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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 7 - Témoignages du 16 avril 2008


OTTAWA, le mercredi 16 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 16 h 4 pour poursuivre son étude de l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.

Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à tous, honorables sénateurs. Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Le comité se penche actuellement sur l'influence nouvelle de la Chine, de l'Inde et de la Russie sur le plan économique et sur les politiques qu'adopte le Canada en réaction à cette influence.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui le professeur Wenran Jiang, directeur par intérim de l'Institut de la Chine de l'Université de l'Alberta, M. Peter Clark, président, de Grey, Clark, Shih and Associates Limited et M. Glen Hodgson, premier vice-président et économiste en chef du Conference Board du Canada.

Bienvenu au Sénat. J'inviterais maintenant le professeur Jiang et M. Clark à faire quelques commentaires. Nous passerons ensuite aux questions et réponses.

[Traduction]

Wenran Jiang, directeur par intérim, Institut de la Chine, Université de l'Alberta, à titre personnel : Permettez-moi d'abord de vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant cet organisme très important. C'est pour moi un privilège de m'adresser à vous sur ce sujet.

Cela fait plus de dix ans que je suis attentivement la montée de la Chine et son incidence sur la région Asie-Pacifique et sur le reste du monde, à la fois à titre de professeur d'économie politique et aussi, plus récemment, de participant aux efforts destinés à resserrer les liens entre le Canada, l'Amérique du Nord, la Chine et la région Asie-Pacifique.

Comme je fais partie du groupe de travail stratégique sur la Chine du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, j'organise depuis 2004 une grande conférence annuelle Canada-Chine qui réunit des gens du secteur privé, du secteur public et du monde universitaire des deux pays pour examiner des questions d'intérêt commun concernant l'énergie et l'ensemble des relations commerciales et économiques. Cette conférence a pris encore plus d'ampleur l'an dernier quand des Américains sont venus y participer.

Je dirige depuis deux ans par intérim l'Institut de la Chine de l'Université de l'Alberta. L'Institut bénéficie d'une dotation de 37,2 millions de dollars du gouvernement provincial, ce qui en fait l'un des centres de recherche sur la Chine les mieux financés au monde, et l'un des meilleurs.

Depuis deux ans, je suis aussi conseiller spécial sur la Chine auprès du Conseil de l'énergie, organisme représentant 11 États américains et cinq provinces canadiennes produisant de l'énergie, ainsi que le Venezuela. J'ai dirigé une délégation de 49 législateurs à Beijing l'été dernier pour dialoguer avec des homologues chinois.

Tout cela m'a permis d'acquérir une certaine connaissance des questions qui vous intéressent mais je tiens à souligner que je m'adresse à vous en mon nom personnel et non pas au nom de ces organismes.

Prenons d'abord le cas de la Chine, mon principal centre d'intérêt. Comme notre temps est limité, je laisserai l'Inde et la Russie de côté mais je serais ravi de répondre à vos questions concernant ces pays car j'ai aussi mené des études comparées à leur sujet.

Voici quatre observations concernant la montée de la Chine et son incidence sur le monde et le Canada, ainsi que sur elle-même. La première question est de savoir ce qui fait de la Chine une puissance mondiale émergente. C'est une question très importante, même si l'on croit bien connaître la question.

Quand on parle du phénomène de croissance de la Chine, la première chose à souligner est qu'il s'agit en réalité d'une réorientation de l'État, de l'idéologie communiste vers un capitalisme étatique. Ce processus a démarré il y a exactement trente ans. Aujourd'hui, nous voyons une Chine avec une économie de marché très compétitive et brutale. Nous voyons une Chine profondément intégrée à l'économie mondiale. Elle est en cela très différente des fameux « tigres » d'Asie orientale tels que le Japon et la Corée du Sud, par exemple, dans la mesure où elle est massivement présente dans le commerce mondial et tire parti de l'intégration de l'économie mondiale, surtout depuis son entrée dans l'Organisation mondiale du commerce il y a cinq ans.

Tout cela est le fruit du programme des « quatre modernisations » du Parti communiste, c'est-à-dire la modernisation de l'industrie, de l'agriculture, des sciences et de la technologie, et de la défense.

Au plan sociologique, toutefois, la croissance de la Chine exprime aussi un très fort désir du peuple chinois d'avoir une vie meilleure. Les Chinois veulent le genre de vie que nous avons en Amérique du Nord. Cela peut avoir de très importantes répercussions sur le phénomène de croissance et sur son incidence sur le reste du monde.

Je replace cela dans le contexte des trente dernières années de croissance de la Chine. Pour vous rafraîchir la mémoire, la Chine est aujourd'hui le pays qui attire le plus d'investissements étrangers directs au monde et qui, de toutes les grandes économies, enregistre le ratio le plus élevé du commerce de biens et de services par rapport au PIB. Il détient la plus grosse réserve de devises étrangères — quelque chose comme 1,7 billion de dollars, dont 300 ou 400 milliards retournent aux États-Unis pour être placés dans des Bons du Trésor. Cette forme de placement continue à grande échelle et finance quasiment le déficit de l'économie américaine.

Bien sûr, la Chine est le deuxième plus grand consommateur et le deuxième plus grand producteur d'énergie au monde, ainsi que le deuxième plus grand marché d'électricité. Je le mentionne parce que c'est important pour le Canada. En même temps, la Chine est aussi, selon les statistiques qu'on retient, le premier ou le deuxième plus grand émetteur mondial de CO2, c'est-à-dire de gaz à effet de serre. C'est la troisième plus grande nation commerçante et elle est sur le point de dépasser les États-Unis pour devenir le deuxième plus grand exportateur au monde, après l'Allemagne. C'est la quatrième plus grande économie au monde. C'est aussi le pays où l'on trouve 16 des 20 villes les plus polluées au monde.

La Chine est ce qu'elle est, avec de nombreux défis, notamment le fait qu'il n'y ait qu'un seul parti politique. Elle est confrontée à d'autres réformes de marché. Elle estime avoir un environnement international moins que favorable. Cela est très différent de la manière dont l'extérieur perçoit son émergence. C'est un pays qui a besoin de quantités énormes d'énergie et de ressources naturelles pour poursuivre son expansion économique car elle veut quadrupler son poids économique d'ici à 2020. C'est ce qu'elle a fait entre 1980 et le milieu des années 1990.

Une économie de cette taille enregistrant un taux de croissance d'environ 10 p. 100 par an double en sept ou huit ans. On estime qu'elle aura atteint la parité du pouvoir d'achat avec les États-Unis vers 2020. Vers 2030 ou 2040, elle aura dépassé les États-Unis ou sera au moins à égalité, même si on exprime son PIB en dollars américains. Telles sont donc les caractéristiques de l'émergence de la Chine.

La deuxième question est de savoir quelle incidence structurelle cette croissance a sur la Chine et sur le reste du monde.

La Chine est une énorme nation commerçante. C'est un moteur du commerce mondial, surtout dans les pays en développement. J'ai fait un calcul rapide qui montre que, de 2001 à 2005, le commerce de la Chine avec toutes les régions du monde a augmenté entre 163 p. 100 — avec l'Amérique du Nord — et environ 370 p. 100 — avec le Moyen- Orient. L'expansion de son commerce avec les autres régions se situe entre ces deux chiffres.

L'analyse révèle une tendance à accroître les échanges commerciaux avec les régions faisant le moins de commerce avec elle. Là où les échanges sont déjà importants, comme avec l'Amérique du Nord et l'Europe, le taux de croissance est plus faible.

Dans l'ensemble, cependant, la croissance est étonnamment élevée. Aucun autre pays n'a autant accru ses relations commerciales avec d'autres régions du monde que l'a fait la Chine au cours des cinq ou dix dernières années.

Deuxième incidence de ce phénomène : beaucoup de pays sont forcés de commercer avec la Chine et d'en dépendre. En Amérique latine et en Afrique, on parle de super-cycles de demande dans les secteurs de l'énergie et des ressources naturelles. En Afrique, l'augmentation de 4 à 5 p. 100 du taux de croissance au cours des cinq dernières années s'explique essentiellement par la demande chinoise.

Ce commerce et cette production font de la Chine un énorme atelier pour le reste du monde. Cela veut dire que la Chine, à cette étape, consomme une quantité énorme d'énergie, produit une quantité énorme de matières premières et importe une quantité énorme de ressources. La Chine est à la fois le plus grand ou l'un des plus grands producteurs et acheteurs mondiaux de choses telles que le ciment, l'acier, l'aluminium, le cuivre, nickel, le zinc — et je pourrais continuer longtemps. Elle en représente de 20 à 50 p. 100. Elle dévore tout.

En conclusion, la Chine a adopté un modèle traditionnel de développement et de modernisation mais, depuis 30 ans, avec des stéroïdes. Elle se développe très rapidement avec une contribution élevée de capital et d'incitatifs à l'investissement, une forte utilisation de main-d'œuvre à bas salaires, une grosse consommation de matières premières, une forte expansion de l'industrie lourde et de la fabrication, et une grosse consommation d'énergie et de ressources naturelles. Elle gobe tout ce qui passe à sa portée. Certains résument la situation en disant ceci : « Tout ce que la Chine achète devient cher et tout ce que la Chine vend devient bon marché ».

Résultat : énormes dégâts environnementaux et gros problèmes d'inégalité, l'écart entre les riches et les pauvres s'élargissant. L'une des questions que je tiens à souligner, en ce qui concerne l'incidence de la Chine, est qu'elle ne cause pas de dégâts qu'à son propre environnement. Elle produit des pluies acides et du réchauffement planétaire, ce sont des problèmes mondiaux. En plus, elle est le dépotoir de 80 à 90 p. 100 des déchets électroniques de la planète. Tout aboutit en Chine, avec très peu de réglementation.

Plus de 60 p. 100 du commerce extérieur de la Chine est produit par des multinationales étrangères, essentiellement des sociétés américaines qui y ont transféré leur production. C'est une production à faible coût qu'elles exportent à bon prix dans les pays industrialisés. Ensuite, ces pays disent que la Chine pollue le monde entier. On ne parle pas beaucoup de ce phénomène de transfert de la pollution. C'est pourtant grave. Mon argument est que le phénomène d'expansion de la Chine, tout comme l'incidence qu'il a sur la Chine elle-même, est un problème mondial. Les pays industrialisés, en particulier, reçoivent une part de ses problèmes mondiaux de réchauffement et de pollution. Ce à quoi la Chine est confrontée aujourd'hui, c'est ce à quoi le monde est confronté.

La troisième question est de savoir où se situe le Canada dans tout ça. Mes contacts avec des gens des deux côtés — du secteur privé et des organismes gouvernementaux — me permettent de penser que les Chinois considèrent le Canada comme un pays très vaste avec très peu de population et des ressources énormes en énergie. À leurs yeux, c'est une sorte de pays de rêve avec lequel ils veulent avoir de meilleures relations commerciales et d'investissement, et une meilleure interaction. Toutefois, je peux dire que ce que nous voyons dans les relations économiques du Canada avec la Chine depuis plusieurs années — et je l'ai documenté, notamment sur le plan des ressources et de l'énergie —, c'est « beaucoup de bruit pour rien ». On parle continuellement de coopération économique, de commerce d'énergie, et de toutes sortes de choses mais les chiffres ne collent pas. Nous avons à peine plus de 30 milliards de dollars d'échanges commerciaux annuels. Certes, le chiffre augmente chaque année mais, si on le compare aux autres échanges commerciaux de la Chine, on constate que nous prenons continuellement du recul. Nous prenons du recul dans les deux sens, qu'il s'agisse de l'investissement commercial du Canada en Chine ou de l'inverse.

