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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 15 - Témoignages du 9 décembre 2010


OTTAWA, le jeudi 9 décembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-206, Loi visant à assurer la parité de genre dans le conseil d'administration de certaines personnes morales, institutions financières et sociétés d'État mères, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Avant de commencer, j'aimerais obtenir votre approbation, si vous le voulez bien; les exposés de ce matin ont été préparés par écrit et ils sont dans les deux langues officielles, à l'exception de celui de Catalyst Canada, qui est en anglais seulement. Ai-je la permission de le distribuer?

Une voix : Oui.

Le président : Je suis Michael Meighen. J'ai l'honneur de présider le comité. Je suis un sénateur de l'Ontario. À l'intention des témoins, je vais présenter les membres du comité qui sont présents ce matin.

La distinguée vice-présidente du comité est le sénateur Hervieux-Payette, du Québec. Sont également présents le sénateur Greene, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Mockler, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario; le sénateur Plett, du Manitoba; le sénateur Kochhar, de l'Ontario; le sénateur Ringuette, du Nouveau- Brunswick; le sénateur Harb, de l'Ontario; le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse; et le sénateur Massicotte, du Québec.

Bienvenue à tous. Nous avons un horaire très serré aujourd'hui. Nous avons deux heures, pour deux différents groupes de témoins.

[Français]

Nous allons examiner le projet de loi S-206. Ce projet de loi exige que certaines sociétés et institutions financières assurent la parité homme/femme dans leur conseil d'administration. Parmi les entités visées, mentionnons les sociétés cotées en bourse active au Canada, les banques, les sociétés d'assurance, les sociétés de fiducie et de prêt, les associations coopératives de crédit et les sociétés d'État mères fédérales mentionnées à l'annexe 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Le projet de loi S-206 a été déposé au cours de la deuxième session de la 40e législature. Il a été débattu à l'étape de la deuxième lecture et est resté en plan au Feuilleton lorsque la législature a été prorogée.

[Traduction]

Nous avons entamé notre examen de ce projet de loi le 16 juin 2010, après avoir entendu l'allocution de sa marraine, la vice-présidente du comité, à savoir le sénateur Hervieux-Payette.

Nous avons aujourd'hui le privilège de recevoir deux groupes de témoins différents. Au cours de la première heure, nous entendrons les exposés de Mme Deborah Gillis, vice-présidente de Catalyst Canada Inc., et de Mme Nancy Peckford, directrice exécutive de À voix égales.

Témoignera également, par vidéoconférence, Mme Liv Monica B. Stubholt, première dirigeante et membre du conseil d'administration d'Aker Clean Carbon.

Je souhaite la bienvenue à tous, et en particulier à notre éminente invitée de la Norvège. J'espère que vous pouvez nous entendre clairement. Sinon, il suffit de nous faire un signe de la main et de nous demander de parler plus distinctement.

Deborah Gillis, vice-présidente, Catalyst Canada Inc. : Je suis heureuse de faire démarrer cette importante discussion. C'est un honneur insigne pour moi que d'être ici aujourd'hui à titre de représentante de Catalyst Canada Inc., la plus importante organisation sans but lucratif œuvrant à l'échelle mondiale à la promotion de la cause des femmes dans le monde des affaires.

J'aimerais concentrer mes commentaires sur l'objectif principal du projet de loi S-206, visant à établir la parité de genre dans le conseil d'administration d'organisations canadiennes. En m'appuyant sur les études de Catalyst Canada Inc., reconnues à travers le monde comme l'étalon-or en matière de femmes dans les postes de direction d'entreprises, j'espère fournir un certain contexte pour vos délibérations.

Je voudrais d'abord faire une remarque très simple : ce qui est bon pour les femmes est bon pour les entreprises. Si je fais ce commentaire, c'est parce que la question de la parité de genre dans les conseils d'administration n'est pas seulement motivée par un souci d'équité. Elle est liée directement à la capacité du Canada d'être compétitif et de prospérer dans une économie mondiale. La capacité des entreprises canadiennes de tirer parti de talents variés, en commençant par les femmes, sera cruciale pour notre compétitivité à long terme.

Ainsi, l'étude faite en 2007 par Catalyst Canada intitulée The Bottom Line : Corporate Performance and Women's Representation on Boards, a révélé que les entreprises figurant au classement Fortune 500, où les femmes étaient les plus fortement représentées au conseil d'administration affichaient, en moyenne, un rendement sensiblement plus élevé que celles où la représentation des femmes était la plus faible. Le rendement des capitaux propres était supérieur de 53 p. 100 dans ces entreprises; le ratio de la marge d'exploitation était supérieur de 42 p. 100 et le rendement sur le capital investi était supérieur, par une marge impressionnante de 66 p. 100. Il faut savoir que l'augmentation du nombre de femmes dans les conseils d'administration déclenche un cercle vertueux. Les études de Catalyst Canada Inc. ont également révélé que l'augmentation du nombre de femmes membres d'un conseil d'administration est le présage d'une hausse du nombre de femmes dans les postes de cadre supérieur qui accroîtra, à son tour, le rendement financier.

Malgré cette analyse concluante, les femmes continuent d'être très sous-représentées dans les conseils d'administration canadiens. D'après le recensement des femmes membres de conseils d'administration du FP500 fait en 2009 par Catalyst Canada Inc., les femmes ne représentent que 14 p. 100 des membres des conseils d'administration des 500 plus grosses entreprises au Canada. Ce pourcentage ne donne toutefois qu'une vue partielle de la situation. Les sociétés ouvertes tirent de l'arrière sur les autres types de sociétés pour ce qui est tant du pourcentage des sièges du conseil occupés par des femmes que pour le taux annuel d'augmentation. Les sociétés d'État représentées au FP500 sont en tête avec 29,1 p. 100, devant les coopératives, avec 20 p. 100, et les sociétés fermées, avec 16 p. 100. Dans les sociétés ouvertes, 10,3 p. 100 des membres du conseil d'administration sont des femmes, mais il n'y a aucune femme membre du conseil dans près de 45 p. 100 des sociétés ouvertes au Canada.

l'intention des personnes qui pourraient croire que l'espoir est une stratégie et qui prétendent que le problème de l'écart entre les hommes et les femmes à des postes de direction au Canada s'arrangera avec le temps, que, depuis que Catalyst Canada Inc. a entamé un suivi sur la représentation des femmes aux conseils d'administration il y a près de 10 ans, cette représentation n'a augmenté que de 4,2 points de pourcentage, soit une augmentation annuelle d'un demi-point de pourcentage. C'est la seule conclusion à tirer de ces données. À moins qu'un changement fondamental survienne pour accélérer le changement, la parité de genre dans les conseils d'administration canadiens restera un château en Espagne pour les femmes et pour les hommes qui se sont engagés pour une bonne gouvernance d'entreprise, pour une amélioration du rendement financier et pour la parité de genre.

La principale question que doivent se poser les honorables sénateurs, les citoyens canadiens, les actionnaires et les chefs d'entreprise est la suivante : quels instruments seront les plus efficaces instigateurs de changement? Comme je l'ai déjà signalé, les études de Catalyst Canada Inc. indiquent qu'une sensibilisation accrue, que le leadership de nombreux chefs d'entreprises et organisations très en vue et que les démarches faites par les femmes pour avoir accès aux conseils d'administration, ont eu peu d'impact après une dizaine d'années. Cependant, comme nous l'apprendrons aujourd'hui, l'expérience de la Norvège indique que les contingents fixés par la voie législative ont définitivement fait avancer les choses dans ce pays-là. L'Espagne, l'Islande et la France sont des pays qui suivent l'exemple de la Norvège et qui envisagent d'appliquer des contingents semblables par le biais de la loi.

D'autres pays, notamment le Royaume-Uni et l'Australie, ont joint les États-Unis en choisissant la divulgation et la transparence obligatoires au sujet des politiques de diversité, pour les sociétés ouvertes. C'est en tout cas une option ou une étape intermédiaire que le Canada devrait envisager, en évitant les débats prolongés sur la question des contingents et en se concentrant plutôt sur les politiques, les pratiques et les résultats du processus de sélection des membres des conseils d'administration.

Pour Catalyst Canada Inc., deux choses sont claires : le Canada tire de l'arrière et ne montre pas l'exemple à d'autres pays en négligeant de passer à l'action en ce qui concerne un problème qui est au cœur de la question de l'égalité hommes-femmes. En définitive, si les moyens d'augmenter la représentation des femmes peuvent varier, l'essentiel, c'est que cela se fasse, et rapidement. Jusqu'à ce que les femmes aient atteint la parité au niveau des rôles de direction dans les entreprises du Canada, elles seront marginalisées dans tous les autres domaines. Les contingents constituent une stratégie éprouvée pour augmenter la diversité au sommet des organisations.

Je vous remercie pour votre attention et je me réjouis de répondre à vos questions.

Nancy Peckford, directrice exécutive, À voix égales : Je vous remercie pour cette occasion de comparaître.

[Français]

C'est vraiment un plaisir d'être ici parmi vous aujourd'hui. Je suis la directrice exécutive de l'organisme À voix égales, Equal Voice.

[Traduction]

Notre mandat et notre mission sont de promouvoir l'avancement des femmes dans la sphère politique. Vous pourriez vous demander pourquoi je suis ici aujourd'hui. Les considérations concernant le projet de loi S-206 sont très pertinentes pour À voix égales et ce, pour de nombreuses raisons que Mme Gillis a mentionnées.

Créée en 2001, À voix égales préconise une augmentation de la représentation des femmes à tous les paliers de gouvernement depuis près de dix ans. Nous avons commencé à Toronto et avons maintenant des sections régionales dans six provinces. Notre organisme prend de l'expansion. Actuellement, À voix égales compte des milliers de femmes et d'hommes parmi ses partisans et parmi ses membres. Alors que notre organisation se prépare à célébrer son dixième anniversaire en 2011, elle est entièrement engagée dans la promotion d'une culture politique au sein de tous les partis et est l'instigatrice d'un dialogue avec les Canadiens pour les inciter à attirer et à maintenir des femmes dans la sphère politique.

Personne ne sera surpris d'apprendre que nous venons actuellement au 51e rang dans le monde parmi les pays qui évaluent la participation des femmes dans la sphère politique et en font la promotion. Par conséquent, la position des femmes dans le secteur des entreprises et dans celui des affaires est très semblable.

J'ai distribué une carte postale qui représente un petit aide-mémoire concernant nos chiffres, préparé à l'intention du comité. Au verso, il est indiqué que le niveau de participation à l'échelle provinciale, municipale et fédérale oscille généralement sous la barre des 25 p. 100. En ce qui concerne les postes de direction, deux femmes seulement occupent actuellement le poste de premier ministre au Canada dont l'une, qui occupe le poste à titre intérimaire, n'a pas l'intention de se présenter dans la course à la direction de son parti. Il reste à voir si nous continuerons d'avoir une femme premier ministre à Terre-Neuve-et-Labrador.

En raison de ces réalités, il est important que À voix égales souligne qu'elle n'a pas atteint un niveau appelé masse critique. La masse critique est un nombre fixé par les institutions mondiales, notamment par l'Union interparlementaire et par les Nations Unies. C'est un seuil important adopté par les institutions internationales. Cela signifie essentiellement qu'à moins d'atteindre un niveau de masse critique, qui est d'environ un tiers, soit de 30 à 33 p. 100, en matière de représentation des femmes, il est extrêmement difficile pour les femmes de modifier la culture ou les résultats. C'est la raison pour laquelle nous sommes venus.

Nous avons examiné le projet de loi S-206 avec beaucoup d'intérêt. Nous le considérons comme un changement structurel important qui facilitera activement un changement considérable dans la participation des femmes au sein des conseils d'administration. Outre le fait qu'il aura pour conséquence de diversifier considérablement la représentation, nous pensons que le projet de loi contribuera à tirer parti des talents et des compétences de femmes hautement qualifiées et très chevronnées, qui échappent souvent à l'attention de nombreuses sociétés. Nous estimons que le projet de loi pourrait inspirer un meilleur rendement dans le monde politique.

Alors que À voix égales est heureuse d'avoir obtenu deux fois la promesse des partis politiques fédéraux canadiens d'œuvrer pour la nomination et l'élection d'un nombre plus élevé de femmes, le changement a été lent et sporadique à de nombreux égards. À l'instar de Catalyst Canada Inc., À voix égales défend cette cause et frappe aux portes depuis une dizaine d'années. Notre représentation à l'échelon fédéral n'a augmenté que de 1 p. 100, à savoir qu'il y a une dizaine d'années, le taux était légèrement inférieur à 21 p. 100 alors qu'il est maintenant légèrement supérieur à 22 p. 100.

Nous sommes certes satisfaits de certains succès récents, notamment de l'élection d'un tiers de femmes au niveau municipal à Toronto, du nombre record de femmes qui ont participé aux élections fédérales de 2008 — un peu plus de 28 p. 100 de l'ensemble des candidats fédéraux — et des résultats des élections de 2010 au Nouveau-Brunswick. Nous reconnaissons que nous comptons trop souvent sur la bonne volonté et l'engagement des dirigeants et des partis qui gèrent des demandes concurrentielles et une série de priorités qui changent constamment.

