Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations
Fascicule 2 - Témoignages du 5 décembre 2007
OTTAWA, le mercredi 5 décembre 2007
Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour examiner l'impact des divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, pour en faire rapport.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
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Le président: Honorables sénateurs, nous sommes ravis d'accueillir aujourd'hui deux témoins experts. MmeFrance Gagnon est chercheure principale et professeure à l'unité d'enseignement Travail, économie et gestion, Télé-Université de l'Université du Québec à Montréal. Elle est par ailleurs coprésidente du groupe d'étude sur les politiques et la santé. Ses domaines d'expertise en recherche portent sur la gestion des systèmes de soins de santé et le développement des politiques sur la santé des populations. MmeGagnon connaît bien la Loi sur la santé publique du Québec et elle pourra discuter des répercussions de l'article 54 de cette loi.
MmeNicole Bernier, PhD, est chercheure adjointe au Département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal et conseillère scientifique au Centre collaborateur canadien sur les politiques publiques et la santé. Ses intérêts de recherche portent sur les politiques gouvernementales qui influent sur l'état de santé de la population et les disparités sociales en santé. Compte tenu de son expertise, MmeBernier pourra présenter des comparaisons entre la politique de la santé de la population adoptée au Québec et celles en vigueur dans d'autres juridictions. Nous sommes impatients d'entendre ce qu'elle a à dire.
Allez-y.
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France Gagnon, professeure et codirectrice, Groupe d'étude sur les politiques et la santé (GÉPPS): Monsieur le président, j'ai le plaisir de répondre à l'invitation du Sous-comité sur la santé des populations du Sénat du Canada à titre de représentante du Groupe d'études sur les politiques publiques et la santé. Nous tenons à remercier les membres du sous-comité de cette occasion de faire connaître davantage les travaux que nous menons depuis 2005 sur les politiques publiques favorables à la santé.
Ma présentation portera sur les trois points suivants: la problématique de la mise en œuvre de l'article 54 de la Loi sur la santé publique au Québec; les principaux constats sur la mise en œuvre de cet article, cinq ans après son adoption; et la loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Permettez-moi de rappeler d'abord le contenu de l'article 54 selon lequel:
Le ministre de la Santé est d'office, le conseiller du gouvernement du Québec sur toute question de santé publique. Il donne aux autres ministres tout avis qu'il estime opportun pour promouvoir la santé et adopter des politiques aptes à favoriser une amélioration de l'état de santé et du bien-être de la population. À ce titre, lors de l'élaboration des mesures prévues par les lois et règlements qui pourraient avoir un impact significatif sur la santé de la population, il doit être consulté.
En ce qui concerne sa mise en œuvre, les résultats d'une étude menée en 2003, sur la perception et l'application de l'article54 dans les différents ministères et organismes du gouvernement du Québec, ainsi que des écrits scientifiques sur l'évaluation d'impacts sur la santé nous ont amenés à dégager trois grands problèmes comme point de départ à notre recherche.
Premièrement, les difficultés pour les ministères et organismes à percevoir des impacts de leurs actions sur la santé et le bien-être de la population; deuxièmement, les difficultés pour les porteurs d'un tel dossier d'intégrer un processus d'évaluation d'impact sur la santé à l'intérieur de l'appareil gouvernemental; enfin les difficultés pour ceux qui ont à formuler des politiques publiques et d'évaluer les impacts potentiels, positifs ou négatifs, sur la santé et le bien-être. Afin de mieux comprendre et de tenter de résoudre, en partie du moins, ces problèmes, notre recherche est centrée autour de trois axes; le processus décisionnel, celui de l'évaluation prospective d'impact sur la santé et le processus de transfert et d'appropriation des connaissances.
Pour documenter ces processus, nous avons procédé à des études de cas rétrospectives au sein de quatre ministères, dont celui de l'Emploi et de la Solidarité sociale responsable de la loi visant à lutter contre la pauvreté. La suite de ma présentation s'appuie sur les résultats qui se dégagent de ces études de cas ainsi que sur une enquête conduite par Jacques Bourgault, cochercheur au GÉPPS sur les conditions de succès des dispositifs interministériels adoptés par les gouvernements de différentes provinces canadiennes.
Deuxième point annoncé: les principaux constats sur la mise en œuvre de l'article54. Je présenterai, dans un premier temps, les constats relatifs à la perception de la santé et de ses déterminants des autres ministères. Des études réalisées au sein des fonctions publiques canadienne et québécoise ont fait ressortir l'écart entre les ministères à vocation économique et ceux à vocation sociale en ce qui concerne la sensibilisation de l'impact de leurs actions sur la santé et le bien-être des populations.
Pour les ministères à vocation économique, la question des liens entre leurs actions et l'impact sur la santé et le bien- être des populations n'est pas de leur ressort. Elles concerneraient plutôt les autres ministères, dont celui de la Santé. Les résultats des études que nous avons conduites au sein de divers ministères du gouvernement du Québec tendent à confirmer ce constat, mais appellent à la nuance.
Ainsi, dans les faits, au moment de la formulation de politiques publiques, chaque ministère envisage le problème à l'étude d'abord et avant tout à travers sa propre mission. Les impacts sur la santé sont abordés dans la mesure où cela rejoint la vision institutionnelle du ministère. Mais dans un domaine d'interventions donné, il y a, le plus souvent, confrontation de différentes visions quant à la lecture du problème, mais surtout en ce qui concerne les solutions envisagées. Par exemple, dans le cas du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, trois visions coexistent relativement au projet de loi sur l'aquaculture commerciale. Certaines directions du ministère sont préoccupées par l'aspect économique du développement de l'aquaculture; alors qu'une autre direction est davantage préoccupée par l'innocuité de la production alimentaire. De leur côté, les acteurs de santé publique y verront l'occasion d'introduire des omégas 3 lors de la production d'élevage de poissons.
Ainsi, une analyse plus fine de la dynamique entre les différents groupes d'acteurs permet de constater que, dans chacun des cas, les visions du problème des acteurs et le plus souvent des solutions potentielles qui sont partagées entre des visions tantôt économiques, tantôt environnementales ou encore plutôt sécuritaires ou administratives.
En somme, il est difficile de soutenir l'intérêt des ministères et organismes dans leur contexte respectif alors que différents enjeux liés de plus près à leur mission sont en compétition avec la santé et le bien-être.
De plus, la prise en compte des déterminants de la santé et du bien-être est plutôt implicite lors de la formulation des politiques publiques. Deuxième série de constats sur le développement et le fonctionnement des mécanismes interministériels. Au ministère de la Santé, des initiatives ont été entreprises afin de favoriser le développement d'un processus intragouvernemental d'évaluation d'impacts sur la santé. Parmi ces initiatives, la création d'un réseau de répondants ministériels, la diffusion d'un bulletin d'information, le développement d'un guide pratique d'évaluation d'impact, sur lequel je reviendrai dans la section suivante et la publication d'un document de sensibilisation aux déterminants de la santé, toujours pour les autres ministères.
Selon les données disponibles au ministère de la Santé, le nombre d'avis ou de consultation sur des projets de loi ou règlements reçus et traités par le ministère a augmenté en 2006-2007.
Plusieurs de ces demandes proviennent toutefois du comité ministériel du développement social, éducatif et culturel du Secrétariat du conseil exécutif. Bien que l'on soit en amont de l'adoption, le mémoire sur l'action envisagée est déjà rédigé par le ministère ou l'organisme concerné et déposé auprès du Secrétariat. Vous avez donc dans le texte, plus de détails notamment sur le réseau de répondants afin de respecter mon temps qui m'est imparti, je terminerai cette section avec une dernière série de constats portant sur la réalisation des évaluations d'impacts sur la santé appelée EIS.
D'entrée de jeu, il faut souligner l'ambiguïté de l'expression d'impacts significatifs mentionnés dans l'article54 et surtout les difficultés d'application qui en découlent. À partir de quels critères ou de quelles normes peut-on déterminer qu'un impact est significatif?
Afin de soutenir les personnes chargées d'élaborer les projets de loi et règlements, le ministère de la Santé a développé un guide pratique d'évaluation d'impact. Ce guide présente l'information nécessaire à la réalisation d'une telle évaluation et comporte des grilles pour le dépistage des impacts potentiels sur la santé ainsi que pour le cadrage et l'analyse sommaire. Cette évaluation se veut davantage stratégique au sens où elle met l'accent sur le dépistage et permet ainsi un repérage des impacts potentiels. Elle se fait sur une base volontaire. Par ailleurs, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) est à développer une méthodologie pour la réalisation de rapports sur les politiques publiques et la santé afin de permettre la standardisation des avis et synthèses de connaissances produits pour le ministère ou le ministre.
