Aller au contenu
CITI

Sous-comité sur les villes

 

Délibérations du Sous-comité sur les villes

Fascicule 2 - Témoignages du 23 avril 2009


OTTAWA, le jeudi 23 avril 2009

Le Sous-comité sur les villes se réunit aujourd'hui à 10 h 48 pour examiner les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Aujourd'hui, nous nous penchons sur la question des salaires et son lien avec la pauvreté ainsi que sur les difficultés qu'éprouvent de nombreux salariés. Nous traiterons également du salaire minimum, une question qui a déjà été brièvement abordée dans le cadre de certaines de nos réunions passées, et nous en aurons plus d'information à ce sujet aujourd'hui. Nos discussions s'inscriront en outre dans le contexte d'un nouveau programme prometteur, le programme de salaire vital de Calgary. Un certain nombre de villes s'intéressent à ce concept.

Nous accueillons M. Derek Cook, qui vient de Calgary. Il est planificateur social à la municipalité de Calgary et il pilote la politique de salaire vital dans le processus décisionnel de la ville. J'ai déjà été maire, je sais bien que ces processus peuvent être longs et complexes. M. Cook comparaît aujourd'hui devant le comité à titre personnel.

Nous avons un seul témoin aujourd'hui, et lorsque nous aurons passé en revue les questions qui intéressent M. Cook, j'aimerais tenir une petite conférence avec les membres du comité au sujet de la suite de notre programme, qui doit nous mener jusqu'à la fin de juin, et au sujet de notre information budgétaire. Cette partie de la réunion se déroulera à huis clos.

Monsieur Cook, soyez le bienvenu. Commencez, je vous prie.

Derek Cook, à titre personnel : Merci, monsieur le président, merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis honoré de pouvoir vous parler aujourd'hui du salaire vital. Je me présente aujourd'hui à titre personnel, même si je peux parler de l'expérience que nous avons vécue à Calgary et des nombreuses études que nous avons réalisées pour élaborer notre politique de salaire vital. L'essentiel de mon propos porte, il est vrai, principalement sur Calgary et l'Alberta.

J'aimerais parler du contexte dans lequel s'inscrit le salaire vital, puis de la façon dont nous l'avons interprété pour définir une éventuelle politique municipale.

Comme vous le savez, en 1995, le rôle fédéral en matière de politique sociale canadienne a été radicalement transformé par l'élimination du Régime d'assistance publique du Canada, qui a été remplacé par le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Ce changement s'est accompagné d'une réduction des niveaux de financement accordés aux provinces. La mesure a entraîné une vaste restructuration des programmes provinciaux d'aide sociale dans tout le pays, car les gouvernements provinciaux ont tenté de réduire leurs dépenses en limitant les prestations et en resserrant les critères d'admissibilité.

L'une des raisons fondamentales de cette restructuration était la conviction que, pour réduire la pauvreté à long terme, il valait mieux encourager les bénéficiaires de l'aide sociale à abandonner les programmes de soutien du revenu et à intégrer les rangs de la population active. Cette idéologie se reflète, comme nous le voyons, même dans les changements de nom qui ont été effectués en Alberta. Nous avons eu un programme de soutien pour l'indépendance; en Ontario, évidemment, l'aide sociale est devenue le programme Ontario au travail.

Depuis cette restructuration fondamentale, le pays a connu, jusqu'à tout récemment, une longue période de croissance économique. Calgary a peut-être bénéficié plus que toute autre ville au pays de cette période de croissance. Calgary avait l'un des taux d'emploi les plus élevés, les taux de chômage les plus faibles et la croissance du revenu la plus rapide de toutes les villes canadiennes. Dans ce climat économique, on considérait souvent que la solution à la pauvreté consistait à se « trouver un boulot ».

Si l'emploi était vraiment la solution à la pauvreté, Calgary est très certainement la ville où cette solution aurait dû être trouvée. L'a-t-elle été? D'après le dernier recensement, 14 p. 100 des Calgariens vivent toujours dans la pauvreté, une proportion pratiquement inchangée depuis 2001, et moins du tiers d'entre eux avaient droit à l'aide sociale. Les autres avaient sans doute un emploi.

Les travailleurs à faible revenu sont encore nombreux dans les refuges pour sans-abri et les banques alimentaires de Calgary. Une étude locale réalisée en 2006, alors que la prospérité atteignait des sommets, a révélé que plus du tiers des Calgariens s'inquiétaient de ne pas avoir assez d'argent pour se loger et qu'environ un sur cinq craignait de ne pas avoir suffisamment d'argent pour se nourrir et s'habiller.

Pourtant, le taux de chômage était à son plus bas, il était tombé à 3,2 p. 100. De toute évidence, l'emploi n'est pas le chemin le plus direct pour échapper à la pauvreté, contrairement à ce qu'envisageaient les tenants de la réforme de l'aide sociale. D'après Statistique Canada, en 2004, environ la moitié des travailleurs à faible revenu au Canada étaient le principal soutien économique de leur ménage. Environ un quart de ces ménages étaient des ménages à faible revenu. En 2005, environ les deux tiers des pauvres en Alberta travaillaient, et un tiers d'entre eux travaillaient à temps plein et toute l'année.

Une des principales raisons pour lesquelles la capacité d'emploi ne parvient pas à tirer les ménages de la pauvreté est l'érosion de la valeur du salaire minimum. En 1976, en Alberta, le salaire minimum correspondait à peu près au seuil de faible revenu. Depuis cette époque, il a décliné plus ou moins régulièrement jusqu'à ces dernières années, de sorte qu'en 2006, le salaire minimum s'établissait à seulement 70 p. 100 du seuil de faible revenu, le SFR. Ce pourcentage constituait, de fait, une augmentation relativement à ce qui existait deux années plus tôt, alors qu'il était équivalent à 60 p. 100 du SFR.

Nous sommes tous bien conscients des coûts qu'entraîne le travail mal rémunéré. D'importantes études ont été consacrées à l'incidence du travail faiblement rétribué et du faible revenu sur les ménages et les familles ainsi que sur la société. Les coûts sont liés à la prestation d'un ensemble de services sociaux et notamment au logement social. Nombre de provinces offrent en outre aux travailleurs à faible revenu diverses subventions et des programmes de soutien de la rémunération et, souvent, les municipalités et les villes doivent assumer le coût de ces programmes, subventions et services.

La pauvreté est également associée à des coûts à long terme bien documentés, notamment en termes de mauvaise santé et d'éducation insuffisante, et tous ces coûts sont assumés, à long terme, par la société, puisque le capital humain et la productivité s'en trouvent réduits.