Un exemple sur lequel nous nous appuyons lorsque nous examinons le bien-fondé de ce projet de loi est celui des processus de mise en candidature. Les données que nous avons indiquent que là où l'on fait des efforts concertés pour détecter explicitement les femmes et les membres d'autres groupes sous-représentés qui sont des candidats potentiels, avant d'autoriser une association de circonscription à procéder à la mise en candidature, comme le font actuellement les néo-démocrates au niveau fédéral, les résultats sont meilleurs en ce qui concerne le nombre de candidates et aussi celui de femmes élues.

Ce fait témoigne de la puissance d'un processus de mise en candidature plus approfondi et plus transparent, qui donne la priorité à l'identification des femmes et des membres d'autres groupes qui sont hautement qualifiés. La nécessité d'une telle transparence est également un des avantages ou un des résultats du projet de loi qui est proposé et peut témoigner des défis que posent actuellement le recrutement et le maintien de femmes dans les conseils d'administration.

C'est en gardant cela à l'esprit que nous sommes ici pour donner notre avis sur le bien-fondé de ce projet de loi. Je me réjouis d'entendre les commentaires de notre collègue qui se trouve en Norvège. À voix égales a eu le plaisir de coorganiser un événement avec l'ambassade de Norvège, dans le cadre duquel nous avons eu l'avantage d'entendre les opinions de notre collègue sur l'impact de ce projet de loi. Je pense que ses commentaires enrichiront considérablement notre discussion.

Le président : Étant donné que je suis né et que j'ai été élevé au Québec, je ne peux pas m'empêcher de remarquer qu'il n'y a pas de section régionale de votre organisation au Québec. Les membres du Cabinet du Québec sont des femmes dans une proportion de 50 p. 100, et je pense que c'est également 50 p. 100 dans les sociétés d'État au Québec. J'espère que ce n'est pas dû à l'absence de section régionale au Québec. Si vous en aviez une, la proportion serait peut- être de 75 p. 100.

Mme Peckford : Afin de respecter le caractère distinct du Québec, nous avons décidé d'un commun accord de ne pas y établir de section régionale. Deux ou trois grandes organisations extrêmement fiables font du bon travail au Québec. Nous collaborons avec elles sur le plan stratégique, mais nous n'avons pas jugé nécessaire d'y établir une section régionale.

Liv Monica B. Stubholt, première dirigeante et membre du conseil d'administration, Aker Clean Carbon : Merci beaucoup de m'avoir invitée à faire quelques commentaires sur la question examinée par le comité.

J'ai eu l'occasion de participer à la conférence qui était organisée par l'ambassade de Norvège et par l'école de commerce à Toronto. J'ai apprécié l'occasion de donner quelques renseignements anecdotiques sur la situation en Norvège, en me basant sur mes antécédents, car j'avais été invitée à faire partie du conseil d'administration avant, ainsi qu'après, la mise en place de la loi norvégienne qui est en vigueur depuis 2008.

J'approuve les opinions exprimées par les témoins précédents en ce qui concerne l'espoir compréhensible que le problème du pourcentage trop peu élevé de femmes dans les conseils d'administration se règle de lui-même avec le temps. Cela prend à mon sens trop de temps pour que ce soit une façon d'agir défendable, sur le plan politique.

Nous en avons fait l'expérience en Norvège lorsque le gouvernement a averti l'industrie et les chefs d'entreprises qu'on leur imposerait des contingents par la voie législative s'ils ne changeaient pas d'attitude. Il leur avait alors fait savoir que s'ils changeaient d'attitude, il n'aurait pas besoin de mettre une loi en place. Malgré les nombreuses déclarations de bonne volonté, les changements étaient minimes et l'augmentation de la représentation des femmes dans les conseils d'administration des grosses entreprises était négligeable.

La loi a ensuite été mise en place, conformément à l'avertissement qui avait été lancé. Par conséquent, la situation actuelle en Norvège, c'est que le nombre d'entreprises visées par la loi qui ne s'y conforment toujours pas est minime, voire nul. La loi renferme des dispositions prévoyant des sanctions, à savoir la dissolution forcée des sociétés qui refusent de s'y conformer.

La principale observation que j'ai à faire est la suivante. La mise en place de la loi a amélioré d'une façon générale la qualité du processus de recrutement des membres des conseils d'administration. On peut même dire que la loi exigeant la participation des femmes a non seulement fait augmenter le nombre de femmes, mais qu'elle a également permis de recruter de nombreux hommes plus compétents.

Avant l'entrée en vigueur de la loi, le processus de recrutement des membres des conseils d'administration se limitait, dans la pratique, aux groupes de personnes et aux milieux déjà connus des membres du conseil en place ou des comités des candidatures. En fait, de nombreuses entreprises n'avaient pas un comité des candidatures approprié. Le processus de recrutement était informel et il n'était pas conforme à un processus professionnel de recrutement.

Le fait d'inclure dans la loi des exigences concernant le nombre de femmes devant faire partie d'un conseil d'administration a forcé la main aux responsables du processus de recrutement et les a incités à se professionnaliser, afin de recruter des candidats compétents et valables. Ils allaient chercher plus loin et puisaient dans un bassin plus large de candidats, pas seulement dans le milieu des affaires — p.-d.g. d'autres entreprises, par exemple —, mais aussi dans les ONG ou les institutions universitaires et culturelles, pour trouver des personnes douées pour le leadership.

Par conséquent, nous avons actuellement des conseils d'administration beaucoup plus diversifiés, non seulement parce qu'ils comptent un plus grand nombre de femmes, mais aussi parce qu'on recrute des hommes venant d'un groupe plus large d'entreprises et d'institutions où se trouvent des candidats potentiels, pour améliorer le talent et le leadership au sein d'une entreprise. En outre, on a constaté en Norvège qu'on recrute davantage de personnes, hommes et femmes, venant des pays voisins. C'est un solide avantage à l'ère des entreprises mondialisées. Les conseils d'administration norvégiens étaient très homogènes. Actuellement, en se mettant à la recherche de femmes compétentes, on recrute également d'autres types d'hommes que ceux qu'on trouvait généralement — par exemple, en se tournant vers nos voisins scandinaves ou vers d'autres pays européens. Nous avons donc des conseils d'administration plus diversifiés et à caractère plus international. C'est important pour tout pays qui a une économie ouverte et internationale, comme le Canada et la Norvège.

Je sais que la plupart des arguments dans le contexte de ce type de proposition sont axés sur l'équité; c'est entendu, dans mon esprit. C'est insensé de ne pas tirer parti des 50 p. 100 de personnes de talent que toute population peut fournir.

Ce fut une surprise très positive que nous ayons atteint la quasi-parité. Je parle de « quasi-parité », car j'ai remarqué que le présent projet de loi propose 50 p. 100 alors qu'en Norvège, la loi qui a été mise en place prévoit 40 p. 100. Il n'y a aucune justification logique pour cela; la seule proposition logique est de 50 p. 100. Notre quasi-parité de genre a toutefois permis aux conseils d'administration d'avoir un caractère plus professionnel.

Mon dernier commentaire concerne un argument que j'ai lu et entendu dans notre pays et dans d'autres où l'on examine la question, c'est-à-dire où l'on se demande si les femmes agissent de façon différente ou mieux que les hommes, en qualité de membres d'un conseil d'administration. Je pense que cette opinion est très peu justifiée, quoique sur une base empirique, on pourrait peut-être remarquer une plus grande ouverture — peut-être aussi un seuil plus bas en ce qui concerne l'habitude de poser des questions stupides qui aident très souvent à faire jaillir des réponses éclairantes. Je pense que les femmes ont peut-être moins peur de poser une question qui pourrait être interprétée comme la preuve d'un manque de connaissances, car nous savons que les réponses nous permettront d'obtenir ce que nous voulons, à savoir comprendre la question à l'étude.

Je considère que c'est un argument de soutien. Je ne trouve pas que c'est un motif décisif pour présenter un projet de loi. Ce n'est en fait pas nécessaire non plus. C'est un avantage supplémentaire, mais la principale raison qu'on a d'appuyer ce projet de loi, c'est qu'à une époque où il est nécessaire d'avoir des conseils d'administration extrêmement professionnels composés de personnes issues d'un large éventail de milieux, afin de pouvoir évaluer convenablement les risques, nous avons besoin de femmes. L'expérience nous a appris qu'elles ne seront jamais en nombre suffisant tant qu'on ne mettra pas une loi spéciale en place.

Le président : Merci pour cet excellent exposé. Vous avez peut-être fait un commentaire à ce sujet, mais pardonnez- moi si je ne l'ai pas entendu. Est-ce que votre loi s'applique à toutes les sociétés norvégiennes ouvertes constituées en personne morale ou uniquement aux sociétés d'État?

Mme Stubholt : Je n'avais pas abordé le sujet. Le président fait parfaitement attention. En Norvège, la loi ne concerne pas toutes les sociétés; elle ne concerne que les sociétés cotées en bourse et d'autres grandes sociétés organisées de façon à pouvoir être cotées en bourse, selon la dualité qui prévaut dans tous les pays de l'Union européenne et de l'Espace économique européen, c'est-à-dire qu'il s'agit des sociétés qui sont déjà cotées ou de celles qui pourraient être cotées en bourse; il y a ensuite les pays qui sont liés au Système monétaire européen. Par conséquent, la législation norvégienne ne concerne que les grosses entreprises, y compris les sociétés à capitaux privés.

Le président : Il pourrait s'agir de sociétés d'État ainsi que de sociétés fermées, pour autant que ce soit de grandes sociétés; est-ce bien cela?

Mme Stubholt : Tout à fait.

Le président : Je présume que la loi stipule que c'est 40 p. 100. Cela pourrait toutefois être 50 p. 100. Le 40 p. 100 n'est qu'un plancher. Est-ce bien cela?

Mme Stubholt : C'est exact.

Le président : Hier soir, j'ai discuté avec un de vos collègues, l'ambassadeur de Finlande, qui m'a signalé qu'il s'agissait d'une règle 60-40.

Mme Stubholt : Le 40 p. 100 n'est qu'un plancher.

Le sénateur Kochhar : Merci, mesdames. Vous avez fait un travail remarquable.

Madame Gillis, vous avez dit que ce qui était bon pour les femmes était bon pour les entreprises. C'était dans votre exposé liminaire. Je pense que vous faites légèrement erreur. Je dirais que ce qui est bon pour les femmes est bon pour les hommes.

Je ne pense pas qu'on puisse légiférer dans un domaine comme celui-là. On peut encourager et éduquer. Voici quelques chiffres. Dans les universités, 57,5 p. 100 des étudiants qui obtiennent leur diplôme sont des femmes et 42,5 p. 100 sont des hommes. Au Canada, parmi les femmes et les hommes âgés de 25 à 34 ans, 33 p. 100 des femmes avaient un diplôme universitaire alors que 25 p. 100 des hommes seulement en possédaient un. Les femmes sont en plus grand nombre que les hommes dans la fonction publique depuis 1999. En 1983, les femmes occupaient moins de 5 p. 100 des postes de direction et, maintenant, 43 p. 100 des cadres supérieurs sont des femmes.

Ça me dérange. Si l'on impose un contingent de 50-50 par la voie législative, à supposer qu'il y ait 12 membres du conseil d'administration, six hommes et six femmes et qu'un des hommes prenne sa retraite, lorsqu'on fait les interviews pour ce poste, me direz-vous, si la femme est plus compétente que l'homme, que je ne peux pas la nommer au conseil d'administration parce que ça créerait un déséquilibre sur le plan de la parité de genre? Ça me dérange. Trois des meilleurs premiers ministres de différents pays — Margaret Thatcher, Indira Gandhi et Benazir Bhutto — ont fait de l'excellent travail pour leur pays. Nous nous rendons compte que les femmes sont supérieures aux hommes à bien des égards. Cependant, on ne peut pas légiférer dans ce domaine. Il faut laisser faire la nature. On peut les encourager à s'instruire, à se lancer en affaires ou en politique, mais on ne peut pas fixer des contingents.

Dans les pays où il y a des contingents fixes, comme en Inde, l'octroi d'avantages à des personnes qui sont d'une caste inférieure a toujours échoué et le calibre moyen des membres des conseils d'administration a diminué, car on n'a pas choisi les personnes les plus aptes à occuper le poste.

Je voudrais que les témoins fassent des commentaires sur mes observations.

Mme Gillis : Merci d'avoir exposé de façon plus approfondie une partie de cette importante analyse expliquant pourquoi la promotion de la femme à des postes de direction est très importante. Vous avez mentionné brièvement certains des chiffres concernant la représentation des femmes dans la population active, des femmes qui sont diplômées universitaires. Les femmes représentent un volet crucial de l'économie et ont un rôle important à jouer. Cependant, d'après les chiffres, l'avancement des femmes dans les rôles de direction a été lent, que ce soit dans les affaires, comme je l'ai démontré, ou dans le domaine politique, comme l'a exposé Mme Peckford. Ce qui est essentiel pour notre organisation, c'est que nous accélérions le rythme du changement et que nous atteignions ce but, car c'est un impératif opérationnel pour le pays.

