Délibérations du Sous-comité sur les villes
Fascicule 5 - Témoignages du 18 juin 2009
OTTAWA, le jeudi 18 juin 2009
Le Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 48, afin d'examiner, pour en faire rapport, les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous accueillons deux groupes de témoins : le premier se penchera sur la question des quartiers, de la pauvreté et de la santé, et le deuxième, sur celle des travailleurs handicapés et de la pauvreté.
Je souhaite la bienvenue au sénateur Lang, qui remplace le sénateur Martin aujourd'hui. Merci d'être venu.
L'un des témoins du premier groupe est le Dr Cory Neudorf, médecin hygiéniste en chef, président du conseil d'administration de l'Association canadienne de santé publique et professeur adjoint d'enseignement clinique au département de santé communautaire et d'épidémiologie de la Faculté de médecine de l'Université de la Saskatchewan.
Nous accueillons également Russell Wilkins, analyste principal à la Division de l'analyse de la santé de Statistique Canada. Il est membre de l'Institute for Risk Research et coauteur de l'étude concernant l'état de santé et ses effets sur la santé des populations pour réduire les disparités en matière de mortalité évitable, et auteur d'une étude sur l'insuffisance pondérale des nouveau-nés au Canada et son incidence sur le statut socioéconomique.
MM. Neudorf et Wilkins sont accompagnés de Jillian Oderkirk, directrice de la Division de l'analyse de la santé, dont les recherches antérieures portaient sur la justice pénale, l'éducation et les liens entre le revenu et l'obésité chez les hommes.
Nous accueillons également Claire Heslop, étudiante de troisième cycle dans un programme commun MD/Ph.D. de l'Université de la Colombie-Britannique. Elle a participé à des recherches sur les liens entre le statut socioéconomique et l'état de santé. Elle est la principale auteure de l'étude sur le statut socioéconomique, ou SSE, et la mortalité parmi les personnes atteintes d'une maladie cardiaque en Colombie-Britannique.
Dr Cory Neudorf, médecin hygiéniste en chef, Régie régionale de la santé Saskatoon : Je vous remercie de me donner l'occasion de venir vous parler aujourd'hui de ce sujet. À titre d'information, la ville et la région sanitaire de Saskatoon utilisent depuis longtemps des données par quartier pour la planification et l'élaboration de politiques municipales dans le cadre de la planification locale et des profils de quartier et, la région sanitaire en utilise également dans ses rapports sur l'état de santé et ses recherches sur la santé de la population.
J'ai envoyé à la greffière un lien vers des rapports récents concernant notre rapport sur l'état de santé et un résumé des recherches et des examens des politiques que nous avons effectués ces dernières années. Je lui ai également envoyé un lien vers une étude menée dans le cadre de l'Initiative sur la santé de la population canadienne à laquelle nous avons participé afin d'évaluer les effets de la pauvreté sur la santé dans 18 villes du Canada.
Dans nos rapports sur l'état de santé, nous analysons un vaste éventail de données pour brosser un tableau très détaillé. Je compare cela à l'assemblage d'un casse-tête : nous utilisons la plus grande variété possible de données sur la démographie, l'environnement, les conditions sociales et les comportements liés à la santé. Nous analysons ensuite ces données, examinons les tendances et formulons des recommandations non seulement sur le système de santé, mais également sur d'autres secteurs, dans d'autres systèmes, en fonction des déterminants de la santé. Ces recommandations font l'objet de discussions avec les personnes et organismes concernés. Nous essayons de nous servir de ces recommandations dans la planification communautaire.
Nous le faisons parce que souvent, les données sommaires que nous recevons sur les villes ne montrent pas les nuances qui permettraient de déterminer là où il y a des besoins. En fait, il y a plus de 10 ans, on m'a demandé d'examiner cela plus en détail à cause des statistiques que nous recevions de la province. Par exemple, les statistiques indiquaient qu'il y avait un taux moyen de grossesse chez les adolescentes dans la région sanitaire de Saskatoon. J'ai examiné ces statistiques du point de vue d'un statisticien et évidemment, le taux est moyen, puisque nous sommes la plus grande région de la province et que c'est nous qui établissons la moyenne, mais comment pouvons-nous savoir où sont les besoins dans notre ville? Quand nous avons regardé les données par quartier, nous avons constaté qu'il y avait des zones de la ville où les taux de grossesse chez les adolescentes étaient élevés ou plus élevés que dans les zones dites à problèmes de la province, par exemple la région du Nord ou les petites régions rurales. Cela nous a poussés à effectuer des rapports périodiques à l'échelle des quartiers.
En 2006, nous avons publié un rapport sur les disparités en matière de santé à Saskatoon. Nous nous sommes penchés sur les six quartiers qui présentaient les pourcentages les plus élevés de familles vivant sous le seuil de faible revenu par rapport au reste de la ville et aux cinq quartiers les plus riches de l'autre côté de la ville. Personne n'a été surpris d'apprendre que la santé était liée à la pauvreté, mais on a été surpris de l'étendue et de la constance du problème dans autant de conditions. Par rapport aux habitants des quartiers à revenu élevé, les habitants des quartiers à faible revenu étaient 1,458 p. 100 plus susceptibles de faire une tentative de suicide; 3,000 p. 100 plus susceptibles d'être atteints de l'hépatite C; et 1,186 p. 100 plus susceptibles d'être hospitalisés à cause du diabète. La liste se poursuivait et les écarts étaient énormes.
Les médias locaux ont beaucoup parlé de cette étude, mais avant cela, nous nous sommes sentis obligés de communiquer les données à l'ensemble de la communauté et des organismes, parce que nous ne voulions pas que notre étude ne montre encore que l'ampleur des problèmes. Nous voulions entamer un dialogue avec la collectivité pour examiner les solutions possibles. Nous voulions voir comment les gens allaient réagir, savoir ce qu'ils attendaient de nous, voir ce que nous pouvions faire. Avant de publier l'étude, nous avons passé un an à discuter avec la population. Ainsi, un certain nombre d'initiatives immédiates ont été annoncées par notre gouvernement municipal et par certains organismes locaux concernés, et des discussions ont également été entamées avec nos collègues provinciaux et fédéraux.
Tout cela a mené à une étude plus approfondie financée par l'IRSC, dans laquelle nous avons examiné les causes de ces disparités. Pour faire un résumé du document de 350 pages, la pauvreté était la cause la plus fréquente des disparités en matière de santé que nous avons constatées, en tenant compte de tout le reste. L'âge arrivait au deuxième rang, l'éducation au troisième, et la liste se poursuivait avec les autres déterminants.
Ces résultats correspondent à ceux des recherches internationales, qui indiquent que c'est soit l'éducation soit le revenu qui semble avoir le plus d'incidence dans l'ensemble. Il n'y a pas grand-chose à faire à propos de l'âge, mais nous pouvons agir en ce qui concerne les facteurs du revenu et de l'éducation.
Nous nous sommes ensuite servis de ces informations pour préparer un document afin de mettre en évidence les interventions qui changent les choses dans d'autres provinces. Beaucoup d'idées nous sont soumises, mais il y en a peu qui ont été évaluées et il y en a encore moins qui se sont révélées efficaces. Nous les avons résumées en 46 options politiques qui, d'après la documentation, ont fait leurs preuves ailleurs. Nous avons amorcé un dialogue pour déterminer lesquelles de ces options pourraient être efficaces à Saskatoon ou en Saskatchewan.
Au cours des neuf derniers mois, c'est-à-dire depuis la publication de cette étude, le comité régional intersectoriel de Saskatoon, un groupe formé de fournisseurs du secteur des services sociaux et d'ONG régionaux, a examiné ce rapport. Le groupe a collaboré avec d'autres groupes concernés, comme le secteur des entreprises, le secteur religieux et les organismes communautaires, pour déterminer laquelle de ces options ils soutiendraient et s'ils pourraient élaborer un plan d'action bénéficiant de l'appui général de la collectivité pour réduire la pauvreté dans notre ville. Nous espérons terminer ce rapport d'ici novembre 2009, mais beaucoup de membres ont affirmé qu'ils ne veulent pas attendre jusque-là, puisque lorsqu'ils trouvent des solutions, ils veulent pouvoir les appliquer. C'est ce qui s'est produit au cours des derniers mois.
Nous avons également convenu d'adopter une approche intersectorielle pour améliorer les possibilités d'emploi des Autochtones à Saskatoon et sommes en train de mettre sur pied une initiative coordonnée pour le logement social et le problème de l'itinérance avec les divers groupes qui travaillent dans ce domaine à Saskatoon.
L'autre document que j'ai fourni au comité est notre plus récent rapport sur l'état de santé, qui a été publié le mois dernier. Il contient un rapport périodique sur les disparités en matière de santé dans notre ville. Ce n'est pas seulement une étude spéciale, il fait partie du processus de rapports périodiques que nous suivons pour mesurer les différences en matière de santé dans les divers secteurs de notre ville.
L'initiative entreprise au sein des réseaux urbains de santé publique de 18 villes du Canada a été prise dans la foulée du rapport sur l'Initiative sur la santé de la population canadienne, l'ISPC. Ainsi, nous avons reproduit l'étude de Saskatoon dans les 18 villes. Nous avons pu démontrer que ce problème se pose dans tous les milieux urbains du Canada, bien que l'on constate les plus grands écarts entre les milieux défavorisés et les milieux favorisés dans les provinces des Prairies, soit dans les villes de Saskatoon, de Regina et de Winnipeg.
En résumé, les données les plus récentes confirment que les quartiers pauvres du centre-ville de Saskatoon comptent plus de jeunes que les autres quartiers. Ils affichent aussi un pourcentage supérieur d'Indiens inscrits et d'autres Autochtones et immigrants récents; des taux de mortalité supérieurs associés au diabète, ainsi qu'aux maladies respiratoires et coronariennes; des taux supérieurs de troubles mentaux, de maladies transmissibles par le sang, d'infections transmissibles sexuellement, d'insuffisance pondérale chez les nouveau-nés et de grossesse chez les adolescentes. Ils présentent également des taux inférieurs de vaccination et d'activités préventives.
La combinaison de ces éléments a mené à une diminution de l'espérance de vie dans nos centres-villes au cours des dernières années, ce qui ne s'était jamais vu dans le reste du Canada et dans nos autres quartiers, où l'espérance de vie augmente depuis un certain temps déjà. Derrière tout cela, il y a des taux supérieurs de pauvreté et de chômage; des nombres supérieurs de familles monoparentales et de logements insalubres; ainsi que des taux inférieurs d'éducation et d'accès à la propriété, et cetera.
