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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 11 - Témoignages du 2 juin 2009


OTTAWA, le mardi 2 juin 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international s'est réuni aujourd'hui à 18 h 8 pour poursuivre son étude de l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale, et les répercussions sur les politiques canadiennes.

Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nous avons le quorum, nous pouvons donc commencer. J'aimerais tout d'abord présenter mes excuses officielles à nos témoins pour l'heure tardive de cette réunion. Comme vous le savez, lorsque le Sénat siège, les comités ne peuvent pas siéger sans autorisation spéciale, et cette autorisation, nous l'avons eue il y a cinq minutes. Sinon, nous aurions dû repousser ce qui va être, j'en suis sûr, une réunion extrêmement intéressante.

Je vous souhaite à tous la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité reprend son étude sur l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale, et les répercussions sur les politiques canadiennes.

Nous accueillons ce soir des représentants du Conseil canadien des chefs d'entreprise, le CCCE, et avons le plaisir de retrouver David Stewart-Patterson, vice-président exécutif, et Sam Boutziouvis, Économie et commerce international.

Le Conseil canadien des chefs d'entreprise est une organisation non partisane, à but non lucratif, qui rassemble les présidents-directeurs généraux des grandes entreprises canadiennes. Bienvenue au Sénat. Je crois que c'est M. Stewart-Patterson qui va commencer, et une fois que nous aurons entendu nos deux témoins pendant quelques minutes, nous passerons aux questions des sénateurs.

David Stewart-Patterson, vice-président exécutif, Conseil canadien des chefs d'entreprise : Merci. Je sais que votre étude porte sur trois de nos grands partenaires commerciaux, mais avec votre permission, j'aimerais me limiter, pour l'instant, à l'un d'entre eux, l'Inde, tout simplement parce que c'est un pays avec lequel notre organisation a eu de nombreux contacts au cours des dernières années.

J'aimerais en particulier souligner le travail accompli par le Conseil canadien des chefs d'entreprise, de concert avec nos homologues de la Confédération des industries indiennes, la CII, en vue de poser les assises d'une expansion potentiellement majeure de nos relations bilatérales. Les démarches du secteur privé en vue d'un arrangement bilatéral entre le Canada et l'Inde ont débuté en 2005, lorsque nos premiers ministres ont demandé au secteur privé de réfléchir à la forme que pourrait prendre une relation bilatérale et ont recommandé la création d'une table ronde indo-canadienne de chefs d'entreprise. Les choses ont suivi leur cours, et on a commencé à enregistrer de réels progrès sur ce front en 2007, lorsque le Conseil a organisé une mission de chefs d'entreprise à Delhi et à Mumbai et que nous avons tenu notre première Table ronde des chefs d'entreprise Inde-Canada.

À cette époque, il ne s'agissait que de discussions générales. Les participants à cette table ronde ont recommandé le renforcement des liens commerciaux bilatéraux et, plus précisément, des objectifs quinquennaux ambitieux pour le commerce et les investissements.

Une deuxième Table ronde des chefs d'entreprise Inde-Canada a eu lieu en juin 2007, qui a porté principalement sur la promotion des investissements et les possibilités d'intensifier les échanges dans le secteur privé. C'est à cette réunion que nos ministres respectifs du Commerce sont intervenus pour la première fois et ont émis l'idée d'un accord de libre-échange entre nos deux pays.

Le CCCE et la CII ont alors commencé à examiner le contexte des échanges bilatéraux et à échanger des idées sur d'éventuelles recommandations. Nos organisations ont fait circuler des documents préliminaires parmi des groupes de référence composés des chefs d'entreprise ayant participé à la Table ronde et de spécialistes de divers domaines.

Dans un rapport dévoilé en septembre 2008 et approuvé par nos deux organisations, dont nous vous avons fait parvenir un exemplaire il y a quelque temps, les participants à la Table ronde concluaient que le Canada et l'Inde devaient entrer dans une nouvelle ère de coopération et s'empresser d'approfondir et d'intensifier les liens de plus en plus nombreux entre nos deux pays.

Ils recommandaient d'enrichir au besoin les accords et arrangements bilatéraux existants et de les regrouper en un seul accord économique général, moderne et de haute teneur.

Compte tenu de l'envergure des démarches nécessaires pour soutenir et approfondir notre partenariat ainsi que pour resserrer la coopération, ils encourageaient les ministres du Commerce à entreprendre les négociations le plus rapidement possible.

Dans le Discours du Trône de novembre 2008, le gouvernement du Canada exprimait son intention de rechercher de nouveaux accords économiques avec l'Asie en général. En janvier 2009, l'Inde et le Canada convenaient d'entamer des discussions exploratoires en vue d'un accord de partenariat économique approfondi.

Le ministre indien du Commerce et de l'Industrie, Kamal Nath, et le ministre canadien du Commerce international, Stockwell Day, ont alors affirmé vouloir faire passer notre partenariat économique au niveau supérieur. En outre, comme l'avait recommandé la Table ronde des chefs d'entreprise, les ministres sont convenus que leurs hauts représentants devaient se rencontrer pour entamer des pourparlers sur les paramètres d'un accord commercial intégral.

Les élections indiennes étant passées, nous espérons que nos pays pourront entreprendre les discussions dans les plus brefs délais, et que nous pourrons mettre rapidement en œuvre la version définitive de notre accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers, l'APIE, ainsi que mener à terme nos négociations sur un accord de coopération nucléaire civile.

La portée et l'envergure de cette nouvelle initiative stratégique dépendront en grande mesure de l'engagement de nos leaders respectifs du monde politique, de la communauté des affaires et des organisations non gouvernementales. Pour enregistrer des progrès rapides, nous devrons bénéficier d'un appui visible et constant des plus hautes sphères politiques, en particulier de nos premiers ministres. Nous devrions tenir des sommets bilatéraux annuels pour soutenir et accélérer le mouvement et pour faire face à toute préoccupation ou opportunité importante susceptible d'émerger au cours des négociations. Le premier de ces sommets devrait avoir lieu dès que possible.

