Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 6 - Témoignages du 3 juin 2008
OTTAWA, le mardi 3 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (l'entrée en vigueur des articles 110, 111 et 171), se réunit aujourd'hui à 15 h 33 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit pour étudier le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (entrée en vigueur des articles 110, 111 et 171).
L'honorable Joe Volpe, anciennement ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, est parmi nous cet après-midi. Monsieur Volpe, merci d'être venu témoigner devant le comité. Nous avons entendu dire qu'être ministre de l'Immigration n'est pas une mince tâche. C'est un poste assorti de beaucoup de responsabilités et les problèmes sont nombreux. Nous sommes heureux de vous avoir avec nous aujourd'hui pour nous fournir des renseignements sur ce projet de loi.
Je ne sais pas si vous voulez faire un exposé préliminaire. Si c'est le cas, je vous cède la parole. Je demanderai ensuite aux sénateurs de poser leurs questions. Bienvenue au Sénat.
L'honorable Joe Volpe, C.P., député, anciennement ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, à titre personnel : Merci pour cette présentation. Vous avez raison : le poste de ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est peut- être le plus exigeant du Cabinet. C'est aussi un excellent poste, car le travail est stimulant et satisfaisant pour ceux qui croient que le gouvernement sert un objectif plus vaste que la gestion quotidienne de certains dossiers. Je me suis retrouvé à diriger un portefeuille très dynamique. Je veux dire par là que le ministère était prêt à changer et qu'il se préparait à relever les défis à venir en matière de démographie.
[Français]
Je peux continuer en français parce que je n'ai rien par écrit. Je voudrais simplement vous indiquer mes positions dans le passé et ma position actuelle en tant qu'individu.
Donc, si vous le permettez, je vais vous énoncer et élaborer, en peu de mots, les raisons qui soutenaient ma position et qui n'ont pas du tout changé.
[Traduction]
Lorsque j'étais ministre, le projet de loi C-280 était principalement axé sur la SAR. Je considérais que ça faisait partie d'une approche globale au niveau du ministre, dans mon cas, et du ministère, dans le cas de quelqu'un d'autre, pour agir sur les enjeux démographiques du Canada. Il ne fallait pas l'isoler du reste, bien que nous ayons tendance à considérer que le système de détermination du statut de réfugié est très différent de l'immigration.
Je sais que vous savez déjà tout ça, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs, mais, dans le plan d'immigration, les réfugiés comptaient pour environ 15 p. 100 du grand total. Ils représentaient 15 des 40 p. 100 qui constituaient la catégorie « regroupement familial », tandis que, selon la politique publique, on visait les 60 p. 100 dans la catégorie « immigration économique ». Cette situation change probablement avec l'arrivée d'un nouveau ministre ou d'un nouveau gouvernement. Selon la politique publique, 60 p. 100 des immigrants devaient être de la catégorie « immigration économique » et 40 p. 100, de la catégorie « regroupement familial ». Sur ces 40 p. 100, les réfugiés représenteraient 15 p. 100.
Si je dis ça, c'est qu'on accorde beaucoup d'attention aux demandes en attente et à la façon de régler le problème. Laissez-moi vous expliquer comment j'ai agi lorsque la question de la SAR s'est présentée à moi. Les défenseurs du dossier ont dit que nous devions agir ainsi parce que les changements apportés à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés étaient fondés sur une entente établie avec des intervenants dans la collectivité. Par conséquent, il fallait le faire. J'ai répondu : « D'accord. » J'ai tenté de respecter les ententes et les négociations des autres, mais je savais qu'un autre processus avait été mis en place, qu'on se disait : « Voyons ce qui arrivera à l'étape de la révision. » J'ai demandé : « Avant tout, quelle est la dynamique? » De deux choses l'une : soit la SAR ou ses partisans étaient en mesure d'augmenter le nombre de réfugiés que le Canada accueillerait, soit on était plus intéressé à faire en sorte que le processus soit en apparence plus équitable.
Je dis « plus équitable » parce que les gens que j'ai consultés, soit les responsables des réfugiés aux Nations Unies, voulaient bien voir le Canada comme le meilleur exemple d'un système de détermination du statut de réfugié fondé sur l'équité et les résultats. En d'autres termes, nous respecterions nos objectifs, et nous le ferions de façon équitable. De plus, des recours seraient mis à la disposition de ceux qui n'auraient pas reçu de décision favorable à la fin du processus en place.
De mon point de vue, celui du responsable de l'administration du ministère, je voulais m'assurer que nous pouvions d'abord éliminer l'arriéré, puis continuer à respecter notre engagement international, soit faire en sorte qu'environ 15 p. 100 de l'ensemble de notre immigration soit constitué de demandeurs du statut de réfugié reconnus.
Je me permets une digression ici. Selon moi, les demandeurs du statut de réfugié étaient à leur tour divisés en deux catégories : ceux qui répondaient à l'étranger aux critères et, par conséquent, passaient par le système de sélection administré par les Nations Unies, et ceux qui se voyaient accorder au pays le droit d'établissement. Le nombre de personnes qui, à l'étranger, obtenaient le droit d'établissement ou qui se qualifiaient se situait ici, et le nombre de personnes qui obtenaient au pays le droit d'établissement se situait là. Je sais que vous ne pouvez pas le voir sur papier. Toutefois, avant que je devienne ministre, la situation s'était renversée.
Nous consacrions beaucoup de ressources matérielles pour nous assurer que l'admission des demandeurs déjà au pays respecte la contrainte de 15 p. 100 et, en même temps, nous dépensions de moins en moins d'argent pour les mesures humanitaires qui nous étaient imposées par notre politique dans un contexte international. Je voulais rapprocher ces deux éléments. J'ai dit : « Examinons le nombre de réfugiés. Si je dois mettre immédiatement sur pied la SAR », — et je n'étais pas près de le faire parce que la période d'essai n'était pas encore terminée —, « quelles seraient les conséquences sur ce nombre? »
Je sais que vous avez déjà les chiffres en main, et j'ai du mal à m'en rappeler parfaitement, mais l'année où j'ai été ministre, le nombre de réfugiés admis dans les deux catégories a atteint le plus haut niveau sur une période de dix ans s'échelonnant jusqu'à aujourd'hui. Je crois que nous étions à environ 35 700 et des poussières. Pour vous donner une idée, en 2001, il y en a eu environ 8 000 de moins, soit 27 000. Au cours de l'année précédant mon entrée en poste, plus de 32 000 réfugiés ont été admis. J'ai vu le nombre de réfugiés reconnus augmenter. Je me suis dit : « Pour une catégorie, il n'est pas urgent de mettre sur pied la SAR. »
J'ai examiné l'autre catégorie pour voir s'il y avait un processus en place pour veiller à ce que les gens soient traités équitablement. Ça voudrait dire qu'il faudrait donner aux demandeurs dans le système de réfugiés une occasion d'entrer au Canada en appliquant le même type d'équité rigoureuse que l'on appliquerait à tous les autres. Comme je l'ai dit, c'est très global — un plan d'immigration pour répondre aux enjeux démographiques ainsi qu'aux besoins liés aux ressources humaines et au marché du travail au Canada. J'ai dit : « Conformément au processus, un demandeur peut obtenir une audience auprès de la CISR. Si la décision n'est pas favorable, il peut ensuite demander un examen des risques avant renvoi. Il peut également soumettre une instance de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Enfin, il peut demander un examen pour des raisons d'ordre humanitaire. Que fera la SAR relativement à ces quatre possibilités d'obtenir une décision favorable? » Évidemment, la réponse est « pas grand-chose ». Même si la loi établit que la SAR examine les questions de droit et le processus, le fait est qu'il y avait réellement une personne qui examinait toute l'information et déterminait s'il convenait de faire quelque chose de différent. Autrement dit, il n'y avait en fait aucun nouveau document. Nous allions donc ajouter au processus à quatre éléments un cinquième élément uniquement pour examiner les rejets.
J'ai ensuite dit : « Je vais attendre qu'il y ait une indication définitive que les choses se sont dégradées. » Comme l'indiquent les chiffres que je vous ai donnés, dans les faits nous admettions plus d'immigrants, et si c'est là l'un des objectifs visés par ceux qui proposent la SAR, alors nous l'avions déjà atteint. On a connu une augmentation de 18 p. 100 par rapport à l'année précédente. L'arriéré était descendu à un niveau raisonnable de 25 000 et chutait. Je ne veux pas tomber dans la partisanerie, mais je vous demande de regarder les chiffres qui montrent ce qui s'est passé depuis. Vous pouvez tirer vos propres conclusions.
Vous m'avez demandé de comparaître à titre personnel pour vous donner une idée de ce qui se produit dans l'esprit d'un ministre qui veut revoir le système d'immigration dans le cadre d'un programme démographique pour le Canada, dont la politique sur l'immigration est le volet le plus important. Eh bien voilà. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que je ne la mettrais pas en place. Bien sûr, nous sommes allés en élection et je ne pouvais donc pas changer d'idée. Lorsque le projet de loi C-280 a été proposé, je n'ai pas entendu d'argument convaincant qui aurait pu me faire changer d'idée.
Le sénateur Di Nino : Merci et bienvenue. J'allais vous appeler monsieur le ministre; je suppose qu'un ancien ministre est toujours un ministre.
M. Volpe : Prêtre un jour, prêtre toujours.
Le sénateur Di Nino : Je ne suis pas certain que je ferais cette comparaison.
M. Volpe : L'un est saint; l'autre ne l'est pas, mais tous deux remplissent une fonction utile.
Le sénateur Di Nino : Comme vous le savez, différentes personnes sont en désaccord avec l'opinion de certains d'entre nous, notamment l'opinion que vous et moi partageons, sur la valeur de cette disposition. Vous et certains de vos collègues avez affirmé dans le passé que l'application de cette disposition n'aurait pas pour résultat d'accélérer le processus ou de répondre aux besoins des réfugiés. En général, êtes-vous toujours du même avis?
M. Volpe : Merci, sénateur. Je ne sais pas si vous et moi partageons la même opinion parce que je ne sais pas quelle est votre opinion. La mienne, c'est que le projet de loi C-280 ne répondait pas aux préoccupations dont j'ai parlé dans ma déclaration préliminaire. J'ai dit que, pendant mon mandat, le nombre de personnes s'était chiffré à 35 700 environ et que l'année précédente, il y en avait environ 3 000 de moins et qu'en 2001, il y en avait environ 10 000 de moins. Les gens qui ont utilisé 2001 comme année de référence en raison de l'adoption de la loi n'ont pas regardé ce qui s'était passé quand ils ont effectué leur évaluation. S'ils avaient pour objectif d'admettre davantage de réfugiés, c'est ce qui se faisait déjà. Il y avait eu près de 40 p. 100 d'augmentation. S'ils avaient pour objectif de rendre le système plus équitable, je dois demander une définition de l'équité. Bien sûr, en matière de processus, ça rendait l'entrée au Canada légitime et dans les règles, mais je pense que c'était déjà en train de se produire grâce aux quatre étapes dont j'ai parlé, et je ne croyais pas que la cinquième étape améliorerait quoi que ce soit.
Le sénateur Di Nino : Une raison qu'au moins l'un des anciens ministres a donnée pour ne pas mettre en œuvre la disposition sur la SAR, c'est que l'arriéré, qui était trop important à l'époque, ne serait pas réduit et, qu'en fait, il serait pire. Je crois que l'un des ministres a dit que tout le système serait bloqué. Étant donné que l'arriéré est encore plus important aujourd'hui, croyez-vous que c'est toujours une préoccupation pertinente?
M. Volpe : Dans mon exposé, j'ai essayé d'expliquer les raisons de l'accroissement de l'arriéré ou de son existence. Il y a diverses façons de régler l'arriéré. Encore une fois, mes données sont historiques, donc elles sont facilement vérifiables. Les données d'aujourd'hui sont en évolution, alors je ne suis pas sûr que vous puissiez avoir une idée aussi nette de la situation.
Pardonnez-moi de répéter, mais l'une des raisons pouvant causer un arriéré, c'est si le nombre de requérants est trop élevé par rapport à l'espace disponible. Tant que la politique publique parle de 15 p. 100 et que le nombre visé est de 250 000, on peut prendre 15 p. 100 de 250 000 et c'est tout ce qu'on aura. Si le nombre chute à 230 000, les 15 p. 100 diminuent, donc l'arriéré augmente. Une autre raison, c'est que le système en place ne traite pas autant de demandes de la manière la plus efficace qui soit. En d'autres termes, on n'atteint pas les 15 p. 100.
Si on n'atteint pas les 15 p. 100 peu importe le total global, c'est alors une question de dotation. Je me suis assuré que nous avions suffisamment de personnel en place, des personnes qualifiées qui répondaient aux critères rigoureux d'une évaluation que les gens de la CISR trouveraient objective; nous avions donc du personnel qui pouvait répondre à la demande. Je ne peux pas parler de l'effectif actuel. Je ne peux que répéter ce qui est du domaine public, c'est-à-dire que les personnes qui devraient normalement être en place dans le cadre du processus ne le sont pas, et que ce serait une raison expliquant l'arriéré.
Je ne peux parler des gens qui font partie du plan d'immigration à plus grande échelle, car je ne suis pas certain si le nombre visé a augmenté ou diminué.
Avant mon départ, nous avions mis en place un plan qui se voulait au moins quinquennal et dans lequel le nombre augmentait graduellement jusqu'à la dernière année, et nous disposions de fonds suffisants. L'une des raisons pour lesquelles le ministère de l'Immigration était confronté à autant de défis, c'est que le budget annuel était d'environ 850 millions de dollars à mon arrivée, et qu'une partie de cet argent était destinée à l'immigration et à la détermination du statut de réfugié. Nous avions environ 90 bureaux répartis dans 73 pays. C'est un processus difficile. Le ministère a obtenu du Cabinet environ 2 milliards de dollars additionnels, répartis sur cinq ans. Nous avions trois fois plus d'argent, donc nous avions les ressources nécessaires.
Je ne sais pas où est passé cet argent. Environ 40 p. 100 était affecté à l'intégration et à l'établissement, et donc une partie servait à entretenir l'infrastructure permettant d'intégrer les réfugiés. Le reste aurait servi à rendre le système plus efficace et souple, tandis que le nombre de réfugiés augmentait. Encore une fois, je ne sais pas comment cet argent a été utilisé. Les députés du parti ministériel devront répondre à la question.
Le sénateur Di Nino : À titre de ministre, vous deviez assurer un fonctionnement efficace. Ceux qui ont frappé à notre porte en tant que réfugiés ont-ils été traités de manière efficace? Des problèmes que nous ne pouvions pas régler, compte tenu de la loi qui était en place à l'époque, sont-ils survenus?
M. Volpe : Je vous parlerai des quatre niveaux de recours qui existent pour un demandeur du statut de réfugié qui a été débouté. J'ai toujours traité avec respect les personnes qui défendent les réfugiés. La plupart ont un attachement philosophique à ce travail et croient que c'est la bonne chose à faire. Je ne suis pas en désaccord avec eux, mais on compte 10 millions de personnes partout dans le monde qui peuvent être considérées comme des réfugiés. On compte environ 150 millions de migrants. D'un point de vue très objectif, il faudrait examiner la place qu'occupent les 10 millions dans le contexte des 150 millions.
J'ignore combien il y en avait d'autres. J'étais d'avis que le Canada a des besoins sur le plan des ressources humaines et du marché du travail, de même qu'un besoin d'expansion démographique, qui nous obligent à aller au-devant des gens qui veulent quitter leur port d'attache pour venir ici et contribuer à l'émergence d'une nouvelle société. Je croyais que nous devions nous assurer de disposer des ressources nécessaires ainsi que d'un ministère prêt à s'engager dans cette voie. Voilà pourquoi j'ai dit, dans mon introduction, que le ministère était engagé de façon dynamique dans cette direction.
Mon défi, c'était d'obtenir l'argent du Cabinet. Heureusement, j'ai réussi. Je n'ai pas obtenu autant que je voulais, mais j'ai obtenu un montant substantiel.
Pour répondre à votre question quant à savoir si nous avions les ressources, il a semblé qu'après des mois de négociation pour obtenir des ressources correspondant aux priorités, nous avions ce qu'il fallait pour satisfaire à la demande. Les gens à la CISR étaient contents parce que je leur donnais le personnel dont ils avaient besoin pour s'attaquer aux problèmes et que je leur fournissais la justification dans laquelle devait s'inscrire une décision que j'espérais positive, de même qu'une marge de manœuvre quant aux chiffres, parce que ceux-ci augmentaient. On ne peut pas dire : « Donnez-m'en plus, mais arrêtez-vous à 15. » Ce chiffre est en réalité plus élevé.
Le sénateur Di Nino : Nous avons mentionné aux gens qui aimeraient que ces dispositions de loi soient adoptées, que la ministre actuelle et les quatre ministres qui l'ont précédée à l'Immigration étaient d'avis que la SAR n'est pas nécessaire et que le système fonctionne passablement bien maintenant pour les personnes cherchant à obtenir le statut de réfugié. Les commentaires formulés en réplique ont été parfois passablement acerbes. Hier, deux témoins nous ont dit, en effet, que tous ces ministres ont fui leur responsabilité et ont fait fi de la volonté du Parlement. Que répondez- vous à cela?
M. Volpe : Je suppose que je pourrais m'offusquer de ces propos. Je ne saurais commenter les intentions de mes collègues qui m'ont précédé ou succédé, de sorte que je ne parlerai qu'en mon nom personnel. Quitte à paraître complaisant, j'ai réussi à créer un consensus avec le ministère quant à son orientation. Cela ne s'est pas fait du jour au lendemain. Il y a eu des difficultés que nous avons tous deux affrontées, et nous avons bâti une relation de travail qui me permet de croire que nous avancions main dans la main dans l'élaboration d'une politique gouvernementale. Je me demande comment on peut prétendre qu'un ministre ou une ministre fuit ses responsabilités quand il ou elle fait en sorte que le ministère oriente ses efforts vers l'augmentation du nombre de personnes qui, pense-t-on, ont besoin d'être aidées.