Toutefois, toutes ces données locales donnent lieu à une prise de conscience accrue de la collectivité et à un appui solide pour les changements aux politiques que nous proposons. D'après les sondages que nous avons effectués à l'échelle locale, la population appuie bon nombre de ces changements. Les décideurs locaux sont prêts à agir là où ils peuvent le faire et à travailler en collaboration avec leurs homologues provinciaux et fédéraux, parce qu'il y a bien des leviers politiques qui se trouvent à ces niveaux. Nous sommes heureux de constater que les données commencent à faire naître un désir de changement, et certains organismes locaux ont déjà pris des mesures pour mettre en place certains de ces changements.
Russell Wilkins, analyste principal, Division de l'analyse de la santé, Statistique Canada : Ce sera peut-être plus facile si vous suivez sur le document. Notre sujet est l'équité en matière de santé, en particulier en ce qui concerne le revenu du quartier et la mortalité dite évitable. Toutefois, puisque l'équité en matière de santé est en fait un jugement moral, nous allons parler des différences dans la mortalité, d'abord selon le revenu du quartier, en fonction des tendances entre 1971 et 2001, et ensuite selon le revenu individuel, le revenu familial, le niveau de scolarité et d'autres facteurs.
Tout d'abord, sachez qu'il y a de bonnes nouvelles. Dans les régions urbaines du Canada, de 1971 à 2001, l'espérance de vie à la naissance a augmenté dans l'ensemble de six ans et demi, soit d'environ sept ans et demi chez les hommes et cinq ans et demi chez les femmes. Au cours de la même période, la différence d'espérance de vie à la naissance entre le quintile de revenu supérieur et le quintile de revenu inférieur a diminué d'environ un an; elle a augmenté un peu chez les hommes et diminué un peu chez les femmes.
À la page 4, on peut voir qu'en 1971, la différence en espérance de vie à la naissance entre les quintiles extrêmes était de quatre ans, soit d'environ six ans chez les hommes et trois ans chez les femmes. Toutefois, en 2001, la différence n'était que de trois ans, ou d'environ quatre ans chez les hommes et deux ans chez les femmes; autrement dit, l'écart s'amenuise.
À la page 6, on constate que les différences en ce qui concerne la mortalité prématurée entre les quintiles de revenus supérieur et inférieur ont diminué rapidement pour les causes de décès traitables médicalement. Il y a quatre groupes. La baisse est représentée en rouge, pour les hommes et les femmes; elle correspond aux différences entre les quintiles de revenus supérieur et inférieur dans les causes de décès traitables par des soins médicaux. À bien des égards, c'est une autre bonne nouvelle, qui est publiée dans un document dont nous citons ici certains passages.
À la page 8, nous changeons d'approche. Si nous examinons le revenu familial au lieu d'examiner le revenu du quartier, nous constatons de plus importantes différences dans la mortalité. Dans le graphique de la page 9, les colonnes les plus claires représentent les nouvelles données, les données individuelles, les informations obtenues de notre cohorte, sur 11 ans de mortalité. Les colonnes bleu foncé représentent le quintile de revenu du quartier, soit les données recueillies sur une période de 25 ans.
Selon les nouvelles données, les différences inter-quintiles, ou les différences entre les quintiles de revenus supérieur et inférieur, étaient de 6,8 ans chez les hommes et de 4,3 ans chez les femmes. Par rapport aux différences selon le quintile de revenu du quartier pour les régions urbaines du Canada en 1996, soit au milieu de cette période, il s'agit d'un écart inter-quintiles supérieur de deux ans pour les hommes et de presque trois ans pour les femmes. L'écart est beaucoup plus grand, surtout pour les femmes.
Aux pages 10 et 11, le graphique montre que le niveau de scolarité et le revenu familial sont tous deux liés à la mortalité. Nous avons calculé l'espérance de vie restante à 25 ans pour chaque catégorie de niveau de scolarité, des personnes sans diplôme d'études comme celles ayant obtenu un grade universitaire, et nous l'avons fait à l'intérieur d'un même quintile de revenu. À l'intérieur de chaque quintile de revenu, tant chez les hommes que chez les femmes, l'espérance de vie augmente avec le niveau de scolarité. Plus le niveau de scolarité est élevé, plus l'espérance de vie augmente.
Aux pages 12 et 13, nous avons de nouveaux résultats — ils ne sont pas encore publiés, mais ils devraient l'être d'ici l'automne — concernant la mortalité des hommes et des femmes que l'on pourrait appeler sans-abri ou en logement précaire. Nous avons examiné la mortalité au cours de la période comprise entre 1991 et 2001, pour environ 15 000 hommes et femmes qui avaient, le jour du recensement, leur lieu habituel de résidence dans un refuge, une maison de chambres ou un hôtel.
Pour cette population, l'espérance de vie restante à 25 ans — à condition de vivre jusqu'à l'âge de 25 ans — était inférieure à celle des personnes se situant dans le quintile de revenu le plus bas, pour un écart de six ans chez les hommes et de quatre ans chez les femmes. Ces résultats sont comparables à ceux observés pour le Canada dans son ensemble en 1921 pour les hommes ou en 1961 pour les femmes; ou pour le Cambodge et le Népal pour les hommes ou la Géorgie et la République dominicaine pour les femmes en 2006.
Voici des faits saillants de nos conclusions concernant les causes de la mortalité des résidants des refuges, des maisons de chambres et des hôtels. Le fait de vivre dans un refuge, une maison de chambres ou un hôtel est le signe d'un taux de mortalité bien supérieur à celui auquel on s'attendrait s'il était basé uniquement sur le faible revenu. Nous ne disons pas que c'est une cause, mais un signe.
Lorsque nous avons examiné les décès attribuables à une cause traitable médicalement, la mortalité était élevée en termes relatifs et en termes absolus; d'autres causes de décès associées à la mortalité précoce au sein de cette population comprennent les maladies liées à l'usage de l'alcool, des drogues et de la cigarette, de même que les troubles mentaux et les suicides, entre autres.
Les pages suivantes présentent les références des études sur le revenu du quartier que nous avons menées au fil des ans et des études plus récentes fondées sur le suivi de mortalité à partir du recensement, réalisées à l'aide de données individuelles et familiales.
Claire Heslop, à titre personnel : Je vous remercie, mesdames et messieurs, de me donner l'occasion de témoigner devant vous sur cette question, surtout à la suite de ces exposés très complets. Je pense que je peux abréger un peu mon exposé et essayer d'ajouter quelque chose à ce tableau d'ensemble avec mon étude.
Comme nous en avons déjà discuté ce matin, les personnes ayant un statut socioéconomique inférieur courent un plus grand risque d'être atteintes d'une maladie et réagissent moins bien à la suite du diagnostic. Toutefois, le statut socioéconomique propre à un quartier a également des répercussions sur le statut socioéconomique individuel.
Prenons l'exemple d'une maladie cardiovasculaire : les personnes qui vivent dans un quartier où le statut socioéconomique est inférieur sont plus à risque d'être victimes d'une attaque cardiaque; elles ont moins de chance de survivre durant leur séjour à l'hôpital; et elles sont plus susceptibles de mourir dans les mois et les années qui suivent. Les données recueillies ailleurs au Canada confirment cette tendance, comme on l'a signalé. Cependant, la plupart des études concernant la mortalité portent sur le taux global de mortalité. Par conséquent, on ne sait pas exactement si, au Canada, les disparités sont dues aux maladies cardiovasculaires ou à une combinaison de causes.
J'estime que mon étude, qui a été publiée en janvier, complète ce dont nous avons déjà discuté ce matin, parce qu'elle fournit des données sur une cohorte de patients. Mille patients faisaient partie de notre cohorte initiale, et il s'agissait de patients choisis méticuleusement en fonction de leur problème cardiaque et de l'endroit où ils vivaient, qui ont été examinés dans de grands hôpitaux universitaires de Vancouver. De ce nombre, 485 personnes montraient des signes de maladie clinique et ont fourni leur code régional comme référence.
Ces codes nous ont permis d'avoir accès aux données personnalisées de quartiers recueillies en Colombie- Britannique, aux données de Statistique Canada et du groupe Human Early Learning Partnership, ou HELP, qui s'est attaché à dresser un portrait cartographique des quartiers de la Colombie-Britannique en se fondant sur les secteurs de recensement et des rapports individuels. Ces données personnalisées sont fort intéressantes.
La cohorte était constituée d'un nombre égal de personnes provenant de chacun des cinq quintiles. Les indices socioéconomiques retenus étaient les suivants : niveau de scolarité — obtention du diplôme d'études secondaires; revenu médian par quartier, ou revenu total; et taux de chômage — nombre de personnes âgées de plus de 25 ans qui cherchent un emploi.
Nous avons été en mesure d'examiner de près les causes précises de mortalité, étant donné que nous avions un échantillon équilibré de sujets par quintile. Cette cohorte a fait l'objet d'un suivi pendant 13 ans.
Fait assez étonnant, l'analyse des données de mortalité a démontré que les taux de mortalité cardiovasculaire ne différaient pas tellement entre les quintiles de quartier. C'est à ce moment-là qu'on se dit qu'une étude sur le sujet s'impose.
J'ai mené des recherches plus poussées sur les décès attribuables aux maladies chroniques non cardiovasculaires, lesquelles comprennent les cancers, les maladies pulmonaires, le diabète, l'insuffisance rénale et l'insuffisance hépatique. Ces causes de mortalité sont reliées à des maladies dites non aiguës. Elles varient grandement d'un quintile de quartier à l'autre. Par exemple, j'ai noté que les décès reliés au cancer augmentaient en moyenne de 60 p. 100 chaque fois qu'il y avait une hausse du taux de chômage, et de 42 p. 100 chaque fois qu'il y avait une baisse du revenu médian du quartier. Ces chiffres sont significatifs lorsque l'on compare le quantile supérieur au quantile inférieur. Aucune corrélation n'a été observée entre le niveau de scolarité et les décès liés au cancer. On en a toutefois établi une entre le niveau de scolarité et le taux de mortalité lié aux maladies chroniques.
Les résultats visant les maladies cardiovasculaires sont les mêmes dans tous les quartiers. Comment donc expliquer ces disparités? Nous avons rajusté les données en tenant compte des facteurs de risque importants comme l'âge, l'indice de masse corporelle, les habitudes de consommation de tabac et d'alcool, sauf que cela n'a pas permis d'atténuer les liens observés.
Il est peu probable que les produits toxiques pour l'environnement ou les polluants atmosphériques aient une incidence linéaire sur les quartiers. À notre avis, la combinaison de plusieurs facteurs, par exemple l'accès aux soins de santé, les modes de vie sains, le stress psychosocial, risquent d'avoir un impact plus significatif.
