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Sous-comité sur la santé des populations

 

Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations

Fascicule 1 - Témoignages du 28 novembre 2007


OTTAWA, le mercredi 28 novembre 2007

Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 6 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé.

Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nous avons une réunion intéressante cet après-midi parce que nous allons entendre des spécialistes du premier programme canadien de santé de la population, qui a été mis en œuvre à l'Île-du-Prince-Édouard.

Nous savons tous que l'une des nôtres a été premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard de 1993 à 1996. Nous devrions donc assister à une séance de formation de très haut niveau.

Je tiens d'abord à remercier les trois témoins qui comparaissent aujourd'hui. Comme je l'ai indiqué aux membres du comité, ils ont dû se préparer très vite, beaucoup plus rapidement que la plupart des témoins. Nous vous sommes donc très reconnaissants d'être ici aujourd'hui et de vous être préparés de votre mieux dans les circonstances. Nous réalisons parfaitement que vous n'avez pas disposé du temps que vous auriez aimé avoir pour vous préparer.

Nous avons parmi nous Mme Teresa Hennebery, sous-ministre adjointe, Secteur opérationnel du ministère de la Santé de l'Île-du-Prince-Édouard. Ce ministère collabore avec les intervenants pour promouvoir la santé et prévenir la maladie en faisant appel à plusieurs approches de collaboration qui mettent l'accent sur les déterminants de la santé.

Mme Patsy Beattie-Huggan est également présente. Elle est la présidente de Quaich Inc., une société créée en 1998 pour formuler des conseils, proposer des innovations et offrir des produits faisant la promotion de la santé. Mme Beattie-Huggan a été cadre supérieur au sein du système des services de santé communautaire de l'Île-du-Prince- Édouard à l'époque des réformes de la politique de la santé.

Patsy Beattie-Huggan, présidente, The Quaich Inc. : Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de cette occasion de partager avec vous mon expérience et les leçons que j'ai tirées des réformes en matière de santé de la population qui ont été mises en œuvre à l'Île-du-Prince-Édouard entre 1993 et 1996.

Depuis le moment où j'ai reçu cette invitation par téléphone, la semaine dernière, j'essaie de ma rafraîchir la mémoire, et ce n'est pas toujours facile quand on atteint un certain âge... Cela fut une période si intéressante de mon cheminement et de ma carrière professionnelle que j'ai été séduite à l'idée de ce retour en arrière. J'en ai profité pour renouer des liens avec les personnes impliquées dans la réforme de la santé et pour leur demander, de façon rétrospective, les principales leçons qu'elles avaient retirées de cette époque.

Je n'ai pas de raison de revenir sur la chronologie des faits. Vos recherchistes l'ont fort bien fait et je n'aurais pu faire mieux moi-même. Parcourir leur document a d'ailleurs ravivé mes souvenirs. Je vais donc m'en tenir à l'expérience que j'ai alors vécue. Comme point de départ, je vais tenter de vous faire part de mes réflexions sur chacune des diverses étapes auxquelles j'ai participé.

Je vais donc vous entretenir de la phase de planification, au cours de laquelle j'ai été un agent de changement, en insistant sur la chance que j'ai d'avoir eu cette expérience, pour aborder ensuite ce que je fais actuellement et comment je tire parti de ces leçons.

Au milieu des années 1980, j'étais membre de l'Association of Nurses of Prince Edward Island, l'ANPEI. Je présidais un comité qui voulait imposer aux infirmières de détenir un baccalauréat pour pouvoir exercer à l'Île-du- Prince-Édouard. Ce faisant, j'ai commencé à réaliser que le système de santé devrait évoluer pour que les infirmières puissent utiliser leurs compétences de la façon la plus large possible. Je me suis alors mise à étudier les réformes des systèmes de santé à travers le monde et les orientations qui avaient été retenues.

Il y a un certain nombre de documents très sérieux qui, à travers le monde, ont eu des répercussions importantes sur un grand nombre de systèmes différents. On peut en particulier citer le Rapport Lalonde, un document canadien, et la Déclaration de l'Organisation mondiale de la santé, qui fixe pour objectif d'assurer la santé de tous, en énonçant des conseils et des principes pour réformer les soins de santé primaires. Nous avons fait beaucoup de recherches en nous inspirant de ces documents et j'y ai participé très activement.

En 1989, un document essentiel, qui ne figure pas dans votre nomenclature, a été publié à l'Île-du-Prince-Édouard. Il avait pour titre The Hospital and the Health Care Community. Son auteur était Peter Ramsay, qui dirigeait l'hôpital d'une des régions les plus rurales de l'époque. Ce document affirmait que, si de bons soins étaient dispensés à l'Île-du- Prince-Édouard, celle-ci ne disposait pas pour autant d'un vrai système de soins. Les personnes ayant besoin de soins, parfois dispensés par plusieurs réseaux, devaient frapper à plusieurs portes. Chacun de ces réseaux fonctionnait en autarcie. Les hôpitaux étaient chapeautés par des régies, mais qui ne géraient que des hôpitaux. Il n'y avait pas de liens avec les services sociaux et de santé publique. Outre cela, certains gros consommateurs du système de santé étaient également clients d'autres systèmes, comme le système judiciaire et celui des services sociaux.

Avant que je n'occupe mon poste, voilà le type de recherches que nous faisions. J'ai également découvert un rapport rédigé et préparé à la demande du sénateur Callbeck, qui comportait nombre de recommandations et cernait plusieurs de ces questions. Ce fut toutefois ce rapport de 1989 qui nous a fait prendre conscience de la nécessité d'étudier le système et de faire les choses différemment.

Au cours de l'année qui a suivi, les intervenants, dont l'ANPEI, ont été invités à s'interroger sur l'orientation à prendre à partir de là. Beaucoup de consultations publiques ont été organisées dans toute la province. À cette époque, l'ANPEI avait procédé à un examen de ce qui avait été écrit sur le sujet, avait étudié les modèles et transmis une proposition à son équipe de transition sur la structure que pourrait avoir le nouveau système.

J'ai le sentiment que notre influence sur la formulation des nouvelles propositions a probablement été sous-évaluée. Elle découlait d'activités intenses de lobbying de notre groupe. Celui-ci s'est en particulier penché sur les centres de santé communautaire, en particulier parce qu'ils avaient des répercussions importantes sur les soins de santé primaires. Je ne parle pas tant ici de la santé de la population que d'une organisation différente des soins offerts aux clients pour qu'ils disposent d'un point d'accès unique à un certain nombre de services présents autour d'eux, soit une approche plus intégrée et holistique des soins.

La consultation s'est élargie en 1991 et 1992. À cette époque, divers groupes de travail ont précisé les détails de la réforme de 1993 et contribué à la rédaction du document « Partnerships for Better Health ».

Pendant cette année de transition, j'étais étudiante en maîtrise à l'Université d'Edimbourg où je recevais tous les documents rédigés sur l'Île-du-Prince-Édouard. Ma scolarité m'a menée à comparer les systèmes de santé à travers le monde, à étudier le système de soins de santé britannique, et à commencer à réaliser qu'aucun système n'apportait toutes les réponses. Lorsque je suis revenue à l'Île-du-Prince-Édouard, cette constatation a permis de débloquer la situation. Elle a permis d'instaurer un climat, et pour moi de changer d'attitude, en nous demandant pourquoi nous ne pourrions pas concevoir nous-mêmes notre propre système.

J'ai eu beaucoup de chance. Quand je suis revenue dans l'Île, mon mari avait répondu en mon nom à une offre d'emploi. J'ai presque immédiatement été convoquée à une entrevue et été nommée directrice du développement communautaire dans le nouveau système. Cela a fait de moi un agent de changement. Je crois que je l'avais toujours été en secret pendant toute ma vie, mais j'étais contente de le faire ouvertement maintenant et, à l'automne de l'exercice 1993-1994, les réformes ont été lancées.

C'est à partir de là que les gens ont commencé à être réellement impliqués. Les négociations avec les syndicats ont commencé très sérieusement, en même temps que l'embauche de personnel. On ressentait alors beaucoup d'excitation chez ceux d'entre nous qui participaient au lancement de ces changements, qui avaient estimé que les soins de santé pouvaient être structurés en un système plus réactif et plus intégré, offrant un environnement de soins aux gens.

Ce fut aussi une période difficile pour les employés du ministère de la Santé. Tout d'un coup, ils n'avaient plus d'emploi. Ils devaient poser leur candidature à de nouveaux postes. Il ne faut pas l'oublier parce que le volet des personnes est important dans la suite du déroulement des opérations. Faisant déjà partie du nouveau système, il était difficile de faire passer des entrevues à nos collègues et de décider lesquels d'entre eux allaient obtenir des emplois.

On attendait beaucoup de nous. Nous étions des agents de changement. C'est à ce titre qu'on nous avait embauchés. Nous disposions de peu de ressources. Nous devions emprunter locaux et mobilier à nos anciens employeurs. Nous n'avions pas, à l'époque, les ressources nécessaires pour faire fonctionner simultanément plusieurs systèmes.

Toutefois, nous étions motivés par la volonté de mettre en œuvre les valeurs sous-tendant la réforme de la santé. Si vous avez l'occasion de parcourir le document « Partnerships for Better Health », vous constaterez que nous travaillions de longues heures et étions enthousiasmés par tout cela. Notre groupe était composé de gens solidement formés et c'était une expérience incroyable de ce point de vue.

Les chercheurs de l'extérieur, aussi bien de l'Université McMaster ou de l'Université de Helsinki que de l'Union européenne, s'intéressaient vivement à ce que nous faisions. Il y avait un grand nombre de projets et c'était passionnant.

L'un des produits que nous avons mis au point sur l'Île-du-Prince-Édouard était le « Cercle de santé », dont je vous ai fait remettre une copie. Cet outil est toujours utilisé, ce qui est étonnant parce que je lui prêtais alors une durée de vie d'environ cinq ans.

À la fin, il a fallu mettre un terme à l'ensemble du projet sous la pression des difficultés financières. Celles-ci étaient imputables, entre autres, à la réduction des paiements de transferts fédéraux. Les créanciers de la province réclamaient leur dû et il a fallu prendre des décisions difficiles qui se sont traduites par des replis. Les gens ont commencé à confondre la réforme et les coupures, et nous en avons subi les premiers contrecoups.

La réforme a rapidement été étiquetée comme un échec et est devenue un enjeu pour l'élection suivante, qui a abouti à un changement de gouvernement. Nous étions en 1996. Je termine ici cette partie du point que je fais de la situation. Lorsque la réorganisation a eu lieu cette année-là, mon poste a été éliminé.

Mon histoire devrait prendre fin ici, parce que j'ai quitté le gouvernement en 1998 après avoir décidé de réorienter ma carrière. Elle ne se termine toutefois pas là. J'estime avoir eu beaucoup de chance d'avoir été si motivée par cette expérience, d'avoir eu le sentiment de participer à une initiative aussi novatrice et d'être animée en permanence par la passion.

J'étais convaincue que le travail fait à cette époque pouvait déboucher sur quelque chose de bien et qu'il fallait poursuivre. J'ai eu la chance que Mme Hennebery soit nommée à ce poste et soit favorable à ces idées.

J'ai lancé mon entreprise, The Quaich Inc., en 1998. Sachez qu'un « quaich » est un verre de l'amitié. Normalement, on fait circuler un verre de whisky de malte autour de la table, mais je n'en ai pas apporté aujourd'hui. Toutefois, il s'agit d'un symbole d'amitié et de communauté, et c'est le sens que je voulais donner à l'entreprise.

