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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 8 - Témoignages du 20 février 2008 - Séance du matin


OTTAWA, le mercredi 20 février 2008

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 heures, pour étudier le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit son étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

[Traduction]

Nous avons le grand plaisir de recevoir comme témoin, pour la première séance ce matin, le professeur Julian Roberts, qui se joint à nous par vidéoconférence, une merveille de la technologie moderne.

Monsieur le professeur, m'entendez-vous?

Julian Roberts, professeur de criminologie, Université d'Oxford, à titre personnel : Je vous entends.

La présidente : Je pense que vous connaissez bien la procédure à nos comités. Nous vous demandons d'abord si vous avez une déclaration d'ouverture à faire et, le cas échéant, de la faire. Nous vous posons ensuite des questions. Cette formule vous convient-elle?

M. Roberts : Tout à fait.

La présidente : Merveilleux. Si vous voulez bien commencer par faire votre déclaration, nous vous écoutons.

M. Roberts : J'aimerais remercier les membres du comité de me permettre de témoigner ici aujourd'hui. La réforme de la justice pénale et des peines n'est pas simple, particulièrement dans un pays comme le Canada, où le partage constitutionnel des responsabilités entre le fédéral et le provincial complexifie les choses.

Je vais être assez bref. Il y a bien des choses que j'ai déjà dites avant et que vous êtes peut-être fatigués d'entendre. Je vais me concentrer sur les dispositions du projet de loi qui portent sur les peines et particulièrement sur les peines minimales. J'ai quelques éléments à souligner sur ces provisions et leur incidence probable.

Pour vous mettre en contexte, je vais rappeler la relation qui devrait exister entre le Parlement et l'appareil judiciaire indépendant. La tradition établie depuis 30 ou 40 ans au Canada, et même ailleurs dans le monde, c'est que le Parlement fixe les paramètres de l'imposition de peines, dont les peines maximales, et codifie à l'occasion des principes importants comme la proportionnalité. Cependant, le Parlement a toujours été réticent à s'ingérer dans le travail des tribunaux et à lui dicter des peines. Autrement dit, le Parlement est réticent à créer les peines minimales obligatoires, parce que l'imposition de telles peines a pour effet d'enlever aux juges tout pouvoir discrétionnaire et de les empêcher d'infliger une sanction proportionnelle. Elles constituent un jugement préalable de la gravité de l'infraction et du degré de culpabilité du contrevenant.

J'estime que le Parlement devrait être très prudent s'il décide de s'ingérer ainsi dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'appareil judiciaire. Il ne devrait s'ingérer qu'exceptionnellement. Je vais vous donner un exemple évident avec lequel tout le monde sera sûrement d'accord.

Le meurtre est une infraction si grave que seule une peine d'emprisonnement peut sembler appropriée à la plupart des Canadiens. Il paraît irréfutable, et peut-être ne serez-vous pas d'accord, que le meurtre devrait être puni d'une peine obligatoire d'emprisonnement, et c'est bien sûr le cas. Cependant, on ne peut pas en dire autant de diverses autres infractions, comme celles touchées par ce projet de loi.

Qu'y a-t-il de mal à prescrire des peines obligatoires, dont l'emprisonnement? Pourquoi n'y en aurait-il pas beaucoup? La réponse tient en deux volets. Premièrement, les peines obligatoires violent le principe de la modération ou de l'entrave minimale, c'est-à-dire le principe codifié selon lequel un tribunal ne doit pas imposer l'emprisonnement si une autre sanction peut suffire à répondre aux objectifs de la peine. Comme je l'ai déjà mentionné, un parlementaire ne peut pas juger de la gravité d'une infraction ou du degré de culpabilité d'un contrevenant, seul un juge peut en décider. Si l'on détermine à l'avance la peine qui sera imposée, on viole le principe de la modération parce que certains contrevenants ne mériteront pas nécessairement la peine de détention minimale.

Le second principe est encore plus important parce que le Parlement a codifié et qualifié de fondamental le principe de la proportionnalité, que le sénateur Joyal a déjà mentionné à une autre réunion, si je ne me trompe pas. Ce principe dicte simplement que la peine imposée doit être proportionnelle à la gravité du crime et au degré de responsabilité ou de culpabilité du contrevenant à l'égard de cette infraction. Encore une fois, le Parlement ne peut en préjuger. Il revient aux tribunaux de première instance de juger de la proportionnalité sur la base des décisions de la Cour d'appel ou des cours d'appel du Canada. Ce sont deux principes importants bafoués par la création de ces peines, les peines minimales d'emprisonnement.

J'aimerais aussi aborder brièvement les motifs. Pourquoi créer une peine minimale d'emprisonnement? Le premier motif, c'est que le comportement est si grave qu'aucune autre peine n'est suffisante. J'ai donné l'exemple du meurtre. Ce n'est pas le cas pour ces infractions. Ce sont des infractions graves. Personne ne conteste qu'une personne trouvée coupable de trafic en possession d'une arme à feu devrait aller directement en prison. La question est la suivante : de quelle façon devrait-on l'y envoyer et pour combien de temps?

Pour créer une peine minimale, il faut tenir compte de toutes les autres peines prévues au Code criminel. Rien ne prouve que le gouvernement l'a fait. Par exemple, si l'on adopte une peine minimale d'emprisonnement de cinq ans en cas de récidive pour trafic ou possession en vue du trafic d'une arme à feu, d'une arme prohibée, d'une arme à autorisation restreinte, d'un dispositif prohibé, de munitions ou de munitions prohibées, des infractions visées par les articles 99 et 100, on se trouve à imposer une peine assez sévère à un contrevenant coupable d'une infraction moins grave que d'autres. Mais ce n'est rien, je vais vous donner un autre exemple bien simple. La peine moyenne infligée pour homicide involontaire coupable au Canada est d'environ quatre ans d'emprisonnement. Vous devez vous poser cette question : si vous créez une peine minimale de cinq ans pour une deuxième infraction de ce type (le trafic et le reste), est-ce vraiment approprié? Les personnes trouvées coupables de l'infraction la plus grave d'homicide involontaire coupable devraient-elles vraiment être punies moins sévèrement que ces contrevenants? Je pense que la plupart des gens diraient qu'il s'agit d'une violation de la proportionnalité parce qu'une personne condamnée pour homicide involontaire coupable devrait recevoir une peine plus sévère que les personnes condamnées pour un crime lié aux armes à feu.

Nul besoin, à mon avis, de préciser pourquoi ces infractions sont si graves qu'elles méritent des peines minimales si sévères. Je ne crois pas que le gouvernement se soit justifié non plus.

Nous en arrivons donc au deuxième motif justifiant l'imposition de telles peines, soit la dissuasion, c'est-à-dire qu'une peine minimale sévère dissuaderait les contrevenants potentiels. Selon la documentation qu'on vous a fournie aux séances précédentes, la preuve est très mitigée et ne laisse presque pas conclure qu'une peine minimale sévère puisse faire diminuer le nombre d'infractions. Il y a beaucoup de choses qu'on puisse faire. Vous avez déjà pris des mesures, et ce projet de loi en apporte d'autres importantes, comme le renversement du fardeau de la preuve. Cependant, quiconque s'attend à ce que la création d'une peine minimale de cinq ans en cas de récidive dissuade plus efficacement les contrevenants rêve en couleurs parce que ce n'est pas de cette façon que pensent les contrevenants. Ils ne réfléchissent pas, ils ne tiennent pas compte des conséquences. C'est malheureux, mais ils ne le font pas. Les arguments du gouvernement à cet égard ne sont pas très solides.

Lors d'une séance précédente, un représentant de Justice Canada a affirmé qu'il n'y avait rien de concluant dans la littérature sur la dissuasion. C'est également mon interprétation et celle des experts des peines. Il serait fantastique qu'il suffise de rendre les peines minimales plus sévères pour dissuader les délinquants, mais rien ne prouve que ce soit le cas. Du coup, j'estime qu'il n'est pas très justifié d'établir de telles peines.

J'aurais quelques éléments à souligner pour terminer. Il y en a qui disent : « Les amendes sont un peu dépassées, donc il faudrait les augmenter pour différentes infractions. » Prenons la conduite avec facultés affaiblies. Je pense que c'est une prise de position raisonnable. Je pense que si l'amende passe de 600 $, le montant qui prévaut depuis longtemps, à 1 000 $, c'est excellent. Il y a eu de l'inflation, mais l'on ne peut pas avancer le même argument au sujet de l'emprisonnement. On ne peut pas dire qu'étant donné que la peine était de trois ans d'emprisonnement il y a quatre ou cinq ans, elle devrait être de quatre ou cinq ans aujourd'hui. Une telle logique n'a pas sa place en droit pénal. Il faut des arguments solides pour justifier l'introduction d'une peine minimale sévère, et cette peine doit être fixée à la lumière des autres infractions au Code criminel. Le gouvernement a peut-être fait ses devoirs, mais je n'en vois pas la preuve.

Enfin, j'ai étudié les peines minimales en common law dans le monde il y a quelques années, et j'ai constaté qu'à peu près tous les États avaient peu de peines minimales. Elles varient en gravité et selon la nature des crimes visés, mais elles ont un grand point en commun. Presque partout, même en Afrique du Sud où les peines sont particulièrement sévères, elles laissent un certain pouvoir discrétionnaire aux juges, et à ce titre, le Canada fait cavalier seul. Si le tribunal juge qu'il y avait des circonstances exceptionnelles, il peut imposer une peine inférieure à la peine minimale.

Je pense que c'est une disposition raisonnable pour une peine minimale. J'inciterais les membres du comité, s'ils souhaitent adopter un projet de loi créant des peines de cette nature, de ne pas priver les juges de toute forme de pouvoir discrétionnaire parce que ce serait très exceptionnel à la lumière des peines minimales imposées dans d'autres États.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Stratton : Votre témoignage est fort intéressant, et je vous en remercie beaucoup.

L'intention de ce projet de loi est de sortir les récidivistes violents des rues et de les mettre en prison pour qu'ils n'aient plus le loisir de récidiver encore et de causer du tort aux citoyens du pays. La ville de Winnipeg, d'où je viens, figure au deuxième rang du pays pour les crimes violents commis par les gangs, entre autres.

Selon le Centre canadien de la statistique juridique, le taux de criminalité lié aux armes à feu a augmenté trois des quatre dernières années. Il a bondi de 32 p. 100 depuis 2002, année où il a culminé depuis que nous avons accès à des données, depuis 1998. C'est une augmentation considérable dans un très court laps de temps.

Le nombre d'homicides a augmenté deux des trois dernières années et a grimpé de 7 p. 100 depuis 2003. Le nombre de tentatives de meurtre a augmenté les deux dernières années, et il est de 24 p. 100 supérieur à celui de 2004. Le taux combiné de voies de fait graves et de voies de fait armées causant des lésions corporelles augmente constamment et a bondi de 57 p. 100 depuis 1983.

Ces crimes sont le fait des récidivistes et des gangs, et nous voulons les sortir de la rue. Vous dites que nous devons laisser de la marge de manœuvre aux juges. Ce qui est malheureux, c'est que nous leur en avons laissée jusqu'ici.

À Mayerthorpe, en Alberta, quatre agents de la GRC ont été tués. Si ce projet de loi avait été en vigueur à l'époque, le tueur n'aurait pas été en liberté. Nous essayons d'attraper les récidivistes dangereux. Il faut les sortir de la rue.

M. Roberts : Il ne fait aucun doute que le crime violent est un problème social très grave. Les statistiques que vous nous donnez sont très alarmantes, et je ne les remets pas en doute. Elles viennent du meilleur organisme de statistique sur le droit pénal au monde.

Il faut toutefois se demander ce qu'on peut faire pour changer les choses. Je reconnais l'existence du problème et partage vos inquiétudes. Je me demande seulement si cette arme dans l'arsenal pénal sera vraiment efficace. Il y a consensus parmi les experts de la détermination de la peine que des peines plus dures ne réduiront pas l'incidence du crime. Le grand problème est toujours que les délinquants ne réfléchissent pas.

Il faut retirer les fusils de la rue; il faut des dispositions pour renverser le fardeau de la preuve et il faut investir les policiers de pouvoirs accrus d'intervention. Cependant, je doute que l'individu moyen qui adopte ce type de conduite réfléchisse sérieusement à la probabilité de devoir passer cinq ans plutôt que trois derrière les barreaux.

Concernant le pouvoir discrétionnaire de la magistrature, nous devons faire confiance aux juges du Canada. D'après mon expérience de 20 ans au Canada, je peux dire que les juges n'imposent pas de peines clémentes. Ils imposent des peines qu'ils jugent proportionnelles aux crimes et respectent la procédure d'appel.

Le sénateur Stratton : Si c'était l'impression qu'avait le public canadien, je ne pense pas qu'on donnerait cette marge de manœuvre aux juges. Cependant, l'opinion publique ne va pas dans ce sens-là.

Il a paru un article dans la revue Maclean's cette semaine sur le pire cauchemar de tous les parents. Il portait sur la violence des crimes commis au pays et le fait que les récidivistes sont mis en liberté provisoire dès leur arrestation. Les gens en ont assez et veulent qu'on fasse quelque chose.

Je ne suis pas en train de vous dire que c'est la seule chose que le gouvernement fait, monsieur. Il augmente le nombre de policiers et prend beaucoup de mesures douces, si l'on peut dire, pour essayer d'aider ces personnes. Comme nous le savons tous, c'est un problème social qui remonte à longtemps.

En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec vous. Je pense que nous en arrivons à un point où nous allons perdre la maîtrise de la situation si nous ne faisons rien.

M. Roberts : Je suis d'accord qu'il faut faire quelque chose. Je vous encourage à réfléchir aux nombreuses façons innovatrices d'intervenir. Je peux seulement vous dire, en ma qualité d'expert des peines fort de 25 ans d'expérience, que malheureusement, cette peine minimale n'aura pas l'effet que vous recherchez.

Le sénateur Cowan : Je pense que vous avez dit qu'il n'y avait pas de corrélation entre la gravité des peines et le nombre de récidives et que si une personne souhaite commettre une infraction, c'est l'appréhension de se faire prendre plutôt que la gravité de la peine potentielle qui pourrait la dissuader de passer à l'acte. Est-ce votre interprétation des données dont on dispose?

M. Roberts : Oui, sénateur.

Le sénateur Cowan : Au sujet des peines minimales, vous savez sans doute qu'en 1995, on a modifié le Code criminel du Canada de manière à assortir certaines infractions mettant en jeu une arme à feu de peines minimales. Savez-vous si le gouvernement ou des organismes indépendants ont réalisé des études sur l'incidence de ces modifications sur le taux de criminalité ou la détermination des peines?

M. Roberts : Pas à ma connaissance. D'autres témoins ont fait allusion à des rapports gouvernementaux qu'on peut trouver sur le site web du ministère de la Justice et qui portent sur l'effet des peines obligatoires dans d'autres États. On y présente quelques analyses de cas du Canada, mais ces rapports ne portent pas sur les innombrables infractions liées aux armes à feu et les peines minimales de quatre ou cinq ans créées en 1995.

Le sénateur Cowan : Estimeriez-vous raisonnable que le gouvernement mène des études à ce sujet ou en commande avant de modifier de nouveau le Code criminel pour adopter d'autres peines minimales?

M. Roberts : Tout à fait. Si les modifications de 1995, qui ont créé des peines minimales sévères sans aucun pouvoir discrétionnaire pour les juges, avaient eu un effet réducteur important sur le taux de criminalité pour les infractions visées, je serais tout ouïe, parce que ce serait une découverte importante. On pourrait alors vouloir privilégier davantage de peines obligatoires. Cependant, je n'ai vu aucune preuve en ce sens. Si le gouvernement en a, j'aimerais bien les voir.

Le sénateur Cowan : Vous avez mentionné dans votre témoignage la possibilité de laisser un certain pouvoir discrétionnaire aux juges dans le régime des peines minimales. Pouvez-vous m'expliquer exactement comment cela fonctionnerait?

M. Roberts : Quand on crée une peine obligatoire, supposons de cinq ans d'emprisonnement, et qu'on précise que le tribunal doit l'imposer, il suffit d'ajouter une phrase comme « sauf en cas de circonstances exceptionnelles probantes ». Le cas échéant, le tribunal pourra préciser de quelles circonstances il s'agit, et celles-ci pourront être réexaminées par la Cour d'appel. La Couronne pourrait les contester. Cela donnerait au tribunal le pouvoir discrétionnaire qu'il faut pour s'écarter de la norme.

L'argument classique contre une telle disposition, c'est que les juges vont l'utiliser tout le temps, mais ce n'est pas ce qui se dégage de la jurisprudence dans les autres États. La disposition sur les « circonstances exceptionnelles » n'est utilisée que dans très peu de cas, comme voulu, bien sûr.

Le sénateur Cowan : Où trouve-t-on ce pouvoir judiciaire suprême?

