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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 8 juin 2009

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 18 h 32, pour examiner les questions de discrimination dans les pratiques d'embauche et de promotion de la fonction publique fédérale, la mesure dans laquelle les objectifs pour atteindre l'équité en matière d'emploi sont réalisés et l'évolution du marché du travail pour les groupes de minorités visibles dans le secteur privé, ainsi que pour surveiller l'évolution des questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, notamment, les mécanismes du gouvernement relatifs aux obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne (Sujet : l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies).

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit ce soir pour poursuivre son étude des questions de discrimination dans les pratiques d'embauche et de promotion de la fonction publique fédérale, pour examiner la mesure dans laquelle les objectifs pour atteindre l'équité en matière d'emploi sont réalisés, et pour examiner l'évolution du marché du travail pour les groupes de minorités visibles dans le secteur privé.

Des représentants du ministère de la Justice ont comparu il y a quelques mois. Depuis ce temps, des changements se sont produits au sein du ministère et ailleurs. Une lettre a été envoyée à mon bureau et au bureau du greffier, mais elle ne s'est pas retrouvée entre les bonnes mains à cause d'un problème lié au service postal. Je crois que vous avez tous reçu la copie d'une lettre aujourd'hui. Si vous avez des questions à ce sujet, nous devrons peut-être rappeler le ministère ou transmettre nos questions par écrit.

Toutefois, nous verrons comment se dérouleront les témoignages ce soir. M. Sims est au courant du problème et se penche sur la question. Je suis certaine qu'il va s'en occuper.

Nous accueillons aujourd'hui trois représentants du ministère de la Justice du Canada : M. John Sims, sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada; Mme Donna Miller, sous-ministre déléguée; et Mme Joan Pratt, directrice générale intérimaire, Direction générale des ressources humaines et du développement professionnel.

M. Sims va faire une déclaration préliminaire avant de répondre aux questions. Vous pouvez vous reporter à votre lettre et à la pièce jointe, qui est importante, selon moi. Monsieur Sims, la parole est à vous.

John Sims, sous-ministre et sous-procureur général du Canada, ministère de la Justice Canada : Vous vous souvenez peut-être qu'à ma dernière comparution, le 31 mars 2009, nous avions discuté de l'examen périodique universel. Je suis heureux d'être de nouveau devant vous pour aborder un important sujet, qui a retenu l'attention de la haute direction du ministère de la Justice du Canada, soit la nécessité d'appuyer les milieux de travail diversifiés et inclusifs.

Je félicite le comité pour les efforts qu'il déploie à poursuivre son étude des questions de discrimination dans les pratiques d'embauche et de promotion de la fonction publique fédérale. Je suis fier d'annoncer que depuis la dernière comparution du ministère devant le comité à ce sujet, en décembre 2007, d'énormes progrès ont été réalisés dans ce dossier.

Comme la présidente l'a indiqué, j'ai rédigé une lettre qui expose une partie des points dont j'aimerais vous parler ce soir. Je vais vous décrire ce qu'il y a dans la lettre et j'attire votre attention sur deux pages en particulier. Nous ne pourrons pas passer en revue la lettre en entier. Au bas de la page 2 et à la page 3, nous voyons les taux de représentation globale du ministère en ce qui concerne les membres des groupes désignés. À la page 3, nous présentons les statistiques d'avancement de l'année dernière pour les groupes désignés. Il y est question d'un point auquel je vais revenir, à savoir que nous avons le taux d'avancement annuel le plus élevé jamais atteint pour les minorités visibles au niveau LA-2B, le premier niveau de gestion dans le groupe Droit.

Vous trouverez également dans cette page des données sur la représentation globale aux postes supérieurs au sein du ministère. C'est la série de chiffres qui se trouve au milieu de la page, au paragraphe qui commence par : « Au 31 mars 2009, 763 avocats... ». Vous trouverez ensuite les données qui portent sur la direction du ministère dans les groupes Droit (LA) et Direction (EX), ainsi que les chiffres sur le recrutement, dont je vais parler brièvement dans ma déclaration préliminaire. Le reste de la lettre porte sur les initiatives que nous avons prises, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, pour démontrer notre engagement à ce que le ministère de la Justice Canada favorise un milieu de travail diversifié et inclusif.

J'ai également remis au comité mes notes d'allocution, rédigées dans les deux langues officielles. Je ne vais pas les lire au complet; je vais plutôt souligner quelques points saillants afin de laisser aux membres du comité plus de temps pour me poser leurs questions.

La présidente a présenté mes deux collègues, Donna Miller et Joan Pratt. Elles jouent toutes les deux un rôle crucial dans la structure de gouvernance du ministère en équité en matière d'emploi. La structure de gouvernance n'est pas une entité bureaucratique. Elle est essentielle à notre gestion de l'équité en matière d'emploi avec nos collègues du ministère. Cette structure comprend des champions spécialisés, choisis parmi les cadres supérieurs, pour chaque groupe désigné, des comités consultatifs très actifs, un comité directeur de l'équité en matière d'emploi présidé par Mme Miller, ainsi qu'une unité spécialisée de l'équité en matière d'emploi. Il y a des coordonnateurs de l'équité en matière d'emploi dans chacun de nos bureaux régionaux qui relèvent de la Direction générale des ressources humaines et du développement professionnel.

[Français]

Le dossier du ministère en ce qui a trait à l'équité en matière d'emploi et à la diversité à attirer l'attention du comité à plusieurs reprises, d'abord lors de notre comparution en décembre 2007, puis plus récemment, quand Mme d'Auray, dirigeante principale des ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor quand elle a soulevé la question. Malgré les critiques formulées à l'endroit du ministère et le fait que certaines observations qui ont été faites reposent sur une incompréhension de la structure organisationnelle de celle-ci, je suis parfaitement d'accord avec le principe qui se retrouve à leur origine, c'est-à-dire le fait qu'en tant que ministère et services publics, nous nous devons de favoriser sans réserve un milieu de travail inclusif et diversifié.

Après la comparution de représentants du ministère devant le comité en décembre 2007, et celle d'un ancien avocat du ministère, Mark Persaud, le 4 février 2008, le ministère de la Justice du Canada a entrepris des discussions franches sur la situation de la diversité et de l'équité dans son milieu de travail. Ces examens et le dialogue constant que nous entretenons avec les comités consultatifs de l'équité en matière d'emploi du ministère m'ont permis de dégager bon nombre d'enseignements.

[Traduction]

Premièrement, tout changement culturel passe par un leadership solide — le sénateur Oliver l'a souligné quand il est venu nous parler, récemment, au ministère. Deuxièmement, seul un dialogue ouvert et constructif peut mener à la création d'un milieu de travail véritablement inclusif. Troisièmement, les membres des groupes de l'équité en matière d'emploi sont une ressource précieuse offrant une variété de points de vue et d'expériences. Quatrièmement, il est essentiel d'avoir des plans et des rapports réfléchis sur l'équité en matière d'emploi, mais ce qui compte, ce sont les mesures prises pour les concrétiser. Cinquièmement, tous les employés du ministère, les cadres supérieurs en tête, doivent continuer à s'attaquer au racisme avec vigueur et à favoriser l'inclusion. Sixièmement, une haute direction plus diversifiée guiderait mieux le travail du ministère; c'est pourquoi il importe, de façon prioritaire, de prendre des mesures pour corriger la sous-représentation des groupes désignés parmi les cadres supérieurs.

Le ministère a tiré parti de ces enseignements, et je suis heureux de venir vous faire part aujourd'hui des progrès réalisés depuis notre dernière comparution. Sachez d'abord que le ministère se distingue des autres ministères parce que sa haute direction est principalement constituée d'avocats du groupe Droit, ou groupe LA. Il y en a environ 763. Nous comptons un assez petit nombre de membres du groupe Direction, ou groupe EX, soit environ 35, qui sont surtout responsables de la gestion des fonctions ministérielles et de certains programmes. C'est pourquoi bien des efforts déployés au cours de la dernière année visaient à corriger la sous-représentation des membres des groupes de l'équité en matière d'emploi au sein du groupe Droit.

Vous constaterez, à la lecture de la copie du rapport d'étape sur l'équité en matière d'emploi, que les résultats quantitatifs du ministère pour l'an passé sont extrêmement encourageants. Ces résultats sont en partie attribuables aux actions ciblées que j'ai demandé aux gestionnaires relevant directement de moi d'entreprendre cette année dans le cadre du processus de gestion du rendement. Pendant cette période, nos taux de recrutement ont considérablement dépassé la disponibilité des minorités visibles et des Autochtones au sein de la population active et ils ont dépassé aussi celle des personnes handicapées. En fait, notre taux de recrutement des membres des minorités visibles et des Autochtones au sein du groupe Droit a été deux fois plus élevé que la disponibilité de ces groupes.

Nous avons accompli des progrès encourageants au chapitre de l'avancement et des possibilités d'affectations intérimaires offerts aux membres des groupes désignés pour des postes supérieurs au sein du groupe Droit. Plus particulièrement, nous avons le taux d'avancement annuel le plus élevé pour les minorités visibles au niveau LA-2B, soit le premier niveau de gestion dans le groupe Droit.

En ce qui concerne les progrès réalisés sur le plan qualitatif, mentionnons que l'an passé, nous avons . . .

[Français]

Étant donné que nous avons décrit ces activités en détail dans notre rapport, je vais juste vous rappeler les grands thèmes. Premièrement, nous avons lancé un programme de mentorat à l'échelle du ministère. Nous avons offert aux gestionnaires une formation obligatoire sur la diversité. Nous avons élargi la portée du processus de gestion des talents et nous avons approuvé la participation dans la deuxième cohorte de participants au Programme pour les leaders de demain du ministère de la Justice Canada et nous avons lancé un certain nombre de nouveaux outils.

[Traduction]

Parallèlement, nous nous sommes efforcés d'acquérir une meilleure connaissance de la représentation de notre effectif actuel en procédant à des sondages sur la composition de l'effectif et en lançant des campagnes d'auto- identification dans tout le ministère. La dernière année a donné à la direction du ministère une excellente occasion de communiquer sa détermination face à la nécessité d'offrir un milieu de travail diversifié et inclusif et sa reconnaissance d'une telle nécessité. Chaque fois qu'ils en ont eu l'occasion, les membres de la haute direction ont discuté de ce que nous tentions de réaliser au chapitre de la diversification de l'effectif. Au début de toute nouvelle initiative ou nouveau projet, nous demandons si celle-ci ou celui-ci s'intègre dans nos objectifs d'équité en matière d'emploi, s'il aura des répercussions sur ces objectifs et nous consultons nos comités consultatifs sur l'équité en matière d'emploi, qui sont fort actifs et engagés. De telles discussions sont essentielles pour réaliser un véritable changement culturel.

À titre d'exemple concret de notre détermination constante à accroître la sensibilisation au sein du ministère, vous serez sans doute intéressés d'apprendre que nous étions très heureux que le sénateur Donald Oliver ait accepté de prendre la parole lors de la réunion sur la gestion du ministère, en avril dernier, sur le sujet de la diversité. Son message, qui insistait sur la nécessité d'un leadership fort pour créer un milieu de travail diversifié et inclusif, a attiré l'attention de la haute direction du ministère.

Les mesures que nous avons prises ont permis d'accroître la sensibilisation aux objectifs d'équité en matière d'emploi à tous les niveaux du ministère, de renforcer notre détermination à augmenter la représentation aux échelons supérieurs, de susciter un intérêt commun dans la collaboration en vue de la création et du maintien d'une culture ministérielle qui valorise la diversité, ainsi que d'encourager les progrès quantitatifs. Nous reconnaissons qu'un véritable changement de culture passe par un apprentissage continu, des efforts incessants et un solide leadership aux plus hauts échelons. Nous pouvons vous assurer que nous restons fermement déterminés à maintenir la cadence pour atteindre le but ultime d'un milieu de travail véritablement inclusif et diversifié.

Je vous remercie, mesdames et messieurs, de nous avoir invités à comparaître devant votre comité. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Sims. Quand M. Persaud est venu témoigner au comité, il était entendu qu'il parlerait de la question générale des quatre groupes cibles que nous visons. En fait, il a parlé d'une personne, pas nécessairement lui-même, qui avait été victime de discrimination au sein du ministère. Je crois que cela a mené à ce dont vous parliez. Avez-vous changé de cap après la réunion du comité, qui a entraîné cette publicité, ou avez-vous intensifié les efforts que vous faisiez déjà en ce qui concerne la haute direction?

M. Sims : Madame la présidente, je dirais que nous avons amélioré la direction, mais que c'était un énorme changement. J'ai moi-même participé à de nombreuses discussions avec des personnes des groupes désignés au sein du ministère, comme l'ont fait Mme Miller et Mme Pratt.

Comme je vous l'ai dit dans ma déclaration, nous avons eu des discussions franches avec les groupes consultatifs. Nous avons poursuivi ce que nous avions déjà amorcé. Si nous n'avions pas eu de bonnes relations avec ces groupes consultatifs et nos collègues avisés du ministère, qui étaient prêts à discuter avec nous et à nous donner des conseils, nous aurions trouvé ces quelques mois très difficiles. Nous avons établi un dialogue constructif et en avons tiré parti en prenant les initiatives dont j'ai parlé dans notre rapport, dans ma lettre et dans ma déclaration d'ouverture. Il s'agissait d'une continuation et d'une intensification, mais le niveau d'engagement de la haute direction a changé radicalement. C'est en grande partie le changement dont nous avons été témoins au cours de la dernière année.

La présidente : Il serait juste de dire que nous avons attiré votre attention.

M. Sims : En effet, madame la présidente.

La présidente : Votre groupe EX compte 35 membres. Ils peuvent arriver de n'importe où dans le système. Par exemple, le directeur des ressources humaines pourrait venir d'un autre ministère, n'est-ce pas?

M. Sims : Oui.

La présidente : Les 700 avocats et plus à votre service sont-ils pour la plupart des personnes qui ont fait carrière au ministère? Habituellement, les engagez-vous au niveau d'entrée et grimpent-ils les échelons au sein du ministère ou bien cherchez-vous à recruter à l'extérieur des personnes ayant des compétences particulières à offrir au ministère de la Justice?

Notre façon de gérer les gouvernements a tellement changé. Compte tenu des nouvelles sphères d'activités et des technologies, il faut une expertise juridique particulière, que ce soit en matière de terrorisme, de technologies ou de communications. Allez-vous chercher cette expertise ailleurs ou bien y a-t-il une progression au sein du ministère?

M. Sims : Les deux. Bien des gens entrent au ministère de la Justice au niveau subalterne et y passent toute leur carrière. Toutefois, beaucoup de nos collègues talentueux quittent le ministère parce qu'ils obtiennent un poste supérieur à l'extérieur ou simplement parce qu'ils veulent relever de nouveaux défis. Nous recrutons à l'externe, mais au-delà du niveau d'entrée, il y a un pourcentage relativement faible de gens qui viennent de l'extérieur.