L'immigration n'a pas vraiment pour raison d'être d'aider les autres. Elle sert plutôt à faire progresser son pays et à profiter de l'apport de personnes qui peuvent avoir besoin d'aide, pour poursuivre des objectifs nationaux très intéressés. Je croyais que les chiffres allaient en augmentant. Je vous ai donné les chiffres, et je les ai probablement sous-estimés; mais vous pouvez les vérifier. Statistique Canada vous les fournira. Quand on va au-delà des attentes de la population, comment peut-on être accusé de manquer à son devoir?
Le sénateur Munson : Bienvenue, monsieur Volpe. En quoi serait-il nuisible de donner une chance de plus à un réfugié? Il y a eu des décisions arbitraires. Des gens ont été renvoyés alors qu'ils n'auraient peut-être pas dû l'être. Doit- on dire au Conseil canadien pour les réfugiés, à l'Association du Barreau canadien et aux autres groupes qui se sont présentés devant nous qu'ils ont tort?
M. Volpe : On m'a également posé cette question quand j'étais ministre. On croyait que la CISR avait pris la mauvaise décision. On croyait que l'évaluation des risques avant le renvoi ne faisait que reproduire la mauvaise décision. On croyait que le contrôle judiciaire se trouvait à répéter la même erreur. On croyait que le ministre et son ministère, dans leur examen pour des raisons d'ordre humanitaire, répétaient la même erreur. Qu'est-ce qui, selon eux, pourrait bien amener la SAR à modifier cette décision?
Le sénateur Munson : De leur point de vue, il s'agit de jouer franc-jeu et de faire preuve de justice, comme vous l'avez dit tantôt.
M. Volpe : Pourquoi nous arrêter à cinq et ne pas nous rendre jusqu'à six?
Le sénateur Munson : Si nous ne faisons rien maintenant, est-ce bien? Est-ce que le statu quo est une bonne chose?
M. Volpe : Vous me demandez de vous parler de mon expérience comme ministre et comme individu. La position qu'adopte le gouvernement aujourd'hui est une autre chose, mais ce n'est pas la raison pour laquelle vous m'avez demandé de me présenter ici. Je me suis occupé du dossier des gens qui arrivaient au pays et revendiquaient le statut de réfugié, et d'aucuns, qui ne partageaient pas le point de vue du CCR, ont accusé ces gens de resquillage, ajoutant qu'il y a beaucoup d'autres personnes qui possèdent un droit tout aussi légitime d'entrer au Canada.
Tout est une question de point de vue. Qu'est-ce qui est « juste »? Est-ce de s'occuper de la demande de quelqu'un qui veut venir au Canada ou de s'occuper des gens démunis qui se retrouvent au Canada et veulent y demeurer?
Une entente relative aux tiers pays sûrs est intervenue et a été mise en œuvre. Beaucoup ne voyaient guère la nécessité de nous hâter pour donner une autre chance à quelqu'un qui, se trouvant en Allemagne par exemple, se voyait refuser le statut de réfugié là-bas ou n'avait peut-être pas revendiqué ce statut là-bas, faisait un saut en France, réussissait à se rendre aux États-Unis, puis traversait la frontière, pour revendiquer le statut de réfugié véritable.
Nous voulions nous assurer de traiter les dossiers de ceux qui se trouvaient légitimement au Canada et qui n'étaient pas passés, de façon expéditive, par le processus mis en place par les Nations Unies — que nous appuyons et que nous finançons d'ailleurs.
J'ai parlé de ces quatre niveaux. La SAR constituait un cinquième niveau. Nous aurions pu en ajouter un sixième ou un septième. Cependant, si la réponse est négative les quatre premières fois, qui s'en trouve lésé sur le plan de la justice? Pense-t-on à la personne qui a présenté une demande à Beijing et qui doit attendre en vain parce que le nombre fixé pour Beijing est beaucoup moins élevé que le nombre de demandes présentées?
Le sénateur Munson : Merci pour cette réponse. J'ai une seule autre question. Monsieur Volpe, l'Association du Barreau canadien et d'autres organismes qui ont témoigné devant nous ont parlé de ce qu'ils estimaient être un abus du système parlementaire. Ils entendent par là le fait que nous suivons tout ce processus de projet de loi, qu'un débat survient et que les discussions se poursuivent et s'étirent. Ce débat dure depuis des années et des années.
Lorsqu'il arrive enfin à ce point de conclusion où l'existence de la Section d'appel des réfugiés doit être officialisée — sous forme de loi —, le ministre a le droit de dire : « Oups! je ne suis pas obligé de faire quoi que ce soit. » De leur point de vue, il est contraire à la règle de droit de permettre que des dispositions législatives puissent être mises de côté à la discrétion du pouvoir exécutif.
En d'autres termes, on a assisté, hier soir, à un plaidoyer des églises et ainsi de suite — de gens qui sont passés par tout ce processus. Au moment même où ils pensent que c'est gagné, le couperet tombe. Tout ce qu'ils ont fait et tout ce débat, tout cela n'a plus grande signification au bout du compte. Le ministre ou le pouvoir exécutif a toujours la possibilité de dire : « Non, désolé. Ça ne peut pas se faire. »
M. Volpe : On pourrait entendre cela dans le contexte du projet de loi C-50 aujourd'hui. Toutefois, bien franchement, on peut dire, de façon plus objective, que le pouvoir dont jouit l'exécutif fait encore largement partie du processus parlementaire.
Je ne suis pas ici pour défendre le gouvernement; ce n'est vraiment pas mon intention. Mon programme électoral était complètement différent de celui du gouvernement actuel. Cependant, le public ne voyait pas les choses du même œil. Je suis ici aujourd'hui pour témoigner d'un fait historique à titre personnel, et non comme ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Il y a des politicologues, d'autres avocats et des juges qui ont une opinion à ce sujet, mais ce n'est que ça : une opinion. Elle est la bienvenue, car elle alimente le débat, mais au bout du compte, quelqu'un doit prendre la décision.
Je n'apprécie pas certaines des décisions prises par le gouvernement actuel. Cependant, il m'est impossible d'affirmer que cela n'a rien à voir avec le processus démocratique. Cela en fait partie. Vous les vouliez, vous les avez. Assumez-en les conséquences.
Mon rôle est de m'assurer qu'il y a toujours une autre solution. Vous m'avez demandé ce que j'ai fait lorsque j'exerçais cette fonction.
Le sénateur Munson : Merci.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie d'être venu nous donner des explications. Nous avons beaucoup appris de l'approche globale avec laquelle vous vous êtes attaqué à une tâche très difficile. J'ai été frappée par la manière dont vous avez parlé des chiffres. J'ai aussi été frappée de constater l'importance d'avoir un effectif solide sur lequel bâtir l'avenir du Canada, comme vous l'avez fait valoir à juste titre.
L'un des points que je voudrais que vous traitiez concerne nos obligations internationales à l'égard de la protection des réfugiés. Vous devez avoir abordé la question indirectement, mais vous n'en avez pas parlé expressément. Je sais que vous avez mentionné 15 p. 100, ce qui est intéressant, car c'est nouveau pour moi.
Nous avons l'obligation internationale d'instaurer un processus équitable. Comme vous le savez, le Canada, l'Italie et le Portugal sont les seuls pays industrialisés qui n'ont pas un deuxième processus d'appel. J'aimerais entendre vos commentaires sur nos obligations internationales à l'égard de la protection des réfugiés.
M. Volpe : Sénateur, je dois exprimer mon désaccord avec la conclusion que le Canada, l'Italie, le Portugal et un autre pays dont je ne me souviens pas, sont les seuls qui n'ont pas en place un deuxième processus d'appel. J'en ai mentionné quatre.
Je pensais que nous honorions nos obligations internationales. Je m'empresse d'ajouter que vous me demandez de remettre les choses dans leur contexte historique. Par conséquent, je ne veux pas que mes déclarations soient interprétées comme si je représentais la position actuelle du gouvernement.
Nous avons fait l'objet d'une évaluation internationale visant à déterminer notre position selon l'indice des droits de la personne dans le contexte de l'immigration. Nous étions la seule nation non européenne dans cette évaluation. Nous faisons plutôt bonne figure grâce à deux initiatives que mon ministère et moi avons mises de l'avant en 2005, dont la qualité a été reconnue et qui ont été bien accueillies partout. Par « nous », j'entends les Canadiens.
D'abord, nous honorons toutes nos obligations internationales à l'égard des réfugiés. Je trouvais que nous aurions intérêt à affecter plus de ressources pour repérer les réfugiés à l'étranger. En d'autres termes, il faut faire appel aux organismes internationaux que nous appuyons pour aller chercher les personnes qualifiées qui sont exposées au danger, si je peux m'exprimer de façon aussi peu diplomate. Par exemple, tous ces pauvres gens victimes du tremblement de terre en Chine sont-ils des réfugiés? Eh bien, certains diront qu'on devrait les considérer comme tels.
Cependant, à moins d'avoir un organisme ou une institution en place qui tranche la question, nous devons composer avec la possibilité qu'une personne vienne frapper à notre porte en se présentant comme réfugié. Comment peut-on considérer cette affirmation plus crédible que la détermination de l'institution dont nous faisons tous partie?
Je voulais que l'on envisage de rééquilibrer les chiffres de manière à pouvoir décider plus souvent sur place, plutôt qu'une fois que les gens sont à nos portes. Dans une certaine mesure, les questions soulevées par vos collègues — vous demandez des points de vue particuliers — laissent croire que nous ne nous entendons pas sur la façon de traiter les personnes qui veulent immigrer au Canada.
J'étais déterminé à endosser l'approche selon laquelle quiconque frappe à notre porte demande à immigrer au Canada, que ce soit sur papier ou de façon implicite. Si nous les voyons comme des personnes qui souhaitent apporter leur contribution au Canada, nous avons l'obligation — à l'échelle internationale comme à l'échelle nationale — de nous assurer que ces demandes sont faites de bonne foi.
Il y a des gens qui, de toute évidence, sont dans le besoin plus que d'autres. Je compatis à leur malheur comme tout le monde, et peut-être même plus encore. On ne peut cependant pas justifier de dépenser des dizaines ou des centaines de millions de dollars, je ne sais trop, dans le cadre d'un processus établi par les Nations Unies pour évaluer ou sélectionner les candidats, pour finalement décider de laisser tomber, de donner l'argent et de court-circuiter l'étape du processus où les gens entrent au pays.
Comment peuvent-ils y parvenir, madame le sénateur? Ils ne peuvent venir à pied à partir d'un autre pays, à moins de passer par les États-Unis. On ne peut se rendre jusqu'ici à la nage. Vous pardonnerez mon sarcasme, mais les océans Atlantique et Pacifique sont immenses. On n'entre pas au pays à moins de s'y introduire illégalement, de prendre l'avion ou de passer par l'un des ports de façon plus ou moins légale, ce qui voudrait dire que vous avez accès à un moyen quelconque ou qu'on vous exploite.
Je voulais m'assurer que nous savons faire la distinction entre une personne exploitée, une personne ayant accès à des moyens, un réfugié de bonne foi et un demandeur du statut de résident permanent qui a décidé d'adopter une autre façon de procéder. Je ne pouvais y parvenir sans les ressources, l'argent et les principes qui permettent de faire cette distinction.
Je croyais que nous pourrions établir ces principes. Nous avons collaboré avec les Européens et les Américains — mon ministère a agi en mon nom — et, pour ma part, j'ai réussi à obtenir 750 millions de dollars du Cabinet précisément à cette fin, afin de veiller à trancher ces questions et d'être en mesure de respecter les exigences des Nations Unies.
J'ai réussi à faire venir ici le haut fonctionnaire à la tête du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ou HCR. Il était enchanté de la manière dont le processus était appliqué au Canada. Je ne pouvais m'en attribuer tout le mérite et ça aurait été très vaniteux de ma part d'essayer. Cependant, c'était un système qu'il observait évidemment de l'extérieur. Il a dit : « Ces Canadiens ont établi quelque chose de bien et il faut leur donner notre appui. »
Le sénateur Jaffer : Loin de moi l'idée de me taire au sujet de l'aide donnée aux réfugiés à l'étranger. Ayant moi- même été gratifiée de cette largesse, je tiens à ce qu'on ne l'oublie pas. Cependant, lorsque des gens arrivent chez nous, nous prenons en considération les droits de chacun. C'est ce qui fait du Canada le grand pays qu'il est aujourd'hui.
Vous avez parlé de quatre processus. Je ne crois pas qu'il s'agisse de processus d'appel. Par exemple, Peter Showler, qui connaît très bien le dossier, a déclaré que l'examen des risques avant renvoi visait à déterminer au bout du compte si quelqu'un s'exposait à de nouveaux risques, et que ce n'était pas un examen de la décision. Le processus CH ne consiste pas à examiner la décision, mais à décider si la personne concernée, comme vous l'avez dit, est capable de s'établir au pays. La Cour fédérale doit d'abord vous permettre de vous faire entendre. Ce n'est pas vraiment une révision. C'est la Section d'appel des réfugiés qui était chargée de réviser la décision. Lorsque vous parlez de quatre processus, il n'est pas vraiment question de l'examen du processus. Il y a un autre processus en place, mais la décision initiale ne fait pas l'objet d'une révision.
M. Volpe : J'imagine que je suis d'une opinion différente. M. Showler, dont vous venez de parler, est comme bien d'autres personnes qui ont une opinion sur la question. Pour autant que son opinion soit valable, on pourrait dire qu'il doit être au courant de la situation compte tenu de ses fonctions. Oui, il peut avoir raison. On lui a confié une tâche particulière, et il vous a fait part de ses vues sur la manière dont cette tâche devait être exécutée. On m'a confié une autre tâche, et j'ai fait en sorte de m'en acquitter de la manière qui serait la plus profitable à notre pays.
Certaines personnes ont une vision de mon mandat qui diffère un peu de celle que j'avais à l'époque. C'est dans l'ordre des choses. Il y avait des vies en jeu, et je ne voulais pas qu'on essaie de me duper sur la question de savoir si c'était un processus d'appel approprié ou non. Quand une personne en venait à présenter une demande pour motifs d'ordre humanitaire fondée sur les risques, cette personne était en position d'affirmer que toutes les personnes qui s'étaient prononcées sur sa situation jusqu'alors avaient tort et de dire, par exemple : « Je risque d'être persécuté et mis à mort si je retourne d'où je viens. » À moins que le responsable du dossier n'ait un cœur de marbre, je ne vois pas comment cette personne pourrait ne pas réussir à établir le bien-fondé de sa cause. Tout comme mes prédécesseurs, j'ai constaté que lorsque je soutenais la cause de certains demandeurs en m'appuyant sur des faits qui n'avaient pas été pris en considération, mes collègues enclenchaient presque toujours une procédure de révision qui se soldait par l'approbation de la demande — mais il fallait que je sois plus convaincant que tous ceux qui m'avaient précédé.
Je crois bien que les droits comptent parmi les principes fondamentaux de notre société et de notre pays. Il n'en a pas toujours été ainsi mais, heureusement, c'est le cas aujourd'hui. Il y a encore beaucoup de rigueur quant à la manière d'y faire valoir et d'y défendre ses droits. Il y a un cadre et des tonnes de gens qui sont des experts en la matière. Toute personne qui estime que ses droits ne sont pas entièrement respectés peut faire appel à leurs services. Sauf le respect que je dois aux avocats ici présents, le fait est qu'ils sont là pour ça.
Le sénateur Jaffer : Manifestement, nous nous entendons sur le fait que nous ne sommes pas d'accord. Puisque nous sommes collègues, je vais vous faire parvenir ce que nous avons entendu hier.
Le sénateur Nolin : Les observations écrites?
Le sénateur Jaffer : Non; il n'est plus un décideur. Je vais vous envoyer ce que nous avons entendu hier; cela montre que des erreurs peuvent se produire. Personne, ne peut prétendre que notre processus de révision est infaillible, ou avoir trop d'illusions là-dessus.
Vous avez parlé plus tôt d'une chose qui m'a intriguée : les intervenants. J'étais absente lorsque l'on a discuté de la loi. Je me souviens cependant très clairement qu'il y avait une approche bipartite. Au lieu qu'il y ait deux commissaires, il n'y en aurait plus qu'un. La Section d'appel des réfugiés serait là pour les cas où ce commissaire aurait fait une erreur. Je crois que nous nous sommes fait flouer puisqu'il n'y a maintenant qu'un commissaire mais que le processus de la SAR n'a pas été institué. Vous avez dit qu'une entente avait été conclue avec les intervenants. Je crois que nous n'avons pas respecté nos engagements parce que nous avons adopté une seule des approches. Le nombre de commissaires a été réduit à un, mais le processus de la SAR n'a pas été mis en place.
M. Volpe : Vous avez probablement raison; nous devrons en arriver à un accord. Je ne peux que vous faire part de mes vues sur cette question, et elles s'appuient sur des données rétrospectives.
Je me méfie toujours de ceux qui fondent tous leurs arguments sur des scénarios catastrophes qui ne touchent qu'une poignée de personnes. Je considère cela comme une manière de s'orienter pour éviter ces écueils. Certains de mes prédécesseurs — et je n'ai pas non plus participé aux négociations — pourraient dire qu'il y a eu une époque où le processus de la CISR n'existait pas. D'autres se rappelleront que, dans le passé, il y avait trois commissaires, avant que ce nombre soit réduit à deux, et avant qu'il n'y en ait plus qu'un. D'autres se rappelleront que ces commissaires n'étaient pas tous aussi qualifiés les uns que les autres et qu'ils n'étaient pas tous aussi préparés.
Je vais vous dire une chose : selon la perspective que j'avais adoptée, je voulais qu'un seuil de compétence minimal soit établi, une norme qui serait jugée acceptable par ceux qui défendent et font valoir les droits de personnes qui, auparavant, n'en avaient aucun. Nous avons consacré beaucoup d'efforts à cette première étape, parce qu'il est inutile qu'il y ait 30 étapes si les gens qui prennent les décisions tout au long du processus ne sont pas assujettis à un cadre d'orientation, s'ils ne disposent pas d'un cadre juridique ou d'une charte qui régit le traitement des dossiers, et s'ils n'ont pas été sensibilisés aux objectifs de l'audience elle-même.
