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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 2 - Témoignages du 29 novembre 2007


OTTAWA, le jeudi 29 novembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 52, pour étudier le projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l'accusé, détermination de la peine et autres modifications).

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Nous avons quorum et nous poursuivons notre étude du projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l'accusé, détermination de la peine et autres modifications). Nos témoins pour cette première partie de nos audiences ce matin sont, du Barreau du Québec, Me Louis Belleau, président du Comité en droit criminel au Barreau du Québec et Me Nicole Dufour, et de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law, M. Rénald Rémillard, directeur général. Bienvenue à vous tous. Nous aurons à peu près une heure à vous consacrer. On demande donc aux deux groupes de faire leur présentation avant de passer à la période des questions. Afin donner le plus de temps possible aux questions, je vous demanderais d'être le plus précis possible. On commencera avec les représentants du Barreau.

Me Nicole Dufour, avocate, services de recherche et secrétaire, comité en droit criminel, Barreau du Québec : Madame la présidente, je tiens à remercier les honorables sénateurs de leur invitation. Cela nous fait grandement plaisir de participer à vos discussions.

Je suis avocate au service de recherche du Barreau du Québec. À ce titre, je coordonne les travaux du comité en droit criminel, qui a reçu le mandat d'examiner le projet de loi C-13.

Je suis accompagnée de Me Belleau. Il pratique le droit depuis 1981, principalement en droit pénal. Le Barreau compte un peu plus de 22 000 membres. Il a comme mandat principal la protection du public. Il s'assure de l'exécution de ce mandat en veillant à assurer la primauté du droit, à maintenir la séparation des pouvoirs, à promouvoir l'égalité de tous devant la loi et à protéger l'équilibre souvent précaire entre les droits du citoyen et les pouvoirs de l'État.

La présidente : Me Dufour, vous parlez un peu trop vite pour les traducteurs.

Me Dufour : Je reprends, le comité en droit criminel est composé d'un nombre équivalent de procureurs généraux et d'avocats de la défense. Des professeurs d'université se sont ajoutés à ce groupe. Mes commentaires portent sur quelques articles du projet de loi. Mon collègue vous entretiendra sur les dispositions du projet de loi qui visent la langue de l'accusé.

On a commenté le projet de loi par article : l'article 8 du projet de loi modifie le paragraphe 259.(1.1) du Code criminel, qui prévoit qu'un contrevenant inscrit à un programme provincial d'utilisation d'un antidémarreur et qui en respecte les conditions peut conduire son véhicule automobile si le tribunal lui accorde expressément cette permission. La modification proposée par l'article 8 prévoit la possibilité pour le contrevenant de s'en prévaloir sans qu'il soit obligé d'en faire la demande expresse. Le projet de loi modifie le paragraphe 259.(1.2) du Code criminel en précisant que la période minimale pendant laquelle un contrevenant ne peut bénéficier du programme antidémarreur débute lors de l'imposition de la peine et non lors de la prise d'effet de l'ordonnance de l'interdiction de conduire. Enfin, le paragraphe 4, de l'article 8 du projet de loi, précise que la conduite automobile pendant une période d'interdiction n'est pas une infraction si le contrevenant participe au programme d'antidémarreur et en respecte les conditions.

Le Barreau du Québec considère que les modifications proposées précisent le contenu des dispositions du Code criminel relativement au programme d'utilisation de l'antidémarreur et est d'accord avec ces modifications et précisions.

Je passe à l'article 26 du projet de loi qui propose des modifications au paragraphe 640(2) et 640(3) en prévoyant que le juge pourra exiger l'exclusion des jurés de la salle d'audience, à l'exception des deux vérificateurs et ce à la demande de l'accusé, afin de trancher une question relative à une récusation motivée. Le Barreau s'interroge sur les raisons ayant mené le législateur à limiter à l'accusé la possibilité de faire cette demande. On croit que la Couronne pourrait y avoir droit également.

L'article 29 modifie le paragraphe 683(5) du Code criminel; on considère qu'il y aurait lieu de préciser que la promesse ou l'engagement pourrait être assorti ou non de conditions, par cohérence avec d'autres dispositions du Code criminel, notamment l'article 679.4.

L'article 29 modifie également le paragraphe 683 du Code criminel. Nous croyons que cette modification devrait plutôt apparaître à l'article 687, puisqu'il s'agit des pouvoirs de la cour en ce qui concerne l'appel d'une sentence.

L'article 30 modifie le paragraphe 685 du Code criminel en permettant au registraire de saisir le tribunal d'un avis d'appel qui aurait dû être déposé devant un autre tribunal, afin que celui-ci puisse être rejeté sommairement sans aucune assignation de témoins ou sans les y faire comparaître pour l'intimé.

Le Barreau du Québec s'inquiète de l'absence d'avis aux parties avant que la cour ne se soit prononcée. Nous proposons de prévoir l'obligation pour le registraire d'aviser, préalablement à l'audience, les parties ou leurs représentants de l'utilisation du processus prévu au paragraphe 685.

L'article 35 modifie le paragraphe 720 en prévoyant la possibilité de reporter la détermination de la peine afin de permettre au délinquant de participer, sous la surveillance du tribunal, à un programme de traitement agréé par la province. Le Barreau s'interroge sur l'obligation d'accréditer un programme avant de pouvoir y participer dans les cas où le procureur de la Couronne et le délinquant y consentent. Nous soumettons que le tribunal doit pouvoir continuer à exercer sa discrétion judiciaire. D'excellents programmes sont actuellement disponibles au Québec, mais ne peuvent être offerts faute d'avoir été agréés.

Le processus de l'obtention d'une accréditation est complexe et long. Nous croyons que l'objectif du législateur serait atteint si le processus était allégé. Je laisse le soin à mon collègue de poursuivre sur la question de la langue de l'accusé.

Me Louis Belleau, Ad. E., président du comité en droit criminel, Barreau du Québec : Madame la présidente, je vais vous entretenir de l'aspect linguistique de l'accusé contenu dans le projet de loi C-13. La partie XVII du Code criminel traite des droits linguistiques de l'accusé. La Cour suprême, dans l'affaire Beaulac, a déclaré que l'accès égal aux tribunaux désignés dans la langue officielle de l'accusé est un droit substantiel et non un droit procédural auquel on peut déroger. Il incombe au Parlement de définir l'étendue et la portée des droits linguistiques qui sont distincts du droit à un procès équitable. C'est donc une branche autonome des droits de l'individu.

Dans la province de Québec, les tribunaux de juridiction criminelle ont, de façon constante, interprété les dispositions du code comme signifiant que l'accusé avait le droit de choisir la langue officielle dans laquelle il souhaite subir son procès.

Les tribunaux du Québec ont également interprété les dispositions de la partie XVII comme imposant à l'État l'obligation d'assurer à l'accusé que non seulement le tribunal comprend la langue dans laquelle il a choisi de subir son procès, mais aussi que le tribunal utilise cette langue durant le procès, ce qui veut dire le juge, les procureurs de la Couronne et autres.

De plus, la Cour d'appel du Québec a jugé que nonobstant les dispositions de l'article 103 de la Loi constitutionnelle, le poursuivant, c'est-à-dire le représentant de la Couronne, doit utiliser à l'audience la langue officielle dans laquelle l'accusé a choisi de subir son procès. Ce droit du prévenu de subir son procès dans sa langue a été considéré comme dominant par rapport à la règle suivant laquelle les prévenus, qui sont accusés ensemble d'avoir participé à une entreprise commune, devraient être jugés ensemble. L'idée d'un procès bilingue a généralement été rejetée chez nous, parce que cette notion implique des difficultés considérables dans le choix de la répartition de l'usage respectif des deux langues, qui font en sorte qu'il y a toujours un des accusés qui sera lésé par l'utilisation de la langue qui n'est pas la sienne.

Les enjeux du procès criminel sont évidemment très graves, et l'accusé a le droit fondamental de comprendre ce qui se passe au cours de son procès. Le fait de lui imposer le recours à un interprète lui cause un préjudice, peu importe la qualité de l'interprétation — et il faut dire que dans notre juridiction, les interprètes sont extrêmement compétents.

Dans n'importe quelle circonstance, la traduction impose un fardeau à l'accusé, une distance entre lui et le procès qui se déroule, et l'accusé tend à devenir un spectateur plutôt qu'un participant. Il suffit d'avoir passé une journée en salle d'audience avec l'intervention d'un interprète pour réaliser qu'à la fin de la journée, l'auditeur est exténué du simple fait d'avoir été obligé constamment de se référer à la traduction pour essayer de faire du sens avec ce qui se déroule durant la procédure. Il est évident que cela impose à l'accusé un fardeau supplémentaire.

L'approche qui a cours au Québec a fait en sorte que, depuis plusieurs années, les prévenus qui ont choisi de subir leur procès dans la langue de la minorité sont jugés par un tribunal qui comprend cette langue et qui s'exprime dans cette langue au cours des audiences. La position du Québec s'harmonise avec les dispositions de la Charte qui visent à favoriser la progression vers l'égalité, le statut ou l'usage du français ou de l'anglais. Le Québec n'a pas hésité à se doter des ressources nécessaires qui lui permettent d'offrir aux prévenus de t subir leur procès dans la langue officielle de leur choix. Les tribunaux de toutes juridictions comptent des juges qui comprennent et parlent les deux langues officielles. Le Bureau du directeur des poursuites pénales compte plusieurs procureurs qui comprennent et parlent les deux langues officielles. Les modifications proposées à la partie XVII risquent malheureusement de provoquer un recul des droits linguistiques.

À propos de l'article 18, paragraphe 1, qui vise à modifier le paragraphe 3 de l'article 530 qui concerne l'avis, en vertu de l'actuel paragraphe 533, le juge doit aviser l'accusé de son droit de demander à être jugé dans la langue officielle de son choix. La modification proposée prévoit que le juge veille à ce que l'accusé soit avisé de son droit. Selon notre compréhension, cette obligation n'implique pas nécessairement qu'un avis soit donné à l'accusé en présence du juge. On ne sait pas exactement qui, en vertu du nouvel article, devra donner l'avis à l'accusé et ni dans quelle forme cet avis sera donné.

Il est difficile de comprendre pourquoi il serait devenu nécessaire d'abolir l'obligation qui est imposée au juge d'aviser l'accusé de son droit puisque cette modification ne peut avoir pour seul effet que de favoriser l'incertitude quant au fait que l'accusé a reçu l'avis et surtout compris la portée de ses droits.

L'actuel paragraphe 533 ne semble pas imposer au tribunal des obligations onéreuses. L'avis n'a pas à être donné verbalement. Il pourrait suffire de remettre au prévenu une circulaire bilingue, standard, expliquant ses droits. Nous croyons que dans un domaine aussi fondamental, il est essentiel que l'accusé soit valablement informé de ses droits et que la modification proposée ne tend pas à favoriser l'information de l'accusé. Nous estimons que le Code criminel devrait prévoir la formulation précise de l'avis qui devrait être donné à l'accusé.

Quant à l'article 18, paragraphe 2; ce paragraphe modifie les dispositions du Code criminel qui permettent au tribunal de modifier une ordonnance, de tenir un procès dans une des langues officielles. Cette disposition prévoit que le juge peut déterminer, malgré qu'une ordonnance ait été prononcée pour que le procès ait lieu dans une langue donnée, que le procès ait lieu devant un tribunal où les deux langues officielles sont utilisées. À notre avis, cette nouvelle disposition risque de compromettre le droit de la personne accusée conjointement, car elle introduit comme critère de détermination de la nécessité de tenir un procès « bilingue », et le fait que l'accusé soit jugé avec des coaccusés.