Nous sommes très conscients que parfois, nous devrions faire des efforts concertés pour aller chercher certains talents ou répondre à certains de nos besoins. Nous cherchons assurément à l'extérieur du ministère. Mme Miller est l'exemple parfait d'une personne que nous avons recrutée au milieu de sa carrière. Nous sommes heureux qu'elle ait accepté de venir. Elle occupait un poste très important au sein du gouvernement du Manitoba, mais nous l'avons persuadée de se joindre à nous à mi-chemin dans sa carrière, et nous en sommes manifestement sortis gagnants. Il y a d'autres excellents exemples au ministère où nous allons chercher des gens à la mi-carrière, des gens d'expérience.

La présidente : Les avocats des autres ministères ne sont pas inclus dans les 700 et quelques avocats, n'est-ce pas?

M. Sims : Dans l'ensemble, le ministère de la Justice assure tous les services juridiques du gouvernement du Canada, mais ce n'est pas à 100 p. 100. Les tribunaux, par exemple, ont leurs propres avocats. Il y a aussi des avocats rattachés au cabinet du juge-avocat général des Forces canadiennes.

La présidente : Qu'en est-il des Affaires étrangères et des Affaires autochtones?

M. Sims : Les avocats qui travaillent pour les Affaires autochtones sont du ministère de la Justice.

La présidente : Tous, d'accord.

M. Sims : Pour ce qui est des Affaires étrangères, c'est partagé. Certains avocats sont rattachés aux Affaires étrangères et d'autres, au ministère de la Justice, mais les seules grandes exceptions sont les Affaires étrangères, le JAG et les tribunaux. Je crois que c'est tout.

Le sénateur Jaffer : Je tiens à vous féliciter des mesures que vous avez prises. Je crois que vous avez fait beaucoup de chemin. Je considère que c'est vous, et non le ministre, qui êtes responsable de cette question au ministère. Nous avons un ministère de la Justice indépendant, à mon avis.

Vous avez écrit, notamment, que vous souhaitiez un milieu de travail équitable et accueillant dans votre ministère. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là?

M. Sims : Nous savons que si les seules valeurs véhiculées au sein de notre ministère sont celles des hommes blancs, cela ne créera pas un environnement accueillant pour les autres — pour les femmes, entre autres. C'est un changement sur lequel la fonction publique et les milieux de travail en général ont commencé à se pencher il y a 20 ans. Ce ne sera pas nécessairement un milieu de travail accueillant pour les nouveaux arrivants au Canada ni pour les Autochtones.

Nous devons nous ouvrir aux autres valeurs, aux autres perspectives, et trouver une façon d'inciter tous les gens qui veulent travailler au ministère à contribuer à leur façon à résoudre les problèmes, ainsi qu'à apporter de nouvelles idées et de nouveaux points de vue. C'est là où je veux en venir.

Le sénateur Jaffer : J'ai pris connaissance des propos de M. Persaud. Il a dit que le ministère lui avait volé sa vitalité. Lorsqu'il est venu témoigner, il nous en a parlé. Avez-vous reparlé à M. Persaud de sa situation et de ce qui lui est arrivé au ministère?

M. Sims : Non, je n'ai jamais parlé à M. Persaud. J'ai lu ce qu'il a dit, bien entendu. J'ai ensuite amorcé une discussion avec bon nombre de mes collègues au sein du ministère, mais je ne lui ai jamais parlé directement.

Le sénateur Jaffer : J'ai lu dans la presse que vous offrez de la formation antiraciste. On ne peut pas toujours se fier à ce qu'on lit dans la presse; mais je crois que vous avez offert de la formation antiraciste et que vous allez organiser 22 ateliers de fin de semaine pour les gestionnaires sur la lutte contre le racisme, n'est-pas?

M. Sims : Oui. En fait, les plus hauts dirigeants du ministère ont déjà suivi un atelier sur la diversité, dirigé par Carl Taylor, en décembre dernier. La formation sur la diversité est l'un des nombreux outils que nous utilisons pour sensibiliser notre personnel. Je pourrais vous parler plus en détail de ces outils, mais cette formation est l'un des outils importants.

Nous avions préparé un projet pilote en vue de cette formation et maintenant, nous avons commencé à la donner dans l'ensemble du ministère, depuis le mois dernier. Il faudra deux ou trois ans pour que toutes les personnes que nous voulons toucher l'aient suivie, mais nous nous y investissons à fond. Nous croyons que cela aura beaucoup d'effets positifs.

Le sénateur Jaffer : Monsieur Sims, en février dernier, vous avez écrit une lettre à l'Ottawa Citizen, que vous connaissez très bien, j'en suis sûre, dans laquelle vous affirmez que vous ne tolérez aucun racisme au ministère de la Justice. Vous offrez maintenant toutes ces formations. Après avoir envoyé cette lettre, vous avez découvert que des choses s'étaient produites et vous avez procédé à certains changements dans votre ministère. Est-ce exact?

M. Sims : Oui.

Le sénateur Jaffer : Selon vous, y a-t-il des choses dans cette lettre que vous n'auriez pas dû écrire?

M. Sims : Si c'était à refaire, je n'écrirais pas cette lettre. Cependant, ce fut une expérience enrichissante. Je n'exagère pas en disant que cela a été très utile, même si je ne m'en suis pas aperçu immédiatement. Aujourd'hui, je crois très sincèrement qu'il en est ressorti des éléments réellement positifs.

J'ai rencontré des gens, j'ai parlé avec eux et j'ai entendu et appris des choses. J'ai déjà dit, par exemple, que j'étais outré que des gens puissent penser que nous appuyons le racisme, mais mes collègues, eux, ont été outrés de penser que je puisse être assez aveugle pour croire que des incidents isolés liés au racisme ne pouvaient pas se produire.

Le ministère de la Justice est un microcosme de la société canadienne. Ce genre de chose arrive parfois. Cela ne veut pas dire qu'il y a une culture du racisme, mais nous devons être en mesure d'éviter que ces choses ne se produisent et ne se perpétuent.

Toutefois, l'élément positif qui en ressort est une discussion fructueuse et constante avec des personnes qui sont déterminées à faire du ministère un milieu de travail diversifié et accueillant. Je pense que nous avons beaucoup progressé. Dans votre déclaration préliminaire, madame la présidente, vous avez fait allusion aux changements apportés au sein du ministère; sachez que nous avons réalisé d'énormes progrès au cours de la dernière année.

Le sénateur Jaffer : Je suis d'accord pour dire que votre ministère ne cultive pas un esprit de racisme. J'en conviens, mais croyez-vous qu'une certaine discrimination systémique existe dans votre ministère? Le Canada a beaucoup évolué, mais les membres des minorités n'occupent pas de postes supérieurs. Par exemple, les Sud-Asiatiques vivent au Canada depuis plus de 100 ans, mais dans ma province, aucun d'entre eux n'occupe un poste supérieur. Croyez-vous qu'il y ait de la discrimination systémique au sein du ministère?

M. Sims : Il y a un an, quand nous avons évalué la situation afin de décider quels changements nous allions apporter — parce que nous étions tous déterminés à changer les choses, mais nous ne savions pas trop comment nous y prendre —, nous avons constaté qu'il semblait y avoir un plafond de verre. Il n'y avait pas suffisamment d'employés qui grimpaient aux échelons supérieurs.

Nous étions bloqués depuis un certain nombre d'années, même si nous accordions des promotions, parce que nous ne pouvions pas en accorder autant qu'il y avait de gens qui quittaient leur emploi. Nous ne comprenions pas pourquoi alors, et pas plus maintenant. Cela pourrait s'expliquer par un certain nombre de raisons.

Nous avons fait beaucoup d'efforts pour améliorer toutes les choses dont je parle dans la lettre, c'est-à-dire offrir de la formation sur la diversité, établir des objectifs et des engagements d'équité en matière d'emploi et de responsabilités pour les personnes qui relèvent de moi, et nous former sur le plan de la dotation. La Commission de la fonction publique dirige un programme appelé Regard objectif, qui permet de prendre conscience de certains partis pris — tout le monde en a, j'imagine — et d'y être sensibilisés. Nous avons agi sur plusieurs fronts et ensemble, nous commençons à observer les progrès que nous espérions. Nous avons obtenu des résultats fort encourageants cette année, grâce au plus grand nombre de promotions jamais accordées au-dessus de ce plafond de verre.

Nous croyons être sur la bonne voie, même si nous sommes tout à fait conscients de ne pas avoir toutes les réponses. Nous lisons la transcription des délibérations de votre comité avec grand intérêt, parce que beaucoup de vos témoins soumettent d'excellentes idées. Nous cherchons de bonnes idées, mais nous croyons être sur la bonne voie.

Le sénateur Jaffer : J'ai préparé un document. Pour être juste envers vous, je vais vous le laisser. Je suis une personne visuelle. Je dois voir la représentation des choses plutôt que les lire.

Votre ministère emploie environ 4 500 personnes, n'est-ce pas?

M. Sims : Oui, environ.

Le sénateur Jaffer : De ce nombre, il y en a 483 qui appartiennent à des minorités visibles, n'est-ce pas? Vous pouvez nous donner cette information plus tard. Je ne veux pas être inéquitable.

M. Sims : Il doit y en avoir davantage, puisque le pourcentage total de minorités visibles au ministère est de 14 p. 100. Ce doit être 683, à mon avis.

Le sénateur Jaffer : De ce nombre, 88 p. 100 occupent un poste aux deux niveaux inférieurs, n'est-ce pas?

M. Sims : En fait, les deux tiers de tous les employés occupent un poste aux deux niveaux inférieurs.

Le sénateur Jaffer : Pour les autres employés, c'est 71 p. 100; pour les minorités visibles, c'est 88 p. 100. Ces statistiques sont issues des chiffres que l'on nous a fournis, et non des nôtres.

La présidente : Sénateur Jaffer, vous avez demandé qu'un document soit distribué. Je me demande où vous avez pris ces chiffres.

Le sénateur Jaffer : J'ai préparé ce document d'après les chiffres que nous avions — c'est-à-dire, jusqu'à ce que l'on nous remette cet autre document — afin que je puisse poser rapidement mes questions.

La présidente : Alors, cela provient de votre bureau.

Le sénateur Jaffer : Oui, de mon bureau. Ce sont des renseignements que la Bibliothèque du Parlement m'a transmis et qui indiquent que 88 p. 100 des personnes appartenant à une minorité visible occupent un poste aux deux niveaux inférieurs, par rapport à 71 p. 100 pour l'autre groupe. Cette information est-elle exacte?

M. Sims : Je ne sais pas.

Le sénateur Jaffer : Pouvez-vous vérifier et nous fournir cette information? Dans votre déclaration, je crois vous avoir entendu dire qu'il y avait un membre d'une minorité visible sur 35 employés appartenant au groupe EX.

M. Sims : C'est exact.

Le sénateur Jaffer : Il n'y en a aucun parmi les 11 employés du groupe LA-3C?

M. Sims : Non, aucun.

Le sénateur Jaffer : Parmi les avocats généraux principaux, y a-t-il seulement deux personnes sur 64 qui appartiennent à des minorités visibles?

M. Sims : Je vais devoir vérifier, je n'en suis pas certain.

Le sénateur Jaffer : Et y a-t-il seulement sept avocats généraux sur 184 qui appartiennent à des minorités visibles?

M. Sims : Je vais devoir vérifier, je l'ignore.

Le sénateur Jaffer : Dans la catégorie des gestionnaires de première ligne, il y en a seulement un sur 22?

M. Sims : Je ne peux pas répondre, compte tenu de la façon dont vous avez réparti les chiffres. J'ai les chiffres que je vous ai fournis, mais ils sont analysés autrement. De plus, il y a le taux de roulement, un facteur important dont nous essayons de tenir compte.

Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous me l'expliquer afin que je comprenne mieux?

La présidente : Sénateur Jaffer, je vais demander à M. Sims de prendre votre document et de vous répondre par écrit. Si vous voulez ajouter le pourcentage de roulement, pourriez-vous aussi nous indiquer le taux de roulement de telle année à telle année ou de telle date à telle date?

Le sénateur Jaffer : Dans tout cela, on ne mentionne pas les mandataires que vous embauchez. Je crois que le ministère de la Justice en embauche beaucoup. La dernière fois que j'ai posé cette question, vous nous avez envoyé un énorme document sur l'équité en matière d'emploi — je n'arrive pas à le retrouver — dans lequel vous nous donniez une réponse. Parmi ces chiffres, j'aimerais savoir comment vous appliquez les mesures d'équité en matière d'emploi à tous les mandataires que vous embauchez. Quels progrès réalisez-vous à ce chapitre?

Donna Miller, sous-ministre déléguée, ministère de la Justice Canada : Permettez-moi de répondre à cette question.

Le ministère a une politique sur l'équité en milieu de travail applicable aux mandataires depuis 1996. Fait intéressant, la création de cette politique découle du rapport Bertha Wilson, qui portait, vous vous en souviendrez, sur l'égalité des sexes dans la profession juridique.

Grâce à cette politique, chaque fois que le ministère de la Justice recourt aux services d'un mandataire, nous exigeons que le cabinet d'avocats, premièrement, appuie les objectifs d'équité en milieu de travail du ministère, et deuxièmement, que tous les employés du cabinet soient au courant de cet appui. C'est une façon pour le ministère d'avoir une incidence sur l'équité en matière d'emploi dans les cabinets d'avocats privés. Cette politique s'applique à tous les mandataires que le ministère engage et ce, depuis 1996.

Le sénateur Jaffer : Comment savez-vous que cela est respecté? Avez-vous des chiffres? Dans votre contrat, il y a trois lignes qui portent sur les critères d'équité en matière d'emploi, mais comment pouvez-vous le vérifier? Quelles données recueillez-vous? Comment pouvez-vous savoir que ces critères sont respectés? Où est l'obligation de rendre compte à ce sujet?

Mme Miller : Honnêtement, nous ne faisons pas de surveillance. Toutefois, une clause fondamentale du contrat que nous passons avec chaque mandataire stipule que ce critère fait partie intégrante de leur entente pour agir au nom du procureur général. Nous comptons sur l'intégrité des cabinets d'avocats pour assurer le respect de cette clause fondamentale. C'est l'approche que nous avons adoptée.

La présidente : En tant que gouvernement du Canada, comment procédons-nous à l'embauche de ces mandataires? Je dois vous avouer que je suis en retard d'environ 30 ans. Vous pourrez peut-être me fournir une réponse écrite à cette question.

Le sénateur Jaffer : On nous l'a fournie la dernière fois.

La présidente : J'aimerais que ce soit en fonction de ce dont nous parlons. C'est pourquoi je voulais le demander. J'aimerais que vous me disiez précisément comment vous procédez aujourd'hui.

