Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 15 - Témoignages du 8 octobre 2009
OTTAWA, le jeudi 8 octobre 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été confié le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois, se réunit aujourd'hui à 10 h 48 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
[Français]
Nous poursuivons l'étude du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.
[Traduction]
Notre premier témoin est l'honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur le ministre, et vous remercions de comparaître aujourd'hui.
Avant de vous demander de commencer votre déclaration, j'aimerais savoir si, comme on me l'a indiqué, vous n'avez que quelques minutes à nous accorder.
L'honorable Rob Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : J'ai le regret de vous annoncer, madame la présidente, que la Chambre des communes doit apparemment tenir un vote, auquel je devrai participer.
La présidente : Nous comprenons tous la situation, monsieur le ministre. Dans ce cas, sachez que le comité voudra vous convoquer de nouveau pour poursuivre notre étude.
Nous sommes toutefois intéressés à entendre ce que vous avez à dire pendant le temps que vous pouvez nous accorder.
M. Nicholson : Je pourrais revenir après le vote. Je peux faire ma déclaration maintenant, si cela peut vous aider.
La présidente : Cela nous serait effectivement fort utile.
M. Nicholson : Honorables sénateurs, je suis enchanté d'être ici aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-15, dont l'objectif consiste à modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances afin de lutter contre de graves crimes. La population canadienne s'inquiète des nombreux crimes perpétrés dans leurs collectivités, particulièrement ceux liés aux drogues. C'est un problème dont il est constamment question. Dans un article paru le 8 septembre dans le National Post, intitulé « Crime, not health, top issue for urbanites : poll » [traduction] « Selon un sondage, c'est le crime, et non la santé, qui préoccupe le plus les résidants des grandes villes », on peut lire que la moitié des Canadiens résidant en zone urbaine se disent très préoccupés au sujet des drogues dans leurs collectivités et que presque autant ont peur des armes à feu, des gangs et des échanges de coups de feu. Cet article est paru il y a un mois aujourd'hui.
Les Canadiens nous disent qu'ils veulent que le gouvernement fédéral s'attaque aux graves crimes relatifs à la drogue afin de les protéger des criminels dont les activités illicites, comme la production de méthamphétamine et les plantations de marijuana, menacent leur sécurité.
Le projet de loi C-15 est une priorité de notre gouvernement, dont il appuie l'un des engagements clés, qui consiste à assurer la sécurité des Canadiens. La protection de la société est primordiale pour le gouvernement, et non une question secondaire.
Nous croyons que pour protéger la société, nous devons envoyer derrière les barreaux les criminels qui commettent des crimes graves. Ainsi, les modifications prévues permettraient d'augmenter les peines minimales pour certaines infractions graves en matière de drogue et d'imposer des peines de prison obligatoires aux contrevenants.
Je puis vous affirmer qu'un grand nombre de Canadiens qui se préoccupent de la consommation de drogue, de la menace que constituent les plantations de marijuana et la production de méthamphétamine, ainsi que du trafic de drogue voient ce projet de loi d'un oeil favorable. Ils craignent fortement que ces activités menacent leur propre sécurité et celle de leurs familles et de leurs communautés.
Ces dernières années, on a constaté une augmentation fulgurante des plantations de marijuana et des laboratoires clandestins, qui posent un sérieux problème dans certaines régions du Canada. Ces activités ont parfois pris une telle ampleur qu'elles dépassent souvent la capacité d'intervention des autorités. Ces plantations et laboratoires illégaux mettent en danger la santé et la sécurité des exploitants et des voisins, en plus de menacer l'environnement et de poser des problèmes sur le plan du nettoyage.
Le crime organisé et les gangs criminels recourent de plus en plus à la violence pour établir leur mainmise sur le commerce de la drogue dans les diverses régions métropolitaines du pays. Des citoyens innocents sont victimes de cette violence et un climat presque permanent de peur règne à certains endroits.
Sachez que le projet de loi C-15 n'entre pas en conflit avec les principes de détermination de la peine que prévoit actuellement le droit criminel. Il repose sur un principe fondamental de détermination de la peine, selon lequel une peine devrait être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Le projet de loi stipule également que la détermination de la peine vise à imposer des sanctions justes aux contrevenants afin de favoriser le respect de la loi et le maintien d'une société juste, pacifique et sécuritaire. Les propositions que comprend le projet de loi contribueront au respect de la loi et au maintien d'une société juste.
Les propositions constituent dans l'ensemble une approche adaptée aux peines obligatoires imposées pour de graves infractions en matière de drogues. Les infractions visées sont le trafic, la possession aux fins de trafic, la production, l'importation, l'exportation et la possession aux fins d'exportation de drogues. Les substances couvertes seraient celles qui figurent à l'annexe I, comme la cocaïne, l'héroïne et la méthamphétamine, et à l'annexe II, comme la marijuana.
Le projet de loi ne s'appliquerait pas à la possession de drogue. Je le répète, compte tenu de l'opposition qu'il y a à cet égard : la mesure législative ne s'appliquerait pas à la possession de drogue. C'est au trafic que nous voulons nous attaquer. Pour être clair, ce n'est pas l'étudiant d'université pris avec quelques joints ou plants de marijuana que nous ciblons, mais bien ceux qui profitent de la vulnérabilité des toxicomanes et le crime organisé.
Concernant les drogues de l'annexe I, le projet de loi prévoit l'imposition d'une sentence d'emprisonnement d'un an pour le trafic ou la possession aux fins de trafic en présence de certains facteurs aggravants : la personne a commis l'infraction au profit ou sous la direction d'une organisation criminelle, a eu recours ou a menacé de recourir à la violence, portait ou a utilisé ou menacé d'utiliser une arme et a, au cours des 10 dernières années, été reconnue coupable d'une infraction semblable.
Si l'infraction a eu lieu en présence de jeunes ou en prison, la peine minimale passe à deux ans. Dans le cas de l'importation, de l'exportation et de la possession aux fins d'exportation, la peine minimale est d'un an si ces infractions sont commises aux fins de trafic. Une peine minimale d'un an sera imposée si un contrevenant abuse de son autorité ou de sa position ou s'il a profité de son accès à une zone réservée aux personnes autorisées pour perpétrer l'infraction. La peine passera à deux ans s'il est question de plus d'un kilogramme de drogues figurant à l'annexe I. Une peine minimale de deux ans est prévue pour la production de drogues figurant à l'annexe I. La sentence minimale pour la production des drogues figurant à l'annexe I passe à trois ans en présence de facteurs aggravants relatifs à la santé et à la sécurité.
La peine obligatoire pour le trafic et la possession aux fins de trafic de drogues figurant à l'annexe II est d'un an, en présence de certains facteurs aggravants comme la violence, la récidive ou l'intervention du crime organisé.
Pour ce qui est de la production de marijuana, le projet de loi prévoit des peines obligatoires en fonction du nombre de plants saisis, qu'il y en ait 6 ou 200, s'il est question d'en faire le trafic. Si le contrevenant en cultive davantage, des peines obligatoires s'appliquent encore. Nous avons augmenté la peine maximale relativement à la marijuana, qui passe de 7 à 14 ans. Nous incluons les drogues du viol et les inscrivons dans l'annexe I plutôt que l'annexe III. C'est un pas dans la bonne direction. Nous accordons également aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d'imposer une autre peine que la sanction obligatoire minimale à un contrevenant ayant commis une grave infraction en matière de drogue, mais qui a complété un programme de traitement de la toxicomanie. Voilà une mesure à laquelle je suis très favorable.
Ce projet de loi s'inscrit dans notre engagement permanent à protéger la population canadienne, madame la présidente. J'espère que tous ceux ici présents l'appuient entièrement, comme l'ont fait sans réserve tous les membres de la Chambre des communes. Je suis désolé de devoir vous quitter, mais la Chambre des communes s'apprête apparemment à passer au vote, et je dois y participer.
La présidente : Nous comprenons. Vous ai-je bien entendu dire que vous reviendriez après le vote, monsieur le ministre?
M. Nicholson : Oui, je le ferais avec plaisir.
La présidente : Nous vous en saurions gré.
Nous avons la chance extraordinaire d'accueillir un représentant du Conseil canadien des avocats de la défense, M. Phil Downes, ainsi qu'un représentant de la Criminal Lawyers' Association, M. Howard L. Krongold. Nous vous remercions beaucoup de comparaître aujourd'hui, d'autant plus que vous étiez ici très tôt ce matin.
Phil Downes, représentant, Conseil canadien des avocats de la défense : Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous transmets les salutations de M. Bill Trudell, président du Conseil canadien des avocats de la défense, que certains d'entre vous connaissent peut-être.
Comme vous le savez, le Conseil canadien des avocats de la défense a été constitué en novembre 1992 à l'instigation de la ministre de la Justice de l'époque, l'honorable Kim Campbell. Notre organisation a pour mandat de représenter les avocats de la défense du pays dans l'espoir d'offrir une tribune et une perspective nationales en matière de justice criminelle. Nous sommes donc représentés dans l'ensemble des provinces et territoires. Nous vous remercions beaucoup de nous donner l'occasion de prendre la parole dans le cadre des travaux importants que vous accomplissez.
Permettez-moi d'aborder en premier la question générale de l'efficacité des sentences minimales obligatoires. À notre avis, ces peines n'ont aucun effet observable sur les taux de criminalité, particulièrement en ce qui concerne les drogues. Je ferais respectueusement remarquer que cette opinion de longue date bénéficie de solides appuis. Dans un rapport préparé par le ministère de la Justice du Canada en 2002, on peut lire que les peines minimales obligatoires sont « des instruments peu précis qui ne font pas la différence entre les délinquants selon leur niveau dans la hiérarchie du trafic mais selon le caractère permanent ou intermittent de leur participation dans cette activité ». Il est largement admis que les peines minimales obligatoires ont pour effet d'augmenter la population carcérale ainsi que les coûts pour les contribuables, sans que la société en général en tire des avantages réels.
Après avoir pris connaissance des procédures antérieures concernant ce projet de loi, j'ai constaté qu'une question revient encore et encore et ne semble jamais trouver de réponse : où sont les preuves de l'effet favorable des peines minimales obligatoires sur les crimes relatifs à la drogue et la toxicomanie? Selon nous, ces preuves n'existent tout simplement pas.
D'après ce que j'ai pu voir comme criminaliste — j'ai également été avocat de la Couronne pendant huit ans avant de devenir avocat de la défense —, la vaste majorité de ceux qui s'adonnent à des activités criminelles n'ont absolument aucune idée des peines auxquelles ils s'exposent. Lorsqu'ils viennent me consulter, l'une des premières questions qu'ils me posent est « combien de temps vais-je passer en prison »? Ils l'ignorent.
Ces personnes ne décident pas de vendre ou non un joint de marijuana en pensant qu'ils vont recevoir une peine d'un an de prison plutôt que six mois, comme c'est le cas présentement. Leur décision se fonde sur d'autres facteurs, comme le risque d'être pris ou non.
Par conséquent, nous considérons que les peines minimales obligatoires n'ont pas réellement l'effet que certains prétendent, ce que notre expérience démontre d'ailleurs. Fait important à noter à ce chapitre, les juges canadiens sont largement reconnus comme étant parmi les plus indépendants et les plus compétents, et peut-être même les meilleurs, du milieu de la common law. L'Institut national de la magistrature les envoie dans diverses régions du monde, notamment la Chine, la Russie, le Rwanda et le Pakistan, pour y offrir de la formation en matière juridique, ce dont nous sommes très fiers. Notre processus de nomination des juges fait rarement, si jamais, l'objet d'allégations d'ingérence politique ou d'incompétence du titulaire.
Il semble toutefois que le pouvoir discrétionnaire des juges s'effrite continuellement par suite de l'adoption de projets de loi comme celui qui nous intéresse aujourd'hui. Pourquoi chercher à mettre constamment des bâtons dans les roues à ceux qui prennent des décisions sur place, des décideurs qui, selon nous, sont ceux qui sont les mieux placés pour évaluer chaque contrevenant en fonction des besoins de ces derniers, des besoins de la communauté et de l'intérêt public pour imposer la meilleure peine possible?
Cette double norme nous préoccupe beaucoup, car si d'un côté, nous respectons nos juges, nous tentons continuellement de leur retirer le pouvoir discrétionnaire qu'ils sont pourtant les mieux habilités à exercer.
Des statistiques contenues dans vos documents d'information concernant la grande problématique à l'étude montrent que le coût global de la consommation abusive d'alcool et d'autres drogues au Canada en 2002 était estimé à tout près de 40 milliards de dollars. Presque 80 p. 100 de ces coûts étaient attribuables à l'abus de tabac et d'alcool. Au Canada, le tabac a fait au bas mot 20 fois plus de victimes que les drogues illicites.
Notre objectif est de protéger la santé et la sécurité publiques. Comment cette loi nous permettra-t-elle d'atteindre notre but?
Permettez-moi de vous glisser un mot au sujet des centres de désintoxication dont le ministre a parlé il y a quelques minutes. Deux choses nous préoccupent à l'égard du programme de désintoxication. Dans l'ensemble, nous sommes évidemment en faveur d'un tel programme.
D'abord, nous avons certaines réserves par rapport au fait que le programme n'est offert qu'avec le consentement du procureur. Pourquoi ne laisserait-on pas aux juges la discrétion d'évaluer eux-mêmes la situation et de déterminer que ce serait dans l'intérêt de tout le monde que la personne visée obtienne ce traitement, consentement ou non? La loi ne confère pas ce pouvoir aux tribunaux. M. Krongold pourrait formuler quelques commentaires à ce propos un peu plus tard.