J'avais besoin de gens qui voulaient atteindre ce but. Cela ne signifie pas que les ministres qui m'ont précédé ne voulaient pas la même chose. J'ai simplement voulu nous distancier des accusations de patronage et d'insensibilité qui pesaient sur nous. J'imagine que je suis un peu comme un poète; je sais à propos de quoi j'écris. Lorsque vous écrivez un poème, Dieu et vous-même en connaissez l'intention, mais 30 minutes plus tard, Dieu seul s'en souvient et tout le reste du monde est devenu critique.
Je crois en effet que nos opinions divergent. Je crois que le système actuel est éminemment favorable aux droits de la personne. Quant à dire si le gouvernement a les ressources et la volonté politique pour s'occuper de ces droits de la même manière que mon ministère l'a fait, selon moi, à l'époque où j'étais en poste — et encore une fois, je m'empresse d'ajouter que ce n'est pas parce que j'ai assuré le leadership, mais parce que nous avons créé un contexte dans lequel chacun pouvait s'acquitter de ses fonctions —, cela ne me revient pas.
La présidente : Sénateur Goldstein, vous avez été patient.
Le sénateur Goldstein : Merci. La patience n'est pas mon fort, comme vous le savez probablement.
M. Volpe : C'est néanmoins une vertu.
Le sénateur Goldstein : C'est une vertu que je ne pratique guère.
M. Volpe : Vous devez bien avoir été nommé sénateur pour une raison.
Le sénateur Goldstein : Merci d'être présent parmi nous cet après-midi et de nous faire part de votre expérience et de la philosophie qui vous a servi de guide pendant que vous étiez à la tête du ministère.
Je crois que personne ici présent, ou où que ce soit, vous critique pour ce que vous avez fait durant votre mandat. Vous avez fait ce que vous croyiez devoir faire, et ce que vous deviez faire. Vous n'étiez pas seulement animé par ce que vous aviez à faire, mais également par votre sens du devoir moral. Ce sont là des motifs que nous admirons tous.
Jusqu'à présent, il n'y a personne ici — et, pour autant que je sache, il n'y a personne en général — qui a critiqué ce que vous avez fait. Rien de cela n'est en cause. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est qu'il existe une loi, et que cette loi compte de nombreuses dispositions. Contentons-nous de parler de trois d'entre elles, de trois dispositions que vos collègues du portefeuille et vous-même — pour diverses raisons, communes ou particulières — avez omis de faire entrer en vigueur. Vous faites partie du gouvernement depuis plus longtemps que moi... À votre connaissance, y a-t-il eu d'autres lois adoptées par le Parlement du Canada dont seule une partie des dispositions sont entrées en vigueur?
M. Volpe : Je vous remercie pour votre préambule. Je ne croyais pas être venu ici pour défendre ce que j'ai fait durant mon mandat, ni ma moralité. Je suis heureux que vous soyez conscient que ce n'est pas pour cette raison que je suis ici. Je ne suis pas ici pour faire une plaidoirie sur des mesures que j'ai prises ou que je n'ai pas prises. Je me suis assujetti à un impératif moral, qui était l'intérêt national — pas ce que j'aurais dû faire ni ce que je devais faire, mais ce qui était dans l'intérêt du pays. J'oserais dire que tous les ministres agissent probablement de la même façon.
Pour en revenir à votre question, la réponse est oui. Le Sénat a examiné le projet de loi C-11, puis il a demandé qu'un amendement y soit apporté. Il a ensuite été examiné à nouveau. Le projet de loi C-11 concerne l'entrée en vigueur de différents articles, y compris l'article 27, il me semble; cela aura lieu lorsque le gouvernement aura terminé une série de consultations sur l'industrie du transport aérien auprès des provinces et d'autres instances. Ce projet de loi a été adopté et j'imagine qu'il a été promulgué. C'est le cas le plus récent. Je suis au courant de cela parce qu'en comité, aujourd'hui, j'ai demandé que le ministre vienne nous expliquer pourquoi, après un an, nous n'avons toujours reçu aucune nouvelle de l'avancement de ces consultations. Cela n'a rien d'hors du commun.
Le sénateur Goldstein : Sauf le respect que je vous dois, c'est hors du commun. Dans le cas du projet de loi C-11, on a décidé de procéder à des consultations parce que toute une gamme de problèmes constitutionnels auraient pu surgir. Dans le cas qui nous occupe, il n'y a aucun facteur externe qui pourrait avoir une incidence sur la loi. Je devrais peut- être préciser ma question. Encore une fois, je ne critique ni vos prédécesseurs ni vous-même. Je ne fais que poser la question. À votre connaissance, y a-t-il eu des lois, des lois qui n'ont fait l'objet d'aucune consultation particulière et qui ne posaient aucun problème du point de vue constitutionnel, dont certaines parties ne sont pas entrées en vigueur?
M. Volpe : Sénateur, vous avez eu l'amabilité de souligner que j'avais beaucoup d'expérience au sein du gouvernement et, à la lumière de cette expérience, je vous ai parlé plus tôt du processus parlementaire et des devoirs constitutionnels des ministres et de l'exécutif. Je suis conscient que la loi prévoit que l'exécutif peut exercer un pouvoir discrétionnaire dans l'intérêt du pays. Permettez-moi de vous retourner la politesse en vous disant que je ne suis pas aussi ferré que vous pouvez l'être en droit législatif, alors je suis un peu pris au dépourvu.
Le sénateur Goldstein : Vous avez dit que dans votre esprit ou dans celui de vos prédécesseurs, cette loi devrait faire l'objet d'une période d'essai. Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous vouliez dire par là. Pourriez-vous prendre quelques instants pour me réexpliquer cela?
M. Volpe : Je comprends. Le mot « essai » n'était peut-être pas approprié. Ce que je voulais dire — et je crois que mes explications ont clarifié ce point —, c'est qu'il faut se donner une période de temps pour observer les répercussions de la loi. Si l'objectif de la loi est d'accroître le nombre d'immigrants reçus, et s'il s'agit là du principal critère pour en mesurer le succès, il serait impossible de se prononcer sur ses répercussions le lendemain de son entrée en vigueur. Une période d'évaluation est indiscutablement nécessaire. Si le critère utilisé pour mesurer le succès ou l'opportunité de la loi consistait à déterminer si des personnes ont subi des préjudices indus sous le régime en vigueur, c'est-à-dire si le nombre de demandes aux étapes 2, 3 et 4 s'est accru, il faudrait alors une période d'évaluation pour déterminer quelles caractéristiques des décisions ont fait que des personnes se sont rendues à la deuxième étape, puis à la troisième et à la quatrième et, éventuellement, à une cinquième.
J'avais le sentiment qu'il était impossible d'évaluer avec exactitude les répercussions de la loi avant qu'une certaine période de temps se soit écoulée. Lorsque je suis devenu ministre, le comité sur l'immigration de la Chambre des communes avait entrepris un examen des différentes informations qu'il avait à sa disposition et il était sur le point de présenter un rapport; ce rapport a été déposé à la Chambre en septembre ou en octobre 2005 — la date exacte m'échappe —, au beau milieu d'un débat sur la question de savoir si nous allions déclencher une élection. Je dois admettre que j'ai été incapable de donner suite à leurs conclusions avec une rigueur identique à celle dont j'essaie de faire preuve en répondant à votre question.
Le sénateur Goldstein : Merci. Est-il exact qu'aucune de ces préoccupations concernant l'évaluation n'a été mentionnée ou soulevée pendant les débats qui ont mené à l'adoption du projet de loi, ou est-ce que je me trompe?
M. Volpe : Je ne peux pas faire de commentaires à ce sujet parce que je n'ai pas participé aux débats qui ont mené à l'adoption du projet de loi. Par contre, je sais que des gens avancent constamment ces arguments; vous m'avez entendu utiliser le terme « intervenants » avec le sénateur Jaffer et je crois que vous l'avez vous-même répété. Les arguments avancés, et les informations que j'ai reçues, étaient qu'en 2001, les intervenants croyaient qu'ils avaient fait partie intégrante de l'examen législatif, et ils voulaient que le tout soit en accord avec ce qu'ils croyaient alors être des négociations. Je n'ai pas participé à ces négociations.
Comme je l'ai dit, les incidences de la loi m'intéressaient davantage, et j'ai supposé que ces incidences étaient d'intérêt général pour les Canadiens et pour les parlementaires. Nous voulons que notre pays soit perçu premièrement comme un pays qui respecte ses obligations internationales, deuxièmement comme un pays qui respecte ses normes en matière de droits de la personne et troisièmement comme un pays qui élabore et développe un plan d'immigration qui tient compte des réfugiés. Je pensais que c'était là l'ordre de priorités, et c'est ce qui m'a guidé.
Le sénateur Goldstein : Vous nous avez dit que vous étiez content. Vous n'avez pas employé ce terme, mais je crois que c'est ce que vous vouliez dire.
M. Volpe : Cela dépend de ce que vous dites, si je suis d'accord avec vous ou non.
Le sénateur Goldstein : Si je m'étais arrêté là, ce serait une question intéressante, mais je n'ai pas l'intention de m'arrêter là. « Satisfait » est peut-être un meilleur terme. Vous étiez satisfait parce que, selon vous, le Canada respectait les normes internationales prévues pour l'évaluation, l'admission et le refus d'admission des réfugiés et parce qu'il y a des normes. Le Canada a participé, comme il se doit, à l'élaboration de ces normes, et vous avez dit qu'effectivement, le Canada les respectait.
Un an après l'adoption de la loi, en mai 2002, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a écrit au ministre Coderre pour lui dire plusieurs choses. Nous devons savoir que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés était au courant de l'évaluation préalable au renvoi, qu'il était au courant de l'appel en Cour fédérale, qui, nous le savons tous deux, n'est pas un appel, qu'il était au courant des circonstances d'ordre humanitaire et qu'il était au courant de tout le processus mis en place par le Canada pour les cas de réfugiés. Malgré tout, voici ce que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a dit, à titre de représentant de l'Organisation des Nations Unies : « Le HRC considère qu'un mécanisme d'appel constitue un élément fondamental et nécessaire du processus de détermination du statut de réfugié. Il permet non seulement de corriger des erreurs commises en première instance, mais aussi d'assurer un processus décisionnel cohérent. » Il a également ajouté : « Par le passé, il y avait une protection parce que les décisions pouvaient être prises par deux commissaires [...] Lorsque la LIPR entrera en vigueur le 28 juin, cette [...] protection disparaîtra. »
Nous avons entendu l'ONU nous dire — et elle nous l'a répété encore hier dans son témoignage — que nous ne respectons pas les normes internationales. Chacun sait qu'il y a quatre mécanismes en place. L'ONU affirme que nous devons en avoir un cinquième.
Vous dites que, peut-être en raison des ressources financières et humaines à votre disposition — nous savons que vous n'avez à peu près aucun contrôle là dessus —, il ne s'agissait pas pour vous d'un choix valide et rentable parce que vous comptez sur d'autres mécanismes et éléments de la politique d'immigration canadienne pour corriger tout problème et pour régler diverses réinstallations et autres affaires. Malgré tout, l'ONU condamne le Canada. Cela a commencé en 2002 et s'est poursuivi jusqu'au 2 juin 2008. Est-ce que cela vous donne matière à réflexion?
M. Volpe : Bien sûr. Je vais consulter mes notes, si vous le voulez bien. Je peux affirmer que la personne qui occupait ce poste en 2005 est venue sur la Colline du Parlement, a été présentée par le Président de la Chambre et est venue me voir pour me remercier de mon travail. Je ne lui ai pas demandé de consigner cette affirmation. Cependant, on peut lire dans le plan d'opérations élaboré par le HCR pour le Canada, en 2004, plan qui provient, je crois, de la même personne, que les politiques et les pratiques canadiennes sont souvent considérées comme des exemples pour les autres pays.
J'ignore si cela signifie que vous n'êtes plus satisfait de ce qu'il a dit en 2002. Il est sûr qu'en 2004 et 2005, lorsqu'il est venu me voir pour s'enquérir de notre objectif et me demander de continuer à m'assurer que le Canada agisse conformément à cet objectif, cela laissait entendre que l'ONU était à tout le moins contente — pour reprendre le terme que vous avez utilisé précédemment — de voir que le Canada, la société modèle en matière de respect des droits de la personne et de traitement des réfugiés, poursuivait dans une voie que son organisation et lui jugeaient exemplaire.
Est-ce toujours le cas en 2008? Je l'ignore. Je ne fais plus partie du gouvernement depuis 2006. Je ne veux pas dire qu'aucune bonne décision n'a été prise après 2006, mais dans un moment de faiblesse partisane, je pourrais être tenté de dire quelque chose de ce genre. Toutefois, de tels propos nuiraient à mon exposé.
La présidente : Je vous remercie de votre retenue et d'avoir partagé votre point de vue actuel et du temps que vous étiez ministre. Tous ces éléments nous ont été utiles et ont permis de terminer notre tour d'horizon des divers aspects du projet de loi C-280.
Comme nous avons sans doute des téléspectateurs, j'aimerais profiter de cet instant pour souligner la qualité du travail effectué par le Sénat. Le sénateur Banks, notamment, a proposé un projet de loi à plusieurs reprises. Malheureusement, le projet de loi n'a jamais été mis en œuvre intégralement, mais il visait à supprimer des livres du gouvernement et du Parlement les lois qui ont été adoptées, mais qui n'ont pas été mises en œuvre.
Le sénateur Nolin et moi, ainsi que le sénateur Jaffer, je crois, siégions au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles lorsque le sénateur Banks et des fonctionnaires nous ont fourni de nombreux exemples de mises en œuvre partielles de projets de loi. J'espère que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sera saisi de cette question et qu'il en fera un examen continuel. Il s'agit ici d'une invitation à suivre le dossier pour constater la qualité du travail du Sénat à cet égard.
Monsieur Volpe, je vous remercie d'être venu aujourd'hui.
M. Volpe : Je vous en prie, madame la présidente. C'est à moi de vous remercier de m'avoir donné l'occasion de vous parler. Si je suis parvenu à vous dresser un portrait plus précis de la situation, je m'en réjouis. Sinon, j'ai tout de même apprécié ce moment passé avec vous et je vous remercie de votre accueil.
La présidente : Notre prochain témoin, présent à titre personnel, est M. William Bauer, ancien membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada. Compte tenu de votre expertise, de vos connaissances et du fait que vous avez eu la possibilité de voir des parlementaires à l'œuvre, je présume que vous savez que nous aimerions vous voir commencer par une courte déclaration afin que nous puissions ensuite passer aux questions et aux réponses. Soyez le bienvenu, monsieur Bauer.
William Bauer, ancien membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Je devrais peut-être mentionner d'abord que j'ai été un membre pendant quatre ans de cette commission, que j'ai quittée volontairement. J'ai ensuite publié de nombreux articles qui, je crois, m'ont conféré une notoriété considérable auprès de certains intervenants, comme on les appelle, mais pas auprès des intervenants auxquels je m'attendais, soit les Canadiens en général. J'aimerais souligner qu'on ne les mentionne jamais comme intervenants.
Pour fixer les idées, je précise que je suis entré à la Commission après avoir pris ma retraite des Affaires étrangères. J'ai d'abord été envoyé à Varsovie, en 1953, où j'ai pu me familiariser pendant deux ans avec les rouages de la persécution de même qu'avec les questions d'immigration. Pendant deux ans, nous avons travaillé sur une demande d'immigration qui concernait la mère d'un ancien membre de l'Armée Anders qui était citoyen canadien.
Nous avons travaillé à ce dossier pendant deux ans. Pendant les deux ans qu'a durés mon affectation en Pologne, cette femme a été la première personne à être autorisée à quitter le pays pour venir s'établir au Canada — elle était en fait la première depuis 1948 — malgré le droit que lui conférait la Charte des Nations Unies de quitter librement son pays. Elle était folle de joie. Elle est même venue nous remercier personnellement. Son fils était lui aussi fou de joie. Mais il se trouve que cette femme de 60 ans avait pour métier de tailler les arbres dans un parc de Varsovie et que la veille de son départ elle fut terrassée par une crise cardiaque en taillant les branches d'un arbre. C'est ainsi que j'ai fait l'apprentissage des enjeux qui concernent l'immigration et les droits de la personne.
J'ai ensuite été envoyé à Hanoï, au Nord-Vietnam, où des milliers de gens ont péri aux mains du régime sous le couvert de la réforme agraire. Ce poste m'a beaucoup appris sur les questions de politiques de l'État et de droits humains. J'ai également participé à toutes sortes d'autres activités.
C'est pourquoi j'avais une assez bonne idée, lorsque je suis arrivé à la commission, de la manière plus ou moins subtile dont certains États persécutent leur population, et des souffrances et exactions que peuvent infliger certains individus et certains gouvernements à leurs concitoyens. Je suis un ardent sympathisant de la cause des réfugiés. Et aussi de l'immigration, mais je sais qu'il n'est pas question de cela aujourd'hui.
Cela dit, j'ai pris quelques notes ce matin afin de situer le problème dans son juste contexte. Je ne veux pas répéter ce qui a été dit avant moi. Monsieur Goldstein, je crois que je suis en train de perdre la voix — j'ai dû attraper froid dans l'avion.
La présidente : L'air est très sec dans cette salle. Nous sommes plusieurs à en souffrir.
Le sénateur Goldstein : Mais qu'est-ce qui vous arrive pour que vous perdiez non seulement la voix mais votre porte- monnaie?
M. Bauer : J'espère que l'avion n'aura pas aussi l'effet d'assécher mon porte-monnaie... Votre question visait à savoir s'il y avait déjà eu un cas de mesure législative dont une partie n'aurait pas été promulguée ou mise en application.
