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Sous-comité sur les villes

 

Délibérations du Sous-comité sur les villes

Fascicule 2 - Témoignages du 22 avril 2009


OTTAWA, le mercredi 22 avril 2009

Le Sous-comité sur les villes se réunit aujourd'hui, à 16 h 30, pour examiner, afin d'en faire rapport, des enjeux sociaux d'actualité des grandes villes canadiennes.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Sous-comité sur les villes. Trois sénateurs sont ici, mais il y a cinq sénateurs au sein de notre comité. Les autres se joindront à nous sous peu.

[Français]

Bienvenue au sous-comité sur les villes. Nous étudions aujourd'hui les relations entre l'éducation et la pauvreté dans les grandes villes canadiennes.

[Traduction]

Plusieurs témoins nous aideront à comprendre la relation entre pauvreté et éducation. Nous accueillons aujourd'hui Andrew Sharpe, directeur exécutif du Centre d'étude des niveaux de vie. Nous entendrons également, par vidéoconférence depuis l'Université de l'Alberta, Alison Taylor, professeure à la Faculté d'éducation, et Harvey Krahn, professeur de sociologie. Nous accueillons également, de l'Université Simon Fraser, Olena Hankivsky, professeure agrégée et codirectrice du Programme de politique publique et, de ma vile natale, David Hughes, président et chef de la direction de Passeport pour ma réussite. Bienvenue à vous tous, et merci de vous être présentés et de nous aider dans notre étude des enjeux liés à la pauvreté, au logement et à l'itinérance dans les grandes villes canadiennes.

Nous allons entendre les témoins dans l'ordre où ils figurent sur la liste, à moins que quelqu'un ait une autre suggestion. Nous allons commencer avec Andre Sharpe, du Centre d'étude des niveaux de vie. Tâchez de vous en tenir à des exposés de cinq à sept minutes. Il est déjà tard, et nous avons quelques contraintes de temps puisque nos amis d'Edmonton doivent quitter à 18 heures et les interprètes doivent quitter peu après. Par conséquent, nous allons tenter de parachever nos travaux en 90 minutes, d'ici 18 heures. Nous allons donc devoir accélérer le processus.

Le sénateur Segal et le sénateur Dyck viennent de se joindre à nous. Tous les membres du comité sont présents, et nous sommes prêts à commencer.

Andrew Sharpe, directeur exécutif, Centre d'étude des niveaux de vie : Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui, et je le félicite de s'intéresser à l'éducation. Selon moi, l'éducation est la clé d'une vie réussie et d'une société saine.

Je veux aborder quatre sujets principaux. Je veux d'abord examiner la voie qui mène d'un faible niveau de scolarité à la pauvreté en passant par le marché du travail. Je veux ensuite parler de l'incidence qu'a l'éducation non pas sur le revenu, mais sur la qualité de vie. Par la suite, j'aimerais me pencher sur une question qui nous intéresse particulièrement et sur laquelle nous menons de nombreuses recherches, à savoir l'éducation des Autochtones, et les répercussions sur la société de l'amélioration de l'éducation des Autochtones. Enfin, je parlerai de la récession et de ses conséquences sur la pauvreté au pays.

En premier lieu, je veux examiner la voie qui mène d'un faible niveau de scolarité à la pauvreté et celle qui mène des études supérieures à la non-pauvreté. Comme vous le savez, il existe une abondante documentation sur le sujet. Je souligne qu'il y a effectivement une relation étroite entre la santé et le niveau de scolarité. Essentiellement, une proportion de 22 p. 100 des personnes qui n'ont pas fait d'études secondaires sont en mauvaise santé, comparativement à 7 p. 100 des personnes qui fréquentent l'université. Par ailleurs, les deux tiers des personnes qui ont obtenu un diplôme universitaire sont en excellente santé, comparativement à seulement 43 p. 100 des personnes qui n'ont pas terminé leurs études secondaires.

Un lien de cause à effet peut être établi entre éducation et santé : si vous avez un niveau élevé de scolarité, vous pouvez utiliser efficacement les médicaments et mener un meilleur style de vie. Bien sûr, une bonne santé aura une incidence positive sur votre revenu, dans la mesure où vous aurez plus de facilité à décrocher un emploi, à travailler pendant un plus grand nombre d'heures, et ainsi de suite. Il s'agit d'une trajectoire : un faible niveau d'éducation, une mauvaise santé et un revenu peu élevé.

En outre, le rendement sur le marché du travail se ressent d'un niveau de scolarité peu élevé. Le taux d'activité sur le marché du travail des personnes qui n'ont pas terminé d'études secondaires est de 53 p. 100 inférieur à celui des personnes qui détiennent un diplôme universitaire. Le taux d'emploi des personnes qui n'ont pas obtenu de diplômes d'études secondaires est de 50 p. 100 inférieur à celui des personnes qui ont fait des études universitaires. Le taux de chômage des personnes qui n'ont pas fait d'études secondaires est deux fois et demi plus élevé que celui des personnes qui ont fait des études supérieures. Là encore, il s'agit d'un lien très solide.

Il en va de même pour ce qui est des salaires : le salaire des personnes qui n'ont pas terminé une 9e année est de 47 p. 100 inférieur à celui des personnes qui ont obtenu un diplôme universitaire. De surcroît, le salaire des personnes qui ont décroché un diplôme d'études secondaires est inférieur du tiers à celui des diplômés universitaires. Tous ces facteurs se traduisent par des revenus encore plus bas pour les personnes dont le niveau de scolarité est bas.

En ce qui concerne le groupe des 25-34 ans, le salaire des personnes qui ont terminé des études universitaires est de 60 p. 100 plus élevé que celui des personnes qui n'ont pas fait d'études secondaires, et les choses s'empirent par la suite. Chez les 45-54 ans, le salaire des diplômés universitaires est de 56 p. 100 supérieur à celui des personnes qui n'ont pas fait d'études secondaires.

Encore une fois, il existe un lien solide entre un faible niveau d'éducation et un faible niveau d'activité sur le marché du travail, ce qui se traduit par un salaire inférieur et donc par un taux de pauvreté plus élevé. Il y a une relation étroite entre le niveau de scolarité et le taux de pauvreté.

Je passe maintenant à un autre sujet : la relation entre le niveau de scolarité et la pauvreté va au-delà d'une simple question de revenu. L'instruction a de nombreux effets positifs sur d'autres aspects que le revenu. Par exemple, les personnes qui ont un niveau de scolarité élevé sont mieux capables de gérer les finances de leur ménage. Leur niveau de satisfaction quant à leur emploi est plus élevé. On peut également déceler des effets positifs sur la vie publique : les personnes qui ont un niveau de scolarité élevé votent davantage, commettent moins d'actes criminels et font plus de bénévolat. Il s'agit d'aspects très positifs.

En ce qui concerne les Autochtones et l'éducation, le Centre d'étude des niveaux de vie publiera le mois prochain une étude intitulée The Effect of Increasing Aboriginal Educational Attainment on the Labour Force Output and the Fiscal Balance. Il s'agit d'une étude que nous avons menée pour le compte d'Affaires indiennes et du Nord Canada. Nous avons examiné les retombées qu'entraînerait l'élimination de l'écart entre le niveau de scolarité et le taux d'activité des Autochtones et ceux des non-Autochtones d'ici 2026. En fait, nous avons seulement éliminé l'écart qui existait en 2001. Par conséquent, il ne s'agit pas du véritable écart, mais de celui qui existait en 2001. En 2026, si nous parvenons à éliminer cet écart, pour l'essentiel, le PIB du Canada augmenterait de 37 milliards de dollars. Pour l'ensemble de la période visée par notre étude, l'augmentation cumulative du PIB du Canada s'élèverait à plus de 400 milliards de dollars. Là encore, les revenus fiscaux augmenteraient de façon importante — une augmentation cumulative de 64 milliards de dollars environ — et les dépenses du gouvernement en matière de bien-être social, de lutte contre la criminalité et d'aide au logement diminueraient d'environ 140 milliards de dollars. La réduction de l'écart entre le niveau de scolarité des Autochtones et celui des non-Autochtones aurait donc des effets extrêmement positifs.

Enfin, je veux aborder la question de la récession. Il existe un lien étroit entre pauvreté et chômage. Nous avons pu le constater au début des années 1990, lorsque le taux de chômage a augmenté de quatre points de pourcentage, et que le taux de pauvreté a augmenté d'autant. Malheureusement, le même phénomène se répète aujourd'hui. En 2008, le taux de chômage s'élevait à 6 p. 100. Comme la plupart des économistes, je m'attends à ce que le taux de chômage s'élève à 10 p. 100 d'ici 2010, ce qui représente une augmentation de quatre points de pourcentage. Il s'agit d'une augmentation sans précédent.

Quelles seront les conséquences sur le taux de pauvreté? Les données sur la pauvreté nous parviennent très en retard. En mai, Statistique Canada annoncera une baisse du taux de pauvreté, mais il s'agira du taux de pauvreté pour 2007, il y a presque un an et demi. Même le taux de pauvreté de 2008, que nous ne connaîtrons pas avant au moins un an, n'aura pas augmenté de manière radicale. Il faudra attendre la publication des taux pour 2009 et 2010 pour constater une augmentation majeure, mais cela prendra un certain temps. Pour ma part, je prévois une augmentation du taux de pauvreté de quatre points de pourcentage.

La baisse du taux de pauvreté sera beaucoup moins rapide que son augmentation. Il faudra attendre jusqu'à 2015 avant de revenir au taux de pauvreté actuel. Par conséquent, en raison de la crise économique que nous traversons en ce moment, le Canada connaîtra sept années de pauvreté.

Nous devons absolument prendre des mesures pour atténuer les répercussions négatives de la crise économique sur les Canadiens. Bien sûr, une mesure clé consisterait à soutenir le régime d'assurance-emploi en augmentant les taux de prestations. Je vais m'arrêter ici, en espérant ne pas avoir dépassé le temps qui nous était alloué.

Le président : Non, vous n'avez pas dépassé le temps prévu. Votre exposé renfermait un grand nombre de renseignements utiles, monsieur Sharpe. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant entendre nos deux collaborateurs qui se trouvent à Edmonton. Nous avons sous les yeux les diapos qui, je ne m'abuse, constituent le fondement de votre exposé. Je vous cède la parole à tous les deux.

Alison Taylor, professeure, Faculté d'éducation, Université de l'Alberta : Comme nous manquons de temps, nous n'examinerons pas toutes les diapos. Nous tenions à commencer en vous disant que nous avons examiné les documents que vous nous avez remis et qui portent sur l'étude menée par votre sous-comité sur le lien entre éducation et pauvreté. Nous sommes conscients du fait que le niveau de scolarité des étudiants continue d'être lié au statut socio-économique de leur famille.

Nous sommes aussi conscients du fait que, dans la situation économique actuelle, les personnes qui n'ont pas fait d'études postsecondaires, ou en ont fait seulement de façon partielle, sont plus à risque, et que les personnes qui proviennent d'une famille à faible revenu vivant dans la pauvreté ont un risque plus élevé de toucher ultérieurement un faible revenu et de vivre dans la pauvreté. L'une des questions que nous nous sommes posées concerne l'influence des écoles sur la perpétuation de l'inégalité d'une génération à l'autre. Cette influence est-elle favorable, défavorable, ou neutre?

L'une des politiques en matière d'éducation auxquelles nous nous sommes intéressés était la répartition selon les filières d'orientation. Nous allons simplement expliquer en quoi cela consiste, car je ne suis pas certain que tout le monde en a déjà entendu parler. Il s'agit d'une pratique utilisée plus particulièrement dans les cours de niveau secondaire, par exemple dans les cours obligatoires. Ainsi, dans une école, vous pourriez retrouver des cours de différents niveaux en mathématiques, en anglais, en sciences et ainsi de suite.