Nous avons constaté que les patients qui habitaient un quartier au statut socioéconomique plus faible avaient une santé plus précaire. Malgré les traitements reçus dans de grands centres hospitaliers, qui semblent offrir des soins de même qualité aux personnes manifestant les premiers symptômes de maladies cardiovasculaires, ces patients éprouvaient de multiples problèmes et inconvénients en matière de santé, ce qui compromettait leur survie.
Par ailleurs, l'ampleur des effets observés était plus importante que dans le cas des facteurs de risque attendus pour les décès dus aux maladies cardiovasculaires ou chroniques, et pour les biomarqueurs retrouvés dans le sang ou génétiques, qui faisaient également l'objet de mon étude. Bref, il existe un problème au niveau non seulement de l'accès aux soins de santé, mais également de la disparité en matière de santé. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur le sujet.
Le sénateur Segal : À mon avis, votre étude démontre une chose, bien qu'il y ait d'autres conclusions possibles. J'aimerais savoir ce que vous en pensez : les résultats négatifs pour la santé sont attribuables à de nombreux facteurs différents : l'éducation, le poids à la naissance, les rapports parents-enfants, la condition physique, les quartiers et la pauvreté. Or, si nous voulons une politique cohérente dans ce domaine, nous devons — et je veux dire le gouvernement fédéral, les provinces, les municipalités ou les organismes non gouvernementaux —, nous attaquer ensemble à ces problèmes.
Il s'agit là d'un point de vue parmi d'autres. De nombreuses personnes de renom sont du même avis. Bon nombre d'entre elles sont des médecins et ont une vaste expérience du métier.
Ce que votre étude indique, et corrigez-moi si je me trompe, c'est que la pauvreté est le principal indicateur de résultats négatifs pour la santé. C'est le plus important de tous les indicateurs. Admettons que les soins de santé — au niveau clinique — relèvent des provinces, que l'organisation des municipalités et le développement communautaire sont essentiellement la responsabilité du secteur privé, des organismes sans but lucratif, des gouvernements provinciaux et des administrations municipales, et que le seul levier que nous possédons, mis à part les paiements de transfert aux provinces, est la sécurité du revenu.
Si nous devions prendre une décision dans un contexte de diminution des ressources, vous nous diriez : « Concentrez-vous sur le volet sécurité du revenu, et trouvez un moyen d'augmenter le revenu des personnes pour qu'il y ait moins de gens qui vivent sous le seuil de pauvreté. » Or, il peut y avoir mille façons de régler le problème. Toutefois, c'est ce que nous devons faire d'après votre étude, si nous voulons que les Canadiens vivent plus longtemps et mènent une existence plus productive.
Il y a des maladies qui voient le jour parce que certaines personnes sont trop riches et ne travaillent pas assez fort, physiquement, mais elles sont négligeables. Le régime de soins de santé arrive à les soigner relativement bien, si l'on tient compte du pouvoir d'intervention du gouvernement fédéral. Toutefois, il existe un lien entre ces maladies et les résultats pour la santé, et les lacunes relevées dans le système de sécurité du revenu, ce qui fait que 14 ou 15 p. 100 des Canadiens — en fonction de la collectivité — se trouvent à vivre en deçà du seuil de pauvreté.
Vous n'êtes peut-être pas d'accord, mais c'est la conclusion à laquelle je suis arrivé après avoir lu certains documents et entendu votre exposé. Pouvons-nous savoir ce que vous en pensez?
Dr Neudorf : Je suis, de manière générale, d'accord avec vous. Les recherches que nous avons menées montrent clairement que, de tous les facteurs interconnectés qui permettent d'évaluer l'état de santé des personnes, le revenu personnel et le revenu du quartier semblent être les indicateurs les plus importants.
Les divers intervenants à qui j'ai présenté ces constatations m'ont dit que ce n'était pas à coup de millions qu'on règlerait le problème. Ce à quoi je réponds : peut-être pas, mais c'est là d'une première étape nécessaire.
Il s'agit, pour moi, d'un principe fondamental. Si vous vous attaquez à l'inégalité des revenus, qui est la source du ou des problèmes, vous allez permettre aux gens de surmonter les obstacles liés à l'éducation, à l'emploi, au logement et, en fin de compte, de subvenir à leurs besoins en matière de nourriture, de sécurité, ainsi de suite.
Nous prônons l'adoption d'une approche pangouvernementale qui s'appuie sur diverses politiques. Toutefois, pour que ces politiques complexes interagissent et contribuent à améliorer l'état de santé des gens, il faut solutionner le problème de base, soit la pauvreté.
Jillian Oderkirk, directrice, Division de l'analyse de la santé, Statistique Canada : Nous voyons, à la page 11 de l'exposé de M. Wilkins, que la courbe de variation des taux de mortalité et d'espérance de vie est fonction du revenu. Toutefois, l'éducation intervient pour beaucoup dans l'équation. Par conséquent, il existe, dans chaque quintile de revenu, un lien très clair entre la courbe de variation et le niveau de scolarité des personnes.
Le sénateur Segal : Les pauvres délaissent le système.
Mme Oderkirk : Vous voulez savoir quel facteur arrive au premier ou au deuxième rang. Je ne peux vous le dire. Toutefois, il y a d'autres facteurs sous-jacents qui sont liés au revenu, et il est évident que l'éducation figure parmi ceux- ci.
Nous avons mené d'autres études sur la corrélation qui existe entre le statut socioéconomique et la santé mentale, le stress, l'anxiété et la dépression. Nous avons constaté que les agents de stress qui agissent sur les personnes à faible revenu entraînent chez celles-ci des problèmes de santé.
Il est difficile de les cerner. Est-ce le revenu, ou encore les pressions que subissent les gens, y compris les soucis financiers? Les relations sociales figurent également au nombre des agents de stress. La question est complexe.
Mme Heslop : Je suis du même avis : il s'agit là d'un élément majeur. Les facteurs de stress psychologiques et biologiques agissent sur de nombreux plans, non seulement sur les mécanismes d'adaptation, mais également, et de façon directe, sur le processus de déclenchement des maladies.
D'après le sénateur Segal, le rajustement des revenus contribuerait peut-être à réduire les disparités, celles-ci ayant un impact majeur sur la façon dont les collectivités interagissent. Cet argument est matérialiste : il laisse sous-entendre que les écarts de revenu contribuent aux disparités d'intérêts au sein des collectivités qui, à leur tour, entraînent une baisse des investissements sociaux et des possibilités qui s'offrent aux quartiers désavantagés.
J'espère que ce schème de pensée aboutira à des pistes de solution.
Le sénateur Dyck : Ma question porte sur les différences entre les sexes. D'après les données que l'on trouve dans le site web de Statistique Canada, les femmes ont tendance à avoir un niveau de scolarité plus élevé que les hommes, mais un revenu plus faible. Elles jouissaient d'une espérance de vie plus longue, sauf que celle-ci commence à diminuer.
Monsieur Neudorf, est-ce que les données que vous avez recueillies faisaient état de différences entre les sexes? Si oui, est-ce que ces différences étaient plus grandes au sein de groupes précis, notamment les Autochtones, parce que l'écart entre le niveau de scolarité des femmes et des hommes autochtones est plus important que chez les non- Autochtones? Avez-vous constaté des différences entre les sexes dans votre étude?
Dr Neudorf : Notre étude était limitée à un échantillon de la population. Les données locales, par opposition aux données nationales, ne sont pas suffisantes et ne permettent pas de montrer certains des résultats relevés à l'échelle nationale.
Nous avons noté des différences entre les sexes du côté de certains problèmes médicaux, même si ce facteur était moins significatif que de nombreux autres. Nous nous sommes penchés sur les groupes où nous nous attendions à voir de plus grandes différences entre les sexes — par exemple, chez les personnes à revenu modeste et chez les Autochtones —, mais la faiblesse des chiffres nous a empêchés de relever les différences qui existent.
Le sénateur Dyck : Votre étude montre que le fait d'être Autochtone ne constitue pas un facteur important — que le niveau de revenu est l'indicateur le plus probant.
Dr Neudorf : C'est exact. Ce devrait être évident, mais le sujet n'a pas fait l'objet de nombreuses études. Nous avons jugé bon d'éclaircir cette question, surtout dans le cas des villes des Prairies où il y a surreprésentation de membres des Premières nations et de Métis dans les quartiers à faible revenu.
Nous voulions savoir s'il existait des différences intrinsèques du côté des résultats pour la santé chez les Autochtones, ou si ces différences s'expliquaient par d'autres causes. Dans la plupart des cas, la surreprésentation des Autochtones soit disparaît complètement — dans certains cas, on remarque l'inverse —, soit devient très faible, une fois que l'on tient compte des autres déterminants sociaux.
Le sénateur Dyck : Vous avez dit, si je ne m'abuse, que l'étude de Saskatoon avait été reprise dans 18 autres villes du Canada. Est-ce que Prince Albert figure parmi celles-ci?
Le Dr Neudorf : Non. Elle a été reprise dans 18 villes du Urban Public Health Network, qui regroupe les villes de plus de 200 000 habitants. Nous ne pouvions pas reproduire tous les aspects de l'étude, car les données ne sont pas toutes disponibles à l'échelle nationale. Nous avons utilisé les indicateurs qui pourraient être produits dans chacune des 18 villes. Nous avons également utilisé une méthode légèrement différente. Au lieu de nous concentrer sur les quartiers locaux, nous avons porté notre attention sur les aires de dissémination plus petites, les plus petites unités pour lesquelles les données de Statistique Canada existent.
Des tendances persistantes se manifestent dans les 18 villes. Toutefois, les disparités sont plus grandes dans certaines villes, notamment à Saskatoon, Regina et Winnipeg, qui sont les villes qui comptent le plus grand nombre de membres des Premières nations.
Nous avons essayé de voir quels étaient certains des facteurs à l'origine des disparités. Celles-ci s'expliquent en grande partie par le fait qu'il y a, dans ces villes, une forte concentration de pauvreté dans certains quartiers, ce qui a pour effet d'amplifier les disparités.
Le sénateur Dyck : La population de Prince Albert est composée d'environ 30 p. 100 d'Autochtones. L'écart dans les revenus n'est peut-être pas aussi significatif qu'à Saskatoon — je ne le sais pas vraiment. Il serait intéressant d'avoir ces données.
Dr Neudorf : Nous avons mis au point une méthode qui nous permet de réaliser le même genre d'études dans des villes plus petites et dans les régions rurales. Nous nous attachons, de concert avec le gouvernement provincial de la Saskatchewan, à prendre les résultats obtenus et à les appliquer à l'échelle de la province en utilisant les systèmes de données que nous avons mis au point.
