Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations
Fascicule 4 - Témoignages du 18 avril 2008
OTTAWA, le vendredi 18 avril 2008
Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les divers facteurs et les diverses situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, honorables sénateurs, bonjour. C'est vraiment enthousiasmant, pour les membres du Sous-comité sur la santé des populations, de voir qu'un groupe de gens distingués comme vous soyez venus participer au processus qui va mener à la rédaction de notre rapport.
Comme vous le savez, nous avons publié quatre rapports préliminaires. Le premier portait sur ce qui se passe à l'échelle internationale dans le domaine de la santé des populations. Nous avons déposé notre second rapport après un voyage à Cuba. Notre but principal était d'examiner la structure des polycliniques de Cuba, qui nous fascinait, tout comme les chiffres concernant le pays. Au chapitre de la santé, Cuba est sur un pied d'égalité avec les pays industrialisés. La situation là-bas ressemble beaucoup à la nôtre, et Cuba est bien en avance sur les autres pays de l'Amérique latine. Dans beaucoup de domaines, ce pays est très en avance sur les États-Unis. Nous nous sommes intéressés à la façon dont le pays s'y est pris pour obtenir de tels résultats. L'étude que nous avons effectuée et les conclusions que nous avons tirées à l'issue de celle-ci font l'objet de notre second rapport.
Dans le troisième rapport, nous avons dressé la liste des ressources qui existent au Canada à l'échelon fédéral, dans les provinces et dans les territoires. À la fin de ce rapport, j'ai rédigé une déclaration qui constitue l'une des raisons pour lesquelles nous avons fait appel à vous tous dans le cadre du processus qui va mener à la rédaction de notre quatrième rapport.
Au dernier paragraphe du troisième rapport, on peut lire que, malgré toutes les ressources que le Canada a consacrées à la santé, nous n'avons pas vraiment obtenu les résultats souhaités. Des données diverses montrent que nous ne connaissons pas le succès que nous aurions voulu obtenir du point de vue de la santé. Les données de l'OMS placent le Canada au neuvième rang sur 30 pays pour ce qui est de l'espérance de vie des femmes. Mme Bégin reviendra peut-être sur ce chiffre plus tard. D'après les statistiques de l'UNICEF, le Canada se classe au 12e rang, sur 21 pays industrialisés, pour ce qui est du bien-être des enfants. Le chiffre le plus dérangeant, selon moi, c'est l'indice d'utilisation des services de santé d'Euro-Canada, qui classe le Canada au 23e rang sur 30, pour ce qui est de l'indice global, et, ce qui est encore plus grave, au 30e rang sur 30 pour ce qui est de l'optimisation des ressources. Autrement dit, le Canada est dernier à cet égard.
Le sujet dont nous parlons aujourd'hui nous intéresse depuis un certain temps, et nous pensons que nous nous sommes trompés quelque part. Nous sommes d'avis qu'il faut corriger cette erreur. De prime abord, il semble que nous n'avons pas suffisamment étudié la question de la santé des populations ni n'avons suffisamment investi dans ce domaine et que, paradoxalement, nous avons trop investi dans la prestation des soins de santé, qui est loin d'être aussi efficace qu'elle devrait l'être.
Nous allons tenir un certain nombre d'audiences au cours de l'été et de l'automne, et nous allons publier notre rapport final en décembre. Nous espérons que ce rapport viendra en aide à tous les ordres de gouvernement et à toutes les ONG. Nous espérons également que le rapport contribuera à faire en sorte que tous les intervenants du domaine dans notre grand pays se réuniront pour trouver une solution aux écarts injustifiables dans le domaine de la santé. Nous espérons pouvoir parler dans notre rapport de moyens d'améliorer la santé de la population en général et d'alléger, en amont, le fardeau qui pèse sur le système de prestation des soins de santé. Nous savons tous qu'il y a de gros problèmes dans ce système.
Je vais présenter les participants. M. Steven Lewis vient de la Saskatchewan, et il est ici pour coordonner l'événement. Vous allez l'entendre dire beaucoup de choses en cours de route. Mme Barbara Reynolds est le cerveau de notre comité et aussi notre greffière. Je pense que tout le monde connaît Monique Bégin, commissaire à l'OMS. Le sénateur Art Eggleton est un bon ami à moi, et il préside le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Chaque fois que je me rends à Toronto, je le tourmente parce qu'il n'a pas construit de tunnel entre le centre-ville de Toronto et l'aéroport lorsqu'il était maire de cette ville. Il a été membre du Cabinet et s'est occupé de différents portefeuilles. C'est une ressource extraordinaire. À côté de lui se trouve M. Mel Cappe, président de l'Institut de recherche en politiques publiques, qui a énormément d'expérience de travail au sein de la fonction publique. Mme Glenda Yeates a également été sous-ministre, mais elle est maintenant PDG de l'Institut canadien d'information sur la santé ou ICIS. Le sénateur Hugh Segal me harcèle tous les jours au Sénat, mais je pense qu'il est omniscient; il peut parler de n'importe quoi. Il va nous dire aujourd'hui comment aborder la question du point de vue des politiques publiques. Mme Debra Lynkowski est directrice générale de l'Association canadienne de santé publique. M. Lars Osberg travaille au département d'économie de l'Université Dalhousie. Le sénateur Catherine Callbeck est l'ancienne première ministre de l'Île-du-Prince-Édouard, et elle offre souvent des points de vue intéressants au comité. Le Dr Jeff Reading va se joindre à nous sous peu. Mme Diana MacKay représente le Conference Board of Canada. Elle a récemment animé une table ronde sur les déterminants de la santé. M. William Tholl représente l'Association médicale canadienne. Mme Laura Corbett et Mme Beverly Nickoloff sont des personnes-ressources du comité. À côté d'elles se trouve Mme Armine Yalnizyan, économiste principale au Centre canadien de politiques alternatives. Mme Gina Browne travaille à la Systems-Linked Research Unit de l'Université McMaster. M. John Wright, ancien sous-ministre des Finances et de la Santé de la Saskatchewan s'est joint à nous aujourd'hui, et il a un point de vue général très intéressant sur tout cela. Le sénateur Joan Cook vient de Terre-Neuve, et elle possède toute la sagesse des habitants de cette province. Le sénateur Joyce Fairbairn est avec nous. Mme Sharon Manson Singer représente les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques. M. David Dodge... mon Dieu, j'ai presque oublié M. Dodge.
Une voix : Vous allez le payer.
Le président : Nous allons le payer.
L'homme qui nous a fait prendre conscience du fait que les riches sont pauvres.
Le sénateur Segal : À plusieurs reprises, dans les deux sens.
Le président : M. Dodge a été un excellent sous-ministre de la Santé avant d'occuper son poste à la Banque du Canada.
Nous recevons également le Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique à l'Agence de la santé publique du Canada. Mme Louise Potvin travaille à l'Université de Montréal. Le sénateur Lucie Pépin est vice- présidente du comité.
Steven Lewis, consultant, Access Consulting : Merci. Bonjour à tous. Bienvenue à une séance qui promet d'être très intéressante.
Je ne vais pas faire une longue introduction. Je veux simplement préciser ce que nous espérons faire aujourd'hui. Comme vous le savez tous, nous avons une compréhension riche et profonde des déterminants sociaux de la santé au Canada et une longue tradition intellectuelle d'étude sur le sujet. Nous avons aussi une longue tradition de questionnement sur ce qu'il faut faire dans ce domaine. Il est difficile de régler les inégalités et les écarts en matière de santé. Le sous-comité s'est donné pour tâche de faire avancer ce dossier par un moyen qu'on n'a pas encore vraiment utilisé à fond ou qui n'a pas encore donné de résultats au pays.
Nous avons délibérément invité un groupe hétérogène pour lancer un débat qui pourrait faire prendre une nouvelle tangente au pays. Nous allons aborder plusieurs des aspects du problème, mais nous souhaitons nous concentrer sur les stratégies et les tactiques qui feront avancer les choses. Nous souhaitons faire avancer le dossier de façon que les gouvernements, le secteur privé et la population en général envisagent la question avec plus de sérieux. Nous espérons trouver un moyen de faire des investissements, d'adopter des politiques et de prendre des décisions qui vont nous permettre de combler certains des écarts qui coûtent beaucoup d'argent au pays, qui font que beaucoup de gens ont des problèmes de santé et qui placent le pays à un rang peu enviable dans le classement de la ligue internationale, pour reprendre les paroles du sénateur Keon. Si tout se passe bien, et si vous vous attaquez tous vigoureusement à ce défi, je n'aurai pas grand-chose à faire aujourd'hui, ce qui est mon objectif : que vous ne m'entendiez pas trop.
Nous allons vous questionner si nous pensons avoir besoin d'un peu plus de précisions, et nous allons vous pousser vers des zones qui seront peut-être légèrement inconfortables par moments, puisque nous aimerions obtenir des suggestions concrètes, si possible, sur ce que nous devrions faire.
Évidemment, il n'existe pas de solutions parfaites au problème dont nous nous occupons aujourd'hui. Le comité a examiné certains exemples de la scène internationale qui peuvent inspirer par leur succès, mais dans le contexte canadien, la tâche qui consiste à réduire de façon significative les inégalités est une tâche ardue.
Nous espérons que vous ferez preuve de créativité aujourd'hui. Nous ne pouvons vous assurer que rien ne va sortir de la salle, puisque l'audience va être enregistrée et que le contenu va en être diffusé, mais nous voulons que la séance se déroule dans l'esprit d'une expérience créative de débat sur les politiques. Si nous faisons les choses dans cet esprit, je pense que nous allons constater que la journée va être extrêmement utile pour la suite des travaux du comité, au cours de la prochaine année environ.
Voilà tout ce que je vais dire en guise d'introduction, mis à part le fait que nous allons écouter quatre exposés, qui sont délibérément courts. Vous aurez bien entendu la possibilité de demander des précisions ou de poser directement des questions, mais ces exposés ont surtout pour objectif de stimuler le débat, alors n'hésitez pas à discuter avec d'autres intervenants que les personnes qui vont présenter les exposés.
N'hésitez pas à discuter les uns avec les autres. Si vous avez envie d'intervenir, d'orienter la discussion vers un nouveau sujet ou de demander une précision, même si le groupe est assez gros, nous aimerions que la conversation se déroule le plus librement possible.
Bien entendu, le sénateur Keon préside la séance, et je l'anime. Nous allons voir comment les choses vont se passer pendant la matinée. Nous prévoyons nous en tenir à notre programme, évidemment, mais si nous jugeons qu'il convient d'ajouter un petit quelque chose par-ci ou par-là après la séance de la matinée, nous allons vous le dire avant le début des séances de l'après-midi. Nous avons bien réfléchi à tout cela, et nous espérons que ces questions seront celles qui vont susciter votre intérêt aussi.
Sans plus tarder, j'aimerais céder la parole à notre premier témoin, Mme Glenda Yeates.
Glenda Yeates, présidente-directrice générale, Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) : Merci beaucoup, Steven, et merci, sénateurs, de m'avoir invitée.
J'interviens ici à titre de représentante de l'Institut canadien d'information sur la santé. J'ai de nombreux points de vue personnels sur la question, ayant été sous-ministre de la Santé et des Services sociaux en Saskatchewan, mais je vais jouer mon rôle de représentante de l'ICIS, du moins le temps de mon exposé, et je vais essayer de préparer le terrain. Vous m'avez demandé de parler de ce que nous savons vraiment au sujet des disparités en matière de santé, qui sont notre premier thème, et vous m'avez également posé des questions précises sur le rôle que les données et l'information peuvent jouer.
Dans ce domaine, je vais puiser dans l'expérience que j'ai acquise dans tous les rôles que j'ai joués. Je suis tout à fait convaincue que les données et l'information sont des outils extrêmement puissants. Dans le document sur les options proposées, le comité a posé des questions sur les moyens de faire avancer le dossier et de réorienter le débat national sur la santé des populations et les soins de santé. Je crois fermement que l'information et les données font partie de la solution. Vous soulevez des questions précises quant à ce que nous pourrions faire à cet égard.
Aucune présentation de données n'est complète sans PowerPoint, alors je m'excuse tout de suite auprès de ceux d'entre vous qui ne peuvent plus supporter les présentations PowerPoint. Je veux présenter mes excuses surtout à Monique, qui, d'après ce que j'ai compris, s'est couchée tard à cause de moi. Je veux vous présenter les diapos très rapidement, pour préparer le terrain. Je sais que les membres du comité et les autres personnes ici présentes sont tout à fait au courant des questions que je vais aborder.
[Français]
Vous nous avez demandé ce que nous savons des disparités en matière de santé, et nous sommes encore en train d'étudier la question. Les gens qui lisent des rapports de l'ICIS savent que ceux-ci portent souvent sur ce que nous savons et sur ce que nous ne savons pas encore. Dans le domaine de la santé des populations, les choses ont tendance à ne pas être aussi tranchées; c'est plutôt que l'étude est encore en cours, parce que les données révèlent certaines choses sur tel ou tel sujet mais ne sont pas encore tout à fait sûres. Enfin, que pouvons-nous faire pour combler les lacunes en matière d'information? Vous aimeriez voir les choses bouger, et nous avons certaines idées à cet égard.
Pour ce qui est de ce que nous savons des disparités en matière de santé, la diapo 4 porte sur les différences d'espérance de vie. Vous avez tous vu ces chiffres. Je les ai regroupés de cette façon pour que vous puissiez voir que le Canada se classe assez bien, dans le monde, au chapitre de l'espérance de vie. Cependant, si vous jetez un coup d'œil sur la situation au Canada, vous pouvez constater qu'il y a des différences. Il y a une différence de 11 ans entre la Colombie-Britannique et le Nunavut, par exemple. Il y a même des écarts à l'intérieur d'une même province. Au Québec, vous pouvez voir qu'il y a une différence entre l'espérance de vie à Montréal et à Gatineau. Dans ce cas-ci, l'écart est supérieur à deux ans. À plus petite échelle encore, le réseau de la santé publique de Montréal a effectué des travaux qui montrent un écart de plus de 13 ans entre certains secteurs de la ville.
Encore une fois, il est important d'avoir des données. Celles-ci peuvent modifier l'idée que vous vous faites de l'endroit où il y a des problèmes et des endroits où il faut intervenir pour que l'intervention soit efficace. Je vais vous parler tout à l'heure du fait que ce sont des renseignements obtenus à l'échelle locale qui nous permettent d'agir avec le plus d'efficacité et que nous avons de la difficulté à utiliser l'information à l'échelle locale.
La diapo 5 présente la différence d'espérance de vie entre les femmes membres des Premières nations et les autres. La bonne nouvelle, c'est que, pour la période de 20 ans qui va de 1980 à 2000, nous constatons que l'écart rétrécit, mais il est encore très important.
Statistique Canada a réalisé récemment des études dans le cadre desquelles on a comparé les régions où vivent les Inuits au reste du Canada. La comparaison a révélé que l'espérance de vie a augmenté pour l'ensemble de la population canadienne, mais pas dans les régions inuites. Il est clair qu'il y a des problèmes importants chez les Premières nations et chez les Inuits. Nous savons moins de choses au sujet des autres populations autochtones, tout simplement parce que nous disposons de moins de données sur celles-ci.
La diapo 6 porte sur la mortalité infantile. On parle souvent du rang qu'occupe le Canada en fonction de cet indicateur. Où se situe le Canada, dans l'ensemble, au chapitre de la mortalité infantile? Nous avons examiné cette question en détail, et nous savons que le processus de collecte des données qu'on utilise au Canada est différent de celui qu'on utilise ailleurs, alors je dois vous dire que les données ne sont probablement pas tout à fait comparables, comme c'est probablement le cas de tout type de données à l'échelle internationale. Néanmoins, nous voyons ici que, si le taux de mortalité infantile a diminué au Canada, il y a beaucoup de pays qui se classent mieux que le Canada en fonction de cet indicateur, qui est un indicateur d'une importance capitale par rapport à la santé des populations.
Je ne voulais pas vous submerger en vous présentant trop de diapos, mais il y a des écarts importants à ce chapitre, par exemple entre les provinces, ainsi qu'entre les Premières nations et le reste de la population. Ce chiffre est une moyenne qui, dans une certaine mesure, occulte un écart important.
On a fait beaucoup de travail ici, au Canada, sur les causes. Les chiffres peuvent nous renseigner sur les phénomènes dont nous sommes témoins, mais beaucoup de gens se sont penchés sur la question au Canada, où nous avons une forte tradition de recherche, et ont essayé de comprendre les déterminants sociaux de la santé. Dans les prochaines diapos, je vais aborder ce que nous savons au sujet du revenu, du degré de scolarité et de quelques autres indicateurs. Il y a des gens qui ont documenté la portée et la complexité des déterminants sociaux de la santé.
Les membres du comité connaissent très bien le gradient du revenu, qui figure à la diapo 8. Ce qui est déconcertant, c'est que c'est un indicateur très fiable. Il s'agit des gens qui qualifient eux-mêmes leur santé de très bonne ou d'excellente. Nous constatons que l'écart est toujours important entre les gens dont le revenu est le plus faible et ceux dont le revenu est élevé, et même entre les gens dont le revenu est moyen et ceux dont le revenu est le plus élevé. Je trouve que même la partie supérieure du gradient est intéressante. Les données viennent d'une enquête effectuée en 2005. Elles sont fondées sur les réponses des participants.
La diapo 9 constitue un point de vue un peu différent là-dessus, plus dans une perspective écologique et du point de vue des quartiers. Le chiffre porte sur les hommes et sur deux années différentes. Nous voyons qu'il y a un écart entre les quartiers les plus pauvres et les quartiers les plus riches. C'est donc un gradient du revenu en fonction du quartier que vous avez sous les yeux. Encore une fois, je suppose que la bonne nouvelle, c'est que nous constatons qu'il y a bien une diminution de l'écart, en quelque sorte. Si vous comparez les données de 2001 à celles de 1971, vous voyez que l'écart semble diminuer un peu, mais il est toujours manifeste.
La diapo suivante porte sur le degré de scolarité. On se demande souvent quelle est la véritable cause entre le revenu et l'éducation. Il y a une forte correspondance entre les deux éléments. Nous pouvons examiner le degré de scolarité de différentes manières. C'est quelque chose qui est souvent un peu plus facile à étudier, mais, encore une fois, la santé et le degré de scolarité tendent à être très liés au Canada et ailleurs dans le monde. Encore une fois, il s'agit de l'une de ces questions tout à fait fondamentales que le comité connaît déjà très bien.
La diapo 11 porte sur la petite enfance. D'après ce que j'ai lu dans les documents que vous avez déjà publiés, beaucoup des témoins que vous avez entendus se sont concentrés sur la petite enfance. Au Canada, nous connaissons bien l'excellent travail de Fraser Mustard et de Margaret McCain sur la petite enfance.
Dans ce cas-ci aussi, les données obtenues dans le cadre des recherches sont très intéressantes et très importantes. Elles portent sur la disposition à apprendre des enfants. Il s'agit de certains des indicateurs de la disposition à apprendre à l'école à l'âge de 5 ans, et nous voyons que le gradient du revenu est déjà très clair dès l'âge de 5 ans. Encore une fois, nous ne connaissons pas toujours les liens de causalité, mais ces données sont tirées de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et sur les jeunes. Ce que nous pouvons constater, c'est qu'il y a déjà une gradation semblable très manifeste dès la petite enfance.
La diapo 12 porte sur certaines pratiques d'hygiène personnelle. Lorsque nous parlons de la santé des populations, il est beaucoup question de ce qui est entré dans la documentation, même dans la conscience de la population, par rapport aux pratiques d'hygiène personnelle. Si nous pouvions faire en sorte que les gens cessent de fumer ou mangent davantage de fruits et légumes, ce serait la solution. Évidemment, on s'est beaucoup intéressé à cette question.
Nous parlons beaucoup moins du fait qu'il y a aussi un gradient socioéconomique par rapport à ces facteurs. Ce n'est peut-être pas tant le fait de manger nos fruits et nos légumes. Personne d'entre nous, peu importe la catégorie de revenu, je dirais, n'a de très bonne habitudes pour ce qui est de manger des fruits et des légumes. Apparemment, l'écart n'est pas très grand dans ce domaine, mais il est certain que, lorsqu'il s'agit du tabagisme et de l'activité physique, nous constatons l'existence d'un certain gradient en fonction du revenu. On ne peut faire autrement que se demander où sont les points d'intervention. Faut-il intervenir auprès des gens, ou faut-il une intervention axée sur l'ensemble de la population ou sur la collectivité? Il est clair que ces facteurs individuels aussi présentent un gradient.
La diapo suivante ne porte vraiment que sur le fondement du processus de collecte d'information. Que savons-nous? Que surveillons-nous? Que mesurons-nous? À l'ICIS et à Statistique Canada, nous avons élaboré un cadre des indicateurs de la santé à la fin des années 90 et nous l'avons diffusé. Ce cadre est utilisé par de nombreuses organisations, et nous travaillons à lui donner un contenu.
Si vous voyez les secteurs des domaines qui sont encerclés en rouge sur la diapo, il s'agit des années pour lesquelles, si nous n'avons pas des données parfaites, nous commençons du moins à avoir des données qu'il est possible d'évaluer et de suivre à long terme. Nous commençons à en savoir beaucoup plus qu'il y a dix ans, ou du moins qu'il y a 15 ou 20 ans, sur notre rendement par rapport à l'accès et par rapport aux comportements liés à la santé.
Il y a aussi ce que nous connaissons moins bien et ce que nous ne surveillons pas à l'heure actuelle, et je pense que c'est représenté sur la diapo par la ligne avec le mot équité sur le côté. Cela a trait à certaines des questions soulevées par le comité dans le document. Ces questions sont les suivantes : si nous réalisons des gains, est-ce qu'ils sont répartis ou y a-t-il encore des écarts en matière de santé? Ces écarts augmentent-ils ou rétrécissent-ils? Ce n'est pas quelque chose que nous surveillons à l'heure actuelle, même si nous disposons d'un cadre d'indicateurs de la santé qui laisse certainement place à cela et qui offre des possibilités à cet égard.
Qu'avons-nous encore à découvrir? D'une certaine manière, la question que vous nous avez posée lorsque nous avons témoigné ici auparavant, c'est celle des causes. Nous avons devant nous toutes ces données. Nous avons des données écologiques. Quelles sont les véritables causes? Que pouvez-vous nous dire sur les véritables causes de ces disparités?
Notre point de vue sur la documentation, c'est que nous sommes encore en train de l'analyser, comme groupe de recherche. Certaines choses sont en train de se dévoiler, mais il y a encore des énigmes concernant les raisons pour lesquelles le gradient de la santé demeure si stable. Est-ce une question de hiérarchie; est-ce lié aux revenus? Est-ce que cela dépend de la situation ou du fait d'avoir un rôle à jouer? Quels sont les liens entre la situation socioéconomique et le gradient du comportement que nous avons présentés, et qu'est-ce qui est à l'origine de ces liens?
Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a beaucoup de travaux de recherche bien faits sur cette question. Il est clair que certaines choses commencent à se dévoiler, mais je dirais qu'il n'y a rien encore qui respecte la norme de la preuve absolue. Il est clair qu'on voit de plus en plus de travaux intéressants sur des questions précises liées aux causes.
La question que nous poserions ensuite, c'est : qu'est-ce qui fonctionne? D'une certaine façon, lorsque nous jetons un coup d'œil sur cette information, la question que les gens posent c'est : que faire par rapport à cela? Si la volonté et l'intérêt politique y étaient, quelles sont les interventions qui fonctionneraient? C'est un domaine dans lequel il est difficile de généraliser. Il commence à y avoir des études, mais ce sont des petites études, au sujet des interventions qui donnent des résultats.
Le fait est que nous suggérerions un recours accru à de l'information et des données sur les interventions qui ont un effet réel sur la santé des populations à long terme. Il commence à y avoir des données sur l'efficacité, surtout sur les interventions qui visent les personnes, mais, encore une fois, il y en a moins sur des questions obscures et difficiles qui ont trait aux recherches sur la combinaison des interventions, lorsqu'on s'occupe de ces grandes questions relatives aux politiques, des répercussions sur la santé des populations.
Les indicateurs de la santé... les domaines que j'ai encerclés sont ceux où nous aimerions ajouter du contenu. Si nous avions un indicateur permanent par rapport à l'équité, par exemple, qui tenait compte de ces autres questions, cela nous permettrait d'effectuer un meilleur suivi de notre rendement dans ces domaines et de mieux répondre aux questions là-dessus.
La diapo suivante, je viens de la faire afficher. Pendant un certain nombre d'années, au Royaume-Uni, on s'est concentré sur l'équité en matière de santé. Grâce à une information de plus en plus grande, les professionnels de la santé cherchent des réponses. En fait, ils ont exigé la tenue de vérifications de l'équité en matière de santé. Je n'ai jamais entendu parler d'une chose du genre dans le contexte canadien, mais ces professionnels disent que c'est quelque chose qui doit faire l'objet d'une surveillance à l'échelon local ainsi qu'à l'échelon national, notamment par les primary care trusts et d'autres organismes. C'est quelque chose de nouveau. À l'heure actuelle, rien ne nous indique que ces vérifications ont telle ou telle répercussion. Cependant, il est clair que les professionnels de la santé du Royaume-Uni continuent d'exprimer cette intention réelle de tenir ces vérifications de l'équité en matière de santé.
La dernière partie de la diapo concerne ce que nous pouvons faire. Nous croyons fermement que l'information est un outil puissant, non seulement pour appuyer les décisions, mais aussi pour concentrer l'attention et pour véhiculer les idées. Cet outil permet d'attirer l'attention sur les répercussions des politiques et sur les mesures que nous prenons au chapitre de la santé des populations.
À la diapo 20, je veux simplement signaler le fait qu'il serait extrêmement utile d'obtenir davantage de données sur la situation socioéconomique ou SSE. Si nous voulons nous attaquer à ce problème, il serait utile de posséder cette information. Aux États-Unis, par exemple, on note le degré de scolarité de la mère au moment où on inscrit l'enfant au registre des naissances, et, encore une fois, le degré de scolarité est souvent un très bon indicateur de la situation socioéconomique. Ainsi, les intervenants des États-Unis peuvent aborder ces questions de façon beaucoup plus éclairée.
Certaines provinces, comme vous pouvez le voir sur la diapo, sont en train d'adopter cette pratique ou l'ont déjà fait. Au Québec, par exemple, on consigne les renseignements sur le degré de scolarité de la mère au registre de l'état civil depuis un certain temps. Dans l'Ouest, dans certaines provinces, on note l'appartenance à la population autochtone, mais cela se limite probablement à l'appartenance à une Première nation en ce moment. On commence à noter cette information lorsqu'un enfant naît, et, dans certains cas, lorsqu'une personne meurt. Encore une fois, cela nous offre des outils plus fondamentaux pour analyser ce qui se passe. Les données administratives offrent également des possibilités, dont nous pourrions tirer parti si nous pouvions recueillir certains renseignements sur les populations qui aideraient le milieu de la recherche dans ces travaux à long terme.
La diapo suivante porte sur une autre lacune précise en matière d'information que nous devrions combler à mon avis. Dans le domaine des disparités en matière de santé, certains des groupes qui peuvent être les plus intéressants peuvent aussi être les plus difficiles à joindre, ce qui fait que nous n'avons pas tendance à recueillir des renseignements sur ceux-ci. Les personnes âgées, par exemple, ou celles qui vivent dans des foyers pour personnes âgées ou pour personnes handicapées, ainsi que les sans-abri, ne sont pas des groupes de gens sur qui nous recueillons régulièrement des données. Dans certains cas, les populations qui vivent dans les réserves sont exclues des enquêtes.
Encore une fois, si nous essayons de comprendre les disparités, je pense qu'il serait utile que nous obtenions les données qui nous manquent en essayant de trouver de l'information précisément sur ce genre de groupes.
En ce qui concerne le couplage des données, la prochaine diapo est peut-être d'une certaine manière une réponse à la question que vous avez soulevée dans le document sur les options proposées au sujet de la création éventuelle d'une base de données nationale sur la santé des populations par notre organisation. L'une des observations que nous faisons, c'est que les données pertinentes sur la santé des populations se trouveront à différents endroits.
Nous avons entendu le témoignage de gens qui, à l'échelon local, utilisent des données par l'intermédiaire du conseil scolaire, de gens qui utilisent des données sur leur collectivité. Nous avons entendu le témoignage de gens qui, à l'échelon national, utilisent des données administratives du recensement. La possibilité de regrouper toute cette information à un seul endroit sera peut-être toujours limitée. Si la situation au pays favorise un bon couplage des données, et cela signifie évidemment qu'il faut que les politiques de respect de la vie privée soient claires et qu'il faut s'assurer que les renseignements personnels des Canadiens sont protégés par des mécanismes, nous devons définir précisément le moment où il convient de coupler des données dépersonnalisées pour répondre à ces questions. Je pense que le fait d'instaurer un cadre solide pour assurer la protection des renseignements et un climat qui nous permettrait d'effectuer le couplage des données, que ce soit à l'échelon local, provincial ou national, pourrait, à notre avis, nous offrir de nouvelles possibilités de mieux comprendre ces questions.
La diapo suivante présente un exemple de domaine dans lequel nous avons été capables d'effectuer ce couplage. Les données n'ont pas encore été publiées. En collaboration avec Statistique Canada, nous avons couplé les données du recensement aux données relatives à l'hospitalisation. L'information a trait aux affections sensibles aux soins ambulatoires, c'est-à-dire à des affections qu'on devrait être capable de traiter dans la collectivité, par exemple l'asthme, le diabète et la haute pression sanguine. Cette information montre que, même lorsque les personnes touchées accèdent au système de santé et au système hospitalier, le besoin est plus grand chez les personnes dont le revenu est faible d'être hospitalisées pour des affections que nous devrions être en mesure de traiter efficacement dans la collectivité. Nous pouvons tirer cette conclusion, encore une fois, en couplant les données du recensement, qui contiennent des données socioéconomiques, avec les dossiers des hôpitaux. C'est un petit exemple d'instauration d'un climat qui permet le couplage, mais cela nous permet bel et bien de nous concentrer sur ces questions relatives à la santé des populations.
La diapo suivante, dans le domaine des analyses régionales et locales, porte sur ce qui peut être fait à notre avis. Les points d'intervention se situeront à l'échelon local. À cette fin, nous avons besoin d'échantillons de données de bonnes tailles. Je sais que ce n'est pas le genre de choses qui fait les manchettes, peut-être, mais le fait d'avoir davantage de données à plus grande échelle permet aux gens qui travaillent à l'échelle locale d'utiliser ces données. Nous avons fait du travail en collaboration avec les agents de la santé publique en milieu urbain du pays, et dans les cas où nous avons été en mesure de fournir des données s'appliquant aux différents quartiers des villes où travaillent ces agents, ces données ont été un outil extrêmement puissant.
Le dossier de santé électronique offre également de grandes possibilités au chapitre de la surveillance de la santé des populations. Lorsque j'ai lu votre document sur la possibilité de créer une base de données électroniques ou sur la santé des populations, j'ai pensé que ce ne serait probablement pas une seule base de données. Le fait est que, vu les investissements que nous sommes en train de faire dans le dossier de santé électronique, qui sont tout à fait nécessaires pour les soins cliniques de première ligne, cela offre également des possibilités si nous nous assurons que les mécanismes appropriés sont en place pour assurer la diffusion sécuritaire des données dépersonnalisées dans certains buts précis. Je crois que cela nous offre essentiellement la possibilité de répondre à de nombreuses questions sur la santé des populations qui seraient fondamentales à nos yeux.
Je vais m'arrêter ici. Je sais que le but de l'exercice est de stimuler le débat, mais ma conclusion, c'est que nous savons beaucoup de choses. Il y a encore beaucoup d'incertitude, mais il y a de plus en plus de travaux de recherche. Il y a de réelles occasions qui s'offrent à nous d'obtenir davantage d'information pour continuer de bâtir le fondement qui permettra aux gens de se faire une idée de l'enjeu et d'agir en fonction de cette idée.
Louise Potvin, professeure, Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal : Je pense que Mme Yeates a fait le tour de ce que nous savons et de ce que nous ne savons pas.
J'aimerais attirer l'attention du comité sur deux choses. L'un des éléments sous-jacents de l'exposé, c'est l'absence totale de données sur les tendances. Dans ce domaine, le Canada n'est pas meilleur que le reste du monde. La capacité de suivre les tendances à long terme est très limitée dans le monde, parce qu'il y a très peu d'instruments pour le faire et que cela pose de nombreux problèmes complexes de méthode. Il y a des problèmes techniques et des indicateurs de disparité qui ne sont pas faciles à manipuler, comme principaux indicateurs de tendance, notamment les moyennes. Voilà l'une des difficultés sur lesquelles il convient d'insister davantage, à mon avis.
L'autre problème que je veux souligner, c'est que, si nous faisons des recherches sur les disparités, alors nous ne faisons pas de recherches sur l'intervention et sur l'évaluation des interventions. L'ISPP ou Institut de la santé publique et des populations ainsi que d'autres établissements qui s'intéressent à ces questions possèdent des données qu'ils n'ont pas encore publiées. Je peux vous dire que moins de 10 p. 100 des projets relatifs à la santé des populations que les IRSC ont financés entre 2001 et 2006 ont trait à l'intervention.
Non seulement nous ne savons pas ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, mais nous ne faisons pas de recherche là-dessus, essentiellement parce que nous n'avons pas les outils nécessaires pour associer des projets d'intervention à des projets de recherche bien faits et pertinents. Voilà les deux points sur lesquels je voulais insister après l'exposé de Mme Yeates.
L'honorable Monique Bégin, C.P., commissaire, Commission des déterminants de la santé de l'Organisation mondiale de la santé : Elle a présenté un excellent exposé. C'était clair, et elle a fait le tour de la question. Ça m'a rappelé un problème que le Sous-comité de la santé des populations devrait attaquer de front, c'est-à-dire le problème qui vient du fait que nous possédons beaucoup de connaissances, mais en même temps, pas suffisamment.
La façon d'aborder la vie du point de vue de la médecine fondée sur les données probantes et scientifiques a envahi toutes les organisations bureaucratiques. Il est facile pour n'importe quel sous-ministre qui fait partie du système d'éluder la question en disant qu'il y ait des choses que nous ne connaissons pas. Nous connaissons beaucoup de choses, et nos grands-mères en savent encore plus que nous, mais elles ne peuvent pas prouver ce qu'elles savent.