Dans les années 1990, nombre d'administrations publiques en Amérique du Nord ont commencé à sous-traiter la prestation de nombreux services qui étaient autrefois assurés par les municipalités. Elles les ont confiés au secteur privé pour tenter de réduire les coûts. Cette approche a produit des économies à court terme, mais souvent parce que les entreprises du secteur privé offraient des salaires sensiblement inférieurs à ceux des pouvoirs publics. Cette façon de procéder a permis de réaliser des économies budgétaires à court terme, mais elle a entraîné une augmentation des coûts dans d'autres secteurs, car les petits salariés ont eu de plus en plus recours aux programmes de soutien et aux services publics pour soulager les problèmes de la pauvreté.

C'est dans ce contexte que les politiques et les pratiques susceptibles de relever les salaires et de les porter à un niveau acceptable convenu ont commencé à éveiller l'intérêt. La position philosophique sous-jacente de cette approche est que les travailleurs ont au moins droit à un revenu qui leur permette de répondre à leurs besoins élémentaires.

Ce raisonnement n'est pas nouveau. De fait, on le retrouve dans les écrits de Saint-Augustin et même dans ceux d'Adam Smith. Toutefois, en dehors des théories économiques, il y a aussi une question éthique fondamentale à laquelle nous devons répondre, nous devons décider si nous accordons une valeur aux personnes qui travaillent pour nos organisations — en l'occurrence, les villes ou les municipalités. Leur accordons-nous suffisamment de valeur pour faire en sorte qu'elles puissent vivre dans la dignité?

Pour humaniser la question, je cite les paroles d'un participant à un récent forum sur la pauvreté, à Calgary :

Essayez cela : dormez sur un matelas dans un refuge. Réveillez-vous à 5 h 30. Essayez de dormir la tête appuyée sur la table jusqu'à 14 h. Allez travailler à 15 h; travaillez jusqu'à 1 h ou 2 h du matin; rentrez à pied au refuge où il ne reste plus de matelas : il est trop tard. Dormez sur un plancher de béton de 2 h 30 ou 3 h jusqu'à 5 h 30. Levez-vous et refaites la même chose pendant trois jours. Perdez une journée de sommeil le vendredi parce que le refuge est fermé pour le nettoyage. Perdez trois ou quatre heures de sommeil le samedi, pendant que vous attendez en ligne qu'on vous donne des vêtements propres. Perdez encore deux heures de sommeil le dimanche en essayant de faire la lessive. Le lundi, votre patron vous dit que cette semaine vous aurez aussi quelques heures de travail le jour mais que vous conservez également le poste du soir. Essayez de conserver cet emploi sans devenir fou, pour voir.

Pour les organismes publics, la dimension éthique du débat sur le salaire vital est encore plus essentielle, car il faut que tous les contribuables se posent la question suivante : est-ce qu'il convient d'utiliser les fonds publics pour maintenir les travailleurs de notre société dans un tel état de pauvreté?

En réponse à cette question, plus de 120 villes aux États-Unis ont adopté des décrets sur le salaire vital. Aux États- Unis, de tels décrets sont essentiellement des règlements exigeant que la municipalité paie des salaires conformes à des normes minimales. Au Canada, cette approche stratégique suscite de plus en plus d'intérêt. Elle est défendue principalement par des coalitions communautaires dans diverses villes. Des politiques sur le salaire vital ont été proposées ou sont envisagées dans la région de Waterloo, à Calgary, à Hamilton et, dans une certaine mesure, à Vancouver.

À Calgary, les efforts en vue de faire adopter une politique municipale de salaire vital ont été lancés par une coalition d'organisations communautaires qui préconisait que la ville prenne l'initiative dans le processus d'achat, ce qui a mené à l'adoption, en 2007, de la politique d'achat durable, écologique et éthique. Cette politique contient une disposition qui, essentiellement, donne la préférence aux entreprises qui accordent le salaire vital à leurs travailleurs. Quand cette politique a été approuvée, le conseil nous a demandé d'envisager ce qui se passerait si cette disposition facultative devenait obligatoire. Nous avons travaillé pendant environ deux ans pour définir à l'intention du conseil les effets qu'aurait une telle mesure. En avril 2009, nous avons déposé notre rapport au conseil municipal, et celui-ci a décidé de ne pas élargir la portée de notre programme de salaire vital pour l'instant.

En examinant les effets possibles d'une norme obligatoire de salaire vital pour les fournisseurs, nous avons découvert qu'il nous faudrait respecter nous aussi ces normes, puisque la ville a notamment pour principe de ne pas exiger d'un fournisseur une condition qu'elle-même n'est pas disposée à respecter. Tous les membres du personnel régulier de la municipalité de Calgary touchent des salaires supérieurs au salaire vital proposé, mais nous avons constaté qu'un petit groupe d'employés sur appel, des occasionnels, ne recevaient pas ce salaire. Le relèvement des salaires de ce petit groupe d'employés entraînerait des coûts d'environ 200 000 $. Il faudrait aussi prévoir des coûts supplémentaires pour rajuster les salaires de ceux qui sont à la limite du salaire vital, afin de préserver l'intégrité de la grille salariale. Le coût total pour la ville aurait été de 400 000 à 500 000 $. Nous avons aussi collaboré avec l'ensemble de nos fournisseurs pour déterminer l'incidence que la mesure aurait pour eux. Nous avons établi que presque tous nos fournisseurs versaient déjà des salaires équivalant au salaire vital et qu'ils ne prévoyaient pas que la mesure aurait sur eux des effets sensibles.

En étudiant la possibilité de mettre en œuvre une politique de salaire vital, nous avons pu dégager plusieurs difficultés. La première correspond à l'établissement d'un taux de salaire vital approprié. Évidemment, au Canada, nous n'avons pas de seuil officiel de la pauvreté, mais le SFR en tient généralement lieu. Nous avons calculé notre salaire vital en fonction du montant nécessaire pour qu'un travailleur célibataire qui a un emploi à temps plein pendant toute l'année ait, avant impôt, un revenu équivalent au SFR, ce qui donne un taux de salaire vital local d'environ 12 $ de l'heure.

Les opposants à la politique de salaire vital ont soulevé un certain nombre de préoccupations, liées surtout aux effets possibles sur les entreprises, sur les petits salariés et sur l'assiette fiscale municipale. Comme je l'ai dit précédemment, les consultations avec les fournisseurs ont calmé nos craintes quant à l'importance des effets sur les fournisseurs ou sur la base d'approvisionnement de la municipalité. Certains s'inquiétaient d'éventuelles répercussions que la politique pourrait avoir sur l'emploi, et les membres du conseil en ont certainement fait état. Notre examen des effets de politiques similaires aux États-Unis semblait toutefois indiquer que les effets sur l'emploi seraient minimes. Diverses études se contredisent, mais aucune incidence marquée n'a été constatée en termes d'emploi. L'effet sur l'assiette fiscale, par contre, suscitait de graves préoccupations, en raison des coûts que la mesure pourrait entraîner pour la ville.