La répartition selon les filières d'orientation peut également s'appliquer aux cours optionnels. Les élèves suivent-ils des cours de langue seconde? Penchent-ils davantage vers les cours axés sur la technologie? Il semble toujours y avoir un clivage dans les écoles entre les élèves qui poursuivront des études et ceux qui opteront pour une formation professionnelle.

Il y a les options en matière de cours obligatoires, puis il y a les programmes. Par exemple, en Alberta, et, à présent, dans de nombreuses provinces, les élèves peuvent s'inscrire à un programme d'apprentissage enregistré et suivent une partie de leur formation pendant qu'ils fréquentent l'école ou alors suivent un programme de baccalauréat international. C'est le genre de programmes auxquels les élèves sont susceptibles de s'inscrire.

Puis, il y a les écoles. En Alberta, plus particulièrement à Edmonton, nous avons un bon nombre d'écoles spécialisées, en plus des écoles privées et du réseau d'écoles publiques c'est-à-dire les écoles catholiques et financées par l'État. Globalement, la répartition selon les filières d'orientation est pratiquée. Nous avons examiné les données de l'Enquête auprès des jeunes en transition et, compte tenu des limites de cette enquête, nous avons seulement pu examiner la répartition selon les filières d'orientation dans le cadre des cours obligatoires. Toutefois, les résultats obtenus dans le cadre des cours obligatoires donnent une bonne indication de la capacité des élèves de répondre aux conditions préalables à l'admission aux études postsecondaires.

Puisque nous manquons de temps, avant que M. Krahn n'aborde la question de nos données empiriques, je veux parler des diverses opinions qui circulent à propos de la répartition selon les filières d'orientation. Il existe des arguments en faveur de cette pratique. Sans aucun doute, les enseignants peuvent faire partie des partisans d'une telle répartition, dans la mesure où ils estiment que le fait d'avoir différents groupes d'étudiants leur permet de mieux s'adapter aux différences entre les élèves. Les partisans affirment que les élèves apprennent mieux et acquièrent des attitudes plus positives lorsqu'ils sont regroupés avec des élèves du même calibre qu'eux. En revanche — et c'est là que le bât blesse —, la répartition des élèves dans les diverses filières met en évidence les inégalités au chapitre du statut socio-économique. Les études antérieures fournissent également des données relatives à la distribution selon la race et l'origine ethnique. En effet, les personnes appartenant à un groupe minoritaire sont surreprésentées dans les filières de niveau inférieur, et ainsi de suite.

Certaines questions portent également sur la question de savoir si l'estime que les élèves ont d'eux-mêmes est la même dans toutes les filières. Par exemple, le sort réservé aux élèves des filières de niveau inférieur est-il aussi valable que celui des élèves des filières de niveau supérieur? C'est le genre de préoccupations qui nous ont incités à mener notre recherche. Je vais laisser M. Krahn vous parler de nos constatations empiriques.

Harvey Krahn, professeur de sociologie, Université de l'Alberta : Je vais commencer par parler de la diapo intitulée « méthode de recherche », qui se trouve à la quatrième page du document que nous vous avons fourni. Les données que nous avons analysées sont tirées d'une étude d'envergure et merveilleusement bien conçue de Statistique Canada intitulée Enquête auprès des jeunes en transition. Cette étude comportait un sondage mené auprès de 25 000 élèves de 15 ans de toutes les régions du pays, qui ont été appelés à remplir des questionnaires en classe en 2000. Ces élèves ont fourni des renseignements à propos de leurs plus récents cours de mathématiques, de sciences et d'anglais. Il s'agit, en général, des cours dont on se sert pour déterminer qui poursuivra des études supérieures.

Essentiellement, dans le cadre de notre étude, la répartition selon les filières d'orientation consistait à établir une distinction entre les élèves dont toutes les options d'études postsecondaires sont ouvertes — c'est-à-dire qu'ils peuvent aussi bien fréquenter une école de métiers que l'université puisqu'ils ont suivi la bonne combinaison de cours d'anglais, de sciences et de mathématiques — et ceux dont les options sont restreintes puisque le niveau des cours d'anglais, de sciences et de mathématiques qu'ils ont suivis était moins élevé. En fin de compte, notre analyse a porté sur les données de quatre provinces, à savoir l'Ontario, la Saskatchewan, l'Alberta et la Colombie-Britannique, parce qu'il nous a semblé que les élèves provenant de ces provinces comprenaient très bien le programme qu'ils suivaient. Dans d'autres provinces, le programme était en train d'être modifié, ce qui laissait planer des incertitudes.

Je vais vous présenter rapidement quelques points clés de notre enquête. Tout d'abord, nous avons constaté, en ce qui concerne les cours de cheminement, que le cours d'anglais était suivi par le plus grand nombre d'élèves, et les mathématiques, par le plus petit nombre d'élèves. Les cours de mathématiques de niveau élevé requis pour être admis à l'université sont ceux qui sont le moins souvent suivis. Les cours de mathématiques constituent donc le principal critère de sélection pour l'admission à l'université, suivi par les cours de sciences.

Ensuite, nous avons constaté l'existence de différences provinciales importantes dans la proportion d'élèves dont toutes les options d'études postsecondaires sont ouvertes, c'est-à-dire les élèves qui n'ont pas été confinés à une filière donnée. Par exemple, en Saskatchewan, à peu près 90 p. 100 des élèves de 15 ans de 10e année continuaient de suivre tous le cours prérequis pour être admis à l'université; en Alberta, cette proportion était de 59 p. 100, et en Ontario et en Colombie-Britannique, elle était un peu plus élevée qu'en Alberta. Ces différences notables entre les provinces témoignent véritablement des différences sur le plan des systèmes scolaires et des programmes d'études.

Nous avons découvert que les antécédents familiaux constituaient un critère très important permettant de prévoir quels élèves feraient partie du groupe dont les options demeurent ouvertes. Par exemple, comme vous pouvez le voir à la diapo 13, en Ontario, 87 p. 100 des élèves qui proviennent d'une famille dont au moins un des deux parents possède un diplôme universitaire disposent de toutes les options. Cette proportion descend à 57 p. 100 pour un élève qui provient d'une famille dont aucun des deux parents n'a obtenu un diplôme universitaire.

Comme on peut le voir à la diapo suivante, le scénario se répète pour ce qui est du revenu. Cette fois-ci, pour prendre un exemple différent, je vais parler de l'Alberta. La proportion des élèves dont toutes les options étaient ouvertes n'était que de 50 p. 100 chez ceux qui provenaient d'une famille dont le revenu était de moins de 30 000 $, comparativement à 68 p. 100 pour ceux provenant d'une famille de la tranche de revenu supérieur. Comme je le dis souvent à mes étudiants, prenez soin de bien choisir vos parents. Toutefois, les choses ne se passent pas vraiment comme cela. Là où je veux en venir, c'est que les antécédents familiaux ont de l'importance. Le niveau d'éducation et le revenu sont des indicateurs du statut socio-économique. Si vous provenez d'une famille plus pauvre et moins scolarisée, vous avez moins de chance d'avoir choisi, au niveau secondaire, les cours qui vous permettront d'acquérir le niveau de scolarité nécessaire pour échapper à la pauvreté dont M. Sharpe nous a parlé.

Nous avons fait quelques découvertes intéressantes, notamment le fait que les immigrants âgés de 15 ans étaient, dans une certaine mesure, plus susceptibles de disposer d'options ouvertes. Leurs parents les encourageaient à suivre des cours offrant un plus grand nombre d'options. Les parents appartenant à une minorité visible agissaient d'eux- mêmes. On se serait attendu à ce que les parents immigrants et ceux appartenant à une minorité visible soient plus désavantagés, mais en fait, leurs enfants étaient légèrement plus susceptibles de disposer d'options ouvertes.

Par contre, je tiens à vous avertir du fait que nous avons été incapables de faire une distinction entre les personnes qui ont immigré à titre de réfugiés et les immigrants admis dans la catégorie économique. Si cela avait été possible, nous aurions constaté une grande différence. Une différence semblable pourrait aussi être constatée entre les immigrants de première génération et ceux de deuxième génération.

En résumé, nous savons que la plupart des immigrants vivent dans les grandes villes, où les écoles sont plus grosses et offrent davantage d'options. Nous savons que les parents immigrants sont plus scolarisés que les parents non immigrants, mais qu'ils gagnent moins d'argent. Nous savons que les systèmes scolaires provinciaux sont très différents. En tant que spécialiste en sciences sociales, je me vois contraint d'analyser mes statistiques de façon un peu plus subtile. Dans un modèle de régression logistique — je vous épargne les détails — la colonne du milieu nous indique le « rapport de cotes ». Voici une très brève leçon de statistiques : si le rapport de cotes est inférieur à un, cela signifie que le groupe est moins susceptible de disposer d'options ouvertes; si le rapport de cotes est supérieur à un, cela signifie que le groupe est plus susceptible de disposer d'options ouvertes.

Pour mettre fin à cet étalage de statistiques, je mentionne qu'il y a de grandes différences entre les provinces. En Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario, toutes choses étant égales par ailleurs, les élèves sont moins susceptibles de disposer d'options ouvertes que les élèves de la Saskatchewan.

Ainsi, à la lumière de ce qui précède, les antécédents familiaux, le niveau de scolarité des parents et le revenu familial constituent les indicateurs les plus importants et les plus solides qui nous permettent de prédire qui sera confiné à une filière. Là encore, je le répète, choisissez judicieusement vos parents, car si vous provenez d'une famille mieux nantie, vous êtes plus susceptible de ne pas être confiné à une filière vous limitant aux études secondaires, ce qui vous permettra de poursuivre des études postsecondaires et d'échapper à la pauvreté, qui est le sujet de notre discussion d'aujourd'hui.

À l'heure actuelle, Mme Taylor et moi prévoyons poursuivre notre étude en nous penchant sur la question très importante de savoir ce qu'il advient de ces jeunes de 15 ans, que Statistique Canada a de nouveau interrogés. Nous examinerons incessamment ces données pour savoir si, dans les faits, les antécédents dont j'ai parlé ont ouvert ou fermé des portes aux élèves de ce groupe.

Le président : Merci beaucoup. Je ne suis pas étonné par les résultats auxquels vous êtes arrivé, mais les statistiques dont vous vous êtes servi sont très intéressantes et donnent à réfléchir. Nous sommes heureux que vous participiez à notre discussion.

Revenons aux intervenants qui se trouvent ici, à notre table. Nous allons passer à Mme Hankivsky, professeure agrégée au sein du Programme de politique publique de l'Université Simon Fraser.

Olena Hankivsky, professeure agrégée, codirectrice du Programme de politique publique, Université Simon Fraser : Merci beaucoup de votre invitation. Selon moi, vous serez en mesure de constater que mon exposé d'aujourd'hui permettra de mettre quelques chiffres sur les renseignements fournis plus tôt par M. Sharpe.

Il est généralement admis qu'une scolarité satisfaisante comprend, au minimum, un diplôme d'études secondaires. J'ose avancer que très peu de personnes prennent véritablement conscience de la mesure dans laquelle un faible niveau de revenu a des répercussions négatives sur la société. Toutefois, aujourd'hui plus que jamais, nous commençons à comprendre le lien qui existe entre l'éducation et divers phénomènes sociaux. Nous ne nous contentons plus d'évoquer des liens solides — nous établissons des liens de cause à effet, ce qui rend la recherche dans ce domaine beaucoup plus dynamique.