Aussi, la réalité est telle que les programmes offerts sont loin de répondre à la demande. Le problème est complexe, car les provinces participent au financement de ces programmes. Il pourrait y avoir un certain décalage entre l'espoir que l'on semble fonder dans les tribunaux de traitement de la toxicomanie et la disponibilité de ces derniers.
Je vais tâcher de préciser ma pensée en vous situant dans un autre contexte. Je vous ai mentionné que nous avons des représentants partout au pays, et j'aimerais axer mes observations finales sur ce que vivent les communautés du Nord et des régions éloignées, notamment au Yukon.
Pour ce qui est des peines minimales obligatoires proposées par le nouvel alinéa 5(3)a) du projet de loi, nos membres du Yukon nous signalent que bon nombre, sinon la plupart, des personnes condamnées pour trafic de stupéfiants dans les régions éloignées du Nord sont des toxicomanes qui vendent de petites quantités de drogues pour payer leur consommation personnelle. L'imposition d'une peine minimale de un an ou deux, par laquelle on vise un effet de dissuasion dans des situations particulières ou plus générales, s'avérera inefficace pour les gens motivés par une dépendance. On ne fera qu'engorger davantage les tribunaux et les centres de détention si on décide d'imposer des peines minimales qui ne font aucune distinction entre les gros trafiquants motivés uniquement par les profits et l'exploitation, et les petits vendeurs de drogue. Cela ne nous aidera en rien à accroître la sécurité publique.
J'aimerais vous exposer plus en détail les problèmes qui se posent au Yukon relativement aux personnes en attente d'un traitement. Premièrement, le ministère de la Justice n'emploie qu'un seul conseiller en toxicomanie en clinique externe pour desservir tous les prévenus, tant ceux qui sont incarcérés que ceux qui sont sous probation dans la communauté. Il n'y a donc qu'un seul professionnel qui offre des services de counseling gratuitement aux personnes impliquées dans le système de justice pénale, et cette personne doit satisfaire tout le monde en même temps.
Deuxièmement, le gouvernement du Yukon a mis en place un tribunal de traitement de la toxicomanie et de santé mentale, le Community Wellness Court. Toutefois, en l'absence d'un financement adéquat assurant des services de counseling et offrant des logements stables, la majeure partie des participants ont quitté le programme ou ont été incarcérés de nouveau.
Troisièmement, le centre local de traitement de longue durée offre des programmes de 28 jours. Il y a toutefois des listes d'attente, et parce que le programme est offert en alternance aux hommes et aux femmes, il peut arriver que quelqu'un doive attendre jusqu'à deux mois pour obtenir un traitement adéquat.
Quatrièmement, et c'est peut-être le facteur le plus troublant, le centre local de traitement de longue durée n'accepte généralement pas les clients assujettis à une ordonnance de la cour, par exemple comme condition de cautionnement, de probation ou de reconnaissance de cautionnement. Ainsi, ces personnes n'auraient pas accès à des traitements si le prononcé de la sentence devait être retardé ou si le traitement devait faire partie de la peine imposée; aucun traitement n'est offert dans l'établissement de longue durée.
Ceux qui travaillent avec des clients autochtones ont constaté qu'il était nécessaire d'offrir des services de counseling en toxicomanie adaptés aux réalités culturelles de leurs clients, comme on le fait à Williams Lake et à Lantzville, en Colombie-Britannique. Rien de ce genre n'est offert au Yukon, même si la vaste majorité des délinquants sont d'origine autochtone. De plus, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, à qui incombent les dépenses liées aux soins de santé offerts aux Autochtones, ne paient pas le transport vers les établissements en question si le patient est assujetti à une ordonnance de la cour. Ainsi, en retardant le prononcé de la peine dans ces situations, on prive un délinquant des Premières nations d'accéder à des traitements à l'extérieur du territoire, même si c'est le meilleur endroit pour lui d'obtenir les soins dont il a besoin.
Finalement, le seul centre de détention du Yukon n'offre pas du tout, ou très peu, de traitement.
Le conseiller dont je vous ai parlé plus tôt offre des séances individuelles, et quelques programmes dirigés par des pairs, comme les AA, sont offerts aux hommes seulement. Les femmes n'y ont pas droit, en passant.
Je reconnais que ce sont des problèmes que cet honorable comité ne peut pas résoudre. Je tiens cependant à en parler, car cela nous montre bien les réelles répercussions que l'imposition de peines minimales obligatoires pourrait avoir sur les personnes habitant dans les régions éloignées. Si on ne prend pas soin d'accroître le financement et d'investir davantage dans les établissements, les personnes moins nanties et les Autochtones ne pourront pas bénéficier des avantages que l'imposition de peines minimales obligatoires est censée apporter, par exemple l'accès à des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Seuls ceux qui en auront les moyens pourront s'offrir une cure de désintoxication. C'est tout simplement inacceptable à notre avis.
En résumé, nous croyons que rien ne prouve que ce projet de loi permettra de faire diminuer le taux de criminalité lié aux drogues ou d'accroître la sécurité publique. Par contre, beaucoup d'éléments nous poussent à croire que cela ne fera que marginaliser et léser davantage ceux qui sont déjà mis à l'index par le système de justice pénale.
Je suis heureux d'avoir pu discuter de ces enjeux avec vous.
Howard L. Krongold, représentant, Criminal Lawyers' Association : Je tiens d'abord à remercier cet honorable comité d'avoir invité de nouveau la Criminal Lawyers' Association à présenter un mémoire concernant ce projet de loi. Comme c'est probablement le cas pour tout le monde ici présent, la Criminal Lawyers' Association (CLA) appuie les initiatives qui permettent réellement de rendre nos collectivités plus sécuritaires. Nous tâchons toutefois de vérifier que ces mesures qui visent à accroître la sécurité de nos collectivités sont réellement efficaces, et que les dispositions en question sont justes et constitutionnelles.
Globalement, notre organisation a certaines réserves à propos de l'utilisation de peines minimales obligatoires. Si on retire aux juges le pouvoir discrétionnaire d'établir avec soin une peine d'emprisonnement en tenant compte des faits particuliers que présente chaque affaire, il faut s'attendre à en payer le prix. Une peine qui semble adéquate en théorie pourrait en effet s'avérer injuste dans certains cas.
Je prierais le comité de se demander si les peines imposées à l'heure actuelle aux trafiquants de drogues sont réellement trop clémentes. Si les peines imposées sont généralement suffisamment punitives, et c'est ce que je serais porté à croire, ce projet de loi ne fait qu'entraîner des coûts supplémentaires sans vraiment présenter d'avantages notables. Je propose de prendre le reste du temps qui m'est alloué pour vous parler des coûts qui seraient ainsi entraînés dans trois secteurs.
Le premier secteur pour lequel la CLA craint une augmentation des coûts est celui de l'administration de la justice. On enregistrera moins de plaidoyers de culpabilité si des peines minimales obligatoires sont imposées dans ce secteur. L'imposition de peines minimales obligatoires accroît de façon exponentielle le nombre de procès, car les accusés n'ont plus de raison de plaider coupables, même si les arguments de la poursuite sont irréfutables.
Dans l'état actuel des choses, les accusés qui sont confrontés à une preuve accablante vont souvent plaider coupables dans l'espoir d'écourter un tant soit peu leur peine d'emprisonnement. Appliquée aux milliers de cas entendus, la très modeste réduction de peine — et j'insiste pour dire que c'est une réduction modeste — découlant d'un plaidoyer de culpabilité a des retombées massives sur le système, et c'est ce qui permet à ce dernier de continuer à fonctionner efficacement.
L'envers de la médaille, c'est que dans les cas moins accablants, ce ne sera plus aux juges que reviendra la discrétion d'établir les peines, mais aux procureurs qui travaillent derrière des portes closes. Quand leurs dossiers présentent des lacunes, les procureurs offrent de négocier le plaidoyer, et ce projet de loi n'empêchera pas d'intenter des poursuites même sans preuves irréfutables. Les procureurs, en vue d'inciter les accusés à plaider coupables, seront forcés de négocier une réduction de peine ou d'éviter de faire la preuve de facteurs aggravants. Cela viendra déformer le processus de détermination de la peine si le délinquant devait faire face à de nouvelles accusations. Ainsi, au lieu de décisions rendues dans le cadre d'audiences publiques, nous aurons affaire à des ententes privées échappant au contrôle judiciaire qu'auront conclues les avocats de la défense et les procureurs.
Finalement, pour ce qui est des coûts rattachés à l'administration de la justice — et cela se rapporte aussi au prochain secteur dont je veux vous parler, c'est-à-dire les coûts individuels — il faut souligner l'impact disproportionné que cela aura sur les minorités raciales au Canada et, en particulier, sur les communautés autochtones. J'abonde dans le même sens que mon collègue à cet égard. La pauvreté, l'absence d'un emploi légitime et la privation économique sont souvent en cause, surtout dans le cas de petits trafiquants de drogues, et ces facteurs doivent être pris en compte par le juge chargé de déterminer la peine.
Ce projet de loi ne prévoit aucune exemption pour reconnaître, par exemple, la discrimination systémique dont sont victimes les Autochtones. À cet égard, je me permets respectueusement de contredire le ministre de la Justice, qui a déclaré plus tôt que le projet de loi cadrait avec les principes de détermination de la peine mis de l'avant dans le Code criminel.
Si le passé est garant de l'avenir, ce projet de loi aura pour effet d'exacerber les problèmes déjà bien réels de l'incarcération et de la représentation disproportionnées des personnes autochtones dans les prisons et les pénitenciers du Canada.
J'aimerais aussi parler brièvement du prix qu'auront à payer les individus et de la possibilité que ce projet de loi soumette les accusés à des peines d'emprisonnement hors de proportion par rapport à leur niveau de culpabilité morale. Je pourrais vous donner bien des exemples, mais je tâcherai de me limiter à quelques-uns.
D'abord, le projet de loi pourrait avoir des répercussions disproportionnées sur les tout petits consommateurs de rue qui vendent de la drogue pour soutenir leur propre dépendance. Dans le cadre de ce projet de loi, un contrevenant sera assujetti à une peine minimale de un an, mais compte tenu de la première condamnation, il sera souvent jugé inadmissible à un tribunal de traitement de la toxicomanie. Pourtant, il s'agit souvent de ceux qui ont le plus besoin d'un traitement.
Ensuite, si jamais les gros trafiquants de drogues devaient apprendre qu'on avait opté pour l'imposition de peines minimales obligatoires, et je suis d'accord avec mon collègue pour dire que c'est très peu probable, on peut s'attendre à ce que ces mesures, plutôt que d'avoir un effet dissuasif, incitent les barons de la drogue à profiter de la vulnérabilité des toxicomanes en les forçant à faire leurs transactions à leur place pour qu'ils purgent aussi leurs peines à leur place.
Un autre exemple des effets disproportionnés que le projet de loi pourrait avoir sur les individus est que la peine minimale de deux ans pour le trafic des substances inscrites à l'annexe I (notamment près d'une école ou d'un autre endroit fréquenté par des mineurs) résultera, dans certains cas, à des peines d'emprisonnement nettement exagérées. Supposons qu'un élève du secondaire de 18 ans vend à un autre élève une petite quantité d'une substance inscrite à l'annexe I. Si la vente a lieu à l'école ou près de celle-ci, par exemple dans un centre commercial, le vendeur sera passible d'une peine d'emprisonnement minimale de deux ans. Les tribunaux devraient être autorisés à reconnaître la culpabilité réduite d'une personne dans une telle situation.
Finalement, j'aimerais revenir sur les craintes tout à fait fondées qu'a exprimées la Criminal Lawyers' Association à propos de l'utilisation des tribunaux de traitement de la toxicomanie comme principal moyen d'exemption des peines minimales obligatoires.
Premièrement, comme mon collègue l'a indiqué, tout le monde n'a pas accès également à ces tribunaux, et c'est un problème qui perdure. On peut donc s'attendre à ce que les peines minimales s'appliquent invariablement dans les petits centres, mais pas dans les grands. On nous demandera pourquoi une personne devrait purger une peine minimale obligatoire à Perth, en Ontario, ou à Brandon, au Manitoba, tandis qu'une autre à Toronto, en Ontario, ou à Vancouver, en Colombie-Britannique, qui a accès à des tribunaux de traitement de la toxicomanie, en sera exemptée.
La Cour suprême du Canada, dans le célèbre arrêt R. c. Morgentaler, a maintenu que :
L'un des préceptes fondamentaux de notre système de justice criminelle est que, lorsque le Parlement crée une défense à l'égard d'une accusation criminelle, celle-ci ne doit être ni illusoire ni à ce point difficile à faire valoir qu'elle soit pratiquement illusoire.
Le même argument pourrait être utilisé dans le contexte des peines minimales, c'est-à-dire qu'elles contreviennent à notre sens inné de la justice. Pourquoi exempter un délinquant d'une peine minimale obligatoire, alors qu'on refuse cette exemption à un autre, uniquement en fonction du tribunal qui a entendu la cause de l'accusé?