Je ne saurais le dire, en termes constitutionnel ou législatif. Mais il y a eu un cas concernant exactement la question qui nous occupe ici. Il s'agit de la loi qui existait avant l'actuelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui a été adoptée en 1989. Cette loi prévoyait l'établissement d'une liste de pays sûrs où l'on pourrait refouler les gens qui arrivaient au Canada en revendiquant le statut de réfugié afin d'éviter que le système ne soit complètement submergé. Mais cela n'a jamais été mis en application. Ce n'est qu'un exemple — vous me direz que c'est un cas isolé, mais il n'empêche que cela a déjà existé.
À la fin, on a essayé de négocier un accord de refoulement en pays sûr avec les États-Unis. Les travaux ont commencé en 1995, mais les Américains n'étaient pas prêts. Quand ils l'ont été, un accord a pu être négocié. Mais il a été attaqué par le Conseil canadien pour les réfugiés. Le conseil a eu gain de cause devant la Cour fédérale au motif que les États-Unis n'étaient pas un pays suffisamment sûr ou démocratique pour que l'on puisse y refouler des candidats au statut de réfugié.
Je pense que le gouvernement a fait appel devant la Cour suprême. J'espère qu'il aura gain de cause, parce que cela montre tout le poids que peut avoir une action tactique menée par un groupe de pression.
Je n'appartiens à aucune organisation. J'écris seulement un livre qui essaie d'expliquer pourquoi ce sujet est si mal compris dans notre pays; pourquoi c'est un sujet tabou dont on ne peut débattre rationnellement et objectivement sans être accusé de toutes sortes de choses. Je crois que certaines organisations deviennent tellement braquées sur leur objectif qu'elles en viennent à utiliser les faits de manière sélective et à attaquer quiconque n'est pas d'accord avec elles. Pour ce qui vous concerne, j'ai réuni toute cette information sur le projet de loi C-280 à partir du site web du Conseil canadien pour les réfugiés. J'ai remarqué qu'on encourage les gens à envoyer des lettres — qu'on leur fournit même les modèles — et qu'on leur enjoint de prendre rendez-vous avec vous pour vous rencontrer en recommandant « de ne pas présenter les choses de manière trop compliquée. » Autrement dit, de présenter les choses en étant brefs et concis afin que ce ne soit pas trop compliqué.
Vous me pardonnerez si ce que je vais dire vous paraîtra un peu compliqué. Tout d'abord, beaucoup de choses ont été dites au cours des présentes audiences. J'ai le compte rendu des deux séances précédentes et j'ai écouté la séance d'hier. Beaucoup de choses qui ont été dites sont fausses ou exagérées et certains éléments ont été sélectivement omis.
Je n'ai pas d'intérêt personnel en jeu. Je parle en tant que Canadien et que sympathisant de la cause des réfugiés. Je n'ai donc pas envie de me disputer avec qui que ce soit. Mais j'aimerais tout de même faire quelques observations sur la façon dont fonctionne le système, et j'aimerais expliquer pourquoi selon moi ce projet de loi est inopportun même s'il part d'une bonne intention.
Je ne doute aucunement de votre bonne foi ni de celle de votre collègue, sénateur. Vous essayez de sauver des gens du terrible sort qui les attend et cela vous honore. Cependant, ma connaissance du sujet et les dix années de recherches que j'ai accumulées depuis que j'ai quitté la commission me disent que ce projet de loi est mal inspiré et qu'il ne permettra pas d'accomplir l'objectif visé, quand il ne lui nuira pas carrément.
Mon intention première était de faire un bref rappel des faits, mais d'une manière différente que celui qui a été fait hier par le représentant du l'HCR.
La présidente : J'aimerais que nous passions assez rapidement aux questions parce que je crois que vous avez piqué l'intérêt des sénateurs. Pouvez-vous nous donner les points essentiels de votre intervention sur ce projet de loi? Nous devrons passer bientôt au prochain témoin. Je n'ai pas beaucoup de latitude sur ce point. J'aimerais que l'on passe à la discussion.
M. Bauer : Bien. Je résume en disant que l'institution d'une section d'appel pour les réfugiés n'apporterait rien du tout au mécanisme actuel. On a dit qu'il n'existait pas vraiment de mécanisme d'appel; que la Cour fédérale ne faisait que passer en revue la procédure, entre autres. Ce n'est pas vrai.
Je lis les décisions rendues par la Cour fédérale chaque semaine. La cour statue sur environ 24 dossiers par semaine. Je lis les textes intégraux des décisions. On y traite d'éléments de fait et d'éléments de droit. L'appel est rejeté dès lors qu'un membre de la CISR ne tient pas compte de certains faits, qu'il cherche la petite bête pour mettre en cause la crédibilité d'un témoin, ou qu'il ne tient pas compte de la loi. Il n'y a pas d'équivoque là-dessus. Que ce soit au stade de l'examen d'admissibilité ou au stade de l'audience en présence des trois juges, la Cour fédérale fait un travail considérable et fait preuve d'une grande efficacité lorsqu'elle statue sur ces appels.
Il est vrai que la cour ne statue pas sur toutes les affaires qui lui sont soumises parce qu'elle fait justement ce que vous suggérez que fasse une SAR : elle lit les documents soumis, elle examine les faits et elle étudie la manière dont le requérant a été traité. Si l'affaire ne mérite pas d'être entendue, elle ne l'est pas. Mais même si un dossier n'est pas admis à être jugé par la Cour fédérale, il fait l'objet d'un examen. Pour moi, ce n'est pas différent de ce que ferait une SAR.
Je ne veux pas entrer dans les détails, mais j'aimerais faire quelques suggestions qui permettraient peut-être d'améliorer un système qui, j'en conviens, est complètement désorganisé. Je précise que cette situation n'a pas été causée par le gouvernement ou par les gens dévoués qui siègent à la CISR — du moins ceux qui sont compétents. Elle n'a pas été causée par le fait que la loi était une mauvaise loi. Elle a été causée par le fait qu'un grand nombre de personnes ont très bien compris comment fonctionnait le système et savent très bien comment le manipuler. Je ne parle pas seulement des réseaux internationaux de trafic de personnes où les passeurs montrent aux ressortissants ce qu'il faut dire aux autorités d'immigration. Dans ce milieu, qui est devenu une véritable industrie, tout le monde connaît la loi aussi bien que n'importe lequel d'entre nous. Certains requérants ne fuient pas du tout une situation de persécution. Ils essaient tout simplement d'éluder le processus d'immigration. J'ai entendu toutes sortes d'histoires, des plus invraisemblables aux plus crédibles. Dans le dernier cas, je pense qu'il est impossible de renvoyer la personne même si l'on se doute bien qu'elle ne dit pas la vérité. Et que l'on sait pertinemment que son histoire ne tiendrait pas devant les tribunaux.
J'aimerais faire une autre observation. L'idée que les membres siégeant à la CISR puissent prendre une décision erronée à l'encontre d'un réfugié légitime doit être sérieusement examinée. Il y a beaucoup d'erreurs qui sont commises par les membres de la CISR, mais la plupart penchent en faveur plutôt qu'en défaveur du requérant. Pour la bonne raison que toute décision défavorable nécessite un processus de justification et d'analyse exhaustif qui doit être fondé sur la jurisprudence. Les arguments motivant la décision doivent pouvoir résister à l'examen d'une cour d'appel. Et cela requiert beaucoup de travail. Il faut une bonne demi-journée pour motiver une décision et cela quand on a en main tous les faits et tous les documents de jurisprudence pertinents.
Un commissaire qui ne sait pas bien rédiger ses arguments, qui n'a pas un bon sens de l'analyse et de la rédaction ou autres lacunes assimilées évitera comme la peste d'avoir à rédiger des motifs de décision. Cet exercice est déjà assez difficile pour ceux qui ont de l'expérience, on ne voit pas comment pourraient s'en sortir des gens qui n'ont pas la compétence ou la formation nécessaire pour rédiger de tels documents ou pour connaître et étudier le vaste corpus de jurisprudence accumulé par la Cour fédérale et de la Cour suprême. Le moyen le plus facile de s'en sortir, c'est de dire oui. En acquiesçant à la requête, on n'a pas besoin de rédiger quoique ce soit. Personne ne fera appel, sauf éventuellement le ministre, qui a le droit d'appeler s'il estime qu'il en va de la sécurité publique ou qu'il y a eu grossière erreur. À ma connaissance, les erreurs commises par la CISR sont généralement favorables plutôt que défavorables aux requérants, et celles qui ont été défavorables ont été invalidées par la Cour fédérale avec des commentaires plutôt acerbes sur la compétence du commissaire ou des commissaires concernés.
Le sénateur Goldstein : Merci d'avoir bien voulu venir nous faire part de vos expériences. Je crois savoir que vous n'êtes pas juriste de formation.
M. Bauer : Non je ne suis pas juriste. Et je sais que cela a beaucoup d'importance à vos yeux, sénateur.
Le sénateur Goldstein : Ce n'est pas ce que j'ai dit; je ne fais que poser la question.
M. Bauer : Je vous ai entendu poser la question auparavant et j'ai constaté dans les transcriptions que vous l'avez déjà posée. Sachez toutefois que les membres de la CISR qui sont le moindrement compétents sont si imprégnés de la jurisprudence qu'ils peuvent en remontrer à la moitié des avocats qui comparaissent devant eux. Je tiens à ce qu'il en soit pris acte.
Le sénateur Goldstein : Mais je n'en doute pas un instant.
La présidente : J'imagine que la moitié des sénateurs seront d'accord avec vous et l'autre moitié en désaccord. Laissons cela. Sénateur Goldstein, vous avez une autre question?
Le sénateur Goldstein : Au cours de votre exposé, et il y a à peine quelques instants, vous avez semblé faire une distinction entre les membres de la commission en disant, notamment dans le premier cas, « du moins ceux qui sont compétents ». Et juste à l'instant, vous avez dit « qui sont le moindrement compétents ». Cela laisse à penser que certains sont incompétents.
M. Bauer : Comme c'est le cas pour tout type d'organisation, sénateur.
Le sénateur Goldstein : Sans doute. Si des personnes incompétentes sont appelées à statuer sur des questions de droit où il en va de la liberté, voire de la vie, des requérants, comme vous l'avez dit si éloquemment, ne croyez-vous pas que cela plaide en faveur de l'établissement d'un mécanisme d'appel pour corriger les erreurs de parcours — qu'elles soient nombreuses ou non — dues à une éventuelle incompétence d'un membre de la commission?
M. Bauer : Comme je l'ai expliqué, sénateur, il existe déjà un mécanisme qui s'appelle la Cour fédérale, voire dans certains cas la Cour suprême. À ma connaissance, il y a très peu de décisions erronées qui ne soient invalidées par la Cour fédérale.
Le sénateur Goldstein : Croyez-vous qu'il y en ait?
M. Bauer : Je ne sais pas. Je ne crois pas qu'aucun d'entre nous soit en mesure de le dire. Je suis désolé. Normalement je peux donner des réponses un peu plus élaborées. .
Toute décision négative qui n'est pas fondée sur la jurisprudence, sur les faits en présence et sur la loi sera contestée par l'avocat du requérant et sera admise à être entendue en appel par la Cour fédérale. La Cour fédérale a une grande expérience de ce genre d'affaire et n'a pas beaucoup de patience pour les décisions mal fondées. Par contre, les décisions positives ne sont jamais contestées : pourquoi le seraient-elles? Le requérant n'a certainement pas intérêt à le faire puisqu'il a eu gain de cause. Le ministre en a rarement la possibilité. Et en général les commissaires qui, comme je l'ai déjà expliqué, ont de la difficulté à comprendre les principes de droit ou de loi en jeu — lesquels comme vous le savez sont assez complexes — et qui ont de la difficulté à exprimer leur point de vue, à faire le lien entre les témoignages et les principes de droit et de loi concernés, à analyser des situations en jeu et à comprendre les conditions qui existent dans certains pays, malgré toute la documentation qui leur est fournie et les informations qui leur sont communiquées par l'avocat, rendront presque toujours une décision favorable au requérant. Aucune partie ne se sentira lésée — seules l'intégrité et la cohérence du système seront mises à mal.
Le sénateur Goldstein : Monsieur Bauer, vous avez par deux fois fait référence au renvoi devant la Cour fédérale comme étant un mécanisme d'appel. On s'entend pour dire, n'est-ce pas, qu'il s'agit non pas d'un mécanisme d'appel mais bien d'un mécanisme d'examen?
M. Bauer : Non. Je ne suis pas d'accord. J'ai lu des centaines de décisions de la Cour fédérale et elles portent sur des questions de fond et sur la question de savoir si le membre de la commission a pris en compte tous les faits en présence. Tous les procès-verbaux sont soumis. Et les procès-verbaux des séances d'audience sont communiqués dans leur intégrité, ainsi que toute la documentation, notamment les renseignements personnels concernant le requérant et tout ce que la SAR pourrait avoir en sa possession. De plus, la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la cour peut intervenir sur toutes sortes de matières. Ce n'est pas seulement un mécanisme d'examen. La cour peut déterminer si le membre de la commission a suffisamment pris en compte certains faits ou a au contraire trop insisté sur des points de détail qui ne sauraient mettre à mal la crédibilité du requérant. Au cours des dix dernières années, le niveau de compétence des magistrats la cour s'est développé à un point tel que leurs décisions se rédigent quasiment toutes seules. Ils savent ce qu'ils font et ils couvrent tous les aspects de l'audience.
Le sénateur Goldstein : Saviez-vous que moins de 2 p. 100 des cas de refus sont admis à être examinés par la Cour fédérale?
M. Bauer : Le pourcentage varie grandement d'une année à l'autre. Je crois savoir que 15 p. 100 des décisions sont portées en appel et qu'environ 3 p. 100 sont admises à une audience d'appel en bonne et due forme. Cela ne signifie pas nécessairement que la Cour fédérale ne soit pas concernée : comme je l'ai expliqué, elle prend connaissance du dossier dans son intégralité, y compris du procès-verbal de l'audience. La cour a autant d'information qu'en aurait la SAR, et à mon avis elle a beaucoup plus d'expérience que n'en aurait cette dernière, et probablement une meilleure connaissance de sa propre jurisprudence.
Le sénateur Goldstein : Monsieur Bauer, êtes-vous en train de nous dire que le mécanisme d'examen est le même qu'un mécanisme d'appel?
M. Bauer : On entend souvent parler de l'examen du bien-fondé. C'est une expression qu'aime utiliser le Conseil canadien pour les réfugiés. Cela fait quinze ans que je lis les décisions de la Cour fédérale, alors je sais pertinemment qu'on y traite de chaque aspect des dossiers dont la cour est saisie. En avez-vous lu?
Le sénateur Goldstein : Oui.
M. Bauer : J'en lis chaque semaine. À mon avis, la Cour fédérale se penche sur tous les aspects d'une audience, en particulier sur la question de crédibilité, qui est au cœur des audiences, car il revient au demandeur d'asile de démontrer le bien-fondé de sa revendication. C'est le contraire en droit criminel, en droit des faillites ou en toute autre sorte de droit. Il revient au demandeur de démontrer le bien-fondé de sa revendication. Il a aussi un gros avantage en ce sens que sa revendication doit être acceptée comme étant véridique, à moins de preuve contraire.
Le sénateur Goldstein : Si votre conclusion est que le mécanisme d'examen est identique au mécanisme d'appel, je n'ai plus de questions à vous poser.
M. Bauer : Si vous me le permettez, sénateur, l'important, c'est le résultat du processus — est-il juste et exact? — et non le type de processus comme tel. À mon avis, si la SAR proposée confirmait la décision du tribunal, certaines des personnes qui insistent si fortement pour qu'on crée la SAR diront qu'on a besoin d'un autre niveau d'appel, que la SAR n'a fait qu'examiner la décision et qu'il n'y a pas vraiment eu de processus d'appel. Bref, elles diront qu'il faut un autre niveau parce que la SAR ne fait que rejeter les cas qui lui sont soumis.
Je m'excuse de couper les cheveux en quatre, mais j'ai beaucoup de mal à comprendre le processus.
Le sénateur Goldstein : Merci, monsieur.
M. Bauer : Je vous en prie.
La présidente : Honorables sénateurs, le timbre sonne. Je crois que c'est pour la fin de la séance du Sénat d'aujourd'hui. Je vais tenter de savoir si les comités peuvent continuer à siéger.
Le sénateur Goldstein : Si vous me le permettez, j'étais là quand on a dit que les comités pouvaient continuer à siéger. Cela dit, le quorum m'inquiète. Le quorum est essentiel; le projet de loi que nous devrons étudier est crucial.
La présidente : Si j'ai bien compris, le projet de loi n'est pas devant la Chambre, et c'est pourquoi la séance a été levée. Par conséquent, les whips nous auraient rappelés si on avait besoin de nous pour avoir le quorum. Je suis en train de confirmer cela. Continuons donc, et dans quelques minutes, je vous interromprai, si vous me le permettez.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Bauer, vous avez fait tantôt une observation touchant une question que j'ai soulevée, hier, auprès de certains des témoins. Avez-vous dit, en effet, qu'à moins que chaque dossier d'appel ne soit tranché en faveur du demandeur d'asile, il y aura toujours des personnes qui estimeront qu'il est nécessaire d'avoir une étape supplémentaire pour garantir qu'on n'oublie personne? Comme M. Volpe vient de le dire, pourquoi ne pas avoir une sixième ou une septième étape?
M. Bauer : Je ne suis pas sûr que je le dirais exactement comme cela. Il ne faut pas supposer que le processus actuel — en particulier le processus d'appel et le mécanisme de recours —, est complètement inefficace. Certes, beaucoup d'aspects du système ont besoin d'être améliorés considérablement, mais la création d'un autre processus d'examen sur dossier ne ferait que reproduire le travail de la Cour fédérale.
Pour beaucoup, une décision défavorable ou contraire à leur opinion est le résultat d'un processus lacunaire. Cependant, ce n'est pas toujours le cas. Souvent, c'est tout simplement que le cas n'était pas fondé et que la décision était bonne, même si on n'est pas d'accord.