Dans le cadre de notre étude, nous avons examiné les conséquences économiques de l'abandon des études secondaires au Canada. Directement ou indirectement, l'abandon des études secondaires a des répercussions financières énormes puisqu'il entraîne des dépenses liées à la santé, aux programmes et services sociaux, à l'éducation, à l'employabilité, à la criminalité et à la faible productivité économique. Le niveau de scolarité est l'un des plus importants déterminants des chances d'épanouissement.

L'objectif du projet, financé par le Conseil canadien sur l'apprentissage, était de présenter un portrait des coûts — pour l'État et les particuliers — liés à l'abandon des études secondaires. Nous avons eu recours à une méthodologie utilisée aux États-Unis, à l'école normale de l'Université Columbia. Nous avons puisé dans de nombreuses sources de données du Canada, à l'échelle tant nationale que provinciale. Pour mener à bien cette recherche, nous avons examiné les données du recensement et d'autres types d'études.

Je tiens à souligner que les chiffres que nous présentons sont des sous-estimations prudentes, étant donné que les données de l'ensemble des secteurs stratégiques sont incomplètes et que la recherche canadienne sur les effets de l'éducation en est au stade embryonnaire, si on la compare à ce qui se fait aux États-Unis.

Avant de présenter les résultats, je veux mentionner que les Canadiens tiennent souvent pour acquis que le taux d'achèvement des études secondaires au Canada est assez élevé en comparaison avec celui des autres pays de l'OCDE. À l'heure actuelle, ce taux s'élève à 84 p. 100. Les conclusions de notre étude montrent que nous devons poursuivre nos efforts en ce sens et que nous devons investir beaucoup plus d'argent dans le secteur de l'éducation. Il est encore plus important d'examiner attentivement les sous-populations les plus susceptibles de décrocher.

Au Canada, les facteurs de risque du décrochage sont liés, comme nous l'avons entendu plus tôt au statut socio- économique, à la structure familiale, au type d'école, à l'emplacement géographique, au fait d'occuper un emploi trop exigeant pendant la poursuite des études et à des variables psychologiques comme la faible estime de soi et les comportements agressifs.

Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes penchés sur un certain nombre de secteurs comme la santé, l'aide sociale, la criminalité, la main-d'œuvre et l'emploi, l'éducation et la recherche. Puisque vous avez le tableau des résultats sous les yeux, je vais simplement attirer votre attention sur certains d'entre eux. Je tiens à ce que vous gardiez présent à l'esprit que ces chiffres sont des estimations prudentes.

Dans le secteur de la santé, chaque personne qui n'a pas terminé ses études secondaires coûte annuellement 8 000 $ à l'État. Sur le plan de l'aide sociale, ce coût s'élève à 4 000 $ par année, et pour ce qui est de la criminalité, à 200 $ par année. Dans le secteur de la main-d'œuvre et de l'emploi, il existe une kyrielle de coûts substantiels. Les coûts annuels liés à la perte de revenu se situent tout juste sous la barre des 3 500 $, les recettes fiscales perdues s'élèvent à plus de 200 $, les recettes d'assurance-emploi perdues sont inférieures à 100 $, et les coûts d'assurance-emploi, à un peu plus de 2 700 $.

L'importance du problème devient évidente lorsqu'on examine les coûts totaux et les coûts pendant toute une vie. Pour toute personne qui ne termine pas ses études secondaires, les coûts de santé pendant toute une vie s'élèveront à plus de 211 000 $. Au chapitre de la perte de revenu, le coût s'élève à un plus de 100 000 $. Les recettes fiscales perdues sont supérieures à 6 000 $, et les recettes d'assurance-emploi perdues s'élèvent à plus de 2 000 $. Si l'on pense au nombre de décrocheurs canadiens, les coûts totaux sont vertigineux. Simplement pour donner quelques exemples, dans le secteur de la santé, les coûts annuels s'élèvent à 23,8 milliards de dollars, dans le secteur de l'aide sociale, à 969 millions de dollars, et dans le secteur de l'assurance-emploi, à plus de un milliard de dollars. Comme nous pouvons le constater, il s'agit donc de coûts importants.

Je tiens également à souligner que ces coûts ne comprennent pas les coûts ni les effets incorporels qui découlent de l'inachèvement des études secondaires, par exemple les coûts liés à la douleur, à la souffrance ou à une qualité de vie amoindrie. Selon certains économistes, ces coûts incorporels représentent une proportion de 50 p. 100 des coûts corporels que je viens de mentionner.

Ces constatations sont importantes dans la mesure où elles nous donnent un aperçu des prévisions les plus précises et les plus récentes en ce qui concerne la situation canadienne. Elles mettent en évidence les répercussions négatives d'un faible niveau de scolarité sur la situation économique et sociale du pays, et font ressortir la nécessité de trouver des solutions plus complètes et plus proactives. Il n'existe pas de solution universelle. Nous devons mettre le doigt sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas dans la lutte contre le décrochage. Nous devons en connaître davantage à propos de la situation particulière de chaque décrocheur et à propos de la qualité de l'enseignement qui est dispensé.

En conclusion, le Canada pourrait réaliser des économies substantielles en améliorant son taux d'achèvement des études secondaires, ne serait-ce que d'un centième, car les coûts seront beaucoup plus élevés à long terme si nous ne commençons pas tout de suite à investir.

Le président : Vous nous avez présenté les résultats d'une excellente recherche, et nous aurons incessamment des questions à vous poser à ce sujet et à propos de ce que nous devons faire pour y donner suite.

Nous allons maintenant entendre parler d'un programme qui a eu, je crois, un succès foudroyant dans ma ville, à Toronto. Il s'agit de Passeport pour ma réussite. David Hughes, président et chef de la direction de ce programme, est ici pour nous en parler.

David Hughes, président et chef de la direction, Passeport pour ma réussite : Je m'estime privilégié de me trouver parmi vous aujourd'hui. Notre exposé sera assez différent de celui des autres intervenants. Nous sommes ici pour parler d'une étude de cas qui met en évidence le travail de notre organisation et, nous l'espérons, fait ressortir l'importance de l'éducation dans une perspective stratégique. Comme d'autres intervenants l'ont dit précédemment, nous devons veiller à ce que l'éducation demeure au premier plan du programme d'action.

En fait, il n'y a pas si longtemps, j'aurais pu me retrouver ici pour représenter une autre organisation. J'ai été président d'Habitat pour l'humanité Canada, et j'aurais pu me retrouver devant vous pour vous parler d'un autre aspect de votre rapport portant sur le logement et l'itinérance. Je persiste à croire qu'il s'agit d'un aspect essentiel du travail que vous avez effectué. Cependant, au cours des sept années que j'ai passées à la tête d'Habitat pour l'humanité et des dix années que j'ai passées auparavant au sein d'un autre service de logement, et depuis que je suis président et chef de la direction de Passeport pour ma réussite, il est devenu de plus en plus évident pour moi que, en matière de logement, on met souvent l'accent sur les investissements de capitaux — et il s'agit d'ailleurs d'un élément central d'une grande partie de votre document —, et que nous oublions de mettre en évidence un aspect qui nous apparaît essentiel, à savoir l'accroissement du capital humain. Nous estimons que, grâce au programme Passeport pour ma réussite, nous pouvons démontrer que l'investissement dans le capital humain permet de transformer non seulement la vie des personnes auxquelles nous venons en aide, mais également, d'une façon plus générale, l'économie et la société dans son ensemble.

Cela dit, aujourd'hui, je tiens à vous dire ceci : bien que nos travaux portent principalement sur les villes et que nous nous efforçons de les rendre formidables, il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas de villes formidables sans citoyens formidables. L'éducation, lorsqu'elle est accessible à tous, peut transformer des vies, des collectivités, des villes et, en fait, des pays entiers.

Malheureusement, nous n'investissons pas suffisamment dans le capital humain, qui est un élément essentiel de l'accroissement de la prospérité et de la capacité concurrentielle de nos villes. Comme l'ont expliqué les intervenants précédents, les études montrent que les décrocheurs ont tendance à se retrouver sans travail ou à toucher un faible salaire et, par conséquent, à payer moins d'impôts et à coûter plus cher au régime d'aide sociale. Les personnes qui n'ont pas terminé leurs études secondaires commettent davantage de crimes, ce qui constitue une menace pour la sécurité de nos collectivités et accentue les pressions qui s'exercent sur le système judiciaire. Le taux de toxicomanie chez les décrocheurs est plus élevé, et le taux de grossesse chez les adolescentes qui n'ont pas terminé leurs études secondaires est plus élevé que celui des autres filles de leur âge, ce qui pèse lourdement sur le système de soins de santé.

D'après les données recueillies par Statistique Canada, nous savons qu'il existe effectivement une forte corrélation entre les niveaux de scolarité et les niveaux de pauvreté dans nos villes. Je ne vous présenterai pas mes statistiques, qui ont déjà été présentées par d'autres intervenants, et je vous renvoie aux diapos que je vous ai distribuées, en commençant par la diapo 2, qui comprend des renseignements supplémentaires à propos de la corrélation entre le niveau de scolarité et la pauvreté et le chômage.

Quelle est l'ampleur du problème? Selon une étude récente, au Québec, le taux de décrochage au secondaire s'élève à 30 p. 100, et en Ontario, où d'importants progrès ont été réalisés dans ce secteur, un jeune sur quatre ne termine toujours pas ses études secondaires. Je tiens à souligner, comme d'autres l'ont fait avant moi, que les données nationales disponibles à ce sujet laissent beaucoup à désirer. Malgré cela, notre propre recherche nous a révélé que des centaines de collectivités canadiennes étaient possiblement aux prises avec un taux de décrochage au secondaire s'élevant à 40 p. 100 ou à 50 p. 100, ou même à un niveau plus élevé. Que l'on examine ces problèmes selon une perspective nationale, provinciale ou locale, ils se manifestent de façon plus marquée dans les plus grandes villes du Canada, et ils compromettent la sécurité, la prospérité et la fierté de tous les Canadiens.

Quelle est la solution? Chez Passeport pour ma réussite, nous croyons qu'il est de notre responsabilité non seulement morale, mais également sociale et économique de supprimer l'écart entre le taux d'achèvement des études secondaires qui existe entre les « nantis » et les « démunis » en réduisant le taux de décrochage qui sévit dans les collectivités vulnérables et en difficulté. La vision que nous avons adoptée, c'est celle d'un monde où tout un chacun obtient un diplôme d'études secondaires et possède les outils pour poursuivre des études postsecondaires et décrocher un emploi intéressant, peu importe son statut social ou économique et peu importe l'endroit où il vit ou d'où il vient. Nous savons que la solution ne se trouve pas seulement dans les salles de classe puisque les jeunes passent la plus grande partie de leur journée à la maison et dans leur collectivité, et que c'est là que se trouvent le plus grand nombre de distractions qui pourraient éventuellement les amener à décrocher.

Passeport pour ma réussite offre une gamme complète de services de soutien pour aider les jeunes à se concentrer sur leurs études et à surmonter les défis quotidiens qui se dressent parfois sur la route de la réussite. Notre programme est composé des volets suivants : tout d'abord, nous désignons les collectivités où les besoins sont grands, et nous les aidons à créer les capacités requises pour mettre en œuvre notre programme. Nous concluons ensuite un contrat avec les élèves, leurs parents et leur école qui établit clairement les attentes et les responsabilités de chacune des parties. Par la suite, nous mobilisons des bénévoles pour agir comme tuteurs et mentors des élèves après les heures de cours, et nous mettons des conseillers ou des moniteurs à la disposition des élèves pour les aider à saisir les occasions qui se présentent et à surmonter les difficultés auxquelles ils peuvent faire face. Enfin, nous fournissons le soutien financier nécessaire pour surmonter les obstacles qui entravent la réussite au secondaire. Ce soutien financier permet également de faciliter la transition entre les études secondaires et les études postsecondaires.