Finalement, le conseil s'est interrogé sur sa compétence, car selon certains l'établissement d'un salaire minimum relevait de la province et il fallait se demander si, en adoptant une politique de salaire vital, la ville s'avançait dans un secteur de dépenses où elle n'avait aucune autorité.

Il faut bien distinguer entre salaire vital et salaire minimum et préciser que la ville, quand elle a lancé ce programme de salaire vital, agissait à titre d'organisation et d'employeur et non pas en tant qu'ordre de gouvernement. Nous n'étions pas différents des nombreuses organisations du secteur privé qui appliquent des politiques de salaire vital à leurs employés et à ceux avec qui elles choisissent de faire des affaires. Toutefois, en tant qu'ordre de gouvernement, je crois que les municipalités ont une responsabilité, elles doivent donner l'exemple en matière de pratique éthique et faire preuve de leadership.

Pour terminer, les emplois faiblement rémunérés, comme nous le savons, sont un important facteur de pauvreté urbaine, car les salaires n'ont pas augmenté suffisamment pour compenser les exigences que la restructuration du système de sécurité sociale au Canada a créé pour le marché du travail. Les coûts liés aux travailleurs à faible revenu sont importants et assumés dans une large mesure par les municipalités urbaines. Dans la mesure où il s'agit de coûts publics, ils représentent des subventions aux employeurs qui versent de petits salaires et qui bénéficient de l'érosion progressive de la valeur du salaire minimum. Les politiques de salaire vital donnent l'occasion aux municipalités de lutter contre la pauvreté grâce à une approche axée sur le marché et qui s'est avérée efficace dans diverses villes américaines. Nous croyons que de telles politiques peuvent procurer un avantage aux contribuables et réduire les coûts publics globaux et qu'elles sont une manifestation de leadership et de sens civique. Je répondrai à vos questions avec plaisir.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Cook. Le conseil municipal de Calgary a décidé, justement ce mois-ci, de ne pas élargir la portée du programme; même si le conseil est favorable au concept, le salaire vital demeure donc une disposition facultative. Si deux entreprises répondent à un appel d'offres de la Ville de Calgary et que l'une d'entre elles dit que oui, elle paie le salaire vital alors que l'autre ne le fait pas, celle qui paie le salaire vital n'a aucun avantage, au bout du compte. La ville retiendra l'offre la moins-disante. Est-ce ainsi que cela fonctionne?

Et j'aimerais discuter de quelques autres points. Vous n'avez pas parlé de la Chambre de commerce. Lorsque j'étais à Calgary, il n'y a pas si longtemps, j'ai cru comprendre que la Chambre de commerce de Calgary appuyait ce concept et tentait d'en favoriser l'adoption par l'ensemble de la communauté, et non pas seulement dans les dispositions des contrats de la Ville de Calgary. La Chambre est-elle encore favorable au programme, l'appuie-t-elle encore? Comment pourra-t-elle contribuer à l'élargir, pour en faire plus qu'une disposition facultative?

M. Cook : Pour ce qui est de la disposition facultative, la politique d'achat durable, écologique et éthique, que nous appelons la SEEPP (pour Sustainable, Environmental and Ethical Procurement Policy), instaure un code de conduite des fournisseurs qui fixe les conditions minimales que nous nous attendons à ce que tous nos fournisseurs respectent en matière d'éthique et d'environnement. Des conditions minimales ont été définies. En outre, des dispositions facultatives s'appliquent à deux ou trois aspects. Si un fournisseur peut prouver qu'il dépasse les normes dans ces secteurs, des points supplémentaires lui sont accordés dans le processus de cotation des offres. Alors, oui, il bénéficie d'un avantage dans le processus de soumission. Toutefois, il ne s'agit pas d'exigences.

La Chambre de commerce a adopté une politique interne de salaire vital et elle a appuyé les efforts de la ville.

Comme je l'ai dit, à Calgary comme dans d'autres villes ces initiatives sont pilotées dans une large mesure par la communauté, nous avons donc une coalition communautaire dynamique, appelée « Vibrant Communities Calgary », qui fait partie du réseau national « Vibrant Communities ». Elle nous fait avancer. Elle a mis sur pied un programme de leadership pour reconnaître les employeurs qui accordent le salaire vital. La Chambre de commerce a été la première organisation à laquelle la coalition « Vibrant Communities Calgary » a remis la désignation de leader en matière de salaire vital, et les deux organisations conjuguent leurs efforts pour faire adopter le concept dans toute la ville. Je crois que la municipalité de Calgary pourrait aussi être considérée comme un employeur qui respecte le principe du salaire vital, même si nous n'avons pas, nous-mêmes, de politique; nous satisfaisons aux conditions qui seraient fixées pour que nous soyons désignés comme employeur appliquant le principe du salaire vital.

Le président : Quel est le salaire vital en Alberta, par opposition au salaire minimum?

M. Cook : Nous avons calculé que le salaire vital serait de 12 $ de l'heure, avec les avantages sociaux. En général, aux États-Unis et dans d'autres villes, une prime qui remplace les avantages sociaux est accordée. S'il n'y a pas d'avantages sociaux, cela représente généralement 1,25 $ de plus de l'heure. En l'absence d'avantages sociaux, le salaire vital serait donc de 13,25 $. Le salaire minimum en Alberta est maintenant de 8,90 $.

Le président : Ma dernière question porte sur le salaire minimum. En période de prospérité comme pendant les récessions, on a débattu de l'efficacité qu'aurait un relèvement du salaire minimum pour lutter contre la pauvreté. Selon certains, cela n'est d'aucune utilité, mais d'autres soutiennent que si. Certains disent que cela permet de mettre plus d'argent dans les mains des personnes qui ont le plus de difficulté à faire face au coût de la vie. D'autres affirment que cela entrave la création d'emplois et que la création d'emplois aide les gens à échapper à la pauvreté.

Que pensez-vous de ce débat? Comment le voyez-vous? Cela intéresse évidemment les provinces qui ont un salaire minimum; elles sont soumises à de fortes pressions pour le relever. Nous avons un salaire minimum au niveau fédéral, mais il ne s'applique plus depuis un certain nombre d'années. Il n'a pas été modifié, il ne s'applique que dans un petit nombre de secteurs, notamment les transports, les communications et les banques, qui sont assujettis à la réglementation fédérale. Devrions-nous songer nous aussi à le relever?