Par exemple, dans le secteur des sables bitumineux, la Chine a investi environ 300 millions de dollars dans deux projets en Alberta. Si l'on compare cela à un investissement global de 50 milliards de dollars jusqu'à présent, et de 100 milliards selon les projections, une somme de 300 millions de dollars ne représente que 0,6 p. 100 de 50 milliards, et encore moins par rapport à 100 milliards.

Il ne faut pas se fier à ce qu'on raconte dans la presse populaire, notamment que la Chine détient ou détiendra une trop grande part de l'investissement, bien au contraire. Le problème est qu'elle en a trop peu. Voilà la vraie situation. À l'heure actuelle, nous n'avons pas le climat politique nécessaire pour réorienter nos relations bilatérales afin d'instaurer un environnement économique plus favorable.

Les relations politiques entre les deux pays sont au plus bas depuis 1970. Je crois que le gouvernement actuel n'a pas de stratégie chinoise claire, ce qui était aussi le cas du gouvernement libéral précédent. C'est une question qu'il va falloir régler. La question n'est pas reliée au parti au pouvoir mais plutôt à un climat politique très froid. Voilà le vrai problème dont il faut s'occuper et je pense qu'il mérite toute notre attention.

Je ne voudrais pas prendre trop de temps et je passe donc tout de suite à la dernière question : que devrait faire le Canada pour relever ce défi chinois? C'est une question qui se pose au monde entier. Nous avons ici un problème de concurrence chinoise. Beaucoup de gens pensent que le défi posé par la Chine est relativement distant. Certes, disent- ils, c'est notre deuxième plus grand partenaire commercial mais nous faisons 80 p. 100 de notre commerce avec les États-Unis; la Chine n'est donc pas si importante que cela. En plus, elle est de l'autre côté du Pacifique. Eh bien, non ! Le défi de la Chine se pose ici même et se pose juste au sud de notre frontière.

La Chine est très compétitive et a fortement accru ses échanges commerciaux avec les États-Unis au cours des années. Elle a dépassé le Mexique et le Japon comme grand partenaire commercial des États-Unis. Dans un avenir prévisible, elle dépassera le Canada et deviendra le plus grand partenaire commercial des États-Unis. Nos échanges commerciaux de 1,5 milliard de dollars par jour avec les Américains seront dépassés par ceux de la Chine. C'est ça, la réalité.

Ma première recommandation, dans l'immédiat, est donc de relancer la diplomatie au sommet avec la Chine. Depuis l'automne 2005, quand le président chinois, Hu Jintao, est venu au Canada, il n'y a pas eu de visite au sommet. C'est à notre tour d'aller là-bas. Il ne semble pas que ce soit prévu dans un avenir prévisible. C'est extrêmement anormal, étant donné la taille des relations commerciales bilatérales du Canada et l'importance de la Chine pour l'économie canadienne. Je n'ai même pas parlé de l'aspect politique de tout cela mais je serais ravi de le faire pendant la période des questions. Des relations politiques froides ne contribuent pas à des relations économiques chaudes. Le contact est très important.

Kevin Rudd, le premier ministre actuel de l'Australie, vient juste d'aller en Chine pour la critiquer sur la question tibétaine et il a prononcé à cette occasion un discours passionné en mandarin. On lui en donne évidemment le crédit. Toutefois, il a directement contesté les Chinois sur la question du Tibet. Son prédécesseur, John Howard, un Conservateur, exprimait toutes sortes de critiques sur les droits humains et sur l'espionnage de la Chine mais cela ne l'empêchait pas de signer des contrats d'énergie à long terme d'une valeur de 24 à 40 milliards de dollars. Pour les Australiens, la question n'est pas de savoir s'ils veulent de l'investissement chinois ou non mais s'ils peuvent en avoir encore plus. Ils sont actifs, ils critiquent, on les accueille et ils font des affaires en même temps.

Le président de la France est allé en Chine il y a quelques mois où il a prononcé un discours sur le réchauffement planétaire en critiquant les Chinois, après quoi il a pris son stylo et a signé un contrat de 30 milliards de dollars pour des Airbus et un réacteur nucléaire. C'est la taille de notre commerce annuel avec la Chine.

Où est le CANDU dans notre commerce annuel avec la Chine? Sans contacts de haut niveau, on ne peut pas forger de relations stratégiques plus globales sur les plans politique et économique. Nous pouvons bien envoyer notre ministre du Commerce international, David Emerson, qui fait au demeurant un excellent travail, mais ce n'est tout simplement pas suffisant.

Ma deuxième recommandation est que nous devons nous concentrer à moyen terme sur un large éventail d'occasions et de défis importants d'ordre politique et, surtout, économique. Sommes-nous compétitifs dans le secteur de l'automobile? Que faisons-nous dans le secteur de l'énergie et contre le réchauffement planétaire? Nous ne pouvons pas demander à la Chine de réduire ses émissions de gaz à effet de serre quand elle a un taux d'émission par habitant égal à un huitième du nôtre car elle ne nous écoutera tout simplement pas. Notre rôle est de lui dire qu'elle a un problème à ce chapitre mais que nous voulons travailler avec elle car nous avons des choses à offrir dans ces domaines.

En ce qui concerne l'investissement, la Chine a beaucoup d'argent à sa disposition. Comment pouvons-nous instaurer un environnement favorable pour qu'elle vienne investir ici sans que nous ayons à craindre pour notre souveraineté? Nous devons agir avec le secteur privé et avec les provinces. Au fait, les gouvernements provinciaux sont en avance — surtout ceux de l'Ouest — dans leurs relations avec la Chine et ils ne sont pas à la traîne du gouvernement fédéral, bien que ce dernier les freine. Voilà ce qui compte à moyen terme.

Il nous faut élaborer à l'égard de la Chine une stratégie non partisane touchant de nombreuses questions importantes.

Le président : Avant de donner la parole à M. Clark, je dois présenter mes excuses à M. Hodgson. Je n'avais certainement pas l'intention de vous laisser en dehors du débat. Ma note d'information avait été préparée avant qu'on vous invite à vous joindre à nous. Nous sommes heureux que vous soyez ici. Vous aurez votre chance après M. Clark.

Peter Clark, président, Grey, Clark, Shih and Associates Limited : Mon point de vue sur la Chine est le fruit des nombreux séjours que j'y ai effectués au cours des 20 dernières années. Rien que l'an dernier, j'y suis allé plus d'une demi-douzaine de fois et, cette année, deux fois déjà.

La Chine est un pays stimulant et dynamique et je n'ai qu'un mot à dire à quiconque souhaite y faire des affaires : patience, patience, patience. Les occasions sont là mais c'est seulement par la patience et la compréhension qu'on peut en tirer parti.

Je suis heureux de voir que le Canada ouvrira de nouveaux bureaux commerciaux en Chine, fin dont cinq annoncés aujourd'hui. Cela permettra aux entreprises canadiennes d'obtenir de meilleures informations et d'avoir des contacts et un appui. C'est absolument indispensable pour faire des affaires en Chine, tant que les gens d'affaires canadiens ne sont pas capables de parler le mandarin.

Bien que nous ayons obtenu des gains en Chine, tout comme les Australiens et les Français, comme on vient de le dire, nous sommes toujours en train de faire du rattrapage par rapport à d'autres pays beaucoup plus actifs et dont les objectifs sont mieux coordonnés et mieux focalisés.

Dans le contexte de notre discussion, il importe de se souvenir que si la Chine nous paraît étrange, le contraire est aussi vrai. Les Chinois ne comprennent pas vraiment certaines des choses que nous faisons, comment nous faisons des affaires, mais ils sont prêts à apprendre.

J'avais préparé un certain nombre de tableaux pour mon exposé mais, malheureusement, je n'ai pas eu le temps de les faire traduire. Je peux cependant vous dire ce qu'ils contiennent.

Le premier montre que la Chine a dépassé le Canada comme premier fournisseur des États-Unis à la fin de l'an dernier. Le deuxième, portant sur une période plus courte, montre que la courbe de nos exportations aux États-Unis s'est aplatie depuis que notre dollar s'est apprécié. La valeur du dollar est un facteur à cet égard mais on peut se demander si le Canada aurait été dépassé plus tôt si les prix de l'énergie n'avaient pas été aussi élevés ces dernières années. Le tableau suivant porte sur nos importations et exportations totales avec la Chine. L'écart ne cesse de se creuser. Nous sommes déficitaires. Il y a ensuite un tableau représentant notre déséquilibre commercial, qui est passé de 5 milliards de dollars à près de 30 milliards.

Nous avons obtenu une étude en trois parties réalisée par la United States International Trade Commission à la demande du Congrès. La première partie, publiée il y a quelques jours, est une description de certaines pratiques et politiques du gouvernement affectant la prise de décision dans l'économie chinoise. La référence de cette étude est USITC 3978. Je vous la recommande, elle contient beaucoup d'informations utiles.

Le premier tableau que j'ai inclus montre l'accroissement de l'investissement des secteurs privés étrangers en Chine et son importance croissante pour le pays. Le suivant indique le pourcentage du PIB selon le mode de propriété. On constate que la part des sociétés étrangères investissant en Chine est passée de moins de 5 p. 100 en 1978 à plus d'un tiers en 2000. Nous n'avons pas encore de chiffres pour 2005. Un autre graphique, indiquant la valeur brute de la production industrielle selon le mode de propriété, montre que 60 p. 100 de cette production provenait de sociétés étrangères en 2005, ce qui témoigne d'un accroissement considérable car c'était 2 p. 100 en 1985 et environ 10 p. 100 en 1990.

Les exportations aux États-Unis des sociétés étrangères investissant en Chine sont importantes puisqu'elles représentent plus de 60 p. 100 du total des exportations chinoises aux États-Unis. C'est ce que M. Jiang a souligné. Le tableau suivant montre que la valeur de ces exportations des sociétés étrangères investissant en Chine s'élevait à plus de 140 milliards de dollars en 2006. Les importations en Chine de ces sociétés représentent près de 60 p. 100 du total. Quand vous obtiendrez ces tableaux et les analyses qui vont avec, vous verrez que l'investissement étranger dans l'économie chinoise augmente rapidement, devient important et constitue le principal facteur du commerce international.

Pourquoi avons-nous tant de retard? Le Canada a une relation commerciale bilatérale de nation la plus favorisée avec la Chine depuis les années 1960. À l'époque, nous avions passé ces ententes en partie pour lui vendre du blé et en partie pour limiter les importations de textiles, de vêtements, de jouets et de chaussures bon marché en provenance de Chine. Comment on vous l'a dit, le commerce entre le Canada et la Chine, dans les deux sens, s'élevait à environ 10 milliards de dollars en 1998. L'an dernier, c'était 47,5 milliards. Ce commerce est de moins en moins en notre faveur et il nous faut absolument réagir.