Notre programme de tutorat et de mentorat se déroule principalement à l'extérieur des écoles, mais nous travaillons également à l'intérieur des nombreuses écoles que fréquentent les étudiants et en collaboration avec elles. L'obtention d'un diplôme d'études secondaires est une responsabilité que notre organisation partage avec les écoles.

Si vous voulez bien passer aux diapos 5 et 6 du document qui vous a été fourni, je vous parlerai des résultats donnés par notre programme.

Pour montrer les répercussions de notre programme, je vais examiner le cas très particulier de la collectivité de Regent Park, à Toronto, où se trouve le plus ancien et le plus important ensemble de logements sociaux, et qui est reconnu comme l'une des collectivités canadiennes les plus défavorisées. Il y a huit ans, le taux de décrochage scolaire s'y élevait à 56 p. 100. La majorité des élèves poursuivaient leur carrière dans la rue, en proie aux tentations et aux réalités des gangs, de la criminalité, de la toxicomanie et ainsi de suite. À présent, huit ans plus tard, plus de 90 p. 100 des jeunes qui sont en âge de fréquenter l'école secondaire sont inscrits au programme Passeport pour ma réussite, et le taux de décrochage des élèves qui participent au programme s'élève actuellement à moins de 10 p. 100. Mieux encore, le nombre d'élèves qui poursuivent des études postsecondaires a quadruplé. Il s'élève actuellement à 80 p. 100, alors qu'il n'était que de 20 p. 100 il y a quelques années seulement. Pour 90 p. 100 de ces élèves, il s'agit d'une première dans leur famille.

Même si nous faisons porter nos efforts sur les études secondaires, nous sommes très heureux de voir qu'un premier contingent d'élèves issus de notre programme obtiendront un diplôme universitaire ou collégial ce printemps-ci, et nous sommes comblés d'apprendre que le taux de persévérance scolaire au sein de ces établissements est bien supérieur à la moyenne nationale. Cela est tout à fait stupéfiant pour un groupe de personnes qui auraient pu tout aussi bien être déclarées irrécupérables il y a seulement quelques années.

Ces jeunes hommes et ces jeunes femmes, dont la plupart demeureront à Regent Park, exerceront leur profession ou leur métier au sein de leur collectivité. Ils seront des leaders en affaires, des artistes et des entrepreneurs. Grâce à leur éducation et à leur emploi, ils mettront fin au cercle vicieux de la pauvreté qui a déjà fait des ravages dans cette collectivité, et ils commenceront à rebâtir et à revitaliser leur collectivité de l'intérieur. Il s'agit d'une solution à long terme, durable et rentable qui permet de subvenir aux besoins des collectivités à faible revenu et qui transformera les villes du Canada, un étudiant et une vie à la fois.

Pour la prochaine partie de mon exposé, j'attire votre attention sur les diapos 8 et 9 de la documentation que je vous ai fournie. Il convient de signaler, à ce moment-ci, qu'il ne s'agit pas seulement de nos constatations. Dans une récente étude menée par McKinsey & Company, pour le compte d'un groupe de travail qui s'est penché sur le système d'éducation du Québec et le taux de décrochage de 30 p. 100 que j'ai mentionné précédemment, le programme Passeport pour ma réussite a été désigné comme l'une des six principales solutions au problème. Avant cela, le Boston Consulting Group a entrepris une étude détaillée du programme Passeport pour ma réussite et a conclu que le rendement social du capital investi s'élevait à 25 $ pour chaque dollar investi dans le programme. Je dois ajouter qu'il s'agit là de chiffres très prudents. Le bénéfice cumulatif permanent pour la société pour chaque élève qui obtient un diplôme a été évalué à 400 000 $, et la valeur nette actuelle, à 50 000 $.

En d'autres termes, il a été démontré que le programme Passeport pour ma réussite offrait un taux de rentabilité interne de 9,4 p. 100, même en employant les chiffres les plus prudents en ce qui concerne les recettes fiscales marginales et des paiements de transfert moins élevés. En outre, ces résultats ne tiennent pas compte des avantages évidents pour nos villes que j'ai mentionnés précédemment, à savoir les avantages pour la société d'avoir une jeunesse plus scolarisée, et donc de connaître une diminution du taux de criminalité et de toxicomanie et une diminution du nombre de grossesses chez les adolescentes, du nombre d'actes criminels et du nombre d'actes de vandalisme.

Dans le cadre de mon exposé, je me suis servi de l'étude de cas de Regent Park, mais je suis heureux de vous informer du fait que nos plus récents projets, mis en œuvre un peu partout en Ontario et au Québec, ont permis de réduire le nombre d'élèves risquant de décrocher à un rythme aussi rapide qu'à Regent Park, voire encore plus rapidement. Ces nouveaux projets ont été mis en œuvre pour engendrer des résultats mesurables, durables et à long terme sur le plan social au sein de ces collectivités.

Malgré ces résultats encourageants, notre tâche ne fait que commencer. Nous venons tout juste de clore le premier chapitre de notre histoire. Nous venons d'entreprendre un deuxième chapitre, et nous sommes encore loin de pouvoir prédire comment tout cela se terminera, dans 10 ou 20 ans. Toutefois, il est évident que notre parcours nous mènera dans les collectivités à faible revenu dans toutes les régions du pays.

Compte tenu de notre discipline en matière de mesure des résultats, nous aurons beaucoup de nouvelles données à vous présenter dans l'avenir. Sans aucun doute, notre parcours sera parsemé de gratifications, de défis et de leçons à tirer. Notre programme ne sera considéré comme un succès qu'au moment où il aura véritablement transformé les collectivités du pays sur le plan du tissu social et de la prospérité économique.

Enfin, nous ne pourrons pas faire cela à nous seuls. Nous aurons besoin du soutien de bénévoles et de professionnels, qu'il s'agisse d'éducateurs, de décideurs, de gouvernements, d'entreprises, de citoyens, et de bien d'autres intervenants encore.

Plus particulièrement, au moment d'examiner votre document et les répercussions ou les recommandations stratégiques, nous suggérons tout d'abord que le gouvernement offre du financement aux programmes qui, comme le nôtre, réduisent les taux de décrochage et augmentent les normes en matière d'éducation et le nombre d'élèves accédant aux études postsecondaires. Pour ce qui est de vos options 96, 100 et 102, vous pouvez établir des objectifs audacieux et ambitieux pour les villes et les provinces au chapitre du niveau de scolarité. Vous pouvez établir de nouvelles normes en ce qui a trait aux statistiques relatives à l'obtention de crédits scolaires, à la fréquentation scolaire et à l'obtention de diplômes, et d'autres normes qui permettront aux spécialistes et aux chercheurs associés aux programmes de mieux cerner les solutions qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas au sein des collectivités à risque élevé ou à faible risque, pour signifier clairement qu'il est impossible de gérer quelque chose qui ne peut être mesuré.

Pour ce qui est de l'option 45 de votre document, nous tenons à souligner qu'il est louable et important de financer les programmes récréatifs et culturels, mais qu'il est plus important de bien déterminer quel programme convient à chaque collectivité, car c'est cela qui, en fin de compte, permet d'accroître la réussite scolaire.

Nous faisons l'éloge de l'ensemble de votre rapport, et nous saluons plus particulièrement l'option 95, qui concerne le plus grand rôle que doivent jouer les organismes bénévoles qui mettent en œuvre des programmes et des innovations comme les nôtres. Les statistiques qui vous ont été présentées s'appuient sur des centaines, voire des milliers de belles histoires de jeunes et de collectivités qui ont changé du tout au tout.

Que devons-nous faire pour que nos villes redeviennent aussi merveilleuses qu'avant? Que devons-nous faire pour réduire la pauvreté, la criminalité et la toxicomanie, pour redonner espoir, fierté et dignité à nos jeunes et à leurs parents, et pour donner aux nouveaux Canadiens et à l'ensemble de la population active les outils qui leur permettront de tirer leur épingle du jeu dans la conjoncture économique actuelle, qui évolue rapidement? La réponse est la suivante : faites en sorte que les jeunes demeurent à l'école, donnez-leur une éducation, stimulez-les, inspirez-les et fournissez-leur du soutien, tant à l'école que dans la collectivité. Nous investissons déjà énormément d'argent pour que les élèves passent à travers leurs huit ou dix premières années d'école — nous ne devons pas les laisser tomber lorsqu'il sont si près du but. Le meilleur rendement sur le capital investi qu'un gouvernement peut obtenir, c'est la réduction du taux de décrochage ou l'augmentation du taux d'obtention de diplômes. Cela transformera nos villes et notre pays et montrera à tous les Canadiens ce que nous savons déjà, à savoir que l'éducation a le pouvoir de tout changer.

Nous sommes vos partenaires dans cette entreprise.

Le président : Merci de vous être intéressé à notre document sur les enjeux et les options. Un certain nombre des options que vous avez commentées nous seront utiles au moment d'aborder la phase finale de notre processus d'audiences, qui aura lieu cet automne et au cours duquel nous entendons faire en sorte que les enjeux et les options présentés dans notre étude deviennent des recommandations.

Nous allons entreprendre les discussions du comité. Comme à l'habitude, je vais me prévaloir, à titre de président, du privilège de poser la première question. J'ai une question générale et une question particulière à poser à chacun d'entre vous. Ces questions s'inspirent des exposés que vous avez présentés.

Bien sûr, nous savons que l'éducation relève de la responsabilité des provinces. De plus, nous connaissons les liens entre l'éducation et la pauvreté, et nous savons que le fait de vivre dans la pauvreté peut avoir des répercussions désastreuses sur les personnes et leur niveau de scolarité. Le gouvernement fédéral a quelques intérêts et quelques responsabilités dans ces domaines, mais en ce qui concerne l'éducation, il n'a pas de responsabilités directes.

Ma question de nature générale est la suivante — et je souligne que certains d'entre vous ont déjà fourni un début de réponse : selon vous, à l'échelon fédéral, quels nouveaux programmes ou politiques pourraient être utiles pour réduire les lacunes en matière d'éducation, ou quelles modifications devraient être apportées aux programmes ou aux services à cette fin?

Ma question s'adresse à M. Sharpe. Vous avez parlé de l'augmentation du taux de chômage en relation avec l'augmentation du taux de pauvreté, bien que vous ayez souligné que les données nous parviennent en retard et que nous ne constaterons ces hausses que plus tard. Quelles seront les répercussions de ces augmentations sur le taux de décrochage? Au Canada, 84 p. 100 des élèves terminent leurs études secondaires. Nous tentons de faire encore mieux, mais est-il possible que l'inverse se produise? Est-il possible que la récession actuelle ait une telle conséquence?

Madame Hankivsky, vous avez parlé des coûts privés en matière de santé. Comment sont-ils ventilés? Je crois comprendre que ces coûts ne sont pas liés au système de santé publique. S'agit-il des coûts liés aux médicaments délivrés sur ordonnance? S'agit-il des coûts liés à d'autres types de traitements médicaux qui ne sont pas couverts? Pouvez-vous fournir des détails à cet égard?

La prochaine question s'adresse à nos collaborateurs qui se trouvent à Edmonton. Je veux en savoir davantage à propos des importantes différences entre les provinces et sur l'ampleur de la répartition par filière d'orientation. Les provinces mettent-elles en commun leurs pratiques exemplaires pour combler ces lacunes? Il semble que les provinces pourraient tirer grand profit de l'expérience acquise en Saskatchewan, la province d'origine du sénateur Dyck. Pouvez- vous faire des commentaires à ce sujet?