M. Cook : Diverses études ont été réalisées pour déterminer si le salaire minimum avait des effets nocifs sur l'emploi, mais les résultats sont mitigés. Vous trouverez autant d'études disant que cela n'a pas d'effet sur l'emploi que d'études qui affirment qu'il y a bel et bien un effet. Je ne sais pas s'il y a vraiment une réponse empirique à cette question.

Je dirais que si l'on regarde l'évolution du salaire minimum, à une certaine époque il correspondait certainement mieux au seuil de faible revenu. Comme je l'ai dit, en 1976, en Alberta, le SFR et le salaire minimum étaient pratiquement identiques. Le problème, c'est que le salaire minimum n'était pas indexé, alors il a perdu de la valeur avec le temps.

Je crois qu'en relevant modérément le salaire minimum, on obtiendrait certains résultats, mais il conviendrait également de l'indexer, non seulement pour ceux qui touchent le salaire minimum, mais aussi pour les employeurs, parce que cela crée une mesure de certitude. Actuellement, toute la question du salaire minimum est politisée. Le salaire minimum stagne, puis tout à coup il bondit, et il n'existe aucune certitude ni pour le travailleur ni pour l'employeur quant à la façon dont la hausse sera effectuée.

Selon moi, il faudrait relever le salaire minimum et l'indexer, cela profiterait à tous.

Le président : Cela vaut aussi pour le salaire minimum fédéral?

M. Cook : Comme vous l'avez dit, le salaire minimum fédéral a une portée quelque peu limitée; toutefois, je crois que les mêmes avantages en découleraient.

Le président : Cela suscitera peut-être d'autres questions.

Le sénateur Segal : Permettez-moi de faire remarquer, pour le compte rendu, qu'avant que notre président ne devienne ministre de la Défense nationale, nombre des soldats des grades inférieurs des Forces canadiennes devaient livrer des pizzas et travailler le soir dans les dépanneurs pour arriver à boucler le budget de leurs familles. Lorsque notre président est devenu ministre de la Défense, il s'est battu pour que le niveau de la solde soit relevé et que les militaires n'aient plus besoin de travailler ainsi. Notre président en sait plus au sujet du salaire vital minimum qu'il ne le laisse entendre, et c'est tout à son honneur.

En ce qui concerne cette innovation importante et les avantages du programme dont vous avez parlé, je crois que Calgary déclare qu'aucun de ses employés ne sera pauvre en raison du niveau des salaires que la ville accorde ou permet à ses principaux fournisseurs d'accorder. C'est ainsi que j'interprète le leadership, et je pense que cela est tout à fait exemplaire.

Toutefois, et je crois que vous en conviendrez, même dans un endroit comme Calgary, où la croissance économique et les avantages ont été extraordinaires pendant un certain temps, il reste encore des groupes de personnes qui, peut- être, ne travailleront jamais pour la ville ni pour ses principaux fournisseurs, et pour ces personnes l'initiative de salaire vital peut encore avoir des avantages tertiaires indirects parce que plus d'argent circulera dans la collectivité et qu'elles en profiteront peut-être, mais pour elles, cela n'a pas beaucoup d'effet.

Vous étiez membre d'une administration municipale qui comprend sans doute un commissaire aux affaires sociales dont ces questions relèveraient directement, et votre ville avait et a toujours des difficultés, non seulement au chapitre de l'itinérance, mais aussi parce que le revenu de certaines personnes est très en deçà du coût de la vie, non pas à la ville, mais dans des emplois génériques qui se trouvent dans la ville, et ces personnes ont de la difficulté à s'en sortir.

Pourriez-vous nous aider à comprendre le dialogue qui a pu s'établir entre vous, comme promoteur et gestionnaire du programme, et vos collègues qui essayaient de faire face à ces autres pressions sociales? Le reste du pays peut-il apprendre quelque chose, ici, en termes de pratiques exemplaires?

M. Cook : Un dialogue entre qui?

Le sénateur Segal : Entre vous et le commissaire aux affaires sociales, au sein de votre administration municipale.

M. Cook : Au sein de l'administration? Calgary et l'Alberta ont ceci de particulier que nous n'abordons pas ces questions aussi directement que d'autres municipalités et d'autres régions du pays. Nous n'administrons pas l'aide sociale, par exemple.

Notre engagement dans ce secteur se fait surtout dans le cadre de nos initiatives de lutte contre l'itinérance; en outre, notre service de soutien à la famille et à la collectivité finance des organismes pour administrer des services sociaux préventifs. Nous ne participons pas directement à cela comme le ferait une municipalité ontarienne.

Nous n'avons pas tenu de dialogue notable au sein de l'administration. Notre dialogue interne portait plus sur la façon dont nous pourrions arriver à nos fins. Notre service récréatif suscitait des préoccupations particulières, car c'est là que se trouve le gros des travailleurs faiblement rétribués par la municipalité.

Le problème concernait des travailleurs dont le salaire est faible et qui travaillent très peu d'heures. Il ne s'agit pas d'employés réguliers. Ils ne sont pas syndiqués. Ce sont des employés occasionnels, sur appel. Ils travaillent parfois seulement quelques heures par semaine. On avait l'impression qu'en général, il s'agissait d'étudiants, et non pas de soutiens de famille. Nous dépenserions un demi-million de dollars, selon l'argument de certains, pour donner à quelques jeunes de l'argent pour s'acheter des iPod, pour prendre un exemple extrême, et il faut se demander si c'est là une utilisation optimale de ces ressources.

Cette hypothèse nous a semblé intéressante, et nous avons décidé de la tester. Nous avons réalisé un sondage auprès de ces travailleurs à faible salaire. Il s'est avéré que dans de nombreux cas il ne s'agissait pas de jeunes qui travaillaient pour se faire un peu d'argent de poche, ou que s'il s'agissait de jeunes, environ la moitié, même s'ils n'étaient pas soutiens de famille, vivaient dans des ménages à faible revenu. En moyenne, ils avaient tous des revenus inférieurs à la moyenne de la ville. À l'interne, la question s'est ramenée à savoir si nous allions dépenser cet argent pour appuyer une population qui présentait ce profil, compte tenu du fait que le salaire vital ne permettrait pas de tirer ses membres de la pauvreté, mais aiderait leurs ménages. Quel effet cette dépense aurait-elle spécifiquement sur l'unité des services récréatifs et le coût des services qu'il faudrait offrir?