M. Roberts : Cette clause de dérogation existe en Afrique du Sud, où l'on applique les peines obligatoires les plus sévères de tous les pays régis par la common law. Elle existe en Angleterre et au Pays de Galles, où elle est rattachée à la peine obligatoire pour un troisième cambriolage, et cetera. C'est une caractéristique de pratiquement toutes les peines obligatoires.

Le sénateur Cowan : Cela semble-t-il bien fonctionner dans ces pays, à votre connaissance?

M. Roberts : Oui. On ne s'est pas plaint du fait que les juges utilisaient ce critère de « circonstances exceptionnelles » de manière inappropriée. Ils y recourent dans un petit nombre de cas. L'idée, c'est que la plupart des affaires donneront lieu à une peine obligatoire, mais il y aura toujours des motifs exceptionnels.

Le sénateur Cowan : Parce que chaque cas est différent.

M. Roberts : Exactement.

Le sénateur Cowan : Certains détracteurs de ce régime de peines minimales obligatoires s'inquiètent du fait que si on élimine le pouvoir discrétionnaire des juges, on transfère en réalité ce pouvoir aux procureurs qui peuvent, dans certaines circonstances, ajuster leurs poursuites en conséquence. Partagez-vous cette préoccupation?

M. Roberts : Oui. Il s'agit là, bien sûr, d'une autre objection à la peine obligatoire. Elle confère davantage de pouvoirs aux procureurs. On en a fait l'expérience au Massachussetts, où l'on a introduit une loi sur les armes à feu il y a quelques années, en y rattachant une peine obligatoire. Si quelqu'un a commis un vol à main armée et qu'on est arrivé à négocier un plaidoyer réduit — cette pratique appelée « faire disparaître le fusil », — les procureurs accepteraient un plaidoyer de culpabilité pour vol qualifié et ensuite, passeraient sous silence l'arme à feu.

Le sénateur Cowan : Je m'intéresse à vos remarques sur vos études et examens dans d'autres pays au sujet de l'impact des peines minimales obligatoires pour les minorités. Une proportion exceptionnellement élevée de notre population carcérale est issue de la communauté autochtone. J'ai cru comprendre qu'on avait vécu une expérience similaire en Australie, ce qui a amené les autorités australiennes à abandonner ce régime, ou du moins une certaine partie de celui- ci. Avez-vous des commentaires à faire là-dessus?

M. Roberts : C'est un point intéressant. La loi est aveugle à cet égard. Quiconque est reconnu coupable de cette infraction — Noirs, Blancs, Autochtones ou non — sera assujetti à cette peine. Il se trouve qu'il y a certains pays où les minorités sont particulièrement susceptibles d'avoir des comportements criminels donnant lieu à une telle peine. Si c'est le cas, une loi de cette nature accroîtra, de façon disproportionnée, le nombre de personnes qui entrent dans cette catégorie au sein de la population carcérale.

Le sénateur Merchant : J'aimerais citer les États-Unis comme exemple, parce qu'ils sont nos voisins du Sud et que nous semblons les suivre; parfois, nous allons dans la même direction. Il y a une proportion renversante d'un Américain sur 140 derrière les barreaux, et pourtant, le taux de criminalité aux États-Unis est étonnamment élevé. Il semble être à la hausse. Le taux de criminalité par habitant y est 10 fois plus élevé que dans bien des pays européens.

Je dois d'abord vous parler de mes partis pris. J'estime que la politique de « retrait après trois prises » est un échec, et nous sommes sur le point de l'adopter avec ce projet de loi C-2. Je crois également au pouvoir discrétionnaire des juges. Apparemment, peu de gens partagent cette conviction.

Pourriez-vous nous donner des exemples de certaines mesures que les Européens appliquent et qui fonctionnent, et nous dire comment nous pourrions éviter les erreurs commises par les Américains?

M. Roberts : Oui, sénateur. Comme vous le dites, l'expérience américaine est riche en enseignements à cet égard. Je ne catégoriserais pas ce projet de loi en tant que politique de « retrait après trois prises ». Il donne de toute évidence un poids démesuré aux antécédents criminels, mais n'est certainement pas aussi terrible que la politique des trois fautes, où on peut être condamné à une peine d'emprisonnement de 40 ans ou à perpétuité pour un troisième vol. Quoi qu'il en soit, la logique est la même.

Vous avez raison; les preuves montrent clairement qu'aux États-Unis, il n'y a eu aucune réduction du taux de criminalité. Un certain nombre d'États renoncent à leurs lois prévoyant des peines obligatoires, particulièrement en ce qui a trait aux auteurs d'infractions liées aux drogues.

L'expérience européenne est quelque peu différente. Dans les pays européens, il n'y a jamais eu autant d'enthousiasme à l'égard des peines d'emprisonnement obligatoires, particulièrement en Finlande, en Suède — les pays scandinaves — où on a davantage mis l'accent sur une action face à ces crimes à l'étape du maintien de l'ordre et des communautés. On fait également davantage confiance au pouvoir discrétionnaire des juges. De plus, je pense que les magistrats des pays régis par la common law comme le Canada, les États-Unis et l'Angleterre ont fait l'objet de critiques beaucoup plus nombreuses que ceux des pays européens. C'est peut-être l'une des causes.

La présidente : Le sénateur Merchant a parlé des taux d'incarcération, mais que savons-nous des taux de criminalité comparés? Tout le monde sait que le taux d'homicides est plus élevé aux États-Unis qu'ailleurs. Dans ces pays d'Europe qui ne sont pas autant axés sur l'emprisonnement pour de longues périodes, les autres taux de criminalité sont-ils plus bas?

M. Roberts : Les taux de criminalité sont plus faibles dans certains pays d'Europe de l'Ouest comme la Finlande et les pays scandinaves. Ils sont certainement moins élevés qu'au Canada. Celui-ci se situe entre les modèles européen et américain. Il pourrait s'agir là d'une autre explication au fait qu'on n'a pas été tellement enthousiastes à l'idée d'éliminer le pouvoir discrétionnaire des juges en Europe de l'Ouest.

La présidente : Rien ne permet de déterminer ce qui est l'œuf et ce qui est la poule, c'est-à-dire ce qui est la cause et ce qui est l'effet.

M. Roberts : Non, seulement, cela nous ramène à la question de savoir si la sévérité du processus de détermination de la peine est un mécanisme efficace de dissuasion ou de lutte contre le crime. Je pense qu'il ne s'agit pas seulement de mon opinion; la plupart des chercheurs spécialistes en la matière diraient qu'il est nécessaire d'avoir un système de détermination des peines qui impose des châtiments sévères aux personnes reconnues coupables des crimes les plus graves. Cependant, on le fait pour reconnaître les dommages causés, et non parce qu'on est en proie à l'illusion que doubler la peine réduira de moitié le taux de criminalité. Malheureusement, ce n'est pas aussi simple.

Le sénateur Di Nino : Je viens de Toronto, alors mon point de vue tend peut-être un peu dans cette direction. Je considère véritablement que l'objet du projet de loi est de protéger les Canadiens.

Nous avons reçu à titre de preuve une lettre de David Miller, maire de la ville de Toronto. Il écrit ceci : « Les Torontois continuent d'être victimes d'actes de violence insensés et de crimes liés à des armes à feu ». Il espère que notre comité adoptera cette législation le plus tôt possible afin que « les individus et les familles puissent vivre des vies saines et productives en toute sécurité ». Il ajoute qu'il appuie la disposition du projet de loi C-2 concernant les peines obligatoires minimales pour les infractions commises avec une arme à feu, de même que les modifications aux dispositions sur les délinquants dangereux, les délinquants à contrôler, et cetera.

La plupart des crimes dont traite ce projet de loi sont déjà perpétrés par un petit nombre de criminels endurcis, par des délinquants récidivistes et violents. Je ne conteste pas nécessairement vos propos, monsieur Roberts, mais je vous dirais qu'il serait préférable pour les citoyens qu'on garde ces criminels derrière les barreaux plus longtemps afin de les empêcher de continuer à commettre des crimes.

Ne seriez-vous pas d'accord pour dire que les dispositions du projet de loi C-2, mis à part vos commentaires sur la dissuasion, mettent hors d'état de nuire les criminels et font en sorte qu'ils ne sont pas libres de vivre dans nos communautés et de continuer de commettre des crimes? N'êtes-vous pas d'avis que c'est une bonne raison de les maintenir en prison plus longtemps?

M. Roberts : Je crois que ceux qui commettent ces crimes devraient probablement être en prison pendant une longue période. Tout ce que je dis, c'est que je ne crois pas qu'une peine minimale obligatoire de cette nature réduira les taux des crimes en question. Vous dites que cela concerne un très petit groupe de criminels endurcis, mais en fait, beaucoup de gens achètent ou vendent les armes à feu et des munitions. Il y a plus de criminels que vous ne le croyez.

Je ne suis pas contre le projet de loi dans son ensemble. Je parle très précisément des dispositions relatives aux peines minimales obligatoires.

Aujourd'hui, en Angleterre et au pays de Galles, nous avons un problème en ce qui concerne les armes à feu et les couteaux dans des villes de taille équivalente à celle de Toronto. Une solution que nous avons envisagée consiste à permettre à la police d'installer des appareils de contrôle aéroportuaires directement dans la rue. On pourra demander à un jeune de traverser l'appareil de contrôle en marchant si on le soupçonne de transporter un fusil ou une arme. Je pense que des approches comme celle-là présentent beaucoup plus d'avantages en ce qui a trait à la lutte contre la criminalité.

Vous direz peut-être qu'il s'agit là d'un avantage modeste, mais qu'a-t-on à perdre? Il faut vous rappeler que ce qui est en jeu, c'est la cohérence du processus de détermination des peines. Vous éliminez le pouvoir discrétionnaire des juges, et je crois que c'est inapproprié.

Dans d'autres pays, une commission sur la détermination de la peine donnerait son avis sur la question. Il est incohérent de se contenter de déclarer qu'on augmentera cette peine, qu'on changera celle-là, et ainsi de suite. Il faut une approche globale fondée sur la proportionnalité. C'est tout ce que je prétends.

Le sénateur Di Nino : Je suis d'accord avec vous sur le fait que le système de justice criminelle n'est pas le seul élément qui résoudra les problèmes associés aux criminels. Ce gouvernement, particulièrement au cours de sa courte période de deux ans au pouvoir, a présenté et financé un certain nombre de programmes différents. Nous admettons qu'il faut agir à d'autres égards, comme ceux de l'information et de la dissuasion. Toutefois, quand vous avez répondu au sénateur Fraser, tout à l'heure, vous avez dit que des peines plus strictes devraient être appliquées pour reconnaître les dommages causés. Je conviens que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous devons signaler aux criminels que nous allons nous occuper très sérieusement de les contrôler, et que nous les punirons pour de plus longues périodes s'ils continuent à commettre ces crimes.

Je crois vous avoir cité correctement pour ce qui est de la « reconnaissance des dommages causés ».

M. Roberts : C'est exact. Tout ce que je vous demande, c'est à quel point on cause des dommages vendant des munitions pour la deuxième fois? Il s'agit là d'une infraction très grave. Je demande simplement si c'est plus grave encore que l'agression sexuelle grave, le meurtre et d'autres infractions qui sont punies moins sévèrement.

Le sénateur Di Nino : Peut-être devrions-nous examiner cela également.

Dans la ville de Toronto, la fin de semaine dernière, trois crimes ont été commis avec une arme à feu. C'est devenu une épidémie dans cette ville. Nous devons envoyer un message très fort à ceux qui commettent ces crimes pour leur signaler que nous les emprisonnerons pendant des périodes prolongées pour les empêcher de circuler dans les rues. Est- ce que cela résoudra tous les problèmes? Non. Toutefois, nous estimons qu'il s'agit là d'un dissuasif, ne serait-ce que parce qu'il permet de reconnaître les dommages causés. C'est là où votre point de vue me pose problème.

M. Roberts : Je comprends. Tout ce que je dis, c'est que deux raisons sont en cause. Il y a celle de la gravité, dont nous venons de parler, et qui contrevient selon moi au principe de proportionnalité. L'argument de la dissuasion repose sur des preuves. Or, en ce qui me concerne, la preuve est tout simplement absente.

Comme je l'ai dit, le représentant du ministère de la Justice qui a affirmé qu'il n'y avait rien de concluant ne me rassure pas beaucoup quant au fait que ce genre de loi réduira le taux de criminalité. Vous voulez envoyer un message plus fort à ces criminels, et cela implique qu'en ce moment, ils croient que les peines ne sont pas si sévères; mais les juges prennent ces infractions très au sérieux et imposent de longues peines de prison.

Le sénateur Campbell : Il est intéressant de constater que lorsqu'on se met à parler de statistiques, on tend à les utiliser avec une grande sélectivité. En fait, le taux de criminalité a baissé au Canada. Oui, il y a ça et là quelques petits sursauts, mais il a chuté.

Au Canada, nous appliquons des peines minimales obligatoires pour des infractions commises avec une arme à feu. Toutefois, comme vous le dites, à l'instar des Américains, on fait disparaître le fusil et on plaide coupable pour un vol commis sans arme à feu. Ne serait-il pas plus simple de donner, par l'entremise du système judiciaire, des directives selon lesquelles le plaidoyer d'infraction avec une arme est non négociable? Il faut opter pour le crime commis avec une arme, et tout ce qui s'ensuit.

M. Roberts : Oui. Cette approche a été adoptée en ce qui a trait à d'autres infractions et d'autres cas, où on pouvait avoir des lignes directrices en matière de poursuites. En Ontario, on applique ce genre de directives en matière de poursuites en ce qui concerne les peines d'emprisonnement avec sursis, et on pourrait mettre en place un mécanisme à cette fin, qui minimiserait la réduction de la peine obligatoire par l'envoi d'un message aux procureurs selon lequel ils ne pourront débattre de cette question en négociant un plaidoyer.

Le sénateur Campbell : Il est clair que c'est ce qui arrive au Canada. En tant qu'ancien officier de police, je sais que la stratégie de négociation n'est pas inhabituelle en cas de vol à main armée.

Par ailleurs, en ce qui a trait aux peines obligatoires et aux criminels dangereux, ces gens sortiront tous de prison à moins que nous n'envisagions de les y garder pour le reste de leur vie, ce qui, comme vous le dites, serait contraire à la logique lorsqu'une personne écope en moyenne d'une peine de quatre ans pour meurtre. Avez-vous une idée, ou une expérience tirée de vos études quant à ce qui se produit quand ces gens sortent de prison après leurs trois fautes?

M. Roberts : Je ne dispose pas d'informations à cet égard.

Le sénateur Campbell : Nous avons tiré une citation du magazine Maclean's, et bien sûr, nous savons que le sensationnalisme vend. Toutefois, vous trouverez peut-être intéressant de savoir qu'en 2004, 94 p. 100 des Canadiens s'estimaient suffisamment en sécurité, par rapport à 91 p. 100 en 1999.

Le sénateur Oliver : Quelles sont ces statistiques que vous nous lisez?

Le sénateur Campbell : On pourrait s'interroger sur la pertinence de cette idée qu'il y a soudainement ce...

Le sénateur Stratton : Tâchez de nous lire cela.

Le sénateur Campbell : C'est exactement ce que je lis, sénateur Stratton. C'est juste là.

Le sénateur Andreychuk : C'est notre témoignage.

Le sénateur Campbell : Ce pourcentage s'élève à 94 p. 100. On doit vraiment se poser la question suivante : les peines minimales obligatoires changeront-elles réellement quelque chose à notre taux de criminalité, ou s'agit-il simplement d'une mesure qui réconfortera une minorité de Canadiens?

M. Roberts : Cette question m'est-elle adressée?

Le sénateur Campbell : Oui.

M. Roberts : Je ne crois pas que cela aura un impact. Je l'ai déjà affirmé. Je ne crois pas que ces peines minimales obligatoires permettront aux Canadiens de se sentir plus en sécurité, car ils ne savent pas réellement grand-chose du processus de détermination des peines. On a effectué des recherches sur la connaissance qu'ont les Canadiens, entre autres, des structures d'établissement des peines en vigueur chez eux, et ces recherches ont conclu, de façon générale, que les gens ignorent si une infraction entraînera une peine minimale obligatoire et, le cas échéant, quelle sera cette peine. Ces dispositions pourraient réconforter certains législateurs, mais je ne crois pas qu'elles auront une incidence sur le taux de criminalité, ni qu'elles permettront aux Canadiens de se sentir plus en sécurité.

Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les Canadiens respectent leur système. De toute évidence, dans certains endroits, il y a des problèmes importants au Canada, mais la nation n'est pas, si l'on considère les statistiques, paralysée par la peur de la criminalité.

Le sénateur Campbell : Le sénateur Di Nino nous a lu une déclaration du maire Miller, un défenseur de la cause de l'interdiction des armes de poing. Connaissez-vous des pays où une telle interdiction est en vigueur, et l'impact qu'elle a sur la criminalité?