Nos principales exportations agricoles vers la Chine ont augmenté de 81 p. 100 entre 2006 et 2007. La Chine a besoin de se nourrir. Ces 81 p. 100 représentaient environ 700 millions de dollars d'orge, de canola et d'huile de canola. C'est l'un des rares marchés où nous semblons vendre autant d'huile de canola que de canola. Il y a peu de progressivité tarifaire.

La Chine est de loin le plus gros consommateur de viande de porc au monde. Il y a là un excellent potentiel commercial pour le porc canadien mais nous ne pouvons pas en profiter parce que les éleveurs canadiens utilisent un additif alimentaire, le Paylean, qui n'est pas approuvé en Chine. Nous devrions nous efforcer de démontrer aux autorités chinoises que cet additif est sans risque dans ses utilisations au Canada.

J'en parle parce que j'ai lu dans le Winnipeg Free Press que nous allons devoir abattre des porcelets. Nous venons tout juste d'introduire un programme de réforme de truies dans les élevages canadiens parce que nous n'arrivons pas à vendre le produit, pour diverses raisons. Les États-Unis viennent d'imposer l'étiquetage du pays d'origine sur la viande. Les détaillants américains ne tiennent pas à tenir les registres que cela leur imposerait et ils préfèrent donc annuler leurs contrats avec les éleveurs canadiens. C'est une situation absolument dramatique mais c'est aussi le genre d'occasion dont nous pourrions tirer parti si nous avions une bonne relation avec la Chine, ce qui n'est pas le cas.

On m'a posé plusieurs questions et je pense que vous verrez, d'après les tableaux, que la croissance rapide s'est fortement accélérée après l'accession de la Chine à l'OMC en 2001. Le Canada a toujours bénéficié du statut de nation la plus favorisée avec la Chine mais cela ne nous a pas donné les résultats qu'ont obtenus d'autres pays qui ont su en tirer parti. Nous n'avions rien à changer quand la Chine est entrée à l'OMC, absolument rien, car nous étions déjà là. Nous lui avions déjà donné tous les avantages de la nation la plus favorisée que nous aurions donnés à n'importe quel autre pays membre de l'OMC.

On m'a demandé si l'incidence de la Chine est généralement positive ou négative à l'échelle mondiale. Les Chinois vous diront qu'il est trop tôt pour le savoir. Leur cadre de référence historique est beaucoup plus long que le nôtre. Il est tout à fait clair aujourd'hui que la Chine est le moteur de l'économie mondiale et qu'elle compense le fléchissement causé par le ralentissement de l'activité aux États-Unis.

Nous avons tous entendu parler de la demande apparemment insatiable de la Chine en énergie et en ressources naturelles. L'an dernier, nous lui avons vendu pour 103 millions de dollars de minerai de fer. Je ne sais pas combien d'acier nous avons importé mais ce n'était pas beaucoup.

Le marché chinois est également affecté par sa demande de charbon à coke et par le transport océanique. Nous avons pu constater l'incidence sur le marché de l'acier où, il y a 10 ans, des enquêtes de sauvegarde étaient en cours dans le monde entier parce que l'acier laminé à chaud se vendait 250 $ la tonne. Il y a deux semaines, il est passé au- dessus de 1 000 $ la tonne. C'est un gros changement. Ce matin, Canpotex a signé de nouveaux contrats avec la Chine pour lui vendre de la potasse à un prix trois fois plus élevé que l'an dernier. Les Chinois doivent se nourrir et les cours mondiaux les inquiètent. Ils viennent d'imposer des restrictions à l'exportation des céréales fourragères parce que ce sont des consommateurs, comme l'a expliqué M. Jiang.

Les Chinois sont activistes et exigeants. Vous pouvez lire dans la presse chinoise des articles critiquant la hausse des prix de l'alimentation et les pénuries. Ils sont obligés de faire face à la situation. C'est un marché en expansion rapide. Les salaires augmentent et l'inflation aussi. Les consommateurs veulent en avoir pour leur argent. Leurs prix à l'exportation augmentent. Ils freinent les exportations à forte utilisation d'énergie en éliminant les ristournes et en imposant des taxes à l'exportation. En fait, l'excédent commercial de la Chine a baissé de 10,8 p. 100 durant le dernier trimestre. Le ministre du Commerce a déclaré : « Ne vous inquiétez pas, il n'y a pas de problème d'inflation. » Toutefois, les exportations ont augmenté d'environ 7 p. 100. Si l'excédent a baissé de 10,8 p. 100, cela veut dire que les importations ont augmenté beaucoup plus vite. Ce phénomène va s'accélérer à mesure que les consommateurs chinois gagneront de plus en plus d'argent et voudront satisfaire leurs besoins accumulés. Les consommateurs chinois ne veulent pas des produits bon marché qui tombent en pièces au moindre choc. Ils veulent les meilleurs produits possibles et ils veulent en avoir pour leur argent. Ce sont d'âpres négociateurs mais il y a là un marché réel.

J'ai également joint à la documentation que j'ai remise à la greffière un discours qu'a prononcé hier à Londres Peter Mandelson, le commissaire au Commerce de l'Union européenne. Selon lui, la Chine n'est pas simplement un bulldozer irrésistible, c'est aussi un pays confronté à un énorme problème de gouvernance qui n'a pas de précédent dans l'histoire de la politique.

L'investissement n'est pas facile. On en est encore au début. Le gouvernement central a adopté des politiques destinées à transformer l'économie, pour qu'elle soit beaucoup plus fondée sur le marché, et à réduire la propriété étatique. Nous vous avons montré ce qui s'est passé.

Selon le commissaire Mandelson, les investisseurs de l'Union européenne ont rencontré certains problèmes touchant par exemple le plafonnement de la propriété étrangère ou les exigences des partenaires locaux. L'UE essaye d'être plus présente dans le secteur des télécommunications et dans celui des services financiers, et elle y arrivera parce qu'elle y travaille.

Certaines attitudes sont difficiles à changer. Des gens qui ont passé toute leur vie dans un régime de propriété étatique y sont parfois encore très attachés. Bien que les jeunes chinois des entreprises et des services gouvernementaux, dont beaucoup ont fait leurs études à l'étranger, aient une attitude beaucoup plus ouverte, leurs patrons doivent toujours leurs postes à l'ancienneté et le changement est très lent.

Les politiques sont conçues par le gouvernement central mais elles sont mises en œuvre au niveau local — provincial et même municipal. Il faut longtemps pour qu'elles descendent à ce niveau. Vous trouverez dans le pays certaines régions où les directives ne sont pas suivies, soit à cause de préoccupations concernant leur incidence sur l'emploi ou l'investissement, soit tout simplement parce que les décideurs locaux ne sont pas d'accord avec le pouvoir central. De fait, ce n'est pas très différent de ce qui se passe au Canada, à certains égards.

Il faut ensuite parler de la question des droits humains. Mon rôle à moi est de faire la promotion du commerce et de l'investissement. Ce qui me frappe, sur beaucoup de ces questions, c'est que c'est surtout une question de communications. Je me souviens que le Canada, le jour même où l'Irak envahissait le Koweït, se faisait critiquer aux Nations Unies pour son traitement des peuples autochtones. Ceux qui voulaient embarrasser publiquement le Canada devant le reste du monde avaient attiré beaucoup d'attention en arrivant devant l'ONU en canot. Ils avaient obtenu beaucoup de battage médiatique mais je suis prêt à parier qu'ils n'avaient pas pagayé depuis la Baie James.

Le commissaire Mandelson affirme que les Jeux olympiques ne devraient pas devenir un enjeu commercial. Il dit que quiconque essaye de traiter des questions comme le Tibet dans ce contexte n'ira pas très loin en Chine. Il a fait cette mise en garde parce que certaines personnes semblent croire qu'une confrontation directe au sujet des Jeux olympiques et du Tibet serait dans notre intérêt et dans celui du Tibet. Toutefois, la Chine d'aujourd'hui nous met face à un dilemme. Nos préoccupations et nos protestations doivent s'inscrire dans une stratégie visant à assurer que la Chine reste tournée vers l'extérieur et vers l'internationalisme.

Il ne faut pas sous-estimer la fierté des Chinois à l'égard des Jeux olympiques, ni leur fierté à l'égard de leur croissance économique et de leur prospérité. La question que posent le plus souvent les Chinois, les étudiants ou les membres du gouvernement, c'est celle-ci : « Quand pensez-vous que nous aurons rattrapé les États-Unis? » Pour eux, c'est une question brûlante. Ils veulent rattraper les États-Unis; ils veulent les dépasser.

Ils tiennent à apprendre. Comme je l'ai dit, ils apprennent beaucoup plus facilement l'anglais que nous n'apprenons le mandarin. Toutefois, il reste certains soupçons sous-jacents de discrimination et d'attitudes antichinoises qui amplifient les impressions négatives. Il faut se mettre à leur place pour le comprendre.

L'importance de la Chine pour le Canada, c'est l'histoire célèbre du verre à moitié plein ou à moitié vide. Les occasions sont là, à nous d'en tirer parti. Dans le passé, il était assez facile d'exporter et d'investir aux États-Unis, jusqu'à ce qu'arrive la situation du dollar, la crise de l'immobilier et la récession sur notre plus gros marché. Cela montre que nous devons absolument diversifier.

Dans sa conclusion, le commissaire Mandelson a dit que, s'il y a une chose qui est plus effrayante que la croissance exponentielle de la Chine, c'est qu'elle pourrait s'arrêter ou s'effondrer. L'effondrement économique de la Chine ou une décision de celle-ci de s'isoler et de se placer en dehors des systèmes de sécurité et de commerce internationaux serait catastrophique pour elle-même et pour nous.

Votre tache est importante et complexe. Vous essayez de saisir une cible qui bouge très vite. J'espère que mes remarques vous seront utiles et je serai très heureux de répondre à vos questions.

Glen Hodgson, premier vice-président et économiste en chef, Conference Board du Canada : Je suis venu plusieurs fois sur la Colline parlementaire l'an dernier et je n'ai absolument pas le sentiment d'être négligé.

Le président : Vous avez d'ailleurs déjà témoigné devant notre comité.

M. Hodgson : C'est exact. Je vais faire une remarque puis parler de trois études que nous avons effectuées l'an dernier concernant le Brésil, l'Inde et la Chine — le monde émergent.

Si j'ai apporté une chose à la pensée économique, c'est l'expression « commerce intégrateur », pour désigner le nouveau paradigme du commerce international impulsé par l'investissement étranger. Il s'agit des entreprises qui démantèlent leurs chaînes de valeur pour se repositionner n'importe où dans le monde. Les deux premiers témoins en ont parlé dans le contexte du transfert de la production américaine en Chine.

Les entreprises américaines tirent parti de la main-d'œuvre à bon marché de la Chine et leurs homologues canadiens essayent de faire de même. Nous avons découvert plusieurs méthodes par lesquelles les entreprises canadiennes renforcent leurs liens et leur intégration avec l'économie chinoise en modifiant leur comportement. C'est un concept important car il apparaît dans toutes les recherches que nous effectuons, au Conference Board du Canada. C'est quelque chose que nous intégrons à notre programme de recherche.