La façon d'atteindre ce but peut varier, et nous avons entendu des commentaires sur de nombreuses approches différentes adoptées par divers pays. J'espère voir le Canada aller de l'avant et adopter le même type d'approche proactive. Comme je l'ai déjà souligné, l'espoir n'est pas une stratégie. Le problème ne s'arrangera pas avec le temps. Nous avons pu le constater depuis des années. On peut discuter de la méthode à adopter pour atteindre ce but et elle varie, mais il faut l'atteindre, et rapidement, car le Canada est à la traîne.

À propos du commentaire que nous avons entendu au sujet de l'expérience norvégienne, à savoir que les sociétés norvégiennes ont fait de la prospection à travers le monde pour recruter des dirigeantes qualifiées, compte tenu du nombre de pays qui sont activement à la recherche de femmes, on peut s'attendre à ce que la plupart d'entre eux viennent faire des ponctions parmi les nombreuses femmes de talent qui vivent au Canada et qui cherchent une occasion de devenir membres d'un conseil d'administration. Ce qui me préoccupe, c'est que les organisations canadiennes laissent ainsi passer l'occasion de tirer parti de ces talents féminins.

Mme Stubholt : Je pense que les préoccupations du sénateur en ce qui concerne la culture sont fondées; je trouve toutefois que les avantages de cette mesure législative sont supérieurs aux inconvénients. Aucune mesure législative ne présente absolument aucun défaut. Somme toute, le jeu en vaut la chandelle.

Mme Peckford : Je ferais également remarquer qu'à l'échelle mondiale, notre expérience démontre que les contingents sont une stratégie extrêmement efficace et que, dans les pays où ils ont été instaurés, la participation des femmes est montée en flèche, favorisant une culture dans laquelle un plus grand nombre de femmes sont préparées à devenir des dirigeantes et sont en fait reconnues comme telles. Dans certains pays d'Afrique, par exemple, les femmes sont à la barre; il s'agit généralement de pays où des contingents sont en place. Je suis d'accord avec les commentaires faits par mes deux consœurs.

Le sénateur Plett : Madame Gillis, dans la foulée des commentaires du sénateur Kochhar, j'ai constaté que la grosse majorité des femmes les plus compétentes qui ont été sollicitées et qui ont été élues m'ont signalé qu'elles espéraient être choisies ou nommées à cause de leur talent, et pas à cause de leur sexe. C'est mon expérience personnelle; ce ne sont pas des observations scientifiques. C'est ce que m'ont expliqué les femmes qui font partie de conseils d'administration, dans une entreprise, dans la fonction publique et dans des organismes confessionnels.

En ma qualité d'actionnaire d'une société, je serais très inquiet si les responsables du recrutement pour les nominations au conseil d'administration et pour les postes de direction fondaient leur choix sur le genre. Je souhaiterais qu'ils recrutent la personne la plus apte à occuper ce poste.

Vous avez souligné que les statistiques indiquent que les entreprises où les femmes dominent et où il y a plusieurs femmes au conseil d'administration ont un meilleur rendement financier. Je serais tout aussi inquiet si l'on recrutait un homme aux dépens des profits pour l'entreprise concernée.

Les entreprises ne voudraient-elles pas naturellement recruter des femmes si le bilan financier à la fin de l'année s'avérait meilleur avec un plus grand nombre de femmes au conseil d'administration? Je suppose que c'est ce que voudraient les actionnaires. Ne serait-ce pas naturel si l'on pouvait prouver avec des statistiques que les femmes obtiennent de meilleurs résultats que les hommes?

Mme Gillis : Je tiens à signaler que je suis d'accord avec vous et qu'un grand nombre de femmes occupant des postes supérieurs de direction au Canada, avec lesquelles j'ai discuté, disent qu'elles espèrent être reconnues pour leurs talents et pour leurs contributions. Un grand nombre d'entre elles craignent qu'on pense qu'elles ont été nommées pour la forme à un conseil d'administration et veulent être choisies pour leurs qualifications.

Je suis d'accord avec vous sur le fait que toutes les organisations et toutes les institutions veulent avoir les personnes les plus qualifiées et les plus talentueuses autour des tables où sont prises les décisions, pour supporter leur organisation. Cela ne fait absolument aucun doute. En ce qui concerne toutefois le rythme du changement que j'ai brièvement décrit dans mes statistiques, nous avons pu constater que les femmes et les membres des minorités n'ont pas progressé dans des fonctions de leadership autant qu'on aurait pu s'y attendre. Les nombreuses barrières à l'avancement des femmes contribuent à expliquer cette situation.

Pendant des années, le recrutement des administrateurs se faisait en puisant dans un bassin de p.-d.g. C'est là que les réseaux sont les plus serrés et qu'il y a le moins de femmes. Le fait de se baser sur un bassin plus large de candidats compétents donne l'occasion de tirer parti des femmes qui ont de l'expérience, auxquelles vous avez fait référence. Les femmes n'ont pas le même accès aux réseaux, aux mentors, aux parraineurs et aux relations, qui sont souvent cruciaux dans le processus de recrutement d'un administrateur. Les femmes talentueuses n'ont pas les mêmes occasions d'être identifiées et d'être sollicitées pour être membres d'un conseil d'administration.

Les actionnaires veulent, bien entendu, que leurs organisations soient dirigées et administrées par les personnes les plus qualifiées, et je pense qu'ils aimeraient que leurs organisations reflètent l'image du marché qu'elles desservent. Lorsque les femmes représentent 50 p. 100 de la population, qu'elles influencent la majorité des décisions d'achat — d'après de nombreuses études, c'est 80 p. 100 ou plus — et qu'elles constituent la majorité des employés de nombreuses organisations, être le reflet du marché devient, pour les actionnaires, un facteur essentiel à prendre en considération.

Le sénateur Plett : Je connais plusieurs femmes qui sont membres de À voix égales. J'ai discuté avec un grand nombre d'entre elles. Je pense que les hommes partagent votre enthousiasme au sujet de la présence de femmes au sein des conseils d'administration, si c'est possible. Est-ce qu'il y a beaucoup d'hommes au conseil d'administration de À voix égales?

Mme Peckford : À voix égales est une organisation de femmes et d'hommes et, au sein de la direction des sections régionales, plusieurs hommes sont membres des conseils d'administration. Au niveau national, il n'y en a pas pour le moment. Nous prévoyons une participation plus importante des hommes à mesure que l'organisation évoluera.

Le sénateur Hervieux-Payette : Vous pouvez poser votre candidature, sénateur.

Mme Peckford : Oui, nous sommes heureux de recevoir des candidatures. Nous avons un processus de mise en candidature qui est transparent.

Le sénateur Plett : Merci. Nous en discuterons plus tard.

Je connais mieux l'aspect politique, et c'est précisément sur cet aspect que vous avez fait des commentaires, madame Peckford. J'ai essayé de recruter des femmes. J'ai été pendant sept ans président d'une organisation politique; je suis président de campagne dans une autre, et je pense qu'il est extrêmement important d'avoir, parmi les candidats, des femmes compétentes et qualifiées. Je suis très heureux que le Manitoba soit la province dans laquelle il y a le plus grand nombre de femmes au sein du gouvernement.

Je connais toutefois également les problèmes qui se posent lorsqu'on essaie de trouver des femmes pour se présenter, car ce n'est pas ce qui est le mieux vu sur le plan politique. Vous avez mentionné le Nouveau-Brunswick. J'ai joué un rôle actif dans la campagne électorale dans cette province; une excellente amie a été élue et est maintenant membre du Cabinet au sein du nouveau gouvernement. C'est formidable. Elle voulait être élue pour ses capacités et pas en raison de son sexe.

Comment convaincre des femmes de participer aux courses de mise en candidature? Nous essayons. Nous faisons des efforts constants, et je pense que d'autres partis politiques font les mêmes efforts. Les femmes ne sont pas très désireuses de participer.

Je voudrais poser la question suivante à notre amie de Norvège, et c'est le même type de question que celle que j'ai posée à À voix égales : est-ce que la Norvège exige également qu'il y ait au moins 40 p. 100 d'hommes au sein des conseils d'administration, comme pour les femmes?

Mme Stubholt : La législation norvégienne n'exige pas qu'il y ait 40 p. 100 d'hommes dans les conseils d'administration. Actuellement, nous constatons qu'un très petit nombre des sociétés visées par la législation ont plus de 40 p. 100 de femmes dans leur conseil d'administration. Je pense que les 40 p. 100 viennent de la pratique qui a cours dans les partis politiques norvégiens depuis au moins 20 ans, à savoir qu'au moins 40 p. 100 des candidats à des élections soient des femmes. Ce n'est pas exigé par une disposition législative; c'est une simple pratique politique. Il serait inacceptable de voir moins de 40 p. 100 de femmes ou d'hommes à des élections. C'est donc une transposition de la pratique politique en mesure législative.

Mme Peckford : Je ne veux pas détourner l'attention de la discussion actuelle, qui porte sur le projet de loi S-206. Si nous sommes ici aujourd'hui et que nous nous intéressons à cette question, c'est parce qu'un grand nombre de femmes qualifiées passent inaperçues auprès des partis politiques, pour des raisons semblables, à savoir qu'elles n'ont pas de réseaux, qu'elles n'ont pas accès aux ressources nécessaires, qu'elles ne font pas partie intégrante d'associations de circonscription et que, par conséquent, elles ne sont pas nécessairement repérées.

Nous reconnaissons que tous les partis politiques canadiens font d'énormes efforts pour attirer davantage de femmes. Ce n'est pas faute d'essayer. Je rappelle que la stratégie de l'espoir n'est pas efficace, comme l'a fait remarquer Mme Gillis. D'après nos prévisions, comme dans le cas de Catalyst Canada Inc., cela pourrait prendre encore un siècle pour atteindre la parité. Nous sommes arrivés à une étape de l'histoire de notre pays où on pourrait faire mieux dans le secteur privé, dans le monde des affaires et dans les milieux politiques. Cela n'a pas de sens pour moi que le Canada se classe aussi mal, tant dans le secteur politique que dans le secteur des affaires. Cela n'a aucun sens.

J'appuie cette initiative d'un point de vue stratégique, car j'estime qu'elle permet d'obtenir les meilleurs résultats le plus rapidement possible; les résultats obtenus dans certains autres pays le confirment.

Le sénateur Ringuette : Vous avez probablement remarqué qu'un grand nombre de mes collègues sont partisans du « libre marché » et que ça transparaît dans toutes nos discussions, quel que soit le sujet. Ils n'ont pas foi dans les règlements gouvernementaux. Je suis très contente de ce projet de loi, car les faits sont là.

Je pense qu'un des résultats les plus impressionnants, c'est que la législation norvégienne a donné aux entreprises concernées un outil pour remplacer le quasi incestueux réseau occulte des anciens.

La première conséquence de votre législation a été de forcer ces sociétés à se mettre au travail et à établir un système approprié de ressources humaines et de gestion en matière de recrutement.

Mme Stubholt : C'est vrai que cette mesure législative a mis en place une procédure de recrutement considérablement améliorée et professionnalisée. Plusieurs autres p.-d.g., qui n'avaient pas été persuadés par le projet initial, ont reconnu que la procédure de recrutement s'était améliorée. Ils sont maintenant heureux d'en profiter. Ils voient qu'on recherche des personnes de talent plutôt que de se baser trop vite sur une liste d'exigences trop spécifiques.

Cela ne veut pas dire que nous diminuons nos exigences en matière de qualité; nous jetons tout simplement notre filet plus loin, et ça donne de bons résultats. Personne ne s'est jamais plaint que les qualités des membres féminins de notre conseil d'administration actuel sont inférieures à celles des autres membres. En tant que femme, je ne peux pas concevoir avoir été choisie pour la forme. Nous luttons seulement contre ce qui a été pendant des siècles une « action affirmative » de la part des hommes. Pour moi, c'est donc tout à fait inconcevable.

Le sénateur Greene : Veuillez excuser ma voix ce matin. Je suis allé à un spectacle rock'n roll hier soir, et ma voix est rauque.

Voyons un peu quelle est la situation dans les écoles d'études supérieures. Comme nous le savons, tant au Canada qu'aux États-Unis, de nombreuses informations indiquent que les femmes réussissent très bien dans ce type d'établissement : faculté de droit, école de commerce, dans les sciences, et cetera. Dans de nombreuses universités nord- américaines, les femmes représentent plus de 50 p. 100 des diplômés.

Un grand nombre de ces établissements sont, bien entendu, financés par l'État, entièrement ou en partie. Pourtant, il n'y a pas d'action affirmative dans ces établissements ou dans la plupart d'entre eux, en ce qui concerne les inscriptions ou autres choses semblables.

Il me semble qu'étant donné que ces établissements sont financés par l'État, si un intérêt authentique se manifestait pour les contingents, ce devrait être là qu'il faudrait les imposer, car ils sont financés par les contribuables. Ce n'est toutefois pas le cas. Les femmes et les filles réussissent extrêmement bien, et j'ai la chance d'avoir une fille qui réussit bien.