En somme, la capacité de documenter les impacts et la qualité des données utilisées sont des facteurs déterminants dans la réalisation des évaluations d'impacts sur la santé.
Enfin, pour répondre à la question du sous-comité concernant la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, il n'y a pas de coordination formelle entre les mesures relatives à l'article54 et celles relatives à l'article20 de la Loi sur la pauvreté, qui précise que chaque ministère doit signaler au gouvernement les propositions de nature législative ou réglementaire pouvant, à son avis, affecter le revenu de personnes qui vivent dans la pauvreté.
Par contre, c'est le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale créée en 2006, qui a un rôle de vigie par rapport aux politiques gouvernementales ayant des effets sur la pauvreté et l'exclusion sociale. La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion adoptée en décembre 2002 est une loi-cadre qui énonce les principes clés devant guider l'action gouvernementale.
En vertu de cette loi, en avril 2004, le ministère de l'Emploi et de la solidarité sociale et de la famille a déposé le plan d'action gouvernemental en matière de lutte à la pauvreté et l'exclusion sociale.
Ce plan d'action a fait l'objet d'une étude de cas sur laquelle je reviendrai lors de la période de questions, si vous le souhaitez.
En conclusion, l'article54 constitue certes un levier important pour favoriser le développement de politiques publiques favorables à la santé. Toutefois, bien qu'il s'agisse d'une mesure légale, dans les faits, l'article54 a une portée plutôt incitative puisqu'aucune contrainte formelle ne s'applique à son non-respect. De façon générale, il y a un important travail de transfert et d'appropriation de connaissances à réaliser sur la problématique de l'élaboration de politiques publiques favorables à la santé, du ministère de la Santé et de l'Institut vers les ministères et organismes et en collaboration avec le milieu universitaire.
Cela concerne autant les déterminants de la santé et du bien-être, la réalisation des évaluations d'impact que la prise en considération de politiques réalisées par ailleurs.
Le président: Merci, madame Gagnon.
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J'ai trouvé très intéressant ce que vous aviez à dire et je reconnais que du point de vue de la santé publique, le Québec a une avance marquée sur le reste du Canada.
Existe-t-il des données sur le lien qui pourrait exister entre l'état de santé de la population et les politiques pour lutter contre la mauvaise santé, notamment en matière de pauvreté et d'hygiène, par exemple? Y a-t-il un lien entre l'information que vous recueillez auprès d'une population en mauvaise santé et les politiques et mesures mises en œuvre dans le régime de soins de santé ou de façon encore plus générale du point de vue social pour lutter contre la mauvaise hygiène et de mauvais logements, etcetera.? Nous cherchons à obtenir ce type d'information quelque part au Canada et j'ai pensé que le Québec serait peut-être en avance par rapport au reste du pays à cet égard.
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MmeGagnon: Malheureusement, je vais vous décevoir parce que dans un sens, l'adoption et la mise en œuvre de l'article54, qui font partie de la Loi sur la santé publique, sont relativement récentes si on considère que l'article54 a été mis en œuvre en juin 2002. On essaie de faire en sorte que l'articlesoit appliqué dans les différents ministères et organismes. Il est tôt pour voir les impacts des lois sur la population.
Dans le cas de la Loi sur la pauvreté, c'est un peu la même chose, dans le sens qu'ayant été adoptée en 2002, la loi est relativement récente. Je n'ai pas les taux exacts de pauvreté au Québec, mais en ce moment, on a moins regardé l'impact des lois en tant que tel sur la population, mais plutôt de quelle façon on pouvait arriver à l'intérieur de l'appareil politico-administratif, faire en sorte que les impacts sur la santé et le bien-être soient effectivement considérés par les autres ministères qui sont aussi souvent touchés par des ministères autres que celui de la santé.
On sait que les déterminants de la santé jouent beaucoup, comme l'environnement physique et l'environnement social jouent aussi, plus que le système de soins, un rôle important sur la santé des populations.
Alors, l'objectif de l'article54 est vraiment d'arriver à faire en sorte que les autres ministères — le ministère des Transports et le ministère de l'Environnement — aient ce souci de considérer les impacts de leurs actions sur la santé. C'est un défi présent depuis plusieurs années.
[Translation]
Le président: Pour donner suite à votre réponse, la Suède commence à faire le lien entre la portion de leur population en mauvaise santé et la mise en œuvre de programmes sociaux comme ceux que vous avez mentionnés. Initialement, vous avez dit qu'il n'y avait pas beaucoup de lien, mais dans votre réponse vous avez mentionné que lorsqu'on planifie l'environnement et l'hygiène dans les collectivités, il faut faire le lien avec la santé publique. Si c'est ce que vous faites, vous êtes le premier endroit au Canada où l'on obtient l'approbation de la santé publique pour un programme provincial ou communautaire. Pourriez-vous nous éclairer à cet égard?
[English]
MmeGagnon: Je n'ai peut-être pas saisi le sens de votre question. Lorsque vous parlez de la santé publique, j'imagine que vous entendez les acteurs de santé publique et leur place dans le déroulement?
Vous savez probablement qu'au Québec, la santé publique est structurée différemment que dans les autres provinces. Au cours des dernières années, il y a eu une structuration assez forte de la santé publique au niveau central et à la Direction de la santé publique au ministère et à l'Institut national de santé publique également. Il y a aussi, au régional des directions de santé publique, et sur le plan local, on est aussi à redéfinir le rôle de la santé publique à travers des centres de santé et de services sociaux.
Pour l'application de l'article54, le ministère de la Santé a effectivement des liens étroits avec les acteurs de l'Institut national de la santé publique. L'Institut de santé publique jouent un rôle important dans la documentation de tout l'aspect de ce qu'on appelle «des évaluations d'impact sur la santé». Ce sont eux qui sont en train de définir une méthode pour produire des avis et des synthèses de la façon la plus systématique possible afin de documenter l'impact positif ou négatif que telle action pourrait avoir sur la santé.
Je ne sais pas si c'est dans ce sens que vous posiez votre question, mais les acteurs de santé publique ont un lien important dans toute cette mise en place et cet effort fait pour le développement de politiques favorables à la santé.
Par ailleurs, dans une étude exploratoire qu'on a menée en 2006, on a tenté, de façon un peu naïve, de faire l'inventaire des actions de santé publique en matière de politiques favorables à la santé pour la période de 1995 à 2005. Ce qui est ressorti de notre étude, c'est que la plupart des actions avaient été faites sur les déterminants de l'environnement et des habitudes de vie. Les acteurs qu'on a rencontrés nous ont dit que dans les prochaines années, il faudrait davantage mettre l'action sur les déterminants sociaux et que cet aspect des déterminants sociaux était souvent plus difficile à documenter.
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Le président: Oui.
En médecine, à l'époque, il y avait fondamentalement deux déterminants de la santé, le déterminant génétique et le déterminant environnemental.
Nous parlons maintenant d'une douzaine de déterminants de la santé, et nous faisons des progrès. Je vous remercie de votre réponse.
Le sénateur Eggleton: Pour revenir sur cette question, la pauvreté est un important déterminant social de la santé. Il y a une loi sur la santé publique qui tente de suivre une approche qui se fonde sur la santé de la population. Il y a une loi pour combattre la pauvreté et l'exclusion sociale. Manifestement, la pauvreté est une question qui relève de ces deux domaines.
Vous dites que les départements d'économie ne semblent pas beaucoup s'intéresser aux questions de santé publique ou de bien-être, mais de toute évidence la pauvreté est une question économique également.
Comment se fait la coordination, ou est-ce qu'il se fait une coordination? Est-ce tout simplement une coïncidence heureuse si tout tombe en place? Y a-t-il une coordination, et où se fait-elle? Y a-t-il une coordination à l'échelle supérieure, au niveau du conseil des ministres? Y a-t-il une volonté politique de coordonner cela?
[English]
MmeGagnon: Vous soulevez plusieurs questions importantes. J'ai soulevé dans mon texte ces différents aspects et je vais y revenir. D'une part, l'article54 dit que les autres ministères doivent consulter, mais il n'y a pas vraiment de contrainte formelle. Pour le moment, le ministère de la Santé a choisi d'y aller de façon incitative. Il a choisi trois stratégies: un, le processus d'évaluation d'impact dans l'appareil gouvernemental, deux, la formation de liens avec l'Institut de santé publique pour documenter l'aspect des connaissances sur les évaluations d'impact et trois, l'investissement dans la recherche.
