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Sous-comité sur la santé des populations

 

Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations

Fascicule 7 - Témoignages du 11 juin 2008


OTTAWA, le mercredi 11 juin 2008

Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour examiner les multiples facteurs et conditions qui influent sur la santé de la population canadienne, facteurs que l'on désigne sous l'appellation générique de déterminants de la santé, avant de faire rapport sur la question.

Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, chers témoins, comme nous avons le quorum et que nous sommes dûment constitués, nous pouvons commencer. Malgré les événements qui ont quelque peu perturbé nos habitudes cet après- midi, nous sommes ici et prêts à travailler.

Nous accueillons, tout d'abord, l'honorable Carolyn Bennett, ancienne ministre d'État à la Santé publique, que j'ai la chance de connaître depuis fort longtemps.

De l'Université de l'Alberta, nous recevons Deanna Williamson, professeure associée, Faculté d'écologie humaine.

Peut-être pourriez-vous commencer, docteure Bennett.

[Français]

L'honorable Carolyn Bennett, C.P., députée, ex-ministre d'État (Santé publique, à titre personnel) : Monsieur le président, c'est vraiment un plaisir d'être invitée ici pour contribuer aux travaux importants de ce comité.

[Traduction]

Dans ma pratique de médecine familiale, j'ai vécu ce que Michael Marmot a si justement qualifié de pire chose qui puisse arriver à un médecin : remettre les gens sur pied et les renvoyer directement vivre dans les conditions qui les ont rendus malades au départ. Qu'il s'agisse de personnes âgées vivant dans la pauvreté, d'enfants asthmatiques habitant près d'une centrale au charbon, ou encore d'un travailleur victime du syndrome de stress post-traumatique qui doit encore composer avec l'ancien système d'indemnisation fondé sur un modèle d'incapacité, plutôt qu'avec le nouveau régime de classification internationale du fonctionnement, les déterminants sociaux de la santé font partie du quotidien de tous les médecins de famille.

Je suis fière de mes antécédents au Women's College Hospital dont les activistes, notamment dans le cadre du mouvement pour la santé des femmes, ont compris depuis longtemps que la pauvreté, la violence, l'environnement, l'accès à des refuges, l'équité et l'éducation sont autant de facteurs qui influent sur le bien-être des gens.

[Français]

En tant que porte-parole pour les questions relatives à la santé publique, les aînés, les personnes handicapées et l'économie sociale, je sais d'expérience que les gens se réjouissent non seulement de l'existence de ce comité et de ses travaux importants, mais aussi de l'influence éventuelle de ce rapport sur l'avenir de la santé et des soins de santé au Canada.

[Traduction]

Je fais bien la distinction entre santé et soins de santé car, trop souvent, lorsque nous parlons de « santé », les gens pensent au système de soins aux malades. J'ose espérer que votre comité pourra jouer un rôle important dans l'évolution de la terminologie pour que l'on parle de systèmes pour la santé, plutôt que de système de soins de santé.

Dès l'instauration du régime public d'assurance-maladie, Tommy Douglas visait deux objectifs : faire en sorte que tous les Canadiens obtiennent les soins dont ils ont besoin en temps opportun, mais aussi aider les gens à rester en bonne santé, plutôt que simplement les remettre sur pied lorsqu'ils sont malades. D'une manière ou d'une autre, nous avons succombé à notre fascination pour l'aspect « atelier de réparation » et avons sombré dans ce que les intervenants en santé publique appellent la « tyrannie des soins actifs ».

Comme vous le savez tous très bien, la prise en compte des déterminants sociaux de la santé est essentielle à la viabilité de notre programme social le plus précieux.

Question d'abréger ma déclaration, je vous ai fourni ma préface à la nouvelle édition de l'ouvrage de Denis Raphael sur les déterminants sociaux de la santé qui sera publiée cet automne, ainsi que les diapositives de ma présentation lors de la conférence de l'Union internationale de promotion de la santé et d'éducation pour la santé (UIPES) en juin dernier. Dans ces deux documents, vous retrouverez mon questionnaire, un outil que j'estime fort utile pour changer la terminologie.

Nous le savons tous; dès qu'il est question de déterminants sociaux de la santé, toutes les personnes présentes prennent un air absent. J'ai pu constater qu'en utilisant mon questionnaire ainsi que quelques-unes des diapositives que vous verrez dans ma présentation à l'UIPES, on commence à changer la manière dont les Canadiens peuvent nous aider à faire avancer cette cause en exigeant des politiques publiques davantage axées sur la santé pendant que nous exerçons des pressions en ce sens de notre côté.

Voici la première question : croyez-vous que nous devrions avoir une solide clôture au sommet de la falaise, ou encore un parc d'ambulances modernes et des ambulanciers en poste en bas?

Préféreriez-vous de l'air pur, ou encore suffisamment de pompes et de respirateurs pour tous?

Préféreriez-vous que les temps d'attente soient réduits grâce à un programme de prévention des chutes pour réduire le nombre de remplacements de hanches, ou encore grâce à des hôpitaux privés de soins orthopédiques et davantage de chirurgiens?

Devrions-nous investir dans l'apprentissage, la garde, l'alphabétisation et le dépistage des troubles d'apprentissage chez les jeunes enfants ainsi que dans les programmes contre l'intimidation, ou encore augmenter le budget pour l'incarcération des jeunes contrevenants?

Devrions-nous croire que le « tsunami gris » ruinera notre système de santé, ou encore tenir compte de la population vieillissante dans des stratégies visant à en garantir le bien-être?

La meilleure approche concernant la sécurité alimentaire réside-t-elle dans les banques et bons alimentaires, ou encore dans la sécurité financière, le logement abordable, les jardins et cuisines communautaires et une politique alimentaire nationale?

Lequel des énoncés suivants est incorrect? C'était l'une de mes questions favorites lorsque j'étais ministre. Les préparatifs en vue d'une pandémie doivent être axés sur la distribution de Tamiflu à tous; une collaboration avec les vétérinaires pour que la grippe aviaire demeure une maladie d'oiseaux; la mise en œuvre de mesures pour obliger les gens à se laver les mains, en particulier les médecins et les infirmières; la recherche sur les vaccins; ou une planification communautaire des soins destinés aux plus vulnérables.

Les gouvernements devraient-ils se vanter du budget consacré au système de soins aux malades, ou encore de la santé de leurs citoyens et du fait que personne n'est laissé pour compte?

Je suis persuadée que tous les membres du Comité ont obtenu une note parfaite.

J'ai également inclus le texte d'une allocution que j'ai prononcée l'an dernier, avec l'aide de la Bibliothèque du Parlement, à la conférence de l'Union européenne sur la santé qui s'est tenue à Gastein, en Autriche. J'y expose les arguments économiques en faveur d'investissements dans la santé, en mettant en lumière des éléments comme les coûts d'un milliard de dollars par année qu'entraînent les journées de smog en Ontario seulement.

Vous trouverez aussi dans la documentation les diapositives d'un exposé que j'ai beaucoup de plaisir à présenter actuellement et qui s'intitule « Le tsunami gris? Non ». J'y explique comment nous pouvons appliquer des politiques intégrées pour veiller à ce que notre population vieillissante demeure au-dessus du seuil d'invalidité établi par l'OMS dans ses politiques pour un vieillissement actif.

Je crois que vous m'avez surtout invitée ici pour que je vous parle du travail que j'ai amorcé lorsque j'étais ministre et du chemin qu'il reste encore à faire de toute évidence. C'est dans la foulée de la crise du SRAS que Paul Martin m'a appelée en décembre 2003 pour me demander de joindre les rangs de son cabinet en tant que première ministre d'État à la Santé publique. Je me souviens de lui avoir rappelé dès le départ que mon travail ne se limiterait pas aux maladies infectieuses, mais qu'il inclurait également d'autres épidémies comme celles du cancer, du diabète et des maladies cardiaques.

Dès mes premiers pas comme ministre, je me suis rendu compte qu'il y avait des dissensions, même parmi les intervenants en santé de la population et santé publique. L'un des camps s'employait principalement à amener les gens à faire de meilleurs choix pour leur santé. Pour l'autre camp, la situation semblait se résumer à une simple question de pauvreté.

En essayant d'expliquer que nous avions besoin des deux systèmes, j'ai griffonné un jour sur une carte d'embarquement le croquis d'un arbre. Les déterminants sociaux de la santé formaient son réseau de racines; les risques modifiables en constituaient le tronc; et ses branches correspondaient aux résultats visés en matière de santé. Toutes les fois que je me rendais quelque part dans mes fonctions de ministre, des gens me faisaient des suggestions concernant mon arbre. On proposait des ajouts au système de racines, aux facteurs de risque et aux types de résultats, mais c'est Bill Mussell de l'Aboriginal Mental Health Association qui m'a aidée à mettre de l'ordre dans tout cela.

En regardant mon arbre, on constate que son système de prise au sol fait foi de tout. Il semblerait donc que les déterminants sociaux de la santé influent sur la qualité du sol, c'est-à-dire sur la résilience des gens, leur sentiment de maîtrise et d'estime de soi, et leur confiance dans leur identité personnelle et culturelle. C'est sur ce sol que reposent leurs choix en matière de santé pour ce qui est de l'alimentation, de l'exercice et de la consommation d'alcool et de drogues, notamment.

Je dois remercier les médecins hygiénistes en chef qui m'ont demandé d'utiliser ce magnifique pin de la Baie Georgienne, plutôt qu'un pommier qui perdrait ses feuilles à l'automne. Comme vous le savez, les vents dominants de l'Ouest font en sorte que les pins de la Baie Georgienne n'ont pas de branches du côté Ouest, ce qui représente les éléments que nous ne voulons pas, et de belles grosses branches du côté Est pour toutes ces choses que nous souhaitons.

Dans les cahiers de consultation pour les objectifs de santé pour le Canada, vous pourrez voir la version antérieure de cet arbre que nous avons utilisée. Vous pourrez constater à quel point il a évolué grâce à la contribution des citoyens que nous avons continué à solliciter pour peaufiner cet outil.

À la rencontre des premiers ministres tenue en septembre 2004, toute la discussion de la soirée du mardi a été consacrée à la santé publique et à la prévention. Nous en étions ravis, car il était vraiment inspirant d'entendre les premiers ministres de ce pays parler d'éléments comme des rampes pour les aînés, la pauvreté et toutes ces mesures qu'ils estimaient aptes à améliorer les choses. Le communiqué émis à cette occasion est devenu un engagement de la part de tous les gouvernements canadiens.