Nous avons pu constater les avantages de l'action affirmative entreprise il y a 20 ou 30 ans aux États-Unis. C'était aussi par le biais d'établissements financés par les contribuables, comme les écoles. Nous allons maintenant dans le domaine du secteur privé. Dans ce monde économique complexe et fragile, il me semble que les entreprises et les sociétés ont besoin du maximum de flexibilité pour recruter les personnes les plus compétentes qu'elles puissent trouver, qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes. Les chefs d'entreprise que je connais veulent avoir les personnes les plus compétentes au sein de leur conseil d'administration. Ils seraient offusqués qu'on les accuse de ne pas attirer les personnes les plus compétentes.

Mme Gillis : Je suis d'accord avec vous; il s'agit en effet de s'assurer que les personnes les plus talentueuses soient accessibles aux organisations. Quand je vois que seulement 14 p. 100 des membres de conseils d'administration au Canada sont des femmes — et c'est environ 10 p. 100 dans les conseils d'administration des sociétés ouvertes —, j'en conclus que nous ne tirons pas parti de toutes les personnes bourrées de talent qui sont disponibles pour diriger les organisations.

J'ai un commentaire à faire au sujet des femmes qui sortent de l'université. Une récente étude d'envergure mondiale, faite par Catalyst, porte sur les diplômées des principales écoles de commerce. Cette étude a révélé que, dans leur premier emploi après avoir obtenu la maîtrise en administration des affaires, les femmes commencent à un niveau plus bas et gagnent en moyenne 4 600 $ de moins que leurs collègues masculins; cet écart ne disparaît jamais au cours de leur carrière, à moins qu'elles commencent dans leur premier emploi à un poste de cadre intermédiaire. Par conséquent, bien que les femmes s'en tirent très bien à leur sortie de l'université et ont les talents et les compétences nécessaires pour servir les organisations, on ne leur offre pas les mêmes possibilités d'avancement dans les fonctions importantes de direction au sein des organisations.

Le sénateur Massicotte : Merci d'avoir accepté de comparaître.

J'ai besoin de votre aide. Je reconnais mes préjugés, en quelque sorte. Je pense que s'il existe un réseau d'anciens, c'est parce qu'on a tendance à choisir des personnes avec lesquelles on se sent bien. Je le reconnais.

Le sénateur Greene : Il y a aussi un réseau féminin.

Le sénateur Massicotte : J'en suis sûr.

Je ne suis pas opposé à une législation, si elle nous permet d'améliorer la société. Je dois toutefois admettre que l'argument social ainsi que les arguments « doux » n'ont pas beaucoup de prise sur moi. Votre argument concernant ce qui produit les décisions les plus compétitives et les plus pertinentes du conseil d'administration a mon adhésion, et il doit être solide. Permettez-moi d'expliquer brièvement comment je vois les choses. Je mentionnerai quelques faits, puis vous pourrez m'aider à démêler tout ça.

J'ai lu votre rapport indiquant que les femmes au sein d'un conseil d'administration permettent d'obtenir de meilleurs résultats. Il m'importe peu de savoir s'il s'agit d'une étude qui porte sur une seule ou sur plusieurs années. Je pense que le magazine Forbes a publié également une étude qui révèle que les femmes au sein des conseils d'administration produisent de meilleurs résultats. Une grosse firme d'experts-conseils a fait aussi une étude. J'ai oublié son nom. Est-ce McKinsey?

Mme Gillis : C'est bien cela.

Le sénateur Massicotte : J'aimerais avoir davantage d'informations sur cette étude de McKinsey.

En ce qui concerne l'expérience norvégienne, je crois comprendre que, lorsqu'une femme était nommée au conseil d'administration, la valeur de l'action diminuait dans de nombreux cas. C'est peut-être fortuit. J'ai lu dernièrement que, malgré les 40 p. 100 de femmes dans les postes de haute direction — car on aurait cru que ce serait utile d'avoir des femmes à la haute direction —, on n'a pas enregistré de progrès importants. Bien qu'il y ait beaucoup de femmes dans les conseils d'administration, le pourcentage n'a pas augmenté de façon considérable. J'essaie de démêler tout cela. Qu'est-ce que ça veut dire, en fait? Est-ce que quelqu'un peut m'aider?

Mme Gillis : Ce que vous avez dit quand vous avez résumé les résultats de l'étude de Catalyst est exact. Les études faites par de nombreuses organisations indiquent que la présence d'un plus grand nombre de femmes au sein des conseils d'administration est bonne pour le rendement financier. Comme je l'ai signalé dans l'étude que j'ai faite pour Catalyst, la présence d'un plus grand nombre de femmes au sein des conseils d'administration est le présage d'une augmentation du nombre de femmes parmi les cadres supérieurs dans les cinq années qui suivent, ce qui entraîne également un accroissement du rendement financier.

C'est un cercle vertueux qui est bon pour le bilan financier des organisations, et ce cercle est en grande partie enclenché par la présence des femmes au sein du conseil d'administration.

Le président : Vous pourriez peut-être faire quelques commentaires également, madame Stubholt.

Mme Stubholt : Bien sûr. Je ne connais pas d'actions dont le prix ait diminué à la suite de l'arrivée de femmes au sein du conseil d'administration. Je n'exclus pas la possibilité que ce soit parfois le cas, temporairement du moins, mais je ne connais pas de cas semblable. Ce n'est certainement pas un effet important ou durable. Je ne pense pas que ce soit un argument solide pour qu'on renonce à faire ce qui serait bien, car j'ai entendu dire que vous aviez l'esprit ouvert.

En ce qui concerne le transfert de cette expérience au niveau des postes de direction, on a effectivement présumé que ça aiderait les femmes à se qualifier pour des postes de p.-d.g. ou des postes de haute direction. Il est probable que ça se fasse. J'ai en tout cas mis l'accent sur cet aspect dans certains des recrutements que j'ai faits. Le sénateur devrait toutefois noter que notre législation n'est en vigueur que depuis deux ans et demi, mais, étant donné la nature du processus mis en place pour atteindre les échelons supérieurs de la hiérarchie d'une société et le nombre limité de postes devenus vacants en deux ans, on n'a pas assez de recul pour affirmer que la situation ne change pas à cet égard. Il est en outre nécessaire d'attendre d'avoir acquis une expérience d'un à trois ans avant de voir si ça entraînera une promotion plus rapide ou davantage de possibilités de promotion pour les femmes que si elles n'avaient pas acquis cette expérience au sein d'un conseil d'administration. Je pense qu'il est trop tôt pour dire si cela aura cet effet.

Le sénateur Massicotte : Votre analyse porte-t-elle sur plusieurs années?

Mme Gillis : Oui.

Le sénateur Massicotte : Vous avez fait cette étude fréquemment et vous obtenez toujours le même résultat. Est-ce bien cela?

Mme Gillis : L'étude a été faite au cours d'une année précise, mais on a examiné des données portant sur plusieurs années.

Le sénateur Massicotte : Pouvez-vous résumer la conclusion de l'étude faite par Forbes ainsi que les conclusions de l'étude de McKinsey?

Mme Gillis : Je n'ai pas leurs données sous la main et ne peux pas vous communiquer leurs chiffres, mais ils en sont arrivés à la même conclusion : l'augmentation du nombre de femmes au sein des conseils d'administration et dans les postes de direction entraîne un meilleur rendement financier.

Le sénateur Massicotte : C'était un bon pourcentage.

Le sénateur Moore : Préconisez-vous le placement de femmes appartenant à des minorités visibles au Canada et est- ce que vos dossiers contiennent des chiffres à ce sujet?

Mme Gillis : C'est une bonne question, sénateur. Préconiserions-nous et aimerions-nous qu'on nomme davantage de membres de minorités visibles aux conseils d'administration? Absolument. Catalyst a fait une étude approfondie sur l'expérience des minorités visibles aux postes de direction au Canada et, en toute franchise, j'avoue qu'il n'existe pas de données solides sur la représentation des minorités visibles au sein des conseils d'administration. La plupart des organisations ne recueillent pas ce type de données, très difficiles à obtenir, car on ne demande pas aux employés ou aux administrateurs, par exemple, de s'identifier comme appartenant à une minorité visible. Nos données concernent les femmes en général et ne contiennent pas d'informations précises sur la représentation des femmes appartenant à des minorités visibles.

Le sénateur Moore : Encouragez-vous cela, compte tenu de la composition de la population canadienne et de la mosaïque qu'elle représente?

Mme Gillis : Absolument. J'estime que c'est crucial pour la compétitivité du Canada.

Le président : Est-ce qu'on se soucie de la diversité dans la représentation au sein des conseils d'administration, en dehors de la diversité au niveau du genre, en Norvège?

Mme Stubholt : La population de la Norvège ne forme pas une mosaïque semblable à celle du Canada. Par conséquent, il est encore plus important que nos minorités soient représentées au sein des conseils d'administration. Ce n'est pas stipulé dans la législation norvégienne. Je pense que ça pourrait nous inciter à examiner la question en se basant sur les expériences que nous recueillons d'un élément ou d'une dimension de la diversité qui fait partie de l'effort pour atteindre la parité de genre, mais aucune disposition législative spéciale n'a été mise en place jusqu'à présent.

Le sénateur Oliver : Je félicite Catalyst pour l'excellent travail que fait cette organisation depuis de nombreuses années. C'est une excellente organisation. Madame Gillis, j'ai été ravi que vous disiez que les femmes et les membres des minorités n'ont pas progressé dans des fonctions de direction autant qu'on aurait pu s'y attendre. Comme vous le savez, il y a 25 ans, le gouvernement du Canada a déclaré, dans le cadre d'une politique publique nationale, que l'on reconnaissait qu'il existait quatre groupes cibles pour lesquels des mesures spéciales sont nécessaires. Le présent projet de loi est ce que j'appelle un quart de projet de loi, car il ne concerne pas toutes les personnes qui en ont besoin, à savoir les personnes handicapées, les Autochtones et les membres des minorités visibles. La quatrième catégorie, ce sont les femmes.

J'aimerais qu'on présente un projet de loi qui s'applique aux Autochtones, aux personnes handicapées et aux autres personnes. Je suis déçu de constater que les minorités visibles n'ont pas été incluses. C'est le gros point faible de ce projet de loi. Le gouvernement fédéral a décrété qu'il s'agissait des groupes cibles pour lesquels des mesures spéciales et une protection législative étaient nécessaires et, pourtant, ces groupes ont été expressément exclus. Je trouve ça déplorable.

Mme Gillis : Catalyst a assurément reconnu le très bon travail que vous faites dans ce domaine depuis des années et approuve dans une large mesure les commentaires que vous venez de faire.

L'essentiel, c'est que la diversité qui représente le marché et la population canadienne soit un atout pour la prise de décisions autour de n'importe quelle table. Cela se reflète dans les discussions que nous avons aujourd'hui. Nous voulons que les conseils d'administration du pays représentent le marché et la population du Canada. Cela les renforcera et donnera plus de vigueur à notre pays.

Le sénateur Hervieux-Payette : Sénateur Oliver, après notre première réunion, j'ai rencontré l'expert législatif qui travaille pour nous au Parlement pour m'informer au sujet de la possibilité de présenter un amendement. Il m'a répondu qu'il fallait le faire par le biais d'un projet de loi différent. Nous n'avons pas pu intégrer cet aspect parce que nous avons dû nous en tenir au champ d'application du projet de loi, à savoir la parité des femmes. Si vous voulez parrainer un projet de loi portant sur la diversité, je l'appuierai volontiers. En ce qui me concerne, c'est un sujet important, pour les hommes comme pour les femmes. Il n'implique aucune restriction.

La parité se fait selon le tissu social de la population. En matière de diversité, on aurait besoin d'une règle flexible. On ne peut pas préciser qu'il s'agit de 2 p. 100 de ceci ou 3 p. 100 de cela et 5 p. 100 d'autre chose. Cela aboutirait au chaos. Nous aurions pu inclure le principe, comme aux États-Unis. La règle, c'est que les conseils d'administration doivent au moins régler cette question. Ce n'est pas obligatoire, mais, en ce qui me concerne, je n'hésiterais pas à appuyer un projet de loi de ce type.

Le président : Cela se fera en dehors du présent contexte. Nous avons largement dépassé le temps dont nous disposions et je dois par conséquent conclure la discussion. Mesdames Gillis et Peckford, je sais que vous voudriez faire un commentaire, mais je dois interrompre la discussion, sinon ce serait injuste pour le groupe suivant de témoins. Si vous voulez discuter avec qui que ce soit après la réunion, n'hésitez pas à le faire. Si l'une de vous a d'autres commentaires à faire, communiquez-les par écrit à notre greffière.

Je remercie votre invitée de marque de la Norvège d'avoir pris le temps de discuter avec nous. Vous avez de prestigieux antécédents personnels et vous avez contribué de façon intéressante au progrès dans votre pays. Nous apprécions vos commentaires qui ont éclairé nos discussions.

[Français]

Le président : Pour la deuxième heure aujourd'hui, nous accueillons un panel composé de Mme Poonam Puri, professeure agrégée à l'Université York, Mme Marie-Soleil Tremblay, professeure à l'École nationale d'administration publique, et M. Richard Leblanc, professeur à l'Université York en droit, gouvernance et éthique.