En ce qui concerne le développement d'un processus intragouvernemental, je vais revenir à mon texte si vous le permettez. Différentes actions ont été entreprises dont la plus importante qui répond davantage à votre question, qui est la création d'un comité interministériel, qu'on appelle un réseau de répondants.
Le ministère de la Santé a donc créé un réseau de répondants. Il y a le l'élaboration d'un guide d'évaluation d'impact. Il y a aussi eu la publication d'un document de sensibilisation aux déterminants de la santé. Si on se concentre sur le réseau des répondants, sur les autres études qui ont été réalisées, on peut dire que leur participation est variable. Il semble bien entendu que lorsqu'ils sont plus près du bureau du sous-ministre ou du secrétariat du ministère, ils ont plus de facilités à faire passer l'information. Il y a toujours la question du roulement des répondants qui intervient. La plupart des répondants interrogés, bien qu'ils n'avaient pas de mandat formel, faisaient vraiment un effort pour faire circuler l'information dans leur ministère.
Par ailleurs, des liens ont été créés entre l'équipe responsable au ministère de la Santé de l'article54 et le Secrétariat du conseil exécutif pour faire en sorte d'envoyer les grilles au ministère lorsqu'un projet de mémoire ou de règlement est déposé. On y indique si cela a un impact ou non sur la santé. Si ces informations ont été prises en compte, les grilles sont envoyées au ministère de la Santé pour que celui-ci puisse jeter un œil sur le processus d'évaluation d'impact. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Le sénateur Pépin: Je vous remercie, je suis très contente que vous soyez venue. Vous parlez justement de l'impact. Vous dites qu'il y a eu un guide pratique, et cetera. Au départ, si je comprends bien, le ministre de la Santé est le grand patron et c'est lui qui donne cela. Par contre, il semble y avoir une vocation économique. Il semble que les ministères qui ont une vocation économique ont un peu de difficulté de coordination dans leur implication dans le domaine de la santé.
Vous nous avez ensuite dit que dans le guide pratique, il n'y avait pas de contrainte formelle sur le plan de l'évaluation. Je trouve que la proposition 54 est très bien, mais il semble y avoir un manque de coordination qui fait que vous avez, d'une part, les gens qui veulent bien avoir quelque chose pour la santé, mais pour eux, d'autre part, c'est l'absence de maladie contrairement à la prévention. C'est très difficile de faire concorder les deux. Le gouvernement a- t-il été capable de créer un groupe ou un système pour faire appliquer cela? En Suède, ils ont commencé avec des groupes régionaux, le gouvernement et différentes choses. Est-ce qu'au Québec, on a franchi cette étape avant d'essayer de coordonner, pour que les gens à vocation économique embarquent et disent: il est entendu qu'il faut qu'on dépense ou qu'on fasse telle action pour prévenir la maladie et la pauvreté, et cetera.
MmeGagnon: Il y a plusieurs volets dans votre question.
Le sénateur Pépin: Il y avait des objectifs très clairs.
MmeGagnon: D'une part, il est certain que l'article54 vise d'abord et avant tout le provincial. Par ailleurs, il y a des initiatives qui sont en cours dans les régions, au Québec, via le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé, qui a été créé par l'Agence canadienne de santé publique. Des efforts sont en train de se faire pour développer de telles initiatives dans les régions.
En ce qui concerne l'implication des ministères davantage à vocation économique, je ne voudrais pas laisser l'idée que rien ne se fait. Si on regarde la politique, c'est-à-dire la Loi sur la lutte à la pauvreté et à l'exclusion sociale, j'ai passé rapidement sur cette partie. Il y a vraiment plusieurs étapes qui ont été franchies. Un comité de suivi a été créé dans lequel participent plusieurs ministères dont certains à vocation sociale, mais aussi certains ministères à vocation économique.
Le ministère des Finances ne participe pas nécessairement à ce comité de suivi, mais il y a quand même un ensemble de ministères diversifiés qui participent au comité de suivi pour faire le bilan sur la Loi sur la lutte à la pauvreté et à l'exclusion sociale de façon annuelle.
Il y a cet aspect. Un autre point est important, par exemple, dans les études de cas que nous avons faites. Je vous ai parlé de ce qui a été fait au ministère de l'Agriculture des Pêcheries et de l'Alimentation, au ministère de l'Emploi et de la Solidarité. On s'est intéressé aux travaux faits au ministère de l'Environnement et au ministère des Transports.
C'est la même chose au ministère des Transports; on sait, par exemple que le bilan routier est un aspect très important. Au ministère des Transports, il y a des choses qui se font en termes de promotion de la santé pour faire en sorte que le bilan routier s'améliore.
Par exemple, une table de concertation fut créée, au cours des dernières années, et les différents intervenants en santé publique y ont participé. On constate donc plusieurs actions concrètes dans les différents secteurs. Elles prennent la forme de tables de coordination et de comités de suivi auxquels prennent part les ministères de différents secteurs. Au Québec, tout ce qui se fait en matière de politique publique dans le domaine de la santé n'est pas strictement lié à l'article54. Il est important de souligner ce point.
Le sénateur Pépin: Divers moyens ont été pris pour réduire la disparité et les inégalités, dans le domaine de la santé, envers certains groupes vulnérables, par exemple les familles autochtones, les femmes enceintes et les immigrants. Au Québec, quelle serait la pierre angulaire ou la stratégie essentielle pour améliorer la santé et réduire les disparités entre les différents groupes?
MmeGagnon: Cette question est fort complexe.
Le sénateur Pépin: À votre avis, est-ce que le gouvernement, par le biais entre autres de ses projets, se penche suffisamment sur cet aspect? Est-ce que la question sera étudiée, si elle ne l'est pas encore?
Évidemment, comme vous dites, le processus vient de s'amorcer. On devra donc attendre un an ou deux avant de connaître les résultats.
MmeGagnon: Les intervenants dans le domaine de la santé publique parlent souvent de l'article54 comme d'un levier. En ce sens, il se créé un mouvement et un intérêt autour de la question, ce qui sensibilise la population à l'extérieur du ministère de la Santé. Ce point est important.
Les différents acteurs dans le domaine de la santé publique tentent de documenter, de façon systématique, les impacts et d'acquérir les connaissances nécessaires pour mesurer l'effet de chaque action sur la santé. En fait, l'article54 implique, pour les ministères, un changement dans leur façon de travailler. Ceux-ci sont habitués de travailler en silo. On leur demande maintenant de travailler de façon verticale.
Cette façon de faire se retrouve déjà dans certains secteurs où on travaille autour de tables de concertation et de comités de suivi. On ne peut toutefois pas décréter qu'une table de concertation est obligatoire. Il faut commencer avec les pratiques déjà en place. En ce sens, il y a tout un changement de culture à faire dans les ministères.
On a adopté un tel articleen Suisse, et il est en application depuis peu. Cinq ans, dans la vie d'une institution, c'est bien peu pour mesurer l'impact sur la santé.
Pour notre part, nous ne nous sommes pas penchés autant sur les impacts sur la santé que sur la façon dont on pourrait faire en sorte que la santé devienne une préoccupation de première ligne dans l'appareil politique et administratif. Ce ne sont pas seulement les intervenants dans le domaine de la santé qui devraient porter le poids de cette préoccupation, mais aussi les autres ministères. C'est un peu ce processus que nous tentons de comprendre sous ses différentes dimensions.
L'utilisation des connaissances est fondamentale. Les connaissances sont souvent disponibles. Toutefois, elles ne sont pas toujours utilisées.
Le travail doit se faire à moyen et à long terme. Selon certains modèles de politique publique, on doit observer les changements sur une période de dix ans. Par conséquent, j'estime qu'il faudra quand même un certain temps avant de voir les résultats.
Le sénateur Pépin: Disons que c'est une bien belle fenêtre qui s'ouvre.
MmeGagnon: En effet.
[Translation]
Le sénateur Callbeck: Merci d'être venue ici aujourd'hui. Je voulais vous poser une question au sujet de la coordination. Naturellement, le ministre est responsable. Vous avez mentionné de nombreux comités, mais en ce qui concerne la question de la coordination, vous avez mentionné les comités interministériels. Cependant, il n'y a pas de comité du Cabinet, n'est-ce pas?
MmeGagnon: Non.
Le sénateur Callbeck: Y a-t-on déjà songé?
