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Sous-comité sur la santé des populations

 

Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations

Fascicule 5 - Témoignages du 14 mai 2008


OTTAWA, le mercredi 14 mai 2008

Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour étudier, en vue d'en faire rapport, les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé.

Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, même si nous attendons l'arrivée d'autres membres du comité, nous allons commencer. C'est que nous voulons entendre ce que les témoins ont à dire. Nous sommes déjà 15 minutes en retard.

Nous accueillons cet après-midi des témoins exceptionnels. Merci d'avance à tous d'être venus comparaître et de nous aider à mieux mener notre délibération et la préparation de notre rapport. De la Fédération canadienne des municipalités, nous accueillons Michel Frojmovic; du Conseil canadien de développement social, Pat Steenberg; de la Fondation Atkinson, Lynne Slotek; et de partout, mais en ce moment, de la Provincial Health Services Authority de la Colombie-Britannique, mon vieil ami, John Millar.

Nous allons donner d'abord la parole à Michel Frojmovic.

Michel Frojmovic, directeur, Consultation et recherche Acacia, Fédération canadienne des municipalités : Je crois comprendre que je dispose de cinq minutes. Je ne vais pas me lancer dans des explications approfondies. Je vais plutôt donner un aperçu d'une chose qui s'appelle le Système de rapports sur la qualité de vie (SRQDV), dont le fer de lance est la Fédération canadienne des municipalités (FCM), qui représente quelque 1 700 municipalités au Canada, c'est-à- dire environ 80 p. 100 de la population.

À titre de précision, je dois dire que je comparais au nom de la FCM. Je suis expert-conseil et je travaille au Système de rapports sur la qualité de vie depuis plusieurs années. Je suis en mesure de répondre à un nombre limité de questions portant précisément sur le SRQDV.

Le système a été créé au début des années 1990 en réaction au TCSPS, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, à la modification des transferts entre le gouvernement fédéral et les provinces. Par la suite, les administrations municipales ont voulu surveiller et mesurer sur le terrain ce que cela signifie d'être citoyen au sein de leurs collectivités. Voilà l'origine du projet.

Aujourd'hui, c'est un projet qui prévoit des indicateurs se rapportant à dix domaines, dont l'environnement, la société et l'économie, aussi bien que la santé. Il a pour ressort l'action des participants. Il s'agit de 22 municipalités représentant plus de la moitié de la population du pays, le plus souvent des villes canadiennes de grande taille. Bien entendu, les données y occupent une très grande place.

Ces données ont de multiples provenances, dont Statistique Canada, qui est certes une source importante, mais pas du tout la seule qui soit. Les questions géographiques y occupent une place importante. Bon nombre d'entre vous avez déjà entendu parler de la région métropolitaine de recensement, la RMR. La RMR n'équivaut pas à une ville. La RMR de Toronto, par exemple, englobe les populations de la ville de Toronto et des régions de Peel, York, Durham et Halton. Si vous vivez à Mississauga, vous faites partie de la RMR de Toronto. Cela n'emballe pas du tout le maire de Mississauga, j'en suis convaincu. Nous essayons de nous attacher aux frontières municipales. C'est un élément important du projet.

Outre celles de Statistique Canada, nous recueillons des données administratives auprès des municipalités. Ce sont de véritables trésors d'information. Par exemple, les questions liées à l'activité physique ont fini par acquérir une assez grande importance. Or, ce sont les administrations municipales qui, d'un bout à l'autre du pays, dispensent les services de loisirs — ce sont les parcs et loisirs, comme nous les appelons. Les responsables des administrations en question colligent toutes sortes d'informations sur les utilisateurs des services de parcs et de loisirs — le coût des programmes, la mesure dans laquelle les résidants y recourent, l'existence d'installations de loisirs au sein de la collectivité. Nous comptons donc également sur les données administratives des municipalités. C'est une importante source d'information.

Je me suis adonné à un petit exercice pour essayer de faire le lien entre le SRQDV et le cadre « déterminants sociaux de la santé/santé des populations ». Si on remplace certains des dix domaines que nous nous sommes donnés, nos thèmes, par les déterminants sociaux de la santé, la concordance avec le cadre en question est assez bonne.

Il y a un tableau dans les notes de la présentation qui fait voir tout en haut les dix domaines, dont chacun comporte de cinq à dix indicateurs. Comme les déterminants sociaux de la santé englobent toute une série d'activités quotidiennes, la concordance avec nombre des déterminants sociaux de la santé en question est assez bonne.

De fait, vous avez devant les yeux un mécanisme qui sert à mesurer les déterminants sociaux de la santé à l'échelon local ou municipal.

Quant aux messages importants touchant les données et l'accès aux données, je vais y aller rapidement. Il devrait y avoir une certaine répétition en ce qui concerne ces messages importants.

Si vous voulez parler de déterminants de la santé, de la santé des populations, il faut dire que la dynamique locale revêt une importance certaine. Comme il s'agit d'éléments qui surviennent localement, il faut les mesurer localement et les situer dans le contexte local. Or, cela comprend l'administration municipale, tout ce qui se passe au sein d'une municipalité, mais, dans le cas d'une ville, c'est ce qui se passe à l'échelon du quartier. Dans toute ville, vous allez être à même de constater des inégalités d'un quartier à l'autre du point de vue de la santé, comme nous le savons tous. Par contre, qui comprend la dynamique locale du phénomène? Les administrations municipales sont souvent bien placées pour comprendre cela. Voilà un des messages clés : il faut accepter que la dynamique de la santé se déploie localement. Puis, il faut comprendre que l'administration municipale a un rôle à jouer pour raccorder les éléments voulus.

Il y a aussi, comme je l'ai mentionné, la question des frontières municipales. Lorsqu'il est question de données sociales, la différence entre une RMR et une municipalité peut être énorme. Cela vaut pour le lieu comme dans l'exemple que je vous ai donné, mais cela va jusqu'à la conception même d'une enquête. Souvent, l'échantillonnage suffit uniquement à établir des données nationales et provinciales qui valent parfois à l'échelon d'une RMR, mais rarement à l'échelon d'une ville.

Il est primordial de s'attacher à la façon dont les questions sont posées et aux pressions qui s'exercent en rapport avec elles. Il faut absolument que les questions figurant dans le recensement soient pertinentes à l'échelon local. Il importe donc que l'administration municipale puisse participer aussi à la formulation des questions. De même, les frontières municipales importent.

Le pays regorge de données abondantes sur la santé, dont les ministères de la Santé sont les destinataires. Elles circulent souvent dans un monde distinct, prises dans un silo séparé des données sociales. Or, étudier les déterminants de la santé revient souvent à faire le lien voulu entre les données sociales et les données sur la santé. La manière de s'y prendre pour assurer l'intégration importe.

En Ontario, par exemple, les régions sanitaires collaborent étroitement avec les administrations municipales. Souvent, les conseillers municipaux siègent à la commission de la santé. L'intégration serait possible, mais ce sont des données qui circulent dans des mondes distincts. Comment réunir données sur la santé et données sociales, comment alimenter en données sur la santé le milieu des spécialistes des sciences sociales, y compris les planificateurs sociaux? Voilà un autre élément capital. Encore une fois, l'administration municipale représente un champ d'intégration possible où les gens comprennent le phénomène et ont leurs entrées dans bon nombre des disciplines sanitaires et sociales dont il est question.

Pour terminer, je dirai qu'il y a un projet baptisé Initiative de démocratisation des données municipales ou IDDM, qui sera approfondi. Essentiellement, il s'agit d'essayer de comprendre l'univers des données du point de vue des administrations municipales et de rendre les données accessibles à moindres frais. Les données coûtent cher. Il n'est pas rare qu'un tableau coûte 10 000 $. Or, acquérir ces données, les analyser, en tirer une signification se révèle coûteux. Selon nous, si nous mettons les données entre les mains des administrations municipales, qui, à leur tour, peuvent les rendre accessibles à diverses associations communautaires à l'échelon local, ce sera extrêmement utile pour faire progresser la cause des déterminants sociaux de la santé. Je suis fin prêt à répondre aux questions que vous voudrez me poser au fil de l'audience.

Pat Steenberg, coordonnatrice, Stratégie d'accès communautaire aux statistiques sociales, Conseil canadien de développement social : Je tiens d'abord à remercier les membres du sous-comité d'avoir invité le Conseil canadien de développement social, le CCDS, à comparaître et à commenter son quatrième rapport.

Je vais commencer ma déclaration en soulignant trois faits qui me paraissent revêtir une importance particulière. Premièrement, nous vivons dans un monde caractérisé par des changements rapides, des conflits, d'énormes migrations de populations, un sentiment grandissant d'insécurité individuelle et l'élargissement du fossé entre les riches et les pauvres.

Deuxième fait, nous savons tous que la santé dépend non seulement de notre héritage génétique, mais aussi des choix personnels que nous faisons. Notre environnement social, culturel, physique et économique influence ces choix.

Troisième fait : la notion de zone est importante. Les différences en matière d'état de santé peuvent aussi être marquées, voire plus, d'un quartier à l'autre que d'une ville à l'autre.

Le conseil est invité à commenter l'enjeu un, soit : faire le suivi des résultats obtenus en matière de santé et soutenir la recherche pour les interventions visant à améliorer la santé de la population.

Comme nous traitons des déterminants sociaux de la santé, j'ai décidé d'aborder le thème de la santé dans un contexte global. C'est-à-dire que la santé revient non seulement au bien-être individuel physique, psychologique et matériel, mais aussi à notre capacité de favoriser et de maintenir la santé de la population actuelle, sans compromettre la santé de personnes vivant ailleurs ou de celles qui ne sont pas encore nées.

Au conseil, je suis responsable de ce qui s'appelle la stratégie d'accès communautaire aux statistiques sociales, ou SACASS. Les sigles sont nombreux — CCDS et SACASS — mais la SACASS est un consortium national regroupant 16 réseaux régionaux d'utilisateurs de statistiques, dont un, soit dit en passant, dans chacune des six grandes villes canadiennes. Le consortium compte plus de 50 municipalités ainsi que des services de police, des conseils de planification sociale, des agences de services de santé et à la famille, des conseils scolaires, des œuvres de bienfaisance, des bibliothèques publiques et toute une panoplie d'organismes locaux. La SACASS sert de passerelle à ces groupes et leur permet de payer ensemble l'accès à des statistiques d'une valeur de plus de un million de dollars provenant de Statistique Canada, à un prix réduit.

Nous avons trois objectifs : accroître la disponibilité des statistiques, accroître leur accessibilité et accroître la capacité des utilisateurs, tout cela à l'échelon communautaire. Pour atteindre le premier objectif, nous devons améliorer et agrandir les banques de statistiques sociales. Pour atteindre le deuxième, il faut s'assurer que les données sont abordables et adéquatement configurées, et qu'il est facile de les acquérir. Pour atteindre le troisième, il faut offrir de la formation et de l'éducation en matière de consultations et d'analyse des statistiques, particulièrement au sein de la collectivité.

Les statistiques de la SACASS nous servent à comprendre le niveau de bien-être des gens et à concevoir et évaluer des politiques, des programmes et des services sociaux. L'intérêt que nous portons aux données rejoint donc en très grande partie celui des autres personnes qui travaillent dans le domaine de la santé publique. Malheureusement, et M. Frojmovic y a fait allusion, les secteurs de la santé et du développement social se sont éloignés l'un de l'autre — une rupture qui se concrétise par la séparation des initiatives et des ressources de recherche, et particulièrement les données. Les déterminants sociaux de la santé font foi de nos objectifs communs et de la nécessité d'instaurer une plus étroite collaboration.

Nous admettons tous que l'accès à des renseignements statistiques objectifs est essentiel à toute société qui se veut ouverte et démocratique. Je crois que vous pouvez trouver cela sur le site Web de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques. Nous le savons : de nos jours, le phénomène qui n'est pas mesuré passe tout simplement inaperçu.

De plus, les progrès techniques récents ont augmenté de façon phénoménale notre capacité de mesurer le progrès — c'est-à-dire de déterminer où nous en sommes par rapport à nos buts et à nos objectifs, sinon par rapport à ceux des autres, et d'évaluer les répercussions de nos interventions.

Toutefois, nous devons incessamment améliorer, agrandir et rationaliser nos bases de statistiques sociales au pays. Mesurer des phénomènes sociaux complexes nécessite non seulement une analyse des données, beaucoup de données, mais aussi une analyse des bonnes données. Nulle part serait-ce plus important que dans nos villes, là où vivent maintenant 80 p. 100 des Canadiens.

Comme nous le savons, il est question ici d'une croissance démographique explosive. Par exemple, entre le recensement de 2001 et celui de 2006, la population de la ville de Barrie s'est accrue de 19 p. 100, et celle de la ville de Red Deer, de 22 p. 100. Nos six plus grandes villes — ce sont, évidemment, Toronto, Montréal, Vancouver, Ottawa- Gatineau, Calgary et Edmonton — comptent tous plus d'un million d'habitants. Dans le cas de Toronto, c'est presque le double. Les villes ont enregistré près des trois quarts de l'accroissement démographique connu au Canada depuis le dernier recensement. Ensemble, ces villes abritent près de la moitié de la population canadienne.

Les administrations municipales fournissent 63 p. 100 des services publics, y compris les services sociaux et de santé publique liés aux déterminants sociaux de la santé, mais ne reçoivent que 8 cents sur chaque dollar de recettes fiscales perçues. Les villes doivent dépenser intelligemment l'argent dont elles disposent; or, pour cela, il faut disposer de données rigoureuses. Cela dit, les municipalités n'ont pas été particulièrement choyées au chapitre des données, d'un point de vue fédéral.

