Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 6 - Témoignages du 8 avril 2008


OTTAWA, le mardi 8 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 17 h 54, afin d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Les points à l'ordre du jour sont l'étude sur l'Arctique et l'examen d'un projet de budget.

Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez devant vous le budget. Il énonce clairement les activités futures du comité, y compris les deux voyages en Arctique, dont l'un dans le but de rejoindre la Garde côtière sur un brise-glace. Avant d'adopter le budget, j'aimerais que les sénateurs accordent au comité la permission de faire affaire avec un fournisseur unique. En raison de l'isolement géographique des collectivités qui seront visitées, j'aimerais obtenir l'autorisation de ne pas suivre la politique sur la sélection des fournisseurs par voie concurrentielle du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.

Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : L'exemption s'appliquera au vol nolisé et à la location de services de traduction et d'interprétation. Cette précision étant faite, y a-t-il d'autres questions à propos du budget?

Le sénateur Adams : La traduction s'effectuera-t-elle vers l'anglais et le français seulement?

Le président : Non. La traduction se fera aussi en inuktitut, selon le Règlement de la Chambre. Ainsi, nous serons le premier comité à utiliser l'inuktitut comme langue officielle dans le cadre de ses travaux. Ce service est inclus dans le budget, selon le comité du Règlement.

Le montant total du budget est de 588 707 $, sous réserve de la prorogation de notre mandat après le 27 juin 2008. Dans ces conditions, je demande qu'on propose l'adoption du budget.

La sénateur Hubley : J'en fais la proposition.

Le président : La sénateur Hubley, appuyée par le sénateur Watt, propose l'adoption du budget. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : Merci.

Je souhaite maintenant la bienvenue à Scott Borgerson au Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Dans le cadre de notre mandat, nous devons notamment effectuer une étude sur l'Arctique. Nous avons déjà entendu le témoignage de différentes personnes, dont M. Michael Byers de la Colombie-Britannique, M. Ron Huebert de l'Alberta et M. Duane Smith de l'Arctique. Nous avons aussi entendu les témoignages de représentants du ministère des Pêches et des Océans.

La plupart des membres du comité siègent depuis longtemps et connaissent bien le dossier, notamment le sénateur Robichaud du Nouveau-Brunswick, le sénateur Watt du Nunavut, la sénateur Hubley de l'Île-du-Prince-Édouard, le sénateur Cowan de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Adams du Nunavut, qui est doyen du Sénat et met à contribution sa connaissance non seulement des pêches mais aussi des Autochtones de la région à l'étude, le sénateur Gustafson, qui remplace le sénateur Comeau ce soir, la sénateur Cochrane de Terre-Neuve-et-Labrador, vice-présidente du comité des pêches, et le sénateur Baker de l'Alberta.

J'ai déjà rencontré M. Borgerson au cours d'une journée de simulation de négociations d'une journée entre le Canada et les États-Unis. M. Borgerson faisait partie de l'équipe des États-Unis. Sa connaissance des questions concernant l'Arctique mais aussi de la Garde côtière m'a impressionné. M. Borgerson a entre autres des antécédents par rapport à la Garde côtière. Il est aussi directeur de la société internationale d'experts-conseils dans le domaine maritime Rhumb Line LLC, chargé d'affaires internationales au Council on Foreign Relations et membre du programme d'études maritimes de la Fletcher School. Il est de plus chercheur principal adjoint au Center for Energy Marine Transportation and Public Policy de l'Université Columbia. Il a occupé le poste de directeur de l'Institute for Leadership de la United States Coast Guard Academy, l'USCGA, où il a donné des cours sur la sécurité maritime et portuaire. Durant une décennie de service actif, M. Borgerson a effectué de la planification stratégique à la Garde côtière et plusieurs missions en mer, en tant que navigateur à bord du garde-côte Dallas et commandant du patrouilleur Point Sal.

Il a obtenu un baccalauréat ès sciences avec mention très bien de la U.S. Coast Guard Academy, ainsi qu'un M.A.L.D. et un doctorat de la Fletcher School. Il est également titulaire d'un permis d'officier de la marine marchande américaine. Il est éminemment qualifié pour nous parler de la Garde côtière. M. Borgerson dira quelques mots, après quoi nous passerons à la période de questions.

Scott G. Borgerson, PhD, chargé d'affaires internationales, Council on Foreign Relations : Tout d'abord, je vais tenter de répondre à vos premières questions concernant mes antécédents. L'abréviation M.A.L.D. désigne la maîtrise ès arts en droit et diplomatie que j'ai obtenue de la Fletcher School. Ma formation universitaire est axée sur les relations internationales et l'art des négociations et de la politique.

Le centre de l'Université Columbia se nomme Center for Energy, Marine Transportation and Public Policy. Il est dirigé par l'ancien chef de la planification stratégique chez Shell, et ses travaux s'orientent actuellement vers l'élaboration de scénarios liés aux modes d'expédition. Comme vous pouvez le concevoir, l'Arctique occupe une place de taille dans les travaux du Centre. Les chercheurs étudient toutes les questions relatives au transport international et l'Université Columbia croit que l'Arctique jouera un rôle important dans l'évolution de l'industrie du transport maritime en général.

J'ai contribué à la création de Rhumb Line, une société ayant une vision stratégique et internationale. Nous conseillons les gouvernements étrangers et les entreprises Fortune 500 sur les tendances maritimes macrostratégiques dans le domaine maritime en général, pas seulement sur l'Arctique. De nombreux enjeux concernent le trafic, les conteneurs et ainsi de suite, mais aussi l'Arctique, qui jouera un rôle important à l'avenir.

J'ai préparé quelques observations, qui ont été traduites, je crois. J'essaierai de les paraphraser brièvement, afin d'en venir rapidement à la partie la plus intéressante, c'est-à-dire la période de questions.

Je vous remercie de m'avoir invité ici aujourd'hui. C'est un privilège de me trouver à Ottawa et d'offrir un point de vue extérieur sur la géopolitique liée à la fonte des glaces de l'océan Arctique. Il s'agit d'un problème complexe, comme on l'a déjà mentionné; il est donc vital que les États-Unis et le Canada l'abordent en faisant preuve de clairvoyance, de vigilance et d'une volonté de coopération.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de faire trois brèves mises au point importantes. Premièrement, je tiens à vous avertir que je ne suis plus officier de la Garde côtière. Je ne suis d'aucune façon à l'emploi du gouvernement américain; en fait, certaines des choses que je dis et écris le rendent nerveux. Aucune des paroles que je prononce aujourd'hui ne reflète la perspective du gouvernement américain, même si j'estime être bien informé de son point de vue actuel, dont je discuterai peut-être plus tard au cours de mon témoignage.

Deuxièmement, je ne sais pas pourquoi j'ai senti que je devais en faire part dans mon mémoire, mais je tenais à souligner tout particulièrement le caractère délicat des questions liées à l'Arctique pour les Canadiens, notamment la souveraineté dans l'Arctique. Je pense que les Américains sous-estiment parfois cet enjeu. Je suis tout à fait conscient que les questions concernant la souveraineté dans l'Arctique se situent au cœur des débats politiques canadiens et touchent peut-être même l'identité canadienne elle-même.

Franklin Griffiths compte parmi mes bons amis. Il est professeur à l'Université de Toronto; c'est un spécialiste de longue date en politique canadienne et en relations internationales. Il m'a passablement aidé à comprendre le point de vue canadien sur la question. Je tenais tout simplement à le préciser. Fait intéressant, aucun candidat à l'élection présidentielle en cours n'a en revanche mentionné la fonte des glaces de l'Arctique ni, plus particulièrement, l'ouverture de couloirs de navigation dans l'Arctique.

Enfin, je trouve utile de connaître à l'avance la vision idéologique du monde d'une personne avant d'entendre son témoignage. Je me considère modéré. Au fond, je vois le monde d'un œil réaliste. J'exhorte fortement le gouvernement américain à consolider unilatéralement ses intérêts dans l'Arctique, c'est-à-dire construire de nouveaux navires, ratifier la Convention du droit de la mer, renforcer ses infrastructures en Arctique, et cetera.

Or, je suis aussi un internationaliste. Je crois qu'il est tout à fait dans l'intérêt des États-Unis de continuer d'entretenir des liens solides et d'investir réellement dans la diplomatie en Arctique politiquement et pécuniairement afin de gérer de concert ces enjeux. Vous voilà donc déjà au courant de mes penchants idéologiques.

Nous sommes ici parce que le réchauffement planétaire fait fondre les glaces de l'Arctique. Il importe de faire la différence entre l'adaptation et l'atténuation. L'atténuation, ce sont notamment les programmes de plafonnement et d'échange et la taxe sur les émissions carboniques. J'ai certaines idées à ce sujet, mais je ne compte pas aborder la question ce soir. Je suis plutôt ici pour parler d'adaptation et des motifs à l'origine des politiques sur l'Arctique par rapport à la fonte de la couche de glace marine.

Voici le premier point qui ressort de l'essentiel de mes remarques : je crois que les États-Unis en particulier mais aussi d'autres pays sous-estiment encore la rapidité de la fonte des glaces marines, quoique je note que le haut représentant pour la politique étrangère de l'Union européenne a récemment publié une déclaration concernant la politique étrangère commune de l'UE et dans laquelle il précisait que les mesures prises sur le plan géopolitique constituaient l'une des priorités pour lutter contre le problème de la fonte des glaces en Arctique.

Certains des meilleurs modèles scientifiques que j'ai vus à ce sujet proviennent de la Naval Postgraduate School à Monterey. Les chercheurs de cette école prédisent que, à cause du cycle de rétroaction glace-albédo et du rôle que le bassin de l'Arctique pourrait jouer dans la modulation du réchauffement des autres océans, nous avons franchi le point de non-retour à partir duquel la glace marine fondra tout à coup de façon exponentielle.

Il y a quelques années, on prévoyait que des étés sans glace en Arctique surviendraient en 2100. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a précipité cette possibilité de plusieurs décennies. Nous parlons de possibilité parce que nous n'avons pas de certitude et qu'il y a des variables. L'absence de glace en été ne poussera pas Maersk à faire passer des porte-conteneurs par l'Arctique. Cependant, je crois que le problème surviendra plus tôt que prévu et j'ai intégré des modèles scientifiques à mon mémoire.

Selon moi, si l'accessibilité accrue de l'Arctique au transport n'est plus une probabilité mais bien une certitude, il faut alors procéder à d'autres études et élaborer des régimes de gestion collaborative du passage des navires.

Permettez-moi un instant, parce que je suis chargé d'affaires et que je jouis du privilège de ne plus faire partie du gouvernement, de me faire l'avocat du diable et de peut-être faire preuve d'ouverture par rapport aux positions respectives adoptées sur l'Arctique. Je vais commencer par les États-Unis puisque je suis Américain.