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MmeGagnon: Je ne suis malheureusement pas dans le secret des dieux. Le comité de répondants existant est au niveau du ministère de la Santé. Les liens les plus étroits avec le cabinet du premier ministre se font par le biais du Secrétariat du conseil exécutif. C'est vraiment sur ce plan que des actions sont faites. À ma connaissance, il n'existe aucun comité—lié au bureau du premier ministre — en particulier chargé de l'article54.
Au Québec, on appelle ce type d'articleune clause d'impact. On retrouve au Québec plusieurs clauses d'impact. Il en existe une sur la santé et une sur la pauvreté. On porte aussi une attention particulière aux régions et au développement économique. On accumule donc les clauses d'impact.
Nous sommes d'ailleurs en train de nous pencher sur cette question afin de faire en sorte que l'évaluation d'impact sur la santé soit intégrée dans un cadre plus global. Tout ce mouvement, incluant l'évaluation d'impact sur la santé, vient de l'évaluation d'impact sur l'environnement. Dans certains pays européens, on a cherché à intégrer l'évaluation d'impact sur la santé à l'évaluation d'impact environnemental et l'évaluation d'impact social pour faire en sorte d'éviter de multiplier les efforts, de disperser les ressources liées à l'évaluation d'impact.
Pour ce qui est de l'article54, le principal instigateur est le ministère de la Santé, avec des intervenants de l'Institut national de santé publique.
[Translation]
Le sénateur Callbeck: Je voulais vous parler de ces pouvoirs. On dit que cela donne au ministre un pouvoir d'initiative pour fournir des conseils proactifs à d'autres ministres en vue de promouvoir la santé et d'appuyer l'adoption de politiques qui font la promotion de la santé de la population.
Depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur la santé publique, combien de fois le ministre a-t-il émis des conseils proactifs? En avez-vous une idée approximative? Est-ce que cela s'est produit à plusieurs reprises?
[English]
MmeGagnon: Certaines données du ministère de la Santé ont révélé une augmentation du nombre de demandes reçues et traitées. On parle d'une quarantaine de demandes en 2006-2007 comparées à une trentaine dans les années antérieures. Le nombre de demandes et d'avis auprès du ministère semble donc augmenter.
Malheureusement, je ne dispose pas de toutes les données du ministère de la Santé. Toutefois, dans le cadre de nos recherches, nous travaillons avec le ministère de la Santé. Selon les informations dont nous disposons, on constate une augmentation des demandes et par conséquent une plus grande sensibilisation de tous les autres ministères.
[Translation]
Le sénateur Cochrane: Ma question commence avec le gouvernement du Québec. Quels objectifs et quelles cibles le gouvernement a-t-il établis en ce qui a trait à la santé de la population? Il doit y avoir des objectifs. Lorsque cela a été établi, vous aviez des objectifs en matière d'orientation, soit qu'il y avait une méthode d'évaluation en place, des indicateurs pour savoir le plus exactement possible ce qui a été réalisé au cours d'une certaine période.
[English]
MmeGagnon: Comme je l'ai dit, l'article54 est en train de se mettre en place. Vous connaissez sûrement la politique de santé et bien-être adoptée par le gouvernement du Québec en 1992, cette politique était centrée sur un ensemble d'objectifs; elle a été évaluée en 2005. C'est vraiment la politique santé et bien-être.
Dans le cas qui nous concerne, j'ai envie de vous dire que c'est en train de se mettre en place. Par contre, je tiens à préciser que j'observe ce qui se fait de l'extérieur. Éventuellement, on essayera de mesurer les impacts de cet article, mais à ce moment-ci, je crois que l'on n'a pas encore défini d'indicateurs. Pour moi, il s'agit d'une deuxième étape pour voir les impacts de cet articlesur la santé des populations dans différents secteurs ou en fonction des différents déterminants.
[Translation]
Le sénateur Cochrane: Combien faudra-t-il de temps avant que vous soyez en mesure d'évaluer les résultats?
[English]
MmeGagnon: Je suis un peu embêtée de vous donner un nombre d'années, peut-être que ce sera encore cinq autres années ou six, cela dépend. Je serais portée à vous dire que cela dépend des initiatives qui seront mises en place et des politiques qui seront adoptées. Je comprends votre souci, mais en ce moment, nous en somme à l'étape de l'évaluation prospective. Par contre, ce que vous soulevez est tout à fait pertinent. Il faudrait faire, après, l'évaluation rétrospective. Présentement, nous sommes centrés sur l'évaluation prospective pour améliorer en amont du processus décisionnel. Il faudra voir les impacts, mais pour le moment, je ne suis pas en mesure de vous dire à quel moment on compte faire l'évaluation des retombées de l'article54.
Comme je vous l'ai mentionné tantôt, il faut avoir en tête que la santé publique au Québec est structurée différemment. Il y a le programme national de santé publique qui définit des objectifs; mais c'est une autre porte d'entrée pour intervenir sur la santé des populations. Il faut bien comprendre que l'article54 est un outil particulier qui vise des objectifs déterminés, mais il y a toute une autre structure de la santé publique qui existe au Québec. Je pense que l'article54 a pu être adopté au Québec parce qu'il y avait cette structure de santé publique qui est différente c'est ma collègue qui a davantage travaillé sur cet aspect et sur la structure de santé des autres provinces.
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Le président: Je demanderais à MmeBernier de nous présenter son exposé.
[English]
Nicole Bernier, PhD, professeure adjointe, Université de Montréal: Monsieur le président, c'est un honneur pour moi de contribuer aux travaux du Sous-comité sur la santé de la population. Merci de m'avoir invitée. J'occupe un poste de professeure adjointe de recherche à l'École de santé publique de l'Université de Montréal. Je suis politologue de formation, spécialisée en analyse des politiques publiques.
Depuis quelques années, mes recherches ont porté sur les politiques de santé publique. Je m'efforce de comprendre en quoi consiste la transformation de l'action publique à l'égard de la santé de la population, qui sont les acteurs impliqués, pourquoi et comment cette transformation se produit et qui sont les gagnants et perdants. Donc, c'est une approche différente, dans une autre optique de celle de ma collègue, qui porte plus spécifiquement sur l'article54.
Ces recherches m'ont permis d'examiner l'expérience du Canada et de la Suède et d'avoir une idée de ce qui se fait dans d'autres pays. Mes observations ont porté également sur trois provinces: l'Ontario, l'Alberta et le Québec.
Dans cette déclaration préliminaire, je souhaite vous communiquer l'essentiel de ce que j'ai appris de mes recherches. J'y vais à très grands traits au risque de simplifier un peu rondement.
En quoi consiste le changement? La transformation de l'action publique à l'égard de la santé de la population est un phénomène international touchant plusieurs pays fortement industrialisés depuis deux à trois décennies. Depuis la fin des années 1970, on voit deux nouveautés de l'action publique à l'égard de la santé de la population. D'abord, les gouvernements nationaux s'impliquent dans le domaine de la promotion de la santé et développe une politique centrale touchant à la santé de la population. Il existe une longue tradition d'actions publiques locales et territoriales dans le domaine de la santé publique, mais la promotion de la santé fait bien tardivement son entrée dans la programmation publique des États providences nationaux d'après-guerre. Ensuite, au niveau officiel du moins, la santé devient l'affaire de tous. Tous les ministères et plus seulement celui de la santé sont responsables de la santé publique. Voilà pour les deux nouveautés.
Qui sont les acteurs? Il y a plusieurs acteurs, mais les autorités publiques nationales sont l'acteur principal. La dynamique principale de mise à l'agenda va du haut vers le bas, c'est un top-down process, en bon français. C'est-à-dire que ce sont les gouvernements nationaux, qui se donnent eux-mêmes pour mission officielle d'améliorer la santé de la population par le biais d'une politique publique sanitaire multisectorielle. Nulle part, n'a-t-on affaire à une mobilisation populaire pour exiger que les gouvernements reconnaissent les déterminants sociaux de la santé comme un problème public et qu'ils conçoivent des solutions. Par contre, il y a une dynamique secondaire du bas vers le haut, mais seulement dans les sphères gouvernementales et professionnelles. Des gouvernements locaux et régionaux réclament un cadre national d'intervention. Ils voient dans l'action publique nationale une façon de pallier des problèmes résultant d'une action publique territorialisée. Par exemple, certains programmes et services de santé publique sont disponibles dans une région et pas dans une autre, ce qui donne lieu à une action publique non uniforme. En réclamant des normes du gouvernement central, les régions espèrent remédier aux inégalités territoriales, mais il est délicat pour les gouvernements centraux d'imposer, en retour, des normes centrales à l'ensemble des régions, certaines étant relativement puissantes.