[Français]

Les gouvernements s'engagent à accélérer l'élaboration d'une stratégie pancanadienne pour la santé publique. Pour la première fois, ils établiront des buts et des cibles pour améliorer l'état de santé de la population canadienne en s'alliant à des experts. Cette stratégie inclura des activités touchant des facteurs de risque communs comme l'inactivité physique ainsi que des stratégies intégrées de lutte contre les maladies. Les premiers ministres s'engagent à travailler dans divers secteurs au moyen d'initiatives comme Écoles en santé.

[Traduction]

Au cours de l'année qui a suivi, nous avons pu mettre en place un réseau de santé publique pancanadien pour permettre une planification conjointe par les 13 gouvernements sous la direction du Dr Perry Kendal de la Colombie- Britannique et du Dr David Butler-Jones. Dans le budget de 2005, nous avons consacré 300 millions de dollars à une stratégie intégrée de prévention des maladies chroniques et mis sur pied six centres de collaboration pour les questions liées à l'environnement, à la santé des Autochtones, aux maladies infectieuses, aux nouveaux outils de santé publique, à la prise en compte des questions de santé dans les politiques publiques pour la province de Québec, et aux iniquités en matière de santé dans le cadre d'un effort collectif des provinces de l'Atlantique. Nous avons ensuite amorcé le processus d'établissement des objectifs de santé publique pour le Canada.

En décembre 2005, les 10 ministres provinciaux de la santé et leurs trois homologues territoriaux ont approuvé les objectifs de santé pour le Canada, mais je dois vous dire qu'il n'y a guère de raisons de se réjouir depuis. Je regrette beaucoup l'inaction quasi complète dans ces dossiers depuis l'élection du gouvernement conservateur.

Dans le cadre de l'examen parlementaire du plan décennal pour consolider les soins de santé, l'opinion complémentaire du Parti libéral, qui sera déposée vendredi, précisera que le communiqué diffusé à l'issue de la rencontre de 2004 plaçait l'apprentissage des jeunes enfants et les services de garde au rang des priorités en matière de prévention, mais que le gouvernement actuel avait immédiatement annulé le plan, même si des ententes ont été signées avec les provinces.

Dans les faits, l'engagement en faveur d'une collaboration plus soutenue dans la recherche de solutions coordonnées a été concrétisé par le réseau de santé publique et les médecins hygiénistes en chef, et ceux-ci n'ont eu droit qu'à très peu de soutien de la part du gouvernement lui-même pour faire avancer ces dossiers. Même en ce qui a trait à la stratégie nationale d'immunisation, plutôt que d'attendre la contribution de l'instance interprovinciale censée prendre des décisions à ce chapitre, ou que de renouveler les quatre vaccins à l'égard desquels cette instance avait pris des engagements, le gouvernement a agi en marge du processus pour financer un vaccin, par ailleurs extrêmement important, contre le cancer du col de l'utérus. Le gouvernement a fait fi du modèle de collaboration établi dans la foulée des directives très précises formulées par David Naylor à la suite de la crise du SRAS en s'appuyant sur la formule des quatre C, à savoir la collaboration, la coopération, la communication et la clarté quant au rôle de chacun.

Nous avions pourtant jeté toutes les bases requises pour développer une stratégie en matière de santé publique, mais je dirais que la chose qui m'attriste le plus c'est l'impossibilité d'aller de l'avant lorsqu'on ne sait pas quelle direction on doit prendre. Toujours conformément à l'engagement pris dans le communiqué de 2004 à l'occasion de la rencontre des premiers ministres, la deuxième étape consistait à établir des indicateurs et des objectifs concrets. En l'absence d'indicateurs et d'objectifs semblables, il est impossible d'élaborer de véritables stratégies pour savoir ce qui doit être réalisé, à quel moment et de quelle façon, comme Tony Blair l'a fait l'année où il est devenu premier ministre.

Il est très décevant de constater que, faut d'un processus de collaboration pour l'établissement d'indicateurs et d'un mécanisme de consultation auprès des experts et des fournisseurs pour fixer des objectifs significatifs — on ne peut tout de même pas espérer rallier tout le monde avec des objectifs sortis de nulle part; ils doivent être réalistes — le travail a été complètement arrêté dans ce dossier.

Je trouve tout à fait déplorable que les 300 millions de dollars que nous avions réservés pour une stratégie intégrée de prévention des maladies, qui auraient pu aller à des projets comme des écoles axées sur la santé et des initiatives pangouvernementales, ont été récupérées au profit du mode traditionnel d'intervention une maladie à la fois, l'une d'elles obtenant plus de 90 p. 100 des fonds. Il y a lieu de regretter le pas en arrière que l'on semble avoir fait à cet égard.

Pour ce qui est des possibilités qui s'offrent à nous ou des sujets que je souhaiterais vous voir explorer quant aux perspectives d'avenir, j'aimerais énormément que nous puissions réaliser des progrès quant à nos outils de mesure.

Lorsque j'ai rencontré en Écosse l'an dernier l'ancien ministre de la santé écossais, Andy Kerr, je ne pourrais pas vous dire à quel point je l'enviais quand il m'a dit qu'il pouvait compter sur des données en matière de santé allant jusqu'à une répartition en fonction des codes postaux. Je mourais également de jalousie en apprenant que tout le monde en Écosse à un médecin de famille. Il lui a donc été possible de demander aux médecins de famille des secteurs ayant les revenus les plus faibles d'écrire à leurs patients pour les convier à un salon d'information sur la santé en plus de mettre en place, entre autres, des interventions pour la tension artérielle et le gras corporel. Sans compter tous ces éléments dont nous avons parlé qui sont davantage du côté des déterminants sociaux. Lorsque son gouvernement a été défait, il était déjà en mesure de constater les effets de ces interventions.

L'État de New York a maintenant désigné l'hémoglobine A1c parmi les maladies à déclaration obligatoire. Les autorités locales estiment que même s'il ne s'agit pas d'une maladie infectieuse, il y a un aspect social de contagion à considérer. Il est donc possible de mettre en œuvre les interventions comme s'il s'agissait d'une maladie infectieuse afin de pouvoir contrer cette épidémie qui pourrait empêcher la génération actuelle d'enfants de vivre aussi longtemps que leurs parents.

Nous devons grandement améliorer les données épidémiologiques à notre disposition et je crois que nous faisons des efforts en ce sens. À la lumière des travaux que nous menons au sein du comité de la santé de la Chambre des communes, cela pourrait commencer par l'utilisation d'outils comme la surveillance post-commercialisation. Si vous pensez aux prescriptions électroniques, imaginez à quel point la situation serait différente si le médecin n'avait qu'à inscrire le diagnostic pour obtenir la même prescription qu'il établit actuellement à la main. Nous pourrions alors vraiment commencer à avoir une idée beaucoup plus claire de la répartition des cas. Encore là, nous devons encourager les médecins à nous aider à obtenir de meilleures données épidémiologiques que les simples chiffres de facturation auxquels nous avons droit actuellement.

Je constate que le Dr Cordell Neudorf est des nôtres aujourd'hui, mais j'allais vanter son travail de toute manière. Nous savons que si une image vaut mille mots, une carte vaut mille images. Comme l'équité est une valeur fondamentale chère au cœur des Canadiens, si nous pouvions établir une carte des résultats en matière de santé pour savoir qui s'en tire le mieux et qui sont les plus mal en point, il serait plus facile pour nous, politiciens, de justifier nos interventions dans ces secteurs. Le Dr Neudorf y parvient brillamment à Saskatoon. Il vous parlera sûrement de son plan d'action concret pour améliorer les résultats en santé et lutter contre la pauvreté.

Nous estimons très important d'aller de l'avant dans le choix des indicateurs et des objectifs à atteindre. Je pense que c'est une chose que les Canadiens sont en mesure de comprendre, qu'il s'agisse de jours de smog ou de la proportion de familles dépensant plus de 50 p. 100 de leur revenu pour se loger — nous savons qu'en pareil cas, le réfrigérateur risque d'être fort dégarni. Selon moi, le choix conjoint des objectifs à atteindre illustre bien tout l'aspect brillant de notre système fédéral. Vous définissez des but communs bien établis avant de vous fier à la sagesse des autorités locales qui puisent à même l'expertise disponible sur place pour concrétiser le tout province par province, territoire par territoire et collectivité par collectivité.

Je pense qu'il est également très important de parler de structure. Tous les silos que comporte la structure actuelle nous posent bien des difficultés; je suis certaine que je ne suis pas la première à vous le dire. On a toujours présumé que les comités interministériels pouvaient produire des résultats dans une certaine mesure. Nous avons toutefois appris à nos dépens que rien ne se concrétise sans l'apport de comités du Cabinet auquel les ministres participent après avoir été préparés par leurs collaborateurs.

Comme nous avons pu le voir dans bien des secteurs, le travail horizontal est très important. Il suffit de penser au comité sur les enfants au Manitoba ou à celui sur la pauvreté ici en Ontario, sous la direction de Deb Matthews. À l'époque, nous devions tous nous préparer à participer aux réunions du Comité du Cabinet sur les affaires autochtones, sous la présidence de Paul Martin, un processus qui nous a menés à l'accord de Kelowna. Pour sa part, Stéphane Dion a présidé le Comité du Cabinet sur le développement durable alors que trois ministères, Industrie Canada, Ressources naturelles Canada et Environnement Canada, s'affrontaient auparavant pour faire valoir leurs plans respectifs. J'estime qu'un comité du Cabinet nous obligeant à dégager un consensus est la meilleure façon de faire avancer les choses.

Je vous recommande le rapport concernant les indicateurs sociaux que nous avons produit avec John Williams à l'intention des parlementaires. Nous avons examiné des modèles comme ceux de l'Alberta et Terre-Neuve qui utilisent des mesures pangouvernementales. On peut ainsi voir que lorsque les gouvernements sont responsables des résultats dans une perspective globale, de préférence à la simple responsabilité des ministères dans les différents silos, il peut devenir beaucoup plus facile d'aider les Canadiens à comprendre que la réduction du taux de tabagisme, qui est passé de 31 p. 100 à 19 p. 100 au fil des ans, est un indicateur tout aussi important que le PIB.

À la lumière du travail accompli par ce comité, je constate toute l'importance que pourrait avoir le rôle du Parlement dans la mobilisation des différents ministères aux fins d'une plus grande efficacité horizontale. Au comité sur la condition des personnes handicapées, nous avons communiqué avec 13 ministères ou commissions qui ont été fort surpris de recevoir notre appel car leur mandat ne prévoyait rien concernant les personnes handicapées. Il est donc primordial de commencer à travailler sur le processus en examinant ces structures.