L'autre crainte que nous avons à propos des tribunaux de traitement de la toxicomanie, c'est que ce sont les avocats de la Couronne qui auront la discrétion de permettre ou non l'inscription à un programme de désintoxication, une décision qui ne sera pas soumise à un contrôle judiciaire. Les avocats de la Couronne peuvent exercer un droit de veto à cet égard, et ils le font.
D'après les conversations que j'ai eues avec certains de mes collègues, je peux vous affirmer que notre expérience sur le terrain nous montre que les normes varient énormément d'un procureur de la Couronne à l'autre. Il est déjà arrivé qu'un accusé soit exclu d'un tribunal de traitement de la toxicomanie parce qu'il avait été condamné de nombreuses années plus tôt pour des crimes violents. Un autre procureur de la Couronne aurait pu juger que ces vieilles condamnations n'auraient pas dû empêcher l'accusé d'obtenir un traitement s'il en avait vraiment besoin et s'il voulait vraiment s'en sortir.
De la même façon, les procureurs de la Couronne n'auront pas tous les mêmes critères pour déterminer quelles sont les infractions précédentes et les quantités de drogues impliquées qui pourraient justifier l'exclusion d'un accusé d'un programme de traitement. Peu importe l'issue du processus, que les procureurs prennent des décisions qui peuvent sembler trop indulgentes, trop sévères ou tout à fait appropriées, le verdict ne sera jamais soumis à un contrôle judiciaire, alors que les décisions rendues par les juges sont susceptibles d'un examen. C'est une façon de faire qui compromet sérieusement notre responsabilité à l'égard du public et qui pourrait aussi entraîner d'autres contestations constitutionnelles, car l'admissibilité aux tribunaux de traitement de la toxicomanie serait déterminée de façon arbitraire et non assujettie à un contrôle judiciaire.
Finalement, pour en revenir à mon point précédent, beaucoup des facteurs aggravants qui pourraient justifier l'imposition de peines minimales obligatoires, comme une condamnation précédente pour trafic de stupéfiants, vont souvent empêcher une personne d'être seulement admise à un tribunal de traitement de la toxicomanie. L'exemption va plus souvent qu'autrement s'avérer illusoire.
Les réunions de ce comité permettent de mûrement réfléchir aux dossiers et d'en faire un second examen avec un peu de recul. Je suis d'avis que ce projet de loi aura de graves répercussions sur les délinquants, ainsi que sur l'administration de la justice. Je prierais le comité de se demander si le prix à payer est compensé par des avantages notables, et si la fausse perception que des peines injustement clémentes sont imposées aux trafiquants de drogues justifie de créer de réelles injustices dans les pratiques de détermination de la peine.
Le sénateur Nolin : J'appuie entièrement le dernier commentaire de M. Krongold. Nous voulons que ce projet de loi fasse l'objet d'une analyse rigoureuse. Nous respectons le travail de nos politiciens et de nos témoins experts, mais je crois personnellement qu'il faut examiner ce projet de loi avec le plus grand soin. Bien des membres du Sénat sont évidemment très intéressés par cette question, car nous l'avons déjà étudiée avec beaucoup de sérieux et de rigueur.
Tandis que j'y suis, si le président me le permet, je vous prierais de nous soumettre par écrit toute observation que vous n'auriez pas pu faire dans vos réponses à nos questions, si vous le voulez bien. Sachez que j'ai beaucoup de respect pour vous et que je reconnais que vous avez beaucoup d'expérience, mais j'aimerais que vous nous indiquiez dans vos notes d'où vous proviennent vos informations. Si vous aviez les résultats d'études examinées par des pairs, ce serait l'idéal. Je tiens à répéter que je respecte énormément l'opinion de nos experts, mais je veux aussi savoir sur quoi s'appuient leurs idées.
J'ai une seule question à vous poser. Nous savons tous que les jeunes, pas seulement au Canada, mais partout dans le monde, sont les principaux intéressés par ce genre de politique publique, d'abord parce que ce sont eux les principaux consommateurs de drogues. À la fin de son allocution, le ministre a répété que le but du projet de loi C-15 n'était pas de s'attaquer aux jeunes universitaires qui se font prendre avec deux ou trois joints, mais bien aux gros trafiquants de drogues. Selon votre expérience, comment le projet de loi C-15 affectera-t-il les jeunes Canadiens? Je vous rappelle que nous vous invitons à nous fournir une réponse plus complète par écrit si vous le jugez approprié. Si vous vous appuyez sur ce qui se passe ailleurs dans le monde pour formuler votre réponse, je vous prierais de documenter les références que vous ferez parvenir au comité.
Le président : Nous serons heureux de consulter les commentaires détaillés que vous nous soumettrez par écrit. Voulez-vous tout de même répondre immédiatement à la question?
M. Downes : Je peux vous répondre très brièvement maintenant, et je me ferai un plaisir d'acquiescer à votre demande.
Ce qui pose problème, c'est que rien dans le projet de loi ne permet de faire une distinction entre les jeunes qui vendent de la marijuana (n'oublions pas que le terme « trafic » est défini grossièrement comme la vente à un tiers) et les gros trafiquants de drogues. Si l'objectif de la politique est de s'attaquer aux barons de la drogue qui usent de méthodes plus sophistiquées et qui donnent dans l'exploitation, aucun élément inhérent à la loi ne permet de le faire. Nous devons donc nous en remettre au jugement de la police et de la Couronne. Nos tribunaux ont affirmé que ce n'était pas la bonne façon de remédier aux déséquilibres et à l'inégalité; pour ce qui est de la constitutionnalité du projet de loi, c'est un autre débat. C'est ce que je pourrais vous répondre rapidement. Je n'ai pas avec moi de données précises qui pourraient nous indiquer comment cela affectera les jeunes, mais je peux certainement étudier la question.
M. Krongold : J'aurais deux brefs commentaires. Premièrement, le projet de loi ne permet pas aux juges de prendre en considération la situation tout à fait particulière des jeunes Canadiens vulnérables. Il en découle donc quelques-uns des coûts importants dont j'ai parlé dans ma déclaration préliminaire.
Deuxièmement, les toxicomanes qui deviennent impliqués dans le trafic de drogue et qui seront visés par certaines des peines minimales prévues dans ce projet de loi sont très souvent des jeunes provenant de milieux extrêmement difficiles qui ont été entraînés dans le cycle de la consommation et du trafic des drogues. Nous sommes d'avis que le projet de loi devrait laisser une certaine marge de manœuvre au système judiciaire lorsqu'il doit composer avec ces jeunes Canadiens vulnérables qui risquent d'encourir les peines minimales prévues.
Le sénateur Baker : Je veux d'abord et avant tout vous féliciter pour le rapport que vous avez présenté à notre comité. J'aimerais préciser quelques points avec vous dans le contexte de votre expérience directe devant les tribunaux dans des causes pouvant être visées par le présent projet de loi. Premièrement, vous avez notamment fait valoir que ce sont les procureurs de la Couronne qui devront déterminer si l'on peut renoncer aux peines obligatoires prévues et se tourner vers les tribunaux de traitement. Il n'existe pas de tels tribunaux au Québec et dans le Canada atlantique. Vous y voyez bien évidemment une discrimination à l'encontre des régions du Canada ne pouvant compter sur des tribunaux semblables auxquels sont affectés des juges de la Cour supérieure dont la rémunération est payée par le gouvernement fédéral.
Vous indiquez que les procureurs de la Couronne se voient confier la responsabilité de prendre cette décision en ajoutant qu'il y a des différences entre ces procureurs d'une province à l'autre, d'une cause à l'autre et d'un individu à l'autre. Le Code criminel renferme toutefois déjà des dispositions permettant aux procureurs de la Couronne de prendre certaines décisions, notamment lorsqu'il s'agit de déterminer si le casier judiciaire d'un prévenu doit être pris en compte. C'est une décision qui est entièrement du ressort du procureur de la Couronne. Il arrive que cela soit inclus dans les négociations avec la défense. Qu'est-ce qui vous causerait surtout problème si les mêmes dispositions s'appliquaient aux peines minimales prévues dans ce projet de loi?
M. Krongold : Nous nous préoccupons surtout du fait que le pouvoir discrétionnaire à l'égard de la peine pouvant être imposée est retiré au juge pour être confié au procureur de la Couronne. Il va de soi que l'exercice de pouvoirs discrétionnaires est l'une des facettes importantes du travail des procureurs de la Couronne et que ceux-ci s'en tirent généralement très bien à ce chapitre. La situation est toutefois un peu poussée à l'extrême lorsque le procureur devient en fait celui qui décide de la sentence ou, dans le contexte des tribunaux de traitement des toxicomanes, si c'est lui qui doit déterminer si un individu peut demander une exemption à l'égard de la peine obligatoire.
Le sénateur Baker : Vous soutenez que la nouvelle version de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ne fera pas de distinction entre la personne arrêtée avec des drogues en sa possession en vue d'en faire le trafic, le baron de la drogue, la personne qui transporte les drogues, celle qui les distribue ou celle qui les vend, alors que les peines applicables sont différentes. Je suis persuadé que vous conviendrez avec moi que le juge fait effectivement une distinction entre toutes ces catégories au moment d'imposer la peine. Ainsi, la personne qui écoule la drogue dans la rue va sans doute écoper d'une peine légère ou même d'une condamnation avec sursis s'il s'agit de sa première infraction.
Êtes-vous en train de nous dire que l'imposition de la peine minimale prévue dans ce projet de loi pour les crimes de possession d'une substance en vue du trafic, de complot en vue de faire le trafic ou de trafic privera le juge de la possibilité de faire la distinction entre ces différents délits comme il peut actuellement le faire?
M. Downes : Il n'est précisé nulle part dans le projet de loi que la peine minimale prévue s'appliquera de façon distincte à ces différents contrevenants. Il va de soi que je conviens avec vous que le grand baron de la drogue qui écoule de la cocaïne par pleins camions écopera d'une peine beaucoup plus sévère. Les peines minimales ont généralement pour effet de hausser les barèmes de condamnation. Je ne veux surtout pas laisser entendre que ce projet de loi prive le juge de tout rôle quant à l'évaluation des circonstances aggravantes, mais rien dans son libellé n'indique que cette distinction sera établie au départ.
Le sénateur Baker : Pourrait-on dire par conséquent que l'étudiant universitaire sera traité sur le même pied que le baron de la drogue?
M. Downes : Pas pour ce qui est de la peine qui sera imposée en fin de compte, mais la teneur du projet de loi est telle qu'elle pourrait amener un juge à conclure que l'étudiant visé ne devrait pas selon lui aller passer une année en prison, pour différentes raisons.
Le sénateur Baker : Mais la peine minimale devrait tout de même s'appliquer.
M. Downes : Tout à fait.
Le sénateur Baker : Quant à la diminution du nombre de plaidoyers de culpabilité, monsieur Krongold, vous avez indiqué que les contrevenants peuvent bénéficier d'une modeste réduction de peine en pareil cas. N'est-il pas vrai que cela peut varier en fonction des provinces? Certaines d'entre elles peuvent effacer jusqu'au quart de la peine lorsque l'inculpé permet au tribunal d'économiser les coûts d'un procès. N'êtes-vous pas du même avis?
M. Krongold : Je ne pourrais vous parler de la situation dans toutes les autres provinces. À la lumière de mon expérience de pratique du droit pénal à Ottawa, je vous dirais qu'un plaidoyer de culpabilité permet généralement de réduire la peine de quelques mois, soit peut-être dans une proportion de 10, 15 ou 20 p. 100. Dans l'ensemble, cela revient toutefois à deux ou trois mois d'incarcération en moins pour un individu se situant au bas de la pyramide du trafic de la drogue. Dans ce contexte, en retirant cet incitatif plutôt faible, vous entraînez des coûts systémiques considérables qui placeront le système judiciaire dans une situation vraiment problématique.
M. Downes : Je serais porté à croire qu'il existe, comme vous le suggérez, des variations entre les provinces comme c'est le cas dans de nombreux champs d'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Couronne. Je ne pourrais pas vous en dire davantage. C'est un autre dossier pour lequel nous nous ferons un plaisir de vous faire profiter de l'expérience de notre association si jamais vous avez besoin d'aide.
La présidente : Honorables sénateurs, je vois que notre premier témoin est de retour. Cette séance est en train de prendre la forme d'un véritable puzzle, mais je me demandais si nous ne pourrions pas inviter le ministre à se joindre à nous pendant quelques minutes, tout en demandant à MM. Downes et Krongold de demeurer à notre disposition. Nous essayons de maximiser le temps à notre disposition pour la séance de ce matin.
Monsieur le ministre, bon retour parmi nous.
M. Nicholson : Merci, madame la présidente. Je vous suis reconnaissant de m'avoir permis cet arrangement. Je suis accompagné de M. Greg Yost du ministère de la Justice. Il a suivi les témoignages que vous avez entendus et m'a indiqué qu'il pensait être en mesure d'apporter un éclaircissement. Je pourrai ensuite répondre à toutes vos questions concernant ma déclaration préliminaire. Si je ne m'abuse, M. Yost m'a dit que cela concerne les jeunes de 18 ans faisant le trafic de quelques joints seulement. Si vous lisez bien vos notes, vous verrez que la quantité faisant l'objet du trafic doit dépasser trois kilogrammes de résine de cannabis ou de cannabis. Il ne peut s'agir d'un joint ou deux seulement. Est-ce bien cela, monsieur Yost?