[Traduction]

Poonam Puri, professeure agrégée de droit de la faculté de droit Osgoode Hall et codirectrice du Hennick Centre for Business and Law, Université York, à titre personnel : Nous avons un exposé en PowerPoint que nous avons distribué et qui est également projeté sur l'écran.

Je suis ravie et honorée de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Le projet de loi S-206 est un projet de loi important. Je suis accompagnée de mon collègue, M. Richard Leblanc. Nous avons préparé ce document ensemble pour que vous puissiez vous y référer. Nos biographies détaillées se trouvent aux pages 2 et 3 du document en PowerPoint. M. Leblanc et moi enseignons et écrivons des études dans le domaine de la gouvernance d'entreprise et des conseils d'administration.

J'ai le privilège de siéger au conseil d'administration de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, également connue sous le nom de Pearson, et je suis actuellement présidente du comité de la gouvernance d'entreprise et des candidatures. Je suis également membre du conseil des gouverneurs du Mount Sinai Hospital, à Toronto.

Mes commentaires porteront principalement sur trois domaines et ceux de M. Leblanc porteront sur d'autres sujets. Le premier domaine sur lequel je voudrais mettre l'accent, c'est la crise financière et la différence qu'aurait pu faire une meilleure représentation des genres. Le deuxième, ce sera l'expérience dans d'autres pays où la représentation des genres au sein des conseils d'administration est réglementée et le troisième, ce sera le bien-fondé du projet de loi S-206, que vous êtes chargés d'étudier.

Les données indiquent que les conseils d'administration et les postes de haute direction de la plupart des grandes sociétés ouvertes ont une apparence assez homogène. Le groupe précédent de témoins a partagé ces opinions. Les données sont claires. Pour l'ensemble des sociétés ouvertes au Canada, le pourcentage a été de façon constante de 9 à 10 p. 100. Aux États-Unis, il est d'environ 11 p. 100. Au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, il oscille entre 6 et 8 p. 100. Chose intéressante, il est plus élevé en Afrique du Sud, soit 17 p. 100.

Un manque de diversité dans les conseils d'administration peut déboucher sur une pensée unique, ce qui est un phénomène dangereux. C'est une chose qu'on veut éviter dans le contexte d'une politique gouvernementale.

La crise financière mondiale a de nombreuses causes qui sont complexes et interdépendantes. Nous connaissons bon nombre de ces causes : une prise de risques excessive, des conflits d'intérêts, un manque de connaissances et, dans certains cas, la pure cupidité.

Je voudrais poser une question qui a déjà été posée par d'autres personnes : et si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters? Est-ce qu'un éventail plus large de points de vue et d'antécédents aurait produit de meilleures décisions et de meilleurs résultats? La diversité aboutit-elle à une meilleure compréhension du marché du fait que le marché comme tel est devenu plus varié? La diversité augmente-t-elle la créativité et l'innovation? Entraîne-t-elle une efficacité accrue dans la résolution de problèmes?

La littérature didactique et savante indique qu'une plus grande diversité entraîne effectivement un accroissement de l'efficacité d'un conseil d'administration et une assiduité accrue aux réunions. Les données révèlent également que les femmes sont davantage susceptibles d'être membres de comités de surveillance, comme des comités de vérification, de gouvernance et de nomination. Les études savantes indiquent également que des conseils d'administration pratiquant la diversité des genres ont davantage de chances de remplacer des p.-d.g. non performants. Certaines études indiquent également que ces conseils ont une rémunération davantage basée sur l'équité en ce qui concerne les administrateurs, si bien que ceux-ci ont un enjeu plus fort dans l'affaire.

Ce qui est intéressant, c'est qu'il n'est pas vrai que les femmes ne sont pas disposées à prendre autant de risques que les hommes. En fait, la question n'est pas que, dans le contexte de la crise financière mondiale, les femmes auraient nécessairement pris moins de risques; la vérité est qu'il y aurait peut-être eu davantage de points de vue à la table de discussion et de meilleurs processus décisionnels. Il faut au moins se demander s'il n'aurait pas été préférable pour Lehman Brothers que ce fût Lehman Brothers and Sisters.

Ensuite, à l'échelle mondiale, les gouvernements et les organismes de réglementation insistent pour que des pratiques plus efficaces en matière de candidatures et de diversité soient adoptées. Au cours de la séance précédente, plusieurs exemples différents ont été mentionnés. D'une façon générale, deux approches sont possibles. L'une est celle qui est axée sur la divulgation, que j'appellerais l'approche douce. L'autre est l'approche axée sur les contingents, ou approche législative dure. Aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission impose la divulgation des plans en matière de diversité de toutes les sociétés cotées en bourse.

La Suède, par contre, a imposé un contingent de 25 p. 100, la Norvège, un contingent de 40 p. 100, l'Espagne, un de 40 p. 100, et la France, un de 40 p. 100 en ce qui concerne les femmes. Des mesures législatives semblables font actuellement l'objet de discussions en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas.

En Norvège, avant l'établissement du contingent, en 2002, la proportion de femmes dans les conseils d'administration des sociétés ouvertes était de 6 p. 100. Elle est actuellement de 45 p. 100 en moyenne. Les premières réactions à la législation norvégienne étaient partout négatives; on entendait notamment des critiques invoquant que les femmes n'avaient pas le temps et qu'on ne savait pas où les trouver. Huit ans plus tard, comme l'a fait remarquer l'experte qui a témoigné avant moi, le niveau de compétence et d'expérience de tous les membres de conseils d'administration a très fortement augmenté. Les présidents des conseils d'administration se réjouissent des changements. La découverte de personnes de talent n'a pas posé de problèmes et les processus de recrutement et de candidatures des conseils d'administration sont devenus plus rigoureux. En bref, les affaires continuent en Norvège.

Enfin, le projet de loi S-206 est un projet de loi important. J'ai eu l'occasion d'examiner les versions antérieures de ce projet de loi pour le Bureau du légiste pour le Sénat. Je pense que, sur le plan technique, c'est un projet de loi raisonnable, qui s'appuie sur la législation actuelle sur les sociétés, sur les banques et sur les assurances.

En outre, alors que la législation norvégienne entraînerait la dissolution de force d'une société, le mécanisme d'application du présent projet de loi est, à mon avis, beaucoup moins draconien et beaucoup plus pondéré, en ce sens qu'il prévoit l'imposition de sanctions moins strictes en cas de non-conformité, et c'est important. Nous ne voulons pas exagérer.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit d'accorder aux sociétés un délai raisonnable pour mettre en place les pratiques et les procédures en matière de gouvernance et de candidatures, afin de leur permettre de se conformer aux règles proposées et pour qu'il y ait suffisamment de personnes qualifiées pour respecter les nouvelles règles. Il accorde des années pour permettre d'instaurer un processus adéquat. Ce projet de loi précise aussi que le ministre aura le pouvoir d'autoriser une entreprise à obtenir, au besoin, une prolongation de délai pour respecter le contingent.

En conclusion, je pense que ce projet de loi est raisonnable. Il est pondéré et il a les qualités techniques voulues.

[Français]

Marie-Soleil Tremblay, professeure, École nationale d'administration publique (ENAP), à titre personnel : Monsieur le président, je tiens d'abord à vous remercier de l'occasion que vous me donnez de participer à cet important débat sur la parité au sein des conseils d'administration. Mon objectif aujourd'hui est de partager avec vous mon point de vue académique ainsi que le résultat de mes recherches dans le domaine de la gouvernance d'entreprise.

[Traduction]

Les récents scandales qui ont secoué le monde des affaires, et la crise financière qui en est résultée, nous poussent à remettre en question la composition des conseils d'administration et leur capacité de respecter des critères d'éthique et d'imputabilité. Des rémunérations excessives ont également été liées à l'absence de diversité culturelle au sein des conseils d'administration. Nous avons besoin d'administrateurs qui peuvent proposer de nouvelles solutions à de vieux problèmes et qui rejettent les idées reçues et les lieux communs, qui ont sans doute contribué aux difficultés que nous connaissons.

Dans le même esprit, Rosabeth Kanter, professeure à Harvard, a récemment fait le lien entre le nombre plus élevé de femmes dans les conseils d'administration et une réduction de la cupidité et de l'intérêt personnel, ce qui conduit à des décisions moins imprudentes et à des actifs aux valeurs plus solides, donnant lieu à des bilans plus sains.

Les universitaires observent depuis longtemps la composition des conseils d'administration et y constatent une lente progression des femmes. Les arguments invoqués pour justifier une plus grande diversité dans la composition des conseils d'administration sont de deux ordres, d'après les études qui ont été faites. Les uns sont des arguments d'ordre économique selon lesquels les entreprises qui ne choisissent pas les candidats les plus compétents nuisent en fait à leur rendement financier. Les deuxièmes reposent sur un point de vue moral et avancent qu'il est immoral d'exclure les femmes des conseils d'administration en raison de leur sexe. Le bien-fondé de la diversité au conseil d'administration est clair, tant du point de vue économique que du point de vue moral.

Quelle est la situation au Canada à cet égard et quels sont les obstacles à surmonter? Comme on vous l'a signalé, en 2009, les femmes occupaient 14 p. 100 des postes dans les conseils d'administration, ce qui représente une augmentation de 1 p. 100 depuis 2007. Plus de 40 p. 100 des entreprises ne comptent aucune femme parmi leurs administrateurs. Il semble que le bon vieux réseau des « boys » continue d'être le principal bassin de recrutement des nouveaux administrateurs.

En adoptant ce projet de loi, le Canada emboîtera le pays à des pays tels que la Norvège, l'Espagne et l'Islande, qui imposent un quota de 40 p. 100 à la représentation des femmes dans les grandes entreprises cotées en bourse. En ma qualité de chercheuse, je me suis intéressée à la présence des femmes aux conseils d'administration après que le Québec ait déposé le projet de loi 53 en décembre 2006. Ce projet de loi exigeait que les conseils d'administration de ses plus grandes entreprises comprennent un nombre égal d'hommes et de femmes, dans un délai de cinq ans. Les nominations qui ont aussitôt eu lieu ont conduit à une augmentation de 66 p. 100 du nombre des femmes dans les conseils d'administration. J'ai rencontré plusieurs membres de conseils d'administration, hommes et femmes, et j'aimerais vous faire part de mes constatations et contribuer à faire tomber les obstacles qui pourraient retarder l'adoption de ce projet de loi.

S'il est vrai que l'idée d'une nomination au conseil faite au nom d'un impératif biologique soit jugée choquante par 88 p. 100 des personnes que j'ai interviewées, la plupart d'entre elles s'entendaient néanmoins pour dire que la réglementation visant la parité au conseil avait été nécessaire pour accélérer un mouvement qui avait tendance à stagner. Ces personnes étaient frustrées que le plafond de verre n'ait pas cédé de lui-même. Ce que vous ressentez, nous l'avons également ressenti au Québec.

Comme la résistance au changement est un phénomène normal, que les groupes ont naturellement tendance à recruter des gens qui leur ressemblent et que des hommes parfaitement compétents risquent de perdre leur place au conseil d'administration de certaines entreprises en raison de cette loi, il faut s'écarter des considérations individuelles et reconnaître qu'un tel projet de loi est nécessaire pour faire évoluer les mentalités et changer les attitudes. Cette démarche est essentielle à la pleine reconnaissance de la place des femmes dans la société. Une forme de résistance assez fréquente, dont j'aimerais vous parler, consiste à prétendre qu'une loi sur la parité dans les conseils d'administration risque de conduire au recrutement d'administrateurs moins compétents.

Aujourd'hui, pour être un administrateur compétent, il faut autre chose que la seule expérience acquise à la tête d'une entreprise. On trouvera un important bassin de candidats compétents si on apprend à regarder ailleurs. Par exemple, il y a 60 000 femmes comptables professionnelles au Canada, des comptables agréées, des comptables générales licenciées et des comptables en management accréditées. Au Canada, 20 000 avocats sont des femmes, plus de 16 000 ingénieurs sont des femmes, des centaines d'actuaires sont des femmes et plusieurs milliers de professeurs d'université sont des femmes également. Toutes ces femmes possèdent des connaissances étendues; la plupart ont beaucoup d'expérience et un grand nombre d'entre elles accepteraient volontiers de siéger à un conseil d'administration si on le leur demandait.

Les femmes ont un parcours professionnel moins linéaire que leurs homologues masculins. On constate toutefois que leur expérience de vie différente est bénéfique dans le contexte d'un conseil d'administration, car elle enrichit le débat. En raison de leurs activités reproductives, les femmes ont moins l'occasion que les hommes de créer des réseaux sociaux. De ce fait, elles sont moins sollicitées pour occuper des postes d'administrateurs. La Loi sur la parité enjoint les comités de mise en candidature d'élargir leurs horizons et de reconstruire l'image que nous nous faisons de l'administrateur type, dont vous avez pu voir une illustration sur la diapositive montrée par ma collègue.

Si la plupart des administrateurs que j'ai interviewés trouvent que les femmes ont un esprit plus analytique et arrivent mieux préparées aux réunions du conseil, la dynamique ne leur semblait pas avoir été particulièrement modifiée du fait de la présence d'un plus grand nombre de femmes. La parité au Québec n'aurait donc pas causé de rupture dramatique, mais était plutôt perçue comme une forme de modernisation des conseils d'administration, amorcée dès 2003, par le projet de loi 52-110. Les femmes apportaient à la table leurs compétences professionnelles plutôt que des opinions radicalement féministes.