M. Roberts : Je ne suis pas un expert en matière de restriction ou de contrôle des armes à feu pour ce qui est du nombre d'armes en circulation dans la société. Je ne pourrais répondre à cette question.

Le sénateur Andreychuk : Il est intéressant de souligner que des fonctionnaires du ministère de la Justice du Canada sont venus témoigner devant nous, et j'approuve votre évaluation quant au fait qu'ils accomplissent un excellent travail et devraient être davantage appuyés.

Il y a quelques années, on a mené une étude et déclaré que les gens étaient satisfaits du système. Or, depuis, les crimes violents ont augmenté, et on ne dispose pas de nouvelles statistiques sur la satisfaction des citoyens à ce chapitre. Par conséquent, nous devons nous rappeler des remarques et de l'interprétation des représentants du Centre au sujet des statistiques, telles qu'ils nous les ont exprimées à la notre dernière séance.

Je veux parler de proportionnalité. Vous avez tout à fait raison de dire que c'est un aspect qui devrait être considéré pour l'ensemble de notre Code criminel, mais ce n'est pas seulement la proportionnalité des nouvelles dispositions proposées qui nous préoccupe. Compte tenu de l'objectif des nouvelles mesures proposées et de la manière dont les peines sont actuellement établies, nous constatons que des individus sont parfois incarcérés pour des crimes moins graves et se voient de plus en plus imposer des peines plus rigoureuses qui conviendraient davantage pour des crimes plus sérieux. Ainsi, il arrive qu'un individu reconnu coupable d'introduction par effraction ou de vol soit incarcéré pendant plus longtemps qu'un autre qui a agressé sa conjointe. La question de la proportionnalité nous pose donc problème en matière de criminalité. Ce problème n'est d'ailleurs pas créé par les nouvelles dispositions proposées. Voyez-vous les choses du même œil?

M. Roberts : Tout à fait, c'est un problème qui existait déjà. Je travaille dans ce domaine depuis 1982 et j'ai toujours pu constater de telles anomalies dans les statistiques sur les peines imposées au Canada. C'est un aspect qui a toujours été problématique. Il faudrait que le Parlement puisse compter sur une commission centrale chargée d'analyser ces statistiques et de lui indiquer le niveau des peines qui devrait s'imposer lorsqu'une nouvelle infraction est créée. C'est donc une problématique qui ne date pas d'hier.

Le sénateur Andreychuk : Si l'on fait exception de l'Afrique du Sud, je crois me souvenir qu'il existe une mesure assimilable à une peine minimale obligatoire au Royaume-Uni pour les crimes commis au moyen d'une arme à feu. Est- ce que je fais fausse route?

M. Roberts : Il y a un petit nombre de peines obligatoires au Royaume-Uni. Celle qui se rapproche le plus des dispositions dont nous discutons ici est une peine de type « retrait sur trois prises » pour les cambriolages et introductions par effraction. À la troisième infraction, la peine est de trois ans. Ce sont les sanctions équivalentes dans ce cas particulier.

Le sénateur Andreychuk : Pourrait-on dire que ces peines ont été établies par le Parlement britannique en réaction aux perceptions présumées des citoyens du Royaume-Uni à cet égard, et que le cambriolage a été considéré comme un crime suffisamment grave pour justifier une peine obligatoire?

M. Roberts : C'est exact, mais ce n'est pas tant le fait des préoccupations des citoyens que des données indiquant une augmentation du nombre de cambriolages. On s'inquiétait de la gravité de cette infraction.

Comme je l'ai mentionné précédemment, les peines obligatoires instaurées il y a quelques années s'accompagnaient d'une disposition accordant un pouvoir discrétionnaire restreint aux juges.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez fait valoir qu'il serait peut-être bon, sans égard à la peine minimale en vigueur, que les juges jouissent d'un pouvoir discrétionnaire accru. C'est une façon possible d'envisager la situation. Quoi qu'il en soit, même si une société considère qu'une peine minimale obligatoire doit être imposée à un individu qui franchit un certain seuil, la police peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire de poursuivre ou non dans les cas où un crime a été commis sans nécessairement justifier des accusations ou des actions devant les tribunaux.

M. Roberts : Oui, mais on s'engage ainsi sur une pente dangereuse. On pourrait aussi exprimer la situation comme suit : « Nous allons établir cette peine vraiment très sévère, mais ne vous inquiétez pas, car les procureurs vont exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon judicieuse et les tribunaux pénaux ne seront pas saisis de causes inappropriées. » Voici la question qu'il faut se poser : « Quelle est la peine qui convient pour un contrevenant trouvé coupable de cette infraction et dans quelle mesure convient-il d'accorder un pouvoir discrétionnaire aux juges relativement à cette peine?

Soit dit en passant, je ne préconise pas un recours accru au pouvoir discrétionnaire. Les juges en ont déjà beaucoup à l'heure actuelle. Je ne veux simplement pas qu'on leur enlève ces pouvoirs de façon aussi improvisée.

Le sénateur Andreychuk : Je répondais au sénateur Cowan qui estimait que cela pouvait se faire au moyen de lignes directrices à l'intention des procureurs. Je dirais que si nous devons avoir recours à des peines minimales, nous devons savoir qu'il s'agit bien de minimums et que les sentences ne doivent pas être laissées à la discrétion des procureurs.

M. Roberts : Tout à fait.

Le sénateur Andreychuk : Ces dispositions ne visent pas à enlever tout pouvoir discrétionnaire aux juges mais bien à restreindre ces pouvoirs. Est-ce que mon évaluation est juste?

M. Roberts : Effectivement. On restreint les pouvoirs discrétionnaires en ce sens que l'on permet à un tribunal de n'exercer de tels pouvoirs que dans une seule direction. Par exemple, pour ce qui est de la peine minimale de cinq ans pour la deuxième infraction et les suivantes, un tribunal peut l'augmenter, mais pas la diminuer. La seule voie pour maintenir la proportionnalité réside dans l'imposition d'une peine plus lourde. Ce n'est pas la bonne façon d'assurer le maintien de la proportionnalité; c'est un régime asymétrique.

Le sénateur De Bané : Monsieur Roberts, la détermination de la peine est un domaine faisant partie de votre expertise et différents universitaires en ont fait leur spécialité en étudiant la question en profondeur. Quelle est, d'une manière générale, leur opinion sur les peines obligatoires?

M. Roberts : On croit généralement qu'il s'agit d'une véritable massue législative entre les mains des parlementaires qui s'ingèrent ainsi dans le processus de détermination de la peine et privent les juges de tout pouvoir discrétionnaire. C'est un point de vue que partagent la plupart des spécialistes en la matière. Ils ne s'entendent pas sur beaucoup de choses, mais celle-ci fait exception. Ils estiment que l'on ne peut tout simplement pas invoquer le motif de la dissuasion. Rien n'indique que l'imposition de peines minimales obligatoires constitue un moyen de dissuasion efficace contre le crime.

On pourrait sans doute soutenir, et plusieurs ne se gêneront pas pour le faire, que si un crime est suffisamment grave — et je vous donne l'exemple d'un meurtre — une peine obligatoire d'incarcération devrait être imposée, car on ne peut pas s'imaginer que la collectivité accepterait une peine ne comportant pas de placement sous garde pour un individu condamné pour meurtre. Cependant, l'argumentation invoquant la dissuasion, laquelle est bien sûr fondée sur différentes recherches réalisées, est considérée comme plutôt faible depuis un bon moment déjà.

Le sénateur De Bané : Merci beaucoup, monsieur Roberts, pour ce vaste aperçu du point de vue général des experts en matière de détermination des peines.

Qu'en est-il maintenant du point de vue général de la magistrature relativement aux peines obligatoires? En théorie, je dirais que c'est un système qui convient aux juges parce qu'on les décharge ainsi d'une grosse responsabilité. Si la peine est établie dans la loi, ils n'ont plus à réfléchir, des jours et des nuits durant, sur la mesure qui s'impose dans un cas particulier. Il leur suffit de fermer les yeux et de prononcer la sentence prévue.

M. Roberts : Comme vous pouvez l'imaginer, les juges sont plutôt défavorables à ces peines obligatoires dans le contexte du serment professionnel les engageant à rendre justice. À leurs yeux, les peines obligatoires les privent de leur pouvoir discrétionnaire et les empêchent de donner suite à cet engagement. Ce n'est pas une simple affirmation de ma part; des recherches ont été menées à ce sujet.

Avec l'entrée en vigueur d'une peine minimale d'un an dans les années 1980, laquelle a fait l'objet d'une étude de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, la sentence pouvait aller d'un an jusqu'à 14 ans. Les juges auraient dû se servir de toute la marge de manœuvre que cela leur laissait, mais comme ils n'appréciaient pas cette mesure, ils se sont tous arrêtés au premier niveau.

Les études réalisées sur le processus judiciaire tant au Canada qu'à l'étranger révèlent que les juges, tout comme n'importe qui d'autre en pareil cas, n'aiment pas qu'on leur retire leurs pouvoirs discrétionnaires, surtout lorsqu'il s'agit de rendre justice.

Je pense également qu'ils n'apprécient pas ce qu'ils perçoivent dans une certaine mesure comme un manque de confiance à l'égard de l'appareil judiciaire. C'est comme si on leur disait : « Les juges ne font pas bien leur travail, alors nous allons le faire à leur place ».

Le sénateur De Bané : Il y a un aspect qui me dérange tout particulièrement. Il est bien connu que chaque type de crime est commis par un type particulier d'individus. Dans le cas de la fabrication de médicaments dangereux, seules les grandes entreprises pharmaceutiques internationales peuvent être responsables. Quant à une émission frauduleuse de titres sur les marchés boursiers, peu de gens en sont capables. Pour ce qui est des véhicules non sécuritaires, les constructeurs automobiles ne sont pas si nombreux sur la planète. Pour leur part, les crimes violents, selon tout ce que j'ai pu lire à ce propos, sont commis par les citoyens les plus pauvres de notre société, soit les 2 p. 100 de la population se retrouvant au bas de l'échelle des revenus.

Le sénateur Oliver : Pas nécessairement.

Le sénateur De Bané : Ce sont principalement ces gens se situant parmi les 2 p. 100 les plus pauvres qui commettent les crimes violents, et nous nous efforçons ici de les mettre derrière les barreaux. Il n'existe toutefois pas de peines minimales obligatoires pour des crimes plus graves, comme celui du gars qui met sur le marché un médicament dangereux ou camoufle des études cliniques défavorables dans le seul but de réaliser un bénéfice pendant que des milliers de personnes se retrouvent handicapées pour la vie. Je n'aime pas que nous nous acharnions ainsi sur les plus démunis de nos citoyens qui commettent la majorité des crimes violents. Qu'en dites-vous? Ai-je tort de penser ainsi?

M. Roberts : Eh bien, non. Je crois que cela pourrait être davantage que 2 p. 100. La violence en milieu familial est un crime très répandu. Elle ne se limite pas aux 2 p. 100 les plus pauvres. Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec votre argument plus général voulant qu'il soit nécessaire de tenir compte de la gravité relative des différentes infractions. Il y a certains crimes commis par des cols blancs qui sont particulièrement graves et qui devraient peut-être donner lieu à des sanctions beaucoup plus lourdes que celles actuellement applicables, voire que celles imposées pour certaines autres infractions.

Le sénateur Oliver : Monsieur Roberts, je vous remercie de nous faire profiter de votre expérience dans ce domaine. Vous nous avez fourni une grande quantité de renseignements fort utiles et intéressants.

Je voudrais parler de proportionnalité. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez indiqué que cette question avait été soulevée par le sénateur Joyal dans l'une de nos réunions, avant de donner une brève définition de ce que vous entendez par « proportionnalité ». Après quelques autres observations, vous avez conclu que le gouvernement n'a pas réussi à établir que ces infractions justifient une peine aussi rigoureuse.

Cette conclusion à laquelle vous êtes parvenu nous permet de présumer que vous n'aviez aucune indication à l'effet que le gouvernement aurait pris d'autres facteurs en compte. En réponse à un autre sénateur, vous parlez même d'une démarche improvisée. Vous n'étiez pas d'accord avec une telle façon de faire les choses.

Je vous rappelle que le ministre de la Justice du Canada a comparu devant notre comité il y a 14 jours, et j'aimerais vous citer un extrait de son témoignage :

Nous ne rédigeons pas le Code criminel d'un seul trait. Nous l'examinons, nous le modifions. Chaque fois que nous le faisons, nous jetons un coup d'oeil aux autres dispositions du Code pour voir si le principe de proportionnalité est respecté.

Il a bel et bien parlé de « proportionnalité » dans sa description et dans son témoignage devant ce comité, lequel va à l'encontre des conclusions que vous tirez. Il est en effet établi que le gouvernement a considéré d'autres infractions et d'autres parties du Code criminel.

Le ministre nous a également dit plus loin dans son témoignage :

Nous étudions chaque projet de loi dans le but de nous assurer qu'il cadre avec le Code criminel [...] Nous analysons chaque projet de loi dont est saisi le Parlement, et nous allons continuer de le faire, car nous avons toujours procédé de cette façon. C'est un processus qui fonctionne bien.

Si votre prémisse était erronée, maintenant que l'on sait que le gouvernement a effectivement examiné ces autres éléments, votre conclusion quant à la proportionnalité est probablement fausse également, si l'on se fie au principe du syllogisme.

M. Roberts : D'abord et avant tout, la définition de « proportionnalité » que je vous ai donnée n'est pas de moi. C'est la vôtre, sénateur, ou tout au moins celle du Parlement du Canada telle qu'établie dans la loi en 1996.

Je sais très bien que M. Nicholson a indiqué que ces facteurs avaient été examinés au sein de son ministère, ce qui est excellent; c'est ainsi que les choses doivent se passer. Il faut se demander quelle est l'ampleur des préjudices causés par une infraction donnée. À partir de cette évaluation, on peut déterminer la durée de la peine qui s'impose. Quoi qu'il en soit, lorsque le sénateur Joyal lui a demandé : « Pouvez-vous nous fournir l'analyse que vous avez utilisée pour fixer, en fonction des autres infractions prévues dans le Code criminel, les peines que vous proposez dans le projet de loi? », M. Nicholson a répondu : « Il n'y a pas d'analyse, sénateur. »

Je veux simplement faire valoir que si toutes les infractions ont été examinées pour en arriver à déterminer que, dans ce cas particulier, la gravité des actes justifie une peine de cinq ans pour une deuxième infraction, alors tout va très bien. Cependant, je voudrais seulement savoir si vous estimez que la sanction est appropriée et que le principe de la proportionnalité est respecté lorsqu'une infraction comme un homicide involontaire donne lieu à des peines moins lourdes? C'est dans ce sens que je parlais de l'absence d'une analyse approfondie en matière de proportionnalité.

Il va de soi, sénateur, que c'est le rôle des juges, n'est-ce pas? Une personne est trouvée coupable et une peine doit lui être imposée. Si l'individu est condamné pour possession de munitions, le juge doit se demander dans quelle mesure cette infraction peut être considérée comme plus ou moins grave par rapport à d'autres qui sont commises. Chaque jour, les tribunaux doivent rendre de tels jugements. Je dis simplement que rien ne semble indiquer que le ministère de la Justice ait procédé à une analyse approfondie de cette nature et en ait publié les résultats. C'est ce que je crois, mais qu'on me corrige si je me trompe.

Le sénateur Oliver : Le ministère n'a publié aucune analyse permettant d'étayer des changements à la loi.

M. Roberts : Je suis aussi de cet avis.

Le sénateur Oliver : La plupart des ministères n'hésitent pas à faire appel au bon jugement des gens qui travaillent dans un secteur depuis de nombreuses années. Nous ne pouvons pas le savoir avec certitude parce que notre comité n'a pas été saisi de telles informations, mais je présume que l'on a tenu toute une série de rencontres avec différents experts du ministère de la Justice sur une période de plusieurs mois pour soupeser de nombreux éléments. Le ministère n'est toutefois pas tenu de confier un mandat de recherche à un universitaire qui rendra publiques ses conclusions dans le seul but de faire les choses correctement.

Le fait demeure que le ministre a déclaré devant notre comité qu'il avait examiné la question de la proportionnalité. Je veux simplement faire valoir que votre argumentation apparaît un peu bancale alors que vous déclarez qu'il n'y a pas eu d'analyse en ce sens, alors que le ministre soutient le contraire. C'est tout ce que je voulais dire.

M. Roberts : Merci. Je ne fais que me répéter.

[Français]

Le sénateur Chaput : J'aimerais dire quelques mots au sujet de ce projet de loi. La lutte contre le crime ou pour réduire les crimes, c'est, à mon avis, la responsabilité de tous, indépendamment du parti que nous représentons. Personne ne pourrait dire autrement. Nous voulons tous un pays et des régions sécuritaires.