Enfin, ma dernière question s'adresse à M. Hughes. Le Boston Consulting Group a examiné et vérifié les résultats obtenus à Regent Park. Ces résultats sont impressionnants : le taux de décrochage est passé de 56 p. 100 à 10 p. 100, et le nombre de personnes qui ont accédé aux études postsecondaires est ahurissant. Comment faire pour étendre ces résultats au reste du pays? Je sais que vous mettez en œuvre votre programme dans quelques autres collectivités à Toronto et dans le sud de l'Ontario, mais il me semble évident que cette initiative efficace, qui a porté ses fruits dans les quartiers les plus démunis du pays, pourrait être utilisée dans d'autres régions.

À présent que je vous ai posé ma question générale et mes questions particulières, je cède la parole à M. Sharpe.

M. Sharpe : En ce qui concerne les politiques fédérales, je vais vous parler de deux politiques en particulier. Tout d'abord, je souligne que je suis contrarié par la décision du gouvernement fédéral de cesser de financer le Conseil canadien sur l'apprentissage, le CCA. En février, cet organisme a publié un rapport intitulé L'enseignement postsecondaire au Canada : Les attentes sont-elles comblées? qui se révèle être, à mon avis, un document très utile. J'estime que le CCA a effectué un travail utile, et pourtant, il ne sera plus là dans l'avenir. Je pense qu'il serait bien de revenir sur cette décision, si cela est possible.

Le gouvernement fédéral a également un certain pouvoir dans un autre domaine, à savoir l'éducation de la population autochtone du Canada. En effet, le gouvernement fédéral finance l'éducation des Autochtones. Il est possible de faire valoir que, dans ce domaine, le financement par étudiant est insuffisant. Dans le cadre du financement versé aux réserves, le gouvernement dépense moins d'argent par étudiant que bon nombre des gouvernements provinciaux. Je crois que de plus grands efforts peuvent être déployés dans ce secteur. Il s'agit de deux politiques spécifiques que le gouvernement fédéral pourrait tenter de mettre en œuvre.

Quant à votre question sur les conséquences de la récession sur le taux de décrochage au secondaire, je répondrai qu'il s'agira de conséquences non pas négatives, mais positives. Nous avons entendu parler de ces jeunes qui, en Alberta, jusqu'à tout récemment, en raison du très faible taux de chômage, n'étaient pas motivés à terminer leurs études secondaires puisqu'ils pouvaient trouver un emploi à 25 $ l'heure dans un champ de pétrole. La récession mettra fin à cela, et les jeunes demeureront à l'école. Un bon nombre de personnes plus âgées seront mises à pied, et cela devrait les motiver à retourner sur les bancs d'école et à obtenir un diplôme d'études secondaires. Nous devons considérer l'actuel ralentissement économique comme une occasion de renforcer les compétences des Canadiens. Nous devrions investir davantage dans la formation et dans l'augmentation du niveau de scolarité de la population. La récession n'aura des conséquences négatives que si nous n'agissons pas. Selon toute vraisemblance, les gens commenceront à retourner aux études.

Mme Hankivsky : Je vais commencer par répondre à votre question portant sur les coûts de santé que j'ai mentionnés, plus précisément les coûts privés. Pour calculer ces coûts, nous employons une mesure que nous appelons les « années-personnes sans invalidité ». Il s'agit d'un calcul économique qui s'inspire d'une méthodologie employée dans le cadre d'études menées aux États-Unis. Essentiellement, il s'agit d'une estimation des coûts annuels liés à la morbidité et à la mortalité d'une personne dont la qualité de vie est réduite sur le plan de la santé. Il s'agit, en grande partie, de coûts privés, pour la simple raison que nous ne disposions pas des données canadiennes appropriées ni des données ventilées qui nous auraient permis d'examiner les coûts liés au système de soins de santé. Toutefois, il s'agit d'un aspect qui devra être étudié dans l'avenir.

Au chapitre des interventions en matière de politique générale, à la lecture de votre rapport et de l'ensemble des options qu'il énonce, j'ai été frappé par son caractère avant-gardiste, en ce sens qu'il propose une stratégie en tenant compte des effets différentiels qu'elle aura sur une population canadienne diversifiée. Comme les membres de votre comité le savent probablement très bien, l'analyse sexospécifique est l'une des approches les plus utilisées à l'heure actuelle. Ce type d'analyse permet d'examiner les effets différentiels que pourraient avoir sur les hommes et sur les femmes les politiques et les mesures législatives proposées. À mon avis, nous devons aller au-delà d'une analyse sexospécifique et adopter une méthode d'analyse plus raffinée et plus subtile que l'on désigne actuellement, tant dans le contexte européen que dans le contexte américain, sous le terme d'« intersectionnalité ». Dans le cadre d'une analyse intersectionnelle, la complexité des liens réciproques entre divers paramètres comme le sexe, la race, l'origine ethnique, la classe sociale, la géographie, l'âge et le degré de capacité est prise en compte de manière à ce que l'on puisse acquérir une compréhension des expériences vécues par chaque personne et pour faire en sorte de concevoir des politiques plus inclusives. Plutôt que d'examiner les personnes en tenant compte d'une seule catégorie d'analyse comme le sexe, la race ou la classe sociale, l'analyse intersectionnelle combine tous ces paramètres pour déterminer leur effet conjugué sur les expériences de chaque personne et leurs besoins en matière d'éducation et de santé. Ce type d'approche serait extrêmement efficace dans le cadre d'une étude sur la pauvreté et l'itinérance.

Le président : M. Krahn nous a-t-il quittés définitivement?

Mme Taylor : Il devait se rendre à un rendez-vous chez le médecin. Je vais donc prendre la relève. Votre question portait particulièrement sur les différences entre les provinces. Les résultats concernant les différentes stratégies provinciales en matière d'éducation et au chapitre des filières d'orientation nous ont semblé fascinants. En effet, les approches en ce qui concerne les programmes d'études diffèrent selon les provinces. Par exemple, en Saskatchewan, on semble avoir tenté plus délibérément qu'ailleurs d'éviter le système de répartition selon les filières d'orientation et d'adopter un système plus complet.

Il est intéressant que vous ayez mentionné la mise en commun des pratiques exemplaires. Le Conseil des ministres de l'Éducation, le CMEC, tente de créer des liens entre les provinces, mais semble se concentrer principalement sur les programmes d'évaluation nationaux et internationaux. Au bout du compte, on examine les résultats obtenus par les élèves aux évaluations, et les provinces qui ont obtenu les meilleurs résultats sont considérées comme celles qui ont le meilleur système. Nous devons prendre du recul et nous attarder à la manière dont nous évaluons ces systèmes. Devons-nous prendre en considération un plus grand nombre de facteurs, par exemple les options qui s'offrent aux élèves à la fin de leurs études secondaires?

L'une des tendances que nous observons en Alberta et, je crois, dans d'autres provinces, consiste à harmoniser les programmes d'études à l'échelle de la province, sous l'influence de programmes internationaux comme le Programme international pour le suivi des acquis des élèves, aussi appelé le PISA. La question que l'on doit se poser est la suivante : quel système devons-nous considérer comme le modèle à suivre? Je connais assez bien le système d'éducation de l'Ontario puisque j'ai grandi dans cette province. Dans le système albertain, dans l'un des programmes d'études, l'élève doit avoir obtenu 80 crédits pour obtenir son diplôme. C'est l'une des filières d'orientation. Un tel système ne conduit pas aux études postsecondaires. Je trouve qu'il est inquiétant qu'un tel système de diplômation existe toujours, aujourd'hui, au niveau secondaire.

Pour ce qui est des politiques fédérales, avant de partir, mon collègue a mentionné rapidement quelques solutions pour atténuer l'effet des droits de scolarité sur les personnes touchant différents niveaux de revenu. Évidemment, nous sommes conscients du fait que les droits de scolarité ont augmenté et qu'ils continuent d'augmenter. Le gouvernement fédéral peut-il prendre des mesures, par exemple sur le plan fiscal, pour prendre en compte cette réalité?

M. Hughes : J'ai déjà répondu partiellement à votre question au cours de mon exposé. J'ai parlé des options mentionnées dans le rapport et concernant des aspects qui revêtent une importance et un intérêt particuliers pour nous. Pour aller un peu plus loin sur cette question, l'une des mesures les plus essentielles consisterait à faire porter tous nos efforts en matière d'éducation, et plus particulièrement en matière d'éducation des collectivités les plus vulnérables, sur les taux de décrochage au secondaire. Il s'agit d'un problème important, sur lequel il faut se concentrer, et il faut probablement mettre davantage l'accent sur le travail effectué par le groupe à l'origine de ce document.

Je passe à votre deuxième question. Vous vous demandez comment l'ampleur de notre programme peut être accrue de manière à s'étendre à d'autres régions du pays. À l'heure actuelle, il s'agit là de la principale préoccupation de notre organisation : faire en sorte de trouver un moyen d'accroître l'ampleur de notre propre programme sans en compromettre la qualité. Nous examinons actuellement, à l'interne, les moyens d'améliorer la rentabilité et de réaliser des économies d'échelle en augmentant la taille de notre organisation de manière à étendre sa portée à d'autres régions.

Quant à ce qui peut être fait par le gouvernement ou de concert avec lui pour soutenir cette initiative et faire en sorte qu'elle aille de l'avant, il faudrait qu'elle puisse demeurer une initiative principalement bénévole et communautaire, prendre conscience du fait que sa poursuite passe notamment par l'attribution d'un financement, puis mettre en place un cadre de référence pouvant servir de base à une discussion à propos du financement.

Nous avons discuté de cette question avant le début de la présente réunion. Ce qui pose des difficultés, c'est que les problèmes que nous avons évoqués aujourd'hui touchent à maintes disciplines différentes. Nous pouvons énumérer les solutions que nous proposons ou indiquer les aspects sur lesquels porte notre travail dans les collectivités, mais il est difficile de savoir à qui s'adresser pour régler les problèmes de financement, de stratégies et de partenariats puisque les questions que nous abordons concernent un très grand nombre de ministères différents et de disciplines distinctes. Il serait assurément utile de mettre en place, au sein du gouvernement, une sorte de guichet unique auquel il serait possible de s'adresser dans les cas où une initiative fait intervenir divers ministères et différentes disciplines.

Il faudrait également, d'une façon ou d'une autre, constituer une équipe ou un groupe de travail national. Ce groupe devrait être multiniveaux, multisectoriel et multidisciplinaire et travailler de concert avec le gouvernement, les entreprises et les organismes sans but lucratif pour que cette question soit placée à l'avant-plan et pour établir un système de tolérance zéro en matière de décrochage. L'objectif devrait consister à ce que, d'ici 10, 20, 30, 40 ou 50 ans, il n'y ait plus aucun décrocheur ni aucun « expulsé » dont on entend de plus en plus parler. Ces derniers sont non pas des jeunes qui ne veulent pas aller à l'école, travailler fort et avoir un avenir prospère, mais des jeunes qui, en raison d'un quelconque problème au sein de leur collectivité, de leur famille ou de leur école, sont autant expulsés de l'école qu'ils en décrochent.

