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Sous-comité sur les villes

 

Délibérations du Sous-comité sur les villes

Fascicule 1 - Témoignages du 2 avril 2009


OTTAWA, le jeudi 2 avril 2009

Le Sous-comité sur les villes se réunit aujourd'hui, à 10 h 45, afin d'étudier des questions d'actualité des grandes villes canadiennes et d'en faire rapport.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Le Sous-comité sur les villes vous souhaite la bienvenue. Nous étudions aujourd'hui l'incidence du ralentissement économique sur la pauvreté, le logement et le sans-abrisme.

C'est une question d'actualité. Notre dernière séance remonte à la trente-neuvième législature. Du moins, c'était la dernière fois que nous avons entendu des témoignages, mais les conditions économiques étaient très différentes des conditions actuelles.

D'après les témoignages recueillis, nous savons déjà que bon nombre de Canadiens sont confrontés à des défis liés à la pauvreté, au logement et au sans-abrisme. Aujourd'hui, nous ferons le point sur le ralentissement économique actuel ainsi que sur l'incidence du plan de relance économique et d'autres mesures prévues dans le budget.

Nous disposons de trois témoins pour nous aider. Tout d'abord, M. Roger Gibbins, président-directeur général de la Fondation Canada West. Il participe par vidéoconférence depuis Calgary en Alberta. Nous entendrons également Mme Sherri Torjman, vice-présidente du Caledon Institute of Social Policy. Nous connaissons déjà ces témoins ainsi que leur excellent travail. Nous accueillons en outre Mme Léa Caragata, professeure agrégée de l'Université Wilfrid Laurier, qui nous fera part de renseignements très intéressants quant aux inégalités, notamment en ce qui concerne les femmes et les ménages gynoparentaux.

Roger Gibbins, président-directeur général de la Fondation Canada West : Je remercie le sous-comité de m'avoir invité et je m'excuse d'avance auprès des interprètes de ne pas pouvoir leur fournir le texte de mon exposé. J'aimerais cependant faire une mise en garde, à savoir qu'il faut aborder précautionneusement la question de l'incidence de la récession. Nous ignorons quelle en sera la longueur et la portée. Nous ignorons s'il s'agit d'un phénomène temporaire ou encore d'une grande restructuration économique.

Il est donc difficile de cerner l'incidence de la récession sur certaines villes ou encore certains groupes. Toutefois, nous sommes tous réunis ici avec cet objectif en tête et je ferai de mon mieux.

Je m'appuie sur une étude menée par la Fondation Canada West pendant neuf années et qui a porté sur les villes de l'Ouest canadien. Votre premier rapport a porté sur six des quatorze villes étudiées, à savoir Vancouver, Calgary, Edmonton, Regina, Saskatoon et Winnipeg. Nous avons émis quelque 45 rapports sur les villes de l'Ouest canadien dans le cadre de notre étude.

Nous avons mis l'accent sur les finances en milieu urbain, l'infrastructure urbaine, le logement abordable et le sans- abrisme, ainsi que sur les Autochtones vivant en milieu urbain. Nous avons également mené une enquête cet automne — en fait, c'était au début de décembre 2008. Nous avons demandé à 25 économistes de l'Ouest canadien quel serait le plan de relance économique fédéral qui conviendrait.

Je serai bref. Lorsque nous parlons de villes, nous parlons à bien des égards du Canada. Cela est d'autant plus vrai dans l'Ouest, qui est fortement urbanisé. Or, les villes regroupent un nombre important de Canadiens qui sont particulièrement vulnérables : des immigrants récents, des Autochtones vivant en milieu urbain, des minorités visibles et des sans-abris. Ces gens ont tendance à vivre dans les grands centres urbains.

Le problème, c'est que l'incidence de la récession se répand. La récession qui frappe durement un secteur particulier se fera ressentir dans les grands centres urbains, tout comme un plan de relance qui vise un secteur particulier dont les effets vont en rayonnant. Les meilleures cibles des plans de relance sont les villes qui dépendent d'une seule industrie, par exemple, les collectivités du Sud de l'Ontario qui sont lourdement tributaires du secteur automobile. Or, il existe très peu de collectivités ou de situations semblables dans l'Ouest canadien.

En ce qui concerne votre mandat, je propose deux approches très différentes quant à la récession. La première, c'est de reconnaître que le redressement économique sera entraîné par des facteurs externes au pays, c'est-à-dire la reprise économique américaine. Les dirigeants canadiens peuvent uniquement tenter de protéger les groupes les plus vulnérables jusqu'à ce que le pire soit passé.

Si cette approche est retenue, les villes deviennent alors une bonne cible, car on y retrouve tant de Canadiens vulnérables. Lorsque nous avons consulté 25 économistes de l'Ouest quant au contenu d'un plan de relance, ils ont insisté sur le renforcement du filet de sécurité sociale plutôt que sur une aide particulière destinée à certaines industries ou entreprises.

À ce sujet, j'ajouterais qu'une bonne partie des programmes destinés aux Canadiens vulnérables sont assurés par le secteur caritatif, qui a été durement et rapidement frappé par la récession. À titre de comparaison, le secteur automobile est quasi florissant par rapport au secteur caritatif pour ce qui est de l'incidence immédiate de la récession. Si l'on souhaite protéger les Canadiens vulnérables, on peut songer à protéger et à appuyer les organisations caritatives.

La deuxième approche accorde au gouvernement la responsabilité de stimuler l'économie. Si c'est l'approche retenue, les villes sont, à bien des égards, de très mauvaises cibles. Leurs économies sont disparates et toute dépense en infrastructure a des répercussions limitées. La main-d'œuvre urbaine est très hétérogène. Très peu de villes ont la main- d'œuvre nécessaire pour mettre immédiatement en branle des projets d'infrastructure. La main-d'œuvre urbaine est hétéroclite. Les villes ont des besoins importants en infrastructure qui ne se résument pas seulement à quelques arénas et salles communautaires.

Toutefois, et c'est l'essentiel de mon exposé, il y a un besoin urbain qui s'accorde parfaitement avec les dépenses en infrastructure. Nulle surprise : c'est le logement abordable. Les dépenses en logement abordable sont bien fondées sur le plan économique. Elles permettent de stimuler de façon ciblée le secteur de la construction. C'est une façon de s'assurer qu'on est en meilleure posture à la fin de la récession par rapport au début. Les dépenses en logement abordable se défendent sur le plan économique, social et durable.

Je terminerai mon bref exposé en vous décrivant un projet de développement à Calgary que vous ne connaissez peut- être pas. La ville, en collaboration avec la province, a lancé un programme de 10 ans visant à mettre un terme au sans- abrisme. Le programme est intéressant, car il ne vise pas à lutter contre le sans-abrisme, ni à l'atténuer; il vise à l'éliminer. La stratégie mise sur le logement, c'est-à-dire que le logement devient le tout premier besoin à combler. Pour ce faire, cependant, il faut débloquer les crédits nécessaires.

La récession et la volonté de stimuler le secteur de la construction se complètent ici parfaitement. On pourrait même sortir de la récession en meilleure posture qu'on ne l'était au début. Ce serait un grand accomplissement pour nos villes canadiennes.

Merci. Je demeure à votre disposition pour répondre aux questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Gibbins. Nous entendrons deux autres témoins avant de passer aux questions. Nous cédons maintenant la parole à Mme Sherri Torjman de l'Institut Caledon.

Sherri Torjman, vice-présidente, Caledon Institute of Social Policy : Merci beaucoup de m'avoir invitée aujourd'hui.

Vers la fin de l'automne, lorsque le gouvernement préparait sa mise à jour économique, on a beaucoup discuté des conditions fondamentales. Il paraît que les conditions fondamentales de l'économie canadienne étaient saines. Le rapport dette—PIB était le plus faible du G8 et était à la baisse; nous ne souffrions pas du même problème des hypothèques à risque comme c'était le cas aux États-Unis, ou alors, le problème n'était pas aussi grave; nos banques se portaient relativement bien.

Or, nous avons remarqué qu'il manquait quelque chose dans le dialogue sur les conditions fondamentales, c'est-à- dire les programmes sociaux. Nous sommes persuadés que ces programmes font partie des conditions économiques et sociales fondamentales. Ils servent d'amortisseurs aux ménages et aux familles sur le plan social. Sur le plan économique, ils vont à l'encontre du cycle économique dominant. Ces programmes sont conçus pour stimuler l'économie, et personne n'a parlé de ces éléments essentiels de notre économie et de notre société.

Nous avons rédigé un document intitulé « The Forgotten Fundamentals » pour alimenter le dialogue. Nous avons étudié trois programmes existants qui sont fondés sur un examen du revenu en vue de les améliorer, que ce soit en augmentant les prestations ou en modifiant la structure. Il s'agit de la Prestation fiscale pour le revenu du travail, de la Prestation fiscale canadienne pour enfants et du Crédit d'impôt remboursable pour la TPS.

Nous avons également proposé des changements à court et à long terme à l'assurance-emploi. Comme vous le savez, ce n'est pas un programme fondé sur l'examen du revenu, mais plutôt une assurance sociale à laquelle nous cotisons. Vous savez, à la fois par les témoignages recueillis et par votre rapport récent, que ce programme ne fonctionne pas. Il n'a plus l'effet contracyclique prévu. Nous avons proposé de nombreux changements à court terme pour régler le problème de l'admissibilité, qui est un problème énorme au Canada. Nous avons également proposé des réformes à plus long terme que j'aimerais aborder lors de la série des questions, si possible. On pourra peut-être parler de la restructuration fondamentale qui, à notre avis, s'impose.

Le budget prévoyait néanmoins des mesures intéressantes, notamment des changements importants à la Prestation fiscale pour le revenu du travail. Il a apporté des changements fiscaux visant à aider les familles à revenu modeste et faible, quoi que ce soient les familles aux revenus les plus élevés qui en bénéficient le plus. Nous avons été déçus à ce chapitre. Il y avait également un petit changement apporté à l'assurance-emploi pour étendre la période de prestation. C'est un changement certes important, mais il ne répond pas au problème fondamental de l'admissibilité au programme. Nous avons proposé un programme de soutien temporaire du revenu destiné aux personnes qui n'ont pas droit à l'assurance—emploi.

Outre les programmes de sécurité du revenu, nous nous sommes également penchés sur la relance économique par les investissements dans l'infrastructure sociale. Nous étions d'avis que le dialogue mettait l'accent essentiellement sur les infrastructures urbaines comme les routes, les égouts et les transports. Nous reconnaissons qu'elles sont essentielles et nous ne voulons aucunement en minimiser l'importance. Cependant, nous voulions en même temps faire valoir l'infrastructure sociale, car elle est essentielle à la création d'emplois et entraîne des investissements qui relancent l'économie.