Au Canada, nous avons des cas où, malgré le système d'appel, les gens passent des années en prison à cause de mauvaises décisions. La création de processus d'appel et d'examen supplémentaires ne changera rien tant que la compétence des décideurs et la qualité des preuves demeureront imparfaites. Voilà le message à retenir.
Le sénateur Di Nino : Il est clair que vous avez beaucoup d'expérience dans ce domaine, et vos connaissances sont probablement aussi bonnes que celles des autres témoins que nous avons entendus jusqu'à présent. Ce qui m'a frappé, c'est que vous voulez sincèrement aider et protéger les réfugiés légitimes. Est-ce que la loi actuelle, sans les changements proposés par le projet de loi C-280, permet de faire cela? Notre système aide-t-il et protège-t-il les réfugiés légitimes?
M. Bauer : En principe, nous avons un tel système. Cependant, certains aspects de la loi sont mal conçus. La création d'un tribunal à un membre était une erreur grave, et je suis convaincu qu'on pensait que cela permettrait à la CISR d'accélérer les audiences et, par conséquent, de réduire les arriérés de travail. Le tribunal à un membre ne le permet pas, et cela nuit à tout le processus.
Je sais que M. Peter Showler a dit au comité qu'il a participé de près à la rédaction du projet de loi. Selon nous, les membres de la commission, il a adopté le point de vue d'un faiseur d'additions. Tous les mois, on nous envoyait des statistiques et on nous disait qu'il fallait en faire plus. On nous a demandé d'accélérer le traitement des demandes de certaines catégories de personnes, par exemple les tamouls âgés de 14 à 40 ans, ce qui correspondait exactement au profil des recrues des Tigres tamouls. Et ça ne finissait plus. M. Showler souhaitait vivement faciliter l'accélération du processus, mais il ne se rendait pas compte des effets que cela aurait. Il ne voyait pas non plus les répercussions qu'entraînerait le fait d'enlever l'agent de protection des réfugiés de la salle d'audience. Cette décision compte parmi les erreurs les plus graves qui ont été commises. Ce groupe de fonctionnaires, qui ne sont pas nommés, est constitué d'avocats qui possèdent un ensemble de connaissances que, malheureusement, les membres qui sont remplacés régulièrement à tour de rôle ne possèdent pas.
Selon le système actuel, un membre peut tenir une audience en l'absence d'un agent de protection des réfugiés, qui est un spécialiste en la matière. À un moment donné — vous vous en rappellerez monsieur le sénateur Goldstein —, le Conseil privé britannique a rendu une décision dans laquelle il a dit qu'il était très dangereux pour un juge de descendre dans l'arène. Pourtant, c'est ce que la loi a imposé aux membres de tribunaux.
Ils posent la plupart des questions et, malheureusement encore, les membres les moins compétents sont ceux qui ne veulent pas d'agent de protection des réfugiés dans la salle d'audience. Ils ne veulent pas que les agents posent des questions. Dans certains cas, ils ne veulent pas que les agents les entendent demander au client d'aller prendre un café avec eux après l'audience. Nous avons vu ce genre de cas dernièrement.
Le sénateur Di Nino : De toute évidence, monsieur Bauer, ces deux points que vous avez soulevés n'ont rien à voir avec le projet de loi C-280. Ils concernent d'autres problèmes, et, si j'ai bien compris, vous voulez qu'on s'y attarde dans l'avenir.
M. Bauer : Oui, sénateur, ils concernent le projet de loi. Tous les arguments en faveur de la SAR que j'ai entendus sont fondés sur le fait que la section a été conçue après la création des tribunaux à un membre. Par conséquent, la SAR a été conçue pour contrebalancer les lacunes créées par la décision de réduire la composition des tribunaux de deux membres à un membre. En même temps, l'idée était que, une fois les deux éléments en place, tout irait bien. On croyait que cela accélérerait le processus.
J'ai lu les témoignages qui ont été présentés au comité de la Chambre des communes par les ministres, par M. Showler, qui a déjà présidé la CISR, et par toutes sortes de personnes qui ont dit que le système est parfait, qu'il accélérera le processus et que tout fonctionnera beaucoup mieux qu'auparavant. Aujourd'hui, cinq ministres plus tard, j'entends dire que, non, cela ne fonctionnera pas.
Il y a donc une contradiction, et je crois savoir de laquelle il s'agit. Je n'ai pas reçu de tuyau, je ne fais qu'émettre une hypothèse. Je crois qu'il est devenu évident, après la promulgation de la loi, que le problème avec la SAR n'était pas seulement une question d'argent, de ressources humaines ou de personnel supplémentaire inutile. C'était aussi le fait que la loi autorisait le ministre à intervenir dans un dossier et à faire appel à la SAR.
On l'avait expliqué très rapidement à un moment donné. La loi prévoyait cela pour permettre au ministre de forcer la SAR à créer des précédents qui seraient exécutoires lors des audiences de la CISR. Autrement dit, le but était d'uniformiser, disait-on, le processus décisionnel.
C'est comme si on entravait l'exercice du pouvoir des membres des tribunaux. C'était une façon détournée d'y arriver. De plus, la loi autorisait le ministre à faire venir des spécialistes du pays d'origine des réfugiés.
C'est ce qui s'est passé dans le cas de la Hongrie, à l'époque où on recevait beaucoup de demandes de Roms qui étaient encouragés à venir au Canada. Leurs histoires n'avaient pas beaucoup de sens. On a donc fait venir des spécialistes de la Hongrie, non pas des fonctionnaires, mais des gens qui connaissaient la situation, puis on a produit un ensemble type de raisons en se fondant sur les faits. Cela a déclenché tout un tollé, et on s'est rendu compte qu'on ne pourrait pas passer par la SAR dans l'avenir. C'était politiquement inacceptable.
La présidente : Monsieur Bauer, mesdames et messieurs, il est 17 h 15, et, d'après le Règlement, nous n'avons pas besoin de retourner au Sénat, mais nous suspendrons tout de même la séance pendant cinq minutes.
Le comité suspend ses travaux.
Le comité reprend ses travaux.
La présidente : Mesdames et messieurs, poursuivons notre examen du projet de loi C-280. Pardonnez-moi, monsieur Bauer, mais nous avons choisi de privilégier la prudence afin de respecter toutes les règles. La séance du Sénat a été levée, alors nous poursuivrons nos travaux.
Le sénateur Di Nino : Je suis conscient du temps, alors je vais céder la parole à un autre membre du comité. Merci de m'avoir accordé autant de temps.
Le sénateur Munson : Vous avez dit que la Cour fédérale est le mécanisme tout désigné et que, par conséquent, nous n'avons pas besoin de la Section d'appel des réfugiés. Votre argument m'intrigue. S'agit-il d'un processus simple? De plus, après qu'une personne a épuisé tous ses recours concernant sa demande d'asile, elle doit souffrir de beaucoup d'anxiété, entre autres. Est-il simple de faire examiner une décision par la Cour fédérale? Pouvez-vous nous donner un exemple d'un cas récent, qu'il ait défrayé la chronique ou non, qui a été accueilli par la Cour fédérale?
M. Bauer : Il y a parfois des cas de politique générale, comme celui qui remettait en question l'Entente sur les tiers pays sûrs conclue avec les États-Unis. Ces cas font les manchettes, contrairement aux cas individuels, sauf ceux auxquels s'intéresse la CBC. En fait, si le cas est intéressant, la CBC y consacrera un documentaire d'une demi-heure dans le cadre d'une émission comme The Current. La Cour fédérale entend beaucoup de cas. En fait, il y a toujours au moins une trentaine de cas affichés sur le site web de la cour, dont environ 18 concernent des demandeurs d'asile. Ils touchent une vaste gamme de questions de droit.
Je me souviens d'un cas très récent où il n'y avait qu'une demi-page. La Cour fédérale a dit que le raisonnement du membre n'était absolument pas logique et qu'il n'avait pas compris les faits; par conséquent, le cas a été rejeté. La cour ne mâche pas ses mots lorsqu'un cas n'est pas bien étayé.
Vous vous rappellerez peut-être le cas de M. Matas, qui a déjà comparu devant vous. Il représente, à Vancouver, un homme d'affaires chinois recherché par le gouvernement de la Chine pour détournement de quatre milliards de dollars. J'avais trouvé cela intéressant que M. Matas dise qu'il n'y avait plus d'attente et qu'il n'y avait plus d'accès. Le cas traîne depuis sept ans. Dans les derniers motifs qu'ils ont écrits, les membres de la CISR ont énuméré une vingtaine d'audiences qu'ils ont tenues à l'égard de ce cas et ont cité un document de 200 pages expliquant les motifs de leur décision. On peut donc dire que la CISR fait son travail minutieusement. Il ne s'agit pas d'un organisme d'amateurs. Il y a simplement deux ou trois amateurs qui en font partie.
Le sénateur Munson : Vous avez entendu hier soir les propos passionnés des représentants de la Unitarian Church. Leur dernier point était très touchant. Beaucoup de personnes estiment qu'il faut créer une SAR et donc adopter le projet de loi. C'est ce que nous ont dit les représentants du Conseil canadien pour les réfugiés, de l'Association du Barreau canadien et d'Amnistie Internationale, entre autres. Dans votre préambule, vous avez dit que le projet de loi était malencontreux, malgré ses excellentes intentions. Que diriez-vous aux organismes qui croient fermement en l'importance du projet de loi?
M. Bauer : Je n'ai pas grand-chose à leur dire. Ils ont des réunions régulièrement. Le Conseil canadien pour les réfugiés prétend avoir 180 organisations membres. Je lui ai demandé, en vain, d'en avoir la liste, mais je sais qu'il affiche sur son site web les gens qui appuient ses pétitions. La plupart d'entre eux représentent de très petits organismes bénéficiant pour la plupart d'un soutien public et s'occupant de réfugiés ou de l'établissement de l'immigration. Le conseil est très ciblé. Il tient des réunions aux six mois, et il n'y invite pas des gens comme moi en vue d'avoir des discussions constructives. Les membres du conseil ne se parlent qu'entre eux.
Je n'ai jamais eu l'occasion de parler à Janet Dench. Je l'ai déjà rencontrée, par contre, lors d'une réunion, et je lis tous les propos qu'on lui attribue. C'est le conseil qui a présenté un mémoire important à la conférence sur la discrimination à Durban — j'en ai même une copie avec moi que je garde en souvenir. Dans le mémoire, le conseil accusait le Canada d'être un pays où le racisme et la discrimination étaient systémiques et dont le système d'immigration était systématiquement raciste. Voilà le conseil canadien pour les réfugiés. Je crois que c'est un scandale qu'un organisme canadien fasse des remarques de ce genre dans une tribune internationale qui, nous le savons tous, a été conçue principalement pour dénigrer Israël, sans compter que les vraies questions de droits de la personne et de discrimination visant les populations libyenne et iraquienne et toutes les autres n'ont jamais été abordées.
Vous pouvez comprendre pourquoi je méprise un peu les mémoires. Je vois les grosses piles de lettres, de mémoires et de sommaires, et si vous aviez une autre heure à me donner, je pourrais démonter un par un tous les arguments qu'ils contiennent. C'est du lobbying.
Pour ce qui est de l'association d'avocats pour réfugiés, elle comptait 700 membres à l'époque où je siégeais à son conseil d'administration. Hier, j'ai demandé à Max Berger, un ex-adversaire avec qui je m'entends bien, combien ils étaient maintenant. Il m'a répondu : « Trop. » Au moment où le marché immobilier de Toronto s'est effondré, les gens qui réglaient des hypothèques se sont lancés dans le domaine des réfugiés, et ils n'ont pas connu des résultats heureux.
Le sénateur Lovelace Nicholas : À supposer que le processus d'examen lui soit favorable, le demandeur obtient-il alors la double citoyenneté?
M. Bauer : Non. Lorsque la Cour fédérale prend une décision sur un cas, elle la renvoie à l'audience d'un autre tribunal qui, habituellement, doit tenir compte de tous les arguments avancés par la cour. Si, à cette étape, la demande est acceptée, se met alors en place un processus exhaustif qui demande du temps et de nombreux documents, mais le demandeur a alors franchi toutes les étapes. Il devient immigrant reçu et, plus tard, pourra effectivement obtenir la citoyenneté canadienne.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Une fois ces étapes franchies, le demandeur ne peut plus retourner dans son pays d'origine?
M. Bauer : Oui, il le peut. Il y a tout le temps des tamouls originaires du Sri Lanka qui retournent dans leur pays. Il se plaignent de ce que l'organisation des Tigres au Canada envoie des renseignements aux postes de contrôle tenus par les Tigres tamouls au Sri Lanka. S'ils n'ont pas versé d'argent aux Tigres tamouls, ils ne peuvent pas franchir ces postes de contrôle. Alors, pourquoi des personnes qui sont venues ici parce qu'elles étaient persécutées par les Tigres tamouls retournent-elles en visite à Jaffna?
Il s'agit là d'anomalies du système dont la plupart des Canadiens n'entendent pas parler, mais c'est très important. Si le système est discrédité, la sympathie du public canadien pour les réfugiés, qui est très grande, se détériorera peu à peu. La question refait surface de temps en temps, lorsque des incidents dramatiques se produisent, comme des bateaux qui arrivent sur les côtes de la Colombie-Britannique, entre autres, puis on cesse d'en parler parce que la plupart des gens n'ont ni le temps ni l'argent dont disposent les associations d'avocats et les divers groupes de pression, et que la plupart des politiciens ne veulent pas fouiller ces dossiers plus qu'il n'est nécessaire pour ne pas risquer de perdre les votes de bon nombre de ces groupes dont leur élection pourrait dépendre.
Cela se traduit effectivement par une situation très confuse mais oui, une fois qu'ils sont acceptés, les demandeurs deviennent des citoyens canadiens.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Bauer, si je comprends bien, vous pensez que les commissions d'un seul membre, particulièrement s'il n'y a pas d'observateurs, ne sont pas la bonne solution?
M. Bauer : Absolument, parce que dans l'ancien système, si la décision était positive, cela signifiait qu'un des membres de la commission avait été favorable à l'acceptation, et c'était la décision finale, sauf, bien sûr, si la personne avait de faux documents et que sa réponse n'était pas convaincante.
Le sénateur Jaffer : Ce que vous dites, si je comprends bien, c'est que les tribunaux d'un seul membre ne sont pas une bonne solution parce qu'il y a un risque d'erreur?
M. Bauer : Non, ce que je dis, c'est que, compte tenu des points faibles de bon nombre de commissaires, il est nécessaire d'avoir une instance forte pour les épauler. Je pense que M. Showler vous a dit cela plus tôt. L'idée était de les encadrer.
Non, il a dit cela devant le comité de la Chambre des communes lorsque la loi était à l'étude. Il faut deux membres pour avoir le degré nécessaire de partage de l'information, de jugement commun et de compromis. Cette condition protège un demandeur plus que toute autre chose et devrait être réintroduite dans le projet de loi.
Le sénateur Jaffer : Actuellement, il n'y a pas deux commissaires? Il n'y en a qu'un seul?
M. Bauer : Un seul commissaire et, pire encore, dans bien des cas, l'agent de protection des réfugiés qui a posé le contexte et les bases de l'interrogatoire n'a tout simplement pas accès à la salle d'audience. Le nombre de commissaires à Toronto a été réduit pratiquement de moitié.
Le sénateur Jaffer : Donc, diriez-vous que nous avons besoin d'une forme quelconque de processus d'examen?
M. Bauer : Non, pas du tout. Le conseil d'examen ne résout pas ce problème. Le problème persistera tant que ces deux aspects de la loi ne seront pas corrigés. Si j'avais quoi que ce soit à demander au comité, ce serait qu'il dise à l'autre endroit que la loi devrait être modifiée, mais d'une autre manière. Les tribunaux de deux commissaires devraient être rétablis et il devrait être exigé que les agents de protection des réfugiés soient présents à l'audience. Je pense que ces modifications contribueraient beaucoup plus à l'élimination des erreurs ou des injustices que le système actuel, qui n'est qu'un mannequin de paille. J'aillais dire homme de paille mais c'est sexiste.
La présidente : Monsieur Bauer, je suis désolée d'avoir dû interrompre votre exposé. Pour avoir déjà assisté à des audiences de ce type, vous savez que le comité travaille lorsque la Chambre siège et que les travaux ne sont pas toujours parfaitement synchronisés. Nous faisons de notre mieux. Merci d'être venu et de nous avoir transmis, dans votre analyse, vos points de vue et vos expériences, avant d'avoir fait partie de la commission et par la suite.
Notre dernier témoin pour l'examen du projet de loi C-280 est l'honorable Diane Finley, la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada.
Madame la ministre, je vous présente mes excuses pour ce retard. Étant donné que la Chambre siège, nous avons dû suspendre la séance. Merci de votre compréhension. Nous espérons que nous pourrons toujours disposer d'une heure. Je pense que vous êtes accompagnée de Mme Andrea Lyon, sous-ministre adjointe du Secteur des politiques stratégiques et des programmes, et de Mme Micheline Aucoin, directrice générale, Réfugiés, à Citoyenneté et Immigration Canada, et que vous souhaitez faire une déclaration préliminaire. Nous vous écouterons donc avant de passer aux questions.
L'honorable Diane Finley, C.P., députée, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration : Merci, Madame la présidente, honorables sénateurs et sénatrices, de m'avoir invitée à m'adresser à vous aujourd'hui.
[Français]
Vous avez déjà rencontré Andrea et Micheline, qui vont m'aider aujourd'hui. Je formulerai quelques observations et après quoi, nous serons heureuses de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le Canada est reconnu comme ayant l'un des programmes d'aide au réétablissement des réfugiés les plus justes et les plus généreux du monde. En réalité, le système canadien de protection des réfugiés est un exemple à l'échelle internationale pour les autres pays. Mais bien que notre système de protection des réfugiés soit juste et généreux, il peut également être très vulnérable aux abus. Les Canadiens, avec raison, ne tolèrent pas que des personnes sans scrupule abusent de notre générosité aux dépens des réfugiés authentiques qui ont besoin de notre aide et de notre protection. Les Canadiens sont en droit de s'attendre à ce que notre système de protection des réfugiés vienne en aide aux réfugiés légitimes et les protège.