Les gouvernements centraux doivent donc déployer des moyens sophistiqués. De même, un mouvement international de professionnels en santé et les milieux de la recherche universitaire peuvent être considérés comme des acteurs appuyant l'action des gouvernements centraux en santé publique.
Enfin, des organismes internationaux sont également impliqués dans une dynamique, qui est interactive d'influence et de renforcement mutuel avec les gouvernements centraux. On pense, bien sûr, à l'OMS. Cela dit, d'autres acteurs comme l'OCDE, le FMI et la Banque mondiale sont aussi des acteurs. Il importe de retenir que même si plusieurs acteurs participent à la mise à l'agenda et au processus d'élaboration des politiques, les gouvernements nationaux sont les initiateurs et les catalyseurs du changement d'orientation.
Pourquoi ce phénomène? Pourquoi les déterminants sociaux de la santé deviennent-ils à un point donné de l'histoire des États providences une préoccupation de plusieurs pays? Ce n'est pas par hasard si les préoccupations des gouvernements nationaux se sont manifestées au moment même où ils visaient à mettre en œuvre des moyens systématiques pour contrôler les dépenses publiques.
Le désengagement des gouvernements centraux en matière de financement de la protection sociale et l'effritement de leur légitimité et de leur autorité sont des éléments clés de l'explication. Ce désengagement a créé une dynamique politique particulière caractérisée par des tensions accrues dans le domaine des services sanitaires notamment entre le pouvoir médical et l'État. L'essor de la santé publique a représenté pour certains groupes professionnels du secteur sanitaire de nouvelles occasions d'améliorer leur position. On pense aux infirmières qui se sont professionnalisées et qui ont accru leur pouvoir. Le renforcement des groupes professionnels est un instrument politique ayant permis au gouvernement de diluer le pouvoir des associations médicales et de contribuer au renforcement relatif de leur propre position comme acteur de la politique de santé.
En clair, l'attention portée aux déterminants sociaux de la santé représente un outil de gouvernance faisant en sorte que le système de soins de santé continue de fonctionner en dépit des tensions exacerbées par des politiques budgétaires restrictives. Dans le même ordre d'idées, le désengagement est venu poser des questions de légitimité gouvernementale. Si les efforts de promotion de la santé axés sur le marketing social des bonnes habitudes de vie sont très prisés par les autorités publiques, ce n'est pas parce qu'ils sont particulièrement efficaces. C'est plutôt parce que de tels efforts permettent aux autorités publiques de rehausser leur légitimité. Elles offrent une forte visibilité électorale à faible coût.
Vis-à-vis des autres paliers administratifs, le désengagement financier des gouvernements nationaux s'est manifesté, comme on le sait, par une décentralisation administrative déléguant à des autorités publiques subnationales des responsabilités en matière de provision des services. Alors que les gouvernements nationaux réduisaient leur contribution relative à la protection sociale et sanitaire, il leur devenait difficile de continuer à imposer leur autorité. Avec un financement réduit, elle surgit la nécessité pour les gouvernements centraux de déployer des moyens comme les politiques de santé des populations pour rehausser leur autorité politique vis-à-vis des autres paliers.
En résumé, pourquoi ce phénomène? Les politiques nationales de santé publique permettent d'atténuer les tensions associées au processus de désengagement financier des gouvernements centraux. Elles leur permettent d'affirmer leur légitimité et leur autorité alors qu'ils redéfinissent profondément le rôle dans la protection sociale et sanitaire.
Comment ce phénomène se produit-il? Comment les politiques officielles se sont-elles concrétisées jusqu'ici? De trois façons: premièrement, par la construction d'un discours officiel expert. Celui-ci s'appuie sur une stratégie nationale d'envergure; constitution de nouvelles bases de données sur la santé de la populationpar la mise en place d'infrastructures nationales de recherche et constitution de communautés de chercheurs sur les déterminants sociaux de la santé.
Deuxièmement, par la concertation. Celle-ci se fait auprès des principaux acteurs politiques: provinces, partis politiques, syndicats, patronat, groupes professionnels selon le contexte dans de grands forums nationaux. Ces forums s'étendent souvent sur plusieurs années. On y négocie les objectifs de santé publique, mais on oublie le plus souvent de prescrire les moyens de les atteindre. La concertation se fait aussi par le biais de représentation du secteur sanitaire auprès des autres ministères. On le voit ici dans le cas de l'article54. Le secteur sanitaire amène les autres ministères à voir leur rôle en lien avec la santé publique contribuant à diffuser la norme sanitaire dans l'ensemble des activités de l'État.
Troisièmement, par l'institutionnalisation des normes dans l'État. Par exemple, la constitution d'agences de santé publique en Suède, en 1992, ou d'agences promouvant la concertation sur les déterminants sociaux de la santé et les politiques favorables à la santé Canada, en 2004. Ou encore, l'adoption de législation au Québec et en Suède visant une prise en compte de la santé publique par les secteurs d'interventions autres que la santé. Ou encore, par l'introduction de nouvelles technologies de gestion publique. Pensons aux évaluations d'impacts sur la santé et au renforcement d'une norme de prise de décision entourant l'adoption des législations justifiées par des données probantes.
Bref, pour répondre au comment, l'action publique sur les déterminants sociaux de la santé c'est jusqu'ici avant tout un discours officiel expert appuyé par la communauté scientifique et largement diffusé auprès des grands acteurs politiques et des autres secteurs d'intervention. L'action concrète se résume au développement d'un discours officiel expert sur la santé de la population à un vaste processus de concertation avec l'ensemble des acteurs politiques et à l'institutionnalisation dans l'appareil étatique des normes associées à l'action publique sur les déterminants sociaux de la santé.
Qui y gagne et qui y perd? On ne reviendra pas sur l'intérêt des gouvernements centraux déjà discutés. Cette politique publique a des répercussions sur le positionnement des acteurs politiques et la santé gagne en légitimité par rapport aux autres secteurs. Car la concrétisation d'une vision de santé publique multisectorielle implique que l'activité de l'ensemble des ministères devienne subordonnée à des normes de santé publique.
La norme sanitaire atteint un statut particulier dans la programmation publique s'imposant aux normes concurrentes de l'administration et contribuant à renforcer la position des acteurs du réseau de la politique sanitaire, car les grands problèmes sociaux comme le chômage, la pauvreté ou l'exclusion sociale sont peu à peu reformulés en termes sanitaires et découpés en microproblèmes par une nouvelle bureaucratie technoscientifique en santé. La capacité de mobiliser des données et d'articuler des problématiques sociales traditionnelles en termes d'effets sur la santé publique devient une commodité indispensable pour la négociation tant dans l'administration publique entre ministères et paliers administratifs que dans la sphère sociétale entre l'État, les syndicats, le patronat et les ONG par exemple.
Les acteurs les mieux positionnés pour traduire des problématiques sociales en termes sanitaires proviennent évidemment du secteur de la santé. Il est clair que, outre les autorités nationales — par rapport aux autorités infranationales —, les gagnants sont les acteurs du secteur sanitaire. Les perdants sont les groupes de la société dont les ressources ne permettent pas d'inscrire les problématiques sociales qu'ils défendent dans le langage des déterminants sociaux de la santé.
Pour conclure, je souhaite attirer l'attention des membres de ce sous-comité sur les aspects symboliques des politiques publiques orientées vers les déterminants sociaux de la santé. En dépit des initiatives officielles et des grands moyens déployés, je ne crois pas que ces politiques se destinent à une mise en œuvre effective ni même que leur raison d'être est d'améliorer la santé de la population, pour les raisons que je viens d'évoquer et que je pourrai préciser.
Au-delà de l'adhésion , par l'ensemble des acteurs politiques, à des normes guidant l'action publique, la mise en œuvre véritable d'une programmation publique orientée vers les déterminants sociaux de la santé est hautement complexe, sinon irréalisable, même lorsque les normes sont institutionnalisées comme au Québec et en Suède. Une telle approche implique un transfert important de ressources et d'autorité entre les secteurs d'intervention et les paliers administratifs.
J'ai voulu vous faire part de quelques observations générales. Je suis certaine que nos échanges vont permettre d'éclaircir les aspects qui vous intéressent plus particulièrement.
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Le président: Merci beaucoup, madame Bernier. Vous soulevez des questions très importantes. Êtes-vous convaincue que vous êtes en mesure d'évaluer la santé de la population et que vos évaluations sont adéquates?
