Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 5 octobre 2009
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 14 h 7 pour examiner la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, en particulier dans le but de comprendre l'ampleur et la prévalence du problème de l'exploitation sexuelle des enfants dans notre pays et dans les communautés particulièrement touchées.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous avons le quorum et pouvons donc commencer.
J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue au comité à un nouveau membre, le sénateur Demers. Bienvenue, et vous êtes prié de nous le faire savoir s'il y avait quoi que ce soit que nous puissions faire pour vous aider. Nous avons entamé notre étude et je suis certaine que vous pourrez nous rattraper et y contribuer au fur et à mesure de notre travail.
Je constate également que s'est jointe à nous le sénateur Pearson, qui était vice-présidente du comité lors de son étude de la Convention relative aux droits de l'enfant et d'autres questions. Je la remercie de sa présence. Elle est en tout temps un fervent défenseur du Sénat et de la cause des enfants.
Notre premier groupe de témoins réunit des particuliers et des représentants d'organisations, et je vais vous les présenter dans l'ordre dans lequel leurs noms apparaissent sur la liste que j'ai devant moi : Mme Kathleen McHugh, présidente, Conseil des femmes, Assemblée des Premières Nations; Mme Kathy Vandergrift, présidente, Coalition canadienne pour les droits des enfants; Mme Sarah Hunt, qui comparaît à titre personnel; et Mme Erin Wolski, directrice de la santé, Association des femmes autochtones du Canada.
Bienvenue à vous toutes. Je crois comprendre que c'est Mme Wolski qui va faire le premier exposé. Je vous demanderais à toutes de vous en tenir à de brèves déclarations afin qu'il nous reste du temps pour des questions.
Erin Wolski, directrice de la santé, Association des femmes autochtones du Canada : Merci. Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui.
Je suis originaire du territoire visé par le Traité 9, situé dans le Nord de l'Ontario, et je suis née et j'ai grandi à Chapleau, en Ontario. Je tiens également à souligner que l'endroit où nous nous trouvons présentement assis fait partie du territoire algonquin.
Je remercie le comité de s'intéresser à la question qui nous occupe et de nous avoir invitées à venir comparaître devant lui. En tant qu'organisation de femmes autochtones, l'AFAC promeut depuis longtemps les droits des enfants. Nous croyons que notre capacité de protéger et d'entourer de soins les enfants est un reflet de ce que nous sommes en tant que société.
Nos enfants ont, comme tout autre segment de la population, des droits. Les enfants sont eux aussi des êtres humains. Le principe de l'enfant d'abord, d'après le principe de Jordan, est la perspective selon laquelle toutes les questions devraient être abordées.
Nous offrons nos sincères remerciements au sénateur Dallaire, au sénateur Pearson et à d'autres comme eux pour leur travail infatigable en vue de mettre en relief cette question. L'AFAC s'estime honorée et privilégiée d'avoir participé au comité sénatorial au cours des quelques dernières années.
Les remarques que nous allons vous livrer ici aujourd'hui ont pour objet de servir une fin, et une fin seulement : avoir un effet sur chacun d'entre vous, le genre d'effet qui vous poussera à adopter comme mission personnelle de protéger nos enfants contre les prédateurs sexuels.
La question est bien trop importante pour que nous prononcions des remarques conventionnelles et prévisibles. Il existe un volume écrasant d'information étayant la très grande vulnérabilité qui existe parmi les Autochtones de sexe féminin au Canada. Je vous invite également à consulter le feuillet d'information que je vous ai fait distribuer. Je vous encourage à puiser dans les renseignements s'y trouvant dans le cadre de vos délibérations.
J'aimerais cependant pour l'heure vous raconter une histoire. C'est une histoire vraie. C'est l'histoire d'une bonne amie et collègue à moi, Donna. Donna est une solide et fière femme autochtone. Elle est un défenseur des femmes et des enfants autochtones et une professionnelle de la santé exemplaire. Elle a réussi à élever seule cinq enfants. Elle est très respectueuse des valeurs et enseignements traditionnels qui sont les siens et est profondément spirituelle, mais sa vie n'a pas toujours été très rose.
Donna a grandi dans une réserve située non loin de plusieurs centres urbains. Lorsqu'elle avait 10 ans, son père est mort tragiquement dans un accident de voiture, laissant dans le deuil une jeune veuve et six enfants. Peu après, souffrant de solitude et de désespoir alors qu'elle s'efforçait de subvenir seule à ses besoins et à ceux de ses six enfants, la mère de Donna s'est liée avec un autre homme autochtone de la même communauté. Cet homme s'était émancipé plusieurs années avant de rencontrer la mère de Donna.
Cet homme désapprouvait le fait que les membres de la famille de Donna s'adonnent à des pratiques traditionnelles et parlent le mohawk, leur langue maternelle. Il a réussi à couper les liens que Donna et sa famille avaient eus avec leur communauté, leur culture et leurs systèmes de soutien.
Alors que Donna avait 11 ans, son beau-père a commencé à se rendre chaque soir dans sa chambre pour la molester alors qu'elle dormait. Un soir, Donna s'est réveillée pour constater que son beau-père lui faisait des attouchements. Donna, dans un état de choc, avait été incapable de bouger, d'ouvrir ses yeux ou de crier. Une fois que le beau-père eut terminé, il a laissé un billet de 10 $ sur la table de nuit.
Cela a continué pendant des mois et, à chaque fois, les choses allaient plus loin. Lorsque Donna a eu 12 ans, son beau-père l'a pénétrée. Il a ensuite menacé de lui fendre le vagin avec un couteau et de tuer ses frères et sœurs pendant qu'elle regardait si elle en parlait à qui que ce soit. Vivant dans la peur et l'isolement, Donna s'est tue. À 14 ans, elle s'est enfuie chez une tante qui vivait non loin de chez elle. Lorsque sa mère l'a trouvée, Donna s'est effondrée et lui a tout raconté. Au lieu de l'appuyer, la mère de Donna est devenue furieuse, disant d'elle qu'elle était une traînée. Elle a accusé sa fille d'avoir séduit son mari et de l'avoir entraîné dans une sale et sordide liaison. Donna est retournée chez elle à contre-cœur. L'abus sexuel a continué.
Lorsqu'elle est tombée enceinte plus tard dans l'année, elle s'est confiée à un conseiller d'orientation de l'école secondaire. Au lieu d'appuyer Donna, le conseiller a téléphoné à sa mère. La mère de Donna a tout nié, prétendant que Donna avait l'imagination fertile et qu'elle inventait des histoires par jalousie et pour attirer l'attention sur elle. Lorsque Donna s'est rendue à la police avec sa plainte, elle s'est fait traiter avec condescendance par des policiers- éducateurs, qui l'ont comparée à d'autres filles de sa communauté qui n'étaient rien de plus qu'une bande de petites putains.
Donna a accouché seule de sa petite fille. Elle a fait de son mieux pour être une bonne mère pour elle, mais elle n'avait que peu de possibilités, sans ressources et sans soutien familial. Elle s'est ainsi vue obligée de confier temporairement sa fille à la société d'aide à l'enfance. Elle savait qu'elle ne pourrait jamais retourner chez elle.
C'est alors qu'elle a décidé de monter à bord d'un autobus Greyhound et de partir pour la ville. À son arrivée, elle a été étonnée de voir rassemblés au terminus d'autobus plusieurs hommes très bien habillés. Elle avait tout de suite été ciblée, séduite par des mots flatteurs et des promesses de richesse, de beaux vêtements, de bijoux, de fourrures et d'un mode de vie dont elle n'avait entendu parler que dans les livres.
Au début, il y avait eu des expéditions de magasinage, de bons restaurants et des sorties. Elle vivait le luxe de porter un manteau de fourrure et de se promener en ville aux côtés d'un homme bien habillé dans une Cadillac. Puis est venu le moment de devoir rembourser. Donna ne savait pas que son nouveau style de vie avait un prix. Donna s'est vue acculée à la prostitution pour pouvoir rembourser sa dette. Au début, on l'a installée avec une clientèle établie et des rendez-vous pré-arrangés.
Mais plus tard, on l'a envoyée dans la rue. On exigeait d'elle qu'elle fasse des passes dans des voitures, des ruelles, et des chambres d'hôtel louées 20 $ de l'heure. Son quota était de 300 $ la nuit. Si elle n'atteignait pas ce quota, alors on la battait et on lui révoquait certains de ses privilèges.
Par une nuit froide de janvier, Donna s'est fait ramasser par un client qui l'a agressée, la battue, la volée et lui a pris ses chaussures, la laissant en sang sur le bas-côté de la route. Elle a, on ne sait trop comment, réussi à rentrer, pour n'être accueillie que par son mac fâché qu'elle n'ait pas atteint son quota ce soir-là. Désespérée, elle a tenté de s'enlever la vie.
Du fond de son désespoir, Donna a fait un rêve dans lequel sa grand-mère est venue lui porter un message, soit que la vie qu'elle menait n'était pas pour elle. Elle se souvient aujourd'hui encore du détail de ce rêve. Sa grand-mère l'avait prise par la main et l'avait lavée avec l'eau d'un ruisseau, lui parlant doucement dans sa langue maternelle. Sa grand- mère avait employé des termes que l'on murmure normalement à un enfant lorsqu'il ou elle est introduit dans le monde.
Ce rêve a été le déclencheur d'un nouveau départ pour Donna. Elle a trouvé le courage de fuir son souteneur. Pendant des années après, cependant, elle a vécu dans la crainte qu'il la retrouve et qu'il la tue. Donna a cherché à prendre un nouveau départ dans une autre ville, où elle est retournée à l'école. Avec sa force nouvellement trouvée, elle est même retournée voir sa mère, mais non pas pour une réconciliation. Elle y est retournée pour sauver sa sœur et son frère cadets, tous deux victimes de son beau-père pédophile.
Sa tentative s'est cependant soldée par un sérieux tabassage. L'incident lui a valu trois côtes cassées, une fracture du crâne et la mâchoire et le nez cassés. Contrairement à la réaction passée de la police lorsque Donna y avait recouru, cette fois, on l'a écoutée et des accusations ont été portées contre le beau-père. On l'a condamné à une peine d'incarcération de cinq ans avec sursis, avec une piètre année de probation. Sa mère ne l'a jamais pardonnée pour ce qu'elle a fait ce jour-là.
Ayant surmonté encore un autre obstacle, Donna s'est alors attachée à récupérer sa fille. Les choses ont pendant un temps semblé bien aller. Donna faisait des études, sa petite fille était à ses côtés, elle vivait en couple et elle avait enfin certains espoirs pour l'avenir.
Décidée qu'elle était à veiller à ce que ses enfants ne vivent jamais ce qu'elle avait vécu, elle est devenue très protectrice. Sa fille, ne comprenant peut-être pas les motifs de Donna, s'est rebellée. En dépit du milieu familial aimant et chaleureux que Donna avait créé pour ses enfants, sa fille a commencé à consommer des drogues. Après un temps, la fille ne pouvait plus faire demi-tour; elle avait plongé trop loin.
Les pires craintes de Donna se sont vite concrétisées. Avec une dette de drogue à rembourser, la fille de Donna avait été vendue par son fournisseur à un réseau de prostitution montréalais. Donna s'est rendue au service de police local pour déclarer sa fille disparue pour se faire dire : « Elle est une fugueuse; nous voyons des milliers de cas du genre chaque année. Si vous ne pouvez pas la trouver, c'est qu'elle ne veut pas que vous la trouviez ».
Donna a une nouvelle fois été déçue par un système dont elle pensait qu'il avait pour objet d'aider et de protéger. Déterminée qu'elle était, Donna savait qu'il lui faudrait retrouver elle-même sa fille. Elle a fait imprimer des affiches et très vite les secteurs du pays connus pour la prostitution et le trafic de drogue étaient tapissés de photos de son visage. Elle a envoyé des affiches aux détachements de la police provinciale et à la GRC, et des mois ont passé, sans la moindre nouvelle.
Pensant que sa fille avait peut-être été emmenée à l'extérieur du pays, elle a contacté les commissions des ponts canado-américains ainsi que les services canadiens des douanes et de l'immigration et a fait distribuer des affiches par leur entremise. Elle a fait appel aux responsables des programmes Enfant-Retour et Opération Retour au foyer. Un jour, Donna a reçu la nouvelle qu'elle craignait le plus : sa fille était morte.
Donna est restée figée de douleur. Chaque jour qui passait lui semblait être une éternité. La vie lui paraissait surréelle. Cela lui demandait toutes ses forces ne serait-ce que pour faire le nécessaire chaque jour, mais il lui fallait pourtant survivre pour ses enfants restants, qui vivaient à la maison et qui avaient besoin d'elle.
Plusieurs mois plus tard, Donna a vécu un nouveau choc lorsqu'elle a reçu un appel anonyme d'une femme à Halifax qui prétendait avoir vu sa fille vivante. Donna ne savait que penser. Quelques mois plus tard, elle a reçu un autre appel. Près d'un an et demi après s'être fait dire que sa fille était morte, Donna a reçu un appel téléphonique de sa fille. Il arrive parfois des miracles. Lorsqu'elle parle de cette journée-là, elle est chaque fois encore tout émue. Sa fille était vivante et se trouvait à Philadelphie.
Au cours des quatre mois suivants, les appels se sont multipliés, mais ils venaient chaque fois d'une ville ou d'un État différent et étaient toujours très brefs. Un jour, désespérée et terrifiée, sa fille a téléphoné pour dire qu'il lui fallait rentrer tout de suite à la maison. Elle ne savait pas où elle était, elle n'avait ni papiers d'identité ni argent, et elle était terrifiée.
Donna a dit à sa fille de trouver le centre d'amitié autochtone de la localité et a demandé que quelqu'un fasse des arrangements pour qu'elle ait un lieu sûr où dormir pour la nuit. Elle a demandé à sa fille de la rappeler le lendemain matin.
Ce soir-là, Donna a contacté l'ambassade du Canada à Manhattan. Elle lui a envoyé par télécopieur les documents nécessaires à la délivrance d'un passeport canadien temporaire d'urgence pour sa fille. Lorsque sa fille a rappelé le lendemain matin, Donna avait déjà fait les arrangements nécessaires pour qu'elle puisse revenir à la maison. Donna a été réunie avec sa fille le lendemain.
L'année et demie pendant laquelle sa fille avait été introuvable et présumée morte avait été un enfer pour Donna. Encore aujourd'hui, elle n'en revient pas d'avoir survécu au traumatisme et à la douleur de ne pas connaître le sort de sa fille. Encore plus incroyable est le fait que sa fille ait été vivante.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Voyez-vous, lorsque la fille de Donna est revenue à la maison, elle était enceinte.
Aujourd'hui, Donna est heureuse, sa fille est à la maison et Donna est grand-mère. Elle tient à veiller à ce que sa famille et à ce que d'autres femmes et filles n'aient jamais à vivre ce genre de violence et de traumatisme.
Il importe cependant de souligner qu'il y a des centaines d'autres histoires qui ne se terminent pas de la même façon. Je suis hantée par les images d'enfants sexuellement exploités et de filles et de femmes disparues et victimes de meurtre au Canada. Cela m'arrache des larmes de savoir que l'histoire de Donna est loin d'être unique.
Pis encore, bien que le Canada ait ouvertement condamné des pays comme le Cambodge, la Thaïlande ou le Brésil pour la façon dont ils traitent les femmes et les enfants et le peu de souci que l'on semble s'y faire pour le problème de l'exploitation sexuelle qui y sévit, le Canada semble lui-même fermer les yeux sur ce qui se passe dans sa propre cour. Et ce dont je parle se passe dans toutes les villes du pays et tout à côté d'ici, a à peine quelques rues de cet endroit.
Il semble que le plus souvent les cibles de cette exploitation sont des filles autochtones. L'on oblige des filles à s'engager dans le commerce du sexe, le commerce du sexe au Canada. Elles se font séduire par de fausses promesses et l'espoir d'une vie meilleure. Elles vivent sous la menace de mort et de défiguration, les visant elles-mêmes ainsi que leurs familles, en cas de tentative de fuite. Les consommateurs de cette industrie sont tout aussi coupables que les souteneurs de ces individus formidables qui ne cherchent qu'à survivre.
Ce que nous savons est que lorsque des femmes et des filles autochtones disparaissent, il n'y a pas suffisamment de collaboration de la part des autorités. Nous savons que les coupables, y compris pédophiles, souteneurs et clients, ne se font pas imposer des peines proportionnelles au sérieux du crime. Nous savons que les travailleurs de l'industrie du sexe se font plus souvent poursuivre que les clients qui recherchent leurs services.
Nous savons que les personnes en situation de pouvoir ont été sensibilisées à l'exploitation sexuelle et considèrent souvent les personnes exploitées comme étant moins méritantes de droits ou de protection. Nous savons que les médias sont responsables d'une part importante de la désensibilisation de la société. Nous savons qu'une approche coopérative qui traite des causes profondes du problème sera le seul moyen d'enrayer l'exploitation sexuelle. Il nous faut rompre le cycle de traumatismes intergénérationnels.
Nous savons que doivent être élaborés de meilleurs systèmes de soutien pour les enfants et les familles de ces femmes qui sont victimes. Nous savons que chacun d'entre nous ici aujourd'hui est privilégié du fait que nous risquons beaucoup moins de vivre ce qu'a vécu Donna. Cependant, nous ne devrions jamais oublier que nos circonstances pourraient changer à tout moment. Nous aussi pourrions être confrontés à cette réalité insoutenable.
Nous savons également que l'exploitation sexuelle n'est pas le seul fait d'étrangers ou de la recherche d'un profit. Cela existe dans nos foyers, nos lieux de travail et nos collectivités. Cela survient aux mains de personnes que nous aimons et à qui nous faisons confiance. Peu importe où cela se produit ou pourquoi, la chose est condamnable. Les auteurs d'actes d'exploitation sexuelle doivent en être tenus responsables.
Face à ces faits, la question demeure : qu'englobera votre rapport, outre cet exercice d'établissement des faits, en vue de déboucher sur des changements porteurs? Peut-être que la réponse vous viendra au fil du temps que vous passerez avec les femmes et les filles dans vos vies.
Kathy Vandergrift, présidente, Coalition canadienne pour les droits des enfants : Je vous remercie de vous intéresser au sujet qui nous occupe et de nous donner l'occasion de nous entretenir avec vous.
Aux fins de la politique publique, il est utile d'envisager l'exploitation sexuelle des enfants comme étant un spectre d'activités qui s'étend de l'utilisation de poses sexuelles d'enfants à des fins publicitaires aux agressions sexuelles avec violence — c'est tout un éventail. En plus de traiter des différences entre types d'exploitation, une stratégie nationale s'attaquerait aux aspects communs à tous les éléments du spectre. Il s'agit de la violation du droit des enfants d'être traités comme étant des personnes de valeur égale et méritant un respect égal. Pour être efficace, une stratégie nationale devrait viser de manière appropriée le spectre tout entier.
Une question à poser par le comité est celle de savoir si l'actuelle approche couvre tout le spectre et si elle constitue la meilleure utilisation possible des ressources. Songez aux données qui vous ont été présentées la semaine dernière. L'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants de 2003 avait rapporté que 86 p. 100 des cas d'exploitation sexuelle étaient le fait de personnes connues de l'enfant victime — et nous venons tout juste d'en entendre un exemple. La GRC a rapporté que 5 p. 100 des cas déclarés sont des cas d'abus commis par des étrangers. D'autres rapports, remontant jusqu'à celui de la Commission royale Badgley en 1984, font des constats semblables : entre 90 et 95 p. 100 des personnes qui exploitent des enfants sont connues de ces derniers. Tous les rapports établissent que de nombreux cas ne sont jamais rapportés.
L'exploitation par un étranger sera cependant plus souvent rapportée que les abus commis par une personne connue de l'enfant. L'on ne peut que conclure, sur la base des statistiques que vous avez entendues la semaine dernière, que le plus gros problème est celui de l'exploitation d'enfants par des personnes connues d'eux.
Si l'on regarde l'actuel point de concentration des politiques et des priorités en matière de distribution de ressources, une part importante des ressources attribuées vise l'exploitation par des étrangers, qui compte pour environ 5 p. 100 du spectre. Cela signifie qu'un pourcentage élevé des ressources vont être consacrées à un petit pourcentage du problème. Bien que l'exploitation sexuelle via Internet soit un problème sérieux, le comité devrait peut-être se demander s'il ne conviendrait pas d'allouer davantage de ressources à d'autres parties du spectre afin que cette stratégie soit efficace.
Le comité voudra peut-être également se demander s'il ne serait pas plus efficace de consacrer davantage de ressources à la prévention, étant donné les facteurs qui sont communs à toutes les formes d'exploitation sexuelle d'enfants. Comme nous l'avons entendu dire ici, la recherche montre que les enfants sont le plus souvent corrompus dans le cadre de situations d'exploitation par des personnes qui se sont font bien voir par eux, leur offrant de l'affection et leur faisant miroiter des perspectives intéressantes dans la rue et dans le quartier. La meilleure prévention est une sensibilisation de haut niveau chez les jeunes gens. Ceux-ci devraient être au courant des méthodes employées par les exploiteurs, confiants quant à leur valeur propre et leurs options futures, connaître leurs droits et savoir quand ils sont en train de se faire exploiter et où et comment obtenir de l'aide au besoin. L'allocation des ressources devrait être lourdement axée sur une aide accrue de manière à réduire la vulnérabilité des groupes vulnérables là où ils vivent et l'instauration d'initiatives à large assise pour prévenir toutes les formes d'exploitation sexuelle. Outre des solutions policières et axées sur le droit pénal, il importe qu'il y ait une réponse sociétale plus vigoureuse face à ce problème.