Comme nous l'avons mentionné un peu plus tôt, la jurisprudence du Québec reconnaît que l'accusé a droit à un procès dans sa langue malgré le fait qu'il soit accusé avec d'autres dans une entreprise commune. Il pourrait préférer être jugé dans l'autre langue officielle. Lorsqu'une telle circonstance survient au Québec, le tribunal a tendance à ordonner la tenue de procès séparés.

Dans les cas de méga-procès, et je réfère particulièrement à l'affaire de Stadnick, qui découlait de l'Opération printemps 2001, soit des procès qui se sont étendus sur plusieurs mois, le juge Réjean Paul, de la Cour supérieure, a ordonné un procès séparé pour deux individus qui étaient anglophones et qui ont subi des procès longs, complexes et coûteux où tout le monde s'exprimaient en anglais, incluant les procureurs — sauf, bien entendu, les témoins francophones qui avaient le droit de s'exprimer dans leur propre langue. En conséquence, l'objection des coûts et du manque de commodités administratives a été écartée chez nous en faveur du respect des droits linguistiques de l'individu.

L'amendement qui est proposé ici me semble introduire dans l'analyse un critère important, bien sûr, puisqu'il est ajouté à ceux qui existent déjà, le fait que d'autres coaccusés parleraient une langue différente de celle de l'accusé.

Cela a comme conséquence que les tribunaux seront portés à favoriser, à mon avis, la tenue d'un procès conjoint dans la langue officielle de la majorité ou dans celle qui prévaut dans la juridiction où le procès doit avoir lieu.

L'article 19 du projet de loi introduit le nouvel article 530.01, qui impose au poursuivant l'obligation de fournir à l'accusé la traduction des passages des dénonciations et des actes d'accusation qui ont été rédigés dans l'autre langue officielle. En d'autres mots, si la dénonciation ou l'acte d'accusation sont rédigés originalement en français et que l'accusé est anglophone, il peut demander la traduction, et nous devons lui fournir la dénonciation et l'acte d'accusation en anglais.

Cela ressemble à un progrès parce que dans l'actuel article 17, il n'y a pas de disposition à cet effet. C'est une avancée dans le sens que la loi prévoit maintenant que cette traduction doit être fournie. Cependant, nous sommes d'avis que cette disposition risque d'être interprétée de façon limitative et qu'il se peut qu'elle soit invoquée pour refuser à l'accusé la traduction d'autres documents auxquels il pourrait avoir droit. Il devrait notamment être clair que l'accusé a droit à une traduction des éléments de preuve que la poursuite a l'intention de présenter contre lui au procès. C'est ce qui a été décidé dans la cause de Stadnick où le juge avait clairement mentionné que les actes de procédure non seulement devaient être rédigés en anglais, mais que les éléments de preuve que la Couronne allait déposer au procès devaient être traduits.

Des litiges au Québec sont pendants devant la Cour d'appel en ce moment en ce qui a trait au droit d'un accusé de recevoir une traduction de la divulgation de la preuve. Dans d'autres provinces, c'est une question récurrente à savoir si l'accusé peut demander qu'on lui traduise le dossier de la Couronne qui est normalement divulgué dans le cadre de la divulgation.

Nous craignons que l'introduction d'un article, qui limite le droit à la traduction aux seuls actes de procédure de la dénonciation et de l'acte d'accusation, fasse en sorte de fournir un argument pour s'opposer à la divulgation des éléments de preuve et ceci serait de nature à nuire à la capacité de l'accusé de présenter une défense.

En ce qui concerne l'article 20, il introduit à l'alinéa nouveau 530.1(c.1) qui permet au tribunal d'autoriser le poursuivant, si les circonstances le justifient, à interroger ou contre-interroger un témoin dans une langue officielle autre que celle de l'accusé. Quand le tribunal aura décidé que le procès aura lieu en anglais, cet alinéa autorisera le procureur de la Couronne d'interroger un témoin dans sa langue, c'est-à-dire en français si le témoin est francophone bien entendu. Ceci créé un déséquilibre parce qu'à ce moment, le procureur de la partie adverse est dans une situation où il est autorisé à interroger dans sa propre langue un témoin alors que l'accusé devrait avoir recours au service d'un interprète.

Il suffit d'être dans une salle d'audience pour réaliser qu'il y a un handicap pour l'avocat qui interroge un témoin, lorsqu'il doit avoir recours à un interprète. Cela donne la chance au témoin de réfléchir, d'analyser sa réponse à la question, donc il y a un pas de retard pour l'accusé ou pour la personne qui contre-interroge à l'aide d'un interprète, comparativement à celui qui peut contre-interroger directement.

À notre point de vue, il y a des circonstances où il serait souhaitable de permettre au procureur de la Couronne d'interroger un témoin dans sa propre langue, mais il serait préférable que cette permission soit accordée avec le consentement de l'accusé de telle sorte que l'on préserve l'uniformité ou l'égalité des chances pour tous les participants au procès.

En ce qui a trait aux alinéas (d) et (e) de l'article 530.1, dans leur forme actuelle, ils prévoient l'obligation du juge et de l'avocat de la poursuite de parler la langue de l'accusé lorsqu'une ordonnance a été rendue pour que le procès ait lieu dans cette langue. On propose un amendement qui permettrait, ou qui obligerait le juge et le poursuivant à parler, soit la langue de l'accusé ou les deux langues officielles. Étant donné que personne ne peut parler deux langues en même temps, cet amendement permettrait aux procureurs et au tribunal de parler l'une ou l'autre des deux langues et pas nécessairement celle dans laquelle le procès devrait être tenu, conformément au choix de la langue de l'accusé.

À notre avis, cette disposition favorise la dilution du droit à un procès dans la langue de l'accusé en permettant que le procureur et le juge utilisent l'autre langue officielle. Ceci risque de défavoriser les minorités et d'encourager les provinces à ne pas investir les ressources nécessaires pour fournir à l'accusé un juge et un procureur de la poursuite qui parlent la langue de la minorité et donc risque de constituer un recul pour l'avancement des droits linguistiques au pays.

L'article 21 du projet de loi traite de la possibilité pour un juge en début d'instance de rendre une ordonnance prévoyant dans quelles circonstances et dans quelle mesure chacune des langues officielles sera utilisée par lui et le poursuivant dans le cas où le procès est présidé dans les deux langues officielles. Le respect du droit de l'accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix doit être, dans la mesure du possible, assuré.

On constate que par rapport aux dispositions actuelles de l'article 530.1, c'est un recul parce qu'il n'y a pas cette notion de mesure du possible et dans la loi actuelle, il n'y a pas non plus cette notion d'une répartition des langues officielles qui pourraient être parlées, soit le français pendant une certaine partie du procès et l'anglais pendant une autre partie. Cette disposition, lue avec l'ensemble des dispositions, soulève une crainte chez nous parce qu'elle consacre la possibilité du tribunal de contourner le droit de l'accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix en imposant un procès dit bilingue au cours duquel il serait possible au juge comme à l'avocat de la poursuite de n'utiliser que de façon parcimonieuse la langue officielle de l'accusé. À notre avis, ces dispositions ont pour effet de réduire les droits linguistiques des membres des minorités au sein du système de justice criminelle.

La présidente : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le Barreau du Québec a bien présenté un mémoire et il est à votre disposition. Nous n'avons que la version française et nous n'avons pas eu le temps de faire traduire le texte. Si vous le souhaitez, nous pouvons sans doute préparer un résumé officieux, en anglais — en attendant la traduction intégrale. Toutefois, je dois ajouter que le mémoire est écrit dans une langue très dense, si bien qu'un résumé officieux sera tout aussi dense que le mémoire lui-même. Cela dit, ce mémoire est à la disposition de ceux qui souhaitent en prendre connaissance.

[Français]

Rénald Rémillard, directeur général, Fédération des associations de juristes d'expression française de common law : Je suis le directeur général de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law. On appelle cela la FAJEF pour être plus bref. Malheureusement aujourd'hui, la présidente, Me Louise Aucoin n'était pas disponible. Alors, c'est moi qui présente.

Si vous me le permettez, je vous présenterai d'abord ce qu'est la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law. La Fédération regroupe sept associations de juristes d'expression française. Nos membres n'ont pas tous le français comme langue première. On a le mandat de promouvoir et de défendre les droits linguistiques des minorités francophones, notamment dans le domaine de l'administration de la justice. On n'est pas un organisme qui a pour mandat de défendre les intérêts de la profession. On a vraiment un mandat communautaire dont la question des droits linguistiques notamment.

À titre d'information, il y a des associations de juristes d'expression française dans les quatre provinces de l'ouest, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Les sept associations représentent 1 300 juristes d'expression française à travers le pays. La Fédération des associations de juristes d'expression française de common law est aussi membre de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. On est impliqué avec les communautés francophones et acadiennes du Canada.

Ma présentation portera sur le projet de loi C-13 et en particulier sur les modifications de nature linguistiques qui sont proposées justement au Code criminel et qui se retrouvent dans ce projet de loi.

Pour commencer, je tiens à souligner qu'on a consulté nos membres lorsqu'on a entendu parler du projet de loi pour avoir de la rétroaction, on a plusieurs procureurs de la Couronne, vous allez entendre des choses différentes de la réalité du Québec. La réalité est très différente en matière de droits linguistiques pratiques dans les provinces à l'extérieur du Québec, avec la différence ou l'exception mitigée du Nouveau-Brunswick. Vous allez comprendre que certaines choses que nous dirons seront différentes de ce que vous avez entendu de l'Association du Barreau du Québec.

On est largement favorable à ce projet de loi ainsi qu'aux modifications proposées en matière de droits linguistiques, car pour nous, c'est un progrès par rapport à ce qui existait en matière de langues officielles dans le domaine criminel.

Les juges auraient l'obligation de veiller à ce que tous les accusés, représentés ou non représentés aient les mêmes droits, car à l'heure actuelle, il y a une distinction, c'est seulement ceux qui sont non représentés qui ont ce droit. Ils ont le droit d'être avisés. La modification étend le droit maintenant aux gens représentés. La pratique c'est que souvent les avocats n'informeront pas leurs clients de leur droit d'avoir un procès en français dans les provinces à l'extérieur du Québec.

Il est important que le juge veille à ce que cette information ou ce droit soit exprimé d'une façon ou d'une autre. On essaie, en tant que fédération, de modifier le Code de déontologie au Barreau canadien afin d'avoir un ajout obligeant les avocats d'informer leurs clients du droit linguistique, lorsque ces droits linguistiques existent dans la province. On n'est pas rendu là.

L'affaire Beaulac reprenait cette information dans les commentaires de la Cour suprême. C'était une des questions. On a parlé du fait que ce droit devrait être seulement pour les accusés non représentés qui devraient être avisés, et pourquoi les autres aussi devraient l'être.

Seuls les accusés non représentés sont informés de leur droit de choisir la langue officielle de leur choix dans le cadre d'un procès criminel. Lors de notre comparution devant le Comité permanent sur la justice et les droits de la personne le 3 mai 2007, nous avions proposé quatre modifications au projet de loi C-23. Trois des quatre modifications ont été adoptées et elles ont toutes été reprises dans le projet de loi C-13. Seule notre recommandation quant à la remise automatique plutôt qu'à la demande de l'accusé de la version traduite des dénonciations et des actes d'accusation n'a pas été retenue.