Nous devons prendre conscience du fait que notre discussion est complexe, et ne pas perdre de vue que la question que nous examinons est loin d'être simple. Pour trouver une solution, tous les secteurs, à tous les niveaux et dans toutes les disciplines, doivent se concerter et s'entendre sur le fait qu'il ne s'agit pas simplement d'une question de stratégie ou de financement — il s'agit d'admettre que les statistiques canadiennes actuelles en matière de décrochage sont inacceptables et qu'elles mettent en évidence le fait que le rendement du Canada à cet égard est pitoyable. Si nous nous comparons aux pays d'Europe et d'ailleurs, il est évident que nous avons beaucoup de travail à faire. Nous devons comprendre que cela est inacceptable, et mettre en œuvre un plan d'action, comme nous l'avons fait pour le logement et pour d'autres secteurs. Il n'y a qu'à penser au plan de 10 ou 20 ans en matière de logement abordable mis en place à Calgary. La même chose doit être faite en ce qui a trait au taux de décrochage. Des initiatives de ce genre permettent de mobiliser les énergies et les ressources autour d'une cause commune. Une pléthore d'organisations seraient enchantées de collaborer avec le gouvernement dans le cadre d'une telle initiative, et l'organisation que je représente en fait partie.

Le président : Je vais maintenant céder la parole au vice-président du Sous-comité sur les villes, le sénateur Segal, de Kingston, en Ontario.

Le sénateur Segal : Je tiens à remercier tous les universitaires, spécialistes et représentants qui ont eu l'amabilité de prendre le temps de discuter avec nous aujourd'hui. Je les remercie, car ils font un travail important.

J'ai une brève question à poser. Elle s'adresse à tous, et elle concerne le problème de la capacité d'agir.

Madame Hankivsky, en réponse à une question qui vous a été posée plus tôt, vous avez dit quelque chose qui me pose certains problèmes. Vous avez parlé des divers et complexes facteurs de désavantage et des liens qui les unissent. Ce faisant, sans le vouloir, j'en suis conscient, vous avez mis en place un cadre bien connu à l'intérieur duquel les fonctionnaires ne peuvent qu'exercer leur force d'inertie. Ce que je veux dire, c'est que les fonctionnaires du Conseil du Trésor et du ministère des Finances de toutes les régions du pays nous diront : « C'est une question trop complexe. Nous ne pouvons rien faire pour la régler. Nous pouvons seulement prendre des mesures palliatives. » Ce type de mesures « palliatives » et bien intentionnées sont fréquentes de la part des gouvernements. Dans des secteurs d'importance capitale, non seulement les statistiques concernant le nombre de personnes ou de mères de famille monoparentale vivant dans la pauvreté ne se sont pas améliorées, mais à certains égards, elles se sont aggravées.

Ma question sur la capacité d'agir fait référence à l'analyse initiale de M. Sharpe quant au rôle décisif que joue l'éducation dans l'atteinte des objectifs de vie et de résultats positifs, tant pour la société que pour les particuliers. D'une certaine façon, ma question se fait l'écho de l'analyse qui nous a été présentée, je crois, par M. Krahn et Mme Taylor en ce qui a trait aux jeunes qui sont plus susceptibles, en raison de la famille dont ils proviennent, de prendre une décision plus avisée quant aux matières scolaires auxquelles ils s'inscrivent et qui leur permettent d'accéder plus facilement aux études postsecondaires, comparativement aux élèves qui proviennent de familles à faible revenu.

Le problème qui saute aux yeux, mais dont personne ne parle, c'est la pauvreté. Je suis conscient du fait que la pauvreté a de nombreuses causes et qu'il s'agit d'une question très complexe. Cependant, compte tenu des instruments qui sont à leur disposition, on peut se demander si les États — le gouvernement provincial ou fédéral, selon le cas, et le fait qu'ils soient de gauche, de droite ou du centre n'a aucune importance — ont véritablement la capacité de s'attaquer efficacement à la pauvreté. De plus, et je sais que vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi, ce qui nourrira notre débat et nous permettra d'en apprendre davantage, il me semble que les gouvernements auraient tout intérêt à investir les sommes nécessaires pour que tous les Canadiens passent au-dessus du seuil de faible revenu, ce qui serait relativement facile à faire grâce à des mesures fiscales. Plutôt, les gouvernements gaspillent leur énergie pour atteindre une myriade de résultats remarquables, importants et utiles, mais, au bout du compte, la vie des gens ne change pas nécessairement de façon fondamentale.

Je pose la question, même si je m'attends à ce que vous ne soyez pas d'accord avec moi puisque je suis au courant du travail extrêmement constructif que vous avez effectué dans de si nombreux secteurs. Cela dit, je tiens à poser la question parce que j'estime que votre réponse présentera un grand intérêt, peu importe que vous soyez d'accord ou non avec moi.

M. Hughes : Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites, si je vous ai bien compris, qu'il s'agit d'un problème non pas de logement ou d'éducation, mais de revenu. J'estime que la véritable question est de savoir quelles mesures devront être prises pour augmenter les niveaux de revenu.

Selon nous, et je pense que d'autres intervenants ont adopté cette position, il faut prendre conscience du fait qu'il existe une forte corrélation entre le niveau de scolarité et le revenu, et qu'il y a un moment crucial où une personne doit consciencieusement investir tout le nécessaire pour s'assurer d'atteindre ses objectifs en matière d'éducation, peu importe le niveau de réussite qui est visé. Il faut déceler la source des défis et des problèmes de ces jeunes qui décrochent du système. À notre avis, les principaux obstacles surviennent autour de la 9e et de la 10e années. Dans le cadre de notre programme, par exemple, nous commençons à travailler avec les jeunes dès la 8e année. Il s'agit d'un moment crucial, et c'est pourquoi nous commençons à les accompagner dans leur parcours à ce moment-là.

Là encore, il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'un problème non pas seulement scolaire, communautaire ou familial, mais d'un problème qui fait intervenir tous ces aspects. Je suis d'accord avec l'affirmation selon laquelle le problème est ailleurs, et qu'il s'agit vraiment d'une question qui concerne les liens entre éducation et niveau de revenu.

Mme Taylor : D'après ce que je crois comprendre, la question que vous posez est la suivante : quels sont les meilleurs leviers politiques? Je vais revenir sur ce que M. Hughes a dit à propos des étudiants qui se font expulser du système scolaire. Assurément, en plus des problèmes de revenu, il existe également des problèmes liés à la race et au racisme, comme nous avons pu le constater dans le cadre d'autres projets de recherche auxquels j'ai participé, notamment une recherche portant sur les collectivités des Premières nations et les Métis du nord de l'Alberta. La situation est un peu plus complexe. Pour revenir au sujet de notre étude, à savoir la répartition selon les filières d'orientation, certains des élèves avaient dû quitter leur école se trouvant dans une petite collectivité rurale pour fréquenter une école en milieu urbain. Il a été constaté que ces jeunes avaient deux années de retard, sur le plan scolaire, par rapport aux autres élèves de leur âge. Ils ont donc été placés, je le répète, dans ce qui est considéré comme la filière d'orientation du niveau inférieur.

À quel moment devons-nous mettre un terme à ce processus, et dans quelle mesure sommes-nous capables de le faire? Ce sont de très bonnes questions. Le système d'éducation pourrait se pencher sur elles. Bien sûr, si vous disposez d'une filière de niveau inférieur, vous pouvez y placer de tels élèves. Mais si cette filière ne mène nulle part, il y a un problème.

Je suis d'accord avec vous pour affirmer que la pauvreté et le niveau de revenu des familles sont des enjeux cruciaux, mais certaines mesures axées exclusivement sur l'éducation devraient également être prises. Les différences entre les provinces laissent entendre que cela se fait déjà.

Mme Hankivsky : Merci de vos commentaires. Je ne pense pas que la pauvreté est une question qui tient uniquement au revenu ou au statut socio-économique. La recherche que nous avons menée illustre la complexité de ce phénomène. Le problème persiste précisément parce qu'il est complexe.

Pour ce qui est de vos réserves concernant ma proposition relative à l'intersectionnalité, j'aimerais vous dire deux ou trois choses. Tout d'abord, en Europe, plus particulièrement au Royaume-Uni, cette méthode est utilisée dans le cadre de la mise en œuvre de politiques, et elle a permis de changer de façon importante la façon dont certains problèmes sont abordés. Il s'agit d'une approche qui permet de réaliser ce dont parlait M. Hughes plus tôt, à savoir la mobilisation des différents secteurs, des différents groupes de revendications et des différents groupes minoritaires en vue de travailler de façon concertée et stratégique à régler certains problèmes en employant des moyens novateurs et plus efficaces.

Dans le contexte des politiques, la question de la complexité est réelle et, lorsque nous avons commencé à utiliser l'analyse sexospécifique, les gens disaient qu'il s'agissait d'une méthode trop complexe ou chronophage. On disait que les analystes des politiques n'avaient pas le temps, les ressources ou les compétences nécessaires pour comprendre ce type d'analyse. Nous avons fait un bon bout de chemin. En janvier, j'ai dispensé une formation aux analystes des politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor, et je suis heureuse de vous apprendre qu'ils ont tout compris : ils sont capables de comprendre des problèmes complets et pointus, et ils sont capables d'étudier des questions qui font intervenir toutes sortes de complexités. Je suis d'avis que, si nous voulons faire en sorte que les programmes et les services que nous élaborons soient efficients et efficaces, nous devons envisager de faire les choses d'une manière différente.

M. Sharpe : Je pense que nous avons les outils pour réduire la pauvreté au pays. Il est très important de souligner que, selon les données de Statistique Canada sur le seuil de faible revenu, le SFR, le taux de pauvreté a diminué de manière substantielle depuis, disons, 1994, date à laquelle il avait atteint un sommet en raison de la récession. Il est passé de 14 p. 100 à environ 10 p. 100. Dans certains groupes, il a diminué de façon hallucinante. Vous avez mentionné le taux de pauvreté des familles monoparentales. Ce taux a effectivement chuté de 50 p. 100 à 30 p. 100. Le taux de pauvreté des familles monoparentales vient de chuter de façon importante, principalement grâce aux politiques publiques. De toute évidence, ce résultat est également attribuable à la vigueur de notre économie et à notre faible taux de chômage. Le programme essentiel a été la Prestation nationale pour enfants, dont l'ampleur a été nettement accrue au cours des dernières années. Cette initiative a eu une influence majeure dans la lutte contre la pauvreté chez les enfants.

En outre, la pauvreté chez les aînés a été presque totalement éliminée, peut-être pas chez les personnes âgées seules, mais à tout le moins, chez les couples. Cela est attribuable à la Sécurité de la vieillesse, la SV, ainsi qu'au Supplément de revenu garanti. Il s'agit d'une politique publique axée sur la pauvreté chez les aînés, et elle a donné d'excellents résultats.

À présent, nous concentrons nos efforts sur les couples de travailleurs sans enfants, par exemple, et sur les particuliers. Dans ces groupes, le taux de pauvreté n'a pas diminué. Toutefois, nous disposons maintenant de la Prestation fiscale pour le revenu de travail, la PFRT, une politique mise en œuvre depuis quelques années et qui sera probablement bonifiée au fil du temps. La PFRT permettra effectivement de réduire la pauvreté. Ainsi, de nombreux outils de réduction de la pauvreté sont à notre disposition.

Cependant, il y a d'autres groupes fortement touchés par la pauvreté dont nous devons nous préoccuper. J'ai déjà mentionné les Autochtones, un groupe qui doit véritablement faire l'objet d'une attention particulière à cet égard. En outre, au cours des dernières années, les nouveaux immigrants ont connu des difficultés — le taux de pauvreté est élevé au sein de ce groupe. Il est à souhaiter que ces nouveaux immigrants puissent acquérir les compétences linguistiques et l'expérience de travail au Canada qui leur permettra de passer dans la tranche de revenu moyen des Canadiens. Une économie vigoureuse leur permettra de le faire.

Il n'y a pas de solution miracle. Nous ne pourrons pas réduire le taux de pauvreté avec une seule politique. Notre réalité présente de multiples facettes, et nous devons disposer d'instruments particuliers pour chaque type de personne.