M. Wilkins : Nous avons réalisé une étude qui va paraître en septembre dans la revue Health Reports. Elle porte sur le taux de mortalité chez les Métis et les Indiens inscrits. Il s'agit d'une analyse comparative qui a été réalisée à partir des mêmes ensembles de données applicables au revenu et à l'éducation. Elle ne tient pas compte du taux de mortalité chez les jeunes, qui est très élevé. Elle se concentre plutôt sur les taux de mortalité chez les adultes et les différences entre les sexes.
De manière générale, les différences de mortalité entre les deux sexes sont plus grandes chez les groupes à faible statut socioéconomique que chez les groupes jouissant d'un statut plus élevé. Cela veut dire que les différences sont plus ou moins prononcées entre les sexes qu'à l'intérieur d'un même sexe. Bien que les différences chez les groupes de statut élevé soient moins importantes, il n'y a aucune distinction physiologique chez les personnes appartenant aux autres groupes. Il existe manifestement un lien entre, d'une part, les disparités entre les sexes et, d'autre part, les disparités socioéconomiques, à tout le moins si l'on tient compte des taux réels de mortalité.
Le sénateur Lang : Je trouve cette conversation intéressante. Je viens d'une petite collectivité du Yukon. Nous sommes confrontés, dans une large mesure, aux mêmes problèmes que les grandes villes — ils sont peut-être moins nombreux, mais très similaires.
Je tiens à préciser que je suis nouveau, ici, et que c'est la première fois que je marche pour venir travailler. C'est toute une expérience. J'habite à 25 minutes de la Colline. Je passe par la rue Rideau tous les jours, matin et soir. Je suis étonné de voir tellement de pauvreté, de différences socioéconomiques. Je croise des gens qui fument, qui sont obèses — tout ce que nous ne voulons pas vraiment voir dans notre société — tous les matins et tous les soirs. En tant que nouveau venu, je trouve cela épouvantable.
Cela dit, comme l'a mentionné le sénateur Segal, la pauvreté est en partie responsable du problème. Il y a d'autres facteurs, comme l'a signalé l'autre témoin.
M. Neudorf a parlé des politiques que Saskatoon envisage de mettre en œuvre. Il se peut que d'autres villes songent à faire la même chose. Ce qui m'inquiète, c'est que le gouvernement et le contribuable pensent tout simplement pouvoir régler le problème à grands coups d'argent, se donner bonne conscience et croire que tout va finir par s'arranger. Or, cherchons-nous à venir en aide aux personnes aux prises avec des difficultés en leur fournissant des incitatifs qui vont les encourager à se scolariser et, partant, à prendre conscience des possibilités qui leur sont offertes? Autrement dit, existe-t-il des programmes qui visent à faire en sorte que leurs enfants fréquentent l'école? Prenons, par exemple, le système de sécurité du revenu. Si nous disons aux gens : « Voici le montant de base. Toutefois, si vous faites telle et telle chose, vous allez recevoir plus d'argent », ils vont être encouragés à faire plus. C'est comme si on leur versait un salaire, que ce soit directement ou indirectement. Vous êtes payé quand vous accomplissez certaines tâches.
Est-ce que ce principe fait partie des options stratégiques que l'on veut mettre en place pour encourager les gens à améliorer leur situation?
Dr Neudorf : L'étude sur les options stratégiques avait pour objet premier d'examiner les politiques qui ont donné des résultats positifs. Certaines analyses ont démontré que l'adoption d'une stratégie de base assortie d'incitatifs a contribué à changer les choses sur les plans de l'éducation et de l'emploi, par exemple.
Nous avons discuté de ces options avec des intervenants du milieu des affaires, qui ont manifesté un certain intérêt pour cette approche. Les mesures prises, par exemple, dans les domaines du soutien du revenu de base ou des services de santé, n'ont pas eu vraiment d'effet. En fait, nous avons noté que les facteurs dissuasifs étaient nombreux. La personne qui vit dans un quartier pauvre est confrontée à tellement d'obstacles qu'il est difficile pour elle de faire des choix éclairés en raison des conditions du milieu.
Nous nous sommes entre autres penchés sur le tabagisme. Dans les quartiers à revenu élevé, 17 p. 100 des gens fument, contrairement à 40 p. 100 dans les quartiers à faible revenu. Lorsque nous examinons les endroits où il est possible d'acheter du tabac et où il est annoncé, il semble que les cigarettiers ciblent précisément les centres-villes. Leur publicité a pour cible les milieux où la population est beaucoup plus concentrée, la disponibilité est plus grande et l'exemple des autres fumeurs est plus présent, notamment. Tous ces problèmes, une fois combinés, rendent beaucoup plus difficile le choix d'une vie saine pour cette population. De même, il est beaucoup plus difficile de faire le choix sain de se tenir en forme lorsqu'on est limité par des contraintes de coûts et d'accès aux centres de conditionnement physique. Le tout dépend de l'endroit où sont situées les installations, du transport et du stress qu'engendre une vie familiale ponctuée de problèmes multiples. Tant que nous n'aurons pas réglé certains de ces problèmes principaux, les incitatifs ne pourront pas fonctionner à eux seuls dans ces circonstances ou, du moins, pas aussi bien.
Nous avons constaté que les approches fondées sur la population, là où des incitatifs ont été mis en place, fonctionnent mieux chez les groupes à revenu moyen et élevé que chez ceux à faible revenu. De plus, elles accentuent davantage la disparité là où nous avons essayé d'implanter des comportements santé.
Le sénateur Lang : Vous avez dit qu'il y a 46 options politiques. Votre organisation a entrepris de mettre en œuvre un certain nombre de ces options. Pouvez-vous nous parler de deux de ces options qui vont changer les choses, selon vous?
Dr Neudorf : À l'échelle locale, nous participons entre autres à des interventions en matière de logement en collaboration avec la municipalité de Saskatoon, où nous avons remarqué un manque de logements abordables. Puisqu'elle voulait déjà construire plus d'infrastructures, la ville a doublé son budget après le dévoilement des résultats de notre étude. Elle souhaitait également se pencher sur la mise en chantier de nouveaux projets de développement sur des terrains réservés au logement abordable. Voilà quelques-unes des décisions municipales qui ont été prises.
À l'échelle provinciale, nous avons recommandé une modification au seuil minimal de l'exonération fiscale et une majoration de certaines prestations d'assistance sociale. La province a donné suite à nos recommandations dans les mois qui ont suivi notre étude.
Les services de santé, par exemple, s'inscrivent aussi dans notre mandat local. Nous avons montré que la prestation de plus de soins primaires et de services de santé interdisciplinaires dans les écoles améliore non seulement la santé des enfants qui les fréquentent, mais aussi leurs résultats scolaires et la poursuite de leurs études. Nous avons réaffecté un million de dollars environ aux services de santé dans certaines écoles situées en milieux défavorisés en raison des résultats de cette étude et nous travaillons actuellement avec le gouvernement afin de répéter l'expérience dans d'autres d'écoles du centre-ville.
Certaines options politiques sont surtout du ressort d'une administration municipale ou du secteur régional. Nous en avons mises certaines à exécution. Quant aux autres, qui requièrent la participation des gouvernements provincial ou fédéral, nous avons recommandé des changements.
Le sénateur Cordy : Lorsque nous lisons le journal et que nous entendons les nouvelles, il est souvent question de l'espérance de vie toujours plus élevée et des personnes âgées qui sont plus en santé et actives qu'auparavant. Nous entendons aussi parler de l'obésité chez les jeunes, mais on nous dit qu'en général, la vie s'améliore pour tout le monde.
Comme l'a dit le Dr Neudorf, une fois les données ventilées par quartier, les statistiques sont pour le moins frappantes. Il est effarant d'apprendre que là où les gens restent dans des refuges, des maisons de chambres et des hôtels, leur espérance de vie est comparable à celle de 1921 pour les hommes et de 1961 pour les femmes, ou encore à celle de pays tels que la Géorgie, la République dominicaine ou le Cambodge. Ce message ne se rend pas au public. Il nous faut parler de ce que la pauvreté coûte à notre société. Il faut communiquer l'information au public.
Nous avons entendu parler d'excellents programmes qui sont mis en œuvre aux quatre coins du pays. Ils semblent déployés dans des milieux où les gens comprennent les coûts de la pauvreté pour une ville, un quartier ou un pays.
Comment peut-on amener les gens à comprendre les coûts de la pauvreté? Nous entendons la voix des personnes qui tirent avantage du système ainsi que tous les vieux stéréotypes qui ne sont pas vrais. Il semble que nous ne donnons que le strict minimum aux plus démunis pour qu'ils puissent vivre un peu mieux, sans leur donner de quoi se sortir vraiment de la pauvreté.
Les milieux où nous entendons de bonnes nouvelles sont des endroits où le secteur des affaires, les organismes confessionnels et les associations communautaires se sont concertés, estimant qu'une intervention était nécessaire. Comment peut-on passer le message aux Canadiens, à savoir que nous devons nous préoccuper du coût de la pauvreté? Je parle des bienfaits de l'élimination de la pauvreté et de la meilleure qualité de vie qu'auraient ces personnes si elles s'en sortaient.
Dr Neudorf : L'un des premiers problèmes que nous avons cernés, c'est que les données étaient disponibles depuis longtemps sous forme de statistiques stériles, mais la première étape était de communiquer l'information sur un quartier donné aux gens qui y vivaient. Pour une raison qui m'échappe, on semble croire que le phénomène est vrai ailleurs, mais pas chez nous. Même s'il s'agit de données canadiennes, elles sont trop dépersonnalisées. Nous avons jugé qu'il était extrêmement important d'obtenir des données locales ventilées par quartier, dans un format que le groupe local comprendrait. Dans notre cas, nous avons utilisé les quartiers locaux dans la planification.
La deuxième difficulté que nous avons rencontrée était la publicité et la création d'un dialogue communautaire. Les gens peuvent se reconnaître et comprendre de quel quartier il est question, mais voient-ils le portrait d'ensemble de la pauvreté et de ce qu'elle signifie? Par conséquent, la personnalisation à l'aide de faits vécus fait tomber les stéréotypes, on ne peut plus voir ces personnes comme des gens qui ne veulent simplement pas chercher de travail ou qui en ont eux- mêmes décidé ainsi. Bien sûr, certains individus entrent dans ces catégories, mais la réalité pour la vaste majorité, c'est qu'il s'agit simplement de la vie qui le leur impose. Nous pouvons faire mieux.