Une des choses qu'on avait entendue à ce moment, c'était la question de notre raisonnement. Si on demande un procès en français, pourquoi demander une deuxième fois d'avoir notre acte d'accusation traduit en français?

Il semble y avoir certaines réticences, de la part de certaines provinces, à ce que cela se fasse de façon automatique. Cela semble avoir été retenu dans le projet de loi puisqu'on ne le retrouve pas.

Pour la fédération, étant donné que dans son ensemble, on considère qu'il y a un progrès dans les droits linguistiques, on ne croit pas que cela devrait empêcher l'adoption de ce projet de loi.

Cependant, nous trouvons que le projet de loi C-13 soulève deux autres questions importantes et on aimerait les voir traitées dans un avenir proche. C'est un peu à l'extérieur du projet de loi C-13.

Premièrement, puisque le droit de subir son procès criminel dans la langue officielle de son choix nécessite la présence minimale d'un juge bilingue dans chacune des provinces et territoires, nous trouvons important que le processus de nomination d'un juge à la magistrature fédérale doive être modifié pour mieux tenir compte de cette réalité.

Par exemple, la capacité bilingue des candidats devrait être évaluée. Il devrait y avoir un nombre nécessaire de juges bilingues pour assurer un accès égal à la justice en français dans toutes les provinces et territoires du Canada, surtout si on a droit à un procès criminel, peu importe le territoire ou la province au Canada.

Il est important que les droits linguistiques s'appliquant au procès en matière criminelle s'appliquent aussi dans un avenir proche à toutes les procédures incidentes à un tel procès et aux autres formes d'enquête et d'audition prévues au Code criminel comme l'enquête sur cautionnement et les demandes de modifications des ordonnances de probation. On aimerait que cela soit aussi élargi au droit d'être entendu en appel dans la langue officielle de son choix.

Certaines personnes diront que ce n'est pas possible à la Cour d'appel. Récemment, un panel de juges bilingues ont entendu un procès au Yukon en français, c'étaient des juges de la Colombie-Britannique. Cela s'est fait. Un panel de trois juges bilingues albertains a pu entendre une cause entièrement en français dans le Territoire du Nord-Ouest. Au Manitoba, récemment, on parle d'un panel de juges bilingues dans cette province.

De plus en plus, l'immersion est en train d'augmenter la capacité bilingue des tribunaux. Ce qui était impensable il y a 15 ans sera réalisable dans quelques années. La pratique semble avancer plus vite que le droit dans certaines législations. Ce sont mes commentaires et je suis disponible pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup. Je vais demander d'abord au sénateur Merchant de poser ces questions.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Monsieur Belleau, vous êtes le président du comité de droit criminel. Mes questions sont de deux ordres. Je vais les poser toutes deux en même temps.

L'article 24 autorise le gouvernement à mettre un accusé directement en accusation et il peut ensuite le forcer à subir un procès avec juge et jury. Que pensez-vous de cela? Pouvez-vous nous parler des dépenses éventuelles pour l'accusé et nous dire si cela nous achemine vers une américanisation de notre système où toutes les instances se déroulent en présence d'un jury?

L'article 7 dispose qu'il y aura imposition de peines minimales pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort et conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles. Ai-je raison de croire que si désormais il y avait une peine minimale, le juge qui impose la peine n'aurait plus la possibilité de condamner avec sursis? En Saskatchewan, la Cour d'appel a statué que la peine d'emprisonnement minimale pour une infraction de ce genre est de 15 mois, même si l'accusé n'a pas de casier judiciaire et est par ailleurs un bon citoyen. Cela impose une peine minimale de façon insidieuse, étant donné que les juges n'ont plus le pouvoir de faire preuve de clémence dans les circonstances qui le dictent et qu'ils ne peuvent plus condamner avec sursis. Je sais bien qu'il est question d'une amende de 600 $ qui ne sera jamais imposée. Si l'accusé a causé des lésions corporelles ou la mort, il ira en prison.

Comprenez-vous mon point de vue? Il est question d'une amende de 600 $.

[Français]

Me Belleau : Je pense que je comprends. Mais si, à mon avis, la peine minimum est une peine d'une amende de 600 $, je ne crois pas que, dans le cas où le juge imposerait une amende, la question de l'emprisonnement avec sursis se poserait. Si la peine minimum est de 14 ou 90 jours, vous auriez raison de dire que l'existence de cette peine minimum empêcherait le juge de prononcer une ordonnance de sursis d'exécution.

En ce qui concerne le paragraphe 24, nous n'avions pas commenté la modification à l'article 568. Il faudrait que je la relise attentivement. Il faut dire que le fait d'obliger un individu à subir un procès devant jury existe déjà, et n'est pas quelque chose de nouveau pour le procureur général. Je me demande s'il ne s'agit pas d'une modification de concordance. Je regarderai l'article du Code criminel, car je ne suis pas certain que cela change le droit actuel. Cela existe déjà. Le procureur peut forcer un individu à subir un procès devant jury plutôt que son choix à aller devant un juge seul. C'est une disposition exorbitante du droit commun, mais elle existe déjà.

La position du Barreau serait que le choix de l'accusé devrait être respecté dans la plupart des circonstances, mais cela fait l'objet de discussions constitutionnelles devant les tribunaux et cela a été maintenu.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins et en particulier à féliciter M. Belleau pour son excellente contribution au droit canadien car, en effet, à plusieurs reprises, ses interventions sont devenues loi au Canada, la plus récente portant sur les rapports procureur-client, la façon dont un client verse des honoraires à son avocat. M. Belleau a comparu maintes fois devant la Cour suprême du Canada dans des affaires qui font les annales de la justice.

M. Belleau est expert en matière de divulgation. M. Belleau a entendu ce qu'a dit le témoin assis à sa droite quand il a expliqué que ce projet de loi est une amélioration par rapport à la situation actuelle car, dans l'état actuel des choses, seule l'enquête préliminaire et le soi-disant procès, comme on le désigne — à supposer qu'il s'agisse de l'instruction faisant intervenir le juge des faits dont nous parlons — sont désignés dans les dispositions législatives actuelles concernant le droit de l'accusé à être entendu dans la langue de son choix, l'anglais ou le français.

Le témoin assis à sa droite a déclaré que cette situation était améliorée par les dispositions de ce projet de loi car la dénonciation serait signifiée dans la langue choisie par l'accusé. En outre, si l'accusé est représenté par un avocat, le juge déclarera : « Vous avez le droit de subir un procès » lors de la première comparution de l'accusé devant le juge.

Si je vous ai bien compris, monsieur, vous affirmez qu'une dénonciation ou une mise en accusation ne dit rien d'explicite. Si donc vous affirmez cela, quel autre renseignement devrait être fourni en vertu de la loi, pour donner à l'accusé une idée des charges qui pèsent contre lui quand il comparaît pour la première fois devant un juge ou au moment où il inscrit un plaidoyer? La première comparution, comme le prévoit la loi, sert tout simplement à fixer le jour du plaidoyer. Toutefois, le jour où l'accusé inscrit un plaidoyer, ce qui correspond à sa deuxième comparution, quel renseignement devrait être traduit dans la langue qu'il a choisie, à part la dénonciation, pour qu'il ait pleine connaissance de la situation, pour qu'il sache ce dont il est inculpé, pour qu'il puisse plaider coupable ou non coupable.

[Français]

Me Belleau : Je voudrais d'abord souligner, comme l'a indiqué Me Rémillard, que je suis d'accord sur le fait qu'on étende la notion d'un avis à l'accusé non représenté, mais aussi à tous les accusés. C'est un progrès.

La réserve était que le juge n'ait plus l'obligation de donner l'avis lui-même, on ajoute quelque chose, mais en même temps on semble retirer la garantie de l'assurance que l'avis soit donné. Au sujet de la traduction, les questions de divulgation de preuve ont été en constante évolution, mais réglées par la Cour suprême du Canada. Il y a des cas où il est impossible de communiquer la preuve totale d'une enquête qui a duré quatre ans le jour même de la comparution. La plupart du temps les procureurs portent des accusations quand ils sont déjà prêts à divulguer la preuve.

Dans les cas ordinaires de moindre importance, il y a systématiquement une divulgation minimale de la preuve, qui a lieu lors de la première comparution de l'accusé devant la cour au Québec. Il peut y avoir une variation et ce n'est pas absolument essentiel que cela ait lieu le jour de la comparution. La Cour suprême du Canada a mentionné « avant que l'accusé puisse faire son choix ». C'est le moment critique. Il doit être informé non seulement de la dénonciation, mais de la preuve qui sera utilisée contre lui.

Nous sommes d'accord avec le fait le projet de loi C-13 prévoit l'obligation de traduire la dénonciation. C'est une amélioration, mais si vous avez compris que j'avais dit qu'il n'y avait rien d'utile dans ce document, je m'en excuse, ce n'est pas ce que je voulais dire. C'est un document fondamental, qui définira beaucoup de choses dans le déroulement du procès, et il est très important qu'il soit compris par l'accusé, donc traduit lorsque c'est nécessaire.

Là ne s'arrêtent pas, à mon avis, les droits de l'accusé en termes de compréhension de ce qui sera utilisé contre lui. Il faut aller plus loin et prévoir, de façon législative, l'obligation d'un droit à une certaine forme de divulgation de la preuve traduite dans la langue de l'accusé, notamment ce que la Couronne a l'intention de produire au tribunal.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Prenons un cas de figure. Quand quelqu'un est invité à choisir le type de procès qu'il souhaite subir et à se prononcer sur sa culpabilité, au Québec, on exige, avant le plaidoyer, que cette personne reçoive les renseignements raisonnables lui permettant de connaître les accusations qui sont portées contre elle.

Qu'est-ce que cela comporte? La dénonciation est un simple paragraphe, normalement décrivant l'acte, l'endroit où l'acte a été commis et l'article du Code criminel auquel il y a eu infraction.

Au Québec, avant le plaidoyer, l'accusé doit avoir accès aux notes du policier, au rapport de suivi, et au rapport du procureur général, s'il en existe un, pour que soit respectée l'exigence de connaissance raisonnable de l'affaire dont elle est accusée.

Diriez-vous que le gouvernement, dans cet article en l'occurrence, devrait prévoir que l'accusé recevra les mêmes renseignements que ceux qui sont exigés au Québec avant le plaidoyer pour que la personne soit au courant des accusations portées contre elle si l'on veut réaliser l'intention de cet article qui figure dans le projet de loi?

[Français]

Me Belleau : Ma première observation est que vous semblez croire que c'est seulement au Québec que les accusés ont le droit à la divulgation de la preuve, mais c'est à travers le Canada. L'aspect linguistique au Québec est très litigieux. Les juges n'ont pas accordé aux accusés leur demande de traduction intégrale de la divulgation de la preuve. Donc il n'y a pas de pratique au Québec à cet effet.

À notre avis, il y a un problème en vertu de l'article 7. Prenez, par exemple, un accusé unilingue anglophone au Québec, il ne comprend pas le français, il parle seulement l'anglais. Toute la preuve a été recueillie en français. Comment peut-il instruire son avocat et diriger sa cause s'il n'est pas capable de comprendre la preuve qui sera utilisée contre lui?

S'il lui divulgue la preuve en français, soit une langue qu'il ne comprend pas, autant ne rien lui donner. Cela ne lui sert absolument à rien.

C'est un objectif vers lequel il faudrait tendre, soit de connaître à la lecture de la dénonciation l'infraction qu'on reproche à l'accusé. Également, en vertu de l'article 7 et du droit à une défense pleine et entière, on doit s'assurer que la divulgation de la preuve est donnée dans une forme qui peut être comprise par l'accusé.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Nous sommes en présence d'un témoin chevronné qui a de vastes connaissances.