Depuis cette époque, j'ai travaillé à de nombreux contrats. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais il y en a un dont je veux parler, parce qu'il s'agit à mon avis d'un héritage de l'époque de la réforme de la santé. C'est le Atlantic Summer Institute on Healthy and Safe Communities. Il est né il y a quatre ans, en 2003, d'une proposition spontanée et nous planifions maintenant les activités de sa cinquième année d'existence.

Son financement est toujours difficile à obtenir, mais il vient pour l'essentiel du Canada atlantique. Le Cercle de santé fait partie intégrante de ce programme. Vous pouvez constater, dans les documents que je vous ai remis, que le comité consultatif est représentatif de la région Atlantique, avec trois paliers de gouvernement, trois centres de recherche et des organismes communautaires. Cela signifie pour moi que l'héritage de la réforme de la santé est important. Il est bien là, on observe une coopération au sein du système de santé, mais cela se passe à l'extérieur du système.

Quelles sont les leçons tirées de l'expérience? Au cours de cette dernière semaine, j'ai interrogé beaucoup de gens. Il y avait parmi eux un partenaire de la communauté à l'époque de la réforme de la santé, deux anciens directeurs généraux et un évaluateur qui a travaillé également avec M. Eyles. Chacun a utilisé des formulations différentes, mais les thèmes sont restés les mêmes. Au sujet des leçons retirées de l'expérience, ils disent qu'il faut plus de temps et que le cycle de la vie politique de quatre ans que nous suivons ne permet pas d'aller au bout d'un tel projet. Il faut pour cela planifier à des échéances de 20 à 30 ans. Le cas du tabagisme est un exemple de résultat que nous n'aurions pu obtenir si nous avions travaillé sur cette question à long terme.

Ils disent également qu'il faut affecter des ressources financières précises à la santé de la population. Il faut aussi que des services distincts soient offerts. Tant que les soins impératifs et la santé de la population relèveront du même budget, l'argent ira là où il y a crise. Peu importe les efforts faits pour intégrer les services afin que la collectivité puisse exercer une influence sur l'hôpital, cela ne fonctionne pas en réalité à cause de la façon dont on réagit toujours face aux crises.

Il faut une structure pour la santé de la population qui vienne se superposer à celles existantes. Il faut peut-être envisager une structure nationale, avec une direction nationale. Quelqu'un a dit que si l'argent va directement aux provinces, qui sont confrontées à l'ampleur du problème des soins urgents, c'est uniquement ce domaine qui bénéficiera de l'argent.

L'appui du public est nécessaire. La plupart des politiciens sont attentifs à l'opinion publique, et pas nécessairement aux éléments de preuve venant de la recherche, alors que les fonctionnaires sont plus attentifs à ces derniers. C'est là une dichotomie.

Plusieurs personnes ont souligné l'importance de l'implication de la collectivité, et ce, pour diverses raisons. L'une d'entre elles est que cela vous oblige à vous enraciner dans la réalité et que les services doivent reposer sur les besoins réels. Ensuite, les gens savent ce qu'ils ont vécu et il faut en tenir compte. Enfin, il est important de disposer de structures facilitant l'innovation, qui ne prend pas nécessairement naissance dans les bureaucraties mais qui peut apparaître dans la collectivité, dans les régies régionales de la santé ou dans le secteur privé. Différentes structures devraient s'efforcer d'innover, par diverses façons, et les bureaucraties ont, elles, tendance à mettre de telles idées en veilleuse.

Pour moi, j'ai deux convictions dont je souhaite vous faire part. Comme concept, la santé de la population est difficile à saisir et à comprendre par les gens. Le mot « santé » dresse des barrières; les gens pensent immédiatement au secteur de la santé. Même si vous parlez de collectivités en santé, vous voyez les regards se perdre dans le brouillard. J'ai essayé de suggérer à l'Agence de promotion économique du Canada-Atlantique, l'APECA, de financer le Summer Institute, de regrouper ainsi divers secteurs pour leur permettre d'appendre les uns des autres. Nous savons que l'emploi joue un rôle déterminant dans la santé. Toutefois, la réponse qui m'a été donnée est que, pour l'essentiel, je m'adressais à l'APECA parce que le système de santé manque d'argent et que cela ne relève donc pas du mandat de l'Agence. Il faut donc faire de l'éducation dans certains des autres secteurs pour partager les ressources afin d'obtenir de meilleurs résultats en matière de santé de la population.

Le travail interdisciplinaire joue un rôle important dans tous les secteurs, et nous nous y intéressons dans le cadre du Summer Institute. Nous voulons regrouper les gens pour parvenir à une formulation et à une compréhension communes et pour doter le Canada atlantique de capacités. Il faut travailler sur le niveau d'alphabétisation, mais c'est là un concept complexe. Je vous ai également fourni un exemple d'un outil d'apprentissage mis au point pour le Summer Institute qui est en langage simple et qui illustre la santé de la population au moyen d'une histoire.

La gestion du changement est également importante. Nous devons apprécier les gens, et faire plus que simplement affirmer que nous les apprécions. La réforme de la santé de la population n'a été qu'une réforme parmi d'autres, mais il est ironique qu'elle soit tellement incongrue quand on adopte le point de vue de ce qui arrive aux gens. Les recherches sur le bien-être en milieu de travail montrent combien il importe, pour la santé des gens au sens large, qu'ils soient appréciés.

Pour terminer, je collabore maintenant avec de nombreuses personnes de la collectivité. J'ai rencontré la semaine dernière une femme de la Première nation Elsipogtog. Elle a élaboré un concept qu'elle illustre en parlant de la correspondance entre la santé de la population et les cercles d'influence. Toutefois, elle a de la difficulté à faire comprendre ce concept par son propre conseil de bande. La difficulté et de trouver comment faire progresser ces concepts dans une collectivité plus large.

Le Canada atlantique est confronté à des problèmes découlant de l'évolution des caractéristiques démographiques et nous avons travaillé pour élaborer un profil. C'est un travail qui se poursuit. Les travaux de ce comité sont donc fort opportuns.

Le président : M. Eyles et professeur à l'École de géographie et des sciences de la Terre, à l'Université McMaster. Ses travaux portent, entre autres, sur l'évaluation des systèmes et des programmes de soins de santé, sur l'utilisation des cadres de prise de décision reposant sur des éléments de preuve en santé et en environnement et, plus récemment, il a participé avec un groupe de chercheurs canadiens à la rédaction d'un document d'évaluation sur l'expérience de l'Île- du-Prince-Édouard.

John Eyles, professeur, École de géographie et des sciences de la Terre, Université McMaster : Mes travaux sur l'Île- du-Prince-Édouard remontent à environ cinq ans, même si je m'intéresse et fais des recherches sur la santé de la population dans différents contextes. J'ai donc davantage à dire sur la santé de la population en général même si mon point de vue est fortement influencé, et de façon favorable, par mon expérience de l'Île-du-Prince-Édouard.

Mme Beattie-Huggan et moi sommes d'accord. La santé de la population et les déterminants sociaux de la santé sont des concepts riches, intégrant tous les aspects de ces questions, et inclusifs. Il y a toutefois des difficultés qui apparaissent quand on veut les rendre opérationnels et significatifs au niveau de la politique et de la pratique. C'est une bataille à livrer à chaque fois qu'il s'agit de la santé de la population, en général. Le mandat de la santé continue à s'étendre vers l'extérieur, dans tout le contexte politique, comme une pieuvre. Ses relations aux mandats des autres domaines de politique, en particulier en ce qui concerne le financement, méritent qu'on y réfléchisse sérieusement. Il est manifeste, par exemple, qu'en Ontario, les dépenses de santé ont eu pour effet de pratiquement geler celles de tous les autres programmes de bien-être.

Je vais traiter des défis et des réussites des réformes de l'Île-du-Prince-Édouard tentées pendant les années 1990, puis vous faire part des leçons tirées de cette expérience et de mon intérêt croissant pour les questions de santé de la population.

Tout d'abord, permettez-moi quelques commentaires stratégiques au sujet de l'expérience de l'Île-du-Prince- Édouard. Les réformes visaient un horizon lointain et étaient courageuses. L'Île-du-Prince-Édouard a été un leader au Canada pendant environ dix ans dans ce domaine et s'est efforcée d'implanter les concepts de la santé de la population au niveau régional.

La réforme dans laquelle on s'est lancé à l'époque était massive, et les relations entre la santé de la population et les autres aspects de la réforme ne se sont pas toujours bien emboîtés. Il faut savoir, en particulier, que les tentatives de régionalisation ont nécessité énormément d'efforts et de temps pour les mettre en œuvre dans tout le système, à l'époque même où ce nouveau programme de santé de la population a été mis en œuvre à l'instigation du palier politique.

Le second point stratégique de portée générale est qu'on a décidé, à l'Île-du-Prince-Édouard, que les pouvoirs seraient séparés. On allait mettre sur pied un programme de politique, un conseil pour prendre des décisions stratégiques, en même temps qu'un ministère de type hiérarchique, le ministère de la Santé et des Services sociaux. Cela me paraît une excellente idée. Elle permet aux intervenants de consacrer leurs efforts aux divers éléments nécessaires pour améliorer la santé de la population. Dans la pratique, ce fut un effort dantesque. Cela a pu être à l'origine de conflits, de méfiance et de divergences d'opinions qui n'ont probablement pas toujours été utiles.

Le dernier commentaire général que j'aimerais faire concerne l'idée même de santé de la population. Elle a été acceptée, même s'il s'agit d'un concept difficile, comme nous l'avons dit, au niveau politique. Je ne suis pas aussi certain qu'elle a été acceptée aux autres niveaux dans le système de l'Île-du-Prince-Édouard, soit le niveau de prise de décision, j'entends par là les politiciens, et au niveau des prestataires de services, et là j'entends les médecins et les citoyens. Je ne crois pas qu'ils ont bien compris les intentions de l'époque et nous y reviendrons sous peu dans les leçons tirées de l'expérience.

En en venant à des commentaires opérationnels, je les ai répartis en défis et en réussites. Il me semble que l'expérience de l'Île-du-Prince-Édouard a fait apparaître trois ou quatre défis opérationnels. Le premier est l'importance des soins impératifs. Ils sont bien sûr importants et le restent dans l'esprit des politiciens, des citoyens et de nombreux prestataires de services. À cette époque de repli, l'idée qu'il serait possible de couper les soins impératifs constituait une menace au mode de vie rurale, en particulier avec la fermeture d'hôpitaux, ce qui avait pour effet que la santé de populations se heurtait à un ensemble de conditions très difficiles.

Le second problème opérationnel a trait à la tentative de modifier les pratiques de travail et les ententes en la matière, en particulier chez le personnel syndiqué, et j'englobe ici les médecins. Ils ont le droit de traiter et de travailler de la façon qui leur convient, et il me semble que c'est le syndicat le plus puissant de ce pays.

En troisième lieu, la santé de la population était perçue dans le cadre de la promotion de la santé. Il se peut que mes collègues ne soient pas d'accord. La promotion de la santé se situe aux confins des systèmes de soins de santé, ne recevant qu'une faible partie du budget, seulement deux ou trois pour cent. On la considère à la limite des soins et c'est le premier poste à couper ou à réduire en période de restrictions. Il s'est donc avéré qu'implanter la santé de la population dans le système de santé était un réel défi à cause de ce lien. Il n'y a guère d'autres endroits où l'implanter, mais cela constitue un défi.