Bien que nous possédions la flotte de navires la plus imposante de l'histoire, plus importante que les 13 autres grandes flottes du monde réunies, j'estime que nous ne sommes pas prêts à exercer une souveraineté ni même une présence dans l'Arctique. Nous avons trois brise-glaces. Deux d'entre eux, le Polar Sea et le Polar Star, ont été jugés défectueux, ce qui signifie qu'ils sont à quai à Seattle et qu'il n'y a pas d'argent pour les réparer.

Le Healey est tout ce qu'il nous reste, et il sert essentiellement à la réalisation d'expériences scientifiques dans l'Arctique. Ce navire est âgé de dix ans. Nous avons un seul navire, et l'actuel budget pour l'exercice 2009 ne prévoit pas la construction de nouveaux vaisseaux. Pas un sou ne va à la construction de nouveaux brise-glaces dans le programme de recapitalisation de la Garde côtière intitulé « Deepwater ». Cela pose problème.

Même si nous décidons de construire des navires, cela ne se produira pas en une journée : il faudra beaucoup de temps. Je n'entrerai pas dans les détails de la Loi Jones, une autre de ces lois qui m'enragent, parce que j'estime qu'elle a contribué à mener notre construction navale à sa quasi-disparition. De nos jours, les navires que nous construisons pour la Marine et la Garde côtière s'avèrent très dispendieux et prennent beaucoup de temps à construire. Même si le président Bush ou le Congrès décidait demain matin que la construction de nouveaux brise-glaces constituait une priorité pour les États-Unis, comme le premier ministre Harper l'a fait au Canada, je crois qu'il faudrait attendre de huit à dix ans avant que le premier navire ne prenne la mer.

Il y a aussi la question de la Convention du droit de la mer, que nous n'avons pas ratifiée. Plus tard dans la discussion, je pourrai faire le point sur les politiques à cet égard et sur leur état d'avancement au Sénat, si vous le désirez. Comme nous ne sommes pas partie au traité, nous n'avons pas voix au chapitre. Nous ne pouvons pas officiellement invoquer l'article 234 et nous ne l'avons pas fait, de toute façon.

Le commandant actuel du poste de garde-côte 17e district, qui est l'Alaska, le contre-amiral Brooks, a, au cours des deux dernières années, fait preuve de leadership en tentant d'améliorer la capacité de réaction de la Garde côtière américaine à cet endroit. Je pourrai plus tard vous dresser la liste des mesures prises par la Garde côtière américaine, si cela vous intéresse. De façon générale, je dirais que nous ne sommes pas prêts. Bien que ce ne soit pas le cas en Alaska, je crois que les questions touchant l'Arctique ne sont pas appréciées à leur juste mesure dans les 48 États du Sud. Je crois que j'ai dressé un portrait montrant que les États-Unis ne sont pas prêts à voir les navires arriver.

Du côté canadien — et j'essaierai de faire preuve de diplomatie dans le choix de mes mots puisque je me trouve ici, à Ottawa, à titre d'invité —, je sais que les MM. Huebert et Byers ont comparu devant vous, et je les considère tous deux comme des amis et des hommes brillants. Je sais aussi qu'ils ont invoqué, comme d'autres, des arguments solides pour défendre la position selon laquelle le passage du Nord-Ouest fait partie des eaux intérieures du Canada. Or, pour être franc, je crois qu'il existe aussi des arguments solides et valables en faveur de la position adverse. Il s'agit peut-être de la raison pour laquelle il se pourrait que le Canada cherche à obtenir une certaine forme d'abdication de la part des États- Unis; il n'est peut-être pas totalement convaincu qu'il gagnerait s'il demandait aux tribunaux de trancher. Je crois qu'il existe des problèmes liés aux revendications historiques. Je crois aussi que l'approche utilisée pour l'établissement des lignes de base comporte des problèmes techniques. Enfin, je crois que le fait que des transits internationaux se soient déjà produits représente aussi un problème. Je ne suis pas un avocat, alors je ferai preuve de concision pour dire que la position de la Marine américaine et celle du gouvernement des États-Unis ont aussi leurs bons points, ce que le Canada doit être en mesure de reconnaître.

Il y a aussi, bien sûr, le problème des navires au Canada. Des promesses concernant la construction de nouveaux navires ont été faites par le passé. Or, les navires en question n'ont pas été construits. La flotte de brise-glaces du Canada n'est pas neuve. Vous en savez plus que moi au sujet de la différence qui existe entre la Garde côtière canadienne et la Garde côtière américaine en ce qui a trait à l'application de la loi et quant à la capacité de votre garde côtière de défendre la souveraineté canadienne dans l'Arctique si elle devait y faire respecter la loi.

J'ai lu le dernier numéro de The Economist dans l'avion en venant ici, et j'y ai vu un article fantastique sur RADARSAT-2 et sa vente à une entreprise américaine. En lisant le témoignage précédent présenté au comité, j'ai constaté que cette question avait été traitée de façon très approfondie. Je ne suis pas un spécialiste de la question, et je ne prétends pas l'être, mais je crois que certains problèmes pourraient se poser en matière de surveillance maritime générale. De plus, le Canada pourrait-il prouver aux autres joueurs de l'échiquier maritime qu'il est capable de défendre sa souveraineté dans l'Arctique?

À titre d'avocat du diable, je crois que nos positions respectives sont relativement faibles dans l'Arctique mais que nous avons des intérêts nationaux en commun, ce qui crée les circonstances et le contexte parfaits pour que nos deux pays, qui sont de proches alliés, collaborent et négocient la façon dont ils pourraient gérer l'ouverture de l'océan Arctique et y augmenter le transport par voie maritime. C'était dans cet esprit, du moins je le pense, que nous nous sommes rassemblés à Ottawa en février pour la simulation de négociations sur le passage du Nord-Ouest intitulée « Modèle de négociation sur les eaux du Nord », puisque nous n'avons pas discuté que du passage. Nous avons abordé le tout ici et avons produit un document que les membres du comité ont eu l'occasion de consulter, je crois.

Pour ce qui est de nos positions relatives et de la nécessité d'en arriver à un compromis, je résumerai les trois scénarios hypothétiques, puis je conclurai. Le premier scénario concerne un paquebot de croisière comme l'Explorer qui a récemment fait naufrage au large de l'Antarctique mais qui effectuait aussi des voyages en Arctique. Disons qu'un tel navire de croisière effectue des voyages en Arctique pendant lesquels il transporte des centaines de Canadiens et d'Américains et qu'il frappe un morceau de glace dans une zone litigieuse de la mer de Beaufort. Que ferions-nous? Le deuxième scénario concerne une situation analogue à celle de l'Exxon Valdez : un pétrolier naviguant sous un pavillon de complaisance qui masque sa véritable origine et son véritable propriétaire éprouve des difficultés sur nos côtes nordiques, ce qui entraîne une énorme catastrophe écologique. Enfin, le troisième scénario, c'est un navire de pêche hostile qui fait du braconnage dans l'Arctique ou un navire qui participe à des activités suspectes. De telles situations et la vitesse à laquelle fondent les glaces océaniques exigent que nos deux pays travaillent ensemble.

Sur une note un peu moins sérieuse, je sais que tout le monde ici attend avec impatience la saison de la Coupe Stanley, et que si le Canada aime le hockey, les États-Unis eux, préfèrent un sport bien supérieur, le baseball, dont la saison a justement débuté la semaine dernière; mais cela ne nous empêche pas d'avoir beaucoup de choses en commun. De fait, beaucoup de spécialistes, comme mon ami Stephen Blank, coprésident du North American Transportation Competitiveness Research Council, sont d'avis que nos deux pays ont une économie profondément intégrée et qu'ils construisent beaucoup de choses ensemble. Au plan social, nous avons essentiellement les mêmes valeurs. Au plan politique, nous avons foi dans la règle de droit et dans la démocratie. À bien des aspects, nous sommes cousins. Et comme des cousins qui se rencontrent autour de la table familiale, nous ne sommes pas toujours d'accord sur tout, mais il reste que nous sommes de la même famille et que nous avons une bonne idée des domaines dans lesquels nous pouvons coopérer. Le domaine de coopération dont il s'agit ici peut s'ajouter aux autres domaines où nous avons déjà établi des relations de collaboration. Par exemple, nous collaborons au sein de l'OTAN, de NORAD et du Conseil de l'Arctique, et nous avons déjà travaillé ensemble à la promotion du transport maritime dans la Voie maritime du Saint- Laurent, dans la région des Grands Lacs et dans le détroit de Juan de Fuca. Par ailleurs, nos garde-côtes ont établi des accords de collaboration concernant les activités de recherche et sauvetage. Et je crois savoir qu'au cours des dernières semaines, nous avons signé un plan d'urgence conjoint concernant les déversements d'hydrocarbures sur nos côtes arctiques.

Sur la foi de cette tradition de collaboration et d'amitié, je terminerai en faisant trois recommandations spécifiques.

Premièrement, après avoir confirmé l'accord de coopération sur l'Arctique signé en 1988, accord qui selon moi fonctionne très bien, le Canada devrait entreprendre des démarches officielles auprès des États-Unis pour que soit développé un tronc commun de normes de transport, de modalités de surveillance et de mécanismes d'application de la loi en matière de transport maritime en région arctique. Nous devrions aussi travailler ensemble pour établir des voies de navigation et des infrastructures de transport maritime et pour mobiliser nos ressources limitées de manière à assurer conjointement une surveillance sur les vastes étendues que recouvre la région arctique. J'ajoute par ailleurs que 121 navires canadiens ont participé aux opérations du programme AMVER au cours de l'année 2007, alors je crois que cela doit être pris en considération dans ce contexte.

Deuxièmement, l'objet ultime d'éventuelles négociations devrait être la création d'une commission mixte de navigation maritime États-Unis-Canada sous l'égide de l'Institut arctique de l'Amérique du Nord, qui pourrait prendre pour modèle la Commission mixte internationale. Je crois en l'occurrence que les États-Unis et le Canada pourraient s'inspirer de la Convention de Montreux, qui régit les détroits de Turquie; c'est un modèle intéressant de structure où sont conciliés les impératifs de sécurité, d'activité économique et de protection environnementale.

Troisièmement, dans ses démarches auprès des États-Unis, le Canada devra être prêt à discuter de tous les enjeux qui concernent l'Arctique dans l'espoir de trouver un compromis général pour l'ensemble de nos différends frontaliers maritimes, en particulier dans la mer de Beaufort. En définitive, grâce au leadership dont sont capables nos deux pays, nous pourrons voir s'établir une plus grande coopération en Arctique, sur le modèle du Conseil de l'Arctique, en faisant fond sur la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, pour arriver à des solutions innovatrices et adaptées concernant les problèmes émergents que pose cette région. Au premier plan de ces considérations devrait figurer une initiative de la part des États-Unis et du Canada dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI) afin d'établir un code polaire d'application obligatoire.