Je pense que nous avons tous été touchés par le travail accompli par la Finlande qui a placé la santé eu cœur de toutes ses politiques. Au Québec, l'article 54 de la Loi sur la santé publique fait en sorte que chaque projet de loi, chaque mesure d'initiative parlementaire, chaque mémoire au Cabinet et chaque présentation budgétaire doit faire l'objet d'une analyse d'impact sur la santé. La décision du gouvernement demeurera peut-être la même, mais il sera tout au moins mis au fait de l'augmentation qui s'ensuivra quant à la facture des soins de santé.

J'estime qu'en dernière analyse, il faudra se tourner vers les gens. Il deviendra de plus en plus important de planifier l'utilisation des ressources humaines en fonction d'un travail collectif pour en arriver à de véritables systèmes de santé, plutôt que de simples systèmes de soins de santé. Nous en avons des exemples ici même à Ottawa avec quelques-uns des centres de santé communautaire qui ont des jardins communautaires et des cuisines communautaires ainsi que des gens capables de faire le lien avec les différentes ressources. Je pense aussi au Chantier de l'économie sociale au Québec qui s'appuie sur de véritables approches communautaires aux fins du développement économique. Nous devrions être mieux en mesure d'appuyer de telles approches de développement par la base qui visent à assurer le bien-être des citoyens.

Il ne fait aucun doute que nous avons besoin au Canada d'une politique alimentaire globale. Il faut que des aliments sains et nutritifs soient produits à proximité. Il faut ajuster notre approche horizontale à l'égard des différents secteurs touchés, à savoir l'agriculture, les pêches, l'industrie, la sécurité alimentaire, la protection des aliments, les pratiques éthiques dans le commerce international et le développement international du commerce.

Enfin, j'aimerais demander aux membres du comité de réfléchir au rôle que jouent les déterminants sociaux relativement à la préparation des mesures d'urgence en prévision des pandémies et des catastrophes naturelles. Si j'ai été nommé ministre au départ, c'est parce que 44 personnes avaient perdu la vie dans l'épidémie du SRAS. Au cours du même été, une vague de chaleur avait causé la mort de 14 000 personnes en France. Ce pays était alors classé au premier rang par l'OMS en ce qui a trait tant aux résultats en matière de santé qu'à la performance du système de santé. Nous savons toutefois qu'on se concentrait tellement sur les médecins et les hôpitaux que l'on n'a pas vraiment anticipé le risque que, quelques années plus tard, toutes ces vieilles dames dans leur grenier n'aient même pas la chance de s'approcher d'un médecin ou d'un hôpital.

J'en conclus donc que nous n'avons pas tiré les enseignements voulus du formidable ouvrage d'Eric Klinenberg qui a fait l'autopsie d'une catastrophe sociale à la suite de la canicule qui a touché Chicago en 1995. Les victimes prévisibles sont celles qui ont effectivement perdu la vie à cette occasion. Elles n'avaient pas l'air climatisé et ne disposaient d'aucun autre moyen de s'en sortir. Cependant, il y a eu un quartier, le quartier latin, comptant encore quelques aînés polonais qui n'avaient pas déménagé, où l'on n'a déploré aucune victime. Ce résultat est attribuable à ce que Robert Putnam a appelé le capital social et ce que Jane Jacobs a qualifié de bon voisinage. Les décideurs du gouvernement fédéral ne devraient jamais oublier qu'ils doivent mettre en place des politiques permettant un développement communautaire à partir de la base pour appuyer une politique publique favorable à la santé.

En terminant, j'aimerais souligner le leadership exercé par les Canadiens en la matière, de Tommy Douglas jusqu'à la Charte d'Ottawa en passant par le rapport Lalonde. Je me souviens du magnifique cahier de travail produit pour le Forum sur la santé tenu par le premier ministre Chrétien en 1996, avec tous ces diagrammes expliquant aux Canadiens que les pauvres vivent moins longtemps. Nous devons redoubler d'effort pour accroître le niveau de littératie en santé. Il nous faut faire en sorte que les Canadiens revendiquent des politiques publiques axées sur la santé et deviennent des défenseurs efficaces à l'égard de ces questions. Nous avons besoin de leur soutien pour pouvoir compter sur de véritables régimes de santé, plutôt que de simples systèmes de soins aux malades.

J'étais à l'Université York en décembre 2004 lorsque John Frank et Denis Raphael ont ouvert leur conférence sur les déterminants sociaux de la santé. J'étais aussi présente en ma qualité de ministre à Santiago lorsque Monique Bégin, Stephen Lewis et Michael Marmot ont lancé la Commission de l'OMS sur les déterminants sociaux de la santé. Il était alors bien clair que la Commission devait notamment s'employer à encourager les pays à préparer le terrain de telle sorte que le rapport de la Commission puisse trouver des terres fertiles et qu'un changement en profondeur puisse prendre racine.

[Français]

Je vous remercie de relever le défi et j'attends avec hâte votre rapport. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me les poser.

[Traduction]

Le président : Merci énormément. Vous nous avez présenté un formidable exposé. Je constate que vous n'avez pas perdu une once de votre brio. Il faut avouer que rien ne vous a échappé. Merci d'avoir si bien préparé votre présentation.

Avant de passer aux questions, nous allons écouter Deanna Williamson.

Deanna Williamson, professeure associée, Faculté d'écologie humaine, Université de l'Alberta : Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissante de me permettre de contribuer à votre étude sur les déterminants de la santé et les possibilités d'instaurer une politique pancanadienne en matière de santé des populations.

Mes observations porteront principalement sur la question qui consiste à savoir si le gouvernement fédéral devrait élaborer des objectifs en matière de santé dans l'éventualité où l'on déciderait de mettre en œuvre une politique pancanadienne sur la santé des populations en vue d'améliorer la santé des Canadiens et de réduire les disparités en la matière.

Je répondrais par l'affirmative à cette question, mais avec certaines réserves.

Je fonderai principalement mes commentaires sur des travaux que j'ai menés il y a un certain nombre d'années avec mes collègues de l'Université de la Colombie-Britannique. Nous nous sommes alors penchés sur les objectifs de santé établis par les provinces et les territoires, la manière dont ils ont été utilisés et les résultats obtenus.

Premièrement, en ce qui a trait à la partie affirmative de ma réponse au sujet des objectifs de santé, il va de soi que j'estime que ceux-ci constituent une composante essentielle de toute politique sur la santé des populations. Des buts bien conçus indiquent clairement aux décideurs, aux praticiens et, ce qui est très important selon moi, au grand public quelles sont les priorités en matière de santé et quels résultats les gouvernements cherchent à atteindre.

L'énoncé de telles priorités peut ultérieurement guider l'allocation des ressources et fournir une base pour l'élaboration de différents programmes et initiatives s'inscrivant dans la droite ligne des objectifs fixés. Une politique globale en matière de santé des populations doit absolument pouvoir s'appuyer sur des objectifs semblables.

Comme je l'ai indiqué, mes réserves concernant les objectifs de santé sont basées en partie sur les recherches que j'ai effectuées ainsi que sur les résultats des efforts déjà déployés en la matière au Canada.

Comme l'ont montré clairement ces efforts antérieurs, il ne suffit pas de définir des buts en matière de santé pour assurer l'élaboration d'initiatives et de programmes efficaces pour la santé des populations.

C'est une situation dont nous avons été témoins à maintes reprises. Les provinces et les territoires ont tous établi des objectifs en matière de santé au cours des années 1990 et, à la fin de cette décennie, aucun de ces objectifs n'était utilisé concrètement pour guider les politiques visant la santé des populations. On note tout particulièrement que ces objectifs ne semblent pas très efficaces pour ce qui est d'élargir la perspective en redirigeant l'attention à partir des priorités en matière de soins de santé vers les déterminants non médicaux de la santé et les disparités à ce chapitre. Malgré le fait que la plupart des provinces et territoires avaient inclus dans leurs objectifs de santé des buts mettant l'accent sur les conditions socioéconomiques et les autres déterminants non médicaux, la plupart des interventions continuaient d'être axées sur le secteur des soins de santé.

De la même façon, l'initiative fédérale mise en place il y a quelques années, c'est-à-dire les objectifs en matière de santé qui avaient été établis, n'a pas mené à la prise de mesures concrètes, pour les diverses raisons que la Dre Bennett a soulignées.

Je ne suis pas convaincue que la conjoncture politique ait suffisamment changée depuis les dernières tentatives pour l'on s'engage sur cette route une fois de plus. Je crois sincèrement qu'il faut faire beaucoup plus de travail de préparation et s'arrêter un moment pour bien réfléchir à ce que l'on peut faire avant de tenter à nouveau d'établir des objectifs en matière de santé.

Comme le sous-comité l'a indiqué dans la conclusion de son premier rapport, il est primordial avant tout d'arriver à vendre l'idée aux politiciens et à la population d'une stratégie pancanadienne en matière de santé publique qui met l'accent sur les déterminants non médicaux de la santé et qui vise à réduire les disparités à cet égard. Je ne sais pas si le grand public comprend bien en quoi consistent les déterminants non médicaux de la santé et la notion de disparité. Il y a encore beaucoup de travail à faire.

Bien sûr, un volet essentiel à toute cette entreprise est l'établissement d'un mécanisme de financement adéquat et continu qui permettra d'appuyer ces activités.

À défaut de volonté politique, d'engagement de la part du public et de financement suffisant, il est probable que les buts en matière de santé manqueront de nouveau de jeter les bases nécessaires pour améliorer la santé des Canadiens et réduire les disparités en la matière.

Des partenariats de collaboration entre le gouvernement et des représentants non gouvernementaux de l'intérieur et de l'extérieur du secteur de la santé sont essentiels pour susciter un engagement étendu à l'égard d'une stratégie fédérale sur la santé de la population. Je sais que je ne surprends personne en disant cela. Nous l'avons souvent entendu; tout le monde est d'accord là-dessus. Nous devons travailler plus étroitement et s'engager dans des activités intersectorielles.

Comme le signale votre comité dans son quatrième rapport, même si des approches intersectorielles sont nécessaires pour agir sur beaucoup des déterminants non médicaux de la santé et sur les disparités en matière de santé, les idées de santé de la population, de déterminants de la santé, de disparités en matière de santé, et cetera, et leur compréhension « appartiennent « au secteur de la santé, et elles n'ont pas fait leur chemin dans l'esprit et les travaux des décideurs et des praticiens d'autres secteurs.

Je ne suis pas persuadée que nous pourrons faire beaucoup de progrès pour remédier aux déterminants non médicaux de la santé et pour réduire les disparités sur le plan de la santé tant et aussi longtemps qu'on ne ralliera pas tout le monde à l'idée et que ces notions ne seront pas mieux comprises.