Le dernier défi dont je peux faire état est lié au caractère centralisé du financement et des budgets. La ventilation des fonds entre les régions était difficile. Elle se faisait en s'inspirant des modalités antérieures et il n'y a eu aucune tentative, comme l'ont montré les premiers résultats de notre évaluation, de réorienter un certain nombre de postes budgétaires. Sans poste budgétaire propre, vous n'allez tout simplement nulle part. Au fur et à mesure que les choses sont devenues de plus en plus difficiles, c'est l'un des principaux problèmes apparus quand on a voulu faire progresser le programme de santé de la population à l'Île-du-Prince-Édouard. Les circonstances changent comme va nous le rappeler Mme Hennebery dans quelques instants.

Quant aux réussites, et il y a en eues de nombreuses, elles sont surtout intervenues au niveau de l'intégration, de la coopération et des partenariats, des aspects sur lesquels Mme Beattie-Huggan a si éloquemment insisté. On a constaté une coopération interministérielle au niveau provincial. Les services sociaux et de santé, et les services juridiques ont, pendant un moment, été impliqués. Il a eu des partenariats coiffant toute une série de services, en particulier dans les régions, ce qui a été une excellente chose et a conduit à une plus grande implication de la collectivité dans la prestation des services de santé, définis au sens large. Il y a eu des partages de ressources entre les services, surtout du temps des employés et des infrastructures, ce qui est vraiment important pour les personnes qui viennent directement en aide à celles qui en ont besoin. Il me semble, comme va le montrer le dernier cas de réussites que je vais évoquer, même s'il y a en eus beaucoup d'autres, que la santé de la population comme idée a été partagée et défendue de façon spécifique, en particulier dans la collectivité de la prestation des services. Je crois que ses membres ont bien saisi ce dont il s'agissait, et ce fut une chose merveilleuse à observer.

Pour terminer, j'aimerais mentionner trois ou quatre leçons tirées de cette expérience. Les réformes de l'Île-du- Prince-Édouard, dont celle de la santé de la population faisait partie, ont constitué une entreprise très importante. Comme on l'a déjà indiqué, il est difficile de progresser sur de nombreux fronts en même temps. Pour moi, la leçon à en tirer serait peut-être de se concentrer sur des objectifs précis avec des échéances également précises. À mes yeux, la santé de la population est un cadre crédible pour des conditions particulières. De quel autre point de vue pourrions- nous examiner l'augmentation des grossesses chez les adolescentes? De quel autre point de vue pourrions-nous observer l'augmentation des diabètes de type 2 sans cadre de santé`de la population? Qui devrait diriger de telles initiatives est un autre problème. J'y viendrai dans un moment. Ça ne devrait pas toujours être les médecins, pas plus que les responsables de la politique de Santé Canada qui les dirigent.

Puisqu'il vaut mieux s'intéresser à des objectifs précis, peut-être devrions-nous recadrer la définition de la santé de la population. Nous ne sommes pas très bons dans le domaine de la santé. Nous sommes bien meilleurs quand il s'agit de comprendre la maladie. Nous devrions peut-être envisager une stratégie de réduction de la maladie au niveau de la population.

La santé de la population, ou la réduction de la maladie, nécessitent du temps et de l'argent, comme l'a dit Mme Beattie-Huggan. Les postes budgétaires doivent être adaptés pour tenir compte de ces priorités qui nous paraissent importantes, et il faut du temps pour que de telles initiatives parviennent aux résultats et aux objectifs souhaités. Il est important d'avoir ces résultats et ces objectifs, et la santé de la population a, dans de nombreuses administrations, mais pas nécessairement à l'Île-du-Prince-Édouard, souffert de l'absence de tels objectifs. Comme Mme Beattie-Huggan l'a également dit, les calendriers de telles initiatives coïncident rarement avec le cycle électoral. Une politique de santé de la population, ou une politique de réduction de la maladie, puisque je m'en tiens à l'expression que je préfère, nécessitent de disposer d'un délai raisonnable pour se préparer. Il faut informer tous les groupes intéressés avant d'adopter des objectifs précis de politique pour obtenir l'adhésion et la compréhension de ce que nous essayons de faire pour améliorer la santé ou réduire la maladie, le tout pour améliorer le sort de la population. Je ne crois pas que quelque administration que je connaisse ait consacré suffisamment de temps à ce travail préparatoire, tout simplement parce que les gens veulent aller de l'avant, ce qui se comprend.

Ce que l'expérience de l'Île-du-Prince-Édouard m'a révélé, tout comme le travail que j'ai fait depuis, essentiellement au niveau local, est qu'il est très important de désigner des organismes responsables, des champions et des partenaires dans toute entreprise pour réduire la maladie ou améliorer la santé, mais de qui devrait-il s'agit? Cela doit-il être le ministère de la Santé? Cela peut-il être quelqu'un d'autre? Quelle devrait être la relation entre le ministère de la Santé et les autres ministères? Ces partenariats peuvent-ils prendre une forme officielle avec la conclusion d'ententes? Quel est le rôle des politiques et du Cabinet en la matière? En d'autres termes, qui devrait être le champion de telles initiatives? Quel ministère, quel organisme, quel niveau, quelles fonctions? Il se peut, au fur et à mesure que la politique en la matière progresse, qu'il faille changer de champion ou avoir un champion à plusieurs têtes.

Teresa Hennebery, sous-ministre adjointe, Secteur opérationnel, ministère de la Santé de l'Île-du-Prince-Édouard : Je vous remercie de m'avoir invitée à venir vous parler aujourd'hui. Le sénateur Keon a indiqué précédemment que nous avons disposé de peu de temps pour nous préparer, et c'est exact. Je vais m'éloigner légèrement des notes que je vous ai remises plus tôt, pas beaucoup, mais dans une certaine mesure, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Je suis très honoré de vous entretenir aujourd'hui de la santé de la population dans notre province de l'Île-du-Prince- Édouard. Lorsque je préparais cet exposé, le personnel attaché à ce comité a souhaité que je m'attarde aux réformes en matière de santé en relation avec la santé de la population.

Je terminerai mes commentaires en soulignant trois aspects de la santé de la population qui m`apparaissent nécessiter qu'on y prête attention au niveau national. Je ne crois pas que cette question soit strictement une question provinciale. Il me semble qu'il y a de nombreuses initiatives qui peuvent et doivent être prises par le Canada, comme pays.

Avant de commencer, j'aimerais préciser ce qui suit. Les commentaires que je formule aujourd'hui tiennent compte de mon expérience personnelle et des observations que j'ai pu faire tout au long de ma carrière en soins de la santé dans diverses provinces et administrations, à divers postes et dans diverses structures organisationnelles dont je vais vous parler.

Je ne défends aucune solution magique ni réforme parfaite de la santé pour résoudre les problèmes posés par la santé de la population. Je ne crois pas qu'il y en ait. Il me semble plutôt que, au cours des 15 dernières années, on a accumulé à l'Île-du-Prince-Édouard tout un ensemble de connaissances, qu'on a tenté de mettre en œuvre plusieurs approches et qu'on en a tiré diverses leçons.

C'est en ayant cela à l'esprit que je vais vous parler de mon expérience et de mes observations plutôt que de défendre directement une orientation et une position précises en matière de politique du gouvernement de l'Île-du-Prince- Édouard.

Au tout début de ma carrière d'infirmière, pendant la seconde moitié des années 1980, j'ai eu l'occasion et le privilège de travailler dans des postes de soins infirmiers éloignés, dans de petites collectivités des Territoires du Nord- Ouest, pendant quelques années. Il est arrivé fréquemment que je sois la seule infirmière et le seul prestataire de soins de santé dans ces collectivités.

Originaire des régions rurales de l'Île-du-Prince-Édouard, je n'ai pu qu'être choqué par les conditions sociales est sanitaires que j'ai vues dans ces collectivités. J'y ai acquis une expérience de première main avec les dures réalités des divers niveaux d'état de santé et avec certains leviers disponibles pour atténuer les disparités en matière de santé et améliorer la santé de la population.

Après avoir été directrice générale d'un important service de santé dans le sud de l'Alberta, j'ai eu l'occasion de revenir chez moi, à l'Île-du-Prince-Édouard, en 1995. Depuis lors, j'ai assumé diverses fonctions dans notre système de santé, essentiellement dans le domaine des soins à domicile, de la promotion de la santé et de la santé publique. J'ai été nommé au poste que j'occupe actuellement en septembre de cette année.

L'Île-du-Prince-Édouard a accumulé par le passé une vaste expérience en réorganisations et en réformes des soins de santé. Notre système de services sociaux et de santé a connu quatre mutations importantes au cours des 15 dernières années. La première est survenue en 1993-1994, suivie d'une autre en 1996-1997, et d'une autre encore en 2002, et enfin de la plus récente remonte à 2005. Chacune visait à atteindre des objectifs précis et à améliorer les services fournis aux îliens et la santé d'ensemble de la population.

Ma collègue, Patsy Beattie-Huggan, a traité de la réorganisation du système de santé survenue en 1993-1994. Je ne travaillais pas dans la province à cette époque, et je vais donc faire porter mes réflexions sur les trois derniers changements organisationnels qui ont eu lieu.

En 1996-1997, à la suite d'un changement de gouvernement, la Health and Community Services Agency, à laquelle j'ai fait allusion précédemment, a été fusionnée avec Health and Social Services. Si le rôle du ministère a passablement évolué à cette époque, la structure régionale est restée la même et nous avions alors cinq régies régionales de santé dans la province.

Dans le cadre de cette structure, il incombait au ministère de fixer les orientations de politique et de donner des conseils et de l'aide aux cinq régies régionales. Chacune avait son propre conseil d'administration avec une équipe de dirigeants responsables de la mise en œuvre de toute une gamme de services sociaux et de santé dans la région qu'ils desservaient. Le premier dirigeant de la région était nommé par le ministre, mais rendait également des comptes à son conseil d'administration.

Cette structure régionalisée a permis d'obtenir un certain nombre de gains. Il y a manifestement eu des améliorations dans l'intégration des services sociaux et de santé au niveau communautaire. Les conseils d'administration constituent un moyen efficace pour permettre au public de contribuer à la planification, à l'élaboration des politiques et à la répartition des ressources dans le système de santé.

La coordination entre les divers secteurs, comme l'éducation, s'est améliorée aux niveaux local, régional et provincial avec cette structure. En théorie, les autorités sanitaires étaient bien positionnées pour réaffecter les ressources afin de venir en aide aux programmes de type communautaire, pour s'attaquer aux déterminants de la santé et pour améliorer la santé globale de la population.

Toutefois, les résultats n'ont pas été à la hauteur des attentes. En réalité, on pourrait même dire que c'est l'inverse qui s'est produit. À cette époque, comme mes collègues y ont fait allusion, le système des soins de santé, et en particulier de soins impératifs, était soumis à des pressions financières importantes. Celles-ci ont drainé les ressources des autres secteurs du système de services sociaux et de santé parce que c'est tout ce que permettait la masse monétaire disponible.

C'est ainsi que les économies qu'il était éventuellement possible de réaliser dans le domaine de l'aide financière n'étaient pas automatiquement réinvesties dans le programme ou dans un autre domaine de politique sociale et qu'elles étaient souvent versées simplement dans le budget général de la santé pour couvrir l'ensemble des dépenses de santé de la région.

On a également constaté un certain nombre de défis administratifs et de coordination liés à la structure régionale. C'est ainsi qu'il était très difficile de préciser les rôles et les responsabilités du ministère vis-à-vis des régions. Pour une petite province, notre système était très bureaucratique et le processus de prise de décisions très lourd. Parmi ces défis, ceux qui sont apparus comme les plus pressants étaient la responsabilité publique envers la qualité du service et le pouvoir de prendre des décisions pour affecter et réaffecter les ressources.