Au fil des ans, il y a de toute évidence eu une évolution, comme en témoignent ce projet de loi et la législation actuelle, de la définition des termes « procès » et « subir un procès ». Du reste, vous avez participé vous-même à cette évolution. En vertu de l'alinéa 11b) de la Charte, tout inculpé a le droit « d'être jugé dans un délai raisonnable » — c'est-à-dire le temps écoulé entre l'inculpation et l'imposition de la peine.

Convenez-vous que cela est la bonne interprétation et qu'il ne s'agit pas uniquement de l'enquête préliminaire et de la preuve recueillie par le juge des faits au départ?

[Français]

Me Belleau : Je suis d'accord. Du moment que l'accusé est amené à comparaître devant un tribunal, il devrait pouvoir faire valoir ses droits d'être jugé dans sa langue. Souvent, la première étape, c'est la détermination de son droit à la liberté provisoire. Selon moi, c'est l'intention des rédacteurs de la Charte et la philosophie de bilinguisme qui animent les institutions canadiennes.

On peut quand même, dans l'état actuel du droit, utiliser l'argument selon lequel dès sa comparution, l'enquête préliminaire commence et les procédures, qui y sont rattachées, devraient se dérouler en français. L'article 530.1, à mon avis, prévoit que l'enquête préliminaire doit avoir lieu en français. On peut dire qu'au moins les procédures au moment de la comparution sont couvertes par les dispositions de la partie XVII, et ce, jusqu'à la sentence parce que je crois que la jurisprudence reconnaît que le procès inclut les phases de la détermination de la peine. Ce serait une absurdité de limiter cela à la phase devant jury et que le juge qui prononce la peine puisse changer radicalement les règles du jeu et commencer à parler l'autre langue officielle en oubliant tout ce qui s'est fait avant. Il faut qu'il y ait une certaine uniformité dans l'intention et dans l'application de ces dispositions.

Le sénateur Joyal : Avez-vous eu l'occasion de comparaître à la Chambre des communes lorsque le projet de loi C-23 — le prédécesseur du présent projet de loi — a été étudié par le comité à la Chambre des communes?

Mme Dufour : Malheureusement, non. Pour des raisons d'intendance, je dirais, au Barreau du Québec, nous n'avons pu comparaître lors de l'étude du projet de loi C-23 par la Chambre des communes.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez donc pas eu l'occasion de vous exprimer, avant aujourd'hui, sur dispositions touchant la langue du procès ou de l'accusé, et de les débattre avec les députés de l'autre côté?

Mme Dufour : Malheureusement, non.

Me Belleau : Ce n'est pas parce que la possibilité ne nous a pas été offerte, mais cela n'a pas été fait.

Le sénateur Joyal : Ce n'est pas un reproche, c'est simplement pour refléter dans notre compréhension du projet de loi toutes ses implications.

Je comprends le point de vue exprimé par Me Rémillard que, sous certains aspects, le projet de loi peut être une amélioration dans certaines provinces — excluant le Nouveau-Brunswick. Pour ce qui est du Québec, comme cette province est assujettie à l'article 133 de la Constitution et à la Charte, je comprends qu'il y a eu des interprétations qui ont considérablement élargi la portée du droit de l'accusé à subir son procès dans la langue de son choix. De plus, les dispositions actuelles du projet de loi, même si elles sont une amélioration sous certains aspects — par rapport au témoignage de Me Rémillard —, il n'en demeure pas moins que si elles étaient suivies telles quelles au Québec, elles marqueraient un recul de ce que le Québec offre actuellement à l'accusé, comme la capacité de se défendre dans la langue de son choix. On parle évidemment de la minorité anglophone au Québec, cela va de soi.

Me Belleau : C'est exact. Les positions respectives de Me Rémillard et du Barreau du Québec — de l'association qu'il représente — illustrent la différence de traitement selon l'endroit où l'on se trouve. C'est sûr qu'au Québec, l'article 133 y est pour quelque chose, mais il y a une évolution historique qui fait qu'on donne plus que ce que la garantie constitutionnelle exige. Les services judiciaires dans les deux langues sont donnés de manière quasi automatique, sauf dans certaines juridictions où très peu de personnes parlent la langue anglaise. Même dans ces cas-là, il est possible de transférer le dossier à Montréal, à Québec ou dans un autre district où la chose peut se faire.

Ce qui est frappant, c'est que Me Rémillard arrive ici en disant : « Bravo! Vous améliorez le sort des minorités françaises hors Québec. » Et nous vous disons : « Si vous faites cela, vous risquez de mettre en péril celui de la minorité anglaise au Québec. » Cela réduit le champ de ce que le Québec offre comme garantie juridique.

Le sénateur Joyal : Est-ce qu'il n'y a pas là une sorte de contradiction, sur l'interprétation donnée à l'article 133 et à la portée donnée à l'article 16 de la Charte, qui reconnaît que le Canada est une seule et même entité, eu égard au droit pénal? Puisque c'est une responsabilité fédérale, que le Code criminel est aussi une responsabilité fédérale, de même que la nomination des juges, la responsabilité globale du Parlement canadien à l'égard de la capacité d'offrir à l'accusé un procès dans la langue de son choix échoit au gouvernement canadien au premier chef. Ce que le Québec a fait, ce sont des aménagements de la procédure qui vont au-delà de la manière dont le gouvernement canadien interprète sa responsabilité constitutionnelle à l'égard des droits de l'accusé d'obtenir un procès dans la langue de son choix. Est-ce que je résume la situation?

Me Belleau : Vous avez raison. On peut retourner à la trilogie MacDonald, Société des Acadiens du Nouveau- Brunswick et Bilodeau, où le juge Betz écrivait que le droit prévu dans la Constitution est le droit de s'exprimer dans la langue de son choix. Cependant, on n'a pas le droit correspondant d'être compris. C'était cette philosophie qui prédominait jusqu'à l'époque où la Cour suprême du Canada, en 1999, a rendu le jugement Beaulac dans lequel on a adopté une interprétation beaucoup plus large des droits linguistiques. Le juge Bastarache, dans son traité sur les droits linguistiques, mentionne que cet arrêt Beaulac jette un nouvel éclairage sur l'interprétation des droits linguistiques dans la trilogie des arrêts rendus dans les années 1980.

Bien entendu, le Québec fournit un peu plus que ce que l'obligation constitutionnelle demande. Les garanties linguistiques sont de la responsabilité du Parlement, c'est un fait. Le tribunal ne compensera pas dans une autre province de la manière dont Québec le fait pour des raisons historiques, lesquelles je vous expliquais tout à l'heure. La crainte est qu'ailleurs, il n'y ait pas cette volonté ou cette nécessité pour des raisons historiques, d'accorder littéralement l'égalité absolue des droits en matière linguistique. Le Parlement doit intervenir pour encadrer et créer la règle, et forcer les tribunaux à appliquer ces règles.

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous nous suggérez, par vos commentaires sur l'avis et l'acte de dénonciation, d'élargir cette définition pour englober d'autres aspects du procès? Par exemple, pour reprendre vos termes, lorsque vous dites que la preuve soit exprimée dans une forme comprise par l'accusé, que cet élargissement de la capacité de l'accusé à comprendre des éléments essentiels du procès, sans avoir à tout traduire, devrait au moins donner un résumé des éléments essentiels de la preuve. Autrement, dire qu'on sera jugé dans sa langue et avoir à faire face à des documents ou des éléments de preuve que vous ne comprenez pas, ce n'est pas, à mon avis, obtenir un procès juste au sens où on l'entend dans les principes d'égalité linguistique.

Me Belleau : Vous avez parfaitement raison. Le déroulement du procès lui-même peut avoir toutes les apparences de l'équité et du respect de l'égalité des droits. Mais la question de la préparation de la cause est quelque chose qui précède le procès proprement dit. Et on ne pourra pas voir dans le procès si l'accusé a été privé de sa capacité de préparer sa défense. Si on ne lui fournit pas les instruments nécessaires, le juge aura beau lui offrir toutes les garanties juridiques possibles, s'il n'a pas eu accès à l'information qui est le nerf de la guerre dans un procès, il ne peut pas se défendre de façon convenable.

La suggestion du Barreau est qu'il y ait une réflexion engagée afin qu'une législation soit proposée pour encadrer ce droit. Alors qu'à l'heure actuelle, selon la juridiction dans laquelle on se trouve, il y a des décisions très variées qui sont entendues sur le droit à la traduction de la divulgation de la preuve.

La présidente : Je vous signale qu'il reste quatre autres sénateurs sur la liste.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Il y a une expression qui veut que quoi qu'on fasse, on a toujours tort.

[Français]

Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour assurer que les droits de la minorité anglophone, tels qu'ils ont été interprétés par les tribunaux, soient protégés, et qu'on n'utilise pas ces amendements au Québec, en particulier si quelqu'un voulait un jour les appliquer à la lettre, c'est-à-dire renvoyer la minorité anglophone au Parlement canadien et dire : si maintenant vous avez moins de droits d'être entendus en anglais, ce n'est pas notre faute, mais celle du Parlement canadien. J'ai déjà vu cet argument utilisé au Québec par des gouvernements provinciaux lors de conflits linguistiques dont vous vous souvenez certainement Me Belleau.

Me Belleau : Vous avez soulevé un bon point. Je pense qu'en termes pratiques, étant donné que les institutions au Québec se sont développées de cette façon et que c'est tellement bien ancré, il y a peu de risque que les droits de la minorité anglophone reculent de façon considérable. Sauf que dès que les procureurs de la Couronne commenceront à réaliser qu'il y a des coûts impliqués, est-ce qu'on va s'inspirer de ce qui se fait dans d'autres provinces, et ne plus insister sur le bilinguisme des procureurs et ne plus recruter de juges anglophones, et cetera? Une dégradation progressive est à redouter et elle risque de se produire dans les autres provinces aussi.

Me Rémillard : On a le même souci. Que l'on soit francophone à l'extérieur ou à l'intérieur du Québec, on veut faire progresser les droits linguistiques. La question est toujours de le faire de façon concrète afin d'éviter un recul dans un sens et un progrès dans l'autre. Il s'agit d'avoir cette nuance.

La Cour suprême du Canada a dit, dans l'interprétation des droits linguistiques, qu'on doit toujours avoir une interprétation large et libérale. C'est la jurisprudence dans l'affaire Beaulac. C'est le point de départ pour interpréter les droits linguistiques. Cela sera appliqué si on a une ambiguïté au Québec ou dans une autre province. Ces principes vont quand même éclairer l'interprétation de toute législation, y compris la question du Code criminel.

Je ne dis pas que cela constitue la toile de fond de la question des droits linguistiques. On parle de l'affaire Bilodeau, la fameuse trilogie où l'on avait une interprétation très restrictive des droits linguistiques, y compris l'article 133, l'article 23 au Manitoba qui est l'équivalent ou très semblable. L'affaire Beaulac traitait de l'article 530 du Code criminel, et c'était un procès en Colombie-Britannique; il s'agissait d'interpréter tous les droits, pas juste les droits constitutionnels, mais tous les droits linguistiques de façon large et libérale pour assurer la promotion des minorités linguistiques. Ceci veut dire au Québec et à l'extérieur du Québec. Je tiens à le préciser, car c'est important de le savoir.

La présidente : Merci Me Rémillard.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Cette intervention me permet de raccourcir mon propos.