Les ministres devraient continuer de se rencontrer régulièrement et de faire des démarches directes auprès des dirigeants d'entreprise indiens et canadiens. Après la visite très fructueuse en Inde du ministre Day en janvier dernier, nous espérons que le ministre indien du Commerce et de l'Industrie pourra venir au Canada dans les meilleurs délais.

Nous aimerions également que le processus de la Table ronde des chefs d'entreprise se poursuive. Cette organisation est d'ailleurs prête à donner des avis aux deux gouvernements, aux représentants élus et aux hauts fonctionnaires, chaque fois que cela pourra s'avérer utile.

L'Inde et le Canada tireraient tous deux avantage d'un accord visant la suppression des tarifs sur la grande majorité des produits qu'ils échangent. Les exportateurs et les importateurs profiteraient directement de l'expansion des réseaux d'approvisionnement entre nos deux pays et de la diversification de nos marchés d'exportation. Si nous entreprenons des négociations sérieuses sur le front commercial, nous serons mieux en mesure d'évaluer ce qu'il est possible de faire dans d'autres secteurs.

J'aimerais conclure en vous décrivant les différents éléments qu'un accord général devrait, à notre avis, comprendre. Bien entendu, nous recommandons la suppression des droits pour la quasi-totalité du commerce des produits non agricoles d'ici à 10 ans. Il faudra tenir compte des possibilités de ce secteur mais aussi des sensibilités très vives qui peuvent se manifester, chez nous et surtout en Inde où l'agriculture est une activité de subsistance pour un grand nombre de personnes. Nous devrons négocier des arrangements réciproques mais souples pour simplifier les formalités, comme les règles d'origine, un mécanisme contraignant pour le règlement des différends, ainsi qu'un mécanisme souple pour l'élimination des barrières non tarifaires. Enfin, il faut donner plus de transparence aux règles et procédures douanières, et définir des droits et obligations exécutoires dans les autres domaines de réglementation.

L'expansion du commerce des services entre le Canada et l'Inde devrait miser sur les discussions en cours à l'OMC et être entièrement compatible avec l'Accord général sur le commerce des services de l'OMC. Le commerce de nos services devrait être progressivement libéralisé, mais avoir une vaste portée. Des progrès devraient être faits en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, ainsi que d'une transparence réglementaire accrue.

Un accord économique futur pourrait intégrer l'Accord Inde-Canada sur la promotion et la protection de l'investissement étranger que nous avons déjà négocié, dans le cadre d'un chapitre distinct sur les investissements, afin d'en renforcer les dispositions.

Bref, ce que nous avons proposé dépasse largement la portée d'un accord de libre-échange classique. Nous avons conclu qu'une démarche plus globale était nécessaire en matière de relations bilatérales pour que l'Inde et le Canada puissent profiter pleinement des bienfaits d'une relation bilatérale renforcée.

Parmi les domaines de coopération qu'on a présentés, mentionnons la science et la technologie, l'éducation, l'énergie et l'environnement, ainsi que diverses initiatives sectorielles. En outre, on devrait envisager une coopération accrue dans des domaines comme la culture, la sécurité, les infrastructures, la politique sur la concurrence, la propriété intellectuelle, la double imposition, la totalisation, les questions de visa, les procédures d'essais, d'étiquetage et de certification liées aux normes, la facilitation du commerce, l'engagement accru dans les partenariats public-privé ainsi que les marchés publics, qui est un sujet de friction en ce moment entre le Canada et les États-Unis.

Il est possible d'accroître la coopération dans un grand nombre de domaines. Je dirais, pour résumer, que le CCCE et la CII ne considèrent pas les relations Canada-Inde uniquement comme une proposition économique. Nous avons la possibilité d'établir un partenariat beaucoup plus vaste.

J'aimerais, pour terminer, souligner que la récession mondiale actuelle accentue l'importance et l'urgence pour nos deux pays de progresser ensemble. Le Canada et l'Inde ont été plus privilégiés que la plupart des autres pays en évitant les incidences les plus dommageables de la récession. Raison de plus, alors, de servir d'exemple au reste du monde en étant des leaders au chapitre de l'ouverture et de la coopération, plutôt qu'en suivant les autres sur le chemin étroit et contre-productif du protectionnisme.

J'espère que nos gouvernements procéderont rapidement à l'examen des recommandations proposées par nos deux communautés des affaires, et qu'ils entameront directement des négociations, sans attendre indûment d'autres études conjointes sur la question, car nous estimons que ces études ont pour l'essentiel été faites.

Nous entrevoyons d'importantes possibilités de servir les intérêts des citoyens des deux pays, et nous continuerons de faire tout ce que nous pouvons pour que l'Inde et le Canada réalisent leur plein potentiel au cours des années à venir.

Le président : Merci, monsieur Stewart-Patterson. Monsieur Boutziouvis, j'aimerais savoir si vous avez quelque chose à dire avant que nous passions aux questions?

Sam Boutziouvis, vice-président, Économie et commerce international, Conseil canadien des chefs d'entreprise : Je répondrai aux questions. Merci.

Le président : Sur un plan personnel, j'aimerais dire que l'Inde est l'une de mes destinations favorites depuis un certain temps. J'y suis allé plusieurs fois, notamment en janvier dernier, lorsque j'ai assisté à la conférence intitulée Vibrant Gujarat, dont vous avez certainement entendu parler, messieurs. Pour moi, ça a été une révélation, et je suis d'accord avec vous sur la plupart des remarques que vous avez faites.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Selon une étude récente, l'Inde est le deuxième pays le plus attractif derrière la Chine en ce qui concerne l'investissement. D'après un sondage réalisé par le groupe de relations publiques Development Counsellors International auprès des chefs d'entreprise américains, des 281 personnes interrogées, 53,1 p. 100 ont désigné la Chine comme étant le pays le plus favorable au commerce, alors que l'Inde arrive en deuxième place avec 45 p. 100 des voix. Suivent le Mexique avec 30,1 p. 100, la Grande-Bretagne avec 25,4 p. 100 et le Canada avec 22 p. 100.