Malheureusement, nous avons appris, par notre expérience, que bon nombre de demandeurs d'asile ne sont pas des réfugiés légitimes. Cela signifie que d'importantes ressources doivent souvent être affectées pour s'occuper des cas qui, au bout du compte, sont jugés ne pas être de véritables réfugiés; des ressources qui devraient normalement s'occuper des cas qui ont vraiment besoin de notre protection. Et la situation semble malheureusement se détériorer.
Au cours des dernières années, le nombre de demandes d'asile présentées au Canada a augmenté à un rythme beaucoup plus élevé que dans la plupart des autres pays et, dans la majorité des cas, les demandeurs d'asile n'ont pas un réel besoin de protection. En 2006, le nombre de demandes d'asile présentées a augmenté de 16 p. 100, tandis qu'il a encore augmenté de 24 p. 100 — soit de plus de 28 000 — l'année dernière. Cette année, nous nous attendons à recevoir plus de 40 000 demandes d'asile. Au cours des premiers mois de cette année, le nombre des demandes était de plus de 50 p. 100 supérieur à celui de l'an dernier.
[Français]
Honnêtement, le système canadien d'octroi de l'asile risque de s'écrouler sous son propre poids.
[Traduction]
Le Mexique est devenu notre principal pays source de demandeurs d'asile, avec plus de 7 000 demandes présentées en 2007 — soit une augmentation de 246 p. 100 depuis 2002, et près du quart des demandes que nous avons reçues l'année dernière. Par ailleurs, dans 90 p. 100 des cas, la CISR conclut que la demande n'est pas justifiée.
[Français]
Ces demandes encombrent un système qui vise à aider les personnes qui en ont vraiment besoin et les fonds des contribuables sont ainsi gaspillés.
La mise en œuvre de la Section d'appel des réfugiés, SAR, dans le cadre de l'actuel système ne ferait qu'empirer la situation.
[Traduction]
Les Canadiens veulent que notre système de protection des réfugiés accorde la priorité aux personnes qui ont réellement besoin de notre aide, parce que chaque fois qu'une demande d'asile injustifiée est présentée, il y a probablement un réfugié légitime qui doit attendre désespérément plus longtemps avant de recevoir l'aide et la protection dont il a besoin. Concrètement, si elle est mise en oeuvre, la Section d'appel des réfugiés, servira de mécanisme d'appel de fait pour chacun des demandeurs d'asile déboutés, peu importe qu'il s'agisse d'un réfugié légitime ou non. Cela se traduira par un délai d'attente encore plus long pour ceux et celles qui ont vraiment besoin de notre protection.
[Français]
Madame la présidente, une fois que la CISR a rendu sa décision au sujet d'une demande d'asile, l'intéressé a accès à trois mécanismes de recours en vertu de l'actuel système : le contrôle judiciaire, l'examen des risques avant renvoi et la présentation d'une demande pour des circonstances d'ordre humanitaire.
Ainsi, la plupart des demandeurs d'asile déboutés séjournent déjà au Canada pendant des années avant de partir ou d'en être renvoyés.
La SAR ajouterait une autre étape ainsi que cinq autres mois à un processus déjà long et complexe.
[Traduction]
Le projet de loi C-280 ne permettrait pas d'atténuer la pression découlant de l'augmentation du nombre de demandes d'asile, ni de corriger le système lourd et complexe en lien avec les divers recours à la disposition des demandeurs d'asile déboutés. La SAR ne ferait que répéter l'actuel processus sans offrir de garantie supplémentaire aux demandeurs d'asile.
En fait, en vertu de la législation proposée, la SAR ne permettrait que de procéder à un examen sur papier des décisions rendues par la Section de la protection des réfugiés de la CISR. Et comme il ne s'agirait que d'un examen du dossier, il ne serait pas possible de tenir une nouvelle audience en personne. Cela signifie qu'il n'y aurait aucun appel en personne. Cet examen se fonderait sur la même information et sur les mêmes éléments de preuve qui sont utilisés par la CISR lors de l'évaluation de chaque demande d'asile.
[Français]
La mise en œuvre de la SAR ne ferait que répéter des processus déjà exécutés dans le cadre du contrôle plus exhaustif effectué par la Cour fédérale.
La SAR ne permettrait pas aux demandeurs d'asile déboutés de présenter de nouveaux éléments de preuve ou des circonstances qui pourraient avoir changé depuis l'annonce de la décision initiale au sujet de leur demande.
[Traduction]
Le processus d'Examen des risques avant renvoi, ou ERAR, offre cette possibilité. Le processus d'ERAR donne aux demandeurs, une dernière fois avant leur renvoi, la chance de présenter de nouveaux éléments de preuve qui seront pris en compte. L'ERAR permet également la tenue d'une audience en personne, ce que la SAR n'offrirait pas parce qu'il s'agit d'un examen du dossier lors duquel seuls les éléments présentés initialement seraient pris en compte.
[Français]
Un des avantages du système canadien est que nous avons investi dans un processus décisionnel de premier niveau très compétent et reconnu à l'échelle internationale. Au Canada, les demandeurs d'asile peuvent se présenter devant un tribunal quasi judiciaire indépendant comptant sur une expertise en matière d'octroi d'asile.
[Traduction]
Au lieu de disposer d'un processus décisionnel de premier niveau peu efficace qui se traduirait par de fréquentes annulations en appel, nous disposons d'un processus d'octroi de l'asile de premier niveau qui, comme je l'ai déjà mentionné, est considéré par plusieurs comme l'un des meilleurs du monde.
La mise en oeuvre de la SAR nécessiterait l'injection de dizaines de millions de dollars en frais de mise en oeuvre et en coûts annuels, que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient absorber.
[Français]
Des ressources supplémentaires devraient être affectées par le gouvernement fédéral et nos partenaires provinciaux et territoriaux puisque les demandeurs d'asile continueraient de bénéficier de différents services, dont les prestations de maladie et l'aide sociale.
[Traduction]
Les Canadiens et les Canadiennes seraient en droit de se demander si l'ajout d'une étape supplémentaire au processus et les dépenses additionnelles permettront d'améliorer le système. Dans le cas qui nous intéresse, la réponse est non. Nous devons nous assurer que nous ne sacrifions pas le niveau de protection pour ajouter un processus d'appel discutable.
[Français]
Lorsque la CISR accueille une demande d'asile, deux années s'écoulent entre la présentation de la demande d'asile et l'octroi du statut de résident permanent. Mais selon la CISR, un peu moins de la moitié des demandeurs d'asile — soit à peine 43 p. 100 — ont réellement besoin de la protection du Canada.
[Traduction]
Et dans le cas des 57 p. 100 de demandeurs que la CISR déboute, un longue période de temps s'écoule — de deux à trois ans minimum — avant que l'on puisse procéder à leur renvoi du Canada. Ce délai est attribuable au fait que, pour la plupart des demandeurs d'asile déboutés, au moins quatre décisions doivent être rendues avant que le renvoi ne puisse être exécuté. Ajouter un cinquième recours n'entraînera que des délais juridiques supplémentaires pour les demandeurs d'asile légitimes et illégitimes.
[Français]
Comme la vérificatrice générale l'a récemment indiqué, plus les demandeurs d'asile déboutés séjournent longtemps au Canada, plus il est probable qu'ils restent ici de façon permanente. L'actuel système prévoit d'ores et déjà divers recours, y compris un appel devant la Cour fédérale.
[Traduction]
Madame la présidente, je tiens à vous assurer, ainsi qu'aux membres de ce comité, que l'actuel système de protection des réfugiés est d'ores et déjà entièrement conforme aux lois canadiennes et internationales. Pour le moment, la mise en oeuvre de la Section d'appel des réfugiés n'améliorera pas le système de protection des réfugiés. En fait, je suis d'avis qu'elle lui nuira grandement.
En clair, s'il est adopté, ce projet de loi affaiblira l'actuel système, qui pourrait même courir à sa perte. Ces problèmes s'aggraveraient considérablement sans dispositions transitoires claires. Le manque de règles de transition claires précisant qui a le droit d'interjeter appel et quels cas en cours de traitement pourraient en bénéficier créerait une situation où des dizaines de milliers de demandeurs déboutés pourraient interjeter appel devant la SAR, entraînant ainsi un important arriéré dès la première journée d'existence de la SAR.
La réalité est qu'environ 40 000 demandeurs d'asile ont vu leur demande rejetée depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) en 2002. Et ce nombre augmente chaque mois. Ces données n'incluent pas les demandeurs dont la demande a été rejetée avant 2002, qui n'ont pas été renvoyés et à qui le statut de résident permanent n'a pas été accordé. Ces demandeurs pourraient également interjeter appel devant la SAR si aucune règle de transition claire n'est prévue.
Avant de conclure, j'aimerais citer un ancien ministre libéral de la Citoyenneté et de l'Immigration qui, tout comme moi, a dû se pencher sur la mise en œuvre de la SAR. M. Joe Volpe a déclaré :
[. . .] les mécanismes d'appel existent pour tout le monde et ils fonctionnent très bien. Nous ne voulons pas ajouter un autre palier d'appel [. . .]
Il a dit cela en mars 2005. Il a également affirmé :
Encore trop de temps s'écoule avant qu'une décision ne soit prise et avant que les décisions prises aient des répercussions. Le fait d'ajouter un autre mécanisme de révision ou d'appel à ce que nous offrons déjà ne nous permettra pas vraiment de régler ce problème. En fait, le résultat pourrait être pire. J'ai donc décidé de ne pas mettre la SAR sur pied.
Il a fait cette déclaration en novembre 2005
Madame la présidente, j'incite tous les sénateurs à écouter les paroles et à tenir compte des actions de l'ancien ministre, et à reconsidérer leur appui envers la mise en oeuvre de la Section d'appel des réfugiés pour l'instant.
Nous serions maintenant heureuses de répondre à vos questions.
Le sénateur Goldstein : Merci, madame la ministre, pour nous avoir consacré une partie de votre temps. Nous savons tous que vous êtes très occupée et nous vous en sommes d'autant plus reconnaissants d'avoir pris le temps de venir ici pour nous faire un exposé, ma foi très clair, de votre position sur cette question.
Votre exposé suscite trois questions et une observation. Tout d'abord, vous avez dit que nous devons faire en sorte de ne pas sacrifier l'actuel niveau de protection pour ajouter un palier d'appel discutable. Je ne comprends pas, et peut- être pourrez-vous m'expliquer, comment l'ajout de ce mécanisme d'appel sacrifierait le niveau actuel de protection.
Mme Finley : Tout revient à notre objectif en matière d'aide aux réfugiés. Je crois que les Canadiens veulent protéger et aider les réfugiés légitimes, et ils sont des millions dans le monde au moment où je vous parle. Malheureusement, certains d'entre eux attendent dans des camps depuis près de 20 ans.
Plus nous consacrons de temps et de ressources au traitement des dossiers de réfugiés illégitimes — dont beaucoup sont souvent des migrants économiques, par exemple, ou à qui on a conseillé de faire une demande d'admission par la voie du système de protection des réfugiés pour être sûr d'être admis au Canada —, moins nous pourrons consacrer de ressources aux réfugiés légitimes de partout dans le monde qui sont dans les camps, qui attendent notre aide et que nous voulons aider. Nous sacrifierions notre capacité à aider ces réfugiés légitimes, qui souffrent depuis longtemps, pour venir en aide à la majorité des cas actuellement dans le système, dont il n'est pas vraiment prouvé qu'ils sont des réfugiés.
Le sénateur Goldstein : Cela présuppose que vos ressources sont limitées. Dans l'hypothèse où vous auriez des ressources suffisantes pour permettre l'ajout d'un tribunal d'appel, le niveau actuel de protection qui existe au Canada pour les demandeurs d'asile légitimes ne s'en trouverait certainement pas amoindri.
Mme Finley : On peut se demander ce que seraient des ressources suffisantes. Dans un monde idéal, nous aurions tous les ressources suffisantes.
Je ne dispose que de 24 heures par jour. Certains jours j'aimerais pouvoir disposer de bien plus. Il en va de même pour les ressources financières. Les individus, les gouvernements et le pays ont tous des ressources financières et humaines limitées.
Il sera difficile, entre autres, de trouver des personnes capables d'effectuer ce travail. Si la SAR est mise en place, il faudra trouver des personnes possédant des compétences spécialisées, qui peuvent non seulement prendre des décisions à partir des faits, mais qui sont aussi à la hauteur sur le plan juridique. Il n'y a pas beaucoup de gens au pays qui accepteront ce genre de travail pour le salaire offert par le gouvernement. Les ressources sont limitées, qu'on veuille ou non le reconnaître.
Le sénateur Goldstein : Vous avez mentionné que le système actuel dispose de nombreuses voies de recours, notamment la possibilité d'interjeter appel à la Cour fédérale. Vous conviendrez avec moi, n'est-ce pas, qu'il ne s'agit pas d'un appel au sens habituel, mais plutôt d'un processus de révision ou, comme on le dit en français, d'une cour de cassation?
Mme Finlay : La SAR jouerait à peu près le même rôle. Elle procéderait à un examen sur dossier. Il existe différentes voies de recours, les possibilités offertes par le système étant nombreuses. C'est pourquoi il faut tant de temps pour obtenir une décision finale.
Le sénateur Goldstein : Vous avez affirmé, en troisième lieu, que le système actuel de protection des réfugiés est pleinement conforme aux lois internationales et nationales sur les réfugiés.
Mettons de côté pour l'instant les lois nationales. En 2002 et de nouveau hier, le Haut Commissaire pour les réfugiés des Nations Unies a déclaré ce qui suit :
Le HCR considère la procédure d'appel comme un élément fondamental et nécessaire du processus de détermination du statut de réfugié. Elle permet de corriger les erreurs.
Il a ajouté ce qui suit :
Auparavant, la décision d'octroyer ou non le statut de réfugié était prise par des tribunaux composés de deux commissaires, ce qui assurait une certaine protection. En cas de décision partagée, le doute faisait pencher la décision en faveur du demandeur. Or, cette mesure de protection disparaîtra avec la mise en œuvre de la LIPR le 28 juin.
Êtes-vous en désaccord avec cette affirmation?
Mme Finlay : Avant l'entrée en vigueur de la LIPR, deux commissaires étaient responsables de la détermination. Par la suite, nous sommes passés à une seule personne, car nous avons constaté que le processus décisionnel initial était très rigoureux. Si vous passez en revue tout ce qui a été fait, vous découvrirez qu'environ seulement 2,4 p. 100 des décisions initiales sont renversées. Lorsqu'il y avait deux commissaires et que la décision risquait d'être partagée, la décision favorisait toujours le demandeur. C'était redondant. Depuis qu'il y a un seul commissaire, appuyé par un mécanisme initial rigoureux, les décisions sont confirmées dans 98 p. 100 des cas. Je crois que nous faisons preuve d'une plus grande cohérence que la plupart des systèmes.
Le sénateur Goldstein : D'après les débats parlementaires à l'époque, les gens ont accepté de passer de deux commissaires à un seul pour la seule et unique raison que l'on établirait la SAR. Pourquoi dites-vous maintenant que la procédure fondée sur un seul commissaire est devenue très rigoureuse?
Mme Finlay : Les décisions prises sont confirmées à toutes les étapes et en appel, et même dans un cas par la Cour fédérale. Dans plus de 97 p. 100 des cas, la décision initiale est confirmée, ce qui montre que le processus en place est rigoureux.
Le sénateur Goldstein : On pourrait dire la même chose de la Cour d'appel du Québec. Faudrait-il pour cette raison abolir celle-ci? La plupart des décisions rendues par les cours de première instance au Québec et dans les autres provinces sont confirmées par la cour d'appel. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille abolir la cour d'appel.
Mme Finley : Ce n'est pas ce que j'ai dit. Vous m'avez demandé ce que je pensais de l'utilisation d'un commissaire au lieu de deux, et j'ai répondu que les décisions rendues par un seul commissaire semblaient être maintenues dans environ 97 p. 100 des cas, ce qui est mieux que la plupart des autres systèmes auxquels j'ai eu affaire.
Le sénateur Goldstein : Votre prédécesseure, Diane Ablonczy, qui était la porte-parole en matière d'immigration lorsque les conservateurs faisaient partie de l'opposition, a indiqué ce qui suit le 1er juin 2005 :
Monsieur le Président, j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui à la Chambre une pile de pétitions signées par des milliers de Canadiens...
En fait, 6 000 personnes avaient signé la pétition, et non 180 comme l'a laissé entendre le témoin précédent.
... de toutes les régions du pays.
Les pétitions concernent les dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés que la Chambre a adoptée en 2002.
Les députés se souviendront que cette loi prévoyait l'établissement de la section d'appel des réfugiés. Les députés savent aussi que le gouvernement n'a pas donné suite à cette disposition, même si le gouvernement y est tenu par la loi.
Des milliers de Canadiens à l'échelle du pays demandent à la Chambre des communes...
Mme Ablonczy cherchait à mettre en place la SAR au nom de l'opposition à l'époque. En moins d'un an, la position de votre parti a changé. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi?
Mme Finlay : Je ne connais pas la position personnelle de Mme Ablonczy. Cependant, si mes électeurs me remettent une pétition pour que je la présente à la Chambre des communes, il est de mon devoir, en tant que députée, de le faire, que je sois d'accord ou non avec la pétition.
Le sénateur Goldstein : Vous voudrez sans doute lire la déclaration.
Le sénateur Di Nino : Bienvenue, madame la ministre. Je suis heureux de votre présence ici aujourd'hui, et de celle de vos fonctionnaires.
Au cours de votre déclaration, vous avez fait un commentaire plutôt significatif. Pour ne pas faire de paraphrase, je vais lire votre déclaration. Vous avez dit ce qui suit :
Les Canadiens sont en droit de s'attendre à ce que notre système de protection des réfugiés vienne en aide aux réfugiés légitimes et les protège.
Pourriez-vous donner des précisions à ce sujet dans le contexte du projet de loi C-280?