Le gouvernement fédéral a une responsabilité de façon générale en matière de langue, mais il a également une vaste responsabilité en matière de droit pénal. De tout temps nous avons eu le souci de faire en sorte que justice soit faite et que l'accusé subisse un procès équitable. Il existe des disparités régionales étant donné que l'administration de la justice relève des provinces. Les tribunaux vont continuer d'avoir le même souci; les avocats également, et les parlementaires aussi. Ce n'est pas ce qui, en soi, me tracasse. C'est plutôt un problème auquel nous nous heurtons continuellement.

Si ce projet de loi était présenté comme offrant les réponses définitives, un cadre définitif, alors je m'inquiéterais. On l'a dit clairement, il s'agit d'un pas en avant, d'un équilibre entre les besoins à l'échelle du pays. S'il est vrai que l'on constate une certaine volonté au Québec, on doit songer à la capacité dans les autres provinces, et peut-être à certaines capacités au Québec, notamment dans les régions rurales ou très éloignées du Nord, et c'est alors que la question des Autochtones entre dans le contexte.

Monsieur Belleau, vous dites que les normes et les capacités sont supérieures au Québec et vous craignez que ce projet de loi marque un recul. Pourquoi entretenez-vous de tels doutes? Dans chaque province que j'ai étudiée, j'ai constaté que les lignes directrices nationales et les lois nationales étaient en vigueur et l'administration de la justice facilitait leur application. À l'égard de certains enjeux concernant la justice, certaines provinces ont des capacités supérieures, d'autres ne les ont pas, et des différences existent également suivant la région dans une même province.

Est-ce que des responsables de l'administration de la justice au Québec ont laissé entendre d'une façon ou d'une autre qu'ils profiteraient de ce projet de loi pour réduire les services offerts et les capacités des tribunaux, l'interprétation des procès, de manière à descendre jusqu'à la norme qu'on veut imposer aux autres provinces, ou le Québec sera-t-il encore un modèle?

[Français]

Me Belleau : Si vous me demandez si des indications ont été données dans le sens que la province de Québec n'a pas l'intention de maintenir un système qui a la capacité d'offrir ces garanties à sa clientèle, il n'y a pas d'indication. Sauf la tendance des gouvernements, à vouloir dépenser de moins en moins dans l'administration de la justice et, en particulier, l'administration de la justice criminelle qui est considérée comme une nuisance plus qu'un endroit où il faut mettre des ressources.

Si cela devient une question financière, comme cela finit toujours par devenir, et si les dispositions législatives qui garantissent les droits ramollissent, alors il y a moins de nécessité de respecter ces garanties et on peut favoriser des solutions moins dispendieuses.

L'une des raisons pour lesquelles nous considérons qu'il y a risque de recul si vous prenez, par exemple, l'amendement à l'article 530.1 qui définit les droits linguistiques de l'accusé, c'est qu'une fois qu'il a obtenu une ordonnance à l'effet que le procès ait lieu dans sa langue en vertu des alinéas (d) et (e), le juge et le procureur doivent parler sa langue. C'est fondamental. Si, avec le nouvel amendement, le juge et le procureur ont le droit de parler les deux langues ou une autre langue, à ce moment-là, on recule, dans le sens où le tribunal n'est plus obligé, et le procureur non plus, de parler la langue de l'accusé.

Cela me semble une manifestation claire d'un recul des droits que l'accusé peut revendiquer dans l'exercice de son droit à un procès dans sa langue.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Cela pourrait être la pierre d'achoppement, j'en conviens. Je suis convaincue que le Barreau du Québec maintiendra sa vigilance et j'espère que le gouvernement fédéral fera un suivi des mesures qu'il prend, pour s'assurer qu'elles sont positives. Sans aucun doute, il s'agit d'inciter les autres provinces à se conformer, notamment au plan des capacités.

S'il y avait un effet secondaire négatif, comme vous le signalez, j'espère que le gouvernement interviendra rapidement, à quelque palier que ce soit, pour en discuter et, peut-être, légiférer.

Malgré vos mises en garde, êtes-vous pour le projet de loi?

[Français]

Me Belleau : Si nous devions approuver des dispositions, ce serait certainement celle de l'avis qui a été élargi pour qu'il soit donné à tous les accusés, et pas seulement aux accusés qui ne sont pas représentés. En ce qui concerne les autres dispositions, il y a la traduction de la dénonciation des actes de procédure, mais à part cela, quant à nous, il y un danger que ce soit interprété comme un recul. Puisque le législateur ne parle pas pour ne rien dire, un tribunal qui serait saisi d'un problème de séparation de procès, par exemple, un accusé qui se plaindrait qu'il n'a pas eu son procès dans sa langue, la poursuite pourrait plaider, « bien, vous voyez, le Parlement a modifié la loi en permettant que le juge et le procureur parlent anglais, donc les droits ont été réduits ». Et cela a une signification dans le domaine juridique, ce n'est pas quelque chose qui peut être inoffensif ou sans conséquence.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : J'attends toujours la réponse. Dites-vous que nous devons adopter ce projet de loi, ou le rejeter?

Je suis désolée, mais j'ai déjà été juge.

[Français]

Me Belleau : Nous suggérons certainement que les dispositions comme celle qui modifie l'article 530.1 et celle qui autorise le juge à tenir compte du fait que les accusés sont jugés conjointement ne doivent pas être adoptées.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Je vais essayer encore une fois.

La présidente : Je pense que nous avons reçu une réponse.

Me Belleau : C'est peut-être un problème d'interprétation.

Le sénateur Milne : Hier, quand le ministre a comparu, j'ai parlé de l'article 37 du projet de loi. Ma question s'applique aussi à l'article 39.

J'ai de grandes préoccupations à ce sujet. L'article 37 s'applique aux ordonnances de probation et l'article 39, aux conditions facultatives et aux amendes.

Les alinéas a), b), c) et d) du paragraphe 734.2(1), à l'article 39 du projet de loi, prévoient que le tribunal « fait remettre copie de l'ordonnance », « explique le contenu des articles » aux délinquants, « veille à ce que lui soit expliqué » et « prend les mesures voulues pour s'assurer qu'il comprend l'ordonnance elle-même et les explications qui lui sont fournies ».

À l'article 37, le nouveau paragraphe 732.1(6) du Code criminel se lit comme suit :

Il est entendu que la non-observation du paragraphe (5) ne porte pas atteinte à la validité de l'ordonnance.

Et le libellé est presque identique à celui de l'article 39.

Le ministre ne m'a pas répondu et les fonctionnaires du ministère de la Justice n'ont pas répondu dans leurs témoignages à mes préoccupations, mais un autre fonctionnaire du ministère de la Justice a déclaré plus tard que ce genre de libellé est courant dans le Code criminel. Cela me préoccupe fort. Cela signifie qu'un délinquant faisant l'objet d'une ordonnance de probation pourrait ne pas savoir quelle est la teneur de cette ordonnance. Comment pourrait-il alors la respecter? Dans le cas d'une amende à payer, comment le délinquant saurait-il quelle en est la somme et quelles sont les possibilités pour son paiement?

Avez-vous des commentaires à ce sujet? Dites-nous s'il est vrai que c'est un libellé qu'on trouve ailleurs dans le Code criminel.

[Français]

Me Belleau : Je pense qu'en effet, cette formulation se retrouve ailleurs, probablement en termes de mise en liberté provisoire où il y a des conditions qui peuvent être imposées à un accusé. L'exigence est que le juge doit s'assurer qu'il en fait remettre une copie au délinquant. Il y a un aspect pratique à cela, c'est que, chez nous en tout cas, à Montréal où je pratique, le greffier prépare le document et le fait lire à l'accusé qui le signe, et il part avec une copie de son ordonnance de probation. Bien sûr, le greffier ne prend pas le temps d'expliquer toute et chacune des clauses et toutes les conditions, mais c'est généralement assez clair pour l'accusé qui est lié par le contenu du document en question. La raison, je pense, pour laquelle cela a été formulé de cette façon, c'est pour alléger un peu le travail du tribunal. Il y a certaines salles où on traite une centaine de dossiers par jour, c'est inimaginable que le juge lise lui-même l'ordonnance de probation pour chaque client.

En règle générale, je crois que cet article est bien administré. Le paragraphe 6, en particulier, vise à assurer que la validité de l'ordonnance, dans le sens où le délinquant est lié par son ordonnance malgré le fait qu'on n'aurait pas satisfait aux exigences du paragraphe 5, alors l'ordonnance continue de survivre. Le problème est que si elle n'est pas réalisée, c'est-à-dire que si on n'a pas informé le délinquant de cela, peut-être que lui pourrait se plaindre de ne pas avoir eu des informations adéquates et tenter de soulever cela comme défense.

Dans mon expérience, cela n'a pas été une difficulté réelle, cette façon dont le tribunal s'est acquitté de l'obligation d'informer le délinquant.

Je ne suis pas certain que je réponde beaucoup mieux que les gens du ministère de la Justice.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Vous n'avez pas apaisé mes craintes. Cela peut très bien fonctionner à Montréal, à Québec et à Toronto, mais je me suis laissée dire qu'il y a d'autres endroits, au Canada, où il n'y a pas de greffier du tribunal. C'est au juge que cela incombe. Hier, le ministre m'a demandé si j'avais des inquiétudes au sujet des criminels qui sévissent dans nos rues. Je suis certainement préoccupée, s'ils ne connaissent pas la teneur de leur ordonnance de probation. Revenons au point de départ : Y a-t-il moyen de corriger le problème?

[Français]

Me Belleau : Je ne suis pas sûr que cela a besoin d'être réparé.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Je ne suis peut-être pas juriste, mais quand j'ai lu le libellé de ces deux articles, je me suis posé de nombreuses questions.

[Français]

Me Belleau : Habituellement, le délinquant recevra toujours une copie de l'ordonnance et il peut la lire. S'il ne peut le faire, quelqu'un peut le faire pour lui. S'il s'exprime et dit qu'il a besoin d'explications, on va les lui donner. Les policiers sont au courant des conditions. Si jamais un délinquant sous probation commet un bris de probation, s'il n'a pas compris, les policiers ont bien compris et vont être capables d'intervenir.

[Traduction]

Le sénateur Milne : C'est en effet l'une de mes préoccupations : que le délinquant ne comprenne pas, alors que le tribunal est au courant.

Le sénateur Watt : Je dois d'abord vous dire que je suis votre voisin puisque je suis du Nunavik. Ma langue maternelle n'est ni l'une ni l'autre des deux langues officielles, mais je vais m'assurer de parler d'une manière que tous comprendront.

Prenons un peu de recul. Vous savez peut-être que les Inuits du Nunavik ont un traité avec le gouvernement du Canada et la province de Québec. Le gouvernement du Canada et le gouvernement provincial sont tenus d'offrir des services à mon peuple. Cela relève de la province de Québec.

C'est pourquoi nous avons tenté de trouver une formule de financement. Si quelque chose relève de la compétence fédérale, le gouvernement du Canada doit assumer 75 p. 100 des coûts et la province, 25 p. 100. Par contre, si c'est de compétence provinciale, la responsabilité de la province est de 75 p. 100 et celle du fédéral, de 25 p. 100. Selon la compétence, on renverse la formule de financement. Est-ce que vous me comprenez bien?

Je ne dis pas que cela fonctionne toujours, puisque c'est très complexe. À l'occasion, il faut négocier avec les deux ordres de gouvernement pour obtenir ce qui est nécessaire pour offrir les services à une communauté.