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MmeBernier: Il faudrait voir ce que les épidémiologistes diraient à ce sujet. L'épidémiologie sociale est la science qui pourrait peut-être avoir les réponses aux questions qui semblent préoccuper le comité, à savoir si ces politiques fonctionnent.
Je crois que ces politiques sont tellement larges que les effets sont diffus et je ne sais ni quand ni comment on pourrait les mesurer. Maintenant, s'il y avait des épidémiologistes sociaux ici, ils tiendraient peut-être un autre discours. Je ne veux pas répondre à leur place. C'est comme demander quel a été l'impact du keynésianisme et des politiques libérales sur la santé de la population. Les effets sont tellement diffus que je ne vois pas comment on parviendra un jour à répondre à cette question de façon claire et satisfaisante pour tout le monde.
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Le président: J'ai toujours pensé que le Québec était dans la position idéale pour mettre en place un régime de soins de santé en se fondant sur la santé de la population parce qu'il y a un certain nombre d'années il avait créé les CLSC. Peut-être que ces derniers n'ont pas été utilisés adéquatement comme outils de recherche, mais vous avez certainement des CLSC au centre-ville de Montréal où les gens sont riches et en santé. Vous avez des CLSC dans des régions rurales du Québec où les gens sont pauvres et en mauvaise santé. Il me semble que si l'Agence de la santé publique pouvait utiliser les CLSC comme un outil de recherche et de mise en œuvre, nous pourrions obtenir de bonnes évaluations fermes. Je ne sais pas laquelle d'entre vous souhaite s'aventurer et répondre à cette question, peut-être les deux.
[English]
MmeBernier: Je n'ai rien à ajouter en ce qui concerne les mesures. Vous mentionnez les CLSC. Ce qui est intéressant de la politique québécoise et qui est unique au Canada, c'est l'intégration relative de la politique sociale avec la politique sanitaire. Vous savez qu'au Québec, on a un ministère de la Santé et des Services sociaux. Cela crée une dynamique particulière pour l'élaboration des politiques. La politique est déjà intégrée dans ce ministère. Il y a deux courants dans le ministère, mais cela a été d'une importance capitale pour le développement de la politique qu'on a aujourd'hui.
Je vais un peu dévier, mais en essayant de répondre à vos préoccupations. On a beaucoup demandé quels étaient les liens entre les politiques de lutte à la pauvreté, la Loi sur la santé publique et la programmation en santé publique. Ce que vous devez savoir, c'est que la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, au Québec, est déjà, en bonne partie, une politique favorable à la santé. Elle a été conçue dans cet esprit. La personne qui dirigeait le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, à l'époque, n'était nulle autre que le Dr Jean Rochon, qui était un expert de santé publique, et qui, vu qu'il y avait un mouvement social au Québec, voulait mettre en œuvre une Loi de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Il y avait ce mouvement social qui était là, mais les acteurs de santé publique ont été des acteurs cruciaux dans l'élaboration de cette loi. Notamment, c'est une direction régionale de santé publique qui a piloté les dossiers de recherche menant à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Donc, les liens sont déjà établis, tant par les CLSC que par les réseaux.
Je voudrais mentionner une dernière chose par rapport à l'intégration. L'Université Laval et l'Université de Montréal, depuis la mise en place de leur programme de santé publique à partir du milieu des années 1970, ont formé 700 à 800 professionnels de santé publique qui travaillent dans l'administration publique et qui se retrouvent dans différents ministères, donc qui ont une influence réelle sur la programmation publique au Québec , pas seulement en santé.
C'est ce que je voulais dire par rapport à l'intégration, c'est vrai dans les CLSC, mais c'est aussi vrai dans le ministère, et dans la politique sociale québécoise, plus généralement.
MmeGagnon: Je pense qu'on va dans la même direction concernant la question des mesures. Il faut considérer les mesures des politiques en tant que telles.
Comme ma collègue le disait, il est très important de soulever que la question de l'émergence de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale vient vraiment d'un mouvement social qui remonte à 1998 et, à ce moment-là, c'était l'ancien ministre de la Santé, qui était alors au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale.
Lorsqu'on a mené notre étude de cas, on s'est aperçu qu'il n'y avait pas seulement le ministre de la Santé, mais aussi un ancien sous-ministre de la Santé et une personne qui venait de la promotion de la santé et que toutes ces personnes étaient déjà sensibilisées à ce dossier. On peut penser que c'est ce qui a fait une différence. Ce sont eux qui ont porté le dossier parce qu'à la première réaction, c'est certain que, et vous pouvez-vous imaginer, lorsqu'un ministre se fait déposer un projet de loi par un collectif pour lutter contre la pauvreté et qu'il va vers ses collègues des autres ministères, il doit convaincre ses collègues de ce projet de loi de lutte contre la pauvreté. Il y a eu une négociation entre le collectif qui avait déposé le projet de loi et le ministère pour en venir à faire des compromis afin que le projet de loi soit accepté.
Quand on continue vraiment dans le temps, cette loi est devenue opérationnelle. Au début, c'était une stratégie. C'est devenu par la suite une loi et un plan d'action. Lorsque le temps est venu d'élaborer le plan d'action, il y a eu des confrontations sur le type de mesures, à savoir, si c'était une vision économique où l'on voulait intégrer à court terme les gens sur le marché du travail ou une vision plus sociale où il faudrait former ces gens pour faire en sorte d'éviter le piège de la dépendance de la pauvreté de façon constante et pas juste à court terme. Les mesures qu'on a adoptées visent plus le court terme. Cela veut dire que dans ce sens, toute la préoccupation d'efficacité de ces mesures est effectivement importante.
[Translation]
Le président: Le sénateur Pépin veut partir, mais avant, je voudrais faire un suivi. Vos deux exposés étaient très intéressants. Cependant, c'est un phénomène très intéressant, car les hommes et les femmes politiques ne semblent pas avoir peur de parler de l'équité en matière de santé — c'est-à-dire l'égalité pour tous en matière de santé. Personne n'oserait parler d'équité financière — pas depuis Joseph Staline, en effet. Je crois que la conscience sociale de tout le pays est consacrée à l'allègement de la pauvreté et à ce genre de choses, mais l'équité financière ne se produira pas.
Toutefois, il est peut-être possible d'assurer l'équité en matière de santé. J'étais fasciné, madame Bernier, de vous entendre parler. Vous avez dit qu'on a accordé tellement d'importance à la santé que d'autres ministères commencent à en avoir assez d'en entendre parler; qu'on y accorde trop d'importance et qu'il faudrait s'intéresser davantage à d'autres dossiers.
J'aurais cru qu'en tout cas au Québec, avec l'organisation que vous avez, d'après ce que j'en sais — et je suis loin d'en savoir autant que vous, mais j'en ai entendu parler — vous deviez avoir l'infrastructure médicale qu'il faut pour assurer l'équité en matière de santé. Jusqu'où êtes-vous allés dans cette voie? Je sais également que vous avez des îlots où l'état de santé de la population est épouvantable.
Mis à part les politiques élaborées au niveau de la stratosphère, que se passe-t-il sur le terrain, dans un CLSC qui se trouve à desservir une population qui a de graves problèmes de santé — c'est-à-dire mauvaise santé maternelle, problème de développement des jeunes enfants, etcetera.?
[English]
MmeBernier: J'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à votre question parce que ce n'est pas là-dessus que je travaille alors, je ne peux pas parler de santé maternelle ou infantile sauf dans des termes très généraux qui n'ont pas lieu ici. Je n'ai pas dit que les autres ministères en ont assez de se voir imposer la norme sanitaire. Ce n'est pas tout à fait dans la lignée que je voulais l'introduire. La norme sanitaire est introduite dans les autres secteurs d'intervention. Cela reflète une transformation profonde de l'État providence en ce moment et un rééquilibrage des forces dans l'État providence et la santé devient une force beaucoup plus importante qui empiète ou qui gruge, si on veut, dans le secteur de la politique sociale, de la protection sociale. Ce phénomène s'est dessiné progressivement. On l'a vu très nettement apparaître au milieu des années 1990 avec la redéfinition des programmes de transferts fédéraux et avec des réductions draconiennes des transferts fédéraux vers les provinces. Qu'est-ce qu'on a fait? On a préservé les normes du secteur sanitaire, donc les cinq conditions des programmes de transfert vers les provinces pour la santé et on a aboli en même temps les conditions, sauf une, pour l'aide sociale notamment.