Ceux qui ont opté pour l'Inde ont justifié leur choix, dans 65 p. 100 des cas, en citant la qualité, la quantité et le coût avantageux de la main-d'œuvre dans ce pays. La croissance et les coûts attrayants de fabrication ont également été mentionnés comme étant des atouts majeurs de l'économie indienne.

Même si vous avez mentionné que c'était important pour les entreprises qui travaillaient en sciences, technologies et propriété intellectuelle, pourriez-vous nous dire comment les entreprises canadiennes tirent profit du climat économique propice en Inde? J'aimerais également que vous nous parliez de la nature des investissements canadiens.

[Traduction]

M. Stewart-Patterson : Premièrement, il faut savoir qu'on part de très bas. À l'heure actuelle, l'Inde est le lieu de destination de moins de 1 p. 100 des investissements directs du Canada à l'étranger, mais le potentiel est considérable.

Vous avez parlé des atouts de l'Inde, notamment la qualité de sa main-d'œuvre. Pour le Canada, le fait de parler la même langue facilite la tâche aux Canadiens qui veulent établir des partenariats.

La Chine et l'Inde retiennent beaucoup l'attention simplement à cause de la taille et du dynamisme de leurs économies. L'Inde a toutefois des points faibles, notamment parce qu'elle est plus réglementée et moins imbriquée dans l'économie mondiale. Remarquez que, d'un autre côté, cela lui a été favorable car elle a moins souffert de la crise que certains autres pays en développement.

Monsieur Boutziouvis, avez-vous quelque chose à dire au sujet du potentiel des entreprises canadiennes?

M. Boutziouvis : Il faut savoir que plus de 50 p. 100 de la population a moins de 25 ans. Par conséquent, si l'on veut investir en Inde sur le long terme — et je crois que les entreprises canadiennes que cela intéresse ont une perspective à moyen et long terme —, il faut se dire que, pendant encore un avenir prévisible, il y aura une main-d'œuvre en abondance et aussi que c'est un marché où la classe moyenne, de plus en plus nombreuse, pourra profiter de la transition du pays vers une économie du savoir, notamment dans les technologies de l'information et des communications, les produits pharmaceutiques et bien d'autres domaines.

Ce qu'il faudrait faire à notre avis, d'autant plus que le gouvernement minoritaire Singh a été reporté au pouvoir avec un plus grand nombre de voix, c'est déployer rapidement des initiatives dans le domaine de l'éducation et de la formation afin de miser sur ce qu'on considère déjà comme une main-d'œuvre excellente, surtout dans le secteur des TI.

Le sénateur Andreychuk : Je vous remercie de votre déclaration liminaire, où vous dites que la volonté politique est absolument indispensable à une plus grande coopération avec l'Inde. C'est vrai dans tous les domaines, mais surtout en Inde, à cause de la complexité de ce pays.

En Inde, certains entrepreneurs disent que, par rapport aux États-Unis, le Canada n'est pas assez important pour qu'on puisse prendre le temps de négocier tous les éléments d'un accord de libre-échange. Vous êtes-vous assuré qu'il y a bien une volonté politique du côté indien? Sont-ils suffisamment conscients des avantages qu'ils pourraient en tirer?

M. Stewart-Patterson : Lorsque nous avons entrepris ce projet, nous avons pensé qu'il fallait commencer par mettre en contact les milieux d'affaires de nos deux pays pour qu'ils puissent discuter entre eux des possibilités et des avantages d'un tel projet. Ce sont les rapports que nous avons soumis à nos gouvernements respectifs qui ont suscité leur intérêt. D'après ce que nous ont dit nos homologues du secteur privé, le gouvernement indien est très intéressé par ce projet.

Bien sûr, quand vous comparez le Canada aux États-Unis, notre pays est plus petit. Les avantages que nous avons à offrir ne sont pas du même ordre de grandeur. Par contre, nous avons constaté dans nos discussions avec l'Inde, tout comme avec l'Union européenne, que le gouvernement indien et le milieu des affaires de ce pays voient des avantages à travailler étroitement avec le Canada dans un avenir proche, car cela pourrait les aider dans des discussions subséquentes avec les États-Unis.

Nous avons la possibilité d'agir rapidement et de conclure un accord sur un certain nombre de fronts. Si nous y parvenons, ils pourront peut-être s'en servir comme modèle dans leurs négociations avec d'autres partenaires, les États-Unis ou d'autres pays.

Notre organisation a toujours été un ardent défenseur des négociations multilatérales, mais il est vrai qu'à l'OMC, ce type de discussions s'est heurté à de sérieux obstacles ces dernières années. Un grand nombre de pays, y compris le Canada et l'Inde, cherchent aujourd'hui à conclure des accords bilatéraux parce que c'est plus rapide, et aussi dans l'espoir que les ententes conclues au niveau bilatéral pourront être reconduites dans des mécanismes régionaux, voire multilatéraux ou mondiaux.

Le sénateur Andreychuk : Il faut ajouter à cela les complexités de notre système fédéral-provincial. L'Inde, bien sûr, comprend de nombreux États qui ont leur rôle à jouer. J'aimerais cependant savoir si la complexité de notre système est un avantage pour nous ou bien si cela ne fait que rendre les négociations plus difficiles?

M. Boutziouvis : Plusieurs porte-parole des provinces ont participé aux initiatives fédérales sur la relation Canada-Inde.

Le premier ministre Charest, en l'occurrence, a contribué très efficacement aux efforts du secteur privé du Canada pour promouvoir la relation Canada-Inde. Il a participé à la deuxième Table ronde des chefs d'entreprise, qui s'est tenue à Montréal en juin 2007, et il a établi une excellente relation avec l'ancien ministre indien du Commerce et de l'Industrie, Kamal Nath.