Lors de ma préparation en vue de ce comité, une question se posait à plusieurs reprises : a quel point les Canadiens se sentent-ils en sécurité?

Ce qui est ressorti de temps à autre, c'était que la présence des policiers sur les rues, dans les villes, dans les régions était, pour les Canadiens, une sécurité en soi.

Maintenant, nous avons devant nous le projet de loi C-2 qui propose des dispositions d'ordre punitif pour réduire la criminalité. Je n'ai pas de problème à ce que les crimes violents soient punis afin de diminuer les récidives, la difficulté que j'éprouve se trouve plutôt au niveau de la punition la plus efficace. Quel serait le moyen le plus efficace de punition?

Ma question trouve sa base dans les statistiques présentées dans le document cité par mes collègues, au préalable, et qui nous disent que le taux de crimes violents à l'aide d'armes à feu chez les jeunes s'est accru au cours des dernières années.

D'après vous, quel serait le meilleur moyen de surmonter cette difficulté?

[Traduction]

M. Roberts : Je me dois de faire une petite correction. Je ne suis pas contre ce projet de loi; je pose seulement certaines questions quant à la pertinence de quelques dispositions qu'il renferme.

Pour en revenir à votre question, je crois simplement que les dispositions punitives visant les récidivistes n'auront pas d'effet dissuasif sur les jeunes contrevenants. Pour arrêter ces jeunes, il faut les priver de leurs armes; il faut donc rendre l'accès plus difficile à ces armes, notamment en facilitant la tâche aux policiers qui souhaitent procéder à des perquisitions à domicile ou à des opérations semblables.

Si vous me demandez si une peine de cinq ans — ce qui est beaucoup plus sévère que les peines imposées pour de nombreux crimes violents très graves — est adéquate et suffirait à dissuader les gens de vendre des munitions, je dois répondre, en toute franchise, que je ne le crois pas. Je pense que les informations disponibles m'appuient dans cette conviction.

Le sénateur Cowan : Je veux revenir à un point soulevé par le sénateur Stratton dans ses premières questions où il laissait entendre que le projet de loi visait à retirer les récidivistes dangereux de la circulation de manière à les empêcher de commettre de nouveaux crimes. Il va de soi que tant qu'ils restent derrière les barreaux, ils ne commettent pas d'infractions, du moins pas d'infractions contre le grand public. Ils peuvent très bien se livrer à toutes sortes d'agissements fautifs à l'intérieur des murs, mais ils ne constituent pas une menace pour les gens à l'extérieur. C'est ce qu'on appelle l'argument fondé sur la neutralisation : tant que ces individus sont incarcérés, la population est protégée.

Selon les témoignages entendus tant devant ce comité que devant celui de la Chambre des communes, plus une personne est incarcérée pendant une longue période, moins elle a de chance de réintégrer efficacement la société à sa sortie de prison, et plus elle risque de récidiver à ce moment-là. On ne peut pas garder tous ces individus en prison éternellement; tôt ou tard, il faut bien les libérer.

J'aimerais savoir ce que vous pensez du résultat des études menées par les experts selon lesquels, plus l'incarcération est longue, plus la probabilité de récidive est forte.

M. Roberts : Plus la période de détention est longue, plus la période pendant laquelle le délinquant est tenu à l'écart de la communauté est longue, plus, de toute évidence, vous préviendrez la commission de certains crimes. Naturellement, le délinquant recevra sa libération conditionnelle, ce dont il faut en tenir compte. La neutralisation, comme vous l'appelez, est une façon particulièrement inefficace de prévenir le crime. Vous empêchez un petit nombre d'actes criminels, mais cela vous coûte très cher, en termes d'espace dans les prisons.

Quant à l'effet de l'emprisonnement, la documentation à ce sujet est plutôt claire. Malheureusement, bien que les prisons canadiennes et les programmes correctionnels canadiens comptent parmi les meilleurs au monde, il est rare qu'on sorte de prison meilleur qu'à son arrivée. Les taux de récidive ne diminuent pas sensiblement. C'est peut-être le ministre qui a déclaré qu'après cinq ans en prison, vous vous rendrez compte de la gravité de votre acte et ne le ferez plus. Malheureusement, ce n'est pas aussi simple. On apprend d'autres choses en prison. On en sort aigri ou en colère. L'emprisonnement devrait avoir pour objet de réadapter et de réintégrer la personne pour éviter qu'elle ne récidive. Malencontreusement, la réalité est tout autre.

Le sénateur Cowan : Comme l'a dit le sénateur Chaput tout à l'heure, nous souhaitons tous, quelle que soit notre tendance politique en cette Chambre et à la Chambre des communes, faire de notre mieux pour améliorer la sécurité au sein de notre société. Nous discutons du moyen le plus efficace de le faire.

Tel que j'interprète votre témoignage, vous ne vous en prenez pas à l'objet de nos travaux, soit de protéger la société et de faire baisser le taux de criminalité; vous contestez simplement, du moins en ce qui concerne la peine minimale obligatoire, son efficacité comme moyen d'atteindre l'objectif, comme certains veulent nous le faire croire. Vous l'avez décrite comme un coup de marteau législatif.

En guise de conclusion, je souhaitais vous citer le témoignage du surintendant Woods de la GRC concernant le projet de loi antérieur qui avait été déposé dans l'autre endroit en novembre 2006. Il a dit que les peines sont progressivement plus sévères, mais que chaque fois que le cycle de la peine prend fin, le détenu sort et victimise à nouveau quelqu'un avant d'entamer le cycle suivant, de purger la peine suivante. Le projet de loi aura effectivement un impact favorable sur la criminalité en raison de la neutralisation, mais si vous ne vous occupez pas des causes qui sont à l'origine de ce comportement, la personne continuera de passer par des cycles et de victimiser les membres de la collectivité lorsqu'elle est en liberté. Seriez-vous d'accord avec ces propos?

M. Roberts : Oui. Il faut réadapter ces personnes et leur retirer les armes à feu. La question est de savoir comment le faire avec efficacité.

Non, je ne suis pas contre les objets du projet de loi. Je ne m'inscris pas en faux contre bon nombre des dispositions du projet de loi. Je parle uniquement d'un changement particulier et je tente de protéger, si vous préférez, l'intégrité du processus de détermination de la peine et l'importance du pouvoir judiciaire discrétionnaire.

Le sénateur Di Nino : Pour reprendre le point soulevé par le sénateur Cowan, je ne suis pas sûr que vous vous y connaissiez en la matière, mais pourriez-vous nous parler de l'autre côté de l'équation? Quand les gens sont en prison, nous acquittons-nous bien, en fait, de les former, de les traiter? Est-ce un domaine où il existe des problèmes que nous avons peut-être contrebalancés par une peine plus sévère qu'il n'est nécessaire, comme je le pense?

M. Roberts : Je ne suis pas un expert des programmes correctionnels, mais je peux vous dire que les programmes de formation offerts dans le système correctionnel canadien sont reconnus dans le monde entier. La réalité, c'est qu'il est presque impossible de persuader quelqu'un d'abandonner un mode de vie criminogène. Si on le met en prison pour six, huit ou neuf mois, il y a une limite à ce qu'il est possible de faire, même dans le cadre des meilleurs programmes du monde. Le Canada s'en sort bien, mais quant à savoir s'il peut faire mieux, je ne pourrais pas vraiment vous le dire. Ce n'est pas mon champ de spécialisation.

Le sénateur Di Nino : Voilà qui m'incite à croire que les peines plus longues sont peut-être un moyen au moins d'empêcher ces personnes de récidiver.

Je tenais à éclaircir un point. Vous avez parlé abondamment du pouvoir judiciaire discrétionnaire. Le Canada prévoit des peines minimales pour diverses infractions et, en fait, a multiplié les occasions d'infliger des sentences minimales au cours des 20 dernières années; par conséquent, l'impact du pouvoir judiciaire discrétionnaire n'est pas forcément aussi important que vous le laissez entendre. Les peines minimales obligatoires existent dans notre droit criminel et ont un effet sur le pouvoir judiciaire discrétionnaire depuis une vingtaine d'années. Vous avez étudié la question, n'est-ce pas?

M. Roberts : C'est juste. Les peines obligatoires existent depuis fort longtemps, et le Parlement est souverain en la matière. La question est de savoir ce que peut faire le Parlement pour faciliter le processus de détermination de la peine. Convient-il de structurer l'exercice du pouvoir discrétionnaire — ou de l'enlever, selon moi —, même si ce n'est que pour un nombre restreint d'infractions?

Le sénateur Di Nino : Souscririez-vous cependant au fait que le projet de loi à l'étude — et il faut en parler — soit accroît les peines obligatoires, soit les introduit lorsque certains actes odieux ont un impact négatif sur nos concitoyens?

M. Roberts : Il n'est pas question d'actes criminels insignifiants; ce sont là les crimes les plus graves. Je demande simplement à savoir si une peine de cinq ans dans le second cas, notamment pour avoir vendu des munitions, est justifiable quand on sait que d'autres commettent des crimes beaucoup plus graves sans s'attirer des peines aussi sévères.

Le sénateur Di Nino : Ce n'est pas l'objet du projet de loi C-2. Toutefois, je suppose que c'est un commentaire valable.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Roberts, j'aimerais revenir sur le point que vous faisiez valoir au sujet des études. Je ne crois pas pour un seul instant que les parlementaires devraient appuyer leur jugement sur des études. J'estime que, pour bien remplir leur rôle de législateurs, ils doivent tenir compte d'une foule de considérations et de points de vue, même si je crois que les études ont leur importance.

Je crois que la première peine minimale obligatoire date de 1977. Nous en avons prévu une fondamentale en 1995, quand nous avons assorti les crimes graves commis avec des armes à feu d'une peine minimale obligatoire de quatre ans d'emprisonnement, par exemple la tentative de meurtre, l'agression sexuelle, l'enlèvement et le vol qualifié. Voilà que nous rallongeons maintenant la liste.

Savez-vous si des études ont été menées avant 1995 et si elles ont convaincu le Parlement d'alors d'ajouter des peines minimales pour les actes commis avec des armes à feu? Êtes-vous au courant d'études effectuées après 1995 auxquelles le ministre aurait dû se fier?

En d'autres mots, pourquoi affirmons-nous aujourd'hui que les dispositions du projet de loi à l'étude ne devraient pas être adoptées parce qu'il n'existe pas d'étude à ce sujet quand, en fait, le Parlement adopte des lois sans étude? Le point que vous faites valoir au sujet des études théoriques est important, mais ce n'est pas une condition préalable, n'est-ce pas?

M. Roberts : Non. La recherche empirique sur le fonctionnement du processus de détermination de la peine est un élément de vos délibérations manifestement.

J'ignore ce qui s'est fait en 1993 et en 1994; il y a longtemps déjà. J'ignore si des études ont été commandées au sujet de l'efficacité ou de l'impact probable de ces peines obligatoires. Tout d'abord, que je sache, il n'existe pas d'étude établissant que les peines obligatoires de 1995 ont eu un effet dissuasif, mais, si elles en ont eu un, fort bien! On les accroît à nouveau de sorte que leur effet dissuasif augmentera probablement. Tout ce que je suis en train de dire, c'est qu'il existe de nombreuses raisons de prévoir des sentences obligatoires. Toutefois, si vous le faites en prétendant qu'elles ont un effet dissuasif, il faut pouvoir le prouver. Je ne crois pas que cette preuve a été faite. Je ne dis pas que ces études n'existent pas quelque part au ministère, mais je ne les ai pas vues.

Le sénateur Andreychuk : Vous pourriez militer en faveur d'une pareille étude comme outil précieux pour l'avenir.

M. Roberts : C'est ce que je dirais. Si vous créez ces peines obligatoires ou ces nouvelles peines accrues, il serait agréable de savoir que, dans cinq ans, elles feront l'objet d'un nouvel examen pour vérifier que le Parlement a pris la bonne décision.

La présidente : Avant de vous laisser partir, monsieur Roberts, j'ai moi-même une question que j'aimerais vous poser. J'ai été frappée par votre déclaration selon laquelle les programmes offerts par les services correctionnels au Canada, par exemple, de formation professionnelle en vue de réadapter les détenus, ont ailleurs dans le monde bonne réputation. Nous avons entendu des témoignages de l'enquêteur correctionnel selon lequel le budget alloué à ces programmes a en réalité reculé de 26 p. 100 durant les six dernières années. Je ne suis donc pas sûre d'avoir très bien saisi et j'aimerais que vous me répétiez exactement ce que vous croyez être le lien entre des programmes de cette nature et les augmentations ou diminutions des taux de récidive.

M. Roberts : En Angleterre, les taux de récidive sont beaucoup plus élevés qu'au Canada. L'Angleterre et le Pays de Galles n'ont pas de programmes particulièrement bons dans leurs prisons. Il se peut que le budget qui y est alloué a été diminué, mais les programmes qu'a mis sur pied le Canada, comme le SCC, ont bonne réputation à l'étranger.

L'objet de ces programmes est le même que celui de tout programme correctionnel, soit d'éliminer la cause de la criminalité, habituellement, une forme quelconque de dépendance — aux drogues, à l'alcool ou à un mode de vie criminogène —, et il y a peut-être aussi des composantes psychologiques. On peut traiter les causes de cette criminalité dans un contexte correctionnel, mais il faut prévoir dans ces établissements des programmes de traitement et y affecter du personnel compétent. Je parle simplement de la réputation générale des programmes offerts au Canada. Je ne suis pas un expert du milieu correctionnel.

La présidente : Je vous remercie vivement. Nous avons eu ce matin une séance des plus intéressantes, et nous vous en sommes reconnaissants. Je suis sûre qu'il n'est pas facile d'affronter outre-Atlantique toutes sortes de personnes qui vous posent des questions comme aujourd'hui.

Le sénateur Di Nino : Vous avez fait de l'excellent travail.

M. Roberts : Je m'ennuie du Canada, un superbe pays. Vous faites du bon travail. Je vous souhaite de réussir dans votre entreprise.

La présidente : Je vous en remercie sincèrement.

Chers collègues, nous allons maintenant entendre Nichole Downer, conseillère en programmes à la Société canadienne du sida, Robert Kissner, membre du conseil d'administration de l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, et John Lamont, président du conseil d'administration de la Fédération canadienne pour la santé sexuelle.

C'est avec plaisir que nous vous accueillons ce matin, et il nous tarde d'entendre ce que vous avez à nous dire.

Nichole Downer, conseillère en programmes, Société canadienne du sida : Je vous remercie de nous avoir invités à partager nos réflexions avec vous ce matin.

La Société canadienne du sida est une coalition nationale de 125 organismes offrant des services communautaires en matière de sida un peu partout au Canada. Notre mandat consiste à renforcer la réaction au VIH/sida dans tous les secteurs de la société et d'enrichir les vies des personnes et des collectivités qui vivent avec le VIH et le sida. En tant qu'organisme voué à faire reculer les taux d'infection au VIH et au sida, nous sommes préoccupés par le projet de loi à l'étude parce qu'il accroîtrait l'âge de consentement à des relations sexuelles qui passerait désormais de 14 à 16 ans.

La Société canadienne du sida n'appuie pas ce relèvement de l'âge de consentement. De plus, les modifications proposées ne modifient pas la loi existante qui interdit la sodomie chez des personnes de moins de 18 ans. La Société canadienne du sida estime que la loi ne devrait pas faire de discrimination selon l'orientation sexuelle.

Tout d'abord, il existe déjà des protections. Le Code criminel du Canada protège déjà les personnes de moins de 18 ans contre les relations sexuelles à des fins d'exploitation, de pornographie et de prostitution ou lorsqu'il existe des liens de confiance, d'autorité et de dépendance.

Ensuite, la Société canadienne du sida craint que le relèvement de l'âge du consentement n'ait pour effet de rendre les jeunes plus cachottiers au sujet de leurs pratiques sexuelles et qu'il ne les décourage d'obtenir l'information dont ils ont besoin. Ainsi, les jeunes courront un risque accru de contracter le VIH et d'autres infections transmises sexuellement. Le quart ou presque des étudiants de 9e année est gêné de consulter un médecin ou une infirmière s'il soupçonne qu'il a peut-être une ITS.

Le fait de relever l'âge du consentement pourrait avoir un impact défavorable du fait que moins de jeunes de moins de 16 ans auraient accès à l'information fournie par les intervenants en matière de santé. Cela pose problème, puisque la recherche menée au Canada a révélé que l'âge moyen auquel on a les premières relations sexuelles est de 14,1 pour les garçons et de 14,5 pour les filles. Une étude britannique a révélé que les jeunes seront moins enclins à chercher à avoir de l'information sur les moyens contraceptifs et le sexe s'ils n'ont pas l'âge du consentement en raison d'inquiétudes au sujet de la loi et du caractère confidentiel de l'information. L'étude a révélé que les jeunes n'ayant pas l'âge légal de consentement en Grande-Bretagne étaient six fois plus susceptibles que ceux qui l'ont d'invoquer la « crainte d'être trop jeunes » comme raison pour laquelle ils n'ont pas cherché à obtenir de l'information sur la santé sexuelle. Quel que soit l'âge de consentement, les jeunes continueront d'avoir des relations sexuelles, et il faut faire en sorte qu'ils disposent de l'information dont ils ont besoin.