Les connaissances qui nous viennent des sciences exactes et de la littérature grise, ou encore de l'observation, lorsqu'elle est bien faite, logique et systématique, sont considérées comme étant des données probantes. Le comité devrait donc se pencher sur cette façon de comprendre la vie à partir de données probantes.
William Tholl, secrétaire général, Association médicale canadienne : Merci de m'avoir invité à participer à la séance.
La première chose que je veux dire, c'est que, il y a 10 ou 12 ans, on n'aurait jamais pu nous présenter l'ensemble de données qu'on nous a présentées ce matin. Bravo, madame Yeates. J'ai eu le privilège de faire partie du groupe de travail Wilk dont les travaux ont mené à la création de l'ICIS. Le verre est à moitié plein en ce qui concerne ce que nous savons et ce que nous ne savons pas dans le domaine de la santé et des soins de santé.
J'ai deux ou trois choses à dire. J'aimerais d'abord parler de ce qui a fait que, dans un court laps de temps, notre position a chuté dans le classement mondial, du quatrième ou cinquième rang au chapitre de la mortalité infantile, jusqu'à celui que nous occupons aujourd'hui. D'après l'une des diapos de Mme Yeates, nous occupons le 22e rang dans le monde. C'est vrai qu'il y a des différences quant à la façon de recueillir les données, mais pas tant que ça sur une période aussi courte. On utilise le même instrument simple partout. À mon avis, cela soulève les questions que le forum national sur la santé, dont font partie M. Lewis et de nombreuses autres personnes, a déjà examinées. Qu'est-ce qui nous a arrêtés? Pourquoi avons-nous cessé de progresser? Je laisse le groupe répondre à cette question. Que devons- nous faire pour créer ce besoin urgent de changement dans le domaine de la santé que nous avons vu dans celui des soins de santé?
Pouvons-nous faire en santé ce que nous avons fait par rapport aux soins de santé et aux délais d'attente pour sensibiliser les gens et pour faire en sorte qu'ils déploient tous des efforts dans la même direction, de façon à faire bouger les choses pour vrai, d'abord en évaluant les choses, puis en les gérant.
On parle du rapport Lalonde quelque part dans la documentation. Nous avons rassemblé une poignée de gens qui ont participé à la rédaction du rapport il y a 30 ans, et nous leur avons demandé de faire une rétrospective à partir d'un nouveau point de vue. L'une de leurs observations, c'est que nous étions alors des chefs de file dans le monde pour ce qui est de la réflexion sur la santé et de la façon de l'évaluer — des choses comme les années potentielles de vie perdue —, mais que nous sommes maintenant en retard sur bien des pays en ce qui a trait à la santé et à la prestation des soins de santé. L'une des choses qu'ils ont remarquées, c'est l'absence d'un besoin urgent de changement.
Je vais laisser les membres du groupe réfléchir à cela et peut-être y revenir — si vous pensez que c'est important — pour vous parler de la façon dont nous pourrions faire cela.
Le sénateur Fairbairn : Je veux tout de suite soulever une question qui touche presque tout ce que vous avez dit jusqu'à maintenant. C'est la question de l'alphabétisation.
Le comité a tenu des séances très intéressantes sous la présidence du sénateur Keon, mais je vois ici des gens qui ont été confrontés à ce problème dans le passé : David Dodge, Mel Cappe, le sénateur Callbeck, lorsqu'elle était première ministre, le sénateur Cook, à Terre-Neuve. C'est un problème qui existe partout au Canada. J'aimerais beaucoup que certains d'entre vous me disiez ce que vous en pensez pendant le tour de table. Je sais que le sénateur Segal a lui aussi fait beaucoup de travail dans le domaine de l'alphabétisation. J'aimerais que les membres du groupe réfléchissent au fait que quelque chose comme 30 p. 100 des adultes du pays ne sont pas en mesure de s'acquitter des tâches qu'on leur donne lorsqu'il s'agit de lecture, d'écriture et de compréhension.
À mes yeux, c'est un problème fondamental qui touche à peu près tout ce dont nous allons parler aujourd'hui. J'ai pensé que je devais vous faire part de cette préoccupation dès le départ.
Mel Cappe, président, Institut de recherche en politiques publiques : Le rapport du comité publié en avril 2008 parle, entre autres, des difficultés qu'éprouvent beaucoup de Canadiens à lire la posologie des médicaments qu'ils prennent, et donc à la suivre. La question que soulève le sénateur Fairbairn est beaucoup plus vaste. C'est une question qui relève beaucoup moins de la capacité de fonctionner que des déterminants de la santé. Je n'avais pas l'intention de dire cela. Je ne veux pas que quiconque pense que mon intervention est antianalytique, mais je veux établir la distinction entre les données, les cibles, et les analyses qu'on fait des données et les cibles qu'on peut définir.
J'ai suivi de près ce qui se passe au Royaume-Uni, et je sais que tout ce qui bouge fait l'objet d'une évaluation là-bas. Lorsqu'on mesure tout ce qui évolue et qu'on établit des cibles pour ces éléments, les gestionnaires gèrent ce qui évolue, mais ils ne gèrent pas les choses importantes. Si vous mesurez ce qui est mesurable et que vous établissez vos objectifs par rapport à ça, vous courez le risque de ne pas définir les bons objectifs. Je veux établir une distinction claire entre les données qu'on utilise pour analyser le problème et pour trouver des façons de le régler et les cibles qu'on peut utiliser. Je remarque encore une fois dans votre rapport que vous parlez beaucoup de l'utilisation de cibles.
Je vais vous donner un exemple. Au Royaume-Uni, on classait les hôpitaux. On procédait à une évaluation complexe fondée sur 32 indicateurs qui permettaient d'établir le classement. L'un de ces 32 indicateurs était ce que pensaient les patients de la qualité de la nourriture. Il y avait aussi la récurrence du cancer du sein. Pour l'administrateur de l'hôpital, l'un de ces indicateurs est facile à gérer, tandis que l'autre est difficile. En établissant des cibles du genre, on a orienté les comportements d'une façon qui, selon moi, n'a pas mené à l'amélioration de la santé, et encore moins des soins de santé.
Je voulais dire cette chose importante : nous avons besoin des données et des analyses, mais il faut éviter d'établir des cibles trop rapidement.
M. Lewis : Est-ce que ce que vous dites, c'est que si l'ICIS et d'autres organisations envisagent un programme de collecte de renseignements sur les disparités, il y a le danger qu'ils ne recueillent pas les bons renseignements et des renseignements d'importance secondaire?
M. Cappe : Je pense que la valeur marginale de l'information est positive dans l'ensemble. Je me suis laissé dire un jour qu'il y a certaines choses qu'on ne veut pas savoir — on ne veut pas savoir ce que sa fille a fait le soir d'avant avec son petit ami ni le moment où on va mourir —, mais on veut savoir à peu près tout le reste. Il faut savoir toutes ces choses. Évitez donc d'établir des objectifs d'amélioration en fonction des seules choses qui ont été mesurées. Revenez- en à l'idée globale des résultats en santé et à ce que vous pensez pouvoir faire pour les améliorer, mais évitez de ne faire que ce que vous pouvez évaluer. Gardez l'œil sur les choses très générales qui sont plus difficiles à évaluer.
M. Lewis : Qu'est-ce qui est donc impossible à évaluer là-dedans? Qu'est-ce qui vous inquiète dans ce phénomène qui nous échappe et que nous n'arrivons ni à mesurer ni à comprendre?
M. Cappe : Si nous nous concentrons sur les revenus dans certains quartiers, nous allons avoir tendance à cibler les quartiers et à régler les problèmes liés au revenu. Les choses ne sont pas aussi simples. Il y a de nombreux autres déterminants de l'insuffisance du revenu et du mécanisme qui fait que cela a une incidence sur la santé.
David Dodge, ancien gouverneur de la Banque du Canada, à titre personnel : Autrement dit, il ne faut pas confondre corrélation et causalité.
M. Lewis : Voilà une façon de dire les choses qui va plaire aux chercheurs, sans aucun doute.
Le sénateur Callbeck : Tout d'abord, je souhaite remercier l'intervenante d'avoir présenté un exposé clair et informatif. J'ai une question au sujet du dossier de santé électronique, dont vous avez parlé. Dans ma province, on a fait beaucoup de choses en ce sens au cours des dernières années, et tous les hôpitaux utilisent ce système maintenant. Ils sont en train d'adopter un système plus complet.
Je me demandais ce qu'il en était des autres provinces. Où en sont les autres provinces, par rapport à ce DSE? Les provinces recueillent-elles les mêmes données? Recueillent-elles toutes des données différentes? Il me semble que si c'était les mêmes données partout, ce serait beaucoup mieux, parce que nous pourrions utiliser ces données.
Mme Yeates : Je pense que les choses avancent bien dans l'ensemble du pays. D'une certaine manière, ce n'est que le début. C'est un très gros projet. Nous commençons à voir les choses progresser comme dans votre province, et nous sommes témoins de cela dans l'ensemble du pays.
Je pense que nous commençons à voir les premiers résultats positifs du côté clinique. Le fait de disposer d'une radiographie ou d'un tomodensitogramme en format électronique permet aux gens d'utiliser ces choses lorsqu'ils en ont besoin, et nous commençons à voir cela pour les gens qui travaillant dans ce domaine.
La chose dont nous avons beaucoup moins parlé, et qui, selon moi, ne va pas avoir d'incidence si nous ne décidons pas consciemment que c'est ce que nous voulons, c'est si nous devons normaliser certaines choses pour nous assurer de pouvoir utiliser ces données pour effectuer le suivi de la santé des populations.
Nous n'en avons pas beaucoup parlé. Nous n'avons établi ni les règles du jeu, ni ce qui va être mis en commun, ni les raisons pour lesquelles il serait important de normaliser certains éléments. Il y aura peut-être des éléments qu'il ne sera pas nécessaire de normaliser. Si ceux-ci sont différents d'une région du pays à l'autre, cela n'aura pas d'importance.
Il y a d'autres éléments. Lorsqu'il s'agit de déterminer si nous faisons des progrès par rapport au diabète, est-ce que l'incidence est mieux ou est-ce que c'est le traitement qui est mieux? Si nous sommes en mesure de le savoir à un moment donné, nous devons normaliser certaines définitions. Nous devons convenir de l'utilisation de certaines choses — des données cliniques, essentiellement, tirées du dossier de santé électronique, qui contiendra tous les détails et toute l'information permettant l'identification. Nous devons convenir des règles, des interdictions et des mécanismes visant à assurer la protection des renseignements personnels dans le cadre desquels nous obtiendrons ces données sur la santé des populations, qui seront d'une importance capitale.
Les choses avancent très bien, pour ce qui est du dossier de santé électronique, dans différentes régions du pays, quoique nous n'en soyons pas encore rendus à l'étape où nous réfléchissons consciemment à l'utilisation que nous allons faire de ce dossier dans le contexte de la santé des populations.
Lars Osberg, Département d'économie, Université Dalhousie : J'aimerais insister sur une chose importante par rapport aux données, aux analyses et aux politiques, et il s'agit de la longueur des périodes qu'il faut envisager lorsqu'on examine certains déterminants socioéconomiques de la santé. Si vous imaginez certains des déterminants socioéconomiques de la santé comme des chocs, des blessures ou des contraintes exercées sur le système, dans bien des cas, les personnes et les familles peuvent les absorber pendant un certain temps, et les répercussions ne sont pas tout de suite manifestes, mais elles sont latentes et finissent par ressortir.
Pour ce qui est des événements extrêmes, nous savons depuis longtemps que les enfants qui naissent avec une insuffisance de poids sont moins en santé que les autres pendant qu'ils sont nourrissons, et qu'il y a toutes sortes d'autres problèmes de santé qui découlent de cela par la suite, pendant toute leur vie, à cause des blessures subies dans l'utérus.
Dans les pays en développement, on sait depuis assez longtemps que la famine et la malnutrition font que les jeunes enfants sont plus petits qu'ailleurs et ne rattrapent jamais vraiment les autres. Des années plus tard, ils obtiennent des résultats plus faibles que les autres sur les plans cognitif et social à de nombreux égards. Pour ce qui est des événements extrêmes, nous savons ces choses depuis longtemps, mais bon nombre de processus que nous essayons de comprendre sont plus subtils.
Pensez aux répercussions d'une période de pauvreté sur un enfant. La Panel Study of Income Dynamics a été entreprise dans les années 70 aux États-Unis, et les personnes qui effectuent cette étude suivent aujourd'hui l'évolution de certains des enfants de ces familles qui ont fait l'objet de l'étude, enfants qui sont maintenant dans la mi-trentaine. Chez les jeunes de 18 à 20 ans, la jeunesse occulte beaucoup d'affections, ce qui fait qu'il y en a beaucoup qui ne se manifestent pas avant plusieurs années. Cependant, lorsqu'ils arrivent dans la trentaine, certaines de ces blessures latentes qu'ils ont subies étant jeunes commencent à faire surface.
Le problème que nous avons, au Canada, par rapport aux données, c'est que nous n'avons pas commencé une étude du genre de la Panel Study of Income Dynamics dans les années 70, et nous ne commençons que maintenant à faire ce genre d'enquête. Le problème que cela pose, c'est que ces études sont effectuées en partie par des groupes créés pour six ans, ce qui fait que nous n'allons jamais recueillir des données pendant suffisamment longtemps pour faire une analyse complète. Nous devons compter sur les dossiers administratifs pour au moins une partie des analyses que nous faisons sur des périodes passées.
Le problème qui se pose sur le plan des politiques, c'est qu'en supprimant le filet de sécurité sociale au milieu des années 90, beaucoup de choses ne se sont pas produites tout de suite, mais on a fait augmenter l'ampleur de la pauvreté, ce qui va avoir des répercussions à long terme, des années plus tard. Le gouvernement qui prend les décisions dans un sens ou dans l'autre, n'a pas à payer le prix, sur le plan des coûts liés à la santé, de ces décisions relatives aux politiques sociales. Parallèlement, le gouvernement qui décide d'améliorer les politiques sociales ne profite pas lui- même de la diminution des coûts liés aux soins de santé, parce que cette diminution a lieu beaucoup plus tard.
Il y a un problème de données, un problème d'analyse et un problème de politiques, et ces problèmes découlent du laps de temps important qu'il y a entre la blessure et son effet, comme on peut souvent l'observer dans le domaine des déterminants socioéconomiques de la santé.
Le sénateur Segal : Je suis d'accord avec MM. Osberg et Cappe, surtout pour ce qui est d'essayer d'évaluer les différents facteurs qui ont des répercussions sur la santé publique et d'essayer de pondérer ces facteurs. Nous sommes loin de posséder ces connaissances; c'est quelque chose que je comprends. Il est clair, que, du point de vue des politiques publiques et du point de vue de ce que les gouvernements peuvent faire avec des ressources limitées dont elles disposent, avoir une idée de cela va être extrêmement utile.
Je pense aussi qu'il est utile, dans une certaine mesure, par rapport à l'utilisation que Mme Yeates fait des chiffres de l'ICIS, que nous réfléchissions également à ce que le gouvernement fait bien. Le gouvernement ne fait pas tout comme il faut, peu importe qui est au pouvoir, mais il fait certaines choses extrêmement bien.
Dans la mesure où le comité, dans sa sagesse, va donner au gouvernement des conseils sur ce qu'il pourrait faire pour accroître les aspects positifs de la santé des populations, il sera important d'associer les chiffres à une idée de ce que nous pensons que les gouvernements — le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux — peuvent faire bien, plutôt que de ces choses dont les données ont montré systématiquement que les gouvernements ne peuvent pas les faire bien, que ce soit un gouvernement de la gauche, du centre ou de la droite, ou une combinaison des trois, simplement parce qu'elle dépasse la portée de ce que les gouvernements peuvent faire de toutes sortes de façons. C'est une entreprise de taille que de demander à un sous-comité ou à un comité d'évaluer cela, la pertinence du conseil donné et la mesure dans laquelle il sera écouté et appliqué rapidement dépendra de ce que le comité sera prêt à faire par rapport à ce genre de recommandations.
M. Lewis : Lorsque vous entendez notre position dans les classements internationaux, que la méthode soit contestée ou non, nous arrivons au dernier rang pour ce qui est de l'utilisation optimale de l'argent investi dans le domaine de la santé et des services sociaux. Est-ce que c'est un facteur de motivation? Est-ce que c'est le genre de données qui est susceptible de rendre la question un peu moins obscure?
Est-ce que les gouvernements devraient collectivement se confesser et avouer que, pour une raison ou une autre, nous avons commis une erreur fondamentale et que cela a à voir avec notre incapacité de réduire les inégalités, qui, à mon sens, sont au cœur du problème de l'optimisation des ressources?
Le sénateur Segal : Je suis tout à fait d'accord, monsieur Lewis, et je vais faire une brève observation sur ce thème un peu plus tard au cours de la séance.
Permettez-moi également de dire qu'il y a une corrélation, et, à mon avis, un lien de cause à effet — si je peux me permettre de dire les choses ainsi en présence de gens qui possèdent de fortes compétences en économie que je ne possède pas moi-même — en ce qui concerne la question fondamentale de la pauvreté. Je pense que cela découle directement des chiffes qu'a présentés Mme Yeates. Si l'on jette un coup d'œil du côté des pays qui s'en tirent mieux que nous d'après certains indicateurs, la réponse est qu'ils obtiennent de meilleurs résultats en santé des populations pour des raisons qui ont trait à la façon dont ils ont réduit les écarts. De Disraeli à Adlai Stevenson, les gens se sont attaqués à ce problème, et je suis d'avis que c'est une chose à laquelle le comité devrait réfléchir.
Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique, Agence de la santé publique du Canada : J'aimerais m'attaquer à la question des chiffres avant de parler des autres choses. Pour ce qui est des corrélations et des liens de cause à effet, je ne pourrai pas vous dire le nombre de fois que j'ai vu des parapluies causer la pluie parce qu'on en voit davantage pendant les journées pluvieuses. Lorsqu'on fait état du nombre de parapluies, ces chiffres sont le fondement des décisions qui sont prises. La nature des données est une chose à laquelle il faut travailler.
Pour revenir sur ce que M. Cappe a dit au sujet du fait que c'est dans les domaines où on évalue des choses qu'on prend des mesures, on a vu cela se produire dans le cas des sondages réalisés par Maclean's et par d'autres organisations, où le processus décisionnel est orienté de façon à faire en sorte que les choses paraissent bien. C'est vraiment important de clarifier ce que nous décidons d'évaluer et de surveiller, ainsi que le contexte dans lequel nous effectuons l'évaluation et le suivi. Dans les cas où nous ne disposons d'aucune donnée sur des choses importantes, nous devons trouver le moyen soit d'évaluer ces choses, soit, à tout le moins, de comprendre le modèle logique sous-jacent.
Une partie du problème qui touche les données, c'est que la pauvreté, à mes yeux, fait partie d'une constellation de problèmes. Il ne s'agit pas que d'une simple question d'économie. Il s'agit d'une constellation formée de la pauvreté, des relations, de la collectivité, de l'éducation et de l'alphabétisation. Dégager les déterminants comme les composantes isolées, comme nous avons tendance à le faire en médecine et dans d'autres domaines, est une chose extrêmement importante pour comprendre la dynamique et les interrelations, mais c'est également une chose très difficile à faire.
L'une des choses qui m'ont toujours intrigué, comme j'examine la question depuis quelques décennies, c'est ce qui fait qu'une personne peut être en santé et une autre non dans deux villages voisins où tout est pareil : la situation économique, la géographie, tout. Quels sont les facteurs qui entrent en jeu? Nous n'avons pas fait suffisamment de recherches là-dessus. Nous avons certaines idées à cet égard, mais nous ne sommes pas vraiment sûrs de tout comprendre.
Nous n'avons pas suffisamment tiré parti des expériences naturelles, tant à l'échelle internationale, sur le plan des décisions stratégiques et de leur application, qu'à l'échelle nationale. Dans les années 90, l'une des meilleures choses qu'on a faites en Saskatchewan pour la santé de la population, ça a été d'offrir des prestations aux familles à faible revenu qui cessaient de vivre de l'aide sociale, de façon qu'elles ne perdent pas l'accès aux régimes de soins dentaires et de médicaments pour les enfants. Cette mesure a eu un effet aussi important sur la santé de la population de la province qu'à peu près tout le reste, pour ce qui est de réduire l'écart. Nous disposons de données qui le montrent, mais nous ne les avons pas utilisées de façon efficace.
Je partage l'enthousiasme de Mme Yeates au sujet d'une meilleure collecte des données. Cependant, le défi consiste en partie à nous assurer que nous comprenons les objectifs et les différences entre la surveillance, c'est-à-dire le fait de recueillir des données régulièrement pour effectuer le suivi de certaines choses, et la collecte régulière de données aux fins dont Mme Yeates a parlé, par rapport à l'ICIS et à d'autres organisations et par rapport à la recherche. Nous devons formuler clairement les questions que nous posons et le meilleur moyen d'obtenir les réponses, pour montrer que ce ne sont pas les parapluies qui causent la pluie et les autres phénomènes, nous devons ensuite préciser la mesure dans laquelle ces données s'appliquent et dans laquelle elles s'appliquent ailleurs qu'à l'endroit où les recherches ont été effectuées.
Enfin, pour revenir sur ce que Mme Bégin a dit, à quel moment en savons-nous suffisamment? Possédons-nous suffisamment d'informations pour prendre une quelconque décision ou pour nous orienter vers une direction plutôt qu'une autre, et pour ensuite évaluer notre choix? C'est une question qui fait partie du débat sur la santé des populations depuis longtemps. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire à l'échelon communautaire pour changer la vie des gens. Nous devons élaborer des politiques à grande échelle, ce qui est devenu une excuse, puisque, pendant que nous travaillons là-dessus, nous ne pouvons nous concentrer sur autre chose ni consacrer d'énergie à faire ce qui change des choses dans la vie de tous les jours. La réponse est une combinaison des deux. Ce n'est pas une situation où il faut choisir l'une ou l'autre de ces choses. C'est cette interface des différentes dynamiques des déterminants et de la pauvreté, et la relation a trait non pas simplement au gouvernement ou aux citoyens, mais bien à la constellation de ces éléments qui réduisent les disparités et qui contribuent à l'amélioration de la santé en général.
Le président : J'aimerais mettre en lumière une chose très importante, qui a été abordée d'abord par Mme Bégin, puis par vous, et M. Cappe l'a abordée aussi. Lorsque nous essaierons de contribuer à l'amélioration du système en rédigeant notre rapport, à quel moment devons-nous choisir un sujet et décider que nous savons suffisamment de choses à ce sujet — même si nous ne savons pas tout —, afin de pouvoir formuler des recommandations très précises. Permettez-moi de vous donner l'exemple de la santé des mères et du développement du jeune enfant. Nous avons visité Cuba, parce que ce pays très pauvre, qui ne peut s'offrir le genre de système de prestations des soins de santé que nous avons, s'est demandé sur quoi il allait se concentrer, et a décidé de se concentrer sur la santé des mères et des enfants. Croyez-moi, on a atteint ce but à Cuba. Je vous donne cet exemple parce que je pense que nous pourrions obtenir de très bons résultats en matière de santé, d'économie et de productivité si nous nous concentrions sur la santé des mères et sur le développement du jeune enfant.
Gina Browne, professeure en sciences infirmières et épidémiologie, Université McMaster : Merci de votre invitation.
Je remercie Mme Yeates des données qu'elle nous a présentées. Je fais des recherches et je lis les rapports de l'ICIS, mais, aujourd'hui, j'aimerais réagir à certaines des choses que vous avez dites, madame Yeates, du point de vue d'une personne possédant 30 ans d'expérience de la thérapie familiale.
Pour partir de ce que le sénateur disait au sujet de la santé de la mère et de l'enfant, j'aimerais vous parler de l'une des familles dont je m'occupe, dont la mère est la fille d'une héroïnomane, ce qui fait qu'elle avait des troubles cérébraux dès la naissance. Elle vient d'avoir un enfant qui est en parfaite santé jusqu'à maintenant; cependant, son revenu est faible, elle dépend de l'aide sociale, elle a des problèmes liés au logement, elle a des problèmes de relations interpersonnelles et des problèmes liés à son rôle de mère. Elle a tous les problèmes dont vous avez parlé.
Pour revenir sur l'idée de lien de cause à effet, lorsqu'on écoute les histoires intergénérationnelles au sujet de gens qui souffrent sur le plan psychologique, une bonne partie des troubles mentaux ordinaires passent inaperçus. En fait, 97 p. 100 de ces troubles passent inaperçus, et on dit qu'il s'agit de dépression et d'anxiété, souvent chez la même personne. Je ne parle pas des troubles mentaux graves, qui sont terribles, mais qui ne comptent que pour 3 p. 100 du total.
Pour ce qui est de la dépression et de l'anxiété graves et des crises de panique, selon une étude que j'ai faite, 61 p. 100 des mères qui vivent de l'aide sociale n'ont que ça, et non seulement elles ont deux troubles de santé mentale ou plus, mais 40 p. 100 d'entre elles ont trois troubles de santé physique ou plus, et leurs enfants ont des problèmes de comportement, et ainsi de suite.
Tous les problèmes liés à l'éducation, au revenu, à l'hygiène, au poids des enfants à la naissance et ainsi de suite pourraient se résumer — je n'aime pas simplifier autant les choses — à la santé mentale, et les parents qui n'ont pas une bonne santé mentale ne seraient en pas en mesure de bien jouer leur rôle de parents. Il y a des mères dépressives qui s'occupent bien de leurs enfants, alors ce n'est pas quelque chose d'absolu. Cependant, les troubles de santé mentale ont un effet négatif sur la stimulation des enfants, leur apprentissage, et leur degré d'alphabétisation. Cela a un effet sur leur revenu, et aussi sur leur capacité de se procurer des fruits et des légumes. Beaucoup de gens ont recours aux drogues comme à une espèce de traitement personnel. Cela engendre des difficultés dans les relations interpersonnelles, et il en découle d'autres événements négatifs dans la vie de la personne.
Je suis d'accord avec l'idée qu'il s'agit d'une constellation d'éléments appauvrissants en interaction. Ce genre d'événements négatifs modifient les caractéristiques biologiques et les gènes, et le problème devient intergénérationnel. Nous savons que même si une personne a certaines limites à la naissance, si elle grandit dans un bon milieu, elle peut se démarquer des autres. Ainsi, dans toute la documentation au sujet des déterminants de la santé, je trouve qu'on n'insiste jamais suffisamment sur la santé mentale des gens. Nous traitons les troubles mentaux comme s'il ne s'agissait que d'un autre organe, c'est-à-dire le cerveau, tandis que, pour moi, la santé se définit par la capacité d'une personne de faire face aux obstacles et aux défis de la vie. La personne qui est atteinte de troubles mentaux ne peut réagir aussi bien qu'une autre, et cela échappe à son emprise. C'est ce que je voulais dire.
Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit, mais je pense que cela se résume à des troubles de santé mentale sous- jacents sur lesquels nous avons très peu de données.
Dr Jeff Reading, directeur scientifique, Institut de la santé des Autochtones des Instituts de recherche en santé du Canada : Bonjour, j'aimerais remercier le Dr Keon de m'avoir invité et souligner l'importance du travail de l'honorable Monique Bégin et de la Commission des déterminants sociaux de la santé de l'Organisation mondiale de la santé, avec sir Michael Marmot.
Michael Marmot parle entre autres des causes des causes, alors quand nous parlons des disparités, tout le monde ici présent comprend qu'elles sont causées par la situation socioéconomique. En santé autochtone, nous parlons des causes des causes des causes. En d'autres termes, les causes de la pauvreté ont trait à l'économie politique du Canada et aux événements historiques qui ont placé les peuples autochtones, et particulièrement les Premières nations, dans une situation désavantageuse. Bon nombre d'entre nous pensons que nous vivons une période postérieure à une assimilation ratée, alors que si l'assimilation avait été réussie, les Autochtones feraient partie de la population dominante du Canada, et le problème aurait été réglé. L'assimilation n'a pas fonctionné; ça a été un échec colossal. En fait, d'après la plupart des données dont nous disposons à l'heure actuelle, de plus en plus d'Autochtones s'auto- identifient comme membres de ce groupe. Il y a eu un revirement de situation. Ainsi, le problème, si vous voulez qualifier cette situation de problème, c'est que le phénomène prend de l'ampleur. De plus en plus d'Autochtones et de plus en plus de membres des Premières nations sont fiers de leur identité, et il s'agit d'un problème dans les villes ainsi que d'une situation qui est en train de se produire dans les milieux ruraux, dans le Nord et dans les collectivités isolées.
Je dis que c'est un problème, comme beaucoup d'autres, parce qu'il y a un écart au chapitre de l'espérance de vie, comme nous le savons tous très bien. L'un des problèmes que pose le fait que je parle de ce groupe, c'est que je ne peux pas vous dire grand-chose que vous n'avez pas déjà entendu. Nous avons tous cette information, et, dans un sens, nous prêchons des convertis. Il y a cependant deux ou trois choses importantes à souligner.
La première a trait aux données. J'aime bien la métaphore de M. Butler-Jones au sujet de la pluie et des parapluies; j'aime bien la métaphore de la pluie. En santé autochtone, les données pleuvent, mais il n'y a pas une goutte de données à boire. C'est ça le problème. Nous n'avons généralement pas accès à l'information qui nous permettrait d'améliorer notre qualité de vie. Nous avons fait des progrès, mais nous pourrions en faire davantage en envisageant des façons de démocratiser l'accès aux données et à l'information qui nous offriraient la possibilité d'avancer des arguments convaincants en vue de l'amélioration de nos stratégies relatives aux soins de santé.
Je souligne ce que Mme Potvin a dit dans son exposé au sujet des interventions et de ce qui fonctionne à quels niveaux. Mme Yeates a écrit : « Très peu de données de recherche concernent la recherche interventionnelle sur les disparités en matière de santé. » C'est vrai. Le Canada n'a pas investi les ressources nécessaires pour effectuer des études à long terme afin d'évaluer les interventions, surtout en ce qui a trait au développement économique durable des populations et des collectivités marginalisées. Au bout du compte, c'est le développement économique durable, l'accès aux ressources, l'élimination de la pauvreté extrême et la capacité de ces familles de se procurer les choses qui sont d'autres déterminants de la santé qui va permettre l'amélioration de la santé et du bien-être de ces collectivités. Nous le savons depuis au moins 30 ans. Les théoriciens de la société ont montré que, chez les Autochtones, l'autodétermination serait liée à long terme à des améliorations au chapitre de la santé, mais nous n'avons pas suivi ce processus. L'occasion la plus prometteuse, qui s'est soldée par un échec, a été l'Accord de Kelowna, aux termes duquel 5,1 milliards de dollars ont été octroyés dans le cadre d'un partenariat unique qui aurait réduit l'écart, ou commencé à le faire, mais, à la dernière minute, il a été annulé.
Nous sommes en train de vivre la période postérieure à l'Accord de Kelowna, et les Canadiens commencent à penser que l'écart qui sépare les Autochtones d'eux au chapitre de l'espérance de vie et du bien-être est peut-être acceptable. Nous en sommes peut-être arrivés au point où nous acceptons le fait que ça ne changera jamais. Je pense que c'est inacceptable. Ce doit être inacceptable aux yeux des Canadiens, dans notre système d'égalité et d'équité et d'éléments sociaux que nous considérons comme étant nos valeurs.
La dernière chose que je veux dire a trait aux comparaisons avec les autres pays du monde. Il y a des vraisemblances frappantes entre la situation et l'histoire des peuples autochtones du Canada et les populations autochtones du monde entier. À l'ouverture de la session parlementaire en cours en Australie, le premier ministre a lu un texte de quatre pages au sujet des « générations volées », sur quelque chose de semblable aux pensionnats indiens au Canada. Ses propos étaient remarquables, et ça a été un revirement politique complet en Australie. Les Australiens ont également lancé une initiative intitulée Combler l'écart, et il est intéressant de voir que, dans les rapports du gouvernement fédéral, on utilise la même terminologie.
Le gouvernement australien a adopté une approche pangouvernementale des déterminants sociaux en général, dans le but de refermer l'écart de 22 ans entre la population autochtone et le reste de la population du pays. L'économie de l'Australie est forte en ce moment, et c'est peut-être une bonne période pour envisager cette approche. Nous devons concentrer nos efforts pour prendre connaissance des pratiques prometteuses des autres pays du monde.
Il était décevant, à la fin du rapport de Michael Marmot, de voir qu'il n'avait pas envisagé les choses dans l'optique autochtone. Il y avait l'optique de la pauvreté. Il y avait un certain vocabulaire concernant l'exclusion sociale. Cependant, il y a une optique autochtone unique qui est liée à l'histoire et à la situation actuelle des Autochtones du Canada, dans le Nord et ailleurs dans le monde aussi.
Sharon Manson Singer, présidente, Réseau canadien de recherche en politiques publiques : Merci beaucoup de m'avoir invitée à participer à la séance d'aujourd'hui. Je veux parler brièvement de la qualité des données accessibles dans les provinces. Si nous devons en venir à démocratiser les données et à les rendre accessibles aux citoyens, il faut que ce soit à l'échelon provincial. C'est probablement Terre-Neuve qui a le mieux réussi à rendre ces données accessibles aux citoyens par l'intermédiaire des comptes communautaires, et c'est vraiment extraordinaire pour ce qui est de faire des évaluations et des comparaisons entre les collectivités. La Colombie-Britannique a également beaucoup investi pour examiner les indicateurs socioéconomiques régionaux qui ont permis d'évaluer la santé dans les régions, dans environ 55 régions différentes. De même, le Manitoba a fait du très bon travail pour coupler ces ensembles de données. Ce que je veux dire, c'est que c'est très inégal dans l'ensemble du pays. En Ontario, par exemple, on offre très peu de choses aux citoyens pour leur permettre d'évaluer la situation et de la comparer avec ce qui se passe ailleurs.