La première étude dont je veux parler, que nous avons publiée en janvier dernier, s'intitule L'éveil des BRIC : Quelles conséquences pour le Canada? Les BRIC sont le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine. C'est une étude d'une soixantaine de pages qu'il serait difficile de résumer en une phrase et j'ai donc pensé vous lire les trois conclusions du synopsis.

Premièrement :

Le Canada devrait resserrer ses liens de commerce et d'investissement avec les BRIC et s'efforcer de monter dans la chaîne de valeur en se spécialisant dans les biens et services axés sur le savoir et à forte valeur ajoutée.

Nous ne pouvons plus faire concurrence sur la base du coût de la main-d'œuvre. Nous devons faire concurrence sur la base de notre puissance intellectuelle.

Deuxièmement :

Les BRIC présentent une menace de perte d'emplois dans les pays développés; toutefois, cette menace est la plus immédiate dans les industries tributaires d'une main-d'œuvre peu qualifiée.

La menace de perte d'emplois vaut pour le Canada. L'investissement que nous devons effectuer dans le capital humain, en permettant à notre population active de monter dans la chaîne de valeur, est vraiment le thème fondamental de ces études.

Troisièmement :

Des quatre, la Chine et l'Inde resteront la paire dominante grâce à leurs populations vastes et de mieux en mieux éduquées, à leur main-d'œuvre bon marché et à leur ouverture croissante sur le monde.

Le Brésil et la Russie ne sont pas à ignorer mais ce sont avant tout la Chine et l'Inde qui prédominent. Cette conclusion concorde avec ce que vous ont dit les deux autres témoins.

La deuxième étude a été effectuée en mars dernier et nous en publierons une mise à jour dans deux ou trois semaines. Elle s'intitule Canada's Changing Role in Global Supply Chains.

Nous avons essayé d'élaborer une nouvelle méthodologie pour mesurer le degré d'intégration entre le Canada et les autres pays, et leur intégration dans nos chaînes de valeur. Nous avons constaté une montée spectaculaire du niveau de commerce et d'intégration de 1992 à 2000, environ — éclatement de la bulle technologique, 11 septembre — impulsée par l'accord de libre-échange avec les États-Unis. Il n'y avait là rien de surprenant. C'est ce que les économistes attendent d'un accord de libre-échange, c'est-à-dire une montée dans la chaîne de valeur avec plus d'intégration de la production.

Toutefois, entre 2000 et 2005, dans cette étude, et 2006, dans la mise à jour, il n'y a pas eu d'intégration du tout. Nous sommes bloqués au point neutre sur le plan de l'intégration avec les États-Unis et avec l'Europe, mais aussi avec les marchés émergents de la Chine et de l'Inde.

La seule exception frappante est le degré d'intégration des choses chinoises dans les chaînes de valeur canadiennes. On voit de plus en plus d'entreprises canadiennes utilisant des intrants à moindre coût, des choses provenant des chaînes de valeur d'Asie — de la Chine, du Vietnam, de la Corée et de beaucoup d'autres pays.

Nous ne saisissons pas les occasions qui se présentent d'exporter sur les autres marchés mais les entreprises canadiennes ont compris qu'elles doivent devenir plus efficientes à cause de la remontée du dollar et de la concurrence mondiale. Elles ont donc de plus en plus recours à des intrants de Chine et d'autres pays asiatiques qu'elles intègrent à leurs propres chaînes de valeur. Ce sera encore plus évident quand l'étude sera publiée.

Le troisième rapport dont je veux parler a fait du bruit dans la presse. Il s'intitule Le commerce « manquant » du Canada avec l'Asie. Il a fait du bruit parce que nous y affirmons que nous ne mesurons peut-être pas les bonnes choses quand il s'agit de notre commerce avec l'Asie.

Nous mettons l'accent sur des choses telles que les exportations et importations de services, où nous avons probablement 50 ans de retard par rapport à l'évolution de notre économie intérieure quand il s'agit de mesurer le commerce international et les services. Le fait est que beaucoup de biens et services passent par des pays tiers. Ils passent par les États-Unis en route vers l'Asie. Ils entrent au Canada en provenance des États-Unis après avoir été déchargés dans un port américain.

C'est la même chose à l'autre bout. Une bonne partie du commerce passant par Hong Kong aboutit en Chine et sur les autres marchés d'Asie. Cela n'est pas pris en compte correctement dans les données commerciales que nous obtenons de Statistique Canada et d'autres sources.

Le troisième élément, et c'est probablement le plus gros, est ce qu'on appelle les « ventes de filiales étrangères ». Pour en revenir à mon idée de commerce intégrateur, les filiales étrangères sont créées au moyen de l'investissement étranger. Nous voyons de plus en plus cela comme le moyen de pénétrer sur les marchés étrangers. On crée une société partenaire sur le marché étranger, on créée un centre de distribution, et les ventes se font par son intermédiaire. Cela ne fait pas partie de nos exportations mais c'est un élément important et croissant du bilan global des entreprises canadiennes.

Dans ce modèle, on investit en Chine ou en Inde pour faire des affaires sur ces marchés-là. On ne peut plus rester assis à Mississauga ou à Chicoutimi en espérant vendre sur les marchés d'outre-mer. L'essentiel est de s'intégrer aux chaînes de valeur et d'atteindre les consommateurs par le truchement de ces filiales étrangères.

Le résultat de cette étude est que nous avons en réalité doublé le niveau de commerce et d'affaires du Canada avec l'Asie en ajoutant les services, en tenant compte des marchés intermédiaires et en ajoutant les ventes des filiales étrangères. Le problème est que, même si cela double le chiffre aujourd'hui, la tendance entre 2000 et 2005 a été baissière. Même si le chiffre global est plus élevé, notre part du commerce mondial sur ces marchés est en baisse. Cela concorde avec les déclarations des deux autres témoins.

Je vais en rester là pour que nous puissions tous répondre à vos questions.

Le président : Merci. Nous vous en sommes reconnaissants. J'invite les sénateurs à poser des questions concises et pertinentes. J'invite aussi les témoins à faire de même dans leurs réponses, sinon nous ne pourrons pas avoir un débat aussi fructueux que nous souhaitons.

Le sénateur Smith : J'apprécie le mot « patience ». Je suis fasciné par la Chine depuis des années et j'ai eu la chance d'y aller probablement une dizaine de fois depuis 1975, époque où, chaque jour, le garde rouge en faction à mon étage de l'hôtel arrivait comme un véritable témoin de Jéhovah avec son Petit livre rouge pour discuter de la pensée du président Mao. C'était assez surréaliste.

Je ne veux pas trop parler des possibilités économiques, car je sais qu'elles existent, étant donné l'énormité de la population, l'incroyable éthique du travail des Chinois, l'existence d'un système d'éducation relativement bon, et l'expansion des liens entre la Chine et le Canada à cause du nombre croissant de Chinois ici.

Je ne peux résister au désir de vous interroger sur ce que j'appelle les points de conflagration — et cela dira peut-être quelque chose au professeur. Je veux parler des questions dont on ne peut pas parler sans empoisonner tout le reste, ce qui n'est certainement pas mon intention. Je ne parle pas du boycott des Jeux olympiques, qui nous ramène à la notion de « patience ». Il y a certaines choses sur lesquelles il est impossible d'avoir une discussion rationnelle, comme le Tibet, Taïwan ou Falun Gong. J'habite près du consul général de Chine, à Toronto. Il y a continuellement une trentaine de personnes devant son domicile. Il y a le Darfour et le problème de la Corée du Nord.

Depuis quelques années, je vais plus souvent en Inde. Il n'y a aucun point de conflagration qui me vient à l'esprit quand je pense à des choses de même nature dont on ne pourrait pas discuter en Inde. Ce qui ne veut pas dire que je veuille aller là-bas pour discuter de ces choses-là. Je me demande quand leur intégration croissante à l'économie mondiale les aidera à comprendre que, s'ils ne peuvent pas avoir de discussions rationnelles sur ces questions, les gens se mettront à aller voir ailleurs. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Jiang : Je vous remercie de l'observation et de la question. Brièvement, je vous dirai que c'est un problème grave. Prenez le cas récent du Tibet. Les Chinois, pas seulement en Chine même mais aussi à l'étranger, et pas seulement les membres du gouvernement, sont complètement mobilisés. Ça devient très passionnel. C'est un bon exemple du dilemme posé par la Chine. Le pays avance tellement vite et arrive tellement rapidement sur la scène internationale qu'il y a beaucoup de choses auxquelles ils ne savent pas comment réagir. Ils pensaient qu'ils apprendraient mais ils n'apprennent pas assez vite. Ils ont continuellement des débats internes. Je le sais car je leur parle continuellement. Je vais en Chine six ou sept fois par an et je discute avec les décideurs, les universitaires et les gens qui rédigent les rapports internes.

Il y a un peu plus d'une semaine, Patrick Martin, qui a une chronique dans The Globe and Mail, m'a téléphoné en disant : « Pouvez-vous m'aider? Nous recevons beaucoup de plaintes sur nos articles concernant le Tibet. Pourriez-vous écrire quelque chose expliquant ce qui se passe au Tibet? »

J'ai écrit un article que je serais ravi de vous envoyer. Il y a des raisons historiques à ce qui se passe au Tibet, et nous pourrons parler ensuite de Taïwan et d'autres questions. Le Tibet, c'est un lieu géométrique de toutes les contradictions du développement moderne. C'est un dilemme et une impasse. C'est une question de souveraineté pour les deux parties. C'est une question de géopolitique. C'est une question de religion, une question de progrès économique face à une culture traditionnelle, est aussi une question de prospérité économique globale face au souci de protection de l'environnement tibétain.

Si nous nous concentrons sur la Chine face au Tibet, c'est le lieu de conflagration de beaucoup de ces éléments. Il n'y a pas de solutions parfaites mais il y a peut-être des solutions meilleures. À mesure que la Chine avance, elle ne fait rien au Tibet qu'elle ne fait pas dans le reste du pays, dans la Chine des Han. Je parle de dégradation de l'environnement et d'extraction des ressources. Je parle de main-d'œuvre bon marché. Je parle de dégâts causés aux rivières. Les Chinois ne les protègent pas comme les Tibétains.

Je pense que le dialogue est la bonne solution. Actuellement, quelle serait notre influence sur la Chine? Nos dirigeants ne parlent pas à leurs homologues chinois, ce qui n'arrange rien, à l'évidence. Ne parlons pas de l'économie. Si l'on veut intégrer la Chine — c'était votre question — à la société mondiale, il faut travailler avec les Chinois et leur dire qu'il faut faire telle ou telle chose et que nous désirons les aider.

Nous pouvons faire de grandes déclarations moralisantes sur les droits des Tibétains mais ça ne mène pas loin. Y a- t-il des programmes qui sont mis en œuvre par le gouvernement actuel pour améliorer la situation des droits de la personne, par le dialogue et par des mesures concrètes? J'espère que c'est le cas.