Que le problème soit un manque de connaissance ou un manque d'intérêt de la part des autres secteurs, je ne crois pas que les intervenants du secteur de la santé doivent à eux seuls se charger de sensibiliser le reste du monde et de défendre la cause. Cela pourrait donner lieu à beaucoup de résistance. Même si j'ignore comment l'on pourrait procéder, j'ai l'impression qu'il serait plus profitable de miser sur un processus d'éducation mutuelle dans le cadre duquel les décideurs et les praticiens issus de différents secteurs pourraient discuter de leurs intérêts et mandats respectifs.

Le but de ces discussions serait de déterminer à quels niveaux leurs intérêts et mandats divergent, où leur travail prend des directions opposées et où ils se rejoignent. Idéalement, avec le temps, les décideurs et praticiens pourraient cerner des occasions pour mettre de l'avant des politiques et des initiatives qui profiteraient à tout le monde.

Il pourrait s'agir de projets en collaboration ou alors d'entreprises indépendantes, mais des entreprises qui pointent toutes dans la même direction.

Je tiens à préciser que je ne m'oppose pas à la proposition du gouvernement fédéral de mettre en place une stratégie en matière de santé des populations ou d'établir des objectifs en matière de santé. En fait, je crois qu'il sera impossible de réduire les disparités sur le plan de la santé au Canada si nous ne disposons pas d'une approche stratégique globale, incluant des objectifs en matière de santé.

Je crois toutefois qu'on ne se laisse pas suffisamment de temps. J'ai constaté en lisant les résumés de ce qui se passe dans différents pays en voie de développement que certains d'entre eux ont une bonne longueur d'avance. Ils ont entrepris leurs efforts il y a longtemps et travaillent là-dessus depuis des décennies.

Je crois qu'il faut voir à long terme. Même si l'élaboration d'objectifs en matière de santé fera inévitablement partie du processus, je pense qu'il est encore trop tôt pour y penser.

Il serait plus avantageux à long terme de se concentrer sur l'établissement de stratégies et de processus visant à jeter des bases solides en ce qui a trait au financement et à l'engagement des intervenants.

Cela conclut mon exposé. Je serai heureuse de pouvoir discuter de la question plus longuement.

Le président : Merci beaucoup.

Évidemment, le sujet est très vaste et il est difficile d'en faire le tour. Ma première question s'adresse à vous, docteure Bennett, et je m'adresserai ensuite à vous, madame Williamson.

Les sénateurs ont tous des questions à vous poser, alors je tâcherai d'être bref. J'aimerais cependant pouvoir profiter de votre expertise pendant que vous êtes ici.

Nous avons produit quatre rapports. Le cinquième devrait être publié en décembre, à moins qu'on ne déclenche des élections ou que quelque chose du genre ne vienne changer les plans. En ce moment, nous prévoyons recommander fortement l'adoption d'une approche gouvernementale globale en ce qui a trait à la santé des populations. La plupart des maillons sont en place, c'est très encourageant. J'en ai discuté avec le ministre de la Santé de l'Ontario, George Smitherman, et ce dernier est prêt à passer à l'action. Il a déjà mis des gens au travail. Tout cela est très encourageant.

Le Québec est également prêt à agir. L'idéal serait d'avoir le concours des provinces, et que le gouvernement fédéral soit aussi prêt à collaborer et qu'il agisse comme un partenaire et non comme le berger qui guide ses brebis.

Je crois que les organismes communautaires font cruellement défaut au processus. Nous sommes allés à Cuba. Nous avons produit un rapport spécial sur Cuba. Nous voulions jeter un coup d'œil aux polycliniques. À Cuba, ces cliniques intègrent la santé, le sport, l'éducation et pratiquement tous les déterminants de la santé. Comme en Écosse, chaque citoyen cubain a un médecin, et ce médecin pratique dans une polyclinique. Le tout est intégré à la santé publique et à tout ce qui lui est associé.

J'aimerais vous demander à vous, docteure Bennett, si vous avez examiné l'organisation de Tony Blair et l'approche globale que son gouvernement a mise en place.

Dre Bennett : C'est l'administratrice en chef de la santé publique, Fiona Adshead, qui m'a invité à Gastein l'an dernier. Celle-ci était médecin-conseil en santé publique avant que Tony Blair ne la nomme à son poste actuel. On lui doit le redressement d'un des pires quartiers du pays. Sa réputation était telle qu'elle a servi d'exemple pour le pays en ce qui a trait à l'approche gouvernementale globale. Même en tant que médecin, elle savait que la pauvreté, la violence, l'environnement, et tous ces facteurs avaient de l'importance, et ce, même si bien des gens étaient d'avis que les conclusions du rapport Wanless ne présentaient peut-être pas les causes de façon juste en ce qui a trait aux choix santé.

Sir Michael Marmot, comme vous le savez, parle des causes, puis des causes des causes. On part du principe que si tout le monde arrêtait de fumer, mangeait sainement et faisait de l'exercice, personne n'aurait de problème de santé. Fiona a pris ce rapport et l'a appliqué de la même façon que l'a fait le Dr Neudorf à Saskatoon : « Si vous ne pouvez pas vous permettre d'acheter des souliers de course... ». Il faut en effet travailler davantage au développement communautaire, mais aussi travailler sur l'estime de soi et d'autres facteurs du genre.

Peu de temps après, je me rappelle que j'étais en Irlande en tant qu'observatrice internationale et je me suis demandée comment on allait arriver à atteindre ces ambitieux objectifs de réduire les taux de diabète, de maladies cardiovasculaires, et cetera. sans plus de préparation. Je crois qu'il faut penser aux gens lorsqu'on établit ces objectifs, mais il faut aussi penser à tendre vers un but commun et tenir compte de la culture et des connaissances locales.

Je vous recommanderais fortement, pour ce qui est de la complexité du système fédéral, de vous référer au rapport préparé par Brenda Zimmerman dans le cadre de la Commission Romanow, c'est-à-dire l'étude no 8, dans laquelle elle parle de la théorie de la complexité. Elle examine les différences entre l'Afrique et le Brésil par rapport au VIH/sida. Le Brésil a pris le taureau par les cornes après que la Banque mondiale lui ait dit qu'il allait devoir laisser mourir une génération toute entière parce qu'il n'avait pas les médicaments nécessaires, que la population ne savait ni lire ni écrire et qu'il ne pouvait compter que sur les prêtres et les religieuses pour mener l'entreprise.

Les communautés se sont dit qu'elles n'allaient pas laisser les choses se passer ainsi. Elles ont pris la situation en mains et obtenu les médicaments nécessaires. Les infirmières dessinaient des cercles sur des bouts de papier pour expliquer aux gens qui ne savaient pas lire à quel moment de la journée prendre leurs médicaments. Les religieuses et les prêtres ont commencé à distribuer des condoms.

Si on regarde les statistiques sur le VIH/sida au Brésil, on constate que les choses se sont stabilisées, tandis qu'elles ne font qu'empirer en Afrique.

Il est important pour le pays d'établir des objectifs et de fixer ensuite des cibles. Il faut aussi respecter la culture et les connaissances locales en faisant ce que les communautés savent nécessaire et en étant capable d'établir des priorités.

L'idée derrière le livre Getting to Maybe de Brenda Zimmerman, c'est le respect. Les gens peuvent faire ce qu'ils sont en mesure de faire, mais il faut fixer des cibles.

Je dois préciser que je ne crois pas que le Canada doive tenter d'établir de nouveaux objectifs. Nous en avons déjà. Nous avons besoin d'indicateurs, de cibles et de stratégies qui nous permettent de savoir ce que nous visons, comment nous voulons nous y prendre et quand nous voulons y arriver.

J'aimerais beaucoup que nos peuples autochtones puissent nous guider. Lorsque nous avons établi les objectifs, nous les avons établis en pensant à eux, les gens qui étaient ici en premier et qui ont bien mérité ce droit. Alors, l'objectif global en tant que nation consiste à bâtir un pays dont la population est aussi en santé qu'elle le peut physiquement, mentalement, émotionnellement et spirituellement, ce qui est primordial pour faire tourner la roue médicale.

De l'attachement à la terre, à la planification pour sept générations à la fois, à l'idée de marcher un mille dans les mocassins de quelqu'un pour être en mesure de le comprendre, il serait possible de transformer les victimes en leaders, car les enseignements des peuples autochtones rejoignent vraiment la notion de santé des populations. C'est la clé de la durabilité.

Mon rêve serait que nous adoptions le modèle de la Nouvelle-Zélande, où chaque citoyen puise son identité dans les enseignements et la culture des Maori.

Nous n'arriverons pas à éliminer ces iniquités si nous n'entreprenons pas ce genre de travail au préalable.

Le président : En terminant, j'aimerais vous poser une dernière question, à la demande du sénateur Cook. Nous nous sommes rendus à Terre-Neuve et avons examiné de près le programme des Comptes communautaires.

On mesure actuellement les indicateurs et les déterminants. On met à jour les données, et on voit que des points rouges ont tourné au jaune. C'est très encourageant. Bien sûr, c'est pourquoi nous voulons aussi parler au Dr Neurdof, car nous voulons qu'il nous en dise plus à ce sujet. Je sais qu'il connaît très bien le dossier.

J'ai parlé à des spécialistes de tous les niveaux en matière de technologie de l'information, et ces derniers sont convaincus qu'ils peuvent connecter le système à l'échelle du Canada.

Dre Bennett : Vous pourriez sans doute poser la question au Dr Neudorf lors de son passage. Même si le projet de générateur de cartes lancé à l'Agence de la santé publique du Canada permet à chacune des communautés du pays de s'inscrire et de créer une carte pour sa collectivité, je crains qu'on ne doive encore payer Statistique Canada dans certains endroits pour obtenir les données nécessaires. J'aimerais que votre sous-comité tente de savoir si les communautés devraient ou non débourser, selon le principe de la récupération des coûts, pour obtenir l'information dont elles ont besoin pour garder la population en santé.

Le président : Le sénateur Cook va défendre fortement ce point, ne vous en faites pas. Ce sera dans le rapport.

Mme Williamson, vous avez soulevé la question du leadership dans cette belle mosaïque qu'est le Canada. C'est relativement facile pour quelqu'un comme Tony Blair de mettre un système en place en Angleterre. Je connais bien ce système, d'ailleurs; ma fille et mon gendre sont tous deux médecins là-bas. Il serait impossible de l'appliquer dans un pays complexe comme le Canada, avec ses structures fédérales, provinciales et territoriales, les ententes avec les grandes villes, et le manque de services communautaires dans bien des endroits. Les infrastructures se sont développées un peu par un heureux hasard, et certaines sont très bien. Il faut aussi penser à nos peuples autochtones. Nous avons regardé ce qui se passe dans certaines communautés autochtones.