Comme nous savons que l'âge moyen des premières relations sexuelles est inférieur à 16 ans au Canada, en relevant l'âge de consentement, on pourrait avoir de nombreux jeunes qui ont leurs premières relations sexuelles tout en craignant d'accéder à l'information dont ils ont besoin. On n'a pas mené suffisamment de recherches dans ce domaine pour dissiper les inquiétudes voulant qu'en relevant l'âge du consentement, on nuise aux pratiques des jeunes en matière de santé sexuelle. Par conséquent, il serait irresponsable de relever l'âge du consentement sans en connaître tous les effets. La Société canadienne du sida appuie l'exécution de plus d'études dans ce domaine.

En troisième lieu, l'exemption prévue pour les jeunes d'un âge rapproché n'est pas une solution. Le gouvernement a recouru à cette exemption comme solution pour dissiper les craintes que le projet de loi criminalise le comportement sexuel des jeunes. Nous ne croyons pas que cette solution est adéquate.

Bien que nous comprenions le raisonnement sur lequel s'appuie la création de cette exemption et que cette exemption serait portée à cinq ans, le projet de loi impose des restrictions inutiles aux jeunes tout en ne réglant pas la réalité des abus sexuels d'enfants.

Étant donné que toute l'activité d'exploitation actuellement illégale engage des personnes de moins de 18 ans, la loi rend la situation pour les jeunes inutilement complexe. La plupart des jeunes, et même des adultes, n'ont pas l'expertise juridique voulue pour connaître les critères prévus dans l'exemption ou pour pouvoir déterminer si leurs relations y répondent. Cette exception sera fort probablement mal interprétée ou oubliée, et l'âge du consentement sera en règle générale présumé être de 16 ans. De nombreux jeunes supposeraient que leurs relations sont illicites et ne chercheraient pas à obtenir l'information et l'aide dont ils ont besoin.

Le fait d'utiliser l'âge comme facteur pour déterminer s'il y a exploitation sexuelle ne règle pas la réalité des abus sexuels d'enfants. Dans les cas de coercition sexuelle, la personne n'est pas moins agressée si celui qui commet l'infraction fait partie du groupe de pairs qui n'ont pas plus que cinq ans qu'elle.

La loi à l'étude concentre les restrictions sur le mauvais groupe de personnes. La criminalisation du comportement sexuel des jeunes n'arrêtera pas l'activité d'exploitation. Il faut consacrer plus de ressources à poursuivre les auteurs d'exploitation et d'abus sexuels.

Quatrième point, il faudrait insister sur une éducation complète en matière de VIH/sida et de santé sexuelle. D'après les données, 67 p. 100 des mâles et 58 p. 100 des femelles de onzième année auraient répondu que l'école est leur principale source d'information au sujet du VIH et du sida. Toutefois, 27 p. 100 des étudiants de septième année et 14 p. 100 des étudiants de neuvième et de onzièmes années n'avaient pas suivi de cours sur le VIH et le sida au cours des deux dernières années.

La Société canadienne du sida craint que, si l'âge de consentement est porté de 14 à 16 ans, il n'y aura pas de cours d'éducation préventive dans les écoles pour les jeunes de moins de 16 ans, ce qui diminuerait encore plus l'information qui est offerte aux jeunes. Les études ont démontré qu'à long terme, les messages de prévention sont plus efficaces quand ils sont transmis tôt et qu'ils sont efficaces pour réduire le comportement sexuel à risque.

Nous savons également qu'au Canada, en 2004-2005, 212 000 étudiants du secondaire ont décroché et que l'âge minimal juridique pour cesser de fréquenter un établissement scolaire est de 16 ans dans la plupart des provinces du Canada. Par conséquent, si l'on cesse d'offrir des cours de santé sexuelle dans les écoles avant l'âge de 16 ans, de nombreux jeunes ne recevront pas les messages essentiels de prévention.

La Société canadienne du sida estime que le gouvernement canadien devrait concentrer ses efforts sur la promotion d'une éducation sur le VIH/sida et la santé sexuelle qui soit uniforme et exhaustive. Le meilleur moyen de protéger et de soutenir les jeunes est de nous assurer que l'information et les services sont disponibles pour les informer de leurs droits et de leur choix, ainsi que des risques et des avantages de se livrer à l'activité sexuelle. L'éducation des jeunes pour leur permettre de faire des choix éclairés qui sont bons pour eux est mieux assurée si on encadre les parents et on offre d'une éducation exhaustive sur la santé sexuelle qu'en recourant au Code criminel.

Enfin, l'âge du consentement devrait être universel. Dans le Code criminel, l'âge du consentement aux relations anales est fixé à 18 ans, tandis que l'âge du consentement aux relations vaginales est actuellement de 14 ans. L'article 159 du Code criminel du Canada stipule que quiconque a des relations sexuelles anales avec une autre personne est coupable soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de 10 ans, soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Les cours d'appel de l'Ontario et du Québec ont déjà déclaré cette distinction inconstitutionnelle, puisqu'elle établit une discrimination fondée sur l'âge et l'orientation sexuelle.

La Cour d'appel de l'Ontario a reconnu le potentiel de préjudice quand l'âge du consentement est plus élevé en se prononçant contre l'établissement à 18 ans de l'âge du consentement à la relation sexuelle anale. Je vous lis une traduction libre d'une partie de cette réponse :

Les risques pour la santé devraient être contrés par le système de santé. Fait ironique, l'une des conséquences bizarres, pour les adolescents, d'une clause visant à criminaliser la relation sexuelle anale consensuelle est que l'éducation en matière de santé qu'ils devraient recevoir pour les protéger contre un préjudice évitable pourrait être limitée, puisqu'elle pourrait être interprétée comme des conseils aux jeunes gens sur une forme de conduite sexuelle à laquelle la loi leur interdit de se livrer. Ainsi, la disposition du Code criminel qui vise ostensiblement à protéger les adolescents contre le préjudice peut en soi, en faisant obstacle à l'éducation sur les risques pour la santé associés à ce comportement, contribuer au préjudice qu'elle prétend éviter.

L'examen de ce projet de loi est une occasion de mettre fin à la discrimination de l'article 159 du Code criminel. Il y a une liste de plusieurs articles du Code criminel qui sont modifiés par ce projet de loi. Alors il devrait y avoir dans ce document une définition de l'activité sexuelle qui englobe toutes les activités, dont les relations sexuelles anales, pour faire en sorte que l'âge du consentement soit le même pour toute forme d'activité sexuelle.

La Société canadienne du sida espère que vous reviendrez sur votre décision de rehausser l'âge du consentement, pour les raisons que je viens de donner. La solution pour protéger les jeunes contre l'exploitation sexuelle n'est pas d'imposer des restrictions aux jeunes. Ce projet de loi risque d'avoir des répercussions sur la santé et le bien-être des jeunes, et il serait irresponsable de l'adopter sans preuves convaincantes du contraire.

Nos recommandations sont les suivantes : que l'âge du consentement aux relations sexuelles reste 14 ans; que des ressources soient consacrées à la poursuite des cas d'exploitation sexuelle et d'abus, et aussi que des ressources soient prévues pour les parents et les jeunes, pour les aider à faire des choix sains; que des recherches plus approfondies soient effectuées sur l'incidence que peut avoir l'âge du consentement sur l'offre d'une éducation sur la santé sexuelle, ainsi que sur la disposition des jeunes à consulter des professionnels de la santé; et que l'article 159 du Code criminel soit supprimé et que les dispositions de la Loi relatives aux relations sexuelles anales soit uniformisées avec celles qui concernent les relations sexuelles vaginales.

Si ce projet de loi était adopté, il faudrait diffuser de l'information en langage clair aux jeunes au sujet de la nouvelle loi, particulièrement au sujet de l'exemption relative à la proximité d'âge.

Robert Kissner, PhD, membre duconseil d'administration de l'ACTS, Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux : L'Association canadienne de travailleuses et travailleurs sociaux, ou ACTS, est un regroupement d'associations provinciales et territoriales de tout le pays. Elle est le porte-parole national de ses 16 000 membres et, dans une certaine mesure, de leurs nombreux milliers de clients.

L'ACTS aimerait présenter certaines réflexions et propositions au sujet des dispositions du projet de loi relatives à l'âge du consentement. En tant qu'organisation, évidemment, nous serions favorables à toute mesure visant à mieux protéger les enfants, mais nous devons faire de la loi une critique très mitigée.

L'argument central de notre présentation, c'est que le fait de rehausser l'âge du consentement de 14 à 16 ans — âge auquel une personne peut consentir à une activité sexuelle de nature non exploitante — est susceptible d'avoir des effets inégaux, et aura très probablement aussi des conséquences inattendues. Plutôt que de protéger ceux que ce projet de loi vise à protéger, nous pensons que s'il est promulgué, il faudra adopter de nouvelles mesures additionnelles pour protéger les enfants pour qui le risque sera accru à cause de cette loi.

Pour vous donner un exemple concret, cette loi est fondée sur le postulat que tous les prédateurs sont, dans une certaine mesure, unidimensionnels et que leurs intérêts et stratégies sont en quelque sorte similaires. Cependant, selon des recherches effectuées, tous les prédateurs ne se ressemblent pas, et il y a une différence entre les personnes qui ont un intérêt sexuel pour les enfants de moins de 13 ans, appelés pédophiles et les hébéphiles, ces gens qui ont un intérêt sexuel pour les enfants qui n'ont pas encore atteint leur maturité sexuelle. Cette distinction est plus formellement établie entre deux groupes d'âge, soit moins de 13 ans et de 13 à 17 ans.

En principe, les intérêts des enfants convoités par les pédophiles étaient protégés par l'ancienne loi, et les intérêts des enfants que convoitent les hébéphiles devraient être protégés par la nouvelle loi.

Comme les hébéphiles s'intéressent généralement aux enfants de 13 à 17 ans plutôt qu'à ceux qui ont moins de 14 ans, on peut raisonnablement supposer que des efforts jusqu'à maintenant axés sur la protection des enfants de moins de 14 ans seront maintenant concentrés sur les jeunes qui ont moins de 16 ans. Le problème, en quelques mots, c'est que nous augmentons le risque pour les enfants de 16 ou 17 ans dans notre culture.

Le problème en est aussi un de perception et de consensus. L'ancienne loi définit clairement les enfants de moins de 14 ans comme des personnes qui ne sont pas encore prêtes à prendre des décisions d'ordre sexuel et qui, sans le moindre doute, seraient exploitées dans n'importe quelle relation sexuelle. Très peu de gens contesteraient cette théorie. De fait, il y a consensus sur la question et les adultes qui ont une relation avec des enfants font l'objet d'une dénonciation sociale universelle. Comme cette théorie est si clairement acceptée, l'application de la loi peut être, et est actuellement relativement simple.

La nouvelle loi applique cette même théorie aux jeunes qui ont moins de 16 ans. Autrement dit, les jeunes de 14 à 16 ans sont aussi réputés ne pas être prêts à prendre des décisions d'ordre sexuel. Malheureusement, cette théorie ne fait pas autant d'adeptes que l'autre et suscite beaucoup d'ambivalence.

Par conséquent, comme le consensus se brouille au sujet de ce groupe d'âge, l'application de la loi peut être compromise et notre objectif devient plus flou. Par exemple, des recherches effectuées au Royaume-Uni démontrent que les relations entre adultes et adolescents font peu souvent l'objet de poursuites et sont parfois exposées par les médias avec ambiguïté. Quand on mélange les lois qui concernent les adultes qui ont des relations avec des enfants et celles qui visent des adultes qui ont des relations avec des adolescents, l'objectif devient flou et les choses se brouillent.

Le grand danger, par exemple, en mettant ces jeunes gens de moins de 16 ans dans le même panier que ceux de moins de 14 ans, c'est que nous pourrions aussi saper les mesures de protection des enfants âgés de moins de 13 ans parce que nous perdons cette clarté d'objectif, et nous perdons la dénonciation sociale. De fait, nous augmentons le risque pour les enfants de moins de 13 ans, et aussi pour les jeunes de 16 et de 17 ans.

Le projet de loi semble aussi partir du principe que le modus operandi des adultes qui entretiennent des relations avec les enfants est le même que celui des adultes qui ont des relations avec des adolescents plus âgés. Cependant, des recherches ont révélé que les prédateurs qui ciblent les jeunes adolescents sont plus susceptibles d'avoir un complice. Nous ne sommes pas sûrs nécessairement que le rôle du complice soit prévu dans la loi.

Au plan d'une politique plus globale, nous avons les mêmes préoccupations, lesquelles j'explique dans le document que je vous ai remis et dont ma collègue va vous parler. Nous sommes d'accord, de façon générale, avec cela.

Plutôt que de rehausser l'âge du consentement par rapport à ce qu'il est maintenant, nous préférerions laisser les tribunaux en décider pour toutes les personnes âgées de moins de 18 ans et de plus de 14 ans. Ceci permettrait de protéger tous les jeunes et le juge aurait le pouvoir de ne pas tenir compte du consentement s'il y a des preuves qu'une relation particulière est de nature exploitante. Nous sommes prêts à investir votre confiance dans la sagesse de notre système judiciaire.

Nous pensons aussi, de fait, qu'il nous faut commencer à nous attaquer aux causes mêmes de l'exploitation sexuelle. Ainsi, nous devons commencer à créer des programmes novateurs qui permettraient aux pédophiles et hébéphiles de se soumettre volontairement à un traitement confidentiel. Où, dans ce pays, quelqu'un qui a ce problème peut-il s'adresser pour obtenir de l'aide? Et pourtant, nous voulons que ces gens mettent fin à leur comportement.

En même temps, nous savons qu'un très grand nombre de ces gens ont eux-mêmes subi des abus quand ils étaient enfants. Selon certaines statistiques, ils seraient 40 p. 100. Où sont les programmes pour eux, dans toutes les provinces?

Pour les enfants, il semble que parmi les meilleures variables figure en premier lieu celle du capital social accru. Des recherches récentes démontrent que quelqu'un qui est impliqué dans la communauté — la famille, les sports d'équipe, ce genre de choses — a tellement de contact avec d'autres enfants qu'il est en fait protégé par cette communauté.

Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a certaines relations entre hommes où c'est la famille qui a le plus d'influence. Avec les filles, curieusement, ce sont les autres relations sociales qui semblent être plus efficaces.

Autre chose qui nous tient à coeur, c'est tout le concept des droits des enfants. Les enfants de moins de 19 ans dans notre culture ont droit à une protection efficace et à la connaissance.

En tant que travailleurs sociaux, nous constatons que bien des enfants ciblés dans ce pays sont souvent des clients de notre système d'aide sociale à l'enfance. L'une des variables les plus importantes dans notre pays, actuellement, c'est l'obtention du diplôme. Nous avons parlé plus tôt d'armes. Les probabilités qu'un enfant participe à ce type d'activité sont étroitement liées à l'obtention ou non d'un diplôme.

Où y a-t-il le plus faible taux d'achèvement des études au pays? Ce sont nos gouvernements qui assurent l'instruction de nos enfants. Si on regarde le taux actuel d'achèvement des études au Canada, un enfant sur cinq, grosso modo, n'achève pas ses études.

Dans ma province, les chances de terminer le secondaire, pour ceux qui dépendent de notre gouvernement, sont de 29 p. 100. Trois enfants sur dix desservis par le gouvernement de la Colombie-Britannique obtiennent un diplôme.

En même temps, il nous faut réduire la pauvreté. Nous savons que si nous augmentons les taux de l'aide sociale, nous augmentons l'engagement dans l'éducation. L'un des seuls motifs, l'une des plus importantes variables liées à la prostitution, c'est la pauvreté. Nous devons tous agir pour réduire la pauvreté.

Nous appuyons bon nombre des recommandations de Campagne 2000.

Dr John Lamont, président du conseil d'administration, Fédération canadienne pour la santé sexuelle : Je suis président du conseil d'administration de la Fédération canadienne pour la santé sexuelle. Je suis aussi professeur émérite d'obstétrique et de gynécologie à l'Université McMaster de Hamilton, en Ontario, et je travaille dans le domaine de la santé des femmes et de la médecine sexuelle.

Je suis accompagné de Linda Capperauld, directrice exécutive de la Fédération canadienne pour la santé sexuelle. Nous sommes ici aujourd'hui pour parler précisément du projet de loi C-2.

La Fédération canadienne pour la santé sexuelle est un organisme de bienfaisance national, axé sur ses membres, qui se concentre exclusivement sur la santé sexuelle et les droits sexuels et génésiques. La Fédération existe depuis plus de 40 ans, et œuvre au Canada et à l'étranger. Notre réseau national de 28 membres affiliés dans tout le Canada a une vaste expérience et a un franc succès auprès des jeunes et de parents, tant au plan de l'éducation que de l'offre de santé.

