Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations
Fascicule 3 - Témoignages du 13 février 2008
OTTAWA, le mercredi 13 février 2008
Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 6, pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
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[Note de la rédaction : En raison de difficultés techniques, des parties des délibérations sont inaudibles.]
Le président : Chers collègues, le sénateur Pépin ne sera malheureusement pas ici ce soir car elle a la grippe. Nous allons tenir la séance quand même puisque nous ne disposons pas de beaucoup de temps et que nous recevons des gens très occupés. Nous les remercions de nous consacrer de leur temps, dont nous voulons tirer le meilleur parti possible.
Nous allons commencer par Glenda Yeates, présidente-directrice générale de l'Institut canadien d'information sur la santé, et Keith Denny, gestionnaire intérimaire de l'ICIS. Nous avons aussi parmi nous cet après-midi, Noralou Roos, professeure à la Faculté de médecine de l'Université du Manitoba.
Sans plus tarder, madame Yeates, je vous cède la parole.
Glenda Yeates, présidente-directrice générale, Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) : Au nom de l'Institut canadien d'information sur la santé, j'aimerais vous remercier de l'intérêt que vous portez à notre travail et de nous avoir invités aujourd'hui.
J'aimerais aussi vous présenter mon collègue, Keith Denny, gestionnaire intérimaire de l'Initiative sur la santé de la population canadienne. L'ISPC fait partie de l'ICIS et ses travaux portent expressément sur la santé de la population. Sa mission consiste à mieux faire comprendre les facteurs qui influent sur la santé des individus et des collectivités et à contribuer à l'élaboration de politiques qui réduisent les inégalités et améliorent la santé et le bien-être des Canadiens.
[English]
Mon introduction d'aujourd'hui comprend deux parties. Dans la première, je propose quelques résultats récents tirés des rapports de recherche de l'ICIS sur la santé de la population. Dans la deuxième partie, à la demande du comité, je présente le point de vue de l'ICIS sur le rôle que le gouvernement fédéral pourrait jouer pour renforcer la santé de la population.
La santé de la population est une démarche qui nous rappelle que la santé et la maladie dépendent grandement de nos habitudes de vie, du travail, d'apprentissage et de loisirs. Les Canadiens sont parmi les gens les plus en santé du monde, mais on observe des écarts notables entre les différents groupes de la société.
De nombreux facteurs sociaux et économiques complexes sont à l'origine de tels écarts, notamment comme nous le savons, les revenus et l'éducation.
[Translation]
Des études ont montré que le milieu de vie influe sur la santé. Selon une recherche menée récemment par l'ISPC, les résultats pour la santé diffèrent selon les quartiers des villes. Vous nous avez demandé de nous concentrer sur quelques- unes des dernières conclusions que nous avons tirées en matière de santé. Dans les documents que nous vous avons remis, nous avons inclus des données sur la ville de Halifax. Nous pouvons voir que les résidents des quartiers enregistrant un revenu médian inférieur à la moyenne mais dont le pourcentage de diplômés d'études postsecondaires est supérieur à la moyenne sont plus susceptibles que les résidents des autres types de quartiers de qualifier leur santé d'excellente ou de bonne.
J'aimerais parler brièvement d'un autre exemple tiré des dernières conclusions de l'ISPC. Dans un récent rapport, nous nous sommes penchés sur les liens entre l'itinérance et la santé mentale. Cette étude a révélé que les raisons les plus courantes évoquées par les itinérants pour utiliser les services d'urgence diffèrent grandement de celles du reste de la population, en raison des troubles de santé mentale et du comportement. L'étude comportait également une synthèse de la documentation, qui a conclu que les programmes offrant en premier lieu un service d'hébergement combiné à des services de santé mentale adéquats et souples semblent aider efficacement les sans-abri à stabiliser leurs problèmes de santé mentale.
[English]
À la demande du comité, j'aimerais maintenant présenter le point de vue de l'ICIS sur le rôle que le gouvernement fédéral pourrait jouer pour renforcer la santé de la population.
[Translation]
À la demande du comité, nous nous sommes penchés sur trois rôles possibles que le gouvernement fédéral pourrait jouer en matière de santé de la population. Nous avons examiné cette question en tenant compte de notre rôle de fournisseur d'informations et de données découlant de recherches et d'analyses sur la santé de la population.
Premièrement, le gouvernement pourrait offrir un appui soutenu à la collecte de données qui étayent les analyses sur la santé de la population. Même si nous en connaissons pas mal en la matière, il nous en reste encore beaucoup à apprendre.
Les responsables de l'Initiative sur la santé de la population canadienne de l'ICIS ont travaillé directement avec les principaux intervenants et ont écouté ce qu'ils avaient à dire. L'ISPC cherche à comprendre et à utiliser les données disponibles. Toutefois, les données locales sont souvent essentielles pour apporter des changements en fonction de celles-ci. Par conséquent, l'appui soutenu du fédéral à des organisations comme l'ICIS et Statistique Canada revêt une importance cruciale pendant que nous nous efforçons de rendre les données sur la santé de la population plus facilement accessibles dans les régions, ou même dans les quartiers.
Deuxièmement, en réponse à votre question, le gouvernement fédéral devrait appuyer la « recherche interventionnelle » sur la santé de la population. Si nous regardons à nouveau les récentes consultations que nous avons menées à l'ICIS, nos intervenants ont indiqué qu'ils aimeraient obtenir des informations plus pratiques fondées sur des preuves concernant les points positifs et les points à améliorer sur le plan des politiques et des programmes d'intervention auprès de la population. C'est ce qu'on appelle souvent la recherche interventionnelle. Par exemple, des études récentes montrent clairement que l'obésité constitue un problème au Canada. Mais que peut-on faire pour améliorer la situation? D'autres évaluations doivent être effectuées pour savoir ce qui fonctionne ou pas, et dans quels contextes et circonstances. À titre de principal bailleur de fonds de la recherche en santé au Canada, le gouvernement fédéral pourrait ajouter à ses priorités en matière de santé de la population la recherche interventionnelle.
Troisièmement, le gouvernement fédéral pourrait offrir du soutien à la création des dossiers de santé électroniques — ou DES —, qui permettent de recueillir de l'information normalisée utile au domaine de la santé de la population. Les dossiers de santé électroniques peuvent non seulement aider chacun des patients de façon directe, mais ils peuvent également servir à recueillir plus de données sur le système, de même que sur la population.