Pour récapituler, disons que les populations urbaines croissent et se diversifient aussi. Plus de diversité signifie souvent davantage de pauvreté et d'exclusions sociales, alors que la combinaison densité-diversité modifie le cadre des interactions sociales. Nous savons que les désavantages sociaux sont concentrés dans certains quartiers et que leur concentration en accentue les répercussions.

Il faut se donner impérieusement une nouvelle infrastructure sociale à l'échelle municipale, et cette infrastructure doit tenir compte de l'importante influence de la zone. M. Frojmovic a également évoqué cela. Le terme « zone » désigne un secteur géographique significatif pour ses habitants, par opposition à la « communauté », qui dénote un partage d'intérêt, de normes ou de valeurs entre des personnes, quel que soit leur lieu de résidence. Nous savons tous qu'un enfant réussit mieux s'il grandit au sein d'une famille saine, et qu'une famille a plus de chance d'être saine dans un quartier favorisé.

Nous savons aussi, par ailleurs, que les habitants des quartiers défavorisés sont plus susceptibles d'être pauvres, sans emploi, sans instruction, en mauvaise santé, victimes de crimes et maltraités.

Recourir aux statistiques pour dresser le profil des quartiers nous permet d'étudier la relation entre les effets du quartier, par exemple les déterminants sociaux de la santé, et les résultats individuels du point de vue du bien-être. Cela permet d'établir un lien entre les caractéristiques du quartier et les effets du quartier.

Cependant, pour établir un lien entre les caractéristiques des quartiers et leurs résultats du point de vue du bien-être, il faut à leur sujet des données en plus grand nombre et de meilleure qualité ainsi que des procédures cohérentes pour tracer leur profil.

À l'heure actuelle, de nombreux chercheurs et planificateurs canadiens utilisent des profils de quartier et conçoivent des indicateurs de résultats en matière de bien-être. Par contre, leur travail demeure en grande partie inutilisé, sinon sous-utilisé soit parce que les données sont incompatibles, soit parce que les gens ne sont simplement pas au courant de ce qui se fait dans ces divers domaines.

De plus, le Canada accuse un retard considérable sur d'autres pays quant à la disponibilité des statistiques sociales par quartier. De ce fait, nous craignons ne pas disposer des éléments appropriés — les indicateurs, données et méthodologies — pour justifier nos décisions d'intervention et mesurer leurs répercussions.

Le recensement constitue la source de statistiques sociales la plus riche qui soit. C'est l'une des seules où les données peuvent être ventilées par quartier. Toutefois, même si la planification sociale tend à se déployer à cet échelon-là, les découpages géographiques habituels du recensement n'en tiennent pas compte. De même, il faut se rappeler que les données du recensement sont recueillies seulement tous les cinq ans, ce qui est problématique dans un contexte de croissance rapide.

On a accès plus souvent aux données des enquêtes d'envergure nationale, comme M. Frojmovic l'a dit, mais les échantillons sont habituellement trop petits pour être vraiment utiles à la plupart des municipalités, particulièrement à l'échelon sous-municipal et à l'échelon des quartiers.

Autre problème : l'analyse des statistiques sociales exige que les données soient suivies au fil du temps. À moins que les questions ne soient posées de la même manière et conservées dans plusieurs sondages successifs, il n'y a pas d'information de suivi.

Nous, les participants à la SACASS, nous voulons plus de statistiques sociales, nous voulons des statistiques plus à jour, nous voulons des statistiques qui s'appuient sur des découpages géographiques significatifs à l'échelle locale. De même, nous voulons avoir le droit d'échanger librement ces données avec d'autres au sein de nos communautés.

Statistique Canada restreint l'utilisation de ses statistiques au moyen de licences d'utilisation. Les recettes tirées de cette pratique et d'autres mesures de recouvrement des coûts sont nécessaires à la poursuite de ses activités. Toutefois, les restrictions comprises dans les licences peuvent mener à des situations où les mêmes tableaux statistiques, les tableaux statistiques à 10 000 $ sont achetés maintes et maintes fois. Les coûts liés à l'achat de licences limitent grandement la capacité des organisations locales d'accéder aux statistiques pertinentes et importantes pour leurs communautés, de les utiliser et de les diffuser.

Nous recommandons fortement que le crédit parlementaire annuel à Statistique Canada soit augmenté pour garantir que l'organisme répond aux besoins nouveaux des municipalités canadiennes et de leurs communautés.

À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral recueille et génère une gamme riche et variée de statistiques sociales qui ne sont pas ou ne peuvent être mises à la disposition d'autres secteurs, ordres de gouvernement ou utilisateurs locaux. Parallèlement, comme je l'ai dit, de nombreux chercheurs canadiens, parfois au sein d'un même ministère fédéral, oeuvrent à la définition et au suivi du bien-être. Nous croyons que le moment est venu d'avoir une consolidation, une rationalisation et une coopération interdisciplinaire.

Le conseil estime qu'une première étape importante pour pallier au manque de données nationales consisterait à créer et à alimenter un inventaire statistique national qui permettrait de recueillir, de compiler, d'organiser, de stocker et de diffuser des statistiques sociales. La systématisation servira à améliorer l'accessibilité des données, permettra des comparaisons, garantira que les collectes de données sont complémentaires et non pas à double emploi, et de diminuer sinon de supprimer carrément les coûts.

Nous soutiendrions l'enrichissement et l'agrandissement de la base de données sur la santé de la population à cette fin. Cependant, une telle ressource doit être considérée comme partie intégrante d'une stratégie nationale de statistiques sociales et être élaborée dans ce contexte. Elle doit être comprise dans son ensemble comme une ressource communautaire et non comme une ressource qui serait uniquement ni même principalement destinée au secteur de la santé. En outre, les divers ordres de gouvernement devraient assumer conjointement le financement et l'entretien de cette ressource, dont la conception et le développement devraient toutefois être l'affaire, dès le début, de tous les utilisateurs concernés, particulièrement de ceux oeuvrant sur le terrain dans les domaines de la santé publique et du développement social. Or, ce n'est pas le cas en ce moment.

Encore une fois, la création et la gestion de la base de données devraient relever d'un partenariat approprié de fournisseurs et d'utilisateurs de données, dont Statistique Canada, des administrations gouvernementales touchées, du Conseil national du bien-être social, de l'Agence de la santé publique du Canada, de l'indice canadien du mieux-être, de la Fédération canadienne des municipalités et du Conseil canadien de développement social, entre autres. Les partenaires eux-mêmes devraient répartir comme il se doit les rôles et les responsabilités.

L'intérêt que vous portez au suivi et à la mesure des déterminants sociaux de la santé témoigne de l'intérêt général qui est de plus en plus porté à l'offre et à l'utilisation des statistiques sociales. Il témoigne aussi de ce que nous, au CCDS, estimons être un tournant paradigmatique dans la manière de comprendre et d'évaluer le bien-être individuel et sociétal.

Pour comprendre la santé de la population, nous devons savoir comment le bien-être y est réparti et savoir quels facteurs interviennent dans cette répartition. Les mesures globales masquent d'importantes variations dans la répartition du bien-être. Elles influencent inévitablement les analyses, dont les conclusions s'éloignent de fait d'une recommandation de changement et favorisent le statu quo.

Le président : Voilà qui était excellent. Cela nous amène, je crois, à l'exposé de Lynn Slotek.

Lynne Slotek, directrice nationale de projet, indice canadien du mieux-être, Fondation Atkinson : Merci de l'occasion que vous me donnez de m'adresser à vous cet après-midi. Je suis la directrice nationale de projet responsable de l'indice canadien du mieux-être, qui est abrité pour ainsi dire à l'Atkinson Charitable Foundation. Avec le concours de la greffière, je vous ai remis un document PowerPoint qui vous donne certains renseignements sur l'indice canadien du mieux-être. Je ne vais pas me lancer dans des explications très approfondies. Je vais plutôt résumer ce qui devient possible si nous décidons de pallier vraiment au manque de données et d'accroître la circulation potentielle des données au Canada.

L'indice canadien du mieux-être est un projet dont la création remonte à 1999, mais le travail qui s'y fait est plus intense depuis 2004. Il s'agit d'un projet pancanadien mené par un groupe de chercheurs et de praticiens du domaine des indicateurs de tout le pays, de St. John's, à Terre-Neuve, jusqu'à Whitehorse, au Yukon. Nous avons recouru aux meilleures données qu'offrent Statistique Canada et d'autres sources, mais nous avons appliqué une démarche publique, c'est-à-dire que nous avons consulté les Canadiens deux fois, réalisé des consultations publiques partout au pays à propos de ce que le terme bien-être signifie pour eux.

Il s'agit d'en arriver à une compréhension commune de ce qu'est le bien-être à l'échelle nationale. Pour cela, nous avons établi huit domaines. Nous parlons par exemple de populations en santé, ce qui renvoie aux déterminants sociaux de la santé, mais si on s'attarde aux autres éléments de la liste, y compris le niveau de vie et le dynamisme communautaire, on voit que de nombreux autres aspects des déterminants sociaux de la santé entrent en ligne de compte. Il s'agit d'établir une courbe de tendance en prenant huit domaines et en les regroupant en un indice unique. Cela nous permettrait de déterminer, au fil du temps, si le Canada se rapproche ou s'éloigne du mieux-être.

Le travail se fonde sur une série de valeurs nationales, depuis la sécurité jusqu'à la viabilité à long terme, en passant par l'équité, la justice et l'inclusion, toutes les valeurs dont les Canadiens discutent assez souvent. Nous traitons bel et bien de nos différences — il y en a, et il faut tenir compte de notre diversité —, mais, pendant les consultations publiques, j'ai été frappée de constater à quel point nous nourrissons des valeurs communes.

L'ICME a pour assise neuf valeurs canadiennes fondamentales. L'ICME comporte huit domaines et 64 indicateurs précis et mesurables ramenables à un seul chiffre qui nous dit si nous nous approchons ou nous éloignons du mieux- être. C'est là le but; c'est là la vision du projet.

Ce dont je voudrais vous parler, c'est de ce que nous avons appris en ce qui concerne l'idée de mettre en place au cours des six à neuf prochains mois l'indice canadien du mieux-être au profit des Canadiens.

D'abord et avant tout, les données chronologiques sur les déterminants sociaux de la santé sont limitées du point de vue de la durée et présentent d'importantes lacunes. Pour établir une courbe de tendance, il faut pouvoir alimenter l'analyse et se donner une série temporelle. M. Millar parlera probablement de certaines des lacunes graves qui existent, mais j'aimerais déclarer pour moi-même que la pauvreté, l'itinérance, les conditions de logement, la sécurité alimentaire et la sécurité du revenu sont des questions qui ne font pas l'objet d'un bon suivi. Si nous sommes sérieux et que nous souhaitons vraiment aborder les déterminants sociaux de la santé et faire évoluer le dialogue et le paradigme entourant la notion de bien-être ou de mieux-être au Canada, nous devons commencer à assurer le suivi de cette information-là.

Je ne m'étendrai pas inutilement sur la question, mais il faut également accroître la collecte de données. L'indice canadien du mieux-être n'est pas censé se déployer à l'échelon local, mais nous sommes frappés par la soif de connaître ces choses-là chez nos partenaires, par exemple la FCM, l'organisation responsable du rapport « Signes vitaux » des Fondations communautaires du Canada et l'Initiative de revitalisation des quartiers de Centraide. La planification ne peut se faire à l'échelon local, et on ne saurait procéder à la planification horizontale dans tout le pays ainsi qu'à la planification verticale des trois ordres de gouvernance sans cela. Il faut davantage d'indicateurs pour le quartier et pour le gouvernement, ce dont M. Frojmovic et Mme Steenberg ont parlé.

Il est extrêmement difficile de suivre le changement au fil du temps si les questions figurant dans les sondages ne sont pas toujours posées de la même façon. Un des principaux problèmes tient peut-être au fait que les utilisateurs de l'information ne sont pas mis à contribution. Il importe de poser la même question au fil du temps de manière à pouvoir vraiment suivre l'évolution des choses et l'aspect de la série chronologique.

La communication est faible, voire inexistante entre le milieu du développement social et le milieu de la santé à l'échelle des politiques et de la planification. Ce sont deux silos. Dans le milieu de la planification du développement social, il y a une abondante information sur ce à quoi ressemble une bonne ville et sur les liens qui existent entre cette dernière, une vie saine et les déterminants sociaux de la santé en question. Les gens de ce domaine ne s'entretiennent pas souvent avec les gens du domaine de la santé. Bon nombre de modèles et de pratiques au Canada font voir qu'une coopération intersectorielle à ce sujet pourrait se révéler fructueuse, mais c'est une possibilité que nous n'exploitons pas au maximum au Canada.

Il y a également les silos organisationnels et ministériels. Et puis, rares sont les partenariats conclus entre le gouvernement et les collectivités. De ce fait, l'information ne circule pas, d'où une planification malencontreuse. Il importe de faire en sorte que tout le monde soit sur la même longueur d'ondes et travaille ensemble. Enfin, il n'y a aucun cadre de travail intégré gouvernement-collectivités pour la collecte, l'organisation et la diffusion des données. Ce n'est pas une responsabilité qui revient uniquement au gouvernement. Il pourrait y avoir un partenariat collectivités- gouvernement qui aurait d'importantes répercussions pour le changement envisagé et qui permettrait de prendre en main le dossier des déterminants sociaux de la santé au Canada. Voici quelques recommandations que je vous transmets au nom du réseau pour l'indice canadien du mieux-être. Premièrement, Statistique Canada est visiblement un organisme gouvernemental bien financé pour le travail qu'il fait ici à Ottawa, mais il faut le financer correctement pour qu'il puisse satisfaire aux besoins de tous. Cela nous ramène au point souligné par Mme Steenberg, soit que l'information en question n'est pas accessible aux petits organismes locaux. Ils doivent payer maintes et maintes fois. C'est un problème qu'il faut régler.