En dernière analyse, nos deux pays sont de fidèles alliés, dont les intérêts nationaux ont beaucoup plus de points communs que de points divergents. J'espère que l'esprit qui anime cette relation de coopération guidera aussi nos politiques nationales respectives concernant la gestion du transport maritime dans la région arctique. La vitesse alarmante de la fonte des glaces fait de la nécessité de coopérer un impératif capital, ainsi que le dicte, selon moi, notre manière prudente de gouverner. Je termine en disant que je suis reconnaissant de pouvoir être ici aujourd'hui et que je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Il est intéressant de voir que vous avez mentionné des secteurs où nous avons déjà une responsabilité et un contrôle communs, comme la Voie maritime du Saint-Laurent, les Grands Lacs, le détroit de Juan de Fuca, et bien sûr le NORAD. Nous avons également en commun notre association à l'OTAN. Je parie qu'en ce moment même des navires canadiens et américains participent ensemble à des manœuvres de la force opérationnelle interarmées sur la côte Est et peut-être sur la côte Ouest. Et cela dure depuis de nombreuses années. De fait, on ne compte plus les occasions où le Canada et les États-Unis ont été appelés à travailler conjointement.

M. Borgerson : Si je peux ajouter une note complémentaire, j'aimerais dire que je me suis récemment rendu à Bruxelles où j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le vice-président de l'OTAN, lequel est très intéressé à ce que son organisation ait un rôle plus actif dans la proposition d'une solution, quelle qu'elle puisse être, concernant la question de l'Arctique. Je sais que l'OTAN s'oriente dans ce sens.

Le sénateur Cochrane : Vous dites que vous connaissez le professeur Byers.

M. Borgerson : Oui.

Le sénateur Cochrane : Avec la fonte des glaces polaires et le potentiel que cela représente pour l'activité de transport maritime, dans quelle mesure ces différends sont-ils problématiques et comment voudriez-vous que les gouvernements canadiens et américains travaillent ensemble?

M. Borgerson : Je crois qu'il serait politiquement dangereux de donner à ces différends davantage d'importance qu'ils n'en ont réellement.

J'ajouterais qu'il est dommage que les États-Unis n'aient pas signé la Convention sur le droit de la mer parce que cela favoriserait la collaboration portant sur ces questions.

J'ai lu le témoignage de Michael Byer en m'en venant ici et je crois qu'il a dit — à moins que ce ne fût M. Huebert — que les États-Unis et le Canada n'avaient rien à craindre à se rencontrer pour discuter de nouveaux créneaux de collaboration. En somme, si le Canada entreprend des démarches auprès des États-Unis, ou vice-versa, et si on se rend compte qu'après avoir discuté et avoir mûrement réfléchi à la question, tout est bien comme cela et il n'y a pas vraiment matière à coopération, rien n'aura été perdu.

D'un autre côté, si l'on se rencontre pour discuter de nos modalités de collaboration — comme la suggestion d'établir une commission —, on pourrait institutionnaliser le mécanisme, ce qui à mon avis est capital. Par exemple, on pourrait soumettre votre règlement sur la prévention de la pollution des eaux arctiques à un processus d'examen américain pour l'adapter et en faire une norme d'application générale à l'échelle de l'Amérique du Nord, ce qui n'aurait que des avantages pour les deux pays.

Je crois vraiment que l'esprit de coopération doit être à l'ordre du jour. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, cela implique que les deux parties doivent repenser leurs points de vue respectifs.

Du côté canadien, on peut se torturer l'esprit sur les questions de souveraineté arctique et sur le sens de certains termes qui, selon moi, sont utilisés à des fins strictement politiques — cela n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder au plan diplomatique. De même, du côté américain — et c'est le parti que je défends dès que l'occasion se présente —, nous devrions examiner le point de vue canadien et être prêt à faire des concessions. Idéalement, cela implique aussi d'autres arrangements substantiels.

Le sénateur Cochrane : J'aimerais parler un moment du geste qu'ont posé les Russes en plantant leur drapeau national au fond de l'océan sous le pôle Nord. Vous êtes tous au courant de la chose, bien entendu.

M. Borgerson : Oui.

Le sénateur Cochrane : Les responsables du gouvernement canadien ont dit qu'il s'agissait là d'un simple coup médiatique, de bluff politique. Ceux qui se sont exprimés devant nous à ce sujet n'avaient pas l'air très impressionnés par la chose. Mais Ron Huebert, que nous avons vu il y a quelques semaines, a dit que l'important n'était pas de déclarer à qui voulait l'entendre que ce territoire nous appartient, mais c'est ce que l'on fait avec. Nous avons déclaré que le passage du Nord-Ouest faisait partie de nos eaux territoriales, mais nous refusons de prendre des mesures concrètes pour asseoir notre légitimité.

C'est en tout cas ce qu'il a dit. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Borgerson : Quand j'ai appris la chose, j'ai voulu envoyer un mot de remerciement aux Russes pour avoir permis que le problème soit exposé à la une des journaux. L'ironie de la chose, c'est que ce sera peut-être en partie grâce à ce coup d'éclat des Russes que la Convention sur le droit de la mer sera adoptée par le Sénat américain. Je le dis mi-figue, mi-raisin, mais d'une certaine manière je me félicite de cette action des Russes.

Au plan des relations internationales et de la diplomatie, cela n'est rien qu'un coup médiatique; on est dans la symbolique la plus pure. Cela fait depuis le XVe siècle qu'on ne plante plus de drapeaux pour asseoir ses prétentions territoriales. Ce type d'action n'a aucune crédibilité au plan du droit international ou de la diplomatie.

Cela dit, c'est un fait que les Russes ont la capacité de naviguer dans l'Arctique. Les glaces qui recouvrent la route maritime du Nord ou le passage du Nord-Ouest fondent beaucoup plus rapidement que de notre côté. Je sais que les Russes sont en train d'investir dans le port de Murmansk et dans d'autres parties de l'Arctique, et qu'ils envisagent d'exploiter les gisements considérables de gaz et de pétrole qu'ils possèdent dans la région. En définitive, s'il est vrai que le fait de planter un drapeau est un geste purement symbolique, et que l'enjeu territorial relève plutôt du droit international et de la règle de droit, il y a un vieux dicton qui dit que « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Le fait d'avoir des activités et d'être présent dans un endroit n'est pas sans signifier quelque chose.

Je dirais, d'un strict point de vue juridique, que le fait de planter un drapeau n'a rien à voir avec les problèmes de découpage de la plate-forme continentale. Apparemment, après avoir planté le drapeau, les sous-marins ont prélevé des sédiments sur le fond de l'océan aux fins d'analyse scientifique mais aussi pour que puissent être étayées les revendications formulées au titre de l'article 76 et selon lesquelles la dorsale de Lomonosov serait le prolongement de la masse continentale eurasienne. Ainsi, on peut dire qu'il s'agissait là d'une mission scientifique qui a permis de planter un drapeau.

C'est un geste purement symbolique, mais où il faut aussi voir la réelle capacité des Russes de naviguer dans l'Arctique. Mon interprétation de la chose, c'est que les Russes sont réellement déterminés à développer leurs activités dans la région Arctique.

Le sénateur Cochrane : Quels moyens le Canada devrait-il prendre pour affirmer sa position à ce sujet?

M. Borgerson : Le Canada devrait investir des ressources dès lors qu'il a pris des engagements. C'est une manière diplomatique de dire qu'il devrait joindre le geste à la parole.

Le sénateur Cochrane : Oui, on le sait.

M. Borgerson : C'est un conseil que je donnerais aussi aux États-Unis. Il faut construire des navires. C'est une chose que de faire un discours, mais c'en est une autre que d'avoir la capacité de naviguer dans une telle région. Le Canada doit se donner cette capacité.

Aux États-Unis, c'est un commentaire qui prête à la controverse parce que cela est considéré comme une application abusive de l'article 234 de la convention. Selon moi, la négociation de l'application de la Convention sur le droit de la mer était une sorte d'échange de bons procédés entre les États-Unis et le Canada — nous obtenions le droit de naviguer et de passer gratuitement dans les détroits internationaux alors que le Canada avait le droit de protéger son environnement ainsi que le prévoit l'article 234 de la convention. Cela dit, je suis d'avis que le Règlement sur la prévention de la pollution des eaux arctiques devrait être d'application obligatoire.

Il y a un risque à avoir un ensemble de règles canadiennes et un ensemble de règles américaines, puis éventuellement un ensemble de règles russes, et cetera. Le mieux serait d'avoir un seul ensemble de règles homogène pouvant s'appliquer à la grandeur de la région Arctique. Le mieux serait que les États-Unis et le Canada investissent leurs ressources limitées conjointement dans les navires qui existent déjà et dans la construction de nouveaux navires.

La construction navale doit être une priorité.

Le sénateur Cochrane : Le gouvernement canadien a annoncé l'an dernier qu'il armerait huit nouveaux brise-glaces de patrouille. Mais à en juger par ce que vous avez dit plus tôt, je ne suis par sûre que vous croyiez que cela va se faire parce que vous avez dit qu'il valait mieux attendre de voir ce qui arrivera.

M. Borgerson : Je suis sceptique. Je sais qu'il y a des problèmes au niveau de l'adéquation des bâtiments choisis. Je crois savoir que les sceptiques auraient qualifié les navires choisis de « brise-névasse ». Et ils seront exploités par la Marine plutôt que par la Garde côtière, ce qui posera de réels problèmes.

Premièrement, l'avantage qu'offre la Garde côtière, c'est de pouvoir assurer plusieurs fonctions complémentaires : une fonction de réglementation de l'industrie; une fonction de mise en application des lois et règlements; une fonction de soutien militaire; une fonction de recherche et sauvetage et enfin une fonction de dégagement de la voie dans les glaces. La diversité des missions que nous pouvons assurer est le produit d'une évolution historique qui a fait qu'avec le temps, divers services ont été regroupés sous le même toit, ce qui permet à la Garde côtière de jouer un double rôle d'organe d'aide humanitaire et d'organe de surveillance policière et de protection de la souveraineté territoriale. Je ne suis pas sûr que le Canada ait bien établi tout cela entre sa garde côtière et sa marine.

Je crois qu'il faudrait réfléchir davantage avant de confier ces bâtiments à la Marine. Je serais curieux de savoir ce que les honorables sénateurs pensent de cela, mais je ne suis par sûr que cela soit la décision la plus judicieuse.

Le sénateur Cowan : Merci de votre exposé fort intéressant. Je voudrais, ainsi que vous l'avez proposé, que vous nous en disiez un peu plus sur l'état actuel des choses concernant la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Nous en avons beaucoup entendu parler et nous savons qu'il y a certaines difficultés. Il y a des aspects politiques à considérer tant aux États-Unis qu'au Canada et je présume que cela a un certain impact. Je serais intéressée à entendre votre avis sur deux aspects : la situation telle qu'elle se présente actuellement et les perspectives pour l'avenir.