Lorsque nous en arrivons à demander à nos professionnels, à nos spécialistes, ainsi qu'à nos chercheurs d'analyser les données, il faut que cela revienne aux citoyens, qui doivent pouvoir savoir à quoi s'en tenir et évaluer leur situation par rapport à ce qui se passe. Remettre l'information et le pouvoir entre les mains des citoyens permet aux collectivités de prendre des mesures. Cela va également nous permettre, à nous, les spécialistes, les chercheurs, les politiciens et les décideurs, de commencer à répondre à la question suivante : pourquoi certaines collectivités sont-elles en santé et d'autres pas? Comment les gens utilisent-ils les données pour changer les choses? Voilà qui est un élément essentiel de la façon dont nous devons définir le problème. Il faut que cela revienne à la capacité des citoyens de s'assurer qu'ils comprennent ce qui assure leur santé. Ça ne sert à rien que nous disposions de tant de données sur tous ces endroits si la population canadienne ne croit pas qu'elles décrivent la réalité.
Le président : Le temps que nous avions pour notre premier thème est écoulé, et je veux réfléchir à une question que le Dr Reading a soulevée, c'est-à-dire à l'approche pangouvernementale de la santé des populations qu'ont adoptée l'Australie, la Grande-Bretagne et ainsi de suite. Quelque part entre l'approche pangouvernementale et la mise en œuvre à l'échelle communautaire, nous aimerions aider les gouvernements, les ONG et la population en général à trouver un moyen de sortir de ce marasme et d'amorcer des changements dans le domaine de la santé des populations.
Nous allons passer à notre second thème.
M. Lewis : Nous allons passer directement au sénateur Segal, qui va nous parler de la réorientation des politiques gouvernementales, ce qui nous amène à notre thème principal de la journée.
Le sénateur Segal : Chers collègues, merci de m'avoir invité à participer à une table ronde sur la santé des populations. Je sais que votre travail porte sur tous les déterminants de la santé des populations, et non seulement sur la pauvreté. Je sais cependant, de par mon expérience au sein de différents gouvernements, que les gouvernements ne font pas tout avec la même efficacité, ni n'ont pas la capacité de tout faire. Il faut donc faire des choix. Conseiller ce qui fonctionne et ce dans quoi on devrait investir la majeure partie des ressources est, à mon humble avis, le travail le plus pertinent, sur le plan politique, et le plus susceptible d'avoir des répercussions que le comité sénatorial puisse faire.
J'espère donc vous convaincre ce matin que la pauvreté est le plus fondamental des nombreux déterminants de la santé publique et que c'est en s'attaquant à ce problème qu'on peut obtenir le plus de résultats. En faisant cela, on obtient des résultats remarquables et dont la portée est grande assez rapidement — plus rapidement qu'en s'occupant des autres facteurs avec la même détermination.
Je vais proposer une réorientation générale des politiques sociales, qui va choquer les gens de la gauche comme ceux de la droite. Je vais certainement choquer tous les bureaucrates qui travaillent à ce dossier au sein de la plupart de gouvernements, simplement parce que ma proposition s'attaque à l'inertie fondamentale et au sentiment de confort que nous avons tous acquis, à mon sens de façon injustifiée, de par l'existence du filet de sécurité sociale actuel et que nous sifflotons tranquillement alors que nous traversons un cimetière d'échecs tout à fait manifestes.
J'affirme que si nous pouvions convaincre le gouvernement d'offrir un revenu annuel garanti fondé sur un impôt négatif sur le revenu et dont la structure soit suffisamment généreuse, cela permettrait d'amener tous les Canadiens au- dessus du seuil de la pauvreté. Cela aurait également pour effet de rendre nécessaire une définition régionale et fonctionnelle de ce seuil, d'encourager les gens à déclarer leur revenu et de protéger les renseignements personnels des personnes qui produisent une déclaration, beaucoup plus que dans le cadre du régime d'aide sociale actuel. Cela multiplierait les possibilités pour les enfants, améliorerait la base de données sur la pauvreté réelle, qui serait mise à jour chaque année, et réduirait l'incidence des multiples maladies causées par la pauvreté et qui durent pendant toute la vie des personnes affectées. Cette mesure réduirait les pressions exercées sur les hôpitaux, commencerait à accroître l'espérance de vie en santé et ferait augmenter les pénalités imposées pour fraude, qui, dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu, sont plus graves que les pénalités que se voient imposer les personnes qui profitent du régime de l'aide sociale. C'est quelque chose qui se produit à l'occasion, et nous devons faire un peu attention à cela.
Dans le cadre de l'examen des éléments de conception et des coûts comparatifs, j'aimerais que nous voyions au-delà des coûts généraux de l'aide sociale pour les provinces, mis à part l'éducation, les soins de santé, les pensions des personnes âgées et les prestations de la Sécurité de la vieillesse, que je propose de ne pas modifier. Nous devrions ajouter ces coûts à ce qu'il nous en coûte réellement pour faire fonctionner nos prisons, pour faire fonctionner le système judiciaire, pour fournir de l'aide aux enfants, pour régler les problèmes de violence familiale et de pauvreté chez les Autochtones, de façon à déterminer quelle partie de la facture est attribuable à l'absence complète d'une stratégie antipauvreté bien définie.
Les gens ici présents comprennent probablement mieux que je ne les comprendrai jamais les effets morbides conjugués de la pauvreté, d'une mauvaise alimentation, d'un faible niveau d'instruction, d'un manque d'exercices et de maladies chroniques ou aiguës évitables mais coûteuses. Le Dr Keon ne sera pas content que je n'aie pas mentionné les gras trans. Cependant, je n'ai pas encore ça à cœur, même si je sais que c'est très important à ses yeux.
De tout ce que nous pourrions faire rapidement pour renverser cette tendance, la solution la moins coûteuse, la plus efficace et la plus simple est, à mon humble avis, de réduire la proportion des pauvres au sein de notre population. Je dirais, pour reprendre la blague que j'ai faite au Dr Butler-Jones pendant que nous prenions un café, que nous ne devrions pas nous laisser hypnotiser par la constellation de facteurs. Tout ce que ça fait, c'est que ça répartit nos ressources dans des milliers de poches et d'enveloppes différentes, sans que ce ne soit susceptible d'avoir un quelconque effet pendant la vie des gens qui sont pauvres et qui sont en ce moment susceptibles de tomber malades. Je parle non pas des générations futures, mais de gens qui sont pauvres en ce moment et qui vivent dans des conditions insupportables.
Aucun gouvernement ne possède à lui seul les outils, ni les fonds ni la compétence constitutionnelle nécessaires pour amener les gens à faire plus d'exercice, à mieux s'alimenter ou à poursuivre des études supérieures. Or, le gouvernement fédéral, en vertu de la Loi fédérale de l'impôt sur le revenu et des accords conclus avec neuf provinces en matière de perception des impôts, est en mesure de mettre rapidement en œuvre une stratégie antipauvreté universelle et devrait avoir le courage d'adopter une stratégie du genre.
Les éléments de base sont déjà en place. Les Canadiens dont le revenu est inférieur à un seuil établi ont droit à un crédit d'impôt pour la TPS qui est automatiquement déposé dans leurs comptes. Un crédit d'impôt négatif garanti sur le revenu aurait le même effet. Peu à peu, les gens seraient plus nombreux à déclarer leur revenu, leurs renseignements personnels seraient mieux protégés que les droits des bénéficiaires actuels de l'aide sociale et les économies seraient réelles et mesurables.
Moins d'enfants, chers collègues, diraient avoir oublié à la maison un dîner qui n'a jamais été préparé. Moins de gens pauvres occupant des emplois mal rémunérés seraient incités à recourir à l'aide sociale. Les travailleurs autonomes et les agriculteurs seraient protégés pendant les périodes difficiles et ne seraient pas laissés pour compte comme c'est le cas maintenant.
Bref, politiques sociales et politiques de la santé se confondent. Selon Statistique Canada, et je cite : « En 1996, 23 p. 100 des années de vie perdues, toutes causes confondues, à l'âge de 75 ans au Canada étaient attribuables aux écarts de revenu. » La pauvreté est mauvaise pour la santé. Selon une étude réalisée par Dennis Raphael, professeur à la School of Health Policy and Management de l'Université York, les enfants qui vivent dans la pauvreté présentent un taux plus élevé de maladie, de mortalité, de séjours à l'hôpital et de blessures, en plus de problèmes de santé mentale et un niveau d'instruction plus bas.
Au Canada, il n'y a pas de définition officielle de la pauvreté. Par conséquent, selon le Fraser Institute, qui mesure de façon beaucoup trop restreinte la pauvreté en fonction des seuls « besoins essentiels », plus de 1,6 millions de Canadiens — dont des centaines de milliers d'enfants — vivent dans un grave dénuement. Selon la mesure de la campagne Abolissons la pauvreté, près de cinq millions de Canadiens vivent dans la pauvreté. Quelle que soit la mesure utilisée, la pauvreté augmente chez les jeunes, les travailleurs, les jeunes familles, les immigrants et les membres des minorités visibles. Chez les Autochtones, elle demeure consternante autant dans les réserves qu'à l'extérieur de celles-ci.
Tous ces Canadiens pauvres deviendront plus rapidement malades et le resteront plus longtemps que les autres. Ils connaîtront de près les milieux policier, judiciaire et carcéral plus que les autres. Ils deviendront vraisemblablement des utilisateurs des centres de désintoxication et de services pour toxicomanes beaucoup plus que les autres. Ils risquent de contracter le VIH/sida beaucoup plus que les autres. Ils seront victimes de violence et commettront davantage de gestes de violence que les autres. Leur vie sera plus courte et plus difficile, et leurs enfants auront moins de possibilités d'épanouissement, héritant de leurs parents un piètre niveau d'alphabétisme et d'instruction.
Des bureaucrates avisés mais prudents utiliseront peut-être le dogme de la complexité pour préserver le principe sacré de l'inertie, ce qui se décrit aussi, soit dit en passant, comme de minuscules mesures prises dans le cadre d'une myriade d'initiatives constructives sans intensité ou sans orientation particulières, mais nous ne devrions pas nous laisser leurrer par ça.
Il serait très utile et vraiment important que le comité lance un appel en faveur de l'intégration d'un impôt négatif sur le revenu dans une stratégie globale pour une population en santé. Au bout du compte, la pauvreté, qui est si souvent la cause de la maladie, de la violence familiale, du faible degré d'alphabétisation et de scolarité — toutes choses qui sont également associées à une vie plus courte, à une fréquence plus élevée des maladies et des handicaps — revient tout simplement au fait de ne pas avoir suffisamment d'argent.
Lorsque vous remontez jusqu'à la cause principale, vous êtes renvoyé aux avantages pour les générations futures. Nos concitoyens canadiens qui souffrent en ce moment sont tout simplement laissés pour compte, et notre société est bonne pour favoriser cela.
Notre approche globale actuelle, fondée sur l'aide sociale, de multiples programmes et une intervention à de multiples niveaux présume, parce qu'elle est fondée sur une idée dépassée, qu'il y a une faiblesse morale dans la pauvreté que le système ne peut tolérer sans mettre les gens à l'épreuve. Ce n'est pas autre chose que du baratin victorien. La pauvreté n'est pas, contrairement à ce que quelques universitaires soutiennent, une situation de laquelle on peut se tirer grâce à une vaste gamme d'instruments d'éducation, de soins de santé et de services communautaires qui ont tous une même valeur ou le même effet, ou encore une valeur ou un effet qu'on ne peut mesurer pendant des générations.
Les gens qui sont pauvres en ce moment vont mourir pauvres, ou encore en prison, des suites de la violence conjugale ou plus tôt qu'ils ne le devraient en raison d'une maladie, tandis qu'on élabore des programmes de plus en plus complexes.
La meilleure façon de régler le problème de la pauvreté et de son effet sur la santé, c'est d'amener les gens au-dessus du seuil de la pauvreté. Il est possible de le faire d'une façon simple et directe, pour que les gens jouissent du même accès que le reste de leurs concitoyens sur le plan économique, ainsi que des avantages personnels et relatifs à la santé qui, nous le savons, vont découler du fait qu'ils vivent au-dessus du seuil de la pauvreté.
J'ai pensé faire cette petite intervention non proactive et appeler à un débat quelconque et aux attaques personnelles que celle-ci aurait autrement pu susciter.
M. Lewis : Merci beaucoup. J'imagine que si je disais « Levez la main si vous voulez répondre », nous ferions les examens en groupe, mais soyez à l'aise.
Mesdames et messieurs, je veux simplement vous rappeler que nous voulons terminer la journée par des éléments concrets et des suggestions. Le sénateur Segal a formulé plusieurs suggestions, il a posé un diagnostic. Vous êtes sûrement très heureux d'entendre encore d'autres diagnostics. Vous pouvez contester ce que n'importe lequel des intervenants dit, mais vous devriez conclure votre intervention par « Par conséquent, je propose que nous fassions ceci. » Ce serait très utile puisque cela nous permettrait de commencer à dresser l'inventaire.
Mme Bégin : Je ne veux pas dresser deux éminents et remarquables sénateurs l'un contre l'autre. J'admire leur travail à tous les deux, et je n'ai aucune idée des politiques de leurs comités respectifs. Dans les notes que j'ai distribuées cet après-midi, je n'aborde pas la question du revenu annuel garanti qui fait l'objet des travaux du comité du sénateur Segal. Lorsque j'ai découvert que ce comité travaillait là-dessus il y a quelques mois, ça m'a beaucoup intéressée.
Je dois dire humblement que j'ai un parti pris. Lorsque je suis devenue ministre de la Santé et du Bien-être social en 1977, je pensais que j'allais être la ministre qui instaurerait le revenu annuel garanti au Canada. Il y a bon nombre de techniques différentes, je ne suis pas spécialiste de la question. Trois mois plus tard, j'ai découvert que, à cause de la récession, j'aurais besoin de chance pour sauvegarder les meilleurs éléments du passé, qui n'étaient pas très glorieux.
La politique, c'est l'art du possible. Je sais que, du point de vue intellectuel, l'idéal, c'est une approche fédérale- provinciale-territoriale réelle et possible pour ce qui est de la constellation des déterminants sociaux de la santé. Cependant, en ce moment, je ne suis pas en mesure de déterminer quel thème ou quelle recommandation fonctionnerait mieux dans le contexte politique canadien. Je n'arrive pas à imaginer facilement l'avenir de l'approche globale de la vie, mais celle-ci a peut-être un avenir très près.
Si le gouvernement fédéral adoptait, avec l'aide des provinces, l'idée d'un revenu annuel garanti, je pense que ce serait quelque chose qui aiderait beaucoup du côté des déterminants sociaux de la santé. Il en est ainsi parce que la politique, c'est l'art du possible. C'est l'un des éléments importants des déterminants sociaux.
Lorsque j'ai instauré le Crédit d'impôt pour enfants en 1978, j'ai découvert qu'il y a certaines réformes sociales qui peuvent satisfaire et plaire à la fois à la droite et à la gauche au Cabinet et ça a joué en faveur du Crédit d'impôt pour enfants. Il n'y avait pas de demande; nous avons créé ce crédit d'impôt à la Direction générale de la recherche et de la planification du ministère dont je m'occupais à l'époque.
De la même manière, je suis tout à fait convaincue, non pas par des données, mais bien par les connaissances, l'intuition et l'expérience, que le revenu annuel garanti va avoir cet effet. C'est une mesure qui offre une certaine liberté. Vous avez élégamment souligné certains des éléments de droite qui sont de bons éléments de cette mesure. Elle offre une certaine liberté, une certaine efficience et la possibilité de choisir pour le citoyen et un respect à son égard, et cetera.
Cette mesure a une autre dimension extraordinaire. J'ai dîné au restaurant du Parlement avec Noel Starblanket, qui, je crois, était alors chef de la Fraternité des Indiens du Canada. Il a été pragmatique plutôt que dogmatique. Il a décidé que, comme il fallait utiliser le formulaire de déclaration de revenu pour la prestation du Crédit d'impôt pour enfants, qui a été le premier assaut lancé contre un régime fiscal encore vierge, dont j'avais été responsable auparavant à titre de ministre, il était d'accord. Aujourd'hui, les mères autochtones remplissent un formulaire de déclaration de revenu très simple et qui ne fait qu'une page. Nous savons tous qu'il y a eu une opposition, dans le passé, au régime fiscal en vertu des privilèges accordés aux Autochtones du contrat social. Par ce moyen, elles profitent facilement de la mesure. À mon sens, cela règle la question de la situation des Autochtones qui vivent en milieu urbain ainsi que de ceux qui vivent sur les réserves, et ainsi de suite. Au cas où vous pensez que je suis contre cette mesure, je vous assure que c'est le contraire.
Mon rêve, c'est que les deux sous-comités trouvent le moyen de former une coalition. Je ne suis pas en position d'évaluer l'aspect politique de la chose, pour des raisons évidentes. Je porte des chaussures rouges aujourd'hui.
Le sénateur Segal : Je veux communiquer rapidement un renseignement à Mme Bégin pour son édification.
Le ministre des Ressources humaines et du Développement social, Monte Solberg, a déclaré que son ministère est prêt à publier un document de travail sur la question — un document de travail seulement, pas un livre blanc —, mais un document de travail dans lequel on pèse le pour et le contre. Je dirais donc que ça offre une certaine part de promesses, vu qu'il n'y a rien d'autre à ce moment-ci.
Mme Bégin : J'ai complètement oublié une chose importante. Depuis mon passage au gouvernement — ça fait longtemps, je m'en rends compte —, les choses n'ont pas changé sur le plan structurel. Un gros problème qui fait l'objet des discussions avec les provinces au sujet du revenu annuel garanti, c'est que cette mesure fait grosso modo doubler la taille du groupe visé, puisque les causes de la pauvreté, comme le chômage, les handicaps ou telle ou telle autre chose, ne sont plus en question. Les causes ne comptent plus, ce qui est une bonne chose, mais cela a pour effet de multiplier le nombre de personnes visées, puisque ce sont toutes les personnes que nous appelons les travailleurs pauvres, et c'est une très bonne chose.
Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives : C'est un grand honneur pour moi d'être ici. Vous formez un groupe de gens remarquables, et j'ai un peu peur de vous dire ce que je pense de tout cela, mais je pense que je dois le faire.
Sénateur Segal, votre exposé était passionné, succinct et tout à fait convaincant, et la pauvreté, c'est une question d'insuffisance du revenu. En fait, l'absence de revenu, c'est le fait que la pauvreté, c'est le manque de tout : le manque d'éducation, le manque de nourriture, le manque de logements décents, le manque d'endroits où jouer, etcetera. Nous savons que la pauvreté, c'est l'insuffisance de toutes sortes de choses. Il est très important de savoir que, au pays, il y a quatre gouvernements qui travaillent à l'élaboration de stratégies globales de réduction de la pauvreté dont l'accroissement du revenu n'est qu'un élément.
Trois partis fédéraux sont en train de définir des stratégies de réduction de la pauvreté. Il y a un comité parlementaire de la Chambre des communes qui a commencé à tenir des réunions tout juste la semaine dernière pour parler de ce que nous pouvons faire pour réduire la pauvreté. Le revenu n'est qu'un des éléments d'une poignée de facteurs. Il y a aussi le logement, l'accès aux soins de santé, l'accès à l'éducation et le fait de s'assurer que les enfants ne sont pas laissés pour compte dans l'ensemble du pays. Il s'agit d'un élément important, et l'accroissement du revenu peut contribuer à régler le problème, mais vous ne serez jamais en mesure d'accroître suffisamment le revenu pour suivre le rythme de la croissance des marchés immobiliers.
L'argent qu'on donne aux gens d'un côté ressort de leur poche de l'autre à cause de l'accroissement des coûts qu'ils doivent assumer, et je ne parle pas que des gens qui vivent dans une pauvreté extrême. Il est urgent que nous fassions quelque chose par rapport à la pauvreté extrême. De plus en plus de gens sont coincés par la stagnation du revenu et l'augmentation en flèche du coût des nécessités.
Comme vous l'avez souligné dans votre exposé, c'est quelque chose que nous devons envisager pour la prochaine génération, pour les nouveaux arrivants qui se trouvent parmi nous. Nous sommes confrontés à des problèmes graves qui vont avoir pour effet d'accroître les disparités en matière de santé, dont le moindre n'est pas les pressions de plus en plus fortes en faveur d'un système de soins de santé à deux vitesses, qui rendra les soins de santé primaires hors de portée de beaucoup de gens.
De mon point de vue d'économiste, je veux parler de ce que vous avez dit au sujet du fait que les gouvernements ne peuvent tout faire, et qu'ils ne peuvent certainement pas tout faire bien, ainsi que du problème de la rareté des ressources. Comme devons-nous répartir l'argent que nous avons?
On a mentionné que le revenu annuel garanti est une idée qui est réapparue dans le firmament de nos politiques publiques, comme Mme Bégin l'a souligné, à de nombreuses reprises au cours des dernières décennies. On n'en a pas parlé depuis 15 ans à peu près, mais Doug House, du gouvernement de Terre-Neuve, a été le dernier à en parler en 1993, et le revenu annuel garanti aurait été à l'époque d'environ 3 000 $ par adulte et de 1 500 $ par enfant.
Avant cela, il y avait eu la commission MacDonald en 1986, et les chiffres étaient à peu près du même ordre, c'est-à- dire qu'ils constituaient une garantie de pauvreté. Si l'on décide de consacrer tout l'argent à cela, il devient difficile — et les travaux de la commission MacDonald l'ont montré — de faire cela. Il faudrait utiliser l'argent consacré à toutes les autres mesures de soutien du revenu, ce qui est très problématique, comme vous pouvez l'imaginer, du point de vue d'une révolution des politiques publiques. On ne serait alors plus en mesure de s'occuper de problèmes fondamentaux comme ceux du logement, des soins de santé, de l'éducation, de l'accueil des immigrants sur lesquels nous allons devoir entièrement compter pour la prochaine génération.
Selon le Caledon Institute of Social Policy, un moyen de réduire la pauvreté des familles avec enfants serait de majorer le Crédit d'impôt pour enfants. Ce crédit a été instauré dans les années 70 et augmenté substantiellement en 1993. Le coût de cette seule mesure serait de quatre milliards de dollars par année, ce qui est une facture assez salée, ceci pour les familles avec de jeunes enfants seulement. Par conséquent, je ne sais pas ce que nous ferions pour le reste de la société, vu que, par exemple, le taux de pauvreté le plus élevé est celui des hommes qui vivent seuls et qui ont entre 45 et 64 ans. Qu'est-ce que l'élimination de la pauvreté suppose, et quel sera le prix à payer si nous ne tentons de l'éliminer qu'en passant par le revenu?
Le thème de la séance, c'est la réorientation des politiques gouvernementales, et, en effet, il semble qu'un vent souffle sur le pays et que c'est ce qui est à l'origine du processus. Il y a ici deux sénateurs membres de deux autres comités sénatoriaux, l'un sur la pauvreté en milieu rural, l'autre sur la pauvreté en milieu urbain. Nous allons en quelque sorte dans la même direction. Le gouvernement fédéral a prévu dans son budget que c'est pendant l'année courante qu'il va adopter un plan d'action axé sur les femmes. Un peu partout dans le monde, cela veut dire prendre des mesures pour rendre les femmes moins vulnérables, et, dans bien des cas, régler le problème de la féminisation de la pauvreté.
Il y a bel et bien un mouvement qui s'amorce, et l'une des choses qui devra entrer en jeu, c'est la façon dont nous allons dépenser nos ressources limitées. Pour faire un croquis de la situation, au cours des 10 dernières années, depuis 1997 et en faisant une projection jusqu'à 2013, le gouvernement fédéral aura dépensé 340 milliards de dollars à la réduction des impôts. L'OCDE a indiqué il y a environ six semaines que ce programme de réduction des impôts a eu pour effet de redistribuer les revenus au profit surtout des gens qui étaient déjà les plus riches.
Oui, le gouvernement s'est donné des priorités, et oui, des ressources ont été limitées, et elles ont été investies en fonction d'une orientation particulièrement forte au cours des dernières années. Je ne pense pas que nous pouvons nous permettre de simplement dire que la seule solution au problème de la pauvreté, c'est le revenu. Nous savons que ce n'est pas vrai et nous savons également que ce serait comme privilégier cette question au détriment du reste si nous mettions tous nos œufs dans le même panier.
Avec tout le respect que je vous dois, je vous demanderais de profiter du grand mouvement qui s'amorce dans le milieu politique du pays pour régler complètement le problème de la pauvreté, ce qui permettrait de régler aussi le problème des déterminants de la santé.
M. Lewis : Des quatre initiatives provinciales, selon vous, y en a-t-il une qui peut servir de modèle ou de guide et qui est à prendre plus au sérieux que les autres?
Mme Yalnizyan : L'initiative québécoise est déjà en cours. Celle de Terre-Neuve en est à l'étape de l'élaboration. Celle de l'Ontario est une initiative interministérielle, qui tient compte du fait que les véritables causes de la pauvreté sont liées au marché du travail, au revenu, au logement et à l'éducation. Il n'y a pas de solution miracle dans aucune de ces provinces. Il s'agit d'examiner globalement un problème de nature complexe, ce que nous n'avons pas fait depuis les années 60.
Debra Lynkowski, directrice générale, Association canadienne de santé publique : J'aurais du mal à contester le fait que la pauvreté est un élément important, mais je veux parler de certains des problèmes et de certaines des options qui figurent dans le document.
J'ai participé au fil des ans à de nombreuses tables rondes dans le cadre desquelles nous avons parlé de la collaboration intersectorielle. L'une des impressions qui me restent toujours de ce genre de chose, c'est que nous en parlons, mais entre nous. Habituellement, il y a plusieurs personnes du milieu de la santé autour de la table. Nous sommes en train de parler d'une modification très complexe des systèmes. Nous devons essayer de mettre au point une nouvelle espèce de modèle de leadership.
Au cours de mon bref passage, au gouvernement, j'ai constaté qu'il n'y avait pas de mécanisme officiel du genre pour l'élaboration de politiques intégrées qui nous auraient vraiment permis d'envisager certains processus décisionnels. Les représentants de nombreux ministères faisaient preuve de bonne volonté en se réunissant, mais le fait que nous avons encore tendance à utiliser ce vocabulaire est un obstacle à mes yeux.
Nous nous demandons comment faire pour influencer les transports, comment faire pour amener les gens à participer, comment faire pour assurer la conformité, plutôt que de nous demander comment faire pour que les gens dirigent les initiatives en collaboration avec nous. Ça nous renvoie à de réels changements salutaires au chapitre des principes de gestion, pour formuler explicitement ce qui est intéressant pour ces gens là-dedans, non seulement du point de vue de la santé, mais également ce qui est intéressant pour eux là-dedans au sein de leurs propres ministères et dans leurs propres milieux.
Je remarque que nous parlons du besoin éventuel d'établir un cadre fédéral ou une stratégie fédérale. J'ai participé à l'élaboration de ce genre de choses à quelques reprises. Pour que ça fonctionne, il faut que ce soit considéré comme étant une stratégie de stratégies. Sénateur Keon, ça revient à ce que vous disiez, c'est-à-dire que le succès se trouve quelque part au milieu. Il n'y a pas que le gouvernement fédéral qui doit faire preuve de leadership — et je suis d'avis que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer —, mais que le leadership doit venir du bas aussi. C'est ainsi que les choses vont fonctionner, et pas autrement. C'est quelque chose qu'on ne peut pas exiger en partie. C'est en partie très organique. Soit les gens lancent des initiatives à l'échelle locale et communautaire, soit personne ne le fait.
J'ai une espèce de plaidoyer à faire. Dans le passé, on a vu les initiatives en santé des populations comme les initiatives liées au système de santé publique. Je pense que la santé publique englobe la santé des populations, pourtant, la santé publique et le système de santé publique ont toujours été sous-financés. Nous savons qu'il y a des problèmes de ressources humaines en santé. Nous avons la chance maintenant d'avoir l'Agence de la santé publique du Canada et l'ACSP, mais si nous voulons vraiment réorienter les politiques gouvernementales, nous devons aussi nous assurer que l'infrastructure nécessaire à l'application de ces politiques existe. Cela suppose des investissements constants, non pas sur des périodes de trois ou quatre ans, mais sur des périodes beaucoup plus longues, pour nous assurer d'obtenir les résultats voulus.
Mme Potvin : J'ai deux ou trois idées. D'abord, voici une idée que nous devrions appliquer selon moi. On a effectué des études et des expériences sur l'impôt négatif sur le revenu. Nous possédons de vastes connaissances à ce sujet, et cette mesure donne des résultats positifs à certains égards. Une chose importante, c'est que ce programme pourrait être la figure de proue, mais il faudrait que ce ne soit pas la seule mesure prise.
L'une des choses que vous n'avez pas mentionnées et que les études que nous avons effectuées à Montréal ont montrées, à partir de la cohorte des naissances du Québec, c'est que la pauvreté n'est pas quelque chose qui affecte temporairement les gens. Les gens sont pauvres pendant certaines périodes. Ce que nos données montrent, ce sont les différentes trajectoires vers la pauvreté pendant la petite enfance. Ce sont ces épisodes de pauvreté pendant la petite enfance qui nuisent au développement des enfants. À mon sens, le résultat le plus positif de ce genre de mesure, c'est qu'elle permet d'éliminer ce retour périodique de la pauvreté. C'est l'un des effets positifs.
Ce qui est moins positif, cependant, et du point de la santé des populations — et sir Michael a été cité ici — c'est qu'il s'agit également d'un gradient. Ce genre de mesure ne fait rien de bon en ce qui concerne le gradient et n'a qu'un effet positif limité en répondant aux besoins des gens qui se situent au niveau inférieur.
Bien sûr, la mesure a un certain effet, techniquement, sur la pente du gradient, mais l'une des raisons pour lesquelles le Canada se classe si mal pas rapport aux autres pays, c'est que notre gradient a une forte pente. Elle est beaucoup plus forte que celle du gradient des pays scandinaves, par exemple. Ainsi, ce genre de mesure ne fait pas grand-chose; elle n'a qu'un effet très limité sur le gradient. Il faut en être conscient.
C'est ce que j'appellerais une approche vulnérable. On s'attaque à l'une des dimensions de la vulnérabilité, et la pauvreté en est une. Le fait d'être une femme rend également vulnérable, et le fait d'être autochtone au Canada aussi, mais je ne pense pas que la pauvreté soit à l'origine de toutes les vulnérabilités. C'est certainement un aspect important, mais nous n'allons pas régler le problème de la santé des populations en faisant cela. C'est certainement un élément important de la solution, surtout dans la mesure où cela permettrait de régler les problèmes de santé chez les jeunes enfants pendant leur développement.
M. Lewis : Le sénateur Segal propose quelque chose qui ressemble à la suppression du bas des listes d'attente. Vous voulez régler le problème de la partie de la population qui est la plus désavantagée. Si on élimine la pauvreté, logiquement, le problème du retour ponctuel de la pauvreté n'en est plus un. Les gens ne seront plus jamais pauvres.
Lorsqu'on en vient à prescrire des mesures, il y a un gradient, et personne dans le monde n'a trouvé le moyen de faire en sorte que la classe moyenne soit aussi en santé que la classe moyenne supérieure, et, franchement, personne ne s'en soucie parce que la pente du gradient n'est plus élevée rendu là. Elle est faible.
Sous-entendez-vous que cette approche vous préoccupe, ou qu'elle n'explique que 20 ou 30 p. 100 du problème?
Mme Potvin : Je dirais que c'est une approche intéressante. C'est la première pierre à poser, mais ça ne va pas permettre d'accomplir tout ce que nous voulons accomplir, c'est-à-dire de faire du Canada le pays le plus en santé du monde ou l'un des pays les plus en santé du monde. Je suis convaincue que cette mesure va aider des gens, mais que se passe-t-il? Nous disposons de données intéressantes sur ce qui se passe par rapport au seuil de la pauvreté.
Nous ne savons pas beaucoup de choses au sujet des gens qui vivent des épisodes de pauvreté. Nous ne savons pas grand-chose des facteurs qui ont un effet sur leur vie. Si vous vous résignez au fait que vous ne déjeunerez pas presque tous les matins de votre vie, l'effet est différent de celui qui se fait sentir si, tout à coup, vous ne pouvez pas déjeuner pendant trois mois parce que vous êtes trop pauvre, pour ensuite pouvoir déjeuner pendant trois mois parce que vous pouvez vous le permettre.
Nous ne savons pas grand-chose sur ce qui se passe dans ces cas-là. Nous n'avons pas effectué beaucoup d'études, parce que ces études exigent beaucoup de données. Au Canada, il n'y a pas de cohorte témoin dont nous puissions suivre l'évolution. Ce que je propose, c'est que nous adoptions la mesure, mais sans s'attendre à ce qu'elle permette de tout faire.
M. Lewis : Y aurait-il quelque chose d'autre qui serait mieux? Je ne veux pas vous souffler la réponse, mais je pense que le sénateur Segal dit que nous ne pouvons pas régler le problème du gradient au complet, mais que le plus gros problème, c'est la pauvreté. Ainsi, ce que nous pouvons faire de mieux, c'est de régler ce problème. Est-ce que vous dites que ce n'est pas la meilleure chose à faire?
M. Tholl : Je ne suis pas spécialiste de la question de la pauvreté, mais ce que j'observe, c'est que si vous voulez comparer les soins de santé et la santé, pour reprendre ce que M. Lewis disait, lorsqu'il s'agit de gérer les temps d'attente, il y a une idée de l'urgence relative sur le plan médical qui doit déterminer qui accède à quoi en premier. J'observe qu'on ne semble pas parler ici d'une pauvreté relative par rapport à une pauvreté absolue et de ce qui se produit si on accroît le revenu de tous.
Ce que je veux dire a trait à ce que j'ai vu dans le discours passionné et convaincant du sénateur Segal. J'y ai vu la nécessité de se concentrer sur quelques éléments et d'essayer d'accomplir quelque chose dans quelques domaines importants. Je reviens sur ce que vous avez dit avant la pause au sujet des enfants, et j'affirme au comité que nous ne devons pas laisser le rapport de la Dre K. Kellie Leitch sur les enjeux touchant le développement du jeune enfant, les enfants et les jeunes ramasser la poussière. Nous devons écouter ses recommandations pour la création du poste d'administrateur en chef au ministère de la Santé ou à l'organisation s'occupant à la fois de la santé et de ce qui était autrefois le bien-être social.