Attardons-nous un instant sur les aspects relatifs au droit pénal et à la police. Cela permettra à d'autres questions de remonter à la surface. Les données contenues dans le premier rapport du Canada sur le Protocole facultatif concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants révèlent que 243 affaires de pornographie et de prostitution juvénile ont été portées devant les tribunaux en 2007 — ce chiffre de 243 est plutôt bas. Le rapport indique également qu'entre 1994-1995 et 2006-2007, 17 420 affaires, toutes catégories confondues, ont été poursuivies en vertu du protocole facultatif, avec un taux de déclaration de culpabilité de 50 p. 100.
Une analyse plus poussée s'impose, mais les données laissent entendre qu'il nous faut nous pencher sur la façon dont les lois existantes sont appliquées. L'élaboration de lois plus sévères pourrait donner l'impression que l'on est en train de faire quelque chose, mais cela ne sera pas efficace si seul un petit pourcentage d'affaires sont poursuivies, avec un nombre encore plus petit de condamnations.
Le comité voudra peut-être se pencher sur des exemples existants de bonnes pratiques afin d'apporter des améliorations sur ce plan. Par exemple, le Zebra Child Protection Centre à Edmonton, en Alberta, est un centre multidisciplinaire, axé sur l'enfant. On y traite avec respect les enfants qui dénoncent un crime et on leur assure un appui. Le centre recourt à des avocats spécialisés qui ont l'habitude de travailler avec les jeunes. Ils les préparent pour le tribunal afin de veiller à ce que la voix du jeune soit entendue à la cour et à ce que le jeune soit appuyé tout au long du processus. Il importe de souligner que le taux de condamnation est passé d'environ 23 à 25 p. 100 avant l'adoption de cette approche en 2001 à 86 p. 100 en 2008. Cette augmentation résulte du fait que l'on ait placé au premier rang les intérêts de l'enfant et que l'on ait défendu le droit de l'enfant de participer — deux des principes de base des droits des enfants.
L'exploitation sexuelle est une violation des droits des enfants. Pour être efficace, une stratégie de prévention doit prendre au sérieux les droits des enfants. Il s'agit là d'un domaine dans lequel le gouvernement fédéral peut faire preuve de leadership. Nous recommandons ce qui suit.
Premièrement, l'utilisation des dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant et de langage relatif aux droits de l'enfant pour montrer que le gouvernement prend au sérieux les droits des enfants. Malheureusement, nous constatons dans le premier rapport sur le protocole facultatif relativement à l'exploitation sexuelle des enfants une absence totale de langage et d'analyse axés sur les droits. Nous avons constaté cette même lacune dans le rapport du Canada pour l'Examen périodique universel. Il en est de même dans la documentation concernant la législation visant les programmes pour enfants.
Deuxièmement, faire preuve de leadership en prenant au sérieux les droits des enfants. En ce qui concerne plus précisément la question de l'exploitation sexuelle, le gouvernement pourrait prendre au sérieux les recommandations qui lui ont été faites par le Comité des droits de l'enfant dans le second examen de la mise en œuvre par le Canada de la convention en 2003, et je cite :
Le Comité recommande à l'État partie d'améliorer encore la protection et l'assistance fournies aux victimes d'exploitation sexuelle et de traite, y compris sur le plan de la prévention, de la réinsertion sociale, de l'accès aux soins de santé et à une assistance psychologique, toutes mesures qui doivent être prises dans le respect des spécificités culturelles et de manière coordonnée, ce qui passe notamment par une coopération plus étroite avec les organisations non gouvernementales et les pays d'origine.
Cette recommandation de 2003 porte principalement sur l'intervention sociétale et la prévention. Qu'a-t-il été fait en réponse à cette recommandation? Il n'existe aucun rapport public. Nous avons demandé de l'information, mais cela nous a été refusé. Ce pourrait être là un bon point de départ pour le comité. La mise en œuvre de cette recommandation, reçue il y a de cela plus de cinq ans, serait un bon point de départ vers une stratégie plus efficace de prévention de l'exploitation sexuelle.
À un niveau plus général, la réponse du gouvernement à l'excellente étude sur trois ans qu'a faite le comité au sujet des droits des enfants a été insuffisante et il n'y a eu aucun suivi. Le message envoyé aux jeunes gens au Canada est que leurs droits ne comptent pas beaucoup pour leurs dirigeants politiques. Comme l'a déclaré une adolescente de 16 ans dans le cadre de l'un de nos forums : « Les enfants sont eux aussi des personnes. Pourquoi nos droits ne comptent-ils pas autant que ceux des adultes? »
Troisièmement, le troisième rapport du Canada sur la mise en œuvre de la convention se fait maintenant attendre depuis neuf mois. Il n'y a eu aucune participation de la jeunesse ni aucune consultation des personnes qui travaillent avec des enfants dans le cadre de la préparation du rapport, contrairement aux obligations qu'impose la convention elle-même aux États parties. Si nous voulons bâtir une société qui prise et protège nos enfants, alors il est impératif que notre gouvernement établisse la norme en mettant pleinement en œuvre la convention et en répondant publiquement aux 45 recommandations reçues dans le cadre du second examen.
Quatrièmement, il importe d'envisager l'enfant dans son entier en considérant les enfants comme étant des personnes et des agents actifs plutôt que des récipiendaires passifs et des objets d'enquêtes criminelles. Le premier rapport sur le protocole facultatif en matière d'exploitation sexuelle inclut une liste de huit différents comités fédéraux- provinciaux s'intéressant à de petits éléments de la vie des enfants, chacun composé de subalternes aux pouvoirs limités. Ces comités n'ont aucun engagement aux côtés des jeunes gens dont ils sont censés protéger les droits; ils n'accordent aucun rôle à la communauté, qui joue pourtant un rôle important dans la protection des droits des enfants, et ils ne sont assujettis à aucune reddition de comptes publique, l'essence même d'une approche fondée sur les droits. En même temps, il n'existe au Canada aucun mécanisme pour entendre les jeunes gens et réagir à ce qu'ils ont à dire, ni pour rendre compte publiquement à la jeunesse du pays de la manière dont leurs droits sont respectés.
Encore une fois, pour prévenir l'exploitation des enfants sous toutes ses formes, sexuelles ou autres, le gouvernement fédéral doit présenter des modèles de respect des jeunes gens et favoriser activement une culture sociétale de respect et de protection des droits qui leur reviennent en tant que personnes de dignité égale.
Cinquièmement, il faudrait entamer avec les leaders culturels et religieux un dialogue au sujet des droits des enfants et de l'exploitation sexuelle. L'une des recommandations qui est ressortie de notre conférence nationale sur l'intérêt supérieur de l'enfant a été que le gouvernement fédéral s'engage dans un dialogue au sujet de l'interface entre les droits des enfants et les pratiques culturelles et croyances religieuses. Certains membres du comité en ont reçu des copies que je leur ai envoyées par la poste, et j'en ai ici pour quiconque n'en a pas copie.
Nous avons entendu des preuves anecdotiques de mariages précoces et de mariages forcés au Canada, sous le masque de la tradition culturelle et de la liberté de culte. Des jeunes filles se font transporter de l'autre côté de la frontière pour y vivre un mariage forcé ou la prostitution déguisée comme étant du travail domestique ou dans l'industrie hospitalière. Bien souvent, ce sont des immigrantes qui se trouvent dans pareilles situations, isolées et ne sachant pas où ni vers qui se tourner pour avoir de l'aide.
La liberté religieuse des adultes est importante, mais cette liberté ne peut pas s'exprimer aux dépens des droits et de l'intérêt supérieur des enfants. Le gouvernement fédéral ne doit pas continuer de fermer les yeux sur l'exploitation des jeunes gens au nom de la diversité culturelle ou de la liberté religieuse. Une réaction appropriée engloberait une éducation générale sur les droits des enfants et un dialogue sur la façon de les respecter à l'intérieur des différentes traditions culturelles qui existent au Canada.
En résumé, nous proposons que le comité se concentre sur une stratégie de prévention efficace de toutes les formes d'exploitation sexuelle, recourant à une approche intégrée, fondée sur les droits, et qui place les enfants en son centre. Nous vous soumettons que cela offrirait un meilleur rendement sur l'argent investi qu'une vision étroite axée sur des sanctions pénales accrues pour des crimes isolés et bien précis s'inscrivant dans une seule catégorie d'exploitation sexuelle. Si l'on s'attardait davantage sur l'application des lois existantes d'une manière qui respecte, inclue et appuie les jeunes gens, cela améliorerait par ailleurs l'actuel faible taux de réussite des poursuites. Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership actif à l'égard des droits des enfants en prenant au sérieux la mise en œuvre de la convention au Canada et en favorisant activement un climat social qui comprenne et respecte les jeunes gens comme étant des personnes devant vivre dans la dignité et en tant que participants égaux dans la construction de notre société.
La présidente : Madame Hunt, allez-y, je vous prie.
Sarah Hunt, à titre personnel : Bonjour. Merci de me permettre de comparaître aujourd'hui devant le comité. Je viens de Victoria, en Colombie-Britannique.
[Le témoin s'exprime dans sa langue autochtone, le kwakwa'l.]
Cela fait 10 ans que je me consacre à la question de l'exploitation sexuelle des enfants et des adolescents en Colombie-Britannique, principalement en tant que consultante, faisant de la recherche communautaire dans des localités de partout dans la province. Je me suis également occupée de coordination de programmes et de la création d'outils éducatifs pour les prestataires de services et les jeunes, me concentrant tout particulièrement sur les questions auxquelles se trouvent confrontées les collectivités autochtones. Le gros de mon travail a été appuyé par le Comité du sous-ministre adjoint sur la prostitution et l'exploitation sexuelle, qui compte des représentants d'une dizaine de ministères britanno-colombiens ainsi que du Centre national de prévention du crime. Comptent parmi certains des intervenants avec lesquels j'ai travaillé la Division des services aux victimes et de la prévention du crime, la McCreary Centre Society et le Justice Institute of B.C.
Aujourd'hui, je vais me concentrer sur l'exploitation sexuelle des enfants et des adolescents dans les collectivités rurales et isolées. Mes commentaires seront en grande partie l'écho des propos tenus plus tôt par Mme Wolski.
La situation en région rurale est souvent ignorée du fait que de nombreuses ressources et beaucoup d'attention soient accordées aux formes plus visibles d'exploitation sexuelle, qui se trouvent concentrées dans les centres urbains, comme Vancouver. Avec l'important afflux d'Autochtones vers les zones urbaines, la situation à laquelle se trouvent confrontés les enfants et les adolescents dans les collectivités rurales sont souvent loin des yeux et loin du cœur, en dépit du fait que de nombreux adolescents sexuellement exploités dans les villes soient originaires de régions rurales. Afin de prévenir l'exploitation sexuelle des enfants et des adolescents autochtones, il ne suffit pas de tout simplement créer des programmes dans des villes comme Vancouver. Il nous faut en même temps nous attaquer à la situation en région rurale également.
Réfléchissant aux diverses formes d'exploitation sexuelle, il est utile d'imaginer un continuum de visibilité avec, à une extrémité, le commerce du sexe dans la rue ou l'exploitation sexuelle commerciale, et, de l'autre, les formes plus cachées et moins reconnues. Ces formes plus cachées d'exploitation sexuelle sont prévalentes dans les collectivités rurales et isolées, où l'exploitation est trop souvent normalisée, aux côtés d'autres formes d'abus et de violence résultant de cycles d'abus intergénérationnel. La croyance commune dans de nombreuses plus petites localités est que l'exploitation sexuelle n'existe pas chez elles, mais, bien sûr, il n'y a pas dans ces localités de quartiers chauds visibles comme on en voit dans les centres urbains, et c'est ainsi que l'on estime que le problème n'existe pas. En fait, lorsqu'on regarde au-delà de l'exploitation sexuelle dans la rue, l'on sait que des enfants et des adolescents autochtones se font exploiter de bien des façons dans les collectivités rurales.
Comptent parmi les formes courantes d'exploitation l'échange par des jeunes d'actes sexuels contre du transport, de l'alcool et des stupéfiants, ou des vêtements ou un logement. Figurent dans la même catégorie les relations d'hommes plus âgés — dans la trentaine, la quarantaine ou plus — qui fréquentent des adolescentes. Ces hommes donnent aux filles vêtements, bijoux, MP3 et autres cadeaux. Ces relations peuvent être normalisées, voire même admises par les parents de la jeune fille et même par d'autres membres de la famille. Les jeunes parlent couramment de faire la fête avec des adultes qui leur offrent gratuitement drogues et alcool en échange de sexe. Peuvent compter parmi ces adultes des parents ou d'autres qu'ils connaissent depuis toujours. Les jeunes qui se trouvent dans ces situations ne se considèrent souvent pas comme étant exploités, surtout lorsque les personnes les entourant savent ce qui est en train de se passer mais ne font rien.
Certaines collectivités ont vu des filles autochtones ciblées en vue d'une exploitation sexuelle commerciale plus visible par des recruteurs qui circulent dans les régions rurales, s'arrêtent pour s'entretenir avec des adolescentes qui rentrent à pied de l'école ou qui se rendent en ville, et leur offrent de les déposer ou de les emmener faire la fête. Certaines collectivités rurales et du Nord vivent par ailleurs un afflux de travailleurs saisonniers, du fait de projets tels la construction routière, l'exploitation de ressources naturelles ou la création de nouveaux ports. Ces activités ont été liées à une augmentation de l'exploitation sexuelle des enfants et des adolescents par des personnes venues de l'extérieur de ces collectivités.
La violence physique est souvent très étroitement liée à l'exploitation sexuelle, surtout lorsqu'il y a présence de drogues et d'alcool. Dans le cadre de la recherche que j'ai effectuée avec ma collègue, Natalie Clark, il y a de cela plusieurs années, des participants nous ont dit qu'ils le savaient lorsque le crystal meth était arrivé dans leur localité du fait de l'explosion de la violence, et que les jeunes étaient plus vulnérables à l'exploitation du fait du désespoir amené par la drogue.
Les stupéfiants sont également utilisés comme outils de recrutement de jeunes en vue d'une exploitation sexuelle commerciale plus formelle, car une fois accoutumés aux drogues, il leur faut un moyen rapide de se faire de l'argent pour nourrir leur dépendance. C'est ce qui peut pousser l'adolescent à quitter sa plus petite collectivité pour aller à la ville où l'exploitation sexuelle commerciale est facilitée par des recruteurs ou le crime organisé.
L'augmentation de l'utilisation d'Internet en région rurale a accru la vulnérabilité des adolescents et des enfants autochtones à l'égard de l'exploitation en ligne ou facilitée par la technologie. Même si un accès plus facile à Internet a eu un effet positif sur les possibilités éducatives des enfants et des jeunes, cela les a davantage mis à risque du fait des prédateurs qui ont facilement accès à eux en ligne. Un scénario courant est celui d'adolescentes qui rencontrent en ligne de petits amis qui offrent de leur envoyer des billets d'autobus ou d'avion afin qu'ils puissent se rencontrer en personne. Cette activité peut relever du trafic de personnes si ces adolescentes sont incitées à se rendre dans une autre ville ou un autre village pour ensuite, par exemple, s'y voir forcées de participer à l'industrie du sexe. Ces petits amis peuvent également les convaincre de leur envoyer par courriel des photos d'elles-mêmes ou d'amies nues, ce qui est une forme de pornographie juvénile.
Au cours des quelques dernières années, l'on a beaucoup parlé, aux niveaux national et provincial, de l'établissement d'un lien entre l'exploitation sexuelle et le trafic d'enfants et d'adolescents autochtones. Bien qu'il nous faille explorer plus avant ce lien, il nous faut être prudents s'agissant d'établir une équivalence entre les deux choses. Il nous faut davantage de recherche communautaire et davantage de récits nous permettant de compiler des renseignements au sujet du trafic d'enfants et d'adolescents autochtones avant de pouvoir véritablement cerner l'envergure du problème et le lien avec l'exploitation sexuelle.
Les filles et les jeunes femmes sont, bien sûr très, largement surreprésentées parmi les victimes d'exploitation sexuelle, mais un nombre important de garçons sont eux aussi exploités. L'exploitation sexuelle de garçons et d'adolescents autochtones continue de faire l'objet de davantage de stigmatisation et de honte, ce qui résulte en une reconnaissance moindre des abus de ce genre qui sont commis. Peu a été fait pour examiner l'exploitation sexuelle des garçons autochtones. Ce silence a eu des conséquences dévastatrices du fait de la quasi-absence de ressources consacrées, en tout cas à ma connaissance, à cette question.
Dans les réserves rurales, le pouvoir et la politique interagissent de manière telle qu'ils contribuent à maintenir le silence autour de l'exploitation tant des filles que des garçons, ainsi que d'autres formes d'abus. Les contrevenants sont souvent reconnus au sein de la collectivité comme étant des abuseurs, mais personne n'intervient pour mettre fin à ce qui se passe. J'ai entendu de nombreuses histoires de personnes en situation de pouvoir protégeant des contrevenants ayant avec eux des liens de parenté ou punissant ceux qui essaient de dénoncer le problème. Cette culture de violence normalisée et de traumatisme intergénérationnel ne sert qu'à perpétuer les cycles d'abus, dont l'exploitation sexuelle.
Lorsque les contrevenants viennent de l'extérieur de la collectivité, il y a de meilleures chances que les gens rapportent les crimes dont ils sont victimes ou soient en mesure d'y voir des actes d'exploitation.
Au cours des 10 dernières années, je me suis entretenue avec de nombreux jeunes Autochtones et des réseaux adultes les appuyant à l'échelle de la Colombie-Britannique au sujet des moyens à mettre en œuvre face à l'exploitation des jeunes et des adolescents. Certaines choses sont revenues régulièrement lorsque je leur ai demandé ce qui leur fallait. Premièrement, ils veulent que soient satisfaits leurs besoins fondamentaux, le transport et le logement étant en tête de liste. L'absence de ces choses les place dans une situation très vulnérable face au risque d'exploitation.
Il leur faut voir la longue histoire de traumatisme et d'abus intergénérationnels reconnue de manière très réelle par les leaders autochtones et la culture du silence disparaître.
Il leur faut également des modèles de rôle sains, des adultes qui appuieront des choix positifs et vers qui ils pourront se tourner s'ils sont victimes d'abus ou d'exploitation sexuelle. La réalité est que la plupart des enfants et des adolescents autochtones ne rapporteront pas leur exploitation à la police ou à un travailleur d'aide aux victimes. Ils en parleront avec une personne qu'ils connaissaient déjà et en qui ils ont confiance. Ces modèles d'identification adultes sains sont essentiels. Les statistiques dont nous avons entendu parler sont importantes, mais la réalité est que la plupart des incidents ne sont pas rapportés et ne sont même pas catégorisés comme relevant de l'exploitation.
En conclusion, j'aimerais dire que l'exploitation des enfants et des adolescents dans les collectivités rurales et isolées, où vivent encore près de la moitié des Autochtones, reçoit moins d'attention, moins de reconnaissance et moins de ressources qu'en région urbaine. Davantage de recherche est nécessaire en vue de déterminer l'envergure du problème et, bien sûr, des ressources accrues sont requises sur les plans de l'éducation, de la prévention, de l'intervention et de la guérison. Le plus urgent, dans mon esprit, est de changer la culture de violence normalisée qui permet à l'exploitation de continuer.
La présidente : Merci, madame Hunt. Le dernier témoin du groupe est Mme Kathleen McHugh. Il me faudrait signaler que bien que votre nom ait été le premier sur la liste, vous avez demandé d'être inscrite en bas de la liste pendant que vous attendiez certains chiffres ou rapports, alors c'est maintenant votre tour.
Kathleen McHugh, présidente, Conseil des femmes, Assemblée des Premières Nations : Merci beaucoup.
[Le témoin s'exprime dans sa langue autochtone, le blackfoot.]
Bonjour. Je vous salue dans ma langue blackfoot. Je suis membre de la confédération pied-noir du Sud de l'Alberta.
Je tiens, dans mes remarques liminaires, à souligner les personnes pour lesquelles nous sommes ici : nos enfants, nos précieux dons du Créateur. Nous sommes ici aujourd'hui pour discuter d'une question grave, et je salue les intervenants qui m'ont précédée.
J'aimerais remercier le Comité sénatorial permanent des droits de la personne pour sa diligence et sa détermination continues face au problème de l'exploitation sexuelle commerciale des enfants et des adolescents autochtones.
Le chef national Shawn Atleo envoie également ses meilleurs vœux et rappelle au comité que l'amélioration des perspectives pour les enfants, les femmes et les familles est une priorité de l'Assemblée des Premières Nations. Comme vous le savez, l'APN est l'organisation nationale représentant les citoyens des Premières nations en réserve et hors réserve partout au Canada. Le Conseil des femmes de l'APN, dont je suis présidente, veille à ce que les soucis et perspectives des femmes des Premières nations informent l'ensemble du travail à l'APN.