Deuxièmement, il y aura bientôt une élection aux États-Unis. Qu'est-ce qui arrivera si rien ne se fait? Quelles seraient les conséquences d'un maintien du refus — j'allais dire de la « défaillance » — des États-Unis à ratifier la Convention?

Le point suivant porte — et je me réfère à vos commentaires sur la nécessité de réexaminer nos positions respectives sur la question de la souveraineté telle qu'elle se pose dans l'Arctique et sur l'importance de travailler en collaboration en tant que cousins, pour l'établissement d'un régime de réglementation qui assurera la protection de tous —, je suppose que l'on pourrait étendre cela pour inclure la Russie.

J'aimerais savoir jusqu'où on peut aller dans cette direction avant d'arriver au point où l'on ne peut plus continuer sans régler la question de la propriété territoriale. Parce qu'enfin de compte, il s'agit de savoir qui bénéficiera des ressources naturelles — qu'il s'agisse de poisson, de minéraux, de pétrole ou de gaz, n'est-ce pas? N'est-ce pas là le fond de la question? S'il s'agit simplement d'établir un ensemble de règles sur la protection de l'environnement, sur les voies de navigation maritime et les systèmes de navigation, il me semble que l'on pourrait faire beaucoup de progrès tout en mettant de côté la question de la propriété territoriale. Nous avons mutuellement intérêt à nous doter d'un régime qui permettra d'assurer au mieux la gestion des ressources naturelles et la protection de l'environnement.

M. Borgerson : Je vais commencer avec la deuxième question parce que c'est la plus récente. Je vais paraphraser ce qui a été dit en demandant si nous devons vraiment régler la question du statut du passage du Nord-Ouest. Premièrement, il ne s'agit pas seulement d'un différend entre les États-Unis et le Canada. D'autres parties, en particulier les Européens, estiment à l'instar des États-Unis que nous sommes en présence d'un détroit et non pas des eaux intérieures du Canada. On pourrait paraphraser en disant que c'est « nous contre vous » ou vice versa.

Ce qui nous amène à la question de savoir — mais est-ce que nous voulons vraiment parler de cela? Non, je ne crois pas... Quant au point soulevé plus tôt, à savoir ce qui arrivera finalement au sujet de l'Arctique, je répugne à utiliser le terme « souveraineté de fait », parce que cela serait un irritant majeur pour les gens de la U.S. Navy et qu'ils ne seraient probablement pas partants. Mais de part et d'autre, il faut définir nos attentes. La liste des attentes est longue ainsi que je l'ai indiqué plus tôt et ainsi que vous l'avez vous-même réitéré, notamment au plan de la sécurité et de la conformité écologique des activités de transport maritime, et cetera. Nous pouvons faire avancer les choses sans qu'il soit nécessaire d'aborder l'autre question, et c'est pourquoi nos deux pays devraient tout d'abord confirmer l'accord de 1988. Avec cela, on pourrait s'appuyer sur une autre institution pour assurer la gestion collaborative des activités de navigation dans l'Arctique. Au final, les États-Unis seraient tenus de protéger légalement l'engagement d'honneur ou l'accord officiel qui aurait été établi et de formuler clairement la situation au plan juridique. Et il en serait de même pour le Canada. Cela reproduit en fait le modèle de nos négociations. Nous avons passé une journée et demie à nous chamailler sur la définition légale de « passage du Nord-Ouest » et le temps pressait parce qu'entre-temps, la banquise fondait et il fallait reprendre l'avion pour rentrer chez nous. Nous avons réalisé que, afin que les choses puissent avancer, il fallait aborder le problème selon un point de vue diplomatique et passer aux questions pour lesquelles nous nous étions réunis. C'est ce que nos deux pays devraient faire.

En ce qui concerne l'état des lieux de la Convention sur le droit de la mer, avec les perspectives et les conséquences qu'elle implique, c'est une question en trois parties. Encore une fois, la convention a réuni la très grande majorité des voix au comité des relations étrangères du Sénat. La question a été déposée au Sénat pour être débattue et mise aux voix. Selon l'article 1 de la Constitution américaine, les traités doivent remporter les deux tiers des voix au Sénat, soit 67 voix. Le problème, c'est que le leader de la majorité au Sénat est actuellement un démocrate, Harry Reid du Nevada. Celui-ci pourrait probablement réunir un nombre suffisant de voix mais on n'est jamais sûr de rien, surtout en année électorale. Pour le moment, la question ne relève plus du comité et il appartient au leader de la majorité du Sénat de l'inscrire à l'ordre du jour des débats sénatoriaux. Selon les règles de procédure, la minorité républicaine au Sénat, qui n'est minoritaire que par un faible nombre de sièges, discutera de la longueur de temps qu'il faudrait consacrer au débat. Ceux qui sont favorables au traité aimeraient que l'on passe au vote après un bref débat d'une journée. Mais il faut compter avec le risque d'obstructionnisme. Les quelques opposants du Sénat qui ont une conception isolationniste de la politique étrangère américaine pensent que le traité pourrait limiter la liberté d'action américaine au plan de la souveraineté. Il faudrait relativement peu de voix pour que la question soit réglée, mais il reste toujours la possibilité que l'on passe au vote après avoir terminé le débat sans réussir à obtenir un nombre suffisant de voix pour que le traité soit approuvé.

Sans trop entrer dans les détails, il incombe au plus haut niveau du pouvoir exécutif du gouvernement des États- Unis d'essayer de convaincre le Sénat. La semaine dernière, des audiences ont eu lieu au Sénat, et le sous-secrétaire d'État américain, John Negroponte, entre autres, a demandé au président de réaffirmer son intérêt, tout comme d'autres organes exécutifs du gouvernement. C'est la façon dont la politique fonctionne à Washington.

Pour ce qui est de la possibilité de faire avancer le dossier, si celui-ci n'est pas déjà inscrit à l'ordre des travaux, il est peu probable qu'il y ait du changement pendant une élection générale. D'habitude, les dossiers demeurent en suspens jusqu'à ce qu'on ait élu un président, mais par la suite, il ne fait aucun doute que les choses avanceront.

Nous collectons des renseignements scientifiques et des données à l'aide des brise-glaces en vue d'une éventuelle revendication en vertu de l'article 76, mais nous ne pouvons pas officiellement présenter la revendication. Nous n'avons formellement demandé à aucun chercheur de participer à l'examen des autres revendications, comme celles de la Russie. Selon certains, le droit coutumier international suffit parce que nous avons déclaré notre intention — bien que nous n'ayons pas signé le traité — de respecter les règles dans ce domaine, et cetera. On peut également arguer que le traité sert de contrat, et que sa signature nous impose des responsabilités, mais nous apporte aussi des avantages, non seulement en Arctique, mais ailleurs au monde, et en particulier lorsqu'il s'agit du droit à la mobilité maritime. Le fait de ne pas signer le traité affaiblirait cette position. Le traité finira par être ratifié. Si ce n'est pas au cours des six prochaines semaines, il se passera bien peu de choses avant que l'année 2009 soit bien entamée. Cela dépend aussi des changements qui pourraient être apportés à la composition du Sénat dans la foulée des élections à venir.

Le sénateur Adams : Je crois comprendre ce que vous dites au sujet des autres pays, mais nous sommes Canadiens, et des citoyens de notre pays habitent en Arctique. Sur la carte, on voit que la partie jaune, c'est le Nunavut, et que la partie rose représente la région ouest de l'Arctique dans les Territoires-du-Nord-Ouest. La majorité des habitants sont des Inuvialuits de la mer de Beaufort. J'habite dans cette région.

Est-ce que les responsables du Canada et des autres pays se soucient des gens qui habitent cette région ou sont-ils uniquement préoccupés par la souveraineté de leur pays sur l'Arctique? Si on tient compte des territoires revendiqués, le Nunavut possède plus de 40 p. 100 du territoire qui borde la mer, et le Canada n'en possède que 60 p. 100. Les gens ont mené des activités dans le Grand Nord depuis tant d'années, qu'il s'agisse des Rangers ou des militaires qui vont s'y exercer. Chaque fois qu'ils se déplacent, ils ont besoin d'un Inuit. Les Inuvialuits connaissent bien les eaux de l'Arctique et le mouvement des glaces. Les gens habitent entre Grise Fjord et Resolute Bay. Ils y sont établis depuis 1953, et au départ, c'était pour revendiquer notre souveraineté sur l'Arctique. Pourquoi continuons-nous de parler de souveraineté sur l'Arctique alors que nous avons établi notre souveraineté sur l'Arctique en 1953? Des habitants du Nord du Québec ont été relocalisés. J'ai rencontré un homme qui était âgé de cinq ans lorsqu'il y a déménagé, et il a maintenant 53 ans. Il habite dans une collectivité du Nord et il est un bon chef. Il a vraiment à cœur cette question. Je suis allé dans le Nord il y a deux ans, et je me suis rendu de Grise Fjord à Deborah Island en motoneige. Il m'a demandé ce qui se passe. Les Américains ne reconnaissent pas notre souveraineté sur l'Arctique. Un commissaire des Affaires étrangères est venu il y a environ un mois. Son ministère collabore avec les Américains, les Russes et les Danois. Il nous a dit la même chose au sujet du drapeau : il aurait été planté uniquement pour les besoins de la photo.

C'est dû à la cartographie du fond de l'océan Arctique. Selon le commissaire, il faudra attendre encore huit ans avant de terminer la cartographie de l'océan Arctique. On envisage d'aller jusqu'à 200 milles. On envisage d'accroître la présence des forces navales. M. Turner, le capitaine de la Garde côtière canadienne, a comparu devant nous, et il ne se souciait pas vraiment d'y installer les forces navales. D'après lui, il aurait fallu des agents de la GRC et des Rangers. La politique devrait changer à l'avenir. Ils ont fait appel aux forces navales dans l'Est. Il faudrait un passage de la Marine avec des brise-glaces.

Qui protégera notre souveraineté à l'avenir? Les habitants de l'Arctique connaissent bien le territoire, les eaux et l'océan. Nous devrions collaborer avec eux plutôt que d'envoyer des gens du sud pour protéger notre souveraineté sur l'Arctique. Le taux de chômage est de 80 p. 100 au Nunavut. Les gens du Nunavut sont habitués de vivre dans la région et connaissent les conditions météorologiques. Je n'ai pas de réponse à donner. Nous ne parlons pas de la façon dont les Américains s'y prennent.

M. Borgerson : Pouvez-vous reformuler la question?

Le sénateur Adams : Pourquoi se soucieraient-ils des Américains ou d'une frontière qui va de l'Alaska à l'océan Arctique? Il y a deux ou trois semaines, les Américains y ont trouvé du pétrole, plus de 400 milliards de barils, et maintenant, nous allons les leur donner. Quand commencerons-nous à agir? Le premier ministre devait commencer à s'attaquer à la question de la souveraineté du Canada sur l'Arctique il y a deux ans, et le gouvernement n'a rien fait.