L'infrastructure sociale a également une incidence considérable à long terme sur la santé et le bien-être des collectivités et sur les déterminants sociaux de la santé. Le Dr Keon s'est notamment beaucoup intéressé à la question.

Notre rapport porte sur trois composantes particulières de l'infrastructure sociale. Tout d'abord, les investissements pour fournir des places en garderie abordables et de grande qualité. Sur le plan social, de tels programmes sont importants pour assurer le développement de l'enfant, mais ils sont également essentiels sur le plan économique, car ils permettent aux parents de travailler ou encore de suivre une formation ou de faire des études.

La deuxième composante est le logement social. Nous nous sommes réjouis des crédits pour le logement social prévus dans le budget, à la fois les sommes accordées aux ententes fédérales-provinciales en matière de logement social et les crédits supplémentaires accordés au poste de l'infrastructure destinés au logement social et à certains groupes.

Nous avions une préoccupation quant aux dépenses annoncées par le gouvernement peu de temps après le dépôt du budget. On a indiqué que les dépenses en infrastructure serviraient uniquement à stimuler l'économie et ne représentaient pas un intérêt ou un engagement à l'égard du logement social dans le cadre d'une stratégie à long terme de réduction de la pauvreté et de promotion du logement social. Notre réaction a été la suivante : pourquoi pas? Le logement social est au cœur de la lutte contre la pauvreté au Canada.

Troisièmement, nous avons étudié l'infrastructure sociale sous l'optique des services communautaires qui aident tant les familles, comme les centres récréatifs, les arénas et les centres culturels. Nous l'avons fait parce que dans le passé, les budgets avaient prévu des crédits d'impôt pour les privilégiés. C'étaient de modestes crédits d'impôt accordés aux familles à revenu moyen et élevé pour les frais d'inscription et l'équipement. Toutefois, ces crédits n'aident pas vraiment les familles qui n'en n'ont pas les moyens.

Nous connaissons la valeur des activités récréatives et culturelles. Nous avons proposé d'accorder des crédits pour l'infrastructure sociale afin d'investir davantage dans nos collectivités et dans notre société, en allant au-delà des routes et des égouts. Le budget prévoyait des investissements sensés. Par exemple, les crédits accordés à l'infrastructure prévoyaient également la construction de centres récréatifs en plus des travaux de réfection de routes et d'égouts.

Il faut bonifier l'assurance-emploi à court terme pour répondre aux problèmes actuels. Il faut également entreprendre une réforme fondamentale de ce que nous appelons l'architecture de nos programmes de sécurité du revenu afin d'améliorer le fonctionnement global du système. Il faut aussi revoir la garde d'enfants au Canada.

En dernier lieu, j'aimerais indiquer que certaines provinces et même d'autres pays sont en train d'élaborer des stratégies globales de lutte contre la pauvreté. Ils cherchent à élaborer une stratégie de réduction de la pauvreté permettant non seulement de lutter sur des fronts individuels, mais également de mener un combat intégré. Cette approche est sensée, car elle permet d'agencer tous les éléments et de comprendre les interactions.

Je serais heureuse d'en discuter plus longuement avec vous.

Lea Caragata, professeure agrégée, Université Wilfrid Laurier : Bonjour. Merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.

J'abonde dans le même sens que Mme Torjman et M. Gibbins. Je reconnais que nous avons besoin d'infrastructure sociale, y compris de logement social, dont on a déjà discuté. J'aimerais aborder un sujet un peu différent. Je ne vais pas perdre les sept minutes qui m'ont été accordées à ressasser le même sujet, mais j'affirme qu'il existe de grands problèmes. J'aimerais vous parler des femmes canadiennes, notamment du sous-groupe de femmes canadiennes les plus pauvres et de ce qui leur arrive, surtout compte tenu du contexte économique actuel. Les femmes canadiennes ont tendance à moins bien se tirer d'affaire que les hommes canadiens, même lorsqu'il n'y a pas de récession profonde. Trop souvent, on parle d'investissements sociaux et économiques et de restructuration et de révision de programmes sans reconnaître un fait essentiel, c'est-à-dire que les femmes s'en tirent moins bien.

Au Canada, les femmes et les jeunes représentent environ 83 p. 100 des travailleurs faiblement rémunérés ou touchant le salaire minimum. Le Canada se situe au quatorzième-rang de 15 pays semblables en ce qui concerne l'écart du revenu des sexes. Je pourrais vous fournir des statistiques abasourdissantes. Les femmes sont mal servies dans notre pays, particulièrement les femmes autochtones ou membres d'une minorité visible. Ces femmes sont durement touchées. Le revenu moyen d'une femme autochtone est d'environ deux tiers du revenu déjà faible d'une femme non autochtone qui n'est pas membre d'une minorité visible.

Je suis l'enquêtrice principale d'un groupe pancanadien, les Alliances de recherche universités-communautés, l'ARUC, dont le financement est assuré par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Nous travaillons avec des ménages gynoparentaux et des universitaires, ainsi qu'avec des agences gouvernementales et des organisations à but non lucratif à St.-John's, à Toronto et à Vancouver. Nous avons donc une belle vue d'ensemble de la situation. Nous interviewons plus de 100 femmes à des intervalles de 8 à 12 mois, ce qui nous permet de les suivre au fur et à mesure qu'elles traversent des périodes où l'économie est bonne et moins bonne.

Nous constatons que la situation n'a pas évolué et que ces femmes vivent des privations que la plupart d'entre nous trouverions scandaleuses. Il y a une citation, qui n'est pas dans le document que j'ai fourni au comité, d'une femme à qui on a demandé ce qui serait son souhait le plus cher. Elle a répondu d'un ton rêveur : « Mon vœu le plus cher, c'est un réfrigérateur qui serait toujours rempli de nourriture. »

Imaginez-vous avoir cela comme vœu le plus cher, comme aspiration, parce que vous êtes désespérés de ne pas pouvoir nourrir vos enfants. Les femmes à qui nous parlons ne peuvent pas nourrir leurs enfants et dépendent de l'assistance sociale. L'assistance sociale ne constitue pas un revenu sûr et elle est de toute façon insuffisante. Ces femmes tentent de percer le marché du travail, mais les seuls emplois disponibles sont précaires et à temps partiel. Une femme nous a dit fièrement qu'elle avait trouvé du travail. Elle faisait trois postes fractionnés pour un total de neuf heures dans la journée. Chaque poste exigeait des déplacements. Tout récemment, elle nous a appelés pour dire qu'elle n'avait plus qu'un seul quart de travail. L'érosion du travail à temps partiel et à salaire minimum est une conséquence réelle de la récession. Elle frappe des personnes qui souffrent déjà.

Je suis tout à fait d'accord avec Mme Torjman que nous devons investir dans l'infrastructure sociale, mais il faut en faire encore plus. Il faut examiner dans une optique sexospécifique nos programmes sociaux, le salaire minimum et la formation offerte pour la réinsertion sur le marché du travail. Je suis suffisamment vieille pour me souvenir du programme de Condition féminine Canada qui permettait aux femmes d'apprendre des métiers non traditionnels. Fait intéressant, la mère de l'une des femmes qui est membre de notre groupe longitudinal a été formée comme plongeuse- soudeuse dans le cadre de ce programme. Elle n'a pas tari sur l'effet bénéfique qu'a eu cette formation sur la vie de sa famille et elle regrettait vivement qu'il n'y ait plus de programme semblable de nos jours.

Nous devons écouter de tels messages. Nous devons repenser l'infrastructure sociale et songer aux mesures qui permettraient de réduire l'écart entre les sexes, écart qui ne va que grandir. Bon nombre des projets de relance économique prévus vont créer des emplois qui sont traditionnellement occupés par des hommes. Les emplois qui restent sur le marché et qui pourraient intéresser les assistés sociaux sont traditionnellement occupés par des hommes. Les emplois typiquement féminins, c'est-à-dire dans le secteur tertiaire, sont ceux qui disparaissent le plus rapidement.

Je me fonde sur des entrevues convaincantes menées auprès de 100 Canadiennes pauvres qui tentent d'élever leurs enfants sans appui manifeste de la part de l'État. Elles ne perçoivent pas de filet de sécurité sociale. Elles se sentent piégées. Je répondrai avec plaisir à vos questions. Merci.

Le président : Je vous remercie tous de votre contribution. Certaines des statistiques sont certes alarmantes : ce n'est pas la première fois que nous les entendons et c'est honteux qu'une telle disparité existe au Canada. Merci de votre exposé.

Madame Torjman, vous avez fait référence à la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Je sais que l'Institut Caledon avait proposé qu'elle soit portée à 5 000 $ par enfant par rapport aux 3 332 $ accordés actuellement. On entend souvent parler de la résolution adoptée par la Chambre des communes en 1989 et visant l'élimination de la pauvreté infantile en 2000, ce qui ne s'est évidemment pas réalisé. Aucun gouvernement n'a prévu des programmes pour réaliser cet objectif. Cependant, vous avez évoqué certaines statistiques qui sont légèrement différentes de celles que l'on m'a déjà transmises.

Certains diront que nous n'avançons guère dans la lutte contre la pauvreté infantile et que la situation est la même depuis 1989. Vous avez parlé de la Prestation fiscale canadienne pour enfants dans votre exposé. Si nous n'avions pas cette prestation, les familles à faible revenu ayant des enfants représenteraient 15 p. 100 de la population, alors que ce taux se situe actuellement à 9,3 p. 100. Les choses s'amélioreraient encore si la prestation était portée à un maximum de 5 000 $.

Comment réconcilier cette statistique et l'avis de certains qui disent que la situation ne s'est pas améliorée depuis 1989? Y a-t-il eu une amélioration? Reste-t-il encore beaucoup à faire?

Mme Torjman : Le problème actuel est le marché du travail. Tant qu'il se porte mal, on continuera à assister à une hausse de la pauvreté. Nous tentons de montrer l'incidence de la Prestation fiscale canadienne pour enfants après les transferts et les impôts. Sans cette prestation, il y aurait une hausse de la pauvreté. Grâce à elle, nous sommes en mesure de réduire la pauvreté d'un certain pourcentage.