Le premier ministre Dalton McGuinty a effectué deux missions en Inde, et le premier ministre Campbell y est allé lui aussi. De façon générale, donc, nous ne pensons pas qu'il y aura des problèmes au niveau des provinces. S'agissant de problèmes de compétences provinciales que les milieux d'affaires indiens auraient soulevés, je vous dirais que oui, il y en a eu, et que le rapport en fait état. Je suis toutefois convaincu que nous pourrons les surmonter car le Conseil de la fédération a, plus d'une fois, affirmé publiquement son soutien à la négociation de relations plus poussées avec l'Inde.

Nous pensons donc que les provinces appuieront le processus dans son ensemble.

Le sénateur Andreychuk : Peut-on en dire autant du côté indien?

M. Boutziouvis : La Confédération des industries indiennes n'a pas exprimé d'opposition ou de réserve à l'égard de la participation des provinces.

Tout dépend des zones de compétence et de responsabilité. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de réserves à ce sujet.

Le président : Messieurs, votre organisation est, que je sache, l'une des rares à reconnaître le rôle des diasporas dans notre pays pour ce qui est des investissements et des échanges commerciaux.

À votre avis, savons-nous tirer le meilleur parti des diasporas établies au Canada? Que pourrions-nous faire de plus?

M. Stewart-Patterson : Il est facile de dire qu'on peut toujours faire plus. En fait, notre réputation de pays d'accueil pour les immigrants du monde entier devient un avantage compétitif de plus en plus important dans une économie mondiale; ça l'est aussi pour notre propre économie, où les entreprises ayant des activités internationales peuvent recruter des équipes de gestion multiculturelles.

S'agissant de la capacité du Canada d'attirer des investissements du monde entier, je peux vous dire que la diversité de nos collectivités est un atout de plus en plus important dans la compétition pour les investissements.

Quant à savoir si nous tirons le meilleur parti possible des ressources que nous avons dans nos collectivités, la réponse est un non catégorique. Si l'on en juge par les statistiques sur le taux d'intégration des nouveaux immigrants dans notre système économique, il est clair qu'ils ne progressent pas aussi rapidement qu'il le faudrait.

Il y a toutes sortes de raisons à cela. Nous en avons parlé tout à l'heure à propos de la reconnaissance des qualifications professionnelles, mais il y en a beaucoup d'autres, comme vous le savez. Plusieurs niveaux de gouvernement essaient de régler ces problèmes, mais nous avons encore beaucoup à faire avant de pouvoir affirmer que nous tirons le meilleur parti possible des ressources que nous avons dans nos collectivités.

M. Boutziouvis : Le rapport a été rédigé de façon à sensibiliser d'abord les dirigeants, et M. Stewart-Patterson a fait son témoignage dans ce sens, car c'est l'un des principaux domaines dans lesquels le gouvernement fédéral peut avoir un impact. C'est de cette façon que nous réussirons à exploiter le potentiel incroyable de la diaspora, qui est un avantage concurrentiel pour le Canada.

Il faut sensibiliser les gens au Canada. Il faut que la volonté vienne d'en-haut, et que nos premiers ministres se rencontrent. Le premier ministre Singh a reçu une invitation à se rendre au Canada dès que possible. Il est bon de savoir qu'il a été reporté au pouvoir pour plusieurs années, avec un mandat plus fort. Nous espérons qu'il répondra bientôt à cette invitation.

Le sénateur Dawson : Le CCCE a déjà comparu devant notre comité. Vous soulignez l'importance de la volonté politique. En fait, ce sont les trois P : volonté politique, volonté du privé et volonté des provinces, qu'il s'agisse de M. Charest, de M. McGuinty, ou de la délégation des Maritimes qui s'est rendue en Inde pour dire que notre porte d'entrée de l'Atlantique est préférable à notre porte d'entrée du Pacifique... Pensez-vous que la combinaison de ces trois P nous aidera à négocier des mécanismes sur les règles d'origine et sur le règlement des différends? Pensez-vous qu'il y ait suffisamment de volonté collective pour que nous puissions tous nous asseoir à la même table?

Certains règlements de différends et certaines règles d'origine sont appliqués au niveau provincial; le gouvernement fédéral a beau être omniprésent, il ne peut pas le faire tout seul, il a besoin de la collaboration des provinces. Il a aussi besoin de la collaboration des grandes entreprises qui représentent le volet privé que nous essayons de développer en Inde.

Je sais que vous êtes toujours très optimistes, mais pensez-vous que nous ayons vraiment des chances de négocier avec l'Inde des mécanismes sur les règles d'origine et le règlement des différends? Vous avez admis qu'en ce qui concerne les échanges mondiaux et multilatéraux, nos résultats ne sont pas très bons, car nous avons eu des problèmes avec bon nombre d'États. Pourquoi alors cet optimisme vis-à-vis de l'Inde?

M. Stewart-Patterson : Quel que soit le degré de difficulté du dossier, il est toujours plus facile de négocier avec une partie plutôt qu'avec une centaine. C'est la raison pour laquelle bon nombre de pays, et pas seulement le Canada, optent pour des négociations bilatérales.

Le sénateur Dawson : On peut difficilement parler de négociations bilatérales quand il faut tenir compte des intérêts des provinces, du secteur privé et du gouvernement fédéral.

M. Stewart-Patterson : Certes, mais justement, au fur et à mesure que nous nous écartons du modèle traditionnel d'accord de libre-échange, comme celui que nous avons signé avec les États-Unis dans les années 1980, pour englober des questions beaucoup plus variées, nous nous rendons bien compte, au Canada, que les provinces doivent participer aux discussions.

C'est exactement ce qui s'est produit pour nos discussions avec l'Union européenne, celle-ci ayant établi comme condition préalable, entre autres, que les provinces y participent et soient en mesure de prendre des engagements. L'une des choses qui les intéressent le plus est l'ouverture des marchés publics aux entreprises étrangères, et elles veulent s'assurer que cela s'appliquera à tous les ordres de gouvernement.

Lorsque des questions comme les marchés publics provinciaux et municipaux sont exclues d'un accord, vous vous retrouvez dans une situation semblable à celle que nous connaissons avec les États-Unis. Le fait que la question ait été exclue de l'accord pose maintenant un problème que nous devons régler séparément.

