Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 3 - Témoignages du 30 janvier 2008


OTTAWA, le mercredi 30 janvier 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 4, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères en général.

Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, j'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les participants à la présente réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité se penche actuellement sur l'influence nouvelle de la Chine, de l'Inde et de la Russie sur le plan économique et sur les politiques qu'adopte le Canada en réaction à cette influence.

Nous recevons aujourd'hui Mme Wendy Dobson, professeure et directrice de l'Institute for International Business de la Rotman School of Management de l'Université de Toronto, ainsi que Mme Brenda Lafleur, directrice du Programme de prévisions et d'analyses, et Sheila Rao, chargée de recherche principale dans le cadre du même programme, du Conference Board du Canada. Encore une fois, bienvenue au Sénat du Canada.

Nous allons commencer par laisser les participants faire des déclarations préliminaires d'environ dix à 15 minutes, puis les membres du comité vont leur poser des questions.

Wendy Dobson, professeure et directrice, Institute for International Business, Rotman School of Management, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup, et permettez-moi de vous complimenter pour l'innovation qui permet aux témoins de participer par vidéoconférence. Je ne pense pas que je me serais rendue à Ottawa aujourd'hui, vu la météo.

Je pensais que vous vous attendiez à une déclaration un peu plus brève. Je vais laisser tomber une bonne partie de l'analyse des gros chiffres sur ces deux économies les plus populeuses du monde et me contenter de dire ce que j'ai à dire. Je serais heureuse de répondre aux questions, mais je veux souligner quelque chose que vous savez tous très bien : la géographie économique du monde change, surtout sous l'influence de ces deux pays les plus populeux, la Chine et l'Inde, qui sont en train de s'intégrer à l'économie mondiale. Cela pose pour nous des défis et nous offre des possibilités dont nous ne pouvons faire fi.

D'après ce que j'ai compris, vous voulez parler de la Russie aujourd'hui. Je vous dirai dès le départ que j'ai très peu de choses à dire au sujet de la Russie.

En ce qui concerne la Chine et l'Inde, je pense que ce que nous avons à dire est relativement positif, puisque la demande de ces deux pays pour nos produits a certainement renforcé la situation de nos échanges ces dernières années. Cependant, j'insiste sur le fait que nous ne pouvons compter sur les ressources naturelles pour maintenir notre niveau de vie à long terme. Vu la tournure que prend l'évolution de l'économie mondiale, nous allons devoir utiliser nos cerveaux plutôt que nos muscles. Nous devons nous adapter à cette économie en pleine évolution au sein de laquelle la concurrence s'intensifie, et nous devons participer à ces économies.

J'ai pensé que vous souhaiteriez probablement m'entendre parler de certaines des répercussions auxquelles nous allons être confrontés dans l'avenir. Il est possible de les décrire en parlant de l'innovation importante qui a eu lieu au cours des 15 dernières années au chapitre de la production et qui a permis, en raison de la suppression des obstacles au commerce et de la révolution des technologies de l'information et des communications, de gérer des entreprises par- delà les frontières, ce qui fait que la production des biens et des services s'est fragmentée et s'est restructurée en chaînes d'approvisionnement mondial.

Un point intéressant, c'est la portée de ce processus, du point de vue de ce que cela signifie pour nous. Bien entendu, il y a la conclusion logique extrême selon laquelle tout ce qui peut être produit et emballé pour moins cher ailleurs va l'être, et tout service pouvant être offert par voie électronique sans perte de valeur va l'être aussi.

Cette conclusion est-elle exacte? Il s'agit assurément d'un principe logique poussé à l'extrême. Les gens me demandent si cela signifie que la Chine va un jour produire tous les biens, et l'Inde, tous les services. Bien entendu, la réponse est non, du point de vue économique. Il est impossible qu'un seul pays possède tous les avantages comparatifs. En effet, les études portant sur les entreprises des secteurs en déclin au sein des économies de l'Organisation de coopération et de développement économiques qui ont connu le succès montrent que ces entreprises, en tirant parti de toutes leurs forces, en étant ouvertes aux nouvelles possibilités et en renforçant leurs capacités dans une marche constante vers l'avant et vers les nouveaux produits et processus, arrivent, comme producteurs, à connaître le succès même si elles demeurent au sein des économies de l'OCDE.

Il ne s'agit pas que des producteurs. Il y a aussi le fait que ces entreprises tirent parti de l'espèce de capital social que nous avons créé et que nous devons maintenir. Je parle de nos infrastructures, de nos institutions financières, de nos systèmes juridiques, de nos établissements de recherche, de nos pratiques de gestion et de notre culture publique.

Une question qui se pose, c'est celle de savoir comment tirer parti de notre ouverture face à ces changements. Je place les gens tout en haut de la liste. Nous devons changer la façon de voir l'éducation et penser aux aptitudes à travailler avec les gens et à la façon de les acquérir ainsi qu'aux compétences en informatique. Nous devons cesser de voir les choses en fonction d'une économie industrielle dépassée et commencer à réfléchir davantage à l'économie du savoir de l'avenir. Nos systèmes d'éducation vont devenir plus importants que jamais, au sein d'économies avancées, tout comme l'éducation des jeunes enfants, puisque les recherches montrent que les enfants qui sont passés par de bons programmes d'éducation acquièrent une faculté d'adaptation qui leur permet d'évoluer avec le monde et des compétences de base qu'ils peuvent renforcer au cours de leur vie caractérisée par un apprentissage continu.

Une autre conséquence, c'est que nous devons évaluer les systèmes par l'intermédiaire desquels nous venons en aide aux gens pour leur permettre de s'adapter lorsqu'ils sont confrontés à des changements d'ordre économique. Cela signifie qu'il faut constamment envisager et réévaluer les choses. À quel point notre système d'assurance-chômage est-il efficace? Et nos établissements qui offrent des programmes de recyclage et des choses établies comme la transférabilité des pensions, qui aide les gens à s'adapter?

La troisième chose, c'est l'économie du savoir elle-même. Il ne s'agit pas que du soutien public, quoique le Canada s'en est très bien tiré à ce chapitre depuis plusieurs années, en investissant davantage dans les universités, dans la recherche et le développement ou en encourageant plus qu'auparavant la recherche et le développement. Vous ne serez peut-être pas surpris de m'entendre dire cela, mais je crois qu'il faut repenser l'Amérique du Nord.

L'Accord de libre-échange nord-américain a véritablement permis le libre-échange des biens. Cependant, il y a encore des obstacles. Bon nombre de ces obstacles sont réglementaires. Il existe différents régimes réglementaires en Amérique du Nord pour des motifs peu valables. Bien sûr, il y a encore les règles concernant l'origine, dont les entreprises se plaignent de plus en plus que leur application coûte cher et ne les aide pas vraiment à réaliser des économies de gamme et d'échelle au sein de l'économie nord-américaine; et il y a l'autre chose, qui est devenue assez inquiétante depuis le 11 septembre 2001, c'est-à-dire les déplacements des gens — des gens d'affaires, et, de plus en plus, des gens qui effectuent du technique.

Ma vision de l'Amérique du Nord de l'avenir est la suivante : un espace économique commun et sécuritaire, composé de trois régimes politiques souverains. C'est vers cela que nous devrions tendre. Nous devrions adopter cette vision et essayer de la réaliser.

La dernière conséquence, et la plus évidente, c'est que nous devrions participer aux économies en question. Le Canada devrait participer aux institutions régionales qui naissent dans la région de l'Asie.

Je vais terminer mes commentaires en en faisant un sur les institutions et dire que la Chine et l'Inde sont des pays qui ont 5 000 ans d'histoire chacun. Nous ne sommes peut-être pas d'accord avec toutes les institutions de ces pays, mais je dirais que, lorsque nous sommes en désaccord, nous devrions être en désaccord avec respect. En 5 000 ans, certaines institutions se sont ancrées dans la culture, et elles sont difficiles à changer. Dans certains cas, les gouvernements de ces pays ne savent pas très bien comment procéder à des changements et s'adapter davantage au genre de libéralisation que nous désirons.

Je pense cependant qu'il faut mettre les choses en perspective, et j'aime utiliser l'exemple de la réforme du Sénat. Ce n'est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. Il faut beaucoup de temps. Si vous multipliez ça par quelques centaines, vous aurez une idée de la difficulté qui se pose lorsqu'il s'agit de changer les institutions de ces pays.

Merci de m'avoir permis de faire quelques observations préliminaires.

Le président : Merci beaucoup, madame Dobson. Nous allons passer au Conference Board of Canada. D'après ce que j'ai compris, Mme Lafleur et Mme Rao vont toutes deux faire des déclarations.

Sheila Rao, chargée de recherche principale, Prévisions et analyses, Conference Board du Canada : C'est un privilège d'être ici avec vous aujourd'hui. Merci de m'avoir invitée. Je suis ici pour parler des conclusions tirées par le Conference Board du Canada dans une publication intitulée L'éveil des BRIC : Quelles conséquences pour le Canada? parue ce mois-ci. Il s'agit du deuxième rapport publié sous le titre How Canada Performs, le premier ayant été A Report Card on Canada, dans lequel nous avons évalué le rendement socioéconomique du Canada dans six domaines principaux par rapport à 16 autres pays de l'OCDE.

J'ai lu les témoignages des deux dernières réunions, et il m'a semblé qu'il y a eu passablement de discussions au sujet des politiques concernant la situation de ces pays. J'insiste sur le fait que le rapport dont je suis venue parler est d'abord et avant tout un compte rendu fondé sur les éléments probants de la nature compétitive des économies des BRIC et des possibilités qu'elles offrent. Le rapport est enraciné dans notre travail d'analyse comparative.

Au moment où nous avons effectué les travaux de recherche pour notre premier rapport, nous avons envisagé au départ d'inclure les économies des BRIC, le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, vu le rendement extraordinaire de ces pays au cours des dernières années. Nous avons cependant fini par conclure qu'il était insensé de comparer ces pays aux revenus très hétérogènes, aux niveaux élevés de pauvreté et confrontés à des problèmes environnementaux graves à des pays industrialisés au regard de thèmes comme la santé, la société et l'environnement. Par ailleurs, si nous avions décidé d'envisager seulement les indicateurs économiques, les pays comme la Chine et l'Inde — ou la Chininde, comme on appelle de plus en plus souvent ces deux pays — ont connu et continuent de connaître une croissance phénoménale, mais ils partent d'une base beaucoup plus petite. Si l'on prend, par exemple, un indicateur habituel de la richesse, le PIB par habitant, on est loin de pouvoir comparer ces pays au Canada, aux États-Unis et aux pays de l'Europe occidentale.