Troisièmement, il faut inciter les Canadiens à prendre part aux discussions sur nos valeurs de base. La grande majorité des Canadiens considèrent cette situation comme fondamentalement injuste. Lorsque nous avons sondé les gens, nous leur avons demandé, étant donné la situation inacceptable, quel degré de disparité ils étaient prêts à tolérer, et la plupart ont répondu « très peu » ou « aucune ».
Dans ces dialogues avec la population, nous essayons de faire réfléchir les Canadiens aux façons dont la pauvreté peut les toucher directement, puisqu'elle pourrait toucher un membre de leur famille ou leur entreprise. Si nous ne pouvons pas faire strictement appel à des motifs éthiques et moraux, nous leur demandons d'imaginer quelles en seront les répercussions sur la prospérité économique future si nous continuons à agir ainsi plutôt que de tenter de faire partie de la solution dès maintenant.
Nous avons examiné la question localement et pris connaissance du rapport de sir Michael Marmot, de la Commission de l'OMS. Nous avons constaté que nous avons besoin d'un mélange de volonté politique et de soutien communautaire afin de créer le changement.
Le sénateur Cordy : Je crois que les gens diront qu'ils ont la volonté politique. L'année 1989 a été déclarée Année internationale de l'enfant dans le but d'éliminer la pauvreté infantile, qui est véritablement un problème familial. La motion a été adoptée à l'unanimité, mais aucun suivi n'a été effectué en ce qui a trait à la manière d'y arriver.
Si nous l'examinons d'un point de vue fédéral et tenons pour acquis que la volonté publique est au rendez-vous, quelle serait la première étape à franchir?
Dr Neudorf : Je constate que le public ne comprend pas en quoi le coût d'ensemble les touche directement. Tout ce que les gens voient, c'est qu'un programme supplémentaire se traduira par une hausse d'impôts, au lieu de voir qu'il y a un coût global pour la société et qu'il serait peut-être plus avantageux pour l'ensemble de la société et, dans de nombreux cas, pour chacun d'entre nous, de payer plus cher dans un cas afin de payer moins cher ailleurs. Ainsi, non seulement l'état de santé de la société s'en trouverait amélioré et les choses seraient réglées d'une manière plus juste et équitable, mais le système serait également plus rentable.
Le Canada commence à prendre part à des études pour mieux comprendre l'ensemble des coûts sous-jacents. Je sais qu'il y en a une en cours à l'échelle nationale; Statistique Canada pourrait vous en dire plus.
Entre-temps, nous mettons l'accent sur l'évaluation des interventions axées notamment sur le logement, qui montrent qu'en fin de compte, les coûts de services tels que les prisons, les soins de santé et les services sociaux s'en trouvent réduits. Ces initiatives sont donc rentables, mais pour qu'elles soient appuyées, ces renseignements doivent être communiqués au public.
Le sénateur Cordy : Il faut que les gens comprennent qu'une majoration quelconque peut se traduire par une baisse d'ailleurs.
Dr Neudorf : C'est juste.
Mme Oderkirk : Pour donner suite aux observations du Dr Neudorf, Statistique Canada dispose d'une multitude de données qui peuvent être rassemblées pour aider à faire la lumière sur les divers résultats en matière de santé et les coûts selon divers niveaux de revenus. Nous travaillons avec l'Agence de la santé publique du Canada, l'Initiative sur la santé de la population canadienne et d'autres partenaires pour déterminer comment nous pourrions compiler les données qui contribueraient à expliquer cette situation plus efficacement qu'auparavant.
Mme Heslop : Pour ce qui est de la conscientisation et de la participation du public, il serait utile d'aborder les disparités plutôt que de souligner simplement qu'il s'agit d'un milieu défavorisé ou favorisé. Avec tous ces gradients, j'espère que nous réussissons à indiquer aux Canadiens, par l'intermédiaire des médias, qu'ils vivent dans un quartier comportant sa part de privilèges et de disparités. Pour améliorer la santé, nous pourrions notamment trouver une solution pour aplanir les disparités qui subsistent peut-être dans le bureau du médecin ou lors d'une consultation. Un outil d'examen préalable rapide pourrait être utile dans ce contexte. Je suis consciente que cela ne s'inscrit peut-être pas dans le cadre de votre mandat, mais si les Canadiens comprenaient leur propre niveau de disparité, ils se sentiraient peut-être davantage concernés par l'amélioration des résultats pour la santé de tous.
Dr Neudorf : C'est un excellent point. En fait, nous en avons discuté avec le public. Nous savons que la grande majorité de la population s'inscrit dans un gradient autre que le décile supérieur. Ainsi, il est possible de montrer que chaque gradient est touché par l'inégalité et que le groupe juste au-dessus se trouve en meilleure santé, qu'il y a toujours une différence. De cette manière, le public se sent visé, car il se rend compte que tout le monde vit la même situation et non seulement les plus pauvres.
Le président : L'autre sous-comité du comité principal vient tout juste de déposer un rapport sur la santé de la population. La prochaine personne sur la liste est son président, le sénateur Keon, de l'Ontario.
Le sénateur Keon : Je ne vais pas vous poser de questions, docteur Neudorf, puisque j'ai été en contact constant avec vous. Je tiens toutefois à vous remercier pour votre récente lettre d'appui concernant notre rapport et pour tous les renseignements que vous nous avez fournis au fil de sa rédaction.
Je tiens à relever le paradoxe de Cuba parce que je suis entièrement d'accord : nous devons éliminer la pauvreté au Canada, tant en zone rurale que dans les grandes villes. Lorsqu'on fait le lien entre pauvreté et santé, toutefois, le sujet se complexifie. C'est la raison pour laquelle j'ai étudié en détail le paradoxe cubain. Le revenu du Cubain moyen représente le quart de notre seuil de faible revenu. Or, Cuba affiche les mêmes indicateurs de santé que le Canada. Comment est-ce donc possible? C'est une question d'organisation. Le pays compte 92 collectivités en bonne santé et bien organisées qui regroupent 10 millions d'habitants, et tout est organisé au niveau de la communauté. L'accent est essentiellement mis sur le développement de la petite enfance, l'éducation, l'intégration de la santé, de l'éducation, des sports et des services sociaux, et ainsi de suite, et ce au niveau de la communauté, où les gens savent exactement ce qui se passe et comment procéder.
C'est la raison pour laquelle, Dr Neudorf, nous recommandons une approche communautaire dotée de tous les renseignements pertinents qui nous permettront de bien cerner le sujet, grâce à votre aide, notamment.
Je ne veux pas que nous nous éparpillions. Le rapport sur les villes doit impérativement mettre l'accent sur l'éradication de la pauvreté urbaine. Je ne veux pas non plus bifurquer vers le dossier de la santé, alors que les discussions devraient porter sur l'élimination de la pauvreté urbaine. Or, les liens avec la santé sont évidents. Toutefois, il nous serait utile si vous pouviez tous nous faire part de vos idées pour éliminer la pauvreté urbaine. Cette question est très importante aux yeux du sous-comité.
Le président : Un prix pour celui qui a la réponse. C'est la solution que nous recherchons. Qui souhaite s'aventurer?
Dr Neudorf : La question est fort complexe, et non seulement dans les villes. Toutefois, je crois que le comité met l'accent sur les circonstances propres aux villes.
Le paradoxe tourne davantage autour de l'équité plutôt que du revenu. Il existe une disparité inhérente, et comme vous le savez bien, ce sont les priorités au chapitre des investissements dans les programmes sociaux et de santé qui créent le paradoxe. Comment faut-il agir dans un contexte canadien sans pour autant changer en profondeur la société canadienne?
Je crois qu'il existe un moyen qui nous permettra de trouver un nouvel équilibre entre la sécurité du revenu et certains des programmes sociaux et de ressources humaines, afin de réaliser une meilleure équité au Canada. Certains pays nordiques ont pris cette décision et ont obtenu de très bons résultats, par exemple.
Il faut se pencher sur la façon dont nous avons structuré nos villes. Nous voulons éviter les ghettos ainsi qu'une intensification des disparités existantes entre certains quartiers et secteurs.
Nous collaborons de près avec nos partenaires de la Fédération canadienne des municipalités ainsi qu'avec les urbanistes pour trouver de nouvelles façons de planifier les futurs quartiers et de revigorer les quartiers existants. Nous nous penchons sur des changements à l'infrastructure et à la structure des quartiers en vue de trouver une équité et de créer des villes durables. Nous cherchons à nous éloigner des tendances observées aux États-Unis, où les ghettos ont engendré d'autres problèmes.
Dans ce cas, le problème est plus que financier. Il en va de la planification urbaine et de la façon dont certains services d'infrastructure sont offerts.
Toutefois, les programmes et politiques fédéraux et provinciaux sont importants en ce qui a trait aux programmes sociaux et au soutien accordé aux résidents des quartiers afin de les aider à améliorer leur condition. Je crois qu'il existe effectivement un lien. C'est la raison pour laquelle, dans votre rapport, vous vous penchez sur une approche plurigouvernementale. Il faut avoir des politiques fortement intégrées entre les secteurs mais également entre les divers échelons gouvernementaux.
Le sénateur Pépin : J'avoue que lorsque j'ai travaillé avec le sénateur Keon, je me suis demandée ce que nous devrions faire. Vos propos m'intéressent, car nous posons les mêmes questions dans notre rapport.
Lorsque vous dites qu'il faut changer la planification urbaine, dans quel sens l'entendez-vous? Nos villes, comment les organiseriez-vous?
Dr Neudorf : Les urbanistes revendiquent depuis longtemps des changements dans les quartiers, afin qu'il y ait un équilibre ou une gamme de revenus et de logements. Sur le plan conceptuel, on devrait faire la promotion des déplacements à pied à l'échelle locale, afin que les gens puissent plus facilement se rendre à pied au travail, délaissant ainsi les banlieues et les villes à faible densité. C'est une sur-simplification, mais c'est l'essentiel de nos discussions avec les urbanistes.
Nous tentons de promouvoir ce type de développement dans les nouveaux quartiers. Lorsque nous effectuons de la planification dans certains des quartiers plus vieux, nous nous demandons ce qu'il faut changer ou améliorer afin que ces quartiers se rapprochent de l'idéal. Il faudra peut-être modifier le zonage ainsi que les systèmes de transport, voire même la conception.
Dans le cadre de notre travail de revitalisation des quartiers, nous allons bientôt rendre publique une étude sur l`incidence de la densification sur la santé. En fait, il semble y avoir une plus grande disparité dans les villes plus étendues. Si l'on arrive à revitaliser les quartiers du centre-ville qui ont une forte densité et à apporter les changements souhaités, il y aura une réduction des disparités. Ce sont ce type de changements qui font l`objet de discussions.
