
M. Vaydik : On est toujours intéressé à explorer dans cette région du parc national Tuktut Nogait qui s'étend jusqu'à la frontière des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut sur la côte arctique. En réalité, ce pourrait presque constituer un microcosme du problème. L'établissement du parc s'est fait sur un certain nombre d'années. Mon prédécesseur à la chambre des mines a envoyé plusieurs lettres aux Inuvialuit sur le fait que cette région repose sur la plus grande anomalie gravimétrique au Canada. Personne ne savait ce que cette anomalie représentait. Nous ne le savons toujours pas, mais elle a le potentiel d'être dix fois plus grande que le bassin de Sudbury. C'est énorme. Vous savez combien de gens ont vécu dans la région de Sudbury en raison de l'exploitation minière.
Toutefois, dans le cadre du processus décisionnel, on a établi les limites du parc, et ce n'est qu'à la toute dernière minute, quand une société a fait part de son intérêt pour l'exploration aux résidents de la communauté située la plus près du parc, qui est Paulatuk, qu'on a commencé à se poser des questions sur les limites du parc. La communauté a demandé qu'elles soient déplacées de 20 kilomètres, je crois, de façon à l'éloigner de cette énorme anomalie gravimétrique. Le caribou serait toujours protégé, du mieux qu'on puisse l'imaginer, mais c'était trop tard à ce moment-là. On est allé de l'avant avec le parc, et je crois que les résidents de cette communauté ont tiré une petite leçon, à savoir qu'il ne faut pas être trop pressés; assurez-vous d'avoir tous les renseignements et de les comprendre. Notre défi consiste à veiller à diffuser cette information publique.
Le sénateur Sibbeston : De plus, les limites des parcs sont éternelles. Une fois qu'elles sont tracées sur des cartes, elles sont comme des diamants : éternelles.
Le président : Il existe un précédent. Le parc national Banff, le joyau et le premier parc national, était censé être à l'origine beaucoup plus grand qu'il n'a fini par l'être, car on a découvert une montagne de calcaire. Vous et moi passons tout le temps devant, sénateur Brown. Puisqu'il y a deux montagnes de calcaire, les limites du parc ont été modifiées en conséquence, mais personne n'habitait là à l'époque.
Le sénateur Adams : J'ai une ou deux autres questions. Il y a une mine d'or au lac Baker. Il y a 15 ans, les résidents de Baker Lake — cette mine a déjà appartenu à une entreprise japonaise, et on dirait maintenant que le projet ira de l'avant et sera approuvé, et que la mine sera exploitée dans l'avenir. C'est une mine à ciel ouvert, n'est-ce pas?
M. Vaydik : Je crois qu'elle sera principalement souterraine, mais certaines zones seront à ciel ouvert. La société m'a dit qu'elle espère présenter la description de son projet pour que celui-ci puisse faire l'objet d'une évaluation environnementale au cours de l'année. Elle sera probablement réalisée à l'automne.
Le sénateur Adams : À Pond Inlet, la mine de fer a eu quelques difficultés que la GRC a corrigées. Certains des entrepreneurs qui travaillaient pour l'entreprise avaient fait entrer beaucoup de drogue. Je crois que la GRC s'est servi d'un chien renifleur à l'aéroport pour vérifier les bagages des gens à leur arrivée.
M. Vaydik : Je ne connais pas les détails, mais je peux raconter ce qui se passe dans les mines en exploitation dans les Territoires du Nord-Ouest. On y applique une politique très rigoureuse en matière de consommation d'alcool ou de drogue, la tolérance zéro. Une infraction entraîne le congédiement immédiat. On ne pose aucune question. C'est pour des raisons de sécurité et d'autres.
Nous avons tous entendu des histoires voulant que s'il y a plus d'argent dans les communautés, il y aura plus de drogue et d'alcool. La drogue et l'alcool y sont présents maintenant, qu'il y ait des emplois ou non. Je pense que nous savons tous que les drogues et l'alcool représentent un énorme problème dans certaines communautés du Nord. Nous espérons que le développement de notre industrie et d'une main-d'œuvre formée et instruite contribuera à atténuer certains de ces problèmes plutôt qu'à les amplifier.
Le président : Y a-t-il des preuves que cela arrive? Vous avez parlé de l'emploi, du fait que les gens travaillent. Les problèmes de toxicomanie et d'alcoolisme touchent-ils moins les travailleurs?