Le sénateur Smith : J'ai souvent pensé qu'ils sont en mesure d'agir beaucoup plus positivement en Corée du Nord. Je sais qu'ils ont fait certaines choses mais ils pourraient faire plus. Cela ne devrait en aucune façon les froisser comme ça pourrait être le cas de Falun Gong ou de Taiwan. Qu'en pensez-vous?

M. Jiang : La Corée du Nord est aujourd'hui qualifiée de « Chine comme puissance responsable ». Hier, la Chine a accueilli à Shanghai, pour la première fois, des pourparlers nucléaires sur l'Iran dans le cadre de la conférence « Cinq plus un ». Tout le monde se demande aujourd'hui si elle se prépare à réorienter son action pour faire en Iran ce qu'elle a fait en Corée du Nord. Elle a des moyens de pression. Elle a 80 à 100 milliards de dollars de contrats en Irak. Quand le Congrès des États-Unis a rejeté l'offre de rachat d'Unocal par CNOOC, après le fiasco de Noranda ici, les Chinois ont conclu qu'ils ne sont pas les bienvenus en Amérique du Nord. Ils disent qu'ils avaient tout cet argent, 18,5 milliards de dollars, qu'ils étaient prêts à investir aux États-Unis, en suivant les règles du marché, mais qu'on les a repoussés. La question est de savoir où s'en va cet argent. Il s'en va dans les régions troublées, selon beaucoup de pays occidentaux. Voilà ce qui se passe. Nous devrions travailler avec eux et les intégrer en leur laissant jouer un rôle de chef de file comme en Corée du Nord et, maintenant, en Iran. Ce serait plus utile que de dire : « Vous êtes totalement terribles pour telle ou telle raison ». Ce n'est pas tout noir ou tout blanc.

Le président : M. Clark ou M. Hodgson veulent-ils ajouter quelque chose? Très bien, nous continuons les questions.

Le sénateur Johnson : D'après vous, comment vont évoluer les activités des organismes internationaux, comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l'OMC, avec les changements de l'économie mondiale et la montée de la Chine, de l'Inde et de la Russie?

M. Hodgson : Je peux peut-être commencer car j'ai représenté le Canada au FMI pendant trois ans et demi dans les années 1980.

Une séparation est en train de se produire entre le FMI et la Banque mondiale. Si l'on décidait de créer ces organisations aujourd'hui, on ne créerait pas le FMI. Il a été créé à une époque où les taux de change étaient fixes et où il n'y avait pas de marchés de capitaux internationaux. Aujourd'hui, nous sommes dans un monde de taux de changes flottants et de marchés de capitaux internationaux ouverts et brutaux qui sanctionnent les pays n'appliquant pas de bonnes politiques.

C'est différent pour la Banque mondiale. On a toujours un besoin chronique de fonds pour le développement. Nous avons donc un FMI et une Banque mondiale mais on ne sait pas comment fermer une organisation internationale.

Il faudrait s'adapter à l'évolution et permettre aux organisations actionnaires de suivre l'évolution des relations de pouvoir dans le monde. Ce serait un point de départ. Ensuite, il s'agirait de voir comment jouer un rôle continu en termes d'approbation des bonnes politiques ou de prestation de conseils à ce sujet.

Le FMI en est conscient. Je crois que le gouvernement du Canada l'est aussi. Le fait est que le ministre des Finances Flaherty y est allé récemment. Le fait qu'il y ait un dialogue continu sur la transformation de la structure de propriété et de la structure d'influence dans ces deux organisations est une bonne chose.

Il est difficile aux pays qui sont actionnaires depuis le début — les Européens de l'Ouest et les Nord-Américains — de céder leur pouvoir mais c'est pourtant ce que nous leur demandons de faire. Manifestement, si nous voulons que la Chine, l'Inde et le Brésil soient pris au sérieux, il faudra qu'ils assument une part de la propriété de ces organisations, qu'ils exercent plus d'influence sur leur gestion et qu'ils y jouent un plus grand rôle.

Nous sommes au début du début d'un débat sur la restructuration du pouvoir et du contrôle dans des organisations comme la Banque mondiale et le FMI. Le Canada a montré qu'il est prêt à accepter cette évolution et à essayer de la guider. Tous les pays industrialisés ne sont pas aussi prêts à céder une partie de leur influence et de leur pouvoir. Les Américains jouent un rôle central dans ce domaine parce que le Congrès détient un veto sur chaque grande décision de la Banque mondiale et du FMI. En dernière analyse, c'est le Congrès qui devra décider s'il accepte cette évolution fondamentale.

M. Clark : En ce qui concerne l'OMC, l'Inde et le Brésil y sont depuis le début. L'Inde a participé à l'organisation de la ronde actuelle des négociations commerciales et les deux pays font partie du groupe directeur. La Russie finira par en faire partie. Toutefois, cela prendra un certain temps car elle n'est pas prête à payer autant que la Chine et le Vietnam l'ont fait, par exemple, pour y accéder.

La Chine avance à pas mesurés à l'OMC. Elle apprend comment ça marche. Elle agit de manière responsable et prudente mais elle commence à prendre position dans les négociations. Elle commence à dire : « Telle ou telle chose est inacceptable, nous pensons qu'il faudrait faire autrement ». Jusqu'à présent, dans le règlement des litiges, elle a été la cible. Bientôt, elle commencera à contester. Elle sera alors bien préparée, bien représentée, et elle ne soulèvera pas de questions frivoles.

Elle n'aime pas plus la manière dont le système est utilisé contre elle que les critiques dont elle fait l'objet au sujet du Tibet. Ce sont toutefois deux niveaux différents. Cela dit, elle est prête à vivre avec le système, elle passe des ententes et elle les respecte. C'est un processus qui prend beaucoup de temps mais c'est comme ça. Elle sait que c'est comme ça que se font les choses.

Pour ce qui est de l'OMC, je ne vois pas de problème à ce qu'elle existe. En fait, je pense qu'on aurait un beaucoup plus gros problème si elle n'existait pas.

Le sénateur Johnson : Exactement.

M. Jiang : Je veux ajouter une chose. L'investissement étranger des Chinois pose un problème aux institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et le FMI simplement parce que beaucoup des prêts de la Chine sont sans conditions.

Par exemple, elle investit en Afrique. Ses investissements à grande échelle sur ce continent sont souvent supérieurs aux fonds de la Banque mondiale et du FMI. Elle y est accueillie parce qu'elle ne leur dit pas quoi faire et n'impose pas de conditions touchant les droits humains, la bonne gouvernance, et cetera.

Sa position fondamentale est que ces questions relèvent des populations elles-mêmes. Beaucoup de pays africains approuvent cette attitude. Certains disent d'ailleurs : « Nous avons vécu avec les politiques du FMI pendant 20 ou 30 ans et ça n'a rien donné. Maintenant, nous avons cet argent qui va nous aider. »

Ce défi va s'amplifier. La Chine sera de plus en plus portée à contester et à dire : « Voici comment nous voulons faire », parce qu'elle aura l'argent.

Le sénateur Johnson : Qu'en est-il de nos propres politiques pour stimuler l'investissement étranger et resserrer nos liens avec la Chine comme puissance commerciale? Devrions-nous modifier nos politiques fiscales et d'immigration pour faciliter ces choses-là en ce qui concerne la Chine?

M. Jiang : En ce qui concerne l'immigration?

Le sénateur Johnson : Comment devrions-nous modifier nos politiques pour stimuler l'investissement en Chine et avoir de meilleures relations avec elle, que ce soit dans les affaires ou ailleurs?

M. Jiang : Cette année est absolument cruciale car c'est l'année où la Chine ouvre son secteur financier. Cinq ans après son entrée à l'OMC, toutes les barrières sont tombées et elle s'ouvre peu à peu. Je n'ai pas abordé cet aspect parce que j'ai envoyé à la traduction une série en trois parties que j'ai rédigée au sujet de la Chine pour la Jamestown Foundation, de Washington, D.C., et intitulée China Flexes Muscles on Wall Street. Ce sont trois études concernant la montée des fonds souverains, les prises de contrôle étrangères et ce qu'on appelle les guerres des monnaies.

Elle est en train de s'organiser. Elle est prête à faire les ajustements monétaires, elle prépare ses propres institutions financières pour les firmes d'investissement étrangères — les banques et les compagnies d'assurances, y compris canadiennes — qui arrivent en Chine. Elle est prête à se réformer pour être compétitive face à ce qu'elle appelle l'assaut des grandes firmes d'investissement internationales en Chine continentale. Voilà ce qui va se produire dans les prochaines années. C'est un aspect important de la question.

Le sénateur Downe : Dans votre exposé, vous avez parlé d'irritants politiques entre la Chine et le Canada. Vous avez dit aussi que, quand les Australiens vont en Chine, ils expriment leurs préoccupations mais ça ne les empêche pas de faire des affaires.

Que pourriez-vous recommander au Canada pour sortir du problème que nous semblons avoir actuellement avec la Chine?

M. Jiang : L'Institut de la Chine, de l'Université de l'Alberta, a organisé en janvier une conférence à huis clos selon ce qu'on appelle les « Chatham House rules ». Il y avait plus d'une quarantaine d'experts du monde universitaire, de la bureaucratie d'Ottawa, du secteur privé et du gouvernement provincial. Le débat a duré toute la journée et nous avons ensuite formulé certaines recommandations. Le rapport doit bientôt sortir et nous vous le communiquerons avec plaisir.

En résumé, ce qui est important à l'heure actuelle, c'est d'essayer de resserrer nos liens avec les Chinois tout en préservant nos principes canadiens.

J'ai discuté avec des diplomates chinois de haut rang ici, au Canada, et ils sont en attente. Ils disent que tout est sur la table. Si le premier ministre attend pour se rendre en Chine, ils seront prêts à bouger. Bien sûr, ils aimeraient que la température baisse au sujet du dalaï-lama car ils estiment que toute la publicité qui lui est accordée les insulte. C'est une question de plus en plus passionnelle. Néanmoins, nous constatons que d'autres chefs d'État sont allés en Chine et ont soulevé les questions des droits de l'homme et du Tibet, et que les Chinois disent clairement qu'ils n'ont pas d'objection.

Voyez les critiques qui ont été récemment formulées au sujet de la visite en Chine de la ministre de l'Ontario et du maire de Toronto, quand on a dit qu'on ne pouvait pas soulever ces questions et qu'on s'est demandé s'il fallait le faire ou non. Cela n'a aucune importance pour les Chinois. Leur réponse, c'est : « Si vous voulez soulever ces questions, avez-vous un mécanisme? Nous sommes prêts à vous parler. »

Je dois aller à Beijing le mois prochain pour parler des droits humains dans le cadre d'un projet entre l'Université d'Ottawa et l'Université de Pékin. Nous n'avons pas fait ça depuis le milieu des années 1990. Cela avait commencé avec le premier projet sur les droits de la personne financé par l'ACDI.