Nous sommes déterminés à recommander fortement l'adoption d'une approche gouvernementale globale et à dire essentiellement aux gouvernements : « Oublions la politique une minute. Serrons-nous les coudes et trouvons une solution. » Notre grande motivation sera de réduire les disparités sur le plan de la santé, et il est possible que nous n'ayons pas de belles choses à dire. Nous croyons que nous devons avoir ce genre d'initiative pour faire démarrer les choses. Vous avez parlé de ce grand problème de leadership que nous avons au Canada et du fait que le secteur de la santé devrait peut-être prendre les rênes. Lorsque nous avons parlé à des représentants de la Scandinavie par vidéoconférence, ils nous ont dit que le secteur de la santé ne pouvait pas assurer le leadership, car il draine déjà suffisamment de ressources; les gens ne voudront pas suivre. Toutefois, d'autres nous affirment que la santé est le seul moteur possible, car c'est le seul secteur qui récoltera les énormes avantages de cette entreprise, c'est-à-dire le redressement financier du système canadien de prestation de soins de santé. Peut-être que le secteur de la santé devrait être à la tête de cette initiative.

Mme Williamson, pouvez-vous commenter?

Mme Williamson : Je ne sais pas trop quoi dire, car il s'agit d'un défi de taille et d'un problème colossal. Si je doute que le secteur de la santé puisse mener la barque efficacement, c'est précisément en raison des résistances possibles que vous avez mentionnées. Pendant mon congé sabbatique, il y a quelques années, j'ai travaillé au Projet de recherche sur les politiques. C'était fascinant de constater que même si l'on travaillait à des politiques sociales et horizontales, la santé ne faisait pas partie de l'équation. C'est une des choses que j'ai tenté de faire à ce moment-là. J'étais très consciente que le secteur de la santé avait été mis de côté. On ne voulait pas se mêler de régler les problèmes d'un secteur qui recevait déjà beaucoup d'argent, et qui n'arrivait pourtant pas à remédier à la situation.

J'ai déjà perçu de la résistance de la part de certains autres secteurs. Si l'on veut réduire les disparités sur le plan de la santé, tout le monde doit être mis à contribution. On peut par exemple s'intéresser, au niveau fédéral, au développement de l'enfance, à l'intervention précoce et à la préparation des enfants en vue de leur entrée à l'école, mais ces efforts resteront vains si les ministères provinciaux responsables de l'aide sociale ne font pas ce qu'il faut pour éviter que des enfants vivent de revenus si bas que cela aura des effets néfastes permanents sur eux et leur santé, en commençant par leurs capacités scolaires.

Si le secteur de la santé tient à réduire les disparités, il doit établir une collaboration quelconque avec d'autres ministères pour tenter de savoir quelles sont leurs attentes, quel sont leurs intérêts, leurs mandats, et voir comment ils peuvent travailler ensemble pour faire avancer leurs programmes respectifs. Il ne s'agit que d'un exemple d'une situation où les intérêts peuvent diverger.

Si je ne suis pas convaincue qu'il s'agisse d'une initiative de santé, c'est que les causes fondamentales des disparités ne sont pas issues de ce secteur. La seule façon de faire avancer les choses est de trouver le moyen de travailler ensemble.

Le président : J'ai entendu une allocution du ministre de la Santé de la Colombie-Britannique l'an dernier. Il nous a présenté un scénario catastrophique : les coûts des soins de santé ne font qu'augmenter, les ressources allouées à l'éducation stagnent et tout le reste diminue. En fait, il affirme que le système de santé est une menace pour la santé, parce qu'il vole l'argent qui devrait servir aux onze autres déterminants pour veiller à garder la population en santé. Pensez-vous que cet argument serait suffisant pour convaincre les autres secteurs de se rallier à la cause?

Mme Williamson : Je ne sais pas. C'est une bonne question. Peut-être bien.

Une autre grande difficulté réside dans le fait que les Canadiens sont très fiers de leur système de santé, et on peut comprendre pourquoi. Nous faisons du sur place et nous ne comprenons pas bien ce qui nous permettra d'améliorer notre qualité de vie au-delà des fois où nous sommes malades et que nous avons besoin de soins de santé. Nous devons non seulement assurer un leadership, mais aussi essayer de changer les valeurs et les perceptions du public, et ce n'est pas une mince affaire.

Le président : J'ai beaucoup empiété sur le temps de parole des autres sénateurs et je vous prie de m'excuser, chers collègues, mais je vais vous accorder plus de temps. Nous allons prolonger la séance.

Le sénateur Callbeck : Docteure Bennett, je veux revenir à 2005. Les ministres au niveau fédéral, provincial et territorial se sont mis d'accord sur des objectifs visant à améliorer l'état de santé des Canadiens. Les provinces devaient concrétiser ces objectifs. Quel devait être le rôle du gouvernement fédéral?

Dre Bennett : Nous estimions qu'il était important que ce soit les premiers ministres qui s'en occupent, si nous voulions que soit accompli ce travail qui ne regarde vraiment pas un ministre de la Santé. Les ministres de la Santé ont approuvé les objectifs, mais l'étape suivante consistait à poursuivre le processus de collaboration que nous avions entamé pour parcourir le pays et entendre l'opinion de la population sur ce que les objectifs devraient renfermer. En outre, le communiqué dit qu'il faut collaborer avec des experts et tous les gouvernements pour choisir les indicateurs et les buts. On estimait encore qu'il fallait que le fédéral ait un rôle à jouer à l'égard des indicateurs et des buts. Ce que j'ai laissé un peu de côté, c'était mon image très désuète de la structure verticale du tipi, du gouvernement fédéral « Big Brother » et de toutes les petites provinces relevant de lui. On est passé de la structure verticale du tipi à la structure horizontale du capteur de rêves. Le gouvernement fédéral devait toujours relever ses défis concernant les peuples autochtones, les forces armées, les militaires et la GRC. Nous avions les mêmes luttes à mesure, et nous devions être à la même table en train d'échanger des pratiques exemplaires et de choisir des indicateurs. Comme gouvernement fédéral, nous avons une autorité morale quand les gens qui relèvent directement de nous enregistrent les pires résultats de tous. Nous devons travailler ensemble à cet égard. C'est une responsabilité partagée.

Nous devons choisir de bons indicateurs et objectifs de santé. Le suicide chez les jeunes est un indicateur difficile, mais qui en dit long, tout comme le nombre d'élèves qui terminent leurs études secondaires, le smog ou les avis d'ébullition de l'eau, l'obésité, les blessures, l'éducation permanente. Nous aurions pu choisir divers indicateurs, et ensuite sélectionner de vrais buts réalisables. Les ministres de la Santé estimaient que c'était un processus de collaboration et que le gouvernement fédéral devait jouer un rôle. Les collectivités devaient en avoir un aussi. Nous savions que des initiatives comme l'Accord de Vancouver avaient vraiment réussi à mobiliser des gens des trois paliers, disant que nous ne dépenserons pas un sou de plus, mais ne pourrions-nous pas prendre tout l'argent que nous déboursons déjà et le dépenser différemment? C'est ce que nous avions fait sous la gouverne du juge McMurtry à Toronto en matière de sécurité communautaire où des fonctionnaires de tous les paliers de gouvernement se sont réunis pour discuter des mesures à prendre à l'égard de ce problème. Il fallait une collaboration, surtout étant donné que nous venions de sortir de la crise du SRAS, où des gens avaient perdu la vie clairement à cause du manque de communication et de coopération.

Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé d'un comité du Cabinet. Des commentaires ont été formulés et selon certains témoins, il devrait être présidé par le ministère des Finances et selon d'autres, par Santé Canada. Qu'en pensez-vous?

Dre Bennett : Un comité du Cabinet qui collabore vraiment devrait être présidé par la personne en mesure de faire avancer les choses. Je ne mettrais pas le ministère des Finances à la tête puisque le travail de ses fonctionnaires consiste à dire pour tout que le prix est trop élevé si bien qu'on ne peut rien faire. Je ne confierais pas la tâche de préparer la réunion aux fonctionnaires du ministère des Finances. Il faut quelqu'un qui veut vraiment que le travail se fasse. Bien entendu, c'est Paul Martin qui présidait le comité du Cabinet chargé des affaires autochtones. Mon coprésident du processus relatif aux objectifs de santé au Manitoba présidait le sous-comité du Cabinet chargé des questions liées à l'enfance. Je ne crois pas que la présidence importe autant que l'orientation donnée par le premier ministre fédéral ou provincial, qui veut que le comité aboutisse à des résultats dans tel domaine, dans tel délai et de telle manière et qui nomme quiconque a le temps de réunir tous les autres pour que ce comité du Cabinet devienne la priorité, et non pas la gestion du ministère ou peu importe.

Le sénateur Callbeck : Madame Williamson, vous avez parlé de susciter un engagement public et politique, c'est-à- dire un appui étendu, et je suis tout à fait d'accord avec vous. Reste à savoir comment s'y prendre. Vous avez dit que le secteur de la santé devrait être aux premières lignes, mais qui devrait prendre l'initiative?

Mme Williamson : Je ne le sais pas. Un groupe de personnes. Le secteur de la santé peut prendre l'initiative, mais il doit être disposé très tôt à travailler avec des gens qui n'en font pas partie de sorte qu'il y ait un engagement entre les gouvernements. En y réfléchissant, j'ai pensé qu'il y a peut-être d'autres initiatives que nous pouvons examiner où les conceptions et les valeurs des Canadiens ont considérablement changé au fil des ans. Le tabagisme en est un exemple. C'est un changement radical. Comment en est-on arrivé à changer la façon dont la population perçoit le tabagisme et en comprend les dangers? Il a fallu des décennies, mais c'est arrivé par divers moyens, depuis les systèmes scolaires et les projets que réalisent les enfants à un très jeune âge, jusqu'aux vastes campagnes publicitaires, aux mises en garde sur les paquets de cigarettes. Les moyens ne manquent pas. Avec les années, la façon de penser a changé. On peut peut-être apprendre en examinant d'autres initiatives fructueuses, et celle-là a remporté un énorme succès.

Le sénateur Callbeck : En effet, mais le gouvernement fédéral a joué le rôle de chef de file, n'est-ce pas?

Mme Williamson : Probablement.

Le sénateur Callbeck : Merci.