Ainsi, nous avons décidé de publier une étude distincte sur les BRIC, dans laquelle nous avons envisagé un ensemble d'indicateurs choisis, sur les plans de l'économie, de l'éducation et de l'innovation, pour évaluer les forces et les faiblesses des BRIC et les menaces que peuvent poser ces pays pour le Canada et les possibilités qu'ils offrent pour l'avenir.

Comme on en a parlé au cours des deux premières séances, mon rapport met également l'accent sur le fait qu'il s'agit de grandes économies de croissance et que la Chine et l'Inde sont les deux pays qui offrent les véritables possibilités, vu les problèmes démographiques auxquels est confrontée la Russie et le faible taux de croissance et d'intégration à l'économie mondiale du Brésil. Notre rapport porte entre autres sur le Brésil, mais je vais passer outre à notre analyse de la situation de ce pays parce que ce n'est pas l'objet de votre réunion.

La Chine et l'Inde poseront des défis pour le Canada, au chapitre de la compétitivité, mais elles offrent également d'énormes possibilités. La Chine est d'ores et déjà très ouverte au commerce et à l'investissement, et l'Inde est en train d'ouvrir ses portes. L'Inde est par ailleurs très bien placée pour connaître une croissance dans l'avenir, vu son importante population anglophone et de plus en plus instruite. De plus, contrairement à la Chine, l'Inde a l'atout de la jeunesse; plus de 30 p. 100 de la population de ce pays sont composés de gens de moins de 15 ans.

Les BRIC comptent déjà pour plus du quart du PIB mondial et plus de 40 p. 100 de la population de la planète. Ils sont de plus en plus intégrés à l'économie mondiale et sont un moteur de la croissance économique.

La Chine et l'Inde ont vu leur PIB et leur PIB par habitant croître énormément au cours des dernières années. La croissance du PIB par habitant dans ces pays, comme en Russie, met également en lumière le fait qu'une classe moyenne, qui est en train de voir le jour dans ces pays, pourrait compter des centaines de millions de membres.

La croissance de la productivité de ces pays a également été stupéfiante. En Chine, par exemple, la productivité du travail était de près de 10 p. 100 en 2006. Cela a beaucoup à voir avec la migration des travailleurs, qui partent des régions rurales pour s'installer en régions urbaines, ainsi qu'avec l'accroissement des investissements en capital et l'ouverture au commerce et aux investissements étrangers. La situation est semblable en Inde. La Russie a également connu une forte croissance, mais cela est en grande partie attribuable à l'abondance des ressources naturelles dans ce pays et aux prix élevés des produits.

Nous avons aussi envisagé l'investissement comme indicateur — en particulier la proportion des investissements par rapport au PIB — les investissements tant dans la machinerie et l'équipement que dans l'infrastructure. En Russie, les investissements comptent pour moins de 20 p. 100 du PIB. En Inde, cependant, la proportion est de près de 30 p. 100, et elle est de plus de 40 p. 100 en Chine, ce qui est très élevé, par rapport aux pays de l'OCDE. C'est un bon signe pour les deux pays, qui se dirigent vers des secteurs où les investissements en capital sont plus importants et qui continuent de connaître la croissance économique et à promouvoir la croissance future.

Nous avons examiné les menaces que posent ces pays sous deux angles. Nous nous sommes penchés sur les exportations des BRIC vers les États-Unis, par rapport aux exportations du Canada, pour voir les répercussions de celles-ci sur la part du marché qui revient au Canada. C'est quelque chose de révélateur, vu que les États-Unis sont de loin notre plus important partenaire commercial. Parmi les BRIC, seule la Chine a une part des exportations vers les États-Unis qui se compare à celle du Canada. Au cours de la dernière décennie, la part des importations de marchandises aux États-Unis qui revenait au Canada a chuté, tandis que celle de la Chine a augmenté. En fait, la Chine était en 1997 à l'origine de 7 p. 100 des importations aux États-Unis et, dix ans plus tard, elle est à l'origine de près de 16 p. 100 de celles-ci. La plupart des importations américaines des autres pays BRIC ont également augmenté, mais dans une mesure beaucoup plus limitée.

Le volume d'exportations de la Chine vers les États-Unis est comparable à celui du Canada, mais nous ne devons pas oublier que, pour l'essentiel, elles ne sont pas concentrées dans les mêmes domaines. Le Canada exporte principalement des ressources, des biens fondés sur les ressources et des voitures aux États-Unis. La Chine y exporte surtout des biens manufacturés de toutes sortes.

Lorsque nous nous sommes penchés sur les données relatives au commerce bilatéral entre les États-Unis et la Chine, il nous a semblé que, jusqu'à maintenant, la perte de part du marché américain s'était limitée aux secteurs où les coûts sont faibles et les besoins de main-d'œuvre, élevés. Les ordinateurs et les accessoires informatiques, ainsi que l'équipement de télécommunications, figurent parmi les principales exportations de la Chine. Ainsi, on pourrait conclure que la Chine est une menace dans le secteur des hautes technologies. Après tout, elle est le principal exportateur de biens de TI. Cependant, les produits exportés ne sont pour la plupart qu'assemblés en Chine pour le compte d'entreprises étrangères, les composantes ayant la valeur ajoutée la plus importante étant importée d'autres pays d'Asie.

Nous avons également examiné la menace venant des BRIC en analysant les percées qu'ils sont peut-être en train de faire ou qu'ils pourraient faire dans les secteurs très spécialisés. Nous avons pour cela utilisé des indicateurs du niveau d'éducation et l'innovation. En ce qui concerne l'éducation, le fait demeure que le degré de scolarité et le taux d'alphabétisation dans les BRIC, à l'exception de la Russie, sont assez faibles, mais en croissance constante.

Comme les BRIC ont d'énormes populations, il est plus éclairant d'examiner le nombre de diplômés en chiffres absolus plutôt que la proportion de diplômés. En chiffres absolus, la Russie, l'Inde et la Chine comptent parmi leur population beaucoup de gens éduqués — il y a dans ces pays des millions de diplômés universitaires de plus qu'au Canada, surtout en sciences et en génie. La qualité de la formation offerte dans ces pays peut faire l'objet d'un débat, mais le simple fait que le nombre de diplômés y est élevé va avoir des répercussions sur le rendement de ces pays dans l'avenir.

Nous avons examiné des indicateurs d'innovation typiques, par exemple les dépôts de brevet et la publication d'articles scientifiques, de la même façon, c'est-à-dire en fonction des chiffres absolus plutôt que des proportions. Dans les deux cas, les chiffres concernant la Chine, la Russie et l'Inde sont de beaucoup supérieurs à ceux qui concernent le Canada. Par ailleurs, les résidents de la Chine et de l'Inde déposent de plus en plus de brevets à l'étranger pour ainsi étendre la portée des inventions provenant de leur pays. La part des articles scientifiques publiés dans les BRIC demeure faible, mais elle est en croissance. Ce ne sont pas encore tout à fait des centres d'innovation, mais ils font de grands pas dans la bonne direction grâce à des collaborations internationales de plus en plus nombreuses, de meilleurs résultats en matière d'éducation et des niveaux plus élevés d'investissement en recherche et développement.

Vu la présence de plus en plus importante de ces pays sur la scène mondiale, ils ont un énorme réservoir de possibilités d'échange et d'investissement. Les entreprises canadiennes n'en profitent cependant pas. À l'exception de la Chine, les pays BRIC ne comptent que pour une faible part des échanges commerciaux du Canada. Moins de 2 p. 100 des exportations canadiennes aboutissent dans le principal pays importateur des BRIC, la Chine. Le pays qui vient au deuxième rang est l'Inde, qui compte pour moins de 0,5 p. 100 des importations canadiennes. Pour ce qui est des importations de biens, près de 9 p. 100 des biens importés au Canada viennent de Chine. Cependant, les importations en provenance de chacun des autres pays BRIC comptent pour moins de 1 p. 100 des importations totales du Canada.

Comme les échanges sont de plus en plus intégrés, et comme le nombre de pays qui utilisent des intrants en provenance de deux pays ou plus pour produire un bien ou un service augmente, il faut également envisager la participation du Canada à la chaîne d'approvisionnement des BRIC et vice versa. Jusqu'à maintenant, cette participation est minimale. Même si l'échange de biens intermédiaires a augmenté de façon significative, la majeure partie des importations canadiennes en provenance des pays BRIC est toujours constituée de produits finis. En fait, plus des deux tiers des importations en provenance de la Chine sont constituées de produits finis. Évidemment, cette situation est avantageuse pour les consommateurs canadiens qui peuvent se procurer des biens à faible prix. Cependant, nous ne tirons pas pleinement parti de la possibilité qui nous est offerte par ces pays de remonter la chaîne mondiale de valeur. Nous devons mieux profiter de la fabrication et des services à petit prix que ces pays offrent, ainsi que du bassin de main-d'œuvre peu coûteuse et éduquée que sont les BRIC.

Nous participons encore moins à la chaîne d'approvisionnement de ces pays. La majeure partie de nos exportations les plus importantes vers la Chine et l'Inde sont des matières brutes au début de la chaîne d'approvisionnement. Plus de la moitié des exportations canadiennes vers la Chine est constituée de biens à la première étape du processus de fabrication ou de ressources et de biens fondés sur des ressources. La part des exportations de biens intermédiaires ou encore de biens à une étape plus avancée du processus de fabrication a sensiblement augmenté au cours des dix dernières années. Cependant, la part des exportations de produits finis est demeurée relativement stable. Cette situation offre d'énormes possibilités de croissance, vu le bourgeonnement de la classe moyenne dans les économies de chacun des pays BRIC.

Les investissements étrangers directs ou IED du Canada dans les pays BRIC sont également très faibles. Les États- Unis sont toujours de loin le principal destinataire des IED du Canada. En ce qui concerne les BRIC, c'est au Brésil que le Canada fait la plupart de ses IED dans des secteurs fondés sur les ressources comme le secteur des mines. En 2003, nos IED totalisaient environ 500 millions de dollars en Chine et moins de 200 millions de dollars en Inde. Il y a place à une croissance beaucoup plus importante dans ce domaine. Les IED sont importants parce qu'ils contribuent à offrir aux entreprises canadiennes un accès aux chaînes d'approvisionnement mondiales et multiplient les possibilités d'échange. Ils permettent également d'atteindre les consommateurs étrangers plus facilement.