Il est vrai que, dans un monde idéal, la parité hommes-femmes se produirait sans qu'il soit nécessaire de légiférer. Compte tenu cependant de la tendance actuelle et pour les raisons mentionnées plus haut, il semble que si nous voulons qu'elle se fasse avant quelques décennies, il faudra adopter le projet de loi S-206. Je reconnais qu'il faut du courage pour promouvoir des valeurs sociales d'égalité et pour mettre en marche des transformations qui risquent de disperser le pouvoir, et je vous félicite d'oser prendre cette initiative.

Richard Leblanc, professeur agrégé, Droit, gouvernance et éthique, Université York, à titre personnel : Je m'appelle Richard Leblanc et je suis professeur agrégé à l'École des études administratives de l'Université York. Mon principal centre d'intérêt en matière de recherche porte sur l'efficacité des conseils d'administration. Je suis également conseiller auprès d'importantes sociétés canadiennes cotées en bourse. Je suis heureux de témoigner devant vous aujourd'hui pour cette réunion importante et opportune. Mes remarques porteront sur les progrès qui ont été accomplis pour que les femmes deviennent administratrices au sein de grandes entreprises canadiennes. Elles porteront aussi sur quatre arguments qui peuvent être invoqués, et l'ont d'ailleurs été, non seulement contre le projet de loi, mais aussi à l'égard de la surveillance réglementaire de la diversité des genres dans les conseils d'administration. Ces quatre arguments sont les suivants : premièrement, les forces du marché devraient l'emporter; deuxièmement, les femmes sont moins qualifiées; troisièmement, seul un p.-d.g. peut être un administrateur efficace; et, quatrièmement, la justification commerciale de la présence des femmes dans les conseils d'administration n'a pas été établie. Je conclurai en évoquant les progrès accomplis depuis la crise financière mondiale dans d'autres pays qui cherchent à accroître la diversité dans les conseils d'administration.

Les progrès accomplis pour placer des femmes dans les conseils d'administration au Canada ont été insuffisants. Selon le sondage, le pourcentage de femmes qui siègent au sein des conseils d'administration de grandes sociétés cotées en bourse a tendance à fluctuer entre 8 et 13 p. 100 environ. Ces taux n'ont pas vraiment bougé depuis une vingtaine d'années, malgré les nombreuses femmes qui sortent des universités, malgré les femmes qui occupent des postes de cadre supérieur et malgré les programmes qui visent maintenant à recruter des femmes dans les conseils d'administration. Les femmes sont frustrées et se sentent écartées, et elles ont raison.

J'analyserai maintenant les arguments contre le projet de loi et contre la diversité dans les conseils d'administration en général. En ce qui concerne le premier argument, à savoir que les forces du marché devraient l'emporter, il est faux de prétendre que le marché à lui seul peut assurer une représentation suffisante des femmes dans les conseils d'administration. Les marchés sont libres quand il y a des acheteurs et des vendeurs, une liberté de conclure des marchés, un pouvoir de négocier égal et des renseignements complets. Dans le cas des administratrices et de la nomination et l'élection des administrateurs en général, on constate actuellement que la sélection se fait en grande partie en vase clos et que le système est assez opaque. En théorie, les actionnaires de sociétés au capital très ouvert élisent les administrateurs. En réalité, les actionnaires ont peu de pouvoir réel d'élire les administrateurs; d'où ce qu'on appelle l'accès aux procurations aux États-Unis — une modeste proposition — qui vise à donner aux actionnaires détenant 3 p. 100 des actions d'une entreprise pendant trois ans la possibilité de nommer jusqu'à 25 p. 100 des administrateurs dans le cadre d'élections d'administrateurs non contestées. Soutenir que les femmes ont une chance égale et un pouvoir égal de se désigner « vendeurs » à un conseil d'administration « acheteur », quand les actionnaires eux-mêmes n'ont pas ce pouvoir actuellement, démontre que le marché des administrateurs n'est pas libre, mais plutôt noyauté par les membres actuels des conseils d'administration et de la haute direction. Les autorités de réglementation sont donc justifiées d'intervenir pour corriger les imperfections du marché.

Le deuxième argument est que les femmes sont moins qualifiées, ce qui a été signalé par un sénateur au groupe de témoins précédent. Il est inexact de prétendre qu'exiger qu'une entreprise recrute des femmes l'obligerait à choisir des administrateurs moins qualifiés. C'est un argument fallacieux, qui n'est pas appuyé par les faits et qui est humiliant pour les femmes. L'argument qui devrait être invoqué est plutôt le contraire, à savoir ne pas assurer une représentation suffisante des femmes dans les conseils peut compromettre l'accès à l'ensemble du bassin canadien et mondial des talents et nuire à la compétitivité des entreprises canadiennes.

Par sa Loi sur la gouvernance des sociétés d'État, le Québec donne un exemple de parité des femmes et de gouvernance efficace des sociétés. Je ne crois pas que la gouvernance ou la compétitivité des organisations du Québec ait souffert de la présence des femmes dans les conseils d'administration. Je félicite le premier ministre du Québec pour son leadership en faveur de cette loi.

Le troisième argument est que seul un p.-d.g. peut être un administrateur efficace. Il est erroné de penser que les femmes doivent d'abord être p.-d.g. avant de pouvoir être considérées comme qualifiées pour siéger à un conseil d'administration. Associer ainsi la diversité des genres à l'expérience de dirigeant, quand ce sont les entreprises qui considèrent qu'il faut d'abord être p.-d.g. avant de pouvoir aspirer à être administrateur, annule le sens et l'avantage de la diversité des genres.

En me fondant sur mes recherches, j'avais recommandé en 2005 que la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario établisse un régime de recrutement et d'évaluation fondé sur les compétences pour les administrateurs de sociétés cotées en bourse, ce qui a été fait, grâce à la politique nationale 58-201. De nombreuses entreprises dans divers secteurs utilisent désormais des matrices de compétences pour guider le recrutement de leurs administrateurs.

J'ai cru à une époque qu'un régime axé sur les compétences accroîtrait le nombre de femmes dans les conseils d'administration, mais je me suis trompé. Je ne reste donc pas trop optimiste quant aux chances que les pays qui abordent actuellement la diversité par le biais de la divulgation générale, y compris les États-Unis, obtiennent des résultats notables et accroissent réellement le nombre de femmes administratrices.

Malgré les incitations réglementaires, comme la publication des plans de diversité, la sélection en vase clos et la préférence pour l'homogénéité sont possibles et sont une réalité, puisque les conseils d'administration « définissent à la baisse » la diversité, de manière à ce qu'elle désigne la « diversité des compétences » ou la « diversité des points de vue », ce qui n'est évidemment pas le sens que l'on souhaite donner à la diversité des genres en particulier. Autrement dit, l'expérience a démontré que la réglementation doit être précise et normative pour atteindre l'objectif souhaité. Explorer des objectifs mesurables à l'égard des genres constitue donc un motif d'examen légitime pour les décideurs, tels que les membres du comité.

Le quatrième argument est que la justification commerciale de la présence des femmes dans les conseils d'administration n'a pas été établie. En plus des arguments fondés sur l'égalité et l'équité, les gens d'affaires invoquent aussi l'argument d'affaires — les universitaires doivent leur prouver qu'un plus grand nombre de femmes accroît l'optimisation de la richesse pour les actionnaires. Accepter que cette justification soit une condition préalable nécessaire pour accroître le nombre de femmes dans les conseils d'administration est erroné et peu judicieux. Les universitaires ne peuvent pas prouver aux gens d'affaires qu'un plus grand nombre d'administratrices permet un rendement accru pour les actionnaires, pas plus qu'ils ne peuvent leur prouver que de meilleurs conseils d'administration permettent un meilleur rendement pour les actionnaires. À ma connaissance, aucune étude ne démontre systématiquement — ou pourrait démontrer un jour — l'une ou l'autre de ces deux propositions. Cependant, le seul fait que les universitaires ne puissent pas le prouver ne signifie pas que ce phénomène n'existe pas. Ce qui distingue un conseil d'administration efficace de celui qui ne l'est pas, c'est la qualité de la discussion dans la salle du conseil et les qualités de ceux qui sont assis autour de la table.

C'est justement là que les administratrices peuvent influer sur l'efficacité du conseil d'administration. Ce que les recherches qualitatives et quantitatives sur la diversité des genres ont tendance à confirmer, c'est que la nature du dialogue et de l'interaction durant les délibérations du conseil et la prise des décisions change lorsqu'il y a plus qu'une ou deux administratrices nommées pour la forme, dans les conseils d'administration; ainsi, les conseils diversifiés peuvent être plus novateurs, et il peut y avoir une plus grande probabilité de choix dans les décisions et de résistance exprimée à des décisions qui ne sont pas optimales, grâce à l'absence d'encastrement social.

En outre, des conseils diversifiés peuvent consacrer plus de temps et d'effort à la surveillance et tenir plus efficacement les dirigeants responsables d'un mauvais rendement des actions. Même si les conseils diversifiés sont peut- être un peu plus difficiles à gérer, cet inconvénient peut être largement compensé par un leadership efficace et par une prise des décisions renforcée dans son ensemble.

Il n'est donc pas étonnant qu'aux lendemains de la crise financière mondiale — qui a été aggravée par des conseils d'administration indépendants, composés de dirigeants d'industries sans liens entre elles, qui étaient pour la plupart des hommes, approuvant des risques qu'ils ne comprenaient pas — on mette désormais l'accent sur le renforcement de la compétitivité, des compétences et de la diversité des conseils d'administration des entreprises, et sur la participation des femmes en particulier.

Depuis un an, par exemple, les États-Unis, le Royaume-Uni, plusieurs pays d'Europe et l'Australie, commencent à s'occuper de la diversité des genres dans les conseils d'administration. Ce que tous ces pays ont en commun, c'est un leadership et un courage politiques, et la conviction qu'il faut déployer plus d'efforts et mettre en place des politiques.

Je vous remercie de m'avoir invité à participer à cette réunion. Mes collègues et moi avons hâte de répondre à vos questions.

Le président : La plupart des pays qui ont adopté des mesures législatives semblent avoir opté pour un niveau de 40 p. 100. Il doit y avoir une raison pour qu'on choisisse ce pourcentage. Le projet de loi propose 50 p. 100.

Par ailleurs, un grand nombre des autres pays qui ont légiféré — et je vous demande de me corriger si je fais erreur — semblent avoir mis l'accent sur les sociétés ouvertes ou, du moins, les très grandes sociétés ouvertes, comme l'a fait la Norvège. Je pense que le projet de loi va plus loin. J'aimerais entendre les commentaires des témoins qui sont prêts à donner leur opinion.

M. Leblanc : Le contingent est de 40 p. 100 en Norvège, de 40 à 50 p. 100 en France, de 40 p. 100 en Islande, de 40 p. 100 en Finlande, de 30 p. 100 en Belgique et le projet de loi en propose un de 50 p. 100. Comme on l'a déjà signalé, ce pourcentage me semble plus logique, étant donné que les femmes représentent 50 p. 100 de la population; il est donc plus proportionnel que dans les autres pays. D'autres pays ont visé non seulement les sociétés ouvertes, mais aussi toutes les sociétés cotées en bourse. Aux États-Unis, les règles de la Securities and Exchange Commission s'appliquent à toutes les sociétés cotées en bourse. En Australie, la législation s'applique également à toutes les sociétés cotées en bourse. En France, je pense qu'elle s'applique à toutes les sociétés également. Il y a donc des précédents pour ne pas se limiter aux sociétés cotées en bourse, ou plutôt aux sociétés ouvertes.

Le président : Et les sociétés fermées, les petites sociétés privées? Où s'arrête le projet de loi?

Mme Tremblay : Son champ d'application se limite aux sociétés cotées en bourse, aux institutions financières, aux sociétés d'État et à un autre type de société.

Le président : Peut-on m'expliquer pourquoi la plupart des autres pays ont adopté un contingent de 40 p. 100 et pas de 50 p. 100? Est-ce seulement par pusillanimité ou est-ce plutôt une question de souplesse?

Mme Puri : Je n'en suis pas certaine, mais j'ai l'impression que c'est probablement parce qu'ils n'avaient pas le courage d'aller jusqu'à 50 p. 100. Je pense que 50 p. 100 est le seul niveau rationnel...

Mme Tremblay : Notre collègue de la Norvège a en fait répondu à cette question en expliquant que, dans son pays, une législation imposant des contingents de 40 p. 100 pour le gouvernement est en place depuis un certain temps, et qu'on l'a par conséquent imitée.

Le sénateur Greene : Les groupements d'entreprises sont nombreux au Canada : l'Association des banquiers canadiens, le Conference Board du Canada et bien d'autres. L'objectif de tous ces groupements est d'améliorer le paysage, l'environnement à partir duquel les sociétés agissent; ils s'intéressent également beaucoup de bien des façons à la gouvernance d'entreprise; un grand nombre de ces associations ont des politiques idéales dans ce domaine, dont elles font la promotion parmi leurs membres.