Le sénateur Jaffer : Dans votre réponse, donnez-nous des exemples précis, et non des lieux communs.

La présidente : J'aimerais d'abord voir la politique.

Le sénateur Jaffer : Elle ne nous apprend pas grand-chose. Elle dit exactement ce que Mme Miller a dit.

La présidente : C'est pourquoi je voudrais consulter l'énoncé actuel de la politique, si possible. Merci.

Le sénateur Nancy Ruth : Je me réjouis de voir une amélioration de presque 2,5 p. 100. C'est excellent. Je crois qu'il est important que le ministère de la Justice ait une main-d'œuvre diversifiée.

Je m'intéresse à l'examen récent de la mise en œuvre de l'analyse comparative entre les sexes (ACS), effectué par la vérificatrice générale dans les ministères fédéraux en général et dans votre ministère en particulier. Cela me rappelle que le ministère joue un rôle essentiel dans les politiques fédérales en ce qui concerne l'égalité et les droits de la personne. Par exemple, votre ministère examine tous les projets de loi déposés au Parlement afin de déterminer s'ils respectent la Charte, notamment les articles 15 et 28. Pourriez-vous me dire comment est effectué cet examen?

Mme Miller : La représentation des femmes au sein du ministère de la Justice est très importante.

Le sénateur Nancy Ruth : Permettez-moi de vous interrompre. Je siégeais à un comité, il y a quelques années, et nous avions accueilli des témoins, je ne me rappelle plus de qui il s'agissait, qui se défendaient de ne pas effectuer d'ACS en disant : « Nous avons plus de 50 p. 100 de femmes au sein de notre ministère. Par conséquent, nous n'avons pas besoin d'ACS ». Ce n'est pas une réponse qui me satisfait.

J'aimerais que vous me disiez comment vous effectuez cet examen, et comment il est organisé.

Mme Miller : Je peux vous parler des éléments fondamentaux. Nous serons heureux de vous fournir une réponse plus détaillée par écrit.

Il y a environ un an et demi, j'ai comparu devant un comité permanent sur la question de l'analyse comparative entre les sexes. Comme le sénateur l'a souligné, le ministère de la Justice effectue une analyse fondée sur la Charte de toute disposition ou proposition gouvernementale déposée à la Chambre des communes.

Nous avons ce que l'on appelle une approche intégrée d'analyse comparative entre les sexes, c'est-à-dire que nous estimons qu'il n'incombe à aucune unité en particulier au sein du ministère de la Justice Canada d'effectuer des analyses comparatives entre les sexes. En fait, il est de la responsabilité de toutes les personnes du ministère qui participent à l'élaboration d'une politique et à sa mise en œuvre dans un projet de loi de s'assurer que l'on prend en considération les questions d'égalité des sexes dans l'élaboration de cette politique.

Le sénateur Nancy Ruth : Si je puis me permettre, la vérificatrice générale dit la même chose que vous et que le ministère n'a pas su démontrer que les analyses ont bien lieu.

Pouvez-vous nous expliquer cela?

Ce serait peut-être plus simple si je mettais cartes sur table. J'ai vécu la période des litiges fondés sur la Charte au début des années 1980, alors cette question m'intéresse particulièrement. J'ai aussi des amis qui effectuaient des ACS au ministère de la Justice et que vous avez renvoyés, et ainsi de suite, mais peu importe.

Vous avez embauché des gens après avoir cessé d'offrir la formation sur l'ACS, en 2004. Comment les nouveaux employés de votre ministère obtiennent-ils cette formation? Comment peuvent-ils seulement savoir qu'il s'agit d'un critère au sein du ministère? Votre ministère fait bien mauvaise figure dans le rapport de la vérificatrice générale. Comment faites-vous pour entendre divers points de vue, que ce soit ceux de personnes handicapées, de personnes de nationalités différentes, de femmes ou d'hommes, dans l'ACS? Avez-vous des objectifs de recrutement particuliers en ce qui concerne les compétences en analyse comparative entre les sexes quand vous recrutez dans d'autres ministères, par des mutations, ou à l'extérieur? La vérificatrice générale indique qu'il n'y a eu aucune formation sur l'ACS depuis 2004; il n'y a aucun agent de coordination pour l'analyse comparative entre les sexes au ministère de la Justice ni aucun suivi des résultats de l'ACS.

Comment vous assurez-vous que le ministère prend toute la mesure de la diversité du personnel? Comment appliquez-vous cela au processus législatif?

La présidente : Sénateur Nancy Ruth, cela fait beaucoup de questions. Nous devrions peut-être laisser les témoins nous répondre.

Mme Miller : Je vais commencer par votre question concernant la façon dont nous nous assurons que les nouveaux employés tiennent compte de l'analyse comparative entre les sexes dans l'élaboration des politiques. J'aimerais répondre à cette question par écrit, de façon plus détaillée. Toutefois, en ce qui a trait à la diversité, qu'il s'agisse de personnes de sexe différent, de nationalité différente ou de personnes handicapées, cela fait partie intégrante de l'orientation que le ministère offre aux nouveaux employés. Voilà le premier point.

Deuxièmement, comme le sous-ministre l'a souligné, la haute direction s'est fermement engagée à veiller à ce que les nouveaux employés représentent le plus possible la diversité de la population canadienne.

Quant aux autres questions que vous avez soulevées, j'aimerais, comme je l'ai dit, avoir la possibilité d'y répondre par écrit.

Le sénateur Nancy Ruth : Mes réserves tiennent en partie au fait que si cela fait partie de l'orientation, quel genre d'appui, de ressources, d'argent, de gens, de temps, de formation supplémentaire, peuvent faire en sorte que c'est respecté? Nous ne faisons pas d'ACS au Sénat non plus, alors je sais que c'est une tâche difficile, mais nous devons continuer d'essayer.

Mme Miller : J'ajouterais que comme vous le savez, l'une de nos fonctions consiste à évaluer les politiques, et ce, dans le contexte des articles 15 et 28 de la Charte. Notre rôle consiste en partie à évaluer si l'on va à l'encontre de ces dispositions dans l'élaboration de politiques juridiques au sein du ministère au nom du gouvernement du Canada. Il y a assurément un élément juridique qui se rattache à ce à quoi vous faites allusion, je crois.

Le sénateur Nancy Ruth : Je suis impatiente de recevoir votre réponse écrite.

Le sénateur Ringuette : J'ai une question complémentaire concernant votre réponse précédente sur la sous-traitance. Pourriez-vous fournir au comité un modèle de votre contrat courant pour un conseiller juridique?

Mme Miller : Nous allons examiner la question et vous revenir là-dessus.

Le sénateur Ringuette : Je suis un peu surprise que vous ayez choisi de faire rapport principalement sur le groupe Droit en ce qui concerne la représentation des groupes minoritaires.

Vous faites rapport sur environ 663 avocats et 35 employés de direction, soit environ 700 employés sur 4 500. Vous ne parlez donc que de 18 p. 100 de votre main-d'œuvre dans votre exposé.

Qu'en est-il des autres 82 p. 100? Les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles y sont-ils représentés? Pourriez-vous fournir ces réponses au comité?

M. Sims : Avec plaisir. La raison pour laquelle nous nous sommes concentrés sur les échelons supérieurs, c'est parce que le ministère est assez représentatif des divers groupes aux niveaux subalternes. Depuis quelque temps déjà, même si nous recrutons à un rythme beaucoup plus élevé que la disponibilité des groupes désignés au sein de la population active, et que beaucoup de membres de groupes désignés occupent des postes subalternes, il n'y en a pas suffisamment qui sont promus à des postes supérieurs. C'est une situation inacceptable et nous voulions savoir comment y remédier. Nous avons besoin d'une bonne reddition de comptes à tous les niveaux, et c'est pourquoi nous nous sommes concentrés sur les échelons supérieurs, là où il y avait une sous-représentation. C'est pourquoi nous vous en avons parlé ce soir, mais d'après les données que nous vous transmettrons, les membres des groupes désignés sont bien représentés aux niveaux d'entrée et aux premiers échelons.

Le sénateur Ringuette : Il y a un mois, Mme Barrados, de la Commission de la fonction publique, a témoigné devant le Comité des finances et a indiqué que son dernier rapport annuel faisait état d'une augmentation importante de l'embauche sans concours. Combien y a-t-il eu de nominations sans concours au cours de la dernière année?

Joan Pratt, directrice générale intérimaire, Direction générale des ressources humaines et du développement professionnel, ministère de la Justice Canada : Nous devrons vous fournir ces précisions ultérieurement. J'ajouterais qu'en ce qui a trait à nos responsabilités ministérielles en matière de dotation, dont notre sous-ministre fait rapport à la Commission de la fonction publique chaque année, nous avons la même proportion de nominations sans concours que les autres ministères de la fonction publique.

Comme vous le savez, c'est une flexibilité que prévoit la Loi sur l'emploi dans la fonction publique à l'égard des nouvelles responsabilités déléguées, mais pour ce qui est des chiffres précis, nous serons heureux de vous revenir là- dessus.

Le sénateur Ringuette : J'aimerais que vous nous donniez le pourcentage de femmes, d'Autochtones, de personnes handicapées et de minorités visibles.

Combien votre ministère compte-t-il d'employés occasionnels qui ne font pas partie de ces 4 500 personnes? Je parle ici des gens qui occupent un poste occasionnel pour une durée de trois, quatre ou cinq mois, et qui sont licenciés, puis réembauchés, et ainsi de suite.

Mme Pratt : Comme vous le savez, l'emploi occasionnel est un mécanisme prévu par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Le sénateur Ringuette : Je ne vous demande pas votre excuse; je veux simplement des chiffres.

Mme Pratt : Je faisais référence à votre commentaire sur l'embauche et la réembauche. Les périodes d'emploi occasionnel sont limitées à 90 jours civils. Nous serions ravis de pouvoir vous fournir le nombre précis d'emplois occasionnels au ministère de la Justice.

Le sénateur Ringuette : Encore une fois, nous voulons les chiffres concernant tous les groupes désignés.

Combien de personnes engagez-vous par l'intermédiaire d'une agence de placement autre que la Commission de la fonction publique?

Mme Pratt : Voulez-vous savoir le nombre de contrats qui sont attribués par l'entremise d'une agence de placement temporaire?

Le sénateur Ringuette : Oui, et j'aimerais également connaître la répartition entre les sexes et la représentation des divers groupes. Ces personnes ne devraient pas figurer dans vos statistiques étant donné qu'elles ne sont pas considérées comme des « employés » du ministère.

Mme Pratt : Vous avez parfaitement raison; ce ne sont pas des employés, et nous les embauchons dans le cadre de nos processus d'attribution de contrats.

Le sénateur Ringuette : Quand prévoyez-vous être en mesure de fournir cette information au comité?

Mme Pratt : Nous devrions pouvoir vous donner ces renseignements dans les meilleurs délais. Les statistiques devraient être disponibles au sein du ministère.

Le sénateur Ringuette : Merci.

Le sénateur Poy : Monsieur Sims, vous avez parlé de la formation sur la diversité offerte aux cadres supérieurs et de l'établissement des objectifs, et vous avez indiqué que vous vous attendiez à ce qu'on rende des comptes.

Depuis combien de temps? Il y a à peine un an, M. Persaud a comparu devant le comité et a indiqué que les membres des minorités visibles n'avaient pas les mêmes chances d'être promus. Il a cité un de ses amis, maintenant juge, qui considère que le ministère de la Justice est l'institution la plus raciste jamais vue.

Depuis combien de temps offre-t-on la formation sur la diversité?

M. Sims : Nous avons élaboré cette formation il y a quelques années, mais comme je vous l'ai décrit plus tôt, nous avons restructuré le programme. Nous avons suivi les recommandations des comités consultatifs sur la façon d'enseigner son contenu, nous l'avons mis à l'essai, puis nous commençons à le mettre en pratique.

Cette année, nos processus ont donné lieu à un nombre inégalé de promotions au niveau LA-2B, soit le premier niveau de gestion, et ce, en toute équité. Il est donc possible pour un membre d'un groupe désigné de connaître une carrière fructueuse au sein du ministère de la Justice et d'accéder aux échelons supérieurs.

Je ne peux pas me prononcer sur le témoignage de M. Persaud, mais sachez que les processus que nous avons en ce moment et depuis quelque temps sont très équitables.

Le sénateur Poy : Vous avez dit que les cadres supérieurs ont reçu une formation sur la diversité ces dernières années. Est-ce un phénomène très récent?

M. Sims : La présidente a demandé si vous aviez changé de cap soudainement ou si vous aviez intensifié les processus déjà en place, et je lui ai répondu que nous avions opté pour la deuxième solution.

Nous consacrons énormément d'énergie, de temps et de leadership pour faire du ministère de la Justice une organisation diversifiée, accueillante et équitable, mais pas seulement depuis un an. Nous renforçons ces valeurs et essayons de les intégrer profondément au sein de l'organisation.

Le sénateur Poy : Combien de temps la formation offerte dans le cadre du Programme pour les leaders de demain du ministère de la Justice dure-t-elle?

M. Sims : Notre premier programme était un projet pilote de deux ans. Nous avons créé ce programme à la suite des recommandations du Comité consultatif sur les minorités visibles. C'est une idée merveilleuse. La moitié de la première cohorte était constituée de membres de groupes désignés et l'autre moitié, non. C'était voulu.

Il s'agit d'un programme étalé sur deux ans qui combine notamment l'apprentissage en classe et les affectations enrichies. On y offre un programme de mentorat et d'apprentissage pratique dans un environnement propice ainsi qu'une formation théorique en matière de gestion, de leadership, et cetera.

Nous avons décidé d'organiser une deuxième cohorte, et nous travaillons là-dessus. Nous apporterons certaines modifications au programme, mais la structure de base s'est révélée très efficace la dernière fois, et nous envisageons de la réutiliser.

Le sénateur Poy : Ce programme a été mis sur pied il y a un an, n'est-ce pas?

M. Sims : Il y a deux ans.

Le sénateur Poy : Des membres des minorités visibles ont-ils été promus?

M. Sims : Absolument.

Le sénateur Poy : Certaines personnes craignent-elles de participer au programme au cas où elles ne seraient pas promues?

M. Sims : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question. La plupart des gens à qui on offre de participer au programme saisissent l'occasion immédiatement, parce qu'ils perçoivent cela comme une occasion incroyable d'être remarqués, formés et vus partout au sein du ministère. Le problème, ce n'est pas que les gens ne veulent pas prendre part au programme; c'est plutôt le fait que nous ne pouvons accepter qu'un petit nombre de participants. Ce programme remporte un grand succès et est très populaire auprès de ceux qui ont la possibilité d'y participer.

Le sénateur Poy : Combien de participants prenez-vous à la fois?