[Français]

Le sénateur Pépin : Vous parliez tantôt, docteure Bennett, d'un ministère où tout le monde collaborerait. Ne devrait- on pas inscrire dans une loi les buts et les cibles dont nous avons besoin comme en Suède? Devrait-on adopter une nouvelle loi ou proposer des amendements à une loi existante dans laquelle on inscrirait les buts et les cibles nécessaires? Y a-t-il un meilleur moyen d'y arriver que le recours législatif afin que les ministères et les agences soient capables de travailler ensemble et aient un impact important, se conformant aux buts qu'on veut réaliser en santé?

Dre Bennett : J'ai rêvé d'une vraie loi de la santé publique qui insisterait sur le besoin d'une analyse spécifique en ce qui concerne la santé et les programmes, non pas d'établir une agence pour la santé publique. Ce serait comme l'article 54, au Québec. Un premier ministre, comme M. Trudeau l'a déjà fait. On insisterait pour faire des études sociales sur la santé selon le sexe. Cela est déterminé parfois par une loi, d'autres fois par la culture ou une coutume. Un chef de file appliquerait le mémorandum concernant la santé en tenant compte des considérations du Cabinet.

Nous avons besoin d'un système pour la santé. La meilleure façon d'y arriver serait peut-être avec un projet de loi.

Le sénateur Pépin : On a besoin d'un système pour la santé, mais ne devrions-nous pas cibler plus les disparités sur les déterminants? On verrait plus facilement où il faudrait agir. Tous les projets de loi sont faits pour la santé, mais il faudrait attirer l'attention sur les disparités qui existent en santé. Les gens pourraient travailler beaucoup plus et on serait capable de fixer les points sur lesquels on devrait le faire.

Dre Bennett : Les indicateurs sont importants. Pour atteindre notre objectif d'avoir un gouvernement horizontal, nous avons besoin de changements. L'imputabilité des ministres n'est pas suffisante. Il faut que les indicateurs s'appliquent à tout le gouvernement et ce, par l'entremise du vérificateur général.

En Nouvelle-Zélande, c'est un commissaire qui mesure les résultats en santé.

[Traduction]

Le président : Merci pour vos deux excellentes présentations.

Dre Bennett : Nous ne saurions trop vous remercier pour ces délibérations.

Le président : Monsieur Neudorf, nous vous écoutons.

Dr Cordell Neudorf, médecin hygiéniste en chef, Services de santé publique, Région sanitaire de Saskatoon : Au nom de la région sanitaire de Saskatoon et des partenaires intersectoriels qui ont participé à la mise sur pied de notre système exhaustif d'information communautaire (CCIS), j'aimerais remercier les membres du Sous-comité sénatorial sur la santé des populations de me donner l'occasion de m'adresser à eux aujourd'hui. Je vais parler principalement des initiatives en matière de surveillance, de recherche et de défense des intérêts qui sont menées par la région sanitaire de Saskatoon par l'entremise de l'observatoire de la santé publique que nous avons établie à Saskatoon en partenariat avec les membres de notre comité régional intersectoriel. Je vous ai donné une description des types d'intervenants réunis autour de cette table.

Le groupe nous a aidés à nous amener au point où nous en sommes, et je vais vous fournir des détails sur les efforts déployés en vue de créer le CCIS. Je vais aussi vous donner des exemples de la manière dont les données sur la santé des populations ont donné lieu à des changements dans les programmes et les politiques au niveau local.

Si je devais retourner 10 ou 15 ans en arrière et regarder ce que nous étions chargés de faire au sein du système de santé publique à Saskatoon, je constaterais que les fournisseurs de services sociaux — le secteur sur lequel nous nous penchons pour ce qui est des déterminants de la santé — auraient dû se réunir davantage pour trouver des solutions communes pour s'attaquer aux causes profondes, ou aux causes des causes, derrière certains des problèmes de santé des populations auxquels est confrontée notre collectivité.

On a mandaté un groupe au niveau régional, composé de représentants des secteurs de la santé, des services sociaux, de l'éducation et de la justice, de même que de l'administration municipale et de quelques organisations et associations non gouvernementales différentes. Son mandat consistait à repérer des problèmes communs et à trouver des solutions communes.

Bien des secteurs comptaient des programmes individuels ciblant des problèmes donnés, mais un grand nombre d'entre eux estimaient qu'il s'agissait de solutions de fortune. Ils cherchaient des solutions plus complexes et élégantes à mettre ensemble pour améliorer les résultats en matière de santé des populations et s'attaquer aux causes profondes. J'ai appris très tôt que les expressions « santé des populations » et « santé des collectivités » ne trouvaient pas d'écho chez ce groupe. Il cherchait une terminologie plus universelle et voulait s'éloigner de l'impérialisme de la santé.

À Saskatoon, le médecin hygiéniste est chargé de produire chaque année un rapport d'étape sur la santé publique. Ce rapport ciblait autrefois principalement le niveau régional et énonçait ce que le système de santé devrait faire différemment pour améliorer l'état de santé des populations. Lorsque nous étions en train d'élaborer des plans, je me suis aperçu que de plus en plus, les données dont j'avais besoin pour me faire une idée de l'état de santé de notre collectivité se trouvaient à l'extérieur du système de santé. Je ne pouvais pas avoir accès à une bonne partie de ces données sous une forme dans laquelle je pouvais facilement les analyser et les comparer à nos données sur la santé pour dresser un portrait cohérent.

Toutefois, j'ai constaté que présenter seulement les données ne suffisait pas; il était aussi très important de les interpréter et de soumettre des recommandations de changements. Nous avons commencé à formuler des recommandations de changements dans le secteur de la santé, mais dans d'autres secteurs également. Cela dit, j'ai rencontré le comité régional intersectoriel à la fin des années 1990 pour discuter de la nécessité d'un échange de données beaucoup plus détaillées entre nos groupes. Dans le passé, nous recevions des rapports annuels ces différents groupes. Leurs systèmes se limitaient à leur propre territoire géographique de sorte qu'on ne pouvait pas établir de comparaisons entre eux.

On a fait valoir qu'en matière d'échange de données, on pourrait accorder la priorité au regroupement des données à petite échelle et à la détermination des outils nécessaires pour stocker, tenir à jour et analyser les données, de même que pour en assurer la confidentialité. Le plan, c'était de voir si, en échangeant des données à ce niveau, nous pourrions commencer à échanger des données de manière plus stratifiée pour une planification plus exhaustive au sein de nos secteurs et pour repérer des problèmes communs et trouver des solutions communes. L'idée du CCIS est venue de là. Vous remarquerez que le mot « santé » ne se trouve pas dans le nom parce qu'il a été décidé qu'on ne se limiterait pas uniquement au système de santé.

Depuis, nous avons mis au point plusieurs versions du système pour démontrer le concept. Les utilisateurs se servent des données de plus en plus et commencent à nous faire part de ce qui est le plus utile pour eux. Nous avons apporté des améliorations au système et nous avons maintenant un avant-dernier schéma conceptuel et logique pour la version finale que nous avons commencé à élaborer cette année.

L'élément central, c'est que ce système d'information est une base de données qui permet d'établir des liens à partir de ces différents secteurs. Il regroupe des données de diverses sources et est soutenu par des outils d'analyse appropriés, y compris l'affichage au moyen d'un logiciel de cartographie. Il permet aux utilisateurs de choisir une foule de ventilations par différents types de divisions géographiques dans notre région, groupes d'âge, facteurs de risque, et cetera. Les données peuvent alors être intégrées et analysées selon les besoins de l'utilisateur.

Nous sommes en train de créer un réseau de bases de données pour l'ensemble des organismes et des secteurs plutôt qu'une méga base centralisée pour que nous puissions rassembler au besoin des données de différents secteurs au niveau de la population.

Au fur et à mesure que les gens analysent l'information et que cette analyse prend la forme de cartes, de rapports, de recherches ou de nouveaux sondages stratifiés, elle est ajoutée au site Web pour que les gens puissent continuer d'avoir accès aux études des chercheurs et aux points de vue des différents groupes. En ce sens, nous n'avons pas de chevauchement pour ce qui est de la recherche.

Certains de ces rapports sont analysés au préalable, comme les rapports sur l'état de la santé dans mon cas ou les profils de quartier que la municipalité préparera à l'aide des données du recensement. Ils peuvent inclure des tableaux, des cartes et des analyses de textes à différents niveaux géographiques.

Un autre niveau d'accès, c'est qu'une quantité limitée de recherches peut être faite. J'ai fourni un CD montrant à quoi ressemble le système et ce qu'il donne comme résultat. Il permet essentiellement à des utilisateurs plus instruits, des épidémiologistes et des analystes par exemple, de pouvoir faire des recherches dans la base de données et d'obtenir un résultat adapté à leurs besoins pour produire leurs propres rapports. Il permet aussi aux chercheurs d'accéder à des données plus détaillées.

L'aspect public comptait pour moi. Nous voulions qu'une certaine quantité de données soit mise à la disposition de quiconque pouvait ouvrir une session pour y avoir accès. Nous recevons des demandes pour obtenir toutes sortes de données sur la santé des populations de la part d'étudiants, d'associations et de groupes communautaires. Nous voulons que ces groupes puissent accéder à ces données gratuitement.

Pendant que la version finale du système est en train d'être élaborée, nous avons testé l'outil en tant que prototype. Nous avons travaillé sur le concept et l'avons testé dans la région. Je vais vous expliquer brièvement comment nous avons procédé.

Nous avons regroupé les données du recensement et celles sur la santé pour nous concentrer sur des analyses de quartiers dans la ville, que nous avons maintenant étendues aux milieux ruraux de notre région également. Nous voulions essayer de catégoriser les quartiers au moyen d'un indice de défavorisation et aussi, en utilisant le revenu seulement, les classer en quintiles pour voir quelles sont les régions les plus défavorisées et celles qui sont les plus privilégiées de la ville. Ensuite, en utilisant ces limites géographiques, nous avons consulté les données sur la santé relatives à l'hospitalisation, à la mortalité, au recours aux soins primaires, à l'utilisation des pharmacies, aux statistiques d'état civil, aux indicateurs de santé et à l'utilisation de certains services de prévention. À partir de cet ensemble de données, nous avons examiné quelle est la disparité en matière de santé dans notre ville.

Cette analyse a été faite dans d'autres pays. Elle devait être effectuée à petite échelle à Saskatoon. La plus grande différence qui existe avec ce que nous avons fait ici, c'est que lorsqu'une étude de ce genre était menée dans le passé au Canada, elle était effectuée surtout en fonction des zones de recensement, des districts de recensement ou des codes postaux. Ce qu'on veut faire, c'est un exercice théorique qui déterminera quel niveau de pauvreté ou manque d'éducation est lié à la disparité en matière de santé. En essayant de transposer cette information dans la pratique pour les décideurs, je me suis rendu compte qu'elle perd de son effet. Je me suis aperçu qu'il fallait l'appliquer à un contexte local.