Notre fédération compte parmi ses membres Canadian Youth for Choice, un réseau national qui connaît une croissance rapide, composé de jeunes gens qui font de la sensibilisation et assurent la défense des droits des jeunes en matière de santé sexuelle.

Nous appuyons l'objet du projet de loi C-2, qui est de protéger les jeunes gens contre l'exploitation sexuelle.

Les organismes chargés de l'application de la loi estiment que porter à 16 ans l'âge requis pour consentir à des actes sexuels contribuerait à dissuader les adultes de se livrer à l'exploitation sexuelle des jeunes et qu'il serait plus facile de poursuivre en justice les auteurs de ces crimes. Cependant, il n'existe aucune preuve, ici ou ailleurs, que l'augmentation de l'âge requis pour consentir à des actes sexuels permettrait à elle seule de prévenir l'exploitation sexuelle des jeunes ou que cela présenterait tout autre avantage suffisant pour justifier l'ingérence dans la vie privée et l'activité consensuelle des jeunes.

Le projet de loi C-2, sous sa forme actuelle, se concentre uniquement sur l'aspect de l'application de la loi qu'est la protection. L'application de la loi, en soi, ne protège pas les jeunes; elle permet seulement d'intenter des poursuites une fois qu'un jeune a déjà fait l'objet d'exploitation.

Si nous voulons vraiment protéger les jeunes, nous devons nous assurer de leur offrir des services et des programmes d'éducation et de leur inculquer les aptitudes nécessaires pour pouvoir faire des choix éclairées, négocier la façon dont ils désirent vivre leur vie sexuelle et prévenir l'abus de pouvoir. De plus, nous devons réfléchir aux conséquences inattendues que pourrait avoir ce projet de loi.

Nous avons trois grandes préoccupations et trois recommandations. Tout d'abord, les jeunes ne recherchent pas l'information et les services de santé sexuelle dont ils ont besoin par crainte du manque de confidentialité. Nous le savons de par notre longue expérience et selon les recherches effectuées, et je peux en témoigner personnellement, après de longues années de pratique de la médecine.

Nous savons aussi d'expérience que lorsqu'une jeune personne est capable d'établir une relation de confiance avec un fournisseur de soins de santé ou un autre professionnel, cette relation contribue à protéger ce jeune contre l'exploitation en créant un cadre positif de counseling pour la prise de décisions, les choix et l'habilitation.

La perception ou la réalité qu'un ou une jeune ou son ou sa partenaire peut être dénoncé aux autorités et faire l'objet de poursuites pour s'être livré à des activités sexuelles consensuelles dissuadera les jeunes d'avoir recours aux services de santé dont ils ont besoin. Les conséquences de cela parmi les jeunes peuvent être dramatiques : des grossesses non désirées, des infections transmises sexuellement et le VIH/sida, pour n'en nommer que quelques-unes, avec des conséquences potentiellement dévastatrices comme l'infertilité, le cancer ou même la mort.

Deuxièmement, la hausse de l'âge du consentement pourrait devenir un motif pour priver les jeunes de l'éducation en santé sexuelle et des services dont ils ont besoin. Malheureusement, nous savons qu'une fois qu'une loi est adoptée, nous n'avons souvent que très peu de contrôle sur la manière dont elle est appliquée ou interprétée.

Les éducateurs et les professionnels de la santé pourraient être réticents à discuter de sexualité avec des jeunes gens qui n'auront pas l'âge du consentement qui est proposé, parce qu'ils ne seront pas certains de leurs obligations juridiques, en raison leurs propres points de vue personnels ou parce qu'ils subissent des pressions de parents ou d'autres personnes. C'est arrivé ailleurs, notamment au Royaume-Uni.

Tant notre expérience que les recherches effectuées sur les pratiques exemplaires démontrent que l'éducation en santé sexuelle entamée tôt, adaptée à l'âge et qui comprend le renforcement des capacités ainsi que des renseignements factuels, aide efficacement les jeunes à savoir négocier des relations, à reporter la première relation sexuelle et à avoir des pratiques sexuelles plus sûres une fois qu'ils deviennent actifs. Cette éducation est essentielle pour apprendre aux jeunes des moyens de se protéger contre les situations potentiellement exploitantes. Aussi étonnant que cela puisse vous sembler, même de nos jours, l'éducation en santé sexuelle manque d'uniformité et, parfois, est non existante pour bien des jeunes du Canada.

Troisièmement, l'article 159 du Code criminel du Canada comporte une disposition qui établit à 18 ans l'âge requis pour consentir à des relations sexuelles anales, ce qui est plus âgé que pour tout autre type d'activité sexuelle. Il n'y a aucune raison logique ou médicale de vouloir traiter un type d'activité sexuelle autrement que d'autres. Les cours d'appel de l'Ontario et du Québec ont déjà déclaré cette distinction comme étant inconstitutionnelle.

Tant que cette clause est en vigueur, cela signifie par exemple que deux jeunes gens âgés de 16 ans qui ont des relations sexuelles anales consensuelles pourraient être poursuivis, sans égard pour l'intention du projet de loi C-2 de ne pas criminaliser l'activité sexuelle consensuelle entre adolescents.

Nous préférerions que le projet de loi C-2 ne soit pas adopté. S'il l'est néanmoins, nous proposons les trois recommandations qui suivent.

Premièrement, que l'on modifie le projet de loi C-2 et toute législation pertinente afin de s'assurer que les renseignements fournis par les jeunes lorsqu'ils ont recours aux services médicaux, d'information et d'éducation en matière de santé sexuelle sont traités comme des renseignements confidentiels, à moins qu'il y ait suffisamment de preuves pour conclure qu'il s'agit d'un cas d'exploitation sexuelle. De cette façon, si un jeune révèle avoir une relation sexuelle consensuelle de nature non exploitante avec un partenaire dont l'âge excède les paramètres d'exception de cinq ans relativement à la différence d'âge entre les partenaires, il peut être rassuré que ces renseignements seront tenus confidentiels et ne seront pas rapportés.

Deuxièmement, que le gouvernement fédéral continue d'appuyer fortement le Consortium mixte sur la santé en milieu scolaire, ses groupes de travail et ses partenaires afin de s'assurer que les enfants et les jeunes de partout au pays ont accès à des programmes d'éducation en matière de santé sexuelle rigoureux, sans préjugés et adaptés en fonction de leur âge.

Troisièmement, que l'on élimine l'article 159 du Code criminel, concernant le consentement aux relations sexuelles anales. Cela permettrait d'uniformiser l'âge requis pour consentir à des actes sexuels pour toutes les pratiques et orientations sexuelles.

Le sénateur Andreychuk : Je suis tout à fait d'accord avec M. Kissner et le Dr Lamont sur un bon nombre des points qu'ils ont soulevés.

Monsieur Kissner, en guise de clarification, lorsque vous parlez des enfants qui sont pris en charge par votre gouvernement, faites-vous allusion aux enfants qui relèvent de certains services d'aide sociale?

M. Kissner : C'est exact.

Le sénateur Andreychuk : Je veux m'assurer que c'est ce dont nous parlons : des enfants qui sont déjà pris en charge à cause d'une certaine lacune aux termes de vos lois provinciales. Ayant moi-même travaillé dans le domaine, je suis bien au courant de ces modalités.

M. Kissner : C'est exact.

Le sénateur Andreychuk : Ce projet de loi n'a pas été conçu pour corriger tous les problèmes, et je crois que même le ministre partage cet avis. Le but, c'était de fournir un moyen supplémentaire pour protéger les enfants dans notre société. Le besoin de rassurer les enfants à l'école, à la maison et dans la collectivité est toujours évident. D'après ce que je crois comprendre, le gouvernement estime que ce projet de loi serait utile pour la protection des enfants.

En ce qui concerne les relations sexuelles anales, ce projet de loi ne vise pas à corriger toutes les lacunes ou difficultés dans le Code criminel. Le gouvernement a choisi certaines questions; cette disposition ne résulte donc pas du projet de loi C-2. Vous parlez de ce qui était prévu auparavant dans le Code criminel, n'est-ce pas?

Je vois que vous faites signe que oui.

Dr Lamont : Oui.

Le sénateur Andreychuk : Cette question reste toujours à part et mérite peut-être que le gouvernement et le Parlement s'y intéressent.

Le projet de loi dont nous sommes saisis propose de faire passer de 14 à 16 ans l'âge du consentement. Croyez-vous que l'exception liée à la proximité d'âge de cinq ans est une bonne façon de procéder? Le gouvernement avoue son ignorance à cet égard. Lorsque vous affirmez qu'une catégorie de prédateurs ont des visées sexuelles sur des enfants de moins de 13 ans et qu'une autre catégorie de prédateurs en ont sur des adolescents de plus de 13 ans, vous exprimez une opinion personnelle parce que cet argument s'appliquerait tout aussi bien à l'âge de 12, de 10, de 14 ou de 15 ans.

Le gouvernement, dans sa sagesse, a décidé de choisir les âges, ce qui est assez conforme à la position adoptée en Nouvelle-Zélande, en Australie et, dans une certaine mesure, au Royaume-Uni. De plus, certains pays européens ont adopté des lois. Par conséquent, c'est une question de jugement. Si nous avions proposé tout simplement de relever l'âge à 16 ans, nous aurions le problème de l'exploitation qui accompagne naturellement une prise de conscience. S'agit-il d'une exploitation ou simplement d'une exploration — des jeunes qui se fréquentent? C'est une situation très changeante pour eux.

Là où je veux en venir, c'est que nous ne sommes pas très sûrs de nombreuses questions dans ce domaine. Toutefois, ce que le gouvernement savait sans contredit, c'est que s'il relevait l'âge, on aurait une capacité accrue pour protéger les jeunes, non seulement par le biais d'une loi exclusive mais par d'autres moyens comme le fait de comprendre qu'il existe toujours un problème de confidentialité en ce sens que les enfants sont peu enclins à divulguer des renseignements.

Ne croyez-vous pas que si nous adoptons ce projet de loi tout en continuant de prendre les autres mesures que vous avez mentionnées, les enfants pourraient se trouver dans une bien meilleure situation qu'aujourd'hui? Si nous n'augmentons pas l'âge, nous savons déjà à quel point ils sont vulnérables. Si nous relevons l'âge du consentement, tout en gardant à l'esprit que ce n'est pas la seule mesure à prendre pour aider les enfants et que nous devons faire beaucoup plus à leur égard, ce sera un pas dans la bonne direction.

M. Kissner : J'apprécie la bienvaillance de votre question. Pour moi, la meilleure façon de penser à cette question, c'est de l'examiner sous l'angle du développement communautaire. À cet égard, on retrouve ce qu'on appelle des zones interstitielles. Dans le cas du développement des jeunes, on retrouve un concept équivalent, soit les groupes d'âge. Nous avons dit tout à l'heure qu'il existait auparavant une certaine clarté. Cela fonctionnait quelque peu pour les plus jeunes enfants, mais sans trop de résultats. À Edmonton, il y a eu un cas où quelques personnes ont réussi à s'en sortir. La réponse a été de dire que nous devrions tout simplement relever l'âge. Nous nous sommes donc penchés sur la question et avons constaté qu'on y perdrait sur le plan de la clarté conceptuelle. Deuxièmement, si on part de l'hypothèse que les délinquants sont comme ce verre d'eau, et il y en a un certain nombre, on passera alors du groupe des 15 à 16 ans à celui des 14 à 15 ans et on augmentera le nombre d'activités axées sur un différent groupe d'âge.

Nous ne remettons pas en question ce que le projet de loi tente de réaliser, mais nous croyons que celui-ci entraînera des effets non voulus. Un certain nombre d'enfants dans d'autres catégories d'âge ont besoin de protection. À notre avis, une meilleure réponse serait d'examiner la question du point de vue de la discrétion judicaire plutôt que du consentement éclairé, car comme mon collègue l'a expliqué, la plupart des cas ont été divulgués après le fait; un juge pourrait donc demander : « Y a-t-il eu une relation de nature exploitante dans cette situation? » Cette façon de procéder aurait permis, en réalité, de protéger un plus grand nombre d'enfants puisqu'on pourrait relever l'âge jusqu'à 18 ans, ce qui viserait tous les autres enfants. Il y aurait une même clarté dans le cas des enfants plus jeunes.

Nous ne disons pas que cette tentative n'est pas sincère. De toute évidence, tout le monde essaie de protéger les enfants, mais il y a une meilleure façon de le faire. De notre point de vue, le Sénat a l'avantage d'être une institution de second examen objectif. Vous pouvez vous pencher sur cette question et dire : « Nous voulons tous protéger les enfants. Nous ne voulons pas être ceux qui doivent faire face à tous les parents canadiens dont les enfants sont maintenant exposés à un plus grand risque. Nous voulons proposer quelque chose qui va porter fruit. » À l'instar des zones interstitielles dans le développement communautaire, nous aurons des zones interstitielles dans la loi. Cette approche répond tant aux besoins de mes collègues qu'à ceux d'un plus grand nombre d'enfants. Pour vous dire franchement, je crois qu'elle répond aux besoins politiques de tout un chacun.

Le sénateur Andreychuk : Personne ne semble disconvenir du fait que les jeunes de 14 ans actifs sexuellement sont à la merci des adultes. Nous reconnaissons également qu'il y a une certaine interaction entre les jeunes qui grandissent, et nous ne devrions pas stigmatiser cela. C'est ce qui semble se dégager.

Je suis d'accord avec vous pour dire que si nous relevions l'âge à 18 ans, nous pourrions être encore plus protecteurs. Toutefois, si nous optons pour la voie du consentement éclairé, ne croyez-vous pas que ceux qui exploitent les jeunes sont ceux-là mêmes qui empêchent les jeunes de donner un consentement éclairé?

C'est la voie que nous avons adoptée en ce qui concerne les agressions contre les femmes. Dans une violence conjugale, il est très difficile pour une femme d'aller en cour et de dénoncer quelqu'un avec qui elle entretenait des relations parce qu'elle est encore liée sur le plan émotif à cette personne. Elle ne veut pas être battue, mais elle est émotionnellement attachée à cet individu. Dans le cas d'un jeune qui est attiré par une situation quelconque ou qui est amené à faire quelque chose, comment ce jeune peut-il donner un consentement éclairé et s'y tenir pour se défendre contre la personne même que nous essayons d'atteindre?

M. Kissner : Ma fille a 14 ans. C'était l'un de mes critères personnels pour analyser cette nouvelle disposition. Je me suis dit : « Ma fille sera-t-elle mieux protégée en vertu de ce projet de loi? » Oui, elle le sera. Ma fille va à l'école tous les jours, et nous participons activement à la vie communautaire. Si quelqu'un exploite ma fille ou la séduit d'une façon quelconque, je veux qu'il y ait des mesures concrètes. Pour certains enfants, ce projet de loi sera extrêmement efficace.

Toutefois, nous pensons que la loi aura des effets différentiels. D'autres enfants seront, en fait, exposés à un plus grand risque. Si nous apportions une légère modification à ce qui est proposé dans ce projet de loi, nous pourrions protéger un plus grand nombre d'enfants, y compris ma fille et les autres enfants les plus à risque.

Le sénateur Merchant : J'aimerais que vous me donniez quelques éclaircissements parce que vous savez évidemment beaucoup de choses dans ce domaine. Si la loi ne reflète pas les réalités de la société, estimez-vous qu'elle sera observée ou plutôt ignorée? Je pose cette question parce que la recherche montre que les enfants d'aujourd'hui se livrent à des activités sexuelles à des âges de plus en plus jeunes. Les premières relations sexuelles chez les étudiants de septième, neuvième et onzième années ont lieu, en moyenne, à 14,1 ans pour les garçons et à 14,5 ans pour les filles. Si nous relevions l'âge du consentement de 14 à 16 ans, vous avez dit qu'il pourrait y avoir de graves conséquences non voulues, notamment la criminalisation des activités consensuelles chez les jeunes.

Croyez-vous que la loi devrait mener ou suivre les tendances sociales en ce qui a trait aux activités sexuelles consensuelles? Pouvez-vous nous éclairer un peu? Essayons-nous de changer les valeurs morales des jeunes par le biais de ces dispositions? Celles-ci reflètent-elles les points de vue du gouvernement actuel?

Dr Lamont : J'aimerais faire quelques observations. La première concerne les activités sexuelles. En réalité, lorsqu'on parle d'activités sexuelles dans les documents de recherche, c'est habituellement limité aux rapports sexuels. En fait, si l'on interroge même des jeunes de moins de 14 ans, on constate qu'ils ne se livrent pas à une activité sexuelle à un âge plus précoce. Ce qui se passe, c'est qu'une plus grande proportion de jeunes ont des rapports sexuels à un plus jeune âge, sans pour autant être dans une relation à un plus jeune âge.