Les DES offrent de nouvelles possibilités quant au type de données recueillies, à la façon de les recueillir et à l'éventail de données disponibles pour comprendre et améliorer la santé de la population. Ils visent d'abord et avant tout à éclairer les décisions relatives aux soins des patients. Toutefois, il est possible d'en accroître le potentiel si leur déploiement repose sur une vision qui englobe la capacité d'améliorer la santé de la population dans son ensemble.
Le gouvernement fédéral a un rôle important de chef de file à jouer afin d'aider à clarifier la façon dont les données provenant des dossiers de santé électroniques peuvent, tout en protégeant les renseignements personnels, favoriser l'élaboration d'indicateurs et d'analyses en vue d'améliorer la santé de la population. Il importe de s'engager à élaborer des dossiers de santé électroniques qui permettent de recueillir des données normalisées et comparables pouvant servir à mieux comprendre la santé de la population et à concerter nos efforts dans ce domaine.
En tant qu'organisation vouée à améliorer le système de santé du pays et la santé des Canadiens, je vous remercie de l'intérêt que vous portez à notre travail et je serai ravie de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Yeates.
Nous avons maintenant le privilège d'entendre Mme Roos, qui a une vaste et remarquable expérience. En tant que professeure à l'Université du Manitoba, elle a fondé et dirigé le Manitoba Centre for Health Policy. Elle est chercheure associée à l'Institut canadien des recherches avancées.
Nous vous écoutons.
Noralou Roos, professeure, Faculté de médecine, Université du Manitoba : Je suis également ravie de témoigner devant un comité qui a pour priorité la santé de la population.
J'essayais de voir ce que j'avais à apporter à vos discussions. Je me concentrerai sur les questions que vous posiez concernant les obstacles structurels à la mise en œuvre d'une politique axée sur la santé de la population et les options pour y arriver. Après avoir parlé avec quelques personnes qui avaient déjà discuté avec vous, je me suis dit que j'allais aussi vous encourager surtout à soutenir les investissements dans ce qui est, à mon avis, la force du Canada : les bases de données sur la santé de la population.
Je vais vous donner quelques exemples. Pour obtenir l'appui du public, nous avons découvert qu'il faut discuter de la santé de la population à plus grande échelle; il doit y avoir une communication. Nous avons travaillé avec le Conseil des chefs d'entreprise à cette initiative. Je vais vous montrer la façon dont nous avons recueilli des données pour persuader les membres du conseil qu'il importe qu'ils s'attaquent aux problèmes touchant la santé de la population.
Je vous ai remis toute une série de transparents. Je vais commencer avec le troisième, qui est celui avec les cercles qui montre la base de données que nous avons créée au Manitoba. Nous avons rassemblé non seulement des données sur le système de soins de santé — chaque contact avec les médecins et les services hospitaliers —, mais aussi des données en éducation. Ces dernières comprennent le niveau de réussite des enfants aux tests normalisés et à l'école. Nous avons compilé des données sur les services familiaux qui recensent les enfants issus de familles ayant bénéficié d'aide au revenu; autrement dit, vivant dans la pauvreté. Cela englobe également les enfants qui ont été pris en charge ou dont la famille a reçu des services de protection en raison de problèmes familiaux.
Toutes ces données sont conservées au centre en toute confidentialité, mais sont recueillies à l'appui d'une question de recherche précise que nous leur posons.
Si vous regardez la diapositive no 11, j'ai sorti les données qui ont persuadé le Conseil des chefs d'entreprise qu'investir dans les enfants à risque est la voie à suivre pour accroître la productivité et réduire les coûts sociaux. Les colonnes de droite montrent ce que les écoles constatent généralement quand elles comparent le rendement des enfants issus de familles à faible revenu par rapport à ceux vivant dans de meilleures conditions socioéconomiques.
La première colonne de gauche indique qu'environ 76 p. 100 des enfants dont les familles ont eu recours à une aide au revenu à un moment donné ont réussi leur test de langue de 12e année. À la dernière colonne de droite, vous voyez que chez les enfants des milieux aisés de la ville de Winnipeg — la banlieue —, 96 p. 100 ont réussi le test. Il y a un écart. On préférerait que cette différence n'existe pas, mais il y a une lueur d'espoir. Ce n'est pas catastrophique.
Quand nous avons commencé à analyser ces données, nous nous sommes aperçu qu'il manquait beaucoup d'enfants à l'école le jour du test. Nous avons pensé qu'à l'aide des données sur la santé — notre capacité d'amalgamer ces séries de données —, nous pourrions retracer tous les enfants nés à Winnipeg il y a 18 ans, qui habitaient toujours la province et qui auraient dû passer le test. Nous pourrions découvrir s'ils étaient à l'école, où ils en étaient rendus dans leurs études et quelle était le véritable tableau pour ce qui est du rendement scolaire. C'est ce qu'on voit à droite complètement.
En fait, 76 p. 100 des enfants, dont la famille a reçu à un moment donné une aide au revenu et qui étaient à l'école, ont réussi le test, mais de tous ces enfants issus de ces familles qui auraient dû être à l'école pour passer l'examen, seulement 11 p. 100 l'ont réussi. C'est ce qui a convaincu le Conseil des chefs d'entreprise. Je vous ai remis un document d'une page qu'ils utilisent maintenant dans leurs rapports avec le gouvernement et le public pour commencer à présenter cela comme étant un problème.
Par ailleurs, regrouper ces différentes séries de données permet de réunir les différents ministères. Vous avez alors la possibilité de collaborer avec d'autres ministères.
À la diapositive 22, nous posons la question suivante : Où sont les enfants que j'ai décrits — les enfants pris en charge, dont les familles bénéficient d'une aide au revenu, qui sont protégés par des services à la famille et ceux nés d'une mère adolescente? Essentiellement, ces enfants ont des résultats aussi médiocres que ceux dont les familles reçoivent une aide au revenu que nous montrions tout à l'heure. Où vivent-ils?
Dans certains quartiers du centre-ville de Winnipeg, 80 p. 100 des enfants présentent l'une de ces caractéristiques, tandis que dans les milieux aisés, ils sont moins de 10 p. 100. Mme Yeates parlait de recueillir des données au niveau local; celles-ci s'en rapprochent beaucoup.
À la page suivante, on montre comment la politique actuelle en matière de garde d'enfants du gouvernement offre des services de garderie agréés à la ville de Winnipeg. Le Manitoba est doté de l'un des meilleurs systèmes de services de garde agréés au Canada. Il n'y a que le Québec qui offre plus de financement — plus de places subventionnées, une formation supérieure, et cetera.