Lorsque les discussions portent sur une vaste gamme de dossiers, vous pouvez, au nom de votre pays, déterminer quels compromis vous êtes prêts à faire. Par contre, si vous essayez de négocier un seul dossier séparément, vous êtes tentés de dire : « ça penche trop d'un côté, nous ne pouvons pas nous entendre ». Quand on négocie un accord plus vaste, on peut dire : « si vous faites une concession ici, nous en ferons une là ».

Le sénateur Dawson : Vous pensez donc que, dans le cas de l'Inde, les trois P sont assez solides, car enfin, il faut reconnaître que nous avons passé beaucoup de temps à négocier certains accords mais que cela n'a mené à rien. Si les circonstances sont favorables, vous pensez donc que ce sera plus facile cette fois?

M. Stewart-Patterson : Personne ne peut savoir à l'avance si les négociations vont aboutir. Chaque partie défend ses propres intérêts et essaie de voir quels compromis elle est prête à faire. Il est important que nos gouvernements fédéral et provinciaux et notre secteur privé reconnaissent tous le potentiel de ces négociations. Il faut qu'ils s'entendent sur les dossiers à négocier et sur la nécessité d'y consacrer le temps qu'il faut pour parvenir à un accord.

En soi, c'est déjà le signe que les trois P sont d'accord. Il nous reste maintenant à préparer nos positions respectives et à déterminer le genre d'accord que nous voulons négocier.

Le sénateur Wallin : Je vais rester sur le même sujet. Vous nous avez donné une liste très optimiste de tous les dossiers que vous voulez aborder, notamment la science, l'énergie et l'environnement, et, comme le sénateur Dawson et d'autres, je suis curieuse de savoir pourquoi vous êtes aussi optimiste étant donné le peu de résultats que nous avons obtenus avec les Américains.

Est-ce la nouvelle attitude protectionniste des Américains et leur repli sur eux-mêmes qui nous donnent une chance de réussir? Ou êtes-vous plus optimistes parce que, de façon générale, nous avons tiré des leçons de nos erreurs et que nous savons mieux négocier qu'avant?

M. Stewart-Patterson : Je ne sais pas.

Le sénateur Wallin : C'est une question à choix multiple.

M. Stewart-Patterson : Vous avez parlé de la montée du protectionnisme, non seulement aux États-Unis, mais ailleurs dans le monde. Je pense que cela explique notre empressement à vouloir explorer d'autres mécanismes pour renverser la tendance.

Les observateurs avertis savent que le protectionnisme est contre-productif, et pourtant, il est incroyablement difficile de lutter contre les arguments politiques qui servent de munitions aux mesures protectionnistes. En Inde, le gouvernement vient d'être réélu avec un mandat plus fort, et il est plus tourné vers l'extérieur. De notre côté, nous avons des difficultés dans nos relations avec notre principal partenaire commercial plus au sud. C'est donc le moment, pour l'Inde et le Canada, de se demander s'ils devraient négocier un accord qui, non seulement servirait l'intérêt des deux pays mais pourrait éventuellement servir de modèle ailleurs.

Le sénateur Wallin : Peut-on vraiment dire que le moment soit venu et que, vu la nouvelle politique « Acheter américain », c'est maintenant ou jamais?

M. Stewart-Patterson : Ce n'est pas tout à fait ça, je voulais plutôt dire qu'il y a un sentiment d'urgence. Étant donné tout ce qui se passe sur la scène internationale, avec la crise financière et la montée du protectionnisme, il y a des occasions à saisir, et il ne faut pas perdre de temps.

M. Boutziouvis : Le rapport qui sous-tend notre témoignage d'aujourd'hui est sorti début septembre 2008, quelques jours avant la grave crise financière que nous connaissons aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, les milieux d'affaires des deux pays étaient d'accord pour progresser au maximum sur un certain nombre de dossiers. Il est vrai que, étant donné le problème que nous avons depuis peu avec les États-Unis au sujet des marchés publics et de leur politique « Acheter américain », tout semble indiquer que nous allons devoir réduire un peu nos objectifs car l'Inde doit d'abord signer l'accord de l'OMC sur les marchés publics. Donc, préparons-nous, augmentons la transparence et négocions une entente avec le gouvernement indien, après quoi, nous verrons bien.

Nous avons déjà un accord avec ce pays dans le domaine de la science et de la technologie, donc voyons si nous pouvons négocier autre chose. Dans le cas des investissements, par exemple, notre projet d'accord sur la promotion et la protection des investissements était finalisé et prêt à être signé, mais les industriels indiens et canadiens nous ont fait savoir qu'il fallait promouvoir l'investissement encore davantage et prévoir une coopération nucléaire civile. Les secteurs privé et public indiens nous ont demandé d'investir dans des infrastructures parce que nous avons l'expertise.

Le rapport reflète donc les efforts conjoints des milieux des affaires des deux pays, et c'est pour cela que nous disons que le moment est venu d'agir.

Le sénateur Wallin : Vous en avez parlé tout à l'heure, et le ministre Day avait lancé un message clair en invitant des représentants du secteur privé à se joindre à sa délégation. Toute la question de l'énergie nucléaire est une priorité importante. Toutefois, la Banque mondiale affirme qu'il n'est pas facile de faire des affaires en Inde, et elle le classe au 122e rang, même après le Nigéria. Il y a eu des actes de terrorisme à Mumbai, et il y a encore beaucoup de fraude et de corruption, entre autres. Il me semble qu'à une époque où les investisseurs sont déjà quelque peu réticents, cela devrait suffire à les dissuader encore davantage. Pensez-vous vraiment que nos investisseurs aient envie d'aller y faire des affaires?

M. Stewart-Patterson : Il y a beaucoup de choses qui inquiètent les gens en ce moment. Lorsqu'une crise frappe en même temps l'ensemble de la planète, on se rend compte que tous les pays sont interdépendants et qu'aucun n'est complètement à l'abri.