Il a été reconnu par le comité que les enfants et adolescents autochtones sont tout particulièrement vulnérables à l'abus et à l'exploitation sexuels. Aux fins de la discussion d'aujourd'hui, l'APN aimerait vous soumettre trois mesures qui doivent être prises si nous voulons commencer à nous attaquer sérieusement à l'envergure et à la prévalence du problème. L'intégration de ces trois mesures dans une stratégie nationale nous aidera à tendre vers la réalisation de notre objectif commun, qui est de protéger nos enfants.
Premièrement, il importe, pour élaborer des politiques, programmes et services efficaces et adaptés, qu'il se fasse de la recherche précise et éclairée. L'APN soupçonne sérieusement que les nombres d'enfants et d'adolescents des Premières nations qui sont victimes d'exploitation et d'abus sexuels sont sous-déclarés. L'APN a déjà comparu plusieurs fois devant le comité pour discuter de cette question. Malheureusement, la situation concernant l'absence de données critiques n'a pas changé. Nous ne pouvons pas espérer bâtir des programmes véritablement efficaces et adaptés en l'absence d'un tableau juste et complet du problème. Par exemple, il importe de faire de la recherche pour déterminer si les enfants des Premières nations ayant une incapacité ou souffrant de troubles comme celui du spectre de l'alcoolisation fœtale sont plus vulnérables à l'abus ou à l'exploitation. J'ai fait du travail avec la population générale relativement à la question des enfants et des incapacités, et il existe des statistiques en la matière. Cependant, ces données font défaut en ce qui concerne les enfants des Premières nations.
Des études d'échelle limitée mais néanmoins importantes ont fait ressortir un certain nombre d'autres complexités. Par exemple, le rapport de Susan McIntyre montre que les garçons et les filles autochtones réagissent différemment aux abus sexuels. Ils expriment leur frustration de manières différentes et entrent dans l'industrie du sexe et en sortent pour des raisons différentes. Il a d'autre part été constaté qu'il est plus difficile pour les garçons que pour les filles de surmonter le stigmate de l'exploitation sexuelle. Des études comme celle de McIntyre soulignent la nécessité d'une lentille culturellement pertinente et équilibrée en matière de genre dans l'analyse des données et l'élaboration de programmes.
Le rapport et la charte de la Commission du renouvellement de l'APN reconnaissent la nécessité de rétablir l'égalité historique qui existait entre les hommes et les femmes des Premières nations avant la colonisation. Il s'agit là d'un principe directeur de l'ensemble de notre travail et, en vue de renforcer ce principe, les chefs, en assemblée, ont adopté une résolution endossant formellement une approche culturellement pertinente et sensible à la spécificité des sexes.
Quant à la première question, la nécessité de la collecte de données, l'APN recommande la collecte, le contrôle et l'évaluation de données portant spécifiquement sur l'abus et l'exploitation sexuels des membres des Premières nations. Ce travail devrait être informé par une lentille culturellement pertinente et sensible à la spécificité des sexes. Il est également impératif que cette recherche soit soigneusement planifiée de façon à veiller à ce qu'elle ne débouche pas sur une revictimisation des participants. Enfin, la recherche doit inclure les voix de jeunes possédant les connaissances expérientielles visées, ce afin d'offrir un contexte aux données.
Le deuxième point que je tiens à souligner aujourd'hui est qu'une fois les données compilées et comprises, les collectivités doivent avoir les moyens de faire de la prévention pour appuyer ceux qui essaient d'échapper à l'exploitation sexuelle et de guérir. Les programmes doivent également viser les besoins de toutes les personnes concernées, y compris l'abuseur ou l'auteur des actes.
Enfin, le troisième point que j'aimerais souligner est la nécessité de stratégies à long terme faisant intervenir des partenariats entre tous les paliers de gouvernement. Toute stratégie à long terme doit traiter des disparités au niveau de déterminants sociaux clés : lacunes sur le plan de l'éducation, pauvreté, logements médiocres et absence d'accès à des soutiens sociaux et à d'autres services de base. Le gouvernement peut et devrait choisir de s'attaquer aux iniquités sur le plan financement qui existent au niveau de programmes sociaux clés, et assurer des programmes améliorés dans le contexte d'un continuum de programmes pour enfants et jeunes membres des Premières nations. De telles démarches constitueraient d'importantes mesures de prévention de l'exploitation sexuelle. Cependant, d'autres mesures encore sont nécessaires. De telles initiatives ne suffiraient pas pour régler la totalité de la question de l'abus sexuel et de l'exploitation sexuelle de nos enfants et de nos adolescents compte tenu de la complexité de la situation.
À titre d'exemple, j'aimerais vous entretenir de la question de la protection de l'enfance. À l'heure actuelle, les services d'aide sociale à l'enfance des Premières nations reçoivent en moyenne 22 p. 100 de financement de moins que les agences provinciales. Cela a résulté en un système de protection de l'enfance à deux paliers dans le cadre duquel les enfants des Premières nations vivant en réserve reçoivent moins de financement et de services que les autres enfants. Comptent parmi les rapports documentant les inégalités en matière de financement et de services de protection de l'enfance des Premières nations le rapport de mai 2008 de la vérificatrice générale et un rapport de 2009 du Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes.
Un rétrécissement de l'écart améliorerait certainement les perspectives des enfants qui sont pupilles de l'État. Cependant, la création d'un terrain de jeu égal ne suffit pas car des études montrent que les agences provinciales sont aux prises avec des problèmes d'abus sexuel d'enfants à l'assistance sociale, et dont certains intègrent le commerce du sexe une fois qu'ils ne sont plus pupilles de l'État.
Je vous renverrai au rapport de 2009 du Children's advocate de la Saskatchewan, Marvin Bernstein, intitulé A Breach of Trust : An Investigation Into Foster Home Overcrowding in the Saskatoon Service Centre, indiquant que des enfants ont été placés dans des foyers nourriciers surpeuplés sans un examen de la capacité du foyer ou des parents nourriciers d'accueillir en sécurité ou de s'occuper d'enfants supplémentaires. C'est ainsi qu'il a été relevé des problèmes de supervision et des incidents d'abus ou de violence entre enfants en famille d'accueil.
Selon l'étude, plus de 62 p. 100 des enfants vivant dans des foyers surpeuplés sont des enfants inscrits ou non inscrits membres des Premières nations. J'ajouterais que, selon un rapport de 2004 de Justice Canada intitulé Profil instantané d'une journée des jeunes Autochtones sous garde au Canada : Phase II, 40 p. 100 des adolescents membres des Premières nations soit sont pupilles de l'État au moment de leur condamnation soit ont un dossier actif avec une agence d'aide à l'enfance, et cela inclut les jeunes engagés dans l'industrie du sexe. Voilà un exemple de la nécessité d'assurer l'équité dans le financement et de veiller à ce que l'on élargisse les programmes de sortie comme solution au problème d'abus et d'exploitation.
Au contraire des mesures requises pour combattre la négligence et la pauvreté, les mesures requises pour contrer l'abus et l'exploitation sexuels nécessitent des connaissances et une compréhension plus vastes, et qui n'existent pas encore.
Un rapport complémentaire à l'étude du Secrétaire général des Nations Unies sur la violence faite aux femmes et intitulé Indigenous Women Stand Against Violence, établit que, pour les femmes autochtones, la violence fondée sur le sexe est le fait non seulement de discrimination sexuelle à l'intérieur des arènes autochtones et non autochtones mais également d'un contexte continu de colonisation, de militarisme, de racisme, d'exclusion sociale et de pauvreté qui alimente les politiques économiques et de développement.
Pour être efficace, toute stratégie nationale doit être informée par les réalités historiques des populations des Premières nations, y compris la colonisation. Par exemple, je vous renverrai aux préoccupations soulevées récemment par le juge Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et de réconciliation, qui a parlé du manque de mécanismes disponibles pour traiter des divulgations de situations d'abus survenues entre élèves pendant leur séjour en école résidentielle.
L'APN travaille avec les collectivités pour tenter de répondre aux besoins profonds de guérison, tant des victimes que des abuseurs.
Une connaissance et une analyse de la complexité de l'abus sexuel et de la relation entre les écoles résidentielles, le traumatisme historique intergénérationnel et l'abus sexuel s'imposent. Nos propositions à Condition féminine Canada, Women's Wisdom and Well-being, Walking the Way of our Ancestors, au Fonds du partenariat et au Fonds de secours ont été rejetées. Cette étude examinait le lien entre l'abus sexuel et l'expérience en école résidentielle.
Pour résumer, il importe qu'il y ait un plan de recherche portant spécifiquement sur les peuples des Premières nations, appuyant des méthodologies culturellement pertinentes et sensibles à la spécificité des sexes et ne revictimisant pas ceux que nous cherchons à aider.
Deuxièmement, les collectivités doivent être dotées d'une capacité de prévention afin d'appuyer ceux qui tentent de sortir de leur situation d'exploitation sexuelle et d'aider dans leur guérison tant la victime que l'abuseur.
Enfin, il importe de prendre immédiatement des mesures pour combler les écarts de financement pour l'éducation, le logement et la protection de l'enfance afin que les enfants des Premières nations soient moins vulnérables à l'exploitation et à l'abus. Cela ne suffira cependant pas pour régler la totalité du problème. Il est nécessaire d'élaborer des programmes supplémentaires visant particulièrement l'exploitation et l'abus sexuels.
Oui, nos enfants sont des dons spéciaux du Créateur et doivent être protégés.
Je remercie le Comité sénatorial permanent des droits de la personne de l'occasion qui m'a été ici donnée de m'entretenir avec lui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Marie Frawley-Henry et Jonathan Thompson, de l'Assemblée des Premières Nations, sont ici pour m'aider à répondre aux questions que vous voudrez me poser aujourd'hui.
La présidente : Merci, madame McHugh.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie tous d'être ici aujourd'hui.
Il a été mentionné la semaine dernière qu'entre 80 et 90 p. 100 des enfants victimes d'abus connaissent leur abuseur. Mme Vandergrift a recommandé que l'on envisage de consacrer davantage de ressources à ce problème. Elle a fait état d'un programme à Edmonton.
Cela m'intéresserait d'entendre l'un quelconque d'entre vous sur ce que nous pourrions faire d'autre. Bien évidemment, beaucoup moins de cas sont rapportés du fait que les gens connaissent leur abuseur. D'autre part, comme vous l'avez dit, madame Hunt, en région rurale il existe encore moins de services.
Que pourriez-vous nous recommander à cet égard?
Mme Hunt : Je suis présentement en train de boucler un projet, financé par le Comité du SMA sur la prostitution et l'exploitation sexuelle et visant à créer une trousse d'outils ou un manuel pour les personnes intervenant à l'appui des jeunes dans les collectivités autochtones rurales. Nombre de personnes dans ces collectivités ont dit qu'elles y sont peut- être seules à parler du problème et qu'elles sont très isolées. Si des cas sont rapportés, il n'y a pas de ressources pour protéger les enfants et leurs familles. Les gens peuvent être chassés de leur collectivité, ne pas bénéficier d'un logement adéquat ou être victimes d'encore d'autres actes de violence, et c'est ainsi que la situation est davantage encore tue dans la collectivité.
L'objectif est d'établir la capacité des collectivités au niveau local, ce qui suppose l'instauration de toutes les ressources requises pour qu'il soit donné suite de manière adéquate aux plaintes. Si vous augmentez le niveau de sensibilisation et donnez aux adolescents les termes qu'il faut pour nommer l'exploitation, alors ils commenceront peut-être à en parler, mais il n'y a pas en place de plan de sécurité, par exemple des logements sûrs, ou des mécanismes pour appuyer les prestateurs de services eux-mêmes. Dans une petite collectivité de 300 habitants, par exemple, où il y a un seul travailleur auprès des jeunes, cette personne pourrait elle-même être ciblée.
Il nous faut une approche à large assise pour bâtir la capacité requise. Il est efficace d'établir des liens entre les personnes faisant ce travail dans les petites localités, afin qu'elles puissent s'épauler les unes les autres. Le plus gros défi est de surmonter ce qui est souvent normalisé, du fait que la chose soit arrivée à votre tante, votre mère, votre frère ou votre sœur, et parfois il s'agit du même contrevenant ou groupe de contrevenants dans la collectivité, et la perception est que la vie est tout simplement ainsi faite. J'ai interviewé des jeunes qui ont dit ne pas s'être donné la peine d'en parler à qui que ce soit du fait que ce ne soit pas une bien grosse affaire et que cela arrive, un point c'est tout.
Mme Wolski : Je ne comprends pas pourquoi, lorsque des enfants sont victimes d'abus, on les enlève du foyer. Pourquoi n'enlève-t-on pas du foyer l'abuseur? Cela me paraît simple.
Mme Vandergrift : J'aimerais souligner la nécessité de certaines stratégies généralisées afin que les enfants sachent quels sont leurs droits et comment les exercer. Nous savons que dans ce pays 70 p. 100 des enfants n'ont pas cette connaissance. Tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas changé cette culture entourant les jeunes gens, les plus vulnérables parmi eux se trouveront isolés.
Pour que les choses soient bien claires, le programme à Edmonton visait à améliorer ce qui se passe après que l'abus est rapporté et avant que le délinquant soit condamné. Nous dépensons beaucoup d'argent du côté de la criminalisation; nous resserrons les lois, et nous avons un petit nombre de dossiers qui progressent et un taux de condamnation de seulement 50 p. 100. Je pense qu'il importe de rectifier le tir et de passer à l'autre volet du programme, qui est plus généralisé, mais si vous allez vous attaquer à cela, alors envisagez un programme comme celui- là, qui est fondé sur les droits des enfants et fait un excellent travail. Vous obtiendrez alors un meilleur taux de condamnation. Pour moi, la question est celle de savoir comment utiliser plus efficacement nos ressources d'un bout à l'autre du spectre.
Dans les rapports que dépose le Canada, il y a un petit programme par-ci et un petit programme par-là. Nous ne parviendrons pas à régler le problème avec un seul petit programme. Il nous faut quelque chose qui élève le problème à un niveau de beaucoup supérieur.
Mme McHugh : Je songe aux plus petites communautés, surtout dans les réserves, où nos enfants sont victimisés. Dans certains cas, lorsque l'affaire passe par tout le processus judiciaire, ce qui demande beaucoup de temps, la communauté en entend parler et la victime est souvent davantage victimisée, se faisant humilier par ses pairs et les membres de la collectivité. Il n'y a pas de ressources pour venir en aide à la victime au fil du processus. C'est là la réalité dans nos plus petites communautés. Il nous faut donc du financement supplémentaire pour combler ce besoin.
Le sénateur Jaffer : J'ai une question très délicate à poser. Si je ne vous la pose pas de la bonne manière, c'est que je ne possède pas les connaissances nécessaires pour pouvoir bien la formuler.
Je viens de la Colombie-Britannique, de Vancouver, et la ville de Vancouver va accueillir les Jeux olympiques. Beaucoup de ressources ont été dépensées pour stopper — et c'est une bonne chose — le trafic de femmes de l'extérieur de la Colombie-Britannique et du Canada à destination de notre province. Une fois par mois, je discute avec les gens dans la rue le soir, et je suis très troublée de voir qu'il y a de plus en plus de très jeunes femmes autochtones dans les rues de Vancouver. Je n'ai pas de statistiques, car je ne dispose pas de ce genre de ressources, mais je vous parle simplement de ce que j'observe et des nombres que je constate. Y en a-t-il parmi vous qui travaillez sur la question des Jeux et de l'exploitation sexuelle de nos jeunes filles?
Mme Hunt : Je sais qu'il y a du travail qui se fait à Vancouver depuis longtemps. Le défi provient de l'argent qui a été versé à quelques collectivités des Premières nations qui participent en tant que partenaires à la construction d'un centre de jeunes ou au financement d'événements culturels dans les nombreuses petites localités situées le long du corridor où seront tenus les Jeux, ainsi qu'en prévision de l'événement. Je ne pense pas que les gens soient à risque uniquement pendant les Jeux, mais plutôt qu'ils le sont depuis des années avec l'afflux de travailleurs venus pour élargir les routes et ériger de nouvelles installations. Nombre de petites localités, et elles sont très éparpillées, rapportent une forte incidence d'agression sexuelle ou d'exploitation sexuelle, ou d'autres formes de violence faite aux enfants et aux adolescents, et elles n'ont pas du tout bénéficié financièrement des Jeux. Elles se trouvent dans exactement la même situation qu'auparavant, mais le risque s'y trouve accru.
Je sais qu'il y a des ressources concentrées à Vancouver, mais des éléments du volet prévention font toujours défaut. Prenez par exemple le fait de faire de l'autostop : même si les gens en connaissent les risques, il n'existe pas d'autres moyens de se déplacer. Les gens n'ont pas les moyens de prendre l'autobus Greyhound ou autre. Pour ce qui est de l'aspect prévention, je ne pense pas que des ressources accrues aient été mises en place.
Le sénateur Jaffer : J'ai une question pour Mme Vandergrift. Je fais beaucoup de travail au sujet des mariages forcés et de questions culturelles. Si vous disposez de statistiques ou de données autres que ce que vous nous avez livré, pourriez-vous les communiquer au greffier du comité afin que nous puissions les examiner?
Mme Vandergrift : L'on ne dispose à l'heure actuelle pas de beaucoup de statistiques, mais les données anecdotiques nous sont fournies par les jeunes femmes qui participent à ces activités et en parlent. C'est pourquoi nous disons dans le rapport qu'il nous faut avoir un dialogue en la matière et en arriver à une compréhension de la façon dont les droits des enfants peuvent être protégés dans ces situations.
Nous aurions également aimé que la situation à Bountiful soit examinée de plus près pour ce qui est de l'exploitation des jeunes filles. La polygamie est une lentille à travers laquelle voir les choses, mais vous pouvez également examiner la question de l'exploitation des filles là-bas, et je pense en fait que cela serait plus productif.
Le sénateur Poy : J'ai une question complémentaire découlant de celle du sénateur Jaffer. Je pense que Mme Vandergrift a déclaré que 95 p. 100 des cas d'exploitation sexuelle ne sont pas déclarés; en règle générale c'est juste 5 p. 100. Ai-je raison?
Mme Vandergrift : Pour que les choses soient bien claires, ce qui a été dit la semaine dernière est que 5 p. 100 des cas sont le fait d'étrangers, et que la plupart des incidents, que ce soit 86, 90 ou 95 p. 100, sont le fait de personnes connues des enfants. C'est là la différence que j'établissais.
Le sénateur Poy : Je suis certaine que nombre d'entre nous avons entendu maintes et maintes fois aux nouvelles qu'une part importante de l'exploitation est le fait de membres de la famille. Dans l'histoire racontée par Mme Wolski, la fille a expliqué l'affaire à sa mère, et la mère l'a accusée. Nous entendons cela à répétition. Comment empêcher cela? Il me semble que c'est la faute de la mère. Comment faire pour obtenir que les femmes assument la responsabilité quant à la protection de leurs enfants?
Mme Wolski : Le traumatisme intergénérationnel explique dans une large mesure ce phénomène. Dans l'histoire de Donna, il est fait allusion au fait que la mère ait peut-être été victime d'abus.
Le sénateur Poy : Auquel cas elle a accepté la chose comme faisant partie du cours normal de la vie.
Mme Wolski : Oui, et c'est ainsi que le cycle se perpétue.
Le sénateur Poy : Je pense que cela se trouve à l'origine de nombre des problèmes. Comment nous autres parlementaires pouvons-nous aider dans une situation du genre? L'un quelconque d'entre vous peut-il nous fournir une réponse?
Mme Vandergrift : C'est pourquoi j'ai mis en lumière une petite étape, en retrait par rapport au caractère immédiat du problème, mais je pense qu'il nous faut dans ce pays, à tous les niveaux, un certain leadership politique en ce qui concerne les droits des enfants. Une fois cette étape franchie, à tous les niveaux, les gens commenceront à être équipés pour avancer.
Il nous faut cela de manière généralisée, et cela aura également une incidence du côté de l'exploitation sexuelle ainsi que de l'éducation publique au sens large. Nous savons que lorsque nous nous rendons dans des collectivités et nous engageons auprès des jeunes gens et de leurs parents, en vue de les éduquer et de discuter des droits des enfants, cela a une incidence positive sur la communauté. Cependant, il se fait très peu de ce genre de choses de manière systématique. La documentation commence à parler beaucoup plus clairement des avantages des programmes axés sur les droits qui sont offerts dans les écoles.
Cela fait maintenant trois ans que le Royaume-Uni suit ce qui se passe dans les écoles et l'on y constate que les niveaux de violence sont de beaucoup réduits. On relève également une augmentation du respect que les gens ont envers les enseignants. L'apprentissage est lui aussi meilleur. Or, nous n'avons au Canada qu'une ou deux écoles qui font cela. Voilà pourquoi je ne cesse de répéter qu'il nous faut généraliser la chose. Les sanctions peuvent être accrues, mais la dynamique ne changera pas tant et aussi longtemps que l'on ne prendra pas au sérieux les droits des enfants dans ce pays.
La présidente : Sénateur Demers, avez-vous une question supplémentaire?
Le sénateur Demers : Je voulais ajouter quelque chose ici. J'espère que cela n'est pas contraire aux règles, car c'est ma première journée ici.
Votre exposé a été incroyable. J'ai été victime d'abus en tant qu'enfant, et j'ai surmonté la chose. Ce que Mme Wolski a dit au sujet des mères m'a rappelé que si ma maman me défendait, elle en prenait plus que ce qu'elle avait eu la veille au soir.