Statistique Canada doit pratiquer un leadership plus ouvert dans le cadre des partenariats gouvernement- collectivités pour que les utilisateurs de données aient leur mot à dire dans le type de données qui est recueilli. J'en ai déjà parlé.

Statistique Canada et d'autres responsables de la collecte de données sur les déterminants sociaux de la santé devraient être en mesure de faire circuler leurs connaissances et montrer aux utilisateurs de données comment utiliser et interpréter les données.

Dans votre document Enjeux et options — et je me suis réjouie au plus haut point de le constater —, vous parlez de buts et de résultats sanitaires. C'est une stratégie importante : envisager des résultats et des buts concrets, mais ce sera en vain si la mesure ne figure pas dans une loi qui comporte des cibles, s'il n'y a personne pour défendre la cause politiquement et s'il n'y a pas d'investissements financiers à long terme qui sont faits.

La dernière recommandation que je vous transmettrais est la suivante : établir un cadre intégré de développement social et sanitaire multiniveau entre le gouvernement et les collectivités pour la collecte, le suivi, l'organisation, l'analyse et la diffusion des données sur les déterminants sociaux de la santé.

Merci de m'avoir écoutée.

Dr John Millar, directeur général, Surveillance de la santé des populations et contrôle des maladies, Provincial Health Services Authority, Colombie-Britannique : Merci de me donner l'occasion de témoigner devant vous à nouveau. Je travaille à la Provincial Health Services Authority en Colombie-Britannique. Les responsabilités officielles que j'y exerce consistent à travailler pour améliorer la santé de la population en Colombie-Britannique. J'ai travaillé en étroite collaboration avec les agents de santé publique en Colombie-Britannique ainsi qu'avec la British Columbia Healthy Living Alliance. Sur le plan national, je suis président du comité consultatif national du centre national de collaboration sur les déterminants de la santé. J'ai collaboré étroitement avec l'Alliance pour la prévention des maladies chroniques au Canada comme avec plusieurs comités fédéraux-provinciaux-territoriaux. Le point de vue que je m'apprête à vous donner est tiré de mon expérience dans tous les champs d'action que je viens de décrire.

J'ai lu votre quatrième rapport avec grand intérêt; le progrès dont il témoigne m'encourage. Je sais que vous m'avez demandé de commenter en particulier la question des données et celle de la recherche, mais ce sont des questions qu'il faut situer dans leur contexte; je vais donc profiter de l'occasion pour parler un peu des pistes d'action que j'espère que vous allez suivre en rapport avec des aspects précis de votre rapport final. Je sais qu'il s'agit ici d'un rapport préliminaire qui ne comporte pas beaucoup d'aspects précis, mais je vous inviterais vivement à envisager, au moment de discuter de stratégies nationales, d'y faire figurer tout au moins les cinq sujets suivants. Pour ceux parmi vous qui essayez de suivre mon exposé à l'aide du document PowerPoint, je commence plus ou moins à la page 4.

La première des cinq questions serait celle de l'itinérance et de l'accès au logement abordable au pays. Vous connaissez l'ampleur du problème. C'est tout le pays qui est touché. Or, il y a des raisons profondes de croire que l'action à cet égard rapporte. Les appuis sur ce point sont colossaux. La première question — l'itinérance et l'accès à un logement abordable — est très fortement liée aux problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Les trois premiers sont fortement liés entre eux. La deuxième question est celle de l'enfance et de la pauvreté des familles. Vous connaissez les problèmes qui existent en rapport avec cette question-là. La troisième question est celle du développement de la petite enfance et de l'accès universel à la garde des enfants, quelle qu'en soit la forme. La quatrième question est celle de l'obésité. Il y a toute une épidémie d'obésité au pays, et il nous faut à cet égard une stratégie nationale qui comporte des buts. La cinquième question est celle de la santé des Autochtones. Pour toutes ces questions il faut une stratégie, et pour les stratégies, il faut des buts. Comme Mme Slotek le disait, il faut des cibles pour atteindre les buts, et il faut des mesures pour atteindre les cibles. Voilà le contexte que j'ai voulu brosser avant de passer à mon exposé sur les données et la recherche.

Du point de vue des données, notre pays est béni : il compte un grand nombre de bases de données d'envergure. Vous avez entendu parler de certains des enjeux à cet égard. Certes, dans les domaines de la santé des populations et des déterminants sociaux, il y a encore beaucoup de travail à faire. Ce qui fait défaut, entre autres, c'est l'accès à de bonnes données économiques et à une bonne analyse économique : de nos jours, le gouvernement aussi bien que le secteur privé tient à avoir une analyse de rentabilité des projets. Qu'est-ce qu'il en coûte pour exécuter un programme et quels en sont les avantages et les retombées pour la société? Être limité faute de données économiques adéquates est pour nous monnaie courante. C'est une lacune qu'il faut corriger.

L'autre question est celle de l'accès aux données. Vous en avez entendu parler dans le cas particulier de Statistique Canada. Le problème que je veux soulever n'a pas été abordé aujourd'hui. C'est celui de l'accès aux données des ministères en général, sur le plan fédéral aussi bien que provincial. C'est l'accès aux données qui, souvent, est sévèrement limité sous le régime des lois sur la protection des renseignements personnels et la confidentialité. Au comité où je siège et pendant les réunions auxquelles j'assiste en Colombie-Britannique, j'entends dire qu'il y a des Canadiens qui meurent parce que l'accès aux données fait défaut. J'entends aussi dire que ce n'est pas seulement en raison des lois. C'est aussi parce que les gouvernements se servent des lois comme prétexte pour ne pas divulguer certaines données. Nous sommes aux prises avec une grande inhibition qui nous empêche de raccorder les bases de données et de mener les recherches qui s'imposent dans le secteur des interventions en santé publique.

Autre problème : même là où nous avons accès aux données, la capacité d'analyse est restreinte. À l'Institut de la santé publique et des populations, sous la férule de John Frank, là où j'ai eu l'honneur de siéger au conseil consultatif de l'institut, je peux vous dire qu'il y avait une grande frustration à ce sujet. C'est que le pays ne possède pas la capacité de recherche nécessaire pour se servir même des données dont nous disposons déjà.

Je vous recommanderais aussi de porter votre regard sur ce qui s'appelle les techniques de microsimulation économique. Encore une fois, Statistique Canada possède une expertise considérable en la matière, tout comme de nombreux établissements d'enseignement, mais c'est un secteur qui est considérablement sous-développé et sous- financé au pays en ce moment. Il s'agit d'une technique qui nous permet de faire des prévisions. C'est un procédé d'usage courant dans les conseils du trésor et les ministères des Finances, mais il ne s'emploie pas tant dans le domaine de la santé des populations. La technique nous permet d'estimer l'intrant en ce qui concerne les interventions possibles en santé publique.

Je tiens aussi à insister sur une chose que tout le monde vous a dite, soit qu'il faut des données localement. Encore une fois, les lois en matière de protection des renseignements personnels et de confidentialité empêchent souvent la divulgation des données à l'échelon très local. Nous devons trouver une façon de régler ce problème. Encore une fois, les ressources consacrées aux données locales sont inadéquates.

Pour conclure, permettez-moi d'aborder les problèmes entourant la recherche en santé publique. Le besoin criant est à l'égal du sous-financement qui touche la recherche sur les interventions en santé publique au pays, y compris, comme je l'ai déjà mentionné, pour les études coûts-avantages. Si vous regardez la façon dont l'Institut canadien d'information sur la santé, l'ICIS, attribue actuellement son financement, vous verrez que le quatrième pilier — celui de la santé publique — est de loin le moins bien nanti. C'est une fraction de l'investissement qui est encore fait dans les sciences fondamentales et les sciences cliniques. Il faut augmenter le budget.

Le président : Je vous remercie tous et je prends l'initiative des questions. Il me semble que vous êtes tous en train de nous dire — et nous avons déjà entendu cela — ce qu'il nous faut, du point de vue des données, pour évaluer la santé publique et susciter le changement. Il faut un répertoire national des données. Il doit être adapté au contexte des collectivités; j'irais peut-être jusqu'à dire qu'il doit être communautaire. Vous prêchez aux convertis. Il y a un bon moment que nous croyons qu'il faut organiser cela à l'échelon communautaire.

Encore une fois, vous nous avez donné la litanie d'organismes exceptionnels qui traitent de données, par exemple Statistique Canada et l'ICIS pour sa nouvelle initiative, et tous les autres. Leurs représentants sont venus nous présenter leur témoignage au moins une fois, et plusieurs fois dans certains cas, et ils essaient d'être le plus serviables possible.

Il y a ici une question difficile que j'aimerais que vous envisagiez tous les quatre. Je crois énormément au pouvoir des réseaux, par opposition au contrôle descendant, car cela permet aux initiatives de croître et de se lier entre elles. Tout de même, il faut qu'il y ait une force quelconque de coordination, un organisme. Nous menons des recherches là-dessus depuis un certain temps; il en a été question dans notre dernière livraison d'Enjeux et Options. Qui peut s'en charger? J'ai demandé à Michael Wilson, la dernière fois où il est venu comparaître, si Statistique Canada pouvait le faire. J'ai demandé aux responsables de l'ICIS si ce dernier pouvait le faire. Grâce à son initiative sur la santé de la population, l'ICIS semblait former le groupe le plus optimiste. Certaines personnes, par exemple John Frank, ont dit : « Je crois qu'il faut un nouvel organisme-cadre. » J'aurais espéré le contraire, mais peut-être nous faut-il un tel organisme. Il y a un si grand nombre d'organismes de qualité. Si nous pouvions les mobiliser, j'aurais espoir qu'ils fassent ce qu'ils ont à faire.

Chacun d'entre vous peut-il nous dire qui, selon lui, pourrait prendre la situation en main? Qui pourrait coordonner la tâche, lancer le projet en question sur les données?

M. Frojmovic : Je vais commenter certaines des questions dont j'ai parlé moi-même et dont j'ai entendu parler.

Ce qui empêcherait le projet de porter fruit en ce moment, c'est que Statistique Canada est aux prises avec un conflit : sa façon actuelle de procéder lui rapporte des fonds. Voilà où le problème a pu résider en partie. L'organisme pourrait jouer ce rôle-là si sa subsistance n'était pas en jeu, mais cette avenue lui semble interdite en ce moment.

Faire appel à un organisme comme l'ICIS ne permet pas d'abattre le mur qui existe entre le secteur de la santé et l'autre secteur. Les deux entités en question — Statistique Canada et l'ICIS feraient partie intégrante de ce dont nous parlons. Par contre, chacune d'entre elles, si elle est laissée à elle-même, ne peut remédier à ce problème.

Peut-être que Mme Steenberg peut parler de ce qui point à l'horizon. Comme vous avez pu le dire, les organismes fleurissent, mais chacun reste coi. Il y a des tentatives faites pour mettre ces éléments en réseau à la base. Voilà peut- être l'introduction que j'utiliserai pour parler du sujet que Mme Steenberg a abordé.

Mme Steenberg : Pour répondre à la question, le sujet que vous abordez comporte deux parties. Il y a d'abord la partie opérationnelle, qui consiste à entretenir les données et à s'assurer qu'elles circulent, qu'elles sont accessibles. L'autre partie renvoie à un rôle stratégique, qui vise à savoir quelles données il faudrait avoir, comment il faudrait les saisir, ce qu'il faudrait acquérir et ainsi de suite, autrement dit tous les aspects stratégiques envisagés pour rendre les données disponibles.

Quant à la partie opérationnelle, Statistique Canada ou l'ICIS pourrait s'en charger. Ils ont l'infrastructure nécessaire pour s'occuper de la partie opérationnelle du problème moyennant un financement adéquat.

Quant à la partie stratégique, par contre, j'aime penser qu'il y aurait un truc que j'appellerais pour moi-même la « table ronde nationale sur les données et l'infrastructure sociales », qui ressemblerait à la table ronde nationale sur l'économie et l'environnement. Cette table réunirait Statistique Canada, l'ICIS et tous les grands intervenants, qui pourraient alors prendre des décisions touchant la politique d'utilisation de la ressource en question. Quant à savoir où ce serait abrité et géré, il y a plusieurs choix possibles.

Dr. Millar : Votre question concernait-elle les données locales en particulier?

Le président : Il doit y avoir une capacité locale. Autrement dit, si nous n'arrivons pas à organiser ce projet à l'échelon local, il est condamné à l'échec, compte tenu de la diversité du pays.

Dr. Millar : Cela se fait déjà. Je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler, mais Terre-Neuve dirige un projet depuis des années. C'est le projet des comptes sociaux communautaires.

Le président : Croyez-moi, nous en avons entendu parler abondamment. Il y a le sénateur Cook et sénateur Cochrane qui nous viennent de Terre-Neuve.

Dr. Millar : L'expérience a été reproduite en Nouvelle-Écosse, et nous essayons maintenant la même chose en Colombie-Britannique. Je n'ai pas de précisions sur les autres provinces, mais, en Colombie-Britannique, ça tourne sur une plate-forme de SIG, de systèmes d'information géographiques, et le premier ministre a donné son appui.

Nous avons toutes les données provenant des ministères chargés des ressources naturelles. Toutes les données touchant le développement économique. Nous sommes en train d'y intégrer les données des ministères sociaux, de manière à regrouper l'ensemble des données sur la santé, le soutien du revenu, l'éducation et ainsi de suite. Tout cela s'y retrouvera et, en appuyant simplement sur un bouton, on devrait pouvoir obtenir le découpage géographique que l'on veut. La technologie existe. La coordination du projet en Colombie-Britannique est confiée à un regroupement dirigé par BC Stats où nous avons notre place.