Greg Yost, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Si j'ai bien compris la remarque qui a été faite tout à l'heure, il était question de la vente de quelques joints à l'école. La vente en milieu scolaire est une circonstance aggravante, mais il faudrait tout de même que l'on dépasse la quantité fixée à l'annexe 7, soit trois kilogrammes. Il faudrait que ces quelques joints soient vraiment très gros.
M. Nicholson : Quoi qu'il en soit, je suis à votre disposition, madame la présidente. Je suis prêt à répondre aux questions.
Le sénateur Nolin : Bienvenue à vous monsieur le ministre. Comme nous le mentionnions pendant que vous étiez à l'autre chambre, nous allons fonctionner de manière rigoureuse et détaillée dans notre examen de ce projet de loi. Nous irons plus en profondeur que ne l'a fait la Chambre des communes. Nous allons nous interroger non seulement sur la pertinence du projet de loi C-15, mais aussi sur l'ensemble de la politique publique canadienne de lutte contre les drogues dans laquelle il s'inscrit.
Quel est le véritable objectif visé par ce projet de loi?
M. Nicholson : Comme toujours, il s'agit d'une mise à jour de la loi, d'un repositionnement. Comme je l'indiquais dans ma déclaration quelque peu abrégée, il s'agit notamment de modifier la désignation des substances communément appelées drogues du viol. C'est une évolution dont nous avons été à même de prendre conscience. Vous verrez qu'il y a des peines d'incarcération obligatoires pour les individus qui importent de la drogue au Canada. Cela découle des entretiens que j'ai eus avec différentes instances chargées de l'application de la loi au pays qui m'ont indiqué que les personnes qui travaillent à importer des drogues au Canada font partie du crime organisé. Il ne s'agit pas d'un simple accident; d'un individu que des circonstances malheureuses ont amené à développer une dépendance. Nous voulons envoyer le bon message. Si vous faites entrer des drogues au Canada, vous risquez fort de séjourner dans nos prisons.
C'est une mise à jour, une modernisation de la loi au moyen de laquelle le gouvernement s'efforce d'envoyer le bon message aux citoyens, à savoir qu'il est préférable qu'ils se tiennent loin de ce commerce répréhensible, sans quoi ils s'exposent à de graves conséquences.
Le sénateur Nolin : Aux fins de cette modernisation, pour reprendre votre expression, de sa politique d'interdiction des drogues, le gouvernement a largement recours aux peines minimales obligatoires. J'aimerais savoir si vous, votre gouvernement et vos fonctionnaires avez examiné ce qui s'est fait dans d'autres pays en la matière de façon à pouvoir vous inspirer des bons résultats obtenus.
M. Nicholson : Vous pouvez constater que les peines imposées dans bien des pays, y compris aux États-Unis, sont sensiblement plus lourdes que ce que nous envisageons au Canada. Je ne dirais pas comme vous que nous avons largement recours aux peines minimales obligatoires. De telles peines sont prévues dans de nombreux textes de loi. Bon nombre d'entre elles se retrouvent déjà bien évidemment dans le Code criminel. Je suppose qu'il n'y a pas meilleur exemple que la peine d'emprisonnement à perpétuité à laquelle s'exposent les individus trouvés coupables de meurtre au premier degré. C'est la peine minimale la plus lourde possible d'autant plus que la libération conditionnelle ne peut être accordée qu'après 25 ans. On retrouve donc des peines minimales dans le Code criminel. Cela s'inscrit dans notre responsabilité en tant que législateurs. Nous imposons des peines maximales pour bon nombre de ces crimes et, dans bien des cas, nous avons recours à des peines minimales, mais c'est notre travail et notre responsabilité. Je ne sais pas comment les choses se passent à l'échelle internationale pour ce qui est des crimes reliés aux drogues.
Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Yost?
M. Yost : C'est une question qu'il vaudrait sans doute mieux poser à M. St. Denis, qui est actuellement à Genève pour examiner différents enjeux touchant les drogues illicites avec l'Organisation mondiale de la Santé et qui s'intéresse à ces dossiers depuis bien plus longtemps que moi. C'est la raison pour laquelle nous avons voulu qu'il comparaisse la semaine prochaine.
Le sénateur Nolin : Nous lui poserons la question.
Monsieur le ministre, dans vos réflexions au sujet de ce projet de loi et de ses conséquences, avez-vous pris en considération l'utilisation assez répandue du cannabis à des fins médicales au Canada?
M. Nicholson : La consommation à des fins thérapeutiques n'est pas visée par ce projet de loi. Cela relève d'un régime tout à fait différent qui n'est aucunement touché par les présentes mesures législatives.
Le sénateur Nolin : Monsieur le ministre, permettez-moi de ne pas être d'accord avec vous. Près de 4 000 Canadiens sont inscrits sur les listes établies aux fins de l'accès réglementé à la marijuana à des fins thérapeutiques. Nous allons d'ailleurs recevoir des témoins qui nous aideront à mieux comprendre la réalité des consommateurs de cannabis sur ordonnance médicale.
M. Nicholson : Je vous prie de me faire une faveur, sénateur. Assurez-vous de leur indiquer que ce projet de loi ne les touche aucunement. Ce ne sont pas eux qui importent des drogues dans notre pays, qui produisent des méthamphétamines ou se livrent à des activités de la sorte. Ils ne font pas partie des gens ciblés par ce projet de loi.
Le sénateur Nolin : Lorsque je regarde le nouvel alinéa 7(2)b) proposé dans le projet de loi, je constate qu'il est question de peine minimale pour la production. Bon nombre des consommateurs de cannabis à des fins thérapeutiques en font eux-mêmes la production. D'autres qui sont incapables de le produire eux-mêmes se fient à quelqu'un d'autre pour le faire.
Je vous crois lorsque vous nous dites que le gouvernement ne souhaitait pas toucher à l'utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques, mais le projet de loi aura tout de même cet effet. Nous entendrons des témoins qui viendront nous en parler. Avez-vous réfléchi à cet aspect en examinant les conséquences possibles du projet de loi?
M. Nicholson : J'y ai songé et je suis persuadé, d'après les garanties que m'ont fournies mes collaborateurs et ma propre lecture de ce projet de loi, qu'il n'y aura aucune conséquence pour les gens qui participent au processus d'utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques. Un régime d'octroi de permis est en place. Je répète que nous voulons cibler les individus qui se livrent au trafic et à la production, et c'est le message que nous voulons transmettre.
[Français]
Le sénateur Rivest : Monsieur le ministre, j'aimerais entendre vos commentaires sur le principe des sentences minimales. En 2005 et 2006, deux études effectuées au sein du ministère de la Justice Canada ont été publiées, démontrant et affirmant de façon péremptoire la totale inefficacité du principe des sentences minimales. J'ai ici les références à ces études effectuées par votre propre ministère. Que s'est-il passé depuis 2005 pour que vous vous lanciez dans cette voie qui, bien sûr, érode une fois de plus le principe de la discrétion des juges?
[Traduction]
M. Nicholson : Nous offrons toujours une certaine orientation pour ce qui est des paramètres établissant le pouvoir discrétionnaire des juges. Vous n'étiez peut-être pas ici, mais j'ai signalé qu'un des collègues de mon parti se demandait au début des années 1990 pourquoi nous imposions une peine maximale limitée à cinq ans alors que nous devrions laisser le tout à la discrétion du juge qui pourrait fort bien souhaiter porter cette peine à 10 ou 15 ans.
Au nom du ministre alors en poste, j'ai répondu qu'il nous fallait fournir des indications quant à l'ordre de grandeur. Nous devons examiner les nouvelles infractions ou les modifications au Code criminel et offrir une orientation quant à la façon de les traiter. C'est notre travail de législateurs.
Par conséquent, nous devons fixer des peines maximales. Il arrive que les gens trouvent ces peines insuffisantes, et c'est un point de vue que je prends en considération. Reste quand même que nous devons prendre une décision. Dans bien des cas, nous prenons des décisions concernant les peines minimales. Je vous ai fourni les exemples les plus probants.
Je ne faisais pas partie du gouvernement lorsque l'on a convenu d'imposer une peine d'emprisonnement à perpétuité pour toute personne reconnue coupable de meurtre au premier degré. C'est une peine minimale énorme et je suis convaincu que cette décision a dû soulever de nombreuses questions. Quoi qu'il en soit, c'est ce que le gouvernement en poste a jugé approprié dans les circonstances.
Nous savons que nous sommes aux prises avec un grave problème; de plus en plus de drogues entrent et sortent de notre pays. On me l'a répété à maintes reprises. Les gens qui suivent de près cette problématique nous disent que c'est un terrible fléau que nous ne souhaitons pas voir dans nos rues. La drogue peut détruire une société; notre message doit être bien clair.
Nous envoyons un message aux gens qui font entrer de la drogue au Canada. Les autorités provinciales chargées de l'application de la loi nous disent toutes la même chose : ce sont des individus associés au crime organisé; ils sont dangereux; dites-leur clairement à quoi ils s'exposent.
Les peines minimales prévues débuteront à une année d'emprisonnement, selon le type d'infraction et les circonstances aggravantes. Je répète que cela relève de nos responsabilités et que j'aborde la situation avec le plus grand sérieux. Cependant, les juges ont encore un pouvoir discrétionnaire à exercer dans les limites des minimums et des maximums établis; ils ont également un rôle à jouer.
[Français]
Le sénateur Rivest : Êtes-vous en mesure de fournir au comité des études, effectuées au Canada ou à l'étranger, qui démontrent l'efficacité de l'imposition de sentences minimales?
[Traduction]
M. Nicholson : Je vais demander aux gens de mon ministère s'ils ont en main de telles études. Cependant, je ne sais pas si vous avez pu constater la même chose, mais les gens qui ne sont pas favorables aux peines minimales ne prêtent foi à aucune étude, aucun rapport ou aucun récit vantant leur efficacité. Mais c'est bien; ils ont droit à leur opinion.
Dans le cadre de mes fonctions comme ministre de la Justice ou, autrefois, comme secrétaire parlementaire, j'ai participé à l'établissement de ces peines. Il arrive qu'on se plaigne du fait que les peines maximales ne sont pas assez élevées. Certains m'ont fait valoir que les peines maximales ne fonctionnent pas, que les juges ne vont jamais jusque-là. Cela demeure tout de même notre responsabilité en tant que législateurs. Vous ne serez pas nécessairement d'accord avec moi, mais j'estime que nous avons trouvé la juste mesure avec ce projet de loi.
[Français]
Le sénateur Rivest : Existe-t-il des études et allez-vous nous en fournir, qui démontrent l'efficacité de l'imposition des peines minimales?
[Traduction]
M. Nicholson : Je vais parler aux gens de mon ministère. S'il existe des études pouvant vous être utiles, je vous les ferai transmettre.
Les dispositions de ce projet de loi ont été arrêtées en fonction des avis que j'ai reçus. Nous nous sommes adressés aux Canadiens et aux Canadiennes. Nous leur avons dit que nous allions adopter la ligne dure à cet égard en leur exposant les paramètres que nous établissions à cette fin. C'est ce qui a servi de base à la rédaction de ce projet de loi.
Le sénateur Campbell : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. Je suppose que je fais partie de ceux que vous accusez d'être toujours trop complaisants envers les criminels et d'essayer de contrecarrer vos efforts législatifs. Je dois vous avouer que certains éléments de ce projet de loi me plaisent bien. Je dois reconnaître que dans le cas de certaines substances — les drogues du viol notamment — nous faisons certes entrer la loi dans le XXe siècle.
Je dois toutefois aussi vous dire que je suis probablement, parmi les personnes ici présentes, celui qui connaît le mieux la réalité des drogues au sein de la société. Lorsque j'étais agent de police pour la Gendarmerie royale du Canada, la peine minimale pour l'importation de drogues était de sept ans. Ce minimum a été supprimé. Je ne comprends absolument pas pour quelle raison, car je peux vous dire que les seules drogues qui sont importées au Canada sont la cocaïne, l'héroïne et...
M. Nicholson : Cette disposition émane de la Cour suprême du Canada.
Le sénateur Campbell : Il faudrait peut-être revoir le tout.
La marijuana n'est pas importée en Colombie-Britannique. Le cas échéant, une accusation serait portée en vertu de la Mental Health Act de la Colombie-Britannique, et non pas aux termes de la Loi sur les aliments et drogues.
J'aborderai plus tard la question des peines minimales. Ce qui m'inquiétait et m'inquiète encore le plus notamment, c'est que rien n'indique que nous sommes disposés à interdire les précurseurs de la méthamphétamine. Nous sommes en fait l'un des plus grands producteurs de méthamphétamine et d'ecstasy au monde. Pourquoi? Parce que différents pays acheminent les précurseurs au Canada, ce qui nous permet de la fabriquer.
Nous nous attaquons à ces drogues de malheur, notamment à la méthamphétamine. Pourquoi ne pas en profiter pour ajouter les précurseurs à la partie de la mesure législative traitant des peines minimales?
M. Nicholson : Je vous remercie de votre observation, sénateur. Je me réjouis toujours de pouvoir compter sur divers points de vue pour améliorer une mesure législative. Comme vous pouvez le constater, ce n'est pas une mince tâche que d'adopter un projet de loi portant sur la fabrication de drogues. Imaginez la difficulté que posent les précurseurs.