M. Sims : La dernière fois, nous n'avons accepté que vingt personnes.

Avons-nous changé le nombre?

Mme Pratt : Non. Encore une fois, nous accueillerons vingt nouveaux participants dans le cadre du Programme pour les leaders de demain du ministère de la Justice, et nous avons prévu laisser quelques places disponibles pour nos collègues du Service des poursuites pénales du Canada.

[Français]

Le sénateur Pépin : Je me réfère à la lettre que vous avez envoyée à notre présidente, sénateur Andreychuk, version française, aux pages 3 et 4. Lorsqu'on dit « jusqu'au 31 mars 2009 », évidemment vous parlez des personnes que vous avez engagées, entre autres des personnes handicapées. Alors, il y a 46 personnes handicapées actuellement et cela représente 6 p. 100. Je trouve que le nombre est petit.

Par contre, quand on lit plus bas dans votre rapport, on dit que le taux de disponibilité pour les personnes handicapées est plutôt élevé. Pourriez-vous élaborer sur ce sujet et nous dire quels sont les problèmes spécifiques particuliers à ce groupe?

M. Sims : Madame le sénateur, j'essaie de trouver l'annexe du rapport qui donne les chiffres de disponibilité.

C'est un petit nombre, vous avez raison, mais c'est six p. 100. Évidemment on ne parle pas très souvent des cibles, mais il y a des cibles, il y a des normes à atteindre en disponibilité de manœuvre sur le marché et cette norme pour les personnes handicapées est de 4,5 p. 100. Donc, ce chiffre est dépassé avec le 6 p. 100.

Le sénateur Pépin : On les retrouve à quel échelon, actuellement?

M. Sims : C'est mentionné dans notre rapport, je pense.

Le sénateur Pépin : J'ai regardé, mais je ne le trouve pas.

M. Sims : Il y en a un au niveau EX. On en compte 159 au niveau scientifique et professionnel. En administration, ils seraient 69, plus ou moins. En techniques, il y en a 22 et aucun au niveau des opérations. Au niveau de l'appui administratif, ils sont 46. Ce qui fait un total de 297 personnes au ministère, soit 6 p. 100.

Le sénateur Pépin : Ensuite, il y a un programme de mentorat. Y a-t-il un programme qui s'adresse également aux handicapés? Ce programme dans lequel les handicapés sont devenus employés est-il à l'échelle nationale ou régionale?

M. Sims : C'est à l'échelle nationale. Une partie vise les régions. Nous sommes environ 700 à 800 personnes. C'est ouvert à tout le monde, pas seulement aux personnes handicapées. Nous avons des données sur le nombre de personnes pour chaque groupe. On pourrait les fournir au comité. Nous cherchons des mentors et des personnes qui reçoivent les sages conseils de ces personnes. C'est environ 700 personnes maintenant.

Le sénateur Pépin : Quelles sont les difficultés très spécifiques qui empêchent ces gens de participer? Est-ce un handicap physique qui ne leur permet pas de participer? Enfin, ils ont sûrement un problème physique, mais y a-t-il quelque chose de plus particulier à ce groupe qui pourrait être étudié?

M. Sims : Je dirais que ce n'est pas un groupe homogène. Il y a un éventail ou une gamme de conditions, de sérieuses à très peu sérieuses. Chez certains, l'essentiel est d'avoir des machines, des outils spécialisés qui leur permettent de fonctionner. Disons qu'une personne est aveugle, il y a des machines qui peuvent lire les textes et les traduire en braille. Il y a toute une série de situations très particulières.

Le sénateur Pépin : Parfait. Merci bien.

[Traduction]

Le sénateur Martin : Merci beaucoup de répondre à nos questions. Je vais commencer par une remarque, que je n'ai pas eu l'occasion de partager avec mes collègues. J'ai eu la possibilité de rencontrer l'équipe régionale de la Commission de la fonction publique à Vancouver pour discuter des principaux problèmes soulevés au sein du comité. L'équipe a tenu une réunion de planification stratégique, et c'était intéressant de pouvoir mettre quelques éléments en place et de voir des gens aussi dévoués et déterminés à améliorer leurs stratégies de recrutement et à travailler sur le terrain pour s'assurer d'avoir une diversité au sein de tous les ministères.

Ce qui est entre autres ressorti de cette réunion, c'était la possibilité de partager des pratiques exemplaires. Dans quelle mesure les stratégies de recrutement de votre ministère se sont-elles révélées fructueuses? On estime qu'il ne s'agissait pas nécessairement d'un effort coordonné, et qu'il fallait intensifier le dialogue. De nos jours, nous devons faire preuve de créativité, car beaucoup de possibilités s'offrent aux jeunes. Au niveau d'entrée, le recrutement doit être créatif.

Qu'avez-vous partagé avec les autres ministères? Quelles sont les stratégies qui ont fonctionné pour vous?

M. Sims : Mme Miller et moi-même essaierons de répondre à votre question. Je vais lui laisser le soin de vous parler du travail d'un de nos collègues, mais je vais d'abord vous décrire les initiatives qu'a entreprises le ministère de la Justice à Vancouver.

Le chef du bureau régional s'est fait un devoir de rencontrer les associations d'étudiants en droit membres de minorités visibles, par exemple, pour accroître les possibilités de recrutement. Il prend les devants. L'équipe que nous désignons est représentative de notre effectif. Les gens qui font valoir notre organisation auprès des étudiants sont eux- mêmes des membres de minorités visibles et, par conséquent, il existe une affinité entre eux. Cela démontre à quel point notre organisation accueille les membres des groupes désignés et leur permet de mener une carrière fructueuse.

Au fil des années, plusieurs pratiques ont permis de recevoir un flot constant de candidatures de la part d'étudiants. Les étudiants en droit ne pensent pas toujours au ministère de la Justice comme employeur. Ils optent souvent pour le secteur privé, Bay Street, et cetera. Ils sont très surpris lorsqu'ils apprennent ce que nous offrons et qu'il est possible de faire une différence.

Ces activités se sont donc avérées très efficaces. Nous avons récemment participé à des salons de l'emploi organisés dans différentes universités du pays. Cela visait davantage à attirer la relève du groupe EX plutôt que des avocats, étant donné que ces derniers n'entrent pas en fonction en même temps.

Mme Miller : J'aimerais ajouter quelques mots à ce sujet. Il est fondamental d'envoyer dans les facultés de droit des collègues qui représentent réellement la diversité. Nous déployons un effort concerté à cette fin.

Pour ce qui est du partage des pratiques exemplaires, certains d'entre nous ont parlé de la possibilité d'accroître la diversité de nos effectifs en droit. Nous en avons d'ailleurs discuté avec nos homologues du secteur privé. Nous avons tenu de bonnes discussions là-dessus. Nous avons organisé des « Journées de la justice » dans plusieurs facultés de droit du pays.

Comme le sous-ministre le disait, nombreux sont les étudiants qui ne connaissent pas l'ampleur ni l'étendue des travaux que mène le ministère de la Justice à l'échelle nationale. Quand nous participons à ces activités, nous nous assurons que les gens savent que nous représentons le ministère, que nous représentons la diversité du ministère. C'est certainement un élément dont il faut tenir compte.

Je pense qu'un collègue d'un autre ministère en a déjà parlé, mais lors de la dernière rencontre des sous-ministres, nous avons échangé des pratiques exemplaires. M. Sims a pris la parole, comme les autres sous-ministres, et ce fut une réunion très instructive. Ce sont d'autres exemples.

M. Sims : Je n'ai pas répondu directement à votre question, mais nous devrions probablement tirer davantage profit de l'expérience du type de groupe dont vous parlez. Je pense que c'est une très bonne idée, et nous devrions trouver ces personnes et leur demander ce qui, à leur avis, fonctionne le mieux.

Le sénateur Martin : En ce qui a trait à la formation sur la diversité, vous avez mentionné qu'il pourrait être utile d'intégrer un modèle efficace au sein de tous les ministères. Vous avez vous-même participé à cette formation au cours des dernières années et vous la considérez comme très fructueuse. J'aimerais avoir plus de détails. La diversité amène un bagage d'expériences et de traditions différentes au sein d'un bureau, ce qui constitue un véritable atout. Dans une ville comme Vancouver, cela fait tout simplement partie de la culture. Nous n'en parlons pas beaucoup; nous le vivons, tout simplement.

Au sein de votre ministère, étant donné que la formation sur la diversité est obligatoire, est-ce qu'on la suit avec réticence? Est-ce qu'on y participe pour la forme, parce qu'on n'a pas le choix? Est-ce une formation qui s'offre tout au long de l'année jusqu'à ce que la diversité fasse partie de la culture de votre bureau?

Je sais que vous avez abordé certains aspects. Selon vous, en quoi la formation sur la diversité a-t-elle été utile au sein de votre ministère?

M. Sims : Nous commençons à peine à offrir la nouvelle version, mais je vous dirais que les cadres supérieurs qui ont passé une journée avec Carl Taylor en décembre dernier sont tous ressortis sensibilisés. On ne repart pas qu'avec une série de notes. On s'engage dans une discussion avec un homme comme M. Taylor, qui cumule des dizaines d'années d'expérience dans le domaine. Il remet constamment en question les valeurs, les hypothèses et idées préconçues et inconscientes des gens, jusqu'à ce que ceux-ci acceptent que leur façon de voir les choses n'est peut-être pas la seule.

En fait, c'est une chose que nous savons tous. Toutefois, c'est différent lorsqu'on s'arrête vraiment pour réfléchir à la question, en mettant de côté les téléphones cellulaires et les terminaux BlackBerry, et amorcer une discussion profonde là-dessus. Il est difficile de voir nos différences, mais à force d'en discuter, nous en prenons conscience.

M. Taylor disait des choses du genre : « Quand vous me regardez, qu'est-ce que vous voyez? » Nous sommes tous demeurés silencieux. Il a renchéri : « Vous voyez un homme noir, n'est-ce pas? En effet, mais je ne suis pas que ça; je suis également un père, un sportif et un anglican. » C'était assez évident. Nous avons donc entamé la conversation là- dessus. Nous sommes allés au-delà du côté superficiel en discutant avec et à propos de nos collègues.

Je ne crois pas rendre justice à cette conversation, mais ce fut une journée incroyable. Cela change réellement notre façon de voir les choses.

Le sénateur Martin : Comme vous dites, les personnes désignées pour animer les ateliers de formation sur la diversité jouent un rôle important. Il est bon de savoir que vous avez des animateurs aussi efficaces. C'est une initiative que j'encourage de façon permanente.

La présidente : Nous n'avons plus de temps. Certains sénateurs avaient d'autres questions. Le sénateur Nancy Ruth s'intéressait aux ressources et à la formation disponibles en ce qui a trait aux minorités visibles et insinuait que vous devriez revoir les questions touchant le genre.

Nous allons vous soumettre d'autres questions. Le greffier recevra les questions des sénateurs qui s'appuieront sur les documents écrits que vous nous avez fournis, et avec un peu de chance, nous pourrons obtenir des réponses rapidement.

Monsieur Sims, je vous remercie d'être venu témoigner devant ce comité de nouveau en compagnie de vos collègues. Je peux d'ores et déjà vous affirmer que vous recevrez une autre invitation avant longtemps. Il importe de savoir que ce comité ne dépose pas de rapport définitif indiquant au gouvernement quelle direction prendre. Notre mandat, selon nous, est d'apporter des changements aux politiques publiques dans le meilleur intérêt des citoyens canadiens. C'est tout ce qui compte pour le Comité des droits de la personne.

C'est peut-être par hasard que votre ministère s'est retrouvé sous les projecteurs, mais vous avez choisi de réagir. Nous continuerons à suivre vos progrès, et je crois qu'il est probablement approprié que le ministère de la Justice prenne la tête dans ce dossier. Nous allons vous réinviter. Je vous assure que nous continuons à examiner différentes possibilités.

Ce n'est pas évident. Notre rapport original contenait des recommandations visant à résoudre, notamment, les problèmes liés à la conclusion de contrats qui ne conviennent pas aux groupes visés. Nous avions étudié des enjeux comme celui du racisme systémique dans le but d'en arriver à une solution. Nous n'avons toutefois pas trouvé de remède miracle. Peut-être que la clé réside dans le leadership continu des hauts placés de la fonction publique, qui doivent adhérer personnellement à ces principes.

Vous nous dites que c'est ce que vous faites, et nous vous en remercions. Nous tentons de trouver un moyen pour arriver à un point où nous n'aurions plus à faire preuve d'autant d'acharnement pour veiller à ce que la situation s'améliore. Cependant, pour le moment, vous allez devoir continuer de dialoguer avec nous. Nous vous remercions d'ailleurs d'avoir accepté notre invitation ce soir.

M. Sims : Je vous remercie de nous recevoir. Vous avez indiqué que le ministère de la Justice devrait montrer l'exemple. C'est aussi ce que nous croyons; les dirigeants devraient assurer un leadership clair. Nous sommes aussi de cet avis. C'est d'ailleurs pourquoi Mme Miller et Mme Pratt sont ici ce soir. Nous sommes aussi conscients que ce sera un travail de longue haleine. Il n'existe pas de solution facile; pour créer un milieu de travail digne, respectueux et inclusif, il faut être prêt à s'investir à part entière. Nous allons y arriver, et il nous fera plaisir de revenir vous en parler.

La présidente : Cette séance est terminée. Nous avons un dernier groupe à entendre.

Nous cédons maintenant la parole à notre deuxième groupe de témoins, avec lesquels nous poursuivrons l'étude du problème de la discrimination dans les pratiques d'embauche et de promotion dans la fonction publique fédérale, afin de déterminer dans quelle mesure les objectifs d'équité en matière d'emploi sont atteints, et d'examiner la situation des groupes minoritaires sur le marché du travail dans le secteur privé.

Nos témoins ont attendu patiemment leur tour, et nous leur en sommes reconnaissants. Nous avons pris un peu de retard, et nous vous remercions d'avoir bien voulu patienter, mais nous tenons à ce que tous les sénateurs aient l'occasion de poser leurs questions.

De l'Alliance de la Fonction publique du Canada, nous recevons Mme Patty Ducharme, vice-présidente nationale, ainsi que Mme Allison Pilon, agente d'équité en emploi/droits de la personne.

Vous pouvez nous faire part de vos observations préliminaires. Les sénateurs auront beaucoup de questions, alors nous vous prions d'intervenir le plus brièvement possible, et nous tâcherons de faire de même. Nous serons peut-être ainsi en mesure de terminer à l'heure.

Patty Ducharme, vice-présidente nationale, Alliance de la Fonction publique du Canada : Nous tenons à vous remercier encore une fois de nous avoir invitées à témoigner devant le comité au sujet des pratiques d'embauche et de l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale.

J'ai remis au greffier une copie de notre mémoire dans les deux langues officielles, et ma présentation de ce soir se veut un résumé de ce mémoire.