J'ai surmonté l'adversité, je suis devenu un entraîneur de la LNH et je suis en train de boucler une carrière dans la radiodiffusion. Quelqu'un m'a envoyé ici. Je le crois, profondément. J'admire toutes les personnes qui sont ici pour défendre la cause juste. Je deviens émotif, car ce genre de choses vous habite jusqu'à la fin de vos jours. J'ai 65 ans et je vis toujours avec des cauchemars. Il est difficile de voir ces merveilleuses personnes.
Je lutterai de tout mon être pour cette cause. Nous ne pouvons pas vous écouter, partir d'ici et ne pas combattre. J'ai ici des amis formidables qui lutteront pour vous. Je pense avoir été envoyé ici. J'allais prendre me retraite et je suis devenu un sénateur. Je n'ai jamais demandé cela. Je m'efforcerai d'être un grand sénateur, mais je suis si heureux d'être ici. Je lutterai pour votre cause car nombre des choses que vous avez expliquées, je les ai vécues, et je n'avais nulle part où aller.
Si je m'étais adressé à un oncle, il aurait défendu mon père. Non, non, ce n'est pas vrai, et ainsi de suite. Je suis heureux de voir que les personnes ici vont lutter pour vous. Allons-nous pouvoir tout réaliser? Je ne le sais pas, mais nous nous battrons. Il se trouve que j'ai au Canada un nom très connu, comme c'est le cas d'autres personnes ici. Nous combattrons pour cette cause d'une manière juste et respectueuse.
Merci beaucoup.
La présidente : Merci. J'ignore si c'était là une question supplémentaire, mais cela a été utile.
Le sénateur Poy : Madame Wolski, vous avez bel et bien dit que ce sont les auteurs des actes qui devraient être punis. Je me suis souvent demandée pourquoi les clients ne sont pas arrêtés et punis. Dans l'industrie du sexe, ce sont en règle générale les prostituées qui se font arrêter, et non pas les clients. Les clients et les souteneurs devraient être ceux qui payent le prix. Si vous mettez fin à la demande, alors il n'y aura plus d'offre dans le commerce du sexe. Auriez-vous quelque commentaire à faire en réponse à cela?
Mme Wolski : J'ai un excellent exemple de la façon dont cela fonctionne en Suède. À l'heure actuelle, la stratégie suédoise face à la prostitution est un exemple de loi dont les experts conviennent qu'elle fonctionne véritablement. La prostitution est considérée comme un aspect de la violence masculine à l'endroit des femmes et des enfants. En gros, l'objectif est de criminaliser le côté demande de l'équation. Au lieu de mettre derrière les barreaux des femmes fragilisées sur les plans émotif et physique, ce sont les clients qui se retrouvent en prison, et on offre aux femmes des stratégies de réadaptation et de sortie.
C'est tout le contraire de ce que fait à l'heure actuelle le Canada. Nous avons beaucoup à apprendre d'autres pays, qui réussissent bien mieux dans ce domaine.
Mme Vandergrift : Il faut, pour obtenir la déclaration de culpabilité, le témoignage. C'est pourquoi j'ai insisté sur ce centre à Edmonton. À moins d'aider les jeunes gens — nous parlons ici de la prostitution de jeunes gens — et de les appuyer tout au long de ce processus, vous n'allez pas obtenir le témoignage nécessaire pour qu'il y ait condamnation. C'est pour cette raison que j'ai trouvé intéressante et bonne la pratique de ce centre, qui a montré que la chose peut réussir.
Mme Hunt : Je pense qu'il nous faut être prudents dans notre langage, lorsque nous parlons de clients, de sorte que lorsqu'il est question d'enfants, nous ne les percevions pas comme étant des prostitués. Ce que je veux dire c'est qu'il nous faut faire la distinction entre les droits des enfants et les droits des adultes.
Par ailleurs, certains d'entre vous se souviennent peut-être de l'affaire du juge Ramsay, à Prince George, qui a été trouvé coupable d'avoir sexuellement exploité un certain nombre de filles autochtones aussi jeunes que 13 ans. Si cette affaire a même pu déboucher devant un tribunal, c'est grâce aux rapports qui ont été établis entre la police, les services aux victimes, les travailleurs d'approche et les intervenants directs auprès des jeunes. Cela faisait longtemps que des rumeurs circulaient dans la communauté. Comme vous l'avez dit, il vous faut une déclaration.
Il a fallu des années d'établissement de relations avec les jeunes filles pour obtenir qu'une seule d'entre elles accepte de faire une déclaration officielle à la police, car ces jeunes filles avaient peur de la police. Elles avaient elles-mêmes été criminalisées du fait d'avoir acheté de la drogue ou d'avoir traîné dans la rue ou autre.
Je crois que l'établissement de relations et de partenariats — avec des agents, des intervenants de la justice et d'autres personnes travaillant dans la collectivité — est important car, comme je l'ai déjà dit, les jeunes ne vont pas courir au poste de police lorsque quelque chose arrive. Même s'ils se font tabasser et ont peur de mourir ou autre, il leur faut quelque chose de véritablement extrême pour qu'ils recourent à la police. C'est là aussi un élément primordial du problème.
Le sénateur Nancy Ruth : Madame Wolski, y a-t-il des pays autres que la Suède qui se soient dotés du même genre de loi et dont vous êtes au courant?
Mme Wolski : Franchement, je ne sais pas.
Le sénateur Nancy Ruth : Si vous en entendez parler, vous nous le ferez savoir?
Mme Wolski : Oui.
Le sénateur Nancy Ruth : Ma question générale concerne la demande qu'il se fasse davantage de recherche. Il existe beaucoup de preuves anecdotiques. D'après vos témoignages, les gens sont nombreux à ne pas faire de déclaration. À quoi servira cette recherche que vous souhaitez? En quoi cela changera-t-il les mesures pouvant être prises par le gouvernement?
Vous avez demandé une stratégie intégrée, vous avez demandé davantage d'argent à l'échelle provinciale et vous avez demandé de meilleurs rapports. Vous avez demandé quantité de choses. Quelles autres preuves — données, dans le contexte travaux de recherche — vous faudrait-il pour que ce que vous souhaitez se réalise? Quelle est cette recherche?
Mme Hunt : Je ne pense pas qu'il nous faille davantage de recherche. Il s'agirait pour les personnes qui verseraient des fonds de comprendre l'envergure des problèmes. Lorsque vous avez de la recherche, vous avez de meilleures assises.
Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce pour légitimiser ce que vous savez déjà, de manière à infléchir les résultats?
Mme Hunt : Non.
Mme Vandergrift : Nous n'avons pas demandé davantage de recherche. Vous avez une longue bibliographie de travaux de recherche à laquelle œuvre, je pense, le comité.
Un volet de la recherche qui pourrait peut-être être accru est celui dans lequel vous pourriez entendre plus directement les jeunes gens. J'ai fait état des recommandations que le Canada a reçues en 2003 du comité après dépôt des rapports, car il y est dit qu'il y a certaines choses que nous devrions être en train de faire. Cela m'attristerait vraiment si le comité ici réuni réclamait simplement davantage de recherche et ne commençait pas à agir sur la base de ce que nous savons. C'est un domaine qui évolue beaucoup.
Le sénateur Nancy Ruth : Madame McHugh, l'APN demandait davantage de recherche. De quel genre et pourquoi?
Mme McHugh : La raison pour laquelle nous demandons de la recherche est que, bien que l'on dispose de données au sujet de la société dans son ensemble, nos collectivités des Premières nations ne disposent pas de fonds pour faire de la recherche. Comme nous le savons, pour accéder à des fonds ou pour déposer des propositions, il nous faut avoir les données nécessaires pour appuyer nos requêtes. Dans bien des cas, nous ne possédons pas ces données, et c'est le cas surtout en matière d'exploitation sexuelle de nos enfants.
Nous avons bel et bien besoin de travail de recherche. Nous avons des solutions, comme l'analyse culturellement pertinente et sensible à la spécificité des sexes dont j'ai parlé dans ma déclaration. Nous œuvrons à des solutions que nous pourrions utiliser dans le cadre de nos interventions devant les collectivités, mais il nous faut la recherche pour pouvoir avoir une idée de l'ordre de grandeur du problème auquel nous faisons face.
Le sénateur Nancy Ruth : Je vais poser la question différemment. Il y a eu beaucoup de commissions royales sur toutes sortes de choses, et dont la plupart des recommandations ne sont pas toujours mises en œuvre. Disons les choses comme cela.
Avez-vous quelque preuve que le fait de soumettre davantage de résultats de recherche auprès du gouvernement change la programmation, change les lois?
Le sénateur Mitchell : Cela dépend du gouvernement.
Le sénateur Nancy Ruth : Laissez-les répondre, sénateur Mitchell.
Avez-vous déjà vu cela? Cela a-t-il jamais fonctionné?
Mme Wolski : Il y a plusieurs dossiers auxquels nous travaillons à l'Association des femmes autochtones du Canada, et le suicide en est un autre. Nous posons cette question. Vous voulez plus de chiffres; vous voulez des chiffres pour pouvoir intervenir dans le dossier. À partir de quand est-ce suffisant? Combien de suicides suffisent? Un seul suffit-il? Cent suffisent-ils? À partir de quel moment pouvons-nous véritablement dire que cela suffit, qu'il est temps d'agir?
Une partie réellement frustrante de ce que nous faisons est d'essayer de fournir les renseignements dont le gouvernement a besoin : brossez-nous le tableau, aidez-nous à comprendre l'envergure du problème, donnez-nous les chiffres. Cela tourne toujours autour de chiffres.
J'aimerais proposer que l'on fasse de la recherche au Canada sur la question du Canada en tant que pays source. Du point de vue des femmes autochtones, nous n'examinons pas cette question pour dire que les femmes autochtones sont ciblées dans ce pays en vue de leur exploitation sexuelle. Nous sommes un pays source pour l'exploitation sexuelle et la traite de personnes. J'ai assisté à de nombreuses réunions avec différents ministères gouvernementaux et entendu que, non, nous ne sommes pas un pays source mais un pays de transit, de destination. Il nous faut faire la recherche. Tant que la recherche n'est pas faite, cela ne sert à rien.
Ils ont besoin des chiffres, et ils ne feront pas la recherche tant et aussi longtemps qu'ils n'ont pas les chiffres. C'est l'histoire de la poule et de l'œuf. Il nous faut les chiffres.
Mme Hunt : Il y a de nombreuses façons d'aborder la recherche. En tant que chercheure communautaire, il y a des façons de faire de la recherche qui aident à bâtir la capacité à l'intérieur des collectivités.
En Colombie-Britannique, il y a de nombreuses petites communautés autochtones très éparpillées qui ne compilent pas régulièrement de données. Afin d'avoir une idée de l'envergure véritable du problème et d'établir une capacité à l'intérieur de ces localités, celles-ci doivent faire rapport et saisir de manière uniforme les mêmes données. Ce genre de recherche est axé sur la communauté et est utile pour que ces collectivités comprennent comment livrer au mieux les programmes destinés aux jeunes. Il ne s'agit pas de compiler des chiffres pour le simple plaisir d'en avoir, mais d'utiliser les données pour créer également des capacités au niveau communautaire.
Marie Frawley-Henry, spécialiste des questions féminines/analyste principale en matière de politiques, Assemblée des Premières Nations : Bonjour. Je travaille avec l'Assemblée des Premières Nations et Kathy McHugh, du Conseil des femmes. J'aimerais insister moi aussi sur l'importance de la recherche, ce qui plaide en faveur du cadre d'analyse sensible à la spécificité des sexes dont nous avons parlé plus tôt. Plus particulièrement, il s'agit d'un processus de rétablissement de l'histoire des rôles et responsabilités traditionnels des hommes, des femmes, des filles et des garçons. Cette lentille dont je parle est un cadre d'analyse culturellement pertinent et sensible à la spécificité des sexes et qui examine l'incidence des programmes, politiques et lois sur les hommes, les femmes, les filles, les garçons et toutes les autres catégories dans le continuum des sexes. Il s'agit également pour nous d'une source de recherche culturellement pertinente ainsi que d'approches « d'éveil de la mémoire ». Cela est très important dans le contexte actuel.
Comme vous le savez, l'égalité des sexes ne fonctionne pas dans le monde, et une lentille ABD culturellement pertinente est essentielle au rétablissement de cette égalité. Nous aimerions beaucoup vous livrer à vous également ce cadre. Il sera prêt en novembre, avec une traduction française.
Le sénateur Brazeau : J'ai entendu plusieurs d'entre vous dire que le gouvernement ferme les yeux sur le problème, et nous sommes ici pour parler de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada. C'est un cliché que de toujours dire que les gouvernements doivent faire plus, et peut-être que c'est vrai. Cependant, j'aimerais entendre vos vues quant aux initiatives audacieuses et concrètes qu'a prises le gouvernement au cours des trois dernières années, plus particulièrement relativement à l'adoption de changements législatifs dans le cadre du projet de loi C-21, prévoyant des droits de la personne pour les citoyens membres des Premières nations et, plus particulièrement, la protection des droits de la personne pour les femmes et les enfants, étant donné que ces groupes sont les plus sensibles à la discrimination tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de leurs communautés.
Il y a également le projet de loi C-268, déposé à l'autre endroit par Joy Smith, qui vise la traite de personnes et qui protège les femmes et les enfants dans les affaires de traite de personnes et impose des peines minimales de cinq ans aux personnes jugées coupables de commerce d'êtres humains. Il s'agit là d'encore un autre niveau de protection pour les femmes et les enfants autochtones dans ce pays.
Il y a également la question des droits en matière de biens immobiliers matrimoniaux, pour lesquels est en train d'être élaboré un projet de loi, encore une fois pour protéger les femmes et les enfants dans le cas tout particulier de la rupture de mariage, un autre dossier important pour les femmes autochtones.
Je me sens à l'aise pour dire qu'un grand nombre de femmes autochtones, au sujet surtout de la question des biens immobiliers matrimoniaux et de celle du trafic de personnes, qui se sont entretenues avec Joy Smith, députée, appuient cette initiative et l'idée d'une loi en matière de droits relatifs aux biens immobiliers matrimoniaux. J'aimerais entendre vos vues sur ces trois exemples concrets de choses que le gouvernement a instaurées en vue d'assurer une meilleure protection aux femmes autochtones et à leurs enfants. La loi va-t-elle suffisamment loin? Dans la négative, alors que faudrait-il faire pour combler les lacunes, s'il y en a?
Mme McHugh : Merci de la question. En ce qui concerne les différentes initiatives législatives qui ont été mises sur la table, c'est une chose d'adopter une loi et c'en est une autre de l'appliquer. Si nous n'avons pas les ressources nécessaires à la mise en œuvre de ces nouvelles lois, alors il nous sera très difficile de nous attaquer aux problèmes sérieux, notamment celui au sujet duquel nous comparaissons ici aujourd'hui.
En ce qui concerne la protection des femmes et des enfants autochtones, il nous faut faire beaucoup plus que ce que prévoit la loi dont vous avez fait état. Il nous faut revenir aux déclarations que j'ai faites au sujet d'une analyse culturellement pertinente et sensible à la spécificité des sexes. Il nous faut revenir à notre histoire et apprendre à nos jeunes les rôles et les valeurs que nous partagions à égalité entre hommes et femmes, et retourner en arrière pour transmettre ces leçons à notre jeunesse, car la colonisation a eu sur nous une incidence négative. Cela remonte plusieurs générations en arrière; pourtant, nous ne nous sommes pas encore remis de ces politiques étrangères qui nous ont été imposées. Ces nouveaux textes de loi ont récemment été déposés, et il faudra des ressources pour les mettre en œuvre dans nos collectivités. Il nous faut les examiner avec l'Assemblée des Premières Nations.
Mme Wolski : J'aimerais faire un commentaire au sujet des lois. Il est formidable que nous ayons des lois, mais il nous faut de l'action. Il y a une grosse différence entre loi et action.
Mme Vandergrift : Je ne suis pas Autochtone, alors je voulais céder la place aux autres témoins. Je parlais tout particulièrement de la peine minimale pour le trafic de personnes, mon souci concernant le nombre d'affaires qui finissent par aboutir devant les tribunaux et le fait que le taux de réussite en cas de poursuite ne soit que de 50 p. 100.
La semaine dernière, on vous a rapporté qu'il y a en cours 21 poursuites pour trafic intérieur. Il s'agit d'accusations, mais un plus petit nombre de ces affaires aboutiront devant les tribunaux. Puis, si seuls 50 p. 100 d'entre elles débouchent sur une condamnation, alors nous n'aurons pas touché à un grand nombre de cas. C'est pourquoi nous plaidons en faveur de quelque chose de plus large. Cela vous aide-t-il à comprendre?
J'ai été personnellement très choquée de lire qu'il n'y avait eu que 243 cas en 2007 sous la catégorie générale de pornographie et prostitution. Nous ne poursuivons pas beaucoup d'actions, et même là, les taux de condamnation sont faibles. À quoi cela servirait-il d'augmenter la peine?
Mme Hunt : Je me ferai l'écho de ce qui vient d'être dit. La législation est un élément important. Je pense que faire passer l'âge de consentement à 16 ans est une bonne chose. Ces éléments sont tous importants, mais je pense qu'au niveau communautaire la sous-déclaration est un problème énorme, car n'intervient alors même pas le système judiciaire. D'autre part, je connais de nombreux cas où les gens ont porté plainte, se sont fait intimider et n'ont pas témoigné ou n'ont pas poursuivi avec la voie judiciaire. L'accusation est retirée pour quelque raison, et l'affaire n'aboutit donc pas à une condamnation. Peu importe quelle est la peine minimale, car l'affaire n'arrive pas à ce stade.
Le sénateur Brazeau : Un rôle pour vous, en tant que défenseur, pourrait-il être de travailler avec les différents services de police à l'échelle du pays et de vous engager de manière à ce que le nombre d'incidents déclarés diminue et à ce que les gens se sentent à l'aise de les rapporter?
Mme Hunt : L'un des défis en région rurale est que les policiers ne restent en place que pour un an ou deux, après quoi ils se font muter ailleurs. De nouvelles recrues arrivent, on commence à bâtir des relations, puis les gens repartent et il vous faut recommencer tout le processus d'éducation.
Il y a également des services policiers autochtones qui font du bon travail dans les réserves. Cependant, le volet établissement de relations, du fait de la façon dont les choses fonctionnent et sont structurées, n'a pas une incidence aussi forte qu'il le pourrait.
Le sénateur Brazeau : Collectivement, il nous faut commencer quelque part.
Mme Hunt : Oui.
Mme Wolski : L'on ne peut pas faire abstraction de la relation historique qu'ont eue les Autochtones avec les figures d'autorité. Cela pèse lourdement sur eux lorsqu'il s'agit de se sentir suffisamment à l'aise pour s'adresser à une figure d'autorité et raconter ce qui se passe peut-être chez soi. Nous savons tous très bien que cette relation remonte plusieurs siècles en arrière. Une relation a été instaurée avec les autorités installées dans nos collectivités.
Le sénateur Dallaire : Un rapport intitulé Sacred Lives : Canadian Aboriginal Children and Youth Speak Out About Sexual Exploitation est sorti en l'an 2000. Vos rapports indiquent que la situation est pire qu'en 2000.
Je trouve intéressant que l'on dise qu' « une caractéristique commune est que des enfants autochtones se livrent à la prostitution ». Il me semble que cela ne tient pas debout que l'on parle d'enfants se livrant à la prostitution. Dans mon esprit, les enfants se font violer.
Mme Wolski : Oui, exactement.
Le sénateur Dallaire : Ils ne se livrent pas à la prostitution.
Il y a une chose sur laquelle j'aimerais que vous vous prononciez. Nous avons nous aussi constaté — et il y a un nouveau groupe de travail au Manitoba — qu'un nombre important de femmes autochtones disparaissent, sans que l'on obtienne forcément de bons résultats lorsqu'il est question de les retrouver, et parfois on les retrouve trop tard.
Serait-il juste de dire que si leurs mères ou d'autres femmes disparaissent, se font abuser et ainsi de suite, cela en soi a une forte incidence sur les filles, dans la mesure où elles se disent : « Eh bien, l'on ne s'occupe déjà pas des problèmes qui existent. Pourquoi devrais-je même m'attendre à quelque chose de mieux pour moi? »
Si tel est le cas, ne croyez-vous pas qu'il existe un système à deux paliers en ce qui concerne le recours aux déclarations d'Alerte Amber et autres choses du genre, dans le cas des enfants autochtones versus les enfants non autochtones du pays?
Mme Hunt : En Colombie-Britannique, comme vous le savez, nous avons le « Highway of Tears » le long de la Route 16. On parle beaucoup de femmes autochtones qui disparaissent le long de ce tronçon de route, mais ce sont des filles. Certaines d'entre elles ont plus de 18 ans, mais la plupart des personnes portées disparues ont été des adolescentes. Nous parlons de femmes, mais ce sont des filles.
Il y a un film formidable réalisé par Christine Welsh, intitulé À la recherche de Dawn, qui porte sur des femmes qui ont disparu. Dans le cas documenté par le film, survenu dans la région de Prince George, la jeune femme était introuvable depuis un an lorsqu'on a inscrit son nom sur la liste officielle et commencé à chercher à la retrouver.