Le sénateur Cordy : Merci beaucoup de tout le travail que vous effectuez. Je ne suis pas surpris d'entendre les résultats que vous avez présentés — en raison de mon passé d'enseignante, j'imagine —, mais nous sommes heureux de disposer de ces données pour notre rapport.

Je vais d'abord m'adresser à Mme Taylor. Je me souviens d'avoir lu, il y a bien longtemps, lorsque j'étais étudiante à l'université, un livre à propos du système scolaire du Royaume-Uni. Ce livre portait sur la question de savoir si le système scolaire contribuait à la perpétuation du système de classes sociales. D'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, et compte tenu de ce livre que j'ai lu dans les années 1970, j'ai l'impression que la situation au Canada n'est pas très différente de celle du Royaume-Uni à l'époque. À la lecture du livre en question, nous avions été atterrés de constater que le système scolaire permettait effectivement au système des classes sociales de se perpétuer.

J'ai examiné les chiffres concernant l'Alberta, qui sont très faibles. Dans cette province, bon nombre d'élèves éliminent, pour l'essentiel, la plupart des options qui s'offrent à eux, et cela, dès un jeune âge. Je me demande si cela a quelque chose à voir avec le taux d'emploi en Alberta. Des changements draconiens se sont produits depuis l'automne, mais avant cela, il était très facile de décrocher un emploi bien rémunéré avec un niveau de scolarité peu élevé.

Je sais qu'en Nouvelle-Écosse, ma province d'origine, à l'époque où l'industrie de la pêche était en plein essor, de nombreuses personnes, particulièrement des jeunes hommes des collectivités de pêcheurs, quittaient l'école parce qu'ils pouvaient travailler sur le bateau de pêche de leurs parents et, dans la plupart des cas, toucher un revenu intéressant.

À la lumière des renseignements qui nous ont été fournis, un jeune dont les parents ont un niveau élevé de scolarité est plus susceptible de disposer d'options d'études ouvertes, car des parents qui ont un niveau d'instruction élevé ont davantage conscience de l'importance de ne pas se fermer des portes dès un jeune âge. Je comprends le lien. Je crois savoir que vous êtes professeure dans une faculté d'éducation. En 2009, dans les facultés d'éducation, est-ce que les futurs enseignants et conseillers reçoivent une formation en ce qui concerne toute cette question de la répartition selon les filières d'orientation, de manière à ce qu'ils comprennent qu'ils doivent fournir un mentorat à certains élèves plus à risque de se fermer des options et de décrocher à un jeune âge?

Mme Taylor : Je vais d'abord répondre à votre dernière question. Juste avant de me présenter ici, je me trouvais à la Faculté d'éducation où je travaille et j'évaluais des travaux d'étudiants du premier cycle portant sur certains des enjeux liés aux filières d'orientation. À cet égard, les opinions divergent, et la question qui se pose est la suivante : s'agit-il d'une bonne ou d'une mauvaise chose? Pour certains étudiants, cette pratique ne pose pas de problème. C'est le genre d'opinion à laquelle nous nous heurtons. Bien sûr, chacun a droit à son opinion, mais il est important d'en parler avec les enseignants.

Souvent, ces étudiants arrivent en classe avec une telle opinion et, comme vous le savez, à titre d'ancien enseignant, il est difficile de replacer certaines de ces questions dans un contexte plus vaste. S'il est plus facile pour eux d'enseigner à un groupe d'élèves en particulier et qu'ils sont conscients du fait que les classes sont réparties selon des filières d'orientation, cela peut ne pas poser trop de problèmes. Toutefois, si l'on tient compte de la perspective plus vaste de la proportion d'élèves qui ne mettront pas à profit les options qui s'offrent à eux sur le plan des études postsecondaires, le seul fait de présenter à nos étudiants les renseignements statistiques recueillis à cet égard permet à tout le moins de les sensibiliser au fait qu'ils pourraient peut-être pousser leur réflexion un peu plus loin et qu'il est possible d'acquérir une compréhension critique de la question.

En ce qui concerne le taux d'emploi en Alberta, la question que vous m'avez posée revient constamment. Je pense que le taux de décrochage de l'Alberta est également un peu plus élevé que celui des autres provinces — de fait, c'est l'un des taux de décrochage les plus élevés au pays. Sans aucun doute, il existe un lien entre ces deux réalités — la situation économique a une certaine incidence. Il serait intéressant d'examiner la situation à l'heure actuelle, pour examiner les répercussions de la récession. En outre, il s'agit plus ou moins d'un phénomène sexospécifique. Pour ce qui est de la poursuite d'études postsecondaires, comment le rendement de l'investissement varie-t-il selon le sexe? On constate qu'un plus grand nombre de jeunes hommes parviennent à toucher un revenu relativement décent sans diplôme d'études secondaires. Si l'on se fie à l'étude que je viens tout juste de mener dans les collectivités des Premières nations et des Métis du nord de l'Alberta, les choses se passent bel et bien ainsi. À Fort McMurray, les gens peuvent décrocher un emploi très bien rémunéré sans diplôme d'études secondaires.

Les gens savent également qu'au moment d'une récession, ce sont les gens de métier qui touchent un très bon salaire qui sont les premiers à être mis à pied lorsque les contrats de construction viennent à manquer. Une autre chose que les gens de ces collectivités comprennent très bien, et les entreprises ont fait un très bon travail à cet égard, c'est que le diplôme d'études secondaires est devenu le critère minimal d'embauche. Les entreprises peuvent jouer un rôle pour encourager les jeunes à demeurer à l'école, pour les inciter à terminer leurs études avant de chercher un emploi, et ainsi de suite.

Bien sûr, dans un certain nombre de ces collectivités, il n'est pas possible de poursuivre des études postsecondaires puisque aucun programme de ce niveau n'est offert. Il est possible de changer les choses en créant un plus grand nombre de programmes visant à offrir des cours de niveau universitaire au sein de ces collectivités et en prenant d'autres mesures de ce genre. Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Cordy : Oui, merci beaucoup. Monsieur Hughes, votre organisation et vous-même effectuez un travail extraordinaire. Je ne connais pas bien le programme Passeport pour ma réussite. Comment votre organisation est-elle financée? Votre financement provient-il du secteur privé ou du secteur public? En Ontario, êtes-vous financé par le ministère de l'Éducation? À partir de quel âge les élèves peuvent-ils s'inscrire à votre programme? Les documents que vous nous avez fournis indiquent que vous vous occupez des élèves de 9e et de 10e années — est-ce tout? J'aimerais également savoir quel rôle en est venu à jouer la famille dans le processus, compte tenu du fait que les élèves qui participent à votre programme proviennent de familles dont les parents sont peu susceptibles de posséder un niveau de scolarité élevé, si je ne m'abuse.

M. Hughes : Au chapitre du financement, nos fonds proviennent de donateurs privés, et nous recevons également quelques sommes du gouvernement. Nous sommes en train de mettre en place nos futurs modèles de financement. Plus particulièrement, en Ontario, nous avons également reçu un soutien financier de quelques fondations et organismes, par exemple Centraide. Toujours en Ontario, le financement du secteur public nous a été versé par le ministère de la Formation et des Collèges et Universités, mais nous avons également beaucoup discuté avec d'autres ministères, qui nous ont fourni un grand soutien.

En ce qui a trait à l'âge des participants à notre programme, nous suivons les élèves de la 9e à la 12e années. Au Québec, nous commençons à suivre les jeunes à un niveau équivalent à la 7e année. Il s'agit en quelque sorte d'une anomalie compte tenu de l'objectif de départ de notre programme, mais nous visons par là à ce que les jeunes soient véritablement pris en charge à la fin de la 8e année, de manière à ce qu'ils soient engagés activement dans le processus dès le début de la 9e année.

Pour ce qui est du rôle que doit jouer la famille, il est absolument crucial que chaque famille prenne part à l'ensemble du processus en offrant un soutien à ses propres enfants tout au long du programme. Nous rencontrons les familles dès le début du processus pour les informer à propos de notre programme et solliciter leur participation, dans la mesure où elles ont la possibilité et la volonté d'y participer. Nous passons un contrat avec elles — il s'agit d'un contrat tripartite entre notre organisation, l'élève, sa famille et ses parents, et l'école. Il s'agit d'une entente qui met l'accent sur l'importance du processus d'éducation de l'enfant et sur la responsabilité qui incombe à toutes les parties de soutenir l'élève jusqu'à ce qu'il atteigne l'objectif final.

Le sénateur Dyck : D'après ce que nous ont dit nos collaborateurs de l'Université de l'Alberta, il semble que la Saskatchewan a obtenu de très bons résultats.

Je me considère moi-même comme un étudiant professionnel, comme un adepte de l'apprentissage continu, et j'ai trois questions à poser. La première concerne la question des sexes — j'en suis toujours au stade de l'analyse sexospécifique.

Pendant l'exposé de Mme Taylor, j'ai constaté que les filles étaient plus susceptibles de disposer d'options ouvertes — sur l'échelle utilisée par Mme Taylor, le rapport de cotes de ce groupe était supérieur à 1.1 ou 1.2. Monsieur Hughes, je me demandais si, dans le cadre de votre programme, vous aviez remarqué quelque différence que ce soit au chapitre du décrochage en fonction du sexe. Le groupe des décrocheurs est-il constitué principalement de garçons, ou est-il constitué à parts égales de garçons et de filles?

Sans aucun doute, monsieur Sharpe, au sein des collectivités autochtones, il est très évident que le décrochage est une réalité essentiellement masculine. Il semble que le décrochage soit attribuable au fait que les garçons s'ennuient. Le taux de décrochage chez les filles n'est pas si élevé. Curieusement, au sein des collectivités autochtones, les mères de famille monoparentale poursuivent vers les études postsecondaires. Il s'agissait d'un problème et, d'une façon ou d'une autre, il a été réglé. Êtes-vous en mesure d'expliquer ce revirement de situation?

Monsieur Sharpe, croyez-vous que le modèle utilisé à Regent Park pourrait être appliqué à une collectivité autochtone? Ce modèle me plaît vraiment. Si vous voulez mon avis, notre système scolaire, qui a été conçu je ne sais trop quand, il y a des siècles et des siècles, sert à bourrer le crâne des élèves, sans les appréhender dans leur totalité. On ne peut pas simplement éduquer les esprits — il faut prendre en compte les personnes dans leur globalité. Selon moi, le programme en question englobe l'éducation de la personne, de la famille et de la collectivité.

Mme Taylor : Si j'ai bien compris, votre question portait sur le fait que, d'après nos constatations, les jeunes femmes étaient plus susceptibles de disposer d'options ouvertes. Cela correspond assurément aux renseignements dont nous disposons à propos des inscriptions aux programmes universitaires de premier cycle. La majorité des étudiants qui s'inscrivent à l'université, à tout le moins au premier cycle, sont des femmes. Quant à la question de savoir s'il y a eu des changements dans l'écart entre les hommes et les femmes, au chapitre de l'inscription au premier cycle universitaire, cela ne fait aucun doute.

En ce qui concerne les inscriptions aux études supérieures, le vent a tourné de façon encore plus marquée en faveur des hommes, dont la proportion a augmenté. Bien sûr, il existe toujours des différences lorsqu'on examine les statistiques relatives au marché du travail, mais au chapitre de l'inscription aux études de premier cycle, nos constatations correspondent à la réalité.