M. Vaydik : J'ignore s'il existe des statistiques à ce sujet, mais mon amie qui réalise des recherches auprès des familles a indiqué que, d'après son expérience, le travail par roulement aux deux semaines contribuait parfois à augmenter la consommation occasionnelle excessive quand le travailleur retournait à la maison pour quelques jours; mais que dans l'ensemble, la consommation de drogue avait diminué car on faisait subir des tests aux gens. Si les résultats sont positifs, vous ne pouvez pas travailler.
Le sénateur Cochrane : Savez-vous une chose sur la gestion des parcs? Ils sont gérés par Parcs Canada. Savez-vous si la gestion et les exigences du parc national Banff sont les mêmes que celles de Nahanni et de Paulatuk dans le Nord?
M. Vaydik : Je ne pourrais pas me prononcer là-dessus directement. Banff est une tout autre histoire. Ce parc n'est vraiment plus à l'état sauvage, il regorge de touristes. Ses problèmes de gestion pourraient être tout à fait différents de ceux d'un parc isolé comme Tuktut Nogait ou Nahanni. Le sénateur Sibbeston connaît probablement les chiffres, mais il y a très peu de gens qui visitent ces parcs. Il s'agit habituellement de riches touristes étrangers, allemands et japonais, et de quelques Canadiens du Sud.
Les responsables des parcs aiment que ce soit ainsi. Je ne vois jamais de route ou d'autoroute qui traverse les parcs. Une fois qu'ils sont désignés comme tels, les parcs le restent pour toujours. Je soupçonne qu'aucune route ne traverserait Banff, à moins d'y avoir existé avant la création du parc.
Le sénateur Cochrane : Autrement dit, il y a peu d'activité dans ces parcs.
M. Vaydik : C'est vrai.
Le sénateur Cochrane : Si je me rappelle bien, il y a 15 ans environ, le sénateur Christensen, le sénateur Sibbeston et moi...
Le sénateur Sibbeston : Ça fait six ou sept ans.
Le sénateur Cochrane : Je suis plus vieille que je ne le croyais. À l'époque, les exigences pour Banff étaient les mêmes que pour les parcs dans le Nord, même s'il n'y avait aucune activité. On nous a dit que quatre ou cinq personnes peut- être visitent ces parcs dans une année. À l'époque, ils essayaient d'amener Parcs Canada à se pencher sur ces parcs pour voir combien c'était ridicule.
Voilà exactement ce que vous avez dit, monsieur. Comment peut-on comparer Banff à Nahanni? Ces parcs sont complètement différents. Je ne peux pas comprendre pourquoi nous avons le même règlement pour les deux. Cela a-t-il changé?
M. Vaydik : Non, la Loi sur les parcs est une loi fédérale et elle est très stricte sur ce qu'on peut ou ne peut pas faire.
Le président : Un parc, c'est un parc, voilà tout.
Le sénateur Sibbeston : On fait la même chose, que ce soit dans le Sud ou dans le Nord. Une année, il y a eu six visiteurs dans un parc, mais les représentants de Parcs Canada font toujours la même chose. Ils donnent à leurs agents de parc de beaux uniformes et agissent comme s'il allait y avoir un grand banquet, mais personne ne vient. Ils suivent le même processus de patrouille, surveillant les limites du parc comme s'il allait y avoir une intrusion massive. Ils utilisent des styles de gestion du Sud qui ne fonctionnent pas dans le Nord.
Le sénateur Cochrane : Ce qui me préoccupe, sénateur, c'est que nous essayons d'aider les habitants du Nord à obtenir de l'investissement, à améliorer leur sort, à s'instruire et à travailler pour l'industrie pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Je ne peux pas concevoir qu'on repousse les limites du parc. Comme vous l'avez dit, c'est incroyable — 28 p. 100 des terres des Territoires du Nord-Ouest sont réservées pour les parcs.
Le président : Quand cette expansion a-t-elle eu lieu? Cela s'appelait Headless Valley avant la création de Nahanni. Quand cela s'est-il produit?
M. Vaydik : La déclaration d'inaliénabilité des terres a été effectuée au cours de la dernière année et demie pour ce qui est de Nahanni, et celle du bras est, au cours de la dernière année. Cela a été une grande surprise pour nous tous. Les deux terres déclarées inaliénables à l'origine, les réserves de parcs, sont connues depuis longtemps et ont été acceptées par l'industrie, mais les nouvelles zones d'expansion nous ont causé toute une surprise, étant donné plus particulièrement qu'il s'agit d'une région connue comme ayant un potentiel minéral élevé. Elle est répertoriée dans le rapport géologique comme ayant un potentiel élevé ou très élevé. Nous ne parlons pas de ce que nous appelons, dans l'industrie minière, une « concession minière inexploitée » qui n'en a peut-être aucun; ce sont là des régions dont nous savons que le potentiel minéral est élevé.