Ce pourrait être une autre chose intéressante à considérer. Pourquoi avons-nous séparé la santé et le bien-être social si notre but est de faire progresser les choses du côté des déterminants de la santé? Petite précision historique : nous avons séparé la santé et le bien-être social le même jour que nous avons réuni les transferts relatifs à ces deux domaines sous le titre du Transfert social canadien. Je suis sûr que c'était une coïncidence. Je recommande aux membres du comité sénatorial de lire le rapport de Kellie Leitch au complet, mais surtout les parties qui ont trait à cette fonction relative aux enfants et aux jeunes.
Si le comité sénatorial réussit à retenir quelques questions distinctes, il faut que la stratégie combine deux éléments : une stratégie de pression, qui comprend tout ce qui entre normalement dans la défense d'une cause. Cela me rappelle, madame Bégin, l'époque où j'étais à Santé et Bien-être social Canada, à la fin des années 70, et au début des années 80. À ce moment-là, vous et d'autres avez suscité le mouvement politique démontrant la nécessité de faire progresser notre système de santé au moyen d'une conférence SOS Medicare, tenue à l'automne 1979. Où est le besoin urgent, qui va mobiliser les gens et les pousser à s'atteler aux quelques tâches qu'il est possible de réaliser au cours de la vie des gens qui se trouvent autour de la table?
Il y a aussi la stratégie d'aspiration, qui consiste à donner les moyens d'agir. Que faire pour aider les parents? Je suis frappé par les propos de Mme Browne au sujet des effets sur la santé des jeunes enfants d'un comportement dépendant précoce. Quelles mesures concrètes adopter pour aider les familles touchées? Comme quelqu'un me l'a dit récemment, avoir un sans l'autre, c'est comme jouer au basket-ball en ne pouvant dribbler que d'une main. Il faut pouvoir dribbler des deux mains. Dans le contexte canadien, il faut pouvoir manier la rondelle et déployer un jeu offensif aussi bien qu'un jeu défensif. Là où je veux en venir, c'est qu'il faut la stratégie de pression et la stratégie d'aspiration, toutes deux.
M. Cappe : Il est vrai qu'être pauvre, c'est ne pas avoir un revenu suffisant, mais la solution au problème de la pauvreté ne se résume pas à la seule question du revenu. Je crois qu'il nous faut adopter une perspective plus vaste, comme Mmes Yalnizyan et Potvin l'ont affirmé.
Cela dit, je crois que ce sont là de nobles efforts qu'il faut poursuivre. En particulier, je tiens à souligner deux des arguments qui me paraissent être les plus convaincants et qui susciteront l'appui politique à la cause non seulement chez les membres du grand public, mais aussi au gouvernement fédéral et dans les provinces. Je parle du coût de l'inaction. Nous ne passons pas suffisamment de temps — et le sénateur Segal y a fait allusion — à déterminer ce qu'il en coûte de ne pas appliquer cette solution. Nous savons ce qu'il en coûte de l'appliquer, tout au moins c'est une tâche qui est relativement facile. Cependant, il est très difficile d'établir les coûts de l'inaction.
Le deuxième argument qui importe est l'argument intergénérationnel, soit qu'il nous faut enrayer le problème pour les enfants des familles pauvres, de sorte qu'ils ne soient pas destinés à avoir une mauvaise santé, une mauvaise situation économique, et à être pauvres encore.
Il est intéressant de noter que Mme Manson Singer, Mme Yeates et moi-même, nous avons passé d'innombrables heures à des réunions-fédérales-provinciales et fait d'innombrables appels téléphoniques au moment où nous travaillions à la prestation nationale pour enfants. C'était très douloureux. La solution était d'une parfaite évidence, mais les mécanismes d'exécution étaient très compliqués.
Je me souviens d'avoir eu à traiter avec le sous-ministre des Finances de l'époque, qui était présent aussi, pour essayer de régler certains problèmes techniques extraordinairement ardus liés à la mise en œuvre. Il y a deux ex-sous- ministres des Finances qui sont présents ici. N'allez pas sous-estimer les mécanismes de mise en œuvre, leur complexité. Les effets incitatifs, les taux de récupération fiscale et tout ce qui entre par ailleurs dans la structure, de la chose, voilà qui est extraordinairement ardu.
J'en viens à une question très importante, qui est absolument essentielle et méritoire, soit qu'il faut adopter un point de vue à long terme. Je vais donc tomber dans le piège tendu par le sénateur Segal et je démontrerai l'expérience que j'ai du phénomène — comment a-t-il dit cela? — Les hymnes récités en faveur d'autres études encore et la religion de l'inertie du côté des bureaucrates, ou quelque chose du genre? Ce qu'il faut à mon avis, c'est d'analyser beaucoup plus à fond la technique et la façon de procéder.
Je veux donner suite à ce que M. Butler-Jones a dit tout à l'heure. La situation se prête parfaitement à l'expérimentation. Il y a une véritable occasion de voir comment les gens réagissent et de déterminer si on peut — encore une fois, c'est à long terme — sortir la prochaine génération du piège de la pauvreté.
Voici l'exemple d'un cas où je ne dispose pas d'élément de preuve pour étayer la politique, mais mon intuition me dit que le jeu en vaut la chandelle et, dans la mesure où vous choisissez les bons incitatifs, le projet pourrait être très fructueux.
Dr Reading : Je veux commencer simplement en parlant de la santé dans le monde et de la façon dont l'élimination de l'extrême pauvreté est devenue un des plus importants objectifs du millénaire. Cela concorde avec la pensée qui a été exprimée.
Dans le livre qu'il a écrit sur l'élimination de la pauvreté, Jeffrey Sachs, économiste bien connu qui centre ses efforts sur la santé dans le monde, a parlé d'un développement économique durable, lié à ce dont je parlais plus tôt. Il fait figurer les ressources naturelles parmi les actifs, et je pense en particulier ici aux collectivités des Premières nations et du Nord. Lorsque ces actifs sont retirés, cela a pour effet essentiellement d'éliminer la richesse d'une région.
Souvent, le procédé laisse derrière lui des contaminants environnementaux. Cela a une incidence sur la mise en œuvre future des ressources régionales, mais aussi sur les modes de vie traditionnels. Nous ne pouvons oublier que le Canada s'est bâti grâce à la traite des fourrures. La Compagnie de la baie d'Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest sont les premières à s'être adonnées au commerce dans notre pays, dont elles ont édifié la richesse. Encore aujourd'hui, les gens tirent une partie de leurs nutriments et de leurs aliments des sources traditionnelles dans le Nord. Lorsqu'il y a développement économique et que le développement en question réduit cette possibilité du fait des contaminants dans l'environnement, c'est un problème. Ce n'est pas une notion abstraite. À preuve les travaux d'Éric Dewailly à l'Université Laval, et ailleurs aussi, dans le cadre de la Stratégie pour l'environnement arctique : on a détecté des contaminants environnementaux dans le lait maternel des femmes du Nunavut. Cela fait que les gens s'approvisionnent dans les magasins, dont les aliments vendus ne comportent pas les nutriments qui se trouvent dans les aliments traditionnels.
Pour résumer, ce sont des actifs qui sont réduits. Il importe de reconnaître que, dans un modèle de développement économique durable, les Autochtones doivent avoir un rôle à jouer et travailler avec l'industrie et les intérêts du secteur privé à la gestion des ressources renouvelables. Ils ont intérêt personnellement à ce que les ressources en question demeurent viables à long terme. L'élimination de la pauvreté est un objectif louable et extrêmement important. Cependant, ce n'est pas la panacée. Il faut le lier à des investissements parallèles dans le développement communautaire.
Pour terminer, je veux parler d'un système économique où l'activité est extérieure aux collectivités autochtones. On investit dans la collectivité une somme d'argent, qui en ressort immédiatement pour l'achat de biens et de services. Or, des économistes ont montré que, dans la mesure où on peut faire en sorte que les sommes d'argent changent de mains plusieurs fois au sein même de la collectivité avant d'aboutir ailleurs, il y a des bienfaits qui se manifestent à l'intérieur de la collectivité avec chaque échange. Cependant, pour que cela se réalise, il doit y avoir des investissements faits dans le développement économique. Le modèle fait état de huit à dix échanges du genre, avant que l'argent sorte de la collectivité.
Je dirais que c'est là ce qui fait défaut. La prestation de biens et de services à l'échelle locale, du point de vue de la répartition des ressources. Nous parlons du niveau de revenu, qui est extrêmement important. Cependant, nous savons tous que la répartition des revenus et les avantages qui découlent de cette répartition des revenus sont tout aussi importants en ce qui concerne les déterminants de la santé.
M. Osberg : Le phénomène de la critique à peine voilée m'inquiète. Quand j'entends M. Cappe, je me revois aux études supérieures. Il y a longtemps de cela. Cependant, il y avait même à cette époque-là des expériences d'impôt négatif. Beaucoup de choses ont été apprises à ce sujet au cours des nombreuses années qui se sont écoulées depuis.
Parfois, il s'agit de savoir si nous en savons assez pour faire l'essai? Je dirais que oui. Cette proposition me plaît par son aspect direct, la vision qu'elle comporte et sa faisabilité. Pour certains cas, je crois que c'est lié au phénomène en question et que ça vient de l'idée qu'un impôt négatif n'est pas qu'une question de santé, qu'il ne représente pas l'ensemble de la politique de la santé. Nous pouvons avoir une discussion parfaitement raisonnable sur l'idée de l'impôt négatif et de l'équité économique entre les citoyens du Canada, au-delà de sa seule incidence sur l'état de santé des Canadiens.
Si nous songeons à la question de l'état de santé des Canadiens, je ne crois pas que le sénateur Segal essaie de faire valoir qu'aucun service ne sera plus jamais nécessaire; il y a des gens qui ont besoin de services de formation ou de services de réadaptation. Avoir une plus grande somme d'argent ne réglera pas le problème du besoin des services. Par contre, dans le contexte, il sera beaucoup plus facile pour les gens de se prévaloir des services et de réduire le stress qu'ils vivent.
Vous parliez du fait d'entrer dans le piège de la pauvreté, d'en sortir, et de l'angoisse que les gens ressentent face à l'avenir. Vous disiez des choses à propos de l'angoisse et de l'impact qu'elle a sur la santé mentale et le stress qui vient avec le fait d'être pauvre. L'impôt négatif comporte une dimension extraordinaire dans le sens où il permet d'abord et avant tout de réduire l'insécurité, de réduire l'angoisse à propos de l'avenir et de disposer un véritable filet de sécurité social par rapport au pire scénario que vous puissiez anticiper si vous avez une vision raisonnable de l'avenir.
Il comporte de nombreux avantages, au-delà de la santé et des chemins qui mènent indirectement à une meilleure santé. J'aime bien l'accent qui est mis sur la faisabilité du projet. Il y a la question de l'abordabilité aussi, mais il y a beaucoup d'argent qui circule au Canada. Pour ne parler que de l'automne dernier, il y a eu une série de réductions d'impôt prévues sur cinq ans, dont le coût a été chiffré à quelque 55 milliards ou 60 milliards de dollars sur cinq ans. Rien de cela n'a été consacré à la politique antipauvreté.
L'écart de pauvreté globale au Canada — la somme d'argent qu'il faudrait pour relever le revenu des pauvres du Canada au seuil dit de faible revenu — s'élevait à quelque chose comme 13,6 milliards de dollars en 2005. Or, nous venons de brasser beaucoup d'argent, suffisamment pour régler le problème de la pauvreté.
Il y a un élément clé qu'il faut se rappeler en ce qui concerne la politique antipauvreté : si vous disposez de peu, ça ne prend pas grand-chose pour changer sensiblement votre vie. La part que représentent des sommes d'argent relativement faibles dans le bilan financier des pauvres est énorme. Les mêmes sommes d'argent représentent, dans le premier quintile des revenus, une proportion très faible. Je parle du premier décile ou particulièrement du premier pour cent des revenus au Canada — dont les affaires vont très bien merci —, dont le fardeau fiscal a diminué et les versements à l'assistance sociale ont fait l'objet de réductions. L'écart de pauvreté a grandi par voie de conséquence. Il y a là un besoin. Je ne suis pas du genre à louer un projet pour mieux le critiquer. Je voterai en faveur de ce projet. Il me plaît.
M. Dodge : Je suis heureux de pouvoir parler après M. Osberg, car, à mes yeux, c'est de la pure folie. Permettez-moi de revenir au début. Je veux commencer au point où Mme Lynkowski a commencé.
Historiquement, comme aujourd'hui, la santé publique revêt une importance extraordinaire du point de vue de la santé de la population. Cela fait des années et des années que nous affamons le secteur de la santé publique. Pour revenir aux paroles de M. Tholl, quelles qu'en soient les raisons, nous n'avons pas réussi à créer le « besoin urgent d'agir » du point de vue de la santé publique. De fait, on peut faire valoir que nous régressons du point de vue de la santé publique. Il est facile de l'oublier maintenant, mais nous ne nous occupons pas des choses fondamentales comme l'eau potable, par exemple. Nous ne nous occupons pas de ces questions, et il y a les collectivités autochtones où nous ne nous en occupons pas correctement.
L'environnement soulève une question; c'est le cas tout au moins des pires aspects de la présence des éléments toxiques qui se trouvent dans l'environnement. C'est la raison pour laquelle nous avons vu le jour, si vous remontez à la création du ministère de la Santé et du Bien-être social en 1919. Cependant, songer à 1919, c'est songer à une autre question très importante du point de vue de la santé publique, soit la prévention des maladies infectieuses. Nous avons reçu une leçon au pays. Or, nous oublions très rapidement cette leçon. Le Dr Butler-Jones veut s'assurer que nous n'oublions pas la leçon rapidement, que nous nous mettions en marche. Toutefois, le secteur de la santé publique n'est pas très organisé. Je plains le pauvre directeur de la santé local qui essaie de s'attaquer à la situation. Je vais vous dire : laissez faire l'impôt négatif et les trucs du genre, s'il y a quelque chose de vraiment grave qui se présente, par exemple, la grippe asiatique ou je ne sais quoi encore, nous l'aurons bel et bien, ce brûlant besoin d'agir; nous allons nous faire brûler à la fin.
Monsieur le président, à mon avis, il est extraordinairement important que votre rapport final ait pour point de départ le programme fondamental de santé publique dont il a été question. Une faible somme d'argent permet d'en accomplir beaucoup — une somme relativement faible par rapport à ce qui est dépensé du côté des soins de santé à proprement parler — quand il s'agit d'améliorer la situation. L'information est très importante; c'est ce que nous a appris l'épisode du SRAS. Nous n'arrivions pas à faire circuler l'information correctement.
Si vous envisagez la question de la santé de la population, la première partie de votre rapport doit énoncer correctement les divers aspects de la santé publique. N'oubliez pas que c'était le rôle traditionnel du ministère. N'abandonnons pas ce rôle traditionnel. De fait, c'est un rôle où il est possible d'obtenir que l'administration fédérale et les administrations provinciales et locales coopèrent. Commençons là.
Ensuite, les participants à notre table ronde ont beaucoup discuté de la question de la pauvreté. Il faut être absolument clair sur un point : nous ne voulons pas priver les Canadiens de la liberté d'échouer. Il est très important de disposer de la liberté d'échouer, ce dont le sénateur Segal voudrait nous priver.
Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que vous devriez commencer vraiment par ceci : qu'est-ce qu'on peut faire pour s'assurer que les enfants, de fait, les fœtus, connaissent dans la vie un départ qui est susceptible d'en faire des êtres qui demeureront en santé toute la vie durant? Ça commence par la santé maternelle, et l'argent n'est pas seule solution au problème, même s'il demeure une solution importante.
Le deuxième élément, c'est le réseau scolaire. Une fois les enfants arrivés à l'école, de fait, nous disposons dans les provinces de bonnes façons de nous occuper d'eux. Le grand problème est celui de la petite enfance, problème énorme. Vous avez cerné ce problème vous-même, sénateur, au départ. Sans aucun doute, un crédit d'impôt pour enfants nettement amélioré pourrait se révéler une contribution fédérale très importante à la solution de ce problème. C'est peut-être la pierre la plus intéressante que le gouvernement fédéral peut apporter à l'édifice. Je ne m'excuserai nullement en disant que le sénateur Segal a raison pour ce qui est des familles dont les enfants ont jusqu'à cinq, six ou sept ans. Ça peut être très utile pour améliorer la situation. Cependant, ce n'est pas le seul facteur, comme nous le savons bien. Les recherches nous l'apprennent : si les connexions du cerveau font défaut, il est extraordinairement difficile de redresser la situation plus tard. De fait, les travaux les plus récents laissent voir que la composition génétique peut changer la vie de la personne et que la période de la petite enfance y est peut-être bien pour quelque chose. Cela ne veut pas dire que celui qui a un départ canon va nécessairement réussir plus tard. C'est pourquoi je disais qu'il ne faut pas avoir l'idée de repérer les échecs plus tard; il faut s'assurer que les gens connaissent un bon départ. Globalement, c'est ce qui serait le mieux pour la santé.
Sénateur, vous avez évoqué la nécessité d'adopter une approche pangouvernementale. Les éléments qui entrent en jeu sont nombreux, mais si nous songeons à ce qui importe à l'échelle fédérale et, de fait, à ce qui convient à une approche globale, d'abord, il faut s'assurer que le système de santé publique est fonctionnel et robuste. Ensuite, il faut se pencher sur la situation des enfants dès le moment où ils sont dans le ventre de la mère et pendant les toutes premières années. La recherche le fait voir clairement : quel que soit le revenu touché plus tard, si votre départ a été mauvais, vous connaissez de graves problèmes dans la vie. Si vous cherchez le point névralgique d'une approche pangouvernementale fédérale, ce serait la toute première enfance et la santé publique.
M. Lewis : Je tiens à apporter une précision. Si j'ai bien entendu, vous êtes en train de dire que le fait d'éliminer la pauvreté en relevant tout le monde au seuil de faible revenu ou en recourant à un impôt négatif aura pour effet de miner la volonté de réussir chez les gens?
M. Dodge : Non, mais permettez-moi d'être aussi provocateur que le sénateur Segal. Un des problèmes que nous connaissons au Canada, c'est que nous détestons l'échec. Il faut que les gens persistent, et il y aura des échecs. Il y aura des collectivités qui échouent. Nous avons des collectivités autochtones qui connaissent une réussite extraordinaire et d'autres qui, même si elles ont un revenu plus élevé, connaissent un échec extraordinaire.
À mon avis, nous ne devrions pas tant craindre l'échec sous cet aspect-là. Tout de même, si les gens n'ont pas l'occasion de connaître un bon départ, puis qu'ils connaissent l'échec, je dirais que c'est un problème collectif. Si les gens connaissent un bon départ, certains échoueront plus tard — et certaines collectivités échoueront plus tard —, mais ce n'est pas tant un problème collectif; c'est un problème qui relève de la collectivité ou de la personne dont il est question. Cependant, il faut que le départ soit bon.
Les sciences sociales nous l'ont appris, mais les sciences biologiques et la médecine nous l'apprennent de plus en plus aussi : il est vraiment important de connaître un bon départ. S'il vous faut vous concentrer sur une tâche — et il faut le faire —, il faut créer un programme de base à cet égard. Je ne suis pas politicien, mais je ferais valoir que le fait de concentrer les efforts sur cette tâche-là présente un grand avantage, soit que les membres de la classe moyenne ou de la classe moyenne supérieure n'y voient pas une mesure qui leur retire quelque chose à eux pour le donner à quelqu'un d'autre. C'est clairement une mesure qui est considérée comme étant centrée sur la tâche, une tâche sur laquelle ils se centreraient eux-mêmes pour leurs propres enfants.
D'un point de vue politique, dans l'idée de faire appel à la société entière et de fonder son action sur une connaissance scientifique et sur les sciences sociales, c'est l'accent mis sur la première enfance qui rapportera le plus de dividendes, du moins le temps d'une génération. On ne saurait régler tous ces problèmes du jour au lendemain. Au bout du compte, plus que toute autre chose, ça sera utile du point de vue du problème d'alphabétisation soulevé par le sénateur Fairbairn.
M. Lewis : Les chercheurs en santé de la population vous le diront — et ils peuvent vous le dire directement —, le centre d'intérêt que vous avez déterminé est tout à fait celui que nous avons déterminé de notre côté. Nous avons instauré les programmes globaux de développement de la petite enfance au cours des années 90. Nous nous attachons davantage à la santé publique maintenant. Il y a l'Agence de la santé publique du Canada, qui vous dirait qu'il n'est pas possible d'aider les enfants si vous ne venez pas en aide aux familles. C'est le contexte où évoluent les parents qui influe sur les enfants. Affirmez-vous que le projet plaît aux gens parce qu'il ne suppose pas le genre de redistribution que vous avez à l'esprit et qu'il peut être « vendu » à la population?
M. Dodge : Non, la redistribution favorise une chose que tout membre de la classe moyenne jugerait importante.
M. Lewis : Qu'en est-il s'ils ont tort? Qu'en est-il si l'idée que se fait la classe moyenne d'une redistribution acceptable n'est pas efficace?
M. Dodge : La recherche scientifique nous dit que c'est dans cette voie qu'il faut s'engager. Il faut suivre les connaissances scientifiques; c'est très clair.
Mme Manson Singer : Permettez-moi de traiter brièvement de certains des éléments que nous avons tirés de notre expérience de la prestation nationale pour enfants, à laquelle M. Cappe a déjà fait allusion. La Colombie-Britannique a adopté une prestation nationale pour enfants quelques années avant celle que nous connaissons, et nous avons pu examiner ce qui s'est passé en ce qui concerne la population et toute différence à relever.
La première chose qui est arrivée — de fait, c'était nettement plus prononcé que ce à quoi nous nous attendions —, c'est que les gens ont quitté les rangs de l'aide sociale à la vitesse grand V. Il y a eu une diminution de plus de 40 000 enfants dont la famille vivait de l'assistance au revenu au cours de la première année où la prestation a été mise en œuvre.
L'autre facteur que nous avons sous-estimé, c'est les retombées économiques directes pour les collectivités. Mon collègue des finances m'est revenu en disant : « Nos recettes pour la taxe de vente sont à la hausse dans toutes ces cohortes. » J'ai dit : « Oui, bien sûr, si on fait le lien entre nos dossiers d'assistance sociale et les endroits où l'argent est dépensé, on voit qu'il y a une somme d'argent considérable qui circule dans les collectivités en question. »
Les pauvres n'épargnent pas, ils dépensent. Par voie de conséquence directe, cela a donné de très importantes retombées économiques directes pour la province. La prestation n'a pas coûté autant que nous l'avions estimé et, même si la somme consacrée au départ paraissait très importante, la province a récupéré la mise de nombreuses autres façons.
L'idée de l'investissement pour réduire la pauvreté chez les enfants et la façon dont nous nous y sommes pris dans le cas de la prestation nationale pour enfants n'est pas utile si on considère le problème ou le besoin d'une stratégie globale de développement de la petite enfance qui est directement centrée sur les jeunes enfants et leurs parents. Même avec les sommes d'argent que je peux en tirer en tant que mère, individuellement, avec ce faible gain, je ne peux créer les conditions nécessaires pour favoriser la collectivité compatissante et soucieuse des enfants qui, en vérité, changera vraiment la donne pour ce qui touche la santé de mon enfant et ma capacité de l'élever en tant que parent.
À mon avis, nous pouvons affirmer que ça va régler le problème. De même, nombreux sont ceux qui diraient que l'adoption de la mesure coûte extraordinairement cher et privera de fonds tous les autres programmes sociaux. Je ne suis pas d'accord avec cet argument-là, car les fonds reviennent au pays et aux provinces de diverses façons. Cependant, je ne crois pas que le seul fait de redistribuer les revenus réglerait les problèmes que posent la santé publique et l'idée d'élever des enfants en santé. Il nous faut une stratégie parallèle; sinon, nous risquons de penser que nous avons trouvé la solution alors que, de fait, ce n'est pas le cas.
Nous pouvons montrer du doigt les approches universelles — par exemple, tout le progrès que nous avons obtenu avec la désinstitutionnalisation. Je me souviens que nous ayons tous crié : quelle idée merveilleuse! Bien entendu, maintenant, nos collectivités éprouvent beaucoup de difficultés à composer avec les conséquences de cette décision.
Cela me paraît être une idée importante. Dans le cas de la prestation nationale pour enfants, nous disposons de données solides qui portent à croire que la prestation a bel et bien aidé les familles, qu'elle a permis de redistribuer l'argent. Cependant, il y a eu quelque chose d'encore plus important : le Canada a conclu avec les provinces un accord pour s'assurer que les économies qu'elles réalisaient grâce à la réduction des dépenses étaient réinvesties dans quatre piliers du développement jugés vraiment importants pour le travail et la formation dans les familles à faible revenu, mais aussi pour le développement de la petite enfance.
Les structures et cadres de cette nature, qui permettent aux provinces de choisir de réinvestir dans trois ou quatre grands secteurs, sont essentiels. Si le gouvernement fédéral remet aux provinces un chèque sans les tenir responsables de réinvestir les économies dans quelque chose de plus productif, dans le développement de la petite enfance — je suis d'accord avec M. Butler-Jones sur ce point et avec bon nombre des personnes ici présentes —, nous allons simplement couper la queue de la distribution en l'absence des mesures de soutien nécessaires pour créer les conditions favorables, celles qui permettent aux enfants de grandir de manière saine et de manière à contribuer à la société.
Nous avons trouvé un tour de phrase intéressant à ce sujet il y a un certain temps en affirmant qu'il s'agit vraiment de la prospérité de la population. Pour adopter une approche fondée sur la prospérité de la population, il faut investir au départ. Cela vous permettra d'obtenir un rendement sur votre investissement et d'avoir une population qui sera beaucoup plus prospère qu'elle l'est en ce moment.
Le président : Puis-je vous le faire dire sans le demander directement? Il y a un concept avec lequel nous nous débattons en vue de produire le rapport. C'est la distinction entre le travail des parents et la garde des enfants. La garde des enfants profite à la mère, mais ce qu'il faut pour la petite enfance — un instant —, vous allez tous pouvoir vous joindre à la ronde, mais je veux que vous m'éclairiez avant. Je veux vous le faire dire. Le développement de la petite enfance dépend de ce que les parents fassent un travail approprié, n'est-ce pas?
Mme Potvin : Non, ce n'est qu'un facteur parmi d'autres.
Le président : On me dit que, dans la mesure où le travail parental fait défaut, la garde des enfants en entrepôt ne produira pas un bon être humain.
Mme Potvin : N'écoutez pas les gens qui disent ça.
M. Cappe : Il nous faut une professionnalisation de la garde des enfants, car il ne faut pas que ça se résume à une sorte d'entreposage. C'est la professionnalisation de la tâche qui devient un enjeu.
Mme Potvin : Le développement de la petite enfance est l'enjeu clé.
Le président : Si je suis allé à Cuba, c'est pour observer ce système-là. Là-bas, les grands-parents peuvent obtenir un BA en développement de la petite enfance; c'est que les parents travaillent et n'ont pas le temps de participer au développement de l'enfant. Les grands-parents se substituent aux parents. La garde des enfants là-bas est extraordinaire, mais comprenez-moi : c'est bien plus qu'une simple garde d'enfants.
Mme Manson Singer : Vous avez tout à fait raison. Le développement de la petite enfance est un élément très important du premier départ de l'enfant dans la vie; ça peut déterminer la mesure dans laquelle l'enfant va contribuer à la société canadienne plus tard. Je vous mettrais en garde contre l'idée des garderies comme entrepôt — nous avons essayé de nous débarrasser de ce vocabulaire... de nombreux parents ont besoin de faire garder les enfants en soirée et la fin de semaine. La garde d'enfants peut être envisagée comme un service offert de 8 heures à 16 heures du lundi au vendredi, mais ce n'est pas ce qu'il nous faut au Canada.
La conceptualisation de la garde des enfants dépend souvent de l'endroit où se trouve le fonctionnaire. Par exemple, s'il s'agit du ministère des Ressources humaines, l'élément marché du travail interviendra. Il s'agit d'aider les parents à intégrer le marché du travail. Si c'est le ministère de l'Éducation, l'accent est mis sur le développement de la petite enfance. Il s'agit alors d'assurer une bonne transition entre les tout premiers stades de l'enfance et celui où l'enfant est prêt à apprendre. Si c'est le ministère qui s'occupe de la question de l'égalité des hommes et des femmes, on insistera sur l'idée que les femmes doivent se retrouver dans une situation d'égalité. Il nous faut repenser la façon dont nous abordons la garde des enfants. Nous sommes d'accord avec vous pour dire qu'il existe d'importants problèmes, qui se voient quand on essaie de disséquer la signification de tout cela.
Une approche de garde axée sur le développement de la petite enfance est une approche globale qui permet de s'assurer d'avoir en place les meilleures conditions possibles où l'enfant va grandir. Cela fait intervenir un grand nombre d'éléments outre le seul travail des parents. Ce sont les conditions nécessaires pour maximiser le développement de l'être humain en question. Quelles sont ces conditions nécessaires? Nous revenons alors à la liste des déterminants de la santé. Dans les limites de notre approche axée sur le développement de la petite enfance, nous devons prêter attention à tous les déterminants en question, pour nous assurer de mettre en place les conditions aboutissant à la prospérité de la population.
Mme Potvin : Il faut tout un village pour élever un enfant.
Mme Manson Singer : Est-ce que ça vous éclaire?
Le président : C'est simplement ce que je voulais entendre.
Mme Potvin : Il y a des données intéressantes qui nous proviennent du Québec sur ce point : la qualité de la garde des enfants. Le réseau public des centres de la petite enfance semble être de toute première qualité au Québec. La qualité de la garde peut aider les enfants pauvres à surmonter certains des désavantages qu'ils connaissent à la maison. C'est une mesure de redistribution qui touche directement le développement de la petite enfance, de façon globale, au sein d'une population.
M. Cappe : Sur ce point, Fraser Mustard a beaucoup parlé de l'abus et de la négligence, et la négligence est l'un des grands problèmes que l'on connaisse. Ça peut arriver à la maison aussi bien qu'ailleurs. Dans ce sens-là, un système de garde axé sur le développement des enfants et davantage professionnalisé peut avoir un effet extraordinaire sur la santé de la population.
Mme Potvin : Nous avons insisté sur ce point-là. En prenant pour marqueur la mesure de la capacité d'apprentissage en Colombie-Britannique pour déterminer si on s'occupait bien de nos enfants, nous avons constaté que le véritable problème réside non pas dans la queue de la distribution, mais plutôt au milieu. Nous avons constaté l'existence de problèmes importants touchant la capacité d'apprendre des enfants au sein de la classe moyenne. Ça posait indéniablement un problème; il fallait penser à la manière de recourir à la redistribution pour résoudre les difficultés liées à la capacité d'apprendre. Il nous a fallu envisager une approche nettement plus globale pour nous assurer que le travail profitait à l'ensemble de la population.
Dans cette perspective-là, pour assurer la santé de la population, il faut une approche globale de la population, de telle sorte que nous prévoyons ces genres de ressources et de mesures de soutien pour l'ensemble de la population.
John Wright, ex-sous-ministre des Finances et de la Santé, Saskatchewan, à titre personnel : Je suis désolé de ramener sur le tapis la question de l'impôt négatif, mais je vais le faire, étant donné que, à première vue, l'idée semble excellente. La simplicité est la première des vertus — c'est l'idée de chercher la grande solution qui va tout régler, sinon à quoi bon? L'ordre d'agir vient d'en haut. C'est merveilleux. Il n'y a qu'un petit problème, que Mel Cappe a soulevé : le bourbier des relations fédérales-provinciales. Il y a au Canada une seule population qui relève de la responsabilité du gouvernement fédéral; ce sont les Premières nations. Quel merveilleux incubateur pour mettre à l'essai cette idée. Quelle idée merveilleuse : instaurer un impôt négatif pour les Premières nations et voir ce que ça donne. Cela nous permettrait de faire progresser le dossier et de tirer des leçons utiles de nos erreurs comme de nos succès. Je ne sais pas très bien comment cela permettrait de régler des petits problèmes comme l'absence d'inspections aux fins de la santé publique dans les réserves ou les difficultés de logement dans les réserves ou encore la qualité de l'eau dans les réserves, sinon l'absence d'une stratégie d'immunisation dans les réserves ou les difficultés liées à l'alphabétisation dans les réserves, mais il faut commencer quelque part; commençons donc là.
Monsieur le président, je propose donc que le projet d'impôt négatif soit adopté et appliqué aux membres des Premières nations au Canada.
Le sénateur Segal : Voilà une offre qui est très intrigante. Ici même, dans la salle où nous nous trouvons, j'ai plusieurs fois proposé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de supprimer le ministère des Affaires indiennes et du Nord, qui est une abomination et une honte pour notre pays, puis de prendre les économies réalisées, plus les redevances sur les richesses minérales légitimes, pour remettre sa part à chaque Autochtone. J'ai fait cette proposition-là non pas parce que les Autochtones vivent dans une réserve, mais parce qu'ils forment une Première nation et que nous leur devons cela. Je me réjouis tout à faire de commencer là. Rien ne ferait mieux mon bonheur.
Les observations et les critiques que nous avons entendues aujourd'hui ont été extrêmement constructives et utiles. Madame Yalnizyan, si nous devions nous attacher d'abord à la question des revenus tirés d'un impôt négatif, quels seraient les éléments constitutifs de la mesure? Les points que vous avez soulevés devraient peut-être être abordés dans une telle combinaison, sinon ce ne serait pas une façon légitime de concevoir la mesure.
J'admets ce que M. Cappe a dit à propos du bourbier qui se présente sur le plan technique. Nous ne progressons pas avec les 140 milliards de dollars que nous consacrons tous les ans à ces aspects de notre programme de services sociaux depuis 1990-1996. Les statistiques ne laissent pas voir d'amélioration.
Suis-je en faveur de l'idée de réduire le soutien au logement ou aux personnes handicapées ou aux déficients intellectuels? Bien sûr que non. Je vous soumettrai ceci : la proposition de M. Wright représente un point de départ intéressant. Si nous ne nous attaquons pas au moins à ce qui est à notre portée, le plus directement possible, nous allons nous retrouver autour d'une table semblable, dans dix ans, à nous demander ce qu'il faut faire de l'incidence de la pauvreté sur la santé publique.