Les Chinois ne disent pas qu'ils ne veulent pas en parler. Ils veulent en parler. Nous voyons aujourd'hui que ces formules ne sont pas efficaces. De ce fait, le gouvernement conservateur a fermé la porte et a mis fin au dialogue annuel sur les droits de la personne qui avait commencé avec les Libéraux. En tant qu'universitaire sans allégeance politique, je dis : « Très bien, remplacez ça par quelque chose d'efficace ». Nous voulons tous participer d'une manière ou d'une autre. Faites-le avec les ONG. Si ça ne marche pas de gouvernement à gouvernement, laissez les ONG, le secteur privé et d'autres s'en occuper. Les Chinois disent que nous sommes les bienvenus mais nous n'avons pris aucune initiative. La première initiative doit venir du premier ministre en se rendant sur place pour parler de nos problèmes. Les Chinois, selon leur ambassadeur, sont prêts à parler.

Nous devons prendre cette initiative. Même si certains des sujets sont désagréables, nous devons les soulever. Cela nous apporte beaucoup en tant que Canadiens. Nous avons des valeurs, ce dont nous avons parlé tout à l'heure, mais nous ne les défendons pas si ce n'est en faisant de temps à autre des déclarations aux niveaux plus élevés.

Un autre problème concerne cette antinomie entre le commerce et les droits humains. Il n'y a pas d'antinomie. L'un ne se fait pas aux dépens de l'autre. Il faut les deux. Voilà pourquoi je dis que nous avons besoin d'une stratégie sur la Chine. Nous devons travailler avec les groupes d'études et faire avancer le dossier. Toutefois, il faut absolument un leadership au niveau le plus élevé.

Le sénateur Downe : Je suis d'accord avec vous. Il y a manifestement un problème de fond dans la relation. Nous n'avons pas réglé la situation avec le tourisme après des années de négociations.

Le gouvernement chinois est à l'évidence très poli. Il participe aux discussions mais il ne fait pas avancer certains dossiers. Selon vous, cela doit venir directement du premier ministre et doit se faire en Chine même plutôt qu'au moyen de commentaires adressés à la Chine à partir d'ici.

M. Jiang : Je pense que la Chine est prête depuis longtemps mais qu'on a eu l'impression que des criminels financiers sont venus au Canada. La première ligne de défense est que la Chine transgresse les droits humains et qu'on ne peut pas faire confiance à son gouvernement. L'avocat ne s'est même pas encore penché sur le dossier mais nous avons déjà avancé cet argument. Après ça, plus rien ne bouge.

C'est un obstacle considérable dans bien des cas. C'est manifestement un obstacle mais on pourrait l'éliminer. Pour cela, il faut un engagement au niveau le plus élevé. C'est ce qu'ils attendent. Pour eux, c'est donnant-donnant.

Aujourd'hui, le gouvernement chinois est très pragmatique. Il regarde le Canada et la base globale. Personnellement, je pense qu'elle est très bonne.

J'ai été élevé en Chine continentale, dont je suis parti en 1984. Dans les années 1960, quand il y avait la famine, tout le monde était au courant de l'histoire du blé canadien et tout le monde s'en souvient. C'est une très belle histoire. Tout le monde connaissait Norman Bethune. La base est toujours solide.

Il y a des débats entre les universitaires et d'autres. D'aucuns disent que nous avons perdu notre influence sur la Chine parce que nous avons mal fait pendant les 40 dernières années. Ils disent que ça a commencé avec le premier ministre Pierre Elliott Trudeau qui n'aurait jamais dû reconnaître cet État voyou en 1974. Moi, j'affirme que nous avons perdu notre influence parce que nous nous sommes coupés de la Chine. Nous ne pourrons jamais apporter de changements notables en Chine même mais nous pouvons dialoguer avec elle et nous assurer que notre influence débouche sur un appui aux forces progressistes qui y existent pour favoriser une autre orientation plus ouverte et plus réformiste. Voilà pourquoi je regrette beaucoup que nous n'exercions pas notre influence dans ce contexte.

M. Hodgson : Nos recherches en politique étrangère confirment largement ce que dit M. Jiang. On parle beaucoup de rétablir l'équilibre. Nous comprenons tous que l'Amérique reste la priorité no 1 mais la Chine devrait être la priorité no 1(a). Il est crucial d'avoir une relation active avec la Chine. Nous aussi avons mis en œuvre des projets financés par l'ACDI en Chine pour essayer d'apprendre aux bureaucrates comment élaborer de bonnes politiques et comment faire de la planification économique et de la prévision économique. Nous devons retourner à l'époque où nous cherchions tous les moyens possibles d'avoir une relation active avec les Chinois.

On peut dire à ses amis des choses qu'on ne peut pas dire à ses ennemis, et on peut être plus franc avec les pays avec lesquels on a un dialogue continu quand on veut parler de droits humains, de démocratisation ou du défi actuel posé à la Chine par la montée de l'inflation. Pour moi, qui suis un économiste, la plus grosse menace dans l'immédiat est que l'inflation atteigne 7 ou 8 p. 100 et que les paysans commencent à se rebeller parce qu'ils sont laissés sur le carreau. Voilà une chose qu'on peut dire à quelqu'un avec qui on a une relation soutenue mais pas à quelqu'un avec qui on a une relation antagoniste.

Le président : Je voudrais parler de la concurrence avec la Chine, notamment dans le secteur de la fabrication. Nous avons entendu dire que ce n'est pas seulement une question de main-d'œuvre bon marché mais aussi d'absence de normes environnementales, d'absence de normes réglementaires, d'absence de règle de droit et d'absence de syndicats. Certains se demandent comment on peut faire concurrence avec un État de cette nature puisqu'on démarre avec un désavantage énorme, qui rend notre production beaucoup plus coûteuse.

M. Clark : La situation concernant l'environnement change rapidement. L'agence de protection de l'environnement est devenue un ministère à part entière. Il y a de nouvelles lois et de nouveaux règlements.

La Chine est le plus gros utilisateur d'énergie et elle a besoin de bien la gérer. Elle a besoin de bien gérer ses ressources naturelles. Elle doit avoir une économie propre. Elle a adopté diverses politiques destinées à éliminer les industries très polluantes, pour s'assurer que sa production est plus efficiente sur le plan énergétique et plus propre.

L'an dernier, par exemple, elle a éliminé 50 millions de tonnes de capacité de fonderie qui étaient désuètes et dépassées, ce qui représente environ 10 p. 100 du total. Elle a adopté des règles sur les nouveaux investissements pour empêcher l'utilisation de technologies désuètes. Dans divers secteurs, comme la chimie, elle a adopté des politiques de réduction de la pollution et des émissions, et de bonne gestion des ressources. Les salaires augmentent. Nous avons des clients qui importent de Chine et qui constatent que les prix ont augmenté, à cause de la hausse des salaires, et qu'ils ne sont plus concurrentiels.

Les entreprises déménagent du Sud vers le Nord parce que les facteurs de compétitivité sont en train de changer en Chine.

Nous avons importé pour environ 500 millions de dollars de pièces automobiles de Chine et en avons exporté pour environ 300 millions de dollars. C'est un commerce qui va dans les deux sens.

Les chaînes de valeur sont importantes, leur structuration est importante, et forger des relations est important.

Les choses changent en Chine. Les Chinois ne sont pas heureux de la pollution. Ils veulent un environnement propre. Ils protestent contre les sociétés de produits chimiques qui polluent les cours d'eau et les lacs. Eux aussi réclament de la dépollution. Ça ne peut pas se faire du jour au lendemain mais ça a commencé et les Chinois prennent ça au sérieux.

Ils ont adopté des mesures pour lutter contre le réchauffement planétaire. Ils se sont fixé des objectifs beaucoup plus exigeants que ceux que le président Bush a annoncés aujourd'hui. Il a dit qu'il veut que les États-Unis arrivent à ne plus augmenter leurs émissions à partir de 2025.

M. Hodgson : Je pense que M. Clark a raison de dire qu'il y a une évolution. Tout d'abord, toute société investissant en Chine pour essayer de profiter de normes moins exigeantes court un risque énorme sur le plan de son modèle économique et de sa réputation. Nous avons vu beaucoup d'entreprises qui ont essayé de profiter de normes moins rigoureuses en matière de main-d'œuvre et qui se sont fait massacrer dans la presse occidentale. Souvenez-vous de Nike, par exemple. Très franchement, c'est stupide sur le plan des affaires. Je pense que la bonne chose à faire dans ce domaine est d'exporter la pratique nord-américaine.

On le voit dans le secteur des mines et dans celui de la fabrication. Ces entreprises ont compris que c'est un risque important pour l'avenir.

Deuxièmement, on fait grand cas aujourd'hui d'égaliser les règles du jeu pour tout le monde sur le plan du changement climatique et des taxes vertes. La Colombie-Britannique vient d'imposer des taxes vertes et je m'attends à ce que le prochain gouvernement américain fasse de même. On entend parler aussi de droits de douane verts, c'est-à- dire d'imposer une taxe à l'importation des choses en provenance de Chine et d'autres pays qui n'adhéreraient pas à certains accords futurs. Nous essayons donc déjà d'égaliser les règles du jeu pour tout le monde mais je dois dire que j'attache encore plus de prix à la réputation. Si je devais conseiller une entreprise, je lui dirais d'appliquer là-bas les mêmes normes qu'au Canada.

Le sénateur Peterson : Vous avez dit que le gouvernement chinois a acheté la majeure partie de la dette américaine. J'ai lu récemment qu'il la revend et achète des Euros. Cela pourrait-il avoir des conséquences pour l'Amérique du Nord?

M. Hodgson : Tout d'abord, il n'a pas acheté la majeure partie de cette dette mais il en a une grosse partie, tout comme les Japonais, et de plus en plus de fonds souverains sont maintenant des sources de placement dans les Bons du Trésor américains. La conséquence est évidente. Si les gouvernements étrangers et leurs agents n'achètent plus de titres américains, cela exercera une pression à la hausse sur les taux d'intérêt à long terme aux États-Unis. En fait, cela revient à céder le contrôle de l'économie américaine à ces investisseurs. La raison pour laquelle j'ai parlé de déséquilibres mondiaux et du fait que les États-Unis ont eu des déficits structurels tellement énormes est que les détenteurs de Bons du Trésor, un jour ou l'autre, détiendront tout le contrôle, ce qui représente un risque pour les États-Unis.

Les États-Unis sont dans une situation beaucoup plus grave à court terme avec les hypothèques à risque, mais ses déséquilibres structurels restent là. Le Japon, la Chine et les autres détenteurs de Bons du Trésor pourront exercer beaucoup d'influence sur la politique économique américaine à l'avenir.

Le sénateur Peterson : Pensez-vous que la valeur de la monnaie chinoise soit correcte par rapport aux autres devises?

M. Hodgson : Étant donné qu'elle est liée à un panier de devises, il est difficile d'en trouver le prix exact. Il est intéressant de voir qu'elle a finalement franchi la barre des 7 yuans pour un dollar et qu'elle se situe aujourd'hui à 6,90 ou 6,95, ce qui veut dire qu'elle évolue dans le bon sens. À long terme, je pense qu'un taux de change de l'ordre de quatre pour un, et peut-être même moins, refléterait mieux la réalité que le taux historique de huit pour un.