Certes, ça semble tout à fait possible à l'échelle provinciale. Étant donné que nombre des bases de données importantes que nous souhaitons avoir sont générées à l'échelle provinciale, c'est là au moins une partie de la réponse à votre question — c'est-à-dire qu'on fait cela à l'échelon provincial puis, jusqu'à un certain point, on peut faire un cumul national.

Le président : Je vois Mme Steenberg qui fait signe de la tête...

Mme Slotek : C'est là où je voulais en venir avec ma dernière recommandation. Je suis d'accord avec Mme Steenberg : il nous faut des gens autour de la table, de tous les segments du secteur. C'est ce qui donnera forme au projet.

M. Millar a raison. Ça se fait, mais nous ne le voyons pas tous. Si nous réunissions ces gens de l'ensemble des secteurs, nous arriverions probablement à une solution.

Le Dr Millar a raison. L'endroit stratégique est choisi, le lieu qui abrite la chose, c'est une autre question. Je ne suis pas sûre que Statistique Canada, étant donné le rôle important qui lui revient du point de vue de la diffusion des données, puisse prendre en charge la conception de la stratégie, mais l'organisme peut concevoir les données voulues.

Les gens du projet de comptes communautaires à Terre-Neuve font partie de notre réseau de l'indice canadien du mieux-être. S'il y avait des comptes communautaires dans chaque province du Canada, nous pourrions dégager des pratiques exemplaires de ce point de vue-là pour en arriver à l'échelle nationale. C'est brillant et c'est bien fait. Ils ont éliminé bon nombre des petits problèmes qui existent. Il vaut la peine d'envisager la chose.

Le président : Nous allons nous rendre sur place pour voir de quoi il retourne. Ça sera certainement un élément de notre rapport.

Mme Steenberg : Ce n'est pas tant que ça ne devrait pas se faire à l'échelle provinciale. Le modèle d'Alton Hollett est merveilleux, mais il n'est pas appliqué à l'échelle provinciale.

La deuxième difficulté réside dans le fait que les données ne peuvent être divulguées une fois qu'on est rendu à l'échelon du quartier. Statistique Canada dispose de données sous licence à cet échelon-là. Il est permis seulement de donner un libre accès aux données dont le but du découpage correspond à la SDR, la subdivision de recensement. Ce sont là les découpages géographiques du recensement. Voici : une RMR, c'est-à-dire une région métropolitaine de recensement, qui correspond à une grande zone municipale; un secteur de recensement, c'est-à-dire une ville, une municipalité particulière à l'intérieur de la zone en question; et une subdivision de recensement, qui est inférieure en taille à une ville, mais qui pourrait être un comté. Puis, il y a ce qu'on appelle un « secteur de recensement », c'est-à- dire, dans certains cas, une zone qui a la taille d'un quartier, mais qui est habituellement un peu plus grande. Cela a tendance à renvoyer à des découpages géographiques stables de zone comptant environ 50 000 personnes; il n'est possible de disposer de données à ce sujet que dans le cas des grandes villes. Puis, il y a plus petit encore après cela.

Statistique Canada rend disponibles certaines données à l'échelon du secteur de recensement, mais si vous voulez plus petit que cela, vous devez payer. Il faut une licence d'utilisation, et il est possible seulement d'échanger les informations avec ceux qui ont également la licence.

Le projet d'Alton Hollett est très bien, mais aucune de ces collectivités n'est de l'ordre du quartier. Aucune d'entre elles n'est inférieure en taille à la SDR. C'est une des difficultés que présente ce modèle. C'est un modèle merveilleux, mais il ne sera pas utile aux municipalités de la façon dont M. Frojmovic et moi en avons parlé.

M. Frojmovic : Il y a des choses qui se font dans certaines provinces, mais s'il faut attendre que les dix provinces et les territoires en arrivent à un système cohérent que nous pouvons tous utiliser localement, nous en avons probablement pour un bail.

Il a été question de la possibilité de recourir à des cartes et de commencer à visualiser des données à l'échelle du quartier ou de la ville entière. C'est un outil d'analyse puissant. La technologie qu'il faut à cet égard est d'ores et déjà accessible. Vous pouvez disposer d'un point d'entrée unique pour l'ensemble du pays qui, en mode descendant, vous permet d'aller jusqu'au quartier et même jusqu'aux pâtés de maisons, si vous le voulez, avec les données qui proviennent du recensement à ce sujet. Les données du recensement existent; elles sont disponibles.

Le Sénat pourrait se porter acquéreur du découpage géographique entier du Canada, de toutes les données de recensement jusqu'aux pâtés de maisons, intégrer cela à un outil de visualisation cartographique, qui ne vous coûterait pas cher, et vous seriez alors assis sur un répertoire de données d'une incroyable puissance.

Par ailleurs, si vous vous adressez aux dix provinces, vous pouvez obtenir leurs données sur la santé à partir des données sur les admissions dans les hôpitaux : pourquoi est-ce que je me rends à l'hôpital? À quel moment me donne-t- on congé? Pourquoi me donne-t-on congé? Vous avez mon code postal et mon adresse civique, et vous pouvez visualiser cela. Prenez les deux séries de données — c'est-à-dire les données sur la santé de chacune des dix provinces et les données du recensement — et intégrez-les à un seul et unique portail de visualisation : n'importe quel organisme au Canada dispose d'ores et déjà de la capacité de se donner un outil d'analyse d'une incroyable puissance demain matin.

Il ne s'agit pas de savoir si nous disposons de la technologie et de certains des outils de travail. Tout est là. Il faut que quelqu'un prenne le dossier en main pour faire converger les éléments. C'est tout ce qu'il faut — c'est-à-dire que des organismes se réunissent autour d'une table et utilisent la visualisation des cartes et les données sur la santé et données sociales. Tout est là, mais il faut que quelqu'un prenne les rênes de la situation et mette tous les ingrédients ensemble.

Le président : Il ne nous reste qu'une heure. Je dois m'arrêter là parce que les autres sénateurs veulent traiter avec vous.

Est-ce que l'ICIS peut le faire? L'ICIS peut-il prendre la situation en main, c'est-à-dire l'initiative sur la santé de la population?

Mme Steenberg : Oui, s'il est prêt à jouer un rôle rassembleur. Peu importe qui est chargé de la tâche, car il y a autour de la table les gens qu'il faut, c'est-à-dire les fournisseurs et les utilisateurs de données.

Le président : Et à étendre ces activités au secteur des services sociaux?

Mme Steenberg : Oui.

Le président : Merci.

La prochaine question nous vient du sénateur Eggleton. Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, le sénateur Eggleton a été maire de Toronto pendant très longtemps. Par contre, il n'a jamais réussi à faire construire un tunnel entre le Royal York et l'aéroport.

Le sénateur Eggleton : Vous avez découvert cela hier soir, n'est-ce pas?

Le président : Il est président du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Il effectue une étude parallèle à la nôtre, sur les villes. Nous allons souvent prendre part aux audiences de l'autre, moi et lui, étant donné que nous avons tant de choses en commun.

Le sénateur Eggleton : Merci.

Je veux explorer un peu quelques questions. Lorsque nous parlons de données, Statistique Canada reçoit la plus grande part de l'attention. La discussion porte sur cet organisme. Docteur Millar, vous dites qu'il existe d'autres sources de données, mais le problème, ce sont les obstacles. Comment pouvons-nous éliminer les obstacles? Par quoi commencer?

M. Millar : Voilà une excellente question. Les gens discutent de cela depuis un certain temps déjà. Il y a une tension entre le mouvement chez le public en faveur de la protection de sa vie privée et le besoin pour le système d'accéder aux données.

À l'époque où j'étais à l'ICIS, nous avons eu des discussions répétées avec Statistique Canada, avec les IRSC, les instituts de recherche en santé du Canada, et d'autres organismes à la recherche d'une solution. Une solution consistait à se donner, d'abord et avant tout, un répertoire. Or, le répertoire est chose faite, du moins pour les bases de données sur la santé. Nous avons un répertoire.

L'étape suivante consistait toujours à susciter d'une façon ou d'une autre au dialogue public dans l'ensemble du pays, de sorte que les gens puissent comprendre ce qu'ils perdaient du fait d'un dosage mal équilibré : d'une part, une trop grande insistance sur la vie privée et, d'autre part, une accessibilité négligée. Le dialogue public en question n'a jamais eu lieu, et il faudra peut-être que ça se fasse pour que le grand public se rallie à l'idée d'ouvrir l'accès à ces données.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Frojmovic, votre travail pour la Fédération canadienne des municipalités m'intéresse. Vous y êtes depuis 12 ans maintenant, et vous comptez 22 municipalités qui participent au projet. Je note que certaines d'entre elles sont régionales et d'autres, locales, ce qui veut dire qu'elles n'ont pas forcément les mêmes intérêts. Vous pourriez lui dire ce que vous faites pour surmonter cet obstacle.

Tout de même, je me demande quels sont les résultats que vous avez obtenus au profit de vos clients. Vous avez 22 municipalités qui ont décidé d'adhérer au projet. Quels sont les résultats que vous êtes parvenu à produire en rapport avec les déterminants sociaux de la santé?

M. Frojmovic : Pour ce qui est des résultats, le projet comporte deux buts. Il y a deux utilisateurs, dont la Fédération canadienne des municipalités elles-mêmes, et il faut tenir compte de son interaction avec le gouvernement fédéral et essayer de véhiculer des messages clairs à propos des besoins qui existent, qu'il s'agisse d'infrastructure ou d'itinérance ou de logement, et il faut pouvoir compter sur des données empiriques.

Indubitablement, le fait d'avoir accès aux données vous permet de dégager les tendances pour la période qui s'est écoulée entre 1991 et 2006, travail qui s'est révélé efficace pour ce qui est de la moitié de la population. Du point de vue des résultats, j'imagine qu'il faut savoir dans quelle mesure la FCM a su travailler efficacement avec le gouvernement fédéral à accomplir ces objectifs-là. L'autre utilisateur, ce sont les 22 municipalités, et il y en a plusieurs types.

Pour ceux parmi vous qui connaissent bien le monde des municipalités, il y a des villes comme Vancouver, qui comptent un demi-million d'habitants, mais qui évoluent dans le Grand Vancouver, qui est nettement plus vaste. Il y a des municipalités régionales comme Niagara, qui regroupent en fait 12 municipalités de moindre envergure. Certes, elles présentent des intérêts divergents, mais leurs intérêts convergent autour du fait qu'elles présentent des besoins infraprovinciaux relativement locaux. L'utilisation qu'elles font de ces données, outre le fait de simplement encourager la FCM à défendre leurs intérêts, c'est simplement de les intégrer.

Il y a des employés municipaux qui m'ont raconté qu'ils sont en mesure de discuter avec leurs conseillers de la question de l'itinérance en faisant référence à ces données-là, à la fois pour leur collectivité à eux, mais aussi pour situer leur collectivité par rapport aux autres villes en question. Lorsque le conseil de la municipalité régionale d'Halifax entend dire ce qui se passe à Halifax puis compare cela à ce qui se produit à Calgary ou à Edmonton ou encore à Hamilton, la réaction, m'a-t-on dit, diffère nettement de celle que suscitent habituellement les histoires d'itinérance.

La question de l'itinérance représente un exemple intéressant, étant donné qu'il y a une nouvelle initiative fédérale visant à déterminer l'ampleur de l'itinérance en regardant les refuges qui existent partout au pays et en réunissant des données. C'est le système d'information sur les personnes et les familles sans abri, le SISA.

Les responsables du système se débattent avec la tâche de réunir les données administratives voulues auprès de ces milliers de refuges. La FCM, quant à elle, travaille auprès des administrations municipales qui collaborent avec bon nombre des refuges en question et ont droit à des comptes de leur part, et sont en mesure de signaler dans un contexte relativement simple ce qui se passe dans le réseau des refuges pour la collectivité en question.

Le résultat, c'est d'essayer de comprendre en termes empiriques ce qui se passe vraiment à l'échelle municipale dans la mesure où les données existantes évoquent rarement les administrations municipales. C'est d'une RMR ou d'une province qu'il est question. Cela s'est révélé utile de se point de vue-là. C'est un des produits concrets. Tous les ans, il y a une sorte de rapport thématique qui est produit. Il y en a eu cinq jusqu'à maintenant, au cours des quatre dernières années. Le plus récent porte sur la question du logement et de l'itinérance. Les rapports en question visent à relever les questions et les tendances principales qui touchent les administrations municipales en milieu urbain et à établir des comparaisons entre ce qui se fait dans le milieu des municipalités urbaines et le reste du Canada. Le prochain rapport, qui doit être publié à l'automne, portera sur l'immigration.

Pour répondre à votre question, il s'agit simplement d'alimenter en données empiriques des discussions qui seraient autrement floues et d'éclairer le conseil sur certains cas relevés, et d'offrir à la Fédération canadienne des municipalités certaines données qu'elle peut mettre à contribution en collaborant avec ses homologues au gouvernement fédéral.

Le sénateur Eggleton : Vous intégreriez les données de Statistique Canada, mais aussi les données que vous obtenez des municipalités.

M. Frojmovic : C'est cela.

Le sénateur Eggleton : Vos études font voir une combinaison plutôt unique.