Si l'on tient compte de toutes les autres activités sexuelles, y compris des relations sexuelles anales, la proportion des jeunes de 14 ou de 15 ans est essentiellement la même que celle qu'autrefois. Nous devons donc indiquer clairement si nous parlons de rapports sexuels ou d'autres choses.

L'autre point important sur le plan du consentement concerne mon domaine, c'est-à-dire aider les gens par les soins de santé et l'éducation. Ce projet de loi touchera également cet aspect. Le système dont nous disposons actuellement fonctionne très bien. Si un jeune vient pour un traitement ou une évaluation et si nous avons des doutes quant à sa capacité de donner un consentement, nous demandons à un professionnel désintéressé de faire une évaluation pour déterminer si la personne est apte à donner un consentement éclairé, ce qui nous permet de fournir des services pédagogiques et cliniques à cette personne. Comme on l'a déjà dit, si ces jeunes ne peuvent pas avoir accès à une éducation et à des services, ils les éviteront tout simplement plutôt que de s'adresser à leurs symboles d'autorité ou à leurs parents pour obtenir la permission de recevoir un traitement pour une infection ou de mettre fin à une grossesse ou encore d'obtenir des soins durant une grossesse. C'est donc un autre facteur qui touche cet aspect des activités sexuelles des adolescents.

Le sénateur Merchant : En octobre 2005, le ministère de la Justice du Canada a publié la déclaration suivante :

L'éducation des adolescents afin qu'ils puissent faire des choix éclairés bons pour eux est mieux abordée dans le cadre de la surveillance exercée par les parents et de l'éducation portant sur la santé sexuelle qu'en utilisant le Code criminel pour criminaliser les jeunes qui se livrent à cette activité.

À votre avis, remplissons-nous cette exigence, c'est-à-dire existe-t-il une surveillance parentale et une éducation en matière de santé sexuelle?

Dr Lamont : J'en doute. Je suis d'accord pour dire que la surveillance parentale serait l'idéal, mais malheureusement, peu d'enfants vont chercher cette information d'abord auprès de leurs parents. Nous aimerions corriger cette situation si nous le pouvions, mais à l'heure actuelle, les enfants se fient à leurs camarades et au système d'éducation : c'est là leur source première d'information en matière de sexualité.

Le sénateur Merchant : À votre avis, le système d'éducation répond-il à leurs besoins?

Dr Lamont : Pas du tout. Certes, le programme éducatif a été établi et l'information est disponible, mais malheureusement il n'y a pas une application uniforme d'un programme standard adapté en fonction de l'âge. Malheureusement, de nombreux districts scolaires ne préparent pas leurs enseignants à donner le cours. Bien des jeunes vous diront que, selon eux, leur éducation en matière de santé sexuelle est très inadéquate.

Le sénateur Cowan : Chacun de nous veut faire tout ce qu'il peut pour protéger nos enfants contre l'exploitation et l'abus et les encourager à obtenir toute l'information dont ils ont besoin pour faire des choix éclairés. À première vue, on serait porté à croire que le relèvement de l'âge du consentement est une bonne chose. Plus une personne est âgée, plus elle est censée être mûre et par conséquent, plus elle est capable de faire les bons choix. En apparence, cette hypothèse semble juste.

Toutefois, en me préparant pour ces audiences et en vous écoutant, ce qui m'a frappé ce matin, c'est la discussion sur les conséquences non voulues, qui ne sont pas largement comprises. Ce qui m'inquiète, c'est qu'il pourrait y avoir une certaine perception. De manière simpliste et superficielle, on serait porté à croire que tout ce qu'il faut faire, c'est relever l'âge du consentement et voilà, on protège les gens. Si ce projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, le public pourrait avoir l'impression que maintenant le dossier est clos et qu'on n'a plus besoin de s'en inquiéter; les gouvernements, à tous les paliers, perdraient leur motivation.

Nous comprenons tous les questions d'ordre constitutionnel et de compétences auxquelles nous faisons face au Canada. Les gens pourraient dire qu'ils n'ont plus besoin de s'inquiéter de ce problème, et nous n'aurions plus la mobilisation nécessaire — ce dont vous avez tous parlé, et je suis sûr que nous partageons tous cet avis —, c'est-à-dire le besoin de fournir plus de programmes d'information auxquels les gens peuvent accéder. Je ne me souviens plus qui d'entre vous a attiré notre attention sur le nombre de personnes qui ne terminent pas leurs études secondaires ou qui ne se rendent même pas au secondaire; par conséquent, en offrant tout simplement un programme au secondaire, on n'atteint pas les gens qui en ont vraiment besoin.

J'ai du mal avec cette notion. D'une part, je crois que c'est bien de relever l'âge du consentement, mais d'autre part, je doute que cela s'attaque au nœud du problème. Je partage l'avis selon lequel il faut mettre l'accent sur l'importance de participer activement à la vie communautaire, de s'adonner à des activités sportives et de faire partie de clubs; c'est ce qui donne aux gens un sentiment d'appartenance. Je suis également d'accord pour dire qu'il faut lutter contre la pauvreté. Pouvez-vous m'éclairer là-dessus? Je crois que la plupart des gens seraient d'avis qu'il n'y a pas de lien entre ces deux points.

Dr Lamont : En ce qui concerne notre organisation et les gens que nous prenons en charge, il ne s'agit pas de personnes bien nanties qui viennent de familles biparentales, qui vont voir des matchs de hockey et tout le reste. Nous parlons des conséquences pour les gens qui sont plus défavorisés. L'inconvénient de ce projet de loi, c'est son impact sur notre capacité de prendre soin de ces gens. C'est, malheureusement, la réalité dans notre domaine. Nous devons examiner les dispositions relatives à l'âge du consentement dans ce projet de loi de ce point de vue et en reconnaissant qu'elles nuiront à notre capacité de nous occuper de ces personnes, de les éduquer et de leur fournir des soins de santé. Bon nombre des personnes dont nous prenons soin sont âgées de 16 ans et moins.

Mme Downer : Je vais revenir à l'observation faite tout à l'heure sur la question de savoir si l'éducation est cohérente et si les gens obtiennent une éducation dans le système. Comme mon collègue l'a dit, ce n'est pas le cas. Comment cela se traduira-t-il? Cela signifiera-t-il qu'aucun cours de santé sexuelle ne sera donné aux étudiants de moins de 16 ans, lorsque nous savons que l'âge auquel ils se livrent à des relations sexuelles est, en fait, de 14,1 ans pour les garçons et de 14,5 ans pour les filles? Cela signifiera-t-il que les enseignants seront encore moins susceptibles de montrer aux étudiants les choses qu'ils doivent savoir?

M. Kissner : Nous avons la capacité de mettre à l'essai des politiques sociales, et nous parlons d'inventivité. Par exemple, nous pouvons nous adresser à nos bureaux d'aide sociale et fournir plus de financement aux enfants pour qu'ils participent à des activités comme du sport ou de la musique. Dans bien des régions du pays, nous n'avons pas le financement nécessaire pour permettre à bon nombre de ces jeunes de participer au genre d'activités que ma fille pratique dans notre collectivité. C'est en amenant les jeunes à participer et à nourrir une passion que nous tissons nos réseaux sociaux.

À mon avis, nous devrions, à tout le moins, financer des projets pilotes à la grandeur du pays, pour mettre à l'essai différentes idées et pour en inventer d'autres. Les gens se soucient réellement du sort des enfants; du point de vue de l'aide sociale, nous sommes heureux d'essayer. Si quelque chose finit par porter fruit à petite échelle, tout le monde l'appuiera car nous épargnerons tous de l'argent.

Ce sont là les enfants à risque. Ce que nous constatons, c'est que les enfants sont guidés par leurs émotions et leur état physiologique. Ils ne réfléchissent pas avant de passer à l'action. Comment les prendre en charge? En les faisant participer à des activités physiques pour les amener à adopter d'autres habitudes.

Le sénateur Di Nino : Il s'agit d'une question très controversée. Vous avez fait, tous les trois, des exposés qui méritent le respect, compte tenu de vos connaissances.

Je souhaite dire publiquement, encore une fois, que le projet de loi C-22, qui fait partie du projet de loi C-2, avait été adopté par la Chambre des communes et est mort au Feuilleton au Sénat au moment de la prorogation. Les membres de la Chambre des communes avaient entendu, dans certains cas, des enfants, mais surtout des parents — et j'en profite pour faire un peu la promotion des grands-parents parce que j'en suis un; les témoins avaient exprimé leur préoccupation concernant cette question et la capacité d'un jeune de 14 ans de prendre une décision raisonnable et éclairée pour ce qui est des activités sexuelles. C'est en réponse aux opinions exprimées fermement par de nombreux Canadiens que l'on a rédigé le projet de loi C-22, qui a fini par se retrouver dans le projet de loi C-2.

Je dois, moi aussi, convenir que ce projet de loi ne réglera pas tous les problèmes. Il n'y a aucun doute là-dessus. Il ne s'agit que d'un outil parmi tant d'autres à utiliser pour traiter cette question chargée d'émotion et controversée. Je crois que, de l'avis général, ce projet de loi, s'il est adopté, sera utile pour s'assurer que moins de jeunes filles et, dans certains cas, de jeunes garçons deviennent victimes.

Ma question porte sur les statistiques qui nous ont été présentées par le Centre canadien de la statistique juridique. Dans leur exposé, les représentants du Centre ont parlé de l'augmentation du nombre d'infractions sexuelles depuis 2003. Malgré une certaine baisse enregistrée au cours des dix dernières années, on connaît une hausse depuis 2003. J'ai été étonné par deux points mentionnés dans leur témoignage. Ils ont dit que les filles âgées de 12 à 14 ans étaient le groupe le plus vulnérable pour ces infractions. Lorsque j'ai posé une question à ce sujet, ils ont ajouté que, pour leur enquête, la collecte d'information s'était limitée aux jeunes de moins de 14 ans. Ils ne disposent pas de statistiques pour les jeunes de 15 ans ni de 16 ans; ils se sont penchés uniquement sur cet âge parce qu'il s'agit de l'âge du consentement en vigueur aujourd'hui. Ces statistiques correspondent-elles à vos expériences, c'est-à-dire que les filles âgées de 12 à 14 ans sont-elles les plus vulnérables face à ces infractions sexuelles?

Dr Lamont : Tout ce que je peux dire, c'est que d'après mon expérience, la capacité de faire un choix avisé ou de donner un consentement éclairé n'a rien à voir avec l'âge. Dans mon cabinet, je rencontre des jeunes de 12 ans qui sont tout à fait aptes à donner un consentement éclairé et des adultes de 20 ou de 30 ans que j'ai beaucoup de mal à aider à le faire. L'idée qu'il existe un âge magique où les gens peuvent soudainement donner un consentement éclairé, alors qu'ils ne le pouvaient pas la veille, est un peu artificielle.

Pour ce qui est des infractions, cela dépasse totalement mon domaine de compétence.

M. Kissner : Une transition s'effectue dans les écoles à peu près à cette période. Nous perdons environ 3 p. 100 des enfants canadiens entre l'école primaire et secondaire. Nous tenons des statistiques après que les enfants commencent la 8e année, mais je ne suis pas au courant d'un grand nombre d'études qui cherchent à savoir où vont ces enfants.

Nous savons que c'est une période où des enfants sont victimes d'intimidation et d'exclusion sociale. Qui sont les personnes ciblées? Celles qui sont exclues socialement. Dans la mesure où nous renforçons l'inclusion sociale, cela contribue énormément à changer les choses. Que ce soit fait en définissant des catégories d'âge ou non, si on essaie d'appliquer une solution simple à un problème complexe, on peut créer de plus grands problèmes. Il existe probablement une solution meilleure et plus simple.

Le sénateur Di Nino : Je veux aborder un autre aspect de ce témoignage que j'ai trouvé inquiétant. Le témoin nous a dit à ce sujet que seulement 8 p. 100 du marché potentiel, soit les 12 à 14 ans, ont répondu. Les jeunes qui se livrent peut-être à des activités sexuelles, de gré ou de force, ont-ils du mal à en parler? Huit pour cent, c'est très peu.

M. Kissner : Nous avons de la difficulté à comprendre la statistique que vous utilisez.

Le sénateur Di Nino : Quand l'étude a été menée, seulement 8 p. 100 des jeunes à qui l'on a demandé de participer ont répondu. Est-ce normal? Est-ce ce à quoi il faut s'attendre? J'ai été étonné qu'un pourcentage aussi faible de participants ait répondu.

M. Kissner : Il faudrait examiner la méthodologie. Nous pouvons accroître la coopération. On peut poser deux questions et demander aux participants de lancer un dé pour déterminer à laquelle ils répondront. De cette manière, on peut augmenter la participation lors d'études embarrassantes. Il s'agit d'examiner la méthodologie d'enquête. Autrement, il est impossible de savoir pourquoi le taux de réponse a été aussi faible.

Le sénateur Di Nino : Cette étude a été effectuée par des professionnels qui font cela tout le temps.

D'après l'information que nous avons reçue, je crois comprendre que les dispositions relatives à l'âge du consentement ne régleront pas tous les problèmes, mais contribueront à en résoudre une partie. Êtes-vous d'accord?

M. Kissner : Elles protégeront davantage certaines personnes, mais accroîtront les risques pour d'autres.

Le sénateur Stratton : Mes questions portent sur le relèvement de l'âge du consentement et l'exploitation des jeunes, garçons et filles. Comme l'a dit le sénateur Di Nino, le projet de loi n'est qu'un des nombreux outils que nous pouvons et devrions utiliser et encourager. Nous ne le contestons pas mais, comme vous l'avez mentionné, il aidera en effet à protéger un certain segment de notre société, ce qui est l'intention du projet loi.

L'exploitation des jeunes me préoccupe davantage à deux égards. Premièrement, il y a l'exploitation par Internet. Mes petits-fils adorent Internet. Ils l'utilisent pour bavarder avec leurs copains, et on craint toujours ce qui peut se produire. Les parents sont morts de peur.

Je vais vous donner un exemple pour illustrer mon autre inquiétude. Vendredi dernier, j'étais à un hôpital de soins d'urgence et j'ai vu des policiers accompagner une mineure, mère célibataire. Elle avait trop bu. On l'a arrêtée pour avoir agressé des agents de police et leur avoir craché dessus. L'un des agents a demandé à la jeune femme pourquoi elle fréquentait le gars avec qui elle était; selon leur dire, ce dernier cherche les ennuis. Ils étaient très inquiets.

Si la loi peut protéger une personne contre les mauvaises influences, pourquoi ne pas le faire? Je me rends compte que nous devons faire tout ce que nous pouvons pour aider la famille de cette jeune femme, mais nous devons aussi protéger cette dernière en majorant l'âge du consentement. Pourquoi ne pas le faire?

Dr Lamont : À vrai dire, cette loi ne la protégera pas. Elle prévoira des sanctions pour un acte commis, mais ne protégera pas cette jeune femme contre la décision qu'elle prend à son âge.

Le sénateur Stratton : La fille avait moins de 16 ans. Si les policiers savaient que l'individu qui l'exploitait était âgé de 21, 22 ou 23 ans, qu'il était son aîné de plus de cinq ans, ils disposeraient d'un outil pour intervenir. Pourquoi ne pas le faire?

Dr Lamont : Là encore, ils pourraient recourir à la loi pour le punir après coup.

Le sénateur Stratton : Ils pourraient le menacer. Ils pourraient lui dire qu'ils lui mettront la main au collet avant qu'il touche à cette fille. Pourquoi ne pas le faire?

M. Kissner : Vous faites valoir un excellent argument. Il s'agit d'une légère amélioration pour certains jeunes, mais elle fera courir un risque plus grand à d'autres. Nous pourrions faire un bien meilleur travail et élargir la fourchette d'âge. Par le simple fait d'octroyer le pouvoir discrétionnaire de mettre de côté le consentement, vous feriez exactement ce que vous avez dit, et vous pourriez englober un plus grand nombre d'enfants. Dans notre système, la personne plus âgée se liera d'amitié avec la plus jeune, qui a 14 ou 15 ans, et ils attendront jusqu'à ce qu'elle ait 16 ans. Le hic, c'est que vous augmentez les risques pour les jeunes de 16 et de 17 ans.

Nous ne disons pas que ce projet de loi n'est pas bien intentionné, mais il pourrait être mieux rédigé et pourrait beaucoup mieux réaliser ses objectifs. Nous ne sommes pas du tout en train de défendre la loi actuelle.

La présidente : Madame Downer, que sait-on sur l'incidence du sida chez les personnes visées par ce projet de loi, c'est-à-dire les jeunes et les adolescents?