Les pays BRIC, et particulièrement la Chine et l'Inde, offrent un grand réservoir de possibilités au Canada et aux autres puissances économiques. Premièrement, ces pays ont une classe moyenne de plus en plus importante qui fait augmenter la demande de produits raffinés à l'échelle mondiale. La Chine et l'Inde, avec leur croissance spectaculaire, ont de plus en plus besoin de ressources. Le Canada possède beaucoup de ressources, alors cette situation nous offre des possibilités d'échange extraordinaires, mais il ne s'agit pas de nous concentrer seulement sur l'exportation de ressources. Les consommateurs canadiens profitent de biens à faible prix importés de la Chine et de l'Inde, mais les faibles coûts de fabrication et des services dans ces pays offrent également aux entreprises canadiennes l'occasion d'augmenter leurs importations de biens et de services à faible prix et qui exigent beaucoup de main-d'œuvre pour remonter la chaîne de valeur. Les entreprises canadiennes ont également d'excellentes possibilités de répondre à la demande en croissance des BRIC au chapitre de l'infrastructure et d'autres investissements en capital.

Il y a trois choses importantes à retenir de notre rapport. Premièrement, la Chine et l'Inde vont demeurer la paire dominante au sein des pays BRIC, grâce à leur population importante et de plus en plus éduquée, à la croissance de leur classe moyenne, à leur main-d'œuvre peu coûteuse et à leur ouverture de plus en plus grande. Deuxièmement, la menace à laquelle sont confrontés les pays industrialisés, dans l'immédiat, touche surtout les secteurs qui dépendent d'une main-d'œuvre peu qualifiée. La Chine et l'Inde ne sont pas encore tout à fait des centres d'innovation, mais elles font de grands pas dans cette direction. Troisièmement, les entreprises canadiennes doivent resserrer les liens, au chapitre des échanges et des investissements, avec les BRIC et se concentrer sur le fait de remonter la chaîne de valeur. Non seulement cela va accroître les capacités d'innovation et la productivité de nos organisations, mais cela va également nous préparer à affronter les menaces de plus en plus importantes relativement aux emplois dans les domaines de la fabrication et des services. Jusqu'à maintenant, nous avons été partiellement protégés par le fait que nous entretenons des liens forts avec les États-Unis. Nous devons cependant tenir compte de ce qui se passe à l'échelle mondiale et jeter un coup d'œil par-dessus l'épaule de nos voisins si nous ne voulons pas être laissés pour compte.

Le président : Merci, madame Rao. Madame Lafleur, voulez-vous présenter un exposé?

Brenda Lafleur, directrice du programme, Prévisions et Analyses, Conference Board du Canada : Non, mais je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Au cours des 22 dernières années, je me suis rendu en Inde six fois, mais pas pour le compte du gouvernement ni à titre de sénateur. C'était des voyages de tourisme et d'affaires. Chers collègues, il y a 15 ans, j'ai soupé avec un homme d'affaires à Delhi, et il se plaignait du fait que seulement 25 p. 100 environ de la population de l'Inde appartenait à la classe moyenne. Cela voulait dire à l'époque entre 250 et 300 millions de personnes. Il s'agit d'un marché plus important que celui des États-Unis. Il est à peu près temps que le monde s'en rende compte. Merci de vos observations.

Le sénateur Smith : Je suis allé en Inde il y a dix jours. Je m'y rends parfois moi aussi pour des motifs personnels et privés. Si l'on jette un coup du côté des pays BRIC — le Brésil, la Russie, la Chine et l'Inde — ce sont la Chine et l'Inde qui vont être les deux plus importants. Ma question a peut-être davantage à voir avec la Russie. Je suis curieux de savoir ce que vous pensez des pays qui ont un passé marxiste, communiste. Au moment du changement de régime, les gens de ces pays n'accueillent pas vraiment favorablement l'idée de compétitivité, vu qu'ils n'y ont jamais été exposés. J'ai été chanceux, en un sens, parce que j'ai visité l'Union soviétique à la fin des années 1960, et il m'a semblé que tout là-bas était gris. La première fois que je suis allé en Chine, Mao était encore vivant, et c'était le crépuscule de la révolution culturelle. Le pays n'était pas aussi gris que la Russie, mais il n'y avait pas beaucoup de compétitivité. Il n'y avait là-bas ni pancartes ni annonces.

En Inde, les gouvernements de quelques États ont été communistes — le Bengale occidental, par exemple —, mais ces États ont également un régime bureaucratique. Prenez par exemple les banques, un sujet que je connais. La banque nationale de l'Inde est la plus grande banque, mais au chapitre de la valeur marchande dans le secteur privé, la plus grande banque commerciale ne possède que 10 p. 100 des succursales, mais c'est elle qui a la plus grande valeur marchande, parce que, sur le plan de la compétitivité, il n'y a absolument aucune comparaison possible.

Madame Dobson, on peut faire une comparaison avec l'Allemagne. L'Allemagne de l'Est et l'Allemagne de l'Ouest ont finalement été réunies il y a 18 ans, et il y a encore des parties de l'Allemagne de l'Est qui ne sont pas compétitives. Il y a des gens qui pensent qu'il faut au moins deux générations, peut-être même trois, pour qu'on adopte l'esprit de compétition qui domine le monde aujourd'hui. Cela ne concerne pas directement le sujet que nous abordons aujourd'hui, mais c'est quelque chose qui m'a toujours rendu curieux. Le meilleur exemple, c'est l'Union soviétique. Je peux vous poser une question parce que vous êtes de la Rotman School of Management, alors vous êtes spécialisée en affaires, et non en sciences politiques. Lorsque des régimes marxistes se transforment en société compétitive du jour au lendemain, ou presque, combien de temps faut-il pour que ces pays soient réellement en mesure de s'intégrer et de livrer concurrence aux autres pays à l'échelle mondiale?

Mme Dobson : Ce sont de très bonnes questions. Permettez-moi de souligner le fait que la Chine et l'Inde, après la révolution et après l'indépendance, ont adopté un modèle central de planification semblable à celui de l'Union soviétique. Ils ont chassé les étrangers. Bien sûr, en Chine, on a coupé la tête de tous les entrepreneurs ou on les a envoyés à la campagne. Cela n'est pas comme ça que les choses se sont passées en Inde. Là-bas, on a adopté un système central de planification comme le système russe, mais il n'y a pas eu de révolution. En fait, les entrepreneurs indiens ont prospéré. Puisque vous vous êtes rendu là-bas si souvent, vous savez que ce sont les entrepreneurs qui ont contourné les restrictions imposées par les bureaucrates et par les services des permis et de l'inspection qui ont créé le secteur de service de TI avant que les bureaucrates du gouvernement comprennent de quoi il s'agissait. Le gouvernement a eu suffisamment de bon sens pour laisser le secteur tranquille et ne pas le réglementer comme le secteur des biens. Il y a une histoire très intéressante au sujet de l'entrepreneuriat en Inde. Tout va très bien de ce côté. Cependant, l'un des problèmes auxquels l'Inde est confronté, c'est que, même si la population est jeune, 50 p. 100 des femmes sont analphabètes. En Chine, par contre, le taux d'alphabétisation est de 91 p. 100.

Permettez-moi donc de parler de la Chine, où on a coupé la tête de tout le monde. En 1978, les Chinois ont été chanceux. Certaines institutions qui existaient depuis longtemps et qui avaient un rapport avec la classe marchande chinoise n'ont pas été entièrement détruites par la révolution, et il y avait en Chine un esprit d'entreprise assez remarquable en 1978. Lorsque Deng Xiaoping a pris le pouvoir et a dû faire face à la crise malthusienne, parce que la Chine ne produisait pas suffisamment de nourriture pour nourrir sa population grandissante, les gens faisaient des expériences dans les campagnes. Je possède une superbe photographie que j'ai prise en 1978 dans une petite ville de Chine. On peut y voir les gens de l'endroit avec des titres dans les mains et des citrouilles aux pieds. C'était le début d'un marché. Le gouvernement chinois a eu le bon sens d'autoriser le changement institutionnel qui permettrait de créer, pour les fermes où tout le monde vivait à l'époque, le système de responsabilité des ménages et de permettre aux gens de garder ou de vendre toute leur production dépassant les quotas gouvernementaux. En deux ans, la production agricole a explosé.

Pourquoi cela ne se produit-il pas en Russie? Je ne connais pas suffisamment bien les institutions russes pour les comparer à celles de la Chine, mais je dirais que, de façon générale, la Russie est toujours une société féodale à bien des égards. Le pays n'a pas vécu les changements institutionnels qui ont libéré l'esprit d'entreprise en Chine et en Inde.

Mme Lafleur : Nous pouvons ajouter quelque chose, même si le sujet n'est pas directement lié à notre étude. Mme Rao et moi participons à un projet en Ukraine en ce moment. Nous nous sommes probablement rendues là-bas six fois au cours de la dernière année et demie. L'objectif du projet est d'aider le gouvernement de l'Ukraine à effectuer davantage d'analyses comme celle que fait le Conference Board du Canada et de favoriser la participation de la société civile à ces analyses.

Je pense que les pays comme l'Ukraine, les pays baltes et la Pologne sont capables de se débarrasser des vieux systèmes. Visiter ces pays est extraordinaire, parce qu'on peut y voir tous les changements en cours. Le problème auquel est cependant confrontée la Russie, c'est qu'elle est protégée par les prix élevés des produits et l'argent qu'elle obtient en échange de ces ressources. La Russie n'est pas forcée, contrairement à l'Ukraine, la Pologne et les pays baltes, à procéder à ces grands changements, même si elle sait qu'elle doit les faire.

La montée de la Chine est partiellement attribuable à la taille de sa population. La population de la Russie diminue, comme celle de l'Ukraine, mais ces pays vont s'intégrer davantage à l'économie mondiale aussi. C'est ce que nous voyons se produire. On est très intéressé là-bas à apprendre à travailler au sein de l'économie mondiale. C'est quelque chose que nous voyons moins en Russie, cependant.

Le président : Sénateur Smith, voulez-vous poser une autre question pour donner suite à la première?

Le sénateur Smith : Non.

Mme Rao : Je voudrais ajouter quelque chose à l'observation de Mme Dobson selon laquelle l'Inde a adopté un mode de planification central. Il est vrai que le secteur des TI de l'Inde s'est épanoui grâce à l'absence de réglementation. Le gouvernement n'a pas prêté attention à ce secteur, et c'est celui-ci que les entrepreneurs ont choisi et qui leur a permis de prospérer. C'est pour cette raison que ce secteur fonctionne si bien en Inde.

En ce qui concerne le taux d'alphabétisation, c'est l'un des plus faibles des BRIC. Il est de 61 p. 100 chez les personnes âgées de 15 ans et plus. Cependant, chez les jeunes, il est de 76 p. 100. Nous montrons dans notre rapport que ce taux est en croissance; il reste cependant beaucoup de chemin à faire, ce qui va assurément avoir une incidence sur la capacité d'innovation de l'Inde dans l'avenir.