Comme d'autres, l'Inde comporte des risques, mais elle présente aussi des avantages évidents. Avant de prendre une décision, une entreprise examine la situation et tient compte des avantages et des risques. L'Inde a beaucoup d'atouts, notamment la qualité de sa main-d'œuvre et le respect de l'État de droit. Ces atouts en font un partenaire intéressant pour le Canada, et nous devrions essayer de renforcer notre relation.

Bien sûr il faut être réaliste et savoir jusqu'où et à quel rythme on peut aller. Mais il faut reconnaître aussi que, à bien des égards, nous avons déjà une base solide à partir de laquelle nous pouvons développer cette relation.

M. Boutziouvis : Pour ce qui est du secteur dont vous parlez, l'occasion se présente et il faut la saisir le plus vite possible. Les Américains et le gouvernement indien ont négocié une entente bilatérale. Dès qu'elle a été signée, le Canada l'a endossée et a entamé un dialogue. Tout semble indiquer que nous sommes près de conclure une entente, et nous devrions le faire le plus rapidement possible. Certaines entreprises, comme SNC Lavalin Group Inc., ont des synergies avec le secteur indien de l'industrie nucléaire, qui en est à la phase embryonnaire mais qui pourrait représenter un investissement de plus de 100 milliards de dollars au cours des 10 à 20 prochaines années. Il ne faut donc pas laisser passer cette occasion. En fait, nous devons signer cette entente avant de négocier un accord de partenariat économique.

M. Stewart-Patterson : C'est un exemple qui vous montre que tout se tient. D'un côté, nous avons une occasion qui se présente dans un domaine où le Canada a démontré son expertise et ses capacités. D'un autre côté, c'est aussi un dossier que notre pays veut placer dans le contexte du changement climatique. Étant donné qu'elle ne produit aucun gaz à effet de serre, l'énergie nucléaire est une option qui permet à des pays à croissance rapide comme l'Inde d'augmenter leur niveau de vie sans aggraver la pollution.

Il y a donc une convergence d'intérêts dans certains de ces dossiers.

Le sénateur Wallin : Ce sont de belles réponses.

Le sénateur Stollery : À propos des bilatérales et des multilatérales, il est important de dire que, pour la plupart des négociateurs et des spécialistes des échanges commerciaux, les bilatérales ne servent pratiquement à rien. En effet, les négociateurs s'entendent sur toutes les questions qui ne sont pas problématiques, et pour les autres, notamment les problèmes agricoles et culturels, ils s'en remettent à un mécanisme de règlement des différends. Au Canada, nous en savons quelque chose, puisque le différend sur le bois d'œuvre nous a coûté jusqu'à présent environ 400 millions de dollars en frais juridiques.

Le sénateur Grafstein : Vous voulez dire 1,2 milliard de dollars.

Le sénateur Stollery : L'honorable Donald S. Macdonald faisait remarquer dans son rapport il y a 25 ans que c'était la culture et l'agriculture qui étaient les dossiers les plus difficiles à négocier. On a bien vu à Doha, qui portait surtout sur l'agriculture, combien les négociations étaient difficiles.

Pendant le week-end, j'ai entendu Jim O'Neil, économiste en chef de Goldman Sachs à Londres et auteur des rapports BRIC, prédire que, d'ici à 2050, l'Inde aura un PIB d'environ 35 billions de dollars, soit 5 billions de plus que l'Union européenne et seulement 5 billions de moins que les États-Unis.

Votre organisation a déjà comparu plusieurs fois devant notre comité. Lorsque nous disions qu'il fallait diversifier nos échanges commerciaux, votre organisation ne semblait pas très intéressée. Selon une autre prévision intéressante, la contribution des Chinois à la demande intérieure des pays, à la croissance mondiale et au PIB des pays sera supérieure à celles de l'Union européenne et des États-Unis confondues. Ces chiffres ont-ils fini par s'infiltrer dans votre organisation? Avez-vous changé d'avis et pensez-vous qu'il est temps que le Canada s'intéresse sérieusement à ces immenses marchés émergents?

M. Stewart-Patterson : Je dirai tout d'abord que nous avons consacré beaucoup de temps à la relation Canada-États-Unis, et pas seulement à cause de l'ampleur du marché que cela représente. Nos économies sont devenues de plus en plus intégrées, ce qui signifie que le partenariat Canada-États-Unis permet aux entreprises canadiennes de vendre leurs produits sur les marchés du monde entier. La chaîne d'approvisionnement transcende la frontière et s'étend à toute l'Amérique du Nord. Nous faisons partie des réseaux d'exportations nord-américains, et nous en recevons notre part, directement et indirectement.

Deuxièmement, j'aimerais parler de nos autres grands partenaires commerciaux. Nous avons consacré beaucoup de temps à essayer de négocier quelque chose au niveau multilatéral, car c'était la solution idéale, mais étant donné que cela ne mène à rien pour l'instant, nous devons saisir les autres occasions qui se présentent. Nous n'avons jamais douté qu'un marché comme la Chine ou l'Inde avait un potentiel considérable pour nous, mais nous partons de pas grand-chose.

Nous échangeons en un an avec l'Inde ce que nous échangeons en trois jours avec les États-Unis, et c'est une raison de plus pour essayer de développer cette part de marché. Mais il est évident que, même si nos échanges avec l'Inde augmentent rapidement, cela n'affectera nos échanges avec les États-Unis qu'à un rythme modéré.

Le sénateur Stollery : Nous avons des chiffres. Il semble évident que notre commerce avec les États-Unis a diminué. Je ne sais pas où il en est actuellement; il se chiffrait à 86, et c'est sans doute plus près de 70 maintenant, avec toutes les faillites et tous les problèmes de l'autre côté de la frontière. Il est donc évident, depuis un certain temps déjà, que notre commerce avec les États-Unis diminue à un rythme alarmant. Les producteurs agricoles ont comparu devant notre comité la semaine dernière et nous ont parlé des barrières non tarifaires que les Américains utilisaient contre eux. Ils sont donc impatients de trouver de nouveaux marchés ailleurs. Personne ne conteste le fait que le commerce entre le Canada et les États-Unis restera important.

Il me semble quand même que votre association a changé d'avis.