Le sénateur Segal : J'aurais encore une petite question, si vous me le permettez. Si cela n'est pas déraisonnable ou injuste, et je ne pense certainement pas que vous parlez au nom de l'administration municipale, mais simplement en tant que professionnel et spécialiste du secteur, pensez-vous que si vous pouviez concevoir un cadre dans lequel nous avons tous du travail, puisque la situation en Alberta et dans le reste du pays garantit un accès raisonnable à des soins de santé universels, qu'en principe l'accès à l'éducation est garanti du jardin à la 11e, à la 12e ou à la 13e année, que nos quartiers relativement sûrs grâce au travail des forces policières, et cetera, selon vous, est-ce que l'État devrait intervenir pour faire en sorte que les citoyens aient le revenu minimum dont elles ont besoin, qu'ils aient ou non la chance de travailler pour la municipalité de Calgary ou pour Research in Motion, RIM, à Waterloo, où l'on s'en tire très bien, ou encore ailleurs? Sur le plan philosophique, pensez-vous qu'il vaudrait mieux que nous ne nous mêlions pas de cela, que nous laissions jouer les forces économiques?

M. Cook : Sur le plan philosophique, je suis tout à fait d'accord avec vous.

Vous avez raison; le salaire vital, à lui seul, à la municipalité de Calgary, n'aurait pas d'effet notable de réduction de la pauvreté. Il offrirait un certain avantage économique limité à un petit nombre de personnes. Toutefois, comme je l'ai dit dans mon exposé, nous n'abordions pas le salaire vital à titre d'administration publique. Je crois que les médias, la population et le conseil avaient de la difficulté à comprendre ce qu'était le salaire vital. Nous ne l'abordons pas comme si nous étions un ordre de gouvernement. Nous l'abordons en tant qu'organisation qui veut faire ce qu'il faut.

Il s'agit vraiment d'une décision éthique, car la sécurité du revenu ne relève pas de la municipalité. Elle relève de la province et du gouvernement fédéral. Vous pourriez dire que la sécurité du revenu est vraiment la responsabilité de trois entités : l'État, la personne et l'employeur.

Le sénateur Segal : Utiliseriez-vous le même terme? Vous avez dit que l'éthique était l'un des critères sous-jacents à la politique. Diriez-vous, si l'on revient à votre dernier commentaire, que l'obligation relative à la sécurité du revenu est une obligation éthique pour les trois différents groupes que vous avez mentionnés?

M. Cook : Pour les trois, parfaitement.

Le sénateur Segal : Merci beaucoup.

Le sénateur Dyck : J'ai deux ou trois questions à vous poser, et les réponses que vous avez données au sénateur Segal m'aident dans une certaine mesure.

Je me demandais qui étaient les travailleurs à faible revenu, et quels types d'emplois ils avaient. Vous avez dit qu'à la ville, il s'agissait surtout des travailleurs du secteur des services récréatifs, et qu'on avait l'impression que la majorité étaient des étudiants qui étaient là de façon temporaire, ou à temps partiel. Puis vous avez dit que parce qu'il s'agissait d'étudiants, la ville ne voudrait peut-être pas investir dans des salaires qui permettraient à quelqu'un de s'acheter, par exemple, un iPod.

Il me semble qu'un salaire est fixé non pas en fonction de la personne qui occupe le poste, mais en fonction des tâches ou des responsabilités du poste. En conséquence, le titulaire du poste ne devrait pas entrer en compte, il suffit qu'il soit qualifié. Il ne faudrait pas tenir compte du titulaire du poste pour décider si, oui ou non, il convient de relever le salaire. Cette décision devrait être liée au poste, aux responsabilités. N'est-ce pas un point de vue raisonnable?

M. Cook : Je suis d'accord avec vous, le salaire ne devrait pas être fondé sur les caractéristiques de la personne, et c'est un argument que nous avons présenté à l'interne, nous, les promoteurs de la politique, nous avons dit que la façon dont les employés dépensent leur argent n'était pas pertinente.

Le sénateur Dyck : Oui.

M. Cook : Toutefois, nous préconisons aussi cette politique parce que nous essayons d'améliorer la situation des personnes à faible revenu qui ont besoin d'aide pour combler leurs besoins fondamentaux. Les opposants soutenaient que nous n'atteindrions pas les objectifs de notre politique, puisque l'argent ainsi dépensé n'aiderait pas nécessairement des travailleurs à faible revenu, concrètement — il aiderait des travailleurs faiblement rémunérés, mais pas nécessairement des travailleurs à faible revenu. C'était l'argument des opposants.

Selon moi, toutefois, il ne s'agit pas simplement d'attribuer une valeur à un poste en fonction du marché. Nous essayons d'appliquer des critères distincts pour établir au moins le niveau minimum de l'échelle salariale, en nous éloignant du marché, pour fonder ce niveau sur des considérations éthiques, en fonction de ce dont une personne aurait effectivement besoin à cette extrémité du spectre. Nous séparons délibérément les salaires et le marché, dans une certaine mesure.

Le sénateur Dyck : J'essayais de déterminer qui sont ces travailleurs à faible revenu. J'ignore si des études ont déjà été réalisées pour établir les types d'emplois où les salaires sont faibles. Est-ce qu'il y a eu des études visant à dégager les avantages d'une augmentation des salaires, par exemple une réduction de l'absentéisme ou une augmentation de la productivité des employés, parce qu'ils reçoivent un salaire qui est juste, et que donc ils travaillent plus fort et de façon plus constante? Y a-t-il des données qui confirment l'existence d'avantages pour ces employeurs, pour que ceux-ci soient plus susceptibles d'en tenir compte en termes de marge bénéficiaire?

M. Cook : Plusieurs études intéressantes ont été réalisées. Dans ces débats sur le salaire vital, nombre des études publiées s'appuient sur des modèles économétriques montrant que la mise en œuvre de ces politiques créerait une sorte de chaos. Toutefois, si vous prenez les études qui, effectivement, évaluent l'incidence d'une politique après sa mise en œuvre, les conclusions sont très différentes.

D'excellentes études ont été consacrées aux cas de Los Angeles, de San Francisco et de Baltimore, et l'on a constaté que les travailleurs étaient plus productifs et que le roulement diminuait. Nombre des coûts que l'on s'attend à voir imposés à l'entreprise ne se matérialisent pas, concrètement, en raison des importants avantages qui découlent de la réduction de l'absentéisme, de la réduction du roulement et de l'augmentation de la productivité; et cela compense souvent les coûts supérieurs liés à la politique pour l'entreprise.

Le sénateur Cordy : Je sais que le salaire vital a pris la forme d'une directive du conseil municipal, mais est-ce que l'initiative venait du conseil municipal ou du public, des citoyens de Calgary, qui se sont dit qu'il fallait faire quelque chose pour aider les travailleurs à faible revenu?