Le sénateur Grafstein : Ce qu'a dit Mme Dobson m'a rappelé une conversation intéressante que j'ai eue chez le sénateur Smith en 1984 avec la personne qui a créé cette politique spéciale sur la responsabilité de la production agricole, Zhao Ziyang, qui était à l'époque premier ministre de la Chine. J'ai passé une heure avec lui. Il a été ensuite assigné à résidence parce qu'il était contre ce qui s'est passé à la place Tian'anmen.

L'expérience vécue par les Chinois a été assez intéressante parce qu'ils ont combiné, comme le sénateur Smith l'a dit, le régime communiste dans les districts agricoles et l'entrepreneuriat. Ça n'a pas été très compliqué. Peut-être Mme Dobson s'en souvient-elle.

Les Chinois ont compris que, dans leur pays, toutes les grandes révolutions se sont produites dans les campagnes, alors ils ont dû s'assurer que les gens vivaient mieux dans les campagnes que dans les villes. Ils ont transformé toutes les campagnes chinoises et toutes les communes du pays en ce qu'ils ont appelé des ménages chargés d'une responsabilité spéciale, et ils ont établi certains objectifs pour ceux-ci. C'était des objectifs de production de céréales ou de riz, par exemple, et aussi de raisin, et ils ont déclaré qu'ils achèteraient ces produits agricoles à prix fixes. Ils ont garanti un prix fixe à chacune des communes. Ensuite, ils ont dit que toute la production dépassant les quotas pouvait donner lieu à un réinvestissement. Ils ont doublé, triplé et quadruplé les quotas au fur et à mesure que cela se produisait, et c'est ce qui a mené à la modernisation de la Chine agricole.

Lorsque je me suis rendu là-bas dans les années 1980, chaque fois j'ai vu quelque chose que je n'avais pas vu auparavant : des bâtiments industriels faits de briques. Dans toute la Chine, ces communes remplaçaient leurs huttes de terre par des constructions en brique, avec l'électricité. Aujourd'hui, une partie de la montée de la Chine tient au secteur de la fabrication dans ces petites villes, où l'on a des contrats avec les grandes villes et où les entreprises sont très efficientes et efficaces.

Soit dit en passant, les Chinois ont un très fort taux d'alphabétisation. Les enfants apprennent 5 000 lettres avant l'âge de cinq ans, et, chez nous, c'est 800 mots. Il y a une énorme différence entre notre système et le leur, mais je ne veux pas m'embarquer là-dedans.

Je veux aborder une question qui a davantage d'importance à mes yeux. Le Globe and Mail d'aujourd'hui parle d'un rapport publié par l'Institute for Competitiveness and Prosperity de l'Ontario. Ce rapport compare le PIB moyen en Ontario avec celui des 14 États américains qui se rapprochent le plus de la province. Les trois États qui, de façon générale, sont dans la même situation que l'Ontario sont l'État de New York, le New Jersey et le Massachusetts. L'institut a montré que la productivité par travailleur est en moyenne de 20 000 $ supérieure à celle des travailleurs ontariens. En ce qui a trait aux 14 autres États, qui sont, encore une fois, comparables au Canada, sauf le Michigan, la productivité est supérieure de 6 000 $ par année à celle de l'Ontario. Enfin, au Michigan, qu'une dure crise économique a frappé, la productivité par habitant est supérieure de 1 000 $ par année à celle de l'Ontario.

Je ne veux pas opposer ce que nous faisons au sujet de la Chine ou de la Russie et l'examen du manque de productivité du Canada sur le marché national. Comment mettre cela en lien avec notre étude? À mon sens, l'une des raisons pour lesquelles les Américains ont une meilleure productivité que nous, c'est leurs politiques en matière d'échanges. Nous nous voyons comme une nation de commerçants, mais ce n'est pas le cas. Nous n'avons qu'un seul client. Les Américains ont diversifié leurs échanges. M. Bush, que la plupart d'entre nous dénigrons, a conclu davantage d'accords de libre-échange au cours des huit dernières années que le Canada au cours du dernier siècle.

Que pensez-vous de l'idée d'accélérer les choses pour nous débarrasser de cette complaisance qui règne sur le marché canadien, de l'idée de conclure davantage d'accords de libre-échange pour donner une impulsion à l'industrie canadienne, qui a profité d'une impulsion lorsque nous avons conclu l'ALE et l'ALENA?

Mme Dobson : C'est une très bonne question. J'ai vu l'article dans le Globe and Mail, mais pas le document dont vous parlez.

En ce qui concerne votre question au sujet des ALE, tout d'abord, comme j'ai participé à fond aux accords de libre- échange bilatéraux des années 1980, l'impression qui m'est toujours restée, c'est celle des répercussions immédiates sur les grandes entreprises canadiennes lorsque nous avons proposé de négocier avec les Américains. Lorsque c'est devenu une possibilité, elles ont commencé à envisager l'Amérique du Nord plutôt que le Canada seulement.

Il est évident que nous avons énormément profité de l'ALE et de l'ALENA, en partie parce que l'économie des États-Unis a connu une période de croissance — très dynamique dans les années 1990 — et en partie aussi grâce à un meilleur accès.

Pour ce qui est de l'impulsion donnée aux entreprises par la négociation d'un paquet d'ententes de libre-échange, je reviendrais sur cette expérience et sur la valeur des groupes consultatifs. J'oublie les noms, mais le Comité consultatif sur le commerce extérieur ou CCCE, auquel siégeaient des PDG, les groupes consultatifs provinciaux et les groupes consultatifs sectoriels étaient présents. Ceux-ci ont été remplacés par Équipe Canada, qui a parfois l'air d'une mission fédérale-provinciale. Ce n'est pas mauvais, cette équipe a conclu des ventes, mais elle n'a pas élaboré de cadres.

Nous avons par exemple établi un cadre d'investissement étranger en Inde, et un cadre stratégique pour les échanges avec la Chine. J'ai suggéré, dans un article que j'ai rédigé pour le compte de l'Institut C.D. Howe en 2006, que nous examinions la possibilité d'un accord de libre-échange avec l'Inde ayant pour objet les services uniquement. Les Indiens ne sont pas tellement intéressés par les accords de libre-échange globaux. Ils en discutent avec les Chinois, mais ils se méfient beaucoup d'eux. Ils se méfient beaucoup de nous à cause de l'agriculture. C'est encore un secteur protégé en Inde.

Je n'ai pas effectué d'étude sur les possibilités d'accord de libre-échange avec la Chine, principalement parce que la Chine n'est pas intéressée, à mon avis.

Si nous devons consacrer davantage d'efforts à la facilitation des échanges et du commerce et à la libéralisation des échanges, nous devrions pousser les choses un peu plus loin en Amérique du Nord, mais en évitant une intégration à l'européenne qui suppose l'abandon de la souveraineté. Non, ce qui fait de nous un pays unique en Amérique du Nord, c'est que nous n'allons pas abandonner notre souveraineté pour faire des gains sur le plan économique. Nous devrions pousser les choses un peu plus loin en Amérique du Nord, examiner la possibilité de conclure un accord de libre- échange limité aux services avec l'Inde et resserrer les liens stratégiques avec la Chine.

Regardez les grandes économies. Nous venons apparemment de conclure un accord avec le Pérou. Qu'est-ce que cela peut nous apporter? Les petites économies qui font cause commune ne sont pas bien placées pour pousser très loin la libéralisation. Je n'ai pas vu les détails de l'affaire, mais je me demande s'il vaut la peine d'investir beaucoup d'énergie dans les ALE conclus avec les petites économies.

Je suis heureuse de constater que nous discutons du cas de la Corée, et j'espère qu'il en ressortira quelque chose, en partie parce que je connais la situation qu'elle vit — prise entre le Japon et la Chine. Elle est prise entre l'arbre et l'écorce; elle l'a toujours été. Entretenir des relations au-delà du Pacifique lui ouvre tout un champ de possibilités.

Le président : Merci beaucoup. Est-ce que Mme Rao ou Mme Lafleur aimerait commenter cela?

Mme Lafleur : Votre question est intéressante et importante — elle soulève un point que nous faisons toujours valoir. Les questions touchant le commerce avec la Chine et l'Inde et ainsi de suite s'inscrivent toutes dans un problème ou un défi beaucoup plus grand, plus global, pour le Canada.

Nous avons publié l'an dernier un rapport intitulé Mission possible. En dernière analyse, nous avons fait valoir que, si on veut avoir du succès, si on veut accroître les échanges commerciaux, il faut accroître l'investissement étranger direct, l'IED, car l'IED débouche sur un accroissement des échanges commerciaux. Comment faire cela dans une économie où, comme vous l'avez souligné, notre productivité est à la traîne? Nous essayons d'envisager la question de diverses façons, pour saisir le tableau dans son ensemble. Il faut éliminer les obstacles au commerce et tous les trucs dont Mme Rao a parlé, accroître les compétences et la souplesse de notre main-d'œuvre.

En particulier, nous prônons l'élimination d'obstacles au commerce, à l'investissement et à la productivité. Nous avons publié un rapport intitulé Death by a Thousand Paper Cuts : The Effect of Barriers to Competition on Canadian Productivity, où il était question de la réglementation excessive — nous ne demandons pas qu'il n'y ait pas de réglementation, seulement qu'il y ait une réglementation plus avisée — et du fait que cette réglementation excessive inhibe la motivation et les efforts en faveur d'une productivité accrue. Comme nous l'avons déjà souligné, certains pays de l'ère post-communiste, par exemple la Russie, ne sont pas motivés à améliorer leur productivité parce qu'ils peuvent dépendre de leurs ressources naturelles. Comme Mme Rao l'a souligné, c'est un véritable problème au Canada. Nous avons une fenêtre d'occasion, car le prix des denrées est élevé en ce moment, mais ce n'est pas un avantage dont nous allons pouvoir profiter à long terme. Nous devons insister là-dessus.

Mme Rao : J'aimerais ajouter quelque chose à ce qui a été dit à propos du fait que le Canada conclut des accords de libre-échange avec les petites économies comme celles que possèdent le Pérou et le Costa Rica, alors que nous devrions nous concentrer sur les grands pays comme la Chine et l'Inde, là où les retombées seraient nettement plus grandes. Si la Chine résiste à l'idée, comme Mme Dobson l'a fait valoir, la première étape consiste à accroître l'investissement direct en Chine, ce qui déboucherait sur un accroissement des échanges commerciaux.

Le président : Je présume que vous seriez toutes trois en faveur de l'idée que le Canada s'applique énergiquement à conclure un accord de libre-échange avec l'Inde et la Chine; ai-je raison?