Nous désirons aujourd'hui vous faire part de notre opinion sur les récents événements qui touchent l'équité en matière d'emploi, dont les renseignements communiqués récemment au comité par la Commission de la fonction publique concernant les taux d'embauche des groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

J'imagine qu'il faut d'abord se demander pourquoi l'auto-identification est nécessaire. Il est important de se rappeler que plusieurs groupes qui ont témoigné devant la Commission d'enquête sur l'égalité en matière d'emploi de 1985 (la Commission Abella) ont souligné l'importance de l'auto-identification volontaire. Autrement dit, il est important que les personnes membres de groupes sous-employés s'identifient elles-mêmes plutôt que d'être identifiées par un employeur.

Comment l'information sur l'auto-identification est-elle normalement obtenue? Depuis que la Loi sur l'équité en matière d'emploi a été élargie il y a 14 ans pour inclure la fonction publique, cette dernière utilise les données provenant de sondages sur l'auto-identification volontaire auprès des fonctionnaires, sondages qui sont conformes à la Loi sur l'équité en matière d'emploi et son règlement. D'autres employeurs fédéraux recueillent d'ailleurs leurs données sur l'équité de la même façon. Pourtant, la Commission de la fonction publique a récemment jugé nécessaire de modifier sa méthode de calcul statistique sur l'auto-identification.

Mme Barrados, présidente de la Commission de la fonction publique, a déclaré que les chiffres cités précédemment par la commission au sujet des nouvelles recrues provenant des groupes visés par l'équité avaient été sous-évalués. Elle a expliqué que les données avaient été réévaluées en examinant le nombre de personnes qui s'auto-identifient lorsqu'elles postulent un emploi sur le site web de la CFP, et en suivant ensuite le fil de ces renseignements lorsque ces personnes ont obtenu un poste.

Toutefois, au moment où la CFP a recueilli ces données et lorsque Mme Barrados a présenté ses nouveaux chiffres au comité, le formulaire affiché sur le site web de recherche d'emploi n'était pas conforme aux exigences de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Ni les syndicats ni les autres intervenants n'ont été consultés à propos de l'utilisation des données affichées sur le site web concernant l'auto-identification. Ce n'est que tout récemment, après que nous lui ayons fait part de nos préoccupations, que la CFP a apporté des changements à son site web de manière à respecter davantage les critères de la loi.

La CFP continue tout de même de s'appuyer sur les données qui ont été recueillies d'une façon qui était, à notre avis, non conforme à ses obligations en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Toutefois, nous tenons à souligner que la méthode d'auto-identification, quoique imparfaite, est la seule méthode de cueillette de données qui permet de déterminer la composition de la main-d'œuvre, et donc de prendre les mesures nécessaires pour assurer la représentativité de l'effectif. Beaucoup sont d'avis que certains membres des groupes visés ne se déclarent pas comme tels. Or, il n'existe actuellement aucune façon de déterminer avec exactitude si ces observations sont justifiées.

Ce que la CFP n'a malheureusement pas fait, c'est d'enquêter sur les causes sous-jacentes du présumé problème de sous-déclarations. Mon syndicat, l'AFPC, croit qu'il n'est pas nécessaire de changer la méthode de calcul des données; il faut plutôt éliminer les obstacles qui causent les cas de sous-déclaration en premier lieu.

Ceci nous amène au but de notre exposé, soit l'état actuel de l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale. Le récent rapport sur l'équité en emploi dans la fonction publique du Canada du Bureau du dirigeant principal des ressources humaines du Conseil du Trésor démontre que de nombreux obstacles aux quatre groupes visés persistent dans la fonction publique fédérale. Même si la représentation dans la fonction publique des personnes ayant un handicap est supérieure au taux de disponibilité de la population active, le rapport indique que le taux de recrutement de personnes handicapées présente un décalage par rapport aux estimations de la disponibilité au sein de la population active. Par ailleurs, le nombre de travailleurs ayant un handicap qui quittent la fonction publique (par renvoi ou autrement) est presque trois fois plus élevé que le nombre d'embauches.

Même si le taux de représentation générale des fonctionnaires provenant de groupes raciaux visibles a grimpé pour s'élever à 9,2 p. 100 (2007-2008), ce taux est encore bien en deçà de la disponibilité de la population active. Il est à noter que les statistiques provenant du recensement de 2006 indiquent que les travailleurs provenant de groupes raciaux visibles représentent 15,5 p. 100 de la main-d'œuvre canadienne. En tenant compte de ces données, et des prévisions de Statistique Canada qui estime que 20 p. 100 de la population canadienne fera partie d'un groupe racial visible d'ici 2017, il est clair que la fonction publique fédérale est trop lente à se doter d'effectifs représentatifs.

Les données sur la représentation des peuples des Premières nations montrent que les travailleurs autochtones sont sous-représentés dans divers ministères. Une grande partie travaille principalement dans trois ministères, et plusieurs autres n'égalent pas la disponibilité de la main-d'œuvre autochtone. De plus, le taux d'embauche des travailleurs autochtones a diminué en 2007-2008, et ce taux est remarquablement plus bas que le taux de cessation d'emploi. Cela signifie que l'on enregistre plus de départs que d'arrivées chez les employés autochtones dans la fonction publique.

Les femmes sont bien représentées dans la fonction publique, mais elles sont très largement cantonnées à certains postes et certains ministères, et même surreprésentées dans la catégorie des postes temporaires. Les postes que détiennent les femmes sont en général moins bien rémunérés et considérés comme traditionnellement féminins (secrétariat et administration). Même si les femmes représentent 54 p. 100 des effectifs de la fonction publique, seules 41 p. 100 d'entre elles occupent des postes-cadres.

Examinons les données suivantes tirées du Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux 2008. Les données concernant les fonctionnaires provenant de groupes raciaux visibles identifient un nombre d'obstacles, comprenant le manque d'accès à la formation dans la seconde langue officielle et le manque d'accès à des affectations de perfectionnement, entre autres. Vingt-sept pour cent des répondants provenant de ces groupes déclarent que la discrimination freine la progression de leur carrière, 30 p. 100 se sont déclarés victimes de discrimination dans les deux dernières années et 33 p. 100 se sont déclarés victimes de harcèlement.

Les réponses des fonctionnaires ayant un handicap révèlent des obstacles aux possibilités d'obtenir une promotion, au perfectionnement professionnel, à la formation, ainsi qu'aux possibilités d'acquérir et d'appliquer les compétences dont ils ont besoin pour progresser dans leur carrière. Trente et un pour cent des répondants provenant de ce groupe déclarent que la discrimination freine la progression de leur carrière. Chiffres impressionnants : 49 p. 100 se sont déclarés victimes de harcèlement et 41 p. 100 se sont déclarés victimes de discrimination.

Quarante-deux pour cent des fonctionnaires autochtones se sont déclarés victimes de harcèlement et 29 p. 100 se sont déclarés victimes de discrimination. Les fonctionnaires autochtones sont les plus portés à être insatisfaits de la façon dont sont traitées les plaintes, et les moins portés à ne pas craindre de représailles s'ils déposent une plainte.

Même si les femmes ne signalent pas un taux de discrimination aussi élevé que les autres groupes désignés, 31 p. 100 d'entre elles se sont déclarées victimes de harcèlement. Puisque des données propres aux femmes autochtones, provenant de groupes raciaux visibles ou ayant un handicap, ne sont pas disponibles, il n'est pas possible de déterminer si ces femmes ont rapporté être confrontées à des obstacles supplémentaires ou à un degré de discrimination ou de harcèlement plus élevé.

Pourquoi ces problèmes persistent-ils dans la fonction publique fédérale? L'AFPC croit que, malgré un certain engagement de la haute direction à comprendre les avantages d'avoir des effectifs représentatifs, les choses ont bien peu changé dans la culture du milieu de travail de la fonction publique. Nous avons besoin d'un changement de culture, d'une transition vers un milieu de travail réellement inclusif, où les talents, les compétences et la contribution des travailleurs sont respectés et valorisés. Un environnement où aucune forme de discrimination ni de harcèlement n'est tolérée. Sans ce changement de culture, et sans mise en application véritable de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, les buts de l'équité en matière d'emploi resteront inaccessibles.

Finalement, nous éprouvons certaines appréhensions face à ce que signifient les tendances récentes pour l'avenir de l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale.

Comme les membres du comité savent probablement déjà, le gouvernement a récemment modifié de façon majeure la manière dont sont gérées les ressources humaines de la fonction publique. Nous n'avons pu voir encore à l'œuvre cette nouvelle gestion des ressources humaines, mais deux questions reliées à l'équité en emploi nous préoccupent déjà. Premièrement, l'attribution de la responsabilité de l'équité en matière d'emploi n'est pas claire à l'intérieur de la nouvelle structure. Deuxièmement, cette nouvelle structure semble déléguer plus de responsabilités aux ministères et moins au Conseil du Trésor et autres organismes centraux.

Dans un précédent mémoire remis au comité, nous avions souligné les problèmes provoqués par la délégation de la dotation aux cadres inférieurs, et la Commission de la fonction publique avait elle-même noté que le degré d'engagement et de compréhension des principes d'équité en matière d'emploi n'était pas le même.

La tendance est à l'éloignement d'une administration centrale et des obligations concernant la question de l'équité en matière d'emploi. Les organismes centraux ont abandonné l'initiative « Faire place au changement » ainsi que l'objectif d'embaucher une personne sur cinq provenant des groupes visés.

Les responsabilités en matière de dotation ont été déléguées à des échelons inférieurs, l'embauche de travailleurs temporaires et occasionnels a augmenté, et les processus de recrutement non annoncés sont devenus monnaie courante. En observant ces tendances, il est difficile d'imaginer comment la fonction publique fédérale pourra améliorer de façon importante l'équité en matière d'emploi dans les années à venir.

En raison des inquiétudes que nous avons soulignées, nous faisons les recommandations suivantes.

Le gouvernement devrait réactiver l'initiative « Faire place au changement » ainsi que l'objectif d'embaucher une personne sur cinq provenant de groupes raciaux visibles, et allouer des fonds pour cette initiative. L'objectif de un sur cinq devrait s'appliquer aux plans et politiques d'équité en matière d'emploi de tous les ministères.

Nous recommandons d'amorcer une discussion au sujet de la recommandation du Conseil national des minorités visibles (CNMV) de nommer un ou une commissaire à l'équité en matière d'emploi. Une telle discussion devrait avoir lieu avec les représentants appropriés du gouvernement et des syndicats, ainsi qu'avec d'autres intervenants provenant du CNMV, du Conseil national des employés handicapés fédéraux et du Conseil national des employés fédéraux autochtones.

Les raisons qui font en sorte que tant d'employés ayant un handicap quittent la fonction publique doivent être examinées. S'agit-il de départs volontaires? Il faut faire une vérification des pratiques entourant les congés de maladie, les retours au travail et les accommodements de tous les ministères, afin de déterminer l'étendue du problème des délais et des manquements au devoir d'accommodement.

Une vérification similaire doit être faite au sujet du taux élevé de cessation d'emploi des Autochtones dans la fonction publique, afin de déterminer les causes et les obstacles à la participation et à l'inclusion des travailleurs autochtones dans tous les ministères.

Voilà ce qui met fin à notre exposé. Nous sommes bien sûr disposées à répondre à vos questions.

La présidente : Merci. Nous avions reçu votre exposé écrit, et nous l'avons maintenant entendu sous forme orale. Honorables sénateurs, comme vous le savez, nous avons excédé le temps qui nous était alloué. Je vous prierais donc d'intervenir le plus brièvement possible. Le sénateur Pépin entamera notre période de questions.

[Français]

Le sénateur Pépin : Lors de la comparution de membres de l'Alliance de la Fonction publique en février 2008, il a été déclaré que les personnes handicapées étaient représentées dans la fonction publique à un taux dépassant les disponibilités. Mais lorsqu'on y a regardé d'un peu plus près, on s'est aperçu qu'il s'agissait plutôt de membres de la population vieillissante, de fonctionnaires qui devenaient malades ou qui se blessaient et qui se déclaraient handicapés.

La situation a-t-elle changé depuis? La fonction publique a-t-elle engagé des personnes handicapées à son taux de disponibilité? Les ministères fédéraux font-ils des efforts pour embaucher les personnes handicapées à un taux correspondant à leur taux de disponibilité? Est-ce que ce sont des ministères qui le font?

[Traduction]

Allison Pilon, agente d'équité en emploi/droits de la personne, Alliance de la Fonction publique du Canada : Merci de me poser la question. La situation ne s'est pas améliorée. Les plus récentes données fournies par le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines du Conseil du Trésor indiquent que le taux d'embauche des personnes handicapées en 2007-2008 n'était que de 2,5 p. 100, ce qui est en deçà de la disponibilité de la main-d'œuvre. Le taux de représentation actuel est largement attribuable au fait que beaucoup de personnes, comme nous l'avions indiqué dans notre mémoire précédent à ce comité, deviennent handicapées au cours de leur carrière et peuvent alors s'identifier comme tel.

Le problème, c'est que les pratiques actuelles ne permettent pas de créer un milieu de travail accueillant et ouvert aux personnes handicapées, et ne favorisent ainsi pas l'embauche de ces dernières dans la fonction publique fédérale.

[Français]

Le sénateur Pépin : Étant donné que vous êtes en mesure de comparer les deux, pourriez-vous nous dire comment la situation pourrait être corrigée? Qu'est-ce qui fait que cela diminue encore?

[Traduction]

Mme Ducharme : Plus ils avancent en âge, plus les employés sont susceptibles de devenir handicapés, une situation qui n'est pas toujours due à un accident de travail. Cependant, je ne crois pas que les différents ministères recrutent activement des personnes handicapées. Si un ministère cherche activement à embaucher des personnes handicapées à l'heure actuelle, je n'en ai pas entendu parler. Je sais qu'on embauche des travailleurs présentant un handicap, mais ils sont peu nombreux et le taux de représentation est inférieur à la disponibilité de ce groupe au sein de la population active.

Le sénateur Jaffer : Pourquoi les gens hésitent-ils à s'auto-identifier? C'est une question qui revient souvent. Vous avez des contacts directs avec des personnes travaillant au sein de la bureaucratie. Avez-vous une explication?

Mme Ducharme : Sénateur Jaffer, je ne peux malheureusement pas répondre à cette question. J'imagine que la réponse serait différente pour chacun des travailleurs. Certains n'aiment pas qu'on leur colle une étiquette ou craignent que faire partie d'un groupe désigné ne leur nuise.

D'autres pourraient invoquer des raisons différentes. Certaines personnes ne veulent peut-être pas s'admettre qu'elles ont un handicap ou qu'elles font partie d'une minorité visible. Nous avons tous nos propres sensibilités. Les gens peuvent décider de ne pas s'auto-identifier pour une foule de raisons. Si nous voulons mieux nous expliquer ce phénomène, peut-être que nous pourrions poser cette question dans le cadre du prochain sondage auprès des employés de la fonction publique.