Des gens des collectivités situées le long de la route en question m'ont dit qu'il faut être prudent quant à l'établissement d'un lien entre l'exploitation sexuelle et ces filles et femmes disparues, étant donné que certaines d'entre elles ont peut-être été exploitées, mais d'autres ont été victimes de meurtre et on a retrouvé leur corps tout à côté le long de la route.
Le sénateur Dallaire : Si le gouvernement fédéral a une relation particulière avec les peuples autochtones et si les solutions s'inscrivent à l'intérieur de services et de programmes fédéraux et provinciaux, savez-vous comment l'on pourrait obtenir du gouvernement fédéral qu'il assume davantage de responsabilité quant à la livraison de solutions « novatrices » à ces pierres d'achoppement intersectorielles et inter-paliers qui font que l'on ne recouvre pas le spectre tout entier, et que l'on crée tout simplement des trous dans lesquels tombent les enfants? Auriez-vous quelques idées novatrices à nous livrer et qui pourraient nous aider?
Mme Vandergrift dit qu'une réaction fondée sur les droits est essentielle. Pensez-vous qu'il nous faille dans ce pays créer des lois pour ce faire? Nous signons des traités, mais je ne crois pas que nous les mettions en œuvre. Un commissaire aux droits des enfants serait-il un instrument efficace pour faire avancer les choses, sinon vers une nouvelle législation, au moins vers une surveillance?
Mme Hunt : Je répondrai brièvement à la première question.
En Colombie-Britannique, nous sommes présentement plus ou moins confrontés à des gels de financement. Il y a un an ou deux, il a été lancé une initiative sur trois ans en vertu de laquelle un certain nombre de collectivités britanno- colombiennes se sont vu accorder des fonds pour établir des programmes. Cependant, le financement a été stoppé à la fin. Cela était venu de la province, en partenariat, je pense, avec le CNPC, ou Centre national de prévention du crime, qui y avait mis de l'argent.
Il y a eu par le passé une subvention unique, mais le montant était de 5 000 $, et cela a été saupoudré un petit peu partout dans la province. Si un programme est lancé, il ne dure qu'un an. Vous êtes limité dans ce que vous pouvez faire avec 5 000 $.
Pour ce qui est d'idées novatrices, je pense que l'octroi de financement pluriannuel, quelque chose de plus conséquent et de plus généralisé, est essentiel.
Mme Vandergrift : La Chambre des communes a adopté le principe de Jordan, qui est censé combler certaines des lacunes, en plaçant l'intérêt de l'enfant avant les différends fédéraux-provinciaux lorsqu'il est question d'enfants autochtones. Lors de notre conférence sur l'intérêt supérieur des enfants, nous avons entendu parler d'endroits au Manitoba où cette approche est en train d'être instaurée et appliquée sur le terrain. Cela est en train de porter fruit, mais ces localités sont bien trop rares. Pourquoi, la Chambre des communes ayant adopté le principe, celui-ci n'est-il pas en train d'être mis en œuvre afin que l'intérêt fondamental de l'enfant l'emporte et que vous régliez plus tard les différends en matière de financement? La chose pourrait être mise en œuvre, et plusieurs endroits en donnent l'exemple.
Oui, je pense qu'il nous faut des lois pour rendre la convention applicable de quelque manière au Canada. Je plaiderais en faveur de l'adoption d'une loi, étant donné que le 20e anniversaire approche. Prenons alors 10 ans, s'il le faut, pour que toutes nos lois soient conformes, mais envoyez comme message clair que le pays prend au sérieux les droits des enfants.
Il devrait ensuite y avoir un commissaire assorti d'un mandat spécial pour les questions autochtones étant donné que celles-ci relèvent en partie du fédéral. Je soutiendrais que l'avantage de mécanismes axés sur les droits est que vous commencez à examiner les résultats, la situation concrète des enfants.
Nous recevons des rapports qui nous disent combien de milliers de dollars sont dépensés. Il vous faut savoir, en votre qualité de législateurs, quel est le résultat de tout cela, après quoi vous pouvez l'évaluer. C'est là l'avantage de mécanismes fondés sur les droits. Ce serait un plus.
Nous percevons le fédéralisme comme étant l'obstacle qui nous empêche de faire cela. Je suis convaincue que ce serait un plus pour le fédéralisme d'envisager des mécanismes fondés sur les droits, car vous pouvez obtenir des résultats et déterminer ce qui a vraiment été fait ou pas fait avec votre argent en ce qui concerne les enfants.
Le sénateur Mitchell : J'ai été très touché par les exposés. Vous avez dit de nombreuses choses. L'un des messages en filigrane — et c'est peut-être plus qu'en filigrane, et bien explicite — est qu'il s'agit de questions très compliquées et qui sont très mal servies par une simplification exagérée de « mener une dure lutte au crime ». Je trouve cela extrêmement frustrant car cela ne sert aucune fin, sauf politique, et cela détourne l'attention des vraies questions et du vrai débat qui est nécessaire.
Voilà pourquoi je suis très intéressé par ce que vous dites au sujet de l'établissement d'un dialogue. J'estime que le gouvernement occupe une merveilleuse position à partir de laquelle non seulement légiférer, non seulement agir — bien que cela soit absolument essentiel —, mais également s'exprimer et créer les paramètres de meilleurs comportements et d'une meilleure compréhension et élever et promouvoir des choses comme les droits des enfants.
Cela m'intéresse beaucoup lorsque vous parlez de la nécessité d'établir un dialogue mieux structuré. Ce serait là un leadership réel. D'où viendrait-il? Cela fait partie du dialogue et les genres d'ateliers que vous organisez font partie du dialogue, mais lorsque vous traitez de cela dans le contexte que vous avez évoqué, que voulez-vous dire précisément?
Mme Vandergrift : Lorsque je parlais de la nécessité d'un dialogue au sujet des droits des enfants et de l'exploitation sexuelle comme sous-catégorie aux côtés des communautés culturelles et religieuses, c'est que ce serait un exercice à couches multiples. Les jeunes gens nous ont dit qu'il leur faut des endroits où aller pour faire le tri dans les conflits autour de ce qu'ils entendent de la bouche de leurs parents dans certaines localités. Ils essaient de s'adapter à la société canadienne dans le contexte de ces questions, et c'est là un niveau.
Encore une fois, je ne voudrais pas consacrer trop de temps à un récit, mais permettez que je vous donne l'exemple d'une femme de 20 ans qui a quitté une situation où elle était victime d'abus dans une communauté religieuse très fermée dans laquelle on l'a intégrée alors qu'elle était adolescente. Elle a 20 ans et elle ne possède pas les connaissances de base pour fonctionner dans la vie, ne sait pas s'occuper de transactions bancaires, n'a pas de mécanismes sociaux, et ainsi de suite. Comment cela peut-il arriver au Canada? Il n'y a aucun dialogue ni discussion avec ces leaders pour dire que ce n'est pas ainsi que les choses doivent se passer.
Lorsque nous faisons du travail de développement international, comme j'en ai fait, et nous trouvons confrontés à des situations d'enfants victimes d'abus et de mariages précoces, nous entrons et travaillons dans ces communautés en vue de changer les pratiques.
Il se passe des choses au Canada. Il nous faut des approches semblables. C'est pourquoi je parle de « dialogue », car nous savons que la loi ne fera que toucher la pointe de l'iceberg, mais il y a moyen de discuter avec les communautés. Je peux vous dire que certains d'entre nous dialoguons avec des femmes qui ont quitté Bountiful, en Colombie- Britannique. Je m'attends à ce qu'il y ait des changements positifs en découlant bien avant qu'il n'en vienne par l'intermédiaire du bureau du procureur général.
Le sénateur Mitchell : Il essaie.
Mme Vandergrift : Nous voulons parler de ce qui arrive aux jeunes filles — et aux jeunes garçons également — dans des situations comme cela. Comment changez-vous les pratiques, en tout cas par rapport à ceux et celles qui n'ont pas l'âge de la majorité? Je pense que c'est là une façon de procéder.
Cela se ferait à différents niveaux, mais un leadership politique est nécessaire pour que ce soit efficace.
Le sénateur Mitchell : Bien sûr. Lorsque vous parlez de programmes éducatifs fondés sur les droits, vous songez à ce qui est fait directement dans les écoles et vous êtes en train de dire qu'ils réussissent bien dans certains endroits, est-ce bien cela?
Mme Vandergrift : Nous aimerions voir des programmes fondés sur les droits dans toutes les écoles. Il est très encourageant de voir que certains des endroits qui font cela depuis trois ou quatre ans relèvent des résultats phénoménaux factuels. Cela est en train d'être fait. Il y a présentement une école en Colombie-Britannique qui en est, je pense, aux premiers stades.
La chose ne s'est pas affermie, alors il importe que ce soit généralisé, au lieu qu'il n'y ait que quelques jolis projets par-ci par-là.
Le sénateur Mitchell : Pourriez-vous nous donner quelques exemples? Pas maintenant, forcément, mais j'aimerais beaucoup pouvoir suivre cela dans des écoles et en savoir plus dans le détail.
Enfin, dans le récit de Mme Wolski — et l'on entend souvent cela — la personne s'adresse à la police et la police reste indifférente. Or, madame Hunt, je pense que vous avez mentionné qu'une partie du problème en ce qui concerne la police est que les agents sont trop souvent mutés dans les régions rurales, mais vous ne laissiez pas entendre que pendant qu'ils étaient en poste ils n'écoutaient pas.
Estimez-vous que les attitudes demeurent généralement un problème dans les services de police? Pensez-vous qu'il y ait une tendance à ne pas accorder à ces genres de situations et de problèmes l'importance qu'ils méritent et que l'on n'en fait que peu de cas?
Mme Wolski : Nous avons fait de la recherche dans le cadre de l'initiative Sœurs par l'esprit. Nous avons publié un rapport et celui-ci est disponible sur notre site Web. Il y a plusieurs histoires pour lesquelles cela a en fait été le cas.
Le sénateur Mitchell : Cela demeure donc un problème.
Mme Wolski : Cela peut arriver qu'une année entière s'écoule avant que quelqu'un dise même « Oh oui. J'imagine qu'elle ne va pas revenir ».
Le sénateur Mitchell : Dans les régions rurales, ce serait souvent la GRC, n'est-ce pas?
Mme Wolski : Oui.
Le sénateur Mitchell : Nous parlons d'exploitation sexuelle. Y a-t-il des questions ou des considérations spéciales, relativement, par exemple, aux enfants gais et aux adolescents gais, qui interviennent en la matière dans vos délibérations, et faudrait-il que les politiques, le dialogue ou les programmes traitent de cette sphère en particulier?
Mme McHugh : Dans l'exposé que nous avons fait sur le document cadre intitulé Culturally Relevant Gender Based Analysis, nous avons inclus les transgendéristes et les personnes bispirituelles. Il nous faut les inclure car ces personnes font partie de nos communautés. Leurs besoins ne sont pas différents de ceux des autres enfants pour lesquels nous travaillons. Nous les avons inclus et traitons de leur situation de manière à être efficaces dans tout le travail que nous faisons pour les jeunes gens. Ils comptent parmi nos membres.
J'aimerais également revenir sur la question des services de police. Dans les collectivités rurales, le temps de réponse des policiers est souvent très très long. Dans certains cas, ils ne se donnent même pas la peine de se rendre sur place. Dans certaines localités qui ont perdu le financement pour la police des Premières nations et où la GRC assure la surveillance des réserves, le délai d'intervention est souvent très long. Bien sûr, cela entrave la justice que nous espérons pour toutes les victimes.
Il nous faut également sans cesse rappeler les obstacles en matière de compétence auxquels nous nous trouvons confrontés relativement à notre financement ou à toute entente qui est en place. Il y a des questions de compétence qui ont une incidence sur le financement que nous espérons.
Par exemple, Mme Vandergrift a parlé du principe de Jordan. Bien que celui-ci ait été adopté au Parlement il y a de cela quelques années, nous ne disposons toujours pas des ressources nécessaires à la mise en œuvre de ce principe, et nos enfants continuent d'en être affectés. Ils continuent de tomber entre les mailles d'un filet qui ne fonctionne pas pour nous.
Lorsque nous parlons de l'exploitation sexuelle d'enfants, nous savons que le système judiciaire du Canada a échoué. La protection de nos enfants est une chose qui nous tient très à cœur, mais dont ne s'occupe pas le système judiciaire, car un trop grand nombre de nos enfants tombent entre les mailles du filet.
Mme Frawley-Henry : J'aimerais ajouter quelque chose en réponse à la première question. Oui, l'initiative politique que nous entreprenons dans le contexte de l'analyse culturellement pertinente et sensible à la spécificité des sexes englobe bel et bien les transgendéristes et les personnes bispirituelles dans nos communautés. Ainsi, cette politique serait inclusive, englobant, comme je l'ai dit, toutes les personnes le long du continuum sexuel : hommes, femmes, filles et garçons.
Ce programme politique particulier, qui a non seulement été mis en œuvre en tant que processus par l'Assemblée des Premières Nations mais le sera également à l'intérieur de nos régions ainsi que de nos collectivités des Premières nations, devra bien évidemment être assorti de ressources appropriées, et les considérations budgétaires devront également être équilibrées en matière de genre, bien sûr, ce qui est très important.
La présidente : Le sénateur Nancy Ruth a dit qu'elle avait une très courte question, et je demanderais que les réponses soient elles aussi brèves, car nous avons déjà empiété de 20 minutes sur le temps réservé au groupe de témoins suivant.
Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais examiner plus avant la demande de la création d'un poste de commissaire. L'idée circule depuis quelques années, et cela me préoccupe. J'aimerais savoir, en partie, ce qui sous-tendrait cette structure. Depuis la création par Joe Clark du poste de ministre responsable de la Situation de la femme, nous avons eu au moins huit premiers ministres, mais la pauvreté, les abus sexuels et tout le reste perdurent.
Voilà pourquoi je demande ce qu'il devrait y avoir derrière ce commissaire. Pensez-vous que cela fonctionnerait différemment du bureau du commissaire aux langues officielles ou du cabinet du ministre de Condition féminine ou autre? Il intervient également un grand nombre de questions qui sont du ressort des provinces.
Mme Vandergrift : Ces questions se font longuement débattre au sein de notre communauté. Premièrement, il faudrait que cela soit inscrit dans une loi afin que la Convention relative aux droits de l'enfant fasse partie du droit canadien. Il importe que le mandat soit solide.
Deuxièmement, je préconiserais un mécanisme de plaintes afin que les jeunes gens puissent faire appel à ce bureau afin qu'il y ait enquête sur les problèmes et règlements.
En ce qui concerne sa valeur, voici mon espoir : nous avons à l'heure actuelle trois commissaires provinciaux à l'enfance qui ont utilisé des rapports fondés sur les droits pour changer les choses dans leur province, soit la Colombie- Britannique, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick. Ces défenseurs des enfants disent tous qu'il nous faut un commissaire fédéral, et ils sont en train de faire fonctionner la chose et d'amener des changements. Ils utilisent une analyse des résultats fondée sur les droits, et ils ont été en mesure d'apporter certains changements. Il faudrait en tout cas qu'il y ait un solide mandat de ce genre. Je suis d'accord avec vous là-dessus. Cela me décevrait profondément si l'on ne faisait que créer encore un autre bureau.
La présidente : Je tiens à remercier tous nos invités. Nous avons certainement fait un usage efficace du temps dans le cadre de notre étude.
L'une des questions soulevées concernait les modèles de rôle au sein de vos propres communautés et, plus particulièrement, en ce qui concerne les Autochtones. Comme le montre l'histoire, dans le travail international que vous avez fait, madame Vandergrift, si les leaders prennent les questions au sérieux, cela a un effet d'entraînement ailleurs.
En ce qui concerne la question des abus commis dans les communautés, je serais intéressée de savoir si vous avez des exemples de dirigeants autochtones qui en ont fait une priorité dans leurs propres communautés. Il serait intéressant de convoquer ces personnes afin de savoir comment cela a fonctionné. Si vous connaissez quelque chose de pratique qui existe sur le terrain, ce serait là une excellente façon de procéder, étant donné que les incidents sont si nombreux à ne pas être déclarés. La chose est acceptée dans les collectivités. Appuyer l'action à la source dans les collectivités serait la première étape. Le reste tomberait alors en place.
Si vous pouviez fournir verbalement ou par écrit au greffier des modèles qui ont réussi, cela nous serait utile. Merci du temps que vous nous avez accordé aujourd'hui, de votre expertise et de votre engagement à l'égard de ce dossier.
Honorables sénateurs, notre prochain groupe de témoins est composé de représentants de deux ministères, Affaires indiennes et du Nord Canada et l'Agence de la santé publique du Canada. Vont nous faire des exposés Mme Quinn et M. Segard.
Mary Quinn, directrice générale, Direction générale de la politique sociale et des programmes, Affaires indiennes et du Nord Canada : Merci de l'occasion qui m'est ici donnée de comparaître aujourd'hui devant le comité. M'ont accompagnée ici Line Paré, de la Direction générale des relations extérieures et problématique hommes-femmes, et John Gordon, du Bureau de l'Interlocuteur fédéral, traitant des responsabilités du ministre à l'égard des Indiens non inscrits et des Métis. C'est un privilège pour mes collègues et moi de comparaître devant le comité et d'entendre de première bouche les vues des membres du panel dans le cadre de la poursuite de votre examen de l'inquiétant sujet qu'est l'exploitation sexuelle des enfants au Canada.
J'aimerais vous donner une esquisse générale du travail que fait Affaires indiennes et du Nord Canada à l'appui des femmes, enfants et familles autochtones. Je décrirai également certaines initiatives dont Mme Paré, M. Gordon et moi- même sommes responsables.
[Français]
Comme vous le savez, le Canada comprend une population d'environ huit millions d'enfants, parmi lesquels on compte un nombre considérable de jeunes enfants autochtones formant le segment de la population d'enfants qui s'accroît le plus rapidement.
Je peux assurer les membres du comité que nous reconnaissons le caractère sérieux de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada et que nous sommes particulièrement soucieux de la sécurité et du bien-être de tous les enfants inuits, métis et des Premières nations.
[Traduction]
Affaires indiennes et du Nord Canada, ou AINC, assume le mandat général de soutenir les peuples autochtones et nordiques du Canada pour favoriser des collectivités saines et durables tout en poursuivant un développement économique et social. Il existe un certain nombre de déterminants sociaux de la santé susceptibles d'accroître le risque d'exploitation des enfants. Nous avons entendu parler de plusieurs d'entre eux aujourd'hui, notamment manque d'éducation, chômage, pauvreté et violence familiale. Malheureusement, nombre de ces facteurs ont une incidence disproportionnée sur les collectivités autochtones et leurs enfants.
Grâce au soutien d'AINC des programmes de développement social et communautaire et d'éducation au sein des réserves, nous travaillons étroitement avec les partenaires autochtones, fédéraux et provinciaux afin de nous employer à agir sur ces déterminants sociaux et à bâtir des familles des Premières nations en meilleure santé et jouissant d'une plus grande sécurité. La réforme et l'élaboration permanentes de ces programmes sont essentielles à l'examen des causes fondamentales pouvant contribuer à l'exploitation sexuelle des enfants à l'intérieur et à l'extérieur des réserves pour, en fin de compte, empêcher les enfants d'emprunter un mauvais chemin qui pourrait les rendre vulnérables.
Les collectivités et les familles autochtones tirent parti du Plan d'action économique du Canada qui a investi de façon prioritaire dans la création d'occasions favorables pour les Canadiens. Ces derniers, notamment les Canadiens autochtones, connaîtront ainsi un environnement plus sécuritaire. Grâce au Plan d'action économique du Canada, les familles et les collectivités des Premières nations bénéficient également de près de 1 milliard de dollars en investissements pour répondre aux besoins urgents d'infrastructure dans les réserves, comme le logement, la construction d'écoles ainsi que l'accès amélioré à l'eau potable. Grâce à des réformes législatives, comme le projet de loi C-8, Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux, le gouvernement du Canada est en train de prendre des mesures concrètes pour fournir aux femmes des Premières nations les droits et les solutions dont jouissent les autres Canadiennes.
Par exemple, il y a trois ans, le Programme des Services à l'enfance et à la famille des Premières nations a adopté une approche axée sur la prévention rehaussée. Il s'agit d'une approche tripartite, englobant les provinces, le gouvernement fédéral et les Premières nations, et qui porte sur la prévention plutôt que sur les soins à l'extérieur du domicile. En 2006, l'actuel gouvernement s'est engagé à verser une somme de 98 millions de dollars pendant cinq ans pour introduire et mettre en œuvre cette approche en Alberta. En 2008, le gouvernement a alloué une somme supplémentaire de 115 millions de dollars sur cinq ans pour instaurer cette nouvelle approche en Saskatchewan et en Nouvelle-Écosse.
Plus tôt ce mois-ci, le gouvernement du Canada a annoncé le détail d'un octroi supplémentaire de 20 millions de dollars sur deux ans pour les services à l'enfance et à la famille des Premières nations décrit dans le Plan d'action économique du Canada. Ces fonds permettront aux agences de services à l'enfance et à la famille au Québec et à l'Île- du-Prince-Édouard d'effectuer la transition vers une approche axée sur la prévention rehaussée. On prévoit que toutes les provinces auront effectué cette transition d'ici 2013. L'approche préventive vise à appuyer les parents et à maintenir les familles ensemble, ce qui renforcera le sentiment de sécurité chez les enfants et, nous l'espérons, diminuera leur risque d'exploitation sexuelle. Il existe un programme connexe, soit le Réinvestissement de la prestation nationale pour enfants d'AINC. Ce programme se rapproche des programmes de soutien du revenu et vient en aide aux familles en assurant un financement à des projets communautaires visant les soins aux enfants, des activités de transition de la maison au travail, le soutien parental et alimentaire ainsi que des programmes culturellement pertinents.