Le taux de pauvreté augmentera encore peut-être, mais lorsqu'il y a beaucoup de chômage et que les gens, notamment les femmes, comme l'a souligné Mme Caragata, s'en tirent plutôt mal, il y a une hausse du taux de pauvreté. En réalité, nous faisons ressortir l'incidence de la Prestation fiscale canadienne pour enfants après les transferts et les impôts.

Le président : La situation s'est-elle améliorée globalement, ou la pauvreté infantile est-elle aussi présente qu'elle ne l'était en 1989? Je tiens compte de tous les facteurs, et non seulement de la Prestation fiscale canadienne pour enfants.

Mme Torjman : Il y a eu une certaine amélioration. Nous avons observé une petite réduction de la pauvreté infantile au fil des ans et, bien sûr, la Prestation fiscale canadienne pour enfants y a beaucoup contribué.

Or, nous sommes confrontés à un marché du travail très difficile. Si la Prestation fiscale canadienne pour enfants était plus élevée, comme vous l'avez dit, le taux de pauvreté infantile aurait baissé, tout comme il aurait certainement baissé si, de plus, l'économie se portait mieux.

Le président : Vous avez proposé bon nombre de changements pour améliorer l'assurance-emploi : instaurer un seuil d'admissibilité de 360 heures, remplacer le système actuel qui varie selon les régions, porter le revenu de remplacement de 55 à 70 p. 100, éliminer la période d'attente de deux semaines, et ainsi de suite. Comment financeriez-vous ces changements? Vous serviriez-vous du Trésor, ou augmenteriez-vous les cotisations puisque l'assurance-emploi est, du moins sur le plan technique, un programme d'assurance?

Mme Torjman : Le programme doit être financé dans une grande mesure par des cotisations. Toutefois, nous avons parlé de la possibilité d'accorder un financement supplémentaire à l'assurance-emploi par le biais du Trésor, notamment pendant une récession où il faut verser des prestations supplémentaires parce qu'il y a un nombre plus élevé de demandeurs. Nous n'avons pas exclu la possibilité de recourir au Trésor pour couvrir ces frais.

Le financement est censé être contracyclique, mais dans les faits, ce n'est pas le cas. Nous avons avancé certaines recommandations pour rectifier la situation et pour avoir un programme véritablement contracyclique. Dans l'intervalle, cependant, il se peut que l'on ait à se servir du Trésor pour combler le manque à gagner.

En passant, nous avons émis hier un rapport qui porte sur le traitement inégal accordé aux hommes et aux femmes, notamment par l'assurance-emploi. Je ne sais pas si vous l'avez lu. Nous sommes très préoccupés par le sort des femmes, qui sont difficilement admissibles parce qu'elles ne travaillent pas un nombre suffisant d'heures. Même si elles sont admissibles, elles touchent beaucoup moins que les hommes en raison de leur faible taux de rémunération. Il se peut qu'il faille recourir au Trésor pour financer l'assurance-emploi pendant une récession.

Nous avons également discuté d'une réforme de fond en comble de l'assurance-emploi. Certaines personnes n'y seront tout simplement pas admissibles. C'est le cas de nombreux Canadiens, comme les néo-Canadiens et les travailleurs autonomes.

Que faire à court terme? La seule possibilité pour ces gens est de se rabattre sur l'assistance sociale offerte par les provinces. Nous savons que ce n'est pas une solution pour de nombreuses raisons, notamment parce qu'elle entraîne la pauvreté et la désuétude des compétences. Ce n'est pas une bonne solution économique, voire sociale.

Nous proposons un revenu temporaire. C'est une possibilité que nous étudions. Ce serait un soutien temporaire fondé sur le revenu offert uniquement à ceux qui ont immédiatement besoin d'aide pendant une période maximale, par exemple, de six mois. Il reste encore à en décider les détails.

Ce programme aiderait à limiter le nombre croissant de personnes inadmissibles à l'assurance-emploi qui n'ont plus aucun recours et qui n'arrivent pas à nourrir leurs enfants. Vu le contexte économique, nous devons mettre en œuvre des mesures musclées pour combler l'énorme lacune du système actuel.

Le président : D'après une statistique intéressante, plus de 80 p. 100 des demandeurs admissibles à l'assurance- emploi reçoivent des prestations, mais seulement 40 p. 100 des cotisants y ont droit. Il y a donc un nombre élevé de cotisants inadmissibles.

J'aimerais vous poser, à tous, une question sur le logement social. Le plan de relance économique du gouvernement prévoyait effectivement des crédits pour le logement social, y compris des sommes pour la modernisation et la mise à niveau des logements sociaux conformément à des normes environnementales et énergétiques.

Le plan accordait un financement aux Autochtones vivant dans les réserves. Fait intéressant, il ne prévoyait rien pour les Autochtones en milieu urbain, c'est-à-dire la plupart d'entre eux. Plus de la moitié des Autochtones vivent en milieu urbain.

Le plan accordait également des crédits destinés aux aînés et aux personnes handicapées. J'ai peut-être oublié un groupe ou deux. Enfin, le plan ne tenait pas compte des personnes qui vivent dans des logements inabordables. De nombreuses personnes consacrent plus de 50 p. 100 de leur revenu au logement, ou encore tentent de le faire, mais on ne prévoit pas de construire de nouveaux logements sociaux ni d'offrir de nouveaux programmes de suppléments de loyer.

Pouvez-vous nous en parler? Monsieur Gibbins, vous avez dit que les projets d'infrastructure prévus dans le plan de relance pourraient notamment servir à construire des logements abordables. Je vous demanderais d'être le premier à répondre à ma question.

M. Gibbins : Je le ferai avec plaisir.

On dit souvent à Calgary qu'il ne faut jamais gaspiller une bonne crise, que cela ne donne rien de. s'éparpiller dans une multitude de petites actions. Or, on a tendance à réagir à la récession en mettant en œuvre un programme étendu de projets politiques et sociaux.

Au chapitre du logement social, on constate qu'encore une fois, les Canadiens sont trop modestes et en font trop peu sur trop de fronts à la fois. Le plan de relance économique répond à une gamme relativement étendue de besoins en logement. Il reste à savoir, cependant, si les investissements accordés par le gouvernement fédéral, et ensuite par les municipalités et les provinces, seront suffisants pour avoir de réelles retombées.

Je reviens toujours au problème fondamental. Nous devons cibler nos efforts si nous utilisons la récession comme prétexte pour répondre à des faiblesses sous-jacentes au Canada. Je crains que si nous en faisons un tout petit peu par ici, un peu plus par là, en bout de ligne, il y aura des améliorations un peu partout sans véritable stratégie.

Il reste au gouvernement et au comité à décider s'il y a effectivement une cible. Je fais valoir que le logement abordable répond à bon nombre des critères du plan de relance et aura une incidence à long terme sur de nombreux groupes dont nous avons discuté aujourd'hui.

C'est un excellent point de départ qui a de meilleures chances de donner des résultats immédiats comparativement, par exemple, à un projet plus ambitieux de réforme de l'assurance-emploi. La réforme de ce programme s'impose, mais je ne constate aucune volonté de s'y attaquer de façon sérieuse pendant la récession.

Mme Caragata : Environ 70 p. 100 de tous les ménages gynoparentaux au Canada répondent aux critères de la Société canadienne d'hypothèques et de logement pour ce qui est du besoin impérieux en matière de logement. Ce taux est porté à presque 80 p. 100 si l'on tient compte des ménages gynoparentaux qui bénéficient de l'assistance sociale.

Le logement social devient alors un facteur critique qui permet à ces ménages d'assurer une certaine stabilité à la famille. Une vaste quantité de données atteste l'importance d'un logement sûr pour, entre autres, la recherche d'un emploi et la santé et le bien-être des enfants. Nous avons suivi des femmes qui ont fait la transition de l'assistance sociale vers un emploi rémunéré et nous avons noté que le logement social a joué un rôle important dans leur réussite.

Je vous confirme donc que le logement social constitue un investissement critique en infrastructure qui apporte de réelles retombées à tous, à condition que l'on tienne compte de certains facteurs sexospécifiques dont j'ai parlé, c'est-à- dire des destinataires.

Mme Torjman : J'aimerais renchérir sur ce qu'a dit M. Gibbins quant à l'importance du logement social à titre d'investissement dans les infrastructures. Le Canada a besoin d'un plan stratégique à long terme pour le logement abordable. C'est la raison pour laquelle nous avons été déçus d'apprendre que les mesures prévues dans le budget n'étaient qu'un plan à court terme et ne constituaient pas un engagement quelconque. Or, c'est justement un engagement qu'il nous faut à la fois pour réagir à la récession et pour élaborer une stratégie de réduction de la pauvreté à long terme au Canada.

Le sénateur Segal : Je dirais à Mme Torjman que l'impôt sur le revenu était également censé être une mesure temporaire, et pourtant il perdure. Il ne faut donc pas perdre tout espoir en ce qui concerne le logement. Certains d'entre nous appuieront le logement social afin de lui conférer la permanence qui caractérise l'impôt sur le revenu.

J'aimerais d'abord poser une question à M. Gibbins. Nous entendons souvent de la part de fonctionnaires et d'économistes, bien intentionnés d'ailleurs, que les programmes de réduction de la pauvreté, notamment les programmes de sécurité du revenu, constituent une désincitation massive au travail s'ils offrent un soutien trop fiable et ininterrompu et assurent un niveau de vie démesurée par rapport au seuil de la pauvreté. Or, le niveau de vie permis par l'assistance sociale est bien inférieur au seuil de la pauvreté.

Je connais le projet Mincom mené au Manitoba, ainsi que la nouvelle analyse qui en a été faite, dont les résultats ont été présentés par le professeur Lago à une association progressive, l'Eastern Economic Association. Vous vous souviendrez qu'il s'agissait d'un projet assurant un revenu annuel garanti dans la région de Dauphin au Manitoba il y a déjà de nombreuses années. Le professeur Lago a pu obtenir des ministères de la Santé, de l'Éducation et de la Justice du Manitoba des chiffres pour la période concernée qui révèlent ce qui s'est passé dans la collectivité.

Le professeur a constaté qu'il y avait des gens qui ont arrêté de travailler pour s'occuper d'enfants pour lesquels il n'y avait pas d'autres possibilités de garde. D'autres, profitant du revenu garanti, ont arrêté de travailler pour s'occuper de leurs parents ou d'un membre de la famille malade qui auraient autrement été pris en charge par l'État.