M. Borgerson : Je crois que vous parlez largement des tensions entre les communautés inuites qui habitent le territoire depuis toujours ainsi que des changements qui se produisent, tant sur le plan du climat que de l'accroissement de l'activité qui en découle. D'une certaine façon, dans l'optique de la macroadaptation, l'Arctique est perçue comme étant le canari dans la mine de charbon. Les gens qui y habitent sont des canaris, et nous avons la responsabilité de nous occuper d'eux. Je m'exprime ainsi, mais j'ai pour eux le plus grand respect. À ma connaissance, l'Arctique compte un million d'habitants, ce qui est un nombre considérable.

Je peux vous dire que la Garde côtière a récemment commencé à mettre à contribution les Américains qui vivent en Alaska par rapport à l'élaboration d'une éventuelle politique aux États-Unis. Je pense que le Canada est sans doute un modèle à suivre quant à sa façon de faire. La semaine dernière, le contre-amiral Brooks, le commandant du District 17, a fait une tournée des villages situés le long du littoral nord de l'Alaska pour y tenir des séances de discussions ouvertes sur ce qui s'y passe, sur les changements constatés et sur la façon dont les habitants pourraient contribuer au processus. C'est une approche nouvelle pour nous, et elle s'apparente en grande partie à la façon de faire de la politique en Alaska. Vous soulevez un excellent point : les États-Unis devraient peut-être suivre l'exemple du Canada.

Je ne sais pas si vous avez suivi l'affaire des baux de Shell dans la mer de Beaufort et ses développements. Le service de gestion du minerai des États-Unis a lancé un appel d'offres il y a quelques années et s'attendait à de petites soumissions de l'ordre de millions de dollars. Le contrat a été attribué pour des milliards de dollars. Je soulève ce point parce que Shell a fait l'objet de poursuites aux États-Unis par un consortium intéressant constitué de puissantes ONG de défense de l'environnement qui se préoccupent des impacts environnementaux, mais sans nécessairement appuyer la chasse à la baleine. Les Inuits craignaient que l'accroissement de l'activité ne nuise à la chasse traditionnelle à la baleine et aux habitudes migratoires des baleines. Pour l'instant, la Ninth Circuit Court de San Fransisco a été saisie du cas. Shell a déclaré que la décision a trop tardé, alors elle n'entreprendra aucun projet cet été. Les juristes que j'ai consultés et les personnes qui connaissent bien cette affaire s'attendent à ce que Shell obtienne le feu vert et lance ses projets en 2009.

Il y a environ une semaine et demie, je me suis trouvé à New York avec le PDG de Shell et je l'ai interrogé au sujet des intentions de la société en Arctique. Il m'a répondu qu'à l'échelle de la planète, on avait un grave problème d'approvisionnement en ressources. En tant que grande société pétrolière, si vous tentez d'envisager des projets pour l'avenir, même en tenant compte des nouvelles sources d'énergie, comme les biocarburants, l'énergie éolienne, l'énergie solaire et autres, vous constatez que ce n'est pas assez. Le charbon, de même que le pétrole et le gaz doivent faire partie de l'équation. Il a déclaré que si Shell, entreprise de services énergétiques responsable, obtenait le droit à la prospection en Arctique, elle s'en prévaudrait certainement et mènerait à bien l'exploitation dans le respect de l'environnement et des exigences réglementaires imposées, compte tenu de la demande en énergie, de la croissance de l'Inde et d'autres facteurs.

Peut-être que dans le cadre de la commission conjointe établie par le Canada et les États-Unis, il faudrait que les Autochtones puissent se faire entendre clairement en agissant à titre de conseillers et en aidant à améliorer les politiques. À la fin de mon exposé sur les affaires étrangères, j'ai cité l'exemple historique de l'expédition Franklin. Le navire s'est échoué et est resté bloqué dans la glace. L'équipage, forcé de se déplacer à pied, était trop fier pour demander de l'aide aux Inuits. Les membres de l'expédition sont donc morts dans le froid. On aurait avantage à tirer des leçons de cet exemple.

Le sénateur Robichaud : Durant votre exposé, vous avez dit que le Canada devait modérer ses ardeurs dans le dossier de la souveraineté sur l'Arctique. Est-ce que vous voulez dire que nous en faisons un peu trop, et que, d'une certaine façon, ce n'est pas important que le Canada défende sa souveraineté sur ce territoire? Nous avons des Canadiens — des Inuits — qui habitent ce territoire depuis toujours, d'aussi loin que nous sachions. Qu'est-ce que vous voulez dire exactement?

M. Borgerson : Je m'attendais à ce qu'on me rappelle à l'ordre pour ces propos. Dans ma déclaration préliminaire, j'ai voulu montrer aux Canadiens à quel point les questions de souveraineté me touchent. C'est une corde sensible pour moi. Je suis d'avis que, pour qu'une négociation porte fruit, les deux parties doivent consentir à faire des compromis. Si aucune n'y consent, et si chacune se présente à la table fermement résolu à maintenir solidement sa position, cela permet uniquement de constater les points sur lesquels on s'entend et les points sur lesquels on ne s'entend pas. Or, pour en arriver à un compromis, il faut que les deux parties s'entendent; si une seule des deux parties est d'accord, ce n'est pas un compromis. Il faut être deux, et pour négocier, il faut que les deux parties consentent à réévaluer leur position sur une question donnée.

Le commentaire invitant le Canada à modérer ses ardeurs faisait davantage référence à ce que j'ai lu dans les journaux canadiens au sujet du discours politique sur la souveraineté sur l'Arctique. Dans le cadre de leur politique étrangère, les États-Unis ont pris des décisions au cours des dernières années qui se sont avérées fort peu populaires. D'après des statistiques brutes, l'opinion que se font de nous les autres pays est moins favorable qu'avant, et je crois qu'il en va de même pour bon nombre de Canadiens. Ce serait chose facile, en pleine campagne électorale au Canada, d'essayer de marquer des points en abordant la question de la souveraineté du Canada sur l'Arctique, en insinuant, par exemple, de se débarrasser des Américains, de chasser les forces navales, et cetera.

Ce que j'essayais de faire ressortir, c'est que les arguments des deux camps sont très valables. Je ne sais pas si vous avez lu le document de 60 pages à interligne simple de M. Byers, qui relate l'historique des revendications du Canada en remontant jusqu'aux traités du XIXe siècle. C'est un document fascinant. Selon moi, il contient beaucoup d'arguments convaincants. D'un autre côté, la position du gouvernement des États-Unis et celles d'autres gouvernements sont très défendables.

Le point principal sur lequel j'aimerais conclure aujourd'hui, c'est que, si nous voulons en arriver à un compromis sur la façon dont nous gérerons le transport maritime en Arctique, il faudra que les deux parties consentent à négocier. Il faudra donc une certaine dynamique et un climat propice pour que les négociations portent fruit. C'est dans cette optique que j'ai fait ce commentaire.

Le sénateur Robichaud : Quel est le compromis possible en matière de souveraineté?

M. Borgerson : Cela nous ramène à la question du sénateur Cowan : faut-il en arriver là? À mon avis, l'accord de 1988 constituait une solution viable, bien qu'imparfaite. Autrement, la position canadienne, c'est qu'aucun compromis n'est possible dans le dossier de la souveraineté, tandis que la position des États-Unis est la suivante : c'est un passage international, et nous ne céderons aucunement sur ce point. Essentiellement, nous en sommes à un statu quo.

Les glaces fondront, que le statu quo soit maintenu ou non. Dans les faits, l'activité maritime s'intensifiera un jour en Arctique. On peut continuer de débattre sur ce qui en résultera.

Je crois que l'activité maritime transarctique va prendre beaucoup plus de temps à se développer que dans le cas du transport maritime régional. Pour ma part, j'aimerais qu'on établisse un Arctique nord-américain qui serait le résultat du fait que le Canada et les États-Unis auraient réglé leurs différends et n'auraient pas maintenu le statu quo. Nous ne pouvons pas gérer la circulation des navires sans commencer par régler certains problèmes d'abord.

Le sénateur Robichaud : Qu'est-ce que les États-Unis auraient à perdre s'ils acceptaient de reconnaître la légitimité des revendications du Canada et qu'ils consentaient à négocier un traité sur le passage international?

M. Borgerson : Le plus grand problème, c'est la jurisprudence. Il ne s'agit pas seulement du passage du Nord-Ouest, mais aussi du détroit de Malacca, du détroit de Gibraltar et d'autres détroits stratégiques. On craint que, si les États- Unis faisaient des pieds et des mains pour faire comprendre formellement et diplomatiquement que ce n'est pas le cas, l'Iran pourrait à son tour essayer de contrôler le trafic maritime au détroit d'Hormuz en donnant l'exemple du Canada et en déclarant aux États-Unis « désolé, mais ce sont nos eaux intérieures ».

Les Forces navales des États-Unis, qui depuis leur fondation ont joué un rôle de pilier en assurant une présence et une mobilité, s'y refusent. Je ne pensais pas citer l'amiral Alfred Thayer Mahan aujourd'hui, mais je vais me rapporter à un ouvrage qui fait autorité sur la stratégie navale et qui s'intitule L'influence de la puissance maritime dans l'Histoire. Le Naval War College de Newport, au Rhode Island, le considère comme l'un de ses textes fondamentaux.

De fait, l'image des États-Unis qui déploient leur force navale constitue l'une des pierres angulaires de notre stratégie et notre politique en matière de défense. Cela englobe le fait que nous avons investi des milliards de dollars dans ce que l'on considère être la force navale la plus puissante de l'histoire du monde.

De l'avis du Pentagone, c'est un enjeu de taille qui, je le dis, devrait être réévalué à Washington. Vous me demandez pourquoi ils ont dit ça. Voilà pourquoi. Ils disent honnêtement qu'ils ont raison, en se fondant sur leur interprétation du droit de la mer.

Le sénateur Robichaud : Par quoi se traduirait, pour les États-Unis, le fait de modérer leurs ardeurs sur la question de la souveraineté?

M. Borgerson : J'aurais aimé que les Américains soient aussi passionnés que les Canadiens au sujet de l'Arctique, mais ce n'est pas le cas. Je peux essayer, si vous me le demandez, d'établir un parallèle avec un autre enjeu de la politique étrangère.

Je dois faire remarquer qu'un examen des politiques internes est en cours au sein du gouvernement des États-Unis. Il est fort probable que la Maison-Blanche adopte une nouvelle politique officielle sur le sujet, probablement au cours des prochains mois. Si c'est le cas, je suppose qu'elle va réitérer son engagement envers la mobilité navale.

La notion de modération des ardeurs ne s'applique pas aux États-Unis, parce qu'en période électorale, ni Barack Obama ni Hillary Clinton ni John McCain ne se disputeront sur des interprétations au sujet du passage du Nord- Ouest. Le sujet n'a jamais été abordé durant la campagne. Je crois qu'il faut d'abord en faire grand cas pour ensuite modérer ses ardeurs. Nous devons prendre la question davantage au sérieux et y apporter une grande attention. C'est l'un des commentaires que j'ai essayé de faire dans ma déclaration préliminaire.