Mme Dobson : Je ne le crois pas. Comme je le dis, je ne crois pas que les Chinois soient intéressés; il y a donc tout un travail de préparation à faire avant que nous arrivions là. J'ai proposé l'idée d'un accord portant uniquement sur les services, pour ne pas aborder la question des biens : la fabrication demeure un grand problème en Inde, où elle est protégée, tout comme l'agriculture. Regardons les services, là où l'Inde est compétitive à l'échelle mondiale, et essayons de voir si cela nous permettrait de baisser nos coûts. L'Inde est également en avance sur nous d'un point de vue technique, à certains égards.

Je ne suis pas d'accord pour dire que nous devrions nous lancer sans y réfléchir dans des accords de libre-échange. Nous devrions étudier la possibilité rigoureusement. Nous avons d'amples connaissances sur la façon d'approfondir l'intégration économique en Amérique du Nord, et la montée de la Chine et de l'Inde, d'une façon ou d'une autre, sera un catalyseur pour nous en Amérique du Nord à cet égard. Est-ce que ça aura l'effet d'un catalyseur en Chine et en Inde, qui décideront d'adopter entre elles un accord de libre-échange? Elles y travaillent. Je ne le verrai peut-être pas de mon vivant, mais sait-on jamais.

Le président : Je ne crois pas.

Mme Lafleur : Nous sommes d'accord avec Mme Dobson : elles ne semblent pas intéressées pour l'instant. Comme Mme Rao l'a souligné, il existe d'autres façons d'éveiller leur intérêt. Une des façons en question consiste à accroître l'investissement. Tout de même, nous avons toujours dit que ça n'est pas blanc ou noir — une parfaite dichotomie. Ce n'est pas l'un ou l'autre et rien d'autre.

Évidemment, les États-Unis demeurent notre plus important partenaire commercial et, comme Mme Dobson l'a dit, nous devons approfondir cette relation et y accorder notre attention. Ça ne veut pas dire que le Canada doit négliger le reste. Nous pouvons faire deux choses en même temps. Nous pouvons regarder les États-Unis et leur prêter de l'attention, mais nous devons également cultiver les relations avec la Chine et l'Inde, préparer le terrain, et ce travail est déjà commencé. Je crois que c'est la voie qu'il faut choisir.

Le sénateur Smith : Mme Dobson vient d'affirmer qu'il faut faire attention à ces accords de libre-échange. Voulez- vous commenter l'idée d'une telle entente avec la Corée, question qui est assez médiatisée en ce moment? Le gouvernement l'envisage. Il est pratiquement impossible pour une usine canadienne de fabrication d'automobiles d'ouvrir une brèche en Corée; néanmoins, Hyundai et Kia n'ont jamais construit d'usine d'assemblage ici, à l'inverse de Toyota et de Honda, même si cela aurait pour effet de faire baisser sensiblement les prix. Il est difficile de voir quel serait l'intérêt d'un tel accord. Avez-vous quelque chose à dire à propos de l'accord avec la Corée?

Mme Dobson : Hyundai a déjà eu une usine au Québec, mais elle a été réinstallée dans le Sud. Pour être franche, je ne me rappelle pas pourquoi, mais cela avait certainement un rapport avec nous et avec nos politiques.

Le sénateur Smith : Kia n'a jamais rien fait ici.

Le président : Voulez-vous commenter la question de l'accord de libre-échange avec la Corée?

Mme Lafleur : Non, nous n'avons pas étudié cette question.

Mme Dobson : À propos de l'accord de libre-échange avec la Corée, encore une fois, les choses progressent peut-être rapidement à Ottawa, mais je ne suis pas au courant des détails. Je sais que l'automobile est une question délicate du point de vue de la relation avec le Japon et avec les États-Unis, et l'opposition de l'industrie de l'automobile aux États- Unis est peut-être un facteur qui empêchera que cet accord soit adopté en mode accéléré. Je crois qu'il est encore admissible au procédé d'adoption accéléré au Congrès américain.

L'enjeu dans le cas d'une industrie comme celle de l'automobile ou encore l'électronique, c'est la différenciation; la réponse est peut-être d'établir des installations de production ici, voie que les Japonais ont suivie durant les années 1980 en raison des obstacles au commerce et des restrictions qu'il y avait à ce moment-là. Cependant, je voudrais en savoir beaucoup plus sur les trois grands. Je présume que ce sont les trois grands fabricants américains qui s'opposent au dossier de la Corée, à la fois aux États-Unis, pour ce qui est d'un accord de libre-échange, et aussi au Canada.

Le président : Merci. Je ne saurais répondre à votre question. Je soupçonne que c'est probablement le cas de toutes les entreprises. Madame Lafleur, vous n'avez pas étudié cette question et vous n'avez rien à dire?

Mme Lafleur : Non, nous n'avons pas étudié la situation en ce qui concerne la Corée.

Le sénateur Grafstein : J'aimerais tirer au clair l'idée des accords de libre-échange. Je suis d'accord pour dire qu'il faut se concentrer sur les grands marchés. Je conviens du fait que ça n'a pas toujours à être un accord global. Je conviens du fait que ça peut être spécialisé. Je tiens à rappeler aux gens que nous avons fondé notre accord de libre- échange sur un accord distinct, l'accord dans le domaine de l'automobile, qui n'est pas un accord de libre-échange qui nous lie aux États-Unis. C'est un accord de libre-échange administré et c'est l'assise sur laquelle nous avons édifié l'accord de libre-échange global. Il n'y a aucune raison de croire que nous ne puissions conclure un accord de commerce administré sur les services avec l'Inde ou encore un accord de commerce administré sectoriel avec la Chine. Il faut pour cela de l'innovation, une volonté d'agir, de la volonté politique et de la créativité économique.

J'ai dit que l'accord de libre-échange a fourni une impulsion à l'économie, et il est vrai que c'était une impulsion; cela est vrai : lorsqu'on conclut un accord de semi-libre-échange administré ou bilatéral, cela motive les entreprises, les établissements d'enseignement et les établissements scientifiques à se grouiller, à devenir plus productifs et plus efficaces. Je souscris toujours à cette thèse. J'espère que cela précise mon point de vue sur la question et j'espère que je ne contredis pas Wendy Dobson, que je respecte au plus haut point, ni mon autre collègue ici. Je voulais expliquer ma position.

Mme Dobson : Je suis d'accord avec le sénateur Grafstein. Je l'encourage à continuer à défendre la question avec vitalité.

Pour lui donner d'autres munitions en quelque sorte, je soulignerais que, selon les données recueillies et analysées à l'échelle des usines elles-mêmes par un de mes collègues, Dan Trefler, au sein des industries où les tarifs sont tombés en raison du libre-échange avec les Américains, il y a eu comme résultat un accroissement de la productivité. Ce n'est pas uniquement parce que les mises à pied ont été nombreuses; c'est parce que des gestionnaires ont commencé à évoluer dans un monde compétitif.

Le président : Merci.

Le sénateur Dawson : Vous avez jugé un peu sévèrement l'approche d'Équipe Canada en affirmant qu'on insistait probablement trop sur les ventes. En réalité, du moins à ce moment-là, le gouvernement fédéral, les provinces et l'entreprise privée se concentraient sur des cibles. Peut-être agissait-on à courte vue et de manière trop éphémère, et peut-être aurait-on dû maintenir cela, mais n'êtes-vous pas d'avis que cela a forcé tout le monde à se concentrer sur le pays choisi à ce moment-là? Peut-être pourrions-nous regarder le cadre et essayer de garder les ventes — nous espérons poursuivre les ventes. Peut-être pourrions-nous adopter une approche plus à long terme et nous assurer de renouveler l'approche d'Équipe Canada plutôt que d'appliquer un projet éclair.

Mme Dobson : L'approche du CCCE était stratégique. Le Comité consultatif sur le commerce extérieur représentait le secteur privé et le monde universitaire de tout le pays. Il s'articulait autour du processus de consultation à propos des accords de libre-échange. Je ne crois pas que les deux options puissent s'exclure l'une l'autre, mais il est malheureux que le mécanisme ait été démantelé et qu'il reste uniquement Équipe Canada.

Le sénateur Dawson : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Corbin : Les deux témoins invitent vivement le gouvernement à réduire le fardeau fiscal qui pèse sur les entreprises. Bien entendu, je me reporte aux notes préparées par nos recherchistes à partir des mémoires fournis par nos témoins. Pourriez-vous nous donner des précisions sur les conséquences de l'affaire, et plus particulièrement sur les conséquences que cela aurait pour notre commerce avec les deux pays en question? Jouons-nous à armes plus ou moins égales en ce qui concerne l'imposition du capital dans les divers pays en question? Je me demande pourquoi la question a même été soulevée dans votre mémoire. On dirait du jargon de chambre de commerce, ce qui revient tous les ans.

Mme Dobson : Ce n'est pas mon mémoire; je ne répondrai donc pas.

Mme Rao : Parlez-vous d'une question qui est évoquée dans le résumé ou dans le rapport sur les BRIC?

Le sénateur Corbin : C'est tiré de votre mémoire, intitulé L'éveil des BRIC : Quelles conséquences pour le Canada? À la page 2 de notre note d'information, nos recherchistes citent votre mémoire :

Le gouvernement fédéral doit promouvoir l'entrée d'investissements directs étrangers et continuer de réduire le fardeau fiscal des entreprises en abaissant le taux d'impôt sur le capital.

Pour ce qui est de Mme Dobson, à la page 3 du document d'information en question...

Mme Dobson : Je suis désolée; je ne sais pas de quel document vous parlez.

Le président : À titre de précision, disons que c'est le rapport du Conference Board du Canada, auquel les autres témoins se reportaient au début de notre réunion. Je ne sais pas si Mme Dobson en a une copie.

Le sénateur Corbin : C'est tiré de mémoires dont il est question dans la note au bas de la page 2 de notre note d'information à nous : China's economic transformation : Global and Canadian implications; de Wendy Dobson; Taking A Giant's Measure : Canada, NAFTA and an Emergent China, de Wendy Dobson, commentaire du C.D. Howe Institute; et The Indian Elephant Sheds its Past : The Implications for Canada, de Wendy Dobson.

Je suis certain que le recherchiste a bien fait sa lecture quand il a produit le résumé suivant :

Pour que cela se réalise, il faut accroître la productivité, approfondir l'économie du savoir, améliorer les compétences des travailleurs et réduire nos coûts. Le gouvernement au Canada doit donc intervenir de façon considérable en adoptant des politiques d'intérêt public qui stimulent les investissements au pays, favorisent l'éducation et le perfectionnement des compétences, et réduisent les impôts des entreprises canadiennes.

Quelles seraient les conséquences? Si nous adoptions ces recommandations, quelles seraient les conséquences pour ce qui est particulièrement du commerce avec l'Inde et la Chine? Voilà la question.