Je vais maintenant vous entretenir brièvement du travail du Bureau de l'Interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits visant à améliorer les conditions socio-économiques des Métis, des Indiens non inscrits et des Autochtones en milieu urbain, notamment par l'entremise de discussions avec les provinces et les organisations qui représentent et servent les peuples autochtones à l'extérieur des réserves partout au Canada. Le Bureau de l'Interlocuteur fédéral se sert par ailleurs de la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, une initiative communautaire élaborée par le gouvernement du Canada dans le but d'améliorer les possibilités sociales et économiques des Autochtones qui vivent dans les centres urbains.
[Français]
Grâce à la stratégie pour les Autochtones vivant en milieux urbains, le gouvernement du Canada assume un partenariat avec les collectivités autochtones et les organisations locales, les gouvernements municipaux et provinciaux et le secteur privé. Ces partenariats soutiennent les projets qui répondent aux priorités locales, en plus de faire progresser les secteurs prioritaires nationaux de la stratégie, améliorer les aptitudes à la vie quotidienne, promouvoir la formation pour l'emploi, les compétences et l'entrepreneuriat et soutenir les femmes, les enfants et les familles autochtones.
[Traduction]
Depuis 2007, plus de 140 projets ont traité de diverses questions, entre autres la guérison et le bien-être, le leadership et l'accès à l'autonomie, la réduction des préjudices et la prévention de la violence dans certains des plus grands centres urbains du Canada. De manière plus générale, la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies joue un rôle important dans le développement et la mise en œuvre des droits des enfants au Canada, en plus de servir à influencer nos stratégies politiques, plans d'action et initiatives.
Si vous permettez, je vais maintenant vous entretenir du Programme de prévention de la violence familiale.
[Français]
La question de la violence contre les femmes autochtones et leur famille au Canada ne peut être ignorée étant donné qu'elle est liée à la protection des droits des enfants. Le Programme de prévention de la violence familiale du ministère travaille étroitement avec les partenaires fédéraux et autochtones afin de fournir des services de protection et de prévention dans les collectivités des Premières nations. Il vise à s'assurer que les femmes et les enfants des Premières nations ont un endroit sécuritaire où se refugier lors des situations de violence familiale, tout en soutenant les collectivités des Premières nations et traitant des causes fondamentales de la violence familiale par le truchement d'une série d'activités de prévention.
Cinq nouveaux refuges des Premières nations sont présentement en construction. Les programmes de violence familiale destinés aux femmes et aux enfants à l'extérieur des réserves sont offerts par les gouvernements provinciaux et territoriaux.
[Traduction]
Par ailleurs, le quatrième anniversaire de la vigile des Sœurs par l'esprit a eu lieu hier, le 4 octobre, honorant les vies de nombreuses femmes et filles autochtones disparues et offrant du soutien aux familles endeuillées des victimes. Il incombe à tous les ordres de gouvernement ainsi qu'aux organismes d'application de la loi, au système judiciaire, à la société civile et aux intervenants de mettre fin à ce type de violence.
Le ministère tient également à rendre hommage à l'Association des femmes autochtones du Canada pour le travail que celle-ci a accompli par l'entremise de l'initiative des Sœurs par l'esprit. L'AFAC a contribué à notre compréhension de l'étendue et de la nature de la violence faite contre les femmes et les enfants autochtones. Ensemble, nous avons entrepris des activités visant à vérifier le nombre de femmes disparues et assassinées, à comprendre les raisons profondes de la violence raciale et sexuelle et à élaborer une stratégie visant à améliorer les programmes, les services et les politiques destinés à réduire et au final à éliminer la violence contre les femmes et les enfants.
En dépit de tous les efforts déployés par ceux et celles qui se consacrent à l'amélioration des déterminants généraux de la santé et à l'établissement de programmes plus ciblés, il reste encore beaucoup à faire pour combler l'écart entre les Canadiens autochtones et non autochtones. Nous sommes engagés à poursuivre ce travail avec nos partenaires. Mes collègues et moi ferons de notre mieux pour répondre à vos questions.
Sylvain Segard, directeur général, Direction générale de la promotion de la santé et de la prévention des maladies chroniques, Agence de la santé publique du Canada : Honorables sénateurs, m'accompagne ici aujourd'hui Kelly Stone, directrice de la Division de l'enfance de et l'adolescence au Centre.
Je vous remercie de m'avoir invité à venir comparaître ici devant le comité. Vous relèverez un certain parallélisme avec l'exposé de Mary Quinn sur le plan de la philosophie sous-tendant le programme de l'agence. L'approche de l'agence en vue de la prévention des abus, vu l'importance qu'elle lui accorde, est centrée sur le développement sain des enfants appuyé sur les déterminants sociaux de la santé. Je vais vous entretenir de notre modèle de programmation ainsi que de notre rôle particulier en vue de la mise en œuvre et de la coordination des engagements pris en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies.
Les principes de la Convention, avec l'accent qu'ils mettent sur la possibilité pour les enfants de réaliser leur plein potentiel, inspirent notre action à l'égard des grands déterminants de la santé, y compris des facteurs comme le revenu, le statut social, l'éducation, l'alphabétisme, l'emploi et nombre d'autres éléments dont Mme Quinn a fait état aujourd'hui.
[Français]
Bon nombre de ces facteurs seront abordés dans le prochain rapport annuel sur l'état de la santé publique au Canada que l'administrateur en chef de la santé publique déposera sous peu à la Chambre des communes. Cette année, ce rapport se concentre sur les problèmes et les conditions auxquels font face les enfants et adolescents au Canada. Je vous invite à consulter ce rapport lorsque qu'il sera rendu public, d'ici quelques jours.
[Traduction]
L'approche globale de promotion de la santé de l'Agence de la santé publique du Canada est fondée sur la reconnaissance qu'il n'existe pas de solution facile aux divers défis en matière de santé auxquels font face les enfants et les familles. Dans le cadre des efforts que nous déployons pour aider à prévenir l'exploitation sexuelle, nous travaillons étroitement avec d'autres ministères fédéraux, les provinces et les territoires, des ONG et des groupes communautaires afin de fournir aux enfants et aux familles à risque les renseignements et les outils dont ils ont besoin pour reconnaître les divers facteurs de risque qui peuvent contribuer à la violence et à l'exploitation et pour y faire face.
Cette approche proactive nous permet non seulement de prendre en charge les facteurs de risque négatifs, mais aussi de cerner et de favoriser les facteurs de protection qui appuient un développement sain de l'enfant. En nous concentrant sur les facteurs de protection tels que l'éducation, l'apprentissage et la promotion de la santé, nous avons pu élaborer des programmes d'intervention à l'intention des enfants et des familles fortement ciblés et fondés sur leurs forces.
[Français]
Parmi nos programmes qui connaissent le plus de succès, je mentionnerai entre autres le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones dans les collectivités urbaines et nordiques, le Programme canadien de nutrition prénatale et le Programme d'action communautaire pour les enfants et les familles à risque.
Ces programmes représentent d'importants investissements en amont dans la santé et le développement social des enfants les plus vulnérables et les plus défavorisés au Canada.
[Traduction]
Comme je l'ai mentionné au début, notre approche globale de protection et de promotion de la santé s'inspire de l'engagement du gouvernement du Canada à l'égard de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies. La responsabilité de la coordination de la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies au niveau fédéral incombe conjointement au ministère de la Justice et à l'Agence de la santé publique du Canada.
Comme le savent peut-être les membres du comité, l'Agence de la santé publique du Canada copréside également le groupe de travail interministériel sur les droits de l'enfant qui a été officialisé en 2007 afin de donner suite à une recommandation formulée par le comité permanent. Kelly Stone en est la coprésidente représentant l'agence et elle pourra répondre plus tard à des questions portant précisément là-dessus si vous en avez.
En assurant une discussion régulière sur les droits de l'enfant et les enjeux connexes, le groupe de travail contribue de façon appréciable à sensibiliser les représentants fédéraux aux obligations du Canada en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies et à les leur faire mieux comprendre.
Bien que le Canada ait fait d'importants progrès au cours des deux dernières décennies pour satisfaire aux normes de la convention, nous savons qu'il nous reste encore beaucoup de travail à faire afin que ces normes soient une réalité pour tous les enfants du Canada. L'une des façons dont nous y œuvrons est de promouvoir une plus grande sensibilisation et collaboration à l'égard des enjeux relatifs à la santé des enfants par le biais de notre célébration annuelle de la Journée nationale de l'enfant le 20 novembre. Vous vous souviendrez peut-être que le thème de la Journée nationale de l'enfant de novembre dernier était le droit des enfants à la protection contre l'exploitation sexuelle. Cette question nous tient à cœur et continuera de nous tenir à cœur. Cette année, bien sûr, nous n'avons aucun thème précis, étant donné que nous avons choisi de nous concentrer sur le 20e anniversaire et de célébrer l'ensemble des réalisations qui ont été possibles.
[Français]
Le Centre national d'information sur la violence familiale de l'Agence de la santé publique du Canada, qui nous gérons au nom du gouvernement du Canada et son initiative de lutte contre la violence familiale constituent une autre initiative importante qui reflète notre engagement à l'égard des principes de la Convention.
Ce centre offre des renseignements sur la violence au sein des relations d'intimité, de dépendance ou de confiance entre parents. Ces ressources incluent des publications, des vidéos, un site web, une collection bibliothécaire d'ouvrages de référence ainsi qu'une ligne d'information 1-800 à laquelle les gens peuvent se référer.
Le centre d'information offre également un répertoire et un service d'aiguillage afin d'aider les personnes intéressées à entrer en contact avec des personnes ressources et des organisations qui s'occupent de violence familiale. Le répertoire inclut même un répertoire national des programmes de traitement pour auteurs d'agressions sexuelles sur les enfants.
[Traduction]
L'agence contribue également à la protection des enfants par le biais de sa surveillance des taux d'incidence de mauvais traitements infligés aux enfants au Canada. Cela est effectué par le biais de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants qui est menée tous les cinq ans. Les données de surveillance complètes les plus récentes, de 2003, montrent que la négligence était la forme de mauvais traitements corroborés envers les enfants la plus fréquemment signalée, suivie de l'exposition à la violence au foyer, des mauvais traitements physiques et des sévices émotionnels. Les abus sexuels étaient la forme la moins courante de mauvais traitements corroborés. Cela ne veut pas dire que ces abus sont de moindre importance, mais ils étaient un facteur moindre.
L'agence travaille actuellement au cycle de collecte de données de 2008 et espère pouvoir dans un proche avenir faire rapport des dernières statistiques en matière d'abus et de négligence envers les enfants.
[Français]
L'esprit de la Convention relative aux droits des enfants des Nations-Unis se reflète également dans notre Programme des centres d'excellence pour le bien-être des enfants. Dans le cadre de ce programme, l'agence a appuyé quatre centres qui s'emploient à faire progresser les connaissances dans les domaines de la protection et du bien-être des enfants, du développement des jeunes enfants, des besoins spéciaux des jeunes et de l'engagement des jeunes.
[Traduction]
Une dernière initiative que j'aimerais mettre en relief cet après-midi est notre programme sur le rôle parental « Y'a personne de parfait ». Ce programme, qui est exécuté par 5 000 travailleurs sociaux, parents et infirmiers et infirmières de santé publique dans des localités partout au pays, a pour objet de répondre aux besoins des parents jeunes, célibataires, socialement ou géographiquement isolés ou qui ont un faible revenu et(ou) sont peu scolarisés. Le programme Y'a personne de parfait offre un soutien social et donne aux parents l'occasion d'en apprendre sur la croissance, le développement et le comportement normaux de leurs enfants et de partager leur expérience.
À ce jour, le programme Y'a personne de parfait a été traduit en neuf langues, ce afin de mieux joindre les populations vulnérables à l'échelle du pays, et il a même été adopté au niveau international, par le gouvernement du Chili, dans le cadre de son effort visant à améliorer les résultats sur le plan de la santé de ses enfants à risque.
[Français]
Comme vous pouvez le constater, avec les programmes que j'ai décrits l'Agence de santé publique du Canada fait des efforts considérables dans le but de répondre aux besoins des enfants les plus vulnérables et les plus défavorisés au Canada, y compris ceux qui risquent d'être victimes d'exploitation et d'abus sexuels.
Nos efforts portent sur la capacité d'habiliter les enfants et les familles à agir directement sur les facteurs de santé ayant une incidence sur leur vie à la maison, à l'école et dans la communauté.
[Traduction]
En continuant de nous concentrer sur l'information sur la santé, les outils et l'habilitation et en renforçant notre engagement envers la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies nous espérons nous assurer que tous les enfants du Canada aient le départ le plus sain possible dans la vie et réalisent leur plein potentiel en tant que membres actifs de la société canadienne.
Le sénateur Dallaire : Madame Quinn, un livre blanc produit par le ministère de la Défense nationale traitait de l'écart entre les engagements et la capacité. L'on a tenté d'y expliquer les besoins viables minimaux pour que les forces fassent leur travail conformément aux politiques établies. À l'époque, pour la seule armée, la dette au titre d'acquisition d'équipement se chiffrait à 12 millions de dollars sur 15 ans.
De combien avez-vous vraiment besoin pour être en mesure de réaliser vos objectifs dans le contexte de vos mandats? Pouvez-vous nous confirmer que votre financement et votre base de ressources correspondent à ce qu'il vous faut, ou, pour dire les choses autrement, à ce qui est nécessaire pour combler les lacunes dont nous avons en partie participé à la création dans les collectivités autochtones? Nous contrôlons le logement, et il y a surpeuplement des logements. La détérioration de l'infrastructure et des écoles sont des facteurs importants dans le Sud, mais semblent s'inscrire dans une perspective différente dans les collectivités autochtones.
Mme Quinn : Je ne pourrais certainement pas vous donner de chiffre précis. Je peux vous dire que le ministère dépense chaque année plus de 6 milliards de dollars. L'argent n'est bien sûr pas la solution à tout, mais a son importance. Nous sommes tenus de fonctionner chaque année dans le contexte d'un plafond de 2 p. 100 sur les dépenses, alors il incombe au ministère, travaillant aux côtés des Premières nations, de veiller à ce que nous dépensions cet argent de manière optimale.
Outre l'augmentation de 2 p. 100 pour nos programmes permanents, il y a des initiatives particulières pour lesquelles nous devons obtenir l'approbation du Cabinet. Ce sont là, comme vous le savez, les initiatives que l'on voit généralement dans les différents budgets, et que l'on a vues dans le Plan d'action économique de l'an dernier.
Nous savons également que nous avons, par exemple, des programmes de soutien du revenu et d'autres programmes sociaux, visant le logement, l'accès à l'eau potable et ainsi de suite, et pour lesquels il y a une demande énorme. La tâche qui nous revient donc est d'utiliser ces ressources de manière efficiente, de renforcer notre gestion de programme de manière à obtenir les meilleures données et les meilleurs résultats. Forts de ces renseignements, nous pouvons chercher à augmenter les fonds consacrés à ces programmes et œuvrer aux côtés d'autres partenaires pouvant apporter à la table argent, connaissances et expérience.
Le sénateur Dallaire : Au Manitoba, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, 90 p. 100 des jeunes engagés dans la prostitution de rue sont Autochtones. Avez-vous des programmes à long terme? Pourriez-vous lancer un projet sur les 20 prochaines années, mettons, pour répondre à un besoin social en vue d'améliorer ou de changer l'atmosphère au sein d'une collectivité, afin de faciliter un changement de paradigme autour d'une question comme l'abus sexuel d'enfants? Avez-vous cette capacité? Menez-vous des projets englobant des programmes à long terme?
Mme Quinn : Oui. Il y a les programmes permanents qui sont couverts par notre budget ordinaire, et ces budgets augmentent annuellement de 2 p. 100. Puis, le gouvernement peut annoncer un programme de cinq ans pour faire quelque chose, et ces programmes sont parfois prolongés.
Par exemple, pour ce qui est du programme des Services à l'enfance et à la famille des Premières nations, il y a 10 ans, il n'existait que très peu d'agences de services à l'enfance et à la famille de Premières nations. Ces services n'étaient pas gérés par les Premières nations. À compter de 2007, le ministère et le gouvernement de l'Alberta et les Premières nations de l'Alberta se sont entendus sur un cadre tripartite visant l'établissement de services à l'enfance et à la famille axés sur la prévention.
À bien des égards, avec nos programmes sociaux, comme l'aide au revenu et les services à l'enfance et à la famille, nous rattrapons ce que les provinces ont commencé à faire il y a de cela quelques années. Dans le cas des services à l'enfance et à la famille, il a surtout été question de retirer des enfants du foyer. Le gouvernement albertain et d'autres gouvernements ont tenté différentes approches, mettant l'accent sur la prévention afin que des services puissent être offerts au foyer aux parents ou aux enfants, aidant ainsi les travailleurs sociaux à prendre de meilleures décisions.
Nous avons reçu de l'argent dans trois budgets consécutifs pour poursuivre cette approche province par province. Nous travaillons province par province car c'est un domaine qui relève de la compétence des provinces, et celles-ci travaillent différemment et offrent différents services, dont des programmes de lutte contre la toxicomanie ou d'autres problèmes auxquels peuvent être confrontées les familles.
Nous avons des programmes pouvant être maintenus à long terme, mais il nous faut fournir des preuves de résultats et rendre compte aux contribuables pour pouvoir en maintenir le financement et, dans certains cas, pour obtenir des fonds supplémentaires lorsque nous déterminons que le travail mené avec nos partenaires est une façon beaucoup plus efficace de parvenir à un résultat. À moins de disposer de telles preuves et de tels résultats, il peut nous être difficile d'obtenir des ressources pour ce genre de nouvelle initiative ou d'initiative remaniée, si vous voulez.
Le sénateur Dallaire : L'on aurait pensé que tout ce qu'il vous faudrait faire c'est comparer ce que nous avons ici avec ce qui existe là-haut et, bingo, le tour est joué, au lieu d'avoir à faire toutes ces études, analyses et ainsi de suite. Je trouve incroyable, ayant siégé au Comité des peuples autochtones, tout ce qu'il vous faut faire — et je m'efforce d'être poli ici — pour obtenir les deltas de financement requis pour satisfaire les besoins minimaux, que nous jugeons essentiels ici pour les enfants, sachant que le gros des enfants qui se font exploiter sont autochtones. Même ce fait là ne semble pas faire pencher la balance, bien que vous ayez dit que certaines initiatives sont en cours. Les résultats ne sont certainement pas là, en ce qui nous concerne, pour ce qui est du delta de financement d'un besoin.
[Français]
Monsieur Segard, j'allais vous demander ce que vous comptiez faire pour le 20e anniversaire et vous me l'avez dit.
Vous occupez ce poste depuis maintenant trois ans. De quelle façon assurez-vous l'intégration entre les secteurs? Comment veillez-vous à ce que le principe de Jordan soit appliqué par d'autres départements afin de rencontrer les besoins des jeunes dans un contexte davantage axé sur la prévention et les droits des enfants?
M. Segard : Tout d'abord, j'aimerais apporter une légère correction. J'occupe ce poste depuis six mois et non trois ans.
Le sénateur Dallaire : On m'avait indiqué 2006, mais soit.
M. Segard : Par l'entremise du comité interministériel, nous suscitons le dialogue sur des questions incluant le principe Jordan. Dans ces discussions, nous demandons à chaque ministère concerné d'endosser son domaine d'analyse respectif et ses implications, comme l'exige le principe Jordan, en fonction de leur propre politique et de leurs programmes. Il faudrait donc poser la question à chacun de ces ministères.
Le sénateur Dallaire : Votre agence n'a pas un rôle de coordination?
M. Segard : Effectivement.
Le sénateur Dallaire : Alors le système fonctionne-t-il ou les gens refusent de suivre les consignes? Il faut tout de même beaucoup de flexibilité entre les différents ministères, les provinces et votre agence.
M. Segard : En effet. À cet égard, je crois que les gens sont bien conscients de leurs responsabilités et obligations. Vous pourrez peut-être poser la question à Mme Stone. En tant que coprésidente du comité interministériel, elle sera sans doute en mesure de vous en dire plus long sur la nature du dialogue.
[Traduction]
Kelly Stone, directrice, Division de l'enfance et de l'adolescence, Direction générale de la promotion de la santé et de la prévention des maladies chroniques, Agence de la santé publique du Canada : Le comité lui-même en est un au sein duquel l'on fait la promotion du dialogue, comme cela a été mentionné. Nous sommes en permanence en mode d'apprentissage. La responsabilité de l'Agence de la santé publique du Canada et du ministère de la Justice est de coordonner. Chaque ministère, comme l'a dit M. Segard, est responsable de son propre mandat législatif ainsi qu'en matière de politiques et de programmes, bien sûr, mais nous avons la possibilité de contribuer à placer une lentille axée sur les droits de l'enfant sur les politiques publiques lors de leur élaboration et sur les programmes lors de leur examen, dans le contexte des évaluations que nous faisons des programmes de l'Agence de la santé publique du Canada. Nous pouvons examiner ces évaluations et demander comment améliorer nos programmes à l'avenir et mettre à profit le fait qu'il existe maintenant un groupe de ministères qui sont de mieux en mieux informés au sujet de la convention, et comment appliquer cette expertise, dans le cadre d'une véritable lentille axée sur les déterminants sociaux de la santé et des droits, aux changements que nous pourrions apporter à la politique publique.