M. Boutziouvis : Le Conseil d'entreprises sur les questions d'intérêt national, qui était le prédécesseur du Conseil canadien des chefs d'entreprise, s'intéressait beaucoup au renforcement de nos relations avec l'Europe. Nous avons fait des pieds et des mains pendant les 15 dernières années pour convaincre nos homologues japonais de la nécessité de négocier un accord de partenariat économique renforcé. Après trois décennies de discussions exploratoires avec l'Inde, une convergence d'éléments survenus au cours des cinq ou six dernières années, notamment l'évolution de notre relation avec l'Inde dans le dossier dont nous avons parlé, a amené les secteurs privés de nos deux pays à faire toute une série de recommandations sur notre relation avec l'Inde.

Avec tout le respect que je vous dois, ce n'était donc pas un manque d'intérêt de notre part. Il y a eu une convergence extraordinaire d'événements à propos des dossiers de l'Europe et de l'Inde. Cela nous amène à 2008-2009. Nous allons peut-être être en mesure d'entreprendre des négociations pour un accord de partenariat économique renforcé avec l'Europe, et éventuellement avec l'Inde d'ici à la fin de l'année ou l'année prochaine.

Pour résumer, je dirais que notre partenaire commercial principal est les États-Unis, et que nous serons ravis de comparaître à nouveau devant notre comité pour discuter des relations commerciales canado-américaines, à propos desquelles nous préconisons, depuis les jours qui ont suivi la tragédie du 11 septembre, l'adoption d'un plan en cinq points. Nous serions ravis d'en discuter avec vous davantage, mais aujourd'hui, nous sommes ici pour parler de l'Inde.

Le président : Nous vous inviterons peut-être à revenir nous parler des États-Unis.

Le sénateur Segal : Certains industriels indiens — pas les fonctionnaires affables de l'ambassade ni les autres témoins qui comparaissent devant nous — nous disent en privé qu'ils ne prennent pas les Canadiens très au sérieux. Ils trouvent que nous sommes un peu en retard et pas très efficaces, et que nous sommes des beaux parleurs. Ils prétendent que, parmi vos 150 PDG, il y en a peu qui se disent prêts à faire sérieusement des affaires en Inde, et que de plus petits pays que nous font du meilleur travail.

Je n'ai rien à redire à vos recommandations. Mais j'ai l'impression que nous sommes en train de nous leurrer si le milieu des affaires lui-même n'a pas la volonté de convaincre ses actionnaires du bien-fondé de faire des investissements dans un pays où il faut du temps et de l'expérience. Qu'en pensez-vous?

M. Stewart-Patterson : Tout ce processus a été lancé par les milieux d'affaires du Canada et de l'Inde. Au départ, donc, c'était une initiative du secteur privé. Nous reconnaissons que le Canada doit déployer plus d'efforts.

Le sénateur Segal : Y a-t-il 10 p. 100 de vos membres qui seraient intéressés à investir en Inde? Combien y en a-t-il à peu près?

M. Stewart-Patterson : Combien ont participé à la première mission?

M. Boutziouvis : Dix-huit de nos membres ont participé à la première mission de mars 2007. Pour la deuxième table ronde à Montréal, il y en avait une vingtaine de chaque pays.

Vous avez tout à fait raison. Cela fait suite à la question de l'intervenant précédent. Il ne s'agit pas seulement de l'Inde par rapport aux États-Unis. Bon nombre de pays ont essayé de négocier avec l'Inde au cours des 10 dernières années, et il est vrai que nous nous y prenons un peu tard, et quand je dis nous, cela comprend le secteur privé, le secteur public et le secteur non gouvernemental. Il n'en reste pas moins qu'il faut avancer.

C'est la raison pour laquelle le rapport essaie de sensibiliser les décideurs à l'urgence de la situation. Il vise à convaincre le secteur privé canadien du potentiel qu'offre l'Inde.

Le président : Il y a six ou sept mois, j'ai rencontré la délégation à la conférence India Calling, qui comprenait deux ou trois ministres importants. J'ai pris la parole à cette conférence, qui montre bien que l'Inde et son milieu des affaires s'intéressent de plus en plus au Canada. En fait, près d'une trentaine d'industriels indiens étaient présents à cette conférence. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Boutziouvis : Comme c'est le cas dans beaucoup de pays, il faut que le secteur public et le secteur privé s'intéressent à un autre pays pour que les choses puissent se faire. Au Canada et en Inde, nous avons la chance d'avoir les deux.

Comme je le disais tout à l'heure, il y a eu une convergence fortuite d'éléments positifs. Pour ce qui est de la conférence India Calling, je crois que vous avez eu la visite du ministre indien de la Science, qui a été absolument extraordinaire. Le ministre Kamal Nath est un autre défenseur de ce dossier, et j'espère que le nouveau ministre du Commerce et de l'Industrie le sera aussi. Quant au premier ministre Singh, c'est certainement un autre promoteur de nos relations, et nous espérons qu'il viendra voir son enfant qui est scolarisé ici au Canada.

C'est la même chose sur le front canadien. Nous avons notre organisation et la Chambre de commerce du Canada qui œuvrent pour le développement de nos relations avec l'Inde. Nous avons le ministre Stockwell Day qui défend le dossier, ainsi que Lawrence Cannon. Nous avons donc tous les appuis nécessaires au niveau supérieur, et c'est bien.

Le président : J'aimerais inviter le sénateur Segal au gala annuel de la Chambre de commerce indo-canadienne, samedi soir à Toronto. Je compte y assister, et j'en parlerai avec certains de mes collègues.

Le sénateur Grafstein : J'aimerais vous féliciter; mieux vaut tard que jamais. Nous attendons la chose depuis un certain temps, et je tiens à féliciter votre organisation d'en assumer le leadership. Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est le secteur privé qui doit jouer le rôle de chef de file.

Historiquement, lorsque deux pays qui n'ont pas de liens commerciaux veulent établir des relations commerciales, ils doivent créer des institutions. En avez-vous créé, à part ces tables rondes de PDG?