Mme Dobson : Je peux certainement parler de l'idée de réduire le coût du capital. Ce serait emprunter une technique à la Chine. Pour une grande part, la croissance actuelle en Chine provient des investissements intérieurs. De fait, les Chinois créent une capacité qu'ils ne peuvent même pas employer. La capacité excédentaire de l'industrie de l'acier en Chine correspond à la capacité totale de l'industrie de l'acier au Japon; or, le Japon vient au deuxième rang des producteurs mondiaux d'acier. Les Chinois investissent à l'excès parce que le coût du capital en Chine est très bas. Il demeure artificiellement bas sous l'effet des décisions du gouvernement chinois. Voilà une chose que la Chine doit changer.

Au Canada, les taux d'intérêt et d'autres mesures ont une incidence sur le coût du capital. Si le coût du capital est considéré comme trop élevé par rapport aux possibilités d'investissement qui se présentent, l'investissement ne se fait pas. C'est une logique simple comme celle-là qui prévaut.

Les études sur le phénomène sont nombreuses. Je pourrais vous mettre en communication avec le professeur Jack Mintz, de l'Université de Calgary, qui est l'expert par excellence du Canada en matière de politiques fiscales. Il a toujours recommandé de réduire le coût du capital au Canada.

Mme Lafleur : Le Conference Board du Canada a toujours fait valoir cette idée. Comme toujours, nous insistons sur un accroissement de la productivité. Mme Rao a parlé de notre rapport Mission possible. Une des recommandations principales qui s'y trouvent consiste à réformer le régime fiscal canadien pour améliorer la productivité. Cela se ferait en trois volets. Un premier consiste à encourager les Canadiens à faible revenu à demeurer au sein de la population active, mais aussi à réduire les impôts ou à éliminer les impôts sur le capital investi et à veiller à la concordance des mesures fiscales dans toutes les provinces.

À ce sujet, nous croyons qu'il faut accroître la productivité, car nous n'allons jamais pouvoir concurrencer la Chine en rapport avec le seul facteur que constitue le faible coût. Nous ne voudrions pas le faire non plus. Pour le faire, nous voulons privilégier la productivité, être plus efficients, fabriquer des produits meilleurs, ayant une plus grande valeur ajoutée, comme Mme Rao l'a mentionné. Notre intérêt du côté fiscal consisterait à améliorer la productivité dans le cadre d'une approche globale qui, de fait, nous relèverait dans la chaîne de valeur. Sur ce point, nous persistons et nous signons.

Le président : Nous avons parlé de l'investissement direct étranger au Canada. De façon générale, c'est considéré comme positif, et je crois que tout le monde serait d'accord pour le dire. Tout de même, on a exprimé certaines réserves à propos de l'afflux de sommes à investir directement provenant de fonds d'investissement d'État, les fonds dits souverains. À titre d'exemple, citons la China Investment Corporation. Parmi les témoins, y a-t-il quelqu'un qui voudrait formuler des observations ou des réserves à ce sujet, nous dire s'il faut accepter ou encourager ce type d'IED au Canada?

Mme Dobson : La China Investment Corporation, avec les 200 milliards de dollars qu'elle possède, n'est pas vraiment dans le peloton de tête pour ce qui est de la taille de ces fonds souverains. Parmi les fonds souverains, il y a aussi l'entité d'investissement du gouvernement norvégien. De manière générale, ces fonds ont été des investisseurs passifs par le passé. Récemment, étant donné en partie les difficultés du système financier américain, les responsables des fonds investissent plus activement là pour acquérir des parts dans des sociétés américaines et aussi dans des banques américaines. Les Chinois — les banques chinoises et la China Investment Corporation, en Afrique — ont acquis des intérêts dans le contexte.

Jusqu'à maintenant, aucun fonds souverain n'a fait voir directement à ceux qui sont inquiets qu'il y aurait un problème : ils agissent à la manière d'investisseurs réagissant au marché. Ce qui suscite l'inquiétude, tout de même, c'est qu'à un moment donné, à moins qu'ils ne s'engagent à respecter un code de conduite quelconque, ils puissent, le conçoit-on, adopter une conduite qui semble avantager ou qui, de fait, avantage bel et bien les producteurs ou les concurrents de leur propre pays au détriment de ceux des pays où ils investissent.

Oui, on voit donc qu'il y a cette question et on prend des mesures à ce sujet. On adopte des initiatives, par exemple à l'OCDE, en vue de créer un code de conduite de notre côté, et le Fonds monétaire international, le FMI, étudie la possibilité de proposer une série de lignes directrices du genre « pratiques exemplaires » aux fonds souverains. Il s'agit en fait de savoir si les fonds souverains y adhéreraient, car, essentiellement, ils font valoir : « Nous créons de la richesse. Pourquoi poserions-nous un acte politiquement motivé, alors que notre mandat consiste à créer de la richesse? »

S'il s'agit d'être méfiant, un pays comme le nôtre, qui obtient une part de moins en moins grande de l'investissement étranger direct en Amérique du Nord, dans l'ensemble... Je ne suis pas certain qu'il soit dans notre intérêt d'adopter des mesures unilatérales, mais il est sans doute dans notre intérêt de collaborer avec les autorités internationales qui sont à mettre au point des codes de pratiques exemplaires des deux côtés.

Mme Lafleur : Nous sommes d'accord avec la majeure partie de ce que Mme Dobson a affirmé, sinon le tout. De même, si ce sujet vous intéresse, lundi, Michael Bloom, du Conference Board du Canada, a publié un rapport sur les pertes d'entreprises à l'occasion d'une conférence sur la question. Il a beaucoup à dire sur les fonds souverains et autres trucs du genre. Je crains de me tromper en disant cela, mais si vous voulez l'accueillir, je crois qu'il serait très intéressé de vous parler.

Le président : Pour réagir à ce que vous disiez, au cours des quelques dernières semaines, je crois, et je me trompe peut-être — car je faisais de la randonnée en Patagonie quand j'ai aperçu cela sur mon BlackBerry et, fait étrange, le BlackBerry fonctionne sur les sentiers de la Patagonie... l'Union africaine a interrompu les négociations commerciales avec l'Union européenne. Un des groupes économiques d'Afrique a fait remarquer que la Chine ou je ne sais qui encore leur offrait un meilleur marché. Mon souvenir est-il bon? Quelqu'un a-t-il entendu parler de cela?

Mme Dobson : Non. Mon BlackBerry ne m'a pas donné ce message.

Le président : Il vous aurait donc fallu être en Patagonie.

Mme Lafleur : Nous n'en avons pas entendu parler de notre côté non plus.

Le président : Je vais devoir faire une recherche là-dessus. Cela m'est simplement venu à l'esprit.

Je poserai une autre question à laquelle Mme Dobson est probablement la mieux placée pour répondre, même si bon nombre de gens ont abordé le sujet. Pour faire face à la nouvelle concurrence mondiale, de plus en plus, le Canada doit se spécialiser dans les biens et services à forte composante de savoir et à forte valeur ajoutée. Ce sont les secteurs où, d'après ce que nous en savons, la Chine et l'Inde n'évoluent pas encore. Madame Dobson, pourriez-vous préciser votre pensée sur cette question?

Mme Dobson : Cela a trait à notre système d'éducation — à ce que produit exactement notre système d'éducation et à certains des chiffres dont il a été question plus tôt au sujet de l'éducation. De fait, pour parler de la question des études supérieures en Inde, disons que les dépenses ont obéi à un préjugé favorable depuis bon nombre d'années. Oui, le taux d'alphabétisation grimpe chez les jeunes en Inde, mais une des raisons qui explique l'état de la situation en Inde, là où 50 p. 100 des femmes ne savent ni lire ni écrire, c'est que les autorités n'ont pas investi suffisamment dans les études primaires en vue de mieux pourvoir les études postsecondaires. La Chine, elle, a financé une instruction universelle — tout le monde y apprend à lire et à écrire — de même que les études supérieures.

Je commence par parler de nos écoles et de ce qui en sort. Nous devrions investir dans l'éducation à la petite enfance, qui — les données scientifiques le démontrent — permet de mieux s'adapter et de mieux composer avec le stress. C'est donc le point de départ d'une démarche qui mène à une plus forte valeur ajoutée.

Comme on l'a souligné, la Chine réussit très bien là où il est question de fabriquer des biens à faible coût en employant beaucoup de main-d'œuvre. La Chine est représentée dans la plupart des chaînes mondiales de production du secteur manufacturier. Dans la plupart des cas, les activités dont il est question n'ont plus cours au Canada. Il y en a encore qui finiront par se faire sous d'autres cieux. La question est la suivante : comment former les gens à un nouveau métier? Comment former nos jeunes de manière à disposer des ressources humaines nécessaires pour lancer des entreprises dans les industries du savoir, dont les activités — pour parler de ce qui ressort le plus — sont exercées dans les parages de Kitchener, Waterloo, Cambridge, Kanata dans le coin d'Ottawa et aussi Vancouver et Calgary? La liste ne se termine pas là.

Quelles sont les qualités et les compétences que nous voulons voir chez nos gens? C'est là un des critères qu'il nous faudrait appliquer pour déterminer si nos systèmes d'éducation au Canada suivent la progression d'une géographie économique mondiale en mutation. Ce n'est pas seulement la question des services qui entre en ligne de compte. Les industries axées sur le savoir sont également des industries de fabrication de pointe. Pour une grande part, le secteur de la fabrication et les fabricants souffrent énormément de la force du dollar canadien et du ralentissement de l'économie américaine en ce moment, mais c'est un problème qui va finir par disparaître en partie; tout de même, il y en a une partie qui tient à l'évolution de la géographie économique. C'est à cela que je m'attache lorsque j'utilise les termes que vous lisez.

Le président : Merci. Je vous en sais gré.

Mme Lafleur : Pour confirmer les propos de Mme Dobson, il y a dans notre premier rapport des recherches qui font voir comment le Canada se débrouille du point de vue de l'éducation. Nous avons tendance à croire que le Canada possède un système d'éducation qui est assez bon et nous avons bien tendance à y faire passer un grand nombre d'étudiants à un coût relativement faible. Cependant, nous constatons qu'il y a deux grands groupes qui sont laissés en plan, l'un d'entre eux étant celui des personnes faiblement alphabétisées.

N'oublions pas que, d'après l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes à laquelle Statistique Canada a participé, 40 p. 100 des adultes au Canada sont faiblement alphabétisés. Cela correspond à une première ou une deuxième année sur une échelle d'alphabétisation de cinq points. Quarante pour cent : ce n'est pas une bonne statistique. De fait, environ 30 p. 100 de ce groupe travaillent en ce moment. Ce n'est pas un groupe que l'on associe d'habitude au chômage et tout le reste. Il y a là des compétences fondamentales qui nous font défaut. C'est une cohorte nombreuse qui ne possède pas les compétences fondamentales en question.