Le projet de loi, espérons-le, sera adopté rapidement. Je me réjouis de pouvoir compter sur les diverses suggestions pour améliorer les autres projets de loi, car, même si j'en ai présenté neuf, je répète sans cesse à mes collègues que j'en présenterai encore davantage sur cette question. Je n'en dirai pas davantage à ce sujet, mais sachez que je vous suis certes reconnaissant de vos suggestions.
Pour l'instant, mon objectif consiste à faire adopter ce projet de loi qui porte sur la production de ces drogues, mais qui n'aborde pas la question des précurseurs. Une fois cet objectif atteint, nous pourrons nous attaquer à la question des précurseurs, forts de savoir que le comité et le Parlement veulent un projet de loi pour traiter ce problème.
Le sénateur Campbell : Le projet de loi sera adopté après avoir fait l'objet d'un examen approfondi, mais je ne crois pas que la partie sera facile. Je vous suis reconnaissant de vos explications.
Le sénateur Wallace : Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui. Des changements de cet ordre nécessitent toujours des compromis face à des intérêts divergents. Des avocats de la défense et des procureurs de la Couronne nous ont fait part brièvement de leurs points de vue ce matin.
La présidente : Nous les entendrons de nouveau, sénateur Wallace.
Le sénateur Wallace : Très bien. Par contre, il faut également tenir compte de l'avis de la population. Je dirais que 99 p. 100 des Canadiens ne se livrent pas à des activités criminelles et ne sont jamais mis en accusation pour un crime ni reconnus coupables d'en avoir commis un. Cependant, il faut tenir compte de ces deux intérêts divergents.
Lors de la rédaction du projet de loi C-15, en a-t-on tenu compte, et que pensez-vous des droits des personnes mises en accusation et reconnues coupables par rapport à ceux de 99 p. 100 de la population canadienne qui ne se livrent à aucune activité criminelle?
M. Nicholson : Je dois prendre en considération tous les points de vue sur la question. Au cours de la dernière année, je me suis rendu une demi-douzaine de fois dans la région de Vancouver, en Colombie-Britannique. On me rappelle sans cesse le problème de l'importation et de l'exportation de drogues, et on nous demande de proposer des peines pertinentes. Cela étant dit, il faut faire des compromis. Nous voulons venir en aide à ces personnes qui, malheureusement, sont des toxicomanes ou des consommateurs. Nous voulons qu'elles sachent clairement qu'il ne faut pas se livrer à ce genre d'activité.
Je me suis réjoui d'avoir été associé, de concert avec mes collègues la ministre de la Santé et le ministre de la Sécurité publique, à l'annonce du premier ministre concernant la Stratégie nationale antidrogue, qui consiste à recourir à la publicité et aux divers groupes d'intervenants pour que tous soient conscientisés à ce problème épineux.
M. Yost a eu la gentillesse de me dire que vous avez abordé la question des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Encore une fois, il s'agit là d'une autre solution qui est offerte. Nous espérons que les gens finiront par se rendre compte de leurs erreurs et qu'ils voudront se faire aider. Nous souhaitons que les personnes devenues malheureusement toxicomanes reçoivent l'aide. Il faut tenir compte des initiatives qui ont été mises en œuvre à cet égard.
Ce n'est qu'un aspect du problème. Lorsque je présente un projet de loi sur une question précise, on me parle souvent d'autre chose. Je suis conscient que les provinces nous aident considérablement, notamment en établissant des politiques. C'est une approche concertée, un aspect important et indispensable.
Le sénateur Nolin : Monsieur le ministre, vous avez répondu à la question du sénateur Wallace en faisant allusion à la population canadienne. Je suis convaincu que vous savez que près de 45 p. 100 de la population canadienne a consommé au moins une fois du cannabis. Pour les personnes mineures de 12 à 17 ans, la proportion passe à plus de 65 p. 100.
M. Nicholson : Sénateur, c'est la raison pour laquelle je parle de trafic de drogue lorsqu'il est question de ce projet de loi. Je tiens à le préciser encore une fois. Je sais que des critiques sont formulées. Ceux qui parlent de possession ne veulent pas qu'on adopte une attitude ferme à l'égard des personnes qui détruisent la vie d'autrui. Les trafiquants ne sont pas les aimables voisins que vous souhaiteriez fréquenter. Ce sont des criminels endurcis, des membres du crime organisé, qui importent et exportent de la drogue. Vous constaterez que ce sont les activités auxquelles nous voulons nous attaquer.
Dans la région de Vancouver, on m'a montré les risques et les problèmes que posent ces installations de culture. Ce n'est pas ce que nous souhaitons pour votre voisinage. C'est pourquoi nous lançons un message clair et net.
Le sénateur Wallace : Monsieur le ministre, vous avez fait allusion à la Stratégie nationale antidrogue en répondant à ma question précédente. Je conclus de votre réponse que le présent projet de loi n'est pas une mesure ponctuelle et individuelle, mais fait plutôt partie d'une approche intégrée, dont l'objectif est la protection de nos citoyens. Que pouvez-vous nous dire au sujet de cette approche intégrée?
M. Nicholson : C'est une observation très pertinente, sénateur Wallace. Lorsque j'ai répondu à votre question précédente, j'ai signalé que je me réjouissais d'être associé à l'annonce sur cette stratégie. Nous voulons effectivement que les toxicomanes ou les personnes qui songent à faire l'expérience d'un stupéfiant reçoivent de l'aide. Nous voulons leur faire savoir quelles sont les conséquences. Nous souhaitons les aider. C'est donc un élément de l'équation.
On ne m'interroge pas autant que je le voudrais sur cette question, mais cela fait certes partie des mesures que nous prenons. Je crois que 66,3 millions de dollars sont affectés à cette initiative, les deux tiers de cette somme étant destinés aux personnes, aux groupes et aux programmes de sensibilisation. C'est là un élément essentiel de la lutte antidrogue que nous menons au Canada. Il faut maintenant se doter d'une approche exhaustive.
Le problème est énorme et ne concerne pas uniquement le gouvernement fédéral. Lorsque je me suis rendu d'un bout à l'autre du pays pour examiner la question avec les autorités municipales et provinciales ainsi qu'avec les organismes non gouvernementaux, j'ai été impressionné de constater toutes les mesures qui étaient prises pour venir en aide aux personnes aux prises avec ce genre de problème. Nous ne sommes pas les seuls à chercher des solutions. Tous les citoyens et tous les ordres de gouvernement s'attaquent à cet épineux problème.
Le sénateur Wallace : Je vous remercie infiniment de cette précision. Elle est très utile.
[Français]
Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, il y a moins d'un mois, je n'étais pas sénateur, j'étais maire. Il est arrivé plusieurs fois dans l'année que le service de police fasse des perquisitions en milieu résidentiel dans ma communauté parce qu'elle soupçonnait la culture de substances illicites à l'intérieur des résidences. J'ai pu percevoir une augmentation de ce problème sérieux.
Il est arrivé également, après avoir discuté avec des membres de ma famille, qui sont agriculteurs et qui font de la culture de maïs, entre autres, que depuis quelques années et presque chaque été ils découvrent des personnes qui cultivent de la marijuana sur leur terre.
Ma conjointe est en droit civil. Elle constate que de plus en plus de problèmes familiaux liés à la toxicomanie, à la consommation de cocaïne, par exemple. Les statistiques démontrent une diminution du taux de criminalité, pourtant, sur le terrain, on sent une augmentation, on peut presque la toucher. Avez-vous des données sur la criminalité non déclarée, sur la victimisation, qui se rapproche beaucoup plus de la réalité qu'on rencontre sur le terrain que l'indice de criminalité?
[Traduction]
M. Yost : Statistique Canada a mené des enquêtes auprès des victimes. J'ignore à quand remonte la dernière, mais je suis tout disposé à faire les recherches nécessaires et à en informer le comité.
[Français]
La présidente : Nous allons inviter Statistique Canada à comparaître devant nous afin d'obtenir plus de renseignements quant à ce sujet. J'invite donc tous les sénateurs qui ont des questions précises à nous les faire parvenir afin de pouvoir informer les représentants de Statistique Canada.
Le sénateur Carignan : Je voudrais savoir si les peines minimales que vous imposiez étaient guidées par ces statistiques ou enquêtes de victimisation. Donc non seulement des taux de criminalité que vous preniez comme guide mais également les enquêtes de victimisation ou de criminalité non déclarée.
[Traduction]
M. Nicholson : Ce ne sont pas les statistiques qui nous guident. On dit toujours que les statistiques peuvent prouver tout et son contraire, sénateur. Nous nous appuyons plutôt sur nos discussions avec les organismes d'application de la loi et les différents groupes qui ont fait connaître leur position au gouvernement canadien, avec les procureurs généraux provinciaux ainsi qu'avec nos électeurs qui nous font part de leurs points de vue pendant la campagne électorale.
Je le répète, la situation empire, notamment en ce qui concerne l'importation. Je crois les organismes d'application de la loi lorsqu'ils me disent que ceux qui importent la drogue et sont impliqués dans le crime organisé sont des personnes très dangereuses. Notre travail consiste naturellement à établir des peines dans le Code criminel. Selon la personne qui parle, la peine maximale est soit trop lourde, soit trop légère. C'est une décision personnelle que nous prenons à titre d'élus. Nous intégrons ces peines à un projet de loi que nous présentons au Parlement. D'après nous, une peine minimale d'un an est raisonnable si l'accusé est un criminel organisé qui importe des stupéfiants pour en faire le trafic. Certains préconisent de ne rien imposer et de simplement donner de l'encouragement, ce à quoi je m'oppose. Il s'agit d'une activité fort répréhensible. Notre message droit à être clair et net.
[Français]
Le sénateur Carignan : Il a été question de centres de désintoxication. Il semble qu'ils soient soutenus par le gouvernement fédéral. Cette présence des centres de désintoxication ne semble pas équilibrée, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas les mêmes services dans l'ensemble des régions du Canada. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?
Est-ce que vous avez l'intention d'étendre ce processus de façon à offrir un certain équilibre dans les services de centres de désintoxication au Canada?
[Traduction]
M. Nicholson : Vous avez tout à fait raison. Les tribunaux de traitement de la toxicomanie, si vous me passez l'expression, qui aident les personnes à se sortir de leur milieu, se trouvent dans les grandes villes du Canada. Les localités moins importantes en sont dépourvues. Ces tribunaux sont établis là où les problèmes sont les plus graves. Leur création coûte très cher au gouvernement du Canada. Il serait peut-être souhaitable qu'un tel tribunal soit établi dans chaque collectivité, mais le coût est rédhibitoire pour le gouvernement. On les retrouve dans les grandes villes.
Le sénateur Milne : Je continuerai dans la foulée des questions de mon collègue. L'accès à ces tribunaux semble poser un réel problème à l'heure actuelle. Nous avons appris aujourd'hui que le Québec et les provinces maritimes n'en n'ont aucun. Je suis presque certaine que la situation est la même dans le Nord de l'Ontario, au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest. On nous a dit qu'il y aurait une certaine forme de tribunal de traitement de la toxicomanie au Yukon.
Le réel problème, c'est l'accès à ces tribunaux, qui est restreint essentiellement aux personnes qui n'ont pas encore été condamnées. Le gouvernement fédéral a-t-il l'intention de prendre des mesures à cet égard?
M. Nicholson : Je ne procéderai à aucune annonce aujourd'hui. Je l'ai déjà signalé plusieurs fois, j'adhère au principe de ces tribunaux. Ils coûtent cher au gouvernement du Canada, mais s'il s'agit d'un investissement utile. Je comprends que vous souhaitiez que davantage de régions en soient dotées, notamment le Nord de l'Ontario.
Cependant, je comparais devant vous aujourd'hui pour examiner le projet de loi C-15. C'est cette question bien précise que nous abordons.
Le sénateur Milne : Créer ces tribunaux coûte probablement moins cher que construire de nouveaux pénitenciers.
Au cours du dernier mois, vous m'avez fait parvenir chez moi trois documents de ce genre.
M. Nicholson : Je veux garder le contact avec vous, madame le sénateur. Je sais que la question vous intéresse.
Le sénateur Milne : Vous vous rendrez peut-être compte que tout cela est contre-productif.
Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, votre ministère a-t-il effectué une étude préalablement au dépôt du projet de loi afin de déterminer les répercussions des peines plus sévères sur la population des établissements pénitentiaires provinciaux et fédéraux?
M. Nicholson : Mon collègue, le ministre de la Sécurité publique, m'a confirmé que les établissements peuvent faire face à une augmentation de la population carcérale. D'après les entretiens que j'ai eus avec eux sur ce dossier, les procureurs généraux provinciaux sont conscients de l'orientation que nous visons.
Le sénateur Joyal : Avez-vous des chiffres précis?
M. Nicholson : Non. Cette question devrait peut-être être posée au ministre de la Sécurité publique qui, je le répète, m'a garantit que les établissements pénitentiaires pourraient faire face à une hausse de la population carcérale.
Le sénateur Joyal : Le commissaire du Service correctionnel du Canada a comparu devant le comité lors de l'examen du projet de loi précédent. Nous lui avons demandé de quantifier les répercussions de l'adoption du projet de loi par le Parlement. Il nous a répondu qu'il avait les données à cet égard, mais qu'il s'agissait de renseignements confidentiels du Cabinet et qu'il ne pouvait donc pas nous les divulguer. Nous avons appris au moins qu'il existait des chiffres précis sur le projet de loi C-25.
Les chiffres relatifs au présent projet de loi sont-ils également des renseignements confidentiels du Cabinet?