Le sénateur Jaffer : Vous avez plusieurs fois parlé de racisme. Il m'est très difficile d'admettre qu'il y a du racisme dans vos rangs. Qu'en savez-vous? Que se passe-t-il dans le ministère? Qu'entendez-vous exactement par racisme?

Mme Ducharme : Comme j'ai la peau claire, ma définition du racisme ne correspond probablement pas, et de loin, à celle de certains confrères et consœurs qui en sont victimes. Le racisme et la xénophobie peuvent prendre diverses formes. Ainsi, je pourrais être en train de parler avec un ami à la peau blanche et nous cesserions de parler à l'arrivée d'une personne de couleur. Cela pourrait aussi prendre la forme d'un humour déplacé. Ou encore, il pourrait s'agir d'exclure des collègues de la dynamique particulière du groupe de travail ou de ne pas tendre la main comme je le ferais à quelqu'un que je considère être un ami ou qui, comme moi, est intégré au milieu de travail, de ne pas expliquer comment tout fonctionne, de ne pas expliquer comment éviter d'être mêlé aux intrigues de bureau.

Le racisme dans le milieu de travail a de nombreux visages et se manifeste de bien des façons. C'est un phénomène extrêmement difficile, blessant et complexe. On pourrait consacrer une vie entière à l'étudier sans pouvoir le cerner vraiment.

Le sénateur Jaffer : Madame Ducharme, croyez-vous que c'est un problème réel?

Mme Ducharme : J'en suis intimement convaincue.

Le sénateur Jaffer : J'ai de nombreuses questions qu'il serait injuste de poser au comité ou aux témoins à ce stade-ci. Je vais donc en remettre le texte au greffier.

Désolé de vous imposer ce surcroît de travail, mais j'aimerais vraiment avoir la réponse à ces questions.

Le sénateur Brazeau : Je vous remercie toutes les deux d'avoir accepté notre invitation ce soir.

Pendant que je vous écoutais, j'ai remarqué qu'à un moment donné, vous avez mentionné que, quelles que soient les données utilisées, elles n'illustrent pas la situation réelle. Êtes-vous en train de dire qu'il n'y a pas eu de progrès?

Mme Ducharme : Je cherche le passage dans le texte.

Le sénateur Brazeau : Vous le trouverez à la troisième ligne de la page 4.

La présidente : C'est au début du paragraphe : « Peu importe le type de données utilisé, les chiffres reliés à l'embauche ne constituent qu'une infime partie de la situation ».

Mme Ducharme : Nous entendons par là, en fait, qu'il reste encore beaucoup de travail à faire en équité d'emploi. Selon nous, en ce qui concerne les renseignements fournis par la Commission de la fonction publique qui font état de hausses marquées du nombre de personnes embauchées, nous les jugeons suspects en raison des changements apportés à la méthode. Cependant, nous reconnaissons que ce n'est là qu'une pièce du puzzle.

Le sénateur Brazeau : Des témoins qui vous ont précédées nous ont dit que des progrès avaient été réalisés au sein de différents ministères, mais que cela ne voulait pas forcément dire que le travail était achevé. Je crois que tous les membres du comité reconnaissent qu'il reste encore du travail à faire.

Ce que je remarque plus particulièrement dans cette déclaration, c'est que de nombreuses définitions sont problématiques. Quelles solutions durables auriez-vous à offrir pour faire en sorte que ces problèmes soient réglés de manière satisfaisante? Qu'est-ce qui vous permettrait de revenir dans un an environ et d'affirmer avec certitude que des progrès ont effectivement été réalisés?

Mme Ducharme : Un des gestes concrets qu'a faits notre organisme a été de négocier avec le Conseil du Trésor un programme d'apprentissage mixte dans le cadre de la négociation collective. Le programme met notamment l'accent sur un cours d'équité en matière d'emploi qui est donné conjointement aux gestionnaires et à nos membres. C'est là un exemple concret du travail que nous effectuons dans le milieu de travail en vue d'obtenir des changements.

Manifestement, nous ne sommes pas l'employeur, de sorte que ce n'est pas nous qui embauchons les nouveaux fonctionnaires. Toutefois, nous déployons tous les efforts en vue de nous assurer que les pratiques de l'employeur ne comportent pas de barrières et de mesures discriminatoires à l'égard des nouveaux venus dans la fonction publique. Nous avons ce soir fait des recommandations en vue de faire progresser l'équité en matière d'emploi de manière permanente au sein du noyau de la fonction publique. De plus, en tant que plus important syndicat du secteur public représentant des fonctionnaires fédéraux du Canada, notre organisme accorde la priorité à la formation sur l'équité en matière d'emploi.

Le sénateur Poy : Je vous remercie beaucoup de votre exposé.

J'aurais une question au sujet de l'initiative intitulée « Faire place au changement » et du ratio de un sur cinq. Je crois savoir qu'il s'agissait en fait d'un groupe consultatif qui n'existe plus depuis plusieurs années déjà. Pouvez-vous me préciser quand il a été aboli?

Mme Ducharme : Il s'agissait d'un groupe de travail subventionné qui a produit un rapport fort complet accompagné de recommandations. La plus importante était de se fixer comme objectif d'embaucher une personne sur cinq provenant de groupes raciaux visibles et d'allouer des fonds à cette initiative. J'essaie de me rappeler en quelle année le rapport est paru. Je sais que c'était après l'an 2000, mais je n'arrive pas à me rappeler si c'était en 2003. Je suis navrée.

Le sénateur Poy : Je sais que cela remonte à plusieurs années déjà.

Le rapport me semblait très sensé, parce que vous avez dit dans votre déclaration qu'en 2017, 20 p. 100 des Canadiens feront partie, pour reprendre vos propos, d'un groupe racial visible, soit une personne sur cinq. Même pendant qu'elle était en cours, l'initiative « Faire place au changement » n'avait pas vraiment le pouvoir de faire respecter l'objectif, et je ne suis pas sûre que, si elle était ressuscitée, elle aurait une influence à cet égard. Qu'en pensez- vous?

Mme Pilon : Vous avez raison de dire qu'il faut faire respecter davantage l'objectif. Nous reconnaissons que c'est un élément important. L'initiative était assortie de fonds, et il s'en est dégagé quelques bons programmes. Puis, l'initiative a été abolie et les fonds ont été perdus, ce qui représente un recul. La Commission de la fonction publique et le Conseil du Trésor ne nous ont donné aucun indice qu'ils s'intéressent à ressusciter l'initiative. Si c'était le cas, nous aurions certes quelques recommandations à faire quant à la façon dont elle pourrait être exécutée de manière efficace. C'est vrai que le non-respect des exigences d'équité en matière d'emploi est un problème particulier que nous avons fait ressortir dans notre mémoire. Malheureusement, la Commission canadienne des droits de la personne n'a pas les ressources requises pour faire respecter adéquatement la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Mme Ducharme : Dans le passé, nous avons abordé à divers niveaux du gouvernement la question de l'engagement pris par les cadres supérieurs en la matière et du fait qu'on n'en tient pas compte dans l'examen de leur rendement. Il faudrait qu'il y ait un prix à payer pour n'avoir pas assumé ses obligations en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Je n'ai jamais entendu parler d'un cadre supérieur qui n'a pas reçu sa prime au rendement parce qu'il n'avait pas atteint ses objectifs d'équité en matière d'emploi.

La présidente : J'ai une question. Vous affirmez vouloir revenir à l'objectif du un pour cinq, pour les groupes raciaux visibles. Appliquez-vous la même méthodologie au sein de l'Alliance de la Fonction publique?

Mme Ducharme : Il est très curieux que vous me posiez cette question puisqu'aujourd'hui et demain, le Comité mixte sur l'équité en matière d'emploi se réunit à Ottawa. Les représentants de divers groupes visés par l'équité en matière d'emploi, de même que des travailleurs gais, lesbiens, bisexuels et transgenres que nous reconnaissons également comme groupe visé, discuteront des processus de dotation et d'équité en matière d'emploi de notre organisation.

Nous comblons des postes et en désignons certains comme des nominations impératives aux fins de l'équité en matière d'emploi pour des groupes particuliers ou souhaitables aux fins de l'équité en matière d'emploi. Nous le faisons après avoir analysé la représentation dans le milieu de travail. Un bon exemple serait Vancouver, où les effectifs régionaux sont incroyablement variés tout comme la population de la ville. La représentation des travailleurs autochtones est plus forte dans certaines régions parce que les populations y sont grosso modo à prédominance autochtone. Bien que nous ne soyons pas visés par la Loi sur l'équité en matière d'emploi, nous essayons d'avoir une composition d'effectifs à l'image de nos membres qui vivent et travaillent dans tous les coins du Canada.

La présidente : Afin d'éviter que nos spectateurs ou des sénateurs croient que tout cela était orchestré, quand avez- vous adopté le modèle d'équité en matière d'emploi? Et puisque vous l'utilisez au sein même de votre organisme, estimez-vous toujours que c'est le meilleur?

Mme Ducharme : Je vais être tout à fait honnête avec vous. Le syndicat avait une pratique d'embauche proactive relativement à l'équité en matière d'emploi avant même que je devienne dirigeante syndicale en mai 2000. C'est un collègue de Vancouver qui a rédigé notre plan initial d'équité en matière d'emploi vers le début des années 1990, mais je ne pourrais pas vous fournir l'année précise.

La présidente : Nous avons épuisé le temps qui était alloué. Je vous remercie de votre patience et de votre contribution. Nous nous rencontrerons sûrement à nouveau. Si des renseignements nouveaux se dégagent de votre atelier ou si vous avez toute autre suggestion qui pourrait être utile concernant les quatre groupes visés, veuillez nous les transmettre.

Chers collègues, nous allons maintenant entendre un groupe de témoins dans le cadre d'une étude relative à un autre ordre de renvoi. Je parle de la surveillance de l'évolution des diverses questions ayant trait aux droits de la personne et de l'examen, entre autres choses, des mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne. L'étude porte plus particulièrement sur le Conseil des droits de l'homme et l'Examen périodique universel auquel le Canada a participé récemment. C'est un nouveau conseil, tout comme la procédure, et c'était la première fois que comparaissait le Canada. Nous savons que la procédure suivie tant au sein du conseil que pour la présentation canadienne pose problème à certains participants ou, du moins, à ceux qui souhaitent avoir des consultations avec le gouvernement. Nous poursuivons nos travaux afin de prodiguer les meilleurs conseils sur les processus, la procédure et les politiques dont devrait se doter le Canada à l'égard du conseil et, plus particulièrement, de l'Examen périodique universel.

Nous venons tout juste de déposer au Sénat notre recommandation voulant que, lorsque le Canada répond au conseil, il décrive également ce que sera le processus pour les quatre années à venir. Comme le savent les témoins, le Canada fera l'objet d'un examen tous les quatre ans, comme tous les autres pays. À cette fin, il doit suivre un processus qui comprend une consultation avec les membres de la société civile et d'autres intéressés. Nous avons demandé que le Canada soumette le processus bien à l'avance du prochain examen, dès maintenant en fait. Nous n'avons pas dit encore de quoi devrait tenir compte le processus ou de quoi il devrait avoir l'air. Nous demandons au gouvernement d'envisager la possibilité de l'annoncer très bientôt.

Donc, dans le cadre de cette étude complète, au sujet de laquelle nous espérons pouvoir faire rapport au cours des prochains mois, nous accueillons ce soir M. Akim Ade Larcher, directeur, Politique et recherches, de EGALE Canada et M. Eduardo Gonzalez-Cueva, directeur adjoint, Amériques, du Centre international pour la justice transitionnelle. Messieurs, je vous remercie d'avoir patienté. Le comité a pris du retard étant donné le grand nombre de questions à l'étude.

Quoi qu'il en soit, soyez les bienvenus. Nous allons vous entendre dans l'ordre dans lequel vous êtes nommés dans l'ordre du jour. Monsieur Larcher, si vous voulez bien nous faire votre déclaration, nous vous écoutons.

Akim Ade Larcher, directeur, Politique et recherches, EGALE Canada : Je vous remercie. En dépit de l'heure, je vais essayer de ne pas trop vous assommer.

Je tiens tout d'abord à remercier le Comité sénatorial permanent des droits de la personne d'avoir invité notre organisme à prendre part à cet important débat sur le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies et, plus particulièrement, sur l'examen périodique universel du Canada. EGALE Canada vous est reconnaissant de votre leadership et de votre appui indéfectible dans ce domaine, surtout de votre engagement soutenu à l'égard des organismes représentant la société civile comme le nôtre.

EGALE Canada est l'organisme canadien de promotion de l'égalité, de la justice, de la diversité et de l'éducation pour les lesbiennes, les gais, les bisexuels et les transgenres, un groupe mieux connu sous le sigle LGBT. Notre organisme compte des membres dans chaque province et territoire. Notre conseil d'administration est composé d'un homme et d'une femme élus pour représenter chacune des six régions du Canada. EGALE Canada est intervenu devant la Cour suprême du Canada dans tous les dossiers des droits des gais dont elle a été saisie.

Le 8 septembre 2008, EGALE a soumis au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies son rapport dans lequel il décrit l'état des droits de ses membres au Canada. Nous tenons à donner au comité l'assurance qu'avant de rédiger notre mémoire, nous avons communiqué avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et avec le ministère du Patrimoine canadien, qui ont semblé tous deux ignorer qui devrait prendre l'initiative à l'égard de l'Examen périodique universel.

Patrimoine Canada a envoyé le premier courriel à ce sujet le 8 août. Le ministère a donc mis trois semaines presque pour nous aviser que les consultations avec les organismes de la société civile auraient lieu beaucoup plus tard que l'échéance du 8 septembre, mais avant celle de décembre qui était fixée pour le dépôt du rapport national du Canada. Comme nous le savons tous, ces consultations se sont déroulées en janvier 2009, après que le rapport national eut été déposé auprès du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies.

Je tiens à rappeler au comité qu'aux termes du paragraphe 15(a) de la résolution 5/1 adoptée par le Conseil des droits de l'homme le 18 juin 2007, « Les États sont encouragés à procéder à des consultations de grande envergure au niveau national avec toutes les parties prenantes pour rassembler ces renseignements ».

À notre avis, on a eu amplement le temps de préparer et de mettre en place des mécanismes qui auraient permis un examen inclusif et transparent du dossier de respect des droits de l'homme au Canada de concert avec les organismes de la société civile. Le comité permanent est sûrement au courant que plusieurs groupes de la société civile sont insatisfaits du processus. Nous tenons à déclarer officiellement qu'EGALE Canada est encore plus préoccupé par le suivi et la mise en œuvre des recommandations acceptées.