Je suis heureux que le professeur Jiang ait parlé de parité du pouvoir d'achat comme facteur de comparaison. Selon ce critère, la part de la Chine dans le monde passe de 5 p. 100 à quelque chose comme 15 p. 100. Cela permet de penser que trois ou quatre pour un est probablement le taux de change plus exact à long terme.

M. Jiang : Permettez-moi d'ajouter une remarque sur la monnaie. Il y a un débat interne en Chine à ce sujet. Je participais à une conférence là-bas il y a deux semaines où les chercheurs de l'académie chinoise des sciences sociales ont présenté de nouvelles données. Ils ne savent pas quoi faire de cette somme de 1,37 billion de dollars. Plus ils achètent de bons du Trésor américain, plus ils perdent d'argent à cause de la dévalorisation du dollar américain. Toutefois, ils ne peuvent pas arrêter d'en acheter car, sinon, où pourraient-ils placer cet argent?

Les fonds souverains de la China Investment Corporation, CIC, qui est une société d'État établie, ont investi 3 milliards de dollars dans Blackstone et ont vu cette somme fondre de 50 p. 100 en quelques mois. Ils ne savent pas quoi faire quand ils sont confrontés à des pressions internes. Le problème, c'est qu'ils ont trop d'argent. Ils ont suivi un paradigme mercantiliste traditionnel en accumulant tout cet excédent de devises. Ils n'ont pas d'autre solution. Ils ne devraient pas acheter mais ils ne peuvent pas ne pas acheter. C'est un cercle vicieux. Cela dit, s'ils veulent réduire leurs pressions inflationnistes intérieures, la seule solution sera de laisser monter la valeur de leur monnaie par rapport au dollar américain.

Le président : Merci de cette explication.

Le sénateur Corbin : J'apprécie beaucoup ce que nous ont dit les témoins d'aujourd'hui et je lirai avec intérêt la documentation remise au comité.

J'ai deux questions à poser. Elles révéleront mon ignorance mais j'aimerais être éclairé sur les faits. Quand une société chinoise a tenté de prendre le contrôle d'une société pétrolière canadienne, c'était bien il y a un an ou deux, n'est-ce pas? C'est un fait établi? Pouvez-vous nous en parler? Pouvez-vous nous dire si c'était une bonne ou une mauvaise chose de la part du Canada?

M. Jiang : Je ne me souviens pas que nous ayons effectivement bloqué l'achat d'une société pétrolière. C'était Noranda, une grande société minière du Canada, de niveau mondial, qui était rachetée par China Minmetals, la plus grande société de métaux chinoise. C'était à l'automne de 2004 ou au début de 2005. La transaction a échoué non pas à cause de mesures politiques prises au Canada mais pour d'autres raisons. À ce moment-là, au Canada, il y avait un discours national négatif contre cette transaction parce qu'on se demandait si cela risquait de nuire à la souveraineté du Canada. Cependant, la transaction ne s'est pas faite pour des raisons essentiellement commerciales. C'était d'ailleurs un débat miniature par rapport à celui qui s'était engagé quand la société pétrolière nationale de la Chine, CNOOC, avait tenté de prendre le contrôle d'Unocal, la neuvième société d'énergie aux États-Unis, à l'automne de 2005. Depuis lors, nous n'avons eu que des problèmes d'investissement, pas de prises de contrôle.

La plus grosse transaction a été le rachat des 4 milliards d'actifs de PetroKazakhstan, une société canadienne de Calgary dont les actifs se trouvaient tous au Kazakhstan.

Le sénateur Corbin : J'avais ça quelque part dans mes souvenirs. Je vous remercie de ces précisions.

Le budget de la défense de la Chine représente quelle proportion de l'économie nationale?

M. Jiang : Si je me souviens bien, les Chinois consacrent environ 2 à 3 p. 100 de leur PIB annuel à la défense. La proportion a augmenté de 15 à 17 p. 100 au cours des 20 dernières années. Cela représente un peu plus de 35 milliards de dollars par an, mais cette somme ne comprend pas tous les coûts. Selon les estimations d'observateurs internationaux et des États-Unis, le total est probablement deux à trois fois plus élevé que le budget officiel, voire plus. Les Chinois affirment que c'est quelque chose de l'ordre de 30 à 50 milliards de dollars, mais qu'en est-il aux États- Unis? C'est plus de 500 milliards, n'est-ce pas? C'est à peu près le volume total du reste du monde, tous pays compris. Cela dit, d'aucuns affirment que le budget de la défense chinois est peut-être aussi élevé que 120 milliards de dollars si l'on inclut toutes les dépenses de R-D, le programme spatial et le programme nucléaire, qui n'émargent pas au budget de la défense. Je peux me tromper, auquel cas on me corrigera.

Le sénateur Corbin : Les Chinois se servent-ils des produits de la défense pour faciliter leurs négociations commerciales avec les pays en développement, en Afrique par exemple? Le savez-vous?

M. Jiang : Prenons seulement le cas de l'Afrique. Pour l'Afrique, les ventes d'armes ne sont pas primordiales car la plupart de l'investissement chinois sur ce continent, 71 p. 100 pour être précis, se fait dans le secteur de l'énergie. Le reste se fait dans les autres ressources naturelles. La Chine offre ce que les observateurs internationaux appellent des paniers de solutions, c'est-à-dire pas seulement l'exploitation des champs pétroliers et la mise en valeur des ressources mais aussi la construction d'infrastructures, comme des écoles, les services de médecins et d'autres formes d'aide au développement. Elle estime qu'une relation plus exhaustive facilite l'extraction des ressources locales.

Si vous examinez les exportations d'armes, par exemple, on reproche à la Chine d'exporter des armes au Soudan. C'est le principal partenaire commercial du Soudan. Toutefois, la Russie et beaucoup d'autres pays exportent beaucoup plus d'armes au Soudan. Globalement, à l'échelle internationale, la Chine est un plus petit joueur, dans le secteur de l'armement, que les États-Unis, la France, Israël et la Russie.

Donc, pour répondre à votre question, oui, la Chine offre des incitatifs mais pas par des ventes d'armes. Je n'ai jamais entendu parler de conditions préalables parce que les soi-disant prêts et investissements de la Chine sont officiellement « anti ». Évidemment, c'est ce qu'elle dit, mais il y a toujours des modalités implicites dans ce domaine, comme l'exploitation des champs pétroliers et d'autres choses.

Le président : Je faisais remarquer à notre recherchiste que nous n'avons parlé que de la Chine, ce soir, mais c'est compréhensible. Nous pourrons parler de la Russie et de l'Inde une autre fois.

Le sénateur Corbin : Il y a beaucoup de choses à lire.

Le président : Oui, et nous nous en excusons. Nous n'avons pas obtenu les documents à temps pour les faire traduire et la règle veut que rien ne soit distribué si ce n'est pas dans les deux langues officielles. Nous vous enverrons la documentation dès que possible.

Le sénateur Stollery : Je veux parler de la Russie mais, auparavant, je tiens à remercier nos témoins qui nous ont dit des choses extrêmement intéressantes.

Ma première question fait suite à la conversation sur les réserves chinoises, ce fabuleux trésor de 1,6 billion de dollars. J'ai entendu à l'OCDE un chiffre qui comprenait — et personne ne sait combien ça représente — les sommes détenues par les particuliers. Votre chiffre correspond aux réserves de l'État mais je me suis laissé dire qu'il y a aussi beaucoup d'argent sous les matelas — c'est l'expression qu'employaient mes interlocuteurs — parce que le système bancaire n'est pas bien organisé. Toutefois, le montant est difficile à obtenir. D'aucuns pensent qu'il y a peut-être autant d'argent détenu en privé dans le système bancaire occidental de Hong Kong et sous les matelas. Personne ne le sait vraiment.

Toutefois, ma question concerne la Russie. Je ne sais pas si je suis le seul à avoir lu l'article du Financial Times d'hier sur le fait que la production pétrolière russe aurait atteint son maximum. Je pense que c'est arrivé il y a deux ou trois ans. Aujourd'hui, la plus grande société pétrolière russe privée soutient que la production russe va commencer à décliner, comme cela arrive dans d'autres champs pétroliers. Je me suis dit que c'était extrêmement important car les champs pétroliers s'épuisent.

Cela ne devrait-il pas nous préoccuper? La Russie a toutes sortes de litiges sur les pipelines et leur cheminement. Il est difficile de suivre si on n'est pas spécialisé. Que va-t-il se passer dans cette économie massive et cette expansion massive — une expansion avec des stéroïdes, comme disait M. Jiang — qui dépend tellement de l'énergie? Que va-t-il arriver quand l'énergie va commencer à s'épuiser?

Je me trompe peut-être mais je pensais que la Russie était la plus grosse source de produits pétroliers de la Chine. Je ne sais pas s'il y a un pipeline partant du Kazakhstan. Y a-t-il un pipeline entre le Kazakhstan et la Chine ou le pétrole passe-t-il par le réseau de pipelines russe?

M. Jiang : Le premier pipeline du Kazakhstan pour exporter du pétrole au-delà des anciennes républiques soviétiques a été construit il y a deux ans vers la Chine.

Le sénateur Stollery : Je vois. Toutefois, la Russie est le huitième plus grand producteur pétrolier au monde, ou le deuxième selon la source qu'on utilise, et c'est le premier producteur de gaz naturel. Que va-t-il se passer et que pensent les Chinois de la perspective d'épuisement de ses champs pétroliers?

M. Hodgson : Il semble que je sois l'économiste de service.

Je pense que vous venez précisément d'expliquer, en juxtaposant la Russie et la Chine, pourquoi le pétrole est à 115 dollars américains le baril aujourd'hui. Nous sommes entrés dans une phase, mondialement, où il n'y a pas de réserves pétrolières faciles à exploiter et politiquement sûres, à part les sables bitumineux du nord de l'Alberta. On ne cesse de le répéter.

On entend toutes sortes d'histoires au sujet du Venezuela, où Petróleos de Venezuela est un monopole d'État qui n'est pas très efficace sur le plan de l'extraction secondaire et tertiaire. Le pétrole devient difficile à trouver. C'est toujours dans des endroits politiquement incertains.

Nous avons exploré tout ce qui pouvait l'être dans la mer du Nord et en Alaska. Les réserves canadiennes de pétrole conventionnel diminuent également chaque année et nous commençons à les remplacer par les sables bitumineux. C'est un phénomène mondial. Il se trouve que la Chine est la raison pour laquelle le prix se situe maintenant à 115 $ le baril, parce qu'elle ajoute continuellement entre 6 et 8 p. 100 de croissance annuelle à la demande mondiale.

Le sénateur Stollery : Où cela va-t-il nous mener?

M. Hodgson : Ça ne se reflète pas dans les prix réels que payent les consommateurs chinois. En fait, c'est ajouté à la facture de subventionnement du gouvernement chinois.

M. Jiang : Les Chinois ont une stratégie énergétique globale appelée « pipelines du Nord, navires pétroliers du Sud ». Afin de réduire leur dépendance envers les voies maritimes, qu'ils estiment vulnérables, ils ont forgé une vaste relation avec le Kazakhstan au cours des cinq dernières années. Ils ont de larges actifs et des opérations dans ce pays et sont en train de faire la même chose dans toutes les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale.