Une des marques de passage était que cela incitait à faire une refonte de la protection sociale tandis qu'on préservait intact le secteur sanitaire. Les dépenses de santé — alors qu'on est arrivés à réformer les programmes de sécurité du revenu, on n'est pas bien arrivés à contrôler les dépenses du secteur de santé. Le pourcentage du PIB, vous le savez peut-être, continue toujours de croître. En 1970, les dépenses de santé représentaient 7p.100 du PIB. En 2005, c'était passé à 10,4p.100. Donc de sept à 10,4p.100, c'est une croissance. Les dépenses de santé progressent plus rapidement que le PIB. Qu'est-ce que cela fait? Cela gruge dans le reste de la programmation publique. Donc il y a un rééquilibrage.
Je suis loin des politiques de santé maternelle parce que ce n'est pas mon domaine et je ne peux pas vous en parler malheureusement. Si on gruge dans la politique sociale, c'est certain que cela a des impacts sur les déterminants sociaux de la santé. Si on met moins d'argent dans l'aide sociale et qu'on fait des virages ambulatoires comme on a vu au Québec et ailleurs dans le système de soins de santé, mais qu'on n'a pas de fonds à mettre dans les services sociaux ensuite, on a beau dire qu'on travaille sur les déterminants sociaux de la santé et sur la santé de la population, on peut avoir toutes les lois ou tous les programmes de santé publique qu'on veut, cela ne fonctionnera pas. C'est un peu ma réponse, mais c'est quand même ce sur quoi je travaille, désolée.
MmeGagnon: Je suis aussi politologue, alors je ne peux pas répondre en particulier à votre question pour un secteur précis de la santé. Il m'apparaît important, lorsque vous parlez de l'importance de l'égalité en santé de dire que l'on parle d'investissement dans la maladie. C'est ce qui fait que cela coûte de plus en plus cher, parce qu'on a des technologies de plus en plus perfectionnées et il y a toutes sortes d'éléments. Souvent, on investit dans la maladie et tout ce qu'on investit dans ce secteur, non seulement on ne l'investit pas dans le secteur social, mais tout l'argent qu'on met en santé, on ne le met pas en éducation, dans les parcs, on ne fait pas en sorte de développer des pistes cyclables. C'est là qu'investir le tout en santé devient dangereux.
Est-ce qu'on peut arriver à sensibiliser tous les autres ministères pour qu'ils soient conscients de l'impact de leurs actions au point où ils disent qu'ils font attention et qu'ils seront gagnants parce que ce sera réinvesti en santé? Je n'ai pas la réponse aujourd'hui. C'est une façon de dire investissons moins dans les soins et tentons de voir à l'avance comment on peut mieux répartir pour faire en sorte d'avoir globalement une population davantage en santé. C'est un point qui m'apparaît important. Ce n'est pas quelque chose qu'on pourra imposer par une loi. Cela prendra à la fois une volonté politique, des responsables politiques et une sensibilisation de la population pour dire que localement, il y a des initiatives. Les deux niveaux d'intervention sont nécessaires. À la fois un mouvement qui vient de la population, mais aussi une volonté politique des responsables qui marquent le souhait de rééquilibrer.
Les acteurs de la santé publique sont très conscients de la fameuse question de l'impérialisme de la santé. Ils tentent de défaire cette réputation qu'ils peuvent avoir au Québec. Dans certains cas, on les appelait les ayatollahs de la santé. Par exemple, lorsqu'est venu le temps de défendre la question de la Loi sur le tabac qui a été adoptée. On peut penser à l'intérêt mis sur l'obésité. Cela demeure une question importante aussi. Jusqu'où la santé publique peut-elle imposer des normes pour dire aux individus comment se comporter chaque jour dans leur vie? C'est une autre question importante. Mais les acteurs de santé publique sont tout à fait conscients de ce chapeau et de cette étiquette qu'ils ont de l'impérialisme de la santé de ce qu'ils peuvent véhiculer auprès des autres acteurs, des ministères.
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Le sénateur Cook: J'avoue d'emblée que je connais très peu les programmes de santé du Québec. Aidez-moi à comprendre ceci: vous dites dans votre mémoire: «Tel que formulé l'article54 est un incitatif à considérer les impacts sur la santé et le bien-être, il n'entraîne aucune obligation de procéder».
Puis vous dites: «Cette évaluation, qui se veut davantage stratégique au sens où elle met l'accent sur le dépistage et permet ainsi un repérage des impacts potentiels, se fait sur une base volontaire». Je m'inquiète des résultats que vous pourriez obtenir, puisque vous travaillez dans ce cadre. Je m'inquiète des pratiques exemplaires ou de l'information fondée sur des faits.
Vous avez également dit que les lois ne suffiront pas, qu'il faut qu'il y ait une volonté politique — et cela on ne sait jamais où ça peut mener.
Quelle est la valeur d'un consensus entre toutes les parties lorsqu'il s'agit de la santé de la population?
[English]
MmeGagnon: Vous avez soulevé plusieurs éléments. L'évaluation d'impacts n'est mentionnée d'aucune façon dans la loi. C'est une façon qu'on s'est donné pour mettre en œuvre l'article54.
L'évaluation d'impacts sur la santé, comme je vous le disais tout à l'heure, s'est beaucoup développée, entre autres, en Angleterre et sous différentes formes de pratique, on considère que dans l'évaluation d'impacts sur la santé, il doit y avoir la participation de la population. Au Québec, pour le moment, on n'a pas encore intégré cette dimension de la participation de la population, mais cela se fait beaucoup par ailleurs.
À ce moment-ci, la dimension de participation active de la population à une évaluation d'impacts n'est pas intégrée de façon formelle. Je ne sais pas si c'était bien le sens de votre question. Il n'y a pas de mécanisme formel qui oblige. On pourrait éventuellement voir des développements dans l'avenir, mais c'est une dimension qui est aussi importante.
Par contre, ce n'est pas la seule dimension qui doit être prise en compte, car cela peut compléter et donner un point de vue, mais il y a tout un débat lorsqu'on parle d'une évaluation d'impacts sur les données sur lesquelles on doit s'appuyer. Je vous ai dit tout à l'heure que l'Agence canadienne de santé publique est en train de développer une méthode. Elle s'est appuyée sur la façon de procéder de NICE, un institut anglais, qui prend en considération davantage des données probantes.
Par contre, on (INSPQ) a fait une ouverture sur d'autres types de données qualitatives parce qu'il est fort possible que dans certains cas, on n'ait pas de données probantes. Si on n'a pas de données probantes, doit-on nécessairement exclure toute autre forme de données? N'y a-t-il pas d'autres types de données qui peuvent provenir d'étude de cas, d'entrevues, en étant conscients des données dont on se sert. C'est ce qui est important. C'est une question qui est soulevée autour des évaluations d'impacts sur la santé quant à l'utilisation des données, la qualité des évaluations en tant que telles.
[Translation]
Le sénateur Cook: Madame Bernier, est-ce que vous aimeriez ajouter quelque chose, ou est-ce que j'ai semé la confusion dans votre esprit également?
MmeBernier: Vous pourriez peut-être reformuler votre question.
Le sénateur Cook: J'essaie de comprendre quelque chose qui ne crée aucune obligation légale et qui est volontaire. Je m'inquiète des résultats. J'ai l'habitude de considérer les choses en noir et blanc, il faut planter les arbres en rangée, «et cetera».
Je me demande dans quelle mesure cette méthode peut être efficace. Je comprends que les lois ne suffisent pas. Il y a un élément qui m'échappe.
[English]
MmeBernier: Je vais vous ramener au plan macroscopique. C'est vrai pour la politique québécoise et je sais que vous y êtes particulièrement intéressée. Toutefois, tantôt, lorsque j'ai terminé mon exposé, j'ai dit qu'il y avait une fonction très symbolique aux politiques de santé publique. Ce n'est pas unique au Québec. Il n'y a pas d'éléments contraignants. On ne spécifie pas comment on fera la mise en œuvre des programmes, des politiques qu'on adopte, des législations. On produit un discours officiel expert. On vote des lois, on institutionnalise la norme, par contre la mise en œuvre ne suit pas. Je disais aussi que les politiques ne sont pas nécessairement entièrement destinées à une mise en œuvre comme d'une reformulation sur le plan symbolique de la politique sociale.