M. Frojmovic : Oui. Dans le cas qui nous occupe, nous utilisons un outil de collecte de données municipales en direct, c'est comme ça que nous l'appelons, et la difficulté réside dans le fait que les municipalités ont chacune pour mandat quelque chose de différent, étant donné qu'elles rassemblent des données dans dix provinces différentes. Il y a toutes sortes de choses qu'elles définiront de façon radicalement différente d'un cas à l'autre. De fait, nous devons travailler à partir du plus faible dénominateur commun. Pour prendre l'exemple des loisirs, à Regina, si vous voulez savoir ce qu'il en coûte à une famille de quatre personnes d'avoir accès aux installations municipales prévues pour les loisirs pendant une année, il faut savoir d'abord que certaines villes n'offrent pas la possibilité d'adhérer aux services de loisirs pendant un an. D'autres le font. Dans certains cas, les gens ont accès à toutes les installations. Dans d'autres, c'est seulement l'accès aux piscines qui est accordé. Vous devez alors trouver un dénominateur commun pour mesurer la qualité de vie ou les déterminants de la santé, si vous voulez. Cela s'applique, qu'il s'agisse de loisirs ou d'itinérance, d'une panoplie de mesures.

Le sénateur Eggleton : Regardez-vous aussi les quartiers?

M. Frojmovic : La Fédération canadienne des municipalités ne se penche pas sur les quartiers, mais nous avons déjà amplement discuté de la question avec les responsables de la SACASS : il serait simple, dans de nombreux cas, d'appliquer les mêmes indicateurs à l'échelon du quartier au moyen de cartes de visualisation, bien entendu. Les moyens de le faire existent. De nombreuses municipalités le font indépendamment du projet dont il est question, y compris Toronto. Toronto est un merveilleux partenaire.

Le sénateur Eggleton : Lorsqu'on étudie la pauvreté, le logement et l'itinérance, les questions de ce genre, je crois que c'est utile.

Le sénateur Cochrane : Je ne sais pas si j'ai une question à poser, mais nous avons beaucoup entendu parler de collecte de données et d'insuffisance des données, du problème de Statistique Canada et ainsi de suite. Il doit bien y avoir une solution. Nous savons que la coordination des tâches pose des difficultés, mais, Michel, peut-être avez-vous bien la solution. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce que vous disiez à propos de cette solution en ce qui concerne la consultation des municipalités, des provinces, de l'administration fédérale, et je ne sais quoi encore?

M. Frojmovic : Je suis heureux de savoir que vous croyez que j'ai la solution.

Nous discutons régulièrement de ces questions-là. Ce que je voulais faire valoir, c'est que les techniques nécessaires pour faire certaines choses, produire une carte où figure chacun des quartiers au Canada, sont terriblement accessibles. Elles ne sont pas coûteuses. N'importe quel étudiant que vous irez chercher dans la rue sait exactement comment s'en servir s'il a étudié dans un département de géographie. Les organismes — par exemple Statistique Canada, tous les cinq ans — recueillent religieusement les données nécessaires à ces outils de visualisation. Les données sur la santé sont recueillies quotidiennement. Il y a toutes sortes de systèmes en place au sein des administrations régionales de la santé dans tout le pays et au sein des ministères provinciaux de la santé si vous voulez savoir comment il faudrait réunir ces données-là.

Les données existent, les outils d'analyse des données existent aussi, mais il est clair que l'ensemble ne prend pas forme. Il y a des problèmes en ce qui concerne les coûts, des problèmes touchant la protection des renseignements personnels aussi, et, de même, il faut simplement essayer d'abattre les silos.

La limite que comporte l'entrée en scène d'une organisation comme l'ICIS, pour ceux qui s'intéressent aux affaires sociales, c'est que l'ICIS n'est pas conçu pour communiquer avec nous de ce côté-là de la clôture. Il faudrait une entité pour le guider. À cette échelle-là, le gouvernement fédéral joue un rôle de ce genre. Je n'ai pas la réponse à la question, mais il y a tant d'outils et de systèmes qui existent, qui attendent d'être utilisés.

Le sénateur Cochrane : Est-ce que Statistique Canada pourrait se charger de cette tâche-là?

M. Frojmovic : Pas à lui seul. Il ne pourrait tenir lieu de premier responsable, dans l'état actuel des choses.

Le sénateur Cochrane : Je vois où vous voulez en venir. C'est un organisme gouvernemental.

M. Frojmovic : Ce n'est pas parce qu'il s'agit d'un organisme gouvernemental.

Le sénateur Cochrane : Non, mais certains auront peut-être cette idée. Les employés au gouvernement sont soumis à des restrictions, par exemple, mais quelqu'un doit prendre le taureau par les cornes et agir.

M. Frojmovic : Statistique Canada ne fera pas cela. Dans l'état actuel des choses, il n'est pas équipé pour prendre le taureau par les cornes.

Le sénateur Cochrane : Avez-vous une autre proposition?

M. Millar : En réalité, de notre vivant, nous n'allons probablement jamais recueillir des données sur la santé à l'échelon local en rapport avec les questions qui nous intéressent au plus haut point : combien de gens fument? Est-ce que les gens font suffisamment d'exercice? Qu'en est-il de la nutrition, du poids, de l'IMC, l'indice de masse corporelle et ainsi de suite? Il est difficile d'obtenir ces données-là. Nous nous fions à des enquêtes pour cela. Or, la technologie des enquêtes est exigeante. Obtenir des données exactes sur des zones géographiques de très petites tailles devient de plus en plus difficile, étant donné qu'il faut téléphoner aux gens ou leur rendre visite pour leur parler. Les gens aujourd'hui utilisent simplement un téléphone cellulaire dont le numéro ne figure pas dans les banques de données. Les gens sont nombreux à ne pas répondre au téléphone ou à ne pas vouloir participer à une enquête.

Nous en sommes au point où il faut reconnaître que, pour les données du type que l'on obtient grâce à une enquête, nous n'allons probablement pas pouvoir aller en deçà de la zone de l'administration locale de la santé, qui est plutôt vaste. La quantité de données qu'il est possible d'obtenir dans certains cas est soumise à des contraintes bien réelles.

Mme Steenberg : J'aimerais dire trois choses en réaction à la question du sénateur Eggleton et en réaction à votre question à vous, sénateur Cochrane.

La première question vise à savoir pourquoi ces choses-là ne se font pas. Nous savons que les données existent. Il y a quelques raisons à cela. Il y a une question technique, celle de la compatibilité. Comme chacun réunit des données à sa façon et que les gens ne se parlent pas entre eux, les données ne sont tout simplement pas comparables d'un territoire à l'autre. Les gens réunissent les mêmes données, mais ils le font peut-être un peu différemment, de sorte qu'on ne peut simplement procéder à une consolidation. Voilà la question pratique, qui n'est pas en elle-même la plus difficile à résoudre.

La deuxième question, c'est celle de la propriété, et cela s'applique non seulement à la collectivité et au secteur de la recherche, mais aussi aux organismes gouvernementaux. Les indicateurs font foi de tout en ce moment. Tout le monde a ses indicateurs. Ils ont la cote. Le budget de chacun dépend d'un projet d'indicateur. Les gens ne sont pas chauds à l'idée de partager à ce sujet.

L'ICIS travaille en ce moment à son portail. RHDSC, Ressources humaines et développement social Canada, est à concevoir un portail semblable. Ni l'un ni l'autre ne compte actuellement au sein de son comité ou de son équipe de concepteurs, quelqu'un qui provient de la collectivité elle-même. Nous savons que ces comités-là existent et nous avons donné à entendre qu'il importe que les gens de la collectivité aient leur mot à dire. Quoi qu'il en soit, c'est comme cela.

C'est riche aussi du côté des données administratives, ce à quoi le Dr Millar et d'autres ont fait allusion. L'Agence du revenu du Canada, l'ARC, possède une quantité incroyable de données qu'il est possible de segmenter, jusqu'au ménage. Elle possède toutes sortes de données qui nous disent où vous travaillez et ce que vous faites.

Je crois que vous avez parlé à Michael Wolfson, de Statistique Canada, qui a dit que son organisme pourrait tenir lieu de banque suisse pour ce genre de données-là. Il pourrait l'organiser, le rationaliser, tout cela. Cependant, il ne peut mener la charge pour les raisons que Michel a évoquées

Enfin, je vais revenir à la question des données à l'échelon du quartier. Le problème réside en partie dans le fait que nous ne comprenons pas les sources de données de la même façon. Il y a les données du recensement, qui permettent d'établir un profil démographique, jusqu'à l'échelon du quartier. En même temps, l'Ontario a mis en place une grande base de données éducatives qui renferme des informations sur les étudiants jusqu'au niveau individuel. La progression de tous les étudiants figure maintenant dans cette nouvelle base de données, qui est encore à être mise en place et qui présentera toutes les caractéristiques du développement et de la progression de l'étudiant en question.

Vous pouvez prendre ces données-là qu'il est évidemment possible de ventiler jusqu'à l'échelon du quartier, regarder ce à quoi ressemble le profil de votre quartier, regarder le rendement des étudiants à l'école selon le groupe d'âge et établir des corrélations. Y a-t-il des questions qu'il faut creuser? Est-ce que des profils semblables débouchent sur un état de préparation semblable aux études et à un rendement semblable à l'école même? Nous savons ce qu'accomplit l'indice de développement précoce. Il s'agit de mesurer l'état de préparation aux études et de regarder les effets de voisinage aux fins d'une comparaison.

Comme je crois l'avoir déjà dit, les données existent. Il y a toutes sortes de gens qui pourraient se charger de la tâche. Il faut seulement qu'il y ait une volonté politique, et c'est la volonté politique qui a manqué jusqu'à maintenant, la volonté de se lever et d'affirmer qu'il nous faut une stratégie nationale relative aux données qui servira de pierre de touche aux projets de données de chaque ministère et de chaque administration gouvernementale, et d'affirmer : c'est cela qu'il nous faut.

Mme Slotek : Nous avons passé beaucoup de temps à souligner ce qui n'existe pas du côté des données. Nous disons également qu'il existe une myriade de données. On peut se poser la question : et puis après? Pourquoi continuer? À un moment donné, il faut s'éloigner des données et réfléchir à des objectifs nationaux et aux buts ultimes de l'affaire. Nous soucions-nous du fait qu'il y ait de la pauvreté? Si c'est le cas, il faut établir des buts et des résultats à atteindre en rapport avec les mesures envisagées, puis s'aligner sur la collecte de données qui s'imposent.

Par le truchement du consortium, nous avons discuté des demandes que nous voulons présenter d'un point de vue stratégique. Il ne faut pas faire une liste d'épicerie. Il y a 25 indicateurs différents que nous pourrions envisager, mais, à un moment donné, nous devons nous réunir à une table ronde intersectorielle pour déterminer quel est le but ultime de l'affaire, pourquoi nous rassemblons des informations et quels sont les repères concrets qui nous permettraient d'atteindre les buts et les objectifs fixés. Les données viennent éclairer le chemin pour que nous puissions concevoir des solutions.

Il faut d'abord prendre ses distances des données, puis réfléchir à des objectifs nationaux d'ordre général. En l'absence de buts et d'objectifs nationaux d'ordre général, nous n'avons pas vraiment de but ultime. Il n'y a pas d'orientation, de vision sur laquelle nous pouvons vous guider.

Cela est troublant sous plusieurs aspects. Les Canadiens comprennent cela. Vous dites dans votre document — Enjeux et options — que les gens ne comprennent pas ce que sont les déterminants sociaux de la santé. Au contraire, ils comprennent bien ce que sont les déterminants sociaux de la santé. Ils ne savent peut-être pas où aller chercher les données, mais ils peuvent vous dire en termes simples ce qu'ils pensent, et ils parlent bel et bien de vision. Ils parlent de buts nationaux et d'objectifs nationaux et d'engagements intersectoriels, étant donné que c'est ce qu'ils font déjà au sein de leur collectivité locale. Ils y voient une pratique exemplaire à laquelle il est possible de recourir horizontalement et verticalement au Canada. Cela est possible.

M. Frojmovic : À propos de la notion de solution, il en existe une qui est excellente, mais vous allez vous créer beaucoup d'ennemis à la mettre en place.

Nous sommes assis sur des trésors de données, et la technologie pour les exploiter est accessible. Les associations de résidants ou associations communautaires locales pourraient se donner un petit portail là où se trouvent leurs locaux. Ils pourraient avoir accès à toutes les données et à tous les outils de visualisation qu'il leur faut.

À titre d'exemple, aux États-Unis, les banques ont pour mandat d'investir dans le développement communautaire local. Les banques n'étaient pas particulièrement chaudes à l'idée. C'est le genre d'investissements qu'elles ne faisaient pas avant, mais elles ont eu accès à toutes sortes d'atouts et ont reçu pour mandat de faire cela. Le fait de forcer les organisations à mettre des données à la disposition des gens libérerait certainement certaines séries de données.

Il y a une autre série de données qui piquent ma curiosité depuis un certain temps, mais je n'ai pas approfondi la question. Vous avez parlé de la difficulté que l'on éprouve si on souhaite dégager les tendances de tabagisme à l'échelon microscopique du quartier. J'imagine que l'industrie du tabac, avec les données dont elle dispose, serait la mieux choisie pour déterminer qui fume quoi au Canada. Les banques et les compagnies d'assurances en savent beaucoup sur ce qui se passe en rapport avec les déterminants sociaux de la santé à l'échelon du quartier et peut-être de zones de plus petite taille encore.

Aucun établissement privé n'est incité de quelque façon que ce soit à mettre ces données à la disposition de ceux qui en auraient besoin. Ils ont leur mandat. Ils font ce qu'il faut au nom de leurs actionnaires et autres commettants, mais il faudrait un mandat pour qu'il y ait échange de données. On pourrait donner pour mandat aux autorités provinciales, aux ministères nationaux et aux entités du secteur privé, qui possèdent tous des données, de faire rapport sur les déterminants sociaux de la santé à l'échelon local. On pourrait créer un réseau de 10 000 associations communautaires qui surveilleraient ce qui se passe dans leurs quartiers et qui harcèleraient les conseillers municipaux et les députés tant provinciaux et fédéraux pour qu'ils agissent. Tout cela est faisable, mais il faudrait établir l'orientation par mandat, en faire une exigence : allez et multipliez les échanges.