Toutefois, étant donné la façon dont le système est conçu, il n'offre pas de services de garde aux enfants vivant dans les secteurs du centre-ville car les garderies sont financées pour les mères qui travaillent. On ne compte pas beaucoup de mères qui travaillent dans les familles que je viens de décrire. Le gouvernement, en collaboration avec ses ministères, a commencé à s'intéresser sérieusement à la question et à prendre des mesures.
Pour terminer, je vais donner un autre exemple qui montre la façon dont ces bases de données peuvent être utilisées. Quelqu'un voulait savoir si c'était le bon comité à qui en parler parce que je voulais également examiner une proposition pour mener une évaluation de la situation réelle des médicaments. On ne teste pratiquement jamais les médicaments sur les enfants avant qu'ils n'arrivent sur le marché. On ne les teste pas non plus sur un grand nombre de groupes à risque élevé ou, si on le fait, ce sont sur des groupes à risque très élevé et les médicaments sont administrés à bien des gens relativement en bonne santé.
À l'aide de ces bases de données, nous essayons d'établir une façon de repérer les problèmes d'innocuité et d'efficacité des médicaments après leur arrivée sur le marché. C'est un autre secteur où, d'après moi, ces bases de données pourraient constituer d'excellents outils pour améliorer la santé de la population.
Le président : Madame Yeates, vous m'excuserez de prendre un peu de temps pour formuler cette question, mais il y a longtemps que je veux vous la poser. Je vous la reposerai dans quelques mois quand nous tiendrons une table ronde sur certaines méthodologies.
Nous avons observé de grandes réalisations au Canada au cours des vingt dernières années. L'ICIS et l'IRSC sont les deux plus importants instituts. Il y en a 11 autres, en plus de la nouvelle Agence de la santé publique du Canada. Les provinces ont réalisé des progrès avec leurs organismes de santé publique qui nous ont permis d'offrir des programmes à l'échelle communautaire. À mon avis, nous devons travailler au niveau des collectivités où nous pouvons intégrer la douzaine de grands déterminants de la santé si nous voulons améliorer la santé de la population, particulièrement chez les groupes dont l'état de santé est très mauvais.
Si nous voulons y parvenir, nous devons pouvoir mesurer ce que nous faisons. Si nous avons la chance que les différents gouvernements, les organismes et les ONG adoptent les recommandations que nous formulons ou le cadre de travail que nous leur suggérons, le plus important, c'est de pouvoir mesurer, dès le départ, les répercussions de notre travail sur la population. À l'heure actuelle, pouvez-vous penser à un moyen d'y arriver entre votre institut, les organisations que j'ai mentionnées et bien d'autres? Nous disposons d'incroyables ressources partout au pays; elles semblent juste ne pas être intégrées.
Le comité vient de rentrer de Cuba. Nous voulions y examiner les polycliniques qui offrent éducation, sciences, services sanitaires et sociaux dans les collectivités. Je ne peux pas préjuger notre rapport, mais je pense qu'il est inévitable que nous en arriverons là au Canada.
Je m'excuse auprès des autres témoins si je m'éternise, mais c'est vraiment important. Croyez-vous que nous disposons des rouages pour pouvoir établir un processus d'analyse des répercussions sur la santé, ou peut-être existe-t- il une meilleure terminologie?
Mme Yeates : Je conviens tout à fait qu'il existe d'immenses ressources. Nous sommes beaucoup mieux servis au pays en fait de disponibilité des données qu'il y a 10 ou 20 ans. Les données disponibles sont nettement meilleures de nos jours.
On peut penser à quelques niveaux où mener une analyse des répercussions sur la santé. Tout d'abord, il y a le niveau plus général, soit l'évolution d'un quartier au fil des ans au fur et à mesure de nos interventions. L'ICIS et Statistique Canada ont rendu public un cadre d'indicateurs de la santé. Nous avons des indicateurs de la santé de la population et des déterminants de la santé, de même que des indicateurs des services de santé, ce qui pourrait inclure des indicateurs de soins de santé primaires et des hôpitaux. En ayant un cadre d'indicateurs que vous mesurez au fil du temps d'une manière normalisée, vous pouvez savoir quelles collectivités progressent et dans quels indicateurs des changements se produisent. Le cadre d'indicateurs au Canada est efficace. Toutefois, puisque les indicateurs ne sont pas élaborés pour toutes les situations, il reste encore du travail à faire. Il faut du temps pour mettre au point ces indicateurs, puis nous assurer que nous disposons des données pour les étayer. De plus en plus, nous pouvons le faire.
Nos indicateurs au niveau des provinces sont utiles dans certains contextes politiques. Quand vous les appliquez à l'échelle municipale ou régionale, ils sont utiles à d'autres. Si vous dirigez une organisation de santé régionale ou municipale, les analyses menées dans les villes peuvent être utiles. Comme Mme Roos l'a mentionné aussi, nous observons que les analyses des quartiers sont de plus en plus efficaces. Par exemple, nous travaillons avec des médecins conseils en santé publique dans des villes de partout au pays pour leur fournir un modèle. Nous utilisons des analyses semblables à partir de nos données et ils ont des sources locales de sorte que nous pouvons publier des rapports ville par ville qui examinent quelques-uns des facteurs quartier par quartier. Au niveau local, les résidents connaissent beaucoup mieux leur contexte politique et ce qu'ils pourraient faire. Travailler sur des données comparables et les communiquer à l'échelle locale donne des résultats.
Pour ce qui est de la recherche interventionnelle, vous devez vous pencher sur un cadre de recherche particulier pour connaître les répercussions de certaines politiques et les liens de causalité, car bien des initiatives seront menées dans un quartier. Par exemple, vous voudrez peut-être savoir si un programme de lutte contre l'obésité mené dans des écoles de la Nouvelle-Écosse fonctionne. Certains de ces programmes ont donné des résultats tangibles et d'autres, pas. Nous avons alors pu remettre en question ces résultats étant donné que tous les programmes étaient bien conçus et créés avec de bonnes intentions. Parfois, nous devons effectuer cette recherche à un niveau donné pour déterminer ce qui fonctionne puisqu'un indicateur général pourrait ne pas avoir relevé l'incidence d'une intervention donnée. D'une part, nous avons besoin d'un cadre d'indicateurs solide — et nous sommes en voie d'y parvenir — qui s'est révélé de plus en plus utile en détaillant les données le plus localement possible. D'autre part, pour des interventions données, il faut mener des recherches qui se penchent sur un type d'intervention précis, ses répercussions et ses résultats.
Le président : Madame Roos, j'ai une question pour vous, mais vous aimeriez peut-être d'abord commenter les propos de Mme Yeates.