Le président : Je vais terminer en vous posant quelques questions. Tout d'abord, j`ai sous les yeux le graphique à la page 13 ainsi que les renseignements à la page 12 qui décrivent les données de Statistique Canada. Je présume que lorsque vous dites que les chiffres sont comparables pour les refuges, les maisons de chambre et les hôtels à ceux de 1921 pour les hommes et à ceux de 1961 pour les femmes au Canada, comparativement à d'autres pays, vous parlez de la population générale plutôt que des refuges et ainsi de suite. En fait, ce n'est probablement pas du tout comparable, puisque dans ces pays, la vaste majorité des gens seraient tout simplement des sans-abri.
Existe-t-il des variations entre les grands centres urbains canadiens dans ces statistiques? Êtes-vous arrivé aux mêmes constatations dans les diverses villes?
M. Wilkins : Nous ne nous sommes pas penchés sur les niveaux locaux dans le cadre de notre étude sur le recensement de la mortalité, bien que nous ayons suivi 2,7 millions de personnes pendant 11 ans, recensant 260 000 décès. Ce serait possible pour les plus grands centres urbains, mais nous ne l'avons pas encore fait.
Nous avons fait certaines de ces analyses avec les données sur les quartiers allant de 1971 à 2001 que j'ai citées tantôt. Je crois que c'est ce genre de statistiques dont a fait part le Dr Neudorf, dressant un portrait généralement semblable d'une ville à l'autre mais en indiquant toutefois certaines zones où il y a de plus grandes disparités.
Nous aurions une meilleure idée des facteurs qui sont à l'origine de ces disparités si nous faisions un suivi des particuliers visés par l'étude sur le recensement de la mortalité. Je crois qu'il serait utile de calculer certaines des différences dans l'espérance de vie et de la mortalité dans les grands centres en utilisant ces données.
Si, dans les quartiers mixtes et modestes, on retrouve de nombreux immigrants qui ont une mortalité plus faible, il devient plus difficile de constater l'étendue réelle des différences entre ces derniers et les gens qui sont nés au Canada, par exemple. La tâche devient plus difficile si on utilise des données pour un quartier plutôt que pour des particuliers. Lorsque nous savons le lieu de naissance et la période d'immigration, nous pouvons en tenir compte afin de mieux comprendre.
Le président : Je vous remercie tous de votre contribution à nos travaux.
Nous allons poursuivre la séance du Sous-comité des villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Notre deuxième groupe de témoins nous parlera des travailleurs handicapés pauvres.
Je vais maintenant présenter les deux témoins. M. Darrell Powell est le défenseur national des travailleurs canadiens handicapés et de leurs familles, et le Dr Lisa Doupe a mis sur pied Prevention Wellness Rehabilitation Health Consultants en 1989, conformément à sa conviction que la réadaptation devrait être intégrée aux politiques publiques ainsi qu'aux politiques du secteur privé, notamment celles des employeurs et des assureurs.
Darrell Powell, défenseur national — Santé mentale et invalidité des travailleurs handicapés au Canada, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître. Je crois que les comités font un travail incroyable, et les travailleurs handicapés ainsi que les iniquités auxquelles ils font face généralement ne font pas partie des dialogues et des discussions sur les questions sociales et la santé. Le groupe de Canadiens que je représente est fort reconnaissant de pouvoir participer aux discussions.
Je retrouve des visages connus, que j'ai vus quand j'ai témoigné devant le comité sénatorial de la santé mentale. Ce témoignage a suscité un dialogue incroyable, partout dans le pays, sur les problèmes de santé mentale frappant les travailleurs handicapés ou rendus invalides par une blessure subie au travail.
Il m'a permis de présenter mon point de vue et de sensibiliser les politiques, les fonctionnaires, les personnes œuvrant dans le domaine de la santé et différents groupes, d'un bout à l'autre du pays, ce qui a relancé et amplifié ce dialogue.
Je n'ai pas de notes avec moi. J'en suis désolé. J'aborderai rapidement une liste sommaire de sujets en notant au passage ceux pour lesquels vous pourriez souhaiter un complément d'information et ceux que vous aimeriez examiner plus en détail. Je vous transmettrai ensuite tous les renseignements voulus dès que possible.
Parlons de la pauvreté et du sort des travailleurs handicapés et de leurs familles. C'est une situation extrêmement pénible. D'un bout à l'autre du pays, on s'est fait une image de l'indemnisation des accidentés du travail. En effet, nous en avons tous entendu parler et nous avons entendu dire à quel point la situation était mauvaise — du moins la plupart d'entre nous —, mais nous avons tendance à croire que ce problème se résorbera de lui-même. Sinon, nous pensons que nous n'avons pas prise sur lui et que, par voie de conséquence, nous sommes exclus de tout dialogue et incapables de comprendre effectivement le sort qui guette les personnes frappées d'un handicap.
Comment cela touche-t-il la communauté, dans les villes où tend à se rassembler la majorité de la population du Canada? Or, le problème n'est pas strictement urbain. J'ai vécu dans beaucoup de petites communautés côtières. Elles constituent des microcosmes. Par exemple, prenons une petite communauté de 1 200 habitants telle que Texada Island. Si cinq mineurs sont gravement blessés dans les carrières de calcaire, tous ses membres assistent à leur déchéance vers la pauvreté. Tous sont témoins des tentatives des victimes pour établir leur demande d'indemnisation et recevoir rapidement un traitement — ce que l'on ne voit plus aujourd'hui —, puis des premières manifestations de la pauvreté.
Si, plus particulièrement, la personne blessée a des enfants et un conjoint, le problème prend une tournure différente selon ses liens personnels et leurs ramifications dans la communauté. Lorsque le soutien du ménage subit un handicap permanent ou grave, les femmes vivent une expérience différente, car leurs critères ne sont pas les mêmes. Handicapées ou non, elles sont violemment touchées, en raison de leur rôle familial et social. C'est de cette façon qu'il faut vraiment tenir compte de leur situation.
J'ai toujours tenté d'amener des représentantes féminines de la population touchée à se manifester. Dans le passé, le problème était vu comme masculin et il était exemplifié notamment par le travailleur blessé d'une aciérie.
La première chose à faire, quand on examine ce type de situation, c'est de déterminer ce à quoi on a affaire. Ensuite, il faut se faire une idée de l'importance et de la taille de la population touchée. Puis, il faut examiner les différences entre les personnes qui sont touchées et ce à quoi elles se réduisent dans l'équation de la pauvreté dans les principaux centres où la plupart des victimes finissent par se retrouver. Qu'elles y vivent ou non, elles tendent en quelque sorte à s'y retrouver, pour obtenir des traitements ou de l'aide financière au moyen de prestations, et cetera.
Lorsque la Commission d'indemnisation des accidents du travail rejette une demande d'indemnisation, elle se décharge de ses responsabilités au détriment des autres systèmes de prestations sociales. Le phénomène est beaucoup plus grave que ce que l'on peut imaginer. Il existe une formule de redressement en vertu de laquelle l'argent de notre principal régime de prestations au Canada, les prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada, est envoyé directement à l'employeur pour éponger ses coûts. J'en ai parlé devant le Comité sénatorial des affaires sociales, quand il s'est penché sur la question de la santé mentale. La Commission en demande davantage du système public, plus que ne le réalise la communauté canadienne, en grande partie du fait du marketing social qu'elle effectue et de la façon très mensongère qu'elle a de parler d'elle-même. Il y a énormément de délestage.
Je m'interromps pour porter mon regard vers l'avenir, particulièrement dans le contexte de la présente crise économique. Mon expérience a débuté en 2005, quand j'ai amorcé mon travail de sensibilisation en initiant le dialogue sur la santé mentale. Je suis aujourd'hui le défenseur d'une cause, à titre personnel et à l'échelle nationale. Malgré le contrôle exercé par les provinces, la situation n'a pas manqué de se répéter d'un bout à l'autre du pays pour devenir un problème particulièrement difficile à résoudre.
Nous devons examiner le rôle de la Commission d'indemnisation des accidents du travail partout au Canada et sa responsabilité à l'égard des familles des travailleurs devenus invalides, pour ce qui est d'accélérer le diagnostic et le traitement médical, tout en assurant un revenu suffisant. Le montant des prestations d'assurance-salaire avait été fixé à 75 p. 100 de la paie brute d'un travailleur, ce qui équivalait habituellement au montant de son salaire net. Il faut rétablir ce taux et le maintenir, et non pas se délester de cette responsabilité.
Actuellement, la Commission d'indemnisation des accidents du travail ne permet à quelqu'un d'établir une réclamation que si cette personne a reçu un diagnostic complet. Dans un régime d'indemnisation sans égard à la faute, cela ne devrait pas se produire. Le système public répugne à traiter ce dossier et il ne peut pas et il ne veut pas s'en occuper afin d'accélérer un diagnostic. En conséquence, le travailleur se retrouve dans un contentieux de perte de revenu ou d'extrême pauvreté consécutive à une incapacité physique.
La situation est très différente de celle du programme d'assurance-emploi. D'après un témoignage devant un comité sénatorial, seulement 34 p. 100 des femmes et 38 p. 100 des hommes retiraient effectivement des prestations, pendant que la caisse de l'assurance-emploi continue d'enregistrer un surplus mirobolant qui dépasse, je crois, les 50 milliards de dollars. Les systèmes en place doivent être davantage qu'un simple exercice de prudence financière. Ils doivent être au service des gens, plus particulièrement en période de crise économique. Nous subissons un grave problème, à cause de tout ce délestage financier.
Je vais vous raconter une expérience personnelle. J'ai assisté à une réunion du district régional du Grand Vancouver. Le sénateur Campbell y était. On a parlé de la division des pouvoirs, de la voix à donner aux différents joueurs et du financement accordé aux villes. Les représentants de chaque district se sont exprimés. J'étais là en tant qu'observateur et, après la réunion, j'ai parlé à de nombreuses personnes. Vancouver ne manque pas d'infrastructures, et la ville est merveilleusement embourgeoisée dans mon quartier de Cole Harbour, où les nids-de-poule ne font pas problème. Sans trop s'en rendre compte, les représentants de tous les districts ont discuté des déterminants sociaux de la santé. C'était quelque chose à voir et à entendre. Avec tout ce qui arrive aujourd'hui, leur principal problème était le délestage des services sur les villes, pendant qu'on ne leur donne aucun mot à dire quant à la façon dont l'argent est utilisé. Pourtant, on voit les déterminants sociaux de la santé et les obstacles à la santé et à la stabilité des revenus, ainsi de suite, surgir de partout. L'inquiétude était palpable.