Le comité nous offre également l'occasion d'œuvrer de manière plus constructive à nos obligations en matière de rapports. L'année en cours est une année de rapports pour le Canada. Nous comptons que nos troisième et quatrième rapports seront prêts avant la fin de l'année. Bien sûr, ce travail doit également être coordonné avec les provinces et territoires, et pas seulement entre ministères fédéraux. Cela nous donne l'occasion d'œuvrer à des choses comme la Journée nationale de l'enfant. Plusieurs ministères ont cette année contribué des fonds en vue de cette célébration. Il se tiendra la même semaine une conférence d'apprentissage pour administrateurs gouvernementaux. Il y a également la conférence de l'Université d'Ottawa, à laquelle nous avons contribué.
Pour ce qui est de la Journée nationale de l'enfant elle-même, nous avons ensemble créé certaines activités, ainsi que des affiches et ainsi de suite que l'on expédie presque chaque jour quelque part au pays; on en envoie des milliers, à des écoles et à des garderies pour promouvoir la convention, les droits dont jouissent les enfants au Canada et partout dans le monde et leurs responsabilités, pour aider les enseignants et les travailleurs dans les garderies à participer à la célébration avec les enfants et à renseigner ces derniers au sujet de ces droits et responsabilités.
Cette initiative découle d'une recommandation du comité, et c'est une fort belle réussite. Cela ne fait pas très longtemps que nous travaillons ensemble formellement, mais je considère qu'il s'agit d'un réel succès. Nous marquons des progrès ensemble.
Le sénateur Jaffer : J'aimerais vous souhaiter à tous la bienvenue ici. J'ai trouvé vos exposés très intéressants.
On nous a fourni une statistique. On nous a dit, madame Quinn, que 22 p. 100 de fonds de moins sont donnés aux enfants en réserve ou Autochtones qu'au financement provincial. Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous éclairer en la matière?
Mme Quinn : Je pense que cette statistique renvoie au financement des Services à l'enfance et à la famille des Premières nations en réserve. Il y a quelques années, il y a eu un rapport qui est un outil très précieux et très utile vu les faits qu'il a mis au jour.
Le rapport fait une comparaison avec le financement provincial, car ce sont les provinces qui financent les services hors réserve. Je pense que ce rapport traitait du financement hors réserve, le comparant au financement en réserve. Nous travaillons province par province afin de mieux comprendre ce que les provinces consacrent directement aux services à l'enfance et à la famille et aux services connexes. Un ministère provincial des services à l'enfance et à la famille dépensera probablement plus d'argent pour appuyer les nombreux programmes s'y rattachant que nous nous dépenserions au titre de la prévention, du maintien et du fonctionnement des agences s'inscrivant dans le modèle de la prévention.
En résumé, les 22 p. 100 ont été établis dans le cadre d'un genre d'analyse — peut-être une analyse à l'échelle nationale —, tandis que nous, nous travaillons province par province. Lorsque nous établissons les cadres pour le modèle axé sur la prévention, nous nous assoyons avec la province car l'on ne peut pas trouver tous les renseignements dans leurs rapports annuels, et cetera. Je pense que le chiffre de 22 p. 100 relève d'une analyse propre, qui doit être envisagée selon sa valeur intrinsèque.
En nous assoyant avec les provinces en vue d'en arriver à une entente tripartite, il nous est possible de comprendre combien elles payent leurs agents de traitement des cas et autres services et fonctions à l'appui de leur travail et activités. C'est ainsi que nous pensons être en mesure d'en arriver à un bon chiffre, comparable à celui de la province et en mesure d'appuyer les activités et l'entretien et, bien sûr, les activités de prévention qui sont tout aussi importantes, voire davantage, dans ce domaine de la politique publique.
Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous s'il vous plaît nous fournir ces renseignements? Vous les avez manifestement province par province. Il serait utile que vous nous fournissiez, par l'intermédiaire du greffier ou de la présidente du comité, une explication de votre méthode de calcul et de celle des provinces.
Mme Quinn : Nous pourrions vous donner une indication du financement sur plusieurs exercices pour les cinq provinces dans lesquelles nous allons de l'avant avec le modèle axé sur la prévention.
Pour ce qui est de l'ensemble des provinces, l'une des recommandations du Comité des comptes publics a été de faire rapport sur la comparabilité provinciale. Le gouvernement, lorsqu'il a déposé sa réponse, a indiqué qu'il ferait cela, mais par étape, à commencer par les cinq provinces inscrites dans le modèle progressif, pour ensuite faire rapport sur les autres provinces.
Nous fournirons certainement au comité ce que nous avons, mais nous n'avons pas encore le tout, et nous avons également un engagement envers le Comité des comptes publics.
Le sénateur Jaffer : Si vous pouviez nous fournir ces données au fur et à mesure que vous les aurez, ce serait bien.
La présidente : Une partie du problème est que les Autochtones en situation de crise quittent les réserves pour se rendre dans les villes et dans d'autres collectivités. Ce chiffre de 22 p. 100 est difficile à évaluer car il s'agit d'une comparaison avec ce qui se passe du côté des services à la famille en réserve — je sais que c'est ainsi que cela fonctionne en Saskatchewan — et avec ce que fait la province. Dans le contexte de la fourniture de ces statistiques, pourriez-vous définir votre mandat?
Notre souci est que lorsque ces enfants sont en situation de crise ils se déplacent peut-être, c'est à espérer, d'un service à un autre, et il nous faut savoir qui en a assumé le coût ou s'il y a un écart. Ces enfants sont-ils perdus?
Il y a des années, si vous quittiez la réserve, vous ne figuriez pas sur les listes provinciales. Puis, on vous a inscrit sur les listes provinciales et, lorsque les temps sont devenus plus difficiles, les provinces ont dit non, il s'agit de responsabilités fédérales. Cela a été une cible mouvante, très difficile à démêler pour nous. J'imagine que ceux et celles qui reçoivent les services doivent être encore plus confus.
Veuillez s'il vous plaît cerner très exactement quel est votre mandat et où se trouve le mandat autochtone à l'intérieur du secteur provincial.
Le sénateur Dallaire : En ce qui concerne le commentaire selon lequel vous êtes soumis à un plafond de 2 p. 100, la communauté autochtone connaît une croissance exponentielle. N'y a-t-il pas là un décalage, si vous êtes assujetti à une limite pangouvernementale alors qu'en fait votre delta s'élargit sans cesse? Vous livrez des programmes positifs, mais vous reculez de plus en plus, la demande augmentant plus rapidement que le financement.
Mme Quinn : Nous connaissons la démographie des collectivités autochtones, et il nous faut certainement dépenser au mieux l'argent que nous avons. Pour ce qui est des services à l'enfance et à la famille, il nous faut rechercher de nouvelles solutions sur le plan des politiques, par exemple en mettant davantage l'accent sur la prévention.
Nous avons également le programme d'aide au revenu, visant les personnes se trouvant en situation de besoin faute d'emploi. Pour ce qui est de l'aide au revenu, les provinces ont, il y a de cela plusieurs années, adopté ce qu'elles ont appelé des mesures actives pour empêcher les gens de buter contre le mur du bien-être ou de se retrouver piégés dans un cycle de pauvreté, en les aidant à intégrer le marché du travail grâce à un programme de transition à l'emploi. Certes, là où il y a d'énormes pénuries sur le marché du travail et une population autochtone en explosion, nous souhaitons faire correspondre ces deux choses de notre mieux. Le financement fédéral et ministériel est certainement important, mais nous n'apportons pas le tout à la table.
Nous avons récemment eu des conversations énergiques, notamment avec certaines provinces de l'Ouest, au sujet de mesures actives et de la manière dont les deux parties peuvent travailler ensemble, les services d'emploi de la Saskatchewan travaillant par exemple ensemble avec Services Canada et d'autres programmes de Ressources humaines et Développement social Canada pour lancer un programme d'entrepreneuriat autochtone.
Il nous faut utiliser l'argent à bon escient et livrer des résultats si nous voulons défendre l'octroi de fonds supplémentaires, et nous obtenons des fonds additionnels dans le budget pour appuyer certaines priorités. Il nous faut mettre l'accent sur nos priorités, non pas pour écarter ce qui mérite des améliorations continues, mais bien pour obtenir les meilleurs résultats pour les peuples autochtones et les Premières nations, travaillant ensemble avec eux.
Le sénateur Jaffer : Nous savons que les services assurés en région urbaine sont différents de ceux en région rurale. J'aimerais que l'un quelconque des témoins nous dise ce qu'il offre en région rurale en particulier pour contrer l'exploitation sexuelle, et rien d'autre, car c'est là l'objet de notre étude.
Ce qui me préoccupe, ce sont les Jeux olympiques qui vont être tenus dans ma province. Il existe de plus en plus de preuves que ce ne seront pas des femmes et des enfants de l'extérieur que l'on fera venir dans la ville. Tristement, il est clair que de plus en plus d'enfants autochtones aboutissent dans les rues de Vancouver et de Richmond. Qu'êtes-vous en train de faire à l'égard de l'exploitation sexuelle des enfants autochtones ruraux qui atterrissent en région urbaine? Quel genre de programmes avez-vous?
Mme Quinn : Il y a environ 13 ministères qui participent au Programme de prévention de la violence familiale. Par exemple, nous avons tout récemment reçu des fonds de la Société canadienne d'hypothèques et de logement pour construire cinq nouveaux refuges.
Chez Affaires indiennes et du Nord Canada nous finançons des programmes comme celui de la prévention de la violence familiale. Nous finançons ce que j'ai appelé les déterminants sociaux de la santé par le biais de programmes qui favorisent l'éducation, offrent un soutien au revenu et facilitent la transition vers l'emploi, mais nous n'avons pas de programmes visant directement l'exploitation sexuelle d'enfants.
Notre financement, l'efficacité de ce financement et la prestation des programmes viseront ce qui fixe et améliore les déterminants sociaux de la santé et des conditions en réserve. Cependant, notre ministère n'a pas de programme visant directement l'exploitation sexuelle d'enfants. Nous participons à un programme de prévention de la violence familiale mais il y a de nombreux autres facteurs, intervenant à de nombreux niveaux. Vous ne trouverez pas de programme visant tout particulièrement cette question, mais cela ne veut pas dire que l'on ne discute pas de ce problème dans le cadre des exercices interministériels comme ceux qu'a évoqués M. Segard et dans le cadre de notre travail dans son ensemble.
En ce qui concerne en tout cas les Services à l'enfance et à la famille des Premières nations, le gros des renseignements sont d'ordre privé, mais nous nous penchons, par le biais de l'étude sur l'incidence, sur les raisons pour lesquelles les enfants se retrouvent dans ces situations. Nous travaillons avec les provinces car celles-ci ont elles aussi des connaissances en la matière. Plus important encore, nous travaillons avec les directeurs des agences des Premières nations elles-mêmes pour nous informer sur ce que font les gens, sur les améliorations pouvant être apportées et sur ce sur quoi nous devrions nous concentrer davantage. Il nous faut faire beaucoup plus.
En ce qui concerne les Jeux olympiques, je vais céder la parole à mes collègues, qui s'y intéressent peut-être directement. Je peux vous dire que notre ministère a un groupe qui travaille sur les Jeux et qui travaille avec d'autres partenaires fédéraux, dont la GRC, mais je ne peux pas vous dire précisément ce qui est en train d'être fait relativement à...
Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous s'il vous plaît nous fournir ces renseignements par l'intermédiaire de la présidente du comité?
Mme Quinn : Je vous fournirai des renseignements sur le processus interministériel entourant les Jeux olympiques.
Le sénateur Jaffer : Uniquement en ce qui concerne les enfants autochtones.
Mme Quinn : Oui, relativement à l'exploitation sexuelle des enfants autochtones. Comme je l'ai dit, simplement pour tirer au clair ma réponse antérieure, nous fournirons au fur et à mesure au comité les renseignements que le gouvernement livrera en réponse au Comité des comptes publics pour ce qui est des questions entourant les services à l'enfance et à la famille en réserve et hors réserve. Comme l'a recommandé la présidente, nous serons clairs quant aux mandats.
Le sénateur Jaffer : Madame Quinn, vous avez parlé de « services à l'enfance et à la famille ». Cela est-il différent de votre ministère?
Mme Quinn : Non. Excusez-moi. Les services à l'enfance et à la famille sont un programme s'inscrivant sous le développement social. Nous avons environ cinq programmes pour lesquels nous offrons du financement.
Le sénateur Jaffer : Et ils relèvent tous du ministère?
Mme Quinn : Ils s'inscrivent à l'intérieur du ministère, et les services à l'enfance et à la famille sont le programme qui cherche à venir en aide aux familles et aux enfants en difficulté en versant des fonds ou à la province ou aux agences de services à l'enfance et à la famille des Premières nations en vue de s'occuper des enfants.
M. Segard : En ce qui concerne l'agence, surtout pour ce qui est des Jeux olympiques, la réponse n'est pas vraiment pertinente dans le contexte de votre question. Le rôle premier de l'agence ici est de favoriser la prévention et l'état de préparation en cas de propagation de maladies infectieuses pendant les Jeux, alors ce n'est pas vraiment pertinent en la matière.
Pour ce qui est des programmes particuliers visant à prévenir l'abus, comme nous l'avons expliqué, l'exploitation sexuelle commence bien avant qu'un enfant ne se trouve forcé ou leurré dans ce cycle malheureux. En conséquence, s'attaquer aux déterminants sociaux est sans doute la meilleure réponse. C'est pourquoi j'ai en la matière fait mention de plusieurs programmes, notamment Y'a personne de parfait, le PACE, le programme de nutrition prénatale et le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones pour les enfants vivant en région urbaine ou dans le Nord. Nous avons également une initiative visant le trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale dont je pense que vous êtes au courant. Ce sont là des programmes qui, collectivement, nous l'espérons, aideront à armer les gens avec les renseignements nécessaires pour faire face à quantité de facteurs de risque auxquels ils sont exposés. Ils n'ont pas été conçus en tant qu'intervention pour traiter directement avec les victimes d'exploitation ou d'interdiction. Ces questions relèvent davantage du portefeuille de sécurité publique que du mandat de l'agence.
Le sénateur Jaffer : Madame Quinn, votre exposé a été très instructif, mais nous ne nous préoccupons pas tant de questions de violence familiale. À une autre époque, dans le contexte de la question du traitement réservé aux femmes, si vous teniez ce même genre de propos, je pense que vous obtiendriez une autre réponse. Mon impression est que vous accusez un retard de 20 ans dans la terminologie que vous employez.
Nous voulions plus particulièrement vous entendre parler de ce à quoi vous travaillez en ce qui concerne l'exploitation sexuelle. Dommage que vous n'ayez pas été présente pour entendre ce qu'avait à dire l'AFAC et l'histoire de Donna. Vous ne nous avez pas expliqué ce à quoi vous travaillez en ce qui concerne l'exploitation sexuelle. Or, c'est cela que nous voulons savoir.
Mme Quinn : Oui.
Le sénateur Jaffer : Excusez-moi. Peut-être que le préavis a été court, mais je vous soumets respectueusement que je pense que vous devrez nous revenir pour nous dire ce sur quoi vous travaillez en ce qui concerne l'exploitation sexuelle et les enfants. Sauf tout le respect que nous vous devons, peu nous importe ce que vous faites relativement à la violence familiale. Notre étude ne porte pas sur les questions et les programmes dont vous avez traités. Il nous faut bien évidemment nous concentrer sur une question seulement, et j'estime qu'il vous faut nous informer là-dessus.
Mme Quinn : Nous respectons certainement le mandat du comité. Nous avons passé en revue les délibérations et rapports antérieurs et avons examiné les exposés de la semaine dernière et écouté attentivement les comparutions cette semaine. Cependant, dans le contexte du système fédéral, les ministères ont différents mandats. Pour ce qui est des enfants des Premières nations vivant en réserve, notre rôle et notre mandat exigent de nous d'appuyer des programmes du côté social, du côté économique et du côté gouvernance. Ces choses sont interreliées, et les résultats de ces programmes pourraient être utiles en ce qui concerne l'exploitation sexuelle.
Je ne peux pas vous entretenir d'un programme en matière d'exploitation sexuelle, car nous n'en avons pas. Je peux vous dire ce que nous avons et pourquoi. Une famille qui a un enfant en bonne santé, qui a accès à de l'eau potable, qui vit dans une maison acceptable et conforme aux normes et qui jouit de bons mécanismes de soutien au sein de la collectivité aura de bien meilleures chances d'assurer un bon départ dans la vie. Voilà le genre de financement et les genres d'initiatives qu'appuie le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Le sénateur Jaffer : Madame Quinn, il n'est pas équitable que je continue à vous poser d'autres questions. Nous allons manifestement devoir parler de cela avec le ministre, et je vais donc poursuivre cette discussion ailleurs.
Mme Quinn : Merci.
La présidente : Juste un éclaircissement. En ce qui concerne votre définition de la « violence familiale », est-ce qu'elle englobe l'exploitation sexuelle comme comportement violent à l'intérieur d'une famille?
Mme Quinn : Elle couvre certainement une telle situation, mais le Programme de prévention de la violence familiale met en jeu de nombreux ministères et je ne dirais pas que cela en est le point focal. Je ne voulais pas donner à entendre que la prévention de la violence familiale est notre solution à l'exploitation sexuelle, car elle ne l'est pas, mais elle couvre maints domaines et n'est pas axée exclusivement sur l'exploitation sexuelle.
Le sénateur Poy : J'ai une question pour M. Segard. Je suis un peu perplexe quant à ce que votre agence fait concrètement pour la population autochtone, surtout les enfants autochtones. Avez-vous un service distinct qui s'occupe des Premières nations, ou bien tout cela est-il regroupé sous le même chapiteau?
M. Segard : Le mandat actuel de l'agence se résume au Programme d'aide préscolaire aux Autochtones dans les collectivités urbaines et nordiques, notre programme spécifique concernant les Premières nations . Ce programme est très similaire à celui de la direction des Premières nations et des Inuits de Santé Canada à l'égard du Programme d'aide préscolaire aux Autochtones dans les réserves, sauf, bien évidemment, qu'il est destiné aux Autochtones hors réserve.
Le programme est centré sur le développement des jeunes enfants, de zéro à six ans.
Le sénateur Poy : Voulez-vous dire jusqu'à l'âge de six ans?
M. Segard : Oui. C'est la portée du mandat qui nous a été confié et la destination des ressources dont il est assorti. Les problèmes d'abus et d'exploitation sexuels interviennent habituellement à un âge plus avancé, et nous n'avons pas de mandat pour cela.
Je comprends la question et la frustration du sénateur Jaffer. Comme ma collègue l'a mentionné, nous ne pouvons que parler des programmes dont nous sommes responsables et expliquer aux sénateurs, de notre mieux, en quoi ils peuvent contribuer ou ne pas contribuer. Ils sont fondés sur la prémisse que si nous aidons les jeunes gens du Canada à recevoir la meilleure instruction et la meilleure éducation sociale et psychique possible, ils seront équipés des ressources personnelles permettant de reconnaître précocement les signes d'abus et surmonter le problème d'une manière ou d'une autre. C'est le meilleur lien que nous puissions établir en ce moment.
Cependant, il importe de rappeler que notre mandat intéresse la violence familiale et le problème des sévices, et non d'exploitation. L'exploitation relève en fait d'une définition de nature juridique à l'égard de laquelle nous n'avons pas de rôle direct.
Mme Stone : Nous avons des programmes pour enfants, de zéro à six ans, plus le programme prénatal, dans littéralement des milliers de collectivités à travers le pays. Nous gérons des centres de services et d'appui, en collaboration avec les provinces et les territoires, au titre d'un protocole spécial avec la municipalité concernée et tous les acteurs du voisinage — secteur privé, ONG, secteur bénévole — à l'intention des enfants et des familles vulnérables.
Le pourcentage de Canadiens autochtones se prévalant de ces programmes dans leur collectivité est extraordinairement élevé. Sans doute la moitié de nos milliers de programmes sont dispensés dans les régions rurales et isolées du Canada, avec environ un tiers spécifiquement dans le Nord. Dans certains cas, 80 p. 100 de la clientèle peut être d'origine ethnique autochtone et elle peut être mélangée. Ce n'est pas nécessairement une collectivité particulière. Parfois, c'est une collectivité des Premières nations mais non une réserve; parfois c'est une collectivité inuite. Chaque fois que possible, nous offrons les services dans la langue locale, parfois oralement, et lorsque nous le pouvons nous fournissons des textes.
Le comité sait bien que les enfants victimes d'exploitation sexuelle ont très souvent les mêmes antécédents familiaux que les clients qui fréquentent nos centres. Nous pouvons les aider à l'autre extrémité, en donnant aux parents un sentiment de confiance et en expliquant comment maintenir la discipline d'une manière positive, que jamais il ne faut frapper un enfant, qu'il n'est pas admissible d'infliger des sévices à son enfant, que ce soit sexuellement, physiquement ou psychiquement, et qu'il y a d'autres façons de surmonter les frustrations de l'état parental, et ce qui est normal sur le plan du développement, jusqu'aux comportements risqués que les enfants adoptent à chaque stade de leur développement.