Sur papier, les régies étaient responsables de la qualité des services au sein de leur région et avaient le pouvoir de prendre les décisions de répartition des ressources. En réalité, et dans l'esprit du public, le dernier responsable de la prestation des services restait le ministre. Sur l'Île-du-Prince-Édouard, ce niveau de responsabilité est très personnel. Les îliens aiment avoir facilement accès aux politiciens, y compris au ministre responsable des services sociaux et de santé. Dans la pratique, cela signifie que les régies n'étaient pas responsables des déficits budgétaires et, à l'effet inverse si le conseil disposait d'un surplus, elles ne pouvaient le conserver pour le réinvestir dans ces programmes.

Outre les efforts aux niveaux locaux relevant des autorités régionales, il y a eu un certain nombre d'initiatives heureuses au niveau du système. Je vais parler brièvement d'un cas de réussite, la Healthy Living Strategy. En 2003, la province a lancé cette stratégie. Elle mettait l'accent sur les facteurs communs de risque qui contribuent aux maladies chroniques, soit précisément le tabagisme, l'alimentation et l'activité physique.

La stratégie retenait une approche réelle de collaboration impliquant divers paliers de gouvernement, toute une gamme de ministères du gouvernement, dont ceux de la Santé et des Services sociaux, de l'Éducation, des Affaires culturelles et communautaires et du Travail, sans oublier celui de la Justice. Elle impliquait également un certain nombre d'organismes communautaires et de municipalités de notre province.

Cette stratégie a donné un mécanisme pour faciliter une approche concertée et impliquant de multiples partenaires pour réduire les facteurs de risque des maladies chroniques dans notre province. Pour illustrer le fonctionnement de l'approche concertée, je vais vous parler brièvement de l'élément de réduction du tabagisme de cette stratégie.

L'approche retenue pour la réduction du tabagisme faisait appel à de vastes efforts d'éducation publique et de marketing social, des programmes d'aide pour cesser de fumer, une législation mettant l'accent sur l'interdiction de fumer dans certains endroits, l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs, ainsi qu'un affichage très frappant des interdictions et des restrictions de vente de tabac aux points de vente.

Ces efforts ont été coordonnés dans le cadre de la Prince Edward Island Tobacco Reduction Alliance. Comme pour la stratégie globale, la Tobacco Reduction Alliance a adopté une approche de partenariat regroupant le gouvernement, les régies régionales de la santé et les collectivités. Les résultats parlent d'eux-mêmes. Sur l'Île-du-Prince-Édouard, le nombre de personnes fumant a diminué de 26 p. 100 en 2000 à 20 p. 100 en 2005. Encore plus impressionnant, le pourcentage de jeunes fumant a diminué de 17 p. 100 en 2004 à 13 p. 100 en 2005.

Il est bien évident que les provinces seront poussées à obtenir des réductions additionnelles dans le domaine du tabagisme. Je crois savoir que la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme vise à réduire la prévalence de ce fléau de 10 p. 100 au Canada.

Toujours au sujet du tabagisme, il me paraît important de rappeler qu'il y a eu, dans notre province, un changement de culture. Il est manifeste que la consommation de tabac est moins bien tolérée, à la fois dans la sphère publique et dans la sphère privée alors que les habitants de l'Île peuvent avoir à souffrir de la fumée secondaire.

En 2002, notre système de services sociaux et de santé a connu une autre réorganisation. Celle-ci s'est traduite par la fusion des deux hôpitaux de la province et de certains services spécialisés qui ont dès lors relevé des services de santé de la province. Les deux régions sanitaires de l'Est de la province ont été amalgamées pour constituer la Kings Health Region. Des modifications structurelles mineures ont également été apportées au ministère de la Santé et des Services sociaux. Ces modifications visaient à centrer la planification sur la prestation des soins impératifs et des services spécialisés connexes dans un cadre fédéral afin d'améliorer l'efficience et l'efficacité, permettant ainsi aux régions sanitaires de mettre l'accent sur l'intégration des services communautaires au niveau de la collectivité.

Dans ce domaine aussi, on a observé des réussites et des difficultés. C'est ainsi que les deux hôpitaux provinciaux assurant des soins impératifs s'étaient dotés depuis longtemps de leur propre identité, de leur culture, de leurs normes et de leurs façons de travailler. Toutefois, avec le temps, on a constaté une intégration et une coordination et des équipes de qualité des deux établissements ont été mises sur pied.

Les prestataires de services de première ligne ont commencé à réaliser les avantages de l'intégration et de la collaboration entre ces deux hôpitaux. Les autorités sanitaires régionales ont été libérées de la responsabilité de la gestion des soins impératifs et des services spécialisés de la province et ont pu consacrer plus de temps et d'efforts à l'intégration des services communautaires, allant de l'avant dans la mise sur pied de centres de santé de la famille qui constituent un volet important de la santé primaire et qui favorisent le bien-être général et la santé de la population.

Si cette organisation présentait un certain nombre d'avantages, les problèmes liés à la bureaucratie n'étaient pas résolus pour autant. Nous continuions à avoir pour l'essentiel cinq régies régionales et un ministère. La définition du rôle de chacun continue à poser problème, et nous sommes toujours confrontés aux pressions financières et aux contraintes de coûts.

En 2005, la réorganisation importante la plus récente du système de santé et des services sociaux a été annoncée. Celle-ci s'est traduite par la mise en place d'une administration centrale de tous les services sociaux et de santé. Les quatre régions et l'administration régissant les deux hôpitaux et l'organisme provincial responsable des services de santé ont été fusionnés et le ministère de la Santé et des Services sociaux a été scindé en deux avec la création d'un ministère de la Santé et d'un ministère des Services sociaux et des Personnes âgées. Le rôle du ministère a changé de façon importante pour englober la responsabilité directe de la prestation de services.

Alors que régies régionales de la santé ont été éliminées, des conseils de type communautaire ont été mis sur pied pour chacun de nos quatre hôpitaux communautaires, conformément à la Community Hospitals Authorities Act. Il s'agissait d'améliorer l'efficience et de réduire les dédoublements et les dépenses publiques, tout en ayant des répercussions minimales sur la prestation de services de première ligne pour les îliens. Pendant ce processus, environ 140 postes de gestion administrative ont été éliminés de notre système, se traduisant par des économies de près de neuf millions de dollars.

Alors que cette nouvelle structure n'est en place que depuis fort peu de temps, puisqu'il faut rappeler que cela ne fait que deux ans, j'aimerais faire quelques observations. Elle a manifestement permis de simplifier la prise de décisions et de préciser que c'est le ministère de la Santé qui assume la responsabilité de la qualité des soins. Notre système fait une utilisation très parcimonieuse des fonctions de gestion et d'administration dans tous les secteurs, et en particulier dans certains de nos services ministériels.

La structure actuelle ne permet que peu de liens avec les collectivités et l'intégration des programmes et des services continue à être difficile. Il faut améliorer les mécanismes et en mettre en place de nouveaux pour faciliter les liens entre les systèmes dans les collectivités, et c'est là un besoin que nous avons répertorié.

Du point de vue des services sociaux, chacune des structures connaît ses propres difficultés et ses propres réussites. La structure régionale a fait apparaître et faciliter les possibilités d'une plus grande intégration et d'une meilleure collaboration. Toutefois, celles-ci ont été compensées dans une certaine mesure par l'urgence de la demande de soins impératifs et par l'intensité des ressources qu'elle nécessitait. Avec la nouvelle structure, le système des services sociaux est une entité distincte et peut se consacrer aux programmes sociaux et à la politique sociale.

Un autre problème est que l'accent mis sur les stratégies de santé de la population, comme celles visant particulièrement les enfants, les jeunes ou les personnes âgées, ne peut pas s'appliquer uniquement dans le cadre des responsabilités du ministère. C'est pourquoi des mécanismes sont mis en place pour améliorer la collaboration intersectorielle. C'est ainsi que, dans notre province, nous avons un comité au niveau des sous-ministres qui se consacre exclusivement à la politique sociale. Nous mettons également sur pied une stratégie de lutte contre la toxicomanie chez les jeunes dont la planification est intersectorielle.

Même si, dans notre province, nous avons eu divers types de structures pour administrer et gérer notre système de santé, je suis d'avis que la plupart de gens qui travaillent dans ce système reconnaîtraient qu'il n'y a pas de structure parfaite. En réalité, le déterminant le plus important de la réussite semble être de bonnes relations entre les gens et leur volonté de collaborer au-delà des limites organisationnelles et sectorielles, en étant motivés par les bonnes raisons, pour atteindre les résultats visés.

La recherche permanente de la structure qui convient a été coûteuse. Les réorganisations à répétition du système de santé dans notre province ont abouti à un certain manque de cohérence. Cela a eu des effets sur le personnel, comme on nous l'a dit précédemment. Cela a nui aux progrès dans certains domaines et nous avons perdu une partie de la mémoire et des connaissances de l'organisation.

Du fait des changements permanents dans notre système et de la tendance à accorder la priorité à la prestation des soins impératifs, au recrutement et au maintien en poste des professionnels de la santé, il s'est avéré difficile de jeter les bases des interventions en santé de la population et des stratégies de promotion de la santé. Dans le domaine de la promotion de la santé, nous avons eu tendance à adopter, pour nos programmes, une approche universelle par opposition à une approche ciblée.

Quant à la situation de la santé à Île-du-Prince-Édouard, nous obtenons de très bons résultats dans certains domaines et de moins bons dans d'autres. C'est ainsi que l'espérance de vie continue à augmenter. Le nombre de bébés de poids insuffisant à la naissance est bien inférieur à la moyenne canadienne dans notre province et nous avons obtenu des succès très importants dans la lutte contre le tabagisme. Toutefois, les taux d'obésité et de consommation d'alcool continuent à augmenter et le niveau d'activité physique est insuffisant. De la même façon, l'occurrence des principaux états chroniques est bien supérieure à la moyenne canadienne. Il faut ajouter à cela que 25 p. 100 de notre population n'a pas terminé ses études secondaires et que le revenu moyen à l'Île-du-Prince-Édouard est inférieur à la moyenne canadienne.

Toutefois, le bon côté des choses est que nous avons une répartition des revenus plus équitable que dans certaines autres provinces et que nous avons un niveau élevé de cohésion sociale.

J'aimerais maintenant faire quelques commentaires sur des domaines dans lesquels, à mon avis, nous avons besoin d'un leadership national en santé de la population. La totalité de mes suggestions vise les stratégies destinées aux enfants.

Tout d'abord, la pauvreté infantile nécessite la recherche d'une solution au niveau national. Les données récentes de Statistique Canada révèlent qu'environ 800 000 enfants, soit près de 12 p. 100 des enfants canadiens vivent dans la pauvreté. J'invite les membres de ce comité à se pencher sur la réussite que nous avons obtenue au Canada pour réduire la pauvreté chez les personnes âgées, et à examiner si certaines des stratégies qui ont réussi dans ce domaine pourraient servir à atténuer la pauvreté chez les enfants canadiens. On sait fort bien qu'un revenu familial suffisant contribue chez les enfants, en particulier au cours de leurs premières années, à leur permettre d'obtenir de bons résultats par la suite.