Avec les témoins qui vous ont précédés, vous nous avez donné beaucoup d'informations intéressantes, et j'ai tendance à croire que c'est probablement exact. C'est en grande partie une question de bon sens. Pourquoi les groupements qui ont témoigné ne font-ils pas une campagne en faveur du projet de loi? Pourquoi n'exigent-ils pas ce projet de loi? Si leur objectif est d'améliorer le fonctionnement des sociétés, pourquoi ne vont-ils pas le proclamer dans la rue?

M. Leblanc : Je suis entièrement d'accord avec vous, mais à certains égards, ce n'est pas dans leur intérêt de le faire. Le groupe qui lutte avec le plus d'acharnement contre l'accès aux procurations de 3 p. 100 des actionnaires, soit seulement 3 p. 100 de la société, c'est la table ronde américaine. Ces groupements n'ont peut-être pas intérêt à appuyer un projet de loi qui mettrait un terme au statu quo ou qui modifierait leur prérogative de contrôle.

Le sénateur Greene : Voulez-vous dire dans l'intérêt personnel des membres ou dans l'intérêt de la société?

M. Leblanc : Dans l'intérêt de tout le groupe. Nous sommes ici en notre qualité d'universitaires, pour expliquer les données qui ont été recueillies en toute indépendance. Nous ne représentons pas un groupe. C'est dans l'intérêt des associations de l'industrie de représenter leurs membres et de représenter la capacité de leurs membres d'avoir le contrôle sur les mises en candidature pour le conseil d'administration.

Il n'est donc pas très étonnant que l'industrie ne soutienne pas un projet de loi qui changerait la donne. J'utilise l'accès aux procurations comme exemple.

Le sénateur Greene : Si toutefois ils étaient sensibilisés de façon à comprendre que le projet de loi améliorerait et renforcerait leurs effectifs, pourquoi ne mèneraient-ils pas une campagne en faveur du projet de loi?

Mme Tremblay : Paul Tellier, qui a reçu un prix dernièrement, a fait, dans le Globe and Mail, deux commentaires qui m'ont frappée. Le premier, c'est que les gens restent parfois trop longtemps membres d'un conseil d'administration. Cela joue indirectement un rôle. Il a aussi fait remarquer qu'au Canada, on n'avait pas assez souvent recours aux femmes dans les conseils d'administration. Il est possible qu'il n'accepte pas de venir témoigner et de le dire publiquement, mais il a bel et bien fait ces commentaires en tout cas.

M. Leblanc : Il y a aussi un coût politique à payer si un particulier, une entreprise, un groupe d'entreprises ou tout un secteur industriel voulait militer en faveur d'un changement comme celui-ci. Il faut comprendre, en quelque sorte, pourquoi ils ne manifestent pas leur appui. Cela ne veut pas dire qu'ils n'approuvent pas le principe.

Le sénateur Greene : Je ne suis convaincu par aucune de ces réponses, quoique je ne comprenne pas quelle est la réponse.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je ne pense pas qu'on s'attende à ce que les témoins qui représentent des universités répondent pour les organisations. Je signale que celles-ci ont été invitées et qu'elles ont décliné notre invitation. On ne peut pas faire des déductions. Leurs représentants viennent régulièrement témoigner devant le comité. Nous les invitons constamment. Parfois ils viennent et parfois ils ne viennent pas. Ce n'est pas uniquement pour ce projet de loi-ci. Ils ont leur propre programme à préparer et cette question fait l'objet d'un débat public, surtout au Canada anglais et surtout dans le Globe and Mail, où on a pu lire de nombreux articles sur diverses personnes. Il ne faut pas oublier que Paul Tellier a été greffier du Conseil privé, président du CN et président de Bombardier, qui sont de grandes organisations. À Montréal, devant un auditoire de 700 p.-d.g., il a déclaré qu'une réforme était nécessaire dans ce domaine, et il a donné son appui à ce principe.

Le sénateur Greene : Nous devrions peut-être l'inviter.

Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai essayé. Il était en Australie.

Le sénateur Harb : Merci pour les excellents exposés.

Si la majorité des actionnaires des sociétés cotées en bourse étaient des femmes, on peut supposer qu'elles éliraient peut-être des femmes dans les conseils d'administration. Ce n'est malheureusement pas le cas à l'heure actuelle.

Madame Puri, vous étiez l'un des deux directeurs de recherche nommés par le ministre des Finances pour faire partie d'un groupe d'experts sur la réglementation des valeurs mobilières. Vous avez élaboré une sorte de modèle d'organisme commun de réglementation des valeurs mobilières pour le Canada. Avez-vous examiné cette question dans le contexte de ce modèle? Comme nous le savons, les organismes de réglementation ont leur mot à dire en ce qui concerne les conseils d'administration, quoiqu'ils n'indiquent pas directement à l'entreprise quel nombre d'hommes ou de femmes doit comprendre le conseil d'administration.

Pour ce qui est de donner aux sociétés concernées un préavis qui leur permettrait de se préparer, l'article 19 du projet de loi indique que la loi entrera en vigueur 180 jours après sa sanction. Pensez-vous qu'il faudra peut-être prolonger cette période pour donner un préavis suffisant?

Mme Puri : Je répondrai d'abord à la deuxième question. Oui, la loi entre en vigueur 180 jours après la sanction royale, mais l'article en ce qui concerne la parité de genre n'est pas applicable avant l'ouverture de la deuxième assemblée annuelle après la date d'entrée en vigueur de la loi. Après les 180 jours, il reste deux années supplémentaires en réalité.

Le sénateur Harb : Trouvez-vous que c'est bien?

Mme Puri : Oui. Le ministre a toujours la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour prolonger le délai, au besoin. C'est la réponse à la question de nature plus technique.

En ce qui concerne la question plus générale portant sur le groupe de travail dont j'ai fait partie il y a quelques années, le mandat était en l'occurrence d'examiner la question de l'établissement d'un organisme modèle de réglementation des valeurs mobilières au Canada. En termes de priorités, ce n'en était pas une qui a été examinée dans l'étude. Les organismes de réglementation des valeurs mobilières ont toutefois la possibilité, comme je l'ai souligné dans mon exposé, d'établir un système basé sur la divulgation, de divulguer ce qu'on fait en ce qui concerne le processus de nomination et de gouvernance et comment on tient compte des questions liées à la diversité, comme l'a fait la commission des valeurs mobilières américaine.

Le sénateur Ataullahjan : Les entreprises prospères recrutent leurs dirigeants parmi les personnes les plus qualifiées. Pensez-vous que le projet de loi empiète sur le droit des actionnaires de proposer des candidats et de nommer un conseil d'administration pour les sociétés dans lesquelles ils investissent leur argent?

M. Leblanc : Non, pour la simple raison qu'en ce qui concerne les sociétés ouvertes, les actionnaires ont de la difficulté, même s'il s'agit d'institutions, à exercer de l'influence sur le choix des personnes élues au conseil d'administration. Il n'est pas inexact de dire qu'actuellement, la sélection se fait surtout en vase clos. À un certain moment, on a écarté la direction de l'entreprise du processus pour le laisser entre les mains du conseil d'administration. La direction peut toujours avoir une influence indirecte. Au Canada, les mises en candidature en ce qui concerne les membres des conseils d'administration de sociétés cotées en bourse sont largement déterminées par le conseil d'administration lui-même et pas par les actionnaires.

Le président : C'est la pratique actuelle.

M. Leblanc : Exactement.

Mme Tremblay : Je pourrais signaler également la perception que le bassin de personnes compétentes pour devenir membres d'un conseil d'administration est restreint et que si l'on choisit une femme, elle ne sera pas nécessairement aussi compétente que l'homme qu'on laisse à l'écart. Cependant, on a vu au Québec et dans de nombreux pays qu'il existait un vaste bassin de personnes ayant les compétences voulues pour être administrateurs. L'expérience à titre d'ex-p.-d.g. n'est pas le seul facteur qui qualifie une personne pour devenir membre d'un conseil d'administration. Nous avons effectivement besoin de personnes ayant une expérience de p.-d.g., mais ce n'est pas nécessaire pour tous les membres du conseil. Il faut changer la perception qu'on a uniquement besoin de personnes ayant une expérience de p.-d.g. et que c'est ce qui détermine la compétence du conseil d'administration.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de communiquer certaines de mes réflexions et vous pourrez me le signaler quand je ferai erreur. J'ai été membre de nombreux conseils d'administration, et peu m'importe qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes. Cependant, mon critère de base est le suivant : je serai convaincu que c'est le bon choix pour autant que le conseil d'administration prenne les meilleures décisions. Si vous arrivez à me convaincre que des singes permettent de prendre les meilleures décisions, je voterai en faveur des singes. Peu m'importe qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes. C'est important.

D'après mes observations personnelles, le problème le plus grave d'un conseil d'administration, mais la situation évolue un peu, ce sont les membres qui ne contredisent jamais le p.-d.g.; c'est la plus grosse faiblesse d'un conseil d'administration, en Amérique du Nord en tout cas. Je sais que la situation commence à changer.

Le membre le plus important du conseil d'administration — et vous n'apprécierez pas ce que je vais dire —, c'est probablement le p.-d.g., qui a de l'expérience dans ce secteur, ou un très haut responsable de la commercialisation dans une autre entreprise, si votre entreprise est une entreprise internationale. Qu'on me dise qu'il s'agit d'un p.-d.g. ou d'un avocat, ça ne m'influence pas. Il faut une personne ayant une grande expérience. Je reconnais qu'on ne peut pas nommer uniquement des p.-d.g. Il faut de la diversité. Je suis en faveur de la diversité en ce qui concerne l'expérience internationale. C'est très important. C'est mon côté logique.

Ce qui influence ma décision et remporte mon adhésion, c'est quand vous présentez des données empiriques venant de Catalyst, de Forbes et de McKinsey; cela m'aide beaucoup. Monsieur Leblanc, vous avez signalé qu'aucune donnée empirique ne le prouve et qu'il ne faut pas trop se fier à ce genre de données, car elles ne démontreront jamais que la participation des femmes dans un conseil d'administration contribue à améliorer les décisions.

Sans données empiriques, ce ne sont que des discussions et des opinions. Votre opinion n'est pas meilleure que celle de M. Tellier. D'autres personnes ont des opinions opposées, notamment des femmes p.-d.g. qui ont déclaré dans les journaux qu'elles s'opposaient au système des contingents. J'aimerais malgré tout penser que les données empiriques indiquent que c'est le contraire. Monsieur Leblanc, vous dites que les données empiriques ne confirment pas la contribution des femmes dans les conseils d'administration.

M. Leblanc : Il y a un argument de corrélation et de causalité. Il y a peut-être eu une erreur de communication. J'ai dit que les conclusions des études variaient et que ce n'était pas le cas que les conseils d'administration composés de femmes avaient nécessairement un rendement plus élevé pour les actionnaires. Un administrateur a deux types de fonctions : une fonction consultative et une fonction de surveillance. Certaines données, établies par l'Université de Chicago, indiquent que les femmes assurent une meilleure surveillance et qu'elles contribuent de façons différentes aux décisions en obligeant le p.-d.g. à rendre des comptes. Les conclusions des différentes études, si l'on se base sur une justification commerciale plus large, sont variables; par conséquent, on n'arrivera peut-être jamais à démontrer que les femmes dans les conseils d'administration optimisent nécessairement davantage la richesse des actionnaires.

Le sénateur Massicotte : Cela me déçoit. Je pensais que c'était le contraire. J'ai vu une étude indiquant que les femmes p.-d.g. produisaient en moyenne de meilleurs résultats que les hommes. Vous affirmez que ce n'est pas une conclusion valide.

M. Leblanc : J'ai lu d'autres études qui ne sont pas arrivées à cette conclusion au sujet des femmes dans les conseils d'administration. Les études en arrivent à des conclusions différentes. C'est également le cas en ce qui concerne l'efficacité des conseils d'administration.

Le sénateur Massicotte : Je suis déçu, car cela aurait simplifié mon argumentation.

Tout le monde fait des supputations au sujet de Lehman Brothers, et cetera. Je n'endosse pas ce point de vue. D'après certaines études concernant le pourcentage de femmes dans les conseils d'administration qui ont été faites à l'étranger, en France, les entreprises où le taux de participation des femmes est élevé ont connu le même sort. Chez Lehman Brothers, les membres du conseil d'administration avaient un pourcentage élevé de leur avoir net en jeu, et ça ne les a pas empêchés de prendre de mauvaises décisions. Le fait qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes importait peu; ils avaient un enjeu important. Ainsi, le p.-d.g. avait investi 1 milliard de dollars. Il a tout perdu. Je ne pense pas qu'on puisse simplifier le problème en disant qu'il faut mettre des femmes dans ces postes-là, car elles permettraient de se remettre de la catastrophe financière qui nous a frappés il y a quelques années.

Je suis très influencé par des données empiriques, mais vous dites que les conclusions varient. Je pense que je continuerai à chercher.