Mme Downer : Tandis que le taux d'infection chez les jeunes est très faible au Canada, il augmente indéniablement dans le monde entier. Le pourcentage le plus élevé de personnes dans le monde qui contractent le VIH est enregistré chez les jeunes, ce qui est une tendance inquiétante qui pourrait se manifester au Canada. Les taux d'ITS sont en hausse, ce qui est aussi préoccupant en ce qui concerne le VIH.

La présidente : Tout cela vient aviver vos inquiétudes en matière d'éducation.

Mme Downer : Absolument.

La présidente : J'essaie de comprendre quelles seront les répercussions possibles des dispositions relatives à l'âge du consentement sur le terrain au chapitre de l'application de la loi. Conformément à la loi actuelle, une exemption de proximité d'âge de deux ans s'applique aux jeunes de 12 et de 13 ans et, si la différence d'âge est plus grande, les relations sexuelles consentantes sont illégales. J'insiste sur le terme « consentantes »; je ne dis pas « exploitantes ». La prostitution juvénile est une tout autre histoire, et personne n'est ici pour le contester.

Que sait-on de la manière dont la loi est actuellement appliquée pour les jeunes de 12 et de 13 ans? Si un jeune de 13 ans a des relations sexuelles consentantes avec un autre de 16 ans, que se passe-t-il? Combien de personnes portent plainte dans de telles situations? Combien de personnes sont arrêtées et accusées?

M. Kissner : Même si j'ai déjà enseigné la criminologie, je ne le sais pas, car ce n'était pas mon domaine de spécialité. Je présume que le nombre varierait énormément selon l'instance et la collectivité. La réaction des gens dépend énormément des facteurs humains.

Dr Lamont : À ma connaissance, cela n'est jamais arrivé au cours de mes 35 ans de carrière comme gynécologue. Si la jeune femme connaît la loi, elle évitera d'en parler lorsqu'elle viendra pour obtenir des services. Elle ne nous le dira pas.

Le seul cas dont j'ai entendu parler dans ma vie adulte concernait le fils de 14 ans d'un voisin qui avait des relations sexuelles avec une étudiante de 19 ans. Essentiellement, les parents l'ont prévenu que s'il ne cessait pas, ils s'adresseraient à la police. C'était le seul cas dont j'avais entendu parler quand il a été rendu public. Au cours de ma carrière, je n'ai jamais eu connaissance d'aucune plainte.

La présidente : Je vais sans aucun doute vouloir poser le même genre de questions aux autres témoins qui comparaîtront devant nous. Ce sujet m'intéresse énormément. Peu importe la loi en place dans ce domaine, elle sert davantage à exhorter, à pointer ou à signaler en quelque sorte qu'à appliquer la loi dans une situation réelle de la façon dont nous interprétons normalement le Code criminel.

Le sénateur Chaput : Avez-vous une idée du pourcentage de jeunes que ce projet de loi aidera et de ceux, d'après ce que je viens d'entendre, qu'il n'aidera pas du tout? Avez-vous une idée?

Dr Lamont : Compte tenu de mon expérience dans le domaine de l'éducation et des services cliniques, j'ai juste une idée des jeunes qu'il n'aidera pas. Je sais que cela deviendra un problème pour une grande proportion de gens que nous traitons pour ce qui est de l'accès à ces services en raison de leur âge.

Le sénateur Chaput : Quelle serait une solution pour ces jeunes? Vous l'avez peut-être déjà dit, mais je veux m'assurer que je comprends.

Dr Lamont : À l'heure actuelle, nous sommes en mesure d'évaluer leur capacité de nous donner un consentement éclairé en faisant appel à une tierce personne. L'âge n'importe pas. Nous pouvons effectuer cette évaluation et documenter le fait que cette personne comprend ce qu'elle demande et quelles sont les répercussions sur l'éducation ou les services. S'il existe une règle stricte selon laquelle il faut avoir 16 ans pour accorder son consentement, on devra obtenir le consentement ailleurs, en passant par les services sociaux ou les parents, par exemple. Cela posera un grand problème pour fournir cette information et ces services à ces personnes.

Le sénateur Chaput : Aviez-vous autre chose à dire?

M. Kissner : C'est une bonne question. Cela reviendra à déterminer si des enfants ont bel et bien participé à cette recherche pour décider du sort du projet de loi et établir la quantité de données qui a été préparée. Je ne crois pas que beaucoup de consultations avec des enfants et de recherches ont été effectuées pour que des groupes de discussion notamment puissent trouver une réponse. Je suppose que personne ne le saura avant que ce soit fait.

Si vous considérez que c'est une courbe normale, nous pensons que les enfants vivant dans la pauvreté seront les moins bien protégés par la mesure législative. Les enfants les plus isolés auront besoin du type de services offerts par mes collègues.

Le sénateur Andreychuk : Les jeunes vulnérables constituent une tout autre étude qui mérite qu'on s'y attarde. Au Sénat, nous avons étudié les besoins des enfants du Canada, uniquement du point de vue de la Convention des droits de l'enfant des Nations Unies. Ils sont nombreux, et c'était loin d'être une liste exhaustive.

Si je comprends bien ce projet de loi, il ne vise pas à obliger un enfant qui, à l'adolescence, se livre à une activité sexuelle, à le dire. Les problèmes qui se posent, c'est que nous voulons que ces enfants reçoivent une bonne éducation et l'aide dont ils ont besoin. Ce projet de loi dit que parce qu'ils sont jeunes, parce qu'ils explorent, parce qu'ils n'ont pas atteint l'âge de la majorité, ils sont vulnérables face aux adultes. Il porte sur la conduite des adultes à l'égard des enfants. C'est ainsi que je vois les choses.

Si je comprends votre position à tous les deux, nous pouvons aider dans une certaine mesure les jeunes de 14 et de 15 ans. Le temps nous le dira. Les dispositions du projet de loi C-2 les aideront en dissuadant ou en empêchant les adultes de profiter d'eux. C'est ce que nous cherchons à faire. L'enfant est vulnérable à tout coup dans ces situations. D'après ce que j'entends, on fait valoir que nous aurions dû l'inclure et le faire passer à 18 ans. Le temps nous le dira.

Je ne sais pas si vous voulez répondre. Ces observations découlent des propos de la présidente.

En ce qui a trait au sida et aux difficultés liées aux maladies transmissibles, je pense qu'il faut faire davantage de sensibilisation au Canada. Nous croyons en avoir fait beaucoup, mais nous cessons ensuite d'y porter attention parce que d'autres sujets nous interpellent.

Madame Downer, vous parlez des enfants vulnérables, mais n'est-il pas vrai que tout le monde a besoin d'être mieux renseigné au sujet du VIH? J'ai vu récemment des statistiques qui révélaient que la prostitution se fait très souvent sans condom. J'apprends de toutes parts qu'on ne se protège pas. Nous avons entendu parler de l'activité sexuelle accrue chez les aînés, qui comprennent ou connaissent mal le problème du sida au Canada. Lancez-vous un appel pour que tout le monde soit mieux sensibilisé? C'est ça, la vraie question.

Mme Downer : Oui. Je dirais que tout le monde a clairement besoin d'être mieux renseigné sur le VIH. Ce qui nous préoccupe concernant les dispositions du projet de loi C-2, c'est que si les parents et la collectivité en général n'en savent pas assez, les élèves acquerront ces connaissances principalement à l'école. Nous savons que c'est incohérent. Si vous portez l'âge du consentement à 16 ans, et nous savons que des jeunes sont actifs sexuellement à 14 ans, nos enseignants seront-ils moins disposés à leur offrir l'éducation dont ils ont besoin sur le VIH/sida et d'autres ITS? Voilà ce que nous craignons. Si on relève l'âge du consentement à 16 ans, les jeunes ne devront alors pas se livrer à des activités sexuelles, conformément à la loi. Les enseignants seront-il encore moins disposés à offrir cette éducation aux élèves? Ce type de coupure se produira-t-il?

Le sénateur Andreychuk : Êtes-vous en train de dire qu'ils manifestent des réticences actuellement et qu'elles pourraient augmenter?

Mme Downer : Absolument. Il y a d'énormes divergences d'une collectivité à l'autre.

Le sénateur Andreychuk : Nous devrions nous attaquer aux réticences qui existent maintenant. Autrement dit, je crois que nous devrions sensibiliser les Canadiens, et plus particulièrement les jeunes.

Mme Downer : Absolument.

Dr Lamont : Pour étendre la question à d'autres ITS, nous observons un taux élevé de chlamydia chez les jeunes de 15 à 24 ans, mais les deux tiers des cas sont enregistrés chez les plus jeunes, qui ne représentent que 14 p. 100 de la population. Ce groupe est particulièrement à risque de contracter toute la gamme des ITS, et les mêmes problèmes s'appliquent pour ce qui est de l'éducation et de l'accès aux services.

Même si vous avez dit que ce projet de loi vise à atteindre les adultes, ce sont les jeunes, qui n'auront peut-être pas accès aux soins par la suite, qui en subiront les conséquences.

Le sénateur Andreychuk : Vous dites qu'ils n'y ont pas accès maintenant.

Dr Lamont : Ils peuvent y avoir accès, cependant. C'est ça le problème. Ils peuvent avoir accès aux soins et nous pouvons les traiter à l'heure actuelle. Le projet de loi peut viser peut-être les auteurs de crimes adultes, mais il aura un effet direct sur les adolescents dont nous essayons de nous occuper.

Le sénateur Cowan : Les conséquences involontaires constituent peut-être le nœud du problème.

Dr Lamont : C'est ce que je crois.

Le sénateur Cowan : L'âge du consentement aux activités sexuelles de nature exploitante est maintenant fixé à 18 ans. La loi prévoit déjà des sanctions pour un grand nombre des cas horribles dont nous entendons parler. Le problème, c'est qu'elle n'empêche pas la perpétration du crime, ni ne protège les victimes.

Chose certaine, nous ne mettons pas l'accent à la bonne place. Nous devrions nous attarder davantage sur la protection, y compris l'éducation, le soutien et l'augmentation des ressources mises à la disposition des organismes d'application de la loi, au lieu de simplement relever un âge et de présumer que la situation s'améliorera comme par enchantement.

D'après ce que vous avez dit aujourd'hui, je pense que le projet de loi même peut ou non être une bonne chose, mais les conséquences involontaires, à votre avis, l'emportent sur n'importe quel avantage lié à la protection réelle ou perçue qu'offrira le relèvement de l'âge du consentement. Est-ce exact?

M. Kissner : Oui.

Le sénateur Merchant : Parlons de l'exception visant à permettre à des jeunes de se marier même si l'un d'eux a moins de 16 ans et l'autre est son aîné de plus de cinq ans. D'une part, nous disons qu'un jeune de moins de 16 ans est inapte à prendre la décision de se livrer à des activités sexuelles avec quelqu'un qui est son aîné de plus de cinq ans et, d'autre part, nous disons qu'il peut se marier. Cette exception ne risque-t-elle pas de pousser les jeunes à se marier avant d'être prêts pour ce genre de relation?

Dr Lamont : J'ignorais qu'on pouvait se marier à l'âge de 16 ans.

Le sénateur Merchant : Je crois qu'il en a été question plus tôt dans la discussion.

La présidente : Oui, dans certaines provinces. Cela varie selon l'instance.

Dr Lamont : Il est très ironique que l'on puisse consentir au mariage, mais pas aux relations sexuelles.

Le sénateur Merchant : Oui.

J'ai lu quelques documents que la Coalition pour les droits des lesbiennes et des personnes gaies en Ontario nous a envoyés. Elle croit que l'application de la loi peut viser exagérément certains segments de la société, ce qui la préoccupe. À cause des préjugés associés, croyez-vous que les gens seront plus susceptibles de signaler une relation lesbienne ou gaie et de passer sous silence une relation hétérosexuelle? Madame Downer, avez-vous une opinion ou de l'information à cet égard?

Mme Downer : Je sais que d'autres organisations qui comparaîtront plus tard cette semaine auront plus d'information sur cette question.

Je sais pertinemment que l'on traite les relations gaies et lesbiennes différemment des relations hétérosexuelles. Vous constaterez que l'exemption de proximité d'âge pourrait ne pas convenir à ces types de relations, car les jeunes homosexuels, vu qu'ils sont peu nombreux, ne disposent pas du même bassin de personnes pour trouver leurs partenaires sexuels. Vous remarquerez que ces relations sont traitées différemment.

M. Kissner : C'est une question de proportion. Si un jeune de 15 ans vit dans une petite ville où il n'y a que quelques personnes gaies, il pourrait se livrer à des activités d'exploration sexuelle avec un jeune de 22 ans. En ce sens, la Coalition pourrait avoir raison.

Le sénateur Oliver : À écouter vos exposés et vos nombreuses réponses aux questions qu'on vous a posées, j'ai été frappé par le fait que le projet de loi C-2 — et non pas le projet de loi C-22 — est une loi fédérale proposée qui modifie le Code criminel, qui est une loi fédérale. Un certain nombre de question et de réponses portaient sur des sujets qui ne relevaient pas du fédéral, mais plutôt des provinces. En vertu de notre Constitution, les provinces légifèrent en matière de propriété, de droits civils et d'éducation.

Comme l'a indiqué le sénateur Merchant, la célébration du mariage est du ressort des provinces et non pas du fédéral. Le projet de loi C-2 vise à modifier le Code pour protéger les enfants contre les adultes et les aînés, comme l'a dit le sénateur Andreychuk.

Toutefois, je pense qu'une grande partie des témoignages aujourd'hui concerne des problèmes qui devront être réglés par les provinces puisqu'ils relèvent de leur compétence, en l'occurrence l'éducation des enfants sur les sujets dont vous avez discuté.

Convenez-vous que nous avons un partage des pouvoirs au Canada en ce sens que certains aspects relèvent du fédéral et d'autres, du provincial, et qu'il y a un chevauchement à l'occasion?

M. Kissner : Oui. Que ce soit clair : tout ce que nous disons, c'est que nous avions une loi pour tout le monde. Le gouvernement fédéral présume qu'il peut ajouter de l'eau dans le verre sans diluer la réaction, tant pour ce qui est de la clarté au niveau de l'application de la loi que pour savoir s'il y a clarté à la grandeur et si des jeunes subissent des préjudices.

Tout ce que nous disons, c'est qu'il nous faut un deuxième verre. Il faut garder le premier verre et faire quelque chose de légèrement différent pour les adolescents, ce qui aurait pu être fait dans le cadre de la mesure législative en mettant de côté le consentement éclairé dans les cas où l'appareil judiciaire croit qu'il y a eu exploitation. Cela aurait été très simple à faire et aurait amélioré les choses pour tout le monde. Le gouvernement fédéral en avait le pouvoir.

Le sénateur Oliver : Toutefois, je vous ai aussi entendu dire que plusieurs aspects du projet de loi sont bons et qu'en fait ils représentent des améliorations et des progrès, et que vous aimeriez qu'il aille encore plus loin.

M. Kissner : L'optique est vraiment différente selon l'angle où l'on se place. Si vous examinez les répercussions sur le terrain, comme le Dr Lamont le disait, vous obtiendrez une certaine réaction, après coup.

Vous dites peut-être que cette loi ne fonctionne pas, mais que le problème serait réglé simplement en faisant cela. Si vous le faites, nous vous conseillons d'examiner la perspective d'ensemble et de vous assurer que votre but, c'est vraiment de protéger les jeunes. Soyez conscients qu'il existe un groupe de gens totalement différents qui exploitent les adolescents, et revenez avec une loi qui protégera les enfants contre les pédophiles. En modifiant la loi de cette façon, nous pouvons englober un plus vaste éventail d'enfants et faire en sorte qu'elle répond mieux aux intérêts de tous, tant aux nôtres qu'aux leurs.

Le sénateur Oliver : Toutefois, la question d'éducation dont vous avez longuement discuté relève des provinces, car le gouvernement fédéral n'a pas compétence en la matière.

M. Kissner : Oui. Toutefois, pour ce qui est d'offrir une aide, d'innover au niveau social et d'expérimenter, je crois que le gouvernement fédéral peut jouer ce rôle.

Le sénateur Cowan : J'écoutais le sénateur Oliver parler du partage des responsabilités entre les gouvernements fédéral et provinciaux, et j'en ai d'ailleurs parlé plus tôt. L'éducation dans les écoles relève clairement du gouvernement provincial, mais Santé Canada pourrait certainement s'occuper d'éducation générale en matière de santé publique. Bien des sujets dont nous discutons ici pourraient faire l'objet de programmes d'éducation en matière de santé dirigés par Santé Canada, vraisemblablement en collaboration avec les instances provinciales. Toutefois, cette responsabilité ne relève pas uniquement de la province. Êtes-vous d'accord?

Dr Lamont : Absolument.

M. Kissner : En outre, la plupart des enfants qui ont besoin de cette éducation ne sont pas à l'école. Voilà pourquoi on veut qu'un organisme fédéral quelconque intervienne.

La présidente : Merci beaucoup. La séance a été extrêmement intéressante et utile pour nous. Nous vous en sommes reconnaissants.

La séance est levée.


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