Le Canada a la réputation et l'image d'un leader et d'un visionnaire dans son approche aux droits de la personne sur la scène internationale. Malheureusement, le leadership du gouvernement n'a pas été à la hauteur quand est venu le moment de consulter et de faire participer les organismes de la base qui travaillent à toute une gamme de problèmes au Canada.

De toute évidence, il y a actuellement d'importantes lacunes dans la façon dont les organismes de la société civile sont invités à participer. Il faut s'assurer qu'aux fins du processus qui suit l'examen, il y aura une amélioration et de la transparence, non seulement au niveau des consultations, mais également au niveau des décisions.

Les réunions qui ont eu lieu à Ottawa le 21 avril ont illustré le peu de cas que l'on fait des organismes de la société civile. Beaucoup étaient préoccupés par la date de l'événement et le manque de préavis suffisant et ils avaient des questions au sujet de la représentation dans la salle. EGALE Canada fait toujours bon accueil aux possibilités de dialoguer avec des représentants du gouvernement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et à Patrimoine Canada. Après l'Examen périodique universel, EGALE a constaté que le Canada n'a ni vision claire ni position précise au sujet des droits des LGBT au Canada ou sur la scène internationale.

Le Canada a des lois progressistes et il est vanté comme un des seuls pays au monde qui reconnaît les mariages entre personnes de même sexe. Toutefois, il n'a pas de position internationale sur la façon de partager ses pratiques exemplaires en la matière. Les ministères s'échangent le dossier des droits des LGBT comme s'il s'agissait d'une patate chaude. Il n'existe pas au Canada de données statistiques sur les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques des LGBT.

Il est plus important que jamais que, tout au long du processus, EGALE soit invité à participer et soit consulté. Le processus est censé assurer la transparence, la reddition de comptes et la libre information de toutes les parties prenantes. EGALE aimerait recommander que soit mise de l'avant une stratégie plus musclée visant à accroître la consultation de la société civile et des autres intéressés du processus de prise de décisions.

Le Canada a récemment déposé sa réponse au rapport du groupe de travail sur l'examen périodique universel du Canada. Toutefois, il n'est pas clair de quelle façon se fera la mise en œuvre.

Eduardo Gonzalez, directeur adjoint, Amériques, Centre international pour la justice transitionnelle : Je vous remercie. C'est pour moi un honneur de représenter mon organisme, le Centre international pour la justice transitionnelle, devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. L'engagement soutenu de votre comité dans l'étude de l'efficacité du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies et de ses instruments, particulièrement de l'Examen périodique universel, est une contribution marquée à la promotion et à la protection des droits de la personne tant au Canada qu'à l'étranger.

Mon organisme appuie l'idée que des États examinent l'héritage des violations systémiques ou massives des droits de l'homme commises dans le passé au moyen de politiques de justice transitionnelle. La justice transitionnelle affirme le droit qu'ont les personnes ou les groupes qui en sont victimes de connaître la vérité au sujet des circonstances qui ont entouré les atteintes à leurs droits, de porter des accusations contre ceux qui les ont commis et d'obtenir réparation intégrale.

Nous l'avons fait en facilitant la collecte internationale de données comparatives sur la recherche de la vérité et les réparations. Au Canada plus particulièrement, nous l'avons fait en contribuant au processus de réparation qui a suivi le régime d'assimilation forcée qu'ont représenté les pensionnats indiens. Nous avons activement entretenu des liens avec les intéressés et avec la Commission de vérité et de réconciliation.

Ce soir, je vais vous parler de l'expérience de mon organisme qui a participé en qualité d'observateur de la société civile à la quatrième session de l'examen périodique universel, dont a fait l'objet le Canada le matin du 3 février 2008. J'aimerais également porter à l'attention du comité les questions de fond soulevées lors de notre participation à l'EPU, lesquelles ont dominé les interventions des quelque 40 délégations qui ont posé des questions aux délégués canadiens et leur ont fait des recommandations.

Le centre a soumis un document à l'EPU sur le Canada en septembre 2008. Notre document comportait une analyse du processus de résolution du Canada quant aux sévices infligés dans les pensionnats pour les Autochtones. Notre document a été rendu public avant l'EPU, puisque nous l'avons affiché sur notre site web et l'avons transmis à nos partenaires œuvrant au Canada. Nos partenaires sont essentiellement des groupes de la société civile ainsi que des membres de la Commission de vérité et de réconciliation relative aux pensionnats indiens.

Notre texte a été incorporé au sommaire rédigé par le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme avant la séance d'examen visant le Canada du mois de février. J'ai moi-même assisté à la séance, accompagné de nombreux collègues d'autres organisations, durant laquelle nous avons rencontré des membres de la délégation canadienne menée par M. John Sims, sous-ministre de la Justice. J'ai entendu l'exposé de M. Sims et d'autres membres de la délégation et j'ai pu assister au dialogue entre la délégation canadienne et les représentants d'autres pays qui a eu lieu le 3 février.

L'examen portant sur le Canada a beaucoup intéressé les délégations, à la fois les groupes de travail et les observateurs. Soixante-huit pays ont demandé de prendre la parole pendant le dialogue interactif, mais seulement 45 ont pu le faire en raison du temps limité. La plupart des intervenants ont félicité le Canada de son bilan au chapitre des droits de la personne et de son leadership pour ce qui est de la promotion des droits de la personne. Cependant, ils ont souligné certaines préoccupations visant les peuples autochtones, notamment l'absence d'appui de la part du Canada à l'égard de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de l'ONU, ainsi que la violence faite aux femmes, la protection des immigrants et la discrimination raciale. De plus, on a également discuté des droits socioéconomiques, tels que la réduction de la pauvreté, l'inégalité économique, l'éducation, la santé et le logement.

Le rapport national soumis par le gouvernement décrivait les politiques et institutions canadiennes relativement aux droits de la personne. Le document expliquait en détail la structure fédérale de l'État, qui comportait des responsabilités partagées entre le gouvernement fédéral et les provinces. Aux yeux de la délégation, cela expliquait le processus élaboré et parfois lent de consultation nécessaire avant la ratification des traités relativement aux droits de la personne. Le rapport passait également en revue les défis ainsi que les politiques correspondantes dans les domaines tels que les questions propres aux Autochtones, la sécurité nationale, les soins de santé, le logement, l'éducation, les droits des femmes et l'immigration.

La compilation rédigée par le haut commissariat portait sur bon nombre de ces questions, notamment l'absence de procédure rapide pour régler les revendications territoriales, laquelle donne lieu à des tensions avec les peuples autochtones. Le document soulignait également les problèmes liés à l'itinérance ainsi que les allégations de discrimination à l'égard des immigrants.

Les soumissions des intervenants ont surtout porté sur trois questions, à savoir des préoccupations à l'égard des violations commises en vertu de politiques antiterroristes, les violences commises à l'égard des femmes, notamment les femmes autochtones, et la situation généralement défavorisée des Autochtones ainsi que l'écart au chapitre des droits de la personne entre les Autochtones et les non-Autochtones. La soumission de notre centre, résumé par le haut commissariat, comportait des recommandations spécifiques concernant la Commission de la vérité et de la réconciliation relatives aux pensionnats indiens, insistant sur sa pleine autonomie et sa capacité de répondre aux besoins des survivants au chapitre de la guérison et de la reconnaissance.

La présidente : Pardon, monsieur Gonzalez, nous avons votre rapport, qui est très long. Nous vous demandons de souligner les faits saillants, car nous avons déjà votre rapport exhaustif. Nous aimerions pouvoir vous poser des questions et, pour être juste à l'égard des autres témoins, nous aimerions savoir s'il y a des faits saillants que vous voulez faire ressortir, vu que nous avons déjà le rapport. Je ne veux pas vous interrompre, mais nous souhaitons entretenir un dialogue utile avec vous.

M. Gonzalez : Merci beaucoup, sénateur Andreychuk. Je ne connais pas la procédure suivie par le comité. Permettez-moi de mettre l'accent sur les questions qui pourraient mener à des discussions intéressantes.

D'après ce que je comprends, votre étude sur l'examen périodique universel cherche à établir si l'examen est efficace et s'il fonctionne bien. Mon texte est effectivement long, parce que j'ai voulu effectuer ce que nous, les sociologues, appelons une observation active de la question. C'est essentiellement une étude ethnographique de l'EPU. Si vous me demandez si l'EPU, qui comporte un dialogue interactif, fonctionne bien, je vous répondrai sans hésitation aucune « Oui, mais... ».

Il faut tenir compte de nombreuses questions. L'examen périodique universel est fondé sur deux suppositions. Tout d'abord, que les renseignements, sur lesquels porte la discussion, sont suffisants et exacts, c'est-à-dire les renseignements fournis par l'État et résumés par le haut commissariat et les autres intervenants, soit les organisations de la société civile. Deuxièmement, qu'il y a suffisamment de confiance de part et d'autre pour que les intervenants puissent participer de façon juste au dialogue interactif.

Dans le cas du Canada, les deux suppositions s'avèrent vraies dans l'ensemble. On peut s'attendre à ce que le gouvernement comprenne la nature sérieuse de son exposé présenté à la communauté internationale, et à ce que les domaines qui ne sont pas couverts par le gouvernement le soient par les organisations de la société civile ou les observateurs, tels que mon organisation, qui élaborent des critiques ciblées et bien fondées. On peut également s'attendre à ce que les pairs du gouvernement canadien qui sont présents à l'EPU lisent les documents, écoutent la discussion et posent des questions à la délégation sans crainte de représailles politiques. J'ai observé de nombreux autres exposés pendant la même semaine. Je ne fournirai pas de noms, parce que je n'ai pas pris de notes sur les exposés autres que celui du Canada, mais, de toute évidence, la situation du Canada n'est pas représentative de celle d'autres pays.

Tout d'abord, certains pays ne présentent pas tous les renseignements dans leurs exposés. Il y a certains pays où les organisations de la société civile ignorent même l'existence de l'EPU et ne savent pas qu'elles peuvent y participer. D'autres connaissent bien l'EPU et souhaitent y participer, mais ne sont pas en mesure de le faire.

Il est possible, dans le cas de gouvernements qui ne souhaitent pas forcément participer à une discussion approfondie et étendue, de détourner les règles régissant la procédure. Une façon simple, c'est de mobiliser un bloc de pays. Si on veut étouffer toute question épineuse qui serait posée par des intervenants, on demande à ses amis, à ses partenaires et à ses collègues dans un bloc de se mobiliser pour prendre la parole. Ainsi, à 6 heures du matin, devant le bureau du greffier du haut commissariat, on peut retrouver une longue queue d'employés subordonnés des diverses missions d'un bloc particulier qui attendent pour s'inscrire et ainsi avoir préséance sur la liste de délégations qui doivent participer au débat.

Par conséquent, les délégations qui souhaitaient poser des questions pointues, mais qui n'étaient pas suffisamment matinales ne sont pas représentées. Le débat ne dure que trois heures, et ce ne sont pas toutes des délégations qui pourront y participer. Dans le cas du Canada, 63 pays ont voulu prendre la parole. Ces pays ont dû se contenter d'interventions très rapides, se dispensant même des formules les plus élémentaires de la politesse diplomate afin de profiter de leurs cinq minutes. Il a été néanmoins impossible d'accorder un temps de parole à toutes les délégations. Si un pays est en mesure de mobiliser les subordonnés de 40 missions de pays amis, il peut être sûr d'être ménagé.

Il y a deux extrêmes. Une personne cynique pourrait dire qu'il y a là des problèmes, car, d'une part, l'EPU n'est pas entièrement nécessaire dans le cas de pays comme le Canada, qui, après tout, compte des procédures démocratiques internes pour critiquer l'état des choses et, d'autre part, car l'EPU est peut-être déjà trop faible dans le cas de pays complètement dictatoriaux qui se moquent de ce type de questions. Il reste à savoir ce qui se passe dans le cas des pays qui constituent la majorité, c'est-à-dire les pays au milieu de ces deux extrêmes.

À la lecture des deux rapports de ce comité sénatorial, j'ai cru comprendre que les préoccupations quant à l'efficacité du CDHNU et de l'EPU ne devraient pas toucher nécessairement les pôles extrêmes de la courbe, mais, dans la majorité des cas, la portion la plus significative d'un point de vue statistique. Désolé pour le jargon de sociologue. Il est manifeste que tous les pays, tant les démocraties bien établies que ceux qui traînent de l'arrière à ce chapitre, ont la situation à cœur et comprennent bien l'importance de poser les bonnes questions.

L'Examen périodique universel est un mécanisme qui ne manque pas d'avantages, mais son efficacité repose essentiellement sur la clarté et l'équité des procédures et la capacité pour tous les participants de mettre en œuvre les processus nécessaires dans ce contexte. C'est dans cette optique que mon collègue a fait valoir à juste titre que le processus sera d'autant plus efficace si les règles sont suffisamment strictes. Il ne suffit pas de suggérer des mesures; il faut plutôt obliger les pays à procéder en temps utile à des consultations approfondies.

Nous constatons que même dans un pays aussi avancé que le Canada, de nombreux points faibles n'ont été admis que tardivement au processus de consultation —il faut dire, en toute équité, que c'est le fait de la délégation canadienne. Si un pays dans la situation du Canada invoque des excuses semblables, vous pouvez être assurés que les autres états n'hésiteront pas à en faire autant.

J'aimerais terminer en vous faisant part d'une dernière observation. Dans le cas du Canada, il est ressorti très clairement que les dossiers autochtones suscitaient beaucoup d'intérêt. Je dirais que 50 p. 100 des questions portaient sur ces considérations.

Nous avons aussi pu constater que la plupart des délégations ne connaissaient pas le système de résolution des questions des pensionnats indiens ni même l'existence de la Commission de vérité et de réconciliation. Nous avons formulé différentes recommandations à cet égard dans le mémoire que nous avons soumis aux fins de l'EPU. Vous les trouverez dans le document que je vous ai remis. Très modestement, j'ose me permettre de vous en faire la suggestion comme sujet d'étude éventuel.

On ne peut pas se contenter d'une analyse de la situation présente pour bien comprendre toutes les questions touchant les droits de la personne, l'insuffisance des progrès en la matière et la discrimination. Il convient de remonter jusqu'aux racines de cette problématique, d'en refaire la genèse. Il faut reconnaître et prendre en compte cette nécessité de jeter un regard rétrospectif sur l'origine de ces injustices systémiques.

Nous savons tous maintenant que la Commission de vérité et de réconciliation débutera ses travaux après une année d'une crise fort regrettable. Nous espérons que le Canada pourra faire rapport à ce sujet à l'occasion du prochain EPU.

La présidente : J'ai une liste d'intervenants et il nous reste très peu de temps. Nous sommes un peu dans la même situation que le Conseil des droits de l'homme avec ses files d'attente à six heures du matin, mais je veux m'assurer de donner la parole à tous les sénateurs, et pas seulement aux premiers arrivés. C'est tout le système qui est ainsi congestionné.