Le sénateur Plett : Je remercie les témoins. L'un ou l'une d'entre vous a fait remarquer, à l'instar du groupe de témoins précédent, que les femmes n'avaient pas les mêmes possibilités à cause de leurs fonctions reproductives, et cetera.

À l'époque actuelle, alors qu'il y a notamment Internet et les ordinateurs domestiques, je n'arrive pas à comprendre pourquoi une femme qui reste chez elle parce qu'elle est en congé de maternité ne serait pas en mesure de continuer à faire de la recherche sur les possibilités qui s'offrent à elle et à mettre ses compétences particulières à jour. Je pense que ce type de raisonnement aurait été valide il y a une vingtaine ou une trentaine d'années, mais je ne suis pas convaincu que ce le soit encore à l'heure actuelle.

M. Leblanc a souligné que, parce que 50 p. 100 de notre population est composée de femmes, le contingent féminin dans nos conseils d'administration devrait être de 50 p. 100. Je signale qu'au Canada, une forte majorité des hommes qui sont d'âge à faire partie de la population active sont à la recherche d'un emploi. Selon votre argument, le même principe serait applicable aux femmes. Je ne suis pas sûr d'être d'accord. Certes, un grand nombre de femmes sont à la recherche d'un emploi, mais je ne sais pas si le pourcentage d'hommes qui en cherchent un est le même. C'est simpliste de prétendre que, puisque 50 p. 100 de la population est composée de femmes, il devrait y avoir 50 p. 100 de femmes dans les conseils d'administration.

Avec la crainte que ma vis-à-vis m'accuse de ne me soucier que de la libre entreprise — et c'est absolument exact —, si la valeur de mes actions augmente avec des femmes au conseil d'administration, dans ce cas j'insisterai pour qu'il y ait des femmes au sein du conseil. Cependant, si la valeur de mes actions diminue, ce n'est plus ce que je veux. Je veux les personnes les plus compétentes pour les sociétés dans lesquelles j'investis, que ce soit des hommes ou des femmes.

Mme Tremblay : Je vais répondre à la première question. Ce n'était peut-être pas clair. J'ai signalé que la fonction reproductive n'avait rien à voir avec les compétences spécialisées.

Le sénateur Plett : Je suis d'accord avec vous sur ce point.

Mme Tremblay : Le fait que j'aie quatre fils n'y change rien, et j'ai tenu mes compétences à jour pendant mes congés de maternité. La maternité a toutefois réduit l'efficacité de mon réseautage.

Le sénateur Plett : C'est sur ce point-là que je ne suis pas d'accord.

Mme Tremblay : Je me base sur mon expérience personnelle. Il faut du temps pour élever des enfants et pour leur apprendre à devenir des adultes responsables. Les femmes assument généralement une plus grande partie de cette tâche que les hommes. Un des aspects que nous laisserons temporairement de côté, c'est celui du réseautage. Les femmes que j'ai interviewées m'ont confié qu'il est difficile après ça d'intégrer le club des anciens, car on a été absent pendant un certain temps. Je ne dis pas que c'est impossible, mais c'est beaucoup plus difficile.

Lorsque les conseils d'administration cherchent des candidats, ils pensent d'abord aux personnes connues et aux membres de leur réseau ou à leurs contacts, et c'est naturel. La législation sur la parité au Québec nous a forcés à consulter des associations professionnelles comme l'ICCA, pour demander si elles avaient des femmes disponibles. De nombreuses femmes sont disponibles.

L'autre facteur, c'est que les femmes ne font pas valoir leurs compétences tout à fait de la même façon que les hommes. Les hommes sont peut-être plus dynamiques lorsqu'ils sont à la recherche d'un poste à un conseil d'administration, alors que les femmes ont tendance à être contentes quand on leur demande de se présenter, mais sont un peu moins dynamiques. Cela dit, au cours de mes entrevues, plusieurs femmes m'ont signalé qu'elles avaient essayé d'obtenir une place à un conseil d'administration et qu'elles n'y avaient pas réussi. C'est une question de réseautage.

M. Leblanc : Je voudrais répondre à votre deuxième commentaire concernant la parité dans une proportion de 50-50, appliquée notamment aux universités et aux écoles d'études supérieures, comme je l'ai signalé. Je voudrais ajouter cela à la remarque que le sénateur Massicotte a faite au sujet de la prise de décisions.

Un autre sénateur a fait remarquer que, dans le secteur public, on n'est pas au courant de contingents. À l'Université York, on applique un contingent de 40 p. 100 qui couvre quatre groupes — les femmes, les minorités visibles, les Autochtones et les personnes handicapées — au recrutement des membres de la faculté. Notre université est très variée. Dans une classe de 100 étudiants, 80 p. 100 sont des membres des minorités visibles, et la moitié sont des femmes. Nous avons décidé il y a un certain temps, dans notre convention collective, de fixer un contingent pour les femmes. Nous pensions qu'elles auraient accès, mais ce ne fut pas le cas. Nous devons aller faire du recrutement et nous démener.

Le sénateur Greene : Est-ce une décision de l'université?

M. Leblanc : Absolument, c'est une décision qui a été prise par l'université pour que ça corresponde à l'effectif étudiant. Je ne peux pas affirmer que la prise de décisions par un groupe d'universitaires est rendue plus efficace par la présence de personnes venant de divers milieux. Je vous assure que, d'après mon expérience personnelle, la présence de femmes, de membres des minorités visibles, de personnes handicapées et d'Autochtones à une réunion accroît incontestablement la qualité des décisions prises par le comité, par la faculté et par l'université.

Certaines choses ne peuvent pas être prouvées. Ça ne signifie toutefois pas que ce n'est pas vrai. Si 50 p. 100 des diplômés sortant des universités sont des femmes, par exemple, il faut consciemment essayer de refléter cette mosaïque, dans la région métropolitaine de Toronto ou à l'échelle du Canada, avec des chiffres concrets. S'il faut tordre la loi pour y arriver, c'est probablement une bonne chose. Ce n'est pas être réactionnaire. C'est être proactif.

Le sénateur Plett : Compte tenu de l'heure qu'il est, je ne ferai pas de commentaires.

Le sénateur Massicotte : Vous avez soulevé un point intéressant dont je voudrais discuter. D'après ce que j'ai lu, lorsqu'une femme prend un congé de maternité, chaque année de congé représente en moyenne une diminution permanente de 3 p. 100 du salaire par rapport au salaire de ses homologues masculins. C'est déplorable. Pourquoi est- ce le cas? Vous présumez que c'est probablement une question de réseautage.

L'autre aspect que signalent les experts, c'est que, malheureusement ou heureusement, de nombreuses choses se font par le biais du réseau, que ce soit sur le terrain de golf ou de quelque autre façon. On atteindra peut-être ce but; on réalisera peut-être des progrès. Cependant, les hommes aiment généralement jouer au golf avec d'autres hommes et se tiennent avec des hommes. Les femmes sont probablement plus souples que les hommes, mais on a tendance à se tenir avec les membres de son groupe. Les femmes sont désavantagées dans ce style de réseautage. Le réseautage explique dans une large mesure les différences au niveau salarial.

Est-il vrai que le réseautage est efficace pour conclure des marchés? Somme toute — et il y a une certaine logique là- dedans —, dans bien des comportements, on rationalise lorsqu'on fait des marchés et des affaires avec des personnes dont on apprécie la compagnie et auxquelles on fait confiance. Ce n'est pas de la logique pure. Par conséquent, il faut rencontrer des gens. S'il y a des avions, c'est pour aller à des réunions d'affaires. Comment peut-on atteindre ce but s'il y a des différences?

Mme Tremblay : Ma réponse sera courte. On l'atteindra avec le projet de loi S-206.

[Français]

Le sénateur Ringuette : Il faut reconnaître que ce projet de loi apporte tellement de changements qu'il y aura une résistance énorme de la part du genre masculin qui auront peur de perdre le pouvoir. C'est une dynamique de pouvoir, c'est une dynamique de contrôle, et puis restreindre le réseautage au genre masculin est aussi une dynamique de pouvoir.

Au Québec, vous avez une législation au niveau des sociétés d'État, qui à mon avis était excellente, et on voit les résultats au niveau de ces sociétés. Selon ce que vous avez pu constater de vos recherches, est-ce que cette législation ou les effets bénéfiques des conseils d'administration ont eu un impact sur des conseils d'administration des entreprises publiques au Québec? Est-ce qu'on devra renchérir aussi avec une législation similaire au Québec?

Mme Tremblay : Comme il s'agit de sociétés d'État, elles ne sont pas cotées en bourse. Donc si on veut se limiter à une évaluation de la performance financière, cela ne s'applique pas. C'est pour cette raison que j'ai fait de la recherche qualitative, je suis allée rencontrer les gens. Et je peux vous dire, comme mes collègues vous l'ont déjà dit, que la diversité a un impact incroyable au niveau de la dynamique dans les conseils d'administration.

Et encore une fois, comme le disait mon collègue, je pense que si on veut les meilleures décisions, il faut évaluer plusieurs options. Donc, c'est certain que si j'ai juste une option et que je décide que ce sera la décision, je ne pense pas avoir eu le meilleur processus décisionnel en place. Par contre, en ayant la diversité, les gens viennent de plusieurs milieux. Et les hommes, rétrospectivement, sont très contents d'accueillir les femmes au sein des conseils d'administration et ils ont salué, malgré une résistance initiale, leur arrivée au sein de ces conseils.

Je ne peux pas vous parler de performance financière, mais au niveau de la dynamique, de la perception, cela a été effectivement très bénéfique.

[Traduction]

Le sénateur Ringuette : Monsieur Leblanc, il y a des années, lorsque nous avons entamé nos discussions sur la mondialisation des entreprises, les associations canadiennes encourageaient les employeurs et les entreprises à diversifier leurs ressources humaines afin d'avoir une meilleure connaissance du monde et d'y avoir un meilleur accès. C'est pourquoi nous essayons maintenant d'étendre cette vision aux conseils d'administration. Comprenez-vous pourquoi on oppose une telle résistance? Comprenez-vous pourquoi cette attitude de la part du travailleur moyen est acceptable mais ne l'est pas de la part des conseils d'administration?

M. Leblanc : Je pense que vous avez parfaitement raison. C'était il y a 10 ans. La gouvernance d'entreprise change. Le monde change. C'est de la résistance passive. C'est une question de pouvoir et de contrôle. C'est une occasion de faire preuve de courage et de leadership. Nous sommes des universitaires et, par conséquent, on ne peut pas nous licencier, car nous sommes titularisés. Je pense qu'en fin de compte, les progrès ont été totalement insuffisants au Canada dans ce domaine. Le monde change. D'autres pays changent et prennent la relève. Nous devrions être un modèle de leadership dans ce domaine. Alors que les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et certains pays d'Europe changent, si nous n'en faisons pas autant, nous deviendrons un manquement perceptible, et ce n'est pas bon.

Le sénateur Ringuette : Nous le sommes déjà, dans différents domaines.

Le président : Si je comprends bien, vous trouvez que l'approche de la carotte et du bâton n'a pas été efficace et vous êtes convaincu que les données sont claires à ce sujet.

M. Leblanc : Absolument.

Le président : Par conséquent, le bâton est la seule solution; est-ce bien ce que vous voulez dire?

M. Leblanc : C'est bien cela.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Je reviens au Québec. Est-ce que, selon vous, l'opinion publique s'est opposée, s'est même inquiétée que l'on change la gouvernance des sociétés d'État? C'est l'argent des contribuables, cela comprend la Caisse de dépôt, qui dispose d'un capital de plus de 100 milliards de dollars, cela comprend les organismes d'investissements comme Investissement Québec. Est-ce que cette question a préoccupé le public? Comment ont réagi les gens qui, en fait, sont ceux qui vont vivre avec cette décision?

Mme Tremblay : Au tout début, quand le ministre des Finances, que j'ai d'ailleurs rencontré pour mes recherches, a proposé la législation, quand il a annoncé son intention, c'était vraiment moitié-moitié : la moitié des gens étaient complètement opposés, pour les raisons que j'ai mentionnées plus tôt, donc une résistance au changement qui est naturelle et la peur de ne pas avoir assez de femmes compétentes — j'ai parfois l'impression que les gens pensaient qu'on allait prendre des dames de 82 ans dans leur cuisine et les amener sur les conseils d'administration —, et l'autre moitié de la population trouvait que c'était une très bonne idée, donc avait moins cette résistance. Je vous dirais que la résistance ne venait pas seulement des hommes. Ce n'était pas aussi clair que les femmes étaient pour et les hommes contre.

Maintenant, je vous dirais que, quatre ans après l'annonce initiale, la question ne se pose plus. Cela s'est fait parce que ces femmes ne sont pas arrivées dans les conseils d'administration en disant qu'elles allaient tout changer et faire cela de façon féminine; elles sont arrivées avec leur expertise. On est allé chercher des femmes compétentes, et il y en a des femmes compétentes partout au Québec et au Canada. Il s'agit donc de les inviter, elles vont être là et elles vont faire taire les critiques.

[Traduction]

Le président : Je remercie tous les témoins. Ce fut une discussion intéressante, instructive et animée. J'aimerais pouvoir continuer, mais il faudra attendre un autre jour.

(La séance est levée.)


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