M. Cook : Elle est venue des deux groupes. L'initiative de salaire vital reflète la volonté d'adopter une politique d'achat éthique préconisée par une coalition communautaire appelée la « No Sweat Coalition » et dirigée par des groupes religieux, des groupes syndicaux et des organisations communautaires. Elle demandait au conseil d'établir certaines normes que nous pourrions utiliser pour notre politique d'achat. Elle a travaillé avec divers membres du conseil qui l'ont aidée à présenter la question au conseil, et l'administration a reçu l'ordre d'entamer ce travail. Il s'agissait vraiment d'un partenariat entre plusieurs organisations communautaires travaillant avec certains membres du conseil qui étaient sympathiques à la cause.

Le sénateur Cordy : J'aimerais savoir. En Nouvelle-Écosse, chaque fois que le salaire minimum est relevé, il s'en trouve pour dire que des emplois disparaîtront et que le coût de la vie augmentera, et que la mesure ne servira donc à rien. Avez-vous entendu ces arguments lorsque vous essayiez d'instaurer le salaire vital à Calgary?

M. Cook : Certainement. Ces arguments sont toujours invoqués. La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante a vigoureusement manifesté son opposition à cette politique précisément pour ces raisons. Cette façon de penser semblait avoir un certain attrait auprès de quelques membres du conseil. On craignait, en mettant en œuvre le salaire vital, de faire du tort aux travailleurs à faible revenu en réduisant leurs perspectives d'emploi.

Regardez toutefois ce qui s'est passé en Alberta entre 2002 et 2006, quand des augmentations importantes du salaire minimum ont été mises en œuvre. Nous avons examiné le secteur de la vente au détail, où un grand nombre d'employés travaillent au salaire minimum. S'il y avait un effet, vous devriez en principe le constater dans ce secteur. Nous avons vu que l'emploi augmentait dans ces secteurs, malgré la hausse du salaire minimum. Nous n'avons constaté aucune incidence, en Alberta du moins, de ces augmentations du salaire minimum.

Le sénateur Cordy : Je reconnais que les arguments ne semblent pas fondés, mais on nous les ressert encore de temps à autre.

M. Cook : Oui.

Le sénateur Cordy : Revenons aux commentaires du sénateur Dyck, au sujet des aspects positifs de l'initiative que vous avez pu constater. Avez-vous défini des lignes directrices ou des mesures que vous pourriez présenter au monde des affaires ou à tout autre intéressé pour expliquer comment le programme fonctionne? Je crois que ce programme est assez nouveau. L'avez-vous implanté en avril 2008?

M. Cook : Je le répète, notre programme, pour l'instant, est limité à une disposition facultative dans le code de conduite des fournisseurs. Il ne s'applique donc qu'à nos entrepreneurs. En outre, la disposition est facultative. Le programme est plutôt limité, pour l'instant.

Comme je l'ai dit, nous avons l'intention de l'élargir. Nous voulions rendre cette disposition obligatoire et l'appliquer à notre personnel sur appel et occasionnel, mais le conseil n'a pas accepté ce projet. Il n'y a pas grand-chose à mesurer pour l'instant.

Tout notre programme d'achat éthique est très nouveau. C'était en 2007, alors nous y travaillons depuis seulement deux ans environ, et nous élargissons progressivement la gamme des produits. Il serait prudent de procéder à une évaluation, mais il est encore trop tôt pour pouvoir évaluer d'éventuels effets.

Le sénateur Cordy : Étudiez-vous des mécanismes d'évaluation? Si vous pouvez prouver le genre de choses qui, selon nous, devraient se produire en raison de l'existence de ce programme, il serait certainement beaucoup plus encourageant pour les autres organismes privés de la ville de mettre en œuvre le même genre de programme.

M. Cook : Honnêtement, il n'y a pas grand-chose à évaluer pour l'instant à la ville. Nous avons travaillé avec l'administration régionale de la santé, et je dois signaler que l'administration régionale de la santé étudiait elle aussi une politique de salaire vital. Dans deux ou trois mois, sans doute, elle prendra une décision à ce sujet.

Nous avions l'intention de procéder à une évaluation des effets de la politique de salaire vital sur la santé. Des évaluations des effets sur la santé ont été réalisées à Los Angeles et à San Francisco, où de telles politiques sont en vigueur, et elles ont révélé des avantages importants en ce qui concerne tant la santé des travailleurs que les économies qui en découlent pour les municipalités. Il existe une solide expérience américaine dont nous pouvons profiter, mais pas grand-chose au Canada.

Le sénateur Keon : J'écoute des témoignages dans ce domaine depuis deux ou trois ans et je suis convaincu que le fait de régler de petits problèmes ne sert à rien. Autrement dit, intervenir au niveau du revenu ne vous aidera pas, parce que le problème vient des personnes touchées qui n'arrivent pas à se relever. Si elles n'y parviennent pas, c'est parce qu'elles n'ont pas les ressources nécessaires. Elles n'ont pas l'éducation; elles n'ont pas le bien-être et parfois même elles n'ont pas la santé, le logement, ce genre de choses. Vous l'avez décrit dans votre rapport de cas.

Si nous n'accordons pas nos violons et que nous ne commençons pas à organiser des communautés de bien-être, nous ne réglerons jamais ce problème. Tant que vous n'irez pas vers les personnes pauvres qui travaillent à 8 $ ou 8,90 $ l'heure dans certaines régions du pays et que vous ne trouverez pas des façons de rallier la communauté pour les aider à se relever, à s'instruire et à découvrir ce qu'elles peuvent faire, pour leur montrer comment trouver l'information voulue pour obtenir un meilleur emploi, le fait de leur donner un peu plus d'argent, comme vous l'avez dit, ne les aidera pas, et je ne songerais même pas à leur reprocher de s'acheter un iPod.

Il y a trop de demi-mesures, dans notre pays, dans les domaines de la pauvreté, du logement, de la santé et de l'éducation. Nous refusons d'aborder la personne comme un tout. Les Autochtones le savent très bien. C'est ce qu'ils préconisent depuis longtemps, et ils réussiront à surmonter leurs problèmes grâce à cette approche.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de ce que je viens de dire. Je sais que vous êtes déterminé à aider les travailleurs à obtenir des salaires suffisants et je pense que c'est une honte que dans notre pays certaines personnes aient à travailler pour moins que le salaire vital. Nous n'avons aucune excuse. Cela ne suffira pas; il nous faut beaucoup plus. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Cook : Je suis d'accord. Le salaire vital n'est pas une solution à la pauvreté. Comme je l'ai mentionné, à Calgary, la mesure toucherait un nombre plutôt limité de travailleurs. En termes de portée, elle ne donnera pas ces résultats. Nous sommes une municipalité, nous ne pouvons pas prétendre que nous parviendrions ou que nous pourrions, matériellement, influer sur les taux de pauvreté dans la ville. Toutefois, ce n'est pas parce que nous ne pouvons pas faire de miracles que nous devons nous abstenir de prendre les mesures pour lesquelles nous sommes responsables.