Le sénateur Robichaud : Vous comprenez à quel point on prend la question de la souveraineté au sérieux. Le point que vous avez soulevé au sujet de 48 États situés un peu plus bas qui n'ont pas conscience...

M. Borgerson : ... qui n'ont relativement pas conscience.

Le sénateur Robichaud : ... n'ont relativement pas conscience ni de ce qui se passe ni de ce qu'est l'Arctique. Ce n'est pas seulement des îles et des étendues d'eau. Des gens y vivent et considèrent l'Arctique chez eux. J'ai tendance à penser que nous avons le droit de dire que c'est une partie du Canada et que nous avons le droit d'y gouverner. La souveraineté est importante pour eux.

M. Borgerson : Personne ne remet en doute la souveraineté du Canada sur le territoire ou les îles. À ma connaissance — peut-être ai-je tort —, les deux pays s'entendent sur le fait que le Canada exerce sa souveraineté sur son peuple, son sol et son territoire ainsi que sur toutes les îles de l'archipel arctique canadien. La n'est pas la question. Le débat porte sur l'interprétation juridique du droit de la mer et son application à la voie maritime et aux eaux entourant ces îles.

Quant à savoir qui exerce la souveraineté, votre observation rejoint peut-être celle du sénateur Adams; les États- Unis ne cherchent pas à exercer leur souveraineté sur les Canadiens vivant au Canada. Bien que certains caricaturistes tentent d'illustrer cette situation dans les journaux, ce n'est pas la réalité.

La question en cause est bien plus restreinte, quoique très importante. Il s'agit de la gestion des navires qui sillonneront ces eaux, ce qui n'a rien à voir avec la souveraineté sur le territoire.

Le sénateur Hubley : Il y a une autre question que nous considérons importante en ce qui a trait à notre souveraineté, il s'agit des données scientifiques que nous recueillons grâce à la cartographie du fond marin — le prolongement du plateau continental, l'endroit où il prend fin, le fait qu'il faisait partie ou non de la masse terrestre à l'origine et qu'il en fasse toujours partie aujourd'hui.

Il ne s'agit pas simplement d'ouvrir les voies navigables et de laisser passer les gens. Comme vous l'avez entendu ce soir, je crois que notre souveraineté dans le Nord concerne les gens qui y vivent ainsi que leurs ressources.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez, parce que leurs ressources s'étendent jusque dans les voies navigables. Leur gagne-pain et leur survie en dépendent. Est-ce un sujet dont on entend parler dans d'autres tribunes?

M. Borgerson : Absolument. Encore une fois, je crois qu'il est important de faire la distinction entre la souveraineté sur les terres ou les îles et la souveraineté sur les eaux. Lorsqu'il est question des eaux, il faut par ailleurs faire la distinction entre les navires qui ont un droit de passage partout dans le monde, qui transportent 90 p. 100 du fret international et qui sont nécessaires dans un contexte de mondialisation, et le droit d'un pays de contrôler les ressources que contiennent ces eaux. Ce sont là deux choses bien différentes.

D'un côté, un pays peut contrôler les droits de pêche et d'exploitation des grands fonds marins et le genre de choses dont vous parlez.

C'est différent du cas d'un navire construit en Corée, battant pavillon panaméen, doté d'un équipage russe, assuré à Londres, financé à Singapour, et ainsi de suite. Il s'agit d'une industrie internationale et complexe, régie par le droit maritime, le droit de la mer et autres. Je ne sais pas si vous avez lu l'article 234, mais il ne contient que deux phrases. Le Règlement sur la prévention de la pollution des eaux arctiques est bien plus long.

Du point de vue de la sécurité, les États-Unis comptent de nombreuses initiatives, comme la SAFE Port Act, la Container Security Initiative et ainsi de suite, dans le cadre desquelles ils essaient d'exercer leur souveraineté sur la navigation internationale afin de protéger leurs ports.

Il s'agit là de deux questions distinctes. Je crois que les règlements du Canada sont facultatifs et non obligatoires. Est-ce exact? Les gens veulent les données scientifiques et les données de cartographie des glaces que le Canada fournit et, s'ils se trouvent dans une situation fâcheuse, ils souhaitent que la Garde côtière canadienne les aide. Je ne suis pas un spécialiste des lois canadiennes, mais, à ma connaissance, le Canada n'oblige pas les responsables des navires à se conformer à ces règlements, y compris les normes de construction des navires, notamment, qui sont aussi des recommandations.

En fin de compte, il est impossible d'obtenir de l'assurance si l'on conduit un rafiot là-bas, et les gens ne s'aventureront pas dans un milieu dangereux à bord d'un navire de plusieurs millions de dollars à moins d'avoir pris toutes les précautions nécessaires. Aucun homme d'affaires responsable ne ferait cela. Cela n'a rien à voir avec les pêches et l'exploitation pétrolière et gazière.

Cela nous amène à un point que je considère gênant pour nos deux pays : nous n'avons pas conclu d'entente sur la zone litigieuse dans la mer de Beaufort. Cela touche directement votre question concernant la zone économique exclusive dans laquelle les pays ont le droit de contrôler leurs ressources se trouvant jusqu'à une distance de 200 milles marins de leur ligne de base. C'est différent du droit de la mer, qui vise la sécurité de la navigation. Cela concerne par ailleurs l'Organisation maritime internationale, à qui j'ai proposé, dans mes observations préliminaires, que les États- Unis et le Canada assurent un leadership conjoint afin que l'on puisse éventuellement se doter d'un code polaire obligatoire.

Le sénateur Hubley : Ma prochaine question porte sur la sécurité plutôt que sur la souveraineté. Est-ce que les États- Unis considèrent cette région comme étant vulnérable du point de vue de la sécurité? À quel point cela a-t-il une influence sur leur décision? Pas tellement si l'on en juge par le fait que leur garde côtière n'est pas sur place.

Pourriez-vous nous faire part de vos observations sur le sujet, ainsi que sur RADARSAT?

M. Borgerson : Je répondrai à ces questions séparément, car je crois qu'il s'agit de questions distinctes. La première concerne la sécurité et la deuxième RADARSAT; je ne suis pas un expert sur ce dernier, mais je pèserai mes mots.

Premièrement, je ne suis pas d'accord avec les témoins précédents, particulièrement les Canadiens. Comme je l'ai déjà dit, à mon avis, il est inexact d'affirmer que la préoccupation des États-Unis quant à la sécurité concerne l'introduction d'une arme de destruction massive par le passage du Nord-Ouest. Ce n'est pas ce qui est ressorti des conversations que j'ai eues à ce sujet avec les gens qui travaillent dans le domaine aux États-Unis.

La préoccupation des États-Unis concerne la gérance environnementale, la sécurité, les pêches et la réglementation, et cetera, et non le fait qu'Al-Qaïda puisse introduire une arme de destruction massive par le passage du Nord-Ouest.

La réalité, c'est que nous avons déjà beaucoup de difficulté à protéger le port de Los Angeles et Long Beach, où le temps est bien plus clément que dans l'Arctique. Si j'étais un terroriste souhaitant faire le plus de ravages possible et que je voulais utiliser ma seule arme nucléaire, à laquelle j'ai travaillé à mes risques pendant 10 ans en engageant des dépenses énormes, je ne l'enverrais pas par la route la plus dangereuse, sur l'océan le plus dangereux, sur un bateau ayant la plus mince des chances de se rendre à destination. Je ne mettrais pas tous mes œufs dans un panier si précaire.

Nous nous éloignons de la question de l'Arctique, mais c'est en réponse à votre question. Les États-Unis administrent leurs protocoles de sécurité par l'entremise du programme C-TPAT, une entente sur les douanes et le commerce dans le cadre de laquelle nous collaborons avec d'autres ports. Du personnel américain travaille dans les ports étrangers où l'on fait affaire avec des sociétés de transport maritime en qui l'on a confiance. Les douanes se servent d'un algorithme leur permettant d'entrer des données dans un programme « dix plus deux » afin d'obtenir une cote déterminant les conteneurs posant des risques. Nous inspectons ceux que l'on estime poser le plus de risques en espérant découvrir l'arme de destruction massive.

L'un de mes collègues au conseil, Stephen Flynn, est vraiment le spécialiste mondial de la question. Je crois qu'il faut retravailler cette méthode. La lutte antidrogue n'est pas terminée, et il y a encore beaucoup de cocaïne aux États-Unis. Je ne voudrais surtout pas appliquer cette méthode au problème du terrorisme.

Ce sera peut-être un problème dans le futur, mais ce problème ne figure pas en tête de liste du programme américain lorsqu'il est question de l'Arctique et de la navigation dans l'Arctique.

En ce qui concerne RADARSAT-2, j'ai lu des témoignages précédents, et c'est de là que j'ai tiré la majeure partie de mes connaissances sur le sujet. J'aimerais faire une comparaison avec le processus du CFIUS auquel on a recours aux États-Unis. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. Il s'agit d'un processus dans le cadre duquel l'exécutif réunit les intervenants de l'ensemble du gouvernement et se penche sur les transactions grâce auxquelles des gouvernements étrangers achèteraient des divisions de sociétés américaines pouvant s'avérer utiles en matière de sécurité nationale. Dans le cadre du processus du CFIUS, le gouvernement peut dire « Il n'y a aucun problème, tout est correct; cela ne pose aucun risque pour la sécurité nationale ». Une fois qu'il obtient le feu vert, le marché est conclu. Il est possible, comme cela s'est produit deux ou trois fois dans toute l'histoire du CFIUS, que l'on se rende compte que ce n'est pas dans l'intérêt des États-Unis du point de vue de la sécurité nationale, et que le gouvernement prenne ses responsabilités et empêche la vente.

À ma connaissance, il n'existe pas d'équivalent canadien au processus du CFIUS. Selon moi, dans un contexte américain, RADARSAT-2 relèverait du CFIUS. Le comité devrait peut-être prendre ce processus pour modèle. En fin de compte, le gouvernement canadien doit décider si la vente va à l'encontre des intérêts du Canada en matière de sécurité nationale. Les États-Unis disposent d'un processus pour prendre ce genre de décision et ils y ont fréquemment recours.

Le sénateur Watt : J'ai beaucoup apprécié votre exposé et votre ouverture d'esprit quant aux solutions possibles. Il ne s'agit pas encore d'un problème, mais ce pourrait le devenir.

Les sénateurs Robichaud et Hubley ont abordé bon nombre de mes préoccupations. Je voudrais néanmoins faire suite aux propos du sénateur Adams selon lesquels la question de l'établissement de la souveraineté préoccupe énormément les Inuits et l'ensemble des Canadiens et des Canadiennes. J'irais jusqu'à dire que je comprends votre raisonnement lorsque vous affirmez que nous devrions nous abstenir de visiter cette région en raison de son influence sur les autres pays. Le fait que nous avons établi un certain précédent international en autorisant l'accès à divers canaux et bras de mer — je comprends le sens de votre intervention.