Pour les fins du projet de loi, nous sommes la minorité de la minorité. Hier et aujourd'hui, j'ai essayé de comprendre où je m'inscrivais dans tout cela. Tout ce que vous dites me préoccupe aussi.

Le sénateur Andreychuk a soulevé une question au sujet du statut minoritaire des Autochtones, et je parle plus particulièrement des Inuits du Nunavik. On pourrait dire la même chose pour d'autres régions aussi, peut-être.

Quelle est votre opinion de cette ébauche du Code criminel? On n'y fait aucunement mention de la nécessité d'offrir des services à ceux qui ne parlent ni l'une ni l'autre des deux langues officielles. J'en déduis que ce projet de loi nous dit : « Nous, le gouvernement du Canada, n'offrons rien à la province du Québec pour les questions linguistiques autres que se rapportant aux deux langues officielles ». Ai-je raison?

Contrairement aux Premières nations, nous sommes de véritables contribuables : nous payons plus de taxes et d'impôts que quiconque au Canada. Je pense que je me suis bien fait comprendre.

Pouvez-vous me répondre? Comme sénateur, je n'aime pas ne pas savoir comment protéger les intérêts de ceux que je représente.

La présidente : Pensez-vous que ce projet de loi nuit aux droits des Inuits, même indirectement?

[Français]

Me Belleau : On peut dire qu'elle ne les améliore pas parce qu'il n'y a aucune disposition qui favorise un statut particulier pour la langue Inuit, l'Inuktituk, qui est sur le même pied qu'une langue étrangère, mais c'est ainsi dans le Code criminel actuellement. J'estime que vous soulevez une question passionnante. D'ailleurs, le sénateur Joyal avait mentionné, lors des commissions, qu'il faudrait que le Canada considère l'Inuktituk comme une des langues officielles du pays. C'est une question politique sur laquelle je ne suis pas sûr d'avoir la compétence requise pour formuler une opinion, mais je comprends très bien. Votre question concerne le fait que le projet de loi fait quelque chose pour vous en tant que groupe. Je dois dire qu'à la lecture, il n'y a pas grand-chose dans le projet de loi qui serait de nature à vous rassurer.

[Traduction]

Le sénateur Watt : C'est ce que je voulais savoir.

[Français]

Me Rémillard : La complexité de cette question d'avoir une langue juridique, la common law française dans les provinces à l'extérieur du Québec où on l'a développée a fait face à toute cette difficulté d'avoir une langue juridique normalisée et la capacité d'offrir tous ces services. C'est une question fort intéressante.

Je suis allé à Iqaluit il y a quelques années et on en avait discuté. Il y a des expériences de la common law en français qui pourraient être applicables et vous aider à concevoir la problématique dans ce sens. Ils sont assez imposants, mais moins difficiles en français avec la common law qu'avec l'Inuktituk. Il y a toutes sortes d'autres défis. C'est un domaine où le Canada a une certaine expertise qui est intéressante et qui pourrait être utilisée pour d'autres langues.

La présidente : Merci beaucoup. Sénateur Chaput, vous avez été très patiente et il ne nous reste que très peu de temps.

Le sénateur Chaput : Je serai brève. Ma question a déjà été posée par le sénateur Andreychuk mais je veux la poser à nouveau. Comme vous savez, je suis du Manitoba français et j'abonde avec les propos de Me Rémillard à cause de ma situation de double minorité au Manitoba et au Canada.

Je repose la question à Me Belleau. Est-ce que j'ai bien compris quand vous avez dit que ce projet de loi pourrait réduire ou enlever les services en anglais aux anglophones du Québec dans ce domaine?

Me Belleau : L'argument que nous présentons c'est qu'il peut réduire les droits de la minorité linguistique où elle se trouve.

Dans le cas du Québec, ce serait les anglophones, dans les cas des provinces anglophones, ce serait les francophones dont les droits seraient menacés.

Le sénateur Chaput : Dans le cas de ce projet de loi, pour les francophones hors Québec, il est plus positif que pour les anglophones au Québec. C'est ce que vous dites.

Me Belleau : Je ne suis pas certain de cela. Non, ce n'est pas ce que je prétends.

Le sénateur Chaput : Cela va. Je ne pousserai pas plus fort.

La présidente : Il est certain que nous pourrions poursuivre la discussion pendant encore des heures. Je vous remercie tous d'être venus nous rencontrer. Cela a été fort intéressant et utile pour le comité.

[Traduction]

Je vais demander à nos prochains témoins de prendre place. Ils ont attendu patiemment.

Nous recevons des représentants de PartyGaming PLC, et nous en déduisons que cette partie de notre séance sera bien différente de la première.

Bienvenue à Mitchell Garber, directeur général, à M. Brahm M. Gelfand, membre du Comité consultatif international, et à M. Norman Inkster, membre du Comité consultatif international.

Comme vous le savez, il a fallu réduire la durée de la séance. Nous vous demandons de présenter un exposé, aussi bref que possible mais sans négliger ce qui vous importe le plus, afin que nous ayons le temps de vous poser des questions avant la fin de la séance. Pour ces comités, nous manquons toujours de temps.

Mitchell Garber, directeur général, PartyGaming PLC : Je suis content d'être ici. Je vais abréger mon exposé. Je suis un Canadien qui vit en Europe et juste d'avoir à attendre pour vous parler est un réel plaisir.

Plantons le décor. Je suis un avocat canadien, membre du Barreau du Québec. PartyGaming PLC est une société inscrite à la Bourse de Londres, l'une des plus importantes sociétés européennes, ayant des bureaux au Royaume-Uni, un permis de l'Union européenne et des bureaux aussi à Gibraltar ainsi qu'à Tel-Aviv, en Israël, à Sofia, en Bulgarie et à Hyderabad, en Inde.

C'est une assez grande société comptant près de 1 500 employés. Je le répète, nous avons un permis de l'Union européenne. Nous sommes inscrits à la Bourse de Londres et comptons parmi nos propriétaires Fidelity, Merrill Lynch et d'autres investisseurs de ce genre. Nous dirigeons une entreprise de jeux sur Internet très respectueuse des règles. Nous avons des contrôles logiciels robustes, des vérificateurs internes et externes, un responsable de la lutte contre le blanchiment d'argent et des politiques à ce sujet, et nous sommes très responsables lorsqu'il s'agit des problèmes liés au jeu.

Au cours des derniers mois, j'ai eu l'occasion de m'adresser à des comités de la Chambre des lords au Royaume-Uni, ainsi qu'à M. Peter Mendelssohn, ministre du Commerce international de l'Union européenne à Bruxelles. Ce n'est donc pas la première fois que je parle à des gouvernements de la possibilité d'application extraterritoriale de lois se rapportant à Internet et au jeu sur Internet.

Je veux vous parler du projet de loi C-13 mais plus particulièrement de l'article 5. Nous recherchons d'abord la clarté. Si le Parlement adopte cette modification, elle ne doit pas être sujette à interprétation, ni être ambiguë. Il faut qu'on sache exactement à qui et à quoi cette disposition est censée s'appliquer.

L'article 5 du projet de loi remplace l'alinéa 202(1)i) du Code criminel. D'après le ministre de la Justice, M. Nicholson, c'est une modification de nature technique. On comprend que les lois doivent être modifiées pour s'adapter à l'évolution du monde des affaires, de la société et de la technologie. L'article 202 du Code criminel a été historiquement interprété comme une loi locale, s'appliquant aux entreprises et aux personnes qui font des affaires au Canada même.

Pourtant, le nouveau libellé est ouvert et fait allusion à Internet sans recourir au terme « Internet ». Internet complique les choses. Si l'on veut que cette loi s'applique au Canada, il faut le dire clairement, sans laisser d'ambiguïté quant à l'application extraterritoriale éventuelle à des entreprises qui ont un permis de l'Union européenne et qui sont inscrites à la Bourse de Londres comme PartyGaming.

J'ai entendu des témoignages au sujet des preneurs aux livres. Parle-t-on de paris sportifs, de bingo ou de poker? Tous ces détails ont leur importance pour des entreprises comme la nôtre. Nous ne faisons pas affaires au Canada. Nous avons toutefois des clients canadiens. Pour notre société, il est important de savoir si cette loi canadienne vise à nous empêcher de faire des affaires au Canada, de réglementer notre secteur ou si elle s'appliquera uniquement aux entreprises qui font des affaires au Canada.

On fait allusion à Internet en changeant le libellé de la disposition mais nous devons comprendre exactement quelle est l'intention des législateurs quant à l'application de ces nouveaux termes.

À mon avis, il serait irresponsable d'adopter ce projet de loi si l'intention n'est pas claire. Si c'est censé s'appliquer à des entreprises comme la nôtre, il faut que le projet de loi le dise clairement. Si cela ne doit s'appliquer qu'aux entreprises au Canada, c'est la même chose. Si cela ne doit s'appliquer qu'aux paris sportifs, encore une fois, que ce soit clair.

Nous avons par conséquent des suggestions à proposer au Sénat, mais nous croyons que comme élément du gouvernement qui procède à un second examen objectif, vous pourriez vous pencher sur ce libellé, en gardant en tête que nous ne demandons que plus de clarté, dans un sens ou dans l'autre. Nous avons bien sûr nos préférences, mais ce que nous visons d'abord, c'est la clarté.

Vous avez ici, à ma gauche, M. Gelfand, un avocat de société spécialisé en droit commercial, qui pratique ici au Canada, à Montréal.

Nul besoin de présenter M. Inkster. C'est l'ancien commissaire de la GRC et chef d'Interpol. Il s'est beaucoup intéressé au jeu et au jeu faisant l'objet de réglementation et de permis, à l'échelle mondiale, et est très utile aussi au sein de notre comité consultatif.

M. Gelfand présentera quelques observations au sujet d'une note qu'il a distribuée, puis M. Inkster dira quelques mots. Je m'en remets à vous pour les questions et l'animation de la discussion.

Brahm M. Gelfand, membre, Comité consultatif international, PartyGaming PLC : Au sujet de mon texte, qui a dû être remis aux membres du comité, je ferai référence à chacune des rubriques, pour attirer votre attention sur nos préoccupations au sujet de la modification.

Comme M. Garber l'a dit, nous voudrions plus de clarté quant à l'intention du projet de loi. Comme vous pouvez le voir à la première page de mon texte, notre principale question est la suivante : « Est-ce que les dispositions du Code criminel sur le jeu et les gageures continueront de s'appliquer uniquement aux résidents canadiens? » Le fait que vous éliminiez ce qui était à l'article 201, en ouvrant grande la porte, est une allusion manifeste à Internet. Internet est quelque chose de tout à fait nouveau, mesdames et messieurs, pour nous tous étant donné sa portée et son utilisation mondiale. Quand une mesure législative est adoptée ou modifiée, il est crucial de savoir exactement quel en sera l'effet.

Est-ce censé s'appliquer seulement à ceux qui sont au Canada, ou est-ce aussi censé s'appliquer à des entreprises comme PartyGaming PLC, qui fait affaire à l'étranger, qui respecte nos réglementations, qui a des permis et dont les activités sont limitées? Si sa portée est extraterritoriale, est-ce que le dirigeant d'une société étrangère légalement constituée et dotée des permis nécessaires, qui se présenterait au Canada, serait arrêté et accusé d'une infraction au Code criminel?

S'agit-il d'une loi extraterritoriale semblable à celle de nos voisins du Sud? Les États-Unis ont en effet adopté diverses mesures législatives qui interdisent, par exemple, aux Canadiens de vendre des biens à Cuba. Vous vous souviendrez peut-être que la société Ford a bloqué aux États-Unis la vente à Cuba de 900 camions par une filiale, grâce à la loi Helms-Burton.