Le président : Merci. Je ne veux pas vous éloigner du sujet, mais je voudrais parler de l'idée de faire comprendre au secteur privé ce que cela coûte de ne rien faire à propos des déterminants sociaux de la santé.

Autrement dit, le secteur privé doit composer avec des employés en mauvaise santé qui leur coûtent beaucoup d'argent et ainsi de suite, parce qu'ils ne sont pas productifs.

Je ne veux pas vous écarter du chemin tracé. Peut-être pouvons-nous vous inviter à nouveau. Entre-temps, vous pourriez y réfléchir.

M. Frojmovic : Je me réveille au milieu de la nuit pour m'inquiéter de ces choses-là.

Le sénateur Trenholme Counsell : Merci d'avoir présenté un exposé stimulant. Je vais poser des questions sur le développement de la petite enfance. Je souligne toujours les cas où c'est mentionné. C'est certainement mentionné souvent dans les exposés que nous avons entendus.

Depuis que j'ai levé la main, il y a un certain nombre de concepts qui ont été soulevés — table ronde nationale, stratégie nationale relative aux données et buts nationaux. Chacun d'entre eux me touche, mais vraiment. Ce sont de bonnes choses. Je ne poserai pas de questions à leur sujet, mais je crois qu'il importe que vous ayez soulevé ce que je qualifie de caractéristiques nationales clés, ce qui est nécessaire en fait de données et de santé de la population.

Souvent, nous croyons pouvoir aller chercher des enseignements dans un autre pays, peut-être en s'y rendant, et en faire un modèle. Je ne crois pas avoir entendu parler aujourd'hui d'un pays qui s'en tirerait peut-être mieux que le Canada sur ce point — peut-être qu'il n'y en a pas.

Je me posais la question. Y a-t-il des exemples exceptionnels de gestion et de coordination des données, de mise à contribution des données? À mes yeux, l'essentiel de tout cela, c'est de passer des données aux actes. Ça n'est pas utile si les données ne viennent pas appuyer une action concrète à tous les niveaux. Je vous demanderais de vous prononcer sur ce que j'ai dit.

J'ai travaillé en santé publique pendant six ans, en tout — trois au Nouveau-Brunswick et trois en Ontario. Je possède une assez bonne connaissance des rouages de la santé publique. La santé publique et la santé des populations, en vérité, c'est la même chose.

Vous avez beaucoup parlé de l'idée de créer ces données nationales à partir des données du recensement et d'autres mesures, jusqu'à l'échelon des collectivités particulières. L'idée du mérite, mais je crois que vous avez besoin de leadership à l'échelle fédérale et à l'échelle des provinces, puis les maires et les conseillers municipaux, entre autres, détermineront en quoi ils peuvent utiliser les données en question. Je réfléchissais au travail des médecins hygiénistes et infirmières en santé publique et travailleurs sociaux et ainsi de suite dans le contexte, étant donné que ce sont vraiment eux qui s'occupent de cette affaire-là.

C'était probablement très différent à Toronto sous le règne de Son Honneur. Non, mais vraiment, je sais ce avec quoi les villes et les conseillers municipaux doivent se débattre. Pour une grande part, tout cela nous ramène au travail de nos médecins hygiénistes, de nos infirmières en santé publique, de nos travailleurs sociaux et de tous ces gens merveilleux.

Il m'est apparu que, probablement, plutôt que de situer cela à l'échelon communautaire tout à fait, quant aux mesures envisagées, il faut que le gouvernement fédéral et puis ensuite celui des provinces reconnaissent que les collectivités devraient être encouragées à agir de certaines façons, à adopter certaines mesures. À mes yeux, c'était davantage une question de responsabilité fédérale et provinciale qui met en jeu les structures que j'ai mentionnées.

Je ne sais pas s'il y avait une question dans tout cela, mais vous pourriez peut-être commenter.

Mme Steenberg : Si j'ai bien compris une partie de ce que vous avez dit, il y a que les agents régionaux de la santé ont vraiment besoin de ce genre de données.

Le sénateur Trenholme Counsell : Oui.

Mme Steenberg : Comme Mme Slotek et M. Frojmovic l'ont signalé, il existe plusieurs réseaux, par exemple les réseaux d'utilisateurs de données sociales ou les réseaux de données sociales sur la santé, qui commencent à converger. Il y a un réseau baptisé réseau canadien pour la santé urbaine. Vous le connaissez bien, j'ai suis certaine. Il est dirigé par le Dr Cory Neudorf, qui est, je crois, président de l'un des conseils de l'Agence de la santé publique du Canada.

Ce réseau canadien de la santé urbaine accomplit justement ce que nous disions. C'est un réseau de médecins hygiénistes des régions. Il accomplit deux choses : il encourage la production, l'acquisition et la diffusion d'un nombre accru de données à l'échelon local et il essaie en même temps de produire certains indicateurs fondamentaux destinés à servir à la surveillance dans le domaine de la santé publique. Les déterminants sociaux de la santé et la santé publique, comme vous le dites, c'est la même chose.

Ce réseau-là existe et, certes, nous travaillons tous en vue d'atteindre le même but. Si le Dr Neudorf était là, ses propos ressembleraient souvent à ceux que nous tenons, j'en suis certaine.

Lorsque nous discutions au moment de préparer nos exposés, l'un des participants à la téléconférence était le Dr David Strong, qui fait partie du réseau de Cory Neudorf. Il travaille à la région sanitaire de Calgary. Il nous a aidés en éclairant nos discussions et en cernant certaines des questions que nous sommes venus soulever ici. Je tenais simplement à dire que nous sommes conscients de cela et que nous essayons de travailler ensemble.

Vous avez demandé s'il y a un autre pays vers lequel nous nous tournons. Il y a un pays qui a beaucoup travaillé à rendre les données locales disponibles à l'échelon du quartier, soit le Royaume-Uni. Depuis dix ans, on y a modifié sensiblement la façon dont l'agence nationale de la statistique produit, diffuse et organise les données. On y trouve un véritable foisonnement de données jusqu'à l'échelon du quartier.

Cela a tenu à une volonté politique, en partie du fait que la stratégie provenait du cabinet du premier ministre, mais aussi du fait que le milieu universitaire, les savants et les chercheurs ont fait des pressions pour qu'on rende les données disponibles. C'est la convergence issue du sommet et de la base en même temps qui a produit son effet. C'était un changement important. Voilà un modèle que vous allez peut-être vouloir étudier, même si nous reconnaissons qu'il est l'affaire d'un gouvernement unitaire et non pas d'un gouvernement fédéral.

Mme Slotek : L'autre exemple serait celui de la Nouvelle-Zélande. Je le cite parce que les Néo-Zélandais ont commencé par adopter une loi pour obliger les responsables à produire une sorte de bulletin. Il y avait une volonté politique en faveur du projet, une obligation nationale d'échanger des informations pour que l'on sache si le pays s'approchait ou s'éloignait du bien-être. Les Néo-Zélandais se sont attachés d'abord et avant tout à des indicateurs de pauvreté et de disparité, encore une fois sous la coupe d'une loi prévoyant que des bulletins devaient être produits tous les ans.

M. Frojmovic : Je vais donner un troisième exemple de pays, le pays en question étant les États-Unis. Je vais évoquer le contraste qu'il y a entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni a adopté un modèle descendant centralisé qui lui a permis de rendre les données locales disponibles. Le cabinet du vice-premier ministre tient lieu de répertoire à toute cette information. Le trésorier a appuyé le projet. Dans les plus hautes sphères gouvernementales, il y a eu un appel à la mobilisation : il nous faut des données qui sont pertinentes à l'échelon local. Tout cela a été centralisé, rendu très accessible et très pertinent à l'échelon local.

Les États-Unis, à certains égards peut-être, représentent le cas inverse dans le sens où les données y sont beaucoup plus libres qu'au Canada. Ce que l'on voit aux États-Unis, c'est une prolifération des groupes communautaires qui réussissent à accéder à des données et qui rendent les données disponibles à l'échelon du quartier.

C'est assez variable. Certains réseaux de voisinage s'en tirent mieux que d'autres, mais, aux États-Unis, l'élément déclencheur semble être le fait que l'on puisse accéder à des données en payant beaucoup moins cher. Si vous voulez vous en tenir à un facteur, en ne retenant que les données du recensement, par exemple, nous nous en chargerons. C'est le gouvernement du Canada qui s'en occupera. Nous allons payer la note. Vous verrez que tout se mettra à fleurir, à un moment donné, de façon spectaculaire. Ce sera coûteux, mais ce sera la chose la plus importante qui puisse être faite. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont adopté deux modèles très différents. Les deux ont pour effet de rendre disponibles et accessibles des données localement pertinentes.

Quant aux responsabilités fédérales-provinciales et sous-provinciales, vous avez dit qu'il nous faut établir une stratégie. Le secteur de la lutte contre l'itinérance compte de plus en plus sur les administrations municipales pour coordonner localement le travail de toute une série d'organismes, pour qu'ils puissent en arriver à une stratégie. Quelles sont les priorités au sein de notre collectivité à nous? Qu'est-ce qui est important et comment procéder pour progresser?

Le gouvernement fédéral et celui des provinces a un rôle à jouer, mais, lorsqu'il s'agit d'établir des priorités et de comprendre des réalités locales, ce sont les administrations municipales qui coordonnent le travail des groupes locaux. On peut en dire autant des priorités en matière de santé, qu'il s'agisse d'administrations régionales de la santé ou d'administrations municipales qui nous donnent un ordre de priorité pour avancer.

À ce moment-là, les priorités en question, souvent, sont mises en œuvre à l'échelle provinciale et fédérale. Tout de même, pour fixer ces priorités, il faut avoir accès à des données localement pertinentes, ce qui nous ramène à la question de savoir comment accéder à ces données-là. Il y a clairement un rôle à jouer du côté des établissements locaux, qu'il s'agisse d'administrations de la santé ou d'administrations municipales, quand vient le temps de réunir des éléments locaux pour en arriver à des stratégies et à des priorités.

Encore une fois, si les données étaient libérées demain, il existe toutes sortes d'outils qui permettraient de procéder à une analyse au niveau local.

Un seul niveau, ça devient très coûteux. Il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu aussi, outre le coût — c'est-à-dire le recensement. Il y a les problèmes d'accès aux données administratives sur la santé et aux données administratives du secteur privé, mais, clairement, le coût pose un problème.

Si vous allez au Royaume-Uni et aux États-Unis, vous verrez qu'il y a là deux perspectives différentes. Les deux modèles proposés sont bons.

Dr Millar : Le thème qui s'impose est celui de la volonté politique.

Quant à votre question au sujet des agents de santé locaux, pour expliquer un peu comment les choses se sont déroulées en Colombie-Britannique, disons que nous avons reconnu que l'accès aux données locales poserait un problème il y a quatre ou cinq ans. Nous avons créé une coalition d'agents de santé en bonne et due forme, mais en faisant appel à ceux qui oeuvrent dans d'autres secteurs comme l'éducation, l'agriculture, notamment la Union of British Columbia Municipalities. Il y a une grande coalition qui se réunit au sein de la province et qui est à l'origine de cette capacité et, aujourd'hui, nous en sommes à recréer les comptes communautaires comme il y en a à Terre-Neuve.

Le mécanisme est une coalition. Ce mouvement-là a coïncidé avec la volonté du premier ministre d'accéder à de plus amples données locales aussi. C'était d'abord des données économiques, puis, il y a eu les données sociales qui ont été ajoutées. Je ne sais pas d'où est venue cette volonté politique, mais elle s'est révélée importante pour animer le mouvement.

Certes, si je me fie à ce que je sais de Terre-Neuve, c'est encore une fois le contrat social qui explique la chose, et c'est pareil en Nouvelle-Écosse. Dans l'optique fédérale, j'imagine que la meilleure idée serait que l'ICIS collabore avec d'autres organismes : Statistique Canada, les IRSC et certaines des principales ONG, organisations non gouvernementales, à l'échelle fédérale pourraient se réunir et, espérons-le, créer quelque chose ou se tenir par la main du fait de la volonté politique qui les anime, quelle qu'elle soit.

Le sénateur Brown : Je veux poser une question au Dr Millar.

Vous êtes peut-être déjà engagé dans cette voie, mais je voulais savoir s'il serait possible d'élargir la chose. Pourquoi les adresses et les noms ne disparaissent-ils pas au profit d'un code, de chiffres? Selon la longueur du code que vous voulez en mode binaire, vous devriez être en mesure d'attribuer des chiffres pour le sexe, la race, l'âge, le revenu, l'adresse, et de protéger les données personnelles, du moins le nom, et tout autre élément d'information que vous souhaitez exclure du domaine public. Vous pourriez alors demander qu'une loi soit adoptée pour que l'Agence du revenu du Canada ou tout autre organisme, que ce soit dans le domaine de la santé ou dans un autre, codifie ses propres informations et vous remette la fiche avec les codes, sans l'adresse ou le nom de la personne.

Vous pourriez alors vous adresser à un organisme quelconque. Une loi pourrait même contraindre l'organisme à vous fournir les informations codées. Il vous faudra peut-être un ordinateur quantique pour passer au travers, mais vous auriez des données provenant de toutes les sources imaginables : les organismes du domaine de la santé, les hôpitaux, les compagnies d'assurance, l'ARC et ainsi de suite. S'ils devaient tous utiliser leur propre code et vous donner seulement les informations chiffrées plutôt que les noms et les adresses, il semble que vous auriez là un trésor d'information, sans avoir à engager de coût autre que celui qu'il faut pour intégrer les données à votre propre programme.