On a remarqué une légère hausse du taux de scolarisation ainsi qu'une diminution minime des visites chez le médecin. Comme l'a montré le travail du sénateur Keon, il est clair que la pauvreté est un grand facteur annonciateur de problèmes de santé. On a également noté un pic modeste du taux de séparation et de divorce, et il se peut que Mme Caragata souhaite s'exprimer là-dessus. Je ne suis pas économiste, je suis historien, du moins de formation. L'économiste qui a mené l'étude a indiqué qu'elle prônait le choix pour des raisons économiques. Si les femmes disposaient d'un revenu un peu plus sûr et ainsi d'une certaine indépendance économique qui leur permettait de quitter un conjoint violent, c'était globalement positif en raison de l'ensemble des frais imposés à la société par la violence familiale.

Calgary est une ville où règne l'entreprenariat. C'est une ville où, lorsqu'un entrepreneur ou un programme social ne livre pas le produit escompté, on dit : « grand parleur, petit faiseur ».

Pouvez-vous m'expliquer pourquoi on est tant préoccupé par la désincitation au travail et me dire si vous pensez que c'est une attitude répandue? J'inviterais mes collègues réunis autour de la table à réfléchir aux façons qui nous permettraient de rassurer les gens à ce sujet.

De toute évidence, toute proposition qu'examinera le sous-comité en matière de sécurité du revenu entraînera la même préoccupation, et il serait utile de songer à des arguments possibles dont nous nous servirons lorsque nous poursuivrons notre travail dans diverses régions du pays.

M. Gibbins : Merci, sénateur. À mon avis, plus il y a de soutien, plus il y a de risque de désincitation au travail. Cependant, l'écart est si grand entre le niveau de soutien actuel et le niveau où il y aurait effectivement une grande désincitation que je ne suis point inquiet à court terme. En d'autres termes, il faudrait qu'il y ait une hausse énorme du niveau de soutien avant que ce ne devienne problématique.

En ce qui concerne un argument possible, j'évoquerais le projet de lutte contre le sans-abrisme mené à Calgary auquel les entrepreneurs ont beaucoup participé. Ces entrepreneurs étaient convaincus, à partir d'arguments purement économiques, que le coût du sans-abrisme était tellement élevé en raison des besoins médicaux et du recours à l'assistance sociale et aux forces de l'ordre, qu'il fallait trouver une meilleure solution.

On peut également faire valoir l'expérience américaine. Calgary est peut-être une ville qui est plus sensible à ce qui se passe aux États-Unis. L'expérience américaine relativement au logement a vraiment influé sur la façon dont nous abordons le sans-abrisme.

L'argument est fort simple : un logement sûr et abordable devient le tremplin qui permet de réintégrer le marché du travail et la société. Les causes du sans-abrisme sont certes complexes, mais la première réaction est d'offrir un logement, c'est-à-dire d'offrir la sécurité d'un toit, ce qui permet ensuite d'intégrer le marché du travail.

En ce qui concerne votre préoccupation plus générale sur le plan politique, et j'utilise politique dans un sens positif, je puis affirmer que dans ce cas, il n'a pas du tout été difficile de convaincre un groupe d'entrepreneurs relativement conservateurs du bien-fondé d'un plan ambitieux visant à éliminer le sans-abrisme dans la ville. Les arguments économiques étaient tellement convaincants que les gens ont appuyé le projet.

Le sénateur Segal : Les autres témoins souhaitent-ils s'exprimer sur la question?

Mme Caragata : Avec plaisir. Je vous remercie d'évoquer le sort des femmes violentées par leur conjoint et la façon dont l'insécurité économique contribue à leur vulnérabilité.

Nos données montrent qu'environ un tiers à la moitié des femmes consultées ont eu recours à l'assistance sociale parce qu'elles ont quitté un conjoint violent. Certaines de ces femmes retournent à leur conjoint violent parce qu'elles n'arrivent pas à joindre les deux bouts avec l'assistance sociale.

La désincitation au travail est un facteur extrêmement important dont il faut tenir compte. Je propose que nous abordions la question du soutien du revenu un peu différemment. Je reprends la logique de Jane Millar, une collègue du Royaume-Uni. Femme perspicace, elle dit que notre État providence actuel, qui met l'accent sur l'emploi, joue deux rôles, ce qui contraste grandement avec l'unique rôle du passé, qui consistait à soutenir les gens lorsque le marché du travail les abandonnait. Il nous faut plutôt un soutien du travail qui permette de garder les gens sur le marché du travail. On pourrait songer à des suppléments du revenu et à des incitatifs, par exemple. Il faut ensuite assurer la sécurité du revenu du travail, comme un revenu annuel garanti, pour permettre à la personne qui a trouvé du travail de le garder. Nous connaissons des échecs lamentables à cause de notre approche éparpillée et de notre tactique traditionnelle, qui consiste à réagir aux grandes pertes d'emplois sur le marché du travail.

La récession actuelle nous dit que les temps ont changé et que les gens sont pauvres et ont besoin d'un soutien du revenu même s'ils travaillent. Nous devons réfléchir afin de trouver une façon de garder les gens au travail pendant la récession actuelle.

Le logement social offre une base importante aux gens. La sécurité d'un toit leur permet de garder leur emploi. Nous interviewons régulièrement un groupe de femmes qui n'ont pas de logement et qui vivent dans des refuges avec leurs enfants. On n'a qu'à regarder le nombre de sans-abri au Canada qui vivent dans des refuges et travaillent à temps plein pour se rendre compte que nous avons un problème. L'instabilité du logement ne permet pas aux gens de participer au marché du travail comme on le voudrait.

Mme Torjman : Je vous remercie de votre question. Nous rencontrons constamment des difficultés. Lorsque nous proposons d'augmenter une prestation fondée sur le revenu, on nous revient avec un argument économique selon lequel cela entraînerait une hausse du taux marginal d'imposition. On nous brandit ce taux marginal d'imposition chaque fois que nous avançons des propositions.

Nous avons tenté de concevoir nos programmes pour équilibrer les prestations afin qu'il n'y ait pas de grand écart et que les gens d'une certaine tranche de revenu n'y perdent pas gros. Nous devons invalider cet argument. Pour ce faire, il nous faut des données empiriques. Bien franchement, les personnes qui prennent des décisions quant aux incitatifs au travail sont des gens qui ont de gros salaires et de petits soucis, à savoir s'ils devraient prendre congé l'après-midi, ou encore jouer au golf le mercredi. Le taux marginal d'imposition n'entre pas en ligne de compte lorsqu'on travaille avec des gens à revenu modeste qui tentent de joindre les deux bouts. Ce n'est pas une préoccupation. Ceux qui affirment le contraire devraient parler avec les gens à revenu faible pour comprendre leur réalité. Ils ne tiennent pas compte de ce facteur lorsqu'ils prennent des décisions.

Nous devons trouver des arguments pour faire valoir les avantages, c'est-à-dire ceux auxquels le sénateur Segal a fait référence, comme la stabilité des ménages et un revenu qui permet de nourrir correctement ses enfants et d'en assurer le développement normal et de quitter des situations violentes. Ce sont ces arguments que nous devons avancer. Nous devons également invalider l'argument de la désincitation auquel nous sommes constamment confrontés lorsque nous tentons de proposer des améliorations aux programmes fondés sur le revenu. C'est d'ailleurs l'un de nos plus grands problèmes.

Le sénateur Segal : J'ai été frappé par le récit de M. Gibbins concernant les entrepreneurs de Calgary, et je sais que certains entrepreneurs ont dirigé le projet. Lorsqu'on a décrit aux entrepreneurs les coûts globaux et l'improductivité du sans-abrisme en les comparant au coût de la lutte contre le sans-abrisme, les entrepreneurs ont été tellement impressionnés qu'ils ont adopté la cause de façon remarquable. D'autres groupes du secteur privé devraient s'en inspirer pour travailler avec le gouvernement ailleurs au pays. Calgary est à féliciter.

Je propose ce qui suit à nos trois témoins : nous ne disposons peut-être pas suffisamment de données empiriques, mais le Conseil canadien de développement social et la Bibliothèque du Parlement proposent un revenu de soutien qui porterait le revenu des gens au-dessus du seuil de la pauvreté. Cela coûterait de 23 à 25 milliards de dollars annuellement, calculé à partir de la famille de recensement moyenne, un terme que les spécialistes des sciences sociales comprendront mieux que moi-même.

Je crois que 25 milliards de dollars est une somme considérable. Cela représente un tiers des crédits accordés par le gouvernement fédéral, par l'entremise de la SCHL, pour l'achat d'hypothèques saines des banques et des établissements de crédit. C'est également 10 p. 100 environ du budget fédéral total.

Nous pourrions avancer cet argument si nous avions des données empiriques, mais nous ne les avons pas, même si les pauvres sont grandement surreprésentés dans nos hôpitaux, dans nos prisons et dans le système judiciaire. Il y a des coûts qui y sont liés, coûts qui sont alimentés dans une certaine mesure par des pressions démographiques. Je ne crois pas que nous ayons suffisamment de données empiriques pour proposer un chiffre exact. Cependant, 25 milliards de dollars est tout de même un chiffre difficile à faire avaler vu le contexte difficile actuel. Il faudrait que nous puissions prouver que le coût annuel de la pauvreté est excède 25 milliards de dollars et s'en va en croissant. Je soupçonne que le montant se rapproche plutôt de 100 milliards de dollars par année sur le plan financier, en sus du coût immensurable assumé par la société.

Tout d'abord, pensez-vous que si nous disposions de données empiriques, il serait possible d'avancer les mêmes d'arguments que l'on a présentés aux entrepreneurs de Calgary au sujet du logement? À votre avis, serait-il utile que nos centres d'études et de recherches, nos ministères et la Bibliothèque du Parlement tentent d'établir un chiffre?

Deuxièmement, et c'est peut-être la question qui concerne le plus nos invités distingués ce matin, croyons-nous que la pauvreté est le résultat d'une série de facteurs, par exemple, un manque de scolarité, l'analphabétisme, le divorce et un faible taux de natalité? Ou croyons-nous, et cela est en rapport direct avec le travail du sénateur Keon au sein du Sous-comité sur la santé des populations, que la pauvreté est à la source de l'analphabétisme, du divorce, de la violence familiale et d'autres phénomènes? Il me semble que la réponse permettra, à nous les Canadiens, de concentrer nos efforts, comme l'a mentionné M. Gibbins. Allons-nous nous éparpiller en espérant avancer un peu sur chaque front et ainsi progresser globalement, ou retenons-nous un objectif, qui de toute évidence à Calgary est le sans-abrisme, au grand honneur de cette ville, d'ailleurs, pour nous concentrer là-dessus, en tirer le plus grand avantage sur le plan de la politique publique et aider le plus grand nombre de personnes?