C'est un exemple. Plusieurs programmes sont adoptés de par le monde et dans les provinces. L'Alberta s'est dotée de beaux objectifs de santé publique pour dix ans, de 2003 à 2012, sans budget spécifique ni d'imputabilité. Cette belle programmation séduit beaucoup les intervenants proches des milieux, mais elle n'est pas nécessairement destinée à une mise en œuvre. Même la Suède n'a pas prévu de mécanismes forts; oui, il y a des évaluations, le premier rapport de l'évaluation de la politique suédoise, je crois que c'était en 2005. Mais quand j'y étais l'an dernier, j'ai passé deux semaines à Stockholm et je parlais aux acteurs de la santé publique qui se plaignaient que ce n'était pas vraiment une véritable évaluation. On disait qu'il n'y avait pas vraiment de mise en œuvre. C'est ce qui ressortait des entrevues que j'ai menées il y a un an.
Les gouvernements centraux sont pris avec, d'une part, une attente pour qu'on fasse des normes et, d'autre part, pour les imposer aux régions, comme en Suède, c'est très difficile pour le gouvernement suédois d'imposer des normes centrales à des autorités comme le Stockholm County Council. C'est très difficile, car c'est très puissant. Donc, on n'y arrive pas. On ne spécifie pas volontairement comment on va y arriver. Il ne se passe pas grand-chose si on n'atteint pas les objectifs de santé publique. Il n'y a pas de pénalités.
Le Québec ne fait pas exception. Sauf qu'en Suède et au Québec, les normes sont plus institutionnalisées. Mais c'est un processus de concertation. C'est ce je disais dans mon exposé. Est-ce que cela répond à votre question?
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Le sénateur Cook: Il faudra que j'y réfléchisse un peu, mais ma première conclusion c'est qu'une infusion de fonds publics fera avancer ce que vous proposez.
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Le sénateur Pépin: Actuellement, les États veulent évaluer l'impact de la santé de leur politique publique. Plusieurs États vont faire une démarche qui sera appliquée à l'environnement. Alors à ce moment, plusieurs pays analyseront leurs politiques et les effets potentiels de l'environnement sur la santé.
Je pense à MmeBernier. Est-ce que cette redéfinition de l'État providence est ce dont vous parlez actuellement? Dans quel secteur? Est-ce que ce serait simplement le secteur sanitaire?
MmeBernier: Cela se passe beaucoup dans le secteur sanitaire, car il est en train d'accaparer de plus en plus de ressources publiques collectives. Comme vous le savez déjà très bien, c'est vrai aussi en environnement et ailleurs. Donc, je dirais que c'est plus des technologies de gouvernance qui vont dans un processus de rationalisation de la chose publique pour qu'elle devienne scientifique, technique.
Le sénateur Pépin: Pratico-pratique?
MmeBernier: Si on veut, basé sur des résultats. Mais ces méthodes correspondent à une forme de pensée qui ne fonctionne pas très bien avec la réalité du processus d'élaboration des politiques publiques. On focalise sur la décision. Quand on vote des lois et des règlements, on veut savoir s'ils ont des impacts directs mesurables. Les décisions sont basées non seulement sur des données probantes, mais un ensemble de compromis dans différents secteurs.
Il est certain que les gens se lancent en politique avec des idéaux, mais lorsqu'ils arrivent au pouvoir, je parle ici à des gens qui connaissent cela mieux que moi, mais on ne fait pas ce qu'on veut au pouvoir. Il y a donc des compromis à faire avec les autres secteurs. Réussir à dire qu'on va prendre les décisions en fonction d'un critère de santé publique, oui, cela donne des arguments, du poids.
On a vu, en Ontario, lorsque le gouvernement Harris a été élu, cela a eu du poids, cela a été important pour le secteur de la santé, parce qu'on a réduit la protection sociale. On a réformé l'aide sociale. On a restreint l'accès à l'assistance sociale en Ontario, en 1995, sous le gouvernement de Mike Harris. Les groupes sociaux ont perdu tout ce qu'ils recevaient du gouvernement. Plusieurs ont fermé leurs portes, presque au lendemain de l'élection. Par contre, la santé publique a réussi à maintenir ses canaux de communication avec le gouvernement de Mike Harris en disant: si vous réduisez dans la santé publique, vous aurez des problèmes à long terme avec le système de soins de santé. Donc, la perspective économique et sanitaire a fonctionné avec le gouvernement Harris alors que les arguments sociaux ne fonctionnaient pas.
Le sénateur Pépin: Pensez-vous, quand on dit qu'on suit une politique de l'environnement, que nous devrions toujours voir l'impact, essayer de sensibiliser les gens à l'importance de la prévention? À la longue, si on est capable de faire cela pour l'environnement, pourrions-nous développer pour qu'il y ait un autre impact important dans le domaine de la santé?
MmeBernier: Si c'est un moyen utile pour améliorer la santé et le bien-être, pourquoi pas?
Le sénateur Pépin: C'est le chemin le plus court, non?
MmeBernier: Par exemple, dans l'idée de la politique environnementale, si on peut démontrer qu'elle a des effets sur la santé, et cetera, et que cela améliore la santé et le bien-être de la population et que c'est ce que l'on veut, qu'on le fasse.
Le sénateur Pépin: On veut prendre quelque chose de beaucoup plus près pour montrer l'impact sur la santé.
MmeBernier: C'est un instrument développé par les gouvernements centraux et dont on peut se saisir comme acteur.
Le sénateur Pépin: Pour sensibiliser?
MmeBernier: Oui. Comment peut-on arriver à développer une politique de santé de la population qui fonctionne? Comment peut-on comme gouvernement, parce que l'on est au gouvernement fédéral, arriver à agir efficacement sur les déterminants sociaux de la santé?
Je vois bien, par vos questions, que vous vous préoccupez beaucoup de comment on peut y arriver et s'il y a des modèles à suivre. Avons-nous des idées qui viendraient d'autres provinces et d'autres pays? Il y en a. Pourquoi ne pas s'en inspirer?
Ce qu'il est important de faire, en même temps, parallèlement, c'est de sortir d'une vision angélique de l'approche de santé de la population. C'est certain que cela peut faire du bien, mais cela a des effets sur la redistribution sociale, sur des groupes sociaux, sur l'organisation des secteurs d'intervention du gouvernement. En même temps, on doit prendre une distance critique vis-à-vis cela dans le sens de voir ce que cela produit comme effet.
Ce sont des transformations très importantes qui se produisent et c'est légitime de se demander comment aller de l'avant, mais parallèlement, il faut se demander, à mesure qu'on avance, quels en sont les effets.
Le sénateur Pépin: J'ai noté ce que vous disiez à la fin. En fait, pour résumer, j'ai compris que vous ne croyez pas que la mise en œuvre était effective, les déterminants sont complexes, etcetera, mais il y a un transfert d'autorité qui serait important. De quelle manière pensez-vous que le transfert d'autorité pourrait se faire?
MmeBernier: Le transfert d'autorité se fait lui-même, c'est un processus qui se produit.
Le sénateur Pépin: Oui, mais actuellement, la façon dont c'est organisé chez nous, au Québec les ministres, les différents ministères, etcetera, quel genre de transfert faudrait-il effectuer pour que ce soit plus efficace? Si les déterminants sont complexes, de quelle manière faudrait-il s'y prendre?
MmeBernier: Je n'ai pas de recette magique, mais je vais vous faire part d'une idée que j'ai développée avec une de mes collègues dans un articlerécent. Je ne sais pas si vous l'avez lu. De toute façon, on dit que et cela s'applique pour le Québec comme pour le Canada et le gouvernement fédéral , finalement, l'engagement des autorités centrales est essentiel c'est-à-dire le Conseil du Trésor, le conseil exécutif du gouvernement, je cherche le nom exact de l'entité, les agences centrales du gouvernement, peu importe quel gouvernement. Les autorités centrales doivent absolument s'impliquer et donner des directives aux autres ministères.
Cela a été fait au Québec, parce qu'on a voté la loi. Peut-être que France en saurait plus que moi sur l'implication des agences centrales au Québec?
Enfin, vous m'avez posé cette question, je pense que c'est une condition essentielle, peu importe où l'on se trouve, à Ottawa, à Québec ou dans n'importe quel pays ou province.
Le sénateur Pépin: Les décideurs!
MmeBernier: Centraux!
Le sénateur Pépin: Madame Gagnon, avez-vous quelque chose à ajouter?
MmeGagnon: Cet aspect de l'engagement nécessaire des responsables est important.
[Translation]
Le président: Merci, MmeBernier et MmeGagnon. Vous nous avez accordé deux pleines heures. Nous vous sommes très reconnaissants d'être venues nous faire profiter de votre expertise.
La séance est levée.