M. Millar : Vous avez probablement raison de dire qu'il existe des solutions techniques pour contourner certains des problèmes relevés à propos des données identifiables. Par exemple, la plupart des ministères ne divulgueront pas de données qui révèlent les six chiffres du code postal et peut-être même trois d'entre eux. Même si on enlève tout le reste, certains craignent que l'information minimale qui reste se rapporte peut-être à un nombre si faible de personnes que si l'une d'entre elles, dans la petite zone ainsi circonscrite, se trouvait à être séropositive ou je ne sais quoi encore, tout le monde saurait de qui il s'agit. Il y a sur ce point un équilibre délicat qu'il faut parvenir à atteindre.

Cela dit, il existe des moyens techniques d'éliminer tous les éléments d'identification dans un environnement sécurisé, de manière à pouvoir établir le lien voulu avec d'autres bases de données. Il y a des façons de procéder, mais il faut souvent beaucoup de main-d'œuvre aux ministères pour faire faire ce travail et faire créer ces bases de données-là, de sorte que, souvent, ça ne se fait pas.

Le sénateur Brown : Vous avez cité en exemple les codes postaux. Pourquoi ne pas établir un code qui se rapporte au code postal et faire que l'organisme participe à la conception du code en question, pour qu'il soit le seul qui puisse vraiment accéder à la fiche à partir de ses propres informations? Il y a alors une double protection, car les responsables protègent leurs propres informations. En même temps, ils vous remettent toutes les données sauf les éléments d'identification qui permettraient de savoir qui est séropositif dans un petit village ou je ne sais où. C'est là où je voulais en venir, au fait qu'il pourrait y avoir un code pour les codes.

M. Millar : Vous avez vu juste. Cela peut se faire. Encore une fois, de la façon dont le système est actuellement organisé, on a tendance à créer une base de données couplée qui se rapporte à une fin particulière, à un projet de recherche donné, mais les autres ne peuvent y accéder. Cela soulève des problèmes.

Le sénateur Brown : Je comprends ce que vous dites pour ce qui est du problème à régler. Je suis d'accord avec vous : il y aurait certainement un problème à régler. Tout de même, si l'organisme pouvait présenter ses propres informations sauf les éléments qu'il vous faut — qui, d'après ce que je vois, seraient le sexe, peut-être la race, le revenu — l'adresse disparaîtrait, et tout élément permettant d'identifier une personne ou même une zone particulière d'une province disparaîtrait. Il garderait cela pour lui — même les compagnies d'assurances, qui n'ont de cesse de créer des tableaux à propos de l'âge, de la santé et de toute autre information sur laquelle elles arrivent à mettre la main...

S'il y a suffisamment de codes, il semble qu'il serait possible de garantir à la compagnie d'assurances que son information ne serait pas « personnalisée », qu'il ne serait pas possible de remonter la filière et d'identifier la personne, alors on aurait l'information, mais celle-ci serait protégée.

Le même raisonnement vaut pour l'Agence du revenu du Canada. La loi oblige l'Agence à garder certains renseignements privés. Par contre, s'il y a suffisamment de codes, il ne serait pas possible d'accéder aux renseignements personnels, étant donné que c'est l'Agence elle-même qui choisit les codes. On obtiendrait simplement l'information précise dont il est question, on aurait accès à cette information-là. S'il y avait un code pour votre information, il ne serait pas possible alors de remonter la filière.

Dr Millar : Pour vous donner un exemple concret de ce problème, l'Université de la Colombie-Britannique a réalisé un projet qui s'apparente à ce que vous avez décrit. Elle a créé une grande base de données qui relie toutes les bases de données du ministère de la Santé. On fait exactement ce que vous disiez, c'est-à-dire qu'on élimine les éléments d'identification. Puis, la formation devient accessible, mais elle devient accessible aux chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique.

Si jamais une personne comme moi-même, dans une administration de la santé, souhaite obtenir les données grâce à un raccordement, disons pour améliorer la qualité du système de soins de santé ou pour comprendre un problème de santé qui touche la population locale, elle ne pourra accéder aux données, compte tenu du fait que c'est l'université qui a créé le processus et qui en est le propriétaire en titre, et elle accorde la priorité à ses besoins en recherche. De plus, il faut beaucoup de temps pour créer cette base de données-là et la rendre fonctionnelle. S'il y a un problème immédiat qui est relevé du point de vue de la santé de la population, ces données-là ont habituellement trois ans, de sorte qu'elles ne nous disent rien d'utile. Comprenez-vous un peu le problème qu'il y a?

Le sénateur Brown : Oui.

Dr Millar : Nous avons tout un travail devant nous. Ce n'est pas un problème insoluble.

Le sénateur Brown : Je saisis la complexité de la chose. La loi qui protège les renseignements à l'Agence du revenu du Canada pourrait être conçue pour donner à des gens comme vous le droit d'y accéder, étant donné que c'est dans l'intérêt national. De par la loi, chaque organisme pourrait être tenu de vous fournir l'information, sous une forme codée, de sorte que vous pouvez seulement n'utiliser qu'une partie et que jamais vous ne pourriez identifier la personne ou déterminer où elle habite ou établir quelque autre information qu'on a exclue. La loi pourrait exiger cela.

Dr Millar : Comme le disait M. Frojmovic, il nous faut une loi pour encourager les gens à procéder à ce genre d'échange.

Le sénateur Brown : C'était la loi que j'envisageais.

M. Frojmovic : Et encore : chaque fois que vous demandez à quelqu'un qui s'occupe de données de faire quelque chose pour vous, cela exige de la main-d'œuvre. Pour une demande qui est sans grande envergure, vous allez littéralement passer des jours et des jours à essayer de trouver, et si vous n'êtes pas mandaté pour le faire, à moins de bien aimer la personne qui fait la demande et de lui rendre service, ce qui arrive souvent, ce n'est pas possible. Les municipalités se tournent souvent vers les universités et, sans faire de bruit, obtiennent l'accès à des données qu'elles ne sont pas censées pouvoir obtenir, et elles s'en servent. C'est l'économie souterraine des données, qui se porte très bien.

Il y a là un manque d'efficacité qui est incroyable — ce sont probablement des milliers d'organismes qui utilisent les mêmes tableaux et qui effectuent toutes sortes de travaux extraordinaires. Cependant, si on prévoyait un accès aux données, quelque chose de simple et de beau, il y a d'innombrables étudiants qui n'auraient plus de travail. Il y a bien des gens qui gagnent leur pain à faire le même travail d'un endroit à l'autre au pays. L'idée se heurte à une grande résistance. C'est comme transformer une autoroute encombrée de milliers et de milliers de véhicules et de taxis à destination de l'aéroport en un chemin de fer. Quelqu'un dit : « Nous allons organiser un bon système de transport par train à destination de l'aéroport. » C'est tout le monde du taxi qui perdra les pédales.

Nous voulons accéder aux données de l'Université de la Colombie-Britannique. Le travail fait de ce côté devrait être accessible au pays entier. Les données ne devraient pas rester prises dans une seule université. Comment régler ce problème-là? Vous n'avez à convaincre personne si vous rendez obligatoire l'échange des renseignements, mais il y a une résistance qui vient du fait qu'il y ait toutes sortes de gens qui créent une industrie, légale et illégale, autour de l'inefficacité du monde des données. Par contre, cela est faisable. On peut avoir des gains en efficience.

Mme Steenberg : J'appuie ce qu'on a dit à propos de l'économie souterraine des données.

Mme Slotek : Quoi qu'il en soit des problèmes évoqués par Dr Millar et M. Frojmovic, quand on réunit des gens autour d'une table, le potentiel est grand : on peut en arriver à dire, au fond, quelles sont les stratégies à adopter et quel est le point de départ pour l'échange des données. Si les gens ne se parlent pas, il est peu probable qu'ils y jettent un coup d'œil. Il faut se pencher sur la question de la propriété. Qui est propriétaire des données? Nous ne posons jamais cette question-là, mais il faut la poser. Tout le monde en est propriétaire. Il y a une façon de lancer ce dialogue-là. Il faut réunir les gens autour de la table pour qu'ils aient cette conversation-là.

Mme Steenberg : Je voudrais ajouter quelque chose à propos du modèle et de la collectivité. Nous parlons d'une stratégie nationale, mais nous ne parlons pas de la façon dont les données se rendent jusqu'à la collectivité. Chaque regroupement local de la SACASS est une mini-table ronde à proprement parler. Ça commence comme une sorte de projet transactionnel d'achat de données, mais ça aboutit à un forum, autour d'une table, où les organismes sociaux, les organismes de santé, les organismes du monde de l'éducation, les organismes policiers et les bibliothèques échangent leurs informations et leurs résultats de recherche, et entreprennent des projets communs, comme on le fait de plus en plus à des endroits comme Calgary. Ça se fait déjà localement comme nous l'avons tous souligné très clairement; nous devons faire en sorte que les gens aient accès aux données.

Le président : Il est intéressant que vous disiez cela, madame Steenberg, étant donné que cela est tout à fait évident : pour qu'un projet relatif à la santé de la population porte fruit, il faut réunir autour de la table, à l'échelle communautaire, toutes les personnes ayant une certaine prise sur les déterminants de la santé, puis il faut poser les câbles. Il faut aménager les données au niveau supérieur ou demander à quelqu'un du niveau supérieur de descendre pour venir poser les câbles, ou je ne sais quoi encore, et être prêt à échanger tous les renseignements dans l'ensemble du pays.

Si j'ai tort, je veux que vous me contredisiez. J'essaie de donner cette tournure-là au rapport.

Le sénateur Cook : Merci de nous avoir présenté des témoignages complexes encore une fois cet après-midi.

D'après la connaissance limitée que j'ai du sujet, il me semble que nous excellons quand vient le temps de recueillir les données, de les obtenir, et de les garder aussi. Comment faire pour s'en servir alors? Permettez-moi de donner quelques précisions là-dessus. Comme le président l'a dit, je suis originaire de Terre-Neuve. Nous allons nous rendre dans notre province. J'ai eu plusieurs réunions. Je suis arrivée ici sans connaître ou comprendre quoi que ce soit. Dès la première conversation que j'ai eue, j'ai appris que les « comptes communautaires » étaient gratuits, qu'on pouvait y accéder sur le Web.

À écouter seulement les quatre éminents personnages qui nous ont parlé cet après-midi, je suis certaine que la collecte des données doit coûter très cher en argent et en patience. Nous semblons tous filer sur une autoroute à 16 voies ou je ne sais quoi encore. Comment réunir les éléments voulus? Qui s'en servira? Comment y accédera-t-on? Pour revenir à l'aspect politique de la chose, il va sans dire que chacun d'entre nous souhaite avoir une population en santé et productive. Le premier ministre de ma province ne fait pas exception à la règle. C'était là le facteur de motivation. Il y avait aussi un indicateur : l'échec de notre pêcherie, qui avait existé auparavant pendant 500 ans. Je ne vais pas minimiser cela. Notre phénomène était plus facile à voir. La pêcherie n'allait pas revenir. Il nous fallait regarder la population. Durant la première année, 30 000 personnes ont déménagé en Alberta. C'est devenu une réalité criante. C'est peut-être de là que notre premier ministre a tiré sa volonté politique. C'est tout simplement ce qui est arrivé chez nous.

C'est mon recherchiste qui m'a souligné la chose, étant donné que je connais très peu les ordinateurs. Je sais ce que je voudrais qu'on me dise, mais je ne sais pas comment faire pour aller chercher l'information. Je suis née et j'ai grandi dans une petite localité de pêcheurs. Mon recherchiste a cliqué sur un bouton et m'a donné les facteurs de santé, les facteurs sociaux et tous les déterminants de la santé dans ma collectivité. Le premier homme que j'ai interviewé, qui devait être assez intelligent, a dit : « Nous avons toutes ces données qui sont regroupées, mais nous avons peur de nous en servir. Nous savons que nous devons faire quelque chose. Nous allons aller de l'avant et tester cela. » Les gens sont donc allés dans une collectivité et ont fait voir le profil. Ils ont présenté la chose au Lion's Club local, où tout le monde est venu voir. Les gens sont allés le voir et lui ont dit : « Nous ne savions pas que nous étions comme cela. Nous ne savions pas que notre collectivité était comme cela. Il y a des choses que nous pouvons faire pour nous aider nous- mêmes. »

Excusez-moi, mais je ne comprendrai jamais les questions complexes qui touchent les grandes villes; je ne viens pas d'un tel endroit. J'arrive à voir l'utilisateur, mais, dans notre exposé, nous avons entendu parler de collecte des données et d'obstacles à la collecte des données, par exemple que les données sont vieilles de trois ans et ainsi de suite. Je songe au fait que notre travail se fait quotidiennement et qu'il est accessible. Notre petit groupe est allé en Australie et en Turquie, deux endroits très différents. Serait-il possible d'en arriver à une rencontre des volontés et d'aller de l'avant et de commencer à s'occuper des gens?

Mme Steenberg : Il nous faut cloner Alton Hollett et l'installer dans chaque province, dans chaque territoire.

Le sénateur Cook : Je serai la première à dire qu'il s'agissait d'un besoin réel. Il avait la volonté politique voulue. Il l'a écrit dans une loi et l'a financé. Il a dit aux gens : « Nous serons responsables devant vous, par la voie de l'assemblée législative. » C'est de cette façon qu'il nous faut procéder, à mon avis, puis tous ces travaux merveilleux nous seront utiles à ce moment-là. Nous sommes pris au milieu. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cela.