Mme Roos : Je confirme ce que dit Mme Yeates. Nous travaillons avec le Healthy Child Committee of Cabinet du Manitoba, qui collabore avec différents ministères qui mettent la priorité sur les enfants. Ils essaient d'approuver une proposition visant à effectuer un essai randomisé parmi des enfants inscrits à un programme d'été dans des écoles situées dans des quartiers urbains défavorisés pour qu'ils n'oublient pas ce qu'ils ont appris au cours de l'année en ne faisant rien de tout l'été.
Nous avons rencontré des directeurs d'école et avons laissé entendre qu'ils ne peuvent pas offrir ce programme à tous, et ils en ont convenu. Ils avaient un moyen d'essayer de cibler les participants au programme, mais ils ne voyaient absolument aucun inconvénient à ce que nous procédions à une sélection au hasard et fassions parvenir des invitations. Ils allaient faire preuve de transparence et promouvoir le programme. À cela s'ajoutent les bases de données pour savoir comment les enfants qui n'y ont pas participé s'en sont tirés, le nombre de leurs blessures, et cetera. Cette combinaison est efficace.
Soit dit en passant, l'ICIS a appuyé les recherches efficaces que j'ai décrites tout à l'heure. Il est important d'avoir une combinaison de soutien et de recherche interventionnelle conçue de manière efficace dans les différentes provinces.
Le président : Nous aimerions étudier sérieusement le lien entre la santé et la productivité. Tout le monde parle de la santé de la population depuis que l'ancien ministre de la Santé, Marc Lalonde, a soulevé la question il y a de nombreuses années, mais le sujet a tendance à ennuyer les gens. Toutefois, quand on parle de disparités sur le plan de la santé, on retient davantage l'intérêt et on commence à écouter et à comprendre ce qu'on dit. Si on veut vraiment attirer l'attention des gens, parlons santé et productivité.
Le problème, c'est de trouver les données tangibles liées à la santé et à la productivité. J'ai souvent osé dire qu'il existait un lien indéniable entre la santé et la productivité, mais nous avons besoin de données tangibles pour corroborer cette affirmation. Pouvez-vous nous éclairer à cet égard?
Mme Roos : C'est un défi intéressant. Nous savons que les mêmes facteurs qui sont liés à la santé sont aussi liés à l'éducation. La situation socioéconomique est étroitement liée au rendement scolaire et tout le monde comprend sans problème l'importance de l'éducation. Si on ne peut pas faire en sorte que les enfants obtiennent leur diplôme d'études secondaires, ils ne progresseront sûrement pas dans l'économie du XXIe siècle.
Dans le sud-est du Manitoba, le Club Rotary collabore avec les organisations de la santé en milieu rural. Ils organisent des journées axées sur l'alphabétisation. Le Dr Fraser Mustard est allé là-bas et les a convaincus que pour véhiculer le message sur la santé de la population aux résidents, il faut le faire à grande échelle. Je me concentrerais là- dessus.
Le président : J'aimerais en discuter plus en profondeur, mais je vais passer aux questions des sénateurs. Nous allons commencer par le sénateur Eggleton, ancien maire de la Ville de Toronto. Il est le président du comité des affaires sociales, qui mène une étude parallèle sur les villes.
Le sénateur Eggleton : Madame Yeates, vous avez présenté trois facteurs précis liés au rôle du fédéral, mais je crois que vous laissez le gouvernement s'en tirer à bon compte. Il y a trois excellents secteurs : la collecte de données pour consolider la base; la recherche interventionnelle; et les dossiers électroniques, qui se font attendre depuis longtemps. Cela me paraît être des propositions relevant du secteur de la santé traditionnel qui cadreraient probablement bien avec Santé Canada. Bien entendu, quand on parle de santé de la population, on parle de déterminants sociaux, comme la pauvreté, le logement, l'éducation, l'apprentissage des enfants d'âge préscolaire, l'environnement, et cetera, qui ne s'inscrivent pas tous dans le rôle traditionnel du gouvernement fédéral et du ministre de la Santé. D'après vous, comment cela sera-t-il couvert? Je pense plus particulièrement à la recherche interventionnelle. Vous laissez entendre que pour s'attaquer à ce secteur, il faudra s'occuper des autres secteurs que j'ai mentionnés. Toutefois, cela ne cadre pas avec le système de cloisonnement du gouvernement fédéral et son approche pangouvernementale, ce qui est très difficile. On l'a essayé dans d'autres pays — au Royaume-Uni, par exemple —, il y a une participation du cabinet de haut niveau. Comment cela cadrera-t-il avec les recommandations que vous avez faites pour que ces autres secteurs de la santé de la population soient couverts, et non pas seulement le secteur de la santé traditionnel?
Mme Yeates : J'ai déjà été sous-ministre provinciale, et je m'inspire de cette expérience jusqu'à un certain point. C'était en Saskatchewan et Mme Roots a évoqué quelques-unes des tentatives au Manitoba. Puisque les gens essaient de collaborer avec les ministères, à n'importe quel palier gouvernemental, les données et les informations constituent l'un des éléments qui les réunissent. Les structures ne l'appuient pas particulièrement, mais quand on peut montrer ce genre de choses qui amène les gens à abattre les cloisons, je crois que c'est très utile.
L'un des problèmes pour rallier les différents ministères, c'est l'absence possible de données. J'ai travaillé pour des services sanitaires et sociaux au palier provincial, ainsi qu'au ministère des Finances, et j'affirmerais qu'on peut défendre l'idée avec plus de vigueur dans les secteurs où on a des données solides. Là où les données font défaut, on travaille avec des théories et des suppositions. C'est loin d'être aussi efficace pour convaincre vos collègues à faire cause commune.
Lorsque je pense à la recherche interventionnelle, je pense à l'énorme possibilité de financement du gouvernement fédéral. Il joue un rôle de premier plan pour le financement de l'IRSC et d'autres entités. À mon avis, des organismes comme le nôtre ont la responsabilité de déléguer une partie de cette recherche et ce, pas seulement aux ministères de la Santé; nous ciblons précisément d'autres secteurs.
Quand nous avons terminé notre rapport sur la santé dans les villes, nous l'avons envoyé à tous les maires du pays et aux ministères de l'Éducation. Nous avions prévu que les ministères nous appellent pour nous annoncer qu'ils veulent faire leur part.
Nous essayons fortement de faire tomber ces cloisons. Je suis de votre avis; les solutions se trouvent de plus en plus dans la collaboration.
Je crois que le gouvernement fédéral peut contribuer à cette intégration en assumant un rôle de premier plan en recherche et en collecte de données. Ce sont deux outils clés qu'il peut utiliser pour favoriser l'intégration au niveau local, mais il se peut fort bien que votre comité en ait étudié d'autres.