Si nous pouvons préserver la cohésion familiale — et cela englobe les pères car beaucoup d'entre eux n'ont pas de modèles de comportement — et aider les parents et les enfants à conserver une relation positive, la probabilité qu'ils traversent avec succès toutes ces étapes et jusqu'à l'adolescence est beaucoup plus grande.
Souvent, ces enfants qui finissent dans la rue et sont sexuellement actifs proviennent de cette sorte de foyer. Ils fuient quelque chose. Par conséquent, nous travaillons à l'autre extrémité pour voir si nous pouvons garder ces familles ensemble et renforcer les liens entre le parent et l'enfant et la confiance des parents afin qu'ils puissent remplir leur rôle et rester dans leur collectivité et que les enfants puissent se développer au mieux de leurs aptitudes, en bonne santé et psychologiquement bien ajustés.
Le sénateur Poy : Vous avec dit « nous ». Entendez-vous par là votre agence, ou bien travaillez-vous par l'intermédiaire d'autres ONG?
Mme Stone : Les deux. L'agence est très active, très impliquée. Nous connaissons bien nos collectivités, mais nous travaillons avec la société civile et d'autres niveaux de gouvernement comme partenaires égaux. Chacun apporte à la table des éléments, tout comme nous avec notre programmation propre.
L'enfant est au centre, il est le pôle, et dans le meilleur des cas chacun se met de la partie pour offrir un ensemble de services qui vont soutenir cet enfant et sa famille.
Le sénateur Poy : Est-ce là ce que vous appelez « par le biais de l'éducation »? Avez-vous des programmes éducatifs particuliers dans vos agences, que vous promouvez à travers le pays?
Mme Stone : C'est juste. Le Programme d'aide préscolaire d'aide aux Autochtones en est un. Comme vous le savez peut-être, celui-ci a vu le jour auprès des enfants des grandes villes aux États-Unis il y a une soixantaine d'années. Nous l'avons adapté au contexte canadien pour les enfants autochtones tant dans les réserves qu'en dehors.
Ces programmes, tout comme le Programme d'action communautaire pour les enfants, existent depuis 15 ans. Ils ont été évalués et ajustés en cours de route. Cela nous amène à la question de savoir s'il est possible de maintenir les programmes sur une période prolongée? La réponse est oui.
Le Programme d'action communautaire pour les enfants permet aux collectivités de fixer les priorités appropriées pour leurs enfants dans leur environnement et décider sur quoi mettre l'accent. Nous, l'Agence de santé publique, avec l'appui de nos partenaires, aidons cette collectivité à opérer ces choix. Cela englobe des collectivités où les Autochtones prédominent, surtout dans le Nord.
Le sénateur Poy : Combien de ces bureaux avez-vous à travers le pays?
Mme Stone : À tout moment, des milliers. Je dirais que nous avons peut-être de 4 000 à 5 000 programmes à travers le pays. Certains d'entre eux peuvent être un noyau avec un certain nombre de satellites; il y a en moyenne 19 partenaires par programme. Vous ne verrez pas nécessairement « gouvernement fédéral » écrit au-dessus de la porte, mais nous serons peut-être un partenaire fondateur de ce noyau de services qui portera le nom d'une collectivité locale.
Le sénateur Poy : Vous parlez de prévention, n'est-ce pas?
Mme Stone : Oui.
Le sénateur Poy : J'aimerais poser une question complémentaire qui ne concerne pas directement l'exploitation sexuelle.
Lorsque vous parlez de prévention, comment est-il possible que le H1N1 se soit tellement répandu dans les collectivités des Premières nations? On y trouve beaucoup plus de cas que dans le reste du Canada. Si vous faites de la prévention, comment cela a-t-il pu arriver?
Mme Stone : Je ne prétends nullement avoir des connaissances dans ce domaine particulier. Cependant, je suis sûre que leurs conditions de vie, la pauvreté et le logement dans ces petites collectivités sont des facteurs contributifs.
Le sénateur Nancy Ruth : Tout d'abord, je veux féliciter Affaires indiennes et du Nord Canada, et particulièrement vous, madame Paré, de votre analyse sexospécifique ainsi que des propos très louangeurs de la vérificatrice générale. C'était merveilleux à entendre, mais ma question s'adresse à l'Agence de la santé publique du Canada.
Dans votre exposé, vous avez dit que les données de 2003 montrent que la négligence est la forme de maltraitement d'enfants la plus souvent signalée. Est-ce que, dans les données de 2008 que vous avez commencé à traiter, vous constatez que la négligence est toujours le problème majeur, ou bien pouvez-vous le dire d'après l'analyse?
M. Segard : Nous en sommes toujours à traiter les données préliminaires. Il serait prématuré pour moi de tirer une conclusion, mais je ne m'attends pas à un changement radical. La différence, les écarts entre chacune des catégories que j'ai mentionnées dans mon exposé peuvent avoir rétréci, mais le ratio est à peu près du même ordre.
Le sénateur Nancy Ruth : Quel est ce ratio?
Mme Stone : Juste pour ajouter un mot, bien que ce ne soit pas ma spécialité, je sais que davantage de données intéressant les Premières nations ont été ajoutées au cours de ce dernier cycle, ce qui améliore notre capacité à suivre ce qui se passe dans les collectivités des Premières nations.
Le sénateur Nancy Ruth : Quel pourcentage des mauvais traitements était de la négligence, par opposition à l'exposition à la violence au foyer, aux mauvais traitements physiques et aux sévices émotionnels?
M. Segard : Je n'ai pas apporté les chiffres avec moi, je m'en excuse; j'aurais probablement dû le faire. Je me ferais un plaisir de vous fournir un tableau détaillé avec ces chiffres.
Le sénateur Nancy Ruth : Voulez-vous essayer de deviner ou bien voulez-vous que nous attendions les chiffres?
M. Segard : Je préférerais vous donner les chiffres.
Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce 50 p. 100 des cas signalés et le reste 20, 10 et autre chose?
M. Segard : C'est une proportion importante. C'est plus de la moitié. C'est ce que je crois savoir.
Le sénateur Nancy Ruth : Lorsque vous effectuez cette analyse, faites-vous une analyse sexospécifique indiquant combien de garçons et combien de filles sont concernés?
M. Segard : Dans la mesure où l'information est disponible, oui, nous pouvons ventiler. Cependant, encore une fois, la taille des échantillons est toujours un problème et, comme Mme Stone vient de le faire remarquer, avec le prochain cycle nous espérons avoir davantage de données pour ventiler par catégories de population autochtone.
Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce à peu près partagé également entre garçons et filles ou bien le problème de la négligence diffère-t-il selon le sexe? Tout conduit à tout, n'est-ce pas? Connaissez-vous la ventilation par sexe?
M. Segard : Je ne peux vous l'affirmer d'emblée, mais la logique donne à penser que les cas sont partagés relativement à égalité lorsqu'il s'agit de négligence. Lorsqu'il s'agit de sévices, il y a une nette majorité de filles.
La présidente : Il me semble que vous privilégiez le modèle de la prévention, et je pense que c'est ce que souhaite la majorité d'entre nous. Nous ne voulons pas d'actions curatives, nous voulons des actions préventives.
Vous transmettez de l'information aux centres, où qu'ils se trouvent. Généralement, l'information provient des parents et de la collectivité, non des enfants; les enfants ne sont pas nécessairement présents, si j'ai bien suivi. Vous ciblez les adultes. Vous leur enseignez les aptitudes à la vie quotidienne, si je puis employer ce terme et vous parlez de la façon dont ils peuvent se protéger.
Cependant, il me semble que votre objectif ultime est de donner à ces enfants le genre d'aptitudes dont ils ont besoin pour affronter la vie. On nous dit sans cesse que la violence et l'exploitation sexuelle se produisent dans le foyer ou la collectivité locale, et que seuls 5 p. 100 interviennent en dehors du foyer ou de la collectivité locale. Si vous les équipez pour partir ailleurs, vous réduisez le risque de ces 5 p. 100, et non des autres, les 95 p. 100.
Si la plupart des agresseurs sont connus de la victime et appartiennent à leur famille ou collectivité, ne devriez-vous pas intégrer dans votre action une discussion sur les modèles de comportement et sur ce que l'on attend des adultes à cet égard et que des relations sexuelles avec un enfant ne sont pas acceptables, et surtout ce qui en découle?
Il me semble que nous n'aurons jamais les données. Si nous attendons la recherche, qui va signaler les cas d'exploitation cachés? Les enfants ont peur de parler. Les adultes coupables ne vont certainement pas se déclarer, à moins d'être pris sur le fait. Sinon, nous aurions les données. Ne devriez-vous pas commencer par intégrer à l'action de tous les centres et à tous ces modes de prévention une identification plus positive avec des modèles de comportement qui ne vont pas exploiter sexuellement les enfants? Si c'est ce qui ressort des preuves anecdotiques, il me semble que c'est la pièce manquante dans ce que j'ai entendu aujourd'hui.
M. Segard : C'est une excellente observation. Nous le faisons dans la mesure du possible, en collaboration avec nos partenaires. Comme Mme Stone l'a indiqué, nous collaborons souvent avec plusieurs ONG, les autorités locales et les organismes provinciaux et construisons avec eux notre assortiment de programmes.
Même si nos programmes ne visent pas nécessairement directement l'abus sexuel, nous collaborons sur place avec d'autres prestataires de services qui ont ce point focal parmi leurs responsabilités, de façon à rassembler tous les enjeux et à les intégrer dans le site de façon à joindre directement les parents, et la famille dans son entier et donc aussi les enfants. Dans maints de ces programmes, les enfants viennent participer aux sessions.
Mme Stone a fait état de certains des sites qui se développent en suivant davantage la méthode du noyau. J'en ai visité certains. Si la portion que nous finançons peut ne pas répondre directement aux questions spécifiques, il existe sur place des services d'orientation et(ou) des praticiens itinérants qui viennent dans ce site sur une base hebdomadaire ou autre. Lorsqu'on constate des situations qui semblent suspectes ou requièrent une attention spéciale pour répondre aux besoins de cette famille, elles seront signalées aux autorités compétentes en mesure d'agir.
Directement, nous ne serons peut-être pas intervenus mais, indirectement, nous aurons aidé à créer les conditions d'une intervention.
La présidente : Je dois dire que je suis surprise que nous n'ayons pas commencé à attaquer le problème directement. Si les dirigeants autochtones disent que l'exploitation sexuelle est un problème, que les jeunes n'en parlent pas — c'est un problème caché — pourquoi ne vous joignez-vous pas aux dirigeants autochtones pour qu'ils commencent à dénoncer ces comportements intolérables au sein de la communauté? Cela ne les aiderait-il pas si vous en faisiez un élément de votre mandat? Si nous voulons changer les comportements, il y a ce volet information et éducation qui doit être omniprésent, ne croyez-vous pas?
M. Segard : Au bout du compte, madame la présidente, si les ministres partageaient ce point de vue, nous adorerions pouvoir mettre en train ce genre de collaboration. Dans la mesure où nous pouvons tirer parti de nos partenariats et de nos relations avec les prestataires de services généraux et les leaders communautaires, nous faisons ce travail indirectement.
Mme Stone : J'ai une remarque complémentaire. Vous soulevez là un point important, madame la présidente, surtout à l'heure où nous réfléchissons à l'avenir des programmes et aux possibilités d'évolution sur la base des conditions d'aujourd'hui et de ce que vivent les enfants, les familles et les communautés.
Toutefois, dans l'intervalle, tout n'est pas perdu. Certes, nous mettons davantage l'accent sur l'application de la convention dans nos collectivités, et les enfants ont le droit de se sentir en sécurité et il faut leur enseigner, dès le plus jeune âge, quelles sont les limites appropriées, pour eux personnellement, à l'égard des contacts physiques. C'est un sujet très délicat, particulièrement dans certaines collectivités, mais nous avons un très bon programme de formation du personnel à travers le pays et ces sujets délicats y sont abordés.
Je ne dirais pas que la qualité de notre action à cet égard est excellente, mais nous nous améliorons beaucoup car ce problème est une réalité dans ces collectivités et nous devons protéger ces enfants. Nous pouvons en parler aux mères d'emblée par le biais de programmes comme le Programme canadien de nutrition prénatale. Dans le cadre des programmes d'éducation paternelle, nous pouvons en parler avec les pères, dans des groupes composés d'hommes où il est plus facile d'avoir ces conversations.
En outre, les visites de professionnels de la santé itinérants, qui viennent faire les évaluations des enfants sur place, sont utiles car il est moins effrayant pour un enfant ou sa mère d'avoir ces conversations sur place plutôt que de se rendre dans un bureau non familier. Elle peut avoir ces conversations dans un lieu où elle se sent à l'aise.
Nous progressons mais c'est un point sur lequel nous devons réfléchir plus avant.
M. Segard : Dans la même veine, nous travaillons avec le Consortium mixte de la santé scolaire, qui est un organe composé de fonctionnaires fédéraux et de responsables provinciaux et territoriaux de l'éducation. C'est à lui qu'il incombe d'intégrer cette dimension dans les activités éducatives scolaires et extrascolaires et de sensibiliser les jeunes enfants à leurs droits en vertu des conventions. Nous l'avons fait dans le passé. Nous pourrions certainement explorer cela plus activement avec nos homologues provinciaux. Je crois que M. Gordon aimerait ajouter un mot.
John Gordon, directeur, Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, Bureau de l'interlocuteur fédéral, Affaires indiennes et du Nord Canada : En réponse à votre question sur les programmes spécifiques, la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, en collaboration avec les gouvernements provinciaux et municipaux, comprend des projets financés par le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire d'AINC, qui visent précisément à rompre les cycles intergénérationnels de violence familiale et d'exploitation sexuelle. Ils visent également à joindre les jeunes et à habiliter les jeunes en les dotant de soutiens culturels et autres pour les aider à déclarer aux autorités les situations d'exploitation sexuelle, en organisant des ateliers où on leur explique comment fonctionne le système judiciaire, à qui ils doivent aller se plaindre et quels sont leurs droits.
Nombre de ces projets qui visent à prévenir et à mettre en lumière les problèmes sont financés conjointement par le gouvernement provincial, le gouvernement municipal, certaines fondations, quelques organisations privées, d'autres ministères et organismes fédéraux tels que l'ASPC. Par exemple, dans le cas d'un projet que j'ai sous les yeux, les partenaires sont Condition féminine, une fondation privée, B.C. Aboriginal Relations, le B.C. Community Development Ministry, le B.C. Ministry of Employment and Labour Skills, le B.C. Ministry of Public Safety et le B.C. Solicitor General's office, pour un projet total d'environ un demi-million de dollars pour un projet en Colombie- Britannique visant spécifiquement la réinsertion des prostituées et des jeunes de la rue. La contribution fédérale à ce programme est d'environ 200 000 $, donc presque la moitié.
Pour ce qui est des conflits de compétence et la question de savoir qui exerce la responsabilité, des provinces ou du gouvernement fédéral, avec notre programme nous cherchons à dépasser ces frictions et à chercher des partenaires qui nous aideront à nous attaquer à un problème spécifique, un peu à la façon de votre programme. Nous y sommes parvenus dans pas mal de collectivités. Au total, nous avons appuyé quelque 141 projets à travers le pays qui portent spécifiquement sur la question de l'exploitation et de la violence faite aux enfants.
La présidente : Merci. C'est très utile.
Le sénateur Dallaire : C'est bien joli, mais remplissez-vous l'objectif? Quel est votre delta? Dans quelle mesure entamez-vous réellement ce problème croissant? C'est là où le bât blesse. Les initiatives sont magnifiques. Je viens de vous entendre énumérer tous ces ministères provinciaux, sans parler des autorités municipales, plus les fondations. Comment pouvez-vous garantir un financement d'une année sur l'autre alors que vous avez toutes ces instances subissant des contraintes différentes pouvant les amener à retirer leurs billes et ne plus financer? Vous avez quelque 140 projets, mais en auriez-vous besoin de 3 000? Vous disposez de 500 000 $, mais vous faudrait-il 4 millions de dollars? C'est là où votre réponse nous laisse sur notre faim.
M. Gordon : C'est un défi énorme. Comme vous le dites, la pression financière s'exerce sur chacun des partenaires et ministères provinciaux et sur les autres partenaires. Je suis sûr que vous le constatez avec certains de vos programmes également. Les priorités changent. Nous, à la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, avons appris qu'il faut se montrer constamment flexibles, innovateurs et prêts à collaborer avec différents partenaires. Pour ce qui est d'identifier le besoin réel et la façon de le satisfaire, c'est un problème auquel nul d'entre nous ne possède la solution et chacun de nous se démène pour la trouver.
Sur un plan anecdotique, je peux vous dire qu'aujourd'hui dans ma communauté toute la question de l'exploitation sexuelle est beaucoup plus en lumière et les gens y sont beaucoup plus sensibilisés qu'il y a 20 ans. Nous avons fait quelques progrès. Nous devons continuer à avancer. Nous sommes loin de faire suffisamment, mais nous nous rapprochons du but lentement mais sûrement.
Le sénateur Dallaire : C'est là où je détecte la coupure et j'espère que nous verrons le ministre. J'espère que vous prendrez l'initiative dans cette action pangouvernementale, pour démonter les barrières et trouver le financement de façon à stimuler et encourager vos partenaires à faire avancer les choses?
[Français]
Line Paré, directrice générale, Direction générale des relations extérieures et problématique hommes-femmes, Affaires indiennes et du Nord Canada : Le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada est identifié et joue un rôle de chef de file pour amener les autres ministères fédéraux autour de la table pour une meilleure coordination et collaboration. Toutes les questions sont complexes. Il y a de multiples intervenants.
Lorsque ma collègue, Mme Quinn, parlait des programmes du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, sur le plan de l'aide à la famille et à l'enfance dans la communauté, le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada donne des fonds pour l'éducation primaire et secondaire. On a des programmes d'emploi-jeunesse. On a une stratégie d'emploi-jeunesse pour les Premières nations et les Inuit; il y a un projet Jeunes à risque : on a l'aide à l'éducation postsecondaire, l'aide à la famille et à l'enfance et, au sein de la communauté, tous ces intervenants ont la chance de travailler ensemble, d'établir un plan et d'identifier les priorités. C'est un gros défi.
Le ministère des Affaires indiennes joue un rôle de chef de file pour amener les ministères fédéraux à se parler davantage, à mieux se coordonner. Nos collègues de l'Agence de la santé publique du Canada ont parlé du comité interministériel. Condition féminine Canada a un comité interministériel où l'on amène des ministères fédéraux à se parler de la question des femmes autochtones et ce qu'on peut faire ensemble pour améliorer leur situation. On travaille aussi avec les provinces, les territoires et les Autochtones.
Le sénateur Dallaire : Dans le sud, on résout ces problèmes pour les Blancs. Pour ce qui est des Autochtones, on a une énorme responsabilité fédérale, mais c'est le travail à faire. Soit on le fait ou soit on ne le fait pas et on leur dit que l'on ne peut pas faire le travail et qu'on trouve d'autres solutions.
Avec tous vos comités, amenez-vous des fonds afin que les autres ministères puissent utiliser ces fonds pour implanter les décisions prises? Les autres ministères doivent-ils injecter des fonds eux-mêmes? Cela pourrait faire en sorte qu'ils ne s'impliquent pas s'ils ne veulent pas participer financièrement?
M. Segard : Le problème est très complexe et la solution, d'une façon inhérente, est multivariée. Demander quelle est la différence du besoin et du financement est une des bonnes questions à poser. Toutefois, ce n'est pas la seule question qui nécessite une réponse. Puisque les paramètres soutenant ou définissant la problématique sont complexes et multivariés, il va falloir avoir des interventions différentes mais complémentaires. À la limite, sans nécessairement ajouter un dollar de plus dans l'équation, si on peut en arriver une meilleure cohésion dans notre suite de programmation au niveau fédéral, mais également avec les collègues au provincial et au municipal ainsi qu'avec les agences non gouvernementales, on sera plus en mesure de faire avancer la question.
De plus en plus, que ce soit dans ce domaine ou dans d'autres domaines de politique sociale, la littérature démontre que ces genres d'interventions multivariées ont beaucoup plus de chance de succès à long terme que d'investir un dollar de plus dans un nouveau programme ou d'ajouter plus d'argent au problème.
Le sénateur Dallaire : Je n'ai pas de problème, mais cela fait plus de 100 ans que vous existez.
[Traduction]
La présidente : Notre lutte ressemble fort à la vôtre. Les collectivités autochtones sont très différentes d'une province à l'autre. Nous devons respecter ces différences. Dans le même temps, comment pouvons-nous confronter le problème commun de l'exploitation sexuelle, dont on nous dit sans cesse qu'elle représente une crise cachée. Vous nous avez apporté quelques renseignements. Vous avez décrit votre lutte. Vous nous laissez maintenant avec la nôtre, qui consiste à voir si nous pouvons trouver de meilleures solutions ou recommandations à faire aux pouvoirs publics, à la collectivité et aux dirigeants autochtones.
Il se pourrait que nous vous invitions à revenir ou vous demandions des compléments d'information, car c'est un sujet complexe. Nous vous remercions d'avoir contribué à faire avancer notre dialogue.
(La séance est levée.)