Le sénateur Nancy Ruth : Monsieur Larcher, vous indiquez dans votre mémoire que de sérieux problèmes ont entravé la mobilisation des organisations de la société civile. Vous parlez des rencontres de consultation et du processus décisionnel. Si vous aviez une baguette magique pour apporter les correctifs nécessaires, comment les choses se passeraient-elles? Quel serait l'idéal pour vous du point de vue de la consultation —avant, après et en permanence — de la participation à la prise de décisions et de la responsabilisation du ministère de la Justice?

M. Larcher : Je ne sais pas exactement comment je m'y prendrais, mais dans la perspective de la mobilisation, je peux vous dire que nous n'étions même pas au fait de l'existence du processus d'EPU à compter de 2007. Lorsque la délégation canadienne a appris la mise en œuvre du processus par le Conseil des droits de l'homme, l'information n'a pas été transmise aux membres de la société civile.

Nous avons eu un mois pour nous préparer lorsque nos partenaires internationaux nous ont indiqué que le Canada allait faire l'objet d'un Examen périodique universel.

Je m'interroge quant à l'existence d'une liste accessible des membres de la société civile s'intéressant à différents dossiers, quant au cheminement des communications à l'intérieur des ministères et quant aux membres de la société civile qui sont effectivement mobilisés aux fins de ce processus. Il y a assurément un manque de communication, tant du point de vue horizontal que vertical, et c'est l'une des principales lacunes à combler.

Il y a également lieu de se préoccuper d'un manque de compréhension quant à la forme que peuvent prendre les organisations de la société civile. On ne sait pas trop quels sont nos moyens d'action, si nous sommes de grande ou de petite taille et différentes choses semblables. Lorsque vous me donnez un préavis d'un mois pour participer à une réunion, vous me compliquez vraiment la tâche si je n'ai qu'un employé à mon effectif. Dans ce contexte, la participation à des réunions et des consultations n'est pas très profitable compte tenu des délais insuffisants. Il devient alors très difficile de rassembler le nécessaire et de partir sans préparation. C'est une autre préoccupation à prendre en compte.

Je voudrais également parler, comme mon collègue l'a fait précédemment, du manque de confiance systémique envers les membres de la société civile et des difficultés qui en découlent quand vient le temps de travailler en collaboration avec nous. Ce phénomène que l'on constate tant au sein des Nations Unies que dans l'ensemble du processus d'EPU avec les ministères canadiens est manifeste dans le cas qui nous intéresse. Aux fins du processus d'EPU, les membres de la société civile n'ont que peu de moyens pour faire pression auprès des autres gouvernements, soulever des questions ou formuler des recommandations. Compte tenu des coûts à engager pour participer au processus, les organisations de petite taille doivent y renoncer. Elles n'ont pas accès au financement nécessaire à cette fin.

Lorsque nous nous sommes adressés au ministère des Affaires étrangères, à l'ACDI et à Patrimoine canadien pour savoir comment EGALE pourrait participer à la quatrième session — comment nous pourrions être présents pour appuyer le Canada tout en formulant nos recommandations — personne n'a pu nous répondre. À toutes fins utiles, on nous a dit de nous débrouiller. Ces organisations étaient là pour représenter leur gouvernement. Si nous voulions participer en tant que membres de la société civile, il fallait que nous trouvions nous-mêmes les ressources nécessaires.

Il convient donc que cette attitude de méfiance s'estompe pour qu'on nous considère plutôt comme des partenaires. Cela fait sans doute partie des choses que je voudrais voir changer.

Le sénateur Nancy Ruth : EGALE a différentes revendications. Vous préconisez notamment la formation des juges des tribunaux d'immigration et de revendication du statut de réfugié. Je sais également que vous souhaiteriez être en mesure d'exercer une plus grande influence sur le ministère des Affaires étrangères ou l'ACDI quant aux actions entreprises par le Canada auprès de pays comme la Jamaïque, où les droits des GLBT sont grandement mis à mal. Avez-vous pu profiter de mécanismes découlant du processus d'EPU, ou de conseils reçus d'autres ONG, quant à la façon d'influer sur les politiques gouvernementales dans les dossiers qui vous préoccupent?

M. Larcher : Lorsqu'on s'adresse au ministère des Affaires étrangères et à l'ACDI, c'est comme si la main gauche était en brouille avec la main droite. Ce sont des problèmes qui touchent la communauté GLBT, surtout à l'échelle internationale. Le Canada n'a cessé de se prononcer très clairement en faveur d'une reprise de son engagement auprès des pays d'Amérique. Dans une vaste majorité de ces pays, les relations entre personnes de même sexe sont criminalisées, et l'homophobie et la transphobie sont monnaie courante. Des gens paient cette intolérance de leur vie.

La question a été soulevée auprès du ministère des Affaires étrangères avant le sommet de l'Organisation des États américains et personne ne savait exactement quelle était la position du Canada. Nous avons d'ailleurs posé la question lors d'une rencontre organisée et dans nos consultations auprès de personnes s'intéressant aux différents enjeux en cause. Comment envisageons-nous la collaboration avec des pays ayant aussi mauvaise réputation et comment allons- nous faire valoir nos pratiques les plus efficaces? Personne n'avait les réponses.

Les gens du ministère nous ont pour ainsi dire répondu que nous devrions nous adresser à l'ACDI. C'était un peu le jeu de la patate chaude. Je ne crois pas qu'il y ait vraiment de réponse. Voilà plus de deux mois que nous leur avons parlé et nous attendons toujours. On nous a dit qu'on allait nous mettre en contact avec la personne désignée, celle qui détient l'enveloppe pour cette division, pour faire avancer ce dossier, mais nous sommes toujours dans l'expectative.

Il y a un manque de continuité. De nombreux ministres ont défilé récemment aux commandes des Affaires étrangères. Il y a des choses qu'il convient d'éclaircir relativement à ce ministère et à notre réputation internationale. Ces lacunes sont assurément beaucoup plus flagrantes lorsqu'on s'intéresse aux questions touchant les GLBT. J'espère avoir répondu à vos questions.

Le sénateur Jaffer : Le sénateur Nancy Ruth m'a un peu coupé l'herbe sous le pied avec sa question. Je vais continuer dans le même sens sans nécessairement m'attendre à une réponse immédiatement. Que suggéreriez-vous pour que le processus fonctionne vraiment au mieux à la prochaine occasion — et c'est également ce que nous cherchons à déterminer? Vous pourrez nous répondre à ce sujet ultérieurement.

M. Larcher : Brièvement, il y a environ deux mois, la Commission canadienne des droits de la personne nous a consultés pour l'élaboration d'une fiche de rendement nationale, d'un prototype. Je ne sais pas si les membres du comité sont au courant.

Dans les consultations, les gens de la commission ont mentionné que cela faciliterait l'EPU. En gros, il s'agit d'établir le bilan national du Canada au chapitre des droits de la personne, en fonction des catégories protégées par la Loi sur les droits de la personne et de divers facteurs économiques et sociaux.

Ce pourrait être utile pour les enjeux propres au genre, à la race ou aux Autochtones. Le problème, pour l'orientation sexuelle, c'est que Statistique Canada ne vérifie que si les gens sont mariés. Pour ce qui est des séparations ou d'établir le portrait de gens comme moi, qui ai émigré de Sainte-Lucie et qui vit dorénavant ici comme personne homosexuelle, le statut socioéconomique ou politique n'est pas consigné. C'est la principale difficulté, nous ne le connaissons pas.

Pour la création d'un prototype, il faut surtout décider comment nous allons brosser un portrait national, provincial ou international. Tout dépend de la collecte de données. C'est le principal enjeu à nos yeux. Il doit aussi y avoir des consultations avec tous les groupes possibles afin de déterminer comment consigner les abus ou les violations de droits. Nous verrons ensuite à partir de là.

Le sénateur Jaffer : C'est très éclairant. Monsieur Gonzalez, vous m'apportez une perspective que je n'avais pas. Je n'ai pas de question pour vous parce que vous avez déjà répondu à nos questions. Nous allons certainement lire la documentation que vous nous avez remise et ce que vous avez dit dans le rapport.

Le sénateur Poy : Monsieur Gonzalez, je n'ai pas de formation en droit, donc je suis peut-être le seul sénateur ici qui ne comprends pas vraiment en quoi consiste la justice transitionnelle. Pouvez-vous la définir, s'il vous plaît? Quel ordre de gouvernement s'en occupe? Est-ce une responsabilité qui incombe à chaque gouvernement? Vous avez mentionné le processus de vérité et de réconciliation relatif aux pensionnats indiens, la violence faite aux femmes et le traitement des minorités ainsi que des Autochtones. J'aimerais savoir ce que cela comprend.

M. Gonzalez : Je vous remercie de me donner l'occasion de vous présenter ce domaine bien nouveau de la protection des droits de la personne.

Justice transitionnelle est le nom générique donné à diverses politiques fondées sur trois droits universellement reconnus pour aider les victimes de graves violations des droits de la personne. Ces trois droits sont les suivants. Premièrement, le droit à la vérité, un droit reconnu par le Conseil des droits de l'homme depuis 2005. Il s'agit du droit des victimes de connaître les circonstances d'une violation donnée, les raisons qui l'expliquent, l'endroit où se trouvent les victimes, le destin de ceux qui sont disparus, et cetera. Deuxièmement, il y a le droit d'exiger justice. Il s'agit du droit de veiller à ce que personne ne jouisse de l'impunité dans les cas d'atrocités de masse comme les crimes contre l'humanité ou les génocides. Troisièmement, il y a le droit en principe de permettre à la victime de retrouver la situation dans laquelle elle se trouvait avant la violation. Ce sont les trois droits qui ressortent à l'échelle internationale comme les droits minimums des victimes d'atrocités de masse.

De plus, il est reconnu que les gouvernements ont l'obligation de mettre en place certaines structures institutionnelles afin de prévenir la récurrence de violation. À quoi bon créer une commission de vérité et exposer un crime au grand jour si l'on ne réforme pas l'institution qui l'a commis? La réforme des institutions abusives comme les forces de sécurité, la dissolution de services de renseignements abusifs et la réforme d'un appareil judiciaire abusif sont autant d'exemples de mesures de justice transitionnelle.

Le traitement des abus commis dans le passé est compliqué. Certains dirigeants peuvent craindre que le fait d'exposer des abus récents compromette leur pouvoir de réaliser leurs objectifs et de créer des alliances au-delà des divergences d'opinions, comme on dit aux États-Unis. En même temps, il est très dangereux de perdre de la légitimité morale si l'on ne s'attaque pas à ces problèmes. Beaucoup de pays en transition vers la démocratie voient leurs nouveaux dirigeants démocratiques élus faire bien des compromis pour ce qui est du traitement du passé. Le cas échéant, la démocratie naissante qui a émergé avec tant de difficulté prend des allures de l'ancien régime.

Qu'a fait l'Afrique du Sud après le régime de l'apartheid? Comment les pays de ma région, l'Amérique latine, abordent-ils l'héritage des dictatures militaires? S'il y a une transition au Zimbabwe ou au Myanmar, que faudrait-il faire? C'est le genre de questions qu'on aborde sous l'angle de la justice transitionnelle.

[Français]

Le sénateur Pépin : Les membres du Conseil des droits de l'homme et les membres de la société civile ont fait de nombreuses recommandations au Canada durant le processus de l'EPU. Quelles sont les recommandations les plus importantes qui ont été faites et comment le Canada devrait-il répondre à ces recommandations?

M. Gonzalez : Il y avait beaucoup de recommandations très importantes, particulièrement dans le processus de création de politiques et de mesures concrètes. Cependant, je voudrais me concentrer sur une recommandation. C'était très intéressant, particulièrement pour la question des peuples autochtones, c'est-à-dire la recommandation massive de la société civile et des autres délégations pour le Canada d'accepter la Déclaration des droits des peuples autochtones. La délégation du Canada a reçu de très fortes critiques sur le fait que le Canada avait soutenu le processus de négociation d'une telle déclaration, mais suite au changement de gouvernement, la délégation canadienne avait fait volte-face de façon radicale. Donc il y avait une recommandation très concrète dans ce cas.

Le sénateur Pépin : Le rapport de l'EPU fait ressortir que le Canada n'a pas ratifié ni entériné un certain nombre de traités internationaux. Quels sont ceux que le Canada devrait considérer comme prioritaires?

M. Gonzalez : J'ai fait une liste complète des traités spécifiques qui ont été mentionnés pendant l'EPU. Un des traités les plus intéressants est le traité 169 de l'Organisation internationale du travail. Ce traité se concentre sur la question de la consultation systématique avec les peuples autochtones sur toutes les questions qui pourraient les affecter, par exemple leurs territoires, leurs droits, leurs coutumes et leur capacité d'autonomie significative. Le Canada n'a pas signé ce traité international. L'explication qui a été donnée par la délégation était que pour le Canada, il y a une obligation légale de trouver un équilibre entre les droits des populations autochtones et ceux des populations non autochtones, c'est-à-dire les droits de tous les autres Canadiens. Aussi, que le gouvernement a la responsabilité de faire une analyse de cet équilibre avant de se joindre à un tel traité.

[Traduction]

La présidente : J'aimerais remercier M. Larcher et M. Gonzalez de leur participation au débat. Nous avons entendu de nombreux témoins à ce sujet, mais vous nous avez tous les deux présenté la question sous un angle différent et vous nous avez fait des propositions, ce qui est extrêmement utile.

Je pense que nous serons tous d'accord pour dire que nous retirons beaucoup du premier processus d'EPU. Nous allons rester à l'affût pour voir si la première année ne fera que réveiller des douleurs ou si elle permettra d'assainir les institutions. Si vous avez quoi que ce soit à nous transmettre, non seulement à l'intention du gouvernement du Canada, mais aussi à l'intention du Conseil des droits de l'homme, pour améliorer les façons de faire, nous vous en serions très reconnaissants.

Un an avant le début de l'examen périodique universel, on nous avait dit que le Canada serait appelé à y participer en novembre prochain. Pendant que tout le reste suivait son cours ici, à Ottawa, nous avons appris que c'était en février. Nous aurons à tirer des leçons de nos expériences. J'espère qu'à l'avenir, le processus va s'améliorer pour les personnes qui ont besoin de s'en prévaloir, c'est-à-dire ceux et celles dont les droits ont été violés ou n'ont pas été respectés complètement, au Canada comme ailleurs.

Je vous remercie de faire connaître la perspective canadienne sur la scène internationale et vice-versa. C'est très utile. Je vous remercie de votre patience pendant que nous vous avons fait attendre.

Nous allons maintenant inviter les témoins à disposer puisque les sénateurs vont poursuivre leurs délibérations à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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