Cela dit, le sénateur Adams et moi sommes issus de la même collectivité. Il a déménagé en 1953 en vue d'établir la souveraineté de l'Arctique. En d'autres mots, il a quitté ma ville natale. Je me souviens de son départ alors que je n'étais pas encore adolescent. Je crois qu'il avait 19 ans à l'époque, alors que je ne devais pas avoir plus de sept ans.

Cette question nous préoccupe car elle touche notre gagne-pain, notre économie, notre vie sociale et notre culture. Nous sommes conscients que les prochains éléments extérieurs, peu importe d'où ils proviennent, auront une influence considérable sur notre avenir, qui est pour le moins incertain. Nous avons essayé de préserver les glaces de l'Arctique le plus longtemps possible. Dame nature a cependant décidé d'en faire à sa tête. Il n'y a rien qu'on puisse faire dans une telle situation.

L'une des questions qui me tracasse encore, c'est l'augmentation du trafic et des activités dans la région. Je ne sais pas si les États-Unis sont dans une meilleure position que le Canada en ce qui a trait aux navires. Il semble qu'aucun ne dispose de l'infrastructure et des outils nécessaires à la protection de l'environnement dans la région.

Si la région de l'Arctique dans laquelle le sénateur Adams et moi habitons connaît une crise, qu'il s'agisse d'un important déversement de pétrole ou d'un tout autre désastre, nous serons au cœur du problème. Où irons-nous? Cela fait des années que cette question me hante. Serait-il plus avantageux de conclure des ententes avec la Russie si elle est mieux en mesure de protéger les intérêts des Inuits? Depuis bon nombre d'années, cette question alimente les discussions des Inuits lors des conférences circumpolaires. Nous savons pertinemment que les choses ne peuvent demeurer telles qu'elles sont. Tout comme les Américains et les autres Canadiens, nous avons des rêves. C'est notre vie après tout.

J'aimerais vous poser une question dans la même veine que celles du sénateur Hubley. Pourriez-vous apporter des éclaircissements concernant le fond marin, le plateau continental et le talus continental? Si je vous ai bien compris, ils ne sont pas en cause.

M. Borgerson : On doit dissocier cette préoccupation des questions relatives à la réglementation du transport maritime à des fins de sécurité. Elle se distingue de la délimitation du plateau continental. Je voulais simplement signaler qu'il s'agit de deux problèmes séparés.

Le sénateur Watt : C'est ce que j'avais cru comprendre. Néanmoins, les déplacements dans les eaux canadiennes se font au-dessus des points d'entrée au pays, une question qui revêt une grande importance pour ses habitants. Nous sommes Canadiens et, en tant qu'Inuits, nous sommes conscients des ressources dont regorgent le fond marin ainsi que les plateaux et talus continentaux. Ces sont des ressources vitales pour l'économie canadienne.

Si nous choisissons d'établir un régime de gestion conjoint, nous devrons par la suite nous intéresser aux ressources sous-marines. Vous suggérez de les ignorer pour le moment. Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Borgerson : Je ne pense pas. Selon la procédure établie à l'article 76 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, si un pays souhaite s'approprier une étendue du plateau continental allant au-delà des 200 milles marins, il doit effectuer des recherches, comme le font les nations arctiques, et soumettre les résultats de ces recherches à la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies. La Commission, composée d'experts et de scientifiques, étudie les demandes à huis clos et, comme le précise la Convention, émet des avis sur les données présentées. En 2001, la Russie a présenté une telle demande au sujet de l'étendue de son plateau territorial. Elle proclamait que le fait d'avoir planté un drapeau russe au pôle Nord lui conférait des droits. C'est le processus que le Canada doit suivre s'il souhaite agrandir la limite extérieure du plateau continental.

Si le Canada décidait unilatéralement, au nom de la souveraineté, de transformer l'Arctique en un parc en vue de protéger le mode de vie indigène et de restreindre le développement économique dans la région, il pourrait faire ce qu'il désire en tant que nation souveraine. Bien entendu, cette décision n'aurait aucune incidence sur les décisions de l'Alaska, comme les contrats de location entre Shell et le gouvernement américain. À mon avis, la carte que nous avons sous les yeux révèle que la Russie et l'exploitation du pétrole et du gaz naturel russes constituent la préoccupation première. On estime que la région arctique de ce pays compte 586 milliards de barils d'équivalent pétrole, composé à 75 p. 100 de gaz et à 25 p. 100 de pétrole. Cela représente environ 25 p. 100 des réserves mondiales non prouvées. Ces ressources ne seront peut-être pas exploitées au cours des deux prochaines années, mais il est fort probable qu'elles le seront au cours des 20 prochaines années. La question ne se posera peut-être pas, car les ressources canadiennes sont gérées conformément aux politiques du Canada en matière de démocratie. D'autre part, la navigation maritime connaîtra une augmentation. Par navigation, j'entends non seulement le transport du pétrole et du gaz, mais aussi le tourisme, la pêche et, à un moment ou à un autre, le transport transocéanique dans les eaux canadiennes. Cela nous ramène aux autres éléments que j'ai mentionnés plus tôt dans mon témoignage.

Quant au prolongement possible de la limite extérieure du plateau continental à la frontière canado-américaine et à la zone économique ainsi créée, chaque pays devra présenter son propre dossier à la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies, conformément aux dispositions techniques énoncées à l'article 76 de la Convention. La Commission examinera les demandes et décidera si elles répondent aux critères établis.

Je ne dis pas que les États-Unis et le Canada ne tenteront pas de collaborer à la résolution de cette longue liste de problèmes. Au cours du processus de négociation, comme c'est le cas pour la cartographie des glaces et les travaux de recherche scientifique et technique, il est possible qu'ils travaillent de concert à la cartographie du fond marin. De cette façon, les dossiers présentés à la Commission des Nations Unies se compléteraient. Selon le processus décrit à l'article 76 de la Convention, les États-Unis et le Canada sont en mesure de réclamer des zones semblables du plateau continental étendu. À mon sens, c'est une autre occasion de collaboration entre deux pays faisant déjà preuve d'un bel esprit de collaboration scientifique. Je ne possède cependant pas les qualifications nécessaires pour discuter du rôle des Inuits et de leur poids au sein du gouvernement canadien, ainsi que de la gestion des ressources canadiennes. Cette question n'a rien à voir avec les navires étrangers sillonnant les eaux de l'Arctique.

Le sénateur Watt : Si les États-Unis et le Canada pouvaient coordonner leurs efforts dans deux secteurs particuliers — l'accès au corridor et au fond marin —, ils seraient mieux placés pour soumettre des dossiers à la Commission des Nations Unies, étant donné que d'autres pays ont des intérêts semblables dans la même zone sous-marine.

M. Borgerson : Coordonner. Voilà exactement le mot que j'emploierais. Deux pays qui collaborent autant, par exemple au sein de l'OTAN et dans les domaines de la sécurité et de l'économie, ont tout à gagner à bien s'entendre. Chacun est le plus important partenaire commercial de l'autre. Espérons que nous pourrons régler ces questions ensemble, et ainsi parvenir à la coordination visée. Donc oui, monsieur le sénateur, je suis en faveur de cette façon de procéder.

Le sénateur Baker : Vous faites énergiquement valoir votre opinion aux États-Unis au sujet du droit de la mer. Bien sûr, beaucoup de gens vous écoutent, vous citent et ainsi de suite. Si j'étais un journaliste qui couvrait la réunion de ce soir ou quelqu'un qui regardait la télévision, comme il y en aura sans doute au cours des prochains jours, je dirais que ce qu'il faut retenir, c'est que vous recommandez une commission mixte, je suppose, en prenant pour modèle le pôle Sud.

Vous recommandez la même collaboration entre les États-Unis et le Canada pour le Nord. Les États-Unis sont les plus réticents à reconnaître le droit de la mer; ils sont suivis par le Canada, en deuxième place, et par le Danemark, en troisième place.

Je voudrais vous poser une question à deux volets. Au fait, je viens de lire la demande que l'Indonésie a présentée à la Commission au sujet de ses limites extérieures. L'interprétation de cette demande visant à étendre le domaine de compétence laisse entendre que le pays serait en mesure de maîtriser et d'arrêter le dragage des éponges et des mollusques du fond marin, en d'autres mots, que le pays pourrait mettre un frein aux activités de dragage des embarcations étrangères qui peuplent le littoral. Voilà ce qui apparaît dans la demande de l'Indonésie, et dans beaucoup d'autres demandes.

Proposez-vous que nous nous réunissions pour conclure une sorte de pacte parce que vous espérez que les États- Unis ratifient la Convention sur le droit de la mer? Le président des États-Unis a écouté vos conseils et a dit qu'il voulait aller dans ce sens, mais il est possible que cela ne se produise jamais. Nous allons former cette commission mixte et conclure un pacte de collaboration alors que la Russie a tout fait de façon légale, et qu'elle a en 2001 respecté la loi et formulé une demande en bonne et due forme. De notre côté, nous n'avons pas respecté la loi. Laissez-vous entendre qu'un effort conjoint compenserait le fait que nous n'avons tout simplement pas reconnu le droit de la mer en Amérique du Nord?

M. Borgerson : Je crois que je commencerai en disant : « Si seulement le président Bush m'avait écouté! »

Le sénateur Baker : Eh bien, il s'est fait défenseur de vos conseils.

M. Borgerson : Vous avez soulevé d'excellents points. Je vais essayer d'apporter des réponses à la hauteur. Si j'en omets un, rappelez-le-moi et j'y reviendrai.

Je ne peux pas accepter tout le mérite de cette notion de commission de navigation canado-américaine de l'Arctique. J'ai souvent traité de quelque chose du genre dans les pages de libre expression du New York Times, mais je ne nommais pas précisément la commission. Le sujet a été abordé dans des articles de journaux et ailleurs dans les médias, comme vous en avez discuté, mais le nom exact est le produit d'une négociation tout à fait officieuse, non autorisée et privée à laquelle nous avons participé ici, à Ottawa, il y a deux mois, et qui a mené à la liste de recommandations que vous avez vue.

À mon avis, il n'y a absolument aucun autre rapport entre nos deux gouvernements que celui qui a été établi dans une salle où quelques-unes des personnes les plus compétentes dans ce domaine — notamment l'ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, qui travaillait pour l'administration républicaine après le 11 septembre — ont campé sur leurs positions, mais ont tout de même essayé de trouver des domaines qui se prêtent à la collaboration.

Je suppose que la nouvelle est la recommandation 9 de ce document, qui en traite. Ensuite, en venant à Ottawa aujourd'hui, je réitère mon appui à cette recommandation — qui n'est pas une proposition des États-Unis, mais une proposition commune élaborée par une équipe d'Américains et une équipe de Canadiens après plusieurs jours de débats chauds sur les intérêts nationaux des deux pays par rapport à cette question.