Les méthodes de cueillette de l'information font problème. Si une demande à la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail, la CSPAAT, est rejetée, l'information se retrouvera dans d'autres secteurs des programmes sociaux victimes du délestage, et c'est là qu'il faudra la trouver. Il faut considérer avec un certain scepticisme les statistiques des commissions d'indemnisation. Pour comprendre à quel point la situation est grave, il faut parler aux gens de la communauté, se mêler aux groupes et aux individus du secteur de la santé qui eux, vous diront la vérité. La pauvreté touche la famille, ce qui se répercute sur la communauté, puis, enfin sur la population. Au Canada, nous sommes à un tournant décisif. Nous devons agir sans tarder.
Dre Lise Doupe, consultante, PWR Health Consultants Inc. : Merci de votre invitation à venir témoigner devant vous. J'en suis honorée. Je suis sensible à votre intérêt à l'égard des travailleurs et de la pauvreté. Dans une étude récente du groupe Street Health de Toronto intitulée Failing the Homeless, aucun des participants sans abri qui touchaient des prestations de la Commission de sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail n'a réussi à continuer de les recevoir. Certains ont perdu le droit aux prestations parce qu'ils ne pouvaient pas produire les rapports médicaux réclamés. La CSPAAT n'a pas veillé à s'assurer que les participants avaient une autre source de revenus avant de leur couper les vivres.
Mon principal objectif est de vous informer de l'existence d'une nouvelle classification émanant de l'Organisation mondiale de la santé, la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Nous utilisons actuellement la Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages, laquelle se fonde sur une définition de l'incapacité datant de 1980.
Je voudrais m'assurer que les sénateurs connaissent ce nouveau modèle et la nouvelle définition. Ce nouveau modèle a été mis en œuvre dans l'Union européenne, puis élargi à ses 26 États membres et aux différents ministères concernés. Il ne se borne plus à examiner seulement la dysfonction d'un organe chez un individu mais, à la place, il s'intéresse à la non-concordance entre les capacités physiques et mentales de la personne et son environnement, ce qui comprend l'environnement social.
J'ai demandé à ma collègue la Dre Carolyn Bennett de faire le point sur la mise en œuvre de ce nouveau modèle au Canada. Elle a pu obtenir le concours du Parlement pour effectuer de la recherche sur le sujet, et, d'après le rapport qu'on lui a remis, le Canada avait adopté une démarche ascendante à l'égard de la mise en œuvre du nouveau système, plutôt qu'une démarche descendante. À long terme, cela nous desservira, car nous ne nous acquitterons pas de nos engagements à l'égard de l'Organisation mondiale de la santé et nous ne répondrons pas aux besoins des personnes handicapées, peu importe le régime d'indemnisation ou le régime d'assurance dont elles seront bénéficiaires. Vous connaissez désormais l'existence de ce nouveau système.
J'ai d'abord exercé ma profession dans le domaine de la médecine du travail, dans de grandes usines comme dans des centres de santé communautaires. En tant que psychothérapeute omnipraticienne, je vois maintenant des cas très complexes. De fait, je ne vois que ce type de cas. Le manque de coordination à l'égard des déterminants sociaux de la santé fait partie des obstacles qui m'empêchent de rendre mes patients à nouveau fonctionnels.
Mes patients, et cela m'étonne toujours, ne parlent pas nécessairement de leurs problèmes de santé. Ils parlent de leur besoin de pouvoir bien fonctionner et retourner au travail. Ils disent : « Je veux être fonctionnel; je veux travailler. » Ils comprennent mieux que n'importe qui d'entre nous l'enjeu de la pauvreté et comment il s'articule avec la mauvaise santé. Je m'adresse également à vous en tant que représentante de ces personnes, qui veulent que quelqu'un comprenne cette relation.
Nous, les professionnels de la santé, évoluons dans un fouillis complet de programmes et de services que mes collègues ont peine à comprendre. Il y a peu de coopération avec les autres professionnels de la santé dans la communauté. En soi, c'est une cause de retards.
Le contentieux découle souvent du besoin des sociétés d'assurance de gérer les chiffres, que ce soit les coûts ou le nombre de réclamations, puis de l'absence de coordination et de collaboration, ce qui engendre des retards extraordinaires dans les soins à prodiguer et l'indemnisation des patients. Le processus devient lui-même un obstacle supplémentaire au mieux-être et à la guérison.
Je suis intervenue auprès de l'association médicale et de mes propres collègues pour faire en sorte que, désormais, la définition de « médecine » inclue les notions de retour au travail. Cela a été officialisé, en 1997, par l'Association médicale canadienne. Ensuite, j'ai été en mesure de travailler, à l'échelon fédéral — Développement des ressources humaines Canada, à l'époque — avec la sous-ministre adjointe Julyan Reid. Nous avons créé une table ronde. Nous avons réussi à obtenir le consensus de 16 grands acteurs. Avec la première table ronde, nous avons commencé par un groupe de huit et, à la fin, les 16 acteurs sectoriels se sont entendus sur les principes d'un éventuel programme de gestion de l'invalidité, tel que nous pouvions l'imaginer alors.
L'expérience a été intéressante parce que, à l'époque, tous les principes reconnus par les 16 groupes représentés coïncidaient avec ceux de la Classification internationale. Il est intéressant de pouvoir vraiment s'entendre sur cette question quand on tient quelque chose de fondamentalement bien.
Je conseille vivement au comité d'examiner la Classification internationale.
Je pourrais ajouter qu'une possibilité s'offre à nous pour la révision des systèmes d'indemnisation. Morneau Sobeco a produit un rapport pour la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail de l'Ontario qui a fait évaluer sa tarification selon l'expérience. Le rapport se termine sur quatre options, assorties de la nécessité de revoir le système d'indemnisation, en raison de son inefficacité foncière.
On y propose notamment d'adopter un système de calibre international. Je crois personnellement que la CIF devra faire partie des options envisagées, et pas seulement pour l'indemnisation des accidents du travail, mais pour les assurances en général.
Le président : J'aurais une petite question avant d'aller plus loin : CIF, qu'est-ce que ça veut dire?
Dre Doupe : « Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé ». J'ai créé des dossiers là- dessus. D'un côté, je parle de la table ronde, de l'autre, je décris brièvement la CIF.
Le président : Veuillez nous en laisser une copie, je vous prie.
Dre Doupe : Il y a beaucoup d'autres renseignements, plus étoffés, car la CIF a pris beaucoup d'ampleur dernièrement. J'aurais dû l'expliquer, veuillez m'en excuser.
Le président : Ne vous en faites pas, ce ne sont pas les sigles qui manquent.
Dre Doupe : Je vous cite au passage le nom de deux experts qui travaillent sur la CIF : le premier est ontarien et vient de l'Université Queens, il s'agit du Dr Bickenbach. L'autre est médecin elle aussi, et elle est originaire d'Italie. Son nom est Matilda Leonardo. C'est elle qui préside le projet au nom de l'Europe. Je crois que ce serait un bon point de départ.
Le président : Avant de laisser la parole à mes collègues, j'aimerais vous poser une question, à tous les deux. Vous avez beaucoup parlé d'indemnisation des accidents du travail. Or, il s'agit, comme chacun le sait, d'un sujet de compétence provinciale. Nous sommes une entité fédérale. Pourtant, de nombreux Canadiens finissent par avoir affaire au fédéral, par l'entremise du Régime de pensions du Canada.
Si je comprends bien, vous nous dites que de nombreux citoyens sont victimes des failles du système et ne touchent pas un revenu suffisant pour survivre.
J'aimerais que l'on revienne au premier niveau du système d'indemnisation des accidents du travail. Quel est le problème? Le nombre de personnes jugées admissibles est-il insuffisant? Le fardeau administratif est-il trop lourd? Est- ce qu'il y a trop de gens à qui l'on refuse des indemnités? Ou n'est-ce pas plutôt que, lorsque leurs indemnités prennent fin, de nombreuses personnes se tournent vers le Régime de pensions du Canada et que, comme le revenu qu'elles en retirent est encore moins élevé, elles tombent encore plus bas sous le seuil de la pauvreté?
Tracez-moi un bref portrait de la situation, pour que je comprenne bien.
Dre Doupe : Il y aura toujours des blessures et des maladies, mais là où le bât blesse, c'est lorsque les intervenants du milieu de travail et les spécialistes de la santé ne se parlent pas. La pertinence des soins de santé, le moment où ils sont reçus et la coordination entre les divers intervenants sont autant de facteurs qui entrent en ligne de compte.
Bien souvent, l'exercice de coordination auquel il faut se livrer lorsqu'une personne se blesse ou tombe malade remonte jusqu'au milieu de travail, alors il faut que la communication y soit efficace. Il faut comprendre les gens qui composent le milieu de travail, ainsi que la culture et les processus qui le caractérisent.
Le président : Voulez-vous dire du point de vue médical, pour le traitement même de la blessure, ou du point de vue administratif, pour tout ce qui touche les formulaires et le versement des prestations?
Dre Doupe : Je parle du traitement et de la réadaptation.
Le président : Je vois.
M. Powell : Le système d'indemnisation des accidents du travail a beaucoup changé depuis 2000, surtout en Colombie-Britannique, qui a mené le bal en entreprenant l'intégration à un système d'indemnisation des accidents du travail nouveau genre qui profite d'abord et avant tout aux employeurs et aux sociétés.
Les cas admis en Colombie-Britannique sont différents de ce qui se fait ailleurs, et les outils utilisés pour évaluer la santé d'une personne et son degré d'invalidité sont, pour la plupart, carrément inconstitutionnels. Je me reporte à la décision Plesner c. British Colombia Hydro and Power Authority, rendue il y a un mois. M. Plesner souffrait de stress psychologique, c'est-à-dire d'un trouble de stress post-traumatique. Son cas est très semblable à celui des travailleurs handicapés et des soldats qui souffrent aussi d'un trouble de stress post-traumatique à leur retour au pays. Pour que leurs demandes soient traitées, ils doivent tous répondre aux mêmes normes et se plier aux mêmes procédés d'évaluation de la santé et du degré d'invalidité.
Par conséquent, le nombre de demandes qui finissent par être admises est beaucoup moins élevé. Plus de la moitié des gens, en Ontario et en Colombie-Britannique, ne présentent même pas de demande, et ce pourcentage est encore plus élevé chez les immigrants et chez les personnes devant surmonter des obstacles linguistiques. Ils ne veulent rien entendre, parce qu'ils sont craintifs et parce qu'ils ne veulent pas avoir de problèmes.