Lorsque vous parlez de rallier la communauté pour aider une personne, cela nécessite une collaboration entre divers intervenants — le fédéral, la province, la municipalité et le secteur bénévole. Tant que nous n'aurons pas de stratégie ni de plan coordonné pour lutter contre la pauvreté et réunir tous ces éléments, comme vous le suggérez, vous avez raison : je ne pense pas que nous puissions mettre un terme à la pauvreté. Cela ne signifie toutefois pas que le relèvement du revenu serait une mesure inutile et négligeable. Cela ne réglera pas le problème de la pauvreté, mais il faut le faire, avec bien d'autres choses.

Je crois en outre que le salaire vital et le salaire minimum sont des instruments assez grossiers, parce qu'un salaire vital, c'est seulement ce qu'il faut pour une personne donnée et un ménage donné. Dans notre cas, nous utilisions le salaire vital pour un célibataire qui travaille à temps plein. Si vous devez faire vivre plus d'une personne, ce salaire n'est plus un salaire vital. Si vous travaillez à temps partiel, ce n'est plus un salaire vital non plus.

C'est une mesure importante à prendre. Toutefois, pour vraiment s'attaquer à la pauvreté il nous faut faire ce que vous suggérez. Je crois aussi, personnellement, qu'il nous faut envisager un système de revenu annuel garanti pour assurer une sécurité minimale aux citoyens, et c'est un instrument beaucoup plus perfectionné. Je crois que cela tient aussi compte, comme je l'ai mentionné, des trois partenaires qui, selon moi, doivent intervenir dans toute discussion au sujet de la pauvreté, c'est-à-dire l'État, l'employeur et la personne. Tous trois sont conjointement responsables de la sécurité du revenu.

Le sénateur Keon : Mon vieil ami est un grand défenseur du supplément de revenu annuel garanti. Les opposants de cette mesure affirment essentiellement ce que je viens de dire, qu'il faut faire plus que de simplement donner de l'argent à certaines personnes. De fait, parfois, cela leur nuit plutôt que de les aider. Mais si quelqu'un éprouve des difficultés particulièrement sérieuses, j'ai peine à croire que vous lui nuirez si vous lui donnez de l'argent; je dois le reconnaître. Il n'y a aucune raison pour que tous les habitants de notre pays n'aient pas un revenu adéquat. Nous avons bien assez pour tous, ici.

Pourriez-vous s'il vous plaît nous parler des inconvénients du revenu annuel garanti, s'il y en a?

M. Cook : Lorsque nous pensons au revenu annuel garanti, nous devons reconnaître que nous en avons déjà un; mais il est trop faible et il est mal administré. Nous avons un revenu garanti puisque nous offrons tout un éventail de programmes de soutien du revenu en fonction de divers critères et de diverses règles, mais cela n'est pas suffisant et cela n'est pas efficace. La façon dont nous exécutons ces programmes à l'heure actuelle ne nous permet pas de faire efficacement ce dont vous parlez, c'est-à-dire d'offrir à la population, de façon coordonnée, tout l'éventail des soutiens dont elle a besoin pour réussir.

Le fait de simplement donner de l'argent à certaines personnes ne réglera pas nécessairement les autres problèmes qui contribuent à leurs difficultés. Je le répète, c'est nécessaire; mais ce n'est tout simplement pas suffisant.

Le sénateur Keon : Êtes-vous un tenant du revenu annuel garanti, malgré les problèmes?

M. Cook : Personnellement, oui. Je vous signale en outre l'exemple du Manitoba, à la fin des années 1970, qui a adopté un programme de revenu annuel garanti à titre expérimental. Bon nombre des effets négatifs que l'on avait prédits, notamment sur l'emploi, ne sont pas apparus lors de l'évaluation. La théorie économique laisse souvent entendre que les gens feront une chose, mais si nous la vérifions nous constatons que les gens ne se comportent pas toujours comme la théorie économique l'avait prédit.

Le président : Le revenu annuel garanti fera l'objet d'autres discussions du comité. Nous avons déjà organisé une importante table ronde sur le sujet, et nous continuerons.

Le sénateur Martin : Monsieur Cook, nous avons eu une brève conversation avant la réunion du comité, et beaucoup a déjà été dit. Calgary est un peu une ville modèle du simple fait qu'elle a envisagé cette politique. Comme vous l'avez dit, il s'agit en quelque sorte d'une décision éthique. Il semble en outre que cette philosophie sous-tend la décision d'envisager une telle politique.

J'aime bien le fait que c'est une approche communautaire qui fait collaborer de nombreux partenaires. Je m'intéresse en particulier au rôle des entreprises. Parfois, nous ne songeons qu'aux personnes qui reçoivent le salaire minimum, mais qu'en est-il des entreprises qui doivent décider si elles adoptent le programme ou si elles y participent? Si une politique devait s'appliquer, le fait de la respecter aurait une incidence sur votre marge bénéficiaire.

Vous avez dit qu'il y avait eu des consultations et que la Chambre de commerce collaborait avec vous. Je me demande quel genre de conversations vous avez pu avoir avec ses représentants et comment l'organisme a décidé d'appuyer le programme ou d'y participer. Cela pourrait intéresser d'autres villes qui envisagent une telle politique; elles pourraient prendre Calgary comme modèle. Que feriez-vous de plus ou, peut-être, différemment, si vous repreniez l'expérience, relativement aux milieux des affaires avec lesquels vous avez travaillé?

M. Cook : Notre collaboration avec la Chambre de commerce visait à intéresser ses membres à nos consultations. Nous avons tenu une série de consultations auprès d'organismes communautaires intéressés, y compris la Chambre de commerce, ainsi qu'avec les entreprises concernées. Nous avons convoqué nos fournisseurs.

Je ne dirais pas que nous avons collaboré étroitement avec la chambre de commerce. Elle nous a appuyés, c'est-à- dire qu'elle a adressé des lettres d'appui au conseil et qu'elle a publiquement appuyé notre travail. Dans la mesure où elle a elle-même adopté une politique de salaire vital, elle est passée de la parole aux actes.

Je dois préciser qu'en matière de politique d'achat éthique, non pas seulement de salaire vital, mais aussi pour toutes les dispositions de la politique, nous ne voulons pas adopter une approche punitive. Nous voulons travailler en partenariat avec nos fournisseurs. Nous avons dit qu'il ne s'agissait pas de se conformer ou non. Il s'agit de reconnaître la norme que nous tentons d'appliquer, et si vous n'y parvenez pas, nous continuerons à travailler avec vous pour vous aider à vous rapprocher de ce but et à adopter la norme que nous vous proposons.