En second lieu, un programme de portée vraiment nationale d'éducation et de soins de la petite enfance aurait des retombées importantes dans le domaine de la santé de la population. Les spécialistes conviennent que la qualité des soins accordés aux enfants est fonction de trois caractéristiques : un faible ratio enfants-adulte, un personnel hautement scolarisé ayant suivi une formation spéciale et des équipements et des installations adaptés à l'âge des enfants. Il en découle que les enfants des ménages à faibles revenus sont ceux qui profitent le plus de soins de qualité aux enfants. Actuellement, chaque province et chaque territoire a sa propre approche à l'éducation de la petite enfance, et ces approches varient énormément d'une province ou d'un territoire à l'autre.

Enfin, j'aimerais inciter le comité à envisager de formuler des observations sur les stratégies qui sont réputées pour réduire l'obésité chez les enfants, comme l'augmentation de l'allaitement maternel, l'activité physique régulière dans les écoles et des programmes complets de santé scolaire.

Je vous remercie de m'avoir fourni cette occasion et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : J'aimerais donner la parole en premier au sénateur Callbeck, mais la tradition veut que le président pose la première question, et je vais donc vous en poser une à laquelle vous pourrez tous trois répondre, si vous le désirez.

Avez-vous observé, depuis 1993, une réduction des iniquités dans le domaine de la santé sur l'Île. Il y a certainement des personnes riches et des personnes pauvres sur l'Île, ainsi que des personnes en bonne santé et en moins bonne santé. Pouvez-vous pointer du doigt des preuves de la réduction des iniquités en matière de santé.

Mme Hennebery : Nous savons qu'il y a des domaines dans lesquels l'état de la santé s'améliore, de façon générale. Nous savons également que dans d'autres, c'est l'inverse.

Nous n'avons pas beaucoup de données à Île-du-Prince-Édouard qui fassent la distinction entre des catégories de population, par exemple par niveaux de revenu. Nous dépendons beaucoup pour cela de Statistique Canada. Cet organisme constitue, à mon avis, un atout précieux pour ce pays. Ils ont d'excellents mécanismes de collecte de données et une grande crédibilité auprès du public canadien. En partie à cause de notre petite taille, nous n'avons pas analysé par le passé les données sur la santé en fonction de divers déterminants, comme l'éducation, les revenus ou la situation sociale.

Le président : Outre Statistique Canada, vous servez-vous actuellement des données de l'ICIS?

Mme Hennebery : Oui, tout à fait. Une bonne partie des renseignements qui nous sont fournis par l'ICIS proviennent de données qui leur sont transmises. Ils ne procèdent pas eux-mêmes à beaucoup de sondages sur la population. Pour l'essentiel, c'est le domaine réservé de Statistique Canada. J'aurais tort si je ne précisais pas que nous dépendons fortement de l'ICIS, un autre atout précieux.

Le président : Il est rafraîchissant d'entendre parler de certaines de vos réalisations au niveau communautaire. À ce niveau, êtes-vous parvenus à assurer des liens entre les ressources en santé et les autres déterminants importants de la santé? Le système de soins de la santé est un système, alors que nous pouvons dire, j'imagine, qu'il y en a 12 ou 15. Disons qu'il y en a 12 qui sont importants. Êtes-vous parvenus à instaurer des liens entre le système de santé et les autres déterminants au niveau de la collectivité?

Mme Beattie-Huggan : Certains projets y sont parvenus en utilisant des techniques de cartographie. À ce qu'on me dit, le Early Years, UEY, est l'un d'eux. Ce projet se penche sur les enfants. En ce qui concerne les iniquités dans le domaine de la santé en regard de la situation des revenus et de la santé, l'UEY a constaté que notre sentiment de cohésion sociale sur l'Île l'a emporté sur ce qui pourrait avoir, dans d'autres cas, été perçu comme de la pauvreté. Les gens aux revenus inférieurs étaient encore en meilleure santé à cause de la cohésion sociale. Cela découle de ce projet. Ils ont pu instaurer des liens entre certains déterminants quand ils ont étudié la situation des enfants en regard à ces questions.

Au Canada atlantique, des initiatives s'efforcent de créer ce qu'elles appellent des comptes communautaires. C'est ce qu'a fait Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse est en train de le faire et y consacrera davantage d'efforts. Cela semble être un outil très précieux pour aller précisément au niveau communautaire et examiner les déterminants.

L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés, au Canada atlantique, est que les recherches de portée nationale ne nous fournissent pas souvent les éléments dont nous avons besoin au niveau local parce que la taille des échantillons y est trop petite. Nous obtenons des descriptions générales. Mon mari, qui s'occupe d'éducation physique, est fâché parce que ce type de résultat dit que nos niveaux d'activité physique sont inférieurs à ceux du reste du pays. Toutefois, les recherches faites au niveau local nous disent que ce n'est pas nécessairement le cas. Cela tient à notre place à l'échelle nationale. Nous devons étudier ces questions d'un point de vue plus précis.

Le profil que je vous ai remis porte sur le Canada atlantique. Le groupe de Terre-Neuve travaille à élaborer un ensemble de comptes pour le Canada atlantique. Ils les ont préparés. Ils ont maintenant simplement besoin des ressources pour les alimenter en données. Là où les provinces décident d'aller dans ce sens et disposent de plus de ressources, cela se fait. Le Centre national de prévention du crime fournissait certaines ressources pour collecter des données sur la criminalité des jeunes, des jeunes vivant dans le Canada atlantique. À l'Île-du-Prince-Édouard, et c'est pourquoi nous avons certains problèmes avec les jeunes, nos jeunes scolarisés quittent la province parce que nous n'avons pas d'emplois pour les garder sur place. Nombre des jeunes qui restent n'ont pas cette possibilité. Il se peut aussi qu'ils n'aient pas les compétences pour aller se chercher du travail dans l'Ouest, en Alberta, mais surtout il n'y a pas d'emplois de disponibles chez nous pour les garder. Nous observons une hausse des délits mineurs à cause de cela, et en particulier du fait de la consommation de médicaments d'ordonnance, dans toutes les provinces du Canada atlantique.

Nos collègues de l'Université Memorial à Terre-Neuve répètent que nous devons commencer à nous pencher sur la collectivité et faire ce qu'il faut pour obtenir l'information à ce niveau. Nous devons comprendre l'évolution démographique et ce qui se passe au Canada atlantique. Pour moi, c'est davantage une question de prise de conscience que de quoi que ce soit d'autre. Il y a un lien avec la sécurité, là où la cartographie est faite. En analysant les niveaux élevés de maladies chroniques, vous allez constater que la pauvreté est élevée, tout comme les taux de blessures et de criminalité. Nous ne pouvons pas nous contenter de parler de santé en termes de maladie. Nous devons envisager la santé comme quelque chose de plus large que cela et que tous les déterminants. Nous avons beaucoup de travail à faire à l'Île-du-Prince-Édouard parce que nous sommes la plus petite des provinces atlantiques et qu'il faudra faire des investissements pour disposer des ressources nécessaires pour créer ces comptes.

M. Eyles : J'aimerais ajouter un élément qui, malheureusement, n'est pas une réponse de l'Île-du-Prince-Édouard. Il y a eu plusieurs tentatives pour faire le lien avec les déterminants sociaux. Nous avons essayé de le faire pour diverses collectivités, à Hamilton, par exemple, ce qui n'est pas à l'ordre du jour de ce comité aujourd'hui, je le sais. Toutefois, ces efforts dépendent de la disponibilité des données. Ils dépendent également des résultats en matière de santé auxquels vous vous intéressez. Cela me ramène à ce que j'ai dit antérieurement sur la façon de définir soigneusement les objectifs. Quand vous obtenez une mesure des troubles émotifs, vous obtenez plusieurs déterminants sociaux qui sont importants. Quand vous obtenez une mesure de l'absence ou de la présence d'un état chronique, vous obtenez divers déterminants qui sont importants, comme vous pouvez vous y attendre.

Le sénateur Callbeck : C'est là une réunion fort intéressante. Nous avons appris beaucoup de choses sur la réforme de la santé à l'Île-du-Prince-Édouard. Il y a eu des réussites et des problèmes.

Ma première question porte sur le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé de la population ou, comme l'a dit le docteur, la réduction de la maladie qui peut être un terme plus facilement compréhensible. Nous avons maintenant une mosaïque de programmes partout au Canada. Chaque province agit à sa façon. La santé de la population, comme vous le dites, n'est pas une notion vraiment bien comprise. Pour beaucoup de gens, la santé évoque encore les médecins et les hôpitaux. Même au sein du système, il y a des gens qui ont des opinions très différentes sur l'importance de la santé de la population.

Il faut beaucoup de temps pour changer les attitudes et faire évoluer la réflexion. Vous avez évoqué la campagne contre le tabagisme, qui a pris 20 ou 30 ans. Si vous remontez 30 ans en arrière, il aurait probablement été impensable d'imaginer que nous parviendrions à une situation dans laquelle il est interdit de fumer dans les lieux publics. Toutefois, cela s'est produit. Quand le gouvernement fédéral a embarqué, la campagne contre le tabagisme a vraiment décollé. Cette campagne a appris non seulement aux gens qu'ils se tuaient à petit feu, mais aussi qu'ils nuisaient à d'autres personnes.

Mme Hennebery, vous avez parlé de la campagne menée sur l'Île-du-Prince-Édouard. Je vous félicite pour les résultats que vous avez obtenus. Je crois que si le gouvernement fédéral ne s'était pas impliqué, vous n'auriez pas obtenu les résultats que nous voyons aujourd'hui dans la lutte contre le tabagisme.

Je crois que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans la santé de la population. Il me paraît très difficile que chaque province agisse par elle-même. Elles ont besoin du leadership et de l'aide du gouvernement fédéral.

Mme Hennebery, vous avez laissé entendre dans votre mémoire qu'il faut exercer un leadership national dans certains domaines de la santé de la population. Avez-vous des suggestions à formuler quant aux priorités, ou pensez- vous que le gouvernement fédéral devrait avoir une stratégie d'ensemble pour la santé de la population? Vous pouvez répondre en premier et nous entendrons les commentaires des autres personnes ensuite.

Mme Hennebery : Je suis d'accord avec ce que vous dites dans le cas du tabac. Le gouvernement fédéral a exercé le leadership dans ce domaine. Je peux certainement parler de ce qui s'est passé dans notre province. Nous avons profité de ce leadership. Notre stratégie en la matière s'est inspirée de la Stratégie de lutte contre le tabagisme.

On peut faire plus au niveau national. J'ai cerné des domaines dans lesquels, à mon avis, on pourrait faire quelque chose, par exemple, celui de la pauvreté des enfants. Nous avons obtenu d'excellents résultats en réduisant la pauvreté chez les personnes âgées. Nous ne sommes pas parvenus aux mêmes résultats pour les enfants pauvres. Nous disposons dans notre pays d'un modèle que nous pouvons suivre pour améliorer la santé des enfants canadiens et de leurs familles.

J'imagine que si quelqu'un de Santé Canada ou de l'Agence de santé publique du Canada était présent ici aujourd'hui, cette personne pourrait dire qu'il ne leur incombe pas d'élaborer une stratégie nationale de santé de la population, et ce pourrait fort bien être exact. Toutefois, je ne crois pas que cela devrait empêcher le gouvernement fédéral d'assumer un rôle de leader dans certains domaines quand il dispose de leviers de politique pour agir.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais savoir ce que les autres ont à dire sur ce sujet.