Dans notre ville, nous utilisons les quartiers naturels qui comptent une population allant de 1 000 à 5 000 habitants et que tout le monde reconnaît. Les habitants savent à quel quartier ils appartiennent. Nous regroupons ces quartiers en fonction de la défavorisation et présentons les données de cette manière.

L'étendue de la défavorisation est un peu diluée quand on procède ainsi, mais elle est beaucoup plus reconnaissable et rejoint les gens viscéralement. L'étude qui a été rendu publique a révélé que pour un grand nombre de ces conditions, il y avait des disparités en matière de santé affichant des centaines, parfois même des milliers de points de pourcentage de différence.

Juste avant de communiquer les données, nous avons réalisé un sondage d'opinion publique pour voir à quel point la population connaissait déjà l'existence de cette situation. Le point important que nous avons découvert ici, c'était que même si la plupart des gens savaient que des déterminants sociaux de la santé, le revenu ou l'éducation, et cetera, étaient liés à une mauvaise santé, la majorité d'entre eux avaient sous-estimé le nombre de conditions de santé y étant associées aussi, de même que l'ampleur du problème.

Nous leur avons posé des questions précises comme : quel est le niveau acceptable de disparité en matière de santé? Croyez-vous que c'est inévitable? Cinquante pour cent ont répondu que ce n'était aucunement acceptable, et seulement 4 p. 100, que c'était plus qu'inacceptable au Canada. Comme je l'ai dit, la grande majorité de nos résultats affichaient des différences supérieures à 100 p. 100.

Nous savions que cela toucherait fortement les gens au niveau local, et c'est certainement ce qui s'est passé.

Nous leur avons aussi demandé s'ils appuieraient des changements dans les politiques, s'ils pouvaient être apportés pour mettre fin à la situation. Je n'entrerai pas dans les détails. Nous avons examiné plus de 30 options stratégiques, et bon nombre d'entre elles ont reçu un grand appui de la population. Fait intéressant, dans les secteurs où l'appui était moyen, quand nous ajoutions certaines restrictions telles que pour des familles avec des enfants, l'appui augmentait souvent de 15 à 20 p. 100.

Nous avons utilisé les résultats de l'étude sur les disparités en matière de santé, du sondage d'opinion publique et des études subséquentes de l'IRSC sur la santé en milieu scolaire. Nous les avons présentés ensemble à notre comité régional intersectoriel qui commanditait cette initiative d'échange de données et nous lui avons dit que nous avions maintenant des preuves concrètes et une certaine mesure de l'appui de la population. Que devrions-nous en faire? Nous ne voulions pas que ce soit juste une histoire négative.

Nous avons pris part à des dizaines de consultations communautaires avec différents organismes, groupes et individus concernés pour leur donner les données à l'avance et voir comment ils y réagissaient et quels genres de solutions ils proposeraient. Les données ont ensuite été diffusées publiquement, mais nous avons aussi annoncé quelques solutions à l'échelle locale que certains des organismes prévoyaient mettre en œuvre immédiatement. Nous avons travaillé avec les médias pour qu'ils se concentrent davantage sur l'engagement communautaire en vue de déterminer ce que nous pouvions faire à ce sujet afin d'éviter que ce ne soit que d'autres mauvaises nouvelles concernant les quartiers défavorisés.

Nous avons ensuite demandé à ce comité d'appuyer notre idée de mener un examen des politiques fondé sur des données probantes, de regarder les pratiques exemplaires partout dans le monde pour voir quelles sortes de politiques permettraient d'améliorer l'équité en matière de santé. Nous sommes rendus aux dernières étapes avant que le comité donne son aval au rapport. Nous devrions vous l'envoyer d'ici un mois, si vous êtes intéressés. Nous serons en mesure de vous donner cet examen de la documentation et une liste des recommandations stratégiques que ce groupe intersectoriel a appuyée.

Ce n'est là qu'un exemple. Il y en a eu d'autres à plus court terme, avec des organismes comme la région sanitaire, qui a réaffecté 10 p. 100 du budget consacré à la santé publique pour financer des programmes menés dans des quartiers défavorisés et changer la manière dont nous avons réalisé des interventions ciblées dans des quartiers.

Des pédiatres dans notre ville se sont réunis et ont décidé de mettre sur pied des cliniques dans les écoles des quartiers défavorisés. Au cours des derniers mois, les paliers municipal et provincial ont annoncé l'octroi d'un financement de plus de 40 millions de dollars pour des logements à loyer modéré et d'autres projets de revitalisation dans ces quartiers.

L'organisme Centraide de notre ville a décidé d'axer ses interventions des prochaines années sur des initiatives qui auront une incidence sur la disparité en matière de santé dans ces quartiers. La liste est longue si vous regardez chaque organisme et la manière qu'il a décidé d'intervenir à court terme.

C'est un prototype de notre système et, comme je l'ai dit, nous travaillons sur la version plus finale. L'objectif consiste à avoir des indicateurs en place pour surveiller notre succès. Nous avons dit que nous ne diffuserons pas ces données qu'une seule fois. Nous regarderons quelles interventions ont été mises en place, surveillerons leur impact et tiendrons la collectivité au courant.

En résumé, le CCIS est un bon exemple de la manière dont les données sur la santé des populations peuvent être combinées à la planification intersectorielle et à l'élaboration de politiques pour mettre en évidence des défis communs, mettre en œuvre des solutions et surveiller l'incidence au niveau local.

Nous avons certainement fait part de cette recherche et de notre processus local d'engagement intersectoriel à mes collègues de tout le pays par l'entremise du Réseau canadien pour la santé urbaine, qui sont les médecins hygiénistes des 18 grandes villes au Canada. Nous travaillons maintenant avec l'Initiative sur la santé de la population canadienne pour reproduire l'étude sur la disparité en matière de santé dans les 18 villes. Nous espérons publier un rapport qui donnera cet aperçu pancanadien combiné du problème en novembre cette année.

Par l'entremise du Réseau canadien pour la santé urbaine, nous élaborons aussi un ensemble commun d'indicateurs qui sera utilisé par nos membres pour rédiger des rapports d'étape sur la santé partout au Canada. Cela fait penser aux commentaires qui ont été formulés plus tôt, à savoir qu'il nous manque des analyses appropriées à petite échelle, des indicateurs cohérents de l'état de santé et des déterminants de la santé à plus petite échelle offerts gratuitement sous une forme facilement accessible et téléchargeable.

Ce processus a été entamé. Ces groupes veulent vraiment se mettre d'accord sur ces indicateurs et être en mesure de les offrir de sorte que ceux d'entre nous qui ont la capacité de mener l'analyse peuvent contribuer au système, tandis que les plus petites régions qui n'en ont pas la capacité devraient pouvoir y avoir accès facilement pour faire des téléchargements.

Je crois que la transposition de ces concepts complexes liés à la santé des populations au niveau local en utilisant une division géographique locale reconnaissable a été déterminante pour obtenir le soutien intersectoriel et communautaire afin de changer les programmes et les politiques à Saskatoon.

Le président : Merci beaucoup. Vous avez accompli énormément de choses. J'avais hâte d'entendre votre témoignage, et je crois vous l'avoir dit l'autre jour, car je voulais recueillir vos commentaires sur votre initiative pour savoir comment elle se compare au Système de rapports sur les collectivités à Terre-Neuve. Je crois que ce sont deux initiatives importantes au Canada. Nous aimerions utiliser ces cadres dans notre rapport pour préconiser quelque chose sur le terrain.

J'ai dit aux témoins précédents que la communauté de la technologie de l'information s'est engagée à mobiliser les personnes voulues pour concevoir un système du début à la fin et, bien entendu, pour éliminer les frais à Statistique Canada. J'ignore qui en sera le responsable, mais la communauté s'est très fermement engagée à accomplir ce travail pour nous en prévision du rapport.

Votre système est vraiment doté d'une boucle afférente et d'une boucle efférente, n'est-ce pas? Vous avez bouclé la boucle. Vous faites entrer et sortir les données. Vous analysez les données. Vous apportez des changements et les mesurez de nouveau.

Le Système de rapports sur les collectivités fait actuellement la même chose à Terre-Neuve. Comme je l'ai dit, ils changent la formule. C'est vraiment très encourageant. Si nous pouvions faire en sorte que chaque citoyen canadien puisse bénéficier de ce que vos deux groupes font, ce serait un énorme pas en avant.

Dites-moi quelles sont les forces et les faiblesses de votre système par rapport au système de rapports sur les collectivités à Terre-Neuve.

Dr Neudorf : J'aimerais d'abord dire que de nombreuses villes au Canada essaient d'instaurer un tel système, quoique Terre-Neuve et notre région soyons probablement les plus avancées. La technologie change si rapidement que les types de solutions que l'on croyait être les limites pour mettre au point un système il y a dix ans ne sont maintenant plus des obstacles.

Ces dix dernières années, je dirais que nous avons adopté un processus plus lent et réfléchi pour essayer de créer la version finale du système. Les responsables du Système de rapports sur les collectivités ont dit, « Nous devons concevoir quelque chose qui sera disponible pour tout le monde rapidement », mais il faut garder à l'esprit que ce doit être quelque chose de plus définitif. D'après ce que j'ai pu comprendre, nous visons le même objectif, mais nous avons choisi des méthodes légèrement différentes pour l'atteindre.

Je suggère depuis un certain temps de trouver les endroits clés au Canada où une partie de cette innovation prend place, de réunir ces groupes et d'envisager une approche conjointe, en prenant les meilleurs éléments de chacun des exemples que nous voyons et en les utilisant pour créer une sorte de système canadien.

Ce que nous essayons de faire avec le nôtre, ce n'est pas tant de glaner les de données d'une source centrale et de les incorporer dans un « mini-entrepôt » ou un dépôt de données central, même si on le fait un peu dans nos prototypes. Notre schéma conceptuel vise davantage à ce que tous les utilisateurs qui contribuent à la base de données tiennent à jour leur propre système, car ce sont eux qui s'en servent, mais ils doivent se mettre d'accord sur les éléments de données qui seront partagés et sous quelle forme. Notre système est conçu pour retirer ces données au besoin pour que la mise à jour du système ne consiste pas à actualiser continuellement les vieilles données, mais à accéder aux données qui sont mises à jour à la source.

Il y a certains éléments de données, comme les données de recensement, les nôtres par exemple, qui devraient être tenues à jour de manière centralisée, et je crois que c'est une pratique courante puisque c'est ainsi qu'on procède pour le Système de rapports sur les collectivités.