Le sénateur Eggleton : Compte tenu de ce vaste éventail de secteurs qui touchent la santé de la population, différents ministères s'en occupent. Ce qui importe le plus, c'est que la plupart de ces autres ministères sont au palier provincial, ou peut-être des services offerts au palier municipal. Quel est le rôle du fédéral dans tout cela? Le voyez-vous mobiliser les provinces pour essayer d'élaborer une stratégie? Je crois que Mme Roos a utilisé l'expression « stratégie nationale » dans son mémoire. Qu'en pensez-vous?
Mme Yeates : Je ne sais pas si j'ai une opinion en tant que représentante d'un organisme d'information. Comme ancienne fonctionnaire provinciale, je crois qu'il est utile que les gouvernements énoncent clairement qui excelle en quoi et qui est le mieux placé pour accomplir le travail. Établir clairement quel palier de gouvernement peut faire le plus bouger les choses est important au pays, et nous y parvenons mieux parfois qu'à d'autres moments.
Il y a certaines choses dans un pays de cette taille et de cette diversité que le gouvernement fédéral fait bien et efficacement et d'autres, que les provinces et les villes font bien.
La question m'a intriguée parce que votre comité s'est visiblement interrogé sur le rôle du fédéral. Il est important de réfléchir à la façon de faire progresser ce programme en matière de santé de la population à chacun de ces paliers.
Le sénateur Eggleton : Madame Roos, à la première page de votre document, on peut lire « Favoriser l'adoption d'une stratégie nationale ». D'après vous, comment le gouvernement fédéral devrait-il s'y prendre pour y arriver?
Mme Roos : Je vois que l'Alberta tente de réunir cinq ministères et toutes les données de ceux-ci. La Colombie- Britannique essaie de faire la même chose. Des gens de trois ministères différents en Ontario nous ont rendu visite la semaine dernière parce qu'ils essaient également de rassembler des données sur l'éducation, les services à la famille, et cetera. La même chose se produit à Halifax.
Le rôle du fédéral a souvent trait au financement, soit par l'entremise de l'ICIS ou de l'IRSC. Une initiative dans ce secteur serait énormément utile, mais surtout pour ce qui est d'établir des normes et des lignes directrices, de réunir des gens pour faire en sorte que si vous décidez de le faire, ce sera de façon à engendrer des résultats semblables; vous pouvez compter les choses de la même façon.
Ce qui serait utile également, ce serait le type d'initiatives que nous menons actuellement au Manitoba avec le Conseil des chefs d'entreprise, qui visent à favoriser une meilleure compréhension — à l'extérieur du cadre des milieux universitaires, de votre comité et de Fraser Mustard — des raisons pour lesquelles ces questions revêtent une importance pour la productivité de la société canadienne.
Nous devons attirer l'attention sur cette question. Personne ne niera qu'il est bien de parler des enfants. Je faisais partie du forum sur la santé. Sensibiliser le public à la santé de la population n'est pas chose facile. Les entreprises pourraient assumer un rôle de premier plan. Minneapolis et Hamilton ont agi de manière proactive. Le Conseil des chefs d'entreprise se réunira à Winnipeg pour parler aux gens d'affaires et au public, et je crois que cette rencontre pourrait jouer un rôle très déterminant.
Le président : Le sénateur Segal est le prochain intervenant. Il a présenté une motion très intéressante hier au Sénat et a prononcé un superbe discours que nous intégrerons à nos documents ici.
Le sénateur Segal : Merci, monsieur le président.
Je sais que ce n'est pas facile pour les témoins de se détacher de leurs fonctions officielles [inaudible].
La diapositive no 15, intitulée « Enfants à risque du Manitoba », montre que 31 p. 100 des enfants présentent au moins un facteur de risque. Elle indique que 14 p. 100 vivent dans la pauvreté et sont issus d'une famille qui reçoit une aide au revenu; 17 p. 100 sont nés d'une mère adolescente; et 17 p. 100 sont des enfants pris en charge ou bénéficiant d'une protection. Pour ce qui est de la deuxième et de la troisième catégories, vous ne dites pas qu'il s'agit d'enfants issus de milieux nantis qui ont une mère adolescente. Ces gens auront un revenu semblable, je présume.
Mme Roos : Oui.
Le sénateur Segal : Si vous n'utilisez que la pauvreté comme facteur déterminant pour les 14 p. 100, êtes-vous en train de dire que la pauvreté n'est pas un problème dans les deux autres catégories?
Mme Roos : Non. Tout le monde a présumé, avant que nous compilions ces statistiques, qu'il s'agissait essentiellement des mêmes personnes. C'est le cas pour un grand nombre d'entre elles, mais certainement pas pour toutes.
Le sénateur Segal : Ce sont des caractéristiques déterminantes.
Si on vous demandait, sans égard aux déterminants, ni à la santé de la population en tant que tels, comment vous dépenseriez 120 millions de dollars pour améliorer la santé de la population de la manière la plus radicale, adéquate et efficace possible, que répondriez-vous?
Il y a suffisamment d'organisations comme l'ICIS qui accomplissent un travail formidable dont nous bénéficions tous. Les outils de diagnostic s'améliorent sans cesse et les gens multiplient leurs efforts en ce sens. Nous sommes toutefois privés de l'instrument qui nous permettrait d'utiliser le diagnostic et de changer véritablement les choses dans la vie des gens avant qu'ils ne meurent, qu'ils ne perdent leur enfant ou que leur communauté ne soit à court d'options. De quel instrument s'agit-il? Si vous deviez choisir l'instrument susceptible de produire les meilleurs résultats, est-ce que ce serait la sécurité du revenu? À la lumière de quelques-unes de vos données, il m'apparaît que l'éducation est un meilleur indicateur que le revenu bien que celui-ci, comme vous l'avez dit vous-même, soit l'un des facteurs déterminants dans l'accès à l'éducation. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
Mme Roos : Il nous faut investir dans nos enfants au cours de leurs 17 premières années au moyen de programmes universels ciblés dans les collectivités où les risques sont les plus élevés. Nous devons tout mettre en œuvre pour leur offrir dès la petite enfance des expériences stimulantes, en leur donnant dès le départ l'accès à des services de garde bonifiés.
Nous devons prévenir la grossesse chez les adolescentes qui ont grandi dans la pauvreté. Lorsque ces adolescentes ont des enfants, c'est le début d'un cercle vicieux. C'est en investissant dans nos enfants qu'on obtient les meilleurs résultats. Je préconiserais des investissements précoces et fréquents pendant toute l'enfance.