Le sénateur Cochrane : Je pense m'être faite comprendre. C'est ce qui me préoccupe, car je veux que les gens du Nord deviennent autonomes. C'est un grand objectif, selon moi. Je veux que nos jeunes restent ici. Je crois que c'est la voie de l'avenir; le Nord prend de l'expansion et je me plais à penser que c'est un endroit où j'irai.
Le président : En réalité, vous allez dans l'Est de l'Arctique.
Le sénateur Cochrane : Je sais; je ne devrais pas dire que je vais y aller. J'aimerais que les gens disent qu'ils iront dans le Nord. Nous allons accueillir des touristes et les gens prendront l'avion aller-retour. Ce sera très productif. C'est peut- être loin, mais j'ai une vision pour le Nord.
Le sénateur Adams : Vous n'avez pas dit que certaines des organisations veulent investir davantage avec des actionnaires, entre autres. Je crois que la NTI a acheté des actions à Baker Lake. Il serait préférable que notre comité sache comment le système d'exploitation minière fonctionne dans le Nord. Le Canada doit unir ses efforts avec des investisseurs de la communauté.
M. Vaydik : Le gouvernement du Nunavut a beaucoup soutenu l'industrie minière pour bâtir son économie. Le gouvernement ne voit pas beaucoup d'autres possibilités. Par définition, ce ne sera jamais dans le secteur forestier, même si le réchauffement de la planète risque d'avoir une incidence. L'industrie du tourisme nécessite un investissement important et crée d'habitude surtout des emplois saisonniers. Il y a un défi de taille à relever pour développer une industrie du tourisme dans le Nord qui peut fonctionner à l'année longue et créer des emplois durables et bien rémunérés. C'est de toute évidence une composante importante pour l'avenir du Nunavut.
Le gouvernement du Nunavut considère l'industrie minière, et l'industrie pétrolière et gazière peut-être, comme étant les industries de l'avenir pour soutenir le gouvernement. Le premier ministre et d'autres gens ont certes fait l'éloge du potentiel de l'industrie minière. Nous sommes très encouragés du fait que le premier ministre y soit si favorable.
Le président : Avant de lever la séance, je souhaite vous poser la question inconvenante. Vous avez dit que les mines actuelles ont peu d'incidence écologique, voire aucune, et qu'elles sont laissées en bonne état à leur fermeture.
L'ancien commissaire à l'environnement et au développement durable nous a parlé, et vous y avez fait allusion en ce qui a trait à la mine Giant, de la dévastation laissée derrière, par exemple, et le danger clair et présent que posent les bassins de décantation qui débordent dans les mines qui ont été fermées et abandonnées sans qu'on ait déployé d'efforts pour remettre en état les lieux. Il n'y a plus personne pour régler le problème, car les mines ont fait faillite et, par conséquent, cela devient une entreprise publique. Vous conviendrez que les mines sont très nombreuses dans le Nord. Dans celles du Nord à l'heure actuelle, avant qu'un engagement soit pris et que le travail soit réalisé, la société minière comprend-elle qu'elle a la responsabilité contractuelle de payer pour le nettoyage de la mine à sa fermeture pour que ce ne soit pas la population qui en paie la note?
M. Vaydik : Oui, la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie et le règlement d'application énoncent les modalités relatives aux dépôts de garantie qui doivent être versés avant l'ouverture d'une mine. Ce sont des exigences très strictes. Le dépôt de garantie pour la mine de diamants Diavik s'élevait à 127 millions de dollars, ce qui représente des fonds disponibles pour le nettoyage. Les chiffres sont établis en tenant compte des pires scénarios qu'élabore le gouvernement avant qu'une mine ouvre, dans l'éventualité où quelque chose tourne mal et que la société se dérobe à son obligation. Nous en comprenons tous les raisons, car il y a environ 350 mines désaffectées et abandonnées partout au pays. Notre industrie doit essayer de faire mieux à l'avenir.
Le président : Monsieur Vaydik, votre témoignage a été des plus instructifs et utiles. Si nous avons d'autres questions, j'espère que vous nous permettrez de vous écrire.
La séance est levée.