Mme Finlay : Avec plaisir. L'augmentation considérable du nombre de demandes d'asile au cours des deux dernières années, en particulier celles présentées par des personnes d'origine mexicaine et haïtienne, est sans doute le meilleur exemple que je puisse vous donner. Les États-Unis sont devenus, semble-t-il, très stricts envers les immigrants clandestins, et un grand nombre d'entre eux cherchent maintenant à entrer au Canada. En fait, certains individus sans scrupule trompent les immigrants clandestins en leur disant que le Canada a mis sur pied un programme spécial pour les accueillir. Ces immigrants se ruent vers les frontières, plus particulièrement au Québec et à Windsor. Leur nombre a augmenté considérablement. En fait, le tiers des demandes reçues à ce jour en 2008 proviennent d'immigrants mexicains et haïtiens, ce qui ne comprend pas leurs enfants nés aux États-Unis, dont le nombre s'élevait à environ 1 800 l'an dernier.
Ces personnes ne viennent pas au Canada parce qu'elles craignent d'être persécutées au sens propre du terme « réfugié », mais bien parce qu'elles cherchent une voie de secours. Elles savent que nos lois ne nous permettent pas de les renvoyer au Mexique. On leur a dit que présenter une demande à titre de réfugié constitue la meilleure façon d'entrer au Canada, d'obtenir rapidement un permis de travail, de bénéficier d'une aide sociale et d'une aide au logement. On leur a dit qu'ils pourront demeurer au Canada s'ils y restent deux ou trois ans et y ont d'autres enfants.
Ces personnes abusent d'un système qui est bien fait — on peut seulement abuser des bonnes choses — pour venir au Canada pour les mauvaises raisons. Elles ne risquent pas d'être torturées ou persécutées en raison de leurs croyances religieuses ou de leur ethnie. Dans bien des cas, il s'agit de migrants économiques. C'est pourquoi 90 p. 100 des demandes présentées par des ressortissants mexicains ont été rejetées l'an dernier. Ces personnes ne sont pas des réfugiés légitimes comparativement aux personnes qui ont habité dans des camps pendant des années.
Certains profitent du système, et les Canadiens n'aiment pas ça. Les Canadiens sont prêts à venir en aide à ceux qui en ont besoin et qui le méritent, comme les réfugiés karens à qui nous avons ouvert nos portes, ou encore les réfugiés bhoutanais ou irakiens, dont le gouvernement entend doubler le nombre cette année. Ce sont là de véritables réfugiés.
Le sénateur Di Nino : Les demandeurs illégitimes bloquent le système.
Plusieurs témoins ont parlé du passage éventuel du projet de loi C-280. Certains ont affirmé avec force qu'il fallait apporter une modification en ce qui concerne l'entrée en vigueur afin de donner le temps au gouvernement et à la CISR de mettre en place la SAR.
C'est le cas notamment de M. Abraham, le représentant canadien du HCR. Qu'en pensez-vous et quel serait un délai raisonnable pour mettre en application le projet de loi C-280?
Mme Finlay : Manifestement, je m'oppose à la création de la SAR au départ, tout comme mes quatre prédécesseurs, dont trois étaient libéraux. Il ne s'agit pas d'une question de ligne du parti. Tous ceux qui se sont penchés sur la question sont d'accord pour dire qu'il n'est pas nécessaire de créer la SAR et que celle-ci n'est pas nécessairement une bonne chose.
Cependant, si le projet de loi est adopté, je tiens à ce que la SAR fonctionne. Il ne suffit pas dire que le projet de loi a été adopté pour que la SAR existe.
La SAR sera un nouvel organisme. Il faudra recruter des personnes aux compétences très particulières, ce qui sera difficile. Il faudra leur offrir une formation spécialisée. Il faudra trouver des locaux et du personnel de soutien et mettre en place le matériel informatique nécessaire. Le système en soi nécessitera un mécanisme de suivi informatisé.
D'après mes conversations avec le président de la CISR, il faudra au moins un an pour bien faire les choses, sinon on se retrouvera avec une montagne de papier. Le processus deviendrait très lourd, sans apporter aucun des avantages recherchés. Donc, du point de vue pratique, il faudra prévoir un an.
Malheureusement, le projet de loi ne contient aucune disposition en ce qui concerne l'entrée en vigueur de la SAR. Il ne contient pas non plus de disposition transitoire concernant les personnes admissibles. Est-ce que les personnes dont la demande a été rejetée pourront interjeter appel ou est-ce que la possibilité d'interjeter appel se limitera aux nouveaux cas? Les tribunaux ont déjà pris des décisions à cet égard.
Le système sera inondé si nous annonçons soudainement l'existence de la SAR et que tous les demandeurs peuvent porter appel, ce que permet le libellé actuel du projet de loi C-280. Nous parlons ici d'un arriéré de 40 000 personnes, qui pourrait prolonger le processus pour une période additionnelle de cinq mois et complètement paralyser le système.
Donc, pour des raisons très pratiques, si le projet de loi est adopté, il faudra non seulement prévoir une période d'un an pour la création et l'entrée en vigueur de la SAR, mais aussi déterminer quelles personnes pourront interjeter appel à la SAR.
Le sénateur Di Nino : J'allais justement vous poser des questions au sujet des règles de transition. À la page 5, vous en parlez brièvement. Est-ce que vous souhaitez que l'on ajoute au projet de loi des dispositions transitoires?
Je conviens avec vous que c'est nécessaire. Cependant, vous savez comment le Parlement fonctionne. Si le projet de loi était adopté, est-ce que vous nous encourageriez à faire valoir l'importance d'ajouter une disposition transitoire?
Mme Finlay : C'est la seule chose responsable à faire. La simple entrée en vigueur des articles de la loi n'apporte rien à personne. En fait, ça ne vient qu'aggraver le problème — tant pour les personnes qui présentent une demande légitime que pour les autres — car ce n'est pas faisable et les critères ne sont pas définis.
Les ressources ne sont pas illimitées. Il serait irresponsable de s'attendre à ce qu'un organisme comme la CISR, qui fait déjà face à une augmentation de 50 p. 100 du nombre de demandes cette année, tourne soudainement son attention et ses ressources vers un nouveau projet, sans aucun plan, sans aucune restriction quant aux demandeurs et sans ressources, que ce soit du temps ou des personnes. Il faut prendre le temps de trouver les bonnes personnes.
Je ne suis pas contre l'idée de mettre en place un mécanisme d'appel efficace, mais le projet de loi, tel qu'il est, n'apporte pas de solution efficace. Il ne contribuerait qu'à paralyser le système, dont on critique déjà la lenteur, la longueur et la complexité.
Le sénateur Di Nino : Vous conviendrez sans doute avec moi qu'en l'absence de disposition transitoire, les réfugiés légitimes qui ont pris la parole il y a un moment devront attendre encore plus longtemps. L'adoption de ces dispositions contribuerait à notre réputation dans le monde en tant que pays qui a du cœur et qui protège bien les réfugiés.
Mme Finlay : Vous avez absolument raison. Je suis affligée à l'idée des réfugiés qui se trouvent dans des camps de l'ONU partout dans le monde et qui doivent attendre jusqu'à trois ans pour venir au Canada à titre de réfugié au sens de la convention en raison des migrants économiques qui cherchent à contourner les règles d'un système d'immigration surchargé.
Le sénateur Di Nino : C'est un système qui ne fournit pas à la demande.
La présidente : Les noms des sénateurs Jaffer et Munson sont sur la liste. Cependant, les sénateurs Goldstein, Nolin, Munson et Jaffer m'ont transmis leur désir de poser des questions supplémentaires. Est-ce qu'on peut procéder rapidement? Je suivrai l'ordre dans lequel j'ai reçu le tout.
Le sénateur Goldstein :Vos arguments en faveur d'une disposition transitoire sont persuasifs. Le sénateur Di Nino a soulevé le même point de façon éloquente lors de son discours sur la question devant le Sénat.
Quel genre de disposition transitoire souhaitez-vous? Est-ce que selon vous la SAR, à son entrée en vigueur, viserait uniquement les demandes en attente devant la CISR? Est-ce qu'il faudrait fixer une date limite, par exemple les décisions rendues le ou avant le 1er janvier 2006 ou 2007? Comment faudrait-il procéder selon vous pour ne pas paralyser le système?
Mme Finlay : Il existe plusieurs options. Je crois cependant que nous devrons nous conformer à certaines décisions de la Cour fédérale. Par exemple, nous avons dû fixer une date limite dans le cadre du projet de loi C-50, visant à modifier les règles en matière d'immigration. Les anciennes demandes et les demandes en cours devaient être traitées en fonction des règles en vigueur. Il s'agit d'une règle imposée par les tribunaux.
Il se peut que certains motifs d'ordre juridique m'échappent. Mme Lyon en sait peut-être plus que moi. Idéalement, la date de transition doit correspondre à la date d'entrée en vigueur, sinon on commence à créer un arriéré, ce qui est injuste pour tout le monde.
Le sénateur Goldstein : Je comprends.
Mme Finley : C'est ce que souhaite.
[Français]
Le sénateur Nolin : Madame la ministre, vous parlez de règles transitoires et de l'hypothèse d'un amendement. Je veux bien vous comprendre. La règle transitoire vous permettrait de retarder dans le temps l'application de l'article 110. Toutefois, de la façon dont je lis cet article, il donne un droit d'appel à tout le monde. Est-ce le droit d'appel que vous voulez réduire par votre amendement ou voulez-vous retarder la mise en application de la loi?
Mme Finley : La mise en application de la loi.
[Traduction]
Le sénateur Nolin : Par ailleurs, l'amendement proposé préserverait-il le droit d'appel de tous?
Mme Finley : Nous croyons que tout le monde mérite d'être traité de façon juste et équitable.
Le sénateur Nolin : Selon l'argument avancé, on créerait ainsi un engorgement.
Mme Finley : Supposons que la date d'entrée en vigueur choisie est dans 12 mois. Seules les demandes soumises à compter de cette date seraient considérées; aucune demande soumise avant cette date ne serait traitée.
Le sénateur Nolin : L'article 110 n'était pas en vigueur avant la date fixée. D'accord.
Mme Finley : L'objectif est de commencer avec aucune demande.
Le sénateur Nolin : Le premier jour de l'entrée en vigueur de l'article 110.
Mme Finley : Toute personne présentant une demande d'appel à compter de cette date.
Le sénateur Nolin : Merci.
Le sénateur Munson : Madame la ministre, que nous adoptions ou non le projet de loi ne fait aucune différence. Si le Sénat adopte ce projet de loi, il doit encore obtenir la sanction royale, ce qui nous ramène à la case départ, soit à l'année 2002. Vous avez le gros bout du bâton, vous pouvez encore dire non.
Mme Finley : Je crois que la décision revient au gouverneur en conseil et non au ministre.
Le sénateur Munson : La décision relève de l'exécutif. Je pense que l'Association du Barreau canadien a déposé une plainte au sujet de ce processus il y a quelques années. Il va à l'encontre de la primauté du droit, car l'exécutif peut l'invalider, à sa discrétion. À la suite de ce processus exhaustif, l'exécutif se réserve le droit de dire non. C'est l'une des possibilités.
Mme Finley : Dès leur entrée en vigueur, les dispositions du projet de loi C-280 primeront la prérogative de l'exécutif.
Le sénateur Munson : J'avais besoin de ces éclaircissements.
Le sénateur Jaffer : J'ai été agréablement surprise par votre réponse à la question de l'un de mes collègues, soit que vous n'avez rien contre un processus d'appel efficace. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là?
Mme Finley : Dans tous les cas où les processus nécessitent la prise de décisions, les Canadiens s'attendent à ce qu'il soit possible d'obtenir une deuxième opinion. Nous avons le Sénat, qui pose un second regard objectif.
Le sénateur Jaffer : Vos propos seront cités à plusieurs reprises.
Mme Finley : J'en suis certaine. Notre système judiciaire est composé de divers niveaux d'appel et comporte des contrôles judiciaires. Il existe plusieurs mécanismes. Lorsque l'on a affaire à des personnes, des erreurs peuvent être commises.
On en vient alors à se poser la question suivante : à combien de chances, d'essais et de reprises avons-nous droit? À l'heure actuelle, nous en avons quatre. Si nous introduisons un cinquième niveau décisionnel, rien ne nous empêche alors d'en ajouter un sixième, un septième ou un huitième. Pourquoi pas 72? Quel est le chiffre magique? Cela me rappelle l'époque où je travaillais dans le monde des affaires. Les demandes d'avance et de remboursement devaient être signées par le demandeur. Le superviseur devait donner son approbation, suivi du gestionnaire, du directeur et du vice-président. Lequel d'entre eux était responsable de la décision? Les deux premiers ne prendront aucune décision, car celle-ci pourrait être rejetée par leurs supérieurs. Si un problème se présente, ils se tourneront vers le vice-président et non vers leur supérieur immédiat. Le processus alourdissait la charge de travail sans être efficace, car il n'y avait aucune obligation de rendre compte.
Dans le cas qui nous intéresse, nous avons besoin d'un processus d'appel efficace. En toute honnêteté, je ne crois pas le processus en place le soit. J'estime qu'il est redondant. Il ne tient pas compte des nouvelles données pouvant être fournies par le demandeur, ou encore des situations, qui me causent beaucoup de frustrations, où de nouvelles données concernant un dossier de revendication du statut de réfugié révèlent que le demandeur est un peu malhonnête et qu'il a falsifié les renseignements fournis dans sa demande, sans qu'on puisse soumettre ces preuves à l'appui.
Si l'on ne peut atteindre un certain équilibre, le système est inefficace. S'il est redondant, à quoi bon? Étant donné l'abondance de mécanismes en place, pourquoi affecter de précieuses ressources pour s'occuper de gens qui ne sont pas de véritables réfugiés, mais plutôt des demandeurs d'asile, alors que l'on devrait axer ses efforts sur les cas de réfugiés qui sont vraiment dans le besoin?
La présidente : Sénateur Jaffer, aviez-vous d'autres questions?
Le sénateur Jaffer : J'ai une question complémentaire. Vous avez mentionné de quatre à cinq processus, mais, si je ne m'abuse, il s'agit de processus différents. L'ERAR permet d'examiner les risques associés au renvoi d'une personne. Dans le cadre des demandes CH, nous évaluons si la personne visée est bien établie au Canada. Le processus lié à la Cour d'appel fédérale n'est pas vraiment un processus d'examen. Nous avons déjà abordé les problèmes découlant ce processus. Je ne connais pas les quatrième et cinquième processus auxquels vous faites référence. Il n'existe pas de processus absolu d'examen d'une décision. Si j'ai bien compris, l'examen d'une décision ne peut faire l'objet d'un appel.
Je vous félicite d'avoir constaté qu'il y a un problème. Cela va probablement à l'encontre des objectifs de mon parti, mais je vous souhaite de demeurer en poste assez longtemps pour mettre en place un processus efficace, car c'est là que le bât blesse.
Mme Finley : Les possibilités sont nombreuses, et plusieurs options s'offrent aux gens qui souhaitent immigrer légalement au Canada. Ce qui m'inquiète, c'est le fait que la SAR n'est qu'une répétition. Premièrement, c'est un examen sur papier, une évaluation de ce qui a déjà été fait, une remise en question du processus original. Le demandeur ne peut fournir de nouveaux renseignements. Il n'y a pas d'audience. Elle ne permet par à la CISR de porter des renseignements supplémentaires au dossier. Par exemple, on ne tient pas compte du changement des circonstances dans le pays d'origine du demandeur. Il n'y a aucune valeur ajoutée. On ne fait que reproduire ce qui a déjà été fait. Les répétitions sont choses communes ici, ce qui ne signifie pas que c'est la bonne solution. Selon moi, on devrait faire le travail correctement du premier coup. Le taux de confirmation de nos décisions par la cour révèle que nous faisons du bon travail, mais nous devons toutefois en abattre davantage.
Le sénateur Jaffer : Madame la ministre, le Canada est le grand pays qu'il est parce qu'il se préoccupe de tout un chacun. Nous sommes fiers de notre réputation à l'échelle internationale. Je pense que vous conviendrez que les décisions prises sont parfois mauvaises. Nous en avons vu quelques exemples hier lors des témoignages de différents groupes confessionnels concernant le refuge dans un lieu de culte. Comment protégez-vous les gens dans ces circonstances? Vous conviendrez, j'en suis certaine, que les membres font des erreurs. Comment protégez-vous ces personnes?
Mme Finley : Lorsque l'on a affaire à des gens, en effet, il est possible de commettre des erreurs; l'erreur étant humaine. Je ne suis pas parfaite et je n'ai jamais prétendu le contraire. J'accepte la responsabilité de mes erreurs. J'estime que les gens font de leur mieux. Nous avons mis en place plusieurs mesures de protection. Nous choisissons des gens compétents, nous leur offrons la formation nécessaire et veillons à ce qu'ils soient prêts et en mesure de faire leur travail. C'est la première étape. Lorsqu'une une erreur est commise, chaque étape du processus — ce sujet n'a été qu'effleuré, à moins que j'aie manqué les discussions à ce propos — est assortie d'un contrôle judiciaire. Si le demandeur, ou son représentant, juge qu'une erreur a été commise, il peut demander un contrôle judiciaire. Cette possibilité existe déjà.
Il s'agit d'un autre élément qui vient, pour utiliser une expression de chez nous, nous mettre des bâtons dans les roues et alourdir le système. Les possibilités d'examen ou d'appel de type « a » sont tellement abondantes que le processus dont on parle est redondant. Il n'ajoute rien de plus, aucune valeur supplémentaire.
Le sénateur Jaffer : Vous avez absolument raison de dire que chaque étape du processus comporte une possibilité de contrôle judiciaire. Par ailleurs, je crois comprendre que, pour ce faire, il est nécessaire d'obtenir une autorisation et qu'une telle autorisation est rarement accordée. Les motifs ne sont pas révélés, c'est pourquoi il est difficile de savoir pourquoi la demande d'autorisation a été rejetée. Ce n'est pas aussi facile que l'on pourrait le croire.