Je dis à mon ami, M. Dodge, soyons clairs : certains ont fait valoir qu'il faut disposer de la liberté d'échouer. Vous avez accompli des choses merveilleuses pour la banque; j'espère seulement que la banque ne vous a pas contaminé.
En 1946, à une réunion de son parti, Winston Churchill a affirmé qu'il s'opposait à toute limite quant à ce que les gens pouvaient réaliser, mais qu'il doit y avoir un point sous lequel on ne saurait laisser personne tomber. C'est le terrible fasciste de gauche, Winston Churchill, qui a dit cela; et Disraeli a dit la même chose. Même Richard Nixon, Tommy Douglas et cet autre gauchiste radical, Bob Stanfield, ont laissé entendre que la liberté d'échouer doit comporter une certaine limite, étant donné le coût que nous assumons tous lorsque les échecs sont trop intenses, même sur une courte période, lorsqu'ils détruisent trop nos valeurs en tant que société et en tant que famille canadienne. C'est le seul point que je fais valoir. Je ne laisse pas entendre qu'il faudrait le substituer aux enseignements à tirer du rapport du juge Archie Campbell, président de la Commission d'enquête sur les événements liés au SRAS, et tout ce que nous avons à investir. Cependant, j'affirme que ça pourrait servir de point de départ. Ce n'est pas plus complet ou exclusif que cela.
Dr Butler-Jones : Je dois dire que c'est une conversation fascinante. Évidemment, je ne suis pas économiste. Nous avons toujours été nuls en finances dans ma famille. Il est probablement bien qu'on ne me permette pas d'investir directement dans mon travail.
Je veux formuler rapidement quelques observations. Je reviendrai à mon point de départ. Encore une fois, c'est l'équilibre qui compte. Un vrai sage dirait probablement qu'il n'y a que l'échec pour bien apprendre; l'enseignement vient de l'échec, mais non pas de l'échec qui tue. Nous avons donc là les concepts de base : quels sont les biens publics? Et l'égalité des chances? C'est une conversation importante qui vise à savoir : qu'est-ce qu'il en est et qu'est-ce qu'il faut faire?
Je trouve cela vraiment bien d'entendre encore une fois des conversations sur le revenu annuel garanti, sur sa signification et son effet. C'est un débat important auquel je ne saurais contribuer sauf pour souligner que c'est un débat important.
Nous progressons modestement sur le front du développement de la petite enfance. Nous en apprenons sur le phénomène, mais, encore une fois, les progrès sont modestes. Nous sommes loin du but. Il y a des problèmes, que d'autres ont décrits mieux que je suis en mesure de le faire.
Ce que je voulais dire plus tôt, c'est que ce n'est pas la mesure ou le secteur où on décide d'investir qui compte, c'est la réflexion, qui doit être globale et permettre de saisir les dimensions que comporte la pauvreté ou les déterminants et les relations que ceux-ci ont entre eux. Si nous les isolons les uns des autres, et cela s'est déjà fait dans le domaine de la politique sociale, nous risquons de nuire plus qu'autre chose en ce qui concerne les mesures incitatives, la motivation, l'impression qu'ont les gens d'avoir une certaine emprise sur leur propre vie.
Cela s'est vu aussi dans le domaine de la santé publique. Il suffit de penser à la prévention des maladies chroniques. C'est le débat éternel : faut-il adopter une approche générale de la population ou cibler des segments particuliers qui sont à risque élevé? Ni l'une ni l'autre des solutions ne permet de régler le problème en entier. Le débat vise à savoir l'équilibre qu'il faut retenir pour aboutir au meilleur résultat possible du point de vue de la santé et au plus mince écart possible entre les groupes. Par exemple, les personnes qui disposent d'un bon réseau d'amis et de parents, tous âges et sexes confondus, présentent un risque de mortalité qui est la moitié de celui de ceux qui ne peuvent compter sur un tel réseau, indépendamment du revenu et de tout le reste. Si nous ne permettons pas aux gens de s'engager dans la société civile, si nous ne les encourageons pas à le faire, nous allons manquer notre coup. De par leur ampleur, les mesures que nous adoptons relèvent de la politique et des politiques gouvernementales. J'inviterais seulement les gens à envisager les mesures qu'ils examinent, quelles qu'elles soient, dans le contexte d'une réflexion qui met ensemble tous les éléments du puzzle.
Le sénateur Eggleton : J'apprécie les réflexions livrées par M. Dodge à propos des premiers éléments de l'ordre de priorité. Le premier élément, c'est de faire le lien entre les questions liées à la santé publique et de s'attaquer au développement de la petite enfance.
S'il est question de développement de la petite enfance, je dirais que nous devons privilégier davantage l'apprentissage à cet âge. À ce sujet, le public croit que la responsabilité est principalement celle des parents. Toutefois, l'éducation fait partie des droits qui reviennent aux gens dans la société et se rapporte au développement de la société dans son ensemble. Nous devons privilégier davantage l'apprentissage des jeunes enfants. Oui, le travail des parents est important, mais les autres éléments de l'équation comme le travail des éducateurs à la petite enfance le sont aussi.
Je voulais parler aussi de l'intervention du sénateur Segal. Premièrement, je garde l'esprit ouvert à ce sujet. Évidemment, c'est attrayant. Ceux parmi nous qui étudient la question de la pauvreté au Sénat se débattent avec les différentes façons de procéder, et la solution proposée par le sénateur Segal en est une. C'est une solution qui est proposée depuis un certain moment déjà. Le sénateur David Croll l'a mentionnée pour la première fois dans son rapport au Sénat en 1971. Le sénateur Cohen et d'autres encore ont traité de la question de l'impôt négatif par la suite.
Cela fonctionnerait uniquement si la mesure est appliquée de concert avec les provinces en tenant compte d'une vision globale des choses. Il y a la question de l'abordabilité des logements. Il y a la question du développement de la petite enfance. Il y a tant d'autres aspects et éléments qui font partie intégrante du problème. À lui seul, le soutien du revenu ne suffit pas à la tâche. Il faut qu'il y ait cette vision d'ensemble. J'aimerais voir comment tous ces morceaux s'imbriquent.
Je vais donner un peu dans la politique pour un moment, car j'ai une préoccupation à soulever. Le sénateur Segal dit : Eh bien, Monte Solberg voudrait étudier cette question. Cela me paraît bien. J'aimerais savoir avant tout ce que le grand patron pense de cette histoire-là, car, au bout du compte, nous entendons dire que c'est là que toutes les décisions se prennent. Cependant, le gouvernement en place se concentre davantage sur les aspects particuliers du partage constitutionnel des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces. Son idée, c'est qu'il faut moins recourir à l'État pour mieux gouverner. Je me demande donc, face à tout cela, quelle attention sera accordée à l'idée de rassembler tous les morceaux du puzzle, étant donné que bon nombre des morceaux en question relèvent et relèveraient toujours de la compétence provinciale.
Si un impôt négatif est instauré, il faut le voir dans un ensemble. Quel intérêt y serait accordé, étant donné l'orientation du gouvernement en place? Au bout du compte, serait-ce une façon pour lui de simplement s'en laver les mains? Instaurez donc l'impôt négatif; c'est un soutien du revenu; nous allons adopter cette mesure; nous formons le gouvernement fédéral. Maintenant, allez-vous-en, provinces, faites ce que vous avez à faire. Je sais, vous ne pensez pas cela; j'espère que ce ne serait pas le cas. Tout de même, tout ce que vous pouvez dire pour vaincre ma méfiance politique serait utile.
M. Reading : La question de la santé publique est extrêmement importante. Je crois que le Dr Butler-Jones a parlé de corrélation et de causalité. La modélisation de la santé et de la richesse fait voir une courbe linéaire, mais la distribution n'est pas parfaite. Il y a des points au-dessus de la ligne d'identité et des points sous la même ligne. Cela veut dire que certaines collectivités, dont la richesse est par ailleurs égale, résistent mieux que d'autres. Le critère du revenu à lui seul n'explique pas tout.
Les questions liées à la culture et à la capacité de la collectivité sont liées à ce concept de résilience. Ce sont les pratiques prometteuses qui retiennent notre attention. Nous regardons les projets de développement communautaire qui ont atteint un certain degré de succès et voyons comment nous pouvons modéliser le phénomène dans le contexte d'une amélioration du revenu.
S'il est question d'un revenu fixe pour les collectivités autochtones et du Nord, nous devons nous demander ce que coûterait un ensemble de déterminants essentiels de la santé dans une situation qui est différente de la nôtre. Nous pourrions déterminer ce qu'il en coûte pour une nourriture, une eau, un logement et un enseignement adéquats, et affecter une certaine somme d'argent à cela. Cependant, nous savons que le coût et la disponibilité de cet ensemble de services essentiels varient grandement d'un endroit à l'autre au pays. Il nous faut envisager un critère du revenu à cet égard, compte tenu de ce que nous tenons pour essentiel et qui optimiserait le développement des enfants pendant leur vie.
Les données présentées par l'ICIS font voir une différence de 11 ans entre l'espérance de vie des hommes au Nunavut et celle des hommes en Colombie-Britannique. Cela veut dire que les enfants ont une espérance de vie inférieure de 11 ans à celle des autres enfants canadiens, s'ils se trouvent à naître dans la partie du Canada qui s'appelle Nunavut. C'est inférieur à ce à quoi peut s'attendre un garçon turc, dans un pays à revenu intermédiaire. C'est un grave problème pour le Canada. Je dirais que c'est lié à une sorte de double péril. C'est lié au fait que les collectivités en question doivent payer davantage pour cet ensemble de déterminants essentiels de la santé dont j'ai parlé tout en ayant moins de ressources pour se les procurer. Il ne suffirait pas de dire que nous allons appliquer une exigence minimale nationale pour que plus personne n'ait à vivre dans la pauvreté. Il y a des collectivités dont la situation n'est pas la même et où le coût pour égaliser les chances ne serait pas le même non plus. Cela vaut pour d'autres situations aussi.
Mme Yalnizyan : Il y a une raison de se lancer dans la même direction qu'un si grand nombre de comités et d'administrations diverses. Je me ferai l'écho de ce que M. Dodge a dit. Il est plus facile de parler de la vie des enfants que de la vie de n'importe quel autre groupe ou presque. Vous touchez tout un ensemble de Canadiens. Quarante-sept pour cent des Canadiens vivent dans un ménage où il y a des enfants de moins de 18 ans.
Si vous souhaitez implanter un impôt négatif, la Prestation nationale pour enfants du Canada est là. Elle est en place. Elle fait avancer bien du monde. Vous n'avez pas à réinventer la roue. Vous n'avez qu'à faire grossir la roue. Tout de même, comme nous l'avons dit maintes et maintes fois, le soutien du revenu ne suffit pas à enrayer la pauvreté ou à infléchir les déterminants de la santé dans le bon sens. Le sénateur Eggleton préside les travaux d'un comité qui se penche sur la nature capitale du logement. C'est un domaine où le gouvernement fédéral a joué un rôle entre 1948 et 1993. Le moment est venu pour l'administration fédérale d'entrer dans la danse à nouveau.
Nous ne cessons de faire venir des immigrants au pays pour composer avec les graves pénuries de main-d'œuvre que nous connaissons. Ils s'installent dans les grandes villes, là où il y a déjà une pénurie de logements. Les municipalités et les provinces n'ont aucune façon de composer avec les pressions que cela donne, en l'absence d'une quelconque vision fédérale qui fait le lien entre le besoin de faire venir des gens au pays et le lieu où ils vont s'installer une fois arrivés pour combler nos pénuries de main-d'œuvre.
Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans le dossier du logement, le dossier du développement des jeunes enfants, le dossier du soutien du revenu. Tout de même, je ne crois pas qu'on puisse affirmer que c'est là la panacée à la suite de quelques savantes analyses.
Le président : L'horloge nous fait voir qu'il est temps de suspendre les travaux pour le repas du midi. Je tiens à remercier tout le monde de la conversation très franche que nous avons eue ce matin. Cela a été extrêmement utile. Nous avons glané quantité d'informations déjà, et nous avons hâte de reprendre cet après-midi.
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Le comité reprend ses travaux.
Le président : Honorables sénateurs, chers invités, mesdames et messieurs, nous allons entamer dès maintenant la séance de l'après-midi. J'espère que ce sera aussi intéressant, aussi productif et aussi animé que ce matin. Nous sommes concentrés sur certaines des questions qu'il faut régler.
Encore une fois, je cède la parole à M. Lewis.
M. Lewis : Merci, sénateur.
Cet après-midi, nous allons nous concentrer, d'une certaine façon, sur le tableau d'ensemble et le programme d'action politique associé à une initiative de réduction des disparités. Comment mobiliser davantage le soutien en faveur de cette initiative? Nous n'avons pas beaucoup parlé du rôle de secteurs autres que celui des gouvernements, mais il y a évidemment le secteur non gouvernemental, le secteur privé, et les citoyens qui peuvent aborder la question.
Nous avons donc demandé à deux personnes qui ont évolué dans des secteurs différents et qui ont réfléchi longuement et sérieusement à certaines des questions en jeu de nous présenter un exposé. L'espoir, c'est que cela nous éclairera quant à la manière dont les partenariats intersectoriels dont il est question pourraient être édifiés.
Nous allons commencer par écouter L'honorable Monique Bégin, puis nous céderons la parole au sénateur Art Eggleton.
L'honorable Monique Bégin, C.P., commissaire, Commission des déterminants sociaux de la santé de l'Organisation mondiale de la santé : J'ai appris tard, hier, que Mme Yeates allait utiliser la belle présentation PowerPoint que nous avons vue, que je ne pouvais émuler parce que j'ai assisté à des réunions puis à une conférence, en soirée. Avant minuit, j'ai jeté rapidement sur papier quelques points à souligner, pour moi-même, essentiellement, et j'en ai déjà modifié quelques-uns dans ma tête. Bien sûr, demander à une libérale de se prononcer sur la politique d'aujourd'hui, c'est assez bas. Je vais faire de mon mieux pour énoncer quelques vérités éternelles à propos de la politique.
Je vais parler d'abord de la façon dont le changement social s'effectue. Depuis des décennies, je m'intéresse à cette question. Je sais maintenant que le changement social peut emprunter la voie ascendante aussi bien que la voie descendante et que, habituellement, il commence à la base. À un moment donné, la cause X, Y ou Z trouve un haut placé pour la défendre. Voilà l'histoire du changement social; c'est le cas par exemple du mouvement des droits civils aux États-Unis. Le phénomène a été attesté dans le passé et il l'est encore aujourd'hui partout dans le monde, en règle générale. Bien entendu, quelqu'un peut trouver une exception à la règle, mais c'est tout de même la règle générale.
L'exigence provenant de la base ou de la société civile — utilisez le terme que vous voulez — en faveur de mesures touchant les déterminants sociaux de la santé, selon moi — c'est-à-dire selon un citoyen instruit qui n'évolue toutefois pas dans le monde politique ou gouvernemental, ou dans quelque organe décisionnel — n'est pas évident au Canada en ce moment. L'exigence existe peut-être, mais elle est fragmentée et, à mon avis, impossible à cerner pour le pouvoir politique en ce moment.
Cependant, exiger ce qui revient à une politique fondée plus ou moins sur les déterminants sociaux de la santé est une tradition de longue date au Canada, mais le secteur ne parle pas de déterminants sociaux de la santé et n'est pas du tout à l'aise avec cette façon d'étiqueter le phénomène.
Je n'ai pas fait cette découverte par moi-même. C'est grâce aux directives du Groupe de référence canadien mis sur pied par l'Agence de la santé publique que nous avons consulté certains groupes d'ONG membres de la société civile. Ce message-là en est ressorti sans aucune équivoque.
La plupart des ONG membres de la société civile dans le domaine de la justice sociale, de la planification sociale et de l'ensemble des actions sociales — lutte contre la pauvreté, promotion de la cause des femmes, promotion du logement social et je pourrais en nommer bien d'autres encore, qui sont autant d'éléments des déterminants sociaux de la santé — ont récemment vu être réduite sinon carrément éliminée leur aide ou subvention fédérale. Le manque de financement limite énormément leur capacité et les empêche même de travailler en réseau ou de se joindre à d'autres organismes en rapport avec une certaine initiative.
Pour parler des déterminants sociaux de la santé, disons que nous ne pouvons manquer d'affirmer que l'idée est fondée sur des valeurs. Elle est tout à fait empreinte de valeurs. Il n'est pas évident de conclure que les thèmes habituels de la justice sociale ou de l'équité pousseraient le gouvernement à agir de quelque façon.
Nous n'avons pas encore mis au point un argumentaire en faveur des déterminants sociaux de la santé au Canada. Le Canada n'est pas le seul pays à avoir ce problème-là. Notre commission à l'Organisation internationale de la santé, l'OMS, se débat avec le même problème. Nous n'avons pas l'argumentaire nécessaire pour prouver que, dans la mesure où nous investissons dans un dossier, nous économisons dans un autre.
Cependant, nous sommes dotés de sens commun et nous avons des éléments de preuve fragmentés. Par exemple, Diana MacKay peut nous signaler les statistiques qu'elle a citées hier quant au coût de l'absentéisme dans l'économie et au réseau de la santé.
L'argumentaire n'a pas encore été mis au point; or, il est essentiel et urgent de le faire. Je vole la phrase du sénateur Keon. En règle générale, nous investissons trop dans le réseau technicomédical de pointe, qui n'est pas durable comme il est, et c'est là le problème de toutes les provinces et de tous les intervenants.
La dernière observation que je vais formuler sur le sujet est la suivante : le changement social, de par sa nature même, se situe dans une perspective à long terme plutôt qu'à court terme; or, étant donné la nature des gouvernements, c'est tout à fait l'inverse.
Le gouvernement fédéral a la responsabilité directe de la santé et du bien-être général des Autochtones, dans les réserves et en milieu urbain au pays, et il est mandaté pour agir en ce sens. Le gouvernement a une responsabilité partagée en ce qui concerne le logement et, en particulier, le logement social. Par le truchement du régime fiscal, le gouvernement impose aux particuliers une certaine redistribution des revenus, que ce soit de manière régressive ou positive — et c'est régressif depuis des années. Depuis quelques années, il accumule les excédents et il le fera pour les années à venir, même si ce sera des sommes moins importantes. Le gouvernement fédéral effectue des paiements de transfert officiels et ad hoc vers les provinces et est responsable constitutionnellement de la péréquation au profit de l'ensemble des régions du Canada.
Bien entendu, le gouvernement fédéral esquivera la question — je ne montre personne en particulier du doigt, mais c'est là la nature humaine — en prétextant que la santé est une responsabilité provinciale. Il est trop facile d'affirmer cela là où il est question des déterminants sociaux de la santé. Cependant, le gouvernement devrait être obligé de rendre des comptes au sujet des diverses responsabilités fédérales qui lui reviennent.
Les provinces sont probablement les intervenants les plus importants. À mon avis, si une seule province commence à se concentrer sur les déterminants sociaux de la santé, cela ferait boule de neige.
Mme Yalnizyan a piqué mon intérêt plus tôt lorsqu'elle nous a donné un exemple concret à partir duquel elle conclut que le paysage est peut-être en train de changer. Elle a parlé du mandat spécial qui est accordé à la ministre Deb Matthews en Ontario pour la lutte contre la pauvreté. Je n'en sais pas plus sur le mandat en question. Le projet en est encore à ses premiers balbutiements. Il reste à savoir dans quelle mesure certaines provinces voudront s'engager là- dedans, en se fondant sur quoi et pour quelle raison.
Il me semble que les administrations municipales et régionales peuvent jouer un rôle positif et capital, quoique limité. Tout au moins, c'est ce que je vois à première vue. J'ai commencé à réfléchir à ce rôle-là lorsqu'un collègue membre de la commission m'a parlé des programmes des villes-santé, dont nous ne parlons plus au Canada, mais qui fonctionnent toujours très bien dans certains coins en Europe.
Mon voisin s'occupe de la plus grande ville du pays depuis un certain temps, et voudra peut-être parler de ce qui est faisable en ce qui concerne le logement, l'urbanisme, le transport en milieu urbain, les parcs et les loisirs.
Les villes fournissent les services sociaux dans certaines régions du pays. Elles peuvent agir en rapport avec de nombreuses questions moyennant une ingérence politique minimale de la part des autres ordres de gouvernement. Je crois qu'elles disposent d'une marge de manœuvre et qu'elles n'ont pas à attendre que leurs pairs soient prêts. Une ville par ici, une ville par là peuvent agir de manière positive de leur côté.
Le quatrième rapport de votre sous-comité propose des mécanismes opérationnels ou des outils de travail en rapport avec les déterminants sociaux de la santé à l'échelon fédéral. Certains des mécanismes en question ont été mis à l'essai, ce qui a donné un échec, pour une raison ou une autre. C'est le cas par exemple des objectifs nationaux en matière de santé. À mon avis, ce mécanisme-là est un échec, tout comme l'Accord de Kelowna, que M. Reading a mentionné ce matin.
Si vous voulez mon point de vue politique sur la chose, ces mécanismes-là ne seront pas facilement ressuscités. Là où une occasion a été gaspillée et que l'investissement — l'élan du cœur, l'intelligence, le temps et l'énergie — s'est fait en vain, les gens ne seront pas prêts à reprendre le flambeau dès le lendemain matin. Je vous signale la situation.
D'autres mécanismes du genre n'ont pas débouché sur des résultats évidents ou concrets. Je voudrais maintenant toucher un mot au sujet du fameux foisonnement des comités fédéraux-provinciaux-territoriaux. Je ne recours plus à cette approche-là. En réalité, je ne l'ai jamais fait.
De l'extérieur, je dirais qu'il s'agit là du mécanisme idéal parce qu'il fait appel à tous les intervenants clés — le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires —, mais, à l'extérieur, on a l'impression qu'il y a des millions de sous-comités de sous-comités de comités et ça semble être plus ou moins paralysé. Je ne sais pas comment on procéderait pour réformer le mécanisme. Je ne le sais pas, mais il vaudrait la peine que des experts se penchent sur les conditions à mettre en place pour que ça réussisse, étant donné qu'il s'agit du mécanisme idéal, selon moi.
Il y a un mécanisme dont le rapport ne fait pas état : c'est le fait que tous les ministères disposent d'une direction générale de la recherche et de la planification. La capacité de recherche du gouvernement fédéral, dont j'ai profité énormément au moment où j'y étais, n'existe plus. Elle n'existe plus depuis de nombreuses années, et la mémoire institutionnelle fait défaut dans de nombreux domaines. Des experts-conseils grassement rémunérés téléphonent aux gens pour obtenir leurs points de vue, sans frais, bien entendu. Je suis toujours en réunion. Je suis si souvent en réunion que je ne peux jamais retourner mes appels. Tout est fragmenté. Les gens qu'ils appellent n'ont pas de responsabilités sauf quand il s'agit de donner leur avis. Ils n'appartiennent pas à une entité; il vaudrait donc la peine d'étudier la question pour savoir s'il serait possible de rétablir cette capacité de recherche et de planification, sous une forme ou une autre, au gouvernement fédéral.
Cela m'amène à parler du mécanisme intersectoriel, que certains appellent également l'approche « pangouvernementale », qui est nécessaire si on veut adopter pour ainsi dire les déterminants sociaux de la santé.
Si vous permettez que je vous fasse part des observations internationales auxquelles j'ai eu droit à la commission de l'OMS, il faut non seulement un joli réseau de sous-ministres — comme celui qui existe en ce moment, et que je ne critique pas, il est probablement bien d'échanger des idées et tout le reste —, mais plutôt un comité du cabinet de plein droit qui est de nature intersectorielle et aborde les déterminants sociaux de la santé, en faisant appel au nombre de ministères qu'il faut, et dont le président est un ministre puissant. Pays après pays, les gens nous ont dit que ce serait de préférence le président ou le premier ministre, sinon le vice-premier ministre ou le ministre des Finances, qui serait à la tête du comité en question. Dans le cas du Sri Lanka, le ministre de la Santé vient au deuxième rang parmi les personnages d'influence au pays et il est proche du premier ministre. À cette exception près, il ne faudrait pas que ce soit le ministre de la Santé qui préside le comité. Au Canada, la règle s'applique particulièrement à l'échelle provinciale. Dans mon temps, elle s'appliquait à l'échelle fédérale aussi.
Les ministres de la Santé accaparent la plus grande part du budget de l'État. La crainte naturelle que les gens ont de l'impérialisme, qui n'est pas toujours qu'illusion, et le fait que le ministre de la Santé représente le lobby le plus puissant qui soit dans toute société, à mon humble avis et d'après mon expérience, soit la médecine organisée, sont des facteurs qui jouent contre ces ministres. J'ai vérifié les statistiques hier soir : ceux parmi vous qui travaillent à l'Agence de la santé publique aviez raison. Au Canada, le projet avorté de 1997 faisait suite au forum national sur la santé. Un des problèmes qu'il y a eus, c'est que les autres ministères et les autres intervenants n'étaient pas convaincus. Par conséquent, le ministre de la Santé ne devrait pas présider ce comité du cabinet.
Le rapport traite de mécanismes, mais il ne dit rien du thème à choisir. Le thème idéal, c'est l'approche globale. J'utiliserai cette expression-là pour parler d'un mouvement qui fait que tout le monde converge, pour dire que c'est une approche intégrée.
Peut-être que ça se fera, mais je compte sur la nature de la politique, qui demeure l'art du possible, pour en décider. Le plus souvent, par le passé, la mentalité du Canada a été celle des petits pas, d'une approche progressive qui repose sur des éléments existants. C'est ce qui pourrait arriver, mais tout peut arriver.
Ce que je crois — je me suis fait une note manuscrite ce matin —, c'est que mon idéal et ce pourquoi je me bats à ma commission internationale, c'est que l'on insiste d'abord sur le développement de la petite enfance, pour que les gens commencent bien leur vie.
J'ai oublié de dire une chose au moment où je parlais du changement social. C'est par la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, dont j'ai été la secrétaire générale il y a un bon moment de cela, que j'ai découvert le monde ainsi que notre société. Le changement social se produit suivant un grand nombre de voies parallèles qui ne sont pas nécessairement reliées entre elles. Nous n'avons pas le temps de les relier entre elles et nous ne devrions même pas essayer de le faire, et c'est la somme de tout cela qui nous permet d'aboutir aux résultats, si ce que je viens de dire a un sens.
Dans ce sens-là, si j'ai un seul objectif à choisir, c'est l'apprentissage des petits enfants. Je ne remettrais nullement en question cet objectif-là. Mon problème pratique, et c'est pourquoi je l'ai rayé de mes notes manuscrites, c'est que, au Canada, aujourd'hui, la notion de développement de la petite enfance, qui comprend la période préalable à la naissance et la santé maternelle, pourrait bien être assimilée à un travail de garderie, ce qui est à proscrire étant donné le gouvernement en place. J'interprète la donne politique, c'est comme cela que je le vois. J'ai peut-être tort.
J'ai apprécié la discussion qu'il y a eu entre le sénateur Segal et M. Dodge. M. Dodge semblait s'opposer vivement au supplément de revenu garanti au début, presque pour une question de principe, en favorisant plutôt le développement de la petite enfance. De fait, selon moi, la seule façon pour le gouvernement fédéral d'agir en rapport avec le développement de la petite enfance consiste à majorer la prestation pour enfants. La différence réelle entre l'option du sénateur Segal et celle de M. Dodge réside dans le coût total des dépenses de part et d'autre, l'option du sénateur Segal étant plus chère que celle de M. Dodge.
J'ai essayé de trouver un thème politiquement « neutre ». J'ai pensé au logement, c'est-à-dire au logement social. On peut défendre les mérites d'un investissement à cet égard. Le manque d'investissements de nombreuses administrations, toutes allégeances confondues, est tel que le parc actuel est en mauvais état, alors, les besoins nouveaux, nous n'y avons pas répondu non plus.
Pour revenir à l'élément conceptuel, si on veut essayer de créer une demande du point de vue de l'opinion publique, j'ai remarqué pour ma part que la notion d'» écart » et la notion de « gradient » fonctionnent. Le gradient est beaucoup plus puissant parce qu'il s'agit de 80 p. 100 des Canadiens, et non seulement des 20 p. 100 supérieurs, mais tous ceux qui se trouvent en dessous.
Le sénateur Eggleton : Les sénateurs ont beaucoup de volonté politique. Nous n'avons pas beaucoup de pouvoir politique, mais dans la mesure où nous menons nos recherches rigoureusement, concevons de bonnes recommandations, fondées sur les faits, et trouvons la bonne façon d'en appeler au public, je crois que nous avons une certaine influence. Un bon exemple, c'est le rapport sur la santé mentale produit par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des séances et de la technologie sous la présidence de Michael Kirby et la vice-présidence du sénateur Keon.
C'est un rapport qui a été adopté par le gouvernement. J'apprécie ce fait et j'espère que l'aboutissement de votre étude, quel qu'il soit, obtiendra le même genre de succès.
L'idée de s'adresser au public me remet en mémoire la discussion que nous avons eue sur la garde d'enfants et l'apprentissage des jeunes enfants. Bien plus que la question de la pauvreté chez les adultes, la question de la pauvreté chez les enfants a une résonance chez les membres du grand public et emporte son adhésion, même si nous savons tous que les enfants sont pauvres parce que leurs parents sont pauvres. N'allez pas rejeter l'idée, tout de même, car trouver ce qui résonne chez les membres du grand public peut être utile pour arriver à la même fin. Cependant, nous devons nous concentrer sur des recommandations fondées sur les faits, sur l'idée de persuader le public et sur tous les autres éléments nommés.
Les choses se compliquent à notre comité parce que nous abordons les mêmes questions de façons différentes. Au comité, nous parlons beaucoup de la pauvreté, qui représente un des principaux déterminants sociaux de la santé de la population. Le sous-comité des villes se penche actuellement sur la pauvreté, le logement et l'itinérance. Au moment où nous aurons fini notre étude, d'ici la fin de l'année, nous aborderons d'autres thèmes applicables aux villes, par exemple le transport et l'immigration.
De ce point de vue-là, les deux sous-comités ont beaucoup de choses en commun. Il leur est même arrivé d'organiser des audiences conjointes, dans les cas où les témoignages recueillis étaient précieux pour l'un et l'autre.
En outre, sur la recommandation du sénateur Segal, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, dont la présidence est assurée par le sénateur Fairbairn, se penche sur la question de la pauvreté en milieu rural. Nous devons trouver des liens horizontaux entre le travail de notre comité et celui du comité de l'agriculture à ce sujet. Essayons tout au moins de nous assurer qu'il n'y a pas d'incompatibilité. Nous produirons des rapports distincts, mais il est à espérer que ceux-ci s'inscriront dans un tableau d'ensemble qui permettra de faire progresser le dossier. Je crois que nous pouvons atteindre ce but-là.
Je veux parler de la volonté politique et du contexte gouvernemental. J'étais présidente du Conseil du Trésor en 1993. Une des premières personnes que j'ai rencontrées, c'est un sous-ministre adjoint du nom de Mel Cappe. Il a fait valoir à mon intention la nécessité de disposer de liens horizontaux au sein de l'administration gouvernementale. J'estimais que c'était une excellente idée. Avec tout le cloisonnement qu'il y a, il faut trouver des liens horizontaux. Par la suite, j'ai appris qu'essayer d'implanter cela, c'est comme essayer d'attraper un coup de vent au lasso.
Tout de même, il valait la peine de travailler à l'idée en question, car tous ces éléments sont reliés entre eux, qu'il s'agisse de logements, d'apprentissage chez les jeunes enfants, d'alphabétisation ou je ne sais pas quoi encore. Ils intéressent de nombreux ministères, et je crois qu'il nous faut instaurer des approches horizontales ou pangouvernementales.
Mme Bégin a parlé brièvement de ce besoin-là, et je suis d'accord avec elle pour dire qu'il faut que ce soit un haut dirigeant qui mène la charge contre la pauvreté. Le premier ministre n'a pas forcément à être à la tête du comité, mais il doit s'assurer d'indiquer clairement à quiconque l'est ce qu'il veut et l'échéancier qu'il fixe. L'Ontario compte maintenant un comité du cabinet de ce genre, et cela me semble être une excellente idée. Le premier ministre ne préside pas le comité en question, mais ce dernier compte certainement sur de solides appuis et une volonté de sonner la charge chez le premier ministre.
C'est ce qui est arrivé au Royaume-Uni. Je crois que vous connaissez tous l'histoire de Tony Blair et de Gordon Brown. Bien entendu, ils n'ont pas à se soucier des provinces là-bas; c'est un système dont le fonctionnement est beaucoup plus simple. Nous avons trois ordres de gouvernement ici aussi bien que les collectivités.
J'ai également été actif à l'échelon municipal, et je sais parfaitement que bon nombre de programmes et de services nécessaires à la santé de la population seront mis en œuvre à cet échelon, comme il convient de le faire d'ailleurs.
Nous devons admettre que le Canada est maintenant un pays urbanisé. Plus de 80 p. 100 de sa population habite en milieu urbain. Bien sûr, quand il est question de santé publique, nous devons nous préoccuper de l'ensemble de la population, et non seulement de 80 p. 100 de celle-ci, mais les municipalités représentent les premiers intervenants dans la structure gouvernementale, et, lorsque 80 p. 100 de la population vit en milieu urbain, les administrations municipales sont appelées à jouer un rôle important dans la mise en œuvre des programmes et des services.
Les administrations municipales ont également une foule de bonnes idées à proposer. Elles ont un contact direct avec les organismes communautaires et la population. Mais, ce qui leur manque, c'est l'argent. Au Canada, il y a un déséquilibre fiscal considérable. En effet, la Loi constitutionnelle a prévu très peu de sources de financement pour les municipalités. On leur donne au moins le droit de percevoir un impôt foncier. Sauf que les municipalités ne tirent que 8 p. 100 de toutes les recettes fiscales encaissées dans le pays. S'il existe bel et bien un déséquilibre fiscal au Canada, il est non pas entre les gouvernements fédéral et provincial, mais entre ces deux ordres de gouvernement et les administrations municipales. Il faut remédier à cette situation.
Je ne veux pas entrer dans un débat constitutionnel, mais on doit adopter une autre attitude quand vient le temps de déterminer le responsable de la mise en œuvre de ces programmes.