Toutefois, les choses avancent très lentement avec la Russie. Dans le nord, ils négocient un pipeline sous-marin avec la Russie depuis de longues années. La Russie joue la Chine contre le Japon pour savoir si le pipeline ira au Japon par Hokkaïdo ou en Chine. Elle n'a toujours pas décidé.

Cela dit, les Chinois sont très pragmatiques. Ils disent qu'ils ont négocié un pipeline parce que c'est le meilleur moyen d'acheminer plus de pétrole. Ils ont offert à la Russie de l'aider à améliorer son réseau ferroviaire de l'Extrême- Orient jusqu'à la Chine, sans qu'elle ait quoi que ce soit à payer. La contrepartie serait le transport du pétrole vers la Chine. Les Chinois font ça depuis quatre ou cinq ans. J'ai discuté avec des gens qui s'en occupent.

Pour en revenir aux approvisionnements mondiaux de pétrole, la théorie du pic du pétrole n'est pas récente. Globalement, la Russie est le troisième plus gros producteur d'énergie et le premier producteur de gaz. Pour le pétrole, il y a deux écoles de pensée. Les uns disent que nous avons atteint le pic du pétrole; les autres soutiennent qu'il y a encore des champs pétroliers à découvrir grâce à la technologie.

Le vrai problème n'est pas de savoir quand on aura atteint le pic du pétrole mais plutôt que les coûts mondiaux d'exploitation du pétrole et du gaz naturel sont en train d'exploser. Par rapport à il y a trois ans, l'exploitation en amont coûte 70 à 80 p. 100 plus cher, et c'est encore pire en aval. Donc, nous n'avons peut-être pas atteint le pic du pétrole et l'épuisement n'a peut-être pas encore commencé mais il est certain que l'ère du pétrole bon marché est terminée et que nous sommes entrés dans l'ère du pétrole cher. C'est la situation aujourd'hui.

Le sénateur De Bané : Comme nous avons très peu de temps, j'aimerais poser une question à chacun des trois témoins et chacun pourra prendre une minute pour répondre.

Monsieur Hodgson, j'aimerais beaucoup avoir cette étude de 60 pages que vous avez préparée. Comment pensez- vous qu'il faudrait modifier les institutions financières internationales, comme le FMI, pour tenir compte de ces nouvelles puissances émergentes?

Monsieur Jiang, je vous remercie de votre article sur le Tibet. Vous m'avez ouvert les yeux sur les raisons pour lesquelles la diaspora mondiale est absolument derrière le gouvernement à ce sujet. J'ai beaucoup appris en lisant votre article. Pourriez-vous me dire en quelques mots quelle devrait être la position du gouvernement fédéral sur la question des sociétés d'État chinoises achetant des sociétés canadiennes?

Monsieur Clark, j'ai lu votre CV, qui est phénoménal. Je vous remercie de ce que vous faites avec les organismes caritatifs, notamment pour les enfants en maladie terminale. C'est tout à fait remarquable. Comme vous êtes l'un de nos principaux experts sur le commerce, dans quelle mesure le Canada devrait-il envisager de modifier certains de ses recours commerciaux, comme les droits compensatoires ou les mesures antidumping, du fait de ces pays émergents? Quand j'étais jeune, l'Asie ne nous faisait pas concurrence. On en riait, tout comme on riait du Japon. Aujourd'hui, ce n'est plus la même chose. Peut-on y faire quoi que ce soit? Quand nous sommes allés au Mexique, pour le 10e anniversaire de l'ALENA, les Mexicains nous ont dit qu'ils étaient tellement heureux de voir toutes ces grandes sociétés de fabrication américaines s'installer chez eux, grâce à l'ALENA, mais elles sont maintenant parties en Chine.

M. Hodgson : Je ferai une distinction entre la question de la propriété et du contrôle et celle des pouvoirs des institutions internationales. Nous sommes au début d'une évolution avec les pays émergents, que ce soit la Chine, l'Inde ou la Russie, qui s'attendent à exercer plus d'influence sur la gouvernance de ces organisations, que ce soit comme actionnaires ou au sein de leurs conseils de décision. Je crois vraiment que la tribune la plus importante pour les marchés émergents sera l'OMC car leur objectif sera de s'assurer que les règles du commerce mettent tout le monde sur un pied d'égalité. À mon avis, le FMI est une organisation qui a été créée à une autre époque et qui se cherche une raison d'être. La Banque mondiale reste pertinente mais ce sont en réalité les pays riches qui lui donnent le capital nécessaire pour accorder des prêts de faveur.

M. Jiang : Je pense qu'il faut examiner ce que font les autres pays avec la Chine, et même nos propres provinces. Les Australiens et les sociétés européennes, avec certaines réserves européennes du côté continental, mais la Grande- Bretagne et le Japon disent qu'ils veulent des investissements chinois, et le fait qu'il s'agisse d'investissements privés ou publics leur importe peu. Les fonds souverains sont les bienvenus. Ils en ont besoin pour stimuler leurs propres marchés et leur emploi. Ces pays ont étudié attentivement la Chine, surtout le Japon. Ils ont compris. Ils ne pensent pas que les Chinois puissent prendre le contrôle de leur économie, loin de là. C'est leur conclusion. Par contre, ils peuvent aider en préservant et en créant des emplois, de la valeur ajoutée, et cetera. Nos gouvernements provinciaux, surtout de l'Ouest, et tous les représentants et législateurs des États américains ont dit très franchement aux Chinois : « Nous ne partageons pas l'opinion du gouvernement fédéral. Nous sommes favorables à l'investissement chinois, qu'il soit privé ou public. » Ils ont fait des études poussées, ils ont consulté des gens sur le terrain, en Chine, et ils ont conclu que notre cadre réglementaire actuel est adéquat pour permettre à n'importe quel type d'entreprise chinoise d'investir dans notre économie. C'est ce que nous pensons aussi et que pensent bien d'autres pays.

Pour ce qui est des Chinois, ils ont bien appris les leçons de Noranda et d'Unocal. J'en parle dans l'un des trois articles. Ils ont appris qu'il ne faut pas être agressif, qu'il faut être discret, qu'il faut seulement prendre des participations minoritaires et agir lentement. Quand ils prennent le contrôle d'une entreprise ou achètent ses actions, ils s'associent à une entreprise locale, comme aux États-Unis. C'est l'approche qu'ils ont adoptée. Ils veulent faire des profits. Ils veulent participer au capital-actions et à la production. Pour tout ce que produit le marché, avec la montée des ressources énergétiques et des prix, ils peuvent faire des profits. Si vous examinez les marges et le pourcentage de pétrole produit par les sociétés chinoises dans le monde, ils en renvoient très peu en Chine. Ils vendent simplement sur les marchés mondiaux. Nous n'avons pas à craindre que le gouvernement fédéral leur dise de venir parce que nous devrions avoir confiance dans notre cadre de réglementation.

M. Clark : Merci beaucoup, sénateur, de vos bonnes paroles. Nos lois sur les recours commerciaux sont aussi efficaces que n'importe lesquelles au monde. Le gouvernement chinois aimerait que le Canada, comme 70 autres pays l'ont fait, reconnaisse, sur la question du dumping, que la Chine a une économie de marché. Il y a une certaine réticence à ce sujet au sein du gouvernement et il ne l'a pas fait. Toutefois, les lois canadiennes sont aussi efficaces que les lois américaines.

En ce qui concerne les droits compensatoires, la Chine a passé un accord avec les États-Unis en novembre dernier pour éliminer un certain nombre de subventions, ce qu'elle est en train de faire et qui réduit donc le risque de recours à ces droits. Dans la plupart des cas, si vous examinez les subventions chinoises, vous constatez qu'il s'agit de très petites sommes parce qu'il n'y en a pas assez pour donner beaucoup à toutes les entreprises qui existent là-bas et avoir un gros impact. Les lois sur le commerce ont été assez efficaces en ce qui concerne l'acier et elles sont aussi efficaces que celles de n'importe quel pays. Dans d'autres secteurs, comme la chaussure, les bicyclettes et les meubles, elles ne sont pas aussi efficaces parce qu'il n'y a pas vraiment d'intervention de l'État dans ces industries.

Le président : J'ai été frappé par une remarque de M. Clark qui disait qu'à Beijing, ou peut-être ailleurs en Chine, nous voulons simplement rattraper rapidement les États-Unis. C'est vrai?

M. Clark : Ce n'est pas tant les États-Unis que la France, l'Allemagne, la Nouvelle-Zélande dans certains secteurs et l'Australie. Ils développent réellement ces marchés et ils développent l'ANASE. Nous sommes beaucoup trop lents dans notre action et dans la négociation d'accords commerciaux avec l'ANASE, avec l'Asie et avec la Chine, pour entrer dans la chaîne de valeur. Il faut aller mais aussi revenir, monsieur le président.

Le président : Je me demandais si ces jeunes Chinois faisaient seulement référence au succès économique ou s'ils tiennent compte aussi de choses telles que les lois sur la main-d'œuvre, la liberté religieuse, la société civile, la règle de droit, et cetera. Connaissent-ils tout cela? Veulent-ils aussi connaître les autres choses qui viennent de France, d'Allemagne, des États-Unis et du reste du monde?

M. Clark : Ils voient essentiellement les choses du point de vue du consommateur. Je n'ai pas parlé de religion avec eux. Je n'ai pas tardé à apprendre qu'on n'est pas censé en parler en bonne compagnie et je n'ai donc pas discuté de religion avec eux.

En ce qui concerne les lois et les libertés, je ne me sens pas personnellement terriblement opprimé quand je suis en Chine, et j'y vais souvent. Il peut y avoir des situations où les Chinois ont le sentiment de ne pas être aussi libres qu'ils pourraient l'être mais j'ai certainement l'impression qu'ils se sentent plus libres qu'ils l'étaient. J'ai travaillé avec des avocats chinois qui ont des cabinets très compétents. Ils s'intéressent continuellement aux autres juridictions pour développer leurs propres lois et règlements. Nous travaillons beaucoup avec Hong Kong, la région administrative de la Chine. Nous donnons toutes sortes d'informations sur tout ce qui est canadien en termes de système réglementaire et de code de la construction. Leur appétit d'information est insatiable.

Le président : Je ne voulais pas susciter de controverses. Je m'intéresse sincèrement à l'évolution de la société chinoise. L'emprisonnement d'un dissident n'est pas acceptable dans notre société. Est-ce quelque chose que les masses chinoises, notamment les jeunes ayant fait des études, regardent en se disant que c'est l'une des choses pour lesquelles ils aimeraient être comme d'autres parties du monde?

M. Clark : Quand je ne suis pas d'accord sur une question avec les jeunes du gouvernement, quand je parle à leurs collègues, ils disent : « Ce n'est pas qu'ils ne sont pas d'accord avec vous, c'est qu'il ne serait pas politiquement habile de l'être ».

Le président : Merci de ces précisions. Messieurs, vous nous avez donné beaucoup d'informations. Vos exposés étaient exceptionnels, comme mes collègues vous l'ont dit. Je peux vous assurer que vos remarques trouveront un écho dans nos rapports, et j'espère qu'ils seront positifs. Merci d'être venus.

La séance est levée.


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