Mme Yeates : Je suis d'accord avec ce que Mme Roos vient de dire. Mon expérience des services sociaux me porte à croire que le soutien du revenu est l'un des instruments les plus efficaces à notre disposition; il faut appuyer les enfants, mais aussi leurs parents. Les programmes de soutien du revenu sont nécessaires, mais les différentes sources de revenu ont également leur importance. Tant les mesures de soutien du revenu que les sommes en provenance d'autres sources sont bénéfiques pour les enfants. Notre mode de soutien aux familles est déterminant car les effets intergénérationnels peuvent faire toute la différence.
Nous devons offrir notre soutien en créant un climat favorable au sein de ces familles. [inaudible]
Keith Denny, gestionnaire intérimaire, Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) : J'estime aussi que le développement de la petite enfance est important. Nous pouvons compter sur une grande quantité de recherches [inaudible]. Nous avons également un large éventail de résultats en matière de santé.
Nous n'avons toutefois pas encore une idée exacte de ce qui fonctionne ou pas. Nous devons apprendre à mieux nous servir de ces optiques d'analyse en déterminant les mécanismes qui les associent aux différents résultats. En dépit de toutes les sommes déjà dépensées, nous avons encore besoin de recherches pour nous aider à mieux comprendre comment cerner tous ces éléments de manière à évaluer les impasses. J'en reviendrais à cela. Il nous faut encore améliorer notre compréhension des causes et des mécanismes associés aux déterminants de la santé.
Le sénateur Cochrane : Je n'ai pas entendu parler des efforts à concentrer sur les mères en devenir. Lorsqu'une femme est enceinte, il est primordial de s'assurer qu'elle dispose de toute l'information requise de manière à pouvoir se procurer les vitamines, la nourritures et les autres éléments qui conviennent pour assurer un poids suffisant à la naissance du bébé. [inaudible] Avez-vous des données à ce sujet?
Mme Roos : Ce fut l'une des grandes révélations pour moi dans l'étude réalisée par l'ICIS. Nous savons que les femmes vivant dans la pauvreté n'ont pas une alimentation saine, comme vous venez de l'indiquer. Nous savons qu'elles risquent davantage d'accoucher de bébés ayant un poids insuffisant à la naissance, c'est-à-dire de bébés en moins bonne santé.
En regardant la diapositive 13, nous pouvons constater que les enfants sont presque tous semblables à la naissance, sans égard à leurs antécédents familiaux. Plus de 90 p. 100 des enfants sont en effet indifférenciables, que leurs parents vivent de l'aide sociale, qu'ils soient nés d'une mère adolescente ou peu importe. [inaudible]
Je ne nie pas l'importance des questions d'alimentation et des autres problèmes pouvant être vécus pendant la grossesse, car ils sont déterminants. Mais ce n'est pas ce qui se passe avant sa naissance qui compte le plus pour un enfant, mais bien ce qui se produit au cours des premières années de sa vie. [inaudible]
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé du rôle actuel du gouvernement fédéral en suggérant trois possibilités quant aux actions qu'il devrait entreprendre. En quoi consiste le dossier électronique de santé? Fournira-t-il des données normalisées comparables? Il en est question depuis des années. Où en sommes-nous rendus? Est-ce que chaque province chemine de son côté?
Mme Yeates : C'est une entreprise de très grande envergure. La société Inforoute Santé du Canada est active dans toutes les régions du pays pour appuyer des projets en ce sens. Elle a imposé certaines normes visant l'interopérabilité de même que des normes touchant les messages, je crois.
En matière d'information sur la santé, nous avons profité de différentes initiatives scientifiques auxquelles ont contribué des spécialistes étrangers afin de déterminer s'il convient d'utiliser ce système au départ ou dans une intervention de santé individualisée. Par exemple, les résultats d'un test de laboratoire que je subirais comme patiente seraient directement accessibles à mon spécialiste ou à mon médecin de famille. Je crois que nous comprenons tous les arguments en faveur des dossiers électroniques de santé.
À l'échelle planétaire, certains pays ont fait mieux que d'autres à ce chapitre. C'est ce qu'on appelle l'usage secondaire des données. Je n'aime pas tellement cette expression, car cela donne la fausse impression que cette activité est sans importance. Il est extrêmement avantageux pour nous de pouvoir extraire des données de ces dossiers, en tenant compte des préoccupations relatives à la protection de la vie privée, de manière à mieux comprendre les impacts et les tendances touchant la santé de la population. À cette fin, il nous faut toutefois normaliser les définitions utilisées. Par exemple, vous vous demandez peut-être s'il y a plus de cas de diabète à Winnipeg qu'à Halifax ou à Vancouver, ou si ces cas sont mieux traités à Halifax; vous voulez donc peut-être savoir si les problèmes aux pieds ou aux yeux y sont moins fréquents qu'ailleurs. Pour dégager un portrait de ces éléments à l'échelle d'une population, il faut définir ce qu'on entend par problèmes aux pieds ou aux yeux ou même par diabète, de telle sorte que la définition soit la même partout. Pour ce faire, il faut procéder à une normalisation. C'est un aspect sur lequel nous devons concentrer nos efforts.
Au moment où nous consentons cet investissement majeur et de grande portée dans les dossiers électroniques de santé, il est primordial de bien noter que le système doit être bénéfique non seulement pour les patients eux-mêmes, mais aussi pour les chercheurs qui analysent les impacts sur la santé de la population. En nous inspirant de cette vision, nous pourrons adapter légèrement le cadre d'intervention en conséquence, et j'estime qu'il s'agit là d'un aspect très important.
Le sénateur Callbeck : Vous dites que des éléments du système sont en cours de normalisation. Est-ce que le processus est déjà terminé dans certains cas?
Mme Yeates : Des efforts considérables ont été déployés pour que chaque instance puisse miser sur les investissements déjà consentis par les autres. Par exemple, lorsque certaines provinces sont aux prises avec un problème touchant l'information sur les médicaments, il est possible pour chacune de tirer des enseignements sur les conséquences possibles à partir des expériences vécues par l'autre. Je ne connais pas suffisamment les différents éléments des systèmes locaux pour pouvoir vous dire à quel point le processus de normalisation est avancé. Je sais toutefois que certaines composantes ont été normalisées et que la normalisation n'est pas nécessairement requise dans d'autres cas.