M. Hughes : Ironie du sort, dans le numéro du Globe and Mail de demain, vous pourrez lire une lettre ou un article rédigé en réponse à un texte publié il y a quelques jours à propos de l'importance que les programmes comme le nôtre soient davantage axés sur les garçons que sur les filles. Évidemment, dans mon article, je souligne entre autres que, même s'il existe une légère tendance en faveur des filles dans ce domaine, nous estimons qu'il faut investir des sommes substantielles pour guider les élèves, autant les garçons que les filles, sur le chemin de la réussite scolaire. L'un des aspects essentiels de notre programme, c'est que nous ne sélectionnons pas les participants en fonction du revenu ou de quelque autre critère que ce soit. Il s'agit d'un programme communautaire, et toute personne appartenant à une collectivité désignée comme collectivité dans le besoin peut et devrait y participer. À Regent Park, le taux de participation au programme s'élevait à 93 p. 100, et nous avons atteint des taux de participation du même ordre dans d'autres collectivités de l'Ontario et du Québec — il est donc important de ne pratiquer aucune segmentation ou fragmentation. Nous estimons qu'il s'agit là d'un aspect crucial de la discussion.

M. Sharpe : Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que, à l'heure actuelle, les statistiques concernant les garçons et l'école secondaire sont beaucoup plus alarmantes que celles concernant les filles. Actuellement, à l'université, la population étudiante est composée de femmes dans une proportion de 60 p. 100. Les hommes ne représentent que 40 p. 100 de la population étudiante universitaire. Tous les progrès réalisés au chapitre de l'augmentation du niveau de scolarité postsecondaire concernent les femmes. Il n'y a pas eu beaucoup de progrès chez les hommes. Comme vous l'avez souligné, cela peut assurément être observé au sein des collectivités autochtones. Cela est un problème. Comparativement aux jeunes femmes, le rendement des jeunes hommes au secondaire est décevant, et nous devrions nous pencher sur cette question en tenant compte des différences entre les sexes.

Enfin, je ne connais pas suffisamment le modèle de Passeport pour ma réussite pour dire s'il fonctionnerait dans les collectivités autochtones, mais nous devrions assurément tenter le coup. Ce programme est une véritable réussite. Quant aux chiffres selon lesquels chaque dollar investi dans nos programmes en rapporte 25, il me semble que ce taux de rendement est élevé. J'aimerais savoir comment il a été calculé.

M. Hughes : Nous vous transmettrons toutes nos données.

M. Sharpe : Puisque la crédibilité du Boston Consulting Group est bien établie, je ne remets pas ces chiffres en cause. Il serait fantastique que ce programme puisse venir en aide aux collectivités autochtones. M. Hughes devrait répondre à la question de savoir si le modèle a été appliqué aux collectivités autochtones. Il est mieux placé que moi pour en parler.

M. Hughes : Il s'agit d'un sujet qui fait l'objet de nombreuses discussions au sein de notre organisation. Nous menons des discussions dans un centre urbain où les Autochtones forment une importante partie de la population, et il est crucial pour nous, au point où nous en sommes rendus, que notre bassin de participants soit un reflet fidèle de la population que nous desservons. À ce jour, nous y sommes assez bien parvenus dans tous nos sites de programme en ce qui a trait à la prise en compte des nécessités ou des exigences particulières. Nous ne considérons pas que le fait de tenir compte des exigences particulières en matière de culture et d'apprentissage de l'une ou l'autre des communautés culturelles constitue un problème. Nous trouvons cela stimulant, et nous avons hâte de mettre en œuvre le programme dans les collectivités à forte concentration d'Autochtones. À ce jour, nous avons principalement travaillé dans de grands centres urbains. Tout cela fera partie de nos discussions. Ni les Autochtones ni aucun autre groupe culturel ne pose un quelconque problème fondamental pour notre programme, pour autant qu'une attention relativement égale soit portée aux besoins particuliers de chacune des personnes qui participent au programme.

Le sénateur Martin : J'ai été enseignant moi aussi, et j'ai l'impression que nous demeurons toujours des enseignants et des étudiants. Pendant ma carrière d'enseignant, il m'est souvent arrivé de discuter avec des collègues à propos des avantages et des inconvénients de la répartition en filière d'orientation. Certains groupes auxquels j'ai enseigné étaient composés en partie de jeunes qui suivaient un programme d'apprentissage accéléré. Tous les élèves, dont le niveau de capacité était très différent, étaient rassemblés dans une même classe. Au cours des plus récentes années, je dirais les cinq à dix dernières années, les niveaux d'habileté étaient tellement différents au sein de chaque groupe que cela posait de grandes difficultés pour les élèves. Simplement en me rendant dans les écoles et en constatant les résultats, je peux dire que le programme Passeport pour ma réussite semble très efficace.

Madame Taylor, en raison des contraintes de temps, vous n'avez pas pu aborder la question de l'incidence de la répartition selon les filières d'orientation sur les taux de diplômation. Des études ont-elles été menées pour déterminer si les élèves ayant été placés dans une filière d'orientation et ayant reçu une attention particulière réussissaient davantage? Je pense notamment aux écoles parallèles. Il y en a en Colombie-Britannique, mais elles ne sont pas toutes semblables dans l'ensemble des arrondissements scolaires.

Monsieur Hughes, le programme Passeport pour ma réussite pourrait-il être utilisé dans des groupes d'élèves répartis selon les filières d'orientation? Ce programme est-il plus efficace lorsqu'il est appliqué à un groupe plus homogène, où les niveaux d'habileté des élèves ne sont pas aussi diversifiés? Évidemment, tous ces élèves sont à risque, mais comment Passeport pour ma réussite pourrait-il être utilisé dans les écoles offrant des programmes parallèles et accueillant des élèves à risque élevé?

Nous avons parlé des élèves qui terminent leurs études secondaires et de la manière dont nous nous y prenons pour supprimer l'écart qui existe, à cet égard, entre les nantis et les démunis. Cependant, j'ai également des craintes en ce qui concerne les élèves qui obtiennent leur diplôme d'études secondaires. Même pour les personnes qui proviennent de milieux très à l'aise, la première année d'université et les études postsecondaires peuvent se révéler être un défi de taille et extrêmement difficile à surmonter. Une proportion de 80 p. 100 de vos élèves poursuivent des études postsecondaires. Je suis curieux de connaître le taux d'achèvement de ces études et de savoir s'il s'agit d'une question sur laquelle nous devrions également nous pencher, car il est bien beau de veiller à ce que les élèves terminent leurs études secondaires, mais que se passe-t-il après cela? Il s'agit d'une question particulièrement importante pour ce qui est de ces élèves à risque élevé.

Mme Taylor : Pour répondre à votre première question touchant les aspects problématiques de la répartition selon les filières d'orientation et des solutions de rechange, les différentes études qui ont été menées ont montré que les élèves classés dans les filières de niveau inférieur avaient certains problèmes au chapitre de l'estime de soi. En effet, ces jeunes savent qu'ils ont été placés dans une filière de niveau inférieur, et cela a souvent des répercussions sur eux. Chez les élèves classés dans les filières de niveau inférieur, il existe une corrélation entre le sentiment de se sentir encore plus exclu à l'école et le taux de décrochage. Souvent, cela a une incidence négative sur leurs aspirations. Il s'agit là d'aspects problématiques qui ont été relevés.

Lorsqu'on examine les solutions de rechange, là encore, selon notre étude provinciale, nous avons assurément constaté que les options offertes en Saskatchewan sur le plan des programmes d'études et du nombre de filières sont plus limitées. Sans aucun doute, l'un des moyens de régler le problème consiste à mettre en place un système avec moins de filières et où les élèves sont moins répartis selon des filières particulières.

Quant à ce qui se passe dans les salles de cours, nous avons discuté de la possibilité d'opter pour un enseignement plus coopératif, c'est-à-dire de demander aux élèves qui ont de bons résultats scolaires d'aider ceux qui ont plus de difficulté et de mettre en commun leurs connaissances. Sans aucun doute, il s'agit d'une question épineuse, et c'est pourquoi elle semble faire l'objet de bien des discussions dans le milieu des enseignants. Il n'est pas facile d'y répondre, mais nous devons nous demander si les désavantages du système de répartition selon les filières d'orientation l'emportent sur les avantages.

M. Hughes : Pour les fins du compte rendu, un certain nombre de membres anglophones du comité m'ont affublé du titre de docteur. Je tiens à signaler que je ne suis pas docteur, mais je vous remercie de la promotion que vous m'avez accordée.

Pour ce qui est de la question des filières d'orientation, je me contenterai de dire que le programme Passeport pour ma réussite a été conçu pour fonctionner à l'intérieur de n'importe quel système. Nous ne voulons pas changer le système d'éducation, ni même faire des commentaires à cet égard. Nous cherchons plutôt à travailler avec les élèves, et nous veillons surtout à les aider à s'adapter à leur système et à leur environnement, quels qu'ils soient. Notre rôle consiste à travailler avec les élèves en leur offrant les services de mentorat et de tutorat pour les aider à composer avec le système, à fonctionner en son sein et à réussir à aller de l'avant en dépit des obstacles qui se dressent sur leur route. Plutôt que de nous concentrer sur ce que les élèves apprennent, nous nous employons à les aider à apprendre et à leur apprendre à apprendre. Notre rôle consiste à leur offrir un soutien global qui les aide à faire leur chemin à l'intérieur du système. Par contre, je vais laisser cette question des filières d'orientation à des personnes qui sont plus qualifiées que moi pour en parler.

Sur la question du soutien offert aux élèves qui poursuivent des études postsecondaires, je souligne que nous continuons à fournir différents types de soutiens aux élèves après leurs études secondaires et au moment où ils entreprennent leurs études dans un établissement postsecondaire, peu importe le type d'établissement dont il s'agit. Nos programmes s'adressant à ces étudiants sont moins structurés, mais cela n'empêche pas que de nombreux étudiants reviennent nous voir parce qu'ils ont l'impression d'avoir trouvé, au sein de notre organisation, un ami et un mentor en qui ils ont confiance. Notre programme crée des liens, et une grande partie de notre programme repose justement sur la création de liens. Si nous nouons une relation de soutien avec un élève, il sera à l'aise de revenir nous voir pour rencontrer notre personnel et nos bénévoles, et, pour de nombreux jeunes, cette aide est très précieuse. Cela est attesté tant par nos données que par les conversations que nous avons avec ces jeunes.

Plus particulièrement, nous avons lancé le programme Tri-mentoring, dans le cadre duquel nous embauchons des étudiants au postsecondaire pour qu'ils deviennent mentors à leur tour. Pour ainsi dire, il s'agit pour eux d'une manière de redonner un peu de ce qu'ils ont reçu. Ils ont bénéficié de notre programme de mentorat et de tutorat, et à présent, ils deviennent eux-mêmes mentors et tuteurs pour les étudiants qui sont un peu plus avancés dans leurs études postsecondaires. Ils aident également ceux qui viennent tout juste d'entreprendre leurs études postsecondaires. En effet, ils aident les étudiants de 11e et de 12e années dans le cadre de leurs cours de formation professionnelle de préparation à la carrière, ce genre de choses. Nous estimons que ce modèle fonctionne très bien.

Le président : Nous en sommes arrivés à la fin de notre séance. Il arrive parfois que nous devions terminer à 18 heures, et nous avons dépassé cette heure de quelques minutes.

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont participé à notre débat. Madame Taylor, veuillez remercier M. Krahn de notre part. Merci à vous trois qui êtes autour de la table. Cette séance a été très utile pour nous. Il s'agit d'un point de vue sur la question de la pauvreté que nous devions connaître, et j'estime que nous avons reçu un bon nombre de renseignements précieux à cet égard.

Demain matin, à 10 h 45, nous tiendrons une autre séance, avec un témoin de Calgary, à propos du salaire minimum vital. Il s'agit d'un sujet intéressant. Nous parlerons également d'un engagement pour mettre fin à l'itinérance d'ici 10 ans.

(La séance est levée.)


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