Le président : Surtout les personnes atteintes d'un trouble de stress post-traumatique.
M. Powell : Je parle des travailleurs en général, et le trouble de stress post-traumatique n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Il n'en demeure pas moins que nous avons maintenant une décision qui établit un précédent et qui se répercutera sur le vocabulaire même du système d'indemnisation des accidents du travail, que l'on avait changé en 2002. Pour le moment, seules les blessures et les invalidités subséquentes se rattachant directement à un accident de travail sont indemnisées. Cette définition était trop contraignante. Le simple fait que le trouble de stress post- traumatique — ou chronique, comme on l'appelait avant — ne soit pas reconnu en est un très bon exemple, parce que seul le stress psychologique découlant directement d'un accident survenu en milieu de travail serait pour le moment indemnisé.
Le président : Doit-on en conclure que la plupart des demandes sont rejetées?
M. Powell : Oui.
Le président : Des gens se retrouvent donc dans la pauvreté parce qu'ils n'ont pas de travail et parce qu'ils ne peuvent pas compter sur le revenu dont ils ont besoin pour survivre.
Dre Doupe : C'est pire que cela encore. Tout est axé sur les conflits et les affrontements. Non seulement les accidentés du travail doivent faire des efforts pour se rétablir, mais ils doivent également se battre contre le système. Un système qu'ils ne comprennent même pas s'ils sont immigrants, dans lequel ils ne se retrouvent pas et qui ne leur fournit pas les ressources pour faciliter leurs démarches.
M. Powell : J'aimerais revenir à l'indemnisation des accidents du travail, car tout le monde semble penser qu'il s'agit d'un problème qui se règle de lui-même. Et lorsqu'il se trouve une politique sociale, une politique sur l'invalidité ou un comité qui se penche sur la question, le sujet est exclu du débat. J'ai travaillé très fort pour que les accidents du travail soient intégrés, par exemple, aux discussions sur les personnes handicapées.
Les demandes d'indemnisation d'accidents du travail sont refusées dans une proportion effarante. Et que dire des arguments et des critères médicaux invoqués pour justifier ces refus, sinon qu'ils sont abracadabrants? Je n'ai aucune formation médicale, si ce n'est des connaissances que mes handicaps m'ont permis d'accumuler depuis 20 ans que j'essaie de me dépatouiller dans le réseau de la santé.
Le président : Vous parlez de la Colombie-Britannique. Y a-t-il d'autres personnes dans votre organisme qui pourraient nous dire si la situation est semblable dans les autres provinces?
M. Powell : Bien sûr. En Ontario, ce sont les programmes de retour au travail ou de réinsertion qui posent problème. Nous avons là un système qui n'évalue même pas le véritable degré d'invalidité ni les capacités réelles de fonctionnement d'une personne. On vous évalue uniquement — et je signale au passage que l'évaluation en question servira aussi pour votre pension — en fonction de vos limitations fonctionnelles de l'heure. Ce qui n'empêche pas qu'on vous renvoie au travail avant que votre état ne se stabilise, et ce sont les blessés qui finissent par travailler.
Bref, si l'on récapitule : nous avons les accidents non déclarés — près de la moitié, ce qui n'est pas rien. Nous avons les demandes refusées qui s'éternisent en batailles juridiques défiant l'imagination et où le travailleur et la commission chicanent sur la validité des données médicales, ce qui mène plus souvent qu'autrement à des problèmes de santé mentale. Et que dire de la santé mentale, justement, qui n'est intégrée nulle part. On peut donc considérer que les travailleurs ordinaires du Canada — dont je crois être, puisque j'ai travaillé dans les chantiers navals — se retrouvent devant un combat qu'ils n'ont aucune chance de gagner. Tout cela n'a plus rien à voir avec l'ancien système d'indemnisation, mon cher monsieur. Ce système, tel qu'il a été conçu, n'existe plus.
Si l'on se reporte à l'entente ontarienne initiale, qui portait sur les années 1914 à 1919, il est très intéressant de constater que les principes qui guidaient alors l'évaluation de la santé et du degré d'invalidité étaient remarquablement solides. On tenait alors compte de la situation de chaque personne. Par exemple, pour deux personnes qui se cassaient une jambe, l'incidence n'était pas la même si l'une des deux personnes avait déjà perdu l'autre jambe et qu'il ne lui restait que celle qu'elle venait de se casser.
On a tenté de créer un système où tout le monde a droit à la même chose, sans égard à la situation de chaque personne. Pourtant, le rejet systématique des demandes constitue la principale cause de pauvreté — peut-être d'ailleurs pourrions-nous explorer cette question plus en profondeur, si jamais cela vous intéresse d'en connaître l'ampleur et de savoir les dégâts qu'elle cause. C'est impossible d'évaluer précisément le degré d'invalidité d'un demandeur, car le régime d'indemnisation sans égard à la faute n'existe plus et qu'on ne fait plus le nécessaire pour que les gens passent rapidement les tests permettant d'établir un diagnostic exact et d'évaluer adéquatement les dommages causés par la blessure.
Le président : Je dois vous interrompre, car nous allons manquer de temps.
Le sénateur Cordy : Docteur Doupe, vous nous avez dit que le système canadien fonctionnait selon une approche ascendante, plutôt que descendante. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit exactement? Vous avez également dit que cette approche était vouée à l'échec, qu'elle ne fonctionnerait pas. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette approche et ce que nous devrions faire pour la changer?
Dre Doupe : En fait, les ergothérapeutes et certains scientifiques mènent des projets de recherche sur la question et intègrent les résultats à leur programme de formation. Seuls de très petits groupes peuvent en profiter à la fois.
Les médecins à qui incombe cette responsabilité — bien qu'elle soit maintenant partagée — ne connaissent pas ce système. Ils ne connaissent pas la nouvelle terminologie et ne sont donc pas conscients de l'importance que revêtent les déterminants sociaux de la santé et l'environnement. Si le système est mal conçu dès le départ, on obtient de mauvais résultats. C'est ce qui m'inquiète le plus.
En Europe, le premier ministre de l'Italie, qui était aussi président de l'Organisation mondiale de la santé, a pris les choses en main et a décidé que son pays adopterait la CIF. Celle-ci s'est ensuite répandue dans le reste de l'Union européenne.
Le sénateur Cordy : Vous me parlez d'une démarche ascendante, il me semble.
Dre Doupe : Non, non, descendante. Tandis que nous, de notre côté, nous nous contentons de petits projets de recherche par-ci par-là au lieu de pouvoir compter sur une directive venant d'en haut.
Le sénateur Cordy : En fait, vous êtes en train de me dire qu'il faudrait une volonté nationale, c'est ça?
Dre Doupe : Une volonté nationale, exactement.
Le président : Malheureusement, le temps nous manque, car nous avons pris un peu de retard sur l'horaire. Si vous avez quelque chose à ajouter — et on dirait bien que c'est le cas de M. Powell —, est-ce que je peux vous demander de nous le faire parvenir par écrit? J'aurais aimé pouvoir poursuivre ce dialogue encore longtemps, mais la séance devrait être levée depuis longtemps déjà.
M. Powell : Est-ce que je peux ajouter une chose?
Le président : Oui, mais une seule.
M. Powell : Je suis conscient de la pression avec laquelle chacun doit composer. La question est vaste. Nous ne sommes pas venus ici en pensant régler tous les problèmes ni même reconnaître l'état de crise.
Car croyez-moi, j'en ai vu assez et j'ai parlé à assez de gens pour vous affirmer que nous sommes bel et bien en crise. Le passif non capitalisé des fonds d'indemnisation des provinces a été effacé par toutes sortes de lois inconstitutionnelles, dont aucune n'a résisté à l'examen des tribunaux.
En Colombie-Britannique, on devrait pouvoir se réjouir d'apprendre qu'il y a 900 millions de dollars dans le fonds d'indemnisation, mais il faut savoir que celui-ci a fondu comme neige au soleil, parce que les tribunaux n'ont cessé de déclarer les décisions rendues comme étant inconstitutionnelles. II a fallu rembourser 400 millions de dollars par-ci, 200 millions de dollars par-là, et cetera. Depuis 2002, voilà comment la situation a évolué.
Les commissions des accidents du travail se sont transformées. À l'origine, il ne s'agissait pas d'un programme national. Les choses ont fini par prendre cette tournure au fil des ans. Les pouvoirs et les prérogatives dont jouissent ces commissions ne leur ont certainement pas été conférés dans l'intention de les exclure de l'application de la Charte.
L'exemple que je viens de donner pourra aussi servir aux personnes qui siègent au Comité sénatorial de la santé mentale, parce qu'elles se souviendront de ce qui s'est dit à propos de l'indemnisation des accidents du travail. Je l'enverrai à tout le monde ici présent. Je ne pouvais pas me permettre de l'imprimer, mais il fait partie de l'exposé que j'ai préparé pour la Commission de la santé mentale, où nous nous rendrons dès que la rencontre sera terminée.
Mon exemple n'est pas sans importance, parce qu'aux États-Unis, en 2002, le libellé de la législation sur l'indemnisation des accidents du travail a été repris mot à mot d'une autre source. Et un tribunal du Nevada qui s'est penché sur une affaire de santé mentale vient de faire jurisprudence en le déclarant invalide.
Nous commençons déjà à ressentir les contrecoups de tout ce délestage. Les commissions des accidents du travail de partout au pays sont dans l'eau chaude. Je sais qu'elles ont comparu maintes fois devant le Comité sénatorial des banques, et que chaque fois, on leur a répondu de se débrouiller avec leur passif non capitalisé, car on ne leur accorderait pas le statut de programme social.
J'aimerais que ce soit le point de départ de votre réflexion, car nous n'avons jamais eu l'intention de dissimuler quoi que ce soit, et je suis assez intelligent pour savoir qu'il y a des limites à tout. Je vous demande cependant, dans toute votre sagesse, de soulever de nouveau la question devant le comité permanent. Il faut créer un comité qui sera chargé expressément de se pencher sur ces conditions très particulières et sur les disparités en matière de droit et de santé. Il faut étudier les services offerts et s'inspirer des régimes d'indemnisation canadiens qui se sont révélés efficaces.
C'est selon moi la démarche qui s'impose, comme ce fut le cas pour le régime d'assurance-emploi, car cela ne s'est encore jamais fait.
Le président : Merci beaucoup. Comme je vous le disais, n'hésitez pas à nous envoyer le fruit de vos réflexions par écrit pour que nous puissions poursuivre la discussion.
Nous allons mettre fin à cette partie de la séance et poursuivre quelques petites minutes à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)