Moi-même j'ai mon idée, mais je ne peux m'appuyer sur des données empiriques pour l'instant. Tout conseil nous sera utile, quel que soit votre avis. Cela aidera le sous-comité dans son travail.

Le président : C'est une longue « brève question supplémentaire », mais elle est importante. Il faut avoir des preuves à l'appui.

Mme Torjman : Ce serait utile de disposer des renseignements dont vous parlez. Je ne sais pas cependant si cela nous aiderait à défendre des crédits de 25 milliards de dollars pour le soutien du revenu. Nous avons tenté de trouver ce qui constituerait une Prestation fiscale canadienne pour enfants suffisante, et nous avons établi que ce serait 5 000 $ par enfant. Il en coûterait 4 milliards de dollars supplémentaires pour porter cette prestation de son niveau actuel de 3 332 $ à 5 000 $.

À notre avis, c'est tout à fait faisable et ce serait un bon début. Certains éléments sont déjà en place qui nous permettraient de réaliser cet objectif. Si nous repérons ces éléments et allons de l'avant, nous pourrons très bien réussir.

La Prestation fiscale pour le revenu du travail a été augmentée. Nous étions heureux de le proposer et avons appuyé les efforts visant à doubler la prestation et à modifier les critères d'admissibilité afin qu'un plus grand nombre de personnes y soient admissibles. Cette prestation rend le travail plus intéressant, ce qui vient rejoindre ce qu'a dit Mme Caragata, car il permet de garder les gens sur le marché du travail et de rendre le travail rentable.

Nous avons maintenant une structure dont certains éléments fonctionnent très bien et font ce qu'ils devraient faire. Si déjà nous pouvions faire fond sur ces éléments sans devoir proposer un grand programme de sécurité du revenu, nous ferions reculer considérablement la pauvreté et nous invaliderions l'argument de la désincitation.

Il y a cependant certains grands éléments du système qui ne fonctionnent pas et qui font que les gens passent à travers les mailles, comme les critères d'admissibilité de l'assurance-emploi. C'est un grand problème. Si déjà nous pouvions régler certains problèmes dans le système, nous aiderions notre pays à progresser considérablement.

C'est l'approche que je préfère. Je ne réponds peut-être pas directement à la question du sénateur Segal, mais si nous devions concentrer nos efforts sur un objectif donné, je dirais qu'il faudrait se servir de l'argent disponible pour appuyer les éléments existants qui ont sérieusement besoin d'être améliorés.

Le sénateur Segal : C'est un gradualisme sans fin.

Le président : On m'a dit que M. Gibbins devait nous quitter à midi, c'est-à-dire à 10 heures dans son fuseau horaire. Je lui permettrai donc de répondre maintenant.

M. Gibbins : C'est effectivement une longue question supplémentaire. Il y a quelques mois, on disait que 25 milliards de dollars, c'était beaucoup d'argent. Maintenant, on nous lance des chiffres qui dépassent tellement notre entendement que 25 milliards de dollars semblent quasiment une bagatelle pour ce qui est des efforts à long terme.

J'aimerais rapidement faire deux observations. Tout d'abord, ce qui a fonctionné à Calgary, c'était une stratégie et un objectif ambitieux. On aurait pu penser qu'une stratégie plus graduelle aurait attiré davantage de soutien, mais c'était l'audace d'un plan visant à éradiquer le sans-abrisme qui a accroché les gens.

Si le projet avait visé à atténuer ou à réduire le sans-abrisme, quel que soit le terme retenu, il n'y aurait tout simplement pas eu autant d'enthousiasme. Nous nous serions retrouvés avec les mêmes mentalités, c'est-à-dire il y aura toujours des pauvres et nous sommes impuissants. On a pu accrocher les gens en leur offrant la possibilité de mettre un terme à un problème social concret.

Cela nous mène à la question principale du sénateur Segal, c'est-à-dire si la pauvreté est la conséquence de certains facteurs ou encore la cause d'autres problèmes. À mon avis, les deux sont vrais, mais il me semble que les gouvernements auraient intérêt à aborder la pauvreté comme si c'était un problème financier ou encore un déficit de trésorerie. Certains des problèmes associés à la pauvreté sont beaucoup plus difficiles à cerner et conviennent probablement beaucoup moins à une intervention gouvernementale.

La pauvreté peut, par exemple, être la conséquence d'un divorce. La pauvreté peut aussi favoriser le divorce. Voulons-nous que le gouvernement du Canada se mêle au divorce? Je crois que non. Je ne crois pas que le gouvernement ait une grande expertise dans le domaine.

La pauvreté présentée comme un problème d'argent ou de déficit de trésorerie permet au gouvernement de réagir d'une façon appropriée et de s'attaquer à une vaste gamme de problèmes sociaux. Il ne s'agit pas d'une solution unique, mais plutôt d'un point de départ. Je trouve cela très logique. C'est la raison pour laquelle je souligne l'importance du logement social comme point de départ pour la lutte contre une gamme plus étendue de problèmes sociaux.

Mme Caragata : Merci, sénateur, d'avoir posé une question importante. La pauvreté est à la fois une cause et un effet. Certains facteurs liés aux circonstances contribuent à la pauvreté, et la pauvreté donne lieu à un autre ensemble de facteurs, comme des problèmes de santé, une scolarité réduite, et ainsi de suite.

C'est un cycle. Si l'on intervient à un point donné, il y aura une amélioration considérable, car la société réalise des économies, le système de soins de santé est moins sollicité, il y a moins de visites aux urgences, le taux de scolarité est plus fort, le développement des enfants s'améliore, et ainsi de suite.

J'aimerais également parler du tissu social. De nombreux pays de l'Union européenne accordent de plus en plus d'importance à l'inclusion et à l'exclusion sociale. Dans notre recherche sur les femmes, nous constatons qu'il y a des enfants de 14 ans qui n'ont jamais, par exemple, suivi de cours de natation, ni joué au baseball après l'école. Ces enfants sont marginalisés et n'ont pas les mêmes compétences que leurs pairs et tout probablement ne les auront jamais. Il y a un coût qui y est associé. Ces enfants commencent à croire qu'ils ne sont pas des citoyens de plein droit du Canada. Toutefois, je crois que nous aurions du mal à vendre une hausse des taux d'assistance sociale pour permettre aux enfants de jouer au baseball le samedi. On aurait intérêt, par contre, à faire valoir une vision ambitieuse selon laquelle on tire les Canadiens de la pauvreté tout en réalisant des économies et en rendant service à la société.

Pour ce qui est des coûts, il serait possible de les évaluer, mais pour bien comprendre les coûts et les économies, nous pouvons vérifier ce qui se passe dans les autres pays, pour voir s'il y a une disparité économique limitée. Nous pouvons facilement trouver des exemples de coûts de soins de santé inférieurs, de niveau de scolarisation supérieur et de meilleure participation à la population active. Il y a des façons d'évaluer tout cela.

Le sénateur Keon : Je suis très heureux d'avoir l'occasion d'en discuter avec vous, monsieur Gibbins, avant que vous ne partiez, parce que je ne partage pas du tout votre point de vue. Je crois que de consacrer des sommes considérables au logement de façon isolée est une erreur. Vous n'allez pas améliorer le bien-être général des collectivités, que ce soit à Calgary ou ailleurs, avec une mesure isolée. Il s'agit d'un programme social très complexe. À court terme, si la situation d'ensemble du logement s'améliore à Calgary, c'est très bien, mais je pense que vous vous y prenez de la mauvaise façon.

Si vous ne faites pas la promotion de la santé, du bien-être et de la productivité dans les collectivités, vos initiatives en matière de logement ne serviront à rien, puisque les gens défavorisés qui vont vivre dans ces logements n'auront ni l'instruction ni l'autonomie nécessaire pour améliorer leur bien-être social.

J'espère que vous allez réfléchir encore à cette question. Vous méritez toutes nos félicitations pour votre participation à cette initiative. Nous pouvons construire bien des logements au Canada sans même nous rapprocher des objectifs. Toutefois, ce qui est encore plus important que de construire des logements, c'est de les construire au bon endroit, dans le bon contexte, dans le contexte global du bien-être social et de l'amélioration de la santé, du bien-être et de la productivité de la population. Il faut bâtir des collectivités productives. Si vous ne faites que construire des logements et laisser les gens y habiter, cela ne règlera pas le problème.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Gibbins : Je serai heureux de vous répondre. Ensuite, je vais devoir partir et je m'en excuse.

Je crois que nous ne sommes pas fondamentalement en désaccord. À mon avis, la question est de savoir où trouver le point d'accès à cette question sociale très complexe. Ce qui m'inquiète, c'est que si nous nous adressons aux membres d'une assemblée — je vais utiliser comme exemple l'assemblée des gens d'affaires de Calgary, mais je ne crois pas qu'ils soient atypiques —, et que nous leur disons qu'il est impératif d'agir, mais qu'avant tout, il faut améliorer la santé de la population, donner aux femmes une autonomie accrue et élever le niveau de scolarité des Canadiens, les gens auront tendance à quitter la pièce parce que le problème devient si imposant et si complexe qu'il semble difficile de progresser vers les prochaines étapes.

Je pense que les gens qui encouragent d'abord la construction de logements ne font nullement abstraction des enjeux dont vous parlez. Ils comprennent que pour que cela fonctionne, il faut mettre en place bien d'autres initiatives parallèles au projet de logements. Si l'on construit seulement une structure, ce n'est pas suffisant. Cependant, cela devient une plate-forme ou une ouverture autour de laquelle on peut commencer à bâtir les autres éléments que vous considérez comme importants.

Selon moi, nous ne concevons pas la pauvreté différemment, mais nous avons une stratégie différente afin d'exercer une influence collective et politique efficace pour résoudre un problème très complexe sans faire fuir les gens ou leur faire dire : « Cette question est si complexe que je vais simplement m'occuper de payer mes employés et me concentrer sur autre chose. »

Le président : Je vous remercie beaucoup d'être venu, monsieur Gibbins.

M. Gibbins : Merci de m'avoir invité.

Le sénateur Keon : Je vous remercie également, monsieur, et j'aimerais que nous en discutions plus en détail un de ces jours.

M. Gibbins : Nous pourrons le faire une autre fois.

Mme Torjman : Je vous remercie de vos observations et de votre question. Honnêtement, nous sommes entièrement d'accord avec vous.