Nous ne voudrions pas éliminer des fournisseurs qui ne se conformeraient pas à la disposition de salaire vital ou à toute autre disposition de la politique d'achat éthique. Cela dit, un certain nombre de nos fournisseurs souhaitaient que nous adoptions une politique d'achat éthique et une politique sur le salaire vital, parce que selon eux cela harmonise les règles du jeu. Nous avons des entreprises éthiques à Calgary, et elles veulent être récompensées pour cela. Nous devrions les récompenser pour leurs pratiques éthiques, et elles souffrent de la concurrence d'autres entreprises qui offrent des salaires plus bas, appliquent des normes environnementales moins strictes, et cetera.

Si tout le monde suit les mêmes règles, cet avantage disparaît. Les règles du jeu deviennent équitables. Lorsque vous accordez des contrats, votre processus d'appel d'offres s'appuie sur la qualité du service qui peut être fourni à la municipalité, et non pas sur les échelles salariales les plus basses ou les normes environnementales les plus permissives. L'autorité publique obtient alors un service de meilleure qualité que si vous utilisiez un processus de soumissions concurrentielles fondé uniquement sur les prix.

De fait, à Calgary, même s'il ne s'agit pas d'une politique et que cela n'a pas été fait à des fins stratégiques, nous avons mis en œuvre le principe du salaire vital obligatoire dans nos contrats d'entretien ménager, mais nous n'utilisons pas l'expression « salaire vital ». Il y a quelques années, la qualité du service était telle que notre service des achats, indépendamment, a instauré la règle du salaire minimum dans ses contrats pour relever la qualité du service au niveau exigé par la ville. Depuis que nous appliquons cette mesure, les problèmes de qualité que nous avions dans le cadre de ces contrats ont disparu.

Le sénateur Martin : Vous avez évalué vous-même le travail que vous avez réalisé avec la ville et avec le groupe des organisations avec qui vous avez collaboré. Si vous deviez conseiller d'autres villes au sujet des choix à faire, y a-t-il des choses que vous auriez faites différemment ou mieux? C'est un processus, une expérience, et voilà où vous en êtes, mais Calgary, c'est une seule ville. Y a-t-il d'autres villes qui envisagent la question à l'heure actuelle?

M. Cook : L'administration municipale la plus avancée dans ce domaine, outre Calgary, est la région de Waterloo qui a adopté un processus similaire au nôtre. Je sais que la Ville de Hamilton travaille aussi dans ce dossier. Je crois que ce sont là les seules autres villes qui se sont engagées.

Le parti qui vient de remporter les élections municipales à Vancouver a lui aussi manifesté un certain intérêt. Je ne sais pas où il en est dans ses travaux.

Pour ce qui est des avis, un commentaire m'a frappé lors du débat au conseil municipal. Un de nos conseillers a affirmé que la ville n'avait pas d'employés réguliers qui touchaient moins que le salaire vital, et que plutôt que de débattre d'une telle politique; nous devrions célébrer ce fait. A posteriori, si je pouvais faire les choses différemment, je soulignerais mieux cette réussite et je serais moins avare de louanges envers pour le travail que nous avons pu réaliser sans politique.

Je crois que nous avons des pratiques éthiques et que nous devrions le souligner. Oui, dans certains secteurs nous pourrions nous améliorer, mais nous devons célébrer nos réussites.

Le président : J'aurais une autre question. J'ai siégé pendant 22 ans au conseil municipal de Toronto, la moitié du temps à titre de maire, et je connais bien la politique que nous avions sur le salaire équitable. Je crois que cela remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'était certainement en vigueur à l'époque où j'étais membre du conseil, c'est- à-dire en 1970. Il y avait un agent responsable des salaires équitables.

Si je me souviens bien, les contrats étaient accordés dans le cadre d'un processus de soumissions, et l'agent des salaires équitables devait certifier que ce contrat prévoyait des salaires équitables. Le salaire équitable était calculé en fonction des dernières conventions collectives; nous faisions ensuite une moyenne et nous déterminions ce qui constituait un salaire équitable.

Au fil des ans, certains membres du conseil municipal ont bien proposé que les contrats ne soient accordés qu'à des entreprises syndiquées, mais le conseil n'était pas en faveur. Il a été décidé plutôt d'adopter une politique de salaire équitable. La municipalité de Toronto l'a conservée pendant longtemps. Je crois qu'elle a d'ailleurs été élargie pour englober plus que les simples projets de construction.

En quoi est-ce que cela se distingue du salaire vital? Qu'est-ce qui diffère dans le fonctionnement? Est-ce que vous modifieriez la politique de salaire équitable de la Ville de Toronto pour l'harmoniser avec ce que vous faites à Calgary?

M. Cook : Le salaire équitable et le salaire vital n'ont pas la même origine. Je crois qu'à Toronto, cela remonte à la fin des années 1800. C'est une politique établie de longue date, et elle sert effectivement à empêcher les entreprises non syndiquées de couper l'herbe sous le pied des entreprises syndiquées en utilisant les salaires. Les salaires sont sensiblement plus élevés que ce qui est proposé dans le processus de salaire vital et ils s'appuient sur des négociations avec les syndicats pour établir un salaire équitable pour un type de travail donné. En général, les politiques de salaire équitable ont une portée limitée à une certaine gamme de services ou de produits, alors que les politiques de salaire vital sont beaucoup plus générales et s'appuient sur certains critères établis indépendamment, par exemple le SFR. Le salaire vital est plus strictement lié au coût de la vie et à ce qu'il faut pour avoir un niveau de revenu suffisant. Les objectifs sont similaires, mais l'approche et le contexte sont quelque peu différents.

Si vous deviez imposer une politique de salaire équitable dans l'ensemble de la ville et en élargir la portée — je crois qu'elle s'applique surtout au secteur des métiers à Toronto —, cela aurait certainement un effet marqué sur le budget. Il faudrait très sérieusement se demander comment calculer le taux de salaire équitable s'il n'y a pas de syndicat pour le négocier. Le processus serait très différent de celui de la politique de salaire vital.

Le président : Merci beaucoup. Je vous remercie d'être venu de Calgary pour nous expliquer ce qui s'y passe en matière de salaire vital et pour nous donner votre opinion sur diverses questions, notamment le salaire minimum et le revenu annuel garanti. Nous vous sommes reconnaissants de votre contribution. Et cela met fin à la partie officielle de la réunion.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


Haut de page