Nous voulons savoir ce que le comité pense de ce projet de loi, et s'il estime qu'il est ambigu. Par ailleurs, le comité pense-t-il qu'il faut préciser l'intention du projet de loi? En droit criminel, il incombe aux tribunaux de décider quelle était l'intention des législateurs, pour un projet de loi qui s'applique aux sociétés étrangères.

Il y a eu des affaires relatives à cette question au Canada. Ainsi, l'affaire R c. Starnet Communication International Inc. ainsi que Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c. Canadian Association of Internet Providers. Nous en parlons dans notre mémoire.

Au sujet du jeu par Internet, je vous rappelle que nous avons déjà du jeu par Internet au Canada, où le pari mutuel est permis. Les lois américaines l'ont bloqué. L'OMC, au nom d'Antigua-et-Barbuda, a toutefois lancé une poursuite de taille contre les États-Unis pour pratique discriminatoire. D'après l'OMC : « Le pari mutuel est permis aux États- Unis mais il y a discrimination contre d'autres qui voudraient recourir au jeu en ligne. Ce n'est pas acceptable » [Traduction]. Comme M. Garber vous le dira, l'Union européenne a à décider des dommages à exiger des États-Unis. La somme pourrait être de 80 à 90 milliards de dollars.

Il y a aussi la loi des conséquences non voulues, et c'est cela que nous évoquons. Si le projet de loi C-13 est adopté, personne ici ne peut garantir qu'un poursuivant particulièrement zélé invoque cette loi pour viser une personne en particulier. C'est possible, mais nous voulons l'éviter.

Je ne crois pas que le Canada souhaite que sa loi soit réputée avoir des effets extraterritoriaux. Nous avons annexé à notre document le résumé d'un rapport d'une centaine de pages qui a été rédigé par des professeurs de l'Université Dalhousie. Dans notre résumé, nous tentons d'extrapoler certains des effets que pourrait avoir une loi à portée extraterritoriale. Il faut tenir compte de ces effets éventuels.

Par ailleurs, adopter une loi est une chose et la faire respecter en est une autre. Si nos lois criminelles ne peuvent être mises en application parce que les intéressés, particuliers ou institutions, ne se trouvent pas au Canada, ce serait bien dommage pour la justice pénale au Canada.

De plus, d'autres pays ont étudié en profondeur la question du pari en ligne. Bon nombre de pays ont opté pour une loi différente. Je vous renvoie au Royaume-Uni. Le Royaume-Uni a récemment adopté une loi sur les jeux de hasard qui permet les jeux en ligne. Toutefois, on a pris une mesure très astucieuse. On a pris un règlement qui veut que, si par exemple l'entreprise X a son siège social à Gibraltar et est assujettie à une réglementation, si cette entreprise a fait l'objet d'une enquête de la part du Royaume-Uni, celui-ci reconnaîtra le règlement qui s'applique à cette entreprise et lui permettra de faire des affaires au Royaume-Uni. On a ainsi créé un régime réglementé de divertissement en ligne, qu'il s'agisse du poker ou d'autres jeux de hasard. Les deux parties en bénéficient, car l'État sait que les jeux sont réglementés et peut en tirer des recettes fiscales. On a ainsi un système international.

Nous ne croyons pas qu'il s'agisse d'une simple modification de forme. Nous estimons qu'on n'a pas suffisamment réfléchi aux conséquences que pourrait avoir l'adoption du projet de loi sous sa forme actuelle. Nous estimons qu'il serait injuste d'adopter ce projet de loi et de laisser ensuite aux tribunaux le soin de déterminer que des poursuites peuvent être intentées à volonté. D'ailleurs, les cours provinciales, les cours d'appel et enfin la Cour suprême du Canada finiraient par être saisies de la question.

Nous préférerions une modification qui dirait clairement que le message doit être envoyé au Canada. Si cette solution n'est pas acceptable, nous sommes d'avis qu'il faudrait au moins préciser, dans l'introduction, que cette mesure législative s'applique aux messages transmis au Canada. C'est absolument nécessaire si on veut éviter le genre de confusion qui pourrait résulter de la modification dont nous sommes saisis.

Norman Inkster, membre, Comité consultatif international, PartyGaming PLC : Merci beaucoup de nous avoir invités. Vous serez peut-être étonnés de voir un ancien commissaire de la GRC travailler en étroite collaboration avec le secteur des jeux de hasard.

Le sénateur Bryden : Rien ne nous étonne.

M. Inkster : Je tiens à ce que vous sachiez qu'avant d'accepter de conseiller PartyGaming, je me suis assuré que cette entreprise était l'étalon or. Les paris et jeux de hasard ne sont pas mal en soi, mais il est vrai qu'ils peuvent attirer des malfaiteurs. Voilà pourquoi la réglementation est si importante, et voilà pourquoi la réglementation doit être la plus claire et précise possible. Je suis ici pour faire écho à mes collègues et vous encourager à préciser l'intention de cette loi dans un amendement. Vous devriez l'envisager.

Comme je suis un ancien policier, quand je lis une loi, je me demande toujours si elle pourra être appliquée. Je me demande si, sans modification, cette loi restera purement théorique parce qu'il sera impossible de la faire respecter. C'est une question qu'il faut absolument se poser quand on envisage d'adopter des lois. Est-il possible que personne ne puisse l'appliquer, surtout s'il s'agit de comportements et de choix personnels? En l'occurrence, il faut aussi se demander où se produirait l'infraction. Je suis certain que les juristes ici présents ont tenté de répondre à cette question.

Je suis ici pour vous encourager à créer une situation claire. Je suis ici avec M. Garber parce que je suis pour la loi — après tout, j'ai été policier. Tout ce que nous voulons, c'est la clarté. Nous respecterons la loi que le gouvernement du Canada adoptera, quelle qu'elle soit.

La présidente : Avant de commencer la période de questions, puis-je vous demander, monsieur Garber, si vous ou certains de vos collègues avez comparu devant le Comité de la Chambre des communes qui a étudié ce projet de loi ou sa version antérieure?

M. Garber : Non, nous n'avons comparu devant aucun comité ou organisme du gouvernement du Canada.

La présidente : À votre connaissance, est-ce la première fois qu'on fait valoir cet argument?

M. Garber : Il y a deux ou trois mois, M. Inkster, M. Gelfand et moi avons eu une rencontre avec le chef de cabinet de M. Nicholson. Nous y avons discuté de ce qu'on pense, en général, au Canada, du jeu sur Internet et des possibilités de réglementation et d'imposition. Nous avons aussi eu une rencontre semblable avec des représentants du ministère du Revenu, mais nous n'y avons pas traité du projet de loi C-23 ou du projet de loi C-13.

Le sénateur Oliver : Vous avez parlé d'une étude qui a été menée par la Faculté de droit de l'Université Dalhousie. Le rapport d'une centaine de pages n'est pas annexé à votre mémoire, mais vous l'avez résumé en deux pages. Vous avez indiqué que, si le projet de loi est adopté, vous respecterez la loi, et que vous voulez simplement qu'il soit précisé que la portée de cette loi est nationale et non pas extraterritoriale.

Dans ce résumé, on dit qu'il ne faut pas oublier que les lois extraterritoriales violent le droit international. Les auteurs du rapport de Dalhousie affirment que la position internationale sur cette question est simple : l'exercice par un État de son pouvoir souverain ne peut empiéter sur la souveraineté d'un autre État.

Le projet de loi n'a pas été conçu ou rédigé pour empiéter sur les droits souverains d'un autre État. Par conséquent, je ne crois pas qu'il y ait eu lieu de préciser le projet de loi, car la loi est claire. Là où on fait mention de communication dans le projet de loi, on renvoie au fait que les moyens de communication ont changé. À une certaine époque, on ne communiquait pas par télécopieur, mais par télex. À l'heure actuelle, on se sert de Blackberry et d'autres dispositifs. Il faut que la loi suive l'évolution des télécommunications. Cela n'a rien à voir avec l'extraterritorialité.

M. Garber : Je suis heureux de vous l'entendre dire, sénateur Oliver. C'est ainsi que nous interpréterions le projet de loi. L'ancien libellé était assez facile à interpréter parce que le courrier ou les communications écrites sont livrés physiquement. Mais avec Internet, on pourrait interpréter différemment les méthodes de livraison du message ou le lieu où la livraison se fait.

Un jour viendra où vous, les sénateurs ici présents, ne serez plus présents. Des étudiants en droit étudieront la jurisprudence pour déterminer l'intention des législateurs ou pour comprendre ce que le ministre Nicholson ou le sénateur Oliver ont dit à une séance de comité. Vous avez aujourd'hui la possibilité d'insérer les mots « au Canada » ou quelque autre expression semblable. Le projet de loi comprend déjà un paragraphe portant sur la présence physique au Canada des serveurs, de l'équipement et des appareils. Par conséquent, je suis extrêmement ravi par votre position.

Je fais confiance au gouvernement canadien actuel, mais je ne suis pas convaincu qu'un agent de la GRC en Saskatchewan, par exemple, saura interpréter cette loi. Une mauvaise interprétation de ces dispositions pourrait donner lieu à une poursuite criminelle s'étendant sur deux ou trois ans, à des dizaines de millions de dollars en frais juridiques, et ce, pour prouver que l'interprétation du sénateur Oliver est bien la bonne. Nous voulons simplement plus de clarté.

Le sénateur Oliver : Les comités du Sénat peuvent entre autres joindre au rapport qu'ils présentent à la Chambre haute des commentaires ou des déclarations. Ils le font parfois. On pourrait peut-être ajouter une telle déclaration indiquant que, à titre de précision, c'est ce que signifie cette mesure. Il n'est pas nécessaire d'ajouter un amendement, il existe d'autres moyens.

M. Garber : Ce qui serait parfait, ce serait que je puisse transcrire vos premières observations et les ajouter en note.

Le sénateur Oliver : Mes premières observations étaient tirées d'un mémoire présenté par l'Université Dalhousie.

Le sénateur Milne : C'est dommage que vous n'ayez pas été ici hier lorsque le ministre a comparu devant nous, messieurs. L'un des fonctionnaires qui l'accompagnaient nous a donné les garanties ou les assurances que le sénateur Baker réclamait dans une de ses questions pour le comité.

Je dois vous avouer que notre comité n'est pas habitué de répondre à des questions. Normalement, c'est nous qui posons les questions, et les témoins y répondent. Il vaudrait probablement mieux que vous posiez certaines de ces questions à M. Inkster.

Je vous remercie d'être venus témoigner devant nous, et je suis d'accord avec le sénateur Oliver : un préambule ou un commentaire ajouté à ce projet de loi permettrait de résoudre les problèmes que vous prévoyez. Je n'ai pas l'intention de lire un mémoire de 100 pages de l'Université Dalhousie.

La présidente : Ce domaine est tout nouveau pour moi. Je dois avouer que je ne suis ni joueuse ni experte d'Internet. Ce que vous souhaitez, ce sont des précisions, et vous proposez un amendement. Je ne suis pas prête à appuyer un amendement. Je veux d'abord m'assurer que les précisions que vous réclamez doivent être apportées au moyen d'un amendement plutôt que par une déclaration ministérielle, sénatoriale ou autre.

Si nous décidions d'apporter un amendement au projet de loi, pourrait-il se lire comme suit, par exemple, dans ce paragraphe : « [...] volontairement et sciemment, envoie, transmet, livre ou reçoit au Canada quelque message [...]? » Quand vous proposez d'ajouter « au Canada », est-ce là qu'il faudrait l'ajouter?