M. Nicholson : Je ne définirai pas ce qu'est un document confidentiel du Cabinet. Je transmettrai votre question à mon collègue qui, je le répète, m'a donné des garanties à cet égard.
La présidente : Je voudrais apporter une précision sur l'examen du projet de loi C-25. Nous avons invité votre collègue à comparaître devant nous. Après bien des pourparlers, on nous a informés que le ministre ne pouvait pas se libérer dans un avenir prévisible. Nous vous demandons de l'inciter à comparaître devant nous, car il est le seul qui puisse nous donner les renseignements dont nous avons besoin pour mener à bien notre étude.
M. Nicholson : Je serai heureux de le faire, madame la présidente.
Le sénateur Joyal : Avez-vous obtenu des chiffres sur les répercussions de la mise en œuvre du projet de loi sur les pénitenciers fédéraux ou provinciaux?
M. Nicholson : Je vous le répète, le ministre responsable de ce dossier m'a garanti que les établissements pourraient faire face un accroissement de la population carcérale. C'est à cela que se limite ma responsabilité.
Le sénateur Joyal : Je vous remercie de votre réponse.
Avant que vous n'arriviez dans la salle, le témoin précédent, M. Downes de la Lawyers' Association, a signalé que les peines minimales n'avaient aucun effet dissuasif. Vous répétez sans cesse : « Notre message est pertinent. » C'est, semble-t-il, votre ligne de conduite.
Comment pouvez-vous justifier que votre message est pertinent alors que les peines plus lourdes n'auraient, selon certains, aucun effet dissuasif? Y a-t-il une explication rationnelle?
M. Nicholson : Il y en a une, sénateur. Lorsque nous devons composer avec les membres du crime organisé qui cherchent entre autres à détruire notre société, nous leur donnons l'occasion de s'aider eux-mêmes et de délaisser les activités criminelles dans lesquelles ils sont impliqués. Nous leur offrons de l'aide pour qu'ils se sortent du milieu des gangs et du crime organisé, pour qu'ils purgent leur peine dans un pénitencier qui les éloignera de ce genre d'activité, de la toxicomanie et des autres problèmes auxquels ils font face.
Il y a toujours moins de victimes lorsque ces individus ne détruisent pas la vie d'autrui — c'est le point que nous voulons faire valoir. Il est difficile d'établir le nombre de vies qui auraient été détruites si ces individus n'avaient pas été incarcérés et avaient pu continuer à se livrer au trafic et à l'importation de stupéfiants. Lorsque nous mettons fin à ce cycle, nous sortons ces individus de ce milieu et nous savons intuitivement qu'ils ne détruisent plus d'autres vies.
J'espère sincèrement qu'ils peuvent obtenir l'aide dont ils ont besoin pour mettre fin à ce cycle. C'est ce que nous espérons et ce que nous souhaitons.
Le sénateur Joyal : D'après les témoignages des représentants du Service correctionnel du Canada, les détenus n'ont pas accès aux programmes qui devraient leur être offerts, notamment en matière de counseling et de réhabilitation. Grâce à ces programmes, les détenus posséderaient les outils nécessaires à leur libération. Lorsque vous les incarcérez sans leur procurer l'aide nécessaire, les gens sont plus dangereux lorsqu'ils sortent du pénitencier que lorsqu'ils y ont été envoyés.
M. Nicholson : Nous voulons qu'ils obtiennent de l'aide; c'est incontestable. Quand ils sont détenus dans notre système pénitentiaire, nous voulons qu'ils tirent parti des programmes qui leur sont offerts, qu'ils reçoivent le counseling et l'aide dont ils ont besoin. Nous voulons qu'ils brisent ce cycle de délinquance afin qu'ils aient la chance de pouvoir devenir des membres productifs de la société.
Le sénateur Joyal : Je vous conseille de lire le témoignage que nous avons entendu d'inspecteurs du Service correctionnel qui n'arrêtent pas de nous dire que les programmes ne sont pas accessibles. Les listes d'attente sont tellement longues.
M. Nicholson : Excusez-moi, il y a des programmes, mais il y a des listes d'attente, ou est-ce qu'il n'y a pas de programme? Que voulez-vous savoir?
Le sénateur Joyal : L'accessibilité des programmes.
M. Nicholson : Je transmettrai avec plaisir vos observations au ministre de la Sécurité publique.
Nous voulons briser ce cycle d'activité et les extraire des rues. Ils ne reçoivent pas d'aide s'ils continuent, encadrés par un gang, ou s'ils font partie du crime organisé. Ils ont de meilleures chances, en prison, de pouvoir réfléchir à leurs actes et, à mon avis, d'obtenir l'aide dont ils ont besoin.
Le sénateur Joyal : De plus, nous avons entendu il y a deux semaines un expert nous dire que le seul fait que quelqu'un passe plus de temps en prison ne le met pas dans un contexte plus favorable à son intégration à la société civile de façon normale. C'est la conclusion d'une étude qu'a faite M. Gendreau. Nous espérons recevoir de votre ministère des renseignements qui contredisent ou confirment ces conclusions.
M. Nicholson : J'espère qu'il vous a parlé de la réduction de la victimisation d'innocents Canadiens. Il est important d'éliminer ces gens des rues en leur imposant de plus longues peines, qui font qu'ils ne vendent pas de drogue et qu'ils ne détruisent pas la vie des gens. Il faudra que je lise ce témoignage.
J'espère bien qu'il a abordé cet aspect. J'entends cela tout le temps. Ce n'est qu'un pauvre type, qui est là, à vendre des drogues près de l'école. Vous savez quoi? Il y a bien des citoyens qui ne veulent pas de ce genre d'activité. Ils veulent envoyer un message clair à ces gens-là, et ils souhaitent une réduction de la victimisation.
C'est pour la même raison qu'on veut mettre au rebut la clause de la dernière chance. Il y a des gens qui me demandent si je pense que le fait de risquer de ne plus être admissible à la libération conditionnelle après 15 ans dissuadera qui que ce soit de commettre un meurtre au premier degré. Je réponds que je ne sais pas ce qui passe par la tête des auteurs de meurtres prémédités, mais je sais en tout cas qu'il y aura moins de victimisation des familles qui sont détruites par ces meurtriers, les proches des victimes. Ils seront moins victimisés s'ils n'ont pas à retourner au bout de 15, 17, 19 et 21 ans pour continuer de témoigner et revivre leur horrible expérience.
Il ne faut pas oublier les victimes. Nous nous préoccupons de la personne qui participe au crime organisé qui est libre de détruire des vies et de faire entrer des drogues au pays. Nous nous préoccupons beaucoup de cette personne, et nous voulons briser ce cycle. Cependant, nous nous préoccupons aussi des citoyens respectueux de la loi et des victimes.
Il faut réduire cette victimisation. Je suis absolument sûr que si on inflige des peines plus longues à ces gens-là, ils feront moins de victimes au Canada, ce qui est positif.
Le sénateur Angus : Monsieur le ministre, certains opposants à ce projet de loi ont laissé entendre qu'il pourrait avoir une incidence très négative sur notre population autochtone. De fait, les mêmes critiques ont été exprimées hier au sujet du projet de loi C-25. On a même laissé entendre que le projet de loi est tellement discriminatoire à l'égard de ce segment de notre population qu'il est inconstitutionnel.
J'ai écouté très attentivement vos excellents commentaires. Nous n'avons pas traité de la question des peuples autochtones. J'aimerais savoir ce que vous pensez du projet de loi C-15, en particulier.
M. Nicholson : Bien entendu, nous avons une responsabilité constitutionnelle spéciale à l'égard des Canadiens autochtones. J'appuie notre Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones. Je vous ferai parvenir avec plaisir, à vous ou au comité, des détails de cette stratégie. Elle est spécialement conçue pour aider les membres de la communauté autochtone et pour briser tout cycle de délinquance dans lequel certains sont engagés, et pour leur offrir l'aide dont ils ont besoin.
C'est un aspect important de toute initiative du gouvernement fédéral, en raison de cette responsabilité constitutionnelle particulière. Cependant, ces projets de loi, comme c'est le cas du Code criminel, s'appliquent de façon générale à tous les Canadiens, quels que soient leurs origines. J'estime qu'elle constitue une tentative raisonnable pour composer avec le problème très complexe qui se pose à nous.
Vous avez tout à fait raison de soulever cette question particulière. Je puis vous assurer que, tout autant que j'appuie nos tribunaux consacrés en matière de drogues, j'appuie la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones.
Le sénateur Angus : Avant que vous reveniez devant le comité, nous avons entendu d'autres témoins, vos collaborateurs vous l'auront dit. Un témoin en a parlé avec beaucoup d'insistance, en rapport avec le projet de loi C- 15, en critiquant le fait qu'on ne tienne pas compte des différences régionales dans le pays, ce qui ne fait qu'amplifier ce que ce témoin a caractérisé de discrimination systémique contre les peuples autochtones. Je veux vous donner la possibilité de répondre à cela.
M. Nicholson : Tout cela remonte à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Le gouvernement fédéral assume la responsabilité du système de justice pénal. On m'a fait remarquer qu'il y a 50 régimes différents aux États-Unis. Chaque État peut avoir sa propre version du Code criminel. C'est bon; c'est la Constitution américaine. La nôtre est différente.
Nous avons eu une évolution différente, notre histoire est différente. Chez nous, c'est le gouvernement fédéral qui promulgue les lois qui concernent le système de justice pénale. Ce qui est intéressant, et qu'il serait intéressant d'examiner en soi, c'est que l'administration de la justice, dans la plus grande partie, a été déléguée aux provinces. Nous avons cette différence. C'est ce avec quoi nous devons composer.
Je suis absolument sûr que ce projet de loi satisfait aux critères constitutionnels et qu'il respecte la Charte et la Déclaration canadienne des droits. Vous pouvez en être assurés. Nous ne présenterions rien qui y soit contraire.
Le sénateur Angus : Je peux comprendre, pour ce qui est de la question constitutionnelle. J'apprécie votre réponse. Je voulais, je le répète, m'assurer que vous compreniez que ce projet de loi a, selon certains témoins que nous avons déjà entendus, plus d'effets négatifs sur les peuples autochtones que sur le reste de la population canadienne. Il a notamment été question du Yukon. Je parle des dispositions spécifiques du projet de loi.
M. Nicholson : Je pense, je le répète, qu'il est d'application générale. Dans la mesure où il diffuse un message pertinent, ce message pertinent s'adresse à tous les Canadiens. L'effort que nous faisons — comme je le disais au sénateur Joyal — pour réduire la victimisation au pays favoriserait tous les Canadiens, y compris les Canadiens autochtones. Quand il y a moins de victimes, nous sommes tous gagnants.
Le président : Je laisse la parole au sénateur Watt, puis je vous laisserai partir avec une question, à laquelle j'aimerais que vous répondiez par écrit, monsieur le ministre.
Le sénateur Watt : À ce que je comprends, nous avons six tribunaux en matière de drogues financés par le gouvernement fédéral, au Canada. Ils sont à Toronto, Vancouver, Edmonton, Regina, Winnipeg et Ottawa.
Tout d'abord, quelles possibilités ou alternatives y a-t-il au Québec, dans les Maritimes et en Arctique? Deuxièmement, est-ce que le gouvernement prévoit de créer des établissements additionnels dans ces régions?
M. Nicholson : Je répondrai d'abord à votre deuxième question. Je n'ai aucun projet immédiat de création d'autres tribunaux en matière de drogues. En ce qui concerne ce qui se fait, quand j'ai parlé à des fonctionnaires du Québec, j'ai été impressionné par tout ce que fait la province pour aider les personnes qui, par malchance, sont devenues toxicomanes. J'ai reçu de bonnes réponses de mes collègues de l'Atlantique, aussi, à ce sujet.
Ce n'est pas seulement qu'au niveau fédéral que ces mesures sont prises, bien que j'aie mentionné la Stratégie nationale antidrogue. Elle a bien sûr une vaste incidence dans tout le pays, parce qu'elle diffuse le message à la population, elle éduque, elle crée du matériel et aide des groupes. La Stratégie nationale pour la prévention du crime s'applique d'un bout à l'autre du pays. Nous finançons des groupes qui travaillent avec les toxicomanes potentiels. Ces mesures sont d'application générale.
Ces tribunaux ont été créés par un gouvernement qui a précédé le mien. Je me suis penché sur leur concept, en ma qualité de ministre de la Justice, et je les appuie. J'écouterais avec attention les arguments de votre comité ou quiconque d'autre qui voudrait plaider en faveur de la création de pareils tribunaux en d'autres lieux aussi.
Le sénateur Watt : Si je comprends bien ce que représente vraiment ce projet de loi, vous dites « laissons cela pour l'instant, parce qu'il n'y a pas de service de counseling disponible, d'accès ou de centres de traitement ». C'est bien ce que vous dites?
Est-ce que vous dites « laissons cela de côté pour le moment jusqu'à ce que nous ayons créé nos propres installations »?
M. Nicholson : Je ne pense pas. C'est tout à fait le contraire. J'ai dit que c'est un élément de la solution d'un problème difficile. Nous avons parlé de tribunaux de traitement de la toxicomanie. J'y suis favorable. J'ai été très heureux de contribuer à la Stratégie nationale antidrogue, qui en est une composante. Je tiens beaucoup à collaborer avec mes collègues des provinces et territoires dans ce dossier, pour aider ces gens-là. Je suis un fervent supporteur de la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones. C'en est un autre élément.