Quels mécanismes pourront occasionner un tel changement? J'ai une proposition dont l'application pourrait sembler insensée à l'échelle nationale, mais qui pourtant paraît logique lorsqu'elle est mise en pratique dans le cadre des Ententes sur le développement urbain. Vancouver et Winnipeg ont signé une telle entente. Ces ententes rassemblent les trois ordres de gouvernement autour de projets précis et distincts assortis d'objectifs et d'échéanciers. On pourrait peut- être se servir d'un mécanisme semblable.
L'Initiative nationale pour les sans-abri est un autre exemple. Elle visait à réunir des représentants des différents ordres de gouvernement pour qu'ils déterminent la meilleure façon d'exécuter ces programmes.
Les ententes intersectorielles méritent d'être prises en considération, car elles permettraient de susciter une volonté politique et d'assurer une surveillance continue des améliorations dans ces domaines qui peuvent se révéler utiles.
Nous devons nous demander si, dans l'ensemble, nous allons régler les questions relatives à la santé de la population et à la pauvreté ainsi que les autres dossiers connexes avec le traitement choc proposé aujourd'hui par le sénateur Hugh Segal ou si nous allons préférer une approche progressive.
Si nous souhaitons procéder par étapes, les Ententes sur le développement urbain peuvent représenter un bon moyen de faire avancer le programme du gouvernement et de réaliser graduellement les mêmes objectifs que ceux que l'on atteindrait grâce au traitement choc.
M. Lewis : Je vous remercie tous deux de vos déclarations.
Nous avons grandement parlé du gouvernement, mais, au bout du compte, comme certaines personnes l'ont dit, nous devons répondre aux attentes du public, et le public doit se mobiliser autour de ce dossier. Quand je dis « le public », je fais également allusion aux médias et aux organisations de même nature ainsi qu'au secteur privé.
Si quelqu'un a une idée, une proposition ou une analyse concernant la façon de sensibiliser davantage le public sur la question des inégalités et des disparités en santé, elle serait la bienvenue.
Nous sommes tous conscients du parallèle avec le régime d'assurance-maladie. Lorsque le dirigeant d'une banque canadienne ou le président du syndicat des travailleurs de l'automobile affirme que l'assurance-maladie est une excellente idée parce qu'elle représente un avantage économique pour le Canada, ces propos trouvent un écho chez les gens justement parce que ces personnes ne sont pas perçues comme des initiés du régime de l'assurance-maladie qui en font la promotion pour en assurer la survie.
De même, si nous voulons que la question des inégalités occupe une place importante sur la place publique, il serait également utile de trouver des défenseurs de la cause qui ne sont pas issus des groupes d'intérêt habituels, ni même des décideurs publics qui ont tendance à s'intéresser à ces affaires.
Cela étant dit, les personnes qui souhaitent intervenir peuvent le faire, et je suis impatient d'entendre vos propositions.
M. Cappe : J'ai été frappé par le commentaire de Mme Bégin sur l'absence d'une analyse de rentabilisation, et je crois qu'elle a raison, malheureusement. Toutefois, comme je l'ai expliqué au sénateur Keon, qui a demandé à quel moment nous pouvons affirmer que nous en savons assez pour agir, il me semble que, en matière de politique gouvernementale, nous faisons face à cette difficulté à tout moment et dans tous les domaines. Si nous attendons d'être certains, nous n'agirons jamais.
En fait, le Parlement du Canada a adopté une loi sur l'environnement incorporant le principe de précaution qui, essentiellement, oblige le gouvernement à agir même s'il ne dispose pas de toute l'information dont il aurait besoin. À mon avis, nous ne devrions pas attendre que l'analyse de rentabilisation soit réalisée de la façon dont les écoles de commerce le souhaiteraient, mais je crois qu'il ne faut pas renoncer à l'idée d'un consensus.
Pour revenir à la question qui nous occupe — comment susciter une volonté politique —, je ne connais pas la réponse absolue, mais je peux vous en fournir quelques éléments. Il doit y avoir un leadership fédéral. Je dis « leadership fédéral » en sachant que d'anciens fonctionnaires provinciaux ici présents sont sûrement prêts à s'en prendre à moi, mais le gouvernement fédéral n'a pas le pouvoir de mobiliser les gens, pour une raison ou une autre. Le gouvernement fédéral aurait pu être un instrument de mobilisation, mais je ne crois pas qu'il en soit capable actuellement.
On pourrait prétendre que le Conseil de la fédération, qui n'est rien de plus que la conférence annuelle des premiers ministres revisitée, possède ce pouvoir, mais, selon moi, même le conseil n'a aucun pouvoir de mobilisation.
Le gouvernement fédéral — et j'inclus les autres éléments formant le Parlement dans ce groupe — a la capacité de définir les priorités, mais cela ne se fait pas par des voies officielles. Je crois que le comité, monsieur le président, a en quelque sorte la possibilité de mener à bien cette affaire. Vous pouvez préparer le terrain pour mettre cette question en évidence.
Pensons aux ONG et au rôle qu'elles peuvent jouer. Le comité peut donner aux ONG l'occasion de proposer de nouvelles priorités. Il faut que nous trouvions le moyen de nous concentrer sur cette démarche.
Je termine en soulignant que le leadership fédéral pourrait entre autres se réaliser par la recherche et l'analyse. Pour ce qui est de la collecte de données, on a la situation en main autant qu'il est possible de l'avoir, en ce sens qu'il y a toujours de grandes lacunes, mais l'Institut canadien d'information sur la santé, l'ICIS, et Statistique Canada ont fait de bons progrès. Les bases sont solides.
Encore une fois, Mme Bégin a mis le doigt sur cette lacune, si vous me passez l'expression, à l'égard de la capacité de recherche. Je crois que les gouvernements ont sabré dans les budgets par crainte de ne pas être en mesure d'offrir les services aujourd'hui, de sorte qu'ils ont décapité l'appareil gouvernemental et supprimé sa capacité de penser. Les gouvernements sont donc incapables de s'inquiéter au sujet de l'avenir. Il est important de stimuler le secteur de la recherche et de l'analyse.
Je conclus avec un point que M. Lewis a soulevé, à savoir qu'il y a une demande et une offre de volonté politique. Le public exige de l'action, mais si le gouvernement attend que le public s'organise et exige quelque chose avant de faire quoi que ce soit, rien ne se produira. Par conséquent, en ce qui concerne ce dossier, il est clair que l'on doit s'orienter vers l'offre, c'est-à-dire que le gouvernement doit partir le bal et, d'une certaine façon, créer la demande.
Mme Lynkowski : Comme quelqu'un l'a souligné, je crois que nous devons sensibiliser le public sur ces questions. Pour ce faire, nous devons reconnaître que nous tentons d'influencer les populations et d'induire un changement social, mais il faut que notre message trouve un écho chez les gens, et nous avons failli à cette tâche.
Mme Bégin a donné un exemple éloquent qui se rapportait au mouvement de défense des droits civils. Nous savons tous que ce mouvement a pris de l'ampleur lorsque Rosa Parks a refusé de céder son siège dans un autobus, et, aujourd'hui, on attribue encore à cette dame la naissance de la lutte pour les droits civils. Il y a aussi MADD, Les mères contre l'alcool au volant, organisme fondé par une mère en deuil qui a canalisé sa peine dans un combat contre ce que nous considérons tous aujourd'hui comme un comportement socialement inacceptable.
Nous devons trouver une nouvelle façon de présenter les faits, et nous devons utiliser les médias pour diffuser notre message. Nous devons le faire délibérément et de façon proactive. Selon une étude publiée en 2007 dans le Canadian Journal of Communication — et je ne suis pas une experte dans le domaine des communications —, les journalistes en santé publique ont tendance à minimiser l'importance des déterminants sociaux de la santé et à exagérer celle du réseau de soins de santé et des habitudes personnelles ou, comme nous l'avons dit, les habitudes de vie. Ils en font une simple question d'habitudes de vie. Il est difficile de faire accepter de vastes mesures stratégiques lorsque les médias ne s'intéressent qu'aux délais d'attente dans les urgences ou à la hanche qu'on ne peut remplacer.
Il nous appartient donc — et les ONG n'ont pas fait mieux à cet égard — de présenter les faits autrement. La situation de certains peuples autochtones serait probablement le meilleur exemple que nous pourrions utiliser. En effet, lorsque nous entendons parler d'un enfant vivant dans une maison où les murs sont imprégnés de moisissures, il est assez évident que son départ dans la vie ne sera pas très productif. Je nous mets tous au défi d'assumer ce rôle. Je ne sais pas comment le sous-comité peut se servir de cette information, mais je crois que nous devons faire participer les médias.
Diana MacKay, directrice associée, Éducation et apprentissage, Conference Board du Canada : J'aimerais également faire des observations relativement à l'analyse de rentabilisation et à la distinction que l'on établit entre les capacités du secteur public et celles du secteur privé. Au Canada, nous avons tendance à nous tourner vers le gouvernement lorsqu'il y a des problèmes à régler, tandis que, dans d'autres pays, la population s'en remet plutôt au secteur privé.
D'une part, le secteur privé doit s'attacher à bien saisir les enjeux, et, d'autre part, la population et le gouvernement doivent tenter de comprendre les déterminants de la santé.
Au Conference Board, nous cherchons entre autres des moyens d'expliquer au secteur privé en quoi les déterminants sociaux ont une incidence sur la santé publique et comment il peut agir là où c'est nécessaire. J'aimerais attirer votre attention sur une étude réalisée par la Chambre de commerce de Halifax dans laquelle on calcule le coût que représente pour la province la perte de productivité causée par l'absentéisme découlant, en particulier, de troubles de santé mentale. Les auteurs de l'étude ont estimé que cette perte de productivité se traduisait annuellement par un coût de plus de un milliard de dollars pour une province de la taille de la Nouvelle-Écosse.
De plus, Deloitte Research, aux États-Unis, a mené une recherche portant sur le concept de « présentéisme », terme qualifiant l'état de certaines personnes qui semblent travailler lorsqu'elles sont assises à leur bureau, mais qui ne sont pas aussi productives qu'elles devraient l'être parce qu'elles présentent des troubles de santé mentale, vivent du stress ou sont soumises à toutes les autres circonstances de la vie quotidienne qui amoindrissent la productivité. Les déterminants de la santé se composent en grande partie d'éléments de la vie quotidienne : le logement, les activités des enfants et ainsi de suite. La recherche de Deloitte a montré que le coût du présentéisme était 32 fois supérieur à celui de l'absentéisme.
On m'a signalé que l'économie de la Nouvelle-Écosse génère peut-être pas 32 milliards de dollars, mais il y a une forte baisse de la productivité au Canada en raison de ces phénomènes. Si nous pouvons montrer aux dirigeants d'entreprise, c'est-à-dire aux personnes qui se soucient du bénéfice net, qu'ils font les frais de cette perte de productivité, car elle réduit leur bénéfice net, ils ne pourront rester indifférents devant la situation. Nous devrions préciser les secteurs dans lesquels le gouvernement et les dirigeants d'entreprises peuvent collaborer à la réalisation de diverses choses, comme des projets de construction dans les centres urbains, et nous devrions déterminer comment le milieu des affaires peut favoriser l'adoption de mesures dans les entreprises et dans la collectivité pour résoudre ces questions au Canada.
M. Lewis : Selon vous, quel est le point de vue du milieu des affaires à ce sujet? C'est une chose de reconnaître le problème, mais que faudrait-il faire pour qu'il s'en préoccupe? N'y a-t-il là qu'un argument de nature économique?
Mme MacKay : Pour être franche, je crois que c'est le seul argument possible, car c'est ce qui importe aux gens d'affaires. Nous pouvons parler des valeurs, mais notre message n'atteindra pas sa cible tant que nous n'aborderons pas la question de la rentabilité, selon moi.
M. Lewis : Croyez-vous que l'entrepreneuriat social et toutes ces nouvelles idées à propos de la responsabilité sociale des entreprises ne sont que des idées creuses?
Mme MacKay : Non, j'estime que ces concepts ont leur raison d'être, mais, à moins qu'ils ne soient étroitement associés à des concepts de nature économique, ils demeureront en marge de l'activité des entreprises : on va en parler, mais lorsque viendra le temps de prendre des décisions et d'agir, il ne se passera rien.
M. Dodge : J'aimerais revenir sur la remarque de M. Cappe selon laquelle il n'y aurait eu aucune analyse de rentabilisation et sur l'argument convaincant de Mme Bégin selon lequel nous avons besoin d'une telle analyse.
Les renseignements dont je dispose datent peut-être un peu, mais, si je me fie à la documentation, il me semble qu'il y ait une analyse de rentabilisation extraordinairement convaincante dans le domaine de la santé publique.
Le gouvernement et le milieu des affaires on collaboré lorsqu'ils ont élaboré un plan de continuité des activités en cas d'épidémie.
En fait, il est arrivé à de nombreuses occasions que des représentants du milieu des affaires et du gouvernement travaillent sur des projets communs. Nous savons qu'une telle collaboration a eu lieu à diverses reprises dans le domaine de la santé publique. L'ennui, comme l'ont précisé un certain nombre de personnes, c'est que tout ministre provincial de la santé doit affecter un ou plusieurs millions de dollars à des mesures qui donneront des résultats sur une longue période plutôt qu'à des ressources qui permettront à une personne de se faire opérer rapidement au genou ou d'accéder à quelque service que ce soit. Ces politiques exigent des choix difficiles.
En ce qui a trait à cet argument, la singularité de notre système fédéral-provincial entre en ligne de compte. À l'heure actuelle, le ministre fédéral, comme le sait très bien Mme Bégin, ne se trouve pas dans la situation où on l'interroge en chambre s'il se produit un incident à Saint-Glinglin des Meu-Meu. À mon avis, il y a un bon partenariat et une bonne division des responsabilités dans le domaine de la santé publique, car chaque ministre provincial sait parfaitement en quoi consiste l'analyse, mais il est difficile de défendre cette cause devant une assemblée législative provinciale.
À mon avis, en ce qui concerne la santé publique, premièrement, l'argumentaire est solide; deuxièmement, nous pouvons faire participer le secteur privé; et troisièmement, il y a un argument évident en faveur de la séparation des compétences du fédéral et du provincial, compte tenu des politiques avec lesquelles les ministres doivent composer.
Quant au développement de la petite enfance, les preuves sont absolument frappantes. C'est tout simplement impressionnant. Toutefois, les preuves sont si incontestables que même les universités affirment que la situation est peu reluisante, car il a été démontré qu'il vaut mieux affecter tout dollar supplémentaire ou tout dollar existant dans le développement de la petite enfance plutôt qu'ailleurs dans le réseau.
Il s'agit d'un choix difficile, mais je ne crois pas que cela est attribuable à l'absence d'une analyse de rentabilisation dans un ou l'autre de ces deux domaines. Il est difficile de plaider en faveur du changement et, comme M. Tholl l'a dit, de mettre en relief le besoin urgent de changer les choses. Voilà pourquoi je suis d'accord avec Mme Bégin. Faute d'une épidémie comme celle de la grippe espagnole qui a frappé le pays en 1919 ou de toute autre situation d'urgence qui galvanise le pays d'une toute autre manière, nous devons construire sur les pierres existantes et procéder étape par étape. Il serait extraordinairement difficile d'appliquer le traitement choc.
Il y a des arguments solides, et j'espère que le rapport du comité reflétera ce fait.
Le président : Puis-je pousser la discussion plus loin? Nous savons tous que, dans les budgets des provinces, il y a deux parties : l'une consacrée aux dépenses en santé et l'autre, à tout le reste.
M. Dodge : L'une consacrée aux « soins de santé ».
Le président : Vous avez raison. Il est important de le souligner. La partie du budget réservée à « tout le reste » englobe 11 des 12 principaux déterminants de la santé. Dans presque tous les rapports que nous avons examinés, on montre que la productivité d'un pays est proportionnelle à l'état de santé de sa population. Selon le sondage que l'on consulte, le Canada se classe quelque part entre la 15e et la 20e positions pour ce qui est de l'état de santé global de sa population, et nous obtenons un résultat semblable en matière de productivité. Peut-être que Mme MacKay aimerait revenir sur ce point.
Certainement, il est terrible que, dans un pays comme le nôtre, notre productivité soit à ce point compromise. Comment pouvons-nous présenter cette statistique sous une forme que la population et les gouvernements comprendront?
Mme Browne : Pour reprendre la question de l'analyse de rentabilisation, au Kentucky, le gouvernement peut laisser mourir une personne et ce décès n'entraînera pas pour autant une augmentation des coûts dans l'année en question. Toutefois, au Canada, si nous n'aidons pas les gens, ils utiliseront — mais de façon inappropriée — un autre service offert.
À titre d'exemple, mon unité participe à 18 études qui montrent que, si nous n'aidons pas suffisamment les gens au cours d'une année, il nous en coûtera davantage pour cette même année. Si nous offrons de l'aide à la population, nous augmenterons notre productivité. Dans l'un des cas, le taux d'abandon de l'aide sociale a doublé, ou il a augmenté de 15 p. 100, par rapport au groupe témoin. Il s'agit d'une très bonne étude; j'ai reçu un prix pour ce travail. Pour chaque tranche de 100 mères chefs de famille monoparentale qui bénéficieraient de notre intervention, nous pourrions économiser 300 000 $.
À Toronto, j'ai élaboré le plan de mise en œuvre à l'intention de la population et j'ai fait un exposé devant le comité de Deborah Matthews. À Toronto, 29 000 mères seules et 50 000 enfants dépendent de l'aide sociale. Les enfants de moins de six ans seront pris en charge par les services à la petite enfance et le programme Bébés en santé. Dans notre étude, 61 p. 100 des enfants avaient plus de six ans. Je suis en faveur de ces programmes. La mère accorde moins de temps aux jeunes enfants parce qu'elle se préoccupe de son enfant de 10 ans qui joue avec des allumettes et de celui de 15 ans qui consomme de l'ecstasy. Encore une fois, je privilégie une intervention auprès des ménages. Il nous en coûte davantage au cours d'une même année de ne pas régler cette situation.
J'ai été en mesure de leur montrer que la Ville de Toronto consacrait maintenant 295 millions de dollars par année à l'aide sociale destinée aux deux tiers des mères seules. Selon notre étude, si on augmente de 15 p. 100 le taux d'abandon de l'aide sociale, nous économiserons 60 millions de dollars. La mise en œuvre du programme complet à Toronto pour ce groupe d'âge coûterait 32 millions de dollars. Il nous en coûte actuellement plus pour l'année en cours.
M. Cappe : J'aimerais revenir à David Dodge. Qu'attendons-nous du secteur privé? Attendons-nous seulement sa permission? Autrement dit, faut-il seulement que ce secteur comprenne le bien-fondé de la démarche et convienne qu'il nous faut une politique gouvernementale mixte pour nous attaquer à ce problème, ou a-t-il un rôle plus direct à jouer?
M. Dodge : Je crois qu'il a un rôle plus direct à jouer, mais je préfère laisser à Mme MacKay le soin de répondre à cette question. Du strict point de vue de la santé publique, en ce qui concerne la continuité des activités, la réaction a été très forte. Il n'a pas été difficile de faire accepter cette proposition et nous avons compté des points dans ce dossier.
Ce qui est plus difficile à faire passer, c'est la question des enfants. Une personne qui s'absente du travail pendant une année perturbe le milieu de travail, particulièrement quand il s'agit d'une petite entreprise. D'un autre côté, si les grandes organisations veulent attirer des gens compétents, elles doivent offrir des conditions de travail attrayantes pour les femmes en âge de procréer.
Il est souhaitable pour un gros employeur — je dois faire attention ici — d'adopter un programme qui soutient les femmes en âge de procréer. C'est la seule façon d'attirer les talents qui contribueront au succès de son entreprise.
Monsieur Lewis, je ne vois aucun conflit ici. Il est important de bien structurer les éléments. C'est beaucoup plus difficile pour les PME. L'absence d'un employé dans une entreprise qui en compte cinq représente une situation beaucoup plus complexe à gérer.
Je crois que nous disposons d'excellentes possibilités de coopération. Si nous adoptons une approche adéquate, le résultat viendra presque naturellement.
M. Lewis : Madame MacKay, souhaitez-vous ajouter quoi que ce soit?
Mme MacKay : Il y a de nombreux sujets que j'aimerais aborder. Je crois que nous avons besoin de modèles dans le secteur privé qui peuvent montrer qu'une entreprise a tout à gagner à promouvoir une bonne santé.
Nous pouvons penser à des entreprises qui, à première vue, semblent n'avoir aucun lien avec cette discussion, comme Loblaws. Les supermarchés regroupent les fruits et légumes à un endroit et les bonbons à un autre. Ils mettent les bonbons près des caisses, où les mères doivent passer. J'ai quatre enfants âgés de moins de sept ans, et il est impossible de sortir de l'épicerie sans qu'ils m'aient fait acheter des bonbons.
J'aimerais bien que les épiceries changent la façon dont elles aménagent leurs rayons pour que la dernière chose que les consommateurs achètent lorsqu'ils font leur marché soit des fruits et légumes frais. La façon dont les produits sont disposés à l'épicerie guide les clients dans leurs achats. Des spécialistes du marketing s'occupent de penser à ce genre de choses. Nous avons besoin que de tels experts trouvent le moyen d'améliorer la santé de la population. Il faut ensuite qu'un pionnier dans le milieu des affaires change son modèle de gestion et mette en pratique ces principes pour montrer aux autres entreprises qu'il tire profit de ce changement, c'est-à-dire qu'il accroît ses bénéfices.
C'est exactement ce que je veux dire lorsque j'affirme qu'il faut que le secteur privé participe. Nous devrions cerner les acteurs du secteur privé qui pourraient avoir une incidence sur la santé de la population au Canada. Le gouvernement pourrait peut-être prendre des mesures pour inciter les entreprises à s'engager.
Dr Butler-Jones : Soit dit en passant, il y a 15 ou 20 ans, nous avons travaillé avec des épiceries locales et avec Loblaws pour mettre en place une initiative semblable dans le comté de Simcoe. Ce projet a été abandonné pour de nombreuses raisons.
C'est une question d'engagement. J'ai aimé la façon dont Mme Bégin a décrit la solution, soit comme un ensemble de processus parallèles. Il n'y a pas qu'une seule manière d'atteindre nos objectifs. Chaque génération découvre par elle-même quels sont les enjeux mobilisateurs. Il y a eu des épidémies de choléra et de varicelle dans les premier temps du mandat de Disraeli. Par ailleurs, dans la deuxième partie de ce siècle, l'armée britannique ne pouvait recruter assez de soldats pour mener la guerre des Boers parce que les candidats étaient en trop mauvaise santé pour combattre. Cette situation a engendré des problèmes de logement, de financement et ainsi de suite.
Act Now B.C. est une initiative intergouvernementale dans le cadre de laquelle on examine la question de l'activité physique sous l'angle des politiques et d'autres aspects. En partie, cette initiative découle non seulement d'une prise de conscience à l'égard de l'importance de ces questions, mais aussi des données convaincantes issues d'une analyse de rentabilisation qui révélaient que, si le gouvernement ne prenait aucune mesure radicale pour faire de la prévention en santé publique, d'ici une dizaine d'années, tout l'argent devrait être affecté au ministère de la Santé et peut-être au ministère de l'Éducation.
Les analyses de rentabilisation me rendent nerveux. Il existe des analyses de rentabilisation probantes sur un large éventail de questions. Elles peuvent ne pas être totalement cohérentes, ne pas tenir compte de tous les détails et ne pas couvrir l'ensemble du sujet, mais si nous y regardons de plus près, nous constaterons que nous disposons de bon nombre d'éléments pour faire une analyse de rentabilisation. Ce qui est frappant, c'est que nous avons un parti pris. La raison en est simple : l'analyse de rentabilisation n'est pas suffisante, même si elle est solide. Je ne peux compter le nombre de fois où quelqu'un m'a dit pendant une discussion : « Toute cette prévention et cette promotion de la santé, c'est bien beau, mais les gens vivent plus longtemps, ils doivent consulter un médecin, ils nous coûtent plus d'argent, ils reçoivent une pension, et cetera. » Certaines personnes se demandent donc pourquoi on devrait investir dans la prévention, alors que, au bout du compte, elle ne nous permet pas d'économiser de l'argent.
Pourquoi m'a-t-on traité pour l'asthme lorsque j'étais enfant? Je représente des coûts pour le réseau de la santé. Je vais peut-être même prendre ma retraite un de ces jours. Pourquoi, d'une certaine façon, le fait de vivre plus longtemps et en meilleure santé représente-t-il un fardeau, alors que de tomber malade, d'être traité et de mourir à un âge précoce est considéré comme le cours normal des choses?
L'autre aspect important consiste à trouver ce qui interpelle les gens. Cette question nous ramène aux enjeux mobilisateurs de chaque génération et aux préoccupations des entreprises. Qu'est-ce qui suscite leur attention? Nous nous soucions évidemment tous des enfants et nous savons que leurs cheminements sont très tôt définis. Il est important de cerner et de révéler les faits réels et de démontrer le bien-fondé d'une telle démarche. Toutefois, bien qu'elle soit nécessaire, l'analyse de rentabilisation n'est pas suffisante.
Certains mécanismes qui vont en ce sens sont déjà en place. Comme le Canada fait partie de la Commission de l'OMS, par l'intermédiaire de Mme Bégin qui en est membre, le pays finance quatre des rares réseaux de savoirs : deux au sein de l'Agence de la santé publique du Canada, un au Centre de recherches pour le développement international, soit le CRDI, et, enfin, un à l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI. Le Canada finance également le Groupe de référence canadien pour apporter une contribution canadienne au développement du savoir.
En outre, nous avons créé des centres d'excellence qui se penchent sur ce genre de questions d'ordre pratique, en collaboration avec les Instituts de recherche en santé du Canada et d'autres organismes. On compte également le Réseau pancanadien de santé publique. Et j'en conviens sans détour : si le savoir reste confiné au domaine de la santé, si nous n'abordons les questions qu'à l'interne, nous n'irons nulle part, que ce comportement s'explique par une certaine forme d'impérialisme ou autre chose. Toutefois, les mécanismes qui sont en place dans le réseau de la santé publique permettent de mobiliser l'ensemble des secteurs et de remonter la filière jusqu'à la Conférence des sous- ministres, à laquelle je siège, laquelle s'assurera de faire rapport aux ministres.
J'aimerais aborder un autre point dont nous avons peu discuté jusqu'à présent, soit le rôle des universités, les choix qu'elles font et la formation qu'elles offrent pour que les professionnels de demain acquièrent les compétences nécessaires au soutien du travail que nous devons accomplir. En outre, les universités doivent comprendre suffisamment les enjeux actuels pour ne pas faire obstacle aux changements qui s'imposent. Il s'agit d'un point important, car certaines personnes prétendent que ces améliorations sont une perte de temps parce qu'elles augmentent la longévité, alors que je croyais que c'était là la raison d'être du réseau de la santé.
Pour ce qui est du financement de la recherche, la plupart de ces questions concernent diverses institutions. Elles ne relèvent pas seulement des IRSC, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le CRSNG, ou du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le CRSH. Les questions de nature environnementale, biologique, et cetera, doivent faire l'objet de recherches intersectorielles. C'est ce qu'on envisage actuellement, mais je ne sais pas jusqu'à quel point nous pourrons progresser dans ce domaine.
À l'instar du rapport de Michael Marmot, du rapport de la Commission et des travaux du comité, le premier rapport de l'administrateur en chef de la santé publique, qui sera obligatoirement soumis au Parlement chaque année, brossera un portrait de la santé publique au Canada. Le rapport présentera les renseignements habituels, c'est-à-dire les données indiquant si nous sommes en bonne santé ou non et la comparaison de notre état de santé avec celui d'autres pays, et il comportera un thème, soit les inégalités en matière de santé. Outre les inégalités et les problèmes sous-jacents, le rapport traitera des mesures mises en place pour remédier à la situation et exposera comment les différents échelons de la société, à savoir les individus, les collectivités et les gouvernements, s'attellent à contrer les disparités en matière de santé.
J'espère que le rapport sera utile aux membres du comité au cours de ses consultations futures. J'espère qu'il sera présenté avant l'été.
M. Lewis : Il reste cinq intervenants à l'ordre du jour, et nous ne disposons plus que de 15 minutes.
Mme Potvin : Je vais poursuivre exactement là où M. Dodge a laissé. J'aimerais d'abord parler du premier rapport de l'administrateur en chef de la santé publique du Canada, qui portera sur les disparités en matière de santé. Je vais limiter mes observations à Montréal.
En 1998, la Direction de la santé publique de Montréal a publié son premier rapport, intitulé Les inégalités sociales de la santé, document qui a fait boule de neige et attiré l'attention des autres secteurs. On ne peut présenter un rapport sur les inégalités en matière de santé si on n'est pas disposé à siéger à de nombreux comités examinant des questions telles que les transports et l'éducation. L'exemple de Montréal montre qu'un tel rapport ne constitue que la première étape.
J'aimerais ajouter, en réponse à Mme Bégin, que les analyses de rentabilisation sont une bonne chose, mais je préférerais parler d'analyses sociales. Lorsque le secteur privé se mêle de la santé, il lui vient des idées bizarres.
Parlez à quiconque a affaire avec la Fondation Chagnon à Québec, et on vous confirmera que l'enfer est pavé de bonnes intentions et de bonne volonté. Vous ne passez pas Go et vous ne réclamez pas 200 $. Je ne suis pas certaine que les Bill Gates de ce monde nous viennent beaucoup en aide.
Que je sache, selon diverses publications canadiennes, nous pouvons miser sur plusieurs choses pour aller de l'avant. Si j'ai bien compris, l'Accord de 2003 des premiers ministres sur le renouvellement des soins de santé dit que le réseau de la santé sert à améliorer la santé des Canadiens et à réduire les inégalités. Nous avons là les assises sur lesquelles nous pourrions nous appuyer.
En terminant, j'aimerais vous faire remarquer que, lorsque l'on décide de se comparer avec d'autres pays, il faut le faire avec des pays qui s'imposent comme une référence. Ce n'est qu'à ce moment qu'on pourra faire des choix judicieux. On a tendance à se comparer avec nos voisins du Sud, et en utilisant les mauvais indicateurs. Par exemple, on fait la comparaison des temps d'attente pour les soins de santé entre le Canada et les États-Unis, mais on ne compare pas les deux pays sur le plan de l'accès aux soins de santé. On compare l'espérance de vie des Canadiens avec celle d'autres nationalités, et on obtient de bons résultats. Toutefois, lorsqu'on se compare avec des sociétés égalitaires comme le Danemark, la Norvège ou la Suède, on fait piètre figure, car on se classe alors au 25e rang.
Je demande avec insistance qu'on se compare avec des pays qui sont des modèles du genre, et qu'on prenne l'habitude de le faire. On devrait se comparer avec des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques, soit l'OECD, et probablement avec l'Australie.
Mme Manson Singer : Je reviens à la déclaration de M. Cappe au sujet du rôle de premier plan que devrait jouer le gouvernement fédéral. J'appuie fermement son point de vue.
Je songeais à l'utilité concrète d'expliquer au ministre de la Santé de Terre-Neuve-et-Labrador qu'il devrait dès maintenant prendre position en faveur de la collecte de données sur les indicateurs de qualité de la santé ou à favoriser une grande mobilisation autour des déterminants sociaux de la santé. Je ne crois pas qu'il serait particulièrement réceptif à ma proposition. En fait, cela reviendrait à lui demander de se mettre la corde au cou, ce qui ne fait pas partie du rôle d'un sous-ministre.
Pour revenir à la santé de la population, nous parlons de la vision que nous avons de notre pays. Que souhaitons- nous pour nos gens? À quoi voulons-nous que ressemble le Canada? Il appartient au gouvernement fédéral d'être le maître d'œuvre du Canada dans lequel souhaitent vivre les Canadiens. En passant le témoin au gouvernement fédéral pour qu'il exerce son leadership, nous exprimons l'obligation que nous avons envers nous-mêmes, en tant que citoyens, de donner une idée du genre de pays que nous voulons. À mon sens, ce travail ne relève pas seulement d'un seul ministre de la santé; il est l'expression de ce que nous souhaitons comme Canadiens.
Dans ce rapport, je demande instamment que nous précisions au gouvernement fédéral qu'il a non seulement le droit, mais également l'obligation d'exercer son leadership. Selon moi, le fait que le gouvernement fédéral joue un rôle de premier plan reflète notre identité et nos valeurs.
Mme Yalnizyan : Principalement, cette séance vise à déterminer comment susciter une volonté politique — et tout est une question de contexte. La situation politique constituera un bon indice d'où en est rendue la population.
Lorsque le Centre canadien de politiques alternatives a donné le coup d'envoi à son projet relatif aux inégalités en matière de santé, il a d'abord sondé la population et formé des groupes de discussion pour connaître l'opinion des gens sur les inégalités et les disparités en matière de santé. Grâce à un sondage national mené par Environics, nous avons appris qu'un Canadien sur deux estime que seulement quelques chèques de paie les séparent de la pauvreté. Lorsqu'on examine les données, on remarque que cette réponse ne tient compte ni de la région ni du revenu des répondants. On ne parle pas de pauvreté, ici; ce que les gens expriment, c'est leur insécurité financière.
La deuxième chose qui ressort de ce sondage, c'est que tout parti politique qui appliquerait les quatre mesures suivantes recueillerait l'appui politique de 80 p. 100 des Canadiens, peu importe les allégeances politiques, le revenu ou la région. Ces quatre mesures, par ordre de priorité, sont les suivantes : une éducation postsecondaire abordable pour leurs enfants; un logement plus abordable; des services de garde qui ne sont pas seulement destinés aux enfants de moins de cinq ans, car les enfants plus âgés ne sont pas laissés à eux-mêmes dès qu'ils vont à l'école à temps plein; et, enfin, une augmentation du salaire minimum qui ferait qu'une personne travaillant à temps plein toute l'année pourrait s'affranchir de la pauvreté. Le salaire minimum serait augmenté à un taux permettant à une personne travaillant à temps plein, toute l'année, de demeurer au-dessus du seuil de pauvreté.
Ces quatre éléments étaient jugés prioritaires par plus de 80 p. 100 de la population, tandis que certaines d'entre eux récoltaient l'appui d'environ 76 p. 100 des personnes d'allégeance conservatrice en Alberta. Je peux fournir les résultats du sondage aux personnes qui souhaiteraient le consulter.