Mme Beattie-Huggan : Je crois que c'est très important. Si je le dis, c'est que nous avons eu des projets financés dans tout le Canada au cas par cas. Les organismes doivent demander des fonds tous les trois ans, peut-être. Les conditions du financement peuvent changer. Une année, il pourrait s'agir du Fonds pour la santé de la population. Je vais en donner un exemple.

Il y a un centre de ressources familiales à Charlottetown qui a été financé au début par Santé Canada. Il porte un nom différent maintenant. Son objectif était de promouvoir la santé des jeunes enfants. Par la suite, le même programme a été financé par le Centre national de prévention du crime, parce que les causes profondes de la criminalité et les déterminants de la santé sont en réalité une seule et même chose. Donc, les investissements en prévention du crime dans le cadre du développement social sont bien allés au même centre, mais la source du financement de celui-ci a tout simplement changé parce que l'argent se trouvait ailleurs.

Il y a dans la collectivité des organismes et des infrastructures qui peuvent mettre en œuvre des programmes, mais je dirais qu'ils dépensent au moins 50 p. 100 de leur temps à chercher de l'argent pour pouvoir continuer à mettre en œuvre leurs programmes. Cela dépend de l'origine des fonds et de ce qui change.

Le Centre national de prévention du crime ne finance plus ces programmes parce que ses priorités ont changé et qu'il s'intéresse dorénavant aux jeunes à risque. Le Programme d'action communautaire pour les enfants, PACE, soulève actuellement des craintes importantes. Il s'agit d'un programme national financé à travers le pays par l'intermédiaire de l'Agence de santé publique du Canada. Les intervenants craignent que les fonds destinés à la santé de la population ne soient pas renouvelés et qu'il n'y ait plus de financement disponible pour ce programme d'interventions rapides.

Si nous sommes donc convaincus que nos jeunes constituent des atouts précieux, qu'ils sont notre avenir, le leadership doit venir de quelque part. Je suis d'accord avec Mme Hennebery sur ce sujet. Nous devons trouver des façons d'appuyer les gens qui essaient de mettre en œuvre des programmes et les aider à continuer à les appliquer.

En ce qui concerne la portée nationale, je ne connais pas d'autre solution. Actuellement, étant donné la façon dont les systèmes de santé sont organisés, cela déclenche des luttes pour obtenir des budgets, comme ce fut le cas pour les soins impératifs. Je suis sûre que vous en avez entendu parler. Je ne crois pas qu'il en aille différemment à l'Île-du- Prince-Édouard.

M. Eyles : Je suis d'accord avec vous. Il y a un rôle pour le leadership du gouvernement fédéral. Je crois que le gouvernement fédéral exerce déjà un leadership dans ce domaine. Il prend diverses formes. Mme Hennebery a fait allusion aux travaux de Santé Canada et de l'Agence de santé publique du Canada sur les déterminants sociaux et sur la santé de la population.

Je crois qu'il y a place pour un leadership fédéral, mais dans d'autres domaines. Cela nous permet d'en obtenir plus pour notre argent. Il y a une stratégie du diabète qui est en cours de préparation.

Il se peut que le rôle des leaders du gouvernement fédéral soit de faire connaître les pratiques exemplaires entre les provinces. En Ontario, il y a un très bon document, qui a maintenant 10 ou 12 ans, sur la prévention primaire du cancer. Il existe d'excellents outils que nous pourrions utiliser pour nous aider à obtenir des résultats précis ou des réductions, si vous préférez. Le gouvernement fédéral pourrait faire le lien entre eux, mais il faut une stratégie pour travailler de cette façon à un endroit et d'une autre façon à un autre endroit. C'est là un rôle très important en matière de leadership.

Mme Hennebery : D'un point de vue provincial, il est important que tout engagement pris par le gouvernement fédéral soit permanent et qu'il ne s'agisse pas uniquement d'un financement de deux ou trois ans, au bout duquel la province est laissée à elle-même. Le gouvernement fédéral a exercé un leadership excellent dans ce domaine. Malheureusement, il est limité dans le temps. Actuellement, les provinces sont laissées à elles-mêmes dans une situation difficile puisqu'elles doivent trouver l'argent pour continuer à mettre en œuvre des programmes qui ont été mis sur pied au départ dans le cadre d'engagements du gouvernement fédéral.

Mme Beattie-Huggan : En ce qui concerne le leadership fédéral, le Canada est perçu à travers le monde comme un leader en promotion de la santé. La Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé est citée dans pratiquement tous les documents sur cette question que vous pouvez trouver. La santé de la population est un excellent objectif et se révèle une très bonne approche, mais nous disposons également des stratégies préparées dans le cadre de la Charte d'Ottawa qui peuvent servir de guide à la mise sur pied d'une initiative au niveau national.

Pensez au tabac. Lorsqu'on se contentait de faire de l'éducation en matière de santé et de cibler les personnes, les effets étaient négligeables. Toutefois, lorsque des stratégies multiples, s'appuyant entre autres sur l'action communautaire, sur l'adoption de politiques publiques sur la santé et visant à instaurer un contexte favorable ont été utilisées, nous avons vu les choses changer.

Nous savons comment faire. Nous sommes perçus comme des leaders, mais les gens se demandent pourquoi le Canada ne va pas de l'avant. Il est temps d'utilise concrètement ces connaissances.

Le sénateur Callbeck : Comme nous l'avons dit, il faut certainement de nombreuses années pour mettre en œuvre des initiatives de santé de la population. Nous venons d'évoquer la campagne de lutte contre le tabagisme, qui a pris de 20 à 30 ans. Comme vous le savez, les gouvernements ont un horizon de quatre ans. Il est donc très difficile de voir les résultats de la réforme de la population dans un tel délai.

Comment parvenir à persuader les gens, pas seulement le public, mais les gens au sein du système, qu'une population en santé vaut mieux pour tous à long terme? Comment y parvenir en une période de temps relativement courte? Comme je l'ai indiqué, les gouvernements ont un horizon de quatre ans et il faut attendre si longtemps pour voir les résultats du point de vue de la santé de la population. Avez-vous des conseils à nous donner dans ce domaine?

M. Eyles : Il ne s'agit pas de conseils, mais simplement de commentaires.

À mon avis, il y a trois intervenants importants dans l'élaboration d'une politique de la santé : le gouvernement, le public et les prestataires de services. Quand il y en a deux qui se mettent d'accord contre le troisième, vous avez gagné.

La facturation additionnelle a été rejetée en Ontario pendant les années 1980, parce que le public était de l'avis du gouvernement sur cette question. En utilisant cela comme un exemple de ce système à trois facettes, je crois qu'il s'agit essentiellement d'éducation ou de besoin, en particulier avec le public.

Nous avons parlé auparavant de la difficulté de prendre réellement en compte les déterminants sociaux. Il faut peut- être faire de l'éducation petit à petit. Je n'en suis pas certain, mais je crois que la réponse suppose d'amener le public à prendre conscience qu'il pourrait être en meilleure santé et que son bien-être général pourrait s'améliorer. Il est également important d'impliquer les prestataires de services ou de soins pour qu'ils comprennent que les soins de la santé vont bien au-delà des soins tout seul.

Le sénateur Callbeck : Il faut tellement de temps pour changer ces attitudes.

M. Eyles : Vous avez certainement raison, le chemin à parcourir est long. Votre exemple du tabagisme était parfait. Je crois que la Stratégie canadienne sur le diabète nécessitera, elle aussi, de 20 à 30 ans avant de pouvoir observer une inversion dans l'évolution des chiffres.

Mme Beattie-Huggan : Nous avons observé un phénomène intéressant en Irlande lorsque la paix est apparue possible. Le Public Health Institute of Ireland a été mis sur pied pour s'intéresser à la situation dans les deux parties de l'île, le Nord et le Sud. Cela revient à faire travailler ensemble deux pays qui se disent qu'il faut pouvoir examiner la santé de la population de toute l'Irlande. Cet organisme n'est pas uniquement un institut de recherche. Il a pour mandat de réduire les iniquités dans le domaine de la santé, de formuler de conseils sur les politiques et d'être un chien de garde des programmes. Cet institut ne s'inscrit pas dans le processus politique, et il dispose d'un financement à long terme pour assurer son existence.

Pour qu'une initiative dont l'horizon va au-delà du cycle politique de quatre ans ne soit pas menacée de disparition à chaque fois qu'il y a élection ou que la mode change, comment faut-il s'y prendre pour la doter d'un moyen d'assurer son leadership sur une période de 20 à 30 ans? En réfléchissant à cette question, le modèle irlandais m'est venu à l'esprit, en même temps que les réalisations auxquelles ces gens sont parvenus.

J'essaie ici de décloisonner. Il vaut mieux peut-être faire appel à un organisme existant. Le Sénat est là. Ils ne vont pas vous renvoyer après la prochaine élection! Comment se doter d'un organisme qui a, de quelque façon que ce soit, de la crédibilité et du dynamisme et qui est en mesure d'assurer le leadership au cours de cette période? Ce ne sont là que deux réflexions en la matière.

Mme Hennebery : Vous posez la question à un million de dollars à laquelle de nombreuses personnes aimeraient avoir la réponse. Je ne crois pas qu'il y ait une seule réponse.

Je me suis souvent demandée de quoi aurait l'air notre système de santé si nous avions des objectifs nationaux en la matière qui aient vraiment un sens, qui ne soient pas si larges ni si flous qu'on peut leur faire dire n'importe quoi et si le gouvernement fédéral, comme toutes les autres administrations, s'engageait à les appliquer.

Je crois qu'une personne raisonnable conclurait que le système de santé, dans sa forme actuelle, sera difficile à conserver à l'avenir d'un point de vue financier, et de celui des prestataires de services. Je ne sais pas quand cela se produira ni sous quelle forme, mais je sais que quelque chose va arriver à l'avenir. Il y aura un point de non-retour qui permettra de ramener la priorité sur la cause essentielle des maladies.

Le président : Je ne saurais dire mieux. Je suis tout à fait d'accord avec vous et je suis convaincu que nous aurons alors des objectifs de santé. J'ignore combien de temps cela prendra, mais cela se fera sur la base de la santé de la population.

Lorsque nous aurons défini le cadre qui convient pour l'information sur la santé de la population, que nous aurons cerné les iniquités et que nous parviendrons à mesurer l'importance des corrections à apporter, le gouvernement n'aura d'autre choix. La cause est réglée d'avance. Il faudra parvenir à l'équité en santé. La conscience sociale de notre pays va l'exiger.

Le sénateur Eggleton : Merci d'être parmi nous et du rôle que vous jouez comme agent de changement à l'Île-du- Prince-Édouard. Ce commentaire devrait s'adresser également au sénateur Callbeck, parce que l'ancien ministre et premier ministre de l'Île qu'elle est, a contribué à ces changements.

Le sujet qui nous intéresse est la santé de la population. J'ai surtout entendu des réflexions sur le système de soins de santé. Quand on en vient à la santé de la population, il y a de nombreux autres éléments, et certains ont été évoqués.

Vers la fin de votre exposé, Mme Hennebery, vous avez parlé des enfants vivant dans la pauvreté, de l'éducation de la petite enfance et de l'obésité des enfants. Les déterminants sociaux de la santé ont une large portée : éducation, pauvreté, logement décent, emploi. Le gouvernement de l'Île s'intéresse-t-il à ces aspects dans le cadre de sa stratégie de santé de la population ou chaque sujet est-il abordé de façon indépendante et distincte? Y a-t-il une coordination entre tous ces déterminants sociaux de la santé qui concernent la santé de la population, ou est-ce un sujet sur lequel le gouvernement de l'Île travaille encore?