Sénateur, ce que je vous dis, c'est que les gens qui font entrer des drogues dans le pays cherchent à détruire le pays, et ils le détruiront à moins que nous fassions preuve de vigilance et que nous prenions des mesures pour les en empêcher. Ceci diffuse le message approprié : si vous faites entrer des drogues au Canada, vous irez en prison. C'est le message que nous devons faire comprendre.
Il vaudrait mieux pour tout le monde que ces gens aillent ailleurs ou qu'ils comprennent d'eux-mêmes qu'ils ne devraient pas s'engager sur cette voie. Nous ne voulons pas d'eux au Canada. Ce projet de loi établit l'équilibre parfait, à mon avis, en leur faisant passer ce message et en encourageant les gens à obtenir l'aide dont ils ont besoin. Cependant, ce n'en est qu'un élément.
Le sénateur Watt : Je pense que nous ne pouvons que convenir du fait que nous n'avons pas la même vision des choses.
Le président : Monsieur le ministre, je vous demanderais, si vous le permettez, de nous fournir par écrit votre réponse juridique, et celle du ministère — je ne parle pas des positions stratégiques du gouvernement, mais de la réponse juridique — à l'argument voulant que parce qu'il n'y a, comme on l'a déjà dit, que six tribunaux en matière de drogues, ils ne sont pas accessibles sur la plus grande partie du territoire canadien ou à la vaste majorité de la population et, par conséquent, l'application de cette loi est inégale, et cela la rend susceptible d'être contestée pour des motifs constitutionnels.
Vous n'avez pas à répondre tout de suite, parce que je comprends votre position stratégique, je pense, mais il nous serait utile de recevoir votre réponse juridique à ce sujet.
Nous vous remercions de faire ses allées et venues entre les deux pôles de la Colline parlementaire. Votre témoignage nous a été extrêmement utile. Nous l'apprécions.
Messieurs Downes et Krongold, merci beaucoup. Ce n'est pas notre manière habituelle de procéder, d'interrompre ainsi les délibérations. Nous apprécions votre patience et votre compréhension. Nous reprenons.
Le sénateur Nolin : Ils peuvent encore nous répondre par écrit.
Le président : Il se peut que je vous demande de répondre par écrit à la dernière série de questions.
Le sénateur Wallace : Une chose me frappe, dans tout cela. Quand le ministre était ici, il y a quelques instants, j'ai soulevé la possibilité d'essayer, en tant que législateurs, de trouver le juste équilibre entre les intérêts du grand public, dont les membres se trouvent rarement au banc des accusés ou des inculpés, et ceux des personnes qui sont accusées et condamnées. Bien entendu, votre organisation représente — et Dieu merci, représente très efficacement — les droits des accusés et des condamnés. Comme je le disais au ministre — ce n'est pas le résultat d'une étude scientifique, bien entendu — je soupçonne qu'environ 1 p. 100 des citoyens se trouve un jour accusés ou condamnés relativement à un délit. Peut-être 99 p. 100 des Canadiens sont respectueux de la loi et ne se retrouvent jamais dans cette situation.
Cela étant dit, je comprends pleinement la nécessité de correctement représenter ceux qui se trouvent aux prises avec la loi, absolument, c'est incontestable, et de veiller sur eux.
Monsieur Krongold, j'avoue avoir trouvé troublant un commentaire que vous avez fait dans ce contexte, quand je pense à cette nécessité de trouver un équilibre, et je vais vous demander d'étoffer ce commentaire. Vous avez parlé de la vulnérabilité unique de nos jeunes, mais vous avez dit cela uniquement dans le contexte des jeunes qui participeraient à la production ou au trafic de drogues, ceux qui finiront par faire l'objet d'accusations ou d'une condamnation.
Le sénateur Angus : En vertu de cette loi.
Le sénateur Wallace : C'est exact. Je m'étonne qu'il ne semble pas y avoir cette espèce d'équilibre. Nonobstant les tâches qui nous incombent, n'avons-nous pas la responsabilité ultime de protéger la société? Je m'étonne que vos commentaires semblent tellement axés sur un seul aspect de l'équation. Je vous demanderais d'étoffer vos propos. Je les ai trouvés plutôt choquants.
M. Krongold : Je suis heureux de pouvoir m'expliquer. La vulnérabilité des jeunes en tant que victimes est un facteur qui est pris en compte très sérieusement par les juges de première instance. Ces juges sont loin de méconnaître les effets des drogues dans la communauté. Ils les constatent tous les jours, et ils les constatent particulièrement dans les communautés locales où ils exercent. Je ne voudrais pas donner l'impression que je suggère que ce pourrait ne pas être un très important facteur aggravant pour un juge de première instance dans l'exercice de sa discrétion. Souvent, c'est le genre de circonstance aggravante qui donnerait lieu à une peine d'emprisonnement susceptible de dépasser de loin le minimum obligatoire que propose ce projet de loi.
La question touche vraiment la situation où les jeunes vulnérables sont concernés en tant que délinquants, et si ce devrait être aussi pris en compte. Selon moi, et aussi selon la Criminal Lawyers' Association, les juges sont dans la situation idéale pour tenir compte de la vulnérabilité des jeunes, tant en ce qui concerne l'atténuation de la peine que son augmentation.
Le sénateur Wallace : Ce que vous dites nous ramène à la question des peines minimales et si elles ont un rôle pertinent dans la détermination de la peine. À ce que je comprends des principes de la détermination de la peine, l'avantage de la détermination de la peine, c'est que les peines tiendraient lieu de dénonciation d'une conduite illicite, de facteur de prévention de toute conduite similaire à l'avenir, et assureraient la protection générale de la société.
Ne seriez-vous pas d'accord pour dire, du moins en ce qui concerne la dénonciation de la conduite illicite, que les peines minimales représentent au moins cela — une affirmation par les législateurs que le trafic et la production de drogues ne sont pas acceptables? Si on y participe, on sera passible d'une pénalité minimale. Est-ce que ceci agira comme facteur de dissuasion et préviendra quiconque de faire du trafic de drogues ou d'en produire à l'avenir? Peut- être que non. Dans certains cas, l'effet de dissuasion pourrait ne pas être aussi vif. Ne seriez-vous pas d'accord pour dire qu'en tant que véhicule de la déclaration de la société relativement à sa position face au trafic et à la production de drogues, ceci constitue clairement une dénonciation et, à cette fin, est tout à fait conforme aux principes de la détermination de la peine?
M. Krongold : À titre de précision, voulez-vous dire dans le contexte des infractions en matière de drogue concernant les jeunes?
Le sénateur Wallace : Non, je veux dire dans le contexte du projet de loi C-15 dans son ensemble.
M. Krongold : Je suppose que la question n'est pas à savoir si c'est un énoncé louable, et sans aucun doute, ce l'est, mais si en pratique, il servira à mieux assurer la sécurité de nos communautés, et s'il a le potentiel, bien souvent, d'être appliqué de manière injuste et inéquitable. Bien des situations qui sont prévues dans ce projet de loi sont assorties d'une peine minimale qui souvent, n'aura aucun effet. Par exemple, l'honorable ministre de la Justice parle beaucoup de l'importation de cocaïne ou d'héroïne. Un importateur de cocaïne ou d'héroïne aux fins de trafic se compterait bien chanceux de n'écoper que d'une peine d'un an, ou même de deux ou trois ans de pénitencier.
Le sénateur Angus : Il vous faudrait un bon avocat.
M. Krongold : Un très bon, à tout le moins, pour s'en tirer avec si peu. Je suis convaincu que la collectivité est bien informée ou qu'une collectivité informée, au vu de l'application actuelle des dispositions sur la détermination de la peine, sait bien que les tribunaux traitent déjà très sévèrement les crimes liés à la drogue, plus particulièrement s'ils sont commis aux dépens de collectivités vulnérables.
Le sénateur Milne : Vous avez entendu le ministre quand il a dit que la société serait plus en sécurité si ces criminels étaient mis à l'ombre. Le sera-t-elle, vu que vous avez affirmé que les sentences minimales ne fonctionnaient pas?
M. Downes : Ceci nous ramène à l'argument de M. Krongold. Personne ne conteste qu'un récidiviste qui importe de grosses quantités de crack, qui exploite les gens vulnérables dans la rue, qui les rend accros, mérite d'être puni.
Le sénateur Milne : De toute manière il n'obtiendrait pas une peine minimale. Il pourrait être condamné à perpétuité.
M. Downes : Pour ce criminel, cette loi ne veut absolument rien dire. Il serait condamné à une peine à deux chiffres. En tant qu'avocats de la défense, vous savez que les infractions en matière de drogue et les vols à mains armées sont les deux catégories de crimes qui sont très sévèrement punis.
Manifestement, la question du retrait de la société, cet aspect de la peine, elle se pose parce que cette personne n'est plus là. On est loin de l'objectif du projet de loi. Nous parlons de deux choses différentes.
Le sénateur Milne : Je suis obligée d'être d'accord avec vous.
Tout à l'heure, le ministre nous a assuré que le projet de loi était constitutionnel. Il n'a pas dit un mot de la responsabilité fiduciaire du Canada et du gouvernement du Canada à l'égard de nos Autochtones. D'après vous, qu'arrivera-t-il au projet de loi? Sera-t-il invalidé pour cette raison? Vous avez dit que, dans certaines provinces, 90 p. 100 de la population carcérale est constituée d'Autochtones.
M. Downes : Tous ces types de problèmes constitutionnels, particulièrement ceux qui ont rapport avec les peines minimales, ont été difficiles. Si les renseignements fournis par nos membres du Yukon sont exacts, il pourrait arriver, il me semble, que quelqu'un risque la prison, uniquement à cause de sa situation et de l'endroit où il se trouve. Cette éventualité semble constituer un motif impérieux pour redouter un éventuel problème en regard de la Charte. Il est difficile de prévoir les jugements des tribunaux à l'égard de la Charte, mais c'est quelque chose d'évident.
[Français]
Le sénateur Rivest : Je voudrais brièvement revenir sur le principe de l'érosion toute relative ou sur votre crainte des limitations apportées à la discrétion des juges par ce projet de loi. Est-ce que vous avez d'autres exemples récents qui inquiètent votre association selon lesquels le gouvernement, par différents gestes ou différentes législations, s'attaque au principe de la discrétion des juges qui est quand même très important dans notre système judiciaire. Les juges ne décident pas sur des généralités mais sur des cas spécifiques avec un accusé particulier. Donc, il doit avoir une marge de manœuvre. Est-ce que vous avez d'autres exemples à signaler au comité, à part ce projet de loi avec les peines minimales obligatoires?
[Traduction]
M. Downes : Voilà qui est intéressant, parce que j'ai pris note de ce problème pendant que le ministre parlait. La question de la détermination de la peine vient à l'esprit. Nous avons examiné la question de l'érosion de la possibilité d'imposer des sentences conditionnelles. Les juges se sont fait dire qu'ils ne pouvaient pas en imposer pour certaines infractions. La liste de ces interdictions semble s'allonger. Nous avons également vu des procureurs généraux de certaines provinces donner comme directives aux avocats de la Couronne de ne pas acquiescer à des sentences conditionnelles dans certaines situations.
Les infractions à main armée sont un autre exemple évident et important de catégorie où les peines minimales ont joué un rôle. On a discuté des peines minimales pour la criminalité des cols blancs. Une autre catégorie, que le ministre a mentionnée, est celle de la clause de la dernière chance. On ne retire pas uniquement aux juges leur pouvoir discrétionnaire. On le retire également au peuple. Cette clause de la dernière chance fonctionne à la manière d'un tamis à plusieurs étages. En fin de compte, c'est un jury constitué de pairs de l'accusé, et non un juge, qui décide si on lui donnera une dernière chance. On érode ainsi le pouvoir du peuple de se prononcer. Le Québec est particulièrement intéressant à cet égard. C'était les exemples qui me sont venus à l'esprit.
Le sénateur Rivest : Je partage entièrement votre point de vue.
Le sénateur Watt : Dans votre présentation, monsieur Downes, vous avez pris le Yukon comme exemple. Était-ce un exemple possible parmi d'autres ou bien possédez-vous une connaissance particulière du Yukon?
Vous avez probablement entendu mes questions au ministre au sujet du manque d'installations et du manque de services de consultation, qu'il faut rendre accessibles. Vous savez probablement que je viens du Nord. Le bien-être des habitants de cette région me préoccupe beaucoup. On y trouve beaucoup de toxicomanes, et je crains que nous nous dirigions vers une situation où l'Arctique fourmillera bientôt d'orphelins, si cette loi entre en vigueur. Je veux m'assurer que je m'attaque à cet aspect du projet de loi.
Vous avez relevé le fait que des installations partielles existent au Yukon, mais avez-vous une connaissance de ces installations, par exemple dans le Nunavik ou le Nunavut? Je pense qu'ils entrent dans la même catégorie que celles du Yukon. À ma connaissance, il n'y existe aucun établissement, ou bien vous me corrigerez si je me trompe. À cause de cette situation, on peut se demander ce que le projet de loi nous apportera. Comment nous aidera-t-il? Comment nous sera-t-il bénéfique?