M. Garber : Oui.

La présidente : Cela signifie-t-il que vous ne pourriez pas avoir de clients au Canada?

M. Garber : Non. Cela signifie que le fardeau de la preuve devrait être assumé par la partie qui livre les messages. Tout d'abord, il est bien présomptueux de ma part de réclamer un amendement.

Il existe diverses possibilités. Le sénateur Oliver en a proposé une qui devrait être envisagée. Depuis bon nombre d'années, la loi actuelle a toujours été interprétée comme s'appliquant aux affaires menées à l'intérieur du Canada. Cela ne vise pas le consommateur. Par exemple, si j'ai dans ma maison des serveurs de jeu au Canada, si j'ai une équipe de marketing au Canada ou si j'ai au Canada un centre de télésollicitation, on considérera que j'exploite une entreprise de jeu sur Internet à partir du Canada. C'est ce qui était visé par le passé par le législateur à l'alinéa 202(1)i). En ajoutant la mention Internet, il est important de préciser que ce que l'on vise, ce sont les entreprises ou les particuliers qui exploitent des entreprises à partir du Canada, et non les consommateurs qui reçoivent des courriels au Canada.

La présidente : Ce qui vous pose problème, je suppose, ce sont les mots « ou reçoit ». Ce projet de loi...

Le sénateur Milne : Cela s'appliquerait aux fournisseurs d'accès Internet.

La présidente : Je crois que oui, mais cela s'appliquerait également aux clients, n'est-ce pas?

M. Garber : Cela pose problème à mon avis. Les journaux canadiens publient toutes les statistiques des parties de la Ligue nationale de football et de la Ligue nationale de hockey. Par conséquent, ils se trouveraient à transmettre des renseignements qui pourraient être utilisés aux paris sportifs et qui se trouveraient donc visé par le libellé actuel. Au Canada, les FAI facilitent la navigation sur Internet. Ils se trouveraient visés par la loi si vous vous trouvez à consulter un site comme PartyGaming, par exemple. En tant que Canadien et en tant qu'avocat, je ne crois pas que ce soit là l'intention du législateur. Il faut trouver un moyen, soit une note ou un amendement au libellé, pour préciser que l'intention n'est pas de viser les personnes qui ne tirent aucun profit de cette activité, qui ne sont que de simples intermédiaires, comme le sont les FAI sur l'autoroute de l'information.

Il doit être clair que le législateur veut interdire l'exploitation d'entreprises de jeu en ligne à partir du Canada. C'est ce que dit la loi actuelle, de toute évidence, mais il faut le préciser encore, ne serait-ce parce qu'Internet n'existait pas lorsque l'article 202 a été inscrit pour la première fois dans le Code criminel.

La présidente : Je comprends mieux maintenant.

M. Garber : Désolé d'avoir pris tant de temps à répondre.

La présidente : Il est important d'être précis. Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Bryden : Permettez-moi de faire une observation. Le sénateur Milne a dit que c'était dommage que vous n'ayez pas entendu la réponse fournie par le ministre hier. Mais vous pouvez bien sûr consulter cette réponse. Je ne sais pas si les bleus ont déjà été publiés.

La présidente : Les bleus devraient être publiés et pouvoir être consultés par le public. Nous nous sommes engagés à vous fournir des exemplaires de nos délibérations d'hier.

Le sénateur Baker : Le sénateur Oliver, qui a présenté ce projet de loi au Sénat et le parraine pour le gouvernement du Canada, a présenté la même interprétation et la même explication du projet de loi que le ministre. Le sénateur Oliver a fait une proposition intéressante qui permettrait peut-être de régler ce problème. C'est ce que nous devrions envisager, à moins qu'un autre membre du comité souhaite modifier le projet de loi, s'il n'y a aucune indication ajoutée aux explications de ce projet de loi.

Madame la présidente, on peut lire ce qui suit dans le sommaire du projet de loi : « Le texte modifie la description de l'infraction relative à la communication de renseignements [...] » C'est vraiment très vague. Comme l'a dit le sénateur Oliver, il ne faudrait pas adopter ce texte tel quel. Il faudrait y ajouter des explications, sinon un amendement.

Cela me préoccupe beaucoup. Ce texte est trop vague et s'applique à des éléments qui ne devraient pas être pris en compte, dont les fournisseurs d'accès Internet et l'intrusion dans notre vie privée. Ce texte ne peut pas rester tel quel. Le sénateur Oliver a proposé une idée qui satisfera peut-être ceux d'entre nous que cela préoccupe.

La présidente : Cela fera sans doute partie de nos discussions lorsque nous en serons à l'étude article par article du projet de loi.

Le sénateur Baker : Certainement.

Le sénateur Joyal : Qu'en est-il des casinos virtuels pour l'application de cet article du Code? Notre comité a étudié par le passé un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par le sénateur Lapointe sur le vidéopoker. On nous avait dit qu'Internet deviendrait à l'avenir le moyen de prédilection des parieurs et qu'il y aurait beaucoup plus de parieurs en ligne qu'il n'y en aurait aux pistes de course ou ailleurs.

Comment ce phénomène — un phénomène tout à fait récent — s'inscrit-il dans la portée de cette disposition du Code criminel, dans sa version modifiée?

M. Garber : Cela dépend des sortes de jeux. J'étais avocat de pratique privée pour MGM, Harrods, Trump, la Ville de Windsor et le gouvernement du Québec lorsqu'ils ont commencé à instaurer des casinos, avant l'arrivée d'Internet. Je me suis clairement rendu compte, tout comme vous, que l'importance d'Internet ne fera que croître dans ce domaine et que plus de gens auront la possibilité de jouer, si c'est ce qu'ils veulent. Le poker a pris une importance énorme. Ce jeu représente 80 p. 100 du chiffre d'affaires de mon entreprise. Les casinos sont au deuxième rang, c'est-à-dire pour les gens qui jouent aux machines à sous et à la roulette.

Tant qu'il n'y a pas de triche dans les logiciels, que les entreprises sont assujetties à des règlements et appliquent les normes les plus élevées, les jeux populaires gagneront en importance, et les gens les adopteront.

C'est en fait une question de protection des consommateurs, plutôt que de droit pénal. Ce projet de loi, ainsi que le commentaire que proposera le sénateur Oliver, je l'espère, n'aura pas d'application extraterritoriale. Cependant, le gouvernement canadien doit protéger la population de notre pays et s'assurer que les lois relatives à la protection des consommateurs sont appliquées de façon à empêcher les entreprises d'utiliser des logiciels tricheurs ou de traiter injustement les consommateurs canadiens.

Je représente ici des entreprises régies par la norme d'excellence. Ces jeux vont gagner en importance, et tant que des entreprises comme la nôtre pourront les offrir, le gouvernement canadien peut être assuré que les consommateurs seront bien traités.

Le sénateur Joyal : Monsieur Inkster, d'après votre expérience antérieure au sein de la GRC, quelle sera l'évolution de ce phénomène et comment pouvons-nous faciliter la tâche des services policiers pour ce qui est de surveiller ces jeux et d'empêcher qu'il y ait de nouvelles échappatoires?

M. Inkster : Nous devons nous préoccuper des répercussions du jeu, surtout chez les jeunes. On parle des problèmes des joueurs et du fait que des jeunes s'adonnent au jeu sans avoir l'âge requis. Dans le cas de PartyGaming, j'ai pu m'assurer moi-même que dans les deux cas, l'entreprise disposait d'un logiciel permettant d'identifier les joueurs à risque et ceux qui n'avaient pas l'âge requis. Je suis convaincu que PartyGaming collaborera avec la police à cet égard, pour ce qui a trait à l'application des lois.

Jusqu'où cela ira-t-il et quels en seront les effets sur les casinos et toutes ces autres activités que l'on retrouve à un degré élevé au Canada? Ces activités ont et auront des effets pour ceux qui se rendent sur place pour jouer. De plus en plus de joueurs préféreront s'adonner à ces activités dans le confort de leur foyer.

Du point de vue de l'application des lois, en ce qui concerne Internet, il faut déterminer où le crime a été commis, en supposant qu'il y en ait eu un, et qui a le pouvoir de faire enquête. Même si l'on sait que le crime a été commis au Canada, même si on sait que des Canadiens y ont pris part, mais à partir de leur foyer, comment les policiers pourront- ils en prendre connaissance et appliquer la loi?

La loi actuelle, dans son libellé, ne tenait pas compte de certains problèmes relatifs au jeu et à Internet. Ces problèmes devront être examinés de façon plus approfondie à l'avenir.

Au Royaume-Uni, un pays vers lequel nous nous tournons souvent pour trouver des conseils et bénéficier de son expérience, on a réussi à réglementer très sévèrement cette industrie. La U.K. Gaming Commission a examiné sérieusement cette question, et le pays possède des lois applicables et efficaces.

Les deux principaux enjeux sont d'avoir un régime de réglementation qui règle le problème et d'appliquer ce régime avec vigueur et enthousiasme. C'est là la meilleure façon de protéger les Canadiens.

Adopter une loi qui rendrait illégal le jeu sur Internet sous toutes ses formes aurait pour seul effet d'en faire une activité occulte; cela n'empêcherait pas les gens de s'y adonner. Malgré la loi adoptée aux États-Unis, il y a aujourd'hui autant d'Américains qui jouent qu'avant l'adoption de la loi. La seule différence, c'est que le gouvernement ne réglemente pas le jeu et ne tire aucun revenu de cette activité.

Le gouvernement doit se poser deux questions : comment peut-on réglementer le jeu et comment peut-on percevoir des revenus? Ces questions doivent être examinées sérieusement, dans un contexte plus vaste.

La présidente : Ce projet de loi est une mesure provisoire, et ce que vous dites, monsieur Inkster, c'est qu'il serait souhaitable d'adopter une approche à plus long terme et un système de réglementation au-delà de la portée de ce projet de loi. Nous ne livrons ici qu'un combat d'arrière-garde.

M. Garberf : Cette tâche a été entreprise avant que le projet de loi soit proposé. Nous avons rencontré le chef de cabinet de M. Nicholson et le ministre du Revenu pour les en informer. Nous avons aidé des gouvernements à mettre en place un cadre de réglementation pour protéger les consommateurs et un cadre fiscal pour percevoir les revenus gagnés.

Ce travail est déjà entrepris. Il nous reste cependant beaucoup à faire. J'ai l'intention de prendre part à ce travail, tout comme M. Inkster et M. Gelfand. Il ne s'agit pas tant d'une mesure provisoire que d'un processus évolutif, et la prochaine étape consistera à voir comment le Canada pourra tirer des revenus du jeu sur Internet et garantir qu'il existe un cadre de réglementation adapté à cette activité.

Le sénateur Joyal : C'est exactement l'objectif d'une approche globale dans ce domaine.

M. Inkster : Il est important à court terme d'apporter l'amendement proposé ou d'accompagner le projet de loi d'un commentaire lorsqu'il sera renvoyé à la Chambre. J'encourage le Parlement à examiner la question du jeu sur Internet dans une optique plus vaste et à tenir un débat sur le sujet avec les Canadiens, en gardant à l'esprit que cette activité ne va pas cesser. La question est de savoir comment nous la contrôlerons.

La présidente : Messieurs, merci beaucoup.

Notre prochaine réunion aura lieu mercredi prochain, le 5 décembre 2007, à 16 heures, dans cette salle.

La séance est levée.


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