Mme Hennebery : Nous n'avons pas de stratégie de santé de la population en soi. Reconnaît-on les déterminants de la santé et leur importance? Oui, nous faisons le lien avec les programmes et les services dans de nombreux domaines, mais nous n'avons pas encore élaboré une stratégie complète de santé de la population.

Mme Beattie-Huggan : Quand les régions fonctionnaient réellement comme des régies, même s'il y avait des problèmes de budget et de demandes de soins impératifs, si vous examinez le cercle de santé, qui a réellement été élaboré à l'Île-du-Prince-Édouard à partir de son expérience, et que vous examinez l'anneau bleu et que vous vous demandez ce que ces gens essayent de faire pour résoudre ces problèmes, sachez qu'ils s'assuraient qu'il y avait bien autour de la table des partenaires de chacun des secteurs concernés pour discuter du problème. Ces secteurs collaboraient quand les choses se décidaient au niveau régional. Ce fut l'une des réussites d'une organisation au niveau régional.

Sur l'anneau bleu, ils travaillaient avec des personnes, des familles, des collectivités, tous les membres de la population, et ils s'efforçaient de parvenir à l'équilibre dans la vie des personnes. À l'époque, on s'efforçait d'aller au- delà de la santé physique, parce que les programmes sociaux étaient intégrés, mais on se préoccupait également de la santé émotive.

Les structures ont permis de regrouper les gens, d'intégrer les services autour des clients et des personnes qui se trouvent au centre. C'est précisément là que les centres de santé communautaire ont fait un excellent travail. Vous disiez que la situation est problématique maintenant que la structure a été modifiée, qu'il est plus difficile de conserver l'intégration et de s'occuper des déterminants.

Même si la stratégie ne prétend pas en soi être une stratégie de santé de la population, c'était le cas quand les structures étaient présentes à ce niveau et c'est l'héritage laissé par cette époque. Cela pose problème maintenant.

Le sénateur Eggleton : Vous dites au niveau communautaire, pas nécessairement au niveau politique ou gouvernemental.

Mme Beattie-Huggan : Le Cercle de santé fonctionnait bien au niveau communautaire. Toutefois, si j'ai bonne mémoire, parce que les gens se regroupaient davantage au niveau local, ils exerçaient une influence vers le haut. Les gens se consacraient davantage à des projets impliquant plusieurs secteurs.

Je ne dirais pas que les choses fonctionnent aussi bien maintenant. Cela n'est pas aussi visible. En revenant à cette époque, si vous donniez le Cercle de santé à quelqu'un au niveau régional, cette personne voyait le rôle qu'elle pouvait y jouer. Maintenant, je ne suis pas sûre que ce soit le cas de tous.

Par contre, le Cercle de santé est un outil qui pourrait être utilisé comme cadre de planification si nous devions aller de l'avant. Comme je travaille davantage au niveau de la région Atlantique maintenant, je le vois utilisé par des coalitions se consacrant au bien-être à Terre-Neuve et au Labrador, où il y a des plans sociostratégiques et où les gens s'efforcent d'intégrer tous ces déterminants.

Le sénateur Eggleton : Avez-vous un moyen de mesurer la réussite de l'intégration de ces divers déterminants sociaux? En vous reportant à la stratégie de santé de la population, par elle-même, comment feriez-vous au bout du compte pour déterminer votre réussite dans ces domaines? Comment mesureriez-vous cette réussite?

M. Eyles : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question. La réussite dans le sens de la mise en place d'un système du bas vers le haut?

Le sénateur Eggleton : Santé de la population.

M. Eyles : Pour les divers déterminants?

Le sénateur Eggleton : Oui.

M. Eyles : S'il s'agit d'aller du bas vers le haut, je peux commencer par vous dire ceci. Vous examinez vos capacités; il y a des moyens de les mesurer qui aideraient également à mesurer la cohésion et l'intégration sociale et l'efficacité d'une collectivité à se prendre en charge. Plus une province est petite et plus cette dernière est réelle.

En ce qui concerne la mesure de la réussite pour tous les déterminants, nous en avons traité dans une réponse à certaines des autres questions. Vous fixez des objectifs et des buts pour les divers déterminants et voyez ensuite si vous les atteignez au niveau national, et vous espérez que les provinces vont faire la même chose pour cadrer avec les objectifs nationaux.

Il y a maintenant 12 déterminants, d'après l'Agence de santé publique du Canada, et certains d'entre eux sont passablement difficiles à mesurer. Nous aurions peut-être besoin de stratégies ciblant ceux qui sont les plus faciles à mesurer pour débuter. Si vous ne faites pas de mesures, cela n'a plus de sens.

Mme Hennebery : Il est manifeste que l'Institut canadien d'information sur la santé dispose d'un cadre très complet pour les indicateurs qui intègre certains indicateurs de la santé de la population. À un niveau national, cela constituerait un très bon point de départ, et ces indicateurs font l'objet d'un certain suivi maintenant.

Vous soulevez un très bon point. La discussion sur les soins de santé porte essentiellement sur le système de soins de santé, et pourtant les recherches nous disent que les effets du système de soins de santé sur la santé des personnes et des familles ne sont que de l'ordre de 17 à 25 p. 100.

Le sénateur Eggleton : Dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, la réorganisation a surtout touché le système de soins de la santé, les gens qui prennent soin de la santé, ce qui fait qu'elle a pris son origine dans ce paradigme ou dans ce point de vue par opposition à une perspective intégrant l'ensemble des déterminants sociaux.

M. Eyles : Oui et non. Je crois que les gens qui étaient autour de la table ont manifestement exercé une influence sur les sujets discutés, mais certains des déterminants relèvent réellement des pouvoirs des autres ministères. C'est le problème qui se pose. Est-ce que le mandat de la santé continue à s'étendre vers l'extérieur? Comment impliquez-vous les autres ministères?

Le sénateur Eggleton : Vous devez avoir des liens horizontaux et des engagements pris par le sommet.

M. Eyles : En particulier quand il s'agit de l'évolution des revenus.

Mme Beattie-Huggan : Quand je me suis entretenue avec la première directrice générale de l'Agence, elle m'a dit qu'il en était peut-être ainsi parce que nous avions visé trop large, mais que le premier programme parapluie en matière de santé a fait ressentir ses effets dans le domaine du logement, des services correctionnels et des soins sociaux, et dans tous les autres domaines qui auraient pu être présents autrement. Ils ont été regroupés sous un parapluie appelé santé, ce qui fait qu'à l'époque de la réforme de la santé, cela a eu pour effet d'élargir la définition de la santé. On aurait pu procéder différemment. Je me souviens que cette personne m'a dit que, à une époque, le seul déterminant qui a vraiment été laissé de côté était l'éducation. Les gens ne pensaient pas qu'il s'intégrerait très bien aux autres déterminants si on le transférait sous le titre Santé.

Le président : C'est l'un des déterminants importants de la santé.

Mme Beattie-Huggan : J'avais l'habitude de m'interroger sur le rôle du système de santé parce que je m'occupais à la fois de la promotion de la santé et du développement communautaire. Nous devions développer cette philosophie de la promotion de la santé au sein du système, et je me demandais donc quel était notre rôle? Il s'agissait, en partie, de fournir des services et, parce que nous portions ce chapeau appelé santé, de défendre la santé de la population et d'essayer de travailler avec les autres secteurs pour que les choses avancent. Alors, toute la responsabilité repose sur le système de santé plutôt que sur un élément qui lui est extérieur au lieu de s'intéresser à la population en général.

Le sénateur Fairbairn : J'ai écouté avec beaucoup de plaisir un certain nombre de choses que vous avez dites. Il n'y a pas si longtemps, en remontant aux années 1990, on m'a envoyée à Charlottetown pour collaborer avec le premier ministre de l'époque, mon amie assise à cette table. Je m'occupais alors d'alphabétisation. Nous devions nous réunir et lancer conjointement un programme d'alphabétisation à l'échelle de la province, visant en particulier les familles et les enfants. Je lis ce que vous avez écrit à l'avant-dernière page, soit qu'un programme vraiment national d'éducation et de soins de la petite enfance produirait des dividendes dans le domaine de la santé de la population, et vous poursuivez en parlant de la qualité des services à laquelle chaque enfant devrait avoir droit.

Quelque chose d'extraordinaire s'est produit à Île-du-Prince-Édouard à cette époque, et des gens extraordinaires ont tenu à se rendre dans toutes les parties de l'Île pour permettre aux adultes d'en tirer parti et, tout en même temps de travailler avec beaucoup d'enthousiasme à cette nouvelle série de programmes destinés aux enfants, aux petits et aux jeunes. Cela a fonctionné.

Les temps ont changé. Dans le domaine de l'alphabétisation, nous avons été témoins d'un événement qui nous a donné la chair de poule il y a quelques années et ce comité a tenu des audiences animées et très chaleureuses sur ce qui se passe actuellement et sur ce dont nous avions besoin en plus.

Les bases qui ont permis au sénateur, alors qu'il était premier ministre, de lancer toutes ces initiatives sont-elles encore présentes? Y-a-t-il encore des développements? Voit-on encore le genre de choses que vous souhaitez pour relancer les possibilités dans votre province? Tout cela est-il encore là avec de bonnes bases?

Mme Hennebery : Oui, c'est présent. L'alphabétisation est encore prioritaire dans notre province. On ne peut traiter qu'un certain nombre de questions en quelques minutes. J'aurais pu parler beaucoup plus de l'alphabétisation. C'est le ministère de l'Éducation qui s'en charge. Il y a une stratégie assez complète qui est intersectorielle et qui adopte une approche de santé de la population. Des projets intéressants sont en cours avec les adultes dans le domaine de l'alphabétisation en milieu de travail, dans le cadre desquels des employeurs investissent réellement dans les employés qui souhaitent améliorer leurs compétences dans ce domaine. Il y a des histoires merveilleuses sur l'importance que cela a eue pour des gens qui étaient incapables de lire et qui y sont parvenus avec l'aide de leur employeur. Beaucoup de travail se fait avec les adultes, et le ministère de l'Éducation s'intéresse de plus en plus au sort des enfants, parce que nous continuons à avoir un pourcentage passablement élevé de notre population qui lit au niveau de la sixième année ou à un niveau inférieur. Beaucoup de choses se font et beaucoup de services et de programmes sont disponibles. Cela n'a pas résolu tous les problèmes et ne le fera pas.

Le sénateur Fairbairn : C'est une bonne chose à entendre.

Mme Beattie-Huggan : Les partenariats en matière d'alphabétisation ont mobilisé des ressources. Le thème retenu cet été à l'institut est l'alphabétisation. Il faut lire entre les lignes de la santé, de la sécurité et de l'alphabétisation. Ces questions ont été mises de l'avant par certains membres francophones de notre comité consultatif parce que l'alphabétisation a une grande importance au sein de la population francophone, des groupes autochtones et chez certains groupes de personnes âgées dont nous avons entendu parler. Les programmes d'intervention rapide sont une bonne chose. Nos nouveaux immigrants reçoivent beaucoup d'aide maintenant également, mais il reste des difficultés à résoudre dans la province.

Le sénateur Brown : J'ai une question à l'intention de Mme Hennebery. Vous avez indiqué dans votre exposé que, à une époque, il y avait cinq régies régionales. Pourriez-vous nous donner le pourcentage de budget allant aux soins de la santé, non pas en montant mais en pourcentage, qui était utilisé par cette bureaucratie? Depuis que celle-ci a disparu, avez-vous observé une différence importante dans les budgets utilisés par la bureaucratie, par opposition aux connaissances qui vont réellement dans les soins de la santé?