En ce qui concerne la création d'une volonté politique, je suis pleinement d'accord avec Mme Manson Singer sur le fait qu'un leadership fédéral est nécessaire et que le gouvernement fédéral doit donner le ton. Ce n'est pas tout de se demander ce qu'on pourrait bien faire pour aider les pauvres. Je ne crois pas que le discours des déterminants sociaux de la santé interpelle les gens. Et, selon moi, même le discours sur la réduction de la pauvreté ne trouve pas un écho dans la population. Les gens doivent pouvoir s'identifier et reconnaître leurs insécurités dans les actions du gouvernement.
Ces quatre éléments — l'éducation postsecondaire, les services de garde, le logement et l'augmentation du salaire minimum de façon à ce qu'une personne travaillant à temps plein, toute l'année, puisse s'affranchir de la pauvreté — sont le reflet de leurs préoccupations et de leurs insécurités. La liste est courte, mais elle englobe tous les déterminants sociaux de la santé en question.
Il ne faut pas uniquement se soucier de l'éducation de la petite enfance, soit les enfants de moins de cinq ans, parce que les jeunes de la génération sacrifiée ont entre 10 et 15 ans. Mme Browne a parlé de ce que vivaient les membres de ce groupe. Il y a deux ans, on a mis sur pied des comités formés de représentants provenant des échelons fédéral, provincial et municipal pour qu'ils s'occupent de la question des armes à feu et des gangs de rue, et ils tentent toujours de trouver des initiatives qui aideraient ces jeunes à sortir de la rue. L'un des parents ou les deux travaillent à temps plein, et les enfants n'ont accès à aucune activité parce qu'ils habitent dans des quartiers défavorisés. Il est impossible d'obtenir du financement pour aider ces jeunes. Ne pensez pas que l'éducation de la petite enfance se termine en première année.
Encore une fois, en ce qui concerne la façon de déterminer le moment politique opportun pour susciter une volonté politique tant au sein du gouvernement fédéral que dans les collectivités, je crois que je suis d'un optimisme à tous crins. Je pense que le vent est en train de tourner, sûrement sous l'effet de la campagne de Barack Obama, dont le slogan « yes, we can » est contagieux.
Les gens recommencent à croire que les gouvernements — quels qu'ils soient —peuvent faire quelque chose pour eux s'ils prennent les mesures nécessaires et qu'ils déclarent qu'elles visent non pas à réduire la pauvreté, mais à accroître la prospérité. C'est exactement ce que dit votre programme; il ne s'agit pas de parler d'une « analyse de rentabilisation ». Vous devez dire : « Quel est l'argumentaire économique » et, entre guillemets, « l'argumentaire pour la prospérité [...] ? » Je peux vous assurer qu'il s'agit d'un argumentaire pour la prospérité. On vise à augmenter la sécurité économique, car la population ne se sent pas en sécurité actuellement.
Une décennie de croissance effrénée va bientôt se terminer au Canada. Nous devrions avoir honte de ne pas en avoir fait davantage. C'est le moment d'aller de l'avant. Il y a un programme à mettre en œuvre, si jamais un parti politique à l'échelon fédéral est disposé à faire le saut.
M. Osberg : Mme Yalnizyan a dit, en grande partie, tout ce qu'il y avait à dire. La seule chose que j'aimerais souligner, c'est que la sécurité, l'anxiété et le stress que vit une personne pendant de nombreuses années ont une incidence sur sa santé, surtout si elle est chef de famille monoparentale. Nombre de personnes sont particulièrement vulnérables aux stress économiques auxquels elles sont exposées, maintenant plus que jamais. Elles sont beaucoup plus désavantagées parce que le gouvernement a sabré dans les programmes sociaux au cours des dernières années.
M. Reading : Je regardais le dernier rapport sur l'état de santé de la population, document qui a évalué 360 programmes et services offerts aux Autochtones par 30 ministères et organismes du gouvernement fédéral. Bon nombre de personnes ont fait remarquer que nous devrions aligner ces programmes et services sur l'objectif relatif à l'amélioration de la santé. C'est ce que nous n'avons pas fait. Les ministères tirent dans toutes les directions et, de fait, ratent la cible.
On a proposé une idée fantastique, soit celle de créer un comité du Cabinet chargé d'examiner les déterminants sociaux de la santé. Je suis un chercheur et je me préoccupe des déterminants sociaux. Le fait que les disparités et les inégalités rendent les personnes vulnérables suscite bien des débats. Le Canadien moyen ne s'intéresse guère aux rouages internes de l'affaire et à ses ramifications. Nous étudions ces questions, mais les gens s'intéressent à l'amélioration de la santé des Canadiens. Un comité du Cabinet s'occupant d'harmoniser les politiques gouvernementales pour améliorer la santé des Canadiens et réduire la vulnérabilité des générations futures constituerait un programme beaucoup plus viable et vendable sur le plan politique que la question des « déterminants sociaux », expression un peu pompeuse.
Il semble qu'il y ait un manque de vision. Nous avons toutes sortes de programmes sociaux au Canada qui offrent ces services, mais ils n'ont pas été harmonisés au cours des dernières années. L'idée, c'est de les coordonner selon une certaine vision, de les mettre en œuvre de façon progressive au moyen d'investissements stratégiques et de se fixer des objectifs précis et mesurables. Le rapport explique également que le gouvernement fédéral a établi un ensemble d'objectifs en partenariat avec les provinces, mais que ces objectifs n'ont jamais été réalisés. Si cela n'a pas eu lieu, c'est que le plan était boiteux et n'a pas reçu l'appui politique d'un comité du Cabinet, qui aurait pu mettre cette initiative en place.
Mon dernier point porte sur Regent Park, à Toronto, une expérience sociale menée au Canada dans les années 1950 par des personnes bien intentionnées qui se sont réunies dans une salle comme celle-ci pour trouver des moyens d'améliorer la santé publique des populations vulnérables vivant en milieu urbain. Cette initiative a été un échec monumental, entre autres parce que les responsables du projet n'ont jamais consulté les personnes qui vivaient dans ce quartier défavorisé pour savoir comment elles souhaitaient améliorer leur santé et leur bien-être. L'enfer est pavé de bonnes intentions. Maintenant, la Ville de Toronto essaie de réinventer le quartier de Regent Park pour en faire un endroit agréable pour les gens qui y vivent. À mon sens, l'engagement de la collectivité est essentiel, et une telle participation est directement liée à la volonté politique.
Le président : Nous allons entamer la dernière partie de notre séance, qui porte sur le quatrième thème. M. Lewis animera cette partie. Je puis vous assurer que nous allons la terminer à 16 heures. Sans plus tarder, je cède la parole à M. Lewis.
M. Lewis : Dans le cadre de cette dernière partie, nous tenterons de trouver le moyen de susciter un certain sentiment d'urgence pour faire accélérer le processus. Comme nous sommes un groupe nombreux formé de personnes issues de divers milieux, il se pourrait que nous ayons de la difficulté à parvenir à un consensus. Toutefois, nous souhaitons que vous nous disiez exactement ce que vous croyez que nous devrions faire. Nous avons déjà cerné certaines des priorités.
Avant de poursuivre, j'aurais deux questions à poser : une à Mme Yeates et l'autre au sénateur Eggleton.
Madame Yeates, compte tenu de ce que vous avez entendu aujourd'hui, que déduisez-vous de la discussion portant sur le programme d'information et d'analyse que le gouvernement devrait mettre en œuvre? Quelles sont les lacunes que nous devrions nécessairement combler?
Cela peut se rapporter directement ou non à votre propre mandat. On peut établir un lien entre Statistique Canada et autre chose.
Mme Yeates : Un certain nombre d'éléments me viennent en tête. D'abord, les gens ont parlé du jeu des indicateurs. L'accent a été mis sur les temps d'attente, ce qui nous a amenés à les mesurer, à signaler la situation et à intervenir. Cela a créé une demande pour des mesures de la santé publique, et, idéalement, elle devrait entraîner une demande pour une mesure des inégalités. D'autres pays mesurent cet aspect. Cela aurait pour effet de stimuler la recherche servant à déterminer quelles mesures seraient utiles, et, au fil du temps, nous aurions une idée de notre rendement à l'égard de ces mesures. Cela stimulerait la demande.
Ensuite, je reviens à la création d'un environnement propice au couplage de données. Dans un sens, alimenter une base à partir de données concernant des mesures de la santé publique sur une certaine période de temps, c'est principalement être en mesure de grouper ces données. À l'heure actuelle, cette capacité est entravée par de nombreuses barrières, dont la plupart pourraient disparaître si on y travaillait. Il ne s'agit pas d'obstacles qui ne peuvent être surmontés. Toutefois, pour en venir à bout, on devra y consacrer du temps et de l'énergie. Nous devons réunir ces données pour l'ensemble du pays plutôt que pour de petits groupes isolés. Ces couplages pourraient avoir lieu à l'échelon local, provincial et national. Leur création représenterait une énorme réalisation.
Troisièmement, le dossier médical numérique et le dossier médical électronique sont, selon moi, les outils qui nous permettront bientôt de réaliser ce type de couplage. Je constate qu'ils ne comptent pas beaucoup d'opposants. En fait, personne n'a vraiment réfléchi à cette option de façon approfondie jusqu'à maintenant. Nous avons besoin de quelqu'un qui saura montrer que ce sont des outils puissants pouvant nous alimenter de façon continue en données sur la santé publique qui sont peu coûteuses et non répétitives. Il s'agirait de méthodes hautement efficientes. C'est un rôle crucial, car la plupart des gens ne poussent pas la réflexion si loin.
Quatrièmement — Mme Potvin a également mentionné ce point —, il serait très important d'avoir une bonne idée des méthodes qui fonctionnent. Il faut répéter l'exercice de l'analyse de rentabilisation maintes et maintes fois. La barre est haute en raison de la période de latence et de toutes les difficultés qui ont été évoquées. Nous ne consacrons pas beaucoup de ressources à cette question dans nos programmes de recherche.
Le gouvernement fédéral est un important bailleur de fonds des recherches et peut jouer un rôle en utilisant une grande partie de ces activités de recherche pour déterminer quels sont les mécanismes qui donnent des résultats. C'est une chose de reconnaître qu'il y a un problème, mais c'en est une autre de trouver des moyens de le résoudre. Au bout du compte, les gens voudront savoir si les mesures adoptées ont vraiment une incidence, ce qui est tout à fait légitime.
Sur le plan biomédical, il serait tout indiqué de concevoir une initiative globale servant à déterminer si l'approche choisie fonctionne. Nous ne disposons pas d'une telle initiative. C'est un inconvénient si nous n'avons pas cette capacité de recherche interventionnelle.
Enfin, il faut penser à la diffusion du mandat. Aucune organisation dans le pays ne peut à elle seule résoudre ce problème. Comme j'ai passé le plus clair de ma carrière au sein de l'appareil gouvernemental, je sais que certaines questions, de par leur nature, mettront les gouvernements mal à l'aise. Nous devons penser à diffuser régulièrement le message concernant ces préoccupations.
Mes propos peuvent sembler intéressés venant d'une représentante d'un organisme extérieur au gouvernement. Par conséquent, je m'empresse d'ajouter que nous pourrions remplir ce rôle, et je crois que d'autres pourraient également le faire. Je sais qu'il peut être difficile d'accomplir ce mandat au sein d'un gouvernement.
M. Lewis : Sénateur Eggleton, vous avez évoqué la notion intéressante du déséquilibre fiscal. Vous avez été maire d'une ville canadienne qui a mis le problème des disparités en matière de santé sur un pied d'égalité avec d'autres problèmes importants. Par exemple, le Toronto Board of Health a joué un rôle de premier plan appuyé sur une vision pour l'avenir.
N'hésitez pas à m'interrompre si j'infère trop de choses de ce que vous avez dit. Vous avez affirmé, si je ne m'abuse, que nous devrions affecter plus de ressources financières à l'échelon municipal, qui pourrait obtenir de meilleurs résultats que nous s'il s'occupait de ce dossier. On retrouve beaucoup de capital social à l'échelon municipal, et l'échelle est assez modeste, même dans une grande ville, pour que l'administration puisse faire des progrès. Les déterminants de la santé sont visibles à cette échelle.
Voilà ce qui résume vos commentaires.
Le sénateur Eggleton : Je n'aurais pas pu dire mieux. Vous avez bien résumé mes observations.
Je ne crois pas que les différents ordres de gouvernement s'entendront sur une nouvelle répartition des recettes fiscales. Il serait bien que les administrations municipales puissent percevoir des impôts plus progressifs, comme un impôt sur le revenu ou une taxe de vente. Je ne crois pas qu'on pourrait appliquer un tel mécanisme directement, mais on pourrait le faire d'une manière indirecte. C'est ce qui se produit actuellement pour ce qui est de la taxe sur l'essence qui revient aux administrations locales pour l'entretien des infrastructures, qui est l'une des tâches importantes qui incombent aux municipalités.
Il pourrait y avoir un double transfert des responsabilités, comme on l'appelle. Le gouvernement fédéral pourrait transférer des fonds, par l'intermédiaire du gouvernement provincial — puisqu'ils veulent qu'on se conforme au régime constitutionnel —, aux municipalités.
Dans le cadre d'une entente sur le développement urbain, si le gouvernement fédéral est disposé à transférer ces fonds, il a l'obligation de faire en sorte que l'échelon qui logiquement doit fournir le service en question dispose des fonds et des ressources nécessaires à l'accomplissement de son rôle.
M. Lewis : Nous vous invitons maintenant à définir quelles seraient les priorités. Nous vous demandons d'être aussi concrets que possible et d'être aussi fermes que vous avez envie de l'être lorsque vous donnerez votre opinion sur les moyens que devrait prendre le sous-comité pour accélérer la mobilisation autour du programme relatif aux inégalités en matière de santé.
Aujourd'hui, vous avez pu vous faire une bonne idée du point de vue de chacun. Nous ne nous attendons pas à ce que vous consentiez à toutes les propositions. Toutefois, faites quelques suggestions : nous pourrons en discuter et voir où elles peuvent nous mener.
Mme Bégin : J'ai écouté les discussions de mes collègues pendant la pause. Il n'y a aucune analyse de rentabilisation, dans le sens classique du terme, que nous utilisons habituellement au Canada. Mme Yalnizyan a fait allusion à l'étude réalisée par Environics et aux quatre préoccupations principales des Canadiens. Ce genre de discours équivaut à une analyse de rentabilisation. Je vous demande : « Pourquoi faut-il absolument une analyse de rentabilisation? » Les idéalistes rêvent de remplacer le mot « équité » par des termes qui reflètent la justice sociale. Je suis désolée, mais il s'agit-là de deux choses différentes.
Mme Yalnizyan n'a jamais utilisé l'expression « déterminants sociaux de la santé ». Ce n'est pas moi qui ai parlé des quatre préoccupations des Canadiens, mais, si je me rappelle bien, l'une se rapportait au logement et l'autre, à la sécurité financière. Si on présente aux Canadiens un programme favorisant la prospérité, et cetera, qui mentionne ces quatre éléments, à mon avis, cela équivaudrait à une analyse de rentabilisation. Ce langage serait compris par la vaste majorité de la population, et c'est celui dont nous avons besoin. Il s'agit d'une mesure positive.
M. Cappe : J'aimerais discuter de la collaboration. Il semble qu'il y ait un thème ou une tendance qui se dégage des conversations. Selon mon expérience au sein du gouvernement, un programme n'existe pas tant qu'il n'arbore pas un acronyme. J'aimerais qu'on crée plus de sigles et d'acronymes. Je veux parler de FPT et d'AGC.
L'un des mes anciens collègues m'a déjà dit que ce sont les apôtres de la création des acronymes au Bureau du Conseil privé qui permettent au gouvernement de fonctionner.
FPT signifie « fédéral-provincial-territorial », à savoir une collaboration entre ces ordres de gouvernement, et AGC renvoie à l'approche gouvernementale commune. Nous utilisons ces sigles en croyant savoir ce qu'ils signifient, mais je ne crois pas que nous comprenons en quoi consiste une collaboration ou une coopération fédérale-provinciale- territoriale, ou une approche gouvernementale commune.
En 1994, en tant que sous-ministre, j'ai présidé un groupe qui s'est penché sur le travail horizontal. Cette expression renvoie non pas à la position couchée, mais plutôt à la collaboration. Nous avons découvert ce qui était l'évidence même. Nous comptons 450 années d'expérience collective dans la prestation de services publics, et nous avons compris qu'il nous fallait harmoniser les objectifs. Nul ne s'oppose à l'amélioration de la santé publique, mais il est difficile de transformer cet objectif en quelque chose de gérable que les ministres provinciaux des Finances et du Conseil du Trésor peuvent appuyer.
L'harmonisation des objectifs est essentielle. Le respect des compétences n'est pas sorcier. Il est également important de ne trop se préoccuper des chasses gardées, mais cela nous donnera beaucoup plus de fil à retordre. Reconnaissons les bons coups, évitons de blâmer les autres et récompensons les personnes pour leur bonne conduite. Il est nécessaire d'adopter ces principes de base d'une bonne gestion et d'une bonne coopération.
Toutefois, il est beaucoup moins aisé de mettre ces principes en pratique. Parfois, la conjonction des forces de chacun nous permet d'atteindre nos buts. Nous avons eu la chance d'assister à la création de la Prestation nationale pour enfants, l'une des mesures qui sont le fruit d'une collaboration entre les ministres.
Pensons à l'époque où Pierre Pettigrew était ministre de Ressources humaines et Développement social Canada et Stockwell Day était ministre des Services sociaux du gouvernement de l'Alberta. Ils n'étaient pas exactement des alliés politiques, mais ils ont coordonné leurs actions pour améliorer la santé de la population et augmenter les prestations destinées aux enfants défavorisés.
Il y a des moyens d'y parvenir, et je souligne à grands traits le besoin de coopération. En fin de compte, je ne crois pas que les Canadiens soient en faveur d'un environnement politique acrimonieux. Je crois qu'ils préfèrent la réussite, et c'est ce que nous devons viser.
Le Dr Reading : Pour ce qui est des priorités, je crois évidemment qu'il faut mettre l'accent sur l'amélioration de la santé des Autochtones. On a tendance à croire, particulièrement au sein du gouvernement, que les Premières nations et les Inuits souhaitent obtenir un traitement de faveur. Or, ce qu'ils veulent, c'est être traités équitablement. On ne les met pas sur un pied d'égalité avec le reste de la population, et le principe d'égalité est important.
Ce qui préoccupe le gouvernement actuel, c'est le concept même de Premières nations et leurs droits particuliers, et cetera. Je crains qu'on applique un jour une solution radicale pour régler la situation, mais je ne peux prédire quand cela se produira. J'espère qu'un filet social sera en place lorsqu'on décidera d'appliquer cette solution, car il s'agira d'une expérience effectuée en temps réel, avec de vraies personnes, de vrais progrès et de vrais échecs.
Il ne faut pas oublier que les jeunes Autochtones affichent le taux de suicide le plus élevé du monde, ce qui constitue un bon indice des circonstances extrêmement difficiles dans lesquelles ils évoluent. Nous fermons les yeux sur cette situation. On ne la voit pas, on n'y pense pas; n'essayons pas de régler le problème. Ces circonstances peuvent s'améliorer, mais elles peuvent également s'aggraver.
Voici mes trois propositions concrètes : premièrement, présentez les faits comme une question fondamentale de droits de la personne. Deuxièmement, penchez-vous sur la sécurité du revenu, particulièrement à l'égard des familles qui comptent des enfants, et pensez à mettre en place un filet social pour ces familles s'il n'y en a pas à l'heure actuelle.
Troisièmement, on a longuement discuté de l'éducation de la petite enfance, principe que j'appuie, et j'ai participé aux activités du groupe de Fraser Mustard pendant un certain nombre d'années. Ce que les gens ne savent peut-être pas, c'est que seulement 25 p. 100 des Autochtones du pays bénéficient du Programme d'aide préscolaire aux Autochtones. Certes, un levier stratégique public permettrait d'appliquer le programme à la totalité des Autochtones. Nous savons que cela fonctionne. Sept présidents aux États-Unis ont tour à tour appuyé l'équivalent de ce programme là-bas. Grâce au Perry Preschool Program et à diverses études, nous savons qu'un tel programme est efficace.
Au Canada, c'est l'évidence même, particulièrement dans les collectivités autochtones.
M. Wright : Assurez-vous de concentrer vos efforts, peu importe ce que vous entreprenez. On ne peut pas plaire à tout le monde. Il ne s'agit pas d'être la saveur du mois. C'est ce qui arrive constamment. On doit consacrer temps et efforts à cette cause, comme on l'a dit plus tôt, et la défendre en faisant preuve de leadership.
Je crois que nous pourrions concentrer nos actions sur les enfants. Tout le monde se sent interpellé par les enfants d'une façon ou d'une autre, qu'il s'agisse des grands-parents ou des parents, ou parce que nous-mêmes avons déjà été des enfants. Certains d'entre nous le sont toujours. Il s'agit d'une occasion extraordinaire de cibler tous les aspects se rapportant aux enfants. Accordons également une attention particulière aux enfants autochtones.
J'encourage les sénateurs à penser ainsi. Les ententes sur le développement urbain sont un bon modèle à utiliser. Il n'y a pas un modèle unique qui sied à toutes les provinces. Les besoins varient selon les provinces et les municipalités, et les ententes sur le développement urbain peuvent être adaptées aux particularités.
Le président : Je suis tout à fait d'accord. En fait, j'avais des idées préconçues, et elles vont changer selon ce que nous entendrons au fil des interventions. Je croyais que, lorsqu'il était question des programmes, la priorité devait être accordée à la santé maternelle et au développement de la petite enfance. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. À mon avis, si un enfant naît d'une mère qui n'est pas en santé, il ne part pas du bon pied. Par conséquent, nous devons aider la mère.
En ce qui concerne le développement de la petite enfance, j'ai tiré les vers du nez à Mme Potvin et à Mme Manson Singer ce matin; elles m'ont donné la réponse que je cherchais. Dans ce dossier, il sera important de déterminer comment nous allons régler la situation pour que tout soit fait dans les règles de l'art et qu'aucun mouvement politique qui prétend se soucier des enfants mais qui, en réalité, leur fait du tort, ne puisse s'immiscer dans cette affaire.
J'aimerais que vous commentiez davantage ce point. Je veux être certain d'obtenir votre opinion.
M. Wright : Je crois que vous avez exprimé notre point de vue de façon plus que satisfaisante. Je vais commencer par le début, c'est-à-dire le parent et ses compétences ainsi que les soins prénataux et postnataux.
J'ai fait un argumentaire en faveur de programmes encourageant l'application d'une résine de scellement sur les dents des enfants, mesure qui est simple et facile à mettre en place. Ces programmes améliorent grandement la santé dentaire des enfants dans le pays. Les enfants ont besoin de programmes de cette nature.
Je crois que vous avez mis le doigt sur la solution. Si l'on procède étape par étape en concentrant nos efforts, nous obtiendrons des résultats incroyables.
M. Dodge : Je n'ai pas grand-chose à ajouter, car il s'agit exactement des questions que je juge prioritaires, comme je l'ai dit plus tôt.
Vous devrez jouer avec les mots, mais l'avantage, lorsqu'on concentre ses actions sur les enfants, c'est qu'on peut parler de création de possibilités. Si un enfant ne connaît pas un bon départ, il est cuit. Ce principe s'applique à tous les domaines, mais il est particulièrement pertinent lorsqu'il est question d'avoir une vie saine et productive. On peut alors utiliser ce point central comme une plateforme pour s'occuper des questions spéciales se rapportant aux Autochtones, ce qui relève clairement du gouvernement fédéral, et on peut s'en servir comme une plateforme pour aborder la question de la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Certaines choses relevant de la compétence fédérale vont bien.
Vous pouvez également régler cet aspect en vous appuyant sur la plateforme relative à la santé publique. Je crois que nous ne devrions pas perdre de vue qu'il est primordial que l'excellent programme de vaccination soit maintenu, et, soit dit en passant, ce programme suscite actuellement des réticences chez les gens de la classe moyenne.
Nous avons donc un arbre auquel nous pouvons ajouter quelques branches qui pourraient atteindre, en particulier, le domaine fédéral.
M. Lewis : Nous prêterons alors le flanc à la critique qui considérerait que notre proposition n'est pas très ambitieuse. Nous tenons la même conversation qui s'est déroulée aux dix ans depuis 1975. Vous avez raison. Tout le monde affirme que nous devrions consacrer nos ressources aux enfants, mais le problème, c'est que le taux d'actualisation est très élevé lorsqu'il s'agit de faire ce genre d'investissement, et personne ne semble s'en soucier. Dès que la réalisation des objectifs s'échelonne sur 6, 7, 10 ou 15 ans, l'intérêt s'émousse rapidement, et les programmes sont rapidement soumis à des restrictions.
Votre message n'est-il que de la réalpolitik, c'est tout ce que vous allez obtenir? Est-ce le message suivant que vous tentez d'adresser au comité : « Oubliez vos grandes ambitions et n'essayez pas de rivaliser avec les pays scandinaves sur le front de la réduction des inégalités. Continuez d'appliquer la méthode canadienne consistant à y aller volontairement pas à pas, à faire des progrès modestes et à s'attaquer au problème petit à petit?
Croyez-vous qu'il y a possibilité, et je crois que le sous-comité du Sénat s'intéresse à cette question, d'accélérer ce type de changement?
M. Dodge : Si vous n'avez pas un point central, si vous tentez de réaliser un exploit, compte tenu qu'il n'y a aucune crise économique ou sociale tangible sur laquelle vous appuyer, vous n'irez nulle part. Ce sont les aspects pratiques. Par conséquent, faisons quelque chose qui sera vraiment profitable. Malheureusement, comme dans toute chose, vous devez continuer de marteler le message encore et encore.
Vous tentez de faire ressortir davantage la question. Cette situation nous concerne tous à l'heure actuelle, car nous sommes tous préoccupés par le vieillissement de la population, et nous avons raison de l'être. En procurant à un jeune de cinq ans qui fait son entrée dans le système le meilleur départ possible, un jeune de 20 ou de 30 ans peut s'assurer qu'il y aura des gens pour payer sa pension.
Le contexte actuel pourrait en fait convenir à une approche visant les enfants. Nous sommes tous inquiets au sujet du déclin de la population, contrairement à il y a 10 ou 15 ans, lorsque nous tentions de soulever cette question. Nous devons trouver un appât politique, mais votre méthode est la bonne. Toutes sortes d'exemples nous confirment qu'elle fonctionne à long terme. Il s'agit du Sénat, donc il peut dire la vérité, et il me semble que vous devez prendre cette direction.
Les rapports du Sénat qui ont eu un gros impact sont ceux dont l'orientation était claire. Je n'ai aucun doute à ce sujet.
M. Wright : Parfois, en commençant par une démarche timide, on finit par faire des pas de géant. J'aimerais voir le programme devenir gigantesque, au bout du compte; la réussite entraîne toujours de nouveaux progrès. Canalisez tout d'abord votre énergie vers un objectif réaliste. Vous savez que vous aurez l'appui des provinces, vous êtes résolus et vous êtes capables d'aller de l'avant. À chaque nouvelle réussite, le programme s'ouvre à d'autres possibilités. Oui, nous pouvons faire comme n'importe qui ou n'importe quoi.
Mme Potvin : J'ai quatre commentaires. Si j'en avais moins, vous ne croiriez que j'évolue dans un monde universitaire. J'essaierai de faire en sorte que mon message soit exhaustif et nuancé.
Tout d'abord, je crois qu'on a omis quelque chose et qu'il faudrait en parler. Le commentaire est de Len Syme, professeur à l'Université de Berkeley, qui est, après tout, à l'avant-garde dans tous ces domaines. J'ai rencontré Len Syme la semaine dernière. Son principal message, qui est souvent oublié, est qu'il faut changer les paradigmes ici. Si nous pensons toujours à des facteurs tels que le diabète, les maladies cardiovasculaires et le cancer, nous parlons des conséquences et non des causes. En matière de maladies infectieuses, nous avons commencé à faire des progrès considérables au moment où nous avons abordé les maladies hydriques et les maladies aérogènes. La même notion s'applique ici. Le Canada va à reculons — et il faut le dire — en établissant une initiative sur le cancer, une initiative sur les maladies cardiovasculaires et toutes ces initiatives dans lesquelles nous versons des milliers et des millions et des centaines de millions de dollars. Cette démarche constitue un pas en arrière. Il faudrait plutôt penser à la maladie de la pauvreté, à la maladie du faible taux de scolarité ou à la maladie du statut d'Autochtone ou de l'isolement social. Ces situations constituent les causes fondamentales. Si l'on s'attaque toujours à la maladie plutôt qu'à ses causes, nous ferons peut-être du surplace pendant encore 20 ans.
Deuxièmement, je trouve le moyen d'enseigner l'histoire de la santé publique lorsque j'ai un moment. Si l'on a appris quelque chose en santé publique au cours de quelque 150 années d'évolution, c'est qu'aucune stratégie ne suffit en elle- même. Deux principales stratégies sont actuellement en vigueur sur le plan de la santé publique. La stratégie pour les personnes à risque, qui était l'idée de M. Lalonde, consiste à cibler le groupe à risque et de réduire son risque. Cette stratégie axée sur le risque comporte des lacunes, dont le blâme des victimes, entre autres. Ensuite, pendant les années 80 et 90, nous avons élaboré une stratégie axée sur la population, dans le cadre de laquelle le Canada jouait un grand rôle; la santé de la population était sur toutes les lèvres. La stratégie axée sur la population a beaucoup d'avantages, mais elle a aussi le défaut d'exacerber les inégalités, et nous pouvons le prouver. Nous avons besoin d'un troisième volet stratégique, que j'appellerais une stratégie axée sur les populations vulnérables, qui s'attaque aux causes fondamentales, soit les déterminants sociaux de la santé.
Troisièmement, pour insister de nouveau sur ce point clé que Mme Yeates a souligné que j'avais souligné, si quelqu'un vous affirme avoir la solution, sénateur, ne le croyez pas. C'est en agissant que nous apprendrons. Si la santé publique nous a montré quelque chose, c'est que le fait de ne pas connaître tous les problèmes ne devrait pas nous empêcher d'agir. Il serait insensé de ne pas tirer de leçon des mesures que nous prenons pour régler un problème urgent. Je crois que ce serait une occasion ratée si votre rapport ne mettait pas en relief le besoin de lancer de nouveaux travaux en recherche interventionnelle.
L'Initiative de recherche interventionnelle en santé des populations du Canada, sous la direction de l'Institut de la santé publique et des populations et de l'Alliance pour la prévention des maladies chroniques au Canada, l'APMCC, tente de concilier les intérêts de ceux qui participent à l'intervention et de ceux qui participent à la recherche.
Ce n'est pas facile. Je crois que ces gens cherchent un enjeu qui mobilisera la population, qui lui lancera le défi de s'attaquer aux disparités en matière de santé au Canada et d'intervenir à l'égard de ce problème. Un tel soutien du public ferait beaucoup de bien.
Enfin, j'aimerais souligner à nouveau le point qu'a apporté M. Reading. Je suis active dans le domaine de la recherche sur les disparités en matière de santé depuis assez longtemps pour savoir que la seule façon d'éprouver nos méthodes d'intervention est de travailler avec les populations concernées.
Il ne faut pas s'attendre à ce que le gouvernement fédéral du Canada ne résolve comme par magie les problèmes de tous ces gens. Je crois qu'il doit assurer une certaine direction dans cette affaire, écouter les gens et créer des liens.
Je vais terminer par une citation que j'ai entendue la semaine dernière. J'étais en France pour assister à une conférence qui portait sur l'intervention relative aux disparités en matière de santé, et quelqu'un, en citant Nelson Mandela, a déclaré que celui qui fait quelque chose pour les pauvres sans les consulter fait quelque chose contre les pauvres.
M. Cappe : J'aimerais revenir la question que vous avez adressée à M. Wright et à M. Dodge. Je crois qu'ils avaient la bonne réponse, mais ils ont éludé la question. Le comité sénatorial doit avoir de grandes idées, ce rapport présente une occasion, et il faut savoir élargir son horizon. La réponse à la question au sujet de l'ambition est qu'il faut être assez résolu à réussir.
Je reviens à l'échange qui a eu lieu plus tôt entre le sénateur Segal et M. Dodge. À mon avis, le sénateur Segal allait trop loin dans sa proposition de revenu annuel garanti. Toutefois, à la fin de la conversation, un consensus semblait s'installer, car M. Dodge faisait valoir qu'on devait se tourner vers un soutien du revenu pour les ménages ayant de jeunes enfants et qu'il existe plusieurs solutions à ce problème.
Je ne crois pas que le problème se résume à choisir entre penser à petite échelle ou bien envisager les choses dans leur ensemble. Ma réponse à votre question — bien que vous ne me l'ayez pas posée à moi précisément — est que le Sénat devrait avoir des idées ambitieuses, mais qu'il devrait hésiter à accepter des mesures modestes. Les types de solutions dont parlaient M. Dodge et M. Wright mèneraient à des améliorations de la qualité de la santé de la population. Je ne crois pas qu'il s'agisse en fait d'un choix.
M. Lewis : Dites-moi comment cet avenir est différent du passé. Nous avons fait des progrès modestes. Nous avons de meilleurs programmes interventionnels pour les enfants en 2008 qu'en 1990, et ils se sont améliorés en 1995, et chaque province a élaboré un plan d'action intersectoriel pour les enfants, et c'était très bien.
Si le Sénat déclare que, peu importe la démarche adoptée, il faut apporter un changement — positif idéalement —, à la courbe, qu'est-ce qui déclenchera ce changement? Si nous manifestons de grandes ambitions et affirmons que nous voulons être comme la Norvège, cette démarche ne persuadera personne d'apporter ce changement.
Qu'est-ce que le sous-comité sénatorial peut faire, dire ou présenter pour que les gens soient plus motivés à accélérer le processus? Je ne crois pas que nous allons plus vite. Je vais dire les choses comme elles sont. À mon avis, l'inclinaison de la courbe n'a pas changé du tout. Dans certains cas, la situation s'est détériorée. Les disparités dans ce pays, sur certains plans, sont plus importantes qu'elles ne l'étaient, parce que la richesse n'a pas été distribuée également. Voilà la toile de fond.