Nous avons récemment rédigé un court article intitulé Put Your Money Where Your Wealth Is, dans lequel nous faisons valoir la pertinence des investissements dans les infrastructures sociales des collectivités et des quartiers, y compris dans le logement social, mais également dans les autres services sociaux dont j'ai parlé.

Votre discussion avec M. Gibbins était intéressante au sens où, selon moi, elle montre très clairement la nécessité d'une stratégie anti-pauvreté axée sur divers éléments. Il peut s'agir d'un programme solide de sécurité du revenu, pour lequel le gouvernement fédéral peut certainement jouer un rôle important. Toutefois, bien d'autres éléments doivent être pris en compte, dont le logement social, des services de garde abordables et de qualité, ou du moins un investissement en ce sens et, comme je l'ai déjà mentionné, un investissement dans les autres services sociaux nécessaires pour créer des collectivités saines. L'abondante documentation sur la santé nous permet de constater l'importance de la qualité du milieu de vie. C'est de plus en plus probant.

Sur le plan communautaire, où M. Gibbins intervient, quand on rassemble un groupe de gens d'affaires, de bénévoles et de citoyens, on doit se concentrer sur un aspect précis afin d'accomplir quelque chose dans la collectivité.

Toutefois, ce problème indique qu'il est vraiment nécessaire d'adopter une stratégie globale, ce que nous n'avons pas encore fait à l'échelle nationale. Pourquoi n'en avons-nous pas, malgré le fait que tellement de provinces en parlent actuellement? Puisqu'elles reconnaissent que c'est ainsi que nous devons penser, puisque la Nouvelle-Écosse, l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador se dotent de stratégies anti-pauvreté et que d'autres provinces envisagent de le faire, pourquoi n'avons-nous pas le même raisonnement au niveau fédéral, où nous aurions vraiment besoin de leadership pour concerter les efforts de tous?

Je vous remercie beaucoup d'avoir parlé de ces autres éléments, parce que nous appuyons assurément ce que vous dites et ce que vous avez écrit à ce sujet.

Le président : Madame Caragata, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Mme Caragata : Très brièvement, simplement pour appuyer le commentaire de Mme Torjman et ajouter que le projet de logements sociaux le plus efficace que nous ayons mis en œuvre dans notre pays est un projet faisant partie d'un processus qui visait à encourager le développement des collectivités plutôt que de miser seulement sur les briques et le mortier. Je suis d'accord avec vous pour dire que bien souvent, ce genre d'initiative engendre bien d'autres problèmes.

Le sénateur Keon : Monsieur le président, j'aimerais poser une brève question complémentaire.

Le président : Elle devra être très brève, parce que le temps file.

Le sénateur Keon : J'aimerais vous parler de quelque chose, madame Caragata. Vous devriez insister davantage sur l'autonomie des femmes dans notre pays et dans le monde entier. Nous parlons de problèmes sociaux et de problèmes environnementaux, entre autres, mais la plupart de ces problèmes seraient résolus si les femmes avaient le pouvoir de faire ce qu'elles veulent, d'être libres.

La raison pour laquelle j'en parle, c'est que je m'intéresse particulièrement à la question de la maternité, des bonnes mères et des mauvaises mères, et selon moi, si elles étaient autonomes, toutes les femmes seraient de bonnes mères.

Mme Caragata : Je suis tout à fait d'accord avec vous et je suis heureuse de relever le défi.

Le sénateur Dyck : Je vous remercie de vos exposés, mesdames.

Je suis de la Saskatchewan, et cette province est actuellement dans une situation unique, c'est-à-dire qu'elle est la province qui a la plus forte croissance économique du pays; néanmoins, je pense que la récession va nous frapper tôt ou tard.

En même temps, la Saskatchewan est l'une des provinces comptant le plus d'Autochtones — principalement des membres des Premières nations et des Métis. Nous nous penchons sur la question des logements dans les réserves et à l'extérieur des réserves, et vos observations à propos des groupes vulnérables, madame Caragata, m'ont beaucoup intriguée.

J'ai eu le plaisir d'assister à une conférence sur la pauvreté l'automne dernier, à Winnipeg. De nombreuses femmes de la collectivité qui vivent de l'aide sociale nous ont raconté leur histoire. Elles nous ont dit qu'elles devaient, bien entendu, faire des choix. Elles n'ont pas assez d'argent pour acheter de la nourriture ni pour payer le loyer; elles n'ont pas d'argent pour envoyer leurs enfants suivre des cours de patinage artistique, jouer au hockey ou participer à d'autres activités; en plus, elles subissent l'ingérence du ministère ou des personnes qui s'occupent de leur dossier, qui s'ingèrent dans leur vie pour vérifier si elles ont des sources de revenu supplémentaires; et enfin, elles font face à des mesures de récupération.

Que devrions-nous faire au sujet de l'aide sociale? Devrions-nous augmenter les prestations? Devrions-nous réduire les inquisitions envahissantes dans la vie personnelle des gens? Devrions-nous mettre en place un mécanisme qui ferait en sorte que lorsqu'une femme tente d'améliorer sa situation économique, ses prestations ne sont pas réduites? Sinon, cela ne fait que la décourager d'essayer d'améliorer sa vie, parce que dès qu'elle fait un pas en avant, on lui enlève quelque chose. Y a-t-il une stratégie pour éviter que cette femme ne tombe dans le piège? C'est comme une situation sans issue.

Mme Caragata : Absolument. Vous l'avez dit de façon parfaitement éloquente. C'est effectivement un piège dans lequel tombent les femmes, et dans mon mémoire, je cite de nombreuses femmes qui racontent ce qui leur est arrivé après avoir trouvé un emploi. Elles sont heureuses d'en trouver un, mais elles perdent le droit aux médicaments gratuits; elles peuvent avoir un enfant handicapé. Elles trouvent un emploi précaire, ce qui les oblige à travailler en dehors des heures d'ouverture normales des garderies, et bientôt, le château de cartes s'écroule.

Je suis heureuse que vous ayez soulevé la question de la surveillance de l'aide sociale. C'est l'un des principaux facteurs d'insécurité pour les gens en ce qui a trait à leur revenu. Des données internationales intéressantes montrent que ce n'est pas tant le revenu familial que la sécurité du revenu familial qui a une incidence importante sur le bien-être d'un enfant.

Au Canada, l'aide sociale est devenue très précaire. Des femmes font état de chèques qui ont été retenus parce qu'elles n'avaient pas remis un formulaire; elles ne savent donc jamais si elles vont avoir assez d'argent. Il est impératif que nous mettions en place une stratégie pour leur fournir des prestations fiables et les encourager à rester sur le marché du travail sans qu'elles ne soient immédiatement privées des prestations d'aide sociale ou de sécurité du revenu. Cela va donner aux gens la sécurité dont ils ont besoin pour intégrer le marché du travail, même s'il leur faudra probablement un certain temps pour cela, compte tenu de la situation actuelle. Toutefois, cela permet au moins aux gens de conserver les emplois à temps partiel qu'ils occupent actuellement. Les mères seules, en particulier, craignent de dépasser le seuil au-delà duquel elles ne sont plus admissibles aux prestations, parce que beaucoup ont des enfants qui ont besoin de médicaments ou en ont besoin elles-mêmes. Dès qu'elles perdent le droit aux médicaments gratuits, elles ne peuvent plus rester sur le marché du travail.

Il y a tout un ensemble de facteurs qui influent sur la vie quotidienne des gens, dont le fait de jongler avec les prestations. La PFCE est une prestation fantastique sur laquelle les gens peuvent compter. Comme les montants de PFCE sont déduits des prestations d'aide sociale, les gens doivent toujours jongler avec les chiffres : ils vont recevoir tel montant de l'aide sociale et peut-être tel montant de la PFCE, mais peut-être qu'ils ne vont pas recevoir leur chèque d'aide sociale. Le processus budgétaire devient très complexe.

Si nous pouvions faire quelque chose pour que ces personnes aient une sécurité de revenu, nous verrions alors d'énormes changements dans le bien-être des familles.

Mme Torjman : J'aimerais vous répondre brièvement parce qu'en 1985, j'ai rédigé un rapport pour le Conseil national du bien-être social. Il s'intitulait Le bien-être social au Canada : un filet de sécurité troué.

C'était si terrible, à l'époque, que pour obtenir des renseignements à propos du système afin de rédiger mon rapport, j'ai dû obtenir une lettre d'avocat pour me protéger, pour demander la permission de consulter les provinces et pour obtenir de l'information sur la valeur de ces prestations. C'était un système épouvantable.

Maintenant, comme vous le savez, nous avons des renseignements à propos du système d'aide sociale, mais cela ne nous rassure pas pour autant quant à son fonctionnement. Il n'a jamais été question que l'aide sociale soit utilisée comme un revenu garanti à long terme pour la population du pays. Ce n'est pas sa raison d'être. Au départ, c'était censé être une aide de dernier recours, d'urgence, un filet de sécurité quand tout le reste a échoué, mais c'est devenu un programme de première ligne. Cinquante pour cent des assistés sociaux au Canada, par exemple, sont des personnes gravement handicapées. Ce n'est pas logique. Pourquoi le système joue-t-il ce rôle? Pour les chefs de famille monoparentale, il y a un problème énorme. Le système ne devait pas servir de programme de sécurité du revenu à long terme.

Alors, que faire? Très franchement, nous essayons de le démanteler, petit à petit, jusqu'à ce que d'autres services appropriés soient en place. L'un de ces services est la Prestation fiscale canadienne pour enfants, qui visait en fait à ce que les enfants ne dépendent plus de l'aide sociale. Nous tentons de libérer les gens du système d'aide sociale.

Nous avons également toute une série de propositions au sujet des personnes gravement handicapées et de la façon de les sortir de l'aide sociale. Elles ne devraient pas avoir recours à l'aide sociale. Ce n'est pas logique. Nous envisageons un programme de type Supplément de revenu garanti pour ces personnes.

L'un des autres éléments associés au système est un programme de garderies abordables et de qualité. On ne peut réintégrer le marché du travail si l'on n'a pas accès à un tel programme. Les prestations liées à la santé et les allocations complémentaires qui viennent avec l'aide sociale doivent prendre une autre forme que celle de l'aide sociale. Nous avons abondamment écrit au sujet de la suppression de ces prestations complémentaires de services de santé qui contribuent à maintenir les gens dans le système et les empêchent de s'en libérer. Si une personne a des coûts supplémentaires liés à la santé ou de jeunes enfants, il est plus avantageux pour elle sur le plan économique de continuer à toucher des prestations d'aide sociale, ce qui n'est pas logique. Par conséquent, nous devons rendre ces parties indépendantes et transférables, comme les soins dentaires pour enfants ou l'accès au soutien aux personnes handicapées. Les gens ne devraient pas être obligés de continuer à dépendre de l'aide sociale pour avoir accès à ces prestations. C'est là où l'investissement dans le logement social entre aussi en jeu.