L'autre différence que je verrais à l'heure actuelle, c'est notre composante de base. Quand c'est possible, les données sont recueillies à l'échelle individuelle, mais souvent à l'échelle des codes postaux ou des quartiers, selon les renseignements dont disposent les fournisseurs, et intégrées à l'interface géographique flexible. Plutôt que de choisir votre municipalité puis de voir quelles données sont disponibles — car ce qui a été fourni à ce niveau est ce que vous obtenez —, nous demandons à tout le monde de partager ses données à une échelle légèrement plus petite. Donc, si vous voulez examiner des données sur la santé dans le cadre d'une planification des services sociaux, elles seront là; si vous voulez examiner des données sur l'éducation dans le cadre de la santé, elles seront là pour vous. Nous essayons de créer cette flexibilité au sein du système et de faire en sorte que vous obtiendrez les données les plus récentes et à jour avec les liens que nous établissons.

Je crois que c'est probablement la même vision que le Système de rapports sur les collectivités aimerait avoir. Ces systèmes ne sont tout simplement pas encore conçus pour faire cela. Je pense que c'est possible, préférable en fait, de réunir les groupes puisqu'ils ont mis au point ces différents systèmes et qu'ils ont collaboré avec des spécialistes de la technologie de l'information pour décider quelle serait la meilleure approche pour un système canadien.

L'ennui, c'est qu'un grand nombre de ces systèmes sont différents d'une province à l'autre. Une fois que vous allez au-delà des données de l'ICIS et de Statistique Canada, ce sont des systèmes provinciaux différents et, dans certains cas, des sources de données régionales, et il devient alors un peu plus complexe d'étoffer tout le système. Il serait même possible de commencer à rendre ces éléments de données disponibles à l'échelle nationale.

Le président : Que pourrions-nous faire pour aider les gens comme vous qui sont très avancés dans ce projet? Avez- vous un cadre pour rencontrer vos pairs du système vertical et du système horizontal, ou serait-il utile que nous organisions, par exemple, une table ronde à laquelle participeraient Statistique Canada, les experts d'Inforoute, l'ICIS et l'Initiative sur la santé de la population canadienne et les autres intervenants? Il faudrait inviter les responsables des banques de données provinciales. Il est intéressant de voir que les spécialistes de la technologie de l'information s'y sont déjà penchés. Ils sont très bien organisés.

Serait-il utile que nous demandions à Inforoute, à Statistique Canada et à l'ICIS, par exemple, de désigner des gens comme vous, des représentants provinciaux, pour participer à la table ronde? Est-ce que ce serait une mesure positive ou devrions-nous juste recommander que ce soit fait? De toute manière, ils vont concevoir pour nous un cadre à intégrer au rapport, mais ne devrions-nous pas adopter des mesures plus pratiques dès le départ?

Dr Neudorf : La question, c'est l'établissement des priorités. La place qu'occupe cet dans la liste des priorités relatives de chacun de ces groupes représente peut-être l'un des obstacles. Pour qu'elle soit placée au haut de la liste des priorités, il serait probablement très utile de recommander que ce soit une priorité et que ce soit fait pour divers ministères et paliers de gouvernement.

À l'heure actuelle, j'ai la chance de travailler avec un grand nombre de ces organisations en tant que conseiller. Je siège au conseil de l'ICIS. Je suis le président du conseil consultatif de l'Initiative sur la santé de la population canadienne et le président élu de l'ACSP, l'Association canadienne de santé publique. Je suis membre du conseil consultatif chargé des enquêtes sur la santé publique de Statistique Canada. Je communique avec ces gens individuellement et nous discutons de ces idées.

Toutefois, pour ce qui est d'un mandat et d'en faire une priorité ou un point d'intérêt, je crois que ce serait certainement utile.

Le président : J'ai pris trop de votre temps. Je vais céder la parole à d'autres sénateurs.

Je sais que le sénateur Cook a très hâte de vous poser des questions. Elle nous a convaincus d'aller à Terre-Neuve. Nous y sommes allés et avons vraiment aimé ce que nous avons découvert.

Le sénateur Cochrane : Je suis en train de comparer avec ce que je sais de ma province. À vous entendre, il y a de nombreuses similitudes. D'après ce que je comprends, le Newfoundland and Labrador Statistics Agency a un dépôt de données et un conseil qui siège et examine l'information pertinente.

Lorsque nous étions à Terre-Neuve, je me rappelle qu'une personne a dit, « La ligne est floue à tel point que ce système de TI » — quel que soit le nom que vous voulez lui donner — deviendrait redondant et ingérable. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus. Je vous ai entendu dire que vos utilisateurs insèrent des données dans un système central à partir d'un certain nombre de sources. Le mot « fouillis » m'est alors venu à l'esprit.

Ce doit être pertinent, propre, pur, et cetera.

Je sais que vous savez pourquoi le Système de rapports sur les collectivités est devenu un document évolutif à Terre- Neuve. Nous nous sommes retrouvés à la croisée des chemins après l'effondrement des pêches et l'exode de 30 000 personnes. Quoi faire avec ce que nous avons?

Ça fonctionne bien. Cependant, plus j'entends parler de ce qui se passe ailleurs dans notre beau grand pays — dans les autres provinces —, plus je pense que nous manquerions à notre devoir si nous ne rassemblions pas tous les intervenants.

Je sais que vous rencontrez vos pairs régulièrement. Toutefois, les gens comme moi qui n'ont qu'une vision parcellaire comprendraient bien mieux s'ils vous voyaient tous mettre en commun vos connaissances. Nous voudrions un prototype que nous pourrions utiliser, au besoin, du Nunavut aux zones densément peuplées.

Ce serait un peu comme construire un gratte-ciel, n'est-ce pas? Il faudrait tenir compte des caractéristiques particulières des régions. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Dr Neudorf : Le risque de confusion est grand. Lorsque nous avons commencé à solliciter les diverses organisations pour leur demander si elles accepteraient de mettre en commun leurs données, elles sont restées bouche bée, se demandant pourquoi nous voulions ces renseignements. Elles savaient qu'elles en avaient des quantités, dans chacun des ministères, mais n'avaient aucune idée de ce que les autres pourraient leur trouver d'intéressant.

Nous avons passé énormément de temps avec chacune d'entre elles, à étudier leurs sources et à déterminer le degré de fiabilité et de pertinence, l'utilisation ainsi que les limitations de ces renseignements. Nous en avons tiré un sous- ensemble de données fiables qui pourraient en intéresser d'autres. C'est là-dessus que nous nous sommes basés.

En réalité, on ne sait pas exactement ce qui pourrait être utile avant de s'en servir. Dans de nombreux cas, on ne peut épurer les données qu'après avoir utilisé la base et cerné ses limites. On s'en est rendu compte avec les fichiers d'hospitalisation, les statistiques de mortalité et les autres bases de données qu'on considère de bonne qualité. C'est vrai dans d'autres secteurs également.

Dès qu'on abordait les gens et qu'on leur suggérait de mettre leurs données en commun, on insistait sur la qualité de celles-ci, leur fiabilité et les indicateurs permettant une surveillance conjointe. On peut ainsi en arriver à délimiter un sous-ensemble restreint de données. Il nous a fallu beaucoup de temps pour y parvenir.

Cela s'explique en partie parce que la majorité de ces organisations ne disposaient pas d'équipes d'analystes pouvant examiner proactivement leurs jeux de données. Elles se servaient de ces renseignements pour l'administration, mais pas pour la planification. Nous nous sommes rendu compte qu'en nous concentrant sur les besoins communs, nous pouvions trouver une solution durable pour épurer les données, les tenir à jour et faciliter leur utilisation.

Si on a fait la même chose un peu partout au pays, c'est du gaspillage. Il est probablement temps de nous réunir et de mettre en commun les connaissances que nous avons acquises. Il faut trouver les solutions les plus prometteuses aux problèmes que nous avons cernés, et essayer de mettre au point un système qui servirait notre intérêt à tous, ce qui ne serait que plus efficace.

Nous avons déjà remarqué que toutes les autres régions de notre province voudraient avoir accès au système que nous avons élaboré. Le gouvernement semble d'ailleurs assez favorable à une étude de faisabilité à l'échelle provinciale. On constate la même chose dans de nombreuses autres provinces.

Le sénateur Cochrane : Dans quelle mesure votre système est-il accessible?

Dr Neudorf : En ce moment, il est offert aux organisations participantes, parce qu'on n'en est qu'au stade du prototype. Leurs analystes et décideurs peuvent s'en servir, mais il n'est pas encore accessible au public. Il le sera en janvier 2009.

Le sénateur Cochrane : Le système de Terre-Neuve est sur le Web.

Dr Neudorf : Oui, en effet.

Le sénateur Cochrane : Il est accessible à tous gratuitement.

Dr Neudorf : C'est ce que nous avons l'intention de faire aussi.

J'ai toujours pensé que ces données seraient plus utiles si elles étaient davantage accessibles; le système doit être facile à comprendre et favoriser la « libération des données », en quelque sorte.

Le sénateur Cochrane : Si nous aspirons au bien-être de la population, j'imagine qu'il faut rendre cette mine d'informations publique, parce que les ONG, entre autres, font des miracles avec rien. C'est ce qu'on entend. Elles pourraient s'en servir pour la planification, gratuitement. La population en profiterait certainement.

L'expression « mieux-être » a été remplacée par « bien-être », et cela me plaît. Que ce soient les responsables des programmes de déjeuner scolaires ou ceux qui s'occupent de planification économique, tous sont enthousiastes et veulent participer. Dans le domaine de la criminalité et de la justice, la GRC utilise le système Community Accounts et y contribue. Un conseil de 15 à 20 personnes alimente la base de données. Toutefois, cet instrument relève du bureau de la statistique de Terre-Neuve-et-Labrador. Le premier ministre provincial y a investi considérablement, et je crois que cela explique que nous faisions d'aussi bons progrès.

Le président : Malheureusement, le temps file et nous allons bientôt nous faire expulser.

Je crois que c'est très clair. Nous vous demanderons votre aide, de même que celle de Statistique Canada, de l'Inforoute et de l'ICIS, que vous connaissez déjà. Nous organiserons une table ronde pour nous assurer de bien exposer la situation dans notre rapport.

Nous vous remercions de votre bon travail, c'est formidable.

Vous avez attiré mon attention au début, quand nous étions en train de dépouiller les listes de témoins, parce que vous êtes de la région sanitaire de Saskatoon. Certes, il demeure essentiel d'avoir une vue d'ensemble et le recul nécessaire, mais comme l'a dit Mme Bennet, nous avons besoin de gens sur le terrain pour que les choses changent. Vous y êtes, et cela nous rassure. Merci.

Dr Neudorf : Merci.

La séance est levée.


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