M. Cappe : Le défi que doit relever le présent comité, avec tout le respect que je vous dois, consiste à tirer une grosse voiture sur l'autoroute à l'aide d'un élastique; si vous tirez fort ou trop vite, l'élastique va céder. Toutefois, si vous y appliquez la bonne tension, vous ferez avancer cette voiture, à condition que le moteur soit au point mort; et le moteur, comme vous l'avez fait valoir, est bel et bien au point mort.
Le vrai défi à relever est le suivant : si vous tirez trop fort, le rapport ira se joindre aux autres qui reposent sur les tablettes. En contrepartie, si vous proposez tout simplement d'augmenter la Prestation fiscale canadienne pour enfants, la mesure n'est pas particulièrement ambitieuse. C'est peut-être une solution canadienne, mais ce n'est pas une solution ambitieuse.
Mme Yalnizyan : Quoi que soit la teneur du rapport du comité sénatorial, il doit tenir compte de l'ensemble du tableau; particulièrement, de ce que nous réserve l'avenir, avec une population vieillissante, d'une part, et les revenus de plus en plus instables des jeunes familles et des nouveaux arrivants, d'autre part. Les disparités augmentent à l'égard de cette prochaine génération, comme le démontrent, de rapport en rapport, toutes les données de Statistique Canada.
Être capable de d'affirmer que les déterminants sociaux de la santé influent sur cette situation particulière est important. À différents endroits dans ce document, vous recommandez de tenir compte du revenu, du niveau de scolarité et du logement. D'autres questions ont été mises de l'avant, dont la façon d'éveiller l'intérêt des gens, particulièrement des jeunes, qui peuvent être suicidaires ou ne pas avoir les bons soutiens pour les aider à continuer.
Vous devriez dresser la liste des facteurs. Vous devriez aussi préciser sur quoi travaillent les autres administrations, y compris nos collègues qui siègent à d'autres comités sénatoriaux.
Par exemple, la question du logement n'a pas beaucoup été abordée pendant la séance d'aujourd'hui. Nous savons tous que le logement est l'un des déterminants de la santé. Nous savons également que le gouvernement fédéral a négligé pendant environ dix ans un des rôles qu'il doit jouer; mais il a déjà joué ce rôle, et il pourrait le faire de nouveau. Le logement est un aspect sur lequel votre collègue, le sénateur Eggleton, pourrait vraiment insister.
Montrez l'interdépendance de tous ces éléments dans vos rapports. Ainsi, vous pourrez dire : voici toutes les différentes questions qui font surface; nous connaissons toutes leurs facettes; le comité recommande d'apporter des améliorations substantielles à la sécurité du revenu et d'augmenter le seuil maximal de la Prestation fiscale canadienne pour enfants à 5 000 $, et nous savons quel sera le prix de cette augmentation.
Vous pouvez proposer des mesures distinctes qui ont été mentionnées ici, et qui rejoignent tous les autres travaux effectués dans d'autres secteurs.
Votre question est donc la suivante : comment mesure-t-on la réussite? Premièrement, l'appui des forces politiques constitue une mesure de la réussite. Le fait de disposer d'un plan qui est réalisable, que l'on peut mettre en branle, assorti de dépenses connexes, est utile, selon moi; on peut aussi parler du coût de renonciation causé par le maintien du statu quo.
J'ai remarqué que tout ce qu'on a mentionné au cours de la journée tourne autour des enfants, autour du futur, autour des possibilités; un point concerne le revenu, un autre concerne la prestation de services et un autre, évidemment, les populations autochtones. Vous avez établi-là une petite trinité que vous pourriez faire évoluer, mais vous ne devriez pas vous y limiter. Le rapport devrait s'appuyer sur une vue d'ensemble : nous proposons telle approche, voici ce qu'entreprennent d'autres administrations, et nous appuyons leur démarche.
M. Osberg : Vous avez observé plus tôt qu'un certain nombre de provinces ont mis en place des programmes de lutte contre la pauvreté et qu'elles envisagent la possibilité de considérer la lutte contre la pauvreté comme une priorité stratégique; pas toutes les provinces, mais certaines d'entre elles. Que ce soit parce que les gens en ont assez d'enjamber les itinérants quand ils vont au centre-ville, ou pour n'importe quelle autre raison, cette question semble refaire surface dans le programme. Ce n'est pas seulement une question de pauvreté infantile : c'est aussi une question de pauvreté chez les adultes et de ce que cette situation laisse transparaître sur le genre de société dans laquelle nous vivons.
Pour revenir à quelque chose qu'a dit Mme Potvin, je ne pousserai pas la complaisance jusqu'à dire que la situation progresse. Beaucoup d'indicateurs n'affichent aucune amélioration. Nous observons un important déclin de la proportion de gens qui profitent du filet de sécurité sociale lorsqu'ils perdent leur emploi. L'écart de pauvreté s'est beaucoup élargi — d'environ la moitié en Nouvelle-Écosse, par exemple — au cours des dernières années. Nous observons actuellement une augmentation importante des sources de tension. Les impacts sur la santé finiront par se manifester, à mesure que ces gens passent dans le système.
Lorsque vous avez dit qu'aucune mesure particulière en santé publique ne constitue une panacée maux, je crois que tout le monde était d'accord avec vous. Toutefois, il est parfois possible de s'attacher à un thème capable d'englober toute une gamme d'initiatives; c'est une façon d'assurer la cohésion d'un ensemble d'interventions disparates.
Vous avez parlé de « populations vulnérables ». On pourrait envisager la chose sur un jour plus positif en introduisant l'idée de citoyenneté inclusive; c'est-à-dire que tous les citoyens auraient accès aux mêmes avantages que les plus favorisés.
En ce sens, cela reviendrait à quelque chose qu'a dit M. Reading au début, lorsqu'il a parlé des priorités en matière de droits de la personne et de sécurité du revenu. Cette idée était un peu redondante, car la sécurité du revenu est déjà visée par la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies. En 1948, le Canada a souscrit à l'idée selon laquelle la sécurité est un droit de la personne fondamental en vertu de l'article 25 de la Déclaration universelle. Cet engagement théorique à l'égard des droits de la personne fondamentaux existe depuis un bon moment.
Il va sans dire que tout le monde souscrira à l'idée de l'éducation pour les enfants. Cela doit être une priorité majeure. Toutefois, les droits d'un citoyen canadien ne s'envolent pas soudainement dès qu'il atteint l'âge de 22 ans — il se fait heurter par un autobus à 22 ans, et c'est fini.
Nous sommes aussi responsables des personnes défavorisées qui ont un accident après l'âge de 21 ans — ou peu importe l'âge que nous choisissons pour définir qu'une personne cesse d'être digne de considération —, de protéger leurs droits et leurs obligations à titre de membres de notre collectivité, qui ont le droit de vivre en santé dans un milieu sain.
Je ne crois pas que cet engagement minera notre volonté nationale de parfaire la société de quelque façon que ce soit. Il fera de nous une collectivité plus forte et plus saine. Les résultats mesurables en matière de santé, dans le domaine des troubles physiques comme des maladies mentales, en témoignent bien. Vous parliez de la santé mentale. Nous verrons les avantages sur de nombreux plans.
Le sénateur Cook : Je sais que notre mandat aujourd'hui consistait à vous écouter. Toutefois, je suis préoccupé par certaines questions, et j'aurais besoin de l'aide des témoins experts.
J'envisage le Canada comme un pays qui s'appuie sur les subventions et, parfois, passez-moi le cynisme, les projets pilotes. Je crois que beaucoup d'entre nous, qui tentent d'aller de l'avant, font face à cette réalité.
Nous sommes une société mercantile. Nous avons besoin d'argent; sans cela, nous ne pouvons pas faire grand-chose.
Je me demande jusqu'à quel point les gouvernements peuvent s'immiscer dans la vie des gens pour réaliser leur mandat. C'est la nature même de la démocratie : dès que nous avons réparé quelque chose, un nouveau groupe arrive et invente autre chose.
Comment peut-on faire évoluer les sujets que vous nous aidez à comprendre? Ensuite, comment peut-on aller plus loin?
J'avoue que je connais peu les rouages de l'Institut canadien d'information sur la santé, ou l'ICIS. Madame Yeates, vous disposez de toutes ces données. Dans quelle mesure sont-elles accessibles? Existe-t-il des restrictions?
Nous formons un pays appelé le Canada, mais en réalité, nous sommes des provinces et des territoires. Il me semble que, si nous tirons trop fort, nous causerons un déséquilibre.
À l'heure qu'il est, je suis ici, paralysée parce que je ne sais pas quelle direction prendre. Je crois que, lorsque je serai rendue à Terre-Neuve ce soir, j'y verrai plus clair.
Le monde change, mais nous n'en sommes pas moins des personnes. Lorsque M. Butler-Jones a parlé des villages à Terre-Neuve, « Bravo », ai-je pensé. Cela m'a fait chaud au cœur. Je suis née dans l'un de ces villages, à l'époque où la vie était beaucoup plus simple. À un moment ou à un autre, notre société a changé. Les gens sont toujours les mêmes, et ils ont les mêmes besoins. Toutefois, tout est tellement complexe que nous ne savons pas quelle serait la meilleure mesure à prendre pour eux.
Qui peut m'aider à approfondir cette question?
Mme Yeates : Je vais répondre au volet de votre question qui porte sur l'ICIS, et cela laissera le temps à d'autres de répondre aux autres parties de votre question.
Le pays est complexe. J'ai été sous-ministre provinciale pendant nombre d'années; pas à Terre-Neuve-et-Labrador, mais en Saskatchewan.
Je comprends que le pays est composé de provinces, de territoires, de collectivités, de villes et ainsi de suite. À certains égards, le gouvernement fédéral n'est peut-être pas le mieux placé pour s'occuper de tout. Il est l'autorité compétente pour certaines questions.
Heureusement, l'ICIS est l'un des organes qui fonctionne assez bien. J'ai un parti pris, bien sûr. Je crois que c'est parce que l'ICIS n'est pas une institution fédérale; il est pris en charge et dirigé par le secteur de la santé. Je crois qu'il y a quelques représentants du gouvernement fédéral au sein de notre conseil d'administration. Il est principalement composé de sous-ministres provinciaux et de représentants du secteur de la santé. Ils nous disent de quelle information ils ont besoin, et nous la leur fournissons.
Pour répondre à la question de savoir si l'information est accessible : absolument. De toute évidence, les restrictions visant à assurer le respect de la vie privée s'appliquent. Les données provenant de dossiers médicaux ne sont pas disponibles. Toutefois, nous avons le mandat de rendre les données accessibles en priorité à ceux qui dirigent et financent le système. C'est ce que nous faisons. Les chercheurs utilisent nos données régulièrement.
Un troisième secteur d'intérêt pour nous est le grand public. Même s'il n'a pas tendance à analyser les données, nous rédigeons tous nos rapports à son intention; nous tentons d'éviter le jargon, et nous formulons nos messages et nos communiqués de presse pour que les gens puissent les comprendre. Le financement destiné aux soins à domicile augmente, ou bien il diminue. C'est la même chose pour le temps d'attente. L'argent va dans une direction ou dans une autre. Nous donnons ce genre de renseignements aux gens, et veillons à ce qu'ils soient aussi compréhensibles que possible.
Nous tentons de jouer ce rôle. Je suis certaine que chaque Canadien ne partage pas mon intérêt pour les données relatives à la santé, mais je suis heureuse du degré de consultation, surtout sur Internet. Le nombre de personnes qui accèdent au site est énorme. Les gens y passent beaucoup de temps, 20 minutes en moyenne. Les chiffres augmentent par centaine de milliers chaque année.
Nous considérons que les gens sont intéressés par l'information s'ils la comprennent et si nous pouvons faire en sorte qu'elle soit claire. C'est là l'intérêt des indicateurs, car ils englobent une foule d'éléments complexes dans une forme que nous pouvons surveiller.
M. Lewis : Je lance l'invitation aux sénateurs, qui écoutent patiemment depuis un bon moment : si vous avez des questions ou des commentaires que vous aimeriez adresser à des personnes en particulier ou à l'ensemble des personnes ici présentes, c'est un bon moment pour le faire, puisque c'est la dernière séance.
Mme Lynkowski : Je crois que le rapport devrait insister sur la nécessité d'une direction intersectorielle. Je parle non seulement de collaboration, mais d'une façon novatrice d'envisager l'adoption des mesures intersectorielles. Mme Bégin nous a donné quelques exemples de la manière de mettre en œuvre cette direction : un comité du Cabinet, ou autre chose. Toutefois, le rapport présente une occasion de décrire le fonctionnement d'un mécanisme novateur réservé à une question particulière, comme la petite enfance. Le rapport doit mettre ce point en valeur.
Cela peut paraître intéressé. En attendant, c'est la santé publique qui traite normalement de ce genre de questions. Jusqu'à ce que nous atteignions l'utopie et que nous fonctionnions de façon intersectorielle, nous devons reconnaître que la santé publique sera appelée à mener ce genre d'intervention et continuera de jouer ce rôle à l'échelon communautaire. Nous devons nous assurer qu'il existe une capacité à cet échelon. Le rapport doit mentionner cette nécessité, même si l'on croirait que ce n'est pas nouveau. Comme nous l'avons dit, notre capacité de réagir demeure problématique.
Je crois que le rapport présente une occasion de mettre en avant un argument convaincant et inspirant pour démontrer pourquoi cette question est importante pour les Canadiens. Avec tout le respect que je vous dois, certains d'entre nous ne seront pas toujours ici pour continuer à faire évoluer cette question. Je sais pour ma part que je ne le serai pas, et il en va de même des honorables sénateurs. J'ai vu beaucoup de rapports oubliés sur une tablette. Nous savons de quels rapports il s'agit. Nous avons besoin de cette volonté politique fondamentale, et vous avez besoin de cette saine indignation du public pour que les choses continuent à bouger lorsque nous ne serons plus là. Le rapport présente une occasion de faire naître cette volonté.
Le président : Madame Lynkowski, nous avons délibérément omis d'inviter des organismes communautaires à participer à la réunion, car nous voulions axer la discussion sur la stratégie fédérale globale. Nous avons prévu un certain nombre de visites dans des collectivités où des organismes sont en place qui, à mon avis, peuvent traiter des 12 déterminants de la santé.
Selon moi, il existe deux grands défauts, que j'ai exposés ce matin. D'une part, nous n'avons pas de leadership à l'échelon supérieur, et Mme Bégin a parlé de ce point. Elle a signalé la nécessité d'établir un comité du Cabinet, comme on le fait en Grande-Bretagne ou en Australie, et a déclaré sans ambages que ce comité doit être dirigé par les plus hautes instances.
À l'échelon communautaire, où ces déterminants de la santé deviennent tangibles, nous devons réagir à tous les aspects qui sont à l'origine des disparités en matière de santé dans les collectivités et tenter de changer la situation. Des structures doivent être établies.
Le sénateur Eggleton a mentionné que les villes et les municipalités disposent déjà de mécanismes pour traiter de cette question, mais je crois que nous devons nous pencher sur le cas des organismes des petites collectivités, où les gens mettent vraiment la main à la pâte.
J'irais encore plus loin que cette suggestion. Je crois que la santé publique devrait être intégrée aux systèmes de soutien des services sociaux et des services de santé communautaires. En d'autres mots, au lieu de tenter désespérément de fournir les ressources nécessaires pour réagir à un éventuel problème de santé publique à grande échelle, comme une pandémie, par exemple, nous devrions créer un réseau pour travailler avec les ressources communautaires. J'aimerais qu'on discute de cette proposition.
J'ai attiré l'attention du Dr Butler-Jones sur cette question il y a environ un an, et il m'a expliqué la difficulté de mettre en œuvre une telle structure, mais j'aimerais qu'il le répète, pour le compte rendu.
Mme Lynkowski : Cette proposition entraîne effectivement des difficultés. Parfois, les secteurs collaborent malgré l'absence d'une structure imposée, et c'est à ce moment-là que les choses s'accomplissent avec le plus de succès.
Un leadership fédéral, qui permettrait de déclencher le processus, de faciliter l'obtention de résultats et de reconnaître le besoin de renforcer les outils et la capacité, aiderait à concrétiser cette proposition.
Dr Butler-Jones : Le réseau est la clé. Ce qui me préoccupe des solutions d'ordre structurel à un problème, c'est que nous avons tendance à vouloir les mettre en œuvre immédiatement au lieu de déterminer précisément ce que nous tentons d'accomplir. Beaucoup de ces éléments doivent être ancrés à quelque chose. La perspective de la santé publique concernant le rôle et la mobilisation des collectivités et la façon de les aborder diffère quelque peu de celle des hôpitaux. La santé publique a un pied du côté des sciences sociales et des services sociaux, et l'autre du côté des sciences médicales et de l'épidémiologie. C'est vraiment le réseau qui importe.
Je crois aussi fermement que les collectivités s'organisent elles-mêmes de façon à combler leurs besoins en fonction des problèmes auxquels elles sont confrontées. De nombreuses collectivités font déjà naturellement une grande partie de ce que nous tentons d'accomplir, à l'échelon national ou provincial, en raison de la nature de leur travail et de leur engagement. Elles ne peuvent se permettre de ne pas collaborer entre elles. Il est important d'encourager et de favoriser la collaboration. Je ne suis pas certain que ce soit une solution structurelle, dans le sens où on les mettrait tous au même endroit, mais peut-être que certains établissements pourraient partager un espace. Il y a toute une gamme de façons de collaborer.
Je reviendrais à la méthode consistant à axer nos démarches sur le résultat que nous tentons d'accomplir et ce qui nous aidera à avancer dans cette voie. D'une certaine façon, cela permettrait aux collectivités d'adopter la structure qui leur convient. Les concepts qui sous-tendent cette question et celles que vous tentez de régler sont essentiels.
Le sénateur Fairbairn : Vous vous interrogiez sur la façon de présenter la question. J'ai commencé à travailler sur l'alphabétisation peu après ma nomination comme sénateur, en 1984. L'alphabétisation n'était pas un sujet à la mode à cette époque. Au Sénat, un comité spécial étudiait les jeunes d'un océan à l'autre, et le problème de l'alphabétisation faisait surface partout. C'est alors devenu l'objet de ma carrière, et ça l'est toujours.
Bien souvent, les gens écoutent lorsque nous disons que nous prenons cette mesure pour que chaque Canadien ait une chance de composer avec nombre des problèmes dont nous avons discuté aujourd'hui. Pour une raison ou une autre, cette démarche fonctionne. Si vous voulez vous en inspirer, libre à vous.
Mme Bégin : Quant au regroupement éventuel des affaires sociales et de la santé publique, ces deux choses sont séparées depuis 15 ans. Ressources humaines et Développement social Canada est le volet « bien-être social » de l'ancien ministère. Ce ministère a fait l'objet de plusieurs restructurations durant ces 15 dernières années. Voilà l'une des raisons pour lesquelles il ne faut pas déstabiliser le ministère encore davantage. Je ne crois pas qu'une telle mesure soit une solution en soi-même. Certains problèmes se résolvent par une décharge électrique, mais ce n'est pas toujours le cas. Je ne vois pas l'intérêt dans le cas qui nous occupe.
De plus, comme l'a éloquemment signalé le Dr Butler-Jones, l'Agence de la santé publique du Canada et RHDSC ne s'intéressent pas aux mêmes groupes. Je crois qu'il existe des méthodes de collaboration plus simples et mieux adaptées à la réalité qui permettaient d'obtenir les mêmes résultats.
Je crois que c'est le Dr Maurice LeClair qui s'est joint au ministère de la Santé et du Bien-être social vers 1972. J'ai hérité d'un ministère qui avait joué les deux rôles pendant au moins cinq ans. Ils étaient distincts sur le plan opérationnel. Je passais facilement d'une direction générale à une autre, mais il en existait huit, y compris l'administration ainsi que la recherche et la planification. En huit ans, je ne me souviens pas d'une seule occasion où la Recherche et planification a touché au régime d'assurance maladie — dossier immense à l'époque. C'était plutôt le personnel des politiques sociales qui s'en chargeait. J'ai tiré des avantages de cette structure, mais la restructuration n'est pas une solution pour autant.
Dr Reading : À cette étape de la journée, il serait difficile de faire une intervention unique, car presque tout a déjà été dit. J'ai la chance d'être issu du milieu universitaire, et je me plais à penser que j'apporte à mon tour une contribution à ce milieu en y travaillant.
Je crois qu'il manque la contribution des universités sur le plan de la recherche, de la formation et des services communautaires. Nous avons tous profité de cette contribution.
J'ai eu le privilège de siéger à un comité pour les Centres nationaux de collaboration en santé publique, présidé par John Frank, qui était financé par l'Agence de la santé publique du Canada. Il y a de 50 à 55 nouvelles écoles de santé de la population ou de santé publique qui sont liées à des universités et à des collèges partout au pays.
J'ignore où elles en sont en termes d'agrément, mais l'une des choses à envisager est un réseau d'étude de la santé de la population et de la santé publique qui émane des universités, mais qui est lié aux collectivités et aux régions, car il est évident que toute cette activité survient à l'échelle régionale. Nous devons songer à la formation de la prochaine génération de chercheurs, de militants et de gens qui étudieront et feront carrière dans le domaine de la santé de la population et de à la santé publique.
Cette formation justifie l'investissement dans les programmes universitaires dans ce domaine, qui est nouveau. Il est multidisciplinaire, transdisciplinaire et interdisciplinaire — ces distinctions sont subtiles —, mais il s'agit d'un groupe spécialisé. Ce qui m'a poussée à y songer est le discours du Dr Butler-Jones sur la manière dont ces deux domaines interagissent. C'est beaucoup plus large que cela : on peut imaginer un jeune choisissant ce domaine, y apportant sont point de vue; on peut imaginer ces idées évoluant et se traduisant par une contribution canadienne au discours international sur la santé de la population. Les antécédents et la tradition du Canada à ce chapitre sont excellents, mais il faut reproduire ces exploits dans l'avenir et déterminer la direction à prendre. L'intégration des universités à la formule serait une recommandation appropriée pour le rapport final.
M. Cappe : J'ai tenté de ne pas entreprendre cette discussion. Je ne peux m'empêcher de commenter les interventions de Mme Bégin et du Dr Butler-Jones. L'organigramme du gouvernement est beaucoup moins important que la manière dont les gens collaborent. Je me range à l'avis du Dr Butler-Jones et de Mme Bégin. Ce serait bien que la santé et le bien-être social forment une entité, mais ce n'est pas essentiel, car leurs façons respectives d'envisager les choses sont inversées. Voilà pourquoi j'ai parlé d'harmonisation des objectifs.
Nous voulons qu'un gros groupe de personnes pousse dans la même direction. Si nous pensons aux entités qui devraient composer ce groupe, ce n'est pas la santé et le bien-être social. C'est RHDSC, selon son sigle actuel, le ministère de l'Environnement, le ministère des Ressources naturelles, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, Finances Canada, Santé Canada, l'Agence de la santé publique du Canada, et cetera. La liste est longue.
Ce qui m'amène à l'idée d'un comité du Cabinet. Je ne crois pas que ce soit la bonne solution — enfin, peut-être pour réaliser un objectif précis. Si nous arrivons à un point où nous sommes prêts à lancer une initiative, comme un programme de développement de la petite enfance, si une telle initiative devait se concrétiser, nous voudrions peut-être constituer un comité du Cabinet pour travailler au cheminement de l'initiative, mais d'une certaine façon, nous voulons que ces ministères et que ces ministres collaborent de façon beaucoup moins officielle. Nous voulons que chacune de leurs actions reflète un intérêt collectif à améliorer la santé de la population de différentes façons.
Mme Bégin : En ce qui a trait à la formation universitaire, je n'arrive pas à me rappeler si la loi prévoyait aussi la formation collégiale, mais, en juin 1984, la Chambre a passé une loi concernant — si mes souvenirs sont exacts — le Programme de carrière pour les Indiens et les Inuits dans le domaine de la santé. Cette loi était fondée sur ce que m'a dit un juge au sujet de la formation juridique de l'époque pour les Premières nations.
On m'a dit qu'on ne pouvait pas étouffer une loi aussi rapidement; sinon, on n'investirait pas, mais peut-être que quelqu'un pourrait vérifier. Si vous voulez promouvoir la santé et le savoir au sein de la population des peuples autochtones, la loi peut être révisée et sa portée peut être élargie pour inclure cela afin que cette question devienne une priorité du gouvernement.
Mme Potvin : Je voulais répondre à votre question, sénateur Keon, au sujet des secteurs où la santé publique devrait agir. Regardez le Canada. Sur le plan de la structure, la santé publique joue un rôle sur divers plans, et elle a évolué au fil des années. De nos jours, le Québec réintègre la santé publique dans le dossier des hôpitaux, par exemple. Il y a des inconvénients et des avantages à cette démarche. Cette intégration soulève beaucoup de crainte que le gros du budget soit affecté aux hôpitaux, mais, en même temps, la situation présente beaucoup d'occasions à la santé publique de prendre des mesures utiles, à condition qu'une formation adéquate soit dispensée aux gens. L'un des défis à relever actuellement est de former les gens qui administrent ces structures de la santé publique.
Pour revenir au point du Dr Reading, on a tendance à croire au Canada que la bonne foi suffit, alors que c'est faux. Il faut former les bonnes personnes, peu importe quelle est la structure — car le problème n'est pas d'ordre structurel. L'enjeu consiste à recruter les personnes qui ont reçu la bonne formation. À l'heure actuelle, au Canada, le personnel en santé et en santé publique n'est pas bien formé. On dit toujours que la formation nécessaire est dispensée, mais elle ne l'est pas.
Le sénateur Callbeck : M. Cappe vient de revenir sur l'idée que Mme Bégin a présentée ce matin au sujet de l'établissement d'un comité du Cabinet présidé par un ministre puissant — le premier ministre, le vice-premier ministre ou le ministre des Finances, mais, idéalement, pas le ministre de la Santé —, et elle a expliqué pourquoi.
Monsieur Cappe, vous avez exprimé votre opposition à cette idée. J'en déduis que vous croyez qu'il devrait plutôt s'agir d'un arrangement informel entre les ministres? Qui devrait diriger cet arrangement?
M. Cappe : Je vais invoquer les propos antérieurs du sénateur Eggleton à l'égard du grand patron. Je ne remets pas en question la nécessité qu'une personne prenne les commandes de cet arrangement. Ainsi, j'aimerais mieux que toutes les mesures du gouvernement soient axées sur cette question et envisagées en fonction de son impact sur la santé publique, comme le recommande le quatrième rapport. Toutefois, je l'inscrirais dans une lettre de mandat du premier ministre aux ministres concernés. Tous les ministres sont concernés, d'une façon ou d'une autre. Si le premier ministre demande à chaque ministre de se concentrer sur trois choses, dont l'une serait l'avancement de la santé publique au Canada, l'attention serait canalisée. Le pouvoir du premier ministre, comme vous le savez mieux que la majorité des gens, est seulement officieux, mais il a la capacité de nommer les autres ministres, et c'est tout le pouvoir dont il a besoin. Ainsi, les ministres seront attentifs au contenu de la lettre de mandat. Si le premier ministre disait « Je veux que vous me présentiez des conclusions dans un an sur ce que vous avez fait et comment vous avez coopéré avec vos collègues pour faire avancer le programme », alors j'aurais davantage confiance en cette démarche qu'en un comité du Cabinet érigé en institution et assorti d'un secrétariat qui prépare des documents du Cabinet et imprime beaucoup de mots, ce qui risque de ne pas trop faire avancer le programme.
Mme Browne : Malgré tout le respect que j'ai pour la santé publique, j'insisterais sur un aspect plus pressant. J'unirais la santé publique et les services communautaires et sociaux, car c'est là que se trouvent le fardeau et le coût de tant de problèmes, comme le maintien du revenu, les prestations d'invalidité et ainsi de suite. Je comprends que la santé publique a différentes priorités, comme la capacité communautaire et le développement. Elle fait du bon travail à ces égards. Toutefois, les représentants de la santé publique affirmeraient que la moitié des gens avec qui ils travaillent bénéficient de l'aide sociale. Cependant, à l'époque, il n'y avait que 4 600 visites par année, tandis que des centaines de milliers de gens toucheraient de l'aide sociale. Le secteur de la santé publique a tellement été sous-financé au fil des années que je ne suis pas certaine qu'il soit en mesure de prendre les rênes.
Pour profiter du service direct de la santé publique, le cas d'une personne doit attirer l'attention d'une autre personne qui la dirigera vers le service, alors que ce n'est pas le cas dans le secteur des services sociaux, dans les banques d'alimentation, et cetera.
Le président : Il est intéressant de voir que, lorsque des témoins viennent nous raconter leur histoire, leur récit est fondamentalement universel. Ils disent qu'ils ont un problème, que ce soit sur le plan de la santé mentale ou autre chose, qu'ils ont dû prendre congé du travail, ont manqué d'argent et n'avaient aucun endroit où aller, et qu'ils reçoivent des soins en psychiatrie. Ensuite, lorsqu'ils franchissent la porte, disons, de l'hôpital Royal d'Ottawa, ils ne connaissent personne qui peut les aider à obtenir de l'aide sociale, un logement, des repas et tout le reste.
Je suis certain que les gens au gouvernement peuvent se réunir et trouver une façon d'offrir des ressources communautaires afin de créer le réseau auquel peuvent s'adresser ces pauvres gens. Il me semble que ce problème constitue un énorme chaînon manquant dans l'organisation actuelle des services sociaux et des services de santé au Canada.
Mme Potvin a fait une allusion à l'intégration de la santé publique dans les hôpitaux. Encore une fois, je ne suis pas certain que ce soit la bonne façon de faire, car nous semblons incapables d'envisager l'organisation de quoi que ce soit en santé sans l'assimiler aux hôpitaux et aux médecins. Sur ce point, pour suivre les 12 déterminants, nous avons besoin d'une forme d'infrastructure communautaire qui peut s'intéresser aux 12 déterminants à la fois, pas seulement à l'un d'eux.
Lorsque je conclurai, je mentionnerai pourquoi je me réjouis à l'idée de travailler en étroite collaboration avec le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur cette question.
Dr Butler-Jones : Pour répondre en partie à vos commentaires, sénateur, et ce que je tente de préciser, c'est qu'il existe diverses solutions d'ordre structurel pour relever ce défi. Beaucoup de provinces sont désormais dotées des systèmes intégrés, du moins en ce qui concerne la santé et de nombreuses composantes des services sociaux regroupées sous la même administration. Les provinces ne se consultent pas nécessairement entre elles.
J'ai travaillé comme médecin hygiéniste en Ontario. Nous entretenions des liens étroits avec les services sociaux, le milieu de l'éducation, les municipalités et d'autres intervenants, et nous nous réunissions pour réfléchir aux conséquences éventuelles des activités de chacun de nos programmes afin de réduire au minimum les failles dans le système.
L'une des démarches de la Saskatchewan consiste à réunir les forums pour les sous-ministres adjoints et les forums régionaux pour tous les différents secteurs afin qu'ils réfléchissent aux problèmes. Il y a diverses façons d'aborder la question. Certaines personnes nous ont demandé ce que nous tentions d'accomplir par cette démarche et ont remis en question sa nécessité. Si on s'entend clairement sur le fait que le rendement des directeurs généraux, des sous-ministres, des ministres ou d'autres intervenants dépend de la capacité de nos secteurs de travailler ensemble et de s'assurer que de telles lacunes ne surviennent pas, la réussite est beaucoup plus probable, peu importe la structure. Quelle que soit la structure, l'absence d'un tel consensus mènera, comme nous avons souvent vu dans le passé, à un cloisonnement où chacun travaille en parallèle, même si les autres se trouvent dans les bureaux à l'autre bout du couloir.
Le président : Tout ce qui reste à faire, c'est de vous remercier d'avoir passé cette longue journée exténuante avec le comité. J'apprécie particulièrement le fait que nombre de vous soyez restés par un vendredi après-midi. Selon mon expérience, les réunions du vendredi après-midi se vident considérablement dès 14 h 30 environ.
J'étais sur le point de faire une récapitulation, mais je ne le ferai pas. Vous avez entendu toutes les discussions. Je crois que vous savez où il faut aller. On doit trouver une façon d'assurer un leadership à l'échelon du gouvernement fédéral. Pour définir la forme particulière que prendra cette direction, nous devons consulter des gens et mettre au point l'information.
Je demeure convaincu qu'il faut également donner des conseils sur la façon d'organiser les services communautaires pour regrouper tous les déterminants de la santé, que cela s'articule autour d'un conseil municipal ou d'une autre entité. Pour une ville de la grandeur de Toronto, il est probablement impossible de procéder ainsi, mais il existe de nombreux organismes communautaires à Toronto qui peuvent discuter de cette question et qui comprennent le problème.
Nos programmes prioritaires n'ont jamais changé depuis le début. Lorsque nous avons commencé, nous pensions à la santé maternelle et au développement de la petite enfance. Et lorsque je parle du développement de la petite enfance, c'est dans tous les sens du terme. Nous avons bien compris qu'il ne faut pas abandonner l'enfant dès qu'il atteint l'âge de trois ans s'il n'est pas prêt à aller à l'école. Il doit y avoir continuité des programmes qui s'adressent à la petite enfance.
L'autre chose sur laquelle je crois que nous devons nous concentrer, en toute conscience, même si la question a déjà fait l'objet de nombreuses mesures, est la santé des Autochtones. Le Dr Reading a apporté une contribution, ainsi que les autres personnes actives dans le milieu de la santé des Autochtones. Toutefois, nous devons parvenir à proposer des stratégies qui permettront de surmonter les énormes difficultés qui surviennent lorsqu'on tente de faire avancer un programme dans la collectivité autochtone sans intervenir avec son style de vie et ses propres organismes. Nous avons beaucoup pensé à cet aspect et je crois que nous pouvons proposer des structures qui seront utiles.
Enfin, madame Yeates, nous vous ennuierons encore et vous inviterons encore, car nous voulons tout mesurer ce que nous faisons pour voir si nous réussissons. Vous avez fait l'erreur, la première fois que vous êtes venue témoigner devant le comité, de vous proposer pour faire cela.
Merci beaucoup à tous et à toutes.
La séance est levée.