M. Stewart-Patterson : Nous revenons à la question du leadership politique.

Le sénateur Grafstein : Je ne parle pas de leadership politique mais de leadership du secteur privé. Je sais ce qu'est le leadership politique, mais ce qui m'intéresse pour l'instant, c'est le leadership du secteur privé.

M. Stewart-Patterson : Nous avons commencé par la Table ronde de chefs d'entreprise Inde-Canada, et nous proposons de poursuivre ce processus. Mais il ne faut pas se limiter à des rencontres bilatérales entre représentants des deux secteurs privés, il faut aussi que les ministres du Commerce y participent, ce qui a été le cas jusqu'à présent, et il faut aussi avoir l'appui et l'attention des premiers ministres.

Voilà pour les consultations. Ensuite, au fur et à mesure que vous construisez votre relation commerciale et d'autres relations, le nombre de visites et d'échanges se multiplie.

Le sénateur Grafstein : Soyons précis. Il y a tout un réseau d'institutions au Canada. Vous avez parlé de la Chambre de commerce du Canada. Nous avons reçu le président du milieu des affaires indo-chinois. La communauté indo-chinoise est présente dans tout le Canada. Ces gens-là sont de plus en plus nombreux et prospèrent très rapidement. Avez-vous établi un réseau qui permettrait de jumeler ces organisations avec leurs homologues en Inde? Cela ne concerne pas seulement les grands PDG. La plupart des affaires, en Chine, ne se transigent pas avec des grands PDG mais plutôt avec des petites et moyennes entreprises.

Avez-vous préparé une stratégie qui permettra de jumeler ces organisations, afin de recueillir l'appui non seulement des responsables politiques mais aussi des entreprises qui seront les principales concernées par ces échanges commerciaux?

M. Boutziouvis : Pour la préparation de nos réunions et de la mission, nous avons envoyé des invitations à la Chambre de commerce du Canada, à l'Association des manufacturiers et exportateurs du Canada et au Conseil de commerce Canada-Inde. Normalement, nous n'invitons pas le Conseil de commerce Canada-Inde à participer à des missions, mais justement, comme vous le faisiez remarquer, nous l'avons fait pour jeter des ponts. Nous avons pensé qu'il était important d'inviter le président de cette organisation à représenter le milieu des affaires canadien et indien au sein d'une mission bilatérale.

Le sénateur Grafstein : De quelle organisation parlez-vous?

M. Boutziouvis : Du Conseil de commerce Canada-Inde.

Au sujet des associations d'industriels dont vous parliez, je disais tout à l'heure que la diaspora est solide et dynamique. Comme elle est aussi dispersée, il serait sans doute souhaitable de la consolider un peu. Vous avez tout à fait raison. Il faudrait réunir tous ces groupes. Ils organisent des missions en Inde. Nos premiers ministres ont aussi leurs propres missions. Nos premiers ministres pourraient peut-être s'entendre pour y aller tous ensemble? Il y a beaucoup de choses que nous pourrions faire pour accroître notre visibilité non seulement au Canada mais aussi en Inde.

Le président : Je vous remercie. Pour terminer, j'aimerais vous poser deux questions au nom de certains de mes collègues. Premièrement, estimez-vous que nous avons suffisamment de ressources au Canada et en Inde pour justifier une augmentation des investissements et des échanges? Deuxièmement, estimez-vous qu'Exportation et développement Canada, EDC, contribue positivement à la relation entre les deux pays?

M. Boutziouvis : Il est indéniable, sénateur, qu'Exportation et développement Canada fait un travail extraordinaire sur ce front-là. Il convient aussi de saluer la compétence de cette société d'État qui a su prévoir l'importance du marché indien pour le secteur privé canadien.

De plus, le président d'EDC, M. Siegel, a participé à notre mission et à nos tables rondes de chefs d'entreprise. Pour ce qui est des ressources, il n'y en a jamais assez, sénateur, quand on parle d'échanges commerciaux. Je m'occupe principalement du dossier international et je peux vous dire qu'il n'y a jamais assez de ressources, qu'il en faut davantage.

Le ministre Day et son ministère ont déployé beaucoup d'efforts pour promouvoir la relation entre nos deux pays. Ils y ont ouvert des bureaux tout récemment. Nous imprimons peu à peu notre marque. Peut-on faire plus? Certainement. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a besoin de plus de ressources.

Le président : Messieurs, nous avons beaucoup apprécié votre témoignage de ce soir, et nous vous en remercions. Vos réponses claires et franches vont nous être très précieuses pendant nos délibérations. Nous espérons que nous aurons l'occasion de vous faire revenir devant notre comité. C'est toujours avec beaucoup de plaisir que nous vous écoutons. Merci encore.

Nous allons maintenant siéger à huis clos pour examiner le rapport d'EDC. Auparavant, le sénateur Segal aimerait vous faire part d'un conflit potentiel.

Le sénateur Segal : Merci, monsieur le président.

Pour l'instant, j'aimerais simplement déclarer que je risque d'avoir un petit conflit d'intérêts. Je n'ai absolument aucun lien de parenté avec ce Siegel qui travaille à EDC, et je n'en ai pas non plus avec les Segal qui se trouvaient aujourd'hui dans la galerie du public et qui venaient de la Warden School of Finance. Je tiens à ce que cela soit parfaitement clair. Ils étaient à la Warden School of Finance, mais ils n'ont pas eu d'assez bonnes notes pour pouvoir aller à Queen's. Je pense que cela est clairement consigné au compte rendu.

Je tiens également à faire consigner au compte rendu que je vais m'absenter pour le restant de la réunion afin d'éviter tout risque de conflit d'intérêts, potentiel ou apparent, en ce qui concerne EDC.

Le président : Honorables sénateurs, j'aimerais consigner officiellement au compte rendu que le sénateur Segal a fait une déclaration d'intérêts personnels en ce qui concerne Exportation et développement Canada. Conformément au règlement 32.1, la déclaration sera consignée dans le procès-verbal de notre comité.

Nous allons maintenant siéger à huis clos pendant deux minutes.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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