Je pose ces questions parce que je me demande, au bout du compte, comment vous estimeriez l'influence de la santé de la population dans tout ceci. Je fais l'hypothèse que les soins chroniques et d'urgence ont toujours la priorité pour les budgets de santé. J'essaie d'imaginer à quelle vitesse cela peut changer ou, si vous préférez, si vous retirez des avantages du fait que des gens aient cessé de fumer, et cela a-t-il fait évoluer le pourcentage de maladies infantiles, le taux de pauvreté chez les enfants, celui du diabète, et cetera.?

Bien évidemment, dans un monde idéal et utopique, dans lequel tout le monde serait en santé parce qu'il mènerait une vie saine, 100 p. 100 du budget des soins de la santé irait au maintien de la santé personnelle plutôt que, comme l'a dit M. Eyles, à s'occuper des maladies.

Avez-vous réfléchi à cela? Pourriez-vous nous donner des pourcentages?

Mme Hennebery : Je n'ai pas de pourcentages précis à vous donner. Je peux vous dire que, avec la dernière réorganisation, le système a pu économiser entre huit et neuf millions de dollars, et pour l'essentiel au niveau de la haute direction et des gestionnaires intermédiaires.

J'ai travaillé; dans le domaine des soins de la santé pendant 26 ans et j'en suis venue à cesser de parler d'essayer d'économiser de l'argent parce que je crois que nous devons réfléchir à des façons de réduire le montant d'augmentation du budget du système de soins de la santé.

Un ancien directeur général de l'une de nos régies de soins est parvenu à la même conclusion, mais plusieurs années avant moi. Il affirmait que nous ne pouvions pas nous permettre d'économiser plus d'argent en santé. Si vous prenez des mesures pour faire des réductions dans un domaine, vous constatez des augmentations dans un autre.

Toutefois, si le comité le souhaite, je pourrais tenter d'obtenir des pourcentages très précis du budget des soins de la santé qui ont été consacrés à l'administration et à la gestion.

Le sénateur Brown : Cela fait partie de l'équation. Je n'essaie pas non plus d'économiser de l'argent. Je crois que les soins de la santé coûteront de plus en plus cher chaque année, peu importe ce qu'on fasse, parce que nous avons une importante population de personnes nées après-guerre qui deviennent âgées maintenant et cela se répercutera obligatoirement sur les budgets de soins de la santé de tout le pays.

Je me demandais quel pourrait être, à votre avis, le rendement d'un transfert des budgets de santé des soins chroniques et d'urgence à ce programme visant à conserver la santé individuelle, et si cela est possible. Dans quelle mesure ce pourcentage pourrait-il varier au cours d'une génération? Le fait d'amener les gens à cesser de fumer après 30 ans de consommation ne signifie pas qu'ils n'auront pas à supporter les conséquences de leurs mauvaises habitudes antérieures.

Mme Hennebery : Les avantages de certaines de ces interventions se manifesteront beaucoup plus tard. On dispose de recherches qui laissent entendre que pour chaque dollar dépensé en prévention, les retombées se situent entre six et dix dollars, selon l'étude. M. Eyles a peut-être quelque chose à ajouter sur ce sujet.

M. Eyles : Les chiffres que j'ai ne sont pas les mêmes, mais si vous consacrez de l'argent à pratiquement n'importe quel déterminant, vous réalisez des économies dans le système des soins impératifs. Par exemple, on observe le même effet avec les dépenses environnementales pour tenter de réduire l'air pollué. En théorie, vous pouvez le réduire, mais il y en a encore.

Mme Hennebery : Le problème est que les économies ne prennent pas la forme d'agent tangible dans votre poche. Le montant diminue au fur et à mesure que les dépenses augmentent.

Le sénateur Brown : En d'autres termes, l'argent va à quelque chose qui ne s'est pas produit.

Mme Beattie-Huggan : Avant de me présenter devant vous, j'ai ressorti de mes dossiers un rapport sur une visite faite en Finlande. Nous nous sommes intéressés à leur système en nous rendant sur place en 1995.

Une de leurs initiatives intéressantes — qui elle aussi concernait davantage la promotion de la santé tout en s'intéressant aussi aux services de soins primaires — a été, en 1972, de prendre la décision politique de transférer 5 p. 100 par an de leur budget de la santé au niveau primaire. Ils ont un système national, et ils peuvent donc faire cela. Ils ont progressivement mis en place leur niveau primaire, et à l'époque où nous nous y sommes rendus, ils disposaient de bons résultats de recherche prouvant qu'ils avaient diminué les pressions exercées sur le système des soins impératifs. En réalité, ils sont parvenus à le prouver, et pas uniquement avec le nombre d'admissions, mais également en tenant compte du nombre de réadmissions. Toutes leurs statistiques montraient qu'il y avait en réalité une réduction de la demande.

Je n'ai pas étudié les études produites en Finlande depuis cette époque, et je ne sais pas s'ils se trouvent dans la même situation que nous, mais à l'époque, ils montraient que leur politique visant à investir au niveau primaire était rentable.

Le sénateur Brown : Je vous remercie. C'est la réponse que je cherchais.

Le sénateur Callbeck : Quand cela s'est-il produit?

Mme Beattie-Huggan : Ils ont lancé le processus en 1972. C'est à peu près l'époque à laquelle nous mettions en place notre propre système au Canada. Ils ont alors décidé d'essayer de construire leur système de soins primaires indépendamment de leur système de soins impératifs.

Leur structure gouvernementale est différente, et ils avaient donc des administrations locales examinant l'éducation et tous les déterminants de la santé qui s'occupaient de la gestion des soins de la santé dans leur secteur. Ils ont progressivement fermé tous leurs petits hôpitaux ruraux et les ont convertis en centres de soins primaires. Ils ont mis en place un bon système de transport d'urgence vers le système de soins impératifs plus centralisé.

Les deux systèmes étaient donc gérés de façon distincte et ils ont progressivement fait passer l'argent de l'un dans l'autre. Nous avons le rapport sur cette question. Je pense que Mme Hennebery en a une copie dans ses archives. Il fournit beaucoup de renseignements sur ce que la Finlande faisait à cette époque.

Le président : Je vais vous demander de m'en faire parvenir une copie. Nous avons eu une téléconférence avec la Suède, il y a quelques jours, et je connais donc bien la situation en Finlande. J'aurais plaisir à lire votre rapport.

Le sénateur Pépin : Je vais devoir vous demander de mettre votre casque pour entendre la traduction. Ma question est la même que celle du sénateur Brown mais avec une nuance que je ne suis pas en mesure de formuler correctement en anglais.

[Français]

Le sénateur Pépin : On a dit que la province a été divisée en cinq grandes régies régionales. Y avait-il de grandes disparités entre les résultats de la santé de ces cinq régions? Lorsqu'on parle du budget global de ces régies régionales, tenait-on compte des disparités? Quels étaient les facteurs pour en prendre compte? Les ressources allouées étaient-elles en fonction du nombre de la population ou de chaque région ou était-ce consacré selon les besoins spécifiques de chaque région?

[Traduction]

Mme Hennebery : Je n'ai saisi que la dernière partie de votre question. Les budgets des régies régionales de la santé étaient répartis pour l'essentiel en fonction de la population, parce qu'il aurait été particulièrement difficile de les répartir en fonction des besoins.

Le sénateur Pépin : Quelqu'un a dit qu'ils font des études de toutes sortes et qu'ils donnent de l'argent. Lorsque vous examinez les résultats, il n'y a pas de région précise. C'est pourquoi j'ai demandé, si vous faites quelque chose de comparable à l'Île-du-Prince-Édouard, si l'argent est attribué précisément pour répondre aux besoins de la population d'une région ou en fonction du nombre de personnes.

Mme Beattie-Huggan : L'intention était au départ de répartir l'argent en fonction des besoins. Les régions ont procédé rapidement à des évaluations de leurs besoins qui reposaient sur les déterminants de la santé.

C'était une question complexe et des enquêtes et des entrevues ont été organisées. Elles ont permis de recueillir l'information et ensuite de décrire ce qui était considéré comme prioritaire par le public. La perception de ce dernier était donc prise en compte. Les chercheurs se sont également demandé ce qui découlait des données recueillies et ils ont procédé à des comparaisons.

Ils pensaient que cela aiderait à fixer les priorités et que le financement s'en inspirerait, mais les choses ne se sont pas passées réellement comme prévu. Essayer de concevoir une formule fonctionnant bien était une tâche très complexe. Cela ne s'est pas produit, au moins à l'époque où j'étais là.

Le processus même d'évaluation des besoins a joué un rôle très important pour mobiliser la collectivité, et tout ce secteur. Ils ont commencé à chercher des façons non pas d'obtenir plus d'argent de la province, mais d'utiliser les ressources qu'ils avaient déjà pour répondre aux besoins. Il y a eu davantage de partage des ressources.

L'un des besoins qui ont été considérés comme prioritaires était le chômage. Dans certaines de ces régions, ils ont réuni les gens qui travaillaient à la création d'emplois au niveau provincial, qui collaboraient avec Ressources humaines et Développement social Canada, quelle qu'eût été son nom à l'époque, on s'y perd un peu dans les sigles après un certain temps — pour qu'ils travaillent dans les mêmes locaux afin d'essayer de faire face plus efficacement au chômage. Il y a eu une excellente coopération en fonction de ces évaluations des besoins. Cela a donc bien servi l'objectif pour aboutir à un genre de formule qui permettrait de répartir un budget.

Mme Hennebery : De plus, une fois les budgets définis au début, ils ont été renouvelés en fonction de ce qui se passait avant, et un élément chronologique est donc intervenu.

Le sénateur Pépin : Les municipalités ont-elles été impliquées dans la réorganisation des services au niveau régional?

Mme Hennebery : Dans une faible proportion. À l'Île-du-Prince-Édouard, les municipalités ne jouent pas un rôle important dans la prestation de services officiels de santé, comme c'est le cas dans d'autres provinces.

Le sénateur Pépin : On a indiqué qu'il était important de travailler au niveau local et de trouver qui est le leader de la collectivité, ce qui m'a amenée à penser que le palier municipal pouvait avoir été impliqué.

Mme Hennebery : Au niveau de la régie régionale, les municipalités auraient eu un apport, sans pour autant avoir de rôle à jouer dans le financement.

Le président : Honorables sénateurs et mesdames et messieurs les témoins, je crains que nous devions conclure. Une autre réunion est prévue dans cette pièce à 18 h 15 et il nous faut tenir une brève séance à huis clos.

Je tiens encore à remercier énormément les témoins. Indépendamment de l'opinion que vous avez de ce que vous avez fait à l'Île-du-Prince-Édouard, ce vous place à l'avant-scène dans ce domaine. Il y a des leçons très intéressantes à tirer des cycles normaux de réussite et d'échec, des frustrations et de tout cela.

Nous vous sommes sincèrement reconnaissants d'être venus à si brève échéance et de nous avoir fait part des forces et des faiblesses de vos expériences. Cela nous sera très utile. Nous espérons que, lorsque notre rapport sera publié, vous y verrez ce qui est disponible. Il y a près d'une centaine d'initiatives au Canada qui veulent venir à bout des iniquités en matière de santé, mais elles sont toutes dispersées. Nous espérons que notre rapport aidera les gens comme vous à découvrir celles qui sont utiles et celles qui ne le sont pas. J'ai le sentiment que je reverrai certains d'entre vous. Encore sincèrement merci.

Le comité se poursuit ses travaux à huis clos.


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