Je prends note de votre remarque sur notre procrastination et notre négligence inexcusable concernant la ratification de la Convention sur le droit de la mer. C'est une honte pour notre pays et j'espère vivement, comme beaucoup, je sais, que les États-Unis ratifient ce traité le plus tôt possible. Nous avons contribué aux négociations, nous devrions normalement en bénéficier et il est dans notre intérêt que le Sénat y adhère. Si nous ne le ratifions pas, nous devrons malheureusement nous passer des droits et des responsabilités qui l'accompagnent.

Cela dit, je n'affirme pas qu'une commission ou qu'un pacte quelconque avec le Canada compenserait le fait que nous n'avons pas signé le traité, ou qu'un arrangement avec le Canada compenserait le fait que nous sommes arrivés en retard au rendez-vous. J'estime plutôt que ces mesures sont avantageuses pour les deux parties, peu importe si nous signons le traité ou non.

Cela nous ramène à ma proposition antérieure, soit celle d'une stratégie à deux volets qui consoliderait la souveraineté des États-Unis dans l'Arctique. Je crois qu'en tête des priorités se trouve la signature d'un traité, ce qui peut être fait beaucoup plus rapidement que la construction de nouveaux brise-glaces.

Ensuite, nous passerons aux autres recommandations, que le Canada envisage de suivre aussi : construire des navires, agrandir l'infrastructure dans l'Arctique, accroître le savoir-faire et les connaissances des responsables du gouvernement qui se penchent sur ces questions, augmenter notre pouvoir de réglementation en ce qui concerne les lois qui régissent les navires et concevoir une meilleure façon de mettre en application l'article 234 pour tout ce qui touche les eaux situées du côté de l'Alaska. Nous n'avons pas l'équivalent du Règlement sur la prévention de la pollution des eaux arctiques; il nous manque quelque chose de semblable.

Qu'ils collaborent avec le Canada ou non, les États-Unis doivent s'attaquer à ce dossier, qui, à mon avis, consolidera unilatéralement leurs intérêts dans l'Arctique. Cela dit, je crois qu'il est avantageux pour tous de former cette commission et ensuite de coopérer dans les domaines dont nous avons déjà discuté.

Je voudrais terminer avec un éclaircissement important concernant le Traité sur l'Antarctique de 1954 et les propositions sur l'Arctique. Je ne suis pas expert de l'Antarctique, mais je sais qu'il existe des différences majeures entre l'Antarctique et l'Arctique : l'un est un continent, l'autre est un océan. Le contexte géopolitique était complètement différent pendant la guerre froide, époque où les États-Unis et l'Union soviétique menaient déjà suffisamment de guerres par procuration ailleurs. Il était dans leur intérêt de « bloquer » les demandes territoriales en Antarctique, ainsi que les divers États qui présentaient ces demandes, et d'y promouvoir essentiellement la recherche scientifique.

Je crois que cette façon de procéder est tout à fait irréaliste pour l'Arctique. Je suis attaqué de part et d'autre dans cette affaire. D'un côté, certains Américains croient que la seule négociation avec les Canadiens sur cette question équivaut à abandonner la souveraineté des États-Unis, leur liberté d'agir et ainsi de suite. C'est à peu de choses près le ton adopté par la politique étrangère des États-Unis depuis quelques années. Pour de nombreuses raisons, je ne crois pas que ce soit dans l'intérêt de mon pays.

D'un autre côté, de nombreux écologistes n'aiment pas non plus ce que j'ai à dire. D'abord, ils déplorent la fonte de l'Arctique. Ils croient que le retrait d'une plus grande quantité d'hydrocarbures de ses ressources aggravera le problème et qu'il faudrait plutôt transformer cet océan en un parc géant ou une réserve. Je crois que cette solution est également irréaliste.

Ce que je propose, c'est une stratégie qui se situe entre ces deux extrêmes. J'approuve le développement, s'il est géré d'une manière responsable qui permette aux deux pays de veiller à leurs intérêts nationaux ainsi que de protéger l'environnement et les citoyens. On ferait erreur en comparant l'Arctique à l'Antarctique, car ils sont très différents.

Le sénateur Baker : Oui, mais vous avez proposé la création de la commission pour éviter les problèmes qui s'annonçaient, comme certains ont fait pour les conflits à l'horizon dans le cas du pôle Sud.

Vous admettez, et je vous en suis reconnaissant, que le droit de la mer est le droit de la mer, et qu'une procédure énoncée dans l'article 76 permet aux États-Unis et au Canada — particulièrement au Canada —, avec les Nations Unies, de prendre possession d'une zone dont la taille correspond à celle des trois provinces des Prairies au Canada. Or, les gouvernements ont un après l'autre refusé de le faire en raison de leurs relations privilégiées avec le gouvernement des États-Unis, qui les a convaincus de maintenir le statu quo. Voilà la conclusion à laquelle parviendraient la plupart des observateurs.

Vous soutenez que, si votre pays se tient à l'écart du droit de la mer en refusant de ratifier la convention, il ne pourra pas exercer son influence à cet égard. S'il veut présenter une demande, il devra le faire auprès d'une commission composée de représentants de pays qui pourraient lui être opposés, comme la Russie, par exemple.

Ma dernière question pour vous est la suivante : honnêtement et réellement, pourquoi croyez-vous que le Canada et les États-Unis sont, comme vous le dites, des simulateurs? Je crois que 155 pays ont ratifié la Convention sur le droit de la mer, mais les États-Unis et le Canada, pour une raison inconnue, ne l'ont tout de même pas fait. Vous avez avancé une raison il y a quelques minutes, mais cela n'a aucun sens. Bien que je l'aie entendu dire souvent pour réfuter vos arguments, je ne crois pas que les États-Unis craignent de devoir négocier avec d'autres pays pour prendre quelque chose qui se trouve dans le fond de la mer au-delà de leur zone de 200 miles. Pourquoi croyez-vous vraiment que le Canada et les États-Unis ont autant ignoré les lois internationales depuis la promulgation du droit de la mer en 1984?

M. Borgerson : Bien dit. Bravo! Je ne croyais pas, en venant à Ottawa, devoir accepter le blâme parce que mon pays n'a pas ratifié la Convention sur le droit de la mer, mais je suppose qu'il le faut, car je suis américain. C'est extrêmement frustrant pour moi. Je ne sais pas quoi dire si ce n'est que je défends cette cause du mieux que je peux et que je continuerai de le faire aussi longtemps que je le pourrai. Je serai à Washington D.C. demain pour faire avancer cette cause et la juste mission consistant à faire signer le traité par les États-Unis. C'est incroyable que nous ne l'ayons pas fait. Si, en ma qualité d'Américain, on me lance des reproches parce que mon pays s'est traîné les pieds dans cette affaire, je les accepterai.

Il n'est pas seulement question du droit de la mer, mais aussi d'un débat beaucoup plus large et d'une force qui font partie de la politique actuelle des États-Unis. Il ne s'agit pas non plus d'un nouveau débat. Nos pères fondateurs avaient eux aussi des débats idéologiques de ce genre, mais je vous épargnerai une longue leçon d'histoire. J'ai donné suffisamment de cours à ce sujet. Essentiellement, une école de pensée croit que les États-Unis se restreignent trop lorsqu'ils signent des traités internationaux, pas seulement la convention sur le droit de la mer. Je pourrais en effet vous énumérer une longue liste de traités que nous avons parfois même négociés, mais que le système politique n'a pas laissé se rendre au Sénat.

Je crois que c'est honteux, et parfois que c'est le plus sombre chapitre de l'histoire des États-Unis, mais il est arrivé que certains traités ne respectent pas les intérêts du pays et que les gouvernements responsables aient alors été en position de les refuser. Je prends l'exemple du Protocole de Kyoto. Nous faisons mauvaise figure dans la presse parce que nous refusons de le signer, mais ce traité laisse énormément à désirer. Devions-nous signer un traité mal conçu pour en tirer quelque chose? N'ouvrons pas cette boîte de Pandore.

Dans un autre ordre d'idées, l'idée de la Société des Nations vient des États-Unis. Selon le quatorzième point de la déclaration de Woodrow Wilson à la fin de la Première Guerre mondiale, cet organisme devait prévenir le déclenchement d'une nouvelle guerre. Après que le secrétaire d'État des États-Unis et le ministre des affaires étrangères de la France eurent signé le Pacte Briand-Kellog, nous avons interdit la guerre. Certains moments de notre histoire sont marqués par un engagement pur et sincère à l'égard des lois et des traités internationaux, ainsi qu'à l'égard des idées sur lesquelles ils reposent. Bien sûr, la fin shakespearienne et tragique de cette histoire est bien connue : le Sénat américain a rejeté la Société des Nations, et nous n'avons pas adhéré au traité.

Ce débat n'est pas nouveau. Il faut placer le droit de la mer dans le contexte de la tension qui règne entre les deux écoles de pensée américaines depuis plusieurs siècles. Cela dit, selon moi, ainsi que d'autres analystes lucides, dont beaucoup ont travaillé pour l'administration républicaine à différentes époques, notamment à celle du président actuel — dont la réputation n'est pas celle d'un... je dois être prudent ici. Devant cette tension idéologique... disons qu'il n'a pas la réputation de Woodrow Wilson en ce qui concerne cet exemple historique d'application de la politique étrangère des États-Unis, mais celui-ci défend ardemment la signature de ce traité par les États-Unis.

Tous les chefs d'état-major de la marine sans exception ont approuvé ce traité. La Garde côtière l'a approuvé, tout comme les multinationales qui dominent le secteur de l'énergie aux États-Unis et les ONG à vocation écologique. Ce n'est pas tous les jours que les ONG à vocation écologique, les grandes compagnies pétrolières, l'armée et le président s'entendent sur un traité, mais c'est ce qui se produit ici. Ce ne sont que les règles de procédure du Sénat qui empêchent sa signature.

J'espère vous avoir donné bon espoir que les États-Unis signeront finalement ce traité. Je n'ai bien sûr aucune idée de ce qui se produira, mais je peux vous assurer que non seulement moi, mais aussi d'autres personnes beaucoup plus importantes remuent ciel et terre pour aider le Sénat à prendre les bonnes décisions et à voter en faveur de ce traité.

Le président : Parlant de règles de procédure du Sénat, nous en sommes à la fin de cette réunion. Les questions ont été perspicaces. Je crois que vous serez notre seul témoin américain, mais vous avez apporté à ce débat une dimension qui n'en faisait auparavant pas partie. Nous vous en sommes reconnaissants. De notre côté, les travaux sont en cours; nous pesons le pour et le contre. Merci beaucoup d'être venu.

M. Borgerson : Merci. C'est un honneur pour moi d'être ici.

La séance est levée.


Haut de page