À l'autre extrémité du spectre, il y a aussi les compétences ultra spécialisées et les doctorats en sciences et techniques qui nous font défaut. Nous accusons un retard sur la plupart des pays membres de l'OCDE, qui produisent en grands nombres des titulaires de diplômes d'études supérieures en sciences et en techniques. Il nous faut un plan d'attaque en deux volets.

Mme Rao : Je souligne également que, étant donné la menace que fait planer la Chine sur les emplois manufacturiers tout comme les emplois à faible valeur ajoutée dans le secteur des services, il y aura un ajustement à faire du point de vue des Canadiens. Nous devons insister sur l'éducation permanente ou l'acquisition continue du savoir. C'est un autre secteur où le Canada accuse un retard sur bon nombre des pays membres de l'OCDE.

Le sénateur Smith : C'est encore une question que je pose comme ça, mais j'ai cru qu'il serait peut-être bon de la poser. J'étais en Inde il y a deux semaines. Le sujet de nature économique dont j'ai entendu parler plus que tout autre chose, jusqu'à maintenant, c'est cette voiture qui se vend à 2 500 $, la Tata, dont la production est en voie d'être lancée. Il s'ensuivra peut-être une série d'effets domino, dont certains seront positifs, je suppose, à savoir que les franges inférieures de la classe moyenne seront davantage intégrées.

Croyez-le ou non, je me suis promené dans le métro de Calcutta, qui était assez impressionnant. Certaines personnes ont fait des commentaires négatifs à son sujet. Pour ce qui est de l'environnement et de la circulation et de la pollution et de tous les trucs du genre, je me demande... avez-vous remarqué cela? La voiture à 2 500 $ suscite-t-elle chez vous des réflexions ou une réaction quelconque, et est-ce que les Indiens vont en exporter partout dans le monde?

Mme Dobson : Oui. Il est bien que vous évoquiez la Nano. En Inde, on qualifie la Nano de « voiture à un lakh », car 2 500 $US équivalent à 100 000 roupies. La société Tata fabrique la Nano. J'ai visité Reliance Infocom, à la périphérie de Bombay, en compagnie d'étudiants. Ce qui est remarquable, c'est l'application d'un certain modèle d'organisation industrielle. Reliance Infocom a demandé combien un cultivateur sera prêt à payer un appel téléphonique d'un cellulaire. La réponse : le prix d'un timbre, soit 35 paisas, c'est-à-dire le tiers d'une roupie. De concert avec un partenaire chinois, Reliance a révisé sa chaîne de valeur entière pour réduire le coût d'un appel d'un téléphone cellulaire et le ramener à 35 paisas.

Puis la société a demandé : qu'est-ce qu'un cultivateur indien serait prêt à payer pour un téléphone cellulaire? La réponse : 20 $. La société a donc revu sa chaîne de valeur à nouveau en faisant appel à l'ingénierie chinoise, à l'ingénierie indienne et à des pièces chinoises, ce qui lui a permis de produire un téléphone simple et sans fioritures qui, du point de vue du cultivateur, se veut fonctionnel. Je ne sais pas si vous en êtes conscient, mais la demande de téléphones cellulaires en Inde augmente de 50 p. 100 tous les mois.

La Nano repose sur le même modèle d'organisation industrielle. Qu'est-ce qu'une famille de quatre personnes de la classe moyenne qui, en ce moment, se balade en scooter aurait les moyens de payer pour un scooter à quatre ou cinq places qui a un toit? Il n'y a pas l'air climatisé, mais c'est quand même une voiture.

Il est très facile de dire que cela aura un impact terrible sur l'environnement et les embouteillages sur les routes. La circulation est un problème en Inde de toute manière. L'infrastructure en Inde représente un défi énorme que les gens là-bas essaient de relever.

Ce que la Nano fait voir de notable — mes étudiants n'avaient jamais rien vu de tel —, c'est l'idée de prendre un prix pour point de départ, puis de refaire ensuite la chaîne de valeur. C'est là l'élément révolutionnaire. Je n'arrive pas tout à fait à imaginer que Rogers ou Telus puissent faire cela ici au Canada. Je ne sais pas jusqu'à quel point ça représente une menace.

Le président : Et Bell?

Mme Dobson : Ça leur donne tout de même une certaine capacité à partir de laquelle construire. Cela est certain, et c'est sur cela que nous devrions nous pencher.

Le président : De l'innovation.

Le sénateur Smith : Je me souviendrai toujours d'une fois où, il y a plusieurs années de cela, je me trouvais dans la campagne dans un coin reculé de l'Andhra Pradesh. J'étais assis là quand est arrivé un homme qui conduisait un char tiré par un bœuf de trait, très lentement. Il était vieux, et je me suis dit, eh bien là, il y a des choses qui ne changent jamais. Puis, à mesure qu'il s'est approché, j'ai remarqué qu'il avait parlé pendant tout ce temps-là dans son téléphone cellulaire.

Mme Dobson : Le téléphone cellulaire a révolutionné la pêche au large de la côte ouest de l'Inde. Une fois qu'ils ont leurs prises, les pêcheurs peuvent faire des appels téléphoniques et déterminer lesquels des ports proposent le meilleur prix, et choisir ainsi le bon.

Le président : Innovation.

Mme Dobson : Un phénomène du même genre commence à se produire en agriculture.

Le président : Tant mieux pour les Indiens. Je voulais poser une question relativement plus pragmatique à propos des délégués commerciaux que nous avons dans ces pays, d'abord à propos de leur présence et, en deuxième lieu, à propos de la qualité de leur travail. Que pensez-vous de l'aide que nous offrons aux entreprises pour ce qui est des ambassadeurs et des délégués commerciaux? Y en a-t-il un nombre suffisant? Sont-ils assez compétents?

Mme Lafleur : Je ne crois pas que nous ayons étudié cette question.

Mme Rao : De fait, nous ne nous sommes pas penchés là-dessus. Il s'agirait de sensibiliser les entreprises à la question et de les rendre davantage conscientes des débouchés qui s'offrent dans ces pays. Je ne sais pas si ça revient et quelle information circule. C'est peut-être là le problème.

Mme Dobson : J'ai beaucoup eu affaire avec les ambassadeurs et aussi avec les délégués commerciaux et leur personnel dans les deux capitales; ils font un travail de premier ordre. Ils sont extraordinairement serviables. En raison des attitudes qu'elles ont envers Ottawa, la plupart des entreprises canadiennes n'envisagent jamais de s'adresser à l'ambassade ou au haut-commissariat pour qu'on les aide à trouver des partenaires. Cependant, j'ai connu la situation de première main, particulièrement en Inde, mais également en Chine. L'ambassadeur et les délégués commerciaux à Shanghai, à Guangzhou et à Bombay sont absolument exceptionnels, même s'ils manquent quelque peu de ressources.

Le président : Avons-nous un nombre suffisant de bureaux dans ces deux pays?

Mme Dobson : Je ne saurais me prononcer là-dessus. En Chine, nous avons des bureaux à Guangzhou, à Shanghai et à Beijing; je présume qu'il y a quelqu'un à Chongqing, mais je ne sais pas si nous sommes présents dans l'intérieur. Il faudrait poser la question aux responsables. Je ne le sais pas.

Le sénateur Johnson : Je ne suis jamais allée en Chine, mais j'ai été particulièrement impressionnée par le film d'Edward Burtynsky intitulé Manufactured Landscapes. Je ne sais pas si quelqu'un parmi vous l'a vu. Il était très intéressant de savoir où tous les ordinateurs vont mourir.

Il est question ici d'un pays qui a une histoire incroyable qui remonte à 5 000 ans. Vous en avez parlé aujourd'hui pendant nos discussions et nous devons avancer avec précaution pour bien cultiver nos relations et ainsi de suite. Néanmoins, j'ai vu ce film, où il y a des gens dans des dépotoirs qui démantèlent des vieux ordinateurs venus de tous les coins du monde, à la recherche de pièces toxiques. Compte tenu du manque d'éducation et de formation de la plupart des gens en Chine et des scènes incroyables qui sont dans le film à propos de la production de masse — c'est si massif, ces scènes. Une de ses photos se trouvera dans les annales. Je crois que les galeries canadiennes et les galeries partout dans le monde l'auront toujours.

Je dirais que toutes les questions que nous abordons ont trait à la nouvelle économie, mais que les gens ordinaires sont les travailleurs, et que ce sont eux qui démontent les ordinateurs pour les pièces, ordinateurs que notre société de consommation met au rebut. Tandis que la Chine s'essaie à l'ouverture et permet aux gens de faire un travail artistique, par exemple des films, elle demeure très nerveuse à ce sujet. Elle se soucie de savoir qui elle laisse entrer chez elle. J'ai de nombreux amis qui travaillent en Chine du côté artistique, puis, bien entendu, il y a les Olympiques qui s'en viennent.

Comme vous le dites, il y a une population à la baisse, mais ce n'est pas un grand facteur en ce moment. Ce que j'ai vu m'inquiète, ce que m'ont appris mes amis et ce que j'ai entendu pendant les discussions ici. Qu'en est-il de leur avenir s'il leur faut trier les déchets de notre société de consommation? Quelqu'un pourrait-il commenter cette question?

Le président : Souhaitez-vous que quelqu'un en particulier le fasse?

Le sénateur Johnson : J'apprécierais beaucoup que Mme Dobson le fasse. Je suis certaine qu'elle a vu le film dont je parle.

Mme Dobson : J'admire énormément l'œuvre de M. Burtynsky. Justement, il y a eu dans le Globe and Mail, en fin de semaine, un reportage où il est allé voir les sables bitumineux en Alberta. Vous pourriez poser des questions semblables à propos des sables bitumineux.

Pour parler de ce qu'il a photographié en Chine, je n'arrive pas à me souvenir si la photo, très célèbre, du squelette du navire a été prise au Bangladesh, au Pakistan ou en Chine.

Le sénateur Johnson : C'était au Bangladesh. C'était très profond aussi.

Mme Dobson : Oui, c'est un cliché célèbre et obsédant.

Pour ce qui est de la première question, je dois dire, en tant qu'économiste : dites-moi quelle est la solution de rechange? Je ne l'ai peut-être pas affirmé pendant ma déclaration, mais le premier objectif du Parti communiste de Chine, outre le fait de rester au pouvoir, c'est de créer un nombre suffisant d'emplois. D'après mes calculs, le nombre possible des jeunes de 15 à 24 ans qui entrent sur le marché du travail en Chine s'élève à 20 millions par année. En Inde, c'est 25 millions par année. Ces chiffres se rapportent aux gens qui peuvent avoir entre 15 et 24 ans et, dans la mesure où ils ne fréquentent pas l'école, ils doivent trouver un emploi.