À l'instar du ministre, nous aimerions que les criminels se retrouvent en prison. Si on réussit, vous avez bien entendu ce que j'en pense, c'est-à-dire que nous aurons à nous occuper de beaucoup d'orphelins, parce que leurs parents seront incarcérés. Pourriez-vous nous faire connaître votre opinion là-dessus?
M. Downes : J'ai choisi le Yukon parce que, dans le court délai qui m'a été imparti pour préparer mon témoignage aujourd'hui, je disposais de renseignements précis que j'avais reçus d'un membre de notre association de là-bas. Je ne peux rien vous dire au sujet d'autres endroits précis.
Pour ce qui concerne vos observations, le ministre a beaucoup insisté sur sa volonté d'aider les gens et de les faire traiter. La difficulté que nous éprouvons, c'est l'inaccessibilité de ces services à tant d'endroits. Si ces services ne sons pas accessibles, nous avons un problème.
Le sénateur Watt : Vu les distances et les coûts de transport, d'après vous, quelque chose a-t-il été prévu dans le projet de loi pour corriger cette situation? C'est-à-dire que l'État serait obligé de payer les frais de transport des toxicomanes du Haut-Arctique vers le Sud pour qu'ils soient traités?
M. Downes : Je ne vois rien à ce sujet dans le projet de loi.
[Français]
Le sénateur Carignan : Vous avez traité du lien entre l'imposition de peine minimale obligatoire et la réduction de la criminalité. Vous semblez mettre un fardeau de preuve très élevé pour démontrer qu'il existe un lien. Nous sommes dans un milieu qui n'est pas de science exacte, il y a une multitude de facteurs qui peuvent influencer la criminalité déclarée ou non déclarée.
Vous ne trouvez pas que vous êtes un peu sévère dans vos commentaires quand vous dites qu'il n'y a pas de preuves entre l'imposition de peine minimale obligatoire et la réduction de la criminalité? Quand j'écoute le ministre, l'approche est assez pratique, c'est-à-dire si l'individu est sorti de la rue, au moins il ne posera plus de geste et de trafic. C'est assez efficace d'exiger une preuve statistique ou par étude d'un lien entre une peine minimale et la réduction de la criminalité. Vous ne trouvez pas que vous êtes trop sévère?
[Traduction]
M. Downes : Peut-être cela demanderait-il une norme rigoureuse de preuve. Sans vouloir vous contredire, je me contenterais de n'importe quelle sorte de preuve, parce qu'elle n'a jamais été administrée. Quand on adopte un projet de loi qui condamne des gens à l'incarcération, on serait fondé de croire que cette preuve existe. J'ai lu les procès- verbaux du comité de la Chambre des communes où la question a constamment été posée. Peu importe le pays, où est la preuve?
Actuellement, aux États-Unis, on commence à éviter les peines minimales obligatoires, par exemple en Californie, où les prisons débordent, sans que cela ait eu un effet notable sur la réduction de la criminalité. Je dirais que c'est au gouvernement de prouver que sa proposition de peines minimales aura un effet positif sur la sécurité publique, mais, cette preuve, il ne nous l'a pas donnée. Nous n'exigeons pas la perfection. Il est évident que de nombreux facteurs jouent, mais on devrait pouvoir disposer de certaines preuves.
[Français]
Le sénateur Carignan : Vous avez parlé d'exemples tout à l'heure, à savoir que vous n'avez jamais vu un de vos clients, ou très rarement, connaître la peine pour laquelle il était susceptible d'être puni. C'est peut-être un peu normal, étant donné que c'est différent d'un procureur de la Couronne à un autre et c'est aussi différent d'un juge à l'autre. Si la sentence minimale était fixée dans la loi, qu'elle était publique et publicisée, ne pensez-vous pas que cela pourrait avoir un effet dissuasif?
Je vais vous donner un exemple, rapidement; celui concernant la culture de la marijuana dans les résidences. D'expérience, ce sont des groupes criminalisés qui paient le loyer et l'hypothèque des individus qui ont consigne de silence s'ils se font prendre, qui plaident coupable et écopent de six mois d'emprisonnement.
S'il y a une peine minimale de trois ans et que c'est un fait connu, ne pensez-vous pas qu'ils vont y penser à deux fois avant de faire la culture de marijuana?
[Traduction]
M. Downes : Vous soulevez de nombreux points intéressants. D'après mon expérience et l'opinion de mes clients sur les peines, le facteur dissuasif n'est pas le nombre d'années dont le crime est passible, mais c'est plutôt l'idée d'être attrapé. En ce qui concerne l'importation ou la culture de marijuana, notamment, je préférerais que les gens sachent que la police disposera des ressources pour enquêter et poursuivre les criminels. D'après moi, cette information a un effet plus dissuasif que le fait de savoir de combien d'années tel crime est passible. De manière générale, bien sûr, ce chiffre n'infléchit pas le comportement criminel. Par exemple, on peut faire savoir que la collectivité a une opinion défavorable des installations de culture, sans nécessairement exiger une peine minimale pour ceux qui les utilisent.
Ce que vous dites au sujet des installations de culture est intéressant parce que, souvent, dans la situation que vous décrivez, leur surveillant, qui a désespérément besoin d'argent, est exploité par les gros bonnets de la drogue. C'est à ces gros bonnets qu'il faudrait s'en prendre et non à la personne exploitée, comme vous le dites, par les organisations criminelles.
[Français]
La présidente : Je suis désolée de devoir vous interrompre, mais la dernière question ira au sénateur Joyal. Ensuite, je vais demander aux sénateurs de penser à des questions qu'ils pourraient poser aux témoins en leur demandant de nous fournir des réponses écrites.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : En tant que criminaliste de la défense, avez-vous observé une augmentation notable de ce type de délit, ces dernières années?
M. Krongold : Il est difficile pour nous de formuler des observations à ce sujet, parce que nos renseignements sont anecdotiques. Bien sûr, d'après moi, l'augmentation n'a pas été sensible; j'imagine que les statistiques corroboreraient ce que j'avance. Quelqu'un de mieux bardé de statistiques pourrait vous répondre de façon plus détaillée. Nous ne pouvons que rapporter des anecdotes.
M. Downes : Je soupçonne que les installations de culture dans certaines régions du pays, en Colombie-Britannique par exemple, ont connu une augmentation. Je soupçonnerais également que le phénomène a beaucoup à voir avec l'intervention policière plutôt qu'avec les dispositions sur la longueur des peines. C'est mon impression.
Le sénateur Joyal : Je vous ai posé la question parce que je me demandais si nous sommes en train de légiférer une perception véhiculée par les médias ou si nous affrontons un problème qui a atteint un tel niveau de gravité que nous devons changer le contexte d'application de la loi.
M. Krongold : Il semble y avoir une perception, une mauvaise perception peut-être, de la clémence avec laquelle les infractions en matière de drogue sont actuellement traitées. En général, d'après mon expérience qui se situe en Ontario, le trafic de petites quantités de stupéfiants inscrits dans l'annexe I de la loi est passible, au premier accroc, d'une peine de prison d'environ six mois si ce n'est pas sensiblement davantage. La Criminal Lawyers' Association estime que, dans une certaine mesure, le projet de loi C-15 est une cure à laquelle ne correspond aucune maladie connue et qu'il répond à une perception défavorable. Peut-être serait-il mieux d'essayer de corriger cette perception plutôt que d'essayer de corriger un problème qui n'existe pas.
La présidente : Je demande aux sénateurs Angus, Chaput et Nolin de poser une deuxième série de questions, s'ils le peuvent, mais aux témoins de répondre par écrit. Quand nous procédons ainsi, la greffière envoie une lettre de relance énonçant la question qui vous a été posée, ce qui vous évite de prendre des notes sténographiées.
Le sénateur Angus : Je dois vous dire que ce n'est pas la façon la plus satisfaisante de procéder. Je n'ai pas envie de poser ma question, mais je le ferai néanmoins. Messieurs, vous avez entendu le ministre exposer, dans ses deux témoignages de ce matin, l'objet du projet de loi et ce qu'il cherchait à accomplir.
Seriez-vous d'accord pour dire que le projet de loi, si l'on excepte la disposition sur les peines minimales, est très ambitieux? Je comprends que vous répondrez par écrit.
La présidente : Personne n'aime cette façon de faire, mais c'est mieux que de ne pas pouvoir poser de questions.
Le sénateur Angus : Je comprends que vous êtes tous deux critiques à l'égard du projet de loi, pour ce qui concerne la disposition sur les peines minimales obligatoires — parce que, d'après vous, elle fera augmenter les frais d'administration de la justice — et pour ce qui concerne des dispositions discriminatoires, notamment contre certains éléments de la société, c'est-à-dire les Autochtones.
Avez-vous les mêmes sentiments à l'égard d'autres aspects du projet de loi? Êtes-vous d'accord avec le ministre sur des choses que le projet de loi permettra de réaliser? Vous avez entendu le sénateur Campbell, qui se dit d'accord avec de nombreuses dispositions du projet de loi parce qu'elles sont sévères contre la criminalité et qu'elles permettront de dissiper la perception actuelle, qui, je vous l'avoue, n'est pas dénuée de fondement. Les gens ont peur, et le projet de loi a le crime organisé dans sa mire. N'est-il pas vrai que la peur s'est installée dans la collectivité et que nous avons besoin d'un message pour l'apaiser, afin que les gens puissent avoir un environnement plus sûr.
La présidente : Sénateur, c'est toute une liste de questions.
[Français]
Le sénateur Chaput : À quoi peut répondre le projet de loi C-15 réellement d'après vous? Si l'objectif de ce projet de loi est de réduire la criminalité et de protéger le public, personne ne peut être contre ce genre d'objectif. Nous voulons tous réduire la criminalité et protéger le public. Le ministre a dit dans sa présentation et je cite :
[Traduction]
L'importation de drogue au Canada est passible de prison.
[Français]
Les trafiquants qui veulent importer de la drogue au Canada seront punis par ce projet de loi. Ce projet de loi punit ses trafiquants qui la font venir au Canada. Ce projet de loi punit ceux qui achètent cette drogue et la revendent? Il punit ceux qui font la culture de la drogue au Canada et qui la revendent et qui la consomment. Mais est-ce qu'il n'est pas discriminatoire dans le sens qu'il punit surtout la population la plus vulnérable que nous avons au Canada ici, c'est-à-dire les Autochtones et nos jeunes?
Le sénateur Nolin : Vous me permettrez de vous corriger, ce ne sera pas la dernière, j'en ai quelques unes.
La présidente : Les dernières.
[Traduction]
Le sénateur Nolin : Toutes mes questions concernent l'article 10 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. D'abord, pour ce qui concerne les conditions aggravantes qui sont énumérées dans le paragraphe 10(2), je crois comprendre que le projet de loi porte fondamentalement que, en cas de peine minimale obligatoire, cet article ne s'applique pas.
Sur le nouveau paragraphe 10(4) du projet de loi, en toute justice pour le ministre et le ministère, nous avons longuement parlé des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Nous devons toutefois être justes. Le projet de loi renvoie facultativement au paragraphe 720(2) du Code criminel, selon lequel l'existence de centres ou de programmes provinciaux de traitement est un facteur atténuant, ce qui est tout à fait nouveau. C'était un vieux projet de loi auquel nous avions acquiescé en 1995, mais qui n'est entré en vigueur que l'année dernière.
J'aimerais connaître vos observations. Je comprends la nécessité pour la loi de s'appliquer uniformément et le droit que possèdent tous les Canadiens de jouir de tous les avantages prévus par la loi. Sinon, il faut se demander comment offrir au moins des solutions de rechange aux habitants du Nord et à ceux qui ne vivent pas dans de magnifiques et gigantesques centres urbains.
Le paragraphe 720(2) du Code criminel est néanmoins en vigueur, même si aucun centre fédéral de traitement n'est accessible, si un programme provincial de traitement existe — et je suppose que le code assimile provincial et territorial. J'aimerais entendre votre point de vue sur ça.
[Français]
La présidente : Ce n'était pas la dernière. Elle viendra du sénateur Carignan.
Le sénateur Carignan : Oui, quand j'ai commencé à pratiquer comme avocat, j'ai été témoin d'une pratique que certains avocats ``magasinaient'' le procureur de la Couronne ou le juge de façon à être entendu selon le type de cause devant un juge qui est plus favorable à ce type d'accusation ou à ce type d'accusé. Est-ce que cette pratique existe toujours? Est-ce qu'elle est documentée? Et si oui, avez-vous des documents?
[Traduction]
La présidente : Messieurs Downes et Krongold, je vous remercie beaucoup. Nous vous sommes très reconnaissants, je vous le répète, d'être venus et doublement reconnaissants de votre tolérance et de votre patience devant la manière inhabituelle de fonctionner que nous avons employée ce matin.
Nous avons hâte de connaître vos réponses écrites. Entre-temps, nous vous remercions de vos témoignages et de vos réponses parce qu'ils nous aideront beaucoup dans la poursuite de l'étude du projet de loi.
Le sénateur Nolin : Parlant de hâte de connaître et puisque nous sommes à l'étape des invitations, accepteriez-vous, si vous pouvez avoir accès à d'autres travaux de recherche de qualité qui, selon vous, nous aideraient à comprendre votre témoignage, de bien vouloir les offrir au comité?
La présidente : Bien sûr. Le sénateur Nolin est, entre beaucoup d'autres choses, vice-président du comité. Il exerce beaucoup d'influence.
Merci beaucoup. Chers collègues, la séance est levée.
(La séance est levée.)