À notre avis, il y a encore du travail à faire à l'échelle nationale pour définir ce que nous attendons exactement de ces sources de données sur la santé de la population. Il y a certains éléments qui ne devraient servir qu'au traitement des cas individuels et nous devrions les laisser en place. Il y en a d'autres qui, selon nous, devraient être utilisés au niveau de la santé de la population. C'est dans ces derniers cas que la normalisation est nécessaire.
Le sénateur Callbeck : Croyez-vous que le gouvernement fédéral joue un rôle de premier plan dans cette initiative?
Mme Yeates : On ne peut pas nier que le gouvernement fédéral a investi des sommes considérables dans le dossier électronique de santé, ce qui est essentiel. Nous ne pourrions rien faire sans des investissements semblables.
Je crois que la normalisation à l'échelle du pays revêt moins d'importance pour les différents gouvernements. C'est un rôle crucial qui pourrait incomber au gouvernement fédéral. En outre, on pourrait aussi préciser clairement les attentes relatives aux dossiers électroniques de santé en fonction des utilisations pouvant en être faites aux fins de la santé des populations, dans un souci de protection de la vie privée.
Le sénateur Callbeck : Madame Roos, vous indiquez dans votre présentation que le soutien public est nécessaire pour appuyer l'action dans ces grands dossiers. Il y a une diapositive où vous donnez un exemple dans lequel le Business Council est passé à l'action après avoir été mis au fait des résultats véritables en matière d'éducation. Quel rôle doit jouer le gouvernement fédéral dans les efforts déployés pour faire comprendre aux gens en quoi la santé de la population influe sur la productivité? Comment le gouvernement peut-il s'y prendre pour que les gens se rendent compte que cela est bénéfique pour la santé? Comment pouvons-nous établir ce lien?
Mme Roos : Mis à part quelques intrusions dans les dossiers fédéraux, j'ai passé les 35 dernières années au Manitoba et j'aurais de la difficulté à répondre à cette question car je ne connais pas les faits. Je crois qu'il existe d'excellentes possibilités de partenariat entre le gouvernement fédéral et les associations nationales d'entreprises qui comptent des groupes dans chaque province. Je vais vous décrire ce qui se passe au Manitoba et peut-être pourrez-vous transposer la situation à l'échelle fédérale.
Le Business Council entreprend différentes initiatives. Par exemple, l'immigration est la principale avenue considérée pour régler le problème des pénuries de main-d'œuvre. Une séance d'une journée a été tenue pour consulter la population, les chefs d'entreprise et le gouvernement. Les gens du Business Council ont dîné avec les ministres et leurs sous-ministres. Ils ont établi un objectif que l'on est en voie d'atteindre, ce qui les satisfait pleinement. Ils vont maintenant amorcer un effort semblable pour investir dans le dossier des enfants à risque. Ils ont convoqué des spécialistes de Minneapolis et de Hamilton et tiendront une journée d'étude en plus de rencontrer à nouveau les ministres. Lorsque les ministres verront que le Business Council s'intéresse au dossier et si la population emboîte le pas et, bien sûr, si la presse suit de près à la question, alors le gouvernement, malgré tous les intérêts qui l'interpellent, comprendra que c'est important.
Peut-être pourrons-nous présenter quelques exemples de jeunes à risque qui se sont bien tirés d'affaires. Nous avons un programme offert dans les écoles des quartiers défavorisés qui produit de bons résultats. Centraide met actuellement sur pied un conseil de la pauvreté. Il veut mettre à contribution ses différentes instances dans toutes les régions du pays.
Le gouvernement fédéral pourrait lancer une série de discussions et de consultations relativement à l'utilisation des données existantes en Colombie-Britannique, lesquelles sont semblables à celles qui sont présentées concernant les enfants manitobains. La démarche pourrait être reprise en Ontario et dans les autres provinces. On pourrait ainsi se donner les moyens dans chaque localité de convaincre l'ensemble de la communauté à prendre un engagement en ce sens.
Le sénateur Callbeck : J'aurais également une question au sujet des médicaments qui ne sont pas testés sur des enfants avant d'être mis sur le marché. On a en fait recours à des adultes en santé pour tester ces médicaments pour enfants. Il s'agit, je suppose, d'une proposition, n'est-ce pas?
Mme Roos : Oui. L'établissement d'un réseau de recherche sur la sécurité et l'efficacité des médicaments est une proposition actuellement prise en considération par Santé Canada et les provinces.
Le sénateur Callbeck : Et les provinces?
Mme Roos : Dans tout le pays.
Le sénateur Callbeck : Merci.
Le président : Je voudrais vous ramener au commentaire que vous avez formulé en réponse au sénateur Cochrane lorsque vous avez parlé de révélation quant au fait que les enfants des différents groupes socioéconomiques sont presque tous semblables à la naissance. Comme je vous l'ai déjà indiqué, on met énormément l'accent sur les soins prénataux. Je sais qu'il y a au Canada des programmes destinés aux Autochtones où on a beaucoup insisté sur le changement de [inaudible]. Je n'ai pas parlé à [inaudible] à ce sujet, mais je me suis repris à la dernière occasion. Il était toujours persuadé [inaudible]. Selon certains spécialistes du développement de la petite enfance, des neurologues et différentes recherches [inaudible], le cerveau a déjà atteint le tiers de son développement au moment de la naissance; les deux tiers qui restent [inaudible] et, dans une large mesure [inaudible]. Si ce premiers tiers du développement ne se produit pas dans l'utérus, vous avez un problème grave. J'ai cru comprendre que vous disposiez des données nécessaires pour étayer cette théorie. Est-ce exact?
Mme Roos : Nous avons examiné trois mesures différentes. Il y avait d'abord le poids à la naissance. Il y avait aussi l'âge fœtal — à savoir si l'enfant était plus ou moins développé en fonction de cet âge. Comme dernière mesure, nous avions les scores Apgar enregistrés au bout d'une et de cinq minutes pour évaluer le fonctionnement général de l'enfant.
Dans le contexte des données indiquant que seulement 11 p. 100 des enfants des familles bénéficiant d'une aide au revenu obtiennent leur diplôme d'études secondaires dans les délais prévus, comparativement à 76 p. 100, nous constatons que près de 90 p. 100 des enfants sont pour ainsi dire non différenciables à la naissance lorsqu'on utilise ces mesures. C'est pour cette raison que j'ai parlé d'une véritable révélation à mes yeux.
Ces tests ne permettraient pas nécessairement de détecter le syndrome d'alcoolisme fœtal. Nous nous employons actuellement à corriger cette lacune. Nous tenons un registre concernant le syndrome d'alcoolisme fœtal et nous essayons de déterminer dans quelle mesure les faits que nous observons peuvent lui être attribuables.