Il nous faut un certain nombre de composantes si nous voulons vraiment démanteler ce programme, qui est inadéquat, crée des règles qui nuisent à la population et ne permet pas de réduire la pauvreté; au contraire, il ne fait que la renforcer.

Le sénateur Cordy : Je vous remercie beaucoup toutes les deux. C'est toujours agréable de vous entendre parler de cette question. Pour vous, ce n'est pas un emploi, c'est un mode de vie, une passion.

J'aime beaucoup vos exemples, madame Caragata, parce qu'ils nous montrent vraiment l'importance de nous occuper de toute la question de la pauvreté. J'ai bien aimé ce que vous avez dit à propos de l'inclusion sociale. J'ai déjà enseigné au primaire dans des régions où vivaient des familles de classe moyenne et dans d'autres, des familles à revenu très faible, et j'ai pu constater les difficultés auxquelles étaient confrontés les gens qui vivaient dans la pauvreté. Les parents étaient réticents à se rendre aux rencontres parents-professeurs parce qu'ils ne s'étaient jamais sentis à l'aise à l'école, de sorte que le cycle était enclenché, parce que les parents ne s'impliquaient pas à l'école. Nous, les enseignants, estimions que les enfants dont les parents s'investissaient étaient ceux qui réussiraient. C'est là que tout se joue.

Pour faire suite aux commentaires du sénateur Dyck au sujet de la nécessité de briser le cycle, j'ai toujours à l'esprit l'image d'un petit hamster qui court dans sa roue et ne peut pas en descendre. Il semble que nous ayons mis en place ces programmes à l'échelle fédérale et provinciale afin d'apporter une aide minimale aux gens, mais pas assez pour les libérer du système, de l'aide sociale qui les stigmatise, ce qui entraîne l'exclusion sociale de la famille, des parents et des enfants.

Nous avons parlé du modèle adopté à Calgary, où l'on construit des maisons, ce qui est bien, mais en fait, il ne s'agit pas d'un programme destiné à réduire la pauvreté et à aider les familles. Ce programme permet tout de même aux familles d'avoir un logement, ce qui est un début.

Vous avez parlé des modèles provinciaux au Canada. Je viens de la Nouvelle—Écosse et je suis heureuse de constater que l'on est en train d'entamer quelque chose; le document et le discours sont excellents, mais malheureusement, aucun financement n'est prévu dans le budget, ce qui est éloquent.

Y a-t-il de bons modèles au Canada? Vous en avez mentionné un en Norvège, où les parents qui se séparent reçoivent un incitatif financier durant un an — incitatif n'est peut-être pas le bon terme —, une aide financière afin qu'ils ne soient pas obligés de vendre tout de suite leur maison. Vous en parlez dans votre mémoire.

Y a-t-il de bons modèles que nous devrions examiner? Nos témoins de Calgary ont parlé de la première étape, qui est de discuter avec les gens d'affaires. Pour un programme national, avec qui devons-nous discuter?

Mme Caragata : Mme Torjman en connaît probablement plus que moi sur le sujet. L'un des problèmes auquel nous faisons face actuellement, au Canada, c'est que nous n'avons pas de modèle dont nous inspirer pour notre stratégie nationale. Nous avons des éléments individuels qui fonctionnent mieux que d'autres, mais c'est le mieux que nous avons. Permettez-moi de revenir sur un tout petit élément de la question, soit le fait que Terre-Neuve demeure la seule province canadienne qui offre la possibilité aux mères seules bénéficiaires de l'aide sociale d'aller au collège ou à l'université et d'obtenir ainsi la formation dont elles ont besoin pour ne plus dépendre de l'aide sociale. Auparavant, toutes les provinces offraient cette possibilité, mais elles ont éliminé ce programme les unes après les autres parce que selon leur opinion à courte vue, il y avait là double avantage, même si une dette étudiante qui s'accumule ne me semble pas être un avantage social énorme. Cela a eu une réelle incidence sur les gens.

Parmi les femmes que nous interrogeons tous les huit à douze mois à Terre-Neuve, il y en a maintenant six qui se sont inscrites à un programme menant à un diplôme qui va leur permettre d'obtenir un emploi. Quand elles travailleront, elles ne dépendront plus du système; pourtant, c'est le genre de mesure à long terme que nous ne semblons pas réussir à mettre en place. Il nous faut reconnaître que la pauvreté au Canada est une question de vulnérabilité, comme l'a dit le sénateur Dyck.

Nous devons commencer à considérer d'abord les femmes comme une population vulnérable, puis les femmes autochtones, les hommes et les femmes appartenant à une minorité visible qui sont de plus en plus vulnérables, « et cetera ». Il y a des cas de marginalisation et il nous faut entreprendre une réflexion sur la forme que devrait prendre le système afin de faire face au niveau élevé de pauvreté.

Étant donné qu'il considère la situation sous un angle plus large et qu'il est légèrement plus axé sur l'économie, le Canada ne fait pas tellement d'efforts sur le plan du développement des compétences ni des emplois à haute valeur ajoutée, c'est-à-dire les emplois de haut niveau que nous nous targuons d'offrir. Nous avons besoin d'une stratégie de développement des compétences combinée à une stratégie de réduction de la pauvreté afin de pouvoir former une main- d'œuvre de grande valeur qui aura la formation et la volonté nécessaires pour s'intégrer à la population active.

Mme Torjman : Je vous remercie de votre question. Je suis d'accord; il n'y a pas un seul endroit au pays que nous pouvons prendre comme modèle, malheureusement, mais nous pouvons mentionner des éléments importants et des pratiques exemplaires.

Par exemple, le programme de garderies du Québec est toujours considéré comme un modèle dont peut s'inspirer le reste du pays. Les centres de formation au rôle parental et de littératie de Toronto font de l'excellent travail pour les nouveaux Canadiens. Dans certaines communautés de Toronto, dont Regent Park, il y a des programmes comme Pathways to Education qui connaissent du succès, et nous devrions nous en inspirer. À l'Île-du-Prince-Édouard, on a retiré le soutien aux personnes handicapées du système d'aide sociale et on en a fait un programme transférable. Il y a également la Prestation fiscale canadienne pour enfants ainsi que d'autres programmes de prestations fondées sur un examen du revenu. Il y a du travail à faire, mais nous avons quelques éléments en place. Nous savons où nous pouvons trouver des méthodes efficaces et les points sur lesquels nous devons miser.

Cela dit, nous ne nous sommes pas penchés sur les moyens que prennent les communautés pour réduire la pauvreté et créer des projets communs en ce sens. Bien souvent, elles sont confrontées aux règles du gouvernement et au problème du financement, ce qui rend les choses très difficiles pour elles. Elles reçoivent une subvention pour un an seulement; elles ne peuvent en recevoir une à long terme. Elles obtiennent une subvention pour produire un rapport comme celui-ci plutôt que pour établir combien de personnes de plus on pourrait toucher, parce que ce sont des résultats considérés comme trop « intangibles » et non adéquats pour nos critères de financement. En fait, nous avons mis en place des obstacles qui empêchent certaines collectivités d'accomplir l'excellent travail qui est en cours ailleurs au pays. Elles sont aux prises avec les règles de financement, y compris les règles du gouvernement, qui les empêchent d'effectuer leur travail.

Nous avons écrit sur ce que nous appelons l'environnement propice, qui permettrait aux collectivités, de même qu'au gouvernement, de participer plus facilement à certaines de ces initiatives très importantes de réduction de la pauvreté.

Le président : Vous avez parlé de pratiques exemplaires, et je suis sûr que vous avez effectué une analyse sur certaines d'entre elles. Nous en connaissons quelques-unes, mais si vous aviez une liste, un catalogue ou quelque chose de ce genre, ce serait très utile.

Mme Torjman : Oui, nous allons nous en occuper.

Le président : Ce serait pratique.

Le sénateur Cordy : En ce qui concerne la formation — et cette remarque ne vise pas seulement le gouvernement, parce que peu importe de quel parti politique il s'agit — de grosses sommes d'argent ont été dépensées à mauvais escient pour la formation. En Nouvelle-Écosse, quand l'industrie de la pêche déclinait, des petites collectivités ont donné une formation en coiffure à 30 ou 40 personnes. C'était excellent pour la communauté, mais personne n'avait les moyens d'aller chez le coiffeur, et on n'avait pas besoin de 40 coiffeurs pour 400 personnes.

Comment allons-nous utiliser la formation? Il ne semble pas y avoir de programme adéquat. Le budget prévoit une somme substantielle pour la formation. C'est une bonne chose, mais comment allons-nous nous assurer que les fonds destinés à la formation sont utilisés à bon escient? Madame Caragata, vous avez parlé tout à l'heure d'une femme qui disait que le programme de formation des femmes dans les métiers non traditionnels avait été utile dans son cas. Toutefois, à certains égards, nous avons dit : « Les femmes ont accès à tout maintenant, alors nous n'avons pas besoin de ces programmes. »

Que devons-nous faire pour que l'argent soit dépensé de façon efficace pour la formation? Parce que ce n'est pas le cas en ce moment; l'argent sert à former des personnes pour des emplois à faible revenu ou qui ne seront jamais offerts. Quand les gens terminent la formation, ils n'ont aucune chance d'obtenir un emploi dans ce domaine.

Mme Caragata : Madame, je suis entièrement d'accord avec vous et je vous remercie d'avoir soulevé cette question. L'un des partenaires de notre projet de recherche intitulé Lone Mother's : Building Social Inclusion est le département des services sociaux de Toronto, le quatrième organisme de prestation d'aide sociale en importance au pays, qui dispose d'un énorme budget de formation qu'il utilise pleinement. À mon humble avis — et j'aimerais que mes partenaires soient ici afin qu'ils m'entendent dire cela, mais je le leur ai dit à maintes reprises —, c'est du gaspillage, car on donne une formation de préposé au service de soutien à la personne à des mères seules. Quel est l'horaire de travail des préposés au service de soutien à la personne? Bien souvent, ils travaillent en dehors des heures normales, ce que les mères seules sont dans l'impossibilité de faire, comme Mme Torjman l'a signalé, faute de services de garde, notamment. Dans mon mémoire, je crois que vous trouverez une citation à propos des personnes à qui on offre des cours « pas très sérieux ».