M. Burtynsky parvient à saisir toute l'ampleur et l'échelle de certaines des activités ainsi réalisées en Chine, mais il n'a pas saisi l'échelle de population ni la nature du défi. Son but ne consistait pas à rendre compte du défi qui consiste à donner du travail aux gens. J'en suis certaine, nous aimerions tous que ces activités soient rendues plus propres.

Soit dit en passant, quelqu'un d'autre a photographié une activité semblable à Bangalore. Cette photographie-là faisait partie d'un article où il était question des enfants qui, autrement, se trouveraient dans la rue, les enfants pour qui la seule autre possibilité, c'est que leurs propres parents les mutilent pour qu'ils puissent quêter. Ils avaient un emploi à temps plein. Il est vrai qu'ils devraient fréquenter l'école, mais le système d'éducation n'est pas tout à fait à la hauteur encore.

Il faut donc savoir quelle est l'autre solution. Ces enfants n'ont pas l'éducation voulue et, souvent, ils touchent de très faibles revenus et ont des perspectives limitées.

L'autre question, c'est celle des institutions. Comme l'Inde a été sous occupation britannique pendant près de 200 ans, elle compte de nombreuses institutions que nous connaissons et qui, dans une certaine mesure, nous inspirent confiance. Pour revenir à la question de la sécurité en Chine, il y a eu tout un tollé autour de la question de la sécurité alimentaire et de la présence de plomb dans la peinture des jouets pour enfants dans la presse à l'automne. Un des problèmes tient au fait que c'est un vaste pays où les institutions commencent à peine à se mettre en place. Les Chinois ont exécuté le directeur de l'organisme responsable de l'innocuité des médicaments parce qu'il permettait la vente de produits pharmaceutiques n'ayant aucune valeur ou ayant une valeur négative du point de vue des utilisateurs. Il était corrompu. Nous ne procédons pas de cette façon, et il est probable qu'ils ne le feront pas non plus dans 100 ans. Tout de même, comme je l'ai dit dans ma déclaration préparée au début, c'est une question d'institutions à concevoir, chose qui ne se fait pas du jour au lendemain.

Mme Lafleur : Nous n'avons rien d'autre à ajouter. Nous avons toujours fait valoir que la façon de changer des systèmes comme ceux-là, c'est de passer par le dialogue, l'intégration, d'aider les gens, par exemple comme l'ACDI le fait avec le système judiciaire là-bas. Nous sommes d'accord avec Mme Dobson quand elle dit qu'il faudra du temps pour que cela se fasse et que ça ne se fera pas du jour au lendemain. Tout de même, le processus est enclenché, et des changements ont été effectués.

Le sénateur Johnson : Le gouvernement fédéral a institué une stratégie commerciale mondiale de 60 millions de dollars. A-t-elle quelque valeur? L'argent est-il consacré à la bonne chose?

Mme Dobson : Je suis désolée, mais je ne connais pas les détails de cette stratégie.

Mme Lafleur : Moi non plus.

Le sénateur Johnson : Peu de gens semblent les connaître. Je croyais qu'il s'agissait de ne pas conclure d'ententes avec les petites économies.

Le président : Nos témoins ne sont pas au courant de cette question.

Le sénateur De Bané : Il y a plusieurs obstacles au travail des entreprises canadiennes à l'étranger. Un d'entre eux, c'est que bon nombre de nos grandes sociétés appartiennent à des intérêts étrangers et qu'elles n'ont pas pour mandat d'exporter vers les trois pays que nous étudions. Cela m'a tracassé d'entendre dire par les responsables d'une entreprise du Québec appartenant à des intérêts canadiens qui, après être allés en Russie, ont dit qu'ils préféraient perdre leur investissement du fait qu'il n'y avait aucune façon de faire des affaires raisonnablement là-bas. PCL, société de premier ordre de l'ouest du Canada, a remporté un concours à Shanghai puis, plus tard, a dit qu'elle préférait perdre l'investissement qu'elle avait mis dans la préparation de sa soumission plutôt que de travailler dans les conditions imposées. Des institutions financières canadiennes de premier ordre frappent toujours à la porte pour demander le droit d'entrer et de faire des affaires dans ces pays. On le leur interdit.

Pourquoi ne parlons-nous pas de ces obstacles, qui sont réels? Finalement, après un si grand nombre d'années, la Financière Manuvie et la Financière Sun Life ont obtenu la permission de faire des affaires dans deux provinces en Chine, mais c'est tout. Nous pourrions parler du nombre de pays qui ailleurs en Asie ont pratiqué un protectionnisme flagrant, comme le Japon pendant de nombreuses années et la Corée du Sud aussi. Très lentement, ils nous permettent d'entrer.

Il n'y a pas si longtemps encore, en Inde, la loi précisait que la participation dans une société devait être en majorité indienne. Ça ne pouvait pas convenir à bon nombre de nos sociétés — céder la majorité des parts à des intérêts locaux.

Pourquoi ne faisons-nous pas allusion à ces obstacles pour expliquer en partie pourquoi nous avons de la difficulté à pénétrer sur ces marchés? N'êtes-vous pas d'accord pour dire que, en dernière analyse, pour toutes sortes de raisons qui peuvent paraître légitimes de leur point de vue à eux, ... ils sont très protectionnistes, et cela rend la tâche difficile à nos entrepreneurs?

Mme Dobson : Ce sont là de très bonnes questions. Pour ce qui est des parts étrangères dans nos grandes sociétés canadiennes et de ce que ça veut dire du point de vue de la pénétration canadienne des marchés internationaux, j'ai toujours demandé à Statistique Canada, quand j'en ai eu l'occasion, s'il ne serait pas possible d'établir de meilleures statistiques sur la façon dont les produits canadiens sont exportés à l'étranger par le truchement des États-Unis, et jusque dans les chaînes de valeur mondiales. Cela n'a jamais fait l'objet de mesures systématiques, même si c'est assez répandu. J'ai siégé au conseil d'administration de filiales canadiennes de multinationales étrangères. Les clients, principalement des Américains, finissent comme clients à Singapour et dans certaines régions de l'Asie, mais ça ne se retrouve pas du tout dans les statistiques canadiennes.

Pour ce qui est des entreprises canadiennes qui se trouvent en butte au protectionnisme dans ces pays, PCL à Shanghai en étant un exemple, il y a eu de nombreux problèmes dans l'industrie de la construction, en partie parce que les Chinois y font un très bon travail et en partie parce qu'ils ont, comme c'est le cas pour d'autres industries, bien affiné la méthode qui consiste à imiter et peut-être à s'approprier la propriété intellectuelle d'autrui. Soit que vous vous retirez, soit que vous acceptez que c'est comme cela que les affaires se font dans ce pays-là.

Je ne suis pas certaine de connaître les circonstances exactes de la situation chez PCL, mais c'était peut-être un cas d'imitation ou de réglementation, sinon ils n'ont pas choisi le bon partenaire financier. Je ne sais pas.

Pour ce qui est des commentaires que vous avez formulés à propos des institutions financières, dans les deux pays, l'industrie des services financiers adhère aux normes de l'OMC. Comme vous le savez peut-être, la Chine s'est jointe à l'Organisation mondiale du commerce en 2001. Elle s'est servie de cette négociation pour s'engager d'avance à ouvrir l'industrie des finances à l'intérieur, au fil du temps. D'après ce que j'en sais, la Manuvie réalise des bénéfices en Chine, et elle en est très fière.

Les gens parlent bien du temps qu'ils doivent mettre à assurer la liaison avec les responsables de la réglementation, mais j'avancerais que cela tient en partie au fait que les responsables de la réglementation souhaitent apprendre certaines choses des étrangers. Souvent, cela se fait dans les pays en développement. Je croyais que la Manuvie avait une pénétration plus profonde du marché chinois.

La Banque de Montréal mène une aventure fructueuse et rentable en Chine. Je crois que la Banque Royale y est retournée. Elle y a maintenant un bureau pour la représenter. Elles doivent y obtenir l'approbation réglementaire tout comme les entités étrangères doivent obtenir l'approbation réglementaire au Canada avant d'y installer leurs affaires.

En Inde, les services financiers sont davantage développés. On y trouve une bourse nationale efficace et bien dirigée et la Bourse de Bombay, mais il est vrai que les banques appartiennent toujours au gouvernement et que l'assurance est soumise à une réglementation importante.

Tout cela est dû au fait qu'il s'y trouve des intérêts qui sont là de longue date et qui sont protectionnistes — et probablement que le ministre des Finances n'est pas disposé à les affronter. Quand le gouvernement de coalition compte 19 partis, il faut savoir choisir son combat, comme les gens le savent probablement de nos jours à Ottawa. L'année 2009 a été fixée comme délai pour l'Inde, qui doit examiner à ce moment-là son régime de réglementation des finances en vue de l'ouvrir davantage. Encore une fois, en Inde, la Sun Life a formé une coentreprise avec Birla; c'est une coentreprise très rentable et innovatrice qui remporte un très franc succès. Le paysage n'est pas tout à fait aussi morose que vous le dites, mais il existe des contextes réglementaires qui se libéralisent de façon plutôt lente.

Mme Rao : Pour ajouter à ce qui a été dit à propos des participations étrangères et du commerce intégré, il est vrai qu'une bonne part du commerce à destination de la Chine passe par les États-Unis et aussi par Hong Kong. Nous notons dans notre mémoire que les statistiques, souvent, ne rendent pas compte du phénomène dans toute son ampleur et que les échanges commerciaux sont plus importants que ce qui semble être le cas.

La raison pour laquelle nous n'avons pas eu beaucoup de commerce et d'investissement du côté de l'Inde, c'est que cette dernière s'est montrée très protectionniste. Par contre, elle adopte des mesures depuis un certain temps. Par exemple, en 2005, elle a ouvert son industrie du commerce au détail pour laisser entrer les détaillants étrangers à marque unique. Le gouvernement a relevé le degré de participation étrangère permis dans les entreprises de télécommunications. Tout juste l'an dernier, 24 zones économiques spéciales ont été créées. L'Inde s'ouvre donc, et ce sont là des occasions qui n'existaient pas dans le passé et que les entreprises canadiennes peuvent essayer de saisir.

Le président : Merci beaucoup. Comme il n'y a pas d'autres questions, il me reste seulement à exprimer notre gratitude envers vous toutes et à vous remercier. Vous avez certainement su nous éclairer sur la question et nous aider à mieux comprendre les choses.

La séance se poursuit à huis clos.


Haut de page