Même les hypothèses les plus soutenues concernant le syndrome d'alcoolisme fœtal sont bien loin de pouvoir expliquer les différences à long terme que nous observons. À mon sens, la révélation vient du fait qu'il suffit de garder les enfants à l'école pour voir s'estomper presqu'automatiquement les distinctions dues au statut socioéconomique. Il suffit de penser au programme d'intervention préventive en lecture offert aux élèves de première année. Si l'on compare les résultats obtenus avant et après ce programme pour les élèves provenant de familles vivant de l'aide sociale et ceux de familles très aisées, il n'y a pas vraiment de différence; les résultats sont bons, tant pour les enfants pauvres que pour les enfants riches. À la lumière des études physiologiques menées, on peut conclure que ces enfants venant de familles bénéficiaires de l'aide au revenu ne sont pas particulièrement mal en point; ils ont vraiment du potentiel. C'est le genre d'enseignement que l'on peut tirer de ces données.
Le président : Tout cela est vraiment fascinant car nous n'avions pas beaucoup d'information à ce sujet jusqu'à maintenant. Les renseignements que nous avions obtenus nous aiguillaient dans la direction de la santé maternelle, de la santé prénatale et du développement de la petite enfance comme points de départ essentiels. Cette hypothèse de base est remise en question par ce que vous venez de nous dire. Je devrais passer davantage de temps avec vous.
Mme Roos : Cela me ferait grand plaisir.
Le sénateur Fairbairn : Je m'en voudrais de ne pas profiter de la présence de spécialistes comme vous pour vous inviter à nous en dire davantage au sujet de l'importance primordiale de l'alphabétisation. À quel moment l'alphabétisation devient-elle importante? Dans le cadre de vos études et de votre travail, vous voyez les efforts déployés dans les écoles pour aider ces mêmes enfants dont le développement vous préoccupe le plus. Je connais très bien la situation au Manitoba et le travail exceptionnel qui a été accompli dans ce dossier au fil des ans. Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?
Mme Roos : Nous sommes actuellement très intéressés à travailler avec le ministère de l'Éducation afin de déterminer si ces programmes donnent de bons résultats. J'ai parlé du programme d'intervention préventive en lecture et de son efficacité auprès des enfants à risque. Il s'agit d'un programme universel. Chaque école reçoit de la province une certaine somme d'argent, en fonction du nombre d'élèves de première année, pour aider les enfants éprouvant des difficultés dans l'apprentissage de la lecture. Malheureusement, il s'agit d'une subvention fondée sur le nombre d'élèves. À toutes fins utiles, les écoles desservant un secteur aisé reçoivent le même montant par élève que les écoles des milieux défavorisés dans les centres-villes. Les enfants des familles riches ont de bien meilleures chances de réussite que ceux des écoles des quartiers pauvres, car ces derniers n'ont pas accès à des programmes personnalisés.
Je ne voudrais pas minimiser l'importance du rôle joué par les mères. J'ai parlé du travail des offices régionaux de la santé en ce qui a trait aux programmes d'alphabétisation; ces offices s'emploient à rejoindre les mères et les pères de ces enfants. Comme un enfant passe tellement de temps au sein de sa famille, il est absolument crucial de s'efforcer d'élever le niveau d'alphabétisation de tout son entourage. Il ne fait aucun doute que les programmes semblables revêtent une importance capitale.
Le sénateur Fairbairn : Il fut un temps où nous étions en bonne posture dans ce dossier grâce à l'étroite collaboration entre les différents ordres de gouvernement, mais la situation a quelque peu changé. Je ne voudrais pas montrer du doigt un palier de gouvernement en particulier, mais il arrive que ces questions qui apparaissent plutôt banales soient mises au rancart sous l'effet du temps qui passe et des autres événements qui secouent la planète. Les efforts déployés dans les quartiers défavorisés des villes sont-ils le fait de l'ensemble de la collectivité ou d'une organisation en particulier?
Mme Roos : Nous essayons de mobiliser le plus grand nombre d'organisations possible. J'ai parlé récemment au responsable de l'Office régional de la santé de Winnipeg qui s'est adjoint ses homologues du département de pédiatrie ainsi que de l'hôpital pour femmes, car on offre désormais des programmes conjoints avec le ministère des Services à la famille. Nous savons qu'il s'agit d'enfants à haut risque exposés à de nombreux problèmes, y compris les accidents et les blessures pouvant les amener à visiter l'hôpital.
Par exemple, un pédiatre avec lequel je travaille a indiqué qu'au sein de l'unité de soins intensifs néonataux, on traitait désormais les mères adolescentes de la même façon que les mères des enfants ayant un poids insuffisant à la naissance pour ce qui est du risque que leur enfant soit de nouveau hospitalisé. On les met en contact avec les différents services offerts et on leur indique qu'elles devront visiter fréquemment le pédiatre. Obtenir des intervenants en santé qu'ils réagissent aux facteurs de risque sociaux de la même manière qu'ils le font pour les facteurs de risque biologiques est une autre réalisation bénéfique.
Le sénateur Fairbairn : Il y a quelques années, la ville de Winnipeg offrait un programme qui avait vu le jour dans une petite collectivité du sud-ouest de l'Alberta avant de gagner en importance au gré des différents intérêts locaux. Le programme, intitulé Books for Babies, avait débuté dans la petite localité de Pincher Creek avant de s'étendre partout au Canada. Les intervenants se rendaient dans les hôpitaux et, parfois, dans certains établissements spécialisés de telle sorte que personne ne quitte ces endroits sans connaître l'importance cruciale de l'alphabétisation pour soi-même et pour son enfant. J'ose espérer que le programme existe toujours au Manitoba.
Mme Roos : Il existe effectivement. Encore là, j'estime crucial d'obtenir la participation des parents. On donnait des livres à la famille pour son retour à la maison. Le père demandait : « À quoi ça sert de lire à un bébé? » On lui expliquait qu'un enfant que l'on tient dans ses bras assimile un grand nombre de nouveaux mots alors que son cerveau amorce le processus d'apprentissage. Le père disait alors : « D'accord, c'est quelque chose que je peux faire. » C'est évident qu'il pouvait le faire, mais cela ne lui était jamais venu à l'idée avant d'avoir entendu parler du programme.
Le sénateur Fairbairn : C'est un peu la magie qui opérera demain. On ne saurait imaginer plus belle illustration.
Le président : Honorables sénateurs, s'il n'y a pas d'autres questions, permettez-moi de remercier nos invités. Ce fut un après-midi très agréable. Vous allez avoir de nos nouvelles. Nous n'en avons pas fini avec vous.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.