M. Frojmovic : Je ne sais pas très bien comment réagir, mais je suis très certainement un citadin. Si complexes que soient les villes, elles se composent de « collectivités » — c'est-à-dire de quartiers où les gens se débattent avec des choses qui les touchent. J'ai grandi à Montréal; aujourd'hui, je vis à Ottawa. Par exemple, la fermeture des écoles est toute une affaire en Ontario. Du point de vue des résidants qui se battent pour que leurs écoles demeurent ouvertes, la fermeture d'une école constitue tout à fait un déterminant social de la santé. L'accès à une école publique locale est un déterminant intermédiaire de la santé. Les fermetures d'école ont tendance à se produire dans les quartiers à faible revenu. Il y aurait beaucoup à dire à propos du débat sur la fermeture des écoles dans ma collectivité et du lien qu'il y a avec la notion de déterminant de la santé. Ce que j'ai trouvé frustrant, c'est l'inutile manque d'accès à des données utiles chez les parents qui se battent avec une énergie incroyable pour que leurs écoles demeurent ouvertes. Le genre de données qu'il fallait, c'est celles qui touchent les tendances démographiques en particulier. Les arguments évoqués par les conseils scolaires se résumaient à : « Évidemment, nous voyons là qu'il y a des populations en déclin; il y a moins de ménages. » Les villes disposent de leurs propres séries de données et de leurs propres plans officiels qui prévoient d'attirer des gens en plus grand nombre dans les quartiers en question, ce qui ne concorde pas avec les plans des conseils scolaires. Les résidents qui n'ont accès à aucune donnée se débattent dans le dossier. Intuitivement, ils savent que, dans la mesure où leurs enfants peuvent se rendre à l'école à pied et qu'il s'agit d'une école décente qui se trouve dans leur quartier, dans l'ensemble, c'est quelque chose de bon.

Je trouve cela intéressant que nous ayons les moyens et les outils et la technologie nécessaires pour mettre ces données-là entre les mains des résidants dans le cas qui nous occupe et contourner tout le reste. Exigez donc des conseils scolaires qu'ils parlent honnêtement de leur relation avec les responsables municipaux qui essaient de garder ouvertes les écoles. Il y a là un manque d'accès aux données qui est incroyable.

Je suis né en 1969. J'ai toujours regretté d'avoir tout juste raté cette révolution-là. Je suis quand même d'avis que nous sommes aux abords d'une révolution sociale dans le domaine des données, et il y a peut-être un facteur qui sous- tend une bonne part de ce débat, et c'est la peur. Nombreux sont les responsables qui ont peur de mettre les données à la disposition des gens. Le fait est qu'il est possible de rendre les données incroyablement disponibles et accessibles à un nombre incroyable de personnes. D'après mon expérience à moi, qu'il s'agisse de responsables des municipalités, du gouvernement fédéral, d'un gouvernement provincial ou d'un conseil scolaire, il y a cette peur : si tout le monde découvre ce que je sais d'une manière ou d'une autre, le monde va s'effondrer. Or, le monde ne va pas s'effondrer; il va juste devenir meilleur et plus efficient. La seule façon de surmonter cette peur-là, encore une fois, c'est de préconiser une exigence : il faut que les données soient disponibles.

La raison pour laquelle nous sommes aux abords d'une révolution sociale dans le domaine des données, c'est que nous disposons de toutes les données et de tous les outils qui existent, mais que ceux-ci sont tenus d'une façon qui est extrêmement serrée; les gens s'assoient dessus.

Le fait qu'on peut s'être installé dans quelque village de pêcheurs reculé à Terre-Neuve et regarder des données d'une incroyable puissance — tout à fait le genre de truc qui aurait pu servir à n'importe quelle collectivité aux prises avec la fermeture possible d'une école — montre bien que, le seul problème, c'est que, à certains endroits, on craint que les données soient à la disposition des gens. Comment surmonter cette peur? Nous pouvons seulement faire tant sur le terrain pour surmonter cela.

Le président : C'est tout le groupe de témoins qui souhaite réagir.

Mme Slotek : J'attendais impatiemment de pouvoir dire quelque chose. Cela fait mon bonheur que vous nous ayez ramenés à la question des comptes communautaires. Nous en avons parlé plus tôt. On cherche toujours la solution miracle, mais il y a huit ou neuf choses que les gens font correctement. Premièrement, c'est gratuit. On ne saurait trop insister là-dessus.

Il y a une attention qui est portée à l'utilisateur, qui a rapport avec ce que je disais plus tôt à propos du but ultime de l'affaire. De quoi s'agit-il? Comment répondre à la question « et puis après? » Cela, ils le font très bien.

C'est un processus de mobilisation publique. Les responsables s'adressent aux collectivités et parlent de ce qui est pertinent. Si vous vous entretenez avec Doug May, professeur à l'Université Memorial, il vous dira entre autres qu'il faut mobiliser les collectivités à propos des erreurs qui sont faites au départ. Il y a eu une levée de boucliers. Les gens disaient : « Vous faites des erreurs sur certains points. » On a écouté, on a réagi et on a modifié le tir.

C'est aussi l'idée d'établir un partenariat entre l'Université Memorial et l'agence officielle de la statistique de Terre- Neuve-et-Labrador, de réunir des gens ayant un point de vue différent autour d'une table pour en arriver à quelque chose de différent.

Les gens comprennent aussi la pertinence des données et le lien avec les utilisateurs. Ils recueillent des données pertinentes. Ce ne sont pas des données nombreuses, j'en conviens, mais ce n'est pas le volume qui importe; c'est la pertinence.

Il y a là une volonté politique d'agir. Vous en avez parlé avec plus d'éloquence que moi, et les gens comprennent bien la notion de transparence. C'est la peur que M. Frojmovic a évoquée. Le fait est que les gens comprennent l'obligation du gouvernement envers les citoyens pour ce qui est d'échanger des informations collectivement et de mettre le cap sur le changement. Ils comprennent cela clairement et pas seulement au cours d'une campagne électorale; ils savent que c'est un processus permanent qu'ils ont par rapport aux citoyens en matière d'information.

Le président : Merci, madame Slotek. Docteur Millar, je crois que c'est à vous.

Dr Millar : La question de la peur a été soulevée, la peur de divulguer des données, mais il y a aussi la peur « inverse », soit la peur de voir sa vie privée minée. Je vais donc revenir à ce que je disais à propos de la nécessité d'instaurer un dialogue public.

À propos de votre question, pourquoi ne pouvons-nous faire la même chose partout au pays pour que les données locales soient accessibles? Terre-Neuve a investi des millions de dollars dans l'affaire. Comme la province l'a fait et qu'elle a partagé si librement le fruit de son travail avec autrui, la circulation est incroyablement bon marché. En Colombie-Britannique, il ne nous faut que 600 000 $ pour reproduire ce que Terre-Neuve a fait. Ce n'est pas coûteux.

L'autre « mais » de taille, ici — et Mme Slotek en a touché un mot —, c'est qu'il faut plus que l'accès aux données pour que tout cela fonctionne. Il faut qu'il y ait quelqu'un de la collectivité qui sache quoi en faire. Il faut la capacité de comprendre et d'analyser les données, de les rendre utiles. Il faut aussi le processus de mobilisation qui fera que ça ne se trouvera pas uniquement entre les mains du conseil municipal, mais qui permettra de mobiliser les éléments les plus vulnérables de la population aussi.

C'est faisable. À relativement peu de frais, on pourrait reproduire cela.

Mme Steenberg : Les autres témoins ont commenté les questions que je voulais soulever. Vous avez parlé de deux points : qui va s'en servir et comment mettre tout cela ensemble?

Pour ce qui est de s'en servir à l'échelle communautaire, il y plusieurs exemples qui ont été mentionnés. Celui que j'ai évoqué moi-même, à propos de l'indice du développement de la petite enfance ou de l'éducation à la petite enfance, renvoie à la pratique qui me paraît être la plus largement répandue en ce moment et qui gagne en popularité. Il s'agit de regarder un quartier et l'état de préparation des enfants aux études, puis de comparer des quartiers dont le profil est semblable, mais dont l'état de préparation est différent, de manière à pouvoir revenir et dire : au-delà des profils démographiques, quelles sont les différences qui existent entre ces quartiers-là? Il est question de déterminer quels sont les atouts en jeu, mais ce sont des données que ne permet pas de recueillir le recensement. Il vous faudra aller chercher les données auprès de sources locales, et il faut que ce soit très particulier et très spécifique, pour la zone visée.

Essentiellement, tous les gens en question, qui comptent utiliser ces données, utilisent ces données pour dire : que pouvons-nous faire pour améliorer les choses? Étant donné le problème qu'il y avait-là, qu'est-ce qui a fonctionné? Pourquoi sommes-nous d'avis que cela a fonctionné là? Est-ce que ça pourrait fonctionner ici? Est-ce que ça a fonctionné ici? Comment savons-nous que ça a fonctionné? Était-ce la chose à faire? Toutes ces questions-là, il faut les données pour y répondre. Ce sont les utilisateurs à l'échelle communautaire.

Enfin, vous avez soulevé la question de la capacité, qui est importante. C'est pourquoi la stratégie d'accès communautaire aux statistiques sociales est ce qu'on appelle une initiative de libération des données comportant deux objectifs. Parmi les objectifs, il faut compter l'opération elle-même, soit le fait d'obtenir les données; l'autre objectif, c'est d'enseigner aux gens comment utiliser les données. À ce niveau-là, les utilisateurs de données des municipalités sont probablement les plus experts qui soient au pays. De même, les municipalités aident la collectivité à apprendre comment utiliser les données et comment procéder à une analyse.

Le sénateur Pépin : C'est un processus d'élimination.

Mme Steenberg : Exactement.

Le sénateur Pépin : Si je comprends bien, il nous faut quelqu'un qui s'occupera de la coordination. Par exemple, si le gouvernement fédéral avait la volonté politique d'agir et qu'il versait une aide financière à l'ensemble des provinces et des municipalités en disant : « Allons de l'avant, tous, collectez donc les données », quelqu'un doit faire le travail de coordination et recueillir les données, les diffuser et faire en sorte que les gens puissent travailler ensemble à un niveau. C'est très important.

En ce moment, il y a les municipalités et certaines provinces qui sont dans le coup, et je crois qu'il serait intéressant que le gouvernement fédéral ait son mot à dire et verse des sommes d'argent pour aider les gens à mieux diriger l'affaire. Il semble que ce soit assez coûteux de passer par Statistique Canada pour cela. De même, il devrait y avoir un conseil chargé de coordonner tout le travail et de prescrire ce qu'il vaut mieux faire. C'est ce que j'ai compris.

Le président : Le temps nous manque toujours quand nous écoutons ces groupes de témoins et, encore une fois, il n'y a plus de temps.

Il y a un des groupes que nous n'avons pas mentionné, soit l'InfoRoute Santé. Monsieur Millar, je sais que vous avez participé, tout comme moi, à la naissance de l'InfoRoute. Pendant trois ans, nous avons siégé à un même comité. C'est un projet qui compte bel et bien sur des ressources financières. Nous avons dépassé le temps alloué, mais je vais quand même permettre à M. Frojmovic d'intervenir là-dessus. À tous, je demande de nous dire comment nous pourrions mettre à profit l'Info-Route.

Mme Slotek : Je ne peux commenter la question parce que je ne suis pas au courant de cette initiative particulière.

M. Millar : L'InfoRoute est un projet de deux milliards de dollars qui vise essentiellement à susciter la création d'un dossier médical électronique partout au pays. Le projet réunit les diverses bases de données cliniques, l'imagerie diagnostique, les laboratoires, les dossiers des médecins et ainsi de suite; tout cela entrerait dans la composition d'un dossier.

Certainement, une fois mise en œuvre sur toute la ligne, dans le temps voulu, l'InfoRoute représentera une source de données extrêmement précieuse, mais, encore une fois, je crois que nous allons envisager à son sujet des défis semblables à ceux qui ont été évoqués concernant l'accès aux données. Comment l'obtenir aux fins qui sont les nôtres, pour la santé de la population? Ce sera là la question. Même si ça existe et que c'est une source abondante de données, la question demeurera celle de l'accessibilité.

M. Frojmovic : À cela, je dis oui. Peut-être est-ce parce que nous sommes au Sénat que je me sens porté sur la philosophie et la réflexion, mais c'est une chose dont nous avons beaucoup parlé, Mme Steenberg et moi.

Ce que toute cette discussion a d'ironique, c'est qu'il est question de personnes qui ne sont pas capables d'accéder aux données elles-mêmes, qu'il s'agisse de données du recensement ou de données administratives d'un hôpital. Or, toutes ces données-là existent parce qu'il y a des gens qui ont pris le temps de les échanger au départ. Vous répondez au téléphone; vous remplissez le formulaire du recensement; vous allez à l'hôpital; vous remplissez un autre formulaire; tout cela, ce sont des gens qui échangent.

Suivant la réflexion de Mme Steenberg, cela est affaire de démocratie; or, une démocratie du XXIe siècle doit démocratiser l'accès aux données. Les personnes doivent avoir le droit d'accéder aux données qu'elles ont aidé à créer, non seulement parce qu'elles ont le droit d'accéder à la chose qu'elles ont aidé à créer, mais aussi parce qu'il importe qu'elles comprennent et qu'elles saisissent pleinement ce que cela veut dire que de vivre dans la société complexe qui est la nôtre.

À ce niveau-là, sans nul doute, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour favoriser davantage une attitude démocratique au Canada. Faire partie d'une démocratie moderne ne se résume pas au seul fait de voter. C'est aussi l'idée d'accéder aux données, aux données sociales, aux données sur la santé et aux données sur les déterminants sociaux de la santé.

Je terminerai là-dessus. C'est une question de démocratie, une question fondamentale de démocratie et de droits fondamentaux prévoyant l'accès à ce que l'on a créé.

Le président : Merci à chacun d'entre vous d'avoir fait don de votre temps si librement, pour nous aider. Nous allons probablement communiquer avec vous de nouveau au fil de la production de notre rapport.

Pour aujourd'hui, notre temps est terminé.

La séance est levée.


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