J'aimerais connaître le montant total de deniers publics consacrés à la formation de personnes pour des emplois qui ne vont ni contribuer à une stratégie nationale de développement des compétences, parce que je ne crois pas que nous en ayons une, ni contribuer, au niveau local, à ce que ces personnes demeurent sur le marché du travail. Ces deux choses sont essentielles. Nous avons besoin d'une stratégie nationale de développement des compétences et d'une vision précise en tant que pays de ce sur quoi nous voulons miser sur le marché du travail; ensuite, nous devrons mettre cela en pratique.

Quant au rôle que tiennent les femmes sur le marché du travail, on constate qu'actuellement, le pourcentage de femmes qui travaillent principalement dans les professions à prédominance féminine est équivalent à celui des années 1950. Nous savons que ce sont des emplois à faible revenu dans les secteurs de l'éducation et des soins de santé. Nous formons des femmes pour des emplois de préposés aux services de soutien à la personne. Vous soulevez une question très importante.

Mme Torjman : Une partie du travail que nous avons accompli dans le domaine de la formation porte sur la formation personnalisée, car nous cherchons à offrir des formations axées sur les secteurs en demande. C'est une stratégie très locale, et nous avons expliqué que cela fonctionne, selon l'excellent travail qui est en cours diverses collectivités du pays, c'est-à-dire que nous déterminons quels sont les besoins liés au marché dans les collectivités puis que nous offrons une formation personnalisée en fonction de ces besoins; c'est un premier élément.

Le deuxième concerne les secteurs où il y aura bientôt et où il y a actuellement une pénurie de main-d'œuvre. Les emplois d'infirmier et d'électricien en sont un exemple, comme bien des emplois d'apprentis et dans les métiers spécialisés. Nous savons que la pénurie ne fait que commencer.

Nous savons également dans quel secteur il y a pénurie parce que lorsque nous offrons la possibilité aux gens d'autres pays d'immigrer au Canada, nous avons une liste de postes pour lesquels il manque une main-d'œuvre qualifiée. Nous pouvons nous servir de ces indications pour déterminer les secteurs dans lesquels nous devons offrir de la formation.

Le troisième secteur dans lequel nous devons offrir de la formation de façon intelligente est celui des secteurs de pointe que sont la biotechnologie et les nouvelles technologies. Nous savons que si nous voulons affronter efficacement la concurrence dans une économie du savoir, nous devons offrir de la formation dans ces domaines. Il est très difficile, en fait, d'obtenir de la formation dans certains de ces secteurs de pointe. Il y a quelques années, un collège local a annulé un programme en biotechnologie parce qu'il n'y avait pas assez d'inscriptions. Toutefois, c'est un tout nouveau secteur. Il y aura toujours de la formation dans ce domaine parce que la biotechnologie est en plein essor. Par conséquent, dans une certaine mesure, nous devons rendre cette formation accessible et constituer l'effectif étudiant, la clientèle. Notre investissement sera peut-être déficitaire au départ, mais nous devons cibler les secteurs dans lesquels nous pourrons être compétitifs dans une économie du savoir et investir dans la formation.

Ce sont les trois piliers de la formation que nous devons mettre en place.

Le président : Pour revenir à la question du sans-abrisme — et je suis déçu que M. Gibbins ne soit plus avec nous —, je me suis rendu à Calgary, il y a quelques semaines, pour assister à une conférence nationale sur le sans-abrisme où j'en ai appris un peu plus sur le programme de Calgary. Il y a des programmes décennaux qui voient le jour, pas juste ici au Canada, mais aussi aux États-Unis, et la plupart semblent fondés sur le modèle créé par Philip Mangano aux États- Unis, bien que les gens de Calgary m'aient indiqué qu'ils avaient pris le leur au Royaume-Uni. Peu importe.

Il y a deux aspects que je trouve intéressants et avantageux. On a effectué des analyses de rentabilisation qui permettent de voir ce qu'il en coûte au système quand une personne sans-abri se rend continuellement à l'urgence d'un hôpital, a des démêlés avec la justice, est impliquée dans un incident nécessitant une intervention policière, « et cetera ». On a établi des statistiques et déterminé qu'il en coûterait probablement moins cher de loger un sans-abri dans un condo de luxe. Ce n'est pas ce que je propose, mais je dis seulement que d'effectuer une analyse de rentabilisation aide à convaincre la collectivité.

Cela aide aussi à convaincre le milieu des affaires, de toute évidence, puisque les gens d'affaires se sont impliqués à Calgary. Certaines personnes peuvent se demander si cela va vraiment fonctionner. Beaucoup de gens d'affaires vont présenter leurs concepts de discipline financière ainsi que l'argument qu'il nous faut atteindre des cibles, et l'élimination du sans-abrisme en dix ans est une cible très importante. S'ils croient en l'analyse de rentabilisation et font un effort pour s'investir avec d'autres membres de la collectivité — pas juste des gens d'affaires, mais toutes sortes de gens de la collectivité — cela semble avoir un certain mérite.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez du programme mis en place à Calgary, qui, comme je l'ai dit, semble fondé sur la formule Mangano?

Mme Torjman : C'est fantastique, et c'est ce que nous devrions faire. Les différents ordres de gouvernement et la collectivité devraient participer à toute initiative visant à réduire la pauvreté. Nous ne parlons pas seulement d'une approche gouvernementale, que ce soit fédérale, provinciale ou même municipale; nous parlons de ce que chaque secteur peut faire, tant individuellement que collectivement. Le modèle de Calgary est fantastique. C'est un exemple de ce qu'une collectivité peut accomplir pour résoudre un problème complexe en prenant l'un de ces éléments et en y travaillant intensivement.

À notre avis, il nous faut toute une série d'initiatives à différents niveaux. Dans la plupart de nos travaux, nous avons déterminé ce que les collectivités du pays accomplissent dans leur région respective. Dans certains cas, elles s'occupent du logement; dans d'autres, elles s'occupent des chefs de familles monoparentales et tentent de trouver des solutions avec eux. D'autres collectivités ont des objectifs en ce qui a trait à l'éducation. Dans d'autres régions, on a choisi de se consacrer à la prévention du crime. Nous avons observé beaucoup de stratégies. Par exemple, j'ai apporté le livre intitulé Shared space : The Communities Agenda, qui traite de la façon dont les collectivités s'impliquent en regroupant divers secteurs et en élaborant des plans d'action complets. Elles ne peuvent pas tout faire seules; elles ont besoin d'un investissement dans les infrastructures sociales et d'une sécurité du revenu adéquate, parce que tous leurs efforts ne peuvent pas remplacer les investissements publics fondamentaux.

Dans ce livre et dans un rapport intitulé Community Roles in Policy, j'ai beaucoup écrit au sujet de l'analyse de rentabilisation et de la collecte de données dans une section du rapport qui traite de la façon d'obtenir des données et de bâtir le dossier pour convaincre les gens que cela en vaut la peine, que c'est une vision importante, que nous devons contribuer à cet effort et travailler ensemble pour venir à bout de ce problème. C'est en fait une partie essentielle du tableau d'ensemble que vous brossez, et je vous remercie de l'avoir souligné.

Le président : Quel est l'état du financement pour l'initiative des Collectivités dynamiques?

Mme Torjman : Elle est financée par diverses sources. Le projet des Collectivités dynamiques, pour ceux qui ne le connaissent pas, est une initiative pancanadienne de réduction de la pauvreté au sein de laquelle 15 villes se sont regroupées dans un partenariat d'apprentissage pour tenter de trouver des solutions à la pauvreté à l'échelle locale. Chaque ville a ses projets à elle, mais elles apprennent ensemble.

Ce sont principalement les fondations privées, notamment la Fondation de la famille J. W. McConnell et la Fondation Maytree, à Toronto, qui ont assumé et assument toujours le financement de ce projet. D'autres sources de financement, y compris le gouvernement fédéral, se sont ajoutées plus tard, mais elles n'étaient pas la principale source de fonds. En fait, les responsables du projet ne voulaient pas, au départ, que le gouvernement soit le principal bailleur de fonds et ils ont pris la décision explicite de ne pas frapper à la porte du gouvernement en raison des règles et des procédures, dont j'ai déjà parlé, qui leur lieraient assurément les mains et les empêcheraient de respecter leurs principes.

Le président : Leurs investissements et leurs fondations essuient-ils les contrecoups de la récession?

Mme Torjman : Chaque collectivité éprouve des difficultés. Elles doivent investir des fonds de contrepartie. Cela fait partie de l'entente; si elles participent, elles doivent dégager des fonds. Elles sont touchées par les problèmes auxquels fait face le secteur bénévole, en général, qui rend difficile pour Centraide et les fondations communautaires de recueillir des fonds et de les distribuer à l'échelle locale.

Mme Caragata : Parlons un peu de la perspective à long terme, en particulier du projet d'éliminer le sans-abrisme à Calgary en 10 ans. C'est une stratégie à long terme. Dans l'histoire canadienne, et je suis sûre que vous le savez, la plupart de nos grandes réussites, celles qui ont contribué à bâtir notre pays, sont le résultat d'une planification à long terme.

En 1968, par exemple, la Suède a décidé d'éliminer le sans-abrisme et d'élaborer un plan d'action national de 10 ans pour construire un million de logements, ce qu'elle a réussi à faire.

Nous avons tendance à négliger la planification à long terme, en ce sens que nous faisons des changements limités que nous pouvons réaliser tout de suite, mais nous n'établissons pas de consensus national sur un objectif à long terme. Si nous voulons nous attaquer au problème du logement social et de la pauvreté, nous devrons vraiment établir un consensus national.

Comme j'ai travaillé durant 20 ans dans le domaine du développement communautaire de première ligne à construire des logements sociaux avant de devenir professeur d'université, je suis entièrement d'accord pour dire que l'on doit faire participer les collectivités. Toutefois, il nous faut entamer un discours public pour dire que nous pouvons faire quelque chose et que c'est dans notre intérêt. C'est là qu'entre en jeu l'analyse de rentabilisation, car c'est dans notre propre intérêt. Il suffit de faire le calcul.

Le président : Je vous remercie beaucoup d'avoir participé à cette discussion. À mon avis, vous nous avez très bien montré, comme d'autres l'ont fait avant vous, que le système est défaillant. La question est de savoir comment nous nous y prendrons pour le réparer.

Vous nous avez donné matière à réflexion. Il nous faut repenser notre système; nous allons tenter de trouver une solution et d'établir un consensus.

(La séance est levée.)


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