Mme Finley : Cela confirme la qualité des décisions rendues.
Le sénateur Jaffer : Permettez-moi d'être en désaccord.
Mme Finley : Voilà un point que j'ai appris lorsque j'ai été élue et que je traitais les affaires de ma circonscription. Il a été renforcé lorsque que je me suis jointe à l'équipe de Citoyenneté et Immigration Canada. Les journaux publient de nombreux cas; certains sont bien tristes et d'autres nous semblent tragiques. S'il y a une chose que j'ai apprise de ces cas, c'est qu'il existe toujours trois versions d'une histoire. Chaque histoire ne peut être publiée intégralement dans les journaux. Pour des raisons de protection de la vie privée ou de sécurité, par exemple, je ne peux rien divulguer aux journalistes. Certaines personnes veulent désespérément venir au Canada parce que la situation dans leur pays d'origine est insoutenable; elles sont prêtes à faire et à dire n'importe quoi. Cela peut être très émouvant.
Je ne peux divulguer tous les faits aux médias. Dans certains cas, les demandes sont rejetées pour des raisons légitimes, des raisons que les demandeurs omettent de mentionner aux médias.
Le sénateur Jaffer : Madame la ministre, nous avons entendu hier le témoignage de M. Pierre Gauthier, président du comité des relations communautaires pour réfugiés de la paroisse catholique romaine St. Joseph. Il a affirmé ce qui suit :
[...] c'est presque manquer de respect au Parlement que d'ignorer les lois. Je comprends la latitude donnée au Cabinet de retarder la mise en œuvre de certains articles en attendant qu'une administration adéquate soit mise en place pour que le travail soit bien fait. Cependant, cinq années suffisaient largement pour faire ce travail. Je ne comprends pas que cinq ministres d'affiliée aient négligé leurs responsabilités envers le Parlement du Canada.
Pouvez-vous répondre à sa question?
Mme Finley : Il n'est pas rare que diverses parties des projets de loi et des lois entrent en vigueur à des moments différents. L'un de vos collègues, le sénateur Banks, est le parrain du projet de loi S-207, qui porte sur les lois non mises en vigueur dans les dix ans suivant leur sanction. Je dirais qu'elles sont nombreuses, pour une multitude de raisons : un changement de circonstances, la disponibilité des ressources ou encore les décisions judiciaires en instance. Dans le dernier cas, une décision judiciaire pourrait avoir rendu la loi sans effet. De nombreuses raisons peuvent être invoquées pour expliquer qu'une loi ne soit pas mise en vigueur. Ce n'est pas inusité. Comme je l'ai mentionné, quatre de mes prédécesseurs étaient d'avis que les réfugiés ne tireraient aucun avantage de la SAR, particulièrement dans son état actuel et sans la mise en œuvre de dispositions transitoires ou de mesures pragmatiques pour en favoriser le fonctionnement.
Le sénateur Jaffer : De quelles dispositions de transition auriez-vous besoin?
Mme Finley : D'abord, il faudrait du temps avant que le projet se concrétise.
Le sénateur Jaffer : Combien de temps?
Mme Finley : Je dirais un an, à la lumière de mes conversations avec le président de la CISR. Une nouvelle organisation serait créée de toutes pièces, sans qu'aucune structure ne soit déjà en place. Elle disposerait de ressources minimes en raison de la charge de travail de la CISR, qui augmentera de 50 p. 100 cette année. Elle a bien d'autres préoccupations. De plus, il faudrait établir les conditions requises pour présenter une demande à la SAR dès le début. Si elles ne sont pas formulées clairement, les 40 000 personnes dont le dossier est actuellement traité pourraient bien avoir le droit de présenter une demande. Et si les personnes dont le dossier date d'avant 2002 pouvaient en présenter une? Tout à coup, 100 000 personnes pourraient essayer de présenter une demande.
Le sénateur Jaffer : Vos propos sur le renforcement du système étaient très éloquents, je vous en félicite. Selon les témoignages entendus par le comité, la CISR compte 58 postes vacants, ce qui signifie qu'elle fonctionne aux deux tiers de ses possibilités. Pourquoi y a-t-il 58 postes vacants?
Mme Finley : Deux ou trois événements se sont produits. D'abord, à la formation du gouvernement, une révision a été faite par un organisme indépendant et nous avons modifié le processus de nomination. Évidemment, il a fallu du temps pour recruter les bonnes personnes dans le cadre du nouveau processus. Ensuite, nous avons effectué une recherche de candidats à l'échelle du pays, car au cours des premiers mois suivant l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, environ 100 postes sont devenus vacants. Il a donc fallu mettre en place le nouveau processus. Nous avons adopté des normes plus strictes. Jusque-là, les candidats passaient un examen, mais leur note importait peu. Nous avons insisté sur le fait que les candidats devaient non seulement passer un examen, mais aussi le réussir. Le taux de réussite est plutôt faible, car nous voulons que les personnes nommées possèdent des compétences particulières.
Nous avons procédé à plus d'une centaine de nominations et de renouvellements de nomination, et d'autres sont en cours. Il y a actuellement de 43 à 49 postes vacants. Nous avons aussi augmenté le nombre total de postes à la CISR parce que nous en voulions davantage sur le plan de la qualité et de la quantité; nous avons nommé plus d'une centaine de personnes jusqu'à maintenant.
Le sénateur Munson : La plupart de mes questions ont été posées par d'autres sénateurs, mais je veux clarifier les choses du point de vue du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Madame la ministre, vous avez parlé de contrôle judiciaire, mais selon le Haut Commissariat, le contrôle judiciaire prévu par le système canadien n'est pas une procédure complète et équitable. C'est une critique acerbe, n'est-ce pas?
Mme Finley : Qui a dit cela?
Le sénateur Munson : Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Mme Finley : Quelle personne?
La présidente : M. Abraham.
Mme Finley : J'ai été très surprise par le témoignage de M. Abraham hier. Je travaille avec le Haut Commissariat depuis mon entrée en fonctions. Nous avons une bonne relation de coopération. En novembre 2006, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés en personne, M. António Guterres, a dit :
Il n'est pas exagéré de dire que le système canadien se classe parmi les meilleurs. Sur le plan de la qualité et de l'équité, il offre plus de garanties que tout autre système que nous connaissons.
Sa déclaration d'hier m'a surprise. Notre processus de prise des décisions quasi judiciaires est très efficace d'entrée de jeu et le Haut Commissaire l'a cité en exemple dans le monde entier.
Le sénateur Munson : Brièvement, en votre qualité de ministre, que dites-vous alors au Conseil canadien pour les réfugiés, à Amnistie Internationale, à l'Association du Barreau canadien et à bien d'autres organismes qui ont présenté à notre comité un témoignage éloquent en faveur de cette nouvelle voie d'examen des dossiers des réfugiés? Vous ne savez jamais quand vous renverrez une personne dans son pays par erreur et qu'elle se fera tuer par le régime en place. Quel message transmettez-vous à ces gens? Défendez-vous leurs intérêts?
Mme Finley : Il y a deux aspects à prendre en considération. Que veulent-ils que notre système de protection des réfugiés défende? Quel est leur objectif ultime? Est-ce de traiter le dossier de tous les demandeurs ou d'aider les réfugiés authentiques. Mon but est d'aider les réfugiés légitimes. Je veux un système efficient, efficace et juste, et je ne pense pas qu'il soit juste de faire attendre des gens de trois à cinq ans. S'ils ont déjà attendu de trois à cinq ans dans un système très complexe où beaucoup ont tout intérêt à prolonger le processus, il ne serait pas juste de les faire attendre encore plus longtemps pendant que nous mettons en œuvre un système qui ne leur apportera aucun avantage.
J'en reviens à la manière dont notre pays peut atteindre ses objectifs et assumer ses responsabilités, qui consistent à aider les réfugiés légitimes à recevoir l'asile plus rapidement. C'est de cela qu'il est question. Pour ce faire, nous devons nous attaquer à certains problèmes, notamment aux abus du système. Comment est-il possible qu'un demandeur sur cinq vienne du Mexique par les États-Unis et ait des enfants nés aux États-Unis. Nous ne pouvons pas renvoyer ces gens pour des raisons juridiques; nous les avons sur les bras. C'est un lourd fardeau pour les provinces et les territoires. De plus, 90 p. 100 d'entre eux ne sont pas en fin de compte des réfugiés authentiques. Réfléchissez à l'engorgement du système qui sera créé et qui nous empêchera d'apporter notre aide aux gens qui en ont vraiment besoin et qui la méritent.
Le sénateur Oliver : Madame Finley, votre exposé était clair et convaincant. J'ai entendu vos réponses aux questions du sénateur Di Nino. Si j'ai bien compris votre témoignage, vous, comme vos cinq prédécesseurs qui se sont aussi occupés de cette section, n'êtes pas en faveur de la mise en œuvre de la SAR. De plus, vous avez dit que, si vous deviez concrétiser ce projet, il faudrait respecter certaines conditions, comme une période de transition et une période de formation du personnel.
Vous avez aussi dit dans votre allocution que la SAR ne donnerait pas la chance aux demandeurs d'asile déboutés de présenter de nouveaux éléments de preuve ou des circonstances qui pourraient avoir changé depuis l'annonce de la décision initiale au sujet de leur demande. En effet, il s'agirait d'un examen sur dossier qui n'admettrait aucun nouvel élément de preuve.
Par conséquent, puis-je supposer que vous estimez aussi que, s'il faut créer la SAR, à laquelle vous vous opposez, nous devrions bien faire les choses et mettre en place un mécanisme qui offrira la protection que veulent les gens?
Mme Finley : Deux voies s'offrent à nous. Vous avez raison, je n'en veux pas. Mes quatre prédécesseurs, des deux partis politiques majeurs, n'en ont comme moi pas voulu.
Cependant, si nous allons de l'avant, faisons bien les choses. N'empirons pas la situation. Si nous ne trouvons pas une bonne façon de fonctionner à l'aide de ce projet de loi, nous nuirons au processus et ne ferons que causer plus de dommages.
Le sénateur Oliver : Si vous deviez le faire, seriez-vous en faveur d'un amendement qui laisserait les demandeurs présenter de nouvelles preuves, comme d'autres témoins l'ont proposé?
Mme Finley : Cette question peut être envisagée sous deux angles. D'abord, le processus sera hyper accessible et encore plus long, ce qui suffit à me dissuader de ce projet. La question devient alors : à quel point peut-on empirer les choses?
Si le demandeur a la possibilité d'apporter des renseignements nouveaux pendant le processus, alors le ministre devra lui aussi avoir cette possibilité. Toutefois, ce que je veux dire, c'est qu'il ne s'agirait plus de la SAR telle qu'elle a été décrite s'il était permis de présenter de nouveaux renseignements. Nous n'améliorons pas le processus en ne permettant pas l'apport de nouveaux renseignements.
Le sénateur Oliver : Je suis d'accord.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je voudrais comprendre un petit élément additionnel. Le droit d'appel ou le droit de révision est ouvert à tous; je comprends qu'il y a un premier examen fait par un fonctionnaire, n'est-ce pas?
[Traduction]
Le premier examen est fait par un de vos fonctionnaires. Je ne parle pas de la commission. Quelles sont ces étapes exactement?
Micheline Aucoin, directrice générale, Direction générale des réfugiés, Citoyenneté et Immigration Canada : Ce que font les responsables de CIC ou de l'Agence des services frontaliers du Canada, c'est un examen d'admissibilité. Ils le font en 72 heures tout au plus pour s'assurer que la personne remplit les conditions requises pour présenter une demande à la commission. En fait, le véritable examen du bien-fondé de la demande est fait par la Commission et non par CIC ou l'agence des services frontaliers.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je suis d'accord avec vous et votre réflexion. Cela ne nous donne rien d'adopter un amendement ou de mettre en vigueur une loi qui contient des problèmes. Vous êtes pragmatique, nous aussi. Vous acceptez, en vertu des concepts de droit canadien, qu'il doit y avoir un processus d'appel lorsqu'une décision tranche sur des droits; il doit y avoir un processus d'appel qui vérifie si le droit a été rendu et si la personne qui rend jugement sur le droit est compétente. Alors, on a différentes avenues.
Mais si le droit d'appel prévu dans l'article 110 ne concerne qu'une partie du processus, vous allez devoir réexaminer tout le processus, compte tenu du volume des demandes. Il ne s'agit pas uniquement d'avoir un processus quasi judiciaire à la fin, mais d'avoir, dès le début, plutôt qu'un pur petit examen de conformité prima facie, des fonctionnaires qui auront beaucoup plus de pouvoir, qui vont trancher et qui vont éliminer une grande partie de la masse de vos demandes pour n'envoyer au processus quasi judiciaire que les demandes qui méritent d'être examinées. Le processus actuel ne semble pas contenir toutes les protections pour permettre que le droit soit rendu efficacement. Je suis pragmatique et je vous invite, avec vos collègues et vos fonctionnaires à faire cette révision. Au Canada, on ne peut pas dire que le système n'est pas bon. Les Canadiens veulent un système d'appel respectueux des droits et des valeurs auxquelles on adhère. On ne peut pas se dire le système est mal fait, on n'est pas d'accord, il n'y a pas d'appel.
Un appel pour tous en partant! Nos avocats vous diront qu'il n'existe pas de droit d'appel automatique. Il faut une permission pour en appeler. Déjà là, il y a un goulot d'étranglement. Cela dit, c'est un commentaire très respectueux et je comprends votre opinion.
[Traduction]
La présidente : Je suppose que ce n'était pas une question.
Le sénateur Nolin : La ministre a parlé d'être pragmatique. Nous essayons tous de trouver une manière de respecter les valeurs canadiennes. Il ne suffit pas de répondre qu'il vaut mieux tout abandonner comme le système actuellement prévu par la loi ne fonctionne pas si bien.
Nous sommes payés pour édicter de bonnes lois.
La présidente : Oui, et vous voulez essentiellement parler des bonnes lois.
Nous parlons ici de réfugiés. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en donne la définition; ce sont des personnes qui vivent des situations horribles, comme vous l'avez dit. Il est impossible pour elles de retourner s'installer dans leur pays d'origine, où elles attendent souvent des années dans des camps. C'est pourquoi le processus de protection des réfugiés dans son ensemble a été conçu sur ce modèle.
Notre pays s'est aussi développé grâce à des immigrants légitimes dont la vie ne s'améliorait pas dans leur pays. Ce ne sont pas des réfugiés, mais des immigrants. Ils ont des compétences, ils ont de l'initiative, et ils veulent améliorer leur sort et assurer à leurs enfants un avenir meilleur.
Si nous avons ici tous ces gens qui viennent du Mexique et d'ailleurs, c'est parce qu'on leur a conseillé de demander le statut de réfugié afin de pouvoir rester ici un moment, ce qui pourrait leur permettre de gagner quelque chose pour aider leur famille et peut-être même de s'intégrer. C'est ce qu'on entend dire.
Je crois comprendre que nous revoyons notre processus d'immigration parce que nous entretenons une relation privilégiée avec les États-Unis et le Mexique. Nous voulons que tout le monde sache que le Canada est ouvert à l'immigration et que c'est la meilleure façon de procéder pour quelqu'un qui veut améliorer sa condition ou déménager au Canada. Par conséquent, il faut réserver le processus de protection des réfugiés à la cause qu'il sert.
Mme Finley : Vous avez absolument raison. C'est ce que veulent les Canadiens. C'est ce que nous voulons, mais nous sommes aux prises avec certaines difficultés en ce moment.
Nous avons un arriéré de plus de 925 000 dossiers, ce qui signifie qu'il peut s'écouler six ans avant qu'une demande ne soit examinée. C'est pourquoi les gens se disent que, s'ils demandent le statut de réfugié, ils pourront obtenir un permis de travail sans tarder, recevoir toutes sortes de prestations sociales et éviter les six années d'attente. Entre- temps, ils tisseront des liens et s'établiront ici : ils travailleront, feront peut-être du bénévolat à l'église, se marieront et auront des enfants, qui seront citoyens canadiens.
Malheureusement, trop de gens sans scrupules ont recommandé cette façon de procéder. Ce phénomène a pris une telle ampleur l'an dernier que nous avons lancé une campagne de sensibilisation massive en Floride et travaillé avec les autorités américaines pour démasquer les organismes qui recommandaient cette démarche. Les autorités américaines ont fait cesser une grande partie de ces activités, mais nous tentons désespérément de dire aux demandeurs qu'ils doivent suivre la voie normale.
Si les gens sont informés que seulement une personne sur dix est acceptée dans le cadre de ce processus, je crois que les attentes diminueront un peu. J'espère que cela fonctionnera, mais il faudra du temps. Entre-temps, nous recevrons plusieurs milliers de nouvelles demandes.
Notre pays est si accueillant qu'une fois qu'ils sont arrivés et déclarés admissibles, un processus long et lent se met en branle. Ces gens seront probablement ici pendant trois ans.
Nous devons nous montrer plus stricts dans la procédure de renvoi des demandeurs d'asile déboutés. Nous devons distinguer les réfugiés authentiques des demandeurs d'asile déboutés. Nous devons trouver des manières de renvoyer les demandeurs d'asile déboutés plus rapidement. Plus ils restent longtemps, plus il est difficile de les trouver et moins il y a de chances qu'ils deviennent un jour des résidents permanents officiels et autorisés.
La présidente : Madame la ministre, je vous remercie d'être venue nous faire part de vos commentaires sur le projet de loi C-280 et sur les enjeux de l'immigration et des réfugiés en général. Je tiens aussi à vous informer que le comité étudiera la question de l'exploitation de la personne dans son sens le plus large. Je tiens compte de votre remarque sur le fait que les gens sont souvent exploités à leur arrivée et que cela ne fait pas d'eux de mauvais demandeurs. Toutefois, nous voulons nous doter d'un système libre et équitable et, par-dessus tout, nous ne voudrions pas que certaines personnes tirent profit de la misère des autres.
Honorables sénateurs, la réunion tire à sa fin. Nous procéderons à l'examen article par article lors de notre prochaine